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LCJC - Comité permanent

Affaires juridiques et constitutionnelles

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles

Fascicule 66 - Témoignages


OTTAWA, le mercredi 21 avril 1999

Le comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, saisi du projet de loi S-17, Loi modifiant le Code criminel relativement au harcèlement criminel et à d'autres questions connexes, se réunit aujourd'hui à 16 heures pour examiner le dit projet de loi.

Le sénateur Lorna Milne (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente: Honorables sénateurs, le parrain de ce projet de loi, le sénateur Oliver, assiste aujourd'hui aux délibérations du comité. Nos témoins sont les suivants: Mme Gillian Judkins, adjointe à la recherche de CAVEAT, Mme Stephanie Whitehead, directrice de Victimes pour la justice; et M. Steve Sullivan, directeur du Centre canadien de ressources pour les victimes de crime.

Vous avez la parole.

Mme Gillian Judkins, adjointe à la recherche, CAVEAT: Honorables sénateurs, permettez-moi tout d'abord de vous remercier d'avoir invité les représentants de CAVEAT à comparaître devant le comité. Malheureusement, notre présidente, Priscilla deVilliers, n'a pas pu venir. Cependant, M. Steve Sullivan m'accompagne aujourd'hui et pourra également répondre à vos questions.

Depuis sa fondation en 1992, CAVEAT se consacre à la prévention de la violence par le truchement de toute une batterie de moyens d'action. Nous nous concentrons surtout sur la prévention en montrant comment arrêter la violence avant qu'elle ne prenne des proportions incontrôlables.

Pour ce qui est des services d'aide aux victimes, CAVEAT donne suite à de nombreux appels émanant de victimes de crimes violents, de leurs familles ou de leurs proches. Ces dernières années, nous avons constaté une augmentation alarmante du nombre d'appels provenant de victimes de harcèlement criminel. Nombre d'entre elles se sont adressées à nous parce qu'elles avaient entendu parler de CAVEAT, mais la plupart nous ont été renvoyées par les services de police ainsi que par la Couronne.

Comme les spécialistes qui s'occupent de victimes de la criminalité comprennent mal ce phénomène et que les cas de harcèlement sont traités de façon anarchique, nous avons décidé de rassembler les professionnels du milieu qui sont, quotidiennement, saisis de plus en plus de cas de ce genre.

C'est ainsi que nous avons organisé notre premier atelier sur le harcèlement criminel. Cet événement a remporté un vif succès et attiré des gens de tous les coins de l'Ontario, notamment des représentants de forces policières et d'organismes d'aide aux victimes de crimes violents. Les participants ont généralement convenu que l'on manquait cruellement de renseignements sur toutes ces questions.

C'est donc à la suite de cet atelier que nous avons conclu qu'il fallait organiser une table ronde sur le sujet. En juin 1998, CAVEAT, en collaboration avec les responsables du Programme de police communautaire de la police régionale de Halton, a donc organisé une table ronde sur le harcèlement criminel afin de dégager les problèmes actuels et de formuler des recommandations précises sur la façon de s'y attaquer. Une équipe multidisciplinaire composée de 30 experts venus de tous les coins de la province a apporté un éclairage unique à la discussion, qui a débouché sur la formulation de 83 recommandations.

Les 25 et 26 octobre suivants, nous avons tenu notre troisième atelier sur le thème du harcèlement criminel. Cet atelier de deux jours nous a permis de communiquer aux participants les toutes dernières connaissances et les derniers instruments pratiques susceptibles d'empêcher et de combattre cette forme de violence en pleine progression. Nous avons surtout insisté sur le problème de la victimisation, sur la mise en lumière précoce du phénomène, sur les stratégies de prévention et d'intervention, sur l'évaluation de la menace et sur les démarches conduisant aux poursuites.

Le harcèlement criminel, complexe au départ, se complique davantage quand on veut l'étudier hors de son contexte. À l'analyse des récents examens et enquêtes majeurs, comme l'enquête Bernardo, les enquêtes conduites à la suite des décès de Arlene May et de Randy Iles, l'enquête sur la mort de Jonathan Yeo et l'enquête Vernon, il ressort clairement que le harcèlement criminel est beaucoup plus qu'un simple crime de nuisance publique, car il dégénère souvent en agression voire en meurtre.

Le harcèlement criminel est un phénomène qu'on retrouve dans de nombreux secteurs d'activités, sous différentes apparences et, comme il n'est pas le fait d'une classe, d'une race, d'une croyance, d'une orientation sexuelle ou d'un sexe particuliers, il touche tout le monde et toutes les couches sociales. Le harcèlement criminel est particulièrement sinistre parce qu'il est caché et qu'il peut avoir des conséquences psychologiques pour tous les aspects de la vie de la victime; il est tellement subtil et insidieux qu'il peut même amener cette dernière à douter d'elle-même et parfois à sous-estimer la profonde gravité du crime.

Même s'il existe une définition du harcèlement criminel dans le Code criminel, il ne s'en trouve aucune qui puisse correctement s'appliquer à tous les cas soumis aux forces policières et aux services d'aide aux victimes. Ce n'est que tout récemment que les spécialistes, qui sont souvent appelés à traiter avec les victimes de crime, ont commencé à prendre davantage au sérieux le problème du harcèlement criminel. Aujourd'hui, les politiques commencent à prendre en compte ce problème grandissant, à l'occasion d'initiatives comme celle prise par le sénateur Oliver dans son projet de loi S-17.

L'examen de 7 462 rapports de harcèlement criminel, dans le cadre d'une étude menée par le Centre canadien de la statistique juridique a permis de constater que 80 p. 100 des victimes sont des femmes et que 53 p. 100 sont harcelées par un partenaire ou ancien partenaire; par ailleurs, 20 p. 100 des victimes de harcèlement sont des hommes et, dans 46 p. 100 des cas, le harceleur est une connaissance ou collègue. Très peu de recherches statistiques ont été menées sur le problème du harcèlement criminel et l'on ne peut s'appuyer que sur des faits connus. La plupart des victimes sont des femmes et, dans la majorité des cas, elles connaissent ou ont connu intimement leur harceleur.

Les études les plus récentes sont américaines et portent sur les nombreux facteurs intervenant dans les cas de harcèlement, comme le sexe, la race, l'ethnie, l'âge et la profession des harceleurs. Les renseignements apparaissant à la page 11 de notre mémoire font clairement ressortir la diversité des professions des harceleurs et devraient donc dissiper le mythe voulant que ces gens-là sont des chômeurs sans instruction qui n'ont rien de mieux à faire de leur temps. En outre, les harceleurs sont âgés de 18 à plus de 51 ans.

En examinant le problème du harcèlement criminel, seuls quelques chercheurs se sont intéressés aux antécédents des agresseurs. Ainsi, dans l'étude qui a débouché sur les résultats susmentionnés, on apprend que 52 p. 100 des agresseurs avaient des antécédents d'alcoolisme ou de consommation de drogues, que 30 p. 100 avaient souffert de maladies mentales, que 49 p. 100 avaient déjà eu un comportement marqué par la violence physique ou autre, et que 30 p. 100 avaient déjà agressé d'autres personnes.

Si le comportement des agresseurs n'offre pas toujours des signes avant-coureurs de leur propension pour ce genre de harcèlement, selon M. Peter Collins, psychologue judiciaire, 15 p. 100 de ceux qu'on pensait n'être que des auteurs de crime de nuisance, des voyeurs ou des exhibitionnistes adoptent par la suite des comportements plus violents.

Roy Hazelwood, pionnier de l'établissement de profils de criminels au FBI, reconnaît que la plupart des auteurs de crimes violents commencent par commettre ce que la police appelle des infractions de nuisance. Paul Bernardo n'a pas tout de suite été un meurtrier. Il n'a pas tout de suite été un violeur. Bien avant tout cela, il a commencé par avoir des comportements que la plupart d'entre nous qualifieraient de bénins, comme espionner des gens par une fenêtre ou des choses du genre. Bernardo a commencé à terroriser certaines localités ontariennes bien avant que les Canadiens se rendent compte qu'ils avaient affaire à un meurtrier. Pour avoir été harcelées ou violées par Bernardo, des centaines de jeunes victimes souffrent aujourd'hui; leur vie a été à jamais bouleversée comme celle de milliers d'autres victimes de harcèlement criminel.

De nombreuses victimes de harcèlement se rendent compte que leur personnalité a changé après avoir vécu ce genre d'expérience. Peu importe qu'il s'agisse d'un incident isolé ou que le harcèlement se poursuive des années durant, ce genre de crime a des répercussions incalculables sur les victimes et sur leur vie.

