Aller au contenu
LCJC - Comité permanent

Affaires juridiques et constitutionnelles

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles

Fascicule 38 - Témoignages


OTTAWA, le mercredi 28 octobre 1998

Le comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, auquel a été renvoyé le projet de loi C-25, Loi modifiant la Loi sur la Défense nationale et d'autres lois en conséquence, se réunit aujourd'hui à 16 h 03 pour en faire l'étude.

Le sénateur Lorna Milne (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente: Honorables sénateurs, je déclare ouverte cette séance du comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles. Nous accueillons aujourd'hui le colonel Patricia Samson et M. Brian Grainger.

Tout le monde a une copie des notes biographiques concernant les témoins. Dans les deux cas, ces documents sont impressionnants. Peut être devrais-je les lire en partie aux fins du compte rendu.

Le colonel Samson a d'abord fait carrière dans l'enseignement, s'est jointe ensuite à la Police provinciale de l'Ontario, est devenue sous-lieutenant au Service de sécurité après avoir suivi un entraînement en Colombie-Britannique et a été nommée ensuite adjointe au chef de Sûreté de l'une des bases des Forces canadiennes. Après avoir été promue au rang de lieutenant-colonel, elle est devenue directrice des Opérations de sécurité 2 au quartier général de la Défense nationale.

Mutée aux Nations Unies, elle a servi dans l'ancienne République de Yougoslavie. Elle détient une maîtrise en éducation et poursuit actuellement des études dans le but d'obtenir une deuxième maîtrise, en administration publique.

Colonel, je vous félicite. Votre carrière est des plus remarquables.

Brian Grainger s'est taillé une réputation nationale et internationale grâce à son leadership et aux outils et programmes déontologiques qu'il a conçus pour mettre le professionnalisme en pratique. Pendant dix-huit ans, il a acquis progressivement une plus grande expérience dans le domaine de l'élaboration de politiques et de la gestion au sein des services juridiques des gouvernements fédéral et provinciaux, et il a été le premier directeur de l'éducation au Centre canadien de la magistrature.

Il a été président du Réseau international de déontologie de la fonction publique. Il est coauteur de «Implementing Ethics Strategies within Organizations» et «Corrections». Il est président de l'Ethics Practitioners Association of Canada, président fondateur de l'Ottawa Roundtable on Ethics, membre de l'Association canadienne des chefs de police et professeur auxiliaire de droit à l'Université d'Ottawa.

Je vous souhaite la bienvenue à l'audience que nous tenons cet après-midi. La façon dont fonctionne le comité n'est pas très protocolaire. Quand vous aurez fait votre présentation, les membres du comité vous poseront des questions.

Le colonel Patricia (Pat) Samson, Grand Prévôt des Forces canadiennes, ministère de la Défense nationale: Honorables sénateurs, je suis heureuse d'être parmi vous pour vous parler du projet de loi C-25. Je vais relever certains points de ce projet de loi qui touchent la police militaire, et essayer de limiter mon allocution à cinq minutes.

Ces dernières années, le rôle de la police militaire et la structure de son organisation ont fait l'objet d'un examen. Le Groupe consultatif spécial sur la justice militaire et les Services d'enquête de la police militaire, ainsi que la commission d'enquête sur la Somalie ont présenté des recommandations concernant la police militaire. Dans chaque cas, ces recommandations portaient sur deux domaines clés qu'il fallait modifier pour rétablir la confiance dans la compétence de la police militaire. Ces domaines sont l'indépendance des enquêtes et les questions de commandement qui y sont liées, ainsi que la reddition des comptes.

Pour régler la question de l'indépendance des enquêtes et du processus de dépôt des accusations qui s'y rattache, on a mis sur pied le Service national des enquêtes. Cette unité fournit aux Forces canadiennes des services d'enquête indépendants, à l'échelle nationale et internationale. L'unité est organisée de manière à pouvoir fonctionner indépendamment de la chaîne de commandement opérationnelle et à fournir des services d'enquête sur les sujets de nature grave ou délicate. De plus, elle est habilitée à déposer des accusations.

Quand on parle de commandement et de contrôle, il est important de noter que c'est moi qui assume le commandement et le contrôle direct du Service national des enquêtes. Je relève du vice-chef d'état-major de la Défense pour les questions d'ordre stratégique et organisationnel, mais pas pour les opérations d'enquête courantes.

Les rapports que j'entretiens avec le vice-chef sont décrits dans le Cadre de reddition de comptes que nous avons tous deux signé le 2 mars 1998. Je crois que vous en avez reçu copie. Celle-ci se trouve en annexe du Rapport annuel du Grand Prévôt des Forces canadiennes.

Ce Cadre de reddition de comptes, qui a été préparé avec l'aide d'un certain nombre d'experts-conseils civils, ressemble aux dispositions des diverses lois provinciales sur la police décrivant le rapport qui doit exister entre les commissions des services policiers et leur chef de police respectif.

Ce Cadre de reddition de comptes insiste également sur la nécessité de présenter un rapport annuel. Ce rapport comptera parmi les six rapports publics que doit présenter le ministère de la Défense nationale.

Toutefois, la question de l'indépendance des enquêtes est liée à d'autres facteurs. En effet, cette indépendance doit être protégée par un mécanisme réduisant les risques d'abus et augmentant la reddition de comptes.

Voilà pourquoi le projet de loi C-25 propose un certain nombre de modifications à la Loi sur la Défense nationale visant à augmenter la reddition de comptes au sein de la police militaire. D'abord, à la partie IV, on propose l'établissement d'une Commission d'examen des plaintes concernant la police militaire. Cette commission, qui serait indépendante du ministère de la Défense nationale, aurait pour mandat d'examiner deux types de plaintes, d'enquêter sur celles-ci et de présenter un rapport.

Il y a d'abord les plaintes concernant la conduite de tout membre de la police militaire, dans l'exercice de toute tâche ou fonction de police. On pourrait comparer cet aspect du projet de loi à la Commission des plaintes contre la GRC.

Ensuite, il y a les plaintes concernant l'intervention de membres des Forces canadiennes ou de hauts fonctionnaires du ministère dans une enquête de la police militaire. Avec ce projet de loi, le ministère serait à l'avant-garde en ce qui a trait aux mécanismes de plainte et de reddition de comptes des services policiers. En effet, nous n'avons trouvé aucun autre mécanisme de plainte contre la police civile ou militaire présentant des dispositions sur les questions d'ingérence dans les enquêtes qui soient aussi directes que celles du projet de loi C-25.

Ensuite, le projet de loi autorise l'établissement d'un code de déontologie de la police militaire. Ce code sera le modèle sur lequel les policiers militaires devront baser leur conduite professionnelle. Nous sommes actuellement en train de rédiger ce code. À cet égard, nous nous fondons beaucoup sur les expériences de la GRC et des services policiers de l'Ontario et de la Colombie-Britannique.

En bout de ligne, non seulement le projet de loi C-25 améliorera-t-il les services de police militaire, mais il augmentera la confiance du public envers les Forces canadiennes. Les articles traitant de la reddition de comptes, l'ajout des définitions de la police militaire et du Grand Prévôt, ainsi que la description des pouvoirs de la police militaire à l'article 156 sont essentiels à la bonne marche des services de police du ministère.

M. Brian Grainger, associé principal, Grainger & Associates Inc.: Honorables sénateurs, je suis heureux d'avoir l'occasion de dire quelques mots sur ce projet de loi. J'aimerais ajouter que je reprends à mon compte, sans quelque réserve que ce soit, les propos du Grand Prévôt des Forces canadiennes.

Ce projet de loi, je le souligne, comporte deux séries de dispositions très précises qui sont d'une grande importance dans le contexte de la professionnalisation de la police militaire. Le premier élément est, bien entendu, la création d'une Commission d'examen des plaintes concernant la police militaire, un sujet auquel je reviendrai dans un moment; le deuxième est l'idée d'instituer un code de déontologie professionnel, ce qui m'intéresse tout particulièrement car c'est un domaine dans lequel je peux dire que j'ai une certaine expérience. À cela s'ajoutent deux autres éléments qui, même s'ils ne sont pas autant mis en évidence, font l'objet de travaux assidus au sein des Forces canadiennes.

Il s'agit d'instituer, d'une part, une commission d'examen des titres et, d'autre part, des normes professionnelles s'appliquant à la police militaire des Forces canadiennes. Ces quatre éléments se complètent et sont extrêmement importants.

On négligerait quelque chose si, dans tout exposé comme celui que je vous présente actuellement, on ne soulignait pas que le rapport de la commission d'enquête sur la Somalie a joué un certain rôle dans le lancement de ce processus ou, du moins, a fait ressortir un certain nombre d'idées utiles que les Forces canadiennes ont décidé d'explorer. Par ailleurs, le défunt juge en chef Brian Dickson et son groupe consultatif spécial avaient formulé des propositions et des idées que reflète le texte législatif. À mon avis, le juge Dickson a fait de l'excellent travail à cet égard.

Aujourd'hui, j'aimerais me concentrer sur les dispositions du projet de loi C-25 qui portent sur la Commission d'examen des plaintes concernant la police militaire et qui, comme le colonel Samson vient de l'indiquer, se trouvent dans la partie IV du projet de loi. À cet égard, les sénateurs trouveront sans doute intéressant de savoir comment, parmi plusieurs autres initiatives connexes, ces dispositions appuient une amélioration de la responsabilisation des Forces canadiennes tout en élargissant et en approfondissant leur professionnalisation.

Le transparent projeté derrière vous, madame la présidente, illustre sous la forme d'un graphique ce que j'essaie de souligner. C'est-à-dire que ce projet de loi, appuyé par d'autres initiatives déjà lancées et dont les Forces canadiennes du ministère de la Défense nationale tentent d'élargir la portée, s'inscrit exactement dans le courant de professionnalisation et de responsabilisation dont le colonel Samson vient de faire état, comme d'ailleurs d'autres témoins qui ont comparu devant le comité ces dernières semaines.

Il faut bien souligner qu'il s'agit d'un projet qui ne se limite pas aux éléments importants que l'on trouve dans cet excellent texte législatif. Il est important de garder à l'esprit tout le train des mesures envisagées.

Lorsque le projet a été lancé, ceux qui y ont travaillé visaient la responsabilisation, en s'inspirant des conseils qu'avait clairement formulés le juge en chef Dickson à propos d'initiatives de ce type.

Si j'en crois l'expérience que j'ai acquise dans le domaine du maintien de l'ordre, il n'existe pas de système parfait, comme peuvent en témoigner tous ceux qui travaillent dans le secteur de la justice tant civile que militaire.

Les initiatives que vous étudiez aujourd'hui, particulièrement la disposition concernant la Commission d'examen des plaintes, se fondent sur plusieurs leçons clés touchant le maintien de l'ordre qui ont pu être tirées de notre expérience au cours des deux ou trois dernières décennies en Amérique du Nord et en Europe. Nous avons par exemple appris à reconnaître l'importance des facteurs suivants: indépendance de la police; mécanisme de surveillance des opérations de maintien de l'ordre; responsabilisation des fonctions de commandement et de contrôle, ce qui recouvre par exemple des vérifications, un cadre de travail semblable à celui qui vient d'être décrit et qui prévoit l'intervention du vice-chef de l'état-major de la Défense; et bien entendu, la délégation au Grand Prévôt des Forces canadiennes des pouvoirs nécessaires pour prendre les mesures qui s'imposent, comme c'est le cas actuellement.

En outre, j'attire votre attention sur le rapport annuel du Grand Prévôt des Forces canadiennes, le premier d'une longue série, j'en suis certain, dont la transparence et la franchise sont à souligner. Plus particulièrement, je vous signale que dans ce tout récent rapport du Grand Prévôt des Forces canadiennes, on trouve une description de la situation de la police militaire, de ses activités et de son fonctionnement. Il s'agit d'un document type comparable aux rapports annuels produits par les services de police civils dans tout le pays, en Amérique du Nord, et ainsi de suite.

