Délibérations du sous-comité des
Affaires des
anciens combattants
Fascicule 5 - Témoignages pour la séance de l'après-midi
OTTAWA, le mercredi 4 février 1998
Le sous-comité des affaires des anciens combattants du comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit aujourd'hui, à 13 h 30, pour poursuivre son étude de toutes les questions ayant trait à l'avenir du Musée canadien de la guerre, incluant, sans s'y limiter, sa structure, son budget, son nom et son autonomie.
Le sénateur Orville H. Phillips (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président: Honorables sénateurs, nos premiers témoins cet après-midi représentent l'Association ukrainienne canadienne des droits civils.
M. John Gregorovich, président, Association ukrainienne canadienne des droits civils: Merci. Je suis accompagné cet après-midi de M. Steve Petylycky, qui a survécu aux camps de la mort allemands. Quelques détails de son histoire sont joints à notre mémoire que vous avez, je pense, reçu lundi dernier. Notre mémoire comprend deux articles rédigés par lui qui expliquent certains de ses antécédents.
Nous avons tous deux un intérêt personnel dans la question bien étroite de l'Holocauste ou des morts en Europe pendant la Seconde Guerre mondiale. Dans mon cas, j'ai perdu trois membres de ma famille durant cette guerre dans les avant-monts des Carpathes. Ces trois jeunes gens furent tués parce qu'ils étaient des patriotes ukrainiens. Deux furent tués par la Russie soviétique et le troisième fut torturé à mort par la Gestapo.
Sur la couverture de notre mémoire, monsieur le président, vous pouvez voir un dessin, identifié à l'intérieur. Celui qui a fait ce dessin a été détenu dans le camp de concentration d'Auschwitz et exécuta des dessins pendant son séjour dans les camps. Il survécut à la guerre et ses dessins furent publiés en 1946.
Les libertés et l'affluence dont jouissent maintenant les Canadiens leur viennent des efforts d'hommes et de femmes qui se sont sacrifiés pendant les guerres auxquelles le Canada a participé. Nous avons tous le devoir moral de nous assurer que ces hommes et ces femmes ne sont pas oubliés.
Nous appuyons donc l'expansion du Musée canadien de la guerre pour qu'il puisse remplir son mandat. Nous sommes aussi d'accord pour qu'il y ait une exposition sur l'Holocauste au Musée canadien des civilisations. Nous sommes tout à fait d'accord avec la position du Congrès ukrainien canadien, qui regroupe la plupart des organismes ukrainiens canadiens. Si je ne m'abuse, vous avez reçu hier un message par télécopieur du Congrès qui devait être distribué aux membres du comité. Ce mémoire de 10 pages explique comment, d'après nous, on devrait faire pour rappeler, commémorer et étudier l'Holocauste et toutes les morts attribuables à la Seconde Guerre mondiale en Europe, en Asie et en Afrique.
Nous appuyons aussi la position de la Légion royale canadienne. Nous appuyons le mémoire du Conseil national des anciens combattants du Canada. Nous nous opposons à ce que l'on joigne une galerie de l'Holocauste au Musée canadien de la guerre.
Notre intérêt est nettement concentré pour l'instant sur la question du génocide. Environ 14,5 millions d'Ukrainiens, y compris 600 000 Juifs ukrainiens, ont perdu la vie pendant la Seconde Guerre mondiale. Il faut noter que 459 villages ont été entièrement détruits, et que, dans 27 cas, le village a été détruit et tous ses habitants, hommes, femmes et enfants ont été tués. Par exemple, dans le village de Kortelisy, 2 892 hommes, femmes et enfants ont été massacrés et le village a été détruit.
Quelques autres détails de ces pertes: 3 898 500 Ukrainiens ont été tués par l'armée allemande sur le territoire ukrainien; 1 366 699 Ukrainiens ont été tués comme prisonniers de guerre dans les camps de concentration; pendant la période allant de 1941 à 1943, 2 244 000 Ukrainiens ont été déportés pour travailler comme esclaves, c'est-à-dire comme Gastarbeiter, dans les usines de munitions de l'Allemagne et de l'Autriche.
C'est à cause de ces chiffres épouvantables que nous sommes convaincus que si le Canada doit avoir un musée du génocide, il doit faire état de toutes les pertes et, nous expliquons dans notre mémoire pourquoi nous proposons qu'on l'appelle un musée du génocide. Comme le mot «Holocauste» est associé de très près aux pertes juives en Europe pendant la Seconde Guerre mondiale, ce mot devrait probablement être utilisé à l'égard de ces pertes, alors que le mot plus général «génocide» devrait être utilisé pour décrire les autres pertes.
M. Steve Petylycky, survivant ukrainien de l'holocauste: Honorables sénateurs, j'ai survécu à trois camps de concentration nazis. Je porte le numéro 154 922. Ceux que j'ai rencontrés aux camps de concentration étaient des Juifs, des Polonais, des Ukrainiens, des Russes, des Yougoslaves, des Tchécoslovaques, des Italiens, des Allemands et des Français. Je me souviens de chacun d'entre eux et nous ne devons jamais les oublier. Nous devons leur rendre justice.
M. Gregorovich: Cela met fin à notre exposé, monsieur le président. Nous répondrons maintenant à vos questions.
Le président: J'ai été plutôt intrigué de lire votre article au sujet du caporal Konowal. J'ai récemment eu le plaisir d'écrire une lettre de recommandation pour l'un de ses descendants, qui m'a raconté son histoire. J'ai bien aimé lire ce que vous dites à son sujet.
Le sénateur Forest: Soyez les bienvenus, messieurs. Je suis d'Edmonton et je connais très bien Vegreville et votre grande famille. Je vous suis reconnaissante d'être venus pour nous rappeler la triste histoire du peuple ukrainien.
Je veux cependant être bien certaine d'avoir compris vos recommandations. Vous recommandez que le Musée de la guerre continue d'être uniquement un musée de la guerre?
M. Gregorovich: Oui.
Le sénateur Forest: Si l'on devait avoir cette exposition dans un autre musée, vous recommandez que l'on crée un autre musée pour montrer au public les horreurs du génocide, mais vous ne voudriez pas que ce soit de façon restrictive. Est-ce exact? Vous ne voudriez pas l'appeler «le Musée de l'Holocauste» parce que vous voudriez qu'il porte aussi sur les génocides un peu partout dans le monde?
M. Gregorovich: Oui, c'est ce que nous recommandons, sénateur. Il y a un problème des deux côtés. D'après ce que j'ai pu lire, une bonne partie de la communauté juive juge que l'on réduirait l'importance du mot «Holocauste» dans un tel contexte, puisque ce mot est associé intimement au massacre des Juifs par l'Allemagne nazie de 1939 à 1945. Bien entendu, c'est un point de vue qui peut être contesté par d'autres, mais bon nombre de membres de la communauté juive semblent être de cet avis.
D'un autre côté, j'ai l'impression que la même association existe dans l'esprit des membres du public. Quand ils voient ce nom, ils s'attendent à voir certaines choses. C'est pour cela que nous croyons que, dans un musée du génocide -- il y a plusieurs façons logiques d'envisager un tel musée -- on pourrait donner une place importante au massacre des Juifs en Europe entre 1939 et 1945. On pourrait y consacrer toute une section ou une galerie si c'est ce que la communauté juive juge le plus approprié comme monument commémoratif aux victimes.
Il faut à tout prix tenir compte des sentiments de la communauté juive à cet égard parce qu'elle a fait beaucoup pour sensibiliser le reste du monde à ce massacre et je pense qu'il serait injuste de l'obliger à faire partie d'un musée du génocide alors qu'elle a travaillé tellement fort pour nous faire comprendre l'Holocauste.
Le sénateur Forest: Dans un musée du génocide, si nous devons l'appeler ainsi, vous voudriez sans doute montrer ce qui s'est passé depuis la Seconde Guerre mondiale au Rwanda et dans bien d'autres pays.
M. Gregorovich: Oui, bien sûr. Si le musée doit montrer ce qui s'est passé et faire une étude du génocide, il devrait raconter toute l'histoire du génocide. Par exemple, il y a plus de 2 000 ans, quand les Romains ont conquis Carthage, ils ont massacré tous les habitants de la ville et salé les champs pour que rien n'y pousse plus jamais. C'était un génocide.
Si vous voulez faire une étude sérieuse du génocide et non pas simplement exposer une série de photos horribles, vous devez songer au passé et essayer de tirer des leçons de ce qui s'est passé.
En toute justice, je crains que nous ayons le même problème au Canada. Nous savons que les Beothuks de Terre-Neuve ont été décimés et ensuite anéantis par les colons à Terre-Neuve. Si nous voulons être honnêtes, nous devons aussi penser à cette partie de notre histoire.
Il ne faudrait pas oublier ce qui se passe aujourd'hui. Après la Seconde Guerre mondiale, on disait que cela ne pouvait plus se reproduire, que c'était une aberration. Pourtant, cela se passe encore aujourd'hui. En fait, au Tibet, c'est la guerre depuis 1954. Cela s'est produit au Rwanda. Cela s'est produit dans le Timor oriental, où le tiers de la population a été tué. On commet encore des génocides aujourd'hui. Je crois que nous devrions honorer la mémoire de ceux qui sont morts; cependant, pour bien le faire, nous devons tenir compte de ce qui se passe de nos jours. C'est pourquoi j'estime que le musée peut être un musée contemporain et non pas simplement un musée du passé.
Le sénateur Forest: Outre son contexte historique en tant qu'instrument d'éducation.
M. Gregorovich: Oui.
Le sénateur Jessiman: Merci. Votre suggestion d'un musée du génocide a-t-elle déjà été transmise à quelqu'un ou au Musée des civilisations?
M. Gregorovich: Pas à ma connaissance.
Le sénateur Jessiman: Existe-t-il des musées de ce genre ailleurs dans le monde?
M. Gregorovich: À ma connaissance, non. Il y a des musées dans l'ancienne Union soviétique, ou plutôt, je devrais dire qu'il y a des monuments commémoratifs et des artefacts, mais je ne sais pas s'il existe un musée de ce genre dans le monde. Si on donnait lieu à cette proposition, ce serait une innovation et, en fait, le Canada serait le premier à le faire. Ce n'est pas une mauvaise chose. On donnerait ainsi l'exemple à d'autres pays, si on cherchait sérieusement à en faire un outil de savoir et d'éducation.
Le sénateur Prud'homme: Il n'est pas facile d'interroger des représentants de la communauté canado-ukrainienne, parce que très souvent, et c'est dommage, vous vous trouvez au milieu d'une immense controverse eu égard à de nombreuses questions. Je n'ai pas l'intention de garder le silence sur ces questions. Je m'en suis peut-être mal tiré ce matin, mais ce n'est qu'en préparation d'un débat à venir.
Je vous suis reconnaissant de venir nous éclairer sur l'horreur de la dernière guerre mondiale. Vingt-cinq millions de personnes ont été tuées dans le pays qu'on appelait autrefois l'Union soviétique. Un film a été réalisé sur le million ou le million et demi de personnes qui sont mortes dans la bataille de Leningrad. J'aimerais vous fournir plus de précisions. Nous n'en entendons pas souvent parler. Il y a aussi le front asiatique.
Certains estiment que nous devrions nous concentrer sur une ou deux questions seulement. Comme je le disais ce matin, je déteste recevoir des leçons des États-Unis qui ne se seraient peut-être jamais ralliés aux autres s'il n'y avait pas eu l'attaque de Pearl Harbour. Ils sont arrivés tard, et aujourd'hui ils veulent être à l'avant-scène. Fort bien, mais ils n'ont aucune leçon à donner aux Canadiens en ce qui concerne ces questions.
Nous voulons avoir la certitude que vous estimez que le Musée de la guerre du Canada devrait être agrandi comme prévu. Il ne faudrait pas les pénaliser pour avoir dit qu'ils ne voulaient pas accueillir cette exposition particulière. Je partage vos préoccupations à ce sujet.
Je me réjouis de voir que des Canadiens d'origine juive reconnaissent avec moi que nous ne devrions pas faire en sorte que, si on le construisait, le monument commémoratif de l'Holocauste soit perdu dans la masse. J'estime même qu'il ne devrait pas se trouver au Musée des civilisations, parce que l'un des deux en souffrira. On pourrait très vite commencer à désigner l'endroit comme le Musée de l'Holocauste. Le génocide, cependant, est une question qui relève de la responsabilité du Musée des civilisations. S'il y a quelque chose qu'on pourrait faire pour l'humanité, ce serait de nous dire en quoi consiste le génocide, outre le monument commémoratif de l'Holocauste qui pourra être construit ailleurs à Ottawa. Personne ne semble s'y opposer. La question, naturellement, c'est l'argent.
Reconnaissez-vous que la responsabilité première du gouvernement canadien devrait être de construire cette annexe au Musée de la guerre?
M. Gregorovich: Oui.
Le sénateur Prud'homme: Sa deuxième responsabilité a trait à l'exposition sur le génocide. Que fera-t-il? Vraisemblablement, elle devrait se trouver au Musée des civilisations.
Je sais que c'est une question délicate. M. Trudeau m'avait enseigné, au caucus, de bien prendre soin de ne pas monter les communautés les unes contre les autres. C'est ce qui se passe dans l'Ouest du Canada à bien des égards, notamment à propos de ce qui vous préoccupe. S'il ne doit y avoir qu'un seul musée de l'Holocauste, d'autres parties intéressées demanderont pourquoi, puisque c'est financé par le gouvernement fédéral, ce musée ne traite pas des autres génocides. C'est une de mes inquiétudes, et je pense qu'elle est fondée.
Le président: J'aimerais vous poser une question au sujet du musée du génocide, mais je pense que je ne devrais pas le faire avant que ne comparaisse le témoin qu'on a invité pour demain matin, M. Levine. Il a une proposition qui pourrait très facilement déboucher sur un musée du génocide. J'aimerais que vous examiniez la question et nous fassiez savoir ce que vous pensez de sa proposition.
Lundi, j'ai parlé de cet immeuble à quelqu'un et on m'a dit qu'il y aurait quelques problèmes de climatisation ou de contrôle environnemental. À bien y penser, à Ottawa, tous les immeubles de cette époque doivent avoir besoin de rénovations.
L'idée d'un musée du génocide m'intéresse aussi, et j'aimerais avoir votre avis. Si vous n'obtenez pas de copie du témoignage de demain de M. Onu, le greffier, rappelez-nous et nous nous assurerons de vous en faire parvenir une.
M. Gregorovich: Merci.
Le président: Merci beaucoup d'avoir comparu. Nous comprenons bien que c'est une question qui vous tient à coeur et que la tâche n'est pas facile.
M. Gregorovich: Merci, sénateur.
Le président: Le prochain témoin est M. Terry Copp, qui est professeur. Il a déjà comparu devant nous. Il est un historien militaire réputé, mais ce dont je me rappelle le mieux à son sujet, c'est qu'avant La bravoure et le mépris, il avait produit à compte d'auteur différents documentaires sur la Seconde Guerre mondiale. Il n'avait obtenu aucun financement gouvernemental.
Vous avez la parole.
M. Terry Copp, professeur, Université Sir Wilfrid Laurier: Merci de m'avoir invité à comparaître. J'étais aussi venu, vous vous en souviendrez, pour l'étude sur la névrose post-traumatique. Cela m'avait semblé être un dialogue particulièrement important.
J'ai fait parvenir au comité un mémoire relativement bref que j'ai rédigé. Je crois que vous l'avez reçu. Je préférerais ne pas le lire et aborder plutôt divers points précis puis passer aux dernières observations contenues dans le mémoire, étant donné que je pense que cela pourrait donner lieu à un dialogue utile.
Ce document porte sur trois questions: l'objectif d'une galerie d'exposition ou d'un musée qui porterait sur l'Holocauste; l'incidence que cette galerie pourrait avoir sur le Musée de la guerre du Canada; et enfin, une proposition visant à faire en sorte qu'une galerie au Musée de la guerre porte non pas sur l'Holocauste de façon générale, mais sur un aspect précis lié au Camp Westerbork aux Pays-Bas, le principal camp de transit nazi libéré par les troupes canadiennes en avril 1945.
Je vais ensuite présenter mon opinion que je pourrai résumer très brièvement.
J'estime que si l'on installait au Musée de la guerre du Canada une galerie qui porterait sur l'Holocauste, cela réduirait l'importance de cet événement dans l'histoire du XXe siècle et dans l'histoire de l'humanité, et cela nuirait tellement aux objectifs actuels et futurs du Musée de la guerre, qu'il y a lieu, à mon avis, de se demander sincèrement si c'est quelque chose qu'on devrait faire. Je sais, pour avoir suivi les libérations sur la chaîne parlementaire et dans les journaux, que de nombreuses autres personnes ont déjà invoqué cet argument. Je me ferais un plaisir d'y revenir, mais pour l'instant, je préfère poursuivre et dire, que si, après ces audiences, le gouvernement, la société du Musée des civilisations du Canada et le Musée de la guerre sont convenus qu'il faudrait instituer un musée de l'Holocauste distinct dans un immeuble distinct, lié peut-être géographiquement ou autrement avec le Musée de la guerre du Canada, cela, à mon avis, serait la bonne voie à suivre.