Le cas de Paul Bernardo montre à quel point le harcèlement peut dégénérer en crimes plus graves et prouve l'existence d'un schéma d'escalade dans les actes commis. Bernardo a sévi de 1988 à 1993, année où il a finalement été arrêté pour les meurtres de Kristen French et de Leslie Mahaffy.

Ce qui est important pour les enquêteurs et les agents des libérations conditionnelles, c'est la façon dont Bernardo est peu à peu devenu un meurtrier. Force est de constater que ses méfaits se sont aggravés dans le temps. Dans ce genre de situation, il convient d'intervenir le plus tôt possible dans l'intérêt des victimes éventuelles.

Avant l'adoption des nouvelles dispositions sur le harcèlement criminel, il n'existait aucun article de loi traitant spécifiquement de ce problème. L'appareil judiciaire, devant s'appuyer sur les dispositions législatives actuelles, en était réduit à accuser les auteurs de ces crimes d'avoir proféré des menaces, d'avoir usé de l'intimidation ou d'avoir flâné ou rodé la nuit, et à exiger un engagement de ne pas troubler l'ordre public. Malheureusement, aucune de ces accusations ne portait spécifiquement sur le harcèlement criminel.

En 1993, à l'occasion de la ratification de l'article 264 du Code criminel sur le harcèlement criminel, on a enfin reconnu ce problème qui a pu commencer à faire l'objet de poursuites. Les décideurs et conseillers n'ont pas toujours été sensibles à l'effet dévastateur du harcèlement criminel sur les victimes, et nos lois traduisent par conséquent une opinion publique mal renseignée à ce sujet.

Bien que l'article 264 représente une étape dans le sens d'une amélioration de la loi, il convient de revoir les différentes dispositions sur le harcèlement criminel. Les critères énoncés à l'article 264 peuvent rendre difficiles les poursuites dans certains cas et, comme les relations entre le harceleur et sa victime dégénèrent souvent dès que des poursuites sont intentées, nombre de victimes hésitent à porter plainte. La loi devrait constituer un outil de dissuasion pour les agresseurs et renforcer le principe de la primauté de la sécurité des victimes.

CAVEAT croit que le harcèlement criminel est un problème polymorphe, auquel il convient de s'attaquer avec sérieux, à tous les échelons de l'appareil judiciaire. C'est un problème unique qui a des répercussions sur de nombreux autres aspects de la vie privée et publique; pour les enfants, il peut avoir des effets dévastateurs à court et à long terme, il peut grandement perturber la productivité au travail et se solder par des coûts énormes à longue échéance sur le plan de la santé.

Quand notre organisme s'est mis en quête de spécialistes du domaine pour nous aider à aider les victimes de harcèlement criminel, quelle ne fut pas notre surprise de découvrir qu'ils n'avaient pas eux-mêmes entièrement appréhendé ce problème. Nous sommes convaincus que ce manque de compréhension se répercute sur les actuelles dispositions juridiques traitant du harcèlement criminel. Il convient donc de reconnaître sans réserve que le fait de harceler une autre personne constitue un crime grave et que, malgré son apparence anodine, le harcèlement a de graves conséquences. En proposant le projet de loi S-17 pour modifier le Code criminel au sujet du harcèlement criminel et d'autres infractions connexes, l'honorable Donald Oliver s'attaque pour la première fois au caractère gravissime de ce crime.

Le changement le plus important proposé dans le projet de loi S-17 porte sur l'augmentation des peines infligées aux contrevenants, puisque les peines maximales prévues pour les infractions punissables sur déclaration sommaire de culpabilité passent de six mois de prison ou de 2 000 $ d'amende à 18 mois d'emprisonnement sans amende. Si la personne est reconnue coupable d'un acte criminel, elle peut être passible d'un emprisonnement maximal de 10 ans, contre cinq ans à l'heure actuelle.

Récemment, le gouvernement a modifié les dispositions du projet de loi S-27 relatives au meurtre au premier degré. Désormais, l'auteur d'un meurtre ou d'une tentative de meurtre en vertu de l'article 264 est automatiquement accusé de meurtre au premier degré. Le gouvernement a également précisé que la perpétration d'un crime de harcèlement par une personne faisant l'objet d'une obligation de ne pas troubler la paix publique ou d'une ordonnance de non-communication sera considérée comme étant un facteur aggravant par les tribunaux.

CAVEAT estime que pour favoriser l'intervention dans de tels cas, il convient d'apporter à la loi d'autres modifications relatives au harcèlement criminel, de manière à garantir l'application de peines minimales obligatoires. Ainsi, il faudrait modifier les paragraphes 264(3), 372(2) et (3), et 423 (1) pour prévoir une peine minimale obligatoire correspondant à quatre mois d'incarcération quand l'infraction est commise en violation d'une ordonnance de non-communication. En outre, il faudrait prévoir, aux paragraphes susmentionnés, une peine minimale de deux ans pour toute nouvelle infraction. Les peines minimales obligatoires permettraient de s'assurer que les tribunaux peuvent infliger des peines suffisantes dès le départ afin d'éviter que le harcèlement ne dégénère.

Le harcèlement criminel est un crime unique exigeant une solution tout aussi unique, comme la surveillance à longue échéance des contrevenants pour les empêcher de récidiver. Si le resserrement des peines a pour objet de rappeler aux victimes, à leurs agresseurs et à la collectivité en général la sévérité de ce crime, il convient d'adopter une approche plus large pour s'assurer que les contrevenants soient arrêtés avant que leurs actes ne dégénèrent.

Nous félicitons le sénateur Oliver d'avoir pris position dans ce dossier, qu'il fait ainsi passer au premier plan de nos préoccupations, car nous croyons que c'est là une importante étape dans notre quête d'une solution. Ce problème, Tammy Fee, victime de harcèlement criminel, l'a résumé dans ces mots bouleversants:

Je ne peux qu'espérer et prier, et Dieu sait que j'ai exercé tous les recours que j'ai pu, que j'ai rédigé toutes les lettres que j'ai pu, mais je ne peux qu'espérer et prier que personne ne finira par se faire assassiner, que ce soit moi, un de mes enfants, ou d'autres. Ne venez surtout pas me dire après que je ne vous avais pas prévenus.

Le harcèlement criminel est un problème polymorphe, mal compris des spécialistes, de l'appareil judiciaire et des victimes, qui ne se rendent pas compte de la gravité de ce type de crime. Il faut donc réexaminer et modifier la loi actuelle pour qu'elle traduise effectivement la nature grave de ce crime.

La présidente: Je vous remercie pour cet excellent exposé. Voulez-vous répondre à nos questions maintenant ou Mme Whitehead va-t-elle d'abord faire son exposé?

Mme Stephanie Whitehead, directrice, Coalition des victimes pour la justice: Honorables sénateurs, je suis ravie d'avoir aujourd'hui l'occasion de comparaître devant le comité. Je désire tout d'abord féliciter le sénateur Oliver d'avoir placé ce dossier au premier plan des préoccupations du Parlement. C'est une initiative qui se fait attendre depuis longtemps.

Je comparais aujourd'hui au nom de la Coalition des victimes pour la justice du comité de Windsor-Essex. Notre organisme a été fondé en 1992 à la suite du harcèlement criminel et du meurtre brutal de Pamela Stewin par son ex-conjoint de fait, Richard Colley.

Je suis devenue membre du groupe en 1993, lorsqu'on m'a demandé de participer à une campagne visant à obtenir une mesure législative traitant spécifiquement du harcèlement criminel au Canada. Après l'adoption de la loi, nous avons assuré le suivi de la question en examinant les registres des tribunaux. J'ai continué à étudier des cas de harcèlement criminel dans ma localité et à aider les victimes en leur fournissant diverses ressources. Même si nous avons une loi au Canada qui traite du harcèlement criminel, ce n'est qu'un début; nous avons encore beaucoup de chemin à faire.

Je voudrais insister sur la gravité du harcèlement criminel lorsque ce crime s'accompagne de violence familiale, de meurtre et de harcèlement au travail. Les autorités judiciaires désignent normalement ce crime par le terme «harcèlement criminel». Une loi portant sur ce genre d'actes criminels est entrée en vigueur au 1er août 1993. L'objet de cette loi était surtout de renforcer les dispositions du Code criminel relatives à la violence familiale et à la violence faite aux femmes en général. On estimait que ces nouvelles dispositions législatives assureraient une meilleure protection aux victimes du harcèlement criminel.

Dans la très grande majorité des cas, les harceleurs sont des hommes, même si je ne suis pas assez naïve pour prétendre que les hommes ne peuvent aussi être victimes de harcèlement criminel. Les statistiques indiquent cependant que ce crime touche un plus grand nombre de femmes que d'hommes. Selon les statistiques de la police, dans 70 p. 100 des cas, l'auteur du crime est un ex-conjoint, petit ami, et cetera. Le harcèlement criminel n'est certainement pas un crime rare au Canada. Il y a eu plus de 4 000 cas de harcèlement sexuel en 1995. De nombreuses victimes sous-estiment la gravité de leur situation, ne se rendant pas compte du grave danger qu'elles courent.