J'aimerais conclure mes observations par deux ou trois questions d'importance critique que tous les Canadiens, y compris le personnel subalterne des Forces canadiennes, et certainement les sénateurs, sont en droit de se poser à propos des textes législatifs et des initiatives connexes dont je viens de parler.

Premièrement, est-ce que les modifications apportées par le projet de loi C-25 améliorent le professionnalisme de la police militaire? Oui. Les dispositions en vigueur actuellement qui s'appliquent aux services policiers canadiens, ainsi que les responsabilités que cela implique ont été prises en compte pour élaborer les mécanismes fonctionnels et autres outils de surveillance définis dans ce projet de loi.

Deuxièmement, avons-nous besoin d'une Commission d'examen des plaintes concernant la police militaire? Oui. Sa création répond aux préoccupations exprimées par la commission d'enquête sur la Somalie et par le juge en chef Dickson dans leur rapport respectif. S'agira-t-il d'une entité semblable à celle qui a été créée dans le cas de la GRC? Elle prend effectivement comme modèle la Commission des plaintes du public contre la GRC ainsi que plusieurs autres mécanismes de surveillance des services de police dont nous pouvons parler si vous le souhaitez.

Une fois les réformes mises en oeuvre, est-ce que la responsabilisation de la police militaire sera du même niveau que celle des services de police civils? Si l'on fait une comparaison point par point avec tous les principaux textes législatifs s'appliquant aux services de police canadiens, on pourra voir effectivement que tous les aspects de cette responsabilisation sont pris en compte.

Le sénateur Beaudoin: Merci de nous avoir présenté cet exposé. Vous avez parlé deux ou trois fois de l'ancien juge en chef Brian Dickson. C'était un juriste éminent que j'admirais beaucoup. Il a transmis un rapport sur ce sujet au premier ministre. J'aimerais que vous me disiez si, dans votre propre secteur d'activités, ses recommandations ont eu une application concrète et si ses suggestions ont été mises en oeuvre.

De toute évidence, on ne peut pas tout faire en un jour, mais étant donné que vous évoluez dans le milieu des Forces armées canadiennes, quelle est votre impression? Y a-t-il eu un prolongement concret? Comme on dit en français...

[Français]

Est-ce qu'il y a eu un suivi du rapport du juge en chef Dickson?

[Traduction]

Col Samson: Les recommandations que l'on trouve dans le rapport du juge Dickson et qui touchent la police militaire sont les recommandations allant de 9 à 14. Elles ont toutes été mises en oeuvre. Cela nous a pris un an et demi pour finaliser la mise en application de chacune d'entre elles.

Le sénateur Beaudoin: C'est très bien. Je vous félicite.

Col Samson: Nous avons travaillé fort, monsieur le sénateur.

Le sénateur Beaudoin: Je voudrais poser une question concernant le juge-avocat général au niveau de la cour martiale. Je pense que désormais, ce juge-avocat général a été remplacé par un procureur. Ce n'est plus un juge.

Col Samson: Je ne suis pas compétente pour vos répondre. Tant et aussi longtemps que je peux m'adresser à un procureur pour discuter des dépôts d'accusations, je suis satisfaite.

Le sénateur Rompkey: J'ai plusieurs questions à poser, et l'un ou l'autre des témoins peut y répondre. La première a trait à la police militaire et à son indépendance, particulièrement au niveau local.

Au niveau local, la police militaire relève du commandant. Le commandant est tenu de signaler tout incident aux autorités. Qu'arrive-t-il? Pensez-vous que les dispositifs actuellement en place sont adéquats pour garantir que les choses se passent ainsi véritablement? Existe-t-il des sanctions adéquates que l'on peut imposer si ce n'est pas le cas?

La seconde partie de cette question porte sur la police militaire. Si la police militaire relève du commandant local, est-elle en fait indépendante? Pourriez-vous me répondre en tenant compte de l'incident qui a eu lieu en Somalie et où la police n'a pas vraiment été appelée à intervenir? Peut être n'avait-on tout simplement pas envoyé dans ce pays un contingent suffisant de policiers militaires, mais lors de cet incident, il y a eu un délai avant que l'on appelle la police à la rescousse.

En bref, je voudrais savoir si les événements qui se sont produits en Somalie pourraient encore arriver si cette nouvelle législation était en vigueur.

Col Samson: Je vais répondre à vos questions l'une après l'autre, monsieur le sénateur. Oui, la police militaire qui se trouve sur les bases relève de leur commandant local. Elle joue un rôle semblable à celui des services de police civils dans une ville.

La police militaire agit dans le cadre des politiques émises par mon bureau. Pour assurer que ces politiques sont respectées et que personne ne fait obstacle à leur application, je peux maintenant faire intervenir des vérificateurs nommés suite aux recommandations de la commission Dickson, qui se chargent de contrôler tout ce que fait la police militaire. Si l'on décèle une ingérence quelconque, une enquête est lancée.

La Commission d'examen des plaintes concernant la police militaire vient évidemment s'ajouter à ce mécanisme, car tout policier qui estime que son commandant est coupable d'ingérence peut formuler une plainte. Je dispose ainsi d'un système de freins et de contre-poids encore plus efficace, et j'en suis très satisfaite.

Le sénateur Beaudoin: Vous avez bien dit que «tout» policier peut formuler une plainte?

Col Samson: Tout policier qui mène une enquête peut formuler une plainte. Comme vous le savez tous, une enquête peut se résumer à arrêter un véhicule et à demander au conducteur de donner son nom parce qu'il fait de l'excès de vitesse. Ce peut-être le début d'une enquête. Tout policier a le droit d'agir ainsi. Il n'y a pas de limite. Son superviseur jouit également du même droit. Il existe un système de freins et de contre-poids.

Dans le contexte de son Cadre de reddition de comptes, le vice-chef d'état-major de la Défense est chargé de s'assurer que le Service national des enquêtes fait l'objet d'une vérification, et il est également responsable de toutes les vérifications que nous effectuons. Tout est transparent.

Au plan des opérations, que ce soit en Somalie ou en Yougoslavie, par exemple, depuis la création du Service national des enquêtes, la police militaire accompagne les troupes, mais il ne s'agit pas dans ce cas de «ma» police militaire. Elle relève du commandant.

J'envoie avec chaque groupe deux ou trois enquêteurs du Service national des enquêtes, des enquêteurs qui ont reçu une formation spéciale. Les responsabilités de cette unité comprennent le soutien administratif, la nourriture et l'hébergement, mais ses membres relèvent directement de moi et non du commandant en cause. Par conséquent, si une enquête est lancée, c'est à moi qu'ils font rapport directement.

Si, par exemple, un petit groupe intervient quelque part sans être accompagné d'agents de la police militaire parce que le groupe en question n'est pas assez important, et si l'on me signale qu'un incident s'est produit -- les commandants doivent signaler ce genre d'incident -- c'est alors à moi de décider d'envoyer soit des agents de la police militaire, soit des membres du Service national des enquêtes pour faire enquête. Cette décision n'appartient pas au commandant, comme ce fut le cas en Somalie. C'est moi qui suis chargée de lancer les enquêtes dans des situations graves et délicates, comme le chef de services de police civils.

Le sénateur Rompkey: Je voudrais maintenant vous poser une question concernant les effectifs civils que l'on trouve au sein des forces armées. J'ai déjà posé cette question, mais je veux la poser à nouveau. Je la pose dans le contexte du rapport au Parlement et du livre blanc. Dans ces deux documents, on parlait du ratio des effectifs civils et militaires au sein des forces armées et l'on disait qu'il y avait plus de personnel en uniforme au sommet et plus de personnel civil à la base. La base comprend le personnel de soutien -- les cuisiniers, les assistants dentaires, peut-être même les infirmières.

Ma question est celle-ci: dans quelle mesure le milieu juridique est-il représenté au sein de l'effectif civil des forces armées, en commençant par le juge-avocat général.

Dans notre pays, le juge-avocat général est nommé par le gouverneur en conseil et, traditionnellement, est considéré comme un avocat militaire en activité de service au sein des Forces canadiennes. Toutefois, la Loi concernant la Défense nationale n'exige pas que le juge-avocat général soit un officier en activité de service. Au Royaume-Uni et en Australie, le juge-avocat général occupe ce poste à titre civil.

Veuillez commencer par le juge-avocat général et ensuite parler de la communauté juridique au sein des forces armées, notamment de la nomination des juges. Nous avons discuté de cela dans une certaine mesure la dernière fois. J'aimerais que vous me disiez quels sont certains des avantages et des désavantages de faire appel aux compétences de civils au sein des forces armées.

M. Grainger: La solution de facilité, pour répondre à votre question, est de vous demander de vous adresser au personnel du juge-avocat général, qui est le mieux placé pour vous parler de la situation au sein du bureau du JAG.

Si vous cherchez à savoir si, par comparaison avec les autres services de police du Canada, nous utilisons du mieux possible les compétences des civils dans les services de la police militaire, la réponse est que sans doute, cela n'était pas absolument vrai...

Le sénateur Rompkey: Je ne parle pas seulement de la police militaire, mais de tout le système juridique militaire.

M. Grainger: Je comprends cela. Permettez-moi de me limiter à la police militaire parce que c'est un domaine que je connais mieux, et je peux donc ainsi répondre plus facilement à votre question. Les gens qui travaillent pour le juge-avocat général ont les compétences nécessaires pour vous donner le complément d'information que vous souhaitez.

Le sénateur Rompkey: Nous avons exploré la question avec eux.

M. Grainger: En ce qui concerne la police militaire, il faut reconnaître que ces dernières années, les Forces canadiennes, et plus particulièrement le Grand Prévôt de la police militaire, ont eu le mérite de faire intervenir de plus en plus de gens de l'extérieur, dans le cadre de vérifications et ainsi de suite. Ils ont fait intervenir d'autres services de police. Des membres de deux ou trois services de police ont été détachés ou travaillent à d'autres titres au sein de la police militaire.

Si la question que vous avez posée porte en tout ou en partie sur la valeur qui est accordée aux services que procurent ces civils, vous avez tout à fait raison; c'est une chose reconnue. Quant à savoir si l'on a fait suffisamment appel à ces compétences par le passé, mon intuition me dit que cela n'était pas le cas; mais c'est ce qui se passe maintenant. On fait maintenant intervenir davantage des civils. C'est évidemment le Grand Prévôt qui est en poste actuellement qui décide des modalités de ces interventions.

Col Samson: Sénateur, le très honorable juge Dickson a recommandé notamment que nous mettions en place un programme de détachements et d'échanges avec la police locale. Nous l'avons fait. Mon personnel compte maintenant deux membres de la GRC. Quatre ou cinq personnes appartenant à mon service sont détachées auprès des forces de police civiles locales de façon à ce que nous puissions apprendre mutuellement et nous développer. Nous avons beaucoup à offrir les uns aux autres.

C'était la police militaire qui avait l'habitude de se charger des habilitations de sécurité. Nous avons changé cela. Sur environ 35 personnes affectées à ces tâches, une seule fait partie de la police militaire. Les autres sont tous des civils, des fonctionnaires. Ils font le travail aussi bien, sinon mieux que nous. Je suis très satisfaite de leur travail.

En fait, suite à une autre recommandation de la commission Dickson, les vérifications d'antécédents faites dans le cadre des habilitations de sécurité -- c'est-à-dire le genre de vérification que l'on fait en allant demander à vos voisins quels sont vos antécédents, vos habitudes, et cetera -- ont été confiées au Service canadien du renseignement de sécurité. Ce n'est plus la police militaire qui s'en charge. La police militaire s'occupe uniquement de l'application de la loi.