Cependant, cela ne mous mènera pas bien loin parce que, à mon sens, le comité a pour mandat d'examiner la question de l'avenir du Musée de la guerre du Canada et ses objectifs à l'aube du XXIe siècle.
Je suis arrivé en avion à Ottawa ce matin et je suis allé revoir le Musée de la guerre. Je n'y étais pas allé depuis l'été dernier et à ce moment-là j'y avais vu la nouvelle exposition sur le maintien de la paix. J'avoue que quand j'ai visité le troisième étage l'été dernier, je ne suis pas allé voir les expositions sur la Première et la Deuxième Guerres mondiales.
Chaque année, j'accompagne des étudiants au cours de visites guidées des champs de bataille en Europe, et cela avec l'aide de la Fondation canadienne de la bataille de Normandie. Nous visitons des musées, par exemple, ce formidable musée que tous les Canadiens devraient connaître et qui se trouve à Otegem, en Belgique. Il a été construit grâce aux efforts d'un seul homme qui l'a construit pour commémorer la libération de la Belgique par les Canadiens. C'est le Musée du Canada à Otegem. Ils devraient aussi connaître le nouveau musée à Péronne, en France, qui s'appelle l'Historiale de la Première Guerre mondiale, de même que des musées en Normandie. Je pèse mes mots: je crois que le Musée des civilisations du Canada et le personnel du Musée de la guerre du Canada font un travail extraordinaire en remplissant leur mission qui consiste à raconter ce que le Canada a tenté de faire dans les deux grandes guerres de notre siècle et, bien sûr, dans le cadre général de l'histoire militaire du Canada.
Cependant, quand on le compare à ce qu'on trouve dans d'autres pays, le Musée de la guerre du Canada, pour les visiteurs qui s'y rendent, est très décevant. Il est exigu, il est petit, il n'est pas du tout interactif. Il s'y trouve une admirable collection d'artefacts, l'une des plus extraordinaires collections d'art militaire au monde. Il suffit de lire un ouvrage diffusé internationalement pour voir à quel point des auteurs britanniques ou français ou américains s'inspirent de la collection d'art militaire du Canada en raison de la qualité des oeuvres qui la constituent -- et je ne parle pas de qualité au simple sens du savoir-faire technique mais en raison du fait que des artistes comme Alex Colville ou Harris ou d'autres, au cours de la Deuxième Guerre mondiale ont su donner un sens à leurs oeuvres. Il ne s'agit pas simplement d'images descriptives; ce sont des tableaux qui révèlent effectivement ce qui s'est passé pendant la guerre. Ce matin, au cours de ma visite au Musée de la guerre, j'ai pu voir certaines de ces peintures telles qu'on les y présente et, à vrai dire, elles sont montrées dans des conditions moins qu'idéales.
J'espère que le résultat des travaux du comité, la publicité qui les entoure, les discussions et les activités qui se poursuivent au Canada éclaireront la question de l'avenir du Musée de la guerre du Canada au XXIe siècle et permettront de trouver des fonds additionnels afin que la collection d'art militaire et la collection d'artefacts puissent être mieux mises en valeur et présentées au public.
Cependant, je dois dire que je suis mécontent de voir que le Musée de la guerre ne traite pas des questions sur lesquelles portaient les grandes batailles du XXe siècle. Il me semble que si un jeune peut voir une série d'artefacts et que si son professeur ou son grand-père ou quelqu'un qui s'y connaît lui dit ce que signifient ces choses, il est alors possible qu'il en tire une bonne expérience et un certain savoir. Je ne critique pas le personnel du Musée de la guerre, je critique la façon dont nous en tant que pays omettons toujours de tenir compte de notre passé. Nous sommes un peuple qui semble penser que le pays se réinvente tous les deux ou trois ans et où on ne semble pas avoir un grand respect pour nos liens avec le passé.
On ne parle pas des causes de la Deuxième Guerre mondiale, et quelqu'un qui ne les connaît pas ne pourrait pas découvrir pourquoi le Canada est entré en guerre en 1939. On ne traite absolument pas de la nature de la Première Guerre mondiale. On ne traite absolument pas des questions qui donneraient un sens à ce sur quoi on veut s'instruire.
Je passe maintenant à la question de l'Holocauste, de son incidence sur la Seconde Guerre mondiale et sur les Canadiens.
Il me semble qu'un musée de la guerre qui reflète les grands conflits du XXe siècle et qui renferme énormément d'informations précises sur la Seconde Guerre mondiale sans aborder d'une façon ou d'une autre la question de l'Holocauste est un musée qui évite tout simplement d'aborder un des problèmes majeurs du XXe siècle. Je suggère donc dans mon mémoire que le Musée de la guerre prenne une mesure à propos de l'établissement d'un musée distinct sur l'Holocauste. Il faudrait que ce musée remonte aux origines des politiques raciales nazies, à la question de l'élaboration progressive des lois de Nuremberg, à l'introduction d'autres mesures contre les Juifs d'Allemagne, à l'évolution qui a mené à la conférence de Wansee en 1942 et à ce que nous appelons la solution finale, autant de questions tellement importantes qu'elles devraient être traitées dans un musée tout à fait distinct, me semble-t-il. Au Musée de la guerre je ne pense pas du tout que l'existence d'un musée de l'Holocauste séparé diminue l'importance du lien entre les événements que nous qualifions d'Holocauste et les efforts de guerre. Je suggère donc que le Musée de la guerre réserve, dans ses nouvelles galeries, un espace qui mettrait précisément l'accent sur les jours d'avril 1945 où la première armée canadienne a reçu l'ordre de se rendre dans le Nord pour libérer la Hollande et où la seconde division de l'infanterie canadienne, chargée de la responsabilité particulière de libérer la région au nord de Arnum en direction de la ville hollandaise de Groningen, est arrivée à Westerbork.
Le camp Westerbork avait été créé en 1938 par le gouvernement hollandais et par les Juifs des Pays-Bas pour recevoir les réfugiés de l'Allemagne nazie qui avaient fui l'Allemagne suite à la kristall nacht, ou nuit du verre cassé, en novembre 1938. Au début, il s'agissait d'un camp de réfugiés. Après la chute de la Hollande en 1940, le camp a été transformé d'abord en ce que l'on pourrait qualifier de camp de concentration ou de camp de détention pour les Juifs allemands et les Juifs hollandais que l'on amenait progressivement à Westerbork. Après la conférence de Wansee en janvier 1942, la mise en oeuvre de la solution finale et la construction des camps de la mort en Pologne, ce camp est devenu un lieu où l'on regroupait les communautés juives des Pays-Bas. Les années suivantes, en 1942, 1943 et jusqu'à septembre 1944, environ 63 trains pleins d'hommes, de femmes et d'enfants ont été expédiés de Westerbork essentiellement vers Auschwitz. On les expédiait aussi vers d'autres camps de la mort.
Le dernier train qui a quitté le camp Westerbork avant que les Canadiens n'arrivent pour le libérer contenait Anne Frank et sa famille que l'on avait ramassée à Amsterdam. Anne Frank et sa famille se sont finalement retrouvés à Bergen-Belsen dont je vais vous parler dans un instant. Un seul membre de cette famille a survécu et c'est la raison pour laquelle nous avons pu obtenir les journaux de la maison d'Amsterdam qui sont devenus un élément aussi essentiel de notre histoire de la Seconde Guerre mondiale.
Récemment, un ancien combattant canadien, M. Law, professeur émérite à la retraite de l'Université Queen's, a rédigé un livre sur le camp de Westerbork. Comme d'habitude au Canada, malheureusement, M. Law a énormément de difficulté à trouver un éditeur et son livre sera probablement publié d'une façon qui empêchera presque certainement une large diffusion dans les librairies. Ceux d'entre nous qui écrivent l'histoire canadienne sont habitués, si bien que cela ne nous surprend pas tellement.
L'histoire du camp de Westerbork revêt une importance particulière pour M. Law parce que, jeune lieutenant commandant le peloton d'éclaireurs du régiment du sud de la Saskatchewan, il était l'un des premiers Canadiens à entrer au camp de Westerbork pour trouver les derniers groupes de citoyens Juifs hollandais qui n'avaient pas encore été transportés aux camps de la mort. On a découvert que les Allemands, qui avaient quitté le camp pour aller vers Groningen, avaient emmené avec eux plus de 200 juifs. Heureusement, la résistance s'écroulait tellement vite que l'on réussit à sauver ces 200 personnes. En plus de ceux qui restaient au camp de Westerbork, ces 200 personnes ont été sauvées par les Canadiens qui se dirigeaient vers la ville de Groningen.
M. Law raconte cette histoire comme tout bon historien doit le faire. J'ai passé les 15 dernières années de ma vie à parler à des anciens combattants et à essayer de clarifier des choses. La seconde division s'était battue dans le Rheinland entre le 8 février et environ le 10 mars. Les Canadiens devaient alors traverser le Rhin pour participer à la libération de la Hollande. La collection de messages de la BBC raconte que la guerre était presque finie, que les Russes étaient dans les banlieues de Berlin et que les Américains et les Britanniques fonçaient en avant. Toutefois, chaque jour, nous demandions à nos jeunes de retourner à la bataille, bataille dans laquelle nombre d'entre eux seraient tués. Nous avons perdu des gens dans les trois derniers jours de la guerre, sans même compter ce printemps de libération en Hollande.
Il y a eu la libération du camp de Westerbork et le début de la découverte de ce qu'avaient fait les nazis. Il est vrai -- et M. Law le prouve -- que les gens qui restaient au camp de Westerbork eux-mêmes ne croyaient pas à la solution finale. Ils ne pouvaient accepter de croire que leurs amis qui avaient été déportés du camp avaient été effectivement envoyés à des camps de la mort. Aussi continuaient-ils à croire qu'on les avait simplement déplacés.
Les Canadiens ont eu à peine le temps de s'arrêter. Ils ont fait un travail de secours élémentaire et ont laissé les choses entre les mains du groupe suivant, mais la ville de Groningen était défendue et toute la seconde division dut entrer dans la bataille qui a duré cinq jours dans les rues de cette ville hollandaise où on ne pouvait se battre comme on se serait battu ailleurs. On ne pouvait utiliser d'artillerie contre le peuple hollandais. Il fallait se battre d'une façon qui était particulièrement difficile pour les soldats. Alors qu'ils faisaient cela, les nouvelles de Bergen-Belsen -- et c'était la première fois que l'on avait des photos d'un camp de concentration qui avait été transformé en camp de la mort -- arrivaient. Les Canadiens ont été détenus pendant un certain temps à Bergen-Belsen. Un photographe canadien est arrivé là-bas. Dans notre série No Price Too High, nous avons utilisé des séquences de la découverte canadienne de ce qui se passait à Bergen-Belsen. Dans mon livre No Price Too High, j'ai utilisé ces photos et certaines lettres en illustrations.
Alors que le Musée de la guerre va entrer dans le XXIe siècle, il devrait s'interroger sur les origines des guerres, le sens de la participation canadienne et le sens de l'Holocauste et de son interception. Il ne pourrait évidemment raconter toute l'histoire de l'Holocauste ni toute l'histoire du génocide pratiqué au XXe siècle mais il pourrait veiller à ce que les visiteurs comprennent que la Seconde Guerre mondiale portait sur des enjeux terriblement importants et que les jeunes Canadiens qui sont allés se battre pour libérer les populations en Europe -- notamment, par exemple, le nombre très important de Canadiens d'origine ukrainienne et juive qui se sont joints à l'armée canadienne -- ont participé à une lutte qui a une signification réelle et durable.
Quoi que nous décidions, il est temps que notre pays se décide de la façon dont il veut se souvenir de son passé et l'enseigner aux jeunes générations. S'il estime que ces questions sont graves et que la participation du Canada à l'histoire du monde moderne est importante, dire que le musée ne peut être agrandi parce qu'on ne peut pas trouver 2 millions de dollars est assez incroyable. Je dois dire que je suis abasourdi par ce que j'ai entendu ces trois ou quatre dernières années.
Je m'arrêterai là. Je pourrais continuer indéfiniment, mais ce ne serait pas bien.
Le président: Merci, monsieur Copp. Comme d'habitude, vos observations sont des plus intéressantes et vous êtes décidément très éloquent.
Le sénateur Jessiman: Merci, monsieur, vous nous avez présenté les choses sous un angle un peu différent des autres témoins.
On nous a dit en effet qu'il y avait actuellement certains éléments dans le musée actuel qui portent sur l'Holocauste. Êtes-vous d'accord?
M. Copp: Oui. Le Musée de la guerre a toujours essayé de présenter des expositions qui tentent de donner un sens à la guerre. Les tableaux de A. Bayefsky, au troisième étage, pour le moment, sont extraordinaires. Vous savez probablement que la revue que nous publions à l'Université Sir Wilfrid Laurier est publiée en association avec le Musée de la guerre. Dans notre dernier numéro, nous avons mis le tableau très poignant qui symbolise l'expérience de l'Holocauste de Bayefsky et qui l'a hanté pendant toute sa carrière. Nous avons aussi publié un article sur cette exposition que Laura Brandon, l'excellente conservatrice d'art du Musée de la guerre a rédigé. Elle rédige un article pour chaque numéro de notre revue. Notre association avec le Musée de la guerre est très positive en ce sens qu'elle essaie de présenter ces sujets très importants de façon savante.
Il y a aussi d'autres rappels de l'Holocauste au Musée de la guerre, mais, de façon générale, ce musée...
Le sénateur Jessiman: Vous dites «de façon générale», ce qui veut dire que le Camp de Westerbork n'est pas mentionné.
M. Copp: Je ne pense pas qu'il en soit question, en effet.
Le sénateur Jessiman: Avez-vous déjà été consulté par le Musée de la guerre ou le Musée des civilisations ces dernières années à propos du Musée de la guerre?
M. Copp: Non.
Le sénateur Jessiman: Est-ce que cette suggestion est nouvelle pour les responsables du Musée de la guerre ou du Musée des civilisations?
M. Copp: Je ne veux surtout pas dire que les responsables du Musée de la guerre ne comprennent pas que dans les circonstances voulues, ces problèmes devraient être traités. Toutefois, la suggestion concernant le camp de Westerbork n'a jamais été examinée sérieusement.
Le sénateur Jessiman: Je dois avouer que je ne connais pas tout car il y a des tas d'autres choses qui se sont produites durant cette guerre. Il y a eu Dieppe, Dunkerque, la Normandie, la Sicile, l'Italie et l'Extrême-Orient. Votre suggestion est bonne et représente peut-être un petit compromis. Je suppose et vous me direz si je me trompe, que cette suggestion coûterait beaucoup moins cher que ce que l'on avait envisagé auparavant.
M. Copp: En effet. Ce qui m'inquiétait beaucoup à propos de la galerie de l'Holocauste que l'on avait envisagée à l'origine au Musée de la guerre -- et je ne suis pas le premier à le dire -- c'est que si c'est bien, ce serait tellement poignant, tellement évocateur et tellement crucial que cela pourrait faire pâlir le reste du Musée de la guerre. Si c'est mal fait, nous serions terriblement malheureux des résultats d'une exposition partielle. Par contre, je n'accepte pas ce que disent certains, à savoir que la participation canadienne à la Seconde Guerre mondiale peut être détachée de l'histoire du XXe siècle.
Le sénateur Jessiman: Connaissez-vous le British Imperial War Museum et savez-vous où il se trouve?
M. Copp: Oui.
Le sénateur Jessiman: Est-ce à Hyde Park?
M. Copp: Non. C'est sur la rive sud de la Tamise.
Le sénateur Jessiman: J'ai une carte qui montre Kensington d'un côté.
M. Copp: L'arrêt de métro est Lambeth North et Elephant and Castle. Si vous venez de l'autre direction c'est au sud de la Tamise, en fait, dans l'ancien asile Bedlam.
Le sénateur Jessiman: C'est sur Kensington Road, Lambeth Road, Brook Drive, mais à droite d'un parc et je me demandais quel parc s'était. Cela semble être un parc beaucoup plus grand.
M. Copp: C'est considérablement plus grand. Si vous me permettez, à l'Imperial War Museum, avant que l'on fasse des investissements majeurs pour financer un programme massif de reconstruction et de rénovation, il n'y avait d'abord pas de galerie de l'Holocauste et, deuxièmement, c'était à bien des égards une version un peu plus importante que notre Musée de la guerre. Je crois que les Britanniques ont décidé que cela ne suffisait pas et ont alors investi de grosses sommes pour ces nouvelles salles. Par exemple, la collection d'art se trouve dans une superbe nouvelle galerie d'un côté de l'édifice comme les plus gros artefacts. La décision d'annexer une galerie de l'Holocauste à l'Imperial War Museum a été prise après de grands travaux d'agrandissement qui ont permis de régler la plupart des problèmes. Je ne veux pas revenir sur la décision britannique d'annexer une galerie de l'Holocauste à l'Imperial War Museum, mais le contexte était tout à fait différent.
