Délibérations du comité sénatorial permanent des
Peuples autochtones
Fascicule 6 - Témoignages du 21 mars 2000
OTTAWA, le mardi 21 mars 2000
Le comité sénatorial permanent des peuples autochtones auquel a été renvoyé le projet de loi C-9, Loi portant mise en vigueur de l'Accord définitif nisga'a, se réunit aujourd'hui à 9 heures pour examiner ledit projet de loi.
Le sénateur Jack Austin (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président: Honorables sénateurs, nous poursuivons aujourd'hui notre étude du projet de loi C-9. Notre premier témoin est M. Doug Sanders, professeur à la faculté de droit de l'Université de la Colombie-Britannique.
Monsieur Sanders, nous vous souhaitons la bienvenue.
M. Doug Sanders, faculté de droit, Université de la Colombie-Britannique: Monsieur le président, je veux vous entretenir aujourd'hui essentiellement de certaines des questions se rapportant à l'autonomie politique et au statut constitutionnel du gouvernement nisga'a, qui découlent du traité.
L'idée de l'autonomie politique des Indiens n'est pas nouvelle. La Proclamation royale de 1763 mentionnait les «nations ou tribus sauvages qui sont en relation avec Nous et qui vivent sous notre Protection». Par ces mots, le pouvoir colonial affirmait sa suzeraineté par rapport aux gouvernements tribaux successifs. Les structures gouvernementales tribales existaient, et c'étaient les dirigeants de ces tribus qui négociaient avec les représentants de la Couronne.
Dès son adoption au XIXe siècle, la Loi sur les Indiens imposait un gouvernement indirect en reconnaissant les dirigeants et les conseils traditionnels, tout en favorisant la mise sur pied de conseils de bande élus. Ce mode de gouvernement indirect se situe entre les gouvernements traditionnels du passé et les gouvernements indiens modernes, et constitue la base de la «souveraineté tribale» aux États-Unis et du «droit inhérent à l'autonomie politique» au Canada.
Lorsqu'il était premier ministre, John Diefenbaker a fait allusion à l'autonomie politique des Indiens dans un discours prononcé à la Chambre des communes. Lorsqu'il était ministre des Affaires indiennes, Jean Chrétien a appuyé la position adoptée par la Fraternité des Indiens du Canada dans un document intitulé «L'éducation des Indiens aux mains des Indiens» qui se prononçait en faveur de l'administration par le gouvernement indien de certains aspects du système éducatif.
Les seules importantes modifications apportées à la Loi sur les Indiens au cours des 20 dernières années, remontent à 1985 et à 1988. Les modifications adoptées en 1985 visaient à remettre aux bandes indiennes le pouvoir de décider des critères d'appartenance à la bande. Les modifications adoptées en 1988 accordaient aux bandes indiennes le pouvoir de lever des impôts, de prendre des règlements de zonage et de délivrer des permis visant les résidents et les entreprises non indiennes exerçant leurs activités sur des terres indiennes qui leur étaient louées ou qui appartenaient à la réserve. Ces deux séries de modifications élargissaient les pouvoirs conférés au gouvernement des bandes.
Le rapport du comité spécial sur l'autonomie politique des Indiens déposé en 1983 appuyait évidemment de façon très convaincante le concept de l'autonomie politique. Ce rapport, adopté à l'unanimité par tous les partis, utilisait pour la première fois des termes qui sont maintenant devenus courants, soit «l'autonomie politique» et «les Premières nations». Le concept de l'autonomie politique est affirmé dans la Convention de la baie James et du Nord québécois, les lois créant les territoires du Nord-Ouest et le territoire du Yukon, la Loi sur l'autonomie gouvernementale de la bande indienne sechelte et la loi créant le Nunavut.
Compte tenu de ces faits historiques, je suis quelque peu surpris que les adversaires du traité conclu avec les Nisga'a considèrent celui-ci comme un changement radical par rapport à la situation antérieure. Dans un article qu'il faisait paraître il y a deux ans dans le journal B.C. Studies, M. Gordon Gibson qualifiait le traité de «système radicalement nouveau».
J'aimerais faire certaines observations se rapportant aux éléments du traité nisga'a, qui ont trait à l'autonomie gouvernementale. Certains de ces éléments ont déjà été soulevés lors de vos délibérations. Il y a d'abord la question de savoir si ce traité crée un système collectiviste ou communautaire. Dans l'article auquel je faisais allusion, M. Gordon Gibson faisait valoir que le traité créait une «collectivité dotée de très grands pouvoirs». La presse a souvent repris ces termes en Colombie-Britannique.
La Loi sur les Indiens comporte des dispositions prévoyant la répartition aux membres de la bande, de terres situées sur les réserves. Le conseil de bande peut faire cette répartition avec l'accord du ministre. Les tribunaux ont toujours reconnu que les membres de la bande auxquels ces terres sont attribuées, en deviennent propriétaires de plein titre, et que ces terres cessent d'appartenir à la bande. Le traité énonce que les Nisga'a qui possèdent déjà des terres situées sur la réserve continueront d'en être légalement propriétaires. Ayant visité de nombreuses réserves en Colombie-Britannique et dans d'autres régions du pays, j'ai pu clairement constaté qu'il existe sur les réserves un système de propriété privée. Les gens sont propriétaires de leurs maisons, les vendent à d'autres membres de la bande, lèguent leurs maisons à leurs enfants et exploitent leurs propres entreprises sur des terres situées sur les réserves. Même les réserves qui refusent de suivre le système de répartition prévu dans la Loi sur les Indiens, ont adopté en pratique un système de propriété privée. Le système foncier comporte donc des aspects collectifs et des aspects individuels, tant sur les terres situées sur les réserves que sur les terres situées à l'extérieur de celles-ci.
Il convient maintenant de se demander si le traité accorde au gouvernement nisga'a des pouvoirs démesurés. À en croire les détracteurs du traité, le gouvernement canadien n'aurait plus compétence que sur la devise, la défense nationale et l'île de Sable. Il est vrai que les Nisga'a seront chargés d'administrer notamment un certain nombre de services sociaux, de services de santé et d'aide sociale, mais qu'en est-il des pouvoirs législatifs les plus importants? Les Nisga'a n'obtiennent aucun pouvoir en matière pénale ni en matière commerciale, contrairement aux gouvernements tribaux indiens des États-Unis.
Permettez-moi d'essayer de résumer les pouvoirs qui seront conférés aux Nisga'a. Ils auront compétence sur les questions liées à la culture, à la langue et à l'éducation. Ils pourront adopter des lois prévoyant la dévolution de biens culturels nisga'a, mais n'ont aucune compétence sur la propriété intellectuelle. Les programmes scolaires mis en oeuvre dans les écoles nisga'a devront se conformer aux normes provinciales. Les gouvernements nisga'a pourront réglementer l'utilisation des terres, les normes du bâtiment et les entreprises locales. Ils pourront aussi réglementer les jeux d'argent, les loteries et les paris, qui sont normalement de compétence fédérale et provinciale. Les gouvernements nisga'a auront compétence dans les questions liées au droit de la famille, qui comprennent les services à l'enfance et aux familles ainsi que la célébration des mariages. Ils exerceront un certain nombre de pouvoirs en ce qui touche l'adoption des enfants nisga'a.
Les gouvernements nisga'a auront une compétence limitée dans le domaine de l'ordre public sous réserve du respect des lois fédérales et provinciales. Ils auront notamment compétence en ce qui touche la possession, la consommation et la vente d'alcool. Le traité permet la création d'une force policière nisga'a et d'un tribunal nisga'a dont les décisions pourront être portées en appel devant les tribunaux normaux. Les testaments et les successions continueront de relever des lois provinciales pendant un certain temps, mais les gouvernements nisga'a assumeront progressivement des pouvoirs législatifs dans ces domaines.
Voici comment j'ai déjà caractérisé par écrit les pouvoirs que confère le traité aux Nisga'a:
Le traité confère aux Nisga'a des pouvoirs en matière d'autonomie politique sur les questions sur lesquelles ils ont déjà compétence en vertu de la Loi sur les Indiens; sur des questions sur lesquelles ils ont déjà compétence en vertu d'accords intergouvernementaux, notamment dans le domaine des services policiers, des services correctionnels, de l'éducation et de services à l'enfance; ou sur des questions, comme la langue et la culture, qui devraient logiquement relever du gouvernement nisga'a; ou encore sur les questions comme la vente des boissons alcooliques ou les jeux et paris, dans la mesure où la province le permet.
Les seuls pouvoirs dans cette liste dont on peut peut-être être surpris qu'ils ont été conférés aux Nisga'a sont les pouvoirs dans le domaine de l'adoption et de la célébration du mariage et je ne pense pas que l'octroi de ces pouvoirs aux Nisga'a soit vraiment contesté.
Après avoir examiné les pouvoirs qui ont été conférés aux gouvernements nisga'a, j'aimerais maintenant vous entretenir de la question de l'application de la Charte canadienne des droits et libertés, laquelle suscite une confusion très compréhensible.
La Charte elle-même énonce qu'elle s'applique aux gouvernements fédéral et provinciaux. Selon les professeurs Peter Hogg et Mary Ellen Turpel, à leur avis, la Charte s'applique aux gouvernements autochtones exerçant leur droit à l'autonomie politique en vertu de l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. L'article 25 de la Charte prévoit que celle-ci ne porte pas atteinte aux droits ou libertés -- ancestraux, issus de traités ou autres -- des peuples autochtones du Canada.
La question se pose de savoir quelle est l'étendue de l'exception prévue à l'article 25. Cette disposition soustrait-elle les gouvernements des Premières nations à l'application de la Charte? Nous ne savons pas encore trop à quoi nous en tenir à ce sujet, mais il est clair que les tribunaux ne souhaitent pas interpréter l'article 25 comme soustrayant totalement les gouvernements autochtones à l'application de la Charte. La Cour suprême du Canada, dans l'affaire Corbiere en 1999, a statué que l'article 25 ne protégerait pas toutes les lois se rapportant aux questions indiennes. On peut raisonnablement penser que cette décision s'appliquera tant aux lois fédérales qu'aux lois adoptées par un gouvernement nisga'a.
Pour qu'une disposition législative puisse être protégée par l'article 25, il est nécessaire qu'elle ait une importance culturelle pour les autochtones. Selon Gordon Gibson, le fait que le traité reconnaisse que le gouvernement nisga'a est un gouvernement libre et démocratique, signifie qu'il ne sera pas assujetti à la Charte. À mon avis, il ne fait aucun doute qu'il le sera.