Les victimes cherchent souvent à s'isoler pour éviter que la sécurité de leur famille et de leurs amis soit compromise. Ainsi la vie personnelle et professionnelle de la victime est gravement perturbée. Dans un sens, les victimes sont obligées, pour assurer leur propre sécurité, de modifier leur mode de vie ou de déménager. Les personnes qui se trouvent dans ce genre de situation ne tardent pas souvent à se sentir tout à fait impuissantes.

De nombreuses victimes ont qualifié le harcèlement criminel de «viol psychologique». La victime est tout à fait sous l'emprise du harceleur. Elle veut retrouver le droit de contrôler sa propre vie, mais elle se trouve dans une sorte de prison affective. La plupart des victimes perdent à tout jamais leur droit à la liberté et à la sécurité. Même si le harceleur se suicide ou ne fait plus partie de sa vie, la victime ne se sentira plus jamais en sécurité -- jamais.

Dans des cas de violence familiale, on conseille souvent aux victimes de harcèlement criminel d'obtenir une ordonnance restrictive lorsqu'un ex-conjoint, conjoint de fait ou partenaire refuse d'accepter la rupture d'une relation. Une rupture fait naître la peur chez l'éventuelle victime en raison de la nature même de ses rapports avec son partenaire. Une ordonnance restrictive est une simple mesure provisoire, en attendant que l'affaire passe devant la justice. Mais elle donne un faux sentiment de sécurité à la victime.

Par exemple, lorsque Pamela a essayé d'obtenir une ordonnance restrictive, les actes de harcèlement sexuel dont elle était victime se sont intensifiés. Elle a été assassinée peu de temps après. Juanita Fields a réussi à obtenir une ordonnance restrictive, mais elle, aussi, a fini par être assassinée. Là, aussi, la situation a dégénéré.

Selon un éminent ex-spécialiste de la menace, Gavin De Becker:

[...] les ordonnances restrictives donnent les meilleurs résultats lorsqu'elles concernent une personne raisonnable dont les liens affectifs avec l'autre ne sont pas très forts. Autrement dit, elles donnent les meilleurs résultats chez les personnes les moins susceptibles d'avoir un comportement violent. Lorsque cette même ordonnance de la cour concerne un ex-conjoint, du point de vue de ce dernier, ce document signé par un juge lui demande d'abandonner d'un seul coup tout ce qui définit sa vie: ses rapports intimes avec d'autres personnes et son emprise sur elle, son identité d'homme puissant, son identité de mari, et cetera. Or le système de justice pénale n'a guère tenu compte jusqu'à présent de cette importante distinction.

Le fait de quitter un foyer matrimonial violent ne signifie pas nécessairement que la personne qui quitte ce milieu ne fera plus l'objet d'actes violents. L'espoir de s'échapper à sa prison affective et physique et comme une lumière au bout du tunnel pour la victime. Mais lorsqu'une femme est suffisamment courageuse pour aller jusque-là, sa sécurité est souvent compromise par un conjoint enragé qui estime que si lui ne peut pas l'avoir, personne ne l'aura.

Selon les statistiques de 1995 sur l'homicide au Canada, 25 p. 100 des femmes assassinées par leur conjoint étaient séparées ou divorcées au moment de leur meurtre. Le cas Klassen est un excellent exemple de cette attitude et un certain parallèle avec le cas Stewin.

Lorsque Susan Klassen a voulu vivre sa propre vie, Ralph Klassen a étranglé son ex-femme et ce faisant s'est foulé les deux pouces. Dans l'affaire Stewin, Richard Colley a tué Pamela de 10 coups de couteau et n'a cessé de la poignarder que lorsque la lame de son couteau s'est cassée en elle. L'expert Gavin De Becker signale que 75 p. 100 des homicides touchant des conjoints sont perpétrés après le départ de la femme. C'est la séparation, et non pas les disputes, qui donne lieu aux pires actes de violence.

Lorsque la dernière tentative d'une femme pour vivre en liberté et en sécurité sans faire l'objet de sévices se solde par un acte qui lui enlève la vie, devons-nous en conclure que sa nouvelle indépendance a provoqué son propre assassinat?

Les femmes au travail font souvent l'objet de harcèlement ou d'avances non sollicitées. Bon nombre d'entre elles hésitent, lors de leur départ à signaler aux autorités ce genre de comportement soit parce que cela les gêne, ou parce qu'elles craignent de ne pas être soutenues par la direction ou leurs collègues, de faire l'objet de représailles ou de perdre leur emploi. Les données rassemblées dans le cadre du programme de déclaration uniforme de la criminalité révèlent que les personnes qui sont les plus réticentes à porter plainte sont des personnes dont les harceleurs sont des collègues. Ces personnes représentent 32 p. 100 des victimes.

L'assassinat de Theresa Vince par son patron obsessif, Russell Davis, au magasin Sears de Chatham traduit bien cette réalité cruelle. Mme Vince s'est trouvée seule à régler son problème de harcèlement sexuel. La haute direction de Sears était au courant de la situation, mais ne se doutait pas du sort qui guettait Mme Vince. Son histoire devrait être un point de repère permanent pour le comité sénatorial puisqu'elle justifie clairement la nécessité d'adopter le projet de loi S-17 qui incorpore la définition de «sévices graves à la personne» l'infraction de harcèlement criminel.

La morale de cette histoire, c'est que si nous continuons de fermer les yeux sur des actes de harcèlement, quels qu'ils soient, ces derniers risquent de dégénérer et de se solder par la mort de la victime. Il ne suffit pas d'avoir une loi qui traite du harcèlement sexuel. Il faut une loi plus musclée qui est bel et bien appliquée, et qui prévoit la prompte application de peines suffisamment sévères pour avoir un effet dissuasif. Pour moi, le projet de loi S-17 est un pas dans la bonne direction.

Même si la disposition législative traitant du harcèlement criminel prévoit une infraction mixte -- c'est-à-dire qu'elle peut être traitée comme une infraction sommaire ou un acte criminel -- il arrive très rarement qu'on décide de traiter l'infraction comme un acte criminel.

Chose inquiétante, les données révèlent qu'on poursuit la majorité des actions par voie sommaire, ce qui signifie que l'intéressé se voit infliger une période de probation ou encore une peine d'emprisonnement minimale. L'étude menée par le ministère de la Justice a permis de constater que dans 71 p. 100 des causes incluses dans l'échantillon, on avait préféré poursuivre l'action par voie sommaire.

Une étude de 601 dossiers traités par la police, la Couronne et les tribunaux entre 1993 et 1996 a démontré que dans plus de la moitié des cas, l'affaire avait été abandonnée avant d'atteindre l'étape du procès -- et j'avoue que je trouve cette information très alarmante -- le plus souvent après que l'accusé ait accepté de respecter une ordonnance l'obligeant à ne pas troubler la paix publique. Sur les 27 p. 100 qui ont été condamnés, la plupart se sont vu imposer une période de probation, de telle sorte qu'ils ont pu continuer de se comporter de la même façon. Seulement un quart d'entre eux ont été incarcérés, plus souvent pour une période de quatre mois ou moins.

J'aimerais vous donner maintenant les points saillants d'une étude qualitative que j'ai menée auprès de forces policières dans toute la province de l'Ontario.

J'ai examiné les pouvoirs discrétionnaires de la police dans des cas de harcèlement criminel. L'exercice de ce pouvoir discrétionnaire est tout à fait critique. Les victimes doivent être consultées concernant tout fait nouveau ou important qui fait évoluer la situation. La sécurité et la stabilité mentale de la victime sont des éléments clés dans tout cas de harcèlement criminel. La police a l'obligation de réunir toutes les informations consignées dans les constats de police et de déterminer la meilleure façon de procéder.

Ce pouvoir discrétionnaire doit s'exercer conformément aux règles de la raison et de la justice, et non en fonction de ses opinions personnelles. Le harcèlement criminel est une infraction mixte et, à ce titre, peut être porté en justice à titre d'infraction punissable sur déclaration sommaire de culpabilité ou d'acte criminel. Vu cette réalité, le pouvoir discrétionnaire de la police joue un rôle prépondérant lorsqu'il s'agit de déterminer quel paragraphe de l'article 264 du Code criminel s'applique dans le contexte des actes commis par le harceleur.

L'autre fil conducteur de cette étude est la constatation que de nombreuses affaires sont réglées sans recourir à la justice. La police exerce son pouvoir discrétionnaire à cet égard, en tenant compte de tous les aspects de la situation et des souhaits de la victime. Ainsi elle ne décide pas toujours de porter plainte; très souvent le suspect recevra simplement un avertissement.