Le sénateur Jessiman: Je crois que c'est énormément plus grand. Il y a un rez-de-chaussée inférieur, un rez-de-chaussée, un premier étage, un deuxième étage et ils dépenseront l'équivalent de 25 millions de dollars pour le Musée de l'Holocauste. Les militaires étaient tous d'accord parce que je suppose qu'ils étaient satisfaits de ce que l'on avait déjà consacré à leur section.
Notre problème est que les militaires, les anciens combattants, sont très insatisfaits de la façon dont nous présentons, pour l'avenir, ce qui s'est passé durant ces guerres. Si nous pouvions répondre à leurs attentes et nous trouver dans la situation dans laquelle se trouvent maintenant les Britanniques, je suppose que les militaires seraient favorables à ce projet. Peut-être pouvons-nous faire les deux mais il est certain qu'il faut agrandir le Musée de la guerre. C'est un investissement qui s'impose. On nous parle que de 12 millions de dollars. Cela ne sera probablement pas suffisant mais, au moins, c'est un début. Si nous pouvions trouver d'autres fonds, si le gouvernement arrive à un excédent budgétaire, comme on peut nous l'apprendre très bientôt, peut-être que l'on trouvera de quoi financer une galerie de l'Holocauste ou, sinon, un Musée du génocide ou autre chose. C'est également très important. Merci beaucoup.
Le sénateur Prud'homme: Je voudrais faire un commentaire mais je n'ai pas de questions à poser. Je crois qu'il est quelques fois bon de réfléchir. Je sais que vous avez déjà comparu devant ce comité. J'ai la sale habitude de lire pratiquement tout ce qui me tombe sous la main, y compris certains tristes communiqués de presse et je suis toujours prêt à entendre les arguments de part et d'autre. Je ne suis pas encore parvenu à me décider mais je serais tenté de croire que le Musée de la guerre devrait rester un musée de la guerre.
[Français]
Si vous diluez le tragique Holocauste, quelqu'un perd quelque part. Je ne veux pas qu'il y ait de perdants. En les mettant ensemble, il y a un perdant.
Que le Musée de la guerre ne parle pas de l'Holocauste serait invraisemblable. Il y a eu ces journées Anne Frank. Le Musée des civilisations, à l'occasion, monte de grandes expositions. Rien ne les empêche de dire qu'à tel mois, il y aura telle chose.
On peut parler du génocide arménien un autre tantôt et cetera, tout en ayant l'espoir que vous ayez ce monument dédié spécifiquement à l'Holocauste. L'un ne peut pas aller sans l'autre. On ne peut pas en faire abstraction. Il m'apparaîtrait invraisemblable que le Musée de la guerre ne parle pas de Hong Kong. Il faut faire le lien pour les jeunes si on parle de Hong Kong. Que faisions-nous à Hong-Kong? C'est relié à toute une série d'événements, c'est un autre chapeau. On parle toujours de l'Europe, mais des millions de gens ont souffert en Asie. Le Commonwealth et le Canada en ont fait partie. Si vous parlez de Hong Kong qui est négligé, vous ouvrez d'autres portes en mentionnant que Hong Kong est rattaché à ce que les Japonais faisaient, à certaines atrocités, et Dieu sait combien il y en a eu pour quelqu'un comme vous. Vous connaissez l'histoire mieux que moi sans doute. Je m'intéresse beaucoup à ces questions. On ne peut pas parler du Japon sans parler des armes atomiques. Je comprends la première, je ne l'accepte pas. J'ai toujours remarqué que ce n'est pas sur l'Europe qu'on a lancé une bombe atomique. C'était peut-être plus facile sur les Asiatiques. Cela me fait peur de le dire. Sans doute que je vais avoir des problèmes. Mais j'ai plus de difficulté à comprendre la deuxième bombe atomique. On ne peut pas faire abstraction de ces événements. Qu'est-ce qui devient le plus important à ce moment?
Il m'apparaîtrait invraisemblable que les communautés juives canadiennes si bien organisées -- elles peuvent le faire avec beaucoup d'intelligence, de doigté et de savoir-faire -- n'aient pas un auditorium où on parlerait de l'Holocauste. Elles seraient enchantées de relier tout cela.
Une des bonnes présentations qui a étonné tout le monde hier a été celle des jeunes filles qui sont venues au nom de Operation Legacy. Ce sont les seules qui ont présenté un vrai vidéo. Cela a frappé tout le monde, même les gens dans l'auditoire. La communauté est capable de faire des vidéos à vous arracher le coeur. Quand on veut faire comprendre l'horreur de l'Holocauste, je le dis pour mes amis du B'nai Brith qui sont encore présents, il faut aller chercher le coeur. Il faut toucher le coeur.
[Traduction]
Lorsque les gens auront appris ce qui s'est produit, ils reconnaîtront que c'était une monstruosité et que cela ne devrait jamais se reproduire. Il ne faut pas essayer d'intimider ceux qui ne sont pas d'accord mais d'informer ceux qui ne sont pas au courant. Je ne dis pas que je ne suis pas d'accord ni que je suis d'accord avec vous. Nous voulons tous la même chose mais nous pouvons avoir des avis divergents sur la façon d'y parvenir.
Je suis heureux que l'honorable M. Danson, qui est un ami, ait été nommé. Ils vont enfin avoir à ce poste quelqu'un qui connaît les questions militaires. C'est la raison pour laquelle il a été nommé. J'ai livré des messages pour lui au Moyen-Orient. Je le dis publiquement et je suis sûr qu'il ne le niera pas. Je faisais ce travail anonymement.
Quel est le meilleur scénario en fin de compte?
M. Copp: Je serais très bref. Ce que vous avez dit est très intéressant et nous sommes bien d'accord.
Je ne pense pas que le Musée de la guerre doive choisir entre expliquer aux gens ce que fut Hong Kong, par exemple, ou ce que fut l'Holocauste. Ma position est très simple: j'estime qu'il devrait y avoir un musée distinct de l'Holocauste mais je ne pense pas que l'existence d'un musée distinct nous dispense d'expliquer aux gens la signification de la Grande Guerre et de la Seconde Guerre mondiale, et l'Holocauste doit évidemment entrer dans ses explications. Aussi, je suggère simplement une façon de le faire comme je le ferais en essayant d'expliquer ce qui s'est passé à Hong Kong en 1941. Il faut essayer de se mettre à la place des décisionnaires et de comprendre le dilemme qui s'est présenté à eux lorsqu'ils ont décidé d'envoyer des troupes canadiennes à Hong Kong.
Le sénateur Prud'homme: Il faut aussi expliquer le sens de «maintien de la paix».
M. Copp: Absolument
Le sénateur Prud'homme: Nous nous en vantons mais nous ne l'expliquons pas bien.
M. Copp: Nous sommes bien d'accord.
Le sénateur Cools: Monsieur Copp, vous avez dit quelque chose de profond. Vous avez parlé du fait qu'il était nécessaire pour un pays, en tant que pays, de prendre des décisions quant à ce qui lui tient à coeur dans son histoire et de dire s'il veut ou non raconter cette histoire et quel genre et quelle quantité, non pas qualité, de ressources il veut utiliser pour raconter les choses. Vous avez parlé de la somme extraordinaire de 2 millions qui, nous le comprenons bien, n'est pas une grosse somme.
Je comprends bien ce que vous dites lorsque vous estimez que ces deux histoires, l'histoire des guerres et l'histoire de l'Holocauste, sont tellement importantes qu'un seul musée ne peut pas suffire à la tâche et que le Musée de la guerre devrait inclure certains aspects de l'Holocauste mais que l'Holocauste mérite son propre musée. C'est bien cela?
M. Copp: Oui.
Le sénateur Cools: Je veux que ce soit clair parce que je vais répéter ce que vous avez dit.
Le sénateur Forest: J'apprécie aussi ce que vous avez dit quant à la relation entre l'Holocauste et la guerre. Si nous voulons que tous nos musées soient des outils éducatifs qui puissent nous aider à éviter de telles confrontations, je suis fermement d'avis, comme vous, qu'il faut présenter et expliquer l'Holocauste de façon sérieuse au Musée de la guerre. C'est très important.
Pour ce qui est de l'éducation, j'estime que nos musées doivent être orientés vers les jeunes d'aujourd'hui et être suffisamment intéressants et pertinents pour que les messages passent parce qu'il ne sert à rien de nous renseigner sur les guerres si nous n'apprenons pas à les éviter.
Je suis un ancien élève de l'Université de Waterloo et je comprends le travail que l'on y fait.
M. Copp: Je crois qu'il est tout aussi important que nous racontions l'expérience qu'ont vécu nos anciens combattants. Si l'exemple que j'ai donné de Westerbork fait partie de notre histoire, la bataille de l'Escaut, qui est l'une des grandes réalisations auxquelles ont contribué les forces canadiennes dans la Seconde Guerre mondiale, en fait partie aussi. Il faudrait que l'on puisse expliquer aux gens ce qui s'est passé en octobre 1944 et la relation qu'il y a avec la crise de la conscription.
Il faut que les jeunes comprennent et s'intéressent à notre histoire, pas simplement superficiellement. C'est une histoire dont nous pouvons nous servir, qui nous permet d'expliquer que nous n'étions pas parfaits mais que nous sommes une société qui a beaucoup essayé d'améliorer les choses. C'est faisable.
Le sénateur Forest: Nous avons eu un tel exemple hier, monsieur, lorsque des jeunes qui ont participé à Vainqueurs, nous ont dit comment ils avaient appris l'histoire de la guerre auprès des anciens combattants qui les aidaient. Ce message fut très éloquent. C'est le genre de message vivant que nous devons faire passer dans les deux musées.
Le président: Monsieur Copp, je vous souhaite toute la réussite possible dans votre ouvrage sur les causes de la Première Guerre mondiale et en particulier de la Seconde Guerre mondiale. Il vous faudra la sagesse de Salomon pour trouver les causes que les divers groupes de Canadiens acceptent et je vous souhaite bonne chance dans cette entreprise.
Je tiens à vous signaler que dans les plans du musée, l'agrandissement que vous voyez dans la maquette, il n'y a pas d'espace supplémentaire pour la Première et la Seconde Guerre mondiale. Si votre idée de faire le lien entre Westerbork et la campagne et de réserver donc un peu d'espace à l'Holocauste, m'intéresse, je me demande comment nous pourrons faire cela sans supprimer quelque chose dans l'exposition actuelle.
M. Copp: La nouvelle proposition, pour ce qui est de la superficie des salles d'exposition est à mon avis insuffisante mais, si c'est tout ce que nous avons, faisons mieux. On m'a montré que l'espace que l'on proposait dans les plans initiaux pour l'Holocauste et je crois que je pourrais faire deux suggestions. Là encore, je ne veux pas du tout dire que ce soit original ou que M. Glenney et son personnel n'y aient pas pensé.
Il y a une chose qui manque certainement au musée, c'est du matériel audiovisuel qui puisse présenter de façon convaincante certaines des questions dont on veut discuter. Si l'on considère l'espace disponible, on peut envisager ma solution. Si on estime qu'il est important pour l'histoire de faire le lien entre Westerbork et Auschwitz et l'armée canadienne et que l'on donne plus de place aussi au sens de l'invasion en Normandie, au sens de Dieppe ou encore de Hong Kong, cela est possible. Autrement dit, c'est possible mais cela ne le sera pas si l'on n'est pas prêt à reconnaître que ce genre de chose coûtera quelque chose en plus des investissements immobiliers. Il faut savoir si les Canadiens attachent une véritable importance à ces souvenirs.
Rappelez-vous que le Musée de la guerre a actuellement du matériel excellent au troisième étage sur le maintien de la paix et sur des tas d'autres questions. Si les Canadiens veulent se voir et veulent voir le rôle qu'ils ont joué dans le monde du XXe siècle, le Musée de la guerre est un très bon point de départ.
Je sais que tout le monde parle d'argent, mais si l'on n'augmente pas le budget de fonctionnement en fonction de l'augmentation des budgets d'immobilisation, le Musée de la guerre fera de son mieux, mais ne pourra pas réaliser tout ce qu'on pourrait raisonnablement faire.
Si l'on considère l'espace réservé dans le nouveau programme, on devrait être en mesure de beaucoup mieux communiquer certains des grands enjeux de la Seconde Guerre mondiale.
Le président: Je suis d'accord avec vous au sujet du matériel audiovisuel. En fait, j'ai fait cette suggestion à l'un de nos témoins. Je leur ai également recommandé de ne pas apporter les McKenna.
Avant le début des audiences, j'ai reçu beaucoup de demandes d'interviews de la presse. Je vous pose cette question parce que je pense qu'elle nous sera un jour posée par la presse: les anciens combattants ont-ils le droit de penser qu'ils peuvent contrôler le Musée de la guerre et de dicter la façon dont ils veulent qu'on se souvienne d'eux?
Lorsque l'on m'a posé cette question, j'ai répondu qu'ils ont mis leur vie en jeu alors que d'autres ne l'ont pas fait. Cela n'a pas du tout satisfait l'intervieweur. Il n'était pas d'accord avec moi sur le fait que les anciens combattants avaient le droit de dire ce qu'ils pensaient de la façon dont on se souviendrait d'eux. J'aimerais que vous me donniez votre avis à ce sujet.
Il m'a dit qu'il serait très intéressé de savoir ce que les historiens avaient à dire.
M. Copp: Dans le cas du Musée de la guerre, il est vrai que son mandat inclut qu'il doit être un mémorial aux sacrifices et aux réalisations. En ce sens, cela donne aux anciens combattants un rôle particulier dans le Musée de la guerre. Je ne crois pas que les anciens combattants essaient de dicter quoi que ce soi, mais plutôt de conseiller, de réagir et d'informer. Ils m'ont dit qu'ils n'aimaient pas avoir l'impression d'être écartés du cercle de consultation et de ne pas faire partie de tout le processus.
Je conviens que les anciens combattants devraient être intimement impliqués dans les discussions sur la façon dont on présente les diverses guerres. Je ne leur donnerais toutefois pas le droit de dicter ce qu'il faut faire. Les avis et les arguments des anciens combattants ne peuvent qu'être très importants dans toute discussion entre personnes sensées.
Personne ne peut être propriétaire du passé. J'en conviens. Une génération réinterprète en fait toujours le passé. Nous essayons de veiller à ce que, en réinterprétant le passé, nous respections ceux qui ont vécu ce passé et ont participé à ses actions. Nous ne devrions pas refaire l'histoire à partir de suppositions plus ou moins gratuites lorsqu'il s'agit de choses aussi sérieuses que la Seconde Guerre mondiale.
Le président: Vous avez parlé de «réinterpréter». Je ne vois pas de grosse différence entre ce mot et «révision». Ayant connu une expérience de révision, je préférerais ne pas répéter l'expérience. Je vous pose donc la question à titre d'historien. Où les historiens trouvent-ils de droit de réinterpréter le passé, notamment la Première et la Seconde Guerres mondiales?
M. Copp: Je ne suis pas sûr que nous ayions suffisamment de temps pour approfondir la question, mais j'essaierai de répondre brièvement. Lorsque nous parlons de notions de liberté d'expression et de liberté d'opinion et de la liberté de poser des questions différentes et de fournir des interprétations différentes, il faut faire une distinction très claire entre le fait que nous n'avons pas le droit de réinventer le passé, ce qui est arrivé, mais que nous avons le droit de poser des questions différentes sur le passé et de fournir des réponses différentes parce que nous partons d'un point de départ différent.
La plupart des historiens sont d'accord sur les événements qui constituent l'Holocauste, et nous les connaissons. En revanche, le déroulement exact de l'Holocauste et l'évolution des politiques menées en Europe et dont il est l'aboutissement ont donné lieu à un débat historique complexe. Les historiens y participent, mais l'existence même de l'Holocauste n'est pas remise en question par les historiens sérieux. Cela n'intéresse que des marginaux et des plaisantins.
Il en va de même pour tous les sujets dont nous pourrions discuter; par exemple, Montgomery avait-il raison d'un point de vue stratégique lorsqu'il a proposé de tout miser sur une percée éclair en direction de Berlin pour mettre un terme à la guerre en 1944? C'est vrai qu'il a fait cette proposition et c'est vrai également qu'Eisenhower l'a rejetée. Les historiens essaient de déterminer qui avait raison, de voir comment les différents points de vue ont été exprimés et de déterminer pourquoi les points de vue britanniques et américains ont présenté des divergences si marquées en matière de stratégie.
La réinterprétation consiste à poser de nouvelles questions concernant le passé, de préférence en respectant les règles de l'art qui, pour l'historien, consistent à comprendre le passé pour ce qu'il a été, sans essayer d'y imposer une perspective actuelle superficielle pour servir un objectif politique actuel.