La question suivante qui se pose est celle de savoir si nous devons nous préoccuper de la constitutionnalisation des pouvoirs d'autonomie politique du gouvernement nisga'a? Comme je l'ai déjà fait remarquer, le concept de l'autonomie politique n'est pas nouveau et il est très bien accepté au Canada. J'ai fait valoir que les pouvoirs conférés aux Nisga'a en matière d'autonomie politique sont modestes. À mon avis, ce gouvernement sera assujetti à la Charte, et les décisions qu'il prendra pourront faire l'objet d'un examen judiciaire.
Je soutiens que le traité nisga'a intégrera le gouvernement nisga'a à l'ordre constitutionnel canadien et normalisera, ou structurera en particulier, ses liens avec les gouvernements provinciaux, ce que le système actuel ne fait pas adéquatement. Les détracteurs du traité en Colombie-Britannique soutiennent, pour leur part, que le traité prévoit une intégration trop poussée.
Enfin, j'aimerais aborder la question de savoir si ce traité représente, directement ou indirectement, une modification constitutionnelle. Permettez-moi de préciser que j'enseigne le fédéralisme canadien depuis plus longtemps que je n'ose l'avouer. Je pense que j'ai commencé à enseigner en Ontario en 1969. Je soutiens que le traité ne constitue pas une modification constitutionnelle. La modification constitutionnelle de 1982 reconnaissait et affirmait, cependant, l'existence de droits autochtones et de droits issus de traités. Comme la Cour suprême du Canada l'a énoncé depuis, cette modification constitutionnelle a donné force de loi aux traités conclus dans le cadre du système juridique canadien. Avant 1982, il n'existait pas de principe général dans le système juridique canadien donnant force de loi aux traités, même si certaines dispositions législatives donnaient force de loi à certains engagements pris dans les traités.
Un principe constitutionnel de base est qu'une constitution est un document qui doit s'appliquer pendant longtemps. Nous ne modifions pas les constitutions très fréquemment. Par conséquent, leurs dispositions doivent pouvoir continuer de s'appliquer malgré les nombreux changements qui peuvent survenir dans la société. Les catégories abordées dans la Constitution peuvent demeurer les mêmes, mais leur contenu exact changera avec le temps.
Permettez-moi de vous donner un exemple. Au fil des ans, des réserves indiennes ont été créées et des terres sur les réserves ont fait l'objet de cession. Cela signifie que le contenu de la catégorie constitutionnelle intitulée «Terres réservées pour les Indiens», a changé puisque certaines terres continuent d'appartenir à cette catégorie et que d'autres n'y appartiennent plus.
Le contenu de la catégorie a changé, mais non pas la catégorie proprement dite. Pour ce qui est de la catégorie des Indiens elle-même, comme les Indiens naissent et meurent, le contenu de la catégorie change avec le temps.
À mon sens, les traités qui peuvent être conclus de temps à autre appartiennent à la catégorie des traités existants dont il est question à l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. Si l'on interprétait autrement la Constitution, cela irait à l'encontre des règles établies et créerait un système trop rigide. Le traité nisga'a modifie le contenu de la catégorie constitutionnelle, mais il ne modifie pas la Constitution. Ce traité ne représente pas une modification constitutionnelle.
Voici comment je concluais un article portant sur le traité nisga'a:
Le Traité nisga'a est complexe, mais ses principes essentiels sont raisonnablement clairs. Les Nisga'a ont obtenu une assise foncière dans leurs territoires traditionnels ainsi qu'une certaine autonomie politique qui leur permettra d'être collectivement maîtres de leur destinée.
Le sénateur St. Germain: Monsieur Sanders, vous ne considérez pas que ce traité constitue un changement radical par rapport à la situation actuelle. J'aimerais connaître votre opinion. Nous passons de la méthode de la délégation de pouvoirs pour ce qui est d'accorder aux autochtones le droit à l'autonomie politique, méthode que nous avons adoptée dans le cas de la bande indienne de Sechelt. Bien des gens estiment que le fait que ce droit à l'autonomie politique soit maintenant conféré par la Constitution ou par une loi constitue un changement radical par rapport à la situation actuelle.
Que pensez-vous du fait que ceux qui s'estiment lésés par cet accord, comme d'autres bandes autochtones, devront s'adresser aux tribunaux pour obtenir justice. Les Nisga'a auront conclu un accord qui ne pourra être modifié qu'avec l'accord des trois parties, soit le gouvernement fédéral, le gouvernement provincial et les Nisga'a.
J'aimerais connaître votre avis là-dessus parce que des résidents de la Colombie-Britannique me disent que cela constitue un changement radical par rapport à ce que nous avons fait jusqu'ici.
M. Sanders: Le modèle actuel de gouvernement indien est un modèle délégué dont les pouvoirs sont précisés dans la Loi sur les Indiens. Parce que des fonctions administratives leur ont été déléguées, les autochtones exercent un pouvoir accru dans différents domaines. Les autochtones déplorent depuis longtemps le fait que le système actuel ne comporte aucune garantie et à l'occasion, ils ont fait peu confiance aux gouvernements au pouvoir en raison de la façon dont ils ont été traités par le passé. Depuis longtemps, les autochtones réclament que les traités, les droits issus de traités, et les droits ancestraux soient mieux protégés. C'est ce qui est ressorti des audiences législatives qui ont eu lieu dans les années 40 et à la fin des années 50.
La constitutionnalisation de l'accord représente un changement, un changement que réclament depuis longtemps les autochtones qui éprouvent de la méfiance pour l'ensemble du système.
Devons-nous préoccuper de cette constitutionnalisation de l'accord? S'agit-il d'un changement important? Si nous espérons toujours assimiler ou éliminer les autochtones, et abolir les droits et l'autonomie culturelle dont jouissent les bandes indiennes, nous ne devrions évidemment pas constitutionnaliser ces dispositions. S'il y a cependant consensus au pays pour reconnaître que l'autonomie politique des autochtones est un bon principe qui devrait se refléter dans l'ordre politique, social et constitutionnel du pays, la constitutionnalisation du traité ne devrait pas poser problème à moins évidemment que les pouvoirs qui sont conférés aux autochtones soient démesurés, comme le soutiennent certains des adversaires du traité.
À mon avis, toute personne impartiale admettra que les pouvoirs que je vous ai décrits sont modestes et à caractère communautaire. Le système actuel des réserves n'a plus pour effet, comme par le passé, de marginaliser les autochtones. Le traité nisga'a n'exclut pas les Nisga'a de l'ordre gouvernemental, social et économique qui existe dans le reste du pays.
À mon avis, en rassurant les autochtones, la constitutionnalisation du traité aura un effet positif. Je ne m'attends pas à ce que le Canada revienne aux politiques manifestes qui visaient à assimiler et à éliminer les autochtones. À mon avis, les pouvoirs que confère ce traité aux Nisga'a sont modestes et appropriés. Voilà pourquoi je ne considère pas la constitutionnalisation du traité comme un problème.
Je n'ai pas abordé le problème auquel vous faites allusion, c'est-à-dire celui du chevauchement du territoire nisga'a avec les territoires d'autres groupes. Il s'agit d'une question particulièrement troublante. Les faits semblent indiquer que les diverses tribus autochtones ne parviennent pas à régler elles-mêmes le problème. Il se pose chaque fois qu'il est question de délimiter les frontières du territoire traditionnel d'une tribu autochtone. Il s'agit donc d'un problème qui peut être réglé dans le cadre du système juridique actuel.
Le sénateur St. Germain: Comme je sais que nous n'avons pas beaucoup de temps, monsieur le président, je céderai la parole à quelqu'un d'autre. J'aurais cependant d'autres questions à poser.
Le président: J'essaierai de vous redonner la parole, sénateur St. Germain.
J'aimerais poser une question supplémentaire. Le problème constitutionnel qui préoccupe certains, abstraction faite des questions sociales et politiques que vous avez abordées dans votre réponse, est que, pour la première fois, les gouvernements fédéral et provinciaux confèrent à une autre entité le pouvoir d'adopter des lois qui primeront, selon certains, sur les lois provinciales ou fédérales. J'estime plutôt que ces lois s'ajouteront aux lois provinciales ou fédérales. Pensez-vous qu'il s'agisse vraiment d'un problème constitutionnel?
M. Sanders: Permettez-moi d'abord d'exprimer clairement ma position au sujet des pouvoirs qui sont conférés aux Nisga'a. Certains de ces pouvoirs primeront sur les lois fédérales et provinciales. Différentes règles s'appliquent aux pouvoirs conférés aux Nisga'a, mais je ne voudrais pas donner l'impression que le traité ne confère pas certains pouvoirs exclusifs aux Nisga'a.
À l'heure actuelle, un certain nombre de lois provinciales ne s'appliquent pas aux collectivités qui vivent sur les réserves, mais ce sont essentiellement les terres situées sur les réserves qui ne sont pas assujetties à ces lois.
Le président: En vertu de la Loi sur les Indiens.
M. Sanders: En vertu de la Loi sur les Indiens. Il s'agit d'une décision judiciaire portant sur les domaines qui sont exclus des accords d'autonomie politique.
Certaines décisions judiciaires précisent aussi que les règlements des bandes portant sur les pêches à l'extérieur des réserves, priment sur les dispositions plus générales de la Loi sur les pêches. Une certaine autonomie est déjà conférée au gouvernement autochtone en vertu des accords existants. Par conséquent, le fait que certaines lois nisga'a pourront primer sur certaines lois provinciales, ne constitue pas un changement radical par rapport à la situation actuelle.
Certains diront évidemment que nous sommes passés d'un système de délégation à un système constitutionnel. Tous ceux qui ont examiné la politique qui s'applique aux autochtones au Canada depuis la fin de la guerre, en sont venus à la conclusion, que cela leur plaise ou non, que le gouvernement fédéral ne pouvait pas mettre fin au système des réserves, le système créé par la Loi sur les Indiens, et qu'on ne reviendrait pas à une politique visant à intégrer, à assimiler ou à éliminer les autochtones.