J'ai également examiné le harcèlement criminel dans le contexte de la violence familiale -- l'un des thèmes dominants de cette étude. Les forces policières ont fait savoir, par le biais de leurs réponses aux questions du sondage, que dans les cas de violence familiale et de harcèlement criminel, elles n'exerçaient pas leur pouvoir discrétionnaire. Elles appliquent au contraire une politique de mise en accusation obligatoire, conformément à la directive du solliciteur général sur la violence familiale. D'ailleurs, les remarques des répondants traduisaient bien cette réalité. Les passages suivants sont des exemples typiques d'observations faites par les répondants:

Ce genre d'accusation devrait être assujetti à une politique de tolérance zéro, comme le prévoit la politique d'intervention en cas de violence familiale [...]

Quand il s'agit de violence familiale -- et cela peut être le cas pour certaines des accusations -- la consigne donnée à la police est de ne pas exercer son pouvoir discrétionnaire et de tout simplement porter plainte [...]

Il faudrait peut-être prévoir la même responsabilité que celle que prévoit la politique du solliciteur général concernant les plaintes déposées dans des cas de violence familiale si l'on veut s'assurer que le moyen d'intervention retenu sera le plus approprié [...]

Si une victime allait voir la police et lui indiquait que les incidents de harcèlement avaient été très fréquents, il y aurait plusieurs interventions possibles. Certains policiers ont recours à une autre partie du Code criminel pour interpréter ce genre d'acte. Je constate par conséquent que l'intervention policière n'est pas cohérente.

Je voudrais vous donner les grandes lignes des recommandations qui ont découlé de l'étude. D'abord, il faut sensibiliser davantage le public au problème du harcèlement criminel pour protéger les éventuelles victimes de ces actes. Le Canada dans son ensemble doit être plus conscient de la gravité et des effets dévastateurs de ce crime sur la vie d'une victime. À mon avis, le projet de loi S-17 permet justement de placer cette question au centre des préoccupations des citoyens. La police, les agents des libérations conditionnelles, les agents correctionnels, les juges et les procureurs de la Couronne ont tous besoin, d'une part, de cours de sensibilisation et de victimologie afin de bien comprendre l'incidence du harcèlement criminel sur la vie des victimes et, d'autre part, de politiques normalisées qui permettent de garantir la protection de ces dernières. La procédure à suivre et le moyen d'intervention à privilégier doivent être imposés par le bureau du solliciteur général, comme c'est déjà le cas pour la politique d'intervention en cas de violence familiale, et ce pour assurer la cohérence des interventions et l'application appropriée de la loi par les forces policières. Chaque police a besoin d'une unité de gestion des menaces pour être en mesure de bien évaluer tous les éléments de la situation du moment qu'il est question de harcèlement criminel. Certaines polices ont déjà de telles unités. Les policiers devraient par ailleurs être tenus d'assister à des conférences annuelles afin de maintenir leur niveau de compétence et d'être informés de toute nouveauté dans ce domaine. Les critères d'admissibilité devraient inclure un certain nombre de cours au niveau collégial ou de programmes spécialisés. Il faut également des lignes directrices plus claires en matière de détermination de la peine pour assurer une plus grande cohérence dans ce domaine. À l'heure actuelle, les juges ont trop de pouvoir discrétionnaire et optent le plus souvent pour la peine minimale au moment de prononcer la sentence. Or ces peines minimales ne traduisent pas de façon adéquate la gravité de l'infraction du harcèlement criminel.

La sécurité des victimes est toujours risquée tant que l'accusé n'est pas incarcéré. Il conviendrait peut-être de confier la responsabilité des enquêtes sur le cautionnement aux juges plutôt qu'aux juges de paix. La libération ne devrait être autorisée que lorsque certaines conditions très rigoureuses sont remplies. Si le harceleur ne respecte pas ces conditions, il devrait se voir infliger une période d'emprisonnement automatique.

Combien de fois est-il arrivé qu'un harceleur soit renvoyé en prison pour n'avoir pas respecté les conditions de sa libération et que ce dernier fasse l'objet d'une procédure de poursuite sommaire? Il existe d'innombrables exemples de ce genre. Et la victime, que doit-elle en conclure? Qui est à risque dans ce scénario? En réalité, nous jouons à la roulette russe avec la vie de quelqu'un.

Il importe à présent de bien communiquer ce message important. Le projet de loi du sénateur Oliver est une première initiative visant à faire comprendre aux autorités qu'il s'agit là d'un crime très grave.

La police et les procureurs de la Couronne doivent s'assurer non seulement d'appliquer activement les actuelles dispositions législatives mais aussi de déposer une plainte en bonne et due forme. Les autorités devraient s'opposer à toute mise en liberté sous caution qui ne s'accompagne pas de conditions strictes et exécutoires, et elles doivent également demander une période d'incarcération, plutôt qu'une condamnation avec sursis et ordonnance de probation. Il faudrait que tout condamné se voit infliger une peine d'emprisonnement obligatoire. De même, lors de l'enquête sur le cautionnement, le tribunal devrait être tenu d'imposer des conditions de libération plus strictes. Il conviendrait également d'envisager d'informer les victimes avant la libération de l'auteur de l'infraction.

La plupart des victimes n'apprennent qu'à la toute dernière minute que le contrevenant a été libéré, nouvelle qui fait naître chez elles une très grande peur. Mais on ne peut pas leur en vouloir d'avoir peur après tout ce qu'elles ont supporté.

Il conviendrait de mettre sur pied un dépôt central dont le rôle serait de suivre les activités des harceleurs. Une base de données centrale contenant toutes les informations pertinentes serait certainement utile pour établir des profils de récidivistes.

Il faudrait aussi se débarrasser de l'expression «à répétition», qui semble poser problème dans certaines forces policières.

Il faut également intervenir au niveau de l'action en justice en prescrivant au tribunal une procédure précise à suivre pour de telles infractions.

Les plaintes de tierces parties devraient également être incluses. Permettez-moi de vous citer l'exemple d'une personne qui essaie d'enlever un enfant devant un témoin, en l'occurrence, la monitrice de la garderie. Même si cette dernière n'est pas la victime, elle peut avoir l'impression qu'il s'agit d'un cas de harcèlement criminel et craindre que la sécurité de l'enfant soit compromise.

Il convient de prévoir de plus larges pouvoirs en matière de perquisitions. Cela concerne les groupes pro-vie qui harcèlent les cliniques d'avortement ou l'interception de conversations téléphoniques lorsqu'un groupe particulier se prépare à harceler un autre groupe.

Une autre idée consisterait à éliminer l'exigence selon laquelle il faut prouver que l'accusé savait que ses actes correspondraient à une forme de harcèlement. Je pense que cela concerne les situations où les gens vont prétendre qu'ils souffrent de troubles mentaux. Eh bien, même s'ils souffrent de troubles de ce genre, cela ne veut pas dire qu'il ne s'agit pas de harcèlement criminel. Ce genre de comportement pourrait continuer pendant très longtemps -- ce qui ne veut pas dire pour autant que ce n'est pas une infraction.

Il conviendrait par conséquent de retravailler le libellé actuel pour dissiper toute ambiguïté quant aux actes qui tombent sous la rubrique du harcèlement criminel.

Les victimes doivent comprendre que cette infraction doit être signalée aux autorités dès le départ, et non pas six mois après l'incident. Le problème, c'est que nombre de victimes ne sont pas au courant de l'existence de cette infraction. J'ai établi souvent un parallèle avec l'adoption de la TPS. Si les victimes ne savent pas qu'une telle infraction existe, comment peut-elle aider sa propre cause? C'est à la victime de préparer la documentation relative à chaque incident. Si elle ne fait pas ce qu'on attend d'elle, le problème du harcèlement reste entier tant qu'on ne lui fournit pas l'aide et les ressources dont elle a besoin.

Pour ce qui est des peines minimales, de même que des peines d'emprisonnement obligatoires pour les récidivistes, tout déprendra de l'interprétation des tribunaux.

Voilà qui termine mon exposé. Je suis à votre disposition pour répondre à vos questions.

Le sénateur Oliver: Les gens qui n'ont jamais fait l'objet de harcèlement criminel ou qui n'ont jamais bien réfléchi à la question prétendent souvent que ce genre de comportement n'est pas très grave. Qu'y a-t-il de mal si un homme suit son ex-femme pendant qu'elle marche dans la rue? Pourquoi n'aurait-il pas le droit de regarder son ex-femme par la fenêtre? Ou encore de laisser un mot sur sa voiture qui dit: «À demain»? Pourquoi ne pourrait-il pas lui envoyer des fleurs? Ou laisser un animal mort devant sa maison?