Le président: Oui. Je reconnais avec vous que le débat sur la pertinence du plan de Montgomery est tout à fait justifié. J'exprime mon point de vue sur le révisionnisme, mais je ne vous accuse pas d'y souscrire. Dès qu'on parle de révisionnisme, on s'expose à la manipulation. Et la manipulation est l'outil de prédilection des dictateurs pour parvenir au pouvoir. Je crains qu'on s'en serve de nouveau. C'est pourquoi je critique toujours le révisionnisme en histoire. Pour moi, l'histoire doit être un compte rendu exact des événements qui ne doit pas être sujet aux changements.
Le sénateur Prud'homme: Je voudrais parler de l'article intitulé: «Holocaust museum planned for Ottawa» de Susan Riley, la critique artistique du Citizen, paru dans l'édition du 1er février 1997. On lit dans cet article que d'après M. Gaffen, nous devons examiner le rôle de Mackenzie King et de l'antisémitisme, en particulier au Québec. Je comprends maintenant que certains s'interrogent sur la véritable finalité de ce musée. Je ne conteste pas le fait que l'on consacre un endroit à l'explication de l'histoire. Il y a suffisamment d'information et de souvenirs dans ce pays pour le faire exploser. C'est sans doute à cela que pensait Trudeau lorsqu'il parlait de monter les communautés les unes contre les autres. Je ne me suis jamais remis du choc que j'ai éprouvé en voyant Jean-Louis Roux jeté en pâture aux fauves. Ce qu'il a fait à la télévision était très théâtral. Voilà un homme qui jouissait du respect du Québec mais il s'est rendu ridicule en voulant aller trop loin. Tous ceux qui ont côtoyé Jean-Louis Roux savent que c'était un homme très raffiné et c'est très grave de laisser entendre qu'il ait pu avoir des motivations aussi condamnables lorsqu'il était jeune. Il ne s'en est jamais remis. Il était naïf.
M. Copp: C'est précisément ce que je dis dans mon mémoire: si nous voulons étudier les thèmes du racisme au Canada et des politiques canadiennes de l'immigration, étudions-les. Mais on aurait tort d'assimiler ces thèmes à celui de l'Holocauste. Je tiens à l'affirmer avec la plus grande fermeté.
Le sénateur Prud'homme: Vous êtes pour moi un conseiller indispensable, car vous résumez mes longues périphrases en très peu de mots.
[Français]
En français, on dit: Franchement, c'est assez! Je ne vais pas me fâchuer, mais j'en ai jusque-là de voir continuellement mon peuple canadien-français être accusé de tous les péchés d'Israël. Je suis Canadien français, fier du Québec. J'en ai marre de ces accusations continuelles et insidieuses et de cette intimidation. J'en ai marre, c'est clair! Je vais sourire pour montrer que je ne suis pas fâché.
[Traduction]
Assez, c'est assez, à moins qu'on veuille, pour reprendre l'expression très connue de M. Trudeau, monter les collectivités les unes contre les autres plutôt que de leur apprendre à tenir en horreur le racisme, l'antisémitisme et l'Islamophobie, la dernière-née des tendances de cet acabit. Je prends position contre le racisme depuis toujours, mais certains ne m'ont pas compris. Je me suis tu pendant trente ans parce que je ne voulais pas que les Zundel de ce monde se servent de moi; mais maintenant, je veux construire un grand pays avec votre aide, sans semer la discorde.
[Français]
On dit en français de ne pas s'autodétruire les uns les autres. Quelle est la signification de l'Holocauste? De quelles horreurs parlons-nous? Chaque fois que la télévision nous montre les horreurs du Rwanda ou d'ailleurs, on voit le peuple se soulever et les troupes des Nations Unies se porter à son secours. Personne ne va me faire croire que la population serait restée impassible s'il n'y avait eu la télévision pour nous montrer dès 1938, 1939, 1940, 1941, les fours de Dachau. Je ne le crois pas; elle aurait réagi.
[Traduction]
Le président: Vous avez repris l'expression de Trudeau, qui ne voulait pas que l'on monte les gens les uns contre les autres. Je croyais que M. Trudeau s'amusait à monter les conservateurs contre les libéraux.
Le sénateur Prud'homme: Oui, et je ne savais plus à quoi m'en tenir, c'est pourquoi j'ai fini par siéger en tant qu'indépendant.
Le président: Au nom du comité, je voudrais remercier M. Copp.
Notre témoin suivant est M. Roy, un autre historien bien connu.
Nous avons déjà eu l'occasion de vous accueillir devant ce comité à au moins une autre occasion dont je me souviens. Nous sommes heureux de vous recevoir de nouveau.
M. R.H. Roy: Honorables sénateurs, j'ai déjà été invité à comparaître devant le comité du Sénat il y a quelques années. Vous vous souvenez qu'à cette époque, le film intitulé La Bravoure et le Mépris avait soulevé d'énormes protestations de la part de milliers d'anciens combattants canadiens qui dénonçaient ce qu'ils considéraient comme une présentation déformée et pleine de préjugés de ce qui s'était produit sur les champs de bataille et dans les airs pendant la Seconde Guerre mondiale.
Je venais de passer quatre ans à faire des recherches et à rédiger un livre intitulé The Canadians in Normandy, et lorsqu'on a passé la partie du film consacré à la Campagne de Normandie, j'ai pu en critiquer le fond et la forme. En un mot, j'ai pu citer des documents, des journaux de guerre, des comptes rendus militaires, et cetera, pour confirmer que la version des événements présentée par les auteurs du film laissait beaucoup à désirer.
Je me trouve aujourd'hui dans une situation tout à fait différente. Je suis ici pour exprimer une opinion, non seulement la mienne, mais également celle que partagent de nombreux amis. C'est il y a environ deux semaines que j'ai été invité à comparaître devant vous. J'ai reçu l'invitation la veille de mon départ pour une conférence de fin de semaine à Winnipeg. Cette conférence avait lieu dans une base aérienne, et j'ai profité de l'occasion pour sonder un certain nombre de personnes sur la proposition de galerie de l'Holocauste au Musée de la guerre. La plupart de ces personnes étaient des militaires. Quelques-uns d'entre eux étaient comme moi des anciens combattants de la Seconde Guerre mondiale. Lorsque je suis rentré à Victoria, j'ai commencé à interroger des amis -- cette fois, principalement des anciens combattants. Le plus âgé d'entre eux était un ancien chef d'état-major général, le lieutenant général Clark.
J'ai consulté d'autres militaires, dont certains hauts gradés, et la plupart d'entre eux étaient de jeunes officiers des trois armées pendant la guerre et ils sont retournés à la vie civile à la fin de la guerre. Ce n'était pas des officiers de carrière, et on ne peut pas leur prêter cette tournure d'esprit spécifiquement militaire qui ne voudrait voir au Musée de la guerre que des mousquets et des baïonnettes.
Lorsque je les ai interrogés sur cette question, je l'ai fait sans révéler ma propre opinion. Je ne l'ai révélée que plus tard. Je dois dire que j'ai été surpris de constater qu'ils se sont prononcés unanimement contre cette formule. Ils évoquaient différents motifs, mais ils considéraient, de façon générale, qu'une galerie de l'Holocauste n'avait pas sa place dans le musée agrandi.
Le lendemain de mon retour de Winnipeg, j'ai téléphoné à des amis universitaires. Ils ont récemment pris leur retraite, le premier du Royal Roads Military College et l'autre du RMC de Queens. Tous les deux ont servi dans les bombardiers et ont droit au qualificatif d'historien militaire au même titre que moi. Comme les autres à qui je me suis adressé, ils jugent inopportun d'installer une galerie de l'Holocauste dans le Musée de la guerre. Mais au-delà de leur opinion, ils se sont intéressés à l'histoire des relations entre l'Holocauste et l'effort de guerre du Canada. Leurs arguments rejoignent les miens. Et je voudrais maintenant vous en faire part.
On reconnaît généralement que l'Holocauste a commencé en 1933, avec les premières mesures prises contre les Juifs allemands dans les premières semaines qui ont suivi l'accession d'Hitler au pouvoir. Au fil des mois, à mesure que les nazis étendaient leur pouvoir, les juifs ont été persécutés de façon plus systématique. Les entreprises appartenant à des juifs étaient boycottées, les fonctionnaires juifs se sont vus refuser toute promotion, les juifs se sont vus interdire l'accès au barreau et ils ont été traités comme des parias sur tout le territoire allemand.
À la même époque furent construits les premiers camps de concentration et Hitler créa des forces spéciales comme la Gestapo et les SS pour resserrer son emprise sur la population allemande. Ces forces allaient permettre au dictateur d'appliquer l'idéologie nazie, en particulier les notions de supériorité et de pureté de la race allemande.
Les juifs, quant à eux, étaient considérés comme une race inférieure, et les propagandistes nazis les accusaient de tous les maux: ils étaient responsables de la défaite de l'Allemagne en 1918 et c'était eux qui, peu après, avaient provoqué la dépression dont l'Allemagne avait souffert.
Au milieu des années 30, de nouvelles lois allaient aggraver le sort des juifs. Ils furent priver de leur citoyenneté et définis en tant que juifs par le sang de leurs grands-parents. Ils ne pouvaient plus fréquenter les écoles publiques ni les théâtres, et ne pouvaient habiter certains quartiers. Par la suite, ils furent l'objet de mesures punitives plus lourdes. Leurs biens furent saisis et ils furent contraints de vendre leurs maisons et leurs entreprises à vil prix.
À la fin de 1938, les nazis eurent recours à la violence en Allemagne et en Autriche pour détruire des synagogues ainsi que des maisons et des magasins juifs. Des juifs furent tués, d'autres emprisonnés, au même titre que les homosexuels, les tziganes, les Témoins de Jéhovah et tous ceux que les nazis considéraient comme une menace pour l'État ou pour la pureté de la race allemande.
En novembre 1938, lors de la tristement célèbre krystal nacht, les nazis déclenchèrent des émeutes anti-juives: près de 200 synagogues furent détruites, 7 500 commerces furent pillés et 3 500 juifs furent arrêtés et envoyés dans les camps de concentration. Et ce n'était que le début.
Qu'est-ce que tout cela a à voir avec le Canada? Au moment où Hitler est arrivé au pouvoir, il y avait environ 160 000 juifs au Canada. Par ailleurs, il est juste de dire que notre pays comportait aussi à l'époque certains éléments résolument antisémites. Depuis des années, les autorités canadiennes de l'immigration recherchaient de préférence des gens venus de Grande-Bretagne ou de l'Europe du Nord. Bien que cette préférence se soit atténuée entre les deux guerres mondiales, Ottawa fit la sourde oreille aux demandes de milliers de Juifs allemands qui voulaient venir au Canada pour échapper à l'oppression croissante des nazis.
Un livre intitulé None is Too Many donne une bonne description de la situation dans les années 30. À cause de ses effectifs modestes, la communauté juive n'avait guère d'influence sur l'opinion publique canadienne à propos de l'évolution de la situation en Allemagne, qui avait des répercussions très graves sur le sort de la population juive. Ce n'est que bien après le déclenchement de la guerre, et en particulier après la fin des hostilités, que des auteurs juifs ont commencé à parler de l'Holocauste, des camps de concentration, et cetera.
Ceci est facilement compréhensible. Il y a eu après la guerre une vague d'immigrants juifs parmi lesquels figuraient des survivants ou des enfants de survivants des camps de concentration. Par ailleurs, les Canadiens purent voir pour la première fois des films montrant des atrocités dont les camps avaient été le théâtre; on y voyait des béliers mécaniques poussant des centaines de cadavres dans des fosses, des images des chambres à gaz et les survivants affamés libérés par les troupes alliées. Ces scènes effroyables causèrent une commotion non seulement auprès du public canadien, mais également auprès des militaires canadiens.
Cette révélation des faits après la guerre n'est pas sans rappeler la révélation de ce qui se passait dans les goulags russes après la publication des archives soviétiques. À partir de 1945, le Canada a assoupli ses politiques d'immigration et a commencé à revendiquer son caractère multiculturel.
Pourtant, au cours des années 30, le multiculturalisme n'aurait jamais été accepté par les électeurs canadiens. Personne, à Ottawa, n'était aussi attentif à l'opinion publique que le premier ministre Mackenzie King. Il avait été réélu premier ministre en octobre 1935, soit environ deux ans après qu'Hitler eut imposé le parti nazi comme le seul parti politique légal en Allemagne. Pendant cette décennie, le Canada avait été durement frappé par la crise mondiale. En plus des calamités financières qui frappaient le pays, King devait faire face à une situation internationale qui se dégradait d'année en année au cours de cette décennie. Les Japonais pénétraient en Chine, Mussolini envahissait l'Éthiopie, les troupes allemandes envahissaient le territoire des anciens tsars, la guerre civile se déclenchait en Espagne, l'Autriche était envahie et annexée par l'Allemagne. Hitler avait entrepris de réarmer rapidement l'Allemagne et à mesure que le temps passait, le risque d'une guerre devenait de plus en plus évident.
En tant que premier ministre, King avait bien des soucis. Les misères des Juifs d'Allemagne n'étaient pas prioritaires dans son esprit. On peut dire qu'il en allait de même pour le Canadien moyen, qui se préoccupait avant tout d'obtenir ou de conserver un emploi dans cette période de chômage élevé. Les Canadiens s'estimaient heureux de vivre à côté d'un pays ami et d'être séparés par les océans des continents où retentissaient les tambours de guerre.
L'attitude de King vis-à-vis d'Hitler était semblable à celle de Neville Chamberlain, qui devint premier ministre en Grande-Bretagne en 1937. Tous les deux voulaient éviter la guerre et pensaient qu'on pouvait apaiser Hitler.
En 1937, King a traversé l'Atlantique pour assister au couronnement de George VI. Il décida de visiter l'Allemagne et organisa une rencontre avec Adolf Hitler. Il fut reçu poliment. King écrit dans son journal qu'il fut impressionné par Hitler et qu'il a vu en lui un homme d'une grande sincérité et un grand patriote authentique. Repensant à cette rencontre un an plus tard, King écrit: «Je suis sûr que c'est un homme d'idéal qui figurera un jour avec Jeanne d'Arc parmi tous ceux qui ont délivré leur peuple; et s'il se montre assez prudent, il pourrait même délivrer toute l'Europe.» King ajouta qu'il y avait bien des choses qu'il ne supportait pas dans le nazisme, «l'embrigadement systématique, la cruauté et la persécution des Juifs».
Comme Chamberlain, King se trompait lourdement en s'imaginant qu'il parviendrait à atténuer les exigences d'Hitler en le mettant en garde contre la cohésion de l'Empire britannique, prêt à s'unir dans la lutte pour préserver ses libertés. Comme le dit le colonel Stacey, Hitler aurait pu alors se dire: «Combien de divisions a ce Mackenzie King?»
En 1901, le président Roosevelt a dit qu'il avait pour principe de parler doucement et d'avoir toujours un gros bâton à la main. En 1937, Mackenzie King a parlé doucement à Hitler, mais il n'avait pas de gros bâton à la main. En fait, c'est tout juste s'il avait un fétu de paille.
Au cours de cette même année, le Canada consacrait 1,41 $ par habitant à sa défense, alors que l'Australie y consacrait 4,44 $, et la Grande-Bretagne 14 $. Ainsi, lorsque le Canada déclara la guerre en 1939, il était dans un état d'impréparation presque coupable.
Je me souviens que lorsque je me suis engagé en septembre 1939, j'ai touché un kilt, un sporran, des guêtres blanches, des chaussettes rouges et blanches ainsi qu'une tunique, des sangles, un fusil et une baïonnette datant de la Première Guerre mondiale -- soit dit en passant.
Ce que je veux dire, c'est que ceux d'entre nous qui se sont engagés en 1939, en 1940 et plus tard l'ont fait pour diverses raisons qui n'avaient rien à voir avec le désir d'empêcher l'Holocauste.
Un historien militaire britannique a écrit un jour que la Première Guerre mondiale avait des causes mais pas d'objectifs. Je pense qu'on peut en dire autant du Canada. Nous avions des raisons pour entrer dans l'armée, mais pas d'objectifs particuliers, sinon le désir de gagner.
À mon avis, la plupart de ceux qui se sont engagés l'on fait pour préserver leurs idéaux démocratiques. Ils s'opposaient farouchement à toute forme de dictature et tous pensaient que si la Grande-Bretagne s'effondrait, le Canada se retrouverait en danger de mort.
En un mot, je ne pense pas que l'Holocauste ait constitué un facteur à considérer dans la politique militaire du Canada, que ce soit avant ou pendant la guerre. J'ai consulté les quatre volumes de l'histoire officielle de l'armée canadienne rédigés par le colonel Stacey, et je n'y ai trouvé aucune référence à l'Holocauste. J'ai regardé l'histoire officielle de l'aviation royale du Canada ainsi que certaines des biographies de nos généraux, et je n'y ai trouvé aucune référence à l'Holocauste. J'ai regardé la Canadian Encyclopedia qui n'y fait pas référence non plus, mais qui présente un article sur l'immigration qui condamne le Canada pour son refus d'accueillir les réfugiés Juifs allemands dans les années 30.