Vous avez donc tout à fait raison, et nous avons pris ces initiatives. Nous allons continuer à travailler de concert avec les services de police civils locaux pour apprendre et nous développer.

Le sénateur Rompkey: Pourriez-vous parler du poste du juge-avocat général et faire une comparaison entre le Canada d'une part et l'Australie et la Grande-Bretagne d'autre part?

Col Samson: À vrai dire, ce n'est pas mon domaine. Je suis très satisfaite des conseils que j'ai reçus du bureau du juge-avocat général, et je le laisse s'occuper de ce genre de question.

Le sénateur Joyal: Colonel Samson, pour nous donner une idée générale de votre activité, pouvez-vous nous dire quelle est la nature des différends qui se font jour le plus souvent.

Col Samson: La Commission d'examen des plaintes n'a pas encore été établie. J'ai mis en place dans mon service un mécanisme d'examen des plaintes subsidiaire, si bien que lorsque la commission sera créée, il nous suffira d'établir les liaisons nécessaires.

Les plaintes que nous avons eu à traiter récemment sont du même ordre que celles que reçoit la Commission des plaintes du public contre la GRC. Il peut s'agir de plaintes concernant un recours abusif à la force de la part de la police militaire, le fait de ne pas s'assurer que les droits des gens sont respectés ou de ne pas suivre correctement les politiques et les procédures. Si vous le souhaitez, je peux vous faire parvenir une liste plus complète.

Toutes ces plaintes font l'objet d'enquêtes menées de la façon dont nous croyons que la Commission d'examen des plaintes de la police militaire le fera. Bien entendu, les procédures que la commission mettra en place refléteront les souhaits de son président. Nous avons adopté les mêmes procédures que la Commission des plaintes du public contre la GRC. Nous faisons enquête et ensuite, nous formulons des recommandations.

Le sénateur Joyal: La commission que vous allez établir comprendra combien de commissaires?

Col Samson: Au sein de mon service, il n'y a pas de commissaire, car c'est la police militaire et un agent de la GRC qui se chargent des plaintes.

En vertu du projet de loi C-25, je crois que les commissaires seront au maximum au nombre de cinq.

Le sénateur Joyal: Comment ces cinq commissaires seront-ils nommés?

La présidente: Je crois qu'il s'agira de nominations par décret.

Col Samson: Oui, c'est bien cela. Je ne joue aucun rôle dans ces nominations et d'ailleurs, je ne le souhaite pas car, à mon avis, les membres de la commission doivent être indépendants.

Le sénateur Joyal: Cela m'amène à la question suivante. Comment pouvons-nous être sûrs que ces commissaires seront indépendants? Un des plus importants éléments de l'administration de la justice est de s'assurer que les gens qui sont chargés de prendre les décisions sont totalement indépendants de ceux qui font l'objet des plaintes.

Col Samson: Je présume que cette commission sera organisée de la même façon que la Commission des plaintes du public contre la GRC. Ces commissaires sont nommés. Je viens juste de lire le rapport de cette commission. L'an dernier, elle a reçu environ 2 600 plaintes.

Le sénateur Joyal: Et combien la GRC compte-t-elle d'agents?

Col Samson: La GRC compte 15 000 employés.

Le sénateur Joyal: Et combien de personnes comptent vos effectifs?

Col Samson: Mille deux cents personnes.

Le sénateur Joyal: On peut donc s'attendre à un ratio similaire de plaintes, à moins que la police militaire soit plus disciplinée que la GRC.

Col Samson: Je dirais que jusqu'à ce que les gens sachent quel genre de plaintes la commission examinera, nous allons en recevoir beaucoup plus, parce qu'il s'agit d'une nouvelle entité. La GRC a reçu environ 2 600 plaintes l'année dernière, et la commission en a examiné 300. Les 2 300 autres ont fait l'objet d'enquêtes menées par la GRC. La GRC fait rapport à la Commission des plaintes du public contre la GRC et lui indique les mesures qu'elle envisage prendre pour remédier à la situation.

Si la commission approuve la mesure envisagée, l'affaire est close. Sinon, la commission rouvre le dossier. Je présume que les choses se passeront ainsi dans notre cas. La commission aura un droit de regard sur toute enquête que je pourrais mener. Elle pourra approuver ou non mes décisions. De cette façon, je pourrai travailler en toute transparence et honnêteté. Éventuellement, la commission fera rapport de mes décisions.

Le sénateur Joyal: Comme vous le savez, la population canadienne s'intéresse beaucoup aux questions d'égalité entre les hommes et les femmes qui travaillent dans la fonction publique et pour les forces armées.

Les affaires de harcèlement sexuel dont l'armée a été le théâtre et dont nous avons entendu parler nous confirment qu'il existe une différence entre la vie civile et la vie militaire, à cause de la hiérarchie et de la discipline qui jouent un rôle contraignant et si important pour assurer le bon rendement des forces armées.

Selon vous, comment la Commission d'examen des plaintes pourra-t-elle assurer aux membres féminins des forces armées le traitement le plus juste possible?

Col Samson: La commission s'occupera des plaintes concernant la police militaire. Elle ne traitera pas les cas d'agression sexuelle ni de harcèlement sexuel. L'agression sexuelle est un acte criminel, et je demande au Service national des enquêtes de se charger de ce genre d'affaire.

Je vous assure, monsieur le sénateur, moi qui suis une femme, que les membres féminins comme les membres masculins de la police militaire sont traités en toute égalité. Si je juge que ce principe d'égalité n'est pas respecté, je suis la première à intervenir. Je crois que la Commission d'examen des plaintes envisagera la chose de la même façon.

Le sénateur Joyal: Lorsque vous affirmez que le principe d'égalité est respecté, je suis sûr que personne autour de cette table ne met votre parole en doute. Mais il ne suffit pas de le dire; il faut également savoir comment le système est géré afin de protéger ceux qui sont plus «menacés» et de prévenir la discrimination systémique qui pourrait exister.

Je le dis avec beaucoup de respect, colonel Samson, votre réussite démontre clairement que les femmes peuvent détenir des responsabilités très importantes au sein des forces armées. Toutefois, pour nous, à l'extérieur, c'est un système qui demeure dominé par les hommes. Je veux dire qu'il y a plus d'hommes que de femmes à tous les niveaux.

Nous croyons savoir que l'on a proposé de réformer le système dans le sens d'une plus grande égalité. C'est un système qui présente des caractéristiques très particulières en ce qui a trait à la discipline et à la hiérarchie. Dans la vie civile, ces facteurs n'entrent pas en ligne de compte de la même façon. Pourtant, nous devons essayer de voir comment le système peut être géré et exploité pour assurer que les femmes sont protégées.

Je suis certain que nombre de mes collègues au sein du comité sont préoccupés par les réformes envisagées.

Col Samson: Ce sont des préoccupations que partagent, dans l'ensemble, les membres des Forces canadiennes. De nombreuses initiatives sont en cours pour assurer l'égalité au plan de la race et du sexe. Tous ceux et celles qui entrent dans l'armée doivent suivre certains cours. C'est une question qui est constamment soulevée dans toutes nos conférences portant sur la déontologie.

Nous prenons les conseils de personnes comme Brian Grainger pour nous assurer que, dans les discussions que nous pouvons avoir entre nous, on donne toujours à ces questions une importance primordiale. Je peux vous assurer que cela fait partie des principales préoccupations du chef d'état-major de la Défense qui est actuellement en poste, de mon patron, le vice-chef d'état-major de la Défense, et du sous-ministre. C'est une question préoccupante parce que nous voulons que les Forces canadiennes soient perçues comme un milieu qui assure à tous et à toutes un traitement égal, sans distinction de sexe ni de race.

Le sénateur Joyal: Comment cela va-t-il être reflété dans votre code de déontologie?

Col Samson: Nous sommes actuellement en train d'élaborer ce code. M. Grainger est l'une des personnes qui a collaboré à ces travaux afin d'assurer que ce texte est transparent et ouvert. J'agis uniquement à titre de conseiller du groupe de travail. Ce n'est pas le code de déontologie du colonel Samson que l'on est en train d'élaborer. Je veux que cela soit un code de déontologie qui reflète les valeurs de la population canadienne.

M. Grainger: Le code que nous considérons actuellement et qui fera partie des documents découlant de la législation a été élaboré à la suite de consultations menées dans tout le pays. Nous avons agi ainsi pour assurer que nous prenions en compte des éléments que l'on peut trouver dans tous les textes législatifs sur les services de police. Comme vous le savez sans doute, pratiquement tous les textes législatifs relatifs aux forces de police de ce pays reprennent le cadre et les excellentes suggestions que le sénateur Joyal vient juste de mentionner.

J'ajouterai que la professionnalisation est un processus qui repose sur la formation. Au sein des Forces canadiennes, on a consacré énormément d'efforts à la formation de la police militaire. C'est une nouvelle tendance qui a vu le jour il y a deux ou trois ans. Le genre de chose dont vous parlez, monsieur le sénateur, fait partie de l'état d'esprit dont nous nous attendons que soient dotés les gens qui obtiennent un diplôme après avoir pris les cours qui les préparent à travailler au sein de la police militaire.

Si, en exerçant ses activités, un agent de la police militaire découvrait que quelqu'un, homme ou femme, ne respecte pas certains aspects du code, cette personne pourrait s'adresser à la Commission d'examen des plaintes, un tribunal qui ressemble à la Commission des plaintes du public contre la GRC et à d'autres tribunaux. Si le comportement de la personne en question était jugé non conforme au code, elle serait tenue responsable de ces actes. Le code serait alors la base sur laquelle on s'appuierait pour décider des mesures à prendre envers la personne en question, homme ou femme.

Le sénateur Balfour: Le sénateur Rompkey a posé la principale question qui me préoccupait, celle qui concerne l'interface entre la police militaire et ses homologues civils, et le colonel Samson y a répondu. Toutefois, cela appelle une autre question qui m'intéresse. Une fois que l'enquête a été menée au sein de l'armée, dans le milieu d'une garnison comme Gagetown, Edmonton ou Ottawa, dans quelle mesure serait-il faisable et-ou souhaitable de confier la poursuite de l'action concernant les délits à des civils? Je ne parle pas de délits graves, mais de ceux qui ont un caractère plus ordinaire et qui, si je comprends bien comment fonctionne le système, doivent occuper beaucoup de temps, demander beaucoup d'efforts et coûter assez cher à l'armée. Il me semble que dans votre jargon, on parle de confier cela à la police communautaire. Je pense aux infractions au code de la route, aux voies de fait simples et à d'autres délits de ce genre. Pouvez-vous m'éclairer sur ce point?

Col Samson: Nous laissons effectivement la police communautaire s'occuper des infractions au code de la route qui sont commises sur le territoire dont le MDN est propriétaire. Il s'agit d'infractions que nous examinons conjointement avec les services de police civile locaux et, après avoir consulté notre procureur, nous décidons de la meilleure marche à suivre, soit laisser la police communautaire s'en occuper, soit porter l'affaire devant un tribunal militaire.

En portant certains délits mineurs portés devant le tribunal militaire, cela permet d'exercer une certaine discipline. Si l'on part du principe que les commandants sont responsables de tous les gens qui travaillent pour eux et sont tenus de répondre de leurs actes, ce qui est bel et bien le cas, et si nous voulons pouvoir compter sur des forces armées disciplinées en cas de crise, j'estime qu'il est nécessaire que ces délits mineurs et, bien entendu, les infractions plus graves continuent d'être jugés par un tribunal militaire. Je considère cela comme une absolue nécessité. Encore une fois, je suis uniquement responsable de l'enquête et des accusations qui sont portées dans le cas de délits graves et délicats.