Ces actes ne sont pas suffisamment graves pour justifier l'incarcération. Par conséquent, ma question est la suivante: que faut-il faire pour faire en sorte que les victimes sachent qu'elles doivent bien documenter chacun de ces incidents au moment où il se produit? Quelles mesures devrait-on prendre dans ce sens ou quels amendements pourrions-nous éventuellement proposer au projet de loi pour faire comprendre aux gens que lorsqu'on a affaire à toute une série d'actes de ce genre, on est en présence du phénomène du harcèlement criminel?

Mme Judkins: En ce qui nous concerne, il faut absolument renseigner davantage les citoyens sur tous les aspects de la question. C'est justement ce que nous avons cherché à faire en rassemblant les professionnels.

Il faudrait peut-être que les agents de police sachent que le fait d'envoyer des fleurs peut être un acte de harcèlement si le ou la destinataire craint l'expéditeur. Par contre, en fixant des peines minimales obligatoires pour toute infraction de harcèlement criminel, nous arriverions peut-être à éliminer un certain nombre de ces problèmes. Les juges auraient alors des critères rigoureux à appliquer au lieu d'être appelés, comme le disait Mme Whitehead, à donner leur propre interprétation de la situation.

Ce projet de loi doit clairement transmettre le message que voici: que le harcèlement criminel est un acte grave. Il faut une mesure législative encore plus musclée. Voilà qui influencera la société dans son ensemble. À mesure que les contrevenants sont traînés devant les tribunaux et que justice est faite, d'autres victimes se rendront compte que les actes dont elles ont été victimes sont également des actes de harcèlement criminel.

Le sénateur Oliver: Le problème, c'est que les premiers actes commis par l'auteur du harcèlement ne semble pas tellement graves. Avec chaque incident, le comportement du harceleur s'aggrave. Comment déterminer à quel moment les autorités doivent intervenir?

Mme Judkins: Il faudrait établir une procédure en bonne et due forme pour que la police sache exactement quoi faire pour aider la victime dès que cette dernière s'adresse à elle.

Il ne devrait plus être question de lui répondre: «Écoutez, cet homme vous aime et cherche simplement à rétablir ses relations avec vous»; une femme qui s'adresse à la police a nécessairement peur. Il est fort probable qu'il y ait eu de nombreux incidents avant qu'elle décide de s'adresser aux autorités.

À notre avis, il faut accorder la priorité à l'éducation et à la sensibilisation de la population. Une fois que nous aurons fait comprendre aux contrevenants et à la population que ces actes ne seront pas tolérés, la situation évoluera.

Mme Whitehead: Un acte peut sembler tout à fait anodin. Cependant, une femme qui se trouve dans cette situation ne cherche qu'à assurer sa propre survie. Elle peut ne pas se rendre compte que la situation dégénère et que sa vie est en danger, d'où la nécessité de faire intervenir quelqu'un qui a plus de recul.

Je suis d'accord pour dire que le côté éducation est extrêmement important. Dans notre localité, nous avons tenu un atelier sur le harcèlement criminel. De même, des procureurs de la Couronne sont allés aux refuges pour faire des exposés sur la question.

La question de la garde peut être problématique si la victime n'a pas signalé chaque incident aux autorités ou n'a pas porté plainte avant la rupture du mariage. Si elle porte plainte une fois que la bataille est déjà en cours, elle peut susciter certaines suspicions à l'égard de la crédibilité de la victime.

Le sénateur Fraser: Le problème que nous abordons aujourd'hui est un problème tout à fait atroce, comme vous deux l'avez souligné. Devant ce problème, les gens ont tendance à dire qu'ils vont faire ce qu'ils pourront, que ce soit approprié ou non.

Je suis frappée tout particulièrement par quelque chose qui semble être un fait, si l'on en juge après l'étude menée entre 1993 et 1996 de 601 dossiers différents, à savoir qu'un très grand nombre de cas de harcèlement criminel n'atteignent même pas l'étape du procès. Plus de 50 p. 100 de tous les cas signalés à la police n'atteignent pas cette étape. Sur l'ensemble des dossiers étudiés dans le cadre de cette étude qui atteignent l'étape du procès, seulement 27 p. 100 ont débouché sur une condamnation. Et seulement le quart des personnes condamnées ont purgé une peine d'emprisonnement.

Ce qui m'intéresse, ce sont les 50 p. 100 qui n'ont pas atteint l'étape du procès. Comment cela se fait-il? Est-ce parce que la police ne voulait pas se donner la peine d'aller plus loin? Est-ce parce que la victime, le plus souvent de sexe féminin a retiré sa plainte? Quelque chose tourne mal à un moment donné. Mais quoi?

Mme Whitehead: Mes discussions avec différents juges de paix m'ont permis de constater que souvent la victime ne sait pas quelle documentation est requise. Elle peut aussi avoir du mal à s'exprimer en anglais ou en français. De même, la victime a souvent peur de témoigner devant un tribunal et passe à ce moment-là pour un témoin récalcitrant.

Le sénateur Fraser: Vous établissez un parallèle avec les cas de violence familiale où, du moins dans certaines provinces, les autorités intentent des poursuites, que la victime accepte ou non de témoigner.

Mme Whitehead: L'agent chargé des dossiers de violence familiale dans notre localité enregistre sur vidéo la scène du crime. L'unité chargée des agressions sexuelles et de la violence familiale analyse les images et prépare des rapports. Grâce à ces différents éléments de soutien, la Couronne enregistre un taux de succès relativement élevé.

Le sénateur Fraser: Donc, les agents peuvent toujours témoigner, même si la victime refuse de le faire.

Mme Whitehead: Si la victime est un enfant, ils peuvent ne pas tenir compte de ses propos et préparer une vidéocassette.

Le sénateur Fraser: Je comprends très bien que les choses sont plus difficiles si on n'a aucun document permettant d'étayer ses arguments. Mais je voudrais savoir s'il existe une administration quelque part qui applique une politique obligatoire d'inculpation dans des cas de harcèlement criminel?

Mme Whitehead: D'après mon expérience personnelle, les forces policières sont plus actives dans ce domaine dans les régions à plus forte densité. Les agents ont plus d'expérience de ce problème et sont plus à même de comprendre la gravité de ces actes de même que leur effet cumulatif. La police régionale de Halton et Peel fait un excellent travail. Elle m'a envoyé des copies de leurs politiques.

Le sénateur Fraser: Pourriez-vous nous envoyer une copie de ces politiques?

Mme Whitehead: Il y a une partie confidentielle, mais je me ferai un plaisir de vous envoyer les autres parties des politiques en question.

Dans un cas, une femme m'a appelée pour se plaindre d'une situation qui, à mon avis, justifiait l'inculpation. D'après elle, la police lui avait dit que quelque chose devait lui arriver avant qu'elle puisse intervenir. Je savais que ce n'était pas vrai. J'ai parlé au chef de la police de Windsor en remettant en question cette façon de faire. Je lui ai fourni une copie de la politique que j'avais reçue des forces policières de Halton et de Peel, et la police de Windsor a décidé par la suite de modifier sa politique.

Dans certaines zones plus éloignées, les agents n'ont pas l'expérience voulue pour traiter adéquatement des cas de harcèlement criminel. Il arrive des fois que les agents de police disent aux femmes qu'elles n'ont qu'à rentrer chez elle, parce que la situation va certainement s'améliorer.

Le sénateur Fraser: Si vous deviez choisir entre des peines maximales plus longues ou l'application de peines minimales obligatoires, quel serait votre choix?

Mme Whitehead: J'opterais pour des peines minimales obligatoires car, comme je le disais tout à l'heure, les juges ont tendance à opter pour le minimum prévu.

Mme Judkins: Des peines minimales obligatoires sont sans conteste la solution à privilégier. Elles permettent de donner aux juges des repères très clairs pour régler chaque cas individuel tout en transmettant clairement le message que ce crime ne sera pas toléré.

M. Steve Sullivan, directeur exécutif, Centre canadien de ressources pour les victimes de crimes: Je suis d'accord avec mes collègues. Les deux solutions auraient l'avantage d'envoyer un message clair, mais pour moi le fait de prévoir des peines minimales obligatoires indiquerait clairement à la population que ce comportement ne sera pas toléré et que les auteurs d'actes de harcèlement criminel se verront infliger une peine minimale.

Le sénateur Pearson: Ce qui me frappe, c'est que les personnes qui semblent réagir le plus aux avertissements sont justement celles qui ont le moins besoin de le faire. Ce n'est guère surprenant, en réalité, étant donné que le harcèlement criminel est un comportement pathologique.