Contrairement à l'armée britannique qui a combattu en Méditerranée, le Canada n'a pas constitué d'unité entièrement composée de soldats juifs pour combattre les Allemands et les Italiens. De jeunes Juifs canadiens se sont engagés dans les trois armes et ont été intégrés parmi tous les autres militaires canadiens. Ils avaient sans doute été incités à s'engager par ce qu'ils avaient pu apprendre des atrocités perpétrées en Allemagne. Les immigrants récents qui avaient vu leur patrie envahie par les Allemands et qui voulaient la libérer étaient sans doute dans la même situation.
Des Canadiens et des Canadiennes se sont engagés pour assurer leur liberté et pour protéger leur pays. Le fait que la plupart d'entre eux se soient battus en Europe était un avantage, car le Canada se trouvait épargné des destructions qu'entraîne la guerre. En participant contre la lutte contre Hitler et son régime abominable, les Canadiens ont contribué à la libération de tous ceux qui avaient souffert sous sa dictature meurtrière. Si le Canada a eu une cause, c'est bien celle-là. Et tant mieux si nous avons contribué à mettre un terme à l'Holocauste en luttant pour cette cause.
Dieu sait que les juifs et les autres, qui sont morts par millions, ont souffert au-delà de tout entendement. Mais à mon avis, d'un point de vue strictement militaire, les soldats auraient combattu avec la même détermination pour détruire l'Allemagne nazie d'Hitler s'il n'y avait pas eu d'Holocauste, et c'est notamment pour cela que j'estime qu'il n'est pas particulièrement opportun d'y consacrer une galerie dans notre Musée de la guerre.
On aurait tort de croire que les gens à qui j'ai fait référence et moi-même sommes opposés à l'idée d'une exposition sur l'Holocauste. Des milliers de Juifs canadiens ont combattu dans les forces armées; leur proportion par rapport à la population était comparable à celle des non-Juifs. La proportion de pertes qu'ils ont subies était également comparable. Il n'y avait pas de tire-au-flanc parmi eux. On imagine aisément que la haine envers les Allemands était plus profonde chez eux que chez les autres.
Dans ce contexte, peut-on dire que leur contribution mérite une attention spéciale? Qu'y a-t-il de particulier dans leur cas? Et que penser des fils d'immigrants britanniques au Canada qui se sont engagés quand ils ont vu des films montrant Londres pilonné par la Luftwaffe, et qui voulaient venger les milliers de Britanniques tués par les attaques aériennes? Faudrait-il consacrer une galerie particulière aux victimes de la bataille d'Angleterre? La guerre moderne est une guerre totale, qui monte les nations les unes contre les autres. On pourrait parler des origines et des conséquences de la guerre pendant des années. S'il fallait en montrer tous les aspects dans un musée, où faudrait-il s'arrêter?
À mon avis, une galerie ou une exposition sur l'Holocauste serait plus à sa place au Musée canadien des civilisations, à moins qu'on en fasse un site autonome. On pourrait aussi remplacer la galerie par un mémorial de l'Holocauste, semblable à celui de la Place de la Confédération à Ottawa. Quoi qu'il en soit, je ne peux apporter mon appui au projet actuel d'exposition à l'intérieur du Musée de la guerre. Merci.
Le sénateur Jessiman: Monsieur Roy, votre exposé était très intéressant. Je vous remercie. Est-ce que vous connaissez le Musée canadien des civilisations? Savez-vous que le Musée canadien de la guerre n'est pas autonome et qu'il relève du Musée canadien des civilisations? Connaissez-vous bien ces deux organismes?
M. Roy: J'ai vu le Musée des civilisations, mais de ce côté-ci de la rivière.
Le sénateur Jessiman: En 1991, un groupe de travail s'est demandé ce qu'il fallait faire du Musée canadien de la guerre. Ce groupe, formé de 11 Canadiens de premier plan a consacré sept mois à cette étude, et je voudrais vous lire une partie d'une de ses recommandations. Voici ce qu'on peut lire à la page 36 du rapport du groupe de travail.
Presque unanimement, nos interlocuteurs ont affirmé que la subordination du Musée canadien de la guerre au Musée canadien des civilisations était à la source du mal.
On trouve ensuite ceci:
... puisque le MCC a pour mandat de préserver et d'illustrer le panorama de la civilisation canadienne, ainsi que les objets provenant d'autres civilisations, nous croyons qu'il sera très difficile, voire impossible, de bien situer notre patrimoine militaire, de le mettre en valeur et de l'interpréter efficacement.
La dernière recommandation du groupe de travail invitait le ministre des Communications à présenter en 1991 un projet de loi portant création du Musée canadien de la guerre en tant que musée distinct relevant de son portefeuille.
Êtes-vous d'accord avec lui?
M. Roy: Oui.
Le sénateur Jessiman: Je suis les travaux de ce comité depuis près de cinq ans. Le sort des anciens combattants est confié au ministère des Affaires des anciens combattants, qui s'en occupe très bien. Les autres organismes d'anciens combattants souhaitent que ce musée soit confié au ministère des Affaires des anciens combattants. Je le souhaite également. Et vous, qu'en pensez-vous?
M. Roy: L'idée me semble bonne, mais je m'interroge sur ses conséquences financières à long terme. On peut prévoir un rétrécissement des ressources du ministère des Affaires des anciens combattants, alors que le Musée des civilisations devrait pouvoir conserver, voire même augmenter légèrement ses ressources. Le Musée de la guerre pourrait être placé sous la direction des Affaires des anciens combattants, mais je pense que financièrement, il serait préférable de préserver son lien avec le Musée canadien des civilisations, si c'est possible. Je n'en ai aucune idée.
Le sénateur Chalifoux: Je tiens à vous remercier pour nous avoir donné l'une des descriptions les plus précises de la guerre que j'ai pu entendre depuis longtemps. Avez-vous bien dit que vous êtes résolument favorable à un Musée canadien de la guerre autonome?
M. Roy: Oui, tout à fait.
Le sénateur Forest: Monsieur Roy, j'ai beaucoup apprécié votre historique de la guerre. Les associations d'anciens combattants affirment que le Musée canadien de la guerre doit rester le Musée canadien de la guerre, qu'il doit être autonome par rapport au Musée des civilisations. D'autres ont dit qu'il fallait préserver au Musée de la guerre une exposition indiquant le rôle joué par les Canadiens en tant que libérateurs des prisonniers voués à l'Holocauste, et cetera, pour que les visiteurs du Musée aient une idée de la signification de la guerre et peut-être de l'une de ses causes. On pourrait faire de l'Holocauste une petite composante du Musée de la guerre, et créer un musée indépendant de l'Holocauste ou du génocide pour raconter l'histoire de l'Holocauste et, éventuellement, des autres cas de génocide survenus sur la terre.
Êtes-vous favorable à une telle solution?
M. Roy: Oui. J'ai suivi à la télévision une partie des délibérations des derniers jours. Le témoin qui représentait le Musée de la guerre a parlé de la nécessité d'informer les enfants qui visitent le Musée, et même les adultes. Si l'on crée une galerie de l'Holocauste pour montrer ce qui s'est passé -- et il y a de quoi donner la nausée à n'importe qui -- peut-être faudrait-il mettre à la fin une pancarte indiquant: «Veillez à ce qu'il ne vous arrive pas la même chose». Autrement dit, pour l'amour du ciel, soyez sur vos gardes.
Lorsque je me suis engagé, puis par la suite, j'ai été frappé par l'état d'impréparation dans lequel nous nous trouvions, et qui a bien failli nous coûter la victoire. Quand je me suis engagé, je n'avais que 16 ans et je touchais 70 cents par jour. À 18 ans, j'ai eu une promotion qui a presque fait doubler ma paie pour la porter à 1,30 $. Cela ne s'est plus jamais reproduit par la suite. C'est la seule fois où ma paie ait doublé. Je me demandais si le gouvernement en avait les moyens. Lorsque je me suis engagé, nous avons touché des guêtres blanches, des kilts et tout le reste. Notre bataillon n'avait pas le moindre véhicule. Nous n'avions pas de mortiers de deux ou trois pouces, ni de canons antichar, ni rien de moderne. Le Canada était dans un état d'impréparation incroyable.
L'Holocauste doit servir de leçon aux nations capables d'abaisser leur garde comme nous l'avons fait. On entend dire qu'une telle horreur ne peut plus se produire. Or, elle pourrait très bien se produire de nouveau. C'est difficile à concevoir, mais si nous ne nous tenons pas raisonnablement sur nos gardes, nous nous exposons à de graves problèmes.
Ne pourrait-on pas se servir de la galerie de l'Holocauste pour montrer que nous avons au moins besoin d'une défense minimale à nos frontières et dans notre espace aérien? Évidemment, ce serait aller un peu trop loin dans les leçons à tirer de l'événement, mais on pourrait s'en servir pour informer les enfants et les adultes.
Le sénateur Forest: Vos propos me rappellent ce que nous avons entendu à Victoria lors du lancement du HMCS Edmonton. Mon mari était dans la marine. L'Edmonton était un bateau ultra moderne, doté du meilleur équipement. L'un des officiers, d'un certain âge, a dit: «Je me souviens du temps où nos bateaux marchaient au diesel». Mon mari a fait remarquer que lorsqu'il était parti au début de la guerre, c'était sur un bateau qui marchait au charbon. À l'époque, on voyageait entre Esquimalt et Courtenay sur des bateaux qui marchaient au charbon. C'est incroyable.
M. Roy: Selon un ancien dicton, le Canada avait à l'époque une marine sur deux océans, avec un bateau de chaque côté.
Le sénateur Forest: Merci pour cet exposé. Le mot clé, dans toute cette histoire de musées, c'est l'éducation. Les musées sont là pour attirer les jeunes, et leur faire comprendre ce qui peut se passer si l'on n'est pas vigilant. Le fait que ce genre de phénomène se soit répété au Rwanda, au Cambodge et ailleurs montre à quel point nous sommes encore vulnérables.
Le président: Monsieur Roy, vous vous êtes inquiété de la diminution des crédits au ministère des Anciens combattants. C'est possible, mais au fur et à mesure que le nombre de nos soldats participant à des opérations de maintien de la paix augmente, ces diminutions de budget ne seront peut-être plus aussi importantes que nous pourrions le craindre.
Et d'après vous, si le musée relevait des Affaires des anciens combattants, cela aurait des conséquences sur les crédits disponibles. En ce moment, la Société du musée canadien des civilisations touche 45 millions de dollars du gouvernement fédéral, les entrées lui rapportent approximativement 9 millions de dollars, ça fait un total de 54 millions de dollars. Le Musée canadien de la guerre reçoit 7 millions de dollars. Lundi, on a parlé du nombre des visiteurs dans chaque musée; la différence n'est pas grande.
Une échelle qu'il avait fallu acheter pour repeindre le plafond du Musée des civilisations a coûté plus que tout le budget des nouvelles acquisitions du Musée de la guerre l'an dernier. Pensez-vous que ce soit justement réparti?
M. Roy: En un mot, non, je ne le pense pas, particulièrement en ce moment où le compte à rebours a commencé pour les anciens combattants. Je pense que dans les dix ans à venir on trouvera de plus en plus d'objets militaires dont on puisse faire l'acquisition sur les marchés, si vous voulez, à cause des décès de nos anciens combattants, que depuis 50 ans.
Le président: Je suis d'accord avec vous; il y aura de plus en plus d'objets dont on pourra faire l'acquisition au fil des ans.
Ce que je trouve déconcertant, à propos de cette expansion prévue, c'est que l'on ait besoin d'une donation publique; c'est-à-dire que les Amis du musée et d'autres sont en train d'essayer de collecter des fonds pour agrandir le Musée de la guerre. Lorsque je regarde les constructions que des crédits fédéraux financent, je suis un petit peu chiffonné, en qualité d'ancien combattant, de voir qu'il faut chercher de l'argent privé avant que le gouvernement ne soit prêt à décider de cette extension du musée. Qu'en pensez-vous?
M. Roy: On pourrait penser que la réduction des effectifs des forces armées, d'un maximum d'environ 125 000 au début des années 60, à 60 000 aujourd'hui -- avec par ailleurs les compressions du budget du ministère de la Défense d'environ 25 à 30 p. 100 depuis quatre ans, auraient permis de dégager quelques millions de dollars pour le Musée de la guerre. On aurait pu l'espérer.
Le président: Je comprends cet espoir. Lorsque l'on pense que le ministère du Patrimoine a pu récemment annoncer une enveloppe de 100 millions de dollars pour les sports au Canada, on aurait peut-être pu en siphonner 2 millions pour nous. Êtes-vous d'accord?
M. Roy: Tout à fait; c'est ce que je pense aussi.
Le président: Avez-vous étudié le plan de l'agrandissement du musée?
M. Roy: Non, malheureusement. Un des petits problèmes de la vie au Canada, ce sont les distances, si bien que l'on ne se rend pas à Ottawa aussi souvent qu'on l'aimerait; je n'ai toujours pas vu les plans du nouveau musée.
Le président: Comme le sénateur Chalifoux l'a déjà dit, le Musée de l'Holocauste envisagé occuperait 25 p. 100 de l'espace d'exposition du nouveau musée. Est-ce que cela vous paraît être une proportion justifiée, relativement à ce qu'occupent la Première Guerre mondiale, la Deuxième Guerre mondiale, la guerre de Corée, le maintien de la paix et cetera?
M. Roy: Lorsque j'ai fait mon exposé je ne parlais pas seulement en mon nom, mais au nom de beaucoup d'autres sur la côte ouest. Ce que je préférerais, personnellement, s'il doit y avoir une galerie, ou une salle ou un monument à l'Holocauste, c'est que ce soit à part.
Ça pourrait être un bâtiment, ça pourrait être un monument, comme je le dis dans mon exposé, un peu comme celui de la Place de la Confédération. Ça peut prendre diverses formes.
On a parlé tout à l'heure du besoin d'éduquer les enfants, et les gens qui ne sont pas des anciens combattants et qui visitent le Musée de la guerre, on en a parlé au début de la semaine... Je crois que c'est lundi ou mardi. L'idée d'avoir une exposition permanente, qui ne serait pas un musée entier, mais quelque chose de la taille de cette salle, pourrait être très utile. Il suffirait que ce soit bien fait.
Une personne à laquelle je parlais récemment, qui n'est pas un ancien combattant, était très opposée à cette idée, en disant qu'un jeune enfant qui s'aventurerait dans cette salle, et qui découvrirait ces scènes horribles des camps d'extermination, imaginons un tout jeune enfant de sept ou huit ans, dont on imagine mal quel peut être sa relation à ce genre de phénomène, pourrait presque y laisser sa raison.
En ce qui me concerne, quand je vois des films sur ces masses de corps émaciés que l'on retrouvait dans des fausses, je trouve cela tout à fait irréel. Pourtant Dieu sait si j'ai vu des corps, et des corps déchiquetés, bras et jambes d'un côté, tête de l'autre, sur les champs de bataille. Je peux donc me situer par rapport à cela, ça ne me pose pas de problème; mais à cette échelle-là, si cela peut me faire vomir, imaginez ce que cela peut provoquer chez un enfant. C'est ce que l'on me disait ce matin.
Le président: C'est exactement ce que l'on m'a dit. On a déjà exprimé ce point de vue devant le comité.
Une autre question me préoccupe un peu: si nous commémorons l'Holocauste dans le Musée de la guerre, qu'est-ce que cela signifie pour les Canadiens qui sont d'origine différente, je pense aux Arméniens ou aux Ukrainiens. Sur la côte Ouest, par exemple, on assiste à une expansion rapide de la présence chinoise. J'imagine que les Chinois demanderont un jour que nous nous souvenions aussi de ce qui a pu se passer en Asie. Y aura-t-il une solution à la commémoration de ces autres génocides?
J'utilise le terme «génocide», dans ce cas-ci, en réservant le terme «Holocauste» à l'extermination des juifs par les nazis. Pouvons-nous alors également faire une place à ces autres génocides?
Je pense que le génocide juif devrait être à part, mais de plus en plus je comprends l'idée de commémorer certains génocides de la Russie, et le génocide perpétré par les Japonais en Extrême-Orient.
M. Roy: Ça ne me paraît pas possible, sénateur. On peut évidemment se souvenir de beaucoup de massacres, génocides et meurtres collectifs.
Lorsque j'avais cinq ans, au début des années 20, et que je ne voulais pas manger de brocoli, ou d'autre chose, ma mère me rappelait toujours «les pauvres Arméniens qui n'ont rien à manger». Ce n'est que beaucoup plus tard que j'ai compris ce dont elle parlait.
On peut effectivement arpenter l'histoire, d'est en ouest, et ces génocides et massacres ne font que se répéter. Ce qui s'est passé au Cambodge il y a quelques années est tout à fait stupéfiant. Beaucoup de Canadiens d'origine chinoise, de la côte ouest, se souviennent du sac de Nankin. Il s'est également passé des choses horribles, à une plus petite échelle, dans l'ex-Yougoslavie. On retrouve cela partout.