Quant au fonctionnement du système juridique et quant à savoir si, juridiquement parlant, il est mieux de faire traiter ces affaires par la police communautaire, ce sont des questions qu'il faudrait poser au personnel du juge-avocat général. Voyez-vous, ils ne sont pas contents lorsque j'essaie de jouer l'avocat, et c'est la même chose pour moi lorsqu'ils essaient de jouer les policiers.

La présidente: Avant de passer la parole au sénateur Fraser, j'aimerais apporter une correction à ce que j'ai dit aux fins du compte rendu. Le sénateur Joyal a demandé combien il y aurait de commissaires. Je crois comprendre qu'il y en aura six, et non cinq.

Le sénateur Fraser: Colonel Samson, dans votre déclaration liminaire, vous avez dit que ce système, une fois mis en place -- et je dois dire que je trouve votre confiance à cet égard tout à fait convaincante -- nous mettra dans une position de leader en la matière. En quoi serons-nous des chefs de file? En quoi ce système sera-t-il meilleur que d'autres?

Col Samson: Si l'on considère les commissions d'examen de plaintes qui sont en place à l'heure actuelle, que ce soit la Commission des plaintes du public contre la GRC ou d'autres commissions d'examen de plaintes, au Canada et à travers le monde, on peut voir qu'elles ont été établies pour traiter des plaintes relatives à la conduite de la police dans l'exercice de ses fonctions.

Je n'ai pu trouver aucune commission d'examen de plaintes qui s'intéresse à la question de l'ingérence dans une enquête. Le Canada serait le premier à s'y intéresser, et c'est cela qui est fantastique.

Je suis sûre qu'au cours des deux ou trois prochaines années, nous ferons école, car de nombreux pays ont probablement le même problème que celui qui s'est posé au sein de notre armée. Nous sommes donc dans une position de leader en la matière.

M. Grainger: Pour poursuivre dans la même veine, puis-je me permettre de poser une question aux sénateurs. Je sais qu'en matière de législation, le temps joue toujours un rôle. Si vous examinez ce texte législatif -- et c'est une remarque qui intéresse les bons amis que je compte au sein de la GRC où j'ai travaillé par le passé -- les Forces canadiennes du MDN ont apporté des améliorations au fonctionnement de cette Commission d'examen des plaintes, par exemple, au plan de la notification, de la rapidité et de la transparence. Ce sont là de réelles améliorations, et la GRC s'en inspire elle-même. Nous apprenons tous les uns des autres.

La seule chose qui n'a pas changé -- et je demande aux sénateurs de se montrer indulgents -- est le fait que les recommandations doivent être renvoyées aux Forces canadiennes du MDN. Les mêmes dispositions s'appliquent à la GRC, et on les retrouve dans toute législation sur les services de police. Je me permets de vous rappeler que nous tenons les chefs de services de police responsables de la gestion de leur service et qu'ils doivent procéder ainsi. Cette méthode permet d'insister sur l'importance de la reddition de comptes, sans pour autant les décharger de leurs responsabilités en ce qui concerne l'exploitation de leur service, quel qu'il soit.

Le sénateur Joyal: J'aimerais revenir à une de vos observations, colonel Samson. Vous avez déclaré que les recommandations du rapport allant de 9 à 14 avaient été mises en oeuvre. J'ai ici les recommandations de 9 à 12. Pourriez-vous me donner des détails sur les recommandations 13 et 14?

Col Samson: La recommandation numéro 13 porte sur la fusion de l'Unité des enquêtes spéciales de la police militaire et du Service national des enquêtes. C'est chose faite.

Le sénateur Joyal: Cette recommandation a déjà été mise en oeuvre?

Col Samson: Tout à fait. Cela a touché uniquement ce qui restait de l'Unité des enquêtes spéciales, c'est-à-dire environ 15 personnes.

La recommandation numéro 14 porte sur la réorganisation du Service national des enquêtes et sur la définition d'un certain nombre d'activités que le service doit mener sous la direction et le contrôle du directeur général de la Sécurité et de la police militaire. C'était mon titre avant que je devienne Grand Prévôt des Forces canadiennes, en vertu de la recommandation 11.

Il a également été recommandé que nous agissions indépendamment de la chaîne de commandement. Cette recommandation est également mise en oeuvre.

Nous devions mettre en place des services d'enquête chargés de toutes les infractions militaires graves ou de nature délicate et de celles qui requièrent des enquêtes complexes ou spécialisées. C'est ce que nous avons fait. Le Service national des enquêtes est chargé uniquement des infractions de ce genre. Les enquêtes concernant les infractions mineures restent le domaine de la police militaire locale.

En outre, selon la recommandation 14(d), on devait donner aux enquêteurs le pouvoir de porter des accusations. C'est maintenant le cas, depuis le 30 novembre 1997.

Le Service national des enquêtes est censé travailler en collaboration avec les unités de police militaire postées dans les bases ainsi qu'avec les escadrons et d'autres unités de soutien pour ce qui est de l'appui logistique et administratif. Ce sont les bases qui fournissent un soutien logistique et administratif aux détachements et aux quartiers généraux locaux du Service national des enquêtes. Les bases se chargent de tenir les dossiers concernant la solde des effectifs appartenant à ce service, ainsi que leurs dossiers médicaux, et cetera.

Le vice-chef d'état-major de la Défense est chargé de l'examen et de la surveillance des opérations et s'appuie pour ce faire sur un rapport annuel rédigé par le directeur général de la sécurité et de la police militaire. J'ai déposé mon premier rapport annuel le 31 mars 1998.

Le vice-chef d'état-major de la Défense a demandé que le groupe de travail Dickson effectue une vérification de la mise en oeuvre des recommandations. Cela garantira que nous avons tenu compte de toutes ses recommandations et qu'elles sont effectivement mises en oeuvre. Nous souhaitons également voir si d'autres recommandations permettraient à cette unité et à l'organisation de la police militaire de fonctionner plus facilement.

Le sénateur Joyal: J'aimerais revenir à la question de la présence des femmes au sein de votre service. Selon moi, au niveau municipal, lorsque les gens voient deux policiers, un homme et une femme, dans la même voiture, ils pensent généralement qu'ils vont être traités de façon plus équitable que s'il y a deux hommes. Je ne sais pas pourquoi. Peut-être faisons-nous davantage confiance aux femmes qu'aux hommes pour être traités de façon équitable.

Envisagez-vous intégrer certaines mesures d'action positive à votre programme de recrutement? D'après ce que je comprends, selon la recommandation 10, vous allez être chargée de la sélection et du recrutement des policiers militaires. Vous allez vous trouver dans une position privilégiée pour assurer que la composition de votre effectif est équilibrée. Il sera pour vous beaucoup plus facile de garantir aux membres des forces armées, notamment au personnel féminin le meilleur traitement possible.

C'est une question de politique qui a énormément d'importance. Si vous réorganisez votre service sur de nouvelles bases, comme vous l'avez dit vous-même, pour en faire un service d'avant-garde, c'est certainement un facteur que nous aimerions voir prendre en compte par les Forces armées canadiennes. Pouvez-vous nous dire quelle approche vous allez adopter et comment vous allez mettre ce principe en oeuvre?

Col Samson: Monsieur le sénateur, tout d'abord, permettez-moi de vous assurer que c'est ainsi que nous agissons à l'heure actuelle. Nous voulons inclure plus de femmes dans les rangs de la police militaire. L'élaboration des critères de sélection est une chose qui me tient vraiment à coeur. Nous nous informons sur la façon dont procèdent d'autres services de police.

Si un homme ou une femme répond aux critères et souhaite travailler pour nous, nous l'embauchons. Il n'y a aucune discrimination. Je ne le permettrai pas.

Nous avons discuté de cela avec de nombreux autres services de police, y compris la GRC. Nos méthodes de sélection deviennent de plus en plus modernes. La formation que nous offrons a été conçue de façon à ne pas exclure les femmes. Autrement dit, nous n'exigeons plus, comme par le passé, que les recrues soulèvent ou traînent quelqu'un qui pèse 120 livres ou 100 kilos. Notre formation est réaliste. Par conséquent, ni la formation ni le processus de sélection ne sont conçus pour exclure qui que ce soit. Ce processus a pour but de permettre l'embauche de la personne qui accomplira au mieux les tâches requises, et c'est bien ainsi que nous procédons.

À l'heure actuelle, les femmes représentent environ 10 p. 100 de l'effectif de la police militaire. Je discutais justement de cela avec des membres de la GRC la semaine dernière. Au sein de ce service, les femmes constituent environ 10 p. 100 des effectifs. Aimerions-nous qu'il y en ait plus? Tout à fait. Est-ce notre objectif? Absolument.

Cependant, si les femmes ne souhaitent pas faire carrière dans l'armée, il est difficile de les convaincre. Malheureusement, à moins que l'on me donne la permission de recruter des femmes de force, je vais avoir du mal à combler les postes vacants avec du personnel féminin.

Le sénateur Joyal: Pour avoir un bon point de comparaison, quel est le pourcentage de femmes par rapport aux hommes au sein des Forces armées canadiennes?

Col Samson: Dans d'autres secteurs d'activité?

Le sénateur Joyal: Oui.

Col Samson: Au sein de l'armée, l'effectif féminin représente environ 10 p. 100.

Le sénateur Joyal: Vous avez dit toutefois que ce pourcentage ne vous satisfait pas car il n'assure pas une représentation équitable des femmes au sein des forces armées, et que le meilleur moyen d'arriver à une situation satisfaisante est de dire qu'il n'y a pas assez de femmes.

Col Samson: Je préférerais que nous nous en tenions à la police militaire, car cela entre dans le champ de mes compétences.

La raison pour laquelle j'aimerais qu'il y ait plus de femmes dans les rangs de la police militaire est que, parmi les plaintes que nous devons examiner, beaucoup sont formulées par des femmes. Bien des plaignants qui s'adressent à nous sont des femmes. J'ai un besoin plus pressant d'agents féminins que ce n'est le cas dans certains autres secteurs d'activité.

Le sénateur Joyal: Ce que vient de déclarer le colonel Samson démontre qu'il s'agit là d'une question très importante. Dans la perspective de réformes éventuelles, c'est un important facteur.

Je vous remercie. Peut-être pourriez-vous tenir compte de cet aspect de vos activités dans vos futurs rapports annuels. C'est une question à laquelle, sans l'ombre d'un doute, s'intéressent les députés.

Il serait bon que vous signaliez dans votre rapport toute amélioration que vous pourrez apporter en ce domaine.

Col Samson: Merci, monsieur le sénateur. C'est noté.

Le sénateur Rompkey: J'aimerais revenir à une question que j'ai déjà posée lorsque le juge-avocat général et certains membres de son personnel ont comparu devant nous. Elle concerne la Commission d'examen des plaintes et les rapports qu'elle doit fournir.

La Commission d'examen des plaintes doit envoyer copie de ses rapports au ministre, au chef d'état-major de la Défense, au sous-ministre, au juge-avocat général ou au Grand Prévôt, tout dépendant de la nature de la plainte. Ces personnes examinent le rapport avant qu'il soit finalisé et transmis au plaignant et à la personne qui a fait l'objet de la plainte. Pourquoi est-ce nécessaire? Cela ne laisse-t-il pas planer la possibilité d'une ingérence dans ce qui devrait être un rapport impartial? La personne qui a pris la décision à l'origine a la possibilité de réexaminer cette décision avant qu'elle devienne finale et qu'elle soit communiquée au plaignant. Le problème que cela pose ne date pas d'hier: il s'agit non seulement de s'assurer que justice est faite, mais que tout le monde a l'impression que c'est bien le cas.