Vu son caractère pathologique, je me demande dans quelle mesure les moyens de dissuasion sont vraiment efficaces. Avez-vous des statistiques sur la nature de cette pathologie qui touche les harceleurs et le genre de traitement qui est disponible?

Mme Whitehead: En règle générale, les gens ne sont pas violents. Il ne s'agit pas de mettre tous les hommes dans le même sac.

Le sénateur Pearson: Non, j'ai simplement dit que le harcèlement criminel est un comportement pathologique.

Mme Whitehead: Je ne peux pas me prononcer là-dessus. Je ne suis pas psychologue. Mais je connais une psychologue qui a été victime de ce genre d'acte.

Le sénateur Pearson: C'est surtout le côté pratique, c'est-à-dire l'application, qui m'intéresse. Nous infligeons une peine à l'auteur de ce genre d'acte à titre de moyen de dissuasion. Il y a deux éléments; il y a d'abord le message qui est transmis à la société, un message très clair. Deuxièmement, il y a l'élément dissuasion. Quelles statistiques avez-vous sur le nombre de personnes envoyées en prison qui récidivent?

Mme Whitehead: Il y a énormément de récidive.

Le sénateur Pearson: À ce moment-là, il faut approfondir le problème pour s'attaquer aux causes profondes de ce comportement.

Mme Whitehead: L'effort doit être déployé à tous les échelons. Le juge, la police, et la collectivité dans son ensemble doivent tous envoyer un message très clair aux personnes qui commettent de tels actes. J'aime bien le projet de Duluth parce qu'il ne s'arrête pas au tribunal. Toute la localité est investie dans ce projet.

La présidente: Madame Whitehead, si vous avez des renseignements sur ce projet, peut-être pourriez-vous les faire parvenir au comité. Ils nous seraient certainement très utiles dans le cadre de nos délibérations et permettraient peut-être de répondre à certaines des préoccupations du sénateur Pearson concernant la façon de modifier cette conduite.

Mme Whitehead: Avec plaisir.

Mme Judkins: Je voudrais répondre à la question concernant la nature de ce problème. Nous entretenons des relations très étroites avec l'équipe de spécialistes du comportement de la Police provinciale de l'Ontario. Nous avons découvert que nous pouvons commencer d'ores et déjà à mieux former les agents de police. Quand ils font face à une situation de ce genre, ils ont besoin de savoir quelles questions il convient de poser pour bien évaluer le danger qui existe. Par exemple, ils ont besoin de connaître la nature de la menace, le dommage ou l'acte précis dont il est question, à quel endroit, à quel moment et par qui cet acte sera commis. Ils doivent demander à la victime si le contrevenant cherche à établir des contacts de plus en plus étroits avec elle ou s'il cherche plutôt à s'en éloigner.

Comme je l'ai dit tout à l'heure, Paul Bernardo n'a pas tout de suite été un meurtrier. Si l'on avait traité ses problèmes comportementaux qui se manifestaient par des actes de harcèlement criminel, de voyeurisme et de viol, peut-être que la situation n'aurait pas autant dégénéré, au point où il assassine trois jeunes femmes.

Le sénateur Pearson: Cela ne répond pas tout à fait à ma question. Je sais que certains membres de vos groupes aiment bien que la victime confronte l'auteur du harcèlement pour que ce dernier comprenne la nature des dommages qu'il lui a causés. À votre connaissance, est-il déjà arrivé que la victime et le contrevenant soient en présence l'un de l'autre quand la sentence a été prononcée?

Mme Judkins: Nous n'offrons pas de services de réconciliation des contrevenants et des victimes. C'est un service qui est assez populaire aux États-Unis. Dans des cas de harcèlement criminel, ce genre de chose peut constituer un danger pour la victime, dont la vie est déjà en péril. S'il y a eu des actes de violence, la réconciliation de l'auteur de l'infraction et de la victime n'est généralement pas recommandée.

Le sénateur Pearson: Non, je ne songeais pas vraiment à des services de réconciliation. Je parlais plutôt de l'étape de la détermination de la peine. Par exemple, je songeais aux conseils de détermination de la peine qui existent dans certaines collectivités autochtones.

Mme Judkins: Les services de réconciliation repose sur la cérémonie du cercle de guérison.

Le sénateur Pearson: Oui, la détermination de la peine et la guérison ne sont pas tout à fait pareilles. Le vrai défi consiste à modifier les comportements de ces personnes pour qu'elles ne récidivent pas.

Mme Whitehead: Cela rejoint ce que disait Mme Judkins concernant les unités de gestion des menaces qui doivent faire une évaluation adéquate de la situation. Une bonne évaluation suppose la présence d'un professionnel.

Mme Judkins: Il faut néanmoins bien faire passer le message avant que les gens commettent de telles infractions. Il faut apprendre aux jeunes enfants dans les écoles quels comportements sont appropriés. Il faut apprendre aux enseignants à déceler un contrevenant potentiel. Souvent, ces comportements se manifestent dès la maternelle.

Le sénateur Beaudoin: M. Sullivan a parlé des peines minimales. Nous avons tenu un débat semblable avec mon collègue, le sénateur Oliver. Il faut être prudent. Mais vous deux avez la même opinion. Je pense que vous préconisiez des peines minimales plus longues. Autrement dit, c'est ça qu'il faut faire parfois si on veut que la loi soit prise au sérieux.

Le sénateur Oliver a déclaré -- et vous êtes d'accord avec lui -- qu'il conviendrait dans ce cas-ci de prévoir des peines minimales plus longues. Mais ce n'est pas toujours vrai. Par exemple, je me rappelle de la Loi sur les jeunes contrevenants et du grand débat qui s'est tenu à ce sujet. Cette fois-ci, cependant, vous êtes d'accord pour dire que c'est une bonne idée.

M. Sullivan: Nos remarques concernaient surtout l'idée d'une peine minimale obligatoire. L'autre élément important concerne une situation où le contrevenant commet une infraction contrairement à une ordonnance de non-communication. Certains contrevenants se font dire, par l'entremise d'une ordonnance restrictive ou d'une obligation de ne pas troubler la paix publique, qu'ils ne doivent pas essayer de se mettre en rapport avec telle personne. Donc, du moment qu'il était question de harcèlement criminel, on a appliquerait la peine minimale obligatoire. Il y a donc deux volets à cette question, d'où la nécessité naît d'une peine minimale.

Le sénateur Beaudoin: Êtes-vous satisfait du projet de loi, tel qu'il est actuellement libellé?

M. Sullivan: Oui.

Le sénateur Nolin: Vous avez parlé d'une peine minimale. Supposons que nous modifiions le projet de loi pour y prévoir une peine minimale. Le sénateur Oliver a déjà proposé un amendement, mais je dois dire que je ne suis pas d'accord avec mes collègues. À mon avis, ce serait encore plus grave si nous ne nous attaquions pas à la définition qu'on retrouve à l'article 264 du Code criminel. Les juges vont examiner de très près cet article. D'ailleurs, il contient tellement d'échappatoires que personne ne sera jamais condamné d'une telle infraction. À mon avis, il faudrait commencer par faire ce qu'on fait actuellement -- c'est-à-dire relever l'importance de ces infractions et ensuite revoir la définition à l'article 264.

Le sénateur Beaudoin: Donc, vous préféreriez qu'on attende?

Le sénateur Nolin: Oui, à condition qu'on accepte de prévoir des peines plus longues que celles que prévoit le projet de loi S-17. Rappelez-vous qu'il va falloir réexaminer l'ancien article 264 du Code criminel. La définition qui s'y trouve est trop générale. Certains termes ou expressions posent problème, par exemple «raisonnable», «sciemment» et «à répétition». Voilà pourquoi cela ne servirait à rien pour le moment de prévoir une peine minimale.

Le sénateur Beaudoin: Nous verrons bien.

Le sénateur Nolin: Je ne suis pas expert en la matière. Vous l'êtes beaucoup plus que moi.

Mme Whitehead: Quand j'essayais de faire adopter cette loi, j'ai fait des recherches à la bibliothèque de la faculté de droit de l'Université de Windsor; j'ai examiné toutes les lois, et notamment celles de la Californie. Pour moi, cette loi avait le libellé le plus strict et correspondait le plus à l'orientation qui me semble appropriée. Cette loi prévoyait une peine de 10 ans et traitait ces actes comme des actes criminels.

Le sénateur Nolin: Il s'agissait de la peine minimale?

Mme Whitehead: Oui.

Le sénateur Nolin: Et quelle était la définition de cette infraction?

Mme Whitehead: Je pourrais vous donner une copie du texte.