Comme l'a fait remarquer Mme Sally Weaver, anthropologue, la Loi sur les Indiens est, depuis 30 ans, impossible à modifier. Les deux modifications auxquelles j'ai fait allusion sont tout à fait exceptionnelles, et la deuxième a été adoptée parce qu'elle avait été à l'origine réclamée par les autochtones et appuyée par eux. Les organisations représentant les Indiens inscrits ne se sont pas opposés à la modification de 1985 qui l'a précédée.
Les collectivités autochtones ont déjà une existence juridique distincte. Certains, de temps à autre, se sont exprimés en faveur de l'assimilation, de la privatisation ou de l'élimination de ces systèmes. Il est maintenant impossible de défendre ce genre de position au Canada.
Par conséquent, que faut-il faire? Faut-il permettre le maintien du statu quo? Le statu quo semble aussi inacceptable au Canada. Le traité s'efforce d'asseoir l'autonomie des Nisga'a sur des bases solides en intégrant cette autonomie au système juridique, social et politique du pays. À mon avis, c'est l'objectif que vise et atteint le traité.
Le président: Permettez-moi de préciser ma question. Y a-t-il un principe dans notre droit constitutionnel qui déclarerait inconstitutionnel le fait de reconnaître aux Nisga'a le pouvoir, en vertu de l'autonomie politique qui leur est conférée, d'adopter des lois qui primeraient les lois fédérales ou provinciales?
M. Sanders: Il est impossible de répondre à cette question en se reportant au régime constitutionnel qui existait jusqu'ici, et en vertu duquel les autochtones étaient considérés comme une catégorie relevant de la compétence fédérale et non pas comme un pouvoir politique autonome. Le fait que la Constitution traite des autochtones et des terres réservées aux autochtones montre bien qu'on reconnaissait le fait qu'il faudrait prévoir des mesures distinctes au Canada en ce qui touche les autochtones, mais ces mesures ont pris la forme de pouvoir indirect, de pouvoir délégué et d'une bonne dose de paternalisme.
La Loi constitutionnelle de 1867 répartissait simplement les pouvoirs entre les deux paliers de gouvernement, un principe de base de notre Constitution. Autrement dit, la Constitution canadienne ne reflétait pas du tout le fait que le Canada constituait une colonie.
L'année 1982 constitue donc un jalon dans la mesure où notre Constitution reconnaît notre passé colonial, et le fait qu'il continue d'exister au Canada des collectivités indiennes qui n'ont pas été assimilées et qui souhaitent continuer d'exister de façon autonome au sein de la société canadienne. La constitutionnalisation des droits des autochtones en 1982 signifiait la disparition de l'idée que la Constitution répartissait simplement les pouvoirs entre deux paliers de gouvernement.
Nous avons aussi renoncé en 1982 à un autre principe fondamental, c'est-à-dire à celui de la suprématie du Parlement. La Charte modifierait de façon significative la vie constitutionnelle canadienne en imposant des limites aux pouvoirs des gouvernements fédéral et provinciaux, ce qui n'était absolument pas prévu dans la Loi constitutionnelle de 1867.
L'article 35 de la Charte modifie aussi radicalement les principes sur lesquels reposaient les constitutions de 1867 et de 1982. Nous avons tout lieu de nous en réjouir.
Le sénateur Tkachuk: J'ai encore du mal à saisir. Je comprends ce que vous dites au sujet de la modification constitutionnelle de 1982 et des traités qui sont entrés en vigueur par la suite et qui ne comportaient pas nécessairement le principe de l'autonomie gouvernementale. Je comprends aussi que les Canadiens aient rejeté le régime qui leur était proposé dans l'accord de Charlottetown. Ce traité est différent parce qu'il constitue une affirmation du droit à l'autonomie politique des autochtones et qu'il lui donne force de loi en vertu de l'article 35 de la Constitution.
Constitutionnalisons-nous maintenant un autre palier de gouvernement au Canada?
M. Sanders: En 1982, au moment de la rédaction de l'article 35 où il est question des droits ancestraux et des droits issus des traités, je pense qu'il est clair -- et j'ai écrit à ce sujet des articles que j'oblige mes étudiants à lire -- que les dirigeants politiques de l'époque songeaient aux droits de chasse et de pêche et aux réclamations foncières et non à l'autonomie politique. Cette situation a donné lieu à une certaine confusion et à une certaine incertitude par la suite. Faudrait-il que les traités ne portent que sur les questions auxquelles pensaient les rédacteurs de l'article 35 en 1982? Voilà essentiellement pourquoi j'ai insisté sur la modification constitutionnelle de 1982.
Nous avons tendance à considérer le rapport du comité spécial de la Chambre des communes sur l'autonomie politique des Indiens, présenté en 1983, comme un point tournant de notre histoire. Ce comité parlementaire a tenu des audiences qui ont été très fructueuses, a effectué des recherches de base solides et a produit un rapport qui se lit extrêmement bien. L'époque était aux changements. Les recommandations du rapport ont été adoptées par les leaders des deux partis d'opposition de l'époque. Le premier ministre Trudeau venait de remettre sa démission comme chef de son parti. Sept candidats cherchaient à se faire élire chef du Parti libéral fédéral, et tous les sept ont appuyé publiquement les recommandations du comité spécial. Nous considérons donc que ce rapport a fait époque.
Ce rapport a évidemment été déposé un an après l'entrée en vigueur des modifications constitutionnelles de 1982. Si l'on remonte dans le temps, nous constatons qu'il a toujours été question d'accorder certains pouvoirs gouvernementaux aux collectivités indiennes, tant au Canada qu'aux États-Unis, mais pas en Australie.
La question qui se posait alors était de savoir ce que décideraient les tribunaux au sujet de l'autonomie gouvernementale. La Cour suprême du Canada ne s'est pas prononcée directement sur la question. La position la plus claire à ce sujet a été énoncée dans une affaire portant sur l'exemption de la taxe de vente au Nouveau-Brunswick dans laquelle la juge McLachlin, maintenant juge en chef de la Cour suprême, dit que l'exemption va dans le sens de l'objectif de l'autonomie gouvernementale en accordant aux gouvernements autochtones une assiette fiscale. La Cour suprême du Canada n'a pas abordé de façon plus directe la question de l'autonomie gouvernementale.
L'accord de Charlottetown reflète l'incertitude qui existait après 1982, le sentiment qu'il fallait que la Constitution comporte un énoncé clair au sujet de l'autonomie gouvernementale des autochtones et au sujet de l'application de la Charte des droits et libertés.
Les dispositions sur l'autonomie gouvernementale des autochtones constituaient les dispositions les plus populaires de l'accord de Charlottetown. Jacques Parizeau était alors chef de l'opposition au Québec. Il a dit qu'il fallait rejeter l'accord, mais conserver les dispositions portant sur les autochtones. Sharon Carstairs, alors chef de l'opposition libérale au Manitoba, a été l'une de celles qui s'est opposée le plus vigoureusement à l'accord de Charlottetown. Comme M. Parizeau, elle a soutenu qu'il fallait rejeter l'accord de Charlottetown, mais qu'on devrait conserver les dispositions portant sur les autochtones. De toutes les dispositions que comportait l'accord de Charlottetown, ce sont celles portant sur l'autonomie politique des autochtones qui recueillaient le plus vaste appui auprès de la population.
L'accord de Charlottetown a été rejeté, mais cela ne signifie pas qu'on ait aussi rejeté le concept de l'autonomie politique des autochtones. Ce ne sont pas les dispositions portant sur l'autonomie politique des autochtones qui ont fait achopper l'accord, lequel n'a pas été appuyé par les autochtones vivant dans les réserves. D'après ce que nous pouvons voir, il a eu l'appui des Métis et par les Inuits mais en dernier ressort, l'accord a été rejeté par la population. L'accord de Charlottetown traitait donc de l'autonomie politique des autochtones.
Depuis lors, les universitaires, les partis politiques, divers gouvernements ainsi que la Commission royale sur les peuples autochtones ont adopté comme position que l'autonomie politique constitue un droit ancestral et un droit issu des traités, reconnu implicitement dans l'article 35 de la Constitution. Si je me reporte aux chiffres que j'ai vus sur le sujet, je pense pouvoir affirmer qu'on s'entend maintenant pour dire que l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 reconnaît aux autochtones le droit à l'autonomie politique. Par conséquent, le traité nisga'a ne fait que limiter l'incertitude qui existait à cet égard en conférant aux Nisga'a des pouvoirs précis, et en définissant la relation entre les gouvernements indiens et les gouvernements fédéral et provinciaux, dans notre régime constitutionnel.
Le sénateur Tkachuk: Lorsque vous avez fait remarquer que les autochtones possèdent individuellement des terres, vous avez mentionné le fait que M. Gibson considère qu'il existe un régime collectiviste dans les réserves autochtones.
Comment cela fonctionnera-t-il dans cet accord particulier? Si une famille indienne achète une propriété, obtient-elle le titre de cette propriété?
M. Sanders: Le système actuel prévoit une attribution qui est confirmée par un document appelé certificat de possession. Les Nisga'a auront le pouvoir de légiférer à ce sujet. Les modalités exactes...
Le sénateur Tkachuk: Seront-ils propriétaires en fief simple? Un Indien peut-il devenir propriétaire en fief simple d'un terrain?
M. Sanders: Ce ne sera pas une propriété en fief simple au sens d'un titre transférable. Ils peuvent la vendre à d'autres membres de la bande. Ils ne peuvent pas la vendre à l'extérieur de la bande sans suivre une procédure spécifique.
Le président: Je dois vous interrompre, car le temps file. Avez-vous terminé? Sinon, poursuivez.
Le sénateur Tkachuk: Je voulais m'assurer que le témoignage précise bien comment la propriété d'un terrain sera traitée dans une réserve.
Monsieur, vous avez dit tout à l'heure que la propriété foncière sera respectée, mais que, légalement, la personne qui obtient la terre ne la possède pas en fief simple et ne peut pas la vendre à qui elle veut. Autrement dit, cette personne ne peut la revendre qu'à des personnes qui habitent dans la réserve. Le marché potentiel se limite à ses voisins, aux Nisga'a eux-mêmes et à personne d'autre. C'est défini par la race. Il peut seulement vendre sa propriété à ce groupe de gens et à personne d'autre.
M. Sanders: Il pourra seulement la vendre, la céder ou la léguer par testament, à des personnes qui font partie des Nisga'a. Pour conclure un marché quelconque avec des tierces parties, le titulaire d'une attribution devra conclure des arrangements spéciaux qui sont possibles aux termes du système actuel. Je crois que ce sera encore possible dans le cadre du régime nisga'a, une fois que ceux-ci auront mis en place leur législation foncière.