Mais si nous voulons commémorer la mémoire de tous ces événements, il faudrait agrandir le Musée de la guerre à un point tel que cela deviendrait monstrueux, et que par ailleurs chacune de ces commémorations perdrait en force. Autrement dit, il faut se limiter si l'on veut avoir un impact, et abandonner l'idée de couvrir toutes les horreurs de la guerre.
Le président: Peut-être me suis-je mal exprimé. Je ne voulais pas que l'on retrouve le souvenir de tous ces événements dans le Musée de la guerre, mais d'une autre façon peut-être. Avez-vous une idée de la façon dont cela pourrait être fait?
M. Roy: Très franchement, je préfère m'abstenir de répondre de façon trop elliptique. Je pense qu'il faudrait y réfléchir plus longtemps.
Le président: Vous pourriez peut-être alors faire part au comité par écrit de vos idées là-dessus. Nous en serions très heureux.
Honorables sénateurs, nous allons maintenant entendre le représentant de l'Association nationale des anciens combattants autochtones.
Tandis que M. Sinclair s'avance vers le fauteuil des témoins, je vais expliquer à l'assistance que nous sommes dans une nouvelle salle de comité que nous avons nommée la salle des autochtones. Petit à petit, nous la décorerons un peu plus d'oeuvres d'art autochtones.
Monsieur Sinclair, vous êtes le premier témoin autochtone dans cette salle des autochtones. Je vais laisser le fauteuil à la sénateur Chalifoux qui va maintenant présider.
La présidente suppléante: Bonjour, monsieur Sinclair. Allez-y.
M. Sam Sinclair, président, Association nationale des anciens combattants autochtones: J'ai déjà comparu devant le comité à plusieurs reprises depuis quelques années. J'ai été président des Anciens combattants autochtones à partir de 1992.
Je suis heureux que cette salle porte le nom des autochtones. Comme je suis au chômage, j'espérais que vous puissiez me recommander à un poste de concierge ou autre.
Le sénateur Prud'homme: Si jamais nous avons besoin d'un guide qui sache expliquer la signification de ces oeuvres d'art autochtones et des moeurs autochtones aux jeunes, vous pourriez être très utile.
M. Sinclair: Je suis donc venu aujourd'hui pour parler devant vous de cette extension du musée. Disons tout de suite que les anciens combattants autochtones ont des préoccupations particulières un petit peu différentes. Je ne sais pas s'il faut que j'en parle tout de suite, ou garder cela pour plus tard.
Le sénateur Jessiman: Allez-y tout de suite.
M. Sinclair: Beaucoup de gens ne savent pas que des milliers d'autochtones se sont joints aux Forces armées canadiennes de la Première Guerre mondiale. Si je ne me trompe, nous avons même combattu aux Plaines d'Abraham pour les deux parties en présence qui se disputaient la terre qu'ils ne nous avaient pas encore enlevée. Mais tel n'est pas mon propos. Je voudrais parler des anciens combattants de la Première Guerre mondiale, ou disons des rares survivants. J'ai eu la chance de participer avec certains d'entre vous à la commémoration de la bataille de Vimy. J'ai donc vu les tombes de nos jeunes soldats, auprès de celles de leurs camarades tombés au cours de la Première Guerre mondiale.
Je n'ai participé à la Deuxième Guerre mondiale que peu de temps. Je me suis engagé lorsque j'avais 15 ans, j'ai été envoyé à l'extérieur du Canada quand j'en avais 17, et j'ai juste eu le temps de voir à quel point je pouvais courir vite, car lorsque vous avez la peur au ventre, vous avez des ailes. Lorsque la guerre a été terminée, et je n'ai pas beaucoup combattu -- je n'ai été au front que 27 jours -- je me suis porté volontaire pour le front du Pacifique. J'ai donc été d'abord renvoyé chez moi, avant que l'on ne m'adresse une feuille de route pour l'Extrême-Orient. Heureusement, lorsque je suis arrivé au Canada, le 15 août 1945, la guerre était terminée. À la fin de la guerre en Europe, je me trouvais dans une petite ville allemande.
Lorsque l'on parle des anciens combattants, on a toujours tendance à oublier les nôtres. C'est-à-dire que nous sommes toujours obligés de nous battre pour défendre nos droits. Nous ne demandons aucun traitement spécial, tout ce que nous voulons c'est être traités comme les autres. Cela n'est pas le cas. Lorsque j'étais soldat, j'imaginais que j'étais sur un pied d'égalité avec les autres. En effet, n'importe quelle balle pouvait aussi bien me tuer que l'un de mes camarades de combat. Mais lorsque je suis sorti de l'armée en 1946, je n'ai pas réussi à trouver un emploi de fonctionnaire, parce qu'à chaque fois, pour une raison ou pour une autre, on trouvait le moyen de ne pas recruter d'autochtones. Plus tard seulement, j'ai réussi à obtenir ce que je voulais, grâce à des relations que j'avais. Mais ce genre de réactions nous blessent et nous portent préjudice. Lorsque je suis parti à la guerre, comme les autres autochtones, j'y allais pour défendre mon pays, et la liberté dont nous jouissons aujourd'hui. Je suis donc troublé par le fait que les autochtones n'aient pas été traités comme les autres après la guerre, et que cela puisse encore continuer aujourd'hui.
L'Association nationale des anciens combattants autochtones n'est pas commanditée par le gouvernement. On ne nous donne de l'argent que pour venir déposer une gerbe devant le monument aux morts à Ottawa. Cela ne fait que six ans que nous le faisons. Nous voulons une aide financière pour ouvrir un bureau, de préférence à Ottawa, pour régler certains problèmes qui ne l'ont toujours pas été à notre satisfaction.
Le logement est un problème terrible pour les anciens combattants autochtones car pour des raisons inexpliquées nous n'avons pas bénéficié de la Loi sur les terres destinées aux anciens combattants. Je fais partie de ceux dont la demande a été rejetée. On ne nous a jamais donné de terres en reconnaissance de nos services comme on l'a fait, par exemple, pour les autres anciens combattants de l'Alberta.
Je ne suis pas venu pour me plaindre. J'aimerais que lorsque vous parlez aux députés qui ont la responsabilité de certains de nos problèmes, vous leur demandiez de ne pas nous oublier. Écoutez-nous et consultez-nous pour voir si nous ne pouvons pas ensemble régler certains de ces problèmes.
Nous essayons de lever des fonds pour le monument aux morts qui doit être érigé ici à Ottawa. Le terrain pour le site a été approuvé par le conseil, mais on compte sur nous pour trouver les 750 000 $ qu'il coûtera. Ce sera un magnifique monument de 30 pieds de haut. Nous croyons que ce gouvernement devrait nous aider à construire ce monument. Nous espérons que ceux qui ont un certain pouvoir transmettront cette information à ceux qui ne savent pas ce qui se passe. C'est le sénateur Taylor qui dirige notre campagne de financement. Nous n'avons recueilli que 120 000 $ la première année. Nous sommes loin des 750 000 $ demandés.
Le gouvernement doit comprendre pourquoi ce monument est important pour nous. Il montrera que nous avons combattu côte à côte avec d'autres Canadiens. Nous espérons qu'il n'y aura jamais d'autres guerres mais s'il y en a une, vous pouvez être certains que nous serons de nouveau aux côtés des autres Canadiens pour les aider du mieux que nous pourrons.
Sur ce, je suis prêt à répondre à vos questions.
Le sénateur Jessiman: Vous nous avez cité vos problèmes. Nous les comprenons et vous avez toute notre sympathie. J'en avais déjà entendu parler mais je n'avais pas entendu parler de cette statue dans le parc commémoratif.
Que pensez-vous de ce projet d'agrandissement du Musée de la guerre, dont 22 à 30 p. 100 de cette nouvelle superficie sera utilisée pour accueillir une exposition ou une aile consacrée à l'Holocauste?
Un certain nombre d'autres groupes d'anciens combattants sont venus nous dire qu'ils s'y opposent pour plusieurs raisons et nous aimerions savoir quel est votre point de vue.
M. Sinclair: J'en ai discuté hier soir avec des anciens combattants autochtones, tout comme je l'avais fait en Alberta avant de venir. Nous ne sommes pas en faveur d'une aile consacrée à l'Holocauste dans le musée. J'ai visité le musée deux fois. C'est un beau musée; je comprends pourquoi ils veulent l'agrandir.
L'Holocauste a été une chose horrible. J'ai visité certaines des prisons quand j'étais outre-mer en 1986. En fait, je les ai vues deux fois. C'est une question à part. Le musée devrait parler des guerres que nous connaissons. Des choses horribles ont eu lieu pendant l'Holocauste, principalement pour certaines nationalités qui ont subi des préjudices épouvantables. À mon avis, cependant, cela n'a pas grand-chose à voir avec les anciens combattants autochtones. Nous ne sommes pas contre les juifs et nous savons comment ils ont été traités par la personne qui était déjà prête à détruire le reste de l'humanité si elle avait gagné la guerre.
Je suis favorable à l'agrandissement du musée, mais pas pour qu'il accueille une exposition consacrée à l'Holocauste.
Le sénateur Jessiman: Vous êtes tout à fait dans la ligne de nos autres témoins. Sans exception, toutes les organisations d'anciens combattants nous ont dit la même chose.
Parmi tous les groupes ethniques, le pourcentage des autochtones enrôlés a été le plus élevé, mais savez-vous combien se sont enrôlés pendant la Deuxième Guerre mondiale?
M. Sinclair: Cela se chiffre par milliers. Si vous prenez les deux guerres mondiales, plus la campagne de Corée et le Vietnam, environ 50 000.
Le sénateur Jessiman: Combien y en a-t-il qui sont aussi membres de votre organisation et qui sont encore vivants aujourd'hui?
M. Sinclair: Vous me posez une question qui me contrarie. Si nous avions l'argent qu'il nous faut, nous serions mieux en mesure de répondre à ce genre de question; nous serions en mesure de présenter des chiffres exacts et de les actualiser chaque année.
Le sénateur Jessiman: Y en a-t-il encore 10 p. 100 de vivants? Pensez-vous qu'il y en a encore 5 000?
M. Sinclair: J'en doute; plutôt 3 000. Nous avons un chiffre approximatif quelque part. Beaucoup de nos membres vivent dans des régions isolées. Nous ne savons même pas si certains d'entre eux vivent toujours au même endroit. Ils ne refont surface qu'une fois de temps en temps.
Encore une fois, sans ressources il est impossible de faire du bon travail. Nous pouvons le faire bénévolement mais nous ne pourrons pas toujours le faire car cela coûte beaucoup d'argent surtout s'il faut aller dans le Nord. Beaucoup de ces déplacements se font par avion, ce qui coûte cher.
Le sénateur Jessiman: Où êtes-vous basé?
M. Sinclair: J'habite en ce moment à Edmonton. J'habite ce que j'appelle une «forêt de ciment». Je suis originaire du petit lac des Esclaves. Le sénateur Chalifoux y a vécu pendant un moment.
Le sénateur Phillips: Le sénateur Andreychuk a présidé un comité sur les affaires autochtones chargé d'examiner les problèmes et le traitement des anciens combattants autochtones. Avez-vous remarqué des changements depuis le dépôt de ce rapport?
Par exemple, avez-vous remarqué des changements au niveau de vos rapports, disons, avec le ministère des Affaires des anciens combattants? Est-ce que ce ministère s'intéresse plus à vos affaires qu'il ne le faisait avant que ce comité ne publie son rapport?
M. Sinclair: Il y a des améliorations ici et là. Cependant, il donne l'impression de ne pas traiter avec le sérieux qu'il mérite notre groupe. Par exemple, beaucoup de nos anciens combattants n'ont jamais vraiment reçu de satisfaction en matière de terre. Ma demande pour une terre disponible au bord du lac des Esclaves a été rejetée. Ils se sont retranchés derrière l'excuse de danger d'inondation. Je n'avais demandé que 39 acres mais ma demande a été rejetée. Par la suite, cette zone a été transformée en zone industrielle et vendue pour un demi-million de dollars.
En plus, en aval de la rivière des Esclaves il y avait d'autres terres libres. Celui qui a fait la demande avait les relations qu'il fallait. Il était autochtone mais il avait l'air Blanc et ils l'ont donc traité comme s'il était Blanc. Il a eu une demi-section de terre qu'il a cultivée à très bon profit. Je n'ai pas eu la même chance.
J'aimerais vous raconter exactement comment ça s'est passé. Celui dont je parle, c'est Ed Gaunier. C'est un autochtone qui a l'air d'un Blanc; sa mère était métisse.
Il a servi pendant la guerre. Il était là le jour du débarquement et il a été blessé. Il a une plaque dans la tête. Un jour, après un enterrement au lac des Esclaves, j'ai demandé à M. Gaunier s'il aimerait venir en Hollande, à Flander's Field, pour commémorer le 50e anniversaire du débarquement. Il m'a dit «avec plaisir». J'ai ajouté: «Il y a une condition, Edmond, il faut être autochtone et il faut que tu admettes que tu es autochtone». Il ne l'avait jamais fait jusque-là. Il m'a répondu: «Oui, je suis en partie Indien. J'appartiens même probablement à la bande de Saw Ridge». Il est venu en Hollande et a participé aux cérémonies. Il me rend maintenant souvent visite pour me remercier de ce voyage.
Il a fallu de nombreuses années à cet homme pour admettre qu'il était un des nôtres, mais on l'a honoré à cause de cela. Les choses arrivent parfois d'une manière bizarre. Je ne voulais pas être méchant avec lui; je pensais que c'était simplement une petite manière de me venger.
Je suis aussi allé à l'école avec lui.
Le sénateur Prud'homme: Avez-vous jamais été consulté en tant que représentant d'un groupe?
Après tout, il m'est facile de parler de races fondatrices. J'ai une fois promis au chef de la nation huronne du Québec de ne jamais réutiliser cette expression, car j'ai un sentiment d'humilité et je ne cesse de le répéter publiquement chaque fois que je suis en présence des véritables premiers Canadiens. Je sais que notre histoire du Canada n'a pas été des plus tendres. Nous avons beaucoup parlé aujourd'hui de racisme et d'antisémitisme et les intéressés sont bien organisés pour se défendre. Je sais ce qu'a vécu votre peuple. Nous faisons souvent semblant de l'ignorer mais c'est bien vrai et vous le savez. Vous venez de nous donner quelques faits le prouvant.
Vous estimez qu'il devrait y avoir deux musées. Vous avez une longue tradition et une longue histoire. Avez-vous été consulté par le conseil d'administration, par Mme Clarkson, M. MacDonald et leurs collaborateurs? Ces personnes vous ont-elles jamais consulté à propos de l'avenir du Musée de la guerre et de votre participation éventuelle ou de la représentation de votre peuple dans ce musée?
M. Sinclair: Il y a plus d'une manière de répondre à cette question. Par exemple, Louis Riel a été un grand chef autochtone au milieu du XIXe siècle et en 1885 le pauvre type a été pendu pour avoir défendu les droits des autochtones qualifiés de métis. Cette injustice ne sera jamais oubliée. Il y a des gens qui ont fait pire depuis et qui n'ont même pas été mis en prison, encore moins pendus. Ce qu'ils ont fait à cet homme qui voulait aider les gens sans terre reste une plaie ouverte pour les autochtones. À l'époque, c'était un gouvernement conservateur.
D'autres dirigeants indiens de petits rassemblements en Saskatchewan ont également été punis pour avoir essayé de défendre leur cause. Tout ce qu'ils voulaient c'était conserver la terre sur laquelle ils vivaient et rester une partie du Canada comme ils l'étaient avant l'invasion des Européens.
Vous avez toutes ces peines que vous portez toute votre vie. Vous espérez que les gens vont changer et que vous vous sentirez mieux comme être humain et vous voulez en faire partie, mais vous voulez aussi quelques petites choses en retour. J'ai l'impression en vieillissant que je deviens plus susceptible, et quand j'entre dans une résidence de Blancs, même si parfois je connais certains des résidents, je le sens quand je ne suis pas le bienvenu. Plus vite je m'en vais, mieux je me sens. Je connais d'autres autochtones qui m'ont dit avoir le même sentiment. Ce n'est pas le cas de tout le monde. Considérez-le comme du racisme ou simplement de la haine. Nous voulons nous éloigner de ce sentiment.
Nos gens sont mieux éduqués. Il y a quatre membres de ma famille qui sont à l'université et deux qui sont diplômés. Il y a 20 ou 30 ans, il ne fallait même pas y penser. Il faut jouer le jeu selon les règles d'aujourd'hui. Nous avons beaucoup de travail à faire et il nous faut des résultats. On m'a demandé plusieurs fois si j'avais un diplôme. Je réponds «Je n'ai qu'un diplôme de BS mais je ne sais pas s'il est reconnu». On me demande alors «Qu'est-ce que cela veut dire?» Je réponds: «Bon sens». C'est ce que j'essaie d'avoir.