Le sénateur Nolin: Le juge de première instance examine les faits et prend une décision concernant l'intention du contrevenant, par exemple. Cependant, ça pose problème quand il s'agit d'un crime complexe. Par exemple, si vous commettez telle infraction et que vous vous faites prendre, la peine minimale sera de 10 ans. C'est facile à déterminer. Mais là on parle de comportements sociaux. On parle d'une attitude qui peut être assez isolée et même être tout à fait normal, sauf s'il y a récidive. Maintenant on utilise le terme «récidive». Si vous avez tout ça, il est possible d'élaborer une définition comme celle qui existe maintenant. Mais le travail le plus important consistera à examiner l'infraction proprement dite.

Avez-vous compris ma question, même si mon anglais n'est pas parfait?

M. Sullivan: Nous appuyons ce projet de loi. Mais il y a encore du travail à faire. Vous avez parlé des définitions. C'est un problème qu'on peut régler, de même que celui des peines minimales obligatoires. Si ce projet de loi était adopté demain dans sa forme actuelle, nous serions très contents, mais nous sommes tout à fait d'accord pour dire qu'il reste encore du travail à faire dans ce domaine.

Le sénateur Nolin: Il y a aussi l'expression «autorisation légitime» et «sans autorisation légitime».

Mme Judkins: C'est d'ailleurs quelque chose que nous avons découvert à CAVEAT en faisant nos propres recherches. Il n'existe pas de définition qui décrive bien le phénomène du «harcèlement criminel». C'est tellement insidieux qu'il est difficile d'élaborer une définition concrète. Nous avons opté pour la définition suivante: «Tout comportement négatif non sollicité et répété qui vise une autre personne, par exemple suivre ou appeler à répétition cette personne, chercher à entretenir des contacts non sollicités avec elle, ou constamment chercher à savoir où elle se trouve». Ce n'est pas suffisant.

Le sénateur Nolin: Si vous avez la définition qu'ils emploient en Californie, nous pourrions peut-être l'examiner. Il peut s'agit d'un type de comportement qui serait tout à fait normal chez un être humain dans un environnement précis, mais qui devient problématique s'il est répété.

Le sénateur Oliver: Oui, par exemple, «surveiller l'habitation».

Le sénateur Nolin: Il y a beaucoup de gens qui font ça tous les dimanches.

La présidente: Ces éléments sont déjà inclus dans les définitions de l'actuel Code criminel, mais on insiste là-dessus en y ajoutant un autre verbe, c'est-à-dire «guetter ou surveiller l'habitation».

Le sénateur Nolin: Je vois mal comment nous pourrions éviter d'utiliser le terme «répété».

Mme Whitehead: Si vous laissez le soin au juge d'interpréter ces termes, le tribunal déboutera la victime de sa plainte. Je suis d'accord avec vous. Je peux vous donner une copie des recommandations des forces policières. Elles en parlent justement dans leurs réponses à la recommandation et elles expliquent les recommandations qu'il conviendrait d'y apporter pour resserrer cet article. Je vais vous en transmettre une copie.

La présidente: Merci, ce serait bien utile. Si vous pouviez nous l'envoyer dès que possible, nous pourrions la faire distribuer à tous les membres du comité.

Le sénateur Nolin: Est-ce qu'on les a invités à comparaître?

La présidente: Pas encore, mais on peut certainement le faire.

Mme Whitehead: Cela ne va pas se faire du jour au lendemain. C'est un processus évolutif. Si le Parlement adoptait le projet de loi dans sa forme actuelle, nous serions bien contents, car il faut faire les choses progressivement. Peut-être faut-il se contenter de faire ces modifications-là pour le moment; après vous pourrez vous attaquer à autre chose.

Le sénateur Nolin: Il y a beaucoup de choses qu'on peut faire sur le plan de l'administration de la justice, mais cette question-là ne relève pas de notre compétence. Il s'agit d'une responsabilité provinciale.

Le sénateur Fraser: Pour en revenir à la question des peines minimales, je sais que tous mes collègues, et vous aussi, ont plus d'expérience dans ce domaine que moi-même. Toutefois, si nous envisageons de fixer une peine minimale, il conviendrait que vous nous indiquiez si vous avez des données sur la dynamique que peut créer une peine minimale ou si vous-même avez une expérience concrète de cette dynamique?

Nous sommes confrontés à plusieurs difficultés. Les juges n'infligent pas des peines très sévères à l'heure actuelle, alors que les peines maximales sont précisées. Je ne sais pas si ce projet de loi changera quoi que ce soit à cette situation-là.

L'autre difficulté, plus signifiante sur le plan de la statistique, est le pourcentage de dossiers qui n'atteignent pas l'étape du procès. Lorsqu'il existe une peine minimale, savez-vous si les dossiers sont encore moins susceptibles d'atteindre cette étape? La police et les procureurs de la Couronne sont-ils généralement -- sciemment ou non -- plus réticents à faire passer ces affaires au tribunal? Le savons-nous?

Mme Judkins: Que je sache, il n'existe pas d'administration qui applique une peine minimale, par conséquent, il n'est pas possible d'en connaître les conséquences.

Le sénateur Fraser: Mais il existe des peines minimales dans d'autres domaines. C'est pour ça que je voulais de l'information à ce sujet.

Mme Judkins: Je ne sais pas.

M. Sullivan: Dans le projet de loi C-68, la Loi sur le contrôle des armes à feu, par exemple, le gouvernement a prévu des peines minimales pour les infractions comportant l'utilisation d'une arme à feu. On pourrait soutenir que le résultat final serait un plaidoyer négocié, c'est-à-dire une infraction ne prévoyant pas de peine minimale obligatoire.

Cependant, en optant pour une peine minimale obligatoire, le Parlement et le gouvernement feront comprendre à la police et aux procureurs de la Couronne qu'ils prennent très au sérieux cette question. Cela sera peut-être possible, parce que le problème de la violence familiale est à présent un problème qu'on prend davantage au sérieux. Peut-être que l'inculpation sera obligatoire du moment qu'il s'agit de harcèlement criminel. Il est possible que cela provoque une réaction négative, mais par contre, il pourrait également y avoir des conséquences positives si on fait comprendre aux contrevenants et aux personnes qui travaillent dans le système judiciaire que ce genre de comportement doit désormais être traité avec sérieux. Il y a donc des avantages et des inconvénients.

Le sénateur Fraser: Cela suppose que le comité optera pour cette solution-là, et je ne suis pas du tout sûre qu'il est prêt à le faire. Merci de nous avoir aidés à mieux comprendre la situation.

Le sénateur Robichaud: Le sénateur Fraser disait que les forces policières seraient moins susceptibles de porter plainte. Mais qu'en est-il du procès et du juge de première instance? Avez-vous des données qui nous amèneraient à conclure que si nous prévoyons des peines plus sévères, il en résultera moins de condamnations? C'est-à-dire qu'il serait difficile de prouver le bien-fondé de l'inculpation, étant donné que la peine serait plus sévère, mais à votre avis, serait-il avantageux d'appliquer une peine minimale?

M. Sullivan: Je ne sais pas s'il existe des statistiques à ce sujet. Si la peine minimale était de 30 ans, par exemple, je peux concevoir qu'un juge refuserait de condamner quelqu'un parce que cette peine est tout à fait disproportionnée à l'acte. Mais cela ne se produira pas si la peine est raisonnable. De plus, les juges ne devraient pas décider de l'innocence ou de la culpabilité d'un contrevenant en fonction de la peine prévue.

Le sénateur Robichaud: Je suis d'accord avec vous, mais ça arrive.

M. Sullivan: Si les responsables du ministère de la Justice comparaissent devant vous, il serait intéressant de voir s'ils ont des statistiques sur le taux de condamnation en vertu de la Loi sur le contrôle des armes à feu. À ma connaissance, il n'en existe pas.

Le sénateur Bryden: Si je me fonde sur mon expérience personnelle, il faut faire très attention du moment qu'il est question d'enlever le pouvoir discrétionnaire d'un juge. Si un juge ne peut pas exercer sa discrétion au moment de déterminer la peine, surtout dans un cas où la loi prévoit une peine minimale ou maximale, il l'exercera à un autre niveau, c'est-à-dire en décidant de condamner ou de ne pas condamner l'accusé.

La décision d'un juge est fonction non seulement de la bonne application de la loi, mais aussi peut-être de la capacité d'accueil des prisons. Dans certains pays, les condamnés purgent leurs peines dès que la prison est en mesure d'accueillir un autre détenu. Dans certains cas, les peines peuvent être purgées le week-end. Je ne sais pas si ce genre de peine aiderait le moindrement la victime.

Selon mon interprétation et mon expérience personnelle, la probabilité de se faire attraper quand on enfreint la loi exerce, dans la plupart des cas, une plus grande force de dissuasion que des peines très sévères. Nous cherchons finalement à prévenir ce genre de comportements.