Peut-être y a-t-il une bonne raison d'agir ainsi, et nous en avons parlé la dernière fois. Si je me souviens bien de ce qu'ont déclaré les témoins précédents, cela avait trait aux procédures à suivre, aux décisions à mettre en oeuvre et aux mesures à prendre. Peut-être s'agit-il de produire un tout nouveau rapport.

Le premier est le résultat d'une enquête ou de l'examen d'une certaine situation. Pourquoi est-il nécessaire de faire revoir ce rapport par les gens dont j'ai parlé et de recueillir leurs commentaires avant de le communiquer à la personne qui a formulé la plainte?

M. Grainger: Monsieur le sénateur, le débat de l'autre jour m'a beaucoup intéressé. Je suis heureux d'y revenir. À part les excellentes réponses qui ont été données l'autre jour dans le cadre de cette discussion, il y en a deux qu'il est utile d'ajouter. Pardonnez-moi de ne pas trop entrer dans les détails, mais je pourrais vous transmettre des documents portant sur le contrôle de la façon dont les services de police se déchargent de leurs responsabilités qui démontrent que, malheureusement, les organismes d'exécution et ceux qui sont chargés de les contrôler font des erreurs. Parfois, il est très important de s'assurer que ces deux types d'organisme échangent un document de travail pour que tous les intéressés se rendent compte qu'il existe un objectif commun et que les règles du jeu sont équitables. Il faut que tout le monde comprenne la même chose de la même façon sinon, cela peut donner lieu à des argumentations qui n'en finissent pas.

Je peux vous assurer qu'au sein de commissions de ce type, à travers le monde, certains dossiers n'avancent pas parce que les gens passent leur temps à défendre leur territoire en prétendant que l'enquête n'a pas été menée de façon adéquate ou parce que les parties en cause n'entendent pas les choses de la même façon. C'est un facteur important.

Que ce soit le vérificateur général du Canada ou ces commissions qui soient appelés à intervenir, dans ce genre de situation, la moindre des courtoisies est de reconnaître que, si l'on voit une possibilité de résoudre le problème, cela va permettre d'accélérer le processus et d'éviter qu'il aboutisse à un rapport désobligeant trois ou quatre semaines plus tard.

Ces deux éléments qui ont émergé du débat de l'autre jour répondent à votre question. Si certaines personnes ont l'impression qu'il y a quelque chose d'injuste dans le processus, il faut faire quelque chose pour corriger cette impression. Toutefois, ce n'est pas ce qui est recherché. L'objectif est de s'assurer que le processus est adéquat, rapide et correct. C'est la raison pour laquelle il doit y avoir cet échange d'idées. Cela ne va pas plus loin.

Le sénateur Rompkey: Je me demande si le Grand Prévôt a des observations à faire à ce sujet.

Ma question n'est pas une attaque personnelle. Nous sommes tous impressionnés par les antécédents professionnels du colonel Samson. Il ne s'agit absolument pas d'une critique personnelle, mais plutôt de la perception que l'on peut avoir de la procédure.

En ce qui a trait à la réponse que vous m'avez donnée, je peux comprendre que ce soit une affaire de courtoisie. Toutefois, il faut aussi faire preuve de courtoisie à l'égard de la personne qui a formulé la plainte. La courtoisie n'est pas à sens unique.

Col Samson: Dans le contexte des discussions portant sur les procédures que j'ai pu avoir avec le commissaire de la Commission des plaintes du public contre la GRC, je peux dire que le système que nous appliquons en rédigeant ces rapports provisoires est fondamentalement dans la ligne des procédures appliquées au Canada par d'autres commissions d'examen de plaintes. C'est un système qui ne me pose pas de problème. Je crois que les Canadiens le trouveront, eux aussi, satisfaisant.

Je n'ai pas de réserve à formuler à ce sujet. Je pense que cette procédure est nécessaire. Si vous le souhaitez, je suis sûre que le commissaire de la GRC serait heureux de vous en parler et qu'il vous dira probablement que le système marche très bien et qu'il permet de gagner du temps.

Certaines de ces enquêtes peuvent prendre des années. La Commission des plaintes formule des recommandations. On peut arguer à n'en plus finir, et les personnes en cause peuvent me dire qu'elles n'acceptent pas la recommandation qui a été formulée. Mais, comme l'a dit M. Grainger, ne serait-ce que par courtoisie, nous pouvons décider de trouver une solution.

Après tout, les plaignants veulent que l'affaire soit classée. L'officier ou l'agent de la GRC en cause a parfois vécu avec ce poids sur ses épaules pendant six mois.

Le système me satisfait. Nous devrions continuer de procéder de cette façon.

Le sénateur Beaudoin: Au début, j'ai parlé du rapport Dickson du 15 mars 1997. On a demandé à l'ancien juge en chef de donner une opinion au premier ministre, M. Chrétien, ou au Cabinet, sur ce même sujet. Je ne sais pas quelle question exacte lui a été posée. Peut-être lui a-t-on demandé si ce qu'il avait suggéré était mis en oeuvre. Je pose la question aux fins du compte-rendu. Il s'agissait probablement d'un avis juridique.

Col Samson: Je n'en ai aucune idée. Je sais que le ministère de la Défense nationale a demandé au juge en chef Dickson et à son groupe de travail d'effectuer une vérification, et que cette vérification est toujours en cours. Elle a commencé le 1er octobre et se poursuivra jusqu'au 15 décembre, environ. Cela entre dans le cadre de la recommandation 14f).

Le sénateur Beaudoin: Je crois qu'il aurait été très utile de lui demander si ses recommandations avaient été mises en oeuvre. Existe-t-il un document à ce propos? S'agit-il uniquement d'un avis juridique? Est-ce un avis qui a été donné oralement?

Col Samson: Non. Le groupe a reçu un mandat écrit et fera rapport vers le 15 décembre.

Le sénateur Beaudoin: Je vois. Ces travaux ne sont pas encore terminés?

Col Samson: Non.

Le sénateur Beaudoin: Que va-t-il arriver maintenant que le juge Dickson est décédé?

Col Samson: Je crois savoir que le coprésident, le lieutenant-général en retraite Belzile, va assumer la direction du groupe avec l'aide de plusieurs conseillers.

La présidente: Je pense que le lieutenant-général Belzile va venir témoigner demain.

Le sénateur Beaudoin: Alors, je vais l'attendre.

Le sénateur Moore: Vous avez déclaré que les femmes constituaient 10 p. 100 des effectifs de la police militaire.

Col Samson: Environ, oui.

Le sénateur Moore: Certains de vos enquêteurs sont chargés des affaires délicates et vous font rapport directement.

Col Samson: Oui.

Le sénateur Moore: Est-ce une unité spéciale au sein des services de police?

Col Samson: Ces enquêteurs font partie de la police militaire. On en a regroupé 110 au sein d'une toute nouvelle unité. Ils ont bénéficié d'une formation donnée dans des établissements civils. Certains d'entre eux ont travaillé pour la GRC. Au sein de cette unité spéciale, on compte certains agents de la GRC. Il y a des hommes et des femmes.

Le sénateur Moore: Combien de femmes?

Col Samson: Malheureusement, il n'y en a que six. C'est un travail très exigeant, il faut y consacrer de longues heures et accepter d'être souvent absent de chez soi. Peu de gens se portent volontaires pour faire partie de cette unité. Certains ne veulent pas être séparés de leur famille pendant d'aussi longues périodes.

Le sénateur Moore: Pour poursuivre dans la même veine que la question du sénateur Joyal, si une femme se dit victime de harcèlement sexuel ou d'une infraction similaire, vous assurez-vous que c'est un agent de police féminin qui parle à la victime présumée afin qu'elle ne risque pas d'être intimidée face à un enquêteur masculin?

Col Samson: La plupart de nos enquêtes impliquent des équipes. Dans les cas où la victime est de sexe féminin, j'essaie toujours de m'assurer que l'équipe comprend une enquêteuse. Si nous n'avons pas d'enquêteuse disponible, nous en empruntons une à la police locale ou à la police militaire locale. Notre objectif est de mettre la victime à l'aise et de ne pas la placer dans une situation où elle pourrait se sentir une nouvelle fois persécutée. Si la victime a besoin d'aide, nous lui procurons le genre d'appui dont elle a besoin.

La présidente: Je vous remercie de nous avoir présenté cet après-midi un témoignage clair et concis.

Honorables sénateurs, le témoin suivant est le colonel Bruno Champagne, juge-avocat général adjoint et chef d'état-major.

Le colonel Champagne, qui est diplômé de l'école de droit de l'Université d'Ottawa, est devenu membre du Barreau québécois en 1970. Il est entré dans les Forces canadiennes en 1973. Au cours de sa carrière dans l'armée, il a occupé, à titre d'avocat militaire, divers postes au sein du bureau du juge-avocat général à Winnipeg, Montréal et Ottawa ainsi qu'en Allemagne.

Le colonel Champagne a été juge militaire de 1987 à 1991 et ensuite, de 1994 à 1995. Il a présidé, à titre de juge-avocat ou de président, 114 cours martiales. Il a été promu au rang qu'il occupe actuellement en 1995.

Veuillez faire votre présentation et ensuite, nous passerons aux questions.

Le colonel Bruno Champagne, juge-avocat général adjoint et chef d'état-major, ministère de la Défense nationale: Merci, madame la présidente. Je n'ai pas préparé de déclaration liminaire. Le général Pitzul et le colonel Weatherson ont comparu devant vous pour discuter de ce projet de loi. Le général Pitzul, le juge-avocat général, a parlé de la nomination des juges militaires et a répondu à vos questions à ce sujet. Le projet de loi a en partie pour objet de mettre plusieurs cas en conformité avec la Loi sur la Défense nationale.

Je crois comprendre qu'une des raisons pour lesquelles on m'a demandé de comparaître aujourd'hui, c'est que le comité a certaines préoccupations à propos de la fonction de juge militaire et souhaiterait savoir si j'ai subi des pressions de la part du pouvoir exécutif au cours de la période où j'ai occupé le poste de juge.

À l'origine, j'ai été nommé pour une période déterminée et, à la fin de mon mandat, j'ai occupé un autre poste dans l'armée. J'aimerais explorer cette question de «mandat» qui explique l'énoncé des dispositions afférentes que l'on trouve dans le projet de loi.

Comme ce fut le cas pour moi, si les juges militaires sont nommés en début de carrière, par exemple, à l'âge de 40 ans environ, et s'ils sont nommés jusqu'à l'âge de la retraite, cela leur interdit toute possibilité d'avancement dans le cadre d'une véritable carrière militaire, car ils ne peuvent être promus tant qu'ils occupent un poste de juge.

Dans mon cas, si je n'avais pas quitté mon poste à la fin de mon «mandat» comme je l'ai fait en 1991, je n'aurais pas pu être promu au poste de juge militaire car, à cette époque, il n'existait qu'un seul poste, celui de juge militaire en chef. La situation est encore la même qu'à cette époque. D'autres avocats militaires qui ont comparu devant le comité ont fait allusion aux raisons pour lesquelles on considère que, dans le cadre du système, la notion de «mandat» est jugée appropriée.

Les juges militaires ne siègent pas de façon permanente dans une ville donnée ni dans un certain tribunal. Nous nous déplaçons dans tout le pays. À une certaine époque, nous avons siégé en Allemagne et dans d'autres pays. De fait, j'ai présidé des procès en Égypte, à Chypre, en Allemagne et en Angleterre. Physiquement, à cause des voyages que cela implique, c'est une tâche assez exigeante. Parfois, le seul endroit où l'on peut travailler, c'est une bibliothèque juridique. Les conditions de travail sont difficiles lorsque les tribunaux siègent, par exemple, sur le théâtre des opérations et que vous devez rédiger des décisions ou préparer les exposés requis par une cour martiale générale, ce qui est essentiellement l'équivalent de préparer un exposé à l'intention d'un jury. Par exemple, vous pouvez fort bien ne pas vouloir rester 15 ans à Chypre où la température est de 35 degrés. C'est une des raisons pour lesquelles on a fixé dans le projet de loi un mandat de cinq ans.