Le sénateur Prud'homme: Je me suis intéressé aux Nishgas de Colombie-Britannique pratiquement par accident. Ils étaient à Ottawa, et spontanément, comme j'en ai la réputation, je leur ai dit «Voudriez-vous dîner avec moi?» Après, nous sommes allés dans mon bureau. Très tard ce soir là, ce que cet homme a dit m'a fait mal. Il s'est mis à pleurer et moi aussi -- et si certains pensent que cela me gêne de le dire en public c'est parce qu'ils ne me connaissent pas. Il m'a dit «Cela fait des années que je viens ici pour défendre les intérêts de mon peuple et c'est la première fois que quelqu'un m'invite dans son bureau».
Monsieur, si jamais vous revenez à Ottawa, vous y aurez beaucoup d'amis. Vous pouvez accrocher votre chapeau, je vous le dis en vous regardant droit dans les yeux, et vous sentir comme chez vous. Je vois que vous êtes un homme sage. Vous ferez la différence entre les mots vides et la réalité. Je suis heureux d'avoir pu vous le dire.
Le sénateur Forest: Monsieur Sinclair, nous sommes enchantés de vous avoir. Je peux très bien comprendre pourquoi votre ami Edmond ne voulait pas admettre qu'il était autochtone. J'ai travaillé pendant de nombreuses années pour les droits de la personne. J'ai eu le plaisir de travailler avec la soeur de Sam au sein de la première Commission des droits de la personne de l'Alberta. Nous reconnaissions alors, et c'était il y a plus de 20 ans, que le racisme au Canada visait les autochtones. La majorité des Canadiens ne s'en rendent pas compte, mais c'est vrai. Je crois que c'est toujours vrai. À cette époque, les Autochtones dans leur majorité l'acceptaient simplement.
Heureusement aujourd'hui, ils sont plus éduqués, mieux organisés et ils commencent à se défendre. Je sais que vous avez dû lutter mais des gens comme les membres de votre famille ont apporté une grande contribution en Alberta et maintenant sur la scène nationale et vous méritez que nous vous levions notre chapeau. Je vous en sais gré.
Le sénateur Phillips a fait référence au rapport du comité sénatorial intitulé «Le soldat autochtone et l'après-guerre» déposé en 1995. J'aimerais vous en lire un simple petit passage:
Les anciens combattants autochtones qui ont comparu devant le comité ont eu de bons mots au sujet du traitement qu'ils ont reçu dans les forces armées. Tous les soldats étaient traités également face à l'ennemi commun. En dépit de tout ce que la guerre avait d'horrible et de tragique, les deux conflits mondiaux ont été une école, et beaucoup d'anciens combattants ont souligné que leur expérience en temps de guerre leur avait donné confiance en eux-mêmes et leur avait fait éprouver un sentiment de dignité. Toutefois, les anciens combattants autochtones soutiennent que la réalité est devenue bien différente après la fin des combats.
C'est exactement ce que vous venez de nous rapporter aujourd'hui, monsieur Sinclair.
La première recommandation du comité se lit comme suit:
2. que le gouvernement du Canada, au nom du peuple canadien:
reconnaisse la contribution particulière des anciens combattants autochtones durant la Première et la Seconde Guerre mondiale ainsi que la guerre de Corée, et
s'excuse auprès des anciens combattants autochtones des injustices et du traitement indigne dont ils ont été victimes à leur retour de ces conflits.
Le sénateur Phillips vous a demandé si les choses avaient changé, si vous estimez être mieux traités depuis la parution de ce rapport. J'aimerais savoir si une suite a été donnée à la deuxième partie de cette recommandation concernant des excuses sur la manière dont les anciens combattants autochtones ont été traités après la guerre. Vous a-t-on présenté des excuses?
M. Sinclair: Des excuses sont de simples mots. C'est utile, mais les actes le sont encore plus. Nous demandons le plus poliment du monde des fonds pour pouvoir participer. Le gouvernement dit qu'il n'a pas d'argent quand on entend à la télévision parler de disparition du déficit. C'est une bonne chose, mais il y a encore une énorme dette. Si j'avais 50 000 $, je leur demanderais la parité.
Le sénateur Forest: Vous avez 130 000 $ pour votre monument. Pourquoi ne leur demandez-vous pas la parité de ce montant?
Y a-t-il une raison particulière pour que ce monument soit érigé dans un parc loin du Parlement ou du Musée de la guerre?
M. Sinclair: Deux de mes camarades et moi-même nous sommes promenés vendredi pour essayer de trouver un site qui soit présentable tout en étant accessible. Il n'est pas toujours facile de voir certains monuments sans savoir exactement où ils sont et sans faire l'effort de les chercher.
Nous trouvons ce site acceptable. Il est tout à fait visible et il y a de la place pour stationner. Je crois que cela plairait aux gens.
Le sénateur Forest: Donc, ce site vous plaît.
M. Sinclair: Oui. C'est un bon emplacement.
Le gouvernement nous a dit que tous les monuments existants avaient été financés par des particuliers ce qui, nous l'avons appris, n'est pas vrai. Nous avons appris que la majorité d'entre eux étaient commandités par le gouvernement lui-même. Encore une fois, nous voulons être traités de la même manière à cet égard. Si le gouvernement fournissait l'argent, nous continuerions à lever des fonds et nous arriverions probablement à pratiquement tout rembourser.
Le sénateur Forest: Bonne chance. Merci d'être venu.
Le sénateur Chalifoux: Monsieur Sinclair, l'Association des anciens combattants autochtones existe depuis de nombreuses années, n'est-ce pas?
M. Sinclair: Oui.
Le sénateur Chalifoux: Est-ce que l'Association des anciens combattants autochtones a jamais été consultée par le Musée de la guerre pour être inclus dans ce musée?
M. Sinclair: Pas pendant mon mandat, qui a commencé en 1992. L'organisation précédente était l'Association nationale des anciens combattants indiens. Il y a eu scission parce que cette association ne représentait que les Indiens inscrits.
Nous n'avons pas été suffisamment consultés sur quoi que ce soit à propos de la Deuxième Guerre mondiale. Je suis ancien combattant et je n'ai jamais été consulté. Je suppose qu'ils ont essayé dans certaines régions par l'intermédiaire des légions, mais les légions n'ont pas été jusqu'au bout de ce qu'elles auraient pu faire partout au Canada au nom de notre peuple.
Le sénateur Chalifoux: Ce rapport sur les problèmes des anciens combattants autochtones contenait un certain nombre de recommandations. Sa première recommandation était que le gouvernement du Canada, au nom du peuple canadien, reconnaisse la contribution particulière des anciens combattants autochtones durant la Première et la Seconde Guerre mondiale ainsi que la guerre de Corée. Avez-vous jamais bénéficié d'une reconnaissance spéciale, sous quelque forme que ce soit, y compris pécuniaire?
M. Sinclair: Depuis le début de mon mandat, un programme a été institué sur les beaux-arts autochtones. C'est un programme éducatif dirigé par John Kim Bell à Toronto. C'est un début. Le gouvernement fédéral, par l'intermédiaire des Affaires indiennes et du Nord canadien, a accordé 1 million de dollars auxquels s'est ajouté un autre montant venant d'ailleurs.
C'est une fondation et l'intérêt rapporté par cet argent est utilisé pour aider les étudiants d'origine autochtone avec des subventions. Ce programme commence cette année et il y aura probablement plus de demandes que nous n'avons d'argent. Au fur et à mesure que le nombre de demandes augmentera, nous pourrons nous adresser au public ou au gouvernement pour des fonds supplémentaires ou des idées de levée de fonds.
J'espère que nous recevrons des dons de grosses compagnies. Lorsque les six grandes banques canadiennes se vantent des milliards de dollars de bénéfices qu'elles font chaque année, je me demande pourquoi elles ne peuvent pas nous en donner un peu. Nous n'avons pas la réputation d'être riches, mais nous avons aidé en partie ces banques à faire ces bénéfices, principalement par le biais des prêts qu'il nous faut rembourser.
Le sénateur Chalifoux: Le Musée de la guerre a reçu 12 millions de dollars pour ses travaux d'agrandissement. Ils veulent consacrer 25 p. 100 de l'espace à une exposition sur l'Holocauste. Vous me dites que les associations d'anciens combattants autochtones n'ont jamais été consultées à ce sujet, pas plus que leur contribution n'a été reconnue par le Musée de la guerre.
Que pensez-vous de la consécration de cet espace à une exposition sur l'Holocauste par le Musée de la guerre?
M. Sinclair: Comme je l'ai déjà dit, je ne suis pas d'accord sur la présence d'une aile consacrée à l'Holocauste dans ce musée, mais cela pourrait se faire ailleurs; je ne suis pas contre. Pourquoi ne consacrent-ils pas une partie de l'espace du Musée de la guerre aux anciens combattants autochtones?
Il y a une certaine reconnaissance, nous voyons certaines choses que nous reconnaissons, mais elles ne sont pas montrées comme étant le fait d'un groupe unique de gens qui appartenaient à un certain bataillon. Nous avons des gens qui ont servi dans les guerres dans des compagnies qui étaient pour moitié constituées d'autochtones, mais ils n'ont jamais été reconnus en tant que tels. Aux États-Unis ils avaient des divisions constituées uniquement de noirs, certaines de leurs meilleures divisions d'après eux, et nous aurions probablement pu constituer aussi une division si nous avions été reconnus de la même manière. Nous ne voulons pas qu'on fasse de nous un cas à part, mais il faudrait quand même nous reconnaître d'une manière ou d'une autre pour ce que nous avons fait et une des manières est ce monument.
Le sénateur Chalifoux: N'aimeriez-vous pas que cette statue ou ce monument soit placé dans le Musée de la guerre afin qu'il fasse partie du Musée de la guerre et de l'histoire des forces armées du Canada?
M. Sinclair: Je ne suis pas qualifié pour vous répondre. Cependant, je m'informerai et je vous rendrai compte le plus tôt possible des résultats de mes investigations.
Le sénateur Cools: Vous l'avez peut-être déjà dit mais je ne suis pas absolument certaine. Avez-vous une idée du nombre exact d'autochtones qui ont servi pendant la Deuxième Guerre mondiale? Le sénateur a parlé de 50 000.
M. Sinclair: Une des raisons pour lesquelles il est difficile d'avoir ces chiffres est que nous n'avons pas été comptés séparément lorsque nous avons rejoint les rangs de l'armée ce qui est probablement tout à fait justifié en ce qui concerne l'armée puisque tout le monde était traité de la même manière. Nous avons été traités de la même manière pendant la guerre car quand on risque de mourir à n'importe quel moment à côté de ses camarades, la couleur ne signifie rien et la grosseur des balles non plus. C'est l'ennemi qui vous tue. C'est la raison pour laquelle nous ne pouvons pas vraiment savoir quel est le nombre exact d'anciens combattants autochtones.
Cependant, pour revenir à ce que je disais tout à l'heure, et j'ai l'impression de me répéter, nous pourrions répondre à beaucoup de ces questions si nous avions les ressources financières. Nous pourrions demander à nos étudiants autochtones de faire des recherches sur ces questions pour avoir des chiffres précis.
Le sénateur Prud'homme: Vous avez dit qu'on vous a comptés comme les autres pendant la guerre mais qu'immédiatement après la guerre vous avez été traités séparément et différemment?
M. Sinclair: Exactement.
Le sénateur Prud'homme: C'est là la véritable injustice. Vous êtes mon copain pendant la bataille mais le jour d'après c'est fini et vous n'avez pas droit aux mêmes subventions. C'est pour l'essentiel ce que vous nous dites. Peu de gens le savent. Il est indubitable que cela me contrarie énormément. Pour être franc avec vous, je ne le savais pas.
M. Sinclair: J'aimerais mentionner quelques petites choses ignorées. Lorsque certains Autochtones ont rejoint les rangs de l'armée, surtout les Indiens inscrits, on a demandé à beaucoup d'entre eux de renoncer aux droits qui leur avaient été conférés par les traités afin de pouvoir entrer dans l'armée canadienne et être acceptés en tant que tel. Lorsqu'ils ont quitté l'armée ils ont voulu être traités comme les autres anciens combattants conformément à la Loi sur les terres destinées aux anciens combattants. On leur a dit: «Vous n'y avez pas droit parce que nous vous redonnons votre statut afin que vous puissiez retourner dans vos réserves où vous avez déjà des terres».
C'est vrai. C'est ce qu'ils ont fait à certains de nos gens et certains d'entre eux ont eu des problèmes parce qu'une fois qu'on renonce à ses droits les réserves ont le pouvoir de vous refuser.
Le sénateur Prud'homme: Après vous avoir entendu dire tout cela, j'ai l'impression que vous reviendrez comme témoin devant d'autres comités. Tout ça pour moi est nouveau. Parfois nous croyons tout savoir. Je me rends compte que non.
Le sénateur Chalifoux: C'est la raison pour laquelle il est si important que l'Association des anciens combattants autochtones soit intégrée au Musée de la guerre afin que son histoire puisse être aussi racontée.
Il y a aussi une autre chose qui n'a jamais été mentionnée, ce sont les femmes autochtones qui se sont battues pendant la guerre. Ma soeur en faisait partie. Il faut en parler et aussi intégrer cela au musée.
M. Sinclair: Je me permets de mentionner que le nom des anciens combattants autochtones figurera aussi sur ce monument.
Le président: Nos témoins suivants représentent la Fédération des instituts militaires et interarmées du Canada. Je crois que le présentateur sera le major-général Addy. Je vous en prie.
Le major-général (retraité) Clive Addy, Fédération des instituts militaires et interarmées du Canada: Honorables sénateurs, je vous ai fait parvenir un exemplaire de mon mémoire. Je vais vous le lire et répondre ensuite à toute question que vous pourriez avoir.
C'est un privilège que d'être invité à témoigner devant vous au nom des membres de la Fédération des instituts militaires et interarmées du Canada à propos de la place réservée dans le Musée de la guerre à une installation commémorative concernant l'Holocauste.
Tout d'abord, j'aimerais humblement rappeler au comité que je représente environ 10 000 anciens officiers et membres des Forces armées canadiennes et de la Gendarmerie royale du Canada qui sont des intervenants intéressés et qui se regroupent en 29 instituts membres d'un océan à l'autre.
Pour la vaste majorité de ces Canadiens loyaux et engagés, le Musée de la guerre est une institution nationale de grande importance et d'un énorme intérêt. Son mandat est de commémorer et d'illustrer l'histoire militaire du Canada, la participation canadienne aux diverses guerres de notre histoire et, plus particulièrement, les gestes de bravoure et sacrifices de nos soldats, de nos marins et de nos aviateurs. Les membres de la fédération appuient fermement ce mandat.
D'un point de vue personnel, ayant servi en Europe et voyagé dans divers pays alliés comme la France, l'Angleterre, l'Australie, l'Italie et la Grèce sans oublier certains pays qui furent jadis nos ennemis comme la Pologne et la Hongrie, je trouve plutôt déprimant le fait que notre pays qui a demandé à plus de 100 000 hommes de faire le sacrifice ultime lors de guerres que nous n'avons pas déclenchées, que notre pays, dis-je, semble avoir honte d'avouer qu'il a participé à diverses guerres et qu'il a formé certains des meilleurs soldats, hommes et femmes, au monde. Et j'en arrive à poser ce jugement quand je vois l'état lamentable, comparativement parlant, dans lequel se trouve notre Musée de la guerre et j'ose espérer que votre comité abordera cette question précise dans son rapport final.
Les membres de notre fédération sont inquiets car cette juxtaposition ou cette intégration activement conçue qui logerait un élément commémoratif canadien sur l'Holocauste dans notre Musée de la guerre n'a rien à voir avec le mandat de ce dit musée et n'a rien à voir avec ce que signifie l'Holocauste pour ces Canadiens qui ont dû subir les atrocités ayant cours dans les camps de la mort nazis, ni pour leurs descendants.
Je sais qu'une myriade de groupes sont venus témoigner devant vous à propos d'un aspect ou de l'autre de cette question, mais, à mon avis, dans le cas de toute controverse qui met en opposition deux thèmes commémoratifs valables et chers à tous, c'est le Canada qui en sortira perdant.
Je n'abuserai pas de la patience du comité en lui proposant encore une autre perspective historique sur l'Holocauste, je ne m'intéresserai pas à la sensibilité ou au manque de sensibilité du Canada en la matière entre 1939 et 1945, je ne dirai rien des connaissances ou du manque de connaissances de nos jeunes militaires en la matière à l'époque, et je passerai sous silence l'importance du rôle que cela a pu jouer lorsque nous avons déclaré notre participation à la guerre.
Qu'y a-t-il d'important, alors? L'important c'est qu'une atrocité aussi monumentale fut commise à cette échelle dans des pays qui se croyaient, et dont nous croyions aussi, qu'ils étaient civilisés, qu'ils soient en guerre ou non. Le monde entier a été témoin de ce qui se passait, mais ne s'en inquiétait pas suffisamment pour s'en mêler. À l'époque, comme de nos jours, cela nous a rappelé et nous rappelle encore que la civilisation ne constitue qu'un mince vernis qui sert à masquer à nos yeux ce qui a été et ce qui peut redevenir la bête la plus sauvage de toute la création: l'homme.