Le sénateur Andreychuk: Vous avez énoncé un principe auquel la plupart des Canadiens souscrivent, je crois, à savoir qu'il faut appuyer l'autonomie politique des peuples autochtones. Il se trouve que je suis d'accord avec cela. Je pense que vous l'avez dit éloquemment.
Ce qui m'inquiète au sujet de ce projet de loi, c'est sa constitutionnalité. Comme vous venez de la faculté de droit, je voudrais que vous me le disiez. Je comprends l'article 35, mais je ne pense pas que l'on envisageait, même pendant les négociations, qu'il aille aussi loin que vous le dites. Sur quoi vous fondez-vous pour dire que l'article 35 légitime l'accord nisga'a?
M. Sanders: J'ai déjà fait savoir qu'à mon avis, les politiciens qui ont rédigé l'article 35, dans le cadre d'un processus très politique, n'ont pas abordé la question de l'autonomie politique. La question qui se pose est donc la suivante: comment faut-il interpréter maintenant l'article 35? Englobe-t-il, oui ou non, l'autonomie politique?
Si l'on examine les traités qui ont été signés au cours de notre histoire, avant 1982, on peut dire qu'ils comportaient des éléments d'autonomie politique. La tendance historique, y compris le régime d'administration indirecte érigé par la Loi sur les Indiens, comportait des éléments d'autonomie politique. Par conséquent, le fait qu'en 1982 les politiciens n'avaient pas à l'esprit l'article 35, ne nous éclaire pas sur la façon dont les tribunaux pourraient interpréter l'article 35 si l'on présentait en cour un plaidoyer complet faisant appel à l'histoire.
Je suis d'avis qu'il y a eu une évolution considérable au Canada depuis 1982, et que l'autonomie politique y remporte maintenant un appui généralisé, alors qu'aucun autre groupe que les Indiens, ne la préconisait en 1982. Il ne faut pas perdre de vue que la Loi constitutionnelle de 1982 a donné lieu à beaucoup d'opposition de la part des Indiens eux-mêmes. Beaucoup d'entre eux étaient préoccupés par le fait que l'on n'avait pas reconnu expressément les positions défendues par les Indiens en ce qui a trait à l'autonomie politique.
Il y a une controverse sur le contenu. Il s'agit donc d'estimer, de notre mieux, comment nos tribunaux interpréteraient l'article 35. Je pense qu'il y a consensus parmi les universitaires, tout au moins ceux qui rédigent des articles sur cette question, pour dire que les tribunaux jugeraient que l'article 35 englobe l'autonomie politique.
Le sénateur Andreychuk: Ce qui me préoccupe, c'est que ceux parmi nous, qui souhaitent l'instauration de ce degré d'autonomie gouvernementale, craignent que la méthodologie adoptée dans l'accord nisga'a pourrait déboucher sur une décision défavorable, les tribunaux déclarant la décision inconstitutionnelle. La délégation de pouvoir se fait d'une façon plutôt abstraite, et non pas au moyen d'une modification constitutionnelle, par exemple.
Par conséquent, si votre point de vue n'est pas accepté, je crains deux conséquences. Premièrement, ce sera un revers pour les revendications et les droits des autochtones, et ce n'est pas ce que je souhaite. Deuxièmement, nous verrons de nouveau les juges s'ériger en législateurs. Comme vous le savez, dans votre spécialité, la magistrature s'en donne à coeur joie, alors qu'en fait, il devrait plutôt incomber au Parlement de faire de bonnes lois. Autrement dit, si cette question est aussi embrouillée que vous le dites, vous invitez les tribunaux à faire preuve de créativité, et ils ne se gêneront pas pour le faire.
Par contre, les tribunaux pourraient aussi dire que cela va bien au-delà d'une interprétation créative, et qu'il est légitime de modifier la Constitution ou de procéder d'une autre façon. Je m'inquiète du dilemme dans lequel nous pourrions nous retrouver à cause de la méthodologie choisie pour mettre en oeuvre l'accord nisga'a.
M. Sanders: Je pense que les tribunaux seraient grandement soulagés de se voir présenter un texte comme l'accord nisga'a, qui précise, dans les moindres détails, les pouvoirs délégués et établit clairement leur rapport avec les pouvoirs des gouvernements fédéral et provinciaux. Je pense que le principal facteur qui, jusqu'à maintenant, a freiné l'intervention des juges dans le dossier de l'autonomie gouvernementale, c'est leur crainte d'être obligés de définir les pouvoirs et de structurer les relations entre le gouvernement indien et les autres gouvernements établis par le régime constitutionnel canadien.
Les tribunaux n'ont cessé d'insister pour dire que le tout devait se régler par voie de négociations. Cela cadre parfaitement avec cette préoccupation de la Cour suprême du Canada. Je pense que les juges trouveraient que ce document leur apporte une certitude et leur évite bien des maux de tête. Je crois que la magistrature appuiera fermement ce document.
Le sénateur Andreychuk: Je vais poursuivre dans la même veine, mais je veux bien préciser que le professeur a bel et bien dit que tous les groupes autochtones étaient en faveur de cette disposition qui figurait dans l'accord de Charlottetown. Or, je fais remarquer qu'un certain nombre de groupes de femmes autochtones avaient des réserves au sujet de l'accord de Charlottetown.
Le sénateur Gill: Monsieur Sanders, si vous n'y voyez pas d'inconvénient, je vais parler français.
[Français]
Vous voyez actuellement autour de cette table, et vous avez dû voir auparavant, beaucoup de gens qui avaient des inquiétudes et un peu d'anxiété parce qu'avec les ententes avec la Baie-James, le Nunavut, Sechelt et les Nisga'a, les gens ont l'impression qu'on crée ou qu'on donne des droits. L'intention est de trouver des moyens d'établir des partenariats dans l'application des droits. C'est complètement différent. Je comprends que l'attitude soit encore celle-là parce que depuis la proclamation royale, en passant par le Traité de Paris, l'Acte de Québec, l'extension des frontières des provinces, et cetera, cela a toujours été une confirmation de droits d'une façon unilatérale par les colonisateurs. Les cours ont, depuis environ 30 ans, confirmé ces droits et on dit aux gens de s'asseoir, de négocier et de trouver une façon d'appliquer les droits. C'est une question beaucoup plus d'attitude et d'habitude qu'on doit se donner pour trouver une solution afin de vivre de façon harmonieuse entre autochtones et non-autochtones maintenant. Il ne s'agit pas de vous demander de créer des droits. Ils sont là et ont été confirmés maintes et maintes fois. La question à se poser est comment doit-on appliquer ces droits? Notre discussion et notre façon de faire les choses changeraient beaucoup. Qu'en pensez-vous?
[Traduction]
M. Sanders: Je conviens assurément que, durant la période coloniale de l'histoire de notre pays, les droits des autochtones ont été reconnus dans plusieurs documents importants, la Proclamation royale de 1763 étant le plus célèbre de ceux-ci. Dans l'histoire de l'Amérique du Nord, il n'aurait tout simplement pas été possible de ne pas reconnaître d'une façon quelconque les droits des autochtones. Nous avons réussi à aller au-delà de cette reconnaissance de l'époque coloniale, au moyen des dispositions de la Loi constitutionnelle de 1982. Fondamentalement, ces dispositions ont inclus les peuples autochtones dans le régime constitutionnel; ils ne sont plus des objets que l'on peut manipuler dans l'ordre constitutionnel, puisqu'ils font maintenant partie de l'ordre constitutionnel. Par conséquent, le partenariat et la réconciliation deviennent possibles sur les plans politique et juridique, parce que ce changement fondamental a eu lieu, et les droits sont perçus, non seulement comme découlant de la reconnaissance dans les documents de l'époque coloniale, mais comme des droits inhérents que possèdent intrinsèquement les autochtones eux-mêmes, ce qui est une décolonisation remarquable de notre discours dans ce domaine.
Le président: Nous vous sommes reconnaissants de nous avoir prêté main-forte ce matin, et je vous remercie d'être venu de Vancouver pour témoigner devant nous.
Nous allons maintenant passer au témoin suivant.
Le sénateur St. Germain: Monsieur le président, je trouve que nous avons trop peu de temps pour les nombreux témoins que nous devons entendre.
Le président: Je peux imposer un quota sur les questions, si vous voulez, sénateur, mais j'essaie de donner à chaque témoin la chance de formuler des opinions, en particulier sur des questions qui sont essentielles pour le comité, par exemple, les questions constitutionnelles que vos collègues posent.
Le sénateur Tkachuk: Je crois que le sénateur St. Germain soulève un point valable. Si nous sommes ici seulement pour écouter, nous ferions aussi bien de lire simplement les mémoires. Nous devons avoir la possibilité de poser des questions, et non pas seulement d'écouter les témoignages. J'avais beaucoup de questions à poser à M. Sanders et je n'en ai posé que deux.
Je suis certain que je ferai la même observation jeudi prochain, car nous serons alors tout aussi occupés. En fait, nous ne siégerions pas normalement jeudi prochain, et nous serons encore ici la semaine d'après. Si c'est ainsi que nous menons nos affaires, je ne suis pas très content. Nous devrions donner à tous ceux qui viennent témoigner ici, la chance de répondre à des questions et d'exprimer leurs opinions. Ce sera troublant si mercredi et jeudi, nous sommes trop occupés pour accorder tout le temps qu'il faut aux témoins. Je m'oppose à cette façon de procéder et je ferai connaître mon opposition à chaque séance.
Le président: Nous allons continuer de procéder le plus rapidement possible. Le comité étudie ce projet de loi depuis plusieurs semaines. Vous aurez amplement l'occasion d'aborder les questions qui vous tiennent à coeur quand le comité fera rapport au Sénat.
Le sénateur Tkachuk: Enfin, ce n'est pas la seule raison d'être des comités. Pourquoi prenons-nous la peine de siéger en comité, si nous n'avons pas une période de temps raisonnable pour poser nos questions? Peut-être qu'on devrait s'en débarrasser, en deux temps trois mouvements, au comité plénier du Sénat.