Voilà essentiellement les observations que j'ai à faire sur cette question. Étant donné que d'autres se sont exprimés précédemment, je ne veux pas répéter ce qui a déjà été dit. Si ma propre expérience peut éclairer le comité, je serais heureux d'en parler.

Le sénateur Beaudoin: Peut-être devrais-je poser la question que j'ai déjà posée il y a une heure. Dans quelle mesure le rapport de la commission Dickson a-t-il été mis en oeuvre après qu'il a été déposé? Nous savons tous que dans certains cas, la Cour suprême a critiqué le système juridique militaire parce qu'il n'est pas vraiment indépendant du pouvoir exécutif ni, peut-être, je ne sais pas, du pouvoir législatif. De nombreuses réformes ont été effectuées après cela. Je tiens d'ailleurs à féliciter les forces armées de leurs initiatives en ce sens.

Nous sommes maintenant dans une meilleure position en ce qui concerne la justice militaire. Toutefois, la question du mandat de cinq ans et, plus particulièrement, les dispositions concernant le renouvellement de ce mandat me posent un problème. Je n'ai aucune objection à ce que les juges soient nommés pour cinq ou dix ans. De fait, dans de nombreux pays, notamment au sein des «conseils constitutionnels» de certains pays démocratiques, il existe des modalités régissant la nomination des juges. Cela ne m'inquiète pas.

Toutefois, les dispositions concernant le renouvellement du mandat m'inquiètent dans une certaine mesure. Qui décide de le renouveler ou non? On me dit que c'est un comité qui a le pouvoir de décider de ce renouvellement. Il se peut qu'au sein des forces armées, contrairement à ce qui se passe dans le civil, les gens ne veuillent pas être nommés pour une longue période. Pour ce qui est des tribunaux civils, c'est exactement l'inverse. Une fois nommés, les juges peuvent demeurer en place jusqu'à l'âge de 75 ans. Ils jouissent d'une excellente sécurité d'emploi.

Le sénateur Joyal: On veut qu'ils prennent leur retraite à 65 ans.

Le sénateur Beaudoin: Il est vrai qu'à 65 ans, on peut vouloir profiter des avantages que présente un poste de juge surnuméraire, mais les deux situations ne se comparent pas. Je crois comprendre que cela est dû au contexte particulier dans lequel opèrent les forces armées. Vous y avez fait allusion dans une certaine mesure en parlant de votre propre expérience. Essentiellement, de quoi s'agit-il?

Col Champagne: Dans l'armée, on tient compte des perturbations que cela peut créer, mais on cherche également à maintenir les opportunités d'avancement professionnel dont peuvent bénéficier les juges militaires. C'est la raison pour laquelle le système de mandat a été mis en place. Il n'interdit pas à qui que ce soit d'être nommé à nouveau pour un autre mandat de cinq ans et, éventuellement, de siéger jusqu'à l'âge de 65 ans.

Le sénateur Beaudoin: C'est possible?

Col Champagne: Oui. Le comité qui sera établi comprendra trois membres. Si, à la fin de son mandat, le juge militaire exprime le souhait d'être renommé, le comité pourra prendre son cas en considération parmi d'autres et le nommer pour un nouveau mandat de cinq ans.

Le sénateur Beaudoin: En pratique, est-ce ainsi que les choses se passent?

Col Champagne: Cela n'est pas encore arrivé parce que le comité n'est pas établi.

Toutefois, même s'il n'y avait pas de comité, certaines personnes ont été effectivement renommées par le passé, mais elles ne jouissent pas des garanties d'indépendance institutionnelle que le comité sera en mesure de fournir en les protégeant de toute ingérence de la part du pouvoir exécutif ou du juge-avocat général qui conseille le ministre. À l'avenir, c'est ce comité qui formulera une telle recommandation.

Le sénateur Beaudoin: Je crois comprendre que le juge en chef Dickson ne s'opposait pas aux dispositions concernant le renouvellement.

Col Champagne: C'est exact. Il ne s'opposait pas à ce que les juges militaires occupent leur poste dans le cadre d'un mandat. Je présume que c'est parce qu'il avait déjà eu la possibilité de considérer la question lorsqu'il était lui-même juge.

Le sénateur Beaudoin: Était-il d'accord pour que le mandat soit de cinq ans et que l'on puisse le renouveler?

Col Champagne: Il n'était pas d'accord avec un mandat de cinq ans. Il reconnaissait le fait que la nomination des juges militaires pour une période déterminée empiétait sur leur indépendance institutionnelle. De fait, il appuyait le concept d'indépendance institutionnelle que l'on a fait valoir dans le cas Valenti et le fait que, pour reprendre les termes de la cour, une nomination ayant pour objet l'accomplissement d'une tâche spéciale préserverait l'indépendance des membres du tribunal.

Le sénateur Beaudoin: Dans le système judiciaire, tout comme dans les tribunaux civils et criminels et certains autres tribunaux, les choses sont très claires. Le système est très indépendant. Lorsqu'une personne est nommée juge d'une cour supérieure, d'une cour d'appel ou de la Cour suprême du Canada, personne ne doute de son indépendance. Elle dispose d'une sécurité financière. Il n'y a aucune ingérence du pouvoir législatif ni du pouvoir exécutif. Lorsque les juges entendent une cause et rédigent leurs décisions, ils le font en toute autonomie.

Nous avons un très bon système judiciaire. Dans le domaine militaire, les choses se compliquent du fait que le contexte est différent. Il est certain que nous avons fait beaucoup de progrès, mais il est tout aussi certain que nous devons continuer dans cette voie.

En ce qui concerne le plan de carrière, j'aimerais savoir pourquoi les mentalités sont tellement différentes dans les forces armées? C'est probablement parce que le contexte est lui-même très différent.

Col Champagne: Vous avez raison. Le contexte de la planification de carrière chez les militaires est bien différent.

Nous convenons tous que même si la méthode de nomination des juges militaires est différente, cela ne veut pas dire qu'ils ne sont pas indépendants. C'est simplement différent.

Le sénateur Beaudoin: Vous avez raison.

Col Champagne: Il y a différentes façons d'en arriver à l'indépendance institutionnelle. Je dirais que notre méthode est celle de la nomination temporaire.

La carrière militaire est importante pour tous ceux qui portent un uniforme. Le premier jour, lorsque s'enrôle dans les Forces canadiennes, même lorsqu'on s'enrôle comme avocat militaire, on ne s'attend pas à devenir juge militaire. Ce que l'on voit, c'est une carrière. L'avancement dans la carrière s'accompagne d'une planification. On n'avance pas nécessairement en occupant certains postes ni à la suite de nominations, mais en étant promu.

Cela explique peut-être la situation actuelle. Autrefois, on avait l'impression, et c'était peut- être vrai, qu'être nommé juge militaire interdisait de faire une véritable carrière. Pourquoi avait-on cette perception et pourquoi en était-il ainsi? C'est qu'avec le temps et au fur et à mesure que certains cas se présentaient, l'idée de l'indépendance institutionnelle s'est imposée, et nous avons apporté des changements pour que les juges soient plus indépendants. Nous avons décidé que les juges ne seraient pas évalués en fonction de leur rendement. Pour répondre aux critères d'indépendance financière, nous avons établi une formule garantissant que leur rémunération ne serait pas liée à leurs décisions ni influencée par elles.

Une des caractéristiques de la carrière de juge est qu'il ne fait pas l'objet d'évaluations de rendement comme les autres militaires des Forces canadiennes. Le dossier ne passe jamais devant ce que l'on appelle un conseil de promotion qui est essentiellement un conseil où siègent des officiers chargés de déterminer qui est numéro un aux divers grades.

Normalement, l'attrition fait en sorte que les personnes en haut de l'échelle sont celles qui sont promues. Les juges militaires ne figurent jamais sur cette liste. Dorénavant, le mandat sera fixe, à moins que la personne concernée demande que l'on y mette fin avant terme, ce qui est fort peu probable. À la fin de cette période, si la personne en question ne souhaite pas continuer d'être juge militaire, pour des raisons personnelles ou professionnelles, et si elle souhaite être réintégrée dans les rangs pour poursuivre sa carrière, elle sera autorisée à le faire. Cela est conforme à l'avancement normal d'une carrière dans les Forces armées canadiennes.

C'est l'un des nombreux facteurs qui expliquent la différence. Je suis d'accord avec le général Pitzul. Les déplacements des juges militaires causent des perturbations dans leur vie. Certains ont de jeunes enfants. Souhaitent-ils vraiment faire ce travail pendant 15 ans? Certains peuvent vouloir continuer. Ils peuvent souhaiter une nouvelle nomination. D'autres, pour des raisons personnelles, préféreront abandonner après cinq ans. Cette possibilité existe également.

Le sénateur Beaudoin: La carrière judiciaire dans l'armée est complètement différente d'une carrière judiciaire en droit civil, en common law ou en droit criminel, parce que c'est une carrière. Les juges appartiennent à la cour supérieure. Ils peuvent espérer être nommés à la cour d'appel puis à la Cour suprême où ils termineront leur carrière.

Dans l'armée, c'est l'inverse. S'ils veulent devenir général ou brigadier, ils doivent quitter la carrière judiciaire. Le contexte est complètement différent, et c'est probablement l'une des principales sources du problème.

Certains peuvent accepter une nomination pour cinq ou dix ans et prévoir de poursuivre leur carrière militaire par la suite. Ils ne sont plus juges à ce moment-là. Ils appartiennent à nouveau au personnel militaire.

Col Champagne: C'est également la difficulté. Être avocat militaire, avocat en uniforme, exige pratiquement d'avoir une double personnalité et de jouer un double rôle dans l'armée. Nous en avons parlé à de nombreuses reprises au niveau interne. Quelle est la priorité? L'uniforme vient-il en premier ou est-ce la carrière juridique? Qui suis-je?

Pour moi, nous sommes les deux. Les deux sont intrinsèquement liés. Vous devez avancer en tout en tenant compte du fait que vous êtes officier. Vous représentez la Couronne ou Sa Majesté, vous servez le gouvernement du Canada. Mais en même temps, vous êtes avocat et vous avez prêté serment à votre association du barreau. Vous devez agir de façon légale et éthique et donner les meilleurs conseils possibles. Parfois, il y a des conflits et vous devez les résoudre.

Cela peut expliquer la difficulté que vous percevez. Lorsque nous devenons membres du système judiciaire, nous sommes influencés par nos antécédents. Les juges sont toujours en uniforme et ils peuvent vouloir rentrer dans le rang. C'est une des raisons pour lesquelles la loi est rédigée de cette façon. S'ils veulent reprendre l'uniforme, ils peuvent le faire. Jusqu'à présent, cela ne s'est produit que rarement.

Un bon juge de cour provinciale qui travaille fort peut aspirer à une nomination à la Cour suprême ou à la Cour d'appel. Mais pour les juges militaires, l'aspiration à une nomination à la cour d'appel est une toute autre affaire.

Compte tenu de nos antécédents, c'est presque impossible. Grâce au système de mandat, les avocats militaires pourront maintenant maintenir la double identité qu'ils doivent assumer lorsqu'ils entrent dans les forces armées.

Le sénateur Rompkey: Je remercie notre témoin d'avoir précisé le rôle du juge militaire et la situation dans laquelle il se trouve.