Notre fédération est d'avis que la meilleure façon pour le Canada de commémorer cette atrocité monumentale est de lui accorder sa propre place, peut-être dans un musée de l'homme ou de la civilisation, pour nous rappeler à quel point ces deux choses sont fragiles.
J'ai visité quatre anciens camps de la mort en Allemagne, en Pologne et en France. C'est une expérience infernale chaque fois, ne vous y méprenez surtout pas.
Depuis cette époque, l'homme a fait un grand pas en avant en codifiant son humanité et en répandant la véritable civilisation. La création des Nations Unies et de sa Charte des droits de la personne représentent un énorme succès. Cependant, le comportement de l'homme un peu partout sur la surface du globe s'est traduit par plus d'échecs que de succès: les goulags, la violence de la colonisation, les perturbations de la décolonisation dont on a connu les aboutissements sanglants en Inde, au Vietnam et, plus récemment, en Afrique du Sud, en Bosnie, au Rwanda, en Érythrée et en Somalie. Ce ne sont là que certains de nos pires échecs. Cependant, il faut faire la part des choses entre ces exemples de génocides systémiques et le mandat du Musée de la guerre.
Aujourd'hui, on peut dire que nous sommes «peut-être» plus sensibles au fait que le génocide peut être la cause ou l'effet d'une guerre, ou peut servir à justifier une intervention internationale armée, comme l'a dit très correctement mon ami le général Dallaire. Or, nous continuons d'être très sélectifs. Les Kurdes, les gitans, les Algériens et le peuple du Cambodge seraient peut-être d'accord.
Bref, ici au Canada il nous faut des choses qui nous rappellent le passé. L'exposition pour commémorer l'Holocauste serait vitale. Par ailleurs, il faut aussi qu'on nous rappelle qu'on a vraiment participer à des guerres. Notre esprit national a peut-être été forgé à Vimy, mais pour le Canada, la guerre n'a pas fini avec la Deuxième Guerre mondiale, la guerre de Corée, la guerre froide ou la guerre du Golfe. Nous avons participé à tous ces conflits. Dans chacun, des Canadiens ont lutté et ont trouvé la mort. D'autres guerres nous attendent peut-être à l'avenir.
D'après nous, le rôle de l'ONU et notre contribution admirable à ses opérations et à celles de l'OTAN méritent d'être commémorées à notre Musée de la guerre, puisque la juxtaposition de troupes canadiennes armées entre deux belligérants pris dans une guerre ou dans un conflit armé fait partie du mandat.
Les soldats canadiens armés qui se retrouvent en plein champ de bataille considèrent qu'il est honteux et bête de débattre de ce qui est ou de ce qui n'est pas une opération. Ils méritent leur place au musée, aux côtés de leurs pères et de leurs grands-pères.
On perçoit clairement les mérites et les différences de ces deux thèmes dans notre histoire canadienne. La fédération considère que chaque thème mérite une place importante, mais séparée. Si ces deux thèmes étaient juxtaposés de façon abusive mal réfléchie, la valeur intrinsèque de chacun d'eux serait beaucoup plus difficile à percevoir, et cela ne serait pas dans leurs meilleurs intérêts, ni dans les meilleurs intérêts du Canada.
Mon dernier point porte sur la gestion et l'administration du Musée de la guerre. Les membres de la fédération et moi n'en savons pas autant que vous sur la relation entre la Société du Musée canadien des civilisations et la gestion du Musée de la guerre. Nous voyons seulement que certains semblent avoir leurs motifs propres, qui ont mené à ces circonstances malheureuses, et cela nous inquiète.
Laissez-moi illustrer ce que je veux dire. À votre droite, vous voyez le frontispice pour le nouveau Musée de la guerre. Il représente les soldats canadiens, des premiers Scandinaves jusqu'aux gardiens de la paix d'aujourd'hui. Vous allez remarquer qu'on ne voit pas une seule arme. Tous les soldats semblent être tristes, ou attristés par ce qu'ils font pour servir leur pays, leur cause, ou le reste de l'humanité.
Est-ce que cela reflète le mandat de notre musée? Ou est-ce que cela fait partie d'une interprétation orwellienne de notre patrimoine, et pas de notre histoire? Le Musée de la guerre du Canada ne devrait-il pas être géré par quelqu'un qui comprend mieux ce mandat -- peut-être par le ministère des Anciens combattants? Je ne connais pas très bien votre structure administrative, mais il faudrait peut-être revoir ce mandat.
Monsieur le président, j'exprimais les préoccupations des membres de la fédération. J'espère que ces préoccupations seront considérées dans le même esprit qu'elles ont été offertes: arriver à une solution qui est dans les meilleurs intérêts de tous les Canadiens, et qui reconnaît tous ceux qui ont servi et qui ont souffert.
Le président: Vous avez mentionné le frontispice. Il est vrai que l'on voit de moins en moins d'armes dans les montages au Musée de la guerre. Vous avez soulevé une question importante, qui n'a pas encore été mentionnée. Merci.
Le sénateur Chalifoux: Je suis enchantée que quelqu'un ait finalement fait une remarque au sujet de cet affreux frontispice. J'étais gestionnaire d'une cantine des forces armées, et je n'ai jamais vu un soldat triste de ma vie. Je voyais beaucoup de visages heureux. Voilà comment ils se voyaient. Ils se comportaient de façon fière et digne. Je pense que les autres associations d'anciens combattants s'opposeront aussi à ce frontispice.
Je comprends pourquoi vous vous sentez frustré par le système administratif. Je suis très contente de vous entendre dire que l'administration devrait relever d'un autre organisme. Mais je suis dans la même situation que vous, et je ne sais pas trop comment fonctionne le système. Merci de votre excellente présentation.
Le sénateur Jessiman: Supposons-nous correctement que le Musée canadien des civilisations ne s'est pas mis en rapport avec votre association au nom du Musée de la guerre, au sujet de l'expansion et des plans pour l'aile consacrée à l'Holocauste?
M. Addy: Officiellement, ils ne nous ont pas contactés. Mais beaucoup de nos membres font partie d'une association qui s'appelle les Amis du Musée canadien de la guerre, qui s'est penché sur la question. C'était une discussion émotionnelle. Je ne serais pas là aujourd'hui si la question ne touchait pas tellement les émotions des gens.
Le sénateur Jessiman: Est-ce que la plupart de vos membres sont d'accord avec vos propos d'aujourd'hui?
M. Addy: Absolument.
Le sénateur Cools: Monsieur Addy, vous avez parlé d'objets d'art, du frontispice qu'on propose pour la nouvelle aile du Musée de la guerre. Pouvez-vous élaborer sur la question qui est à la page 5 de votre mémoire:
Est-ce que cela reflète le mandat du musée, ou est-ce que ça fait partie d'une interprétation orwellienne de notre «patrimoine», et pas de notre histoire?
Ce matin, le professeur Terry Copp a fait ce qui m'a semblé un commentaire profond sur le fait qu'il faut prendre position pour accepter et présenter notre histoire. À maintes reprises cette semaine, on nous a dit essentiellement que notre histoire ne se vend pas bien. D'après moi, si quelque chose de si bon ne se vend pas, ce sont les vendeurs qui sont fautifs, pas la marchandise. Peut-être nous faut-il de meilleurs vendeurs. J'aimerais que vous élaboriez là-dessus. Il y a une pensée très profonde ici; je parle de l'interprétation orwellienne de notre patrimoine, pas de notre histoire.
M. Addy: C'est une expression que j'utilise, mais elle n'est pas vraiment la mienne. Dans un article dans le Globe and Mail en 1991, Desmond Morton mentionne très clairement un des problèmes auxquels nous sommes confrontés ici au Canada. Nous savons tous que la recherche d'une identité canadienne pose des problèmes; nous ne voulons pas être connus seulement par le fait que nous ne sommes pas américains. Mais revenons à la question du patrimoine. Notre histoire est fondée sur les faits. Certains faits sont bons, mais certains sont mauvais. On tire des leçons des bonnes choses comme des mauvaises. On n'étudie pas son histoire en essayant de changer la passé pour se donner une vision du futur. Nous n'essayons pas d'établir un système de commercialisation. Un musée -- et surtout le Musée de la guerre -- est le reflet de ce que nous avons fait. Personne ne glorifie la guerre. Aucun soldat ne glorifie la guerre, mais il doit être formé et prêt à faire de son mieux en tant que soldat canadien. Le soldat canadien a lutté en 1860, il a lutté en 1890, mon grand-père a lutté dans la guerre des Boers, mon père dans la Deuxième Guerre mondiale, tout comme moi. Je peux vous assurer qu'aucun de nous ne pensait qu'on allait faire la fête.
Il y a certains problèmes dans ce pays, et ces problèmes ne changent pas le fait que nous avons fait la guerre. Nous n'avons pas toujours fait la guerre pour les meilleures raisons. Je viens d'Ottawa. Nous n'étions pas nécessairement gentils, à l'époque. Ma mère était protestante et mon père était catholique. On m'a envoyé à des écoles catholiques. C'était ce qu'on appelait un mariage mixte dans ce temps-là, contrairement à aujourd'hui. Cela fait partie de l'histoire canadienne. Étions-nous des racistes? Oui, alors, nous l'étions. Pendant la Deuxième Guerre mondiale, c'était presque une marque d'honneur de dire: «Moi, je fais partie de cette Église, et je te suis supérieur.» Et un autre soldat répondait: «Moi, je suis de l'autre Église, et je suis mieux que toi.»
Permettez-moi de vous donner un exemple. J'ai traversé le Pacifique avec Sam Sinclair, le monsieur qui a parlé juste avant moi. Il était assis avec moi dans le bus quand nous sommes allés rendre hommage à ceux qui avaient lâché des bombes sur la Birmanie et qui avaient lutté à Hong Kong. Ces gens-là ont lutté avec nous, ils étaient là, ils sont venus de partout pour rendre ces derniers hommages. Quand vous voyez ces gens-là, quand vous voyez leur réaction, vous comprenez bien qu'ils sont passés par des temps difficiles. Nous changeons et nous évoluons, mais dans ce temps-là les gens étaient très fiers et très racistes. Si on est franc, il faut l'admettre. Nous nous améliorons. Nous faisons de grands efforts pour nous améliorer. Mais ce n'est pas en essayant de changer la réalité pour créer des choses qui ne devraient pas être créées qu'on va réaliser notre vision dans ce pays. Cette vision sera réalisée si nous sommes francs, si nous tirons nos leçons de l'histoire, et si nous faisons des progrès. Je pense que c'est ça qui me dérange le plus dans ce débat.
Je me suis demandé aussi, monsieur le sénateur, si on devrait même être ici. On aurait dû avoir assez de sagesse et de sens commun pour avoir écarté toute idée de le faire. Je crois que c'est cela qui me dérange plus que toute autre chose. J'aurais aimé que d'autres gens fassent preuve du même sens commun que M. Sinclair. J'espère que c'est ce que cela veut dire parce qu'Orwell a donné aux mots un sens qu'ils n'ont pas selon le dictionnaire, et je crois que nous faisons la même chose en incluant dans le Musée de la guerre une galerie pour commémorer l'Holocauste. En d'autres termes, nous essayons de mettre ensemble des idées qui ne sont pas étroitement liées dans l'histoire de notre pays.
Nous faisons plus que cela, nous imposons des idées qui déforment la réalité de notre histoire.
Le président: Vous représentez aussi le Corps des commissionnaires.
M. Addy: C'est exact. Je suis secrétaire exécutif du Corps canadien des commissionnaires.
Le président: Est-ce que les représentants du Musée de la guerre vous ont consulté avant de retirer le Corps des commissionnaires dudit musée?
M. Addy: Non. C'était une décision unilatérale prise selon la soumission la plus basse.
Le président: Et le Musée de la guerre n'a absolument rien fait pour garder les anciens combattants qui y travaillaient.
M. Addy: Pour notre part, nous avons essayé de faire quelque chose, mais il faut dire en toute franchise qu'ils n'ont pas fait grand-chose pour garder nos membres.
Le président: J'ai reçu beaucoup de lettres à ce sujet et j'ai fini par conclure que le conseil n'accordait pas beaucoup d'importance aux anciens combattants.
[Français]
Le sénateur Prud'homme: Je vous remercie de votre présentation, major-général Addy. Il y a plusieurs mots qui m'ont frappé dans votre exposé. J'ai parlé de cela toute la journée sans avoir lu votre présentation. Quand je dis et que vous dites:
[Traduction]
Quelle qu'en soit la raison, cela met en opposition deux valeurs et deux groupes importants.
[Français]
Ce débat est malheureux -- et vous venez de le dire. Comme le disait M. Trudeau dans le temps au caucus: soyez toujours prudent.
[Traduction]
Parce que cela pourrait monter un groupe contre un autre.
[Français]
Il me semble que le débat est mal parti, très mal parti. Tout comme vous, je le regrette. Et ce que je regrette surtout, comme vous le mentionnez à la dernière page de votre mémoire, c'est le manque de consultation. Si j'avais à faire une suggestion, ou j'allais presque dire si j'avais à punir un étudiant, en l'occurrence le conseil d'administraation du musée, j'aimerais les enfermer dans une salle puis les obliger à regarder tous les témoignages qui ont été entendus par le comité sur la chaîne parlementaire. Ce qui se dégage, c'est toujours le manque de communication, le manque de connaissance ou le manque de sensibilité des gens qui ont peut-être plus d'affinités pour les arts. S'il n'y a personne pour défendre la question militaire, elle risque de prendre un coup. Puis ensuite, vous avez dû réagir comme moi lorsque Mme Susan Riley, «national arts writer» du journal The Ottawa Citizen, nous annonce dans son récent article qu'il y aurait une immense expansion et qu'on s'en prendrait à Mackenzie King. En fait, c'est faire le procès de la société.
Et vous l'avez bien dit, il y a du mauvais dans le passé, il ne faut pas avoir peur. Mais est-ce que cela a sa place au Musée de la guerre? J'ai mes doutes. Et surtout faire le procès de toute la société canadienne-française. Je me suis vraiment emporté tantôt. Il n'y avait rien de bon, à ce que je peux voir. C'est toute l'Église catholique, ce sont tous les meilleurs éléments des médias, tous les intellectuels et là, j'ai le droit de me fâcher, sénateur Cools et les autres, parce que vraiment, on s'en prend à tout mon peuple. C'est comme s'il n'y avait rien eu de bon, et pourtant mon frère s'est porté volontaire en 1939. Il n'a pas été appelé. Il n'a pas été forcé. En 1939, il a servi en Europe. Son seul défaut, c'est peut-être de ne pas être mort. C'est pour cela qu'il a peut-être moins de mérite.
Je trouve cela malheureux qu'on nous ait obligé, j'irai jusqu'à dire je trouve cela -- et j'utilise un mot assez fort -- répugnant. Alors que tous ces efforts auraient dus être faits pour nous comprendre, nous parler et nous convaincre. Cela n'a pas été fait.
[Traduction]
Je gardais ce tableau jusqu'à vendredi, quand j'allais le montrer aux journalistes. On dirait que c'est un groupe de prisonniers Canadiens qui se rendent, plutôt que des gens qui partent en guerre.
[Français]
Si on regarde ce tableau, quand je l'ai vu, j'avais l'impression que c'étaient des Canadiens qui venaient de rendre les armes et qui étaient prisonniers de guerre. On me dit que ce n'est pas cela. Peut-être que je ne suis pas très fort dans les arts interprétatifs, mais on verra.
M. Addy: Cela a été gênant pour moi de voir ce qu'on faisait à notre musée. Je ne serais pas ici si je ne pensais pas comme vous.
[Traduction]
Le sénateur Cools: Dans le même article de Susan Riley auquel le sénateur Prud'homme a fait allusion, on parle de l'antisémitisme de Mackenzie King. À votre avis, qu'est-ce que cela signifie?
M. Addy: Étant général et non pas historien de profession, je trouve difficile de répondre à votre question.
À cette époque, pendant la guerre, il y avait toutes sortes de groupes et de clubs exclusifs, par exemple les Chevaliers de Colomb, les Orangistes, ou le Club Richelieu. Cela faisait partie de la culture de l'époque. Tout le monde a grandi avec cela. Ce serait abusif et injustifié de prétendre maintenant que tous les membres de ces clubs étaient des gens affreux.
Le président: Nous y avons survécu et construit un bon pays, n'est-ce pas?
M. Addy: À mon avis, il n'est pas si mal. Je n'hésiterais pas à me battre encore pour le défendre.
Le président: Je vous remercie d'avoir accepté de comparaître aujourd'hui.
Notre premier témoin demain matin est M. Doug Fischer. Demain, nous aurons aussi une téléconférence avec un membre de la commission Southam qui ne peut pas se rendre à Ottawa.
La séance est levée.