Le président: Je suis désolé que nous devions discuter de cette question maintenant, mais allons-y. Le comité a un mandat qui lui est confié par le Parlement et ce mandat ne consiste pas à donner à chaque sénateur l'occasion d'aborder n'importe quelle question pendant tout le temps qu'il voudra. Les comités du Sénat n'ont jamais fonctionné ainsi.
En tant que président du comité, j'essaie de faire comparaître des témoins qui ont des choses pertinentes à dire, sur tous les aspects de la question, de manière que le comité entende tous les témoignages pertinents. C'est la tâche qui incombe au président et, si vous n'êtes pas d'accord, je n'ai pas d'objection à ce que vous exprimiez votre désaccord à chaque séance ou chaque fois que vous serez en désaccord avec ma façon de diriger le comité. Allez-y, c'est votre droit le plus strict.
Le sénateur Tkachuk: C'est mon droit le plus strict, et je ne suis pas d'accord avec ce que vous dites sur la raison de notre présence ici. Je sais bien qu'il y a un agenda, mais si je ne trompe, nous sommes encore en mars et nous n'allons pas ajourner d'un jour à l'autre. Le projet de loi a été adopté par la Chambres des communes, et, à moins que le premier ministre déclenche des élections la semaine prochaine, nous avons le temps d'étudier la question. Pourquoi cette précipitation? Voilà pourquoi il y a tellement de méfiance, monsieur le président.
Depuis que je siège au Sénat, chaque fois que nous sommes saisis d'un projet de loi qui concerne les autochtones, nous nous empressons de l'adopter en toute hâte dès qu'il nous arrive; il y a toujours une sorte d'échéance invisible -- du moins je ne l'ai jamais vue -- qui exige que l'on adopte le projet de loi à la hâte.
Je veux que ce projet de loi soit étudié comme il faut. Je veux qu'il soit examiné attentivement et je veux qu'on y consacre un temps raisonnable. Je ne vois pas ce qui presse. Quoiqu'il en soit, je donne seulement mon avis comme j'ai le droit de le faire, monsieur.
Le président: Je n'en disconviens pas.
Le sénateur St. Germain: Sans vouloir retarder les choses, car M. Newton attend, monsieur le président, je suis d'accord avec ce que le sénateur Tkachuk vient de dire. Vous avez évoqué un agenda parlementaire, eh bien, la clôture a été appliquée dans la province et à la Chambre des communes, et peut-être qu'on avait de bonnes raisons de le faire, mais il n'en demeure pas moins que les gens ont l'impression que le gouvernement essaie de faire adopter ce projet à toute vapeur.
Nos comités sont censés être le lieu d'un second examen objectif, et nous sommes censés étudier les dossiers à fond et de façon ordonnée, sans essayer de faire défiler un trop grand nombre de témoins en trop peu de temps.
Je crois comprendre que nous aurons une réunion du comité directeur et j'espère pouvoir aborder ces questions avec vous-même et les autres membres du comité directeur, au nom des sénateurs qui ont des préoccupations, mais pour l'instant, je propose que nous poursuivions l'audition du témoin qui comparaît devant nous.
Le président: Les deux observations qu'on a faites appellent une réponse supplémentaire de ma part, à titre de président. Mon objectif est de diriger les audiences de manière à examiner la question de façon ouverte et impartiale. Je sais, toutefois, que d'aucuns -- je ne nommerai personne -- sont tellement fondamentalement en désaccord avec ce projet de loi, que leur objectif n'est pas d'aider à mener un débat ouvert sur cette mesure proposée, mais plutôt d'essayer de torpiller le projet de loi pour le faire réexaminer par les parties.
Veuillez croire que je vais en tenir compte. Je crois qu'après un examen équitable et ouvert, l'affaire mérite d'être étudiée par le Sénat tout entier et de faire l'objet d'une décision prise par le Sénat dans son ensemble. Je ne veux pas que le projet de loi s'éternise au comité. Je veux lui faire franchir les étapes du processus. Nous avons entendu et nous continuerons d'entendre des témoins.
Le sénateur St. Germain: Il n'y a aucun doute que vous avez essayé d'accélérer le processus quand j'ai commencé à m'occuper du dossier. Je vous ai dit, dès le début, que nous ne serions nullement obstructionnistes, de quelle que façon que ce soit. Il faut toutefois faire les choses comme il faut. Vous n'ignorez pas que les audiences en Colombie-Britannique n'ont pas eu lieu dans des conditions idéales, à cause des manifestants et d'autres événements, et nous espérions pouvoir examiner la question de façon approfondie dans notre comité.
Le président: Je crois que c'est ce que nous faisons.
Le sénateur St. Germain: À l'heure actuelle, ce qui m'inquiète, c'est que l'on télescope les témoins. À l'instar de mes collègues ici présents, je crains que l'on essaie de faire défiler un trop grand nombre de témoins en trop peu de temps.
Le sénateur Tkachuk: J'ai une question et c'est vous qui avez soulevé la question. Vous dites que, parce que vous soupçonnez que certains tentent peut-être de torpiller le projet de loi, nous devons accélérer la procédure. Il me semblait que c'était justement la nature même de la démocratie. Les gens qui s'opposent à certains projets de loi doivent avoir la possibilité de faire connaître leur opposition dans les règles, d'une manière juste et raisonnable.
Le président: Je nie qu'un quelconque opposant à ce projet de loi se voit empêcher de faire connaître son point de vue, d'une manière ou d'une autre. C'est une accusation qui commence à m'irriter.
Le sénateur Tkachuk: Pourquoi l'avez-vous dit?
Le président: Je dis qu'il y a des gens qui veulent faire obstacle au projet de loi. Je n'ai nommé personne. J'ai dit que cela ne s'appliquait pas nécessairement à une personne ici présente. Cependant, en tant que sénateur de la Colombie-Britannique, je suis au courant des tactiques dilatoires qui ont eu lieu à l'Assemblée législative de Colombie-Britannique et je sais que l'on a tenté de torpiller le projet de loi à la Chambre des communes. Je veux que le comité examine le projet de loi de façon ouverte et libre, sans qu'on tente d'y faire obstacle.
Je ne suis pas disposé à laisser le processus avancer au pas de tortue, au rythme du sénateur le plus lent ici présent. Ma tâche, en tant que président, est de diriger équitablement une procédure d'examen afin que nos témoins, quelle que soit leur opinion, puissent se faire entendre, et les témoignages doivent porter sur les éléments du projet de loi. C'est ce que j'essaie de faire. Si vous n'êtes pas d'accord avec moi, ni avec ma façon de diriger les travaux du comité, j'en suis désolé. C'est votre privilège. Je vais tenter de faire avancer les choses.
Le sénateur Sibbeston: Je comprends le processus. J'aurais aimé, moi aussi, poser des questions à M. Sanders, mais je comprends. J'aurais aimé faire valoir mon argument. Je trouve que, si nous voulons en terminer avec certaines questions, nous devons simplement poursuivre. Ce n'est pas une question de partisanerie.
J'ai quelque chose à dire, mais j'attendrai une autre occasion. Des témoins très intéressants vont comparaître devant nous. Je comprends le processus. Si nous voulons entendre toutes ces personnes, nous ne pouvons tout simplement pas trop approfondir la question avec un témoin en particulier, ou mettre l'accent uniquement sur un témoin en particulier. Je suis d'accord. Nous pourrions passer toute la journée, ou toute la matinée, à parler à M. Sanders. J'ai beaucoup de questions à poser mais j'attendrai car je peux faire valoir mon argument lorsque nous passerons à un autre témoin. Cela me satisfait.
Le président: Nous pourrions passer toute la journée avec de nombreux témoins parce qu'ils ont des choses extrêmement intéressantes à dire. Je ne crois pas que le comité ait ce privilège. Nous devons insister sur les questions dont nous sommes saisis et poursuivre.
Monsieur Newton, nous vous souhaitons la bienvenue ainsi qu'à votre organisation. Je vous demanderais d'exprimer votre point de vue.
M. Bruce Newton, Land Claim Committee of the Pinantan Pemberton Livestock Association: Monsieur le président, honorables sénateurs, au nom des membres de la Pinantan Pemberton Livestock Association, nous tenons à vous remercier de la possibilité qui nous est offerte de prendre la parole devant votre comité.
Notre objectif dans cet exposé est de montrer au comité comment l'Accord définitif nisga'a, et les débats qui entourent cette question, influent sur un groupe de Britanno-Colombiens. Notre association se compose de petits et de grands exploitants de ranch, de propriétaires de terres à bois et d'éleveurs. Géographiquement, nos terres sont très éloignées de celles des Nisga'a. Nous sommes, néanmoins, voisins de quatre bandes autochtones, soit les bandes indiennes de Kamloops, d'Adams Lake, de Little Shuswap et de Neskonlith, avec qui nous travaillons parfois et partageons des terres. Ces bandes sont membres du conseil tribal de Shuswap et de l'Alliance intérieure, laquelle représente près du tiers des autochtones de la province et s'oppose au traité. Les suggestions qui ont été faites concernant l'adoption de mesures plus extrêmes pour résoudre les revendications territoriales, nous inquiètent sérieusement.
Les membres de la Pinantan Pemberton Livestock Association sont visés par deux des 100 revendications particulières et plus qui font actuellement l'objet de discussions ou de différends dans notre province. En outre, il se pourrait bien qu'un grand ranch voisin soit transféré aux terres de réserve en vertu de la politique sur l'ajout aux terres de réserve. Le ranch Harper, près de Kamloops, s'étend sur 65 000 acres de terre. On y retrouve des biens-fonds cédés, des terres et des permis de pâturage; en outre, ces terres sont adjacentes à nombre des propriétés de nos membres. La bande indienne de Kamloops a acheté le ranch et a publiquement et en privé fait part à notre comité de son objectif, à savoir ajouter ces terres à la réserve existante.
Que je sache, il n'a été question ni de la politique sur les revendications particulières ni de la politique sur l'ajout de terres à la réserve au cours de vos délibérations. Beaucoup d'incertitude et d'inquiétude entourent l'application et l'interprétation de ces politiques et l'absence des intervenants dans le dossier. L'Accord définitif nisga'a, et le débat qu'il provoque, ne font qu'alimenter cette incertitude et, dans certains cas, la crainte que vivent nos membres et d'autres propriétaires terriens.