Ma question, plus générale, porte sur le transfert de tâches militaires à des civils ou, comme le sénateur Balfour l'a dit, sur le fait de «confier certaines tâches à la police communautaire». Dans quelle mesure le fait-on actuellement? Quelles autres tâches pourrait-on lui confier? Je me demande combien de tâches assumées par des militaires pourraient être confiées à des civils. Les pilotes de chasse sont un cas extrême. On ne peut pas prendre un pilote d'Air Canada et l'installer sur un F-18 car il devra connaître le système d'armement, les règles d'engagement, les considérations tactiques, et cetera. À l'autre extrémité, il y a l'assistant dentaire qui n'a pas nécessairement besoin d'être militaire.

À l'intérieur de ce spectre, où se situent les avocats militaires? Le Grand Prévôt nous a dit qu'on utilise de plus en plus des agents de la GRC dans les services de police. J'aimerais que vous me disiez dans quelle mesure des fonctions du système judiciaire militaire sont assumées par des civils et ce que l'on pourrait y ajouter?

Col Champagne: En ce qui concerne le système judiciaire militaire, peut-être devrais-je commencer par décrire la situation actuelle. En général, nous n'enquêtons pas sur les infractions. Par exemple, un officier qui est arrêté à Ottawa pour conduite en état d'ivresse un samedi soir comparaîtra à Ottawa.

Dans l'armée, il y a une connexion. Il y a plusieurs années, la cour d'appel de la cour martiale a décidé que les infractions commises au Canada, si elles n'ont pas de lien avec l'armée -- au sens où il n'y a pas de lien avec le maintien de la discipline militaire -- ne relevaient pas de notre compétence.

Récemment, la Cour d'appel de la cour martiale a renversé cette décision. Elle a examiné la Loi sur la Défense nationale et a découvert que le concept de lien, de lien militaire, de compétence sur une personne et sur une infraction n'est indiqué nulle part.

En théorie, selon le code de discipline militaire, il y a effectivement une compétence à l'égard de nos membres. Mais en pratique, cette compétence n'est pas exercée lorsque l'enquête est menée par d'autres services de police. Il est difficile de dire quelles sont les tâches qui sont confiées à la police locale. Nous n'avons pas de statistiques car nous ne consignons pas ces renseignements. Mais il arrive que des gens soient arrêtés pour des infractions mineures, comme un vol à l'étalage, et cela ne nous est pas nécessairement signalé.

Vous voulez savoir, en fait, pourquoi nous avons besoin d'un système judiciaire militaire. Il y a à cela plusieurs raisons. Premièrement, le système judiciaire militaire doit être transférable. Par exemple, supposons un cas isolé, une personne est arrêtée pour conduite en état d'ivresse à Ottawa. Pourquoi cette personne n'est-elle pas jugée à Ottawa? Je suppose que la cour civile pourrait la juger à Ottawa. Mais le système judiciaire militaire est là pour maintenir la discipline militaire partout dans le monde. Elle doit être transférable.

Pour ce faire, cela doit être bien compris par les gens qui portent l'uniforme. Lorsque nous déployons des troupes en Bosnie, il faut que le même système puisse y être appliqué.

Pour agir dans le cadre militaire et traiter les infractions commises par des militaires, nous devons avoir compétence sur ces infractions. Lorsque nous déployons des troupes ailleurs, nous devons nous attendre à ce que le commandant, l'officier responsable, puisse appliquer ce système.

Un des éléments dont il faut tenir compte est la transférabilité du système judiciaire militaire que nous devons appliquer en temps de guerre. Personne ne pense à une guerre. Mais nous intervenons dans des endroits où nous devons agir comme une force militaire. Il faut donc que ce système soit en place et soit efficace. Il n'y en a pas d'autre que celui-là.

L'autre raison est le maintien de la discipline militaire. Qui est le mieux à même de déterminer, au sein d'une section, les exigences de la discipline militaire qui s'appliquent à une unité militaire et à une unité d'infanterie? C'est la raison pour laquelle la compétence au premier niveau et le pouvoir de porter des accusations incombent aux militaires afin que ces infractions puissent être convenablement évaluées et traitées dans le cadre du système militaire.

Je ne sais pas si j'ai bien répondu à votre question, mais ce sont les deux principales raisons. Le système doit être transférable, et nous devons imposer une discipline pour être efficace sur le plan opérationnel et assumer les divers mandats que le gouvernement du Canada confie aux forces armées, outre-mer ou ici. La tempête de verglas, la crise d'Oka et les inondations de Winnipeg en sont des exemples récents.

Je ne pense pas que l'on veuille déployer les troupes dans une zone sensible sans pouvoir immédiatement sanctionner les infractions à la discipline. Il n'est pas question d'attendre que le système civil entame les procédures deux ou trois mois plus tard.

La discipline militaire doit être imposée le plus rapidement possible après qu'une infraction a été commise ou que des allégations ont été portées.

Le sénateur Fraser: En ce qui concerne les juges et les conditions de renouvellement de leur nomination, cette question pourrait ne plus être pertinente car vous-même, ainsi que d'autres qui ont comparu ici, ont semblé suggérer que si l'on a un tant soit peu de bon sens, on ne devrait pas souhaiter poursuivre une carrière de juge militaire. Or, avec ce nouveau système amélioré, il est possible que cette carrière suscite davantage d'intérêt.

Dans quelles conditions un renouvellement peut-il être refusé?

Col Champagne: Dans une certaine mesure, ma réponse sera hypothétique car l'équipe est en train d'élaborer le règlement.

La première raison serait que le titulaire ne souhaite pas de prolongation. Je suppose que le comité appliquera les mêmes critères que ceux qui sont utilisés pour la nomination des juges dans d'autres tribunaux, qu'il tiendra compte de la compétence et des souhaits de la personne concernée.

Je crains de ne pouvoir vous donner une réponse exacte car je n'ai pas fait de recherches sur les facteurs dont le comité tiendra compte. Mais je suppose que le critère principal sera le souhait du titulaire.

Le sénateur Fraser: En supposant que quelqu'un souhaite un renouvellement, continuera-t-on de ne pas faire d'évaluations de rendement?

Col Champagne: Il n'y aura pas d'évaluation de rendement. On n'évaluera pas le rendement des juges. Si je comprends bien le système, il y a un processus de sélection lorsque les juges sont nommés. Les juges de la cour supérieure ou de la Cour suprême formulent des recommandations et des noms sont placés sur une liste. Un des critères utilisés est la compétence. Ceux qui n'ont pas fait leur preuve au sein du milieu judiciaire ne figurent généralement pas sur cette liste.

Le sénateur Fraser: Je comprends bien, mais nous parlons ici de gens dont le mandat va être renouvelé. Il n'y aura pas d'évaluation de leur rendement, tout au moins sur le plan militaire. Envisage-t-on que le comité d'examen utilise au moins un ensemble de critères relativement objectifs, distincts de l'évaluation du cheminement de la carrière militaire? Sinon, comment un juge à qui l'on refuse un renouvellement peut-il savoir que ce refus est juste et qu'il n'est pas attribuable à un certain mécontentement de l'institution au sujet d'une décision rendue pendant son premier mandat?

Col Champagne: Cela ne pourrait pas être attribuable à un mécontentement de l'institution car celle-ci n'aura rien à dire sur la recommandation du comité ou la nomination par le gouverneur en conseil.

Lorsque les trois membres du comité examineront une demande, je ne peux pas dire quelle sera leur position implicite. Sera-t-elle de ne pas renouveler ou de renouveler pour cinq ans?

Je suppose que si la personne a exprimé le souhait de renouveler et qu'il n'y a pas de contre-indication, elle sera nommée pour un autre mandat. C'est au comité de faire cette recommandation.

Je suis tout à fait certain que le rendement du juge ne sera pas un critère, que l'institution n'aura rien à dire sur ce que recommande le comité ni sur la décision du gouverneur en conseil de renouveler le mandat ou non.

Le sénateur Fraser: Par conséquent, nous ne savons pas dans quelle condition un renouvellement peut être refusé?

Col Champagne: Je ne peux pas vous répondre.

La présidente: Sénateur Fraser, ce serait une bonne question à poser aux témoins qui comparaîtront demain ainsi qu'aux représentants du ministère, lorsqu'ils reviendront nous voir.

Le sénateur Moore: J'ai trouvé votre conversation avec le sénateur Beaudoin très intéressante. Comme vous le savez sans doute, votre biographie nous a été remise. Vous avez été juge militaire de 1987 à 1991, puis de nouveau de 1994 à 1995. Vous avez obtenu une promotion en 1995. Qu'avez-vous fait entre 1991 et 1994?

Col Champagne: Permettez-moi d'apporter une correction. Mon mandat s'est terminé en 1990. Je suis retourné à Montréal où j'ai travaillé l'automne, pendant la crise d'Oka. Je suis ensuite revenu et j'ai travaillé à la Direction du personnel des services juridiques à Ottawa. Jusqu'en 1994, j'étais responsable des dossiers du personnel, comme le redressement des griefs, le harcèlement, les politiques professionnelles, et cetera. En 1994, je suis redevenu juge militaire jusqu'à ce que je sois promu et affecté. Cette promotion s'appuyait sur un rapport d'évaluation de rendement effectué alors que je n'occupais plus de fonctions de juge.

Le sénateur Moore: Entre 1990 et 1994?

Col Champagne: C'est exact.

Le sénateur Moore: C'est ce que je voulais savoir.

Col Champagne: Cela illustre l'importance de permettre à quelqu'un de réintégrer la carrière militaire plutôt que de continuer à titre de juge militaire, à moins d'avoir décidé de renoncer à toute promotion.

Le sénateur Moore: Oui, mais les activités auxquelles vous avez participé entre 1990 et 1994 étaient essentiellement de nature judiciaire, n'est-ce pas?

Col Champagne: Non, de nature juridique.

Le sénateur Moore: Oui, juridique.

Col Champagne: Elles étaient juridiques au sens où j'offrais des conseils juridiques au ministère, mais je n'occupais pas une fonction judiciaire.

Le sénateur Moore: J'aurais dû dire juridique.

Si vous n'aviez pas abandonné temporairement vos fonctions de juge, pensez-vous que vous auriez été promu au rang de colonel?

Col Champagne: Il n'y aurait pas eu d'évaluation de rendement entre 1987 et 1994 et je suppose que je n'aurais pas été promu. C'est moi qui ai jugé l'affaire Généreux. Cette affaire n'avait pas encore été portée devant la Cour suprême du Canada. J'ai été l'objet de toutes les motions précédant le procès en vertu de la Charte, des requêtes de la Cour fédérale et de l'ajournement me demandant de me retirer. À l'époque, nous examinions la façon d'améliorer le système. Nous n'avons pas attendu. En fait, lorsque le jugement de l'affaire Généreux a été porté devant la Cour suprême, la plupart des difficultés avaient été réglées à la suite de diverses modifications. Une des mesures qui avaient été adoptées était la suppression des évaluations de rendement pour les juges militaires. C'est parce que l'affaire Valenti avait précédé l'affaire Généreux. Nous avions déjà corrigé le système. En fait, à cette époque, les juges militaires ne faisaient pas l'objet de rapports d'évaluation, et leurs dossiers personnels n'étaient pas remis à un conseil de promotion. Les juges savaient pertinemment qu'ils ne seraient pas considérés pour une promotion.

Le sénateur Moore: Ce n'est pas simplement une perception, c'est une réalité.

Col Champagne: Oui. Pour compenser cette absence de promotion, on a augmenté la rémunération. Pour assurer l'indépendance financière, la rémunération a été fixée au-dessus du niveau de celle de lieutenant-colonel, par exemple. Le salaire d'un juge militaire a été fixé au maximum de l'échelle, plus 2 p. 100 et plus 8 p. 100. C'est en fait le même taux salarial qui s'applique à quelqu'un qui n'est pas juge mais qui est un avocat exceptionnel.

La présidente: Vous avez bien dit que le fait d'être juge militaire est un cul-de-sac professionnel.