Les lois sur la conduite en état d'ébriété en sont un bon exemple. Certaines administrations ont décidé d'appliquer la loi de façon uniforme à chaque fois, et à chaque contrevenant. Certains pays scandinaves ont été les premiers à opter pour cette approche. Ils avaient essayé des peines d'emprisonnement plus longues et des amendes très importantes à partir des deuxième et troisième condamnations. Ensuite, ils ont décidé d'intensifier l'application de la loi à un point tel que chaque citoyen était à peu près sûr d'être arrêté en rentrant à la maison après une fête. La police annonçait même son intention de surveiller les personnes qui assisteraient à telle fête, à tel endroit, et d'inculper tout conducteur dont le taux d'alcoolémie dépasserait les limites prévues.

Cette attitude devient de plus en plus courante au Canada, si bien que la conduite en état d'ébriété est à présent beaucoup moins fréquente, en partie en raison de l'uniformité des efforts d'application de la loi, et parce que de tels comportements ne sont plus acceptés dans notre culture. Je ne vais plus acheter une bouteille d'alcool avant d'aller chercher mon copain pour me balader sur les routes de campagne du Nouveau-Brunswick le samedi soir. Je n'ai pas toujours été sénateur ou avocat.

Et ce changement ne concerne pas uniquement des gens comme moi. Le fait est que ce genre de comportement n'est plus accepté parmi la plupart des jeunes.

J'ai une question à poser. Existe-t-il des groupes ou programmes de soutien, faute d'un meilleur terme, pour renseigner le public sur les actes qui constituent de l'harcèlement et les dispositions à prendre si on est victime? Si de tels programmes existent, dans quelle mesure sont-ils vraiment accessibles?

Mme Whitehead: Notre organisme diffuse de l'information à certaines personnes, et ces dernières en informent d'autres. Beaucoup de groupes de victimes essaient de sensibiliser la population. Malheureusement, beaucoup de gens ne sont toujours pas au courant de l'existence de cette nouvelle disposition législative. Des groupes comme le nôtre doivent transmettre cette information aux citoyens. Comme c'est le cas pour la conduite en état d'ébriété, nous avons besoin d'un régime qui autorise les autorités à porter plainte dans toute situation qui répond aux critères. C'est la seule façon de contourner le problème de la non-application de la loi.

Le sénateur Bryden: Le problème, c'est que nous n'avons pas de limite bien définie; nous n'avons pas la possibilité, comme c'est le cas pour la conduite en état d'ébriété, de faire souffler le contrevenant dans les ballons d'alcootest.

Mme Judkins: Puisqu'on parle de la conduite en état d'ébriété, un groupe de défense des victimes, MADD (Mothers Against Drunk Drivers) a lancé une campagne d'éducation qui consistait à visiter systématiquement les écoles et d'autres groupes ou institutions pour sensibiliser le public à ce problème. Une campagne de cette nature doit nécessairement partir de la base. De notre côté, nous en faisons autant, comme d'autres groupes de défense des victimes, d'ailleurs. Des campagnes d'éducation de ce genre doivent être lancées le plus tôt possible pour que les gens sachent en quoi consiste le harcèlement criminel et les moyens qu'ils peuvent prendre pour se protéger et se défendre.

Pour ce qui est des groupes de soutien et des programmes d'éducation traitant spécifiquement du harcèlement criminel, il existe évidemment des groupes comme CAVEAT. Cependant, nous ne transmettons pas notre message aux personnes qui ont le plus besoin de l'entendre. Il existe un groupe à London, en Ontario, du nom de «Changing Ways» qui aide les contrevenants. Ce groupe s'adresse spécifiquement aux hommes qui battent leur femme. Des groupes de ce genre n'abordent pas souvent la question du harcèlement criminel en essayant d'analyser les comportements et de déterminer pour quelles raisons ils sont inacceptables. Les personnes qui assistent aux réunions de ces groupes sont souvent forcées de le faire parce que le tribunal l'a ordonné. Sinon, elles risquent de se retrouver en prison.

Il faut adopter la même approche à l'endroit des auteurs de harcèlement criminel. Les personnes accusées de cette infraction devraient être forcées d'assister à des réunions de groupes de ce genre ou de suivre des cours sur le harcèlement, afin de savoir les conséquences qu'ils risquent de subir si leur comportement ne change pas.

Le sénateur Bryden: J'ai une autre observation à faire qui ne concerne pas vraiment le contenu du projet de loi du sénateur Oliver. Depuis que je joue un rôle plus direct au sein du gouvernement aux paliers provincial et fédéral, j'observe une tendance au sein de notre société qui consiste à vouloir régler chaque problème social en adoptant une nouvelle loi. Si la loi est tout à fait claire et nette, tout le monde s'y conformera ou subira sa punition.

Certaines personnes ont l'impression que c'est une solution magique, mais c'est faux. C'est justement pour cette raison que j'étais contre l'idée de prévoir une peine distincte -- la peine capitale -- pour l'assassinat d'agents de police, parce que la vie de ces derniers est en danger. Ce n'était pas vraiment en rapport avec l'idée d'exécuter quelqu'un pour avoir tué un agent de police. Le vrai problème, c'était que cette sanction deviendrait malheureusement une sorte de protection psychologique pour les agents de police, si bien que ces derniers ne suivraient pas tous les cours de formation et procédures appropriées qui leur permettraient de se protéger dans une situation où ils risquaient de se faire tirer dessus ou d'être tués. On partait du principe que les gens ne tueraient pas les agents de police de peur de perdre eux-mêmes la vie à cause de la peine capitale. Mais les gens qui commettent des crimes de ce genre sont convaincus qu'ils ne se feront pas attraper. C'est ça le plus grave problème.

Les lois sont efficaces jusqu'à un certain point, notamment dans une situation sociale et personnelle complexe comme celle-ci. La vraie solution consiste à sensibiliser les groupes et organismes locaux ainsi que les forces policières à ce problème. La solution consiste également à donner à la police l'autorisation de porter plainte sans que la victime soit obligée de témoigner. Ce n'est sans doute pas une mauvaise idée. Les lois permettent de faire certaines choses, mais elles ne peuvent pas tout faire.

Le sénateur Oliver: Les trois témoins ont dit que le projet de loi S-17 a justement pour effet de sensibiliser le public à ce problème, et ils ont exprimé leur satisfaction à cet égard.

Le sénateur Fraser: Mais la société doit surtout se préoccuper des 15 p. 100 des harceleurs qui finissent par commettre des actes violents. Supposons qu'un harceleur soit inculpé. Une fois que ce dernier est sous garde, est-il possible, au moyen d'une évaluation psychiatrique, de déterminer si cette personne fait partie des 15 p. 100 ou des 85 p. 100?

Mme Judkins: Ayant travaillé avec des victimes, nous constatons qu'il n'est pas toujours possible de déterminer si quelqu'un va récidiver ou non. De façon générale, un harceleur qui a eu des rapports intimes avec la victime est plus susceptible de récidiver qu'un harceleur qui ne connaît pas la victime.

Le sénateur Fraser: C'est-à-dire qu'ils récidiveraient en commettant un acte beaucoup plus grave; ils ne se contenteraient pas de faire un autre appel téléphonique.

Mme Judkins: C'est ça.

Le sénateur Fraser: Aussi bouleversant soit-il, un autre appel téléphonique ne met pas en danger la vie de la victime.

Mme Judkins: Si je me fonde sur les cas que nous avons traités, lorsque les victimes s'adressent à nous, même quand les actes de harcèlement sont à un stade préliminaire, il arrive systématiquement que le comportement du harceleur dégénère.

Le sénateur Oliver: Vos statistiques à la page 11 m'ont beaucoup intéressé. Elles indiquent que 17 p. 100 des harceleurs exercent une profession libérale. Il s'agit d'avocats, de médecins, d'architectes et d'ingénieurs. Voilà la catégorie la plus importante. Ensuite, à 10 p. 100, nous avons la catégorie des cadres, et après, celle qui englobe le travail administratif, les métiers spécialisés, les étudiants, les travailleurs techniques, les retraités, et cetera. Quelle a été votre réaction en voyant ces statistiques pour la première fois?

Mme Judkins: Elles ne m'ont guère surprise. Nous avons déjà accès à cette information par l'entremise des victimes qui nous appellent tous les jours. Elles prouvent bien que ce problème touche tout le monde -- toutes les couches sociales, toutes les races et les deux sexes.

Le sénateur Oliver: Donc, d'après votre expérience, vous avez constamment des preuves du bien-fondé de ces statistiques.

Mme Judkins: Oui, telle a été notre constatation dans tous les cas que nous avons traités jusqu'à présent.

La présidente: S'il n'y a plus de questions, je voudrais remercier nos témoins de leur présence aujourd'hui.

La séance est levée.


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