Nous ne prétendons pas connaître tous les moyens dont dispose le Sénat pour influer sur l'adoption de l'Accord définitif nisga'a. Cependant, comme l'a fait remarquer le sénateur Grafstein, lors du témoignage de M. Phil Fontaine, chef national de l'Assemblée des premières nations, et je cite:
L'un des rôles du Sénat a toujours été de protéger les droits des minorités. C'est là un de nos principes implicites.
Nous espérons qu'à la fin de notre exposé, vous comprendrez comment le débat sur les Nisga'a influe sur un groupe de Britanno-Colombiens qui sont voisins d'autochtones, travaillent et partagent avec eux des terres et des forêts.
Imaginez un instant une grande fenêtre divisée en trois carreaux. Imaginez que chacun de ces carreaux porte une étiquette. Le premier s'intitule «processus», celui du centre «confiance» et le troisième «équité». En outre, imaginez que quelqu'un essaie de regarder à travers cette fenêtre et cherche désespérément à voir ce qui se passe à l'intérieur de la maison, mais constate que la fenêtre est recouverte de gravier et de saletés qui se sont accumulés au cours des années, si bien qu'il est impossible d'avoir une image claire de ce qu'il y a à l'intérieur. Disons, pour les fins de la discussion, que le gravier et la saleté représentent les complications juridiques, la bureaucratie, les longs délais et les promesses non tenues, fort caractéristiques des revendications territoriales au Canada.
Il ne fait aucun doute que les autochtones du Canada cherchent à voir à travers cette fenêtre depuis près de 200 ans. Je ne prétends pas parler au nom des autochtones, mais depuis 25 ans, je dirais que, si tout le monde était vraiment honnête, on admettrait que la fenêtre est un petit peu plus claire pour les autochtones. J'ajouterais même que cela n'a pas nécessité trop d'efforts de la part des leaders autochtones. À vrai dire, certains des efforts déployés plus récemment nous préoccupent beaucoup.
Aujourd'hui, monsieur le président et honorables sénateurs, il y a un nouveau groupe qui essaie de voir à travers cette fenêtre et ce qu'il voit, ce ne sont pas seulement des images embrouillées, mais des choses de plus en plus difficiles à discerner. Je parle ici des autres intervenants que l'on appelle les tierces parties, c'est-à-dire les personnes directement touchées par les revendications territoriales. Permettez-moi de vous amener à ce premier carreau que l'on appelle le «processus».
Les défenseurs du projet de loi C-9 ont déclaré que les habitants de la Colombie-Britannique étaient impliqués dans les négociations du traité nisga'a. Si tel est le cas, pourquoi a-t-il fallu que le gouvernement provincial entreprenne une campagne pour faire accepter le traité après sa signature? Je crois qu'il a dépensé 25 millions de dollars. Si les Britanno-Colombiens ont été impliqués, pourquoi fallait-il les inonder d'annonces télévisées mielleuses, de brochures brillantes et de programmes d'information dans les écoles pour expliquer les avantages de l'Accord définitif nisga'a? Pourquoi de personnes informées et respectées ont fait part de leurs nombreuses inquiétudes quant à l'exclusion des Britanno-Colombiens de ce processus de négociation?
Si les Britanno-Colombiens ont été aussi impliqués que l'ont prétendu les défenseurs de l'accord, pourquoi n'ont-ils pas été nombreux à endosser ouvertement l'accord et à le voir comme un grand pas en avant?
La réponse, honorables sénateurs, c'est que, même si quelques Britanno-Colombiens, dont certains ont comparu devant votre comité, ont été consultés, en réalité, les gens ordinaires ont été exclus du processus de négociation de l'accord nisga'a, tout comme les intervenants ayant un intérêt direct ont été exclus des revendications particulières et de la négociation du processus d'ajout de terres à la réserve.
Le processus de négociation de l'Accord définitif nisga'a reflète la façon dont le gouvernement fédéral exclut les personnes qui sont directement touchées par les revendications territoriales.
Pour reprendre les termes du maire Talstra de la ville de Terrace, en Colombie-Britannique, et je cite:
Les gens qui vivent dans la région et ceux qui seront touchés par le traité ont été exclus.
D'après ce que je sais, le conseil municipal de Terrace a dû attendre deux ans avant de pouvoir participer au processus de négociation et même là, il n'a réussi à faire entendre sa voix que par l'entremise du gouvernement provincial. Le gouvernement fédéral ne lui a pas permis de faire connaître ses préoccupations, et comme l'a dit le maire Talstra:
Le gouvernement fédéral, même si on le lui a demandé, a carrément refusé qu'une municipalité soit intégrée à son équipe de négociation.
Et que dire de la collectivité de Chatham-Kent en Ontario? Quiconque connaît la situation sait que toute la collectivité a été prise à l'improviste par le gouvernement fédéral lorsqu'il a conclu une revendication particulière avec la bande Caldwell. Pourquoi même le député de Chatham--Kent--Essex, M. Jerry Pickard, qui est membre du parti gouvernemental, n'était pas au courant de cette revendication?
Le comité des revendications territoriales de la Pinantan Pemberton Livestock Association est un organisme bénévole qui travaille avec diligence et précision depuis quatre ans pour avoir voix au chapitre dans le processus des revendications territoriales. Nous sommes intervenus directement auprès de trois sénateurs, de notre député, des bandes indiennes voisines, nous avons comparu devant trois comités chargés d'étudier l'Accord définitif nisga'a, dont le vôtre, et nous avons fait des observations auprès d'un nombre incommensurable de fonctionnaires.
Nous avons peut-être, naïvement il faut le dire, essayé toutes les façons possibles de respecter les règles établies. Nous ne sommes pas allés nous plaindre et tempêter auprès de la presse chaque fois que nous en aurions eu l'occasion. Nous sommes un groupe pacifique, mais proactif, et axé sur la recherche de solutions. Nous sommes même allés jusqu'à élaborer une proposition, que j'ai jointe au présent mémoire, sur la façon d'impliquer un groupe local dans le processus. Cette proposition a été remise à la majorité des groupes et des particuliers dont nous venons de parler. Elle visait à montrer que nous étions disposés à faire partie de la solution. Pour nous, cette proposition n'est qu'une amorce de solution. Tout ce que nous voulions, c'était entamer le dialogue entre le gouvernement fédéral, nous-mêmes et les autochtones. Le seul commentaire dont nous ont fait part les Affaires indiennes était que, si on tenait compte de notre proposition, cela risquait d'envoyer un message erroné aux autochtones.
Notre organisation a mis deux ans et dépensé 500 $ pour forcer, en invoquant la Loi sur l'accès à l'information, les Affaires indiennes à rendre public le document décrivant la revendication particulière des autochtones de Kamloops. Après avoir finalement reçu et analysé ce long document, nous nous sommes bien demandés pourquoi le gouvernement fédéral estimait qu'il s'agissait-là d'un document si secret. La seule question que nous nous sommes posée, c'était pourquoi, d'après ce document, après dix ans, la bande de Kamloops n'a toujours pas reçu de réponse définitive à sa revendication?
Lors d'une longue réunion tenue il y a deux semaines entre notre comité et les membres du conseil de bande de Kamloops, nous nous sommes entendus sur une chose, à savoir que le gouvernement fédéral n'a pas agi comme il se doit.
Maintenant que les traités portent sur des terres toujours plus au sud de la Colombie-Britannique, chaque traité, chaque revendication territoriale ou chaque ajout à la réserve auront des répercussions sur de plus en plus de personnes. Exclure des personnes qui connaissent très bien la nature de la revendication, et qui peuvent au moins défendre leur point de vue, ne fera que diviser les forces en présence, provoquer de la méfiance et de l'animosité au sein de la collectivité. Cela ne peut sûrement pas être la solution du gouvernement fédéral à des négociations menées de bonne foi.
Nous croyons que la population en général a véritablement le désir de régler les problèmes autochtones et nos membres sont d'accord eux aussi. Mais les solutions doivent venir de toutes les parties. La solution ne sera efficace que si toutes les personnes directement touchées sont consultées. Rechercher de meilleures relations avec les autochtones en secret et en excluant d'autres intervenants, cela ne marchera pas.
Revenons maintenant au carreau du centre que nous avons appelé confiance. La confiance, c'est comme le respect, il faut la gagner. Les parties qui ont rédigé l'Accord définitif nisga'a nous demandent de leur faire grandement confiance. D'après ce que nous savons, 52 dispositions seront négociées une fois le traité signé. Un exemple: pourquoi faudra-t-il attendre que le traité fasse l'objet d'une mesure législative pour savoir si ceux qui ne sont pas des Nisga'a auront droit de vote? À notre avis, le style de négociation et les actions qui entourent la conclusion de l'Accord définitif nisga'a reflètent nombre des pratiques du gouvernement fédéral dans la négociation des revendications territoriales.
Nous ne sommes pas contre le fait que les autochtones rétablissent leur propre gouvernement. Mais comment pouvons-nous avoir confiance en un système qui accepte la notion d'autonomie politique des autochtones, qui encourage ces derniers à poursuivre l'atteinte de cette autonomie gouvernementale et les appuie, sans véritablement définir tous les pouvoirs et toutes les compétences de ce gouvernement? Comment avoir confiance en un système où on demande ensuite à un citoyen privé de négocier indépendamment avec un gouvernement autochtone?
Dans un échange épistolaire avec les Affaires indiennes, notre association a demandé de l'aide au sujet de l'ajout éventuel à la réserve du grand ranch dont j'ai parlé tout à l'heure. Les Affaires indiennes ont refusé de nous aider directement et nous ont plutôt invités à demander à notre district régional de négocier pour nous. Les fonctionnaires ont également suggéré de collaborer à titre de bons voisins et de discuter avec les autochtones pour résoudre nos problèmes. Lors d'une réunion avec les responsables de notre district régional, ces derniers ont reconnu qu'ils n'ont pas la capacité de négocier en notre nom, et ils ont même ajouté qu'eux aussi se sentent mis de côté et impuissants à régler ces problèmes. Les lettres concernant cette question sont jointes au présent mémoire.
Comment pouvons-nous avoir confiance lorsque les intervenants, désireux de comprendre une situation qui touche directement leurs foyers et leur gagne-pain, se voient refuser constamment les documents et l'accès à l'information si essentiels pour comprendre ce qui se passe?