Le sénateur Joyal: Mes questions sont du même ordre.

[Français]

Colonel Champagne, vous avez présidé 114 cours martiales. Combien se sont déroulées au Canada par rapport à celles qui se sont tenues à l'étranger?

Colonel Champagne: Possiblement les deux tiers au Canada.

Le sénateur Joyal: Les deux tiers au Canada.

Colonel Champagne: Un tiers en Europe. À cette époque, on avait une base à Lahr, en Allemagne. On avait plusieurs membres du service et on avait, de façon régulière, des cours martiales en Europe, principalement pour des infractions reliées à la conduite d'un véhicule moteur et d'autres infractions.

Le sénateur Joyal: Je ne veux pas diminuer votre mérite, mais je suis allé très souvent à la base de Lahr. Je n'ai jamais trouvé cela désagréable en soi. Je n'essaie d'aucune manière de diminuer les difficultés que vous avez rencontrées en Égypte ou à Chypre, surtout à certaines périodes de l'année.

J'essayais de percevoir, à travers votre carrière, les difficultés particulières par rapport au déplacement parce que cela a été un des éléments mis devant nous sur la difficulté de demeurer dans ce poste par rapport à la famille, à la vie personnelle et cetera. J'essaie de voir dans la fonction d'un juge comme vous, d'évaluer l'importance de l'inconvénient des déplacements à l'étranger. À l'étranger, c'est nécessairement un élément important.

Si on vous demande d'aller en Bosnie, ce n'est pas la même chose que d'aller à Lahr qui est à 30 kilomètres de Baden-Baden. On n'est pas dans les mêmes conditions.

Le deuxième élément suit ce que le sénateur Fraser vous a demandé. Selon votre connaissance de la fonction judiciaire, pour les juges militaires qui quittent le banc, vous nous avez exprimé qu'ils vivent toujours un peu dans la dualité de la carrière militaire et de la carrière juridique puisqu'ils portent toujours leur profession et leur uniforme. Ils ont fait le choix de mettre leur connaissance à la disposition des Forces armées canadiennes.

Pouvez-vous nous dire de façon générale, quel type d'activités à l'intérieur de la carrière ils occupent en général? Vous nous avez décrit les vôtres qui étaient reliées à l'administration de la justice militaire. Est-ce que les autres juges suivent un parcours un peu semblable au vôtre?

Col. Champagne: Je peux répondre en premier à votre deuxième question. Le général Pitzul, qui a comparu devant vous, était un juge militaire avec moi durant la période où j'étais juge. Il a terminé son mandat. On lui a assigné des fonctions administratives et subséquemment, il a quitté le service. Il est devenu le directeur des poursuites publiques de la Nouvelle-Écosse. Il est revenu chez nous comme juge-avocat général.

Le capitaine de marine Reed était juge comme lieutenant-colonel avant 1987. Il occupe maintenant les fonctions de juge-avocat général adjoint aux opérations. Il est responsable de fournir les avis juridiques concernant les déploiements, les règles d'engagement quand les troupes se déploient en Bosnie ou dans la région des Grands Lacs en Afrique ou ailleurs.

Le lieutenant-colonel Desroches, quand il a terminé son stage de juge, est revenu en charge de l'administration, il était juge avocat général de l'administration jusqu'à ce qu'il soit nommé juge à la Cour suprême de l'Île-du-Prince-Édouard.

Concernant votre première question, effectivement, c'était toujours agréable d'aller à Lahr pour plusieurs raisons. Ce n'est pas Lahr qui était réellement la cause de mes commentaires. Ce n'est pas un voyage ou deux voyages, mais la continuité des voyages qui, après un certain temps, pour certaines personnes, peut être un facteur.

La cour martiale devait durer une semaine, elle dure plus qu'une semaine. Tu es dans un endroit où les connexions d'avion ne se font pas. Tu devais revenir chez toi et partir de Kansas City et aller à Fredericton en plein mois de janvier où les causes sont déjà inscrites au rôle. Tu cours pour rattraper le temps. Vous faites six mois, un an, au début c'est nouveau. Après trois, quatre ou cinq ans, quelqu'un peut vouloir une vie plus stable, rentrer chez soi le soir pour souper avec sa famille.

Quand on est juge, c'est un fait de la vie, c'est beaucoup de responsabilité et c'est beaucoup de travail. Quand on lève les séances de la cour à quatre heures ou à cinq heures de l'après-midi, pour le juge, le travail commence et peut durer jusqu'à minuit le soir, dans des chambres d'hôtel, dans des conditions difficiles. Quelqu'un peut le faire une semaine ou un mois. Mais après quatre ou cinq ans, un juge va dire qu'il a donné ce qu'il avait à donner à la justice militaire, qu'il y croit mais que peut-être maintenant, quelqu'un d'autre pourrait le faire. Cela permet à l'individu qui veut en sortir de l'exprimer à ce moment.

[Traduction]

Le sénateur Joyal: Sans vouloir vous mettre dans une position difficile, j'aimerais vous poser des questions sur un autre sujet. Compte tenu de l'importance de maintenir le principe de protection des affectations de toute intervention institutionnelle, comme le sénateur Fraser l'a dit -- je sais que le sénateur Beaudoin se préoccupe également de cette question et, d'une certaine façon, nous en sommes tous là -- si la loi devrait prévoir des nominations de 10 ans, avec une possibilité de départ après cinq ans, cela n'arrangerait-il pas les choses?

Si une personne s'estime à l'aise dans ce genre de vie -- une vie difficile, nous nous en rendons compte -- elle aurait néanmoins l'assurance d'être en poste pendant un période fixe de dix ans.

Par contre, si après cinq ans, la personne en question est convaincue qu'elle n'a pas apporté une véritable contribution à la nation et qu'elle souhaite poursuivre une autre carrière dans l'armée, cette personne pourrait démissionner. Autrement dit, le système militaire pourrait prévoir la possibilité d'un départ après cinq ans. La décision ne dépendrait ni de la volonté, ni des souhaits, ni du bon plaisir des intéressés. Ce serait un mandat bien défini à la suite duquel la personne concernée pourrait décider de rester ou de se réintégrer dans l'administration au niveau qui correspond à ses aptitudes professionnelles.

Si l'on en juge par les divers cas qui ont mis en lumière les problèmes, il me semble que nous pourrions maintenir les principes que nous estimons essentiels pour assurer l'impartialité du système. Par contre, les difficultés dont vous nous avez parlé seraient résolues. Que pensez-vous d'un système de ce genre?

Col Champagne: C'est un système possible. Théoriquement, si nous acceptons que le principe de l'indépendance institutionnelle peut être maintenu au moyen d'une nomination à durée déterminée et si nous acceptons que ce soit la loi du pays, la durée du mandat devient une modalité. Le principe reste le même.

Le mandat respecte l'indépendance institutionnelle. La durée du mandat pourrait être de quatre ou six ans. Je suppose que les rédacteurs du projet de loi n'ont pas choisi un mandat de cinq ans au hasard. Il y a un mandat; doit-il être de cinq ou de dix ans? Par exemple, le comité peut-il appliquer le concept que vous envisagez? Ce serait la responsabilité du comité et il pourrait très bien le faire.

De l'avis du comité quelle est la meilleure position à adopter? Est-ce de mettre fin au mandat et de remplacer la personne en cause ou est-ce de renouveler son mandat? Le comité a les moyens nécessaires pour décider. Les règlements pourraient permettre l'application de votre suggestion sur les renouvellements automatiques ou la poursuite du mandat jusqu'à dix ans.

Le sénateur Joyal: Vous comprenez donc ce que je veux dire. Il s'agit des difficultés professionnelles dont vous nous avez parlé. Nous compatissons tout à fait. Par contre, au moment de concevoir un nouveau système, nous devons faire en sorte de respecter le plus possible le principe d'indépendance du système judiciaire. C'est ce que nous essayons essentiellement de faire.

Pour ce qui est de la sécurité de l'affectation, nous devons tenir compte de l'existence d'une commission qui fera des évaluations. S'il n'existe pas de critères pour ces évaluations, comme le sénateur Fraser l'a dit, toutes les influences peuvent s'exercer en même temps, et il nous est difficile de voir là un système très rigoureux.

Si nous devons revoir tout le système judiciaire militaire, nous voulons nous assurer de ne pas avoir à le réexaminer chaque année. Regardez l'envergure du projet de loi. Il englobe tout et nous voulons être sûrs de faire ce qu'il faut. Les sénateurs qui sont assis autour de cette table essaient d'en arriver à un équilibre permettant de respecter les carrières professionnelles, les fonctions militaires ainsi que les principes du système que nous essayons de mettre en place.

Col Champagne: Je suis tout à fait d'accord. Je partage votre préoccupation pour ce qui est de vouloir bien faire les choses. Je vois des difficultés en ce qui concerne les critères utilisés par le comité, mais je n'ai pas exploré cet aspect de la question. Je suppose que demain, vous-mêmes et les experts qui ont rédigé le projet de loi auront l'occasion d'étudier le principe qui régira les règlements et les critères appliqués. J'espère que nous pourrons répondre à vos préoccupations à ce moment-là.

Le sénateur Balfour: Que le mandat soit de 5, 10 ou 12 ans, ne serait-il pas possible d'accorder aux juges la responsabilité de demander d'assumer des tâches judiciaires ou d'en être relevés, sans compromettre leur carrière, et de prendre d'autres fonctions à tout moment durant le mandat?

Je ne vois pas pourquoi une personne devrait absolument rester dans ce poste tout ce temps. Les gens peuvent mourir, tomber malades ou autres. Cela serait-il une possibilité?

Col Champagne: Oui. En fait, nous avons déjà cette option. Si un des juges exprime le souhait d'être relevé de ses fonctions, nous ne le forçons pas à rester contre sa volonté.

Le sénateur Balfour: Est-ce que cela sera préjudiciable aux possibilités de carrière future à l'extérieur du système?

Col Champagne: Non. L'avancement dans la carrière militaire ne sera pas fondé sur ce qu'un membre aura fait en tant que juge militaire, mais sur ce qu'il aura fait après. Le rapport d'évaluation est un rapport annuel. Il s'agit de compartiments étanches.

Le sénateur Balfour: Dans ces conditions, le mandat pourrait être de 15 ans sans pour autant bloquer quelqu'un dans un choix de carrière qui pourrait s'avérer un cul-de-sac, comme la présidente l'a dit.

Le sénateur Joyal: Ma seule préoccupation -- et nous soulèverons cette question demain avec les représentants du ministère -- est que nous ne devons pas créer une situation où tous les juges démissionnent en même temps parce qu'ils en ont assez. Nous devons également étudier cette question.

Si nous donnons la possibilité de rester ou de partir à un moment donné, on crée une certaine stabilité. Bien entendu, il pourrait toujours y avoir des raisons physiques de vouloir refuser.

Le sénateur Balfour: Je suis sûr que si les membres de la Cour d'appel de la Saskatchewan démissionnaient en masse, il y aurait de nombreuses recrues pour combler ces postes.

Le sénateur Joyal: Peut-être ai-je tort de me faire du souci à ce sujet. Peut-être que la liste d'attente ou la réserve de candidats éventuels est suffisamment importante pour permettre un remplacement immédiat. Mais nous voulons être sûrs de ne pas perturber le système que nous avions à l'esprit.

La présidente: Merci d'avoir comparu. Il est clair qu'il y a une grande différence entre un juge militaire et un juge civil, ces derniers rivalisant pour rester en fonction et avancer jusqu'au «paradis» de la Cour suprême. Dans le contexte militaire, le poste de juge est un cul-de-sac professionnel, puisque l'on est exclu des promotions normales. Par conséquent, ce serait sans doute une bonne idée de fixer la durée du mandat.

La séance est levée.


Haut de page