Le troisième et dernier carreau de notre fenêtre s'intitule équité. Ce n'est pas la première fois que les autochtones du Canada réclament l'équité. Cependant, dans la majeure partie des revendications territoriales, notre gouvernement fédéral, peu importe sa motivation, semble tenté de corriger une inégalité en en créant une autre. Soucieux de régler les revendications territoriales, il rejette du revers de la main ou feint d'entendre les préoccupations des gens dont les foyers, les familles et dans bien des cas, le gagne-pain, sont dans une certaine mesure menacés par une revendication territoriale.
Dans nos moments les plus cyniques, d'après l'expérience et nos observations, nous constatons que le gouvernement fédéral abandonne systématiquement les droits des habitants des régions rurales, des agriculteurs et des éleveurs, soucieux qu'il est de trouver une solution politiquement correcte à un problème extrêmement complexe. Qu'a fait le gouvernement pour protéger nos droits minoritaires? Montrez-moi où et comment la Charte des droits et libertés et la Constitution sont invoquées pour défendre chaque habitant et chaque collectivité de la Colombie-Britannique. Comment peut-on parler d'équité lorsqu'une politique gouvernementale décrit une série de coûts que doit assumer le gouvernement pour un groupe mais ne reconnaît pas les frais engagés par un autre groupe directement touché par la même politique?
Une autre façon de décrire l'équité serait de parler de «règles du jeu qui sont les mêmes pour tous». Quels efforts a faits le gouvernement fédéral pour rétablir une formule d'indemnisation lorsque des gens constatent que leurs propriétés sont touchées par une revendication territoriale et qu'ils décident de quitter leurs terres? Le gouvernement a rédigé des documents de travail sur la question de la vente et de l'achat volontaires, sur une banque de terres, mais le gouvernement refuse de discuter de valeur des terres et de valeur commerciale.
Comment peut-on parler d'équité lorsqu'un propriétaire terrien doit négocier directement avec un groupe qui se considère comme une nation? Les liens que notre gouvernement nous invite à établir avec les autochtones vont tout à fait à l'encontre de l'attitude des leaders autochtones qui se promènent partout dans le monde dans le but de renforcer leur statut à titre de leaders de nations et de discréditer le traitement qu'accorde le Canada aux autochtones. Si nous, Canadiens, devons négocier et signer des ententes avec un gouvernement autochtone, quelles ressources nous offre le gouvernement fédéral pour ce faire? Quels codes, lois, règles ou lois d'un gouvernement municipal, provincial, fédéral ou autochtone devons-nous invoquer ou respecter, lorsque notre propriété est incluse dans les limites d'une revendication territoriale ou est ajoutée aux terres de réserve, ou que cela a des répercussions sur nos terres?
L'ébauche élaborée par les Nations Unies sur les droits des peuples autochtones stipule dans son préambule:
Les traités et les ententes conclus entre les Premières nations et d'autres gouvernements sont de ressort international.
Quel recours peut invoquer un citoyen privé pour régler un différend si cela veut dire qu'il est aux prises avec un problème de droit international?
Cela dit, honorables sénateurs, il faut se demander dans quelle mesure la signature de l'Accord définitif nisga'a et les traités futurs ne viennent pas compromettre la souveraineté du Canada. À mes risques et périls, reconnaissant que beaucoup de gens ici ont un bagage constitutionnel énorme, je vous demande pourquoi le préambule de tous les traités ne devrait-il pas renfermer un énoncé précis d'allégeance non pas à la Constitution du Canada mais à la souveraineté de notre pays? Le Sénat précisera-t-il, par la voie d'amendements, que la souveraineté du Canada est exclusive sur toutes les revendications territoriales et dans les ententes sur les droits des autochtones?
Comme je l'ai dit tout à l'heure, monsieur le président, nous ne connaissons pas toutes les ressources dont dispose le Sénat pour influer sur l'Accord définitif nisga'a, mais peut-être pourriez-vous mettre tout votre poids dans la balance pour influencer le gouvernement et l'amener à réfléchir sur ses pratiques concernant les politiques et certaines des philosophies sous-jacentes à l'élaboration de l'accord nisga'a. Nous espérons que votre influence et vos conseils persuaderont le gouvernement de revenir en arrière, de renoncer à certaines de ses stratégies et de ne pas répéter les erreurs une deuxième, une troisième ou une cinquantième fois.
Qui sait si avec un peu d'effort, vous ne seriez pas capables d'enlever suffisamment de gravier et de saleté pour nous permettre à nous, autochtones et non-autochtones, de faire notre part pour nettoyer le reste de ce carreau?
Monsieur le président, honorables sénateurs, je me présente devant vous aujourd'hui sans une kyrielle d'avocats ou de consultants. Je dis sincèrement que ce que je vous ai présenté aujourd'hui, c'est notre interprétation et notre évaluation des revendications territoriales dans notre région et les répercussions que l'Accord définitif nisga'a aura sur nous. Je suis disposé à répondre à vos questions, mais j'aimerais ajouter une autre vision à celle de la fenêtre dont je vous ai parlé tout à l'heure.
Imaginez-vous une grande carte murale décrivant la région où vous vivez. La carte renferme toutes sortes de codes de couleur et votre propriété ainsi que celles de vos voisins sont clairement délimitées, entourées ou identifiées. Pouvez-vous imaginer un instant l'incertitude et l'inquiétude que vous ressentiriez si votre voisin autochtone indiquait les frontières de la revendication territoriale de sa bande et que cette revendication englobait la terre sur laquelle est bâtie votre maison. Imaginez aussi quelle crainte vous auriez lorsqu'il expliquera avec conviction et en toute honnêteté que votre maison et vos terres appartiennent à son peuple. Enfin, imaginez le désespoir que vous ressentiriez si vous appreniez que le gouvernement fédéral se fiche bien de votre problème, de votre mode de vie et de l'héritage que vous laisserez à votre famille.
Le président: Je vous remercie, monsieur Newton.
Le sénateur St. Germain: Très brièvement, monsieur le président.
Je tiens à vous remercier, monsieur Newton, d'être venu jusqu'ici pour présenter votre exposé.
La question que je veux vous poser ne porte pas sur les constitutions mais sur des aspects plus pratiques. Quelle est selon vous la meilleure façon pour des éleveurs comme vous d'être représentés? Est-ce par l'entremise de la B.C. Cattlemen's Association ou par l'entremise de votre propre association?
Car il faut être réaliste, il est pratiquement impossible que le gouvernement puisse traiter chaque cas individuellement. Que recommanderiez-vous pour les prochaines négociations?
Comme vous l'avez dit, plus nous nous dirigeons vers le sud et plus grand sera le nombre de personnes touchées. Dans le cas du traité nisga'a, très peu de non-autochtones ont été touchés. Avez-vous songé à la façon dont nous pourrions procéder dans la région de Williams Lake ou dans votre région aux alentours de Kamloops? Comment nous recommandez-vous de procéder ou comment cela pourrait-il se faire?
M. Newton: Sénateur, en lisant certaines des transcriptions, je sais qu'on a beaucoup débattu de l'utilisation du terme «modèle». Ceux qui s'opposent à l'utilisation du terme «modèle» ont souligné qu'il y avait 50 à 60 traités dans la province. Je crois qu'il y en a plus, mais nous nous en tiendrons à 50 ou 60. Ces traités représentaient des bandes individuelles. Chaque traité se négocie en fonction des besoins de ces bandes.
La proposition dont je traite à l'annexe A porte sur des traités individuels; nous ne participons pas au processus de négociation des traités, mais j'utiliserai le terme «traité». Je suis fermement convaincu qu'au moment de la négociation d'un traité, il faut que soit présent aux négociations un représentant de la population de la région donnée. Ils connaissent la région. Ils connaissent les lignes de partage des eaux. Ils connaissent l'accès aux pâturages. Dans notre proposition, nous étions limités car nous présentions une proposition en fonction d'une revendication particulière. Nous avons proposé que chaque fois que le gouvernement décide de négocier une revendication particulière, ce qui est tout un processus en soi, qu'il établisse une structure permettant aux autres intéressés -- je n'aime pas l'expression «tierce partie» -- de participer à cette négociation particulière.
Je reconnais qu'un traité a une portée beaucoup plus vaste et porte sur une région beaucoup plus grande. Plus au sud, il y a des gens qui s'occupent des terres. Nous avons certains membres de notre comité qui sont des éleveurs de la quatrième génération et qui connaissent la région comme leur poche. L'inclusion de gens de la localité dans votre structure permettrait d'améliorer la négociation et de réduire le doute et les préoccupations.
Nous sommes membres de la B.C. Cattlemen's Association qui comparaîtra devant vous jeudi. Vous pourrez constater que leur mémoire est de portée plus générale et n'est pas à mon avis en contradiction avec le notre.
Le sénateur St. Germain: Si je devais me rendre dans votre région demain et reproduire ce que les Nisga'a sont en train de faire dans votre région, recommanderiez-vous que votre organisation représente les autres intéressés? Comment cela serait-il déterminé?
J'essaie d'envisager une solution pratique pour nous permettre de recommander qu'à l'avenir d'autres intéressés ou tierces parties, ou quel que soit le nom que vous voulez leur donner, puissent être représentés comme il se doit au cours de ce processus de négociation. Si nous ne présentons pas de recommandation, les gouvernements pourraient théoriquement continuer.
Il ne s'agit pas de partisanerie, il s'agit de déterminer ce qui est réalisable pour les Britanno-Colombiens.
M. Newton: Je reconnais qu'il y a aussi ceux qui s'occupent de sport et de loisir et ceux qui ont de petites propriétés et ainsi de suite. C'est pourquoi, dans notre recommandation, nous tenons à assurer la participation du district régional, des autochtones, de nous-mêmes, des gouvernements fédéral et provincial, afin de créer un comité chargé d'élire ou de choisir des groupes représentatifs qui pourront s'entendre sur un porte-parole ou une personne chargée de défendre leurs intérêts. Je ne suis pas en train de proposer que cette personne, ce spécialiste qui connaît la région fasse nécessairement partie de l'équipe de négociation. Je dis qu'il pourrait s'agir d'une personne ayant un rôle consultatif et de défenseur d'intérêts particuliers.
Le sénateur Andreychuk: Je pense que certains des points ont été abordés. Si je vous comprends bien, vous êtes entourés de certaines nations autochtones qui sont en train de négocier des règlements semblables à celui des Nisga'a.
M. Newton: Non. Ce que je voulais faire comprendre, c'est le sentiment d'exclusion que nous éprouvons chaque jour, très clairement, avec les Nisga'a, à cause de la politique de revendications particulières et de la politique de l'ajout de terres à la réserve. Les bandes de Kamloops et Neskonlith ont toutes deux des revendications particulières. Ces politiques sont étroitement liées de bien des façons. Ce à quoi nous devons faire face, c'est à notre exclusion totale de toutes négociations quelles qu'elles soient de cette revendication particulière ou de la politique d'ajouts à la réserve. Notre participation est tout simplement impossible car nous n'avons aucun moyen nous permettant d'y participer.
Le sénateur Andreychuk: Vous êtes en train de parler uniquement de revendications territoriales et non pas d'accords, à votre connaissance, résultant de l'implication de l'autonomie gouvernementale des Nisga'a.
M. Newton: C'est exact. L'Alliance intérieure, dont les membres sont nos voisins, n'approuve pas le processus de négociation de traités. Nous ne disposons d'aucun moyen, et le gouvernement ferme les yeux sur ce fait, pour dialoguer avec le gouvernement fédéral parce qu'il y a encore des questions à régler en matière de revendications territoriales. Les bandes de Westbank et de Neskonlith ont pris le contrôle de l'exploitation forestière parce que d'après leur information, elles estimaient que ces billots leur appartenaient et elles ont décidé de s'occuper de l'exploitation forestière. Cette activité va s'intensifier. Nous devons trouver un moyen de dialoguer avec elles avant que quelque chose de plus grave se produise.
Le sénateur Andreychuk: Êtes-vous en train de dire que dans votre région, il n'existe aucune initiative fédérale ou provinciale de cogestion des ressources?
M. Newton: Tout comme les Affaires indiennes nous ont renvoyés au district régional, ce qui était une erreur de leur part, lorsque nous nous adressons à la province et lui demandons de l'aide concernant des revendications particulières ou des ajouts à la réserve, ils nous renvoient au gouvernement fédéral. Il y a quatre ans qu'on nous fait ainsi tourner en rond, et nous avons eu l'occasion de rencontrer beaucoup de charmants bureaucrates.
Ils s'expriment très bien et nous les trouvons agréables, mais nous n'avançons pas.
Je tiens toutefois à vous dire à quel point je vous suis reconnaissant de cette occasion de comparaître devant vous. J'estime qu'il existe un lien entre les Nisga'a et nous. Le problème se situe au niveau du processus et du style utilisés pour conclure l'Accord définitif nisga'a.
Le sénateur Andreychuk: Je suis scandalisée de constater que les citoyens doivent constamment avoir recours à la Loi sur l'accès à l'information pour traiter avec le gouvernement. Cela me semble une tendance que nous devrions peut-être commenter.
Le sénateur Chalifoux: Je ne sais pas si je vous demanderai votre réaction, mais je dois faire certaines observations à propos de votre exposé.
Tout d'abord, je tiens à vous remercier pour votre exposé. Vous devez savoir ce qu'ont ressenti les nations autochtones de notre pays il y a 100 ans, lorsqu'on leur a refusé l'accès au gouvernement et qu'on a refusé de les consulter. Vous devez savoir maintenant ce qu'ont éprouvé les peuples autochtones lorsqu'on les a expulsés de leurs foyers et qu'on leur a pris leurs terres. Les propos que vous tenez ici dans votre exposé me rappellent le sort qu'ont subi certains de mes ancêtres.
À la page 4 de votre exposé, au deuxième paragraphe, vous dites: «Tout ce que nous voulions, c'était entamer le dialogue entre le gouvernement fédéral, nous-mêmes et les autochtones».
J'aimerais savoir ce que vous en pensez. Pourquoi n'amorcez-vous pas le dialogue avec les Canadiens autochtones? Vous parlez toujours des «autochtones». Nous sommes Canadiens. J'aimerais avoir votre avis là-dessus.
M. Newton: C'est une bonne question. J'ai deux réponses à vous fournir. Tout d'abord, j'ai assisté à une réunion d'information sur l'affaire Delgamuukw présentée à la bande indienne de Kamloops. Cela s'est passé il y a un an. C'est de notoriété publique. Radio-Canada en a parlé. On nous a invités à poser des questions aux conférenciers. Herb George y était. Il a présenté un exposé. Je lui ai demandé, peut-être avec candeur, s'il était Canadien-ceci ou Canadien-cela. Il s'est emporté et m'a adressé des jurons en pleine réunion. Ma question l'a mis en furie. Par la suite, j'ai appris qu'il s'agissait là d'une question très délicate. Je n'en avais pas la moindre idée. Je fais donc très attention maintenant.
J'espère que les autochtones se considèrent comme Canadiens. Si mon exposé n'a pas été irréprochable, je vous prie de m'en excuser. Cependant, je pense que nous avons une bonne relation avec la bande indienne de Kamloops. Ces membres m'ont rappelé que nous sommes maintenant dans la situation qu'ils ont eux-mêmes connue. Nous avons eu plusieurs bonnes rencontres avec eux et nous envisageons de signer un protocole d'entente. Pour autant que je sache, le document a été soumis au conseil pour étude sous forme d'ébauche.
Mais le simple fait que nous soyons au travail avec la bande de Kamloops n'autorise pas le gouvernement fédéral à m'abandonner. On ne corrige pas une inégalité en en créant une autre. Le gouvernement fédéral n'a pas le droit de m'abandonner.
Le sénateur Chalifoux: Trouvez-vous qu'il est normal que vous releviez des Affaires indiennes, puisque c'est avec ce ministère que vous êtes en pourparler?
M. Newton: Je n'ai personne d'autre à qui m'adresser. Si je m'adresse au ministère des Transports, ses fonctionnaires vont me demander pourquoi je le fais. Je répondrais que c'est à cause de la route prévue à l'article 4. Ils vont me demander quel est le problème. Je dirais que si les autochtones transforment le ranch Harper en réserve, cette route régie par l'article 4 va traverser une terre autochtone, mais comme l'article 4 ne confère que des droits de surface et que les routes y sont mal définies, je serais coincé. Le ministère des Transports me renverra aux Affaires indiennes.
Sénateur, un simple citoyen se fait toujours promener en bateau lorsqu'il a besoin de s'adresser au gouvernement. À part cela, nous essayons de gagner notre vie.
Le sénateur Chalifoux: Les Affaires indiennes ont compétence sur les routes des réserves, mais dans cette affaire, lorsque vous vouliez parler des revendications territoriales, je suis certaine que vous auriez pu vous adresser ailleurs. On vous a conseillé de vous adresser à votre municipalité.
M. Newton: Et c'est ce que nous avons fait. En fait, je suis le remplaçant d'un des membres du conseil à la municipalité. Nous avons rencontré les gens de la municipalité, qui sont très mécontents. Nous leur avons dit que nous avions trouvé quelqu'un qui allait négocier en notre nom. Ils nous ont dit qu'ils ne pouvaient pas négocier pour nous. Ils ont envoyé une réponse écrite au gouvernement fédéral.
Le sénateur Chalifoux: Vous négociez donc avec vos voisins.
M. Newton: Nous négocions avec la bande de Kamloops. Le protocole d'entente indiquera la portée de la négociation. John Jewels a mentionné deux sujets, à savoir les centres d'intérêts et les questions problématiques. Les centres d'intérêts comprennent les cinq ou dix milles de clôtures qui sont en place, et les questions problématiques, c'est notamment de savoir si les autochtones et leur gouvernement me reconnaissent en tant que protagoniste. Voilà.
Le sénateur Chalifoux: Vous êtes en train de négocier, ce qui est très encourageant.
Le sénateur Sparrow: D'après les témoignages recueillis par notre comité, si les revendications territoriales sont considérées dans le cadre du traité nisga'a, elles couvriront moins de 2 p. 100 du territoire de la Colombie-Britannique.
Avez-vous des chiffres sur les superficies en cause en Colombie-Britannique? D'après mes recherches, l'exploitation agricole n'est possible que sur 4 p. 100 du territoire de la Colombie-Britannique, à cause de la nature des sols et du climat. On ne peut donc y consacrer que 4 p. 100 de la superficie de la province. Compte tenu des autres possibilités d'aménagement du territoire, il reste 2 p. 100 pour les aménagements résidentiels et commerciaux, et il y a aussi les forêts, qui ne peuvent être aménagées. Est-ce que vous avez ces chiffres?
Même si l'on ne parle que de 2 p. 100, c'est une proportion assez élevée des territoires disponibles en Colombie-Britannique.
M. Newton: Sénateur, je n'ai pas les chiffres dont vous parlez, mais je les connais. J'ai entendu parler de 5 p. 100. Le problème, quand on parle de 2 p. 100, c'est que toutes les terres utilisables sont déjà employées sous une forme ou une autre. Les terres de la Couronne font déjà l'objet d'un certain nombre de permis et d'activités, comme l'exploitation forestière, les pâturages, les activités de loisirs dans certains cas et, éventuellement, l'exploitation minière. Je ne sais pas. Le problème des éleveurs, c'est qu'ils ont absolument besoin d'accéder à des terres de pâturage.
Sauf tout le respect dû aux gens de Toronto, de Hull et de Victoria, ils ne comprennent pas nécessairement la relation entre les élevages et les pâturages. Un élevage ne peut survivre sans pâturages. Un élevage a besoin de pâturages où il puisse faire paître le bétail pendant l'été et récolter suffisamment de foin pour l'hiver une fois que les bêtes sont rentrées.
Ce qui nous inquiète, c'est de savoir sur quelles terres portent les revendications territoriales. Je ne suis jamais allé dans la vallée de la Nass, et je vous prie de m'en excuser, mais je crois savoir qu'elle n'est pas aussi densément peuplée que la région de Kamloops. Dès qu'on parle de revendications territoriales, il est très difficile de parler d'autre chose que de terres qui sont déjà occupées et utilisées d'une façon ou d'une autre -- ce sont parfois des terres de la Couronne, parfois des biens-fonds cédés. J'en suis bien conscient. Mais lorsqu'on parle de 2 p. 100 seulement, j'aimerais savoir sur quoi portent ces 2 p. 100. Si c'est 2 p. 100 des terres utilisables, c'est une superficie considérable, qui est déjà entièrement utilisée.
Le sénateur Sparrow: Excusez-moi, c'est 2 p. 100 de tout le territoire de la province de la Colombie-Britannique.
M. Newton: À ma connaissance, et peut-être ne devrais-je d'ailleurs pas en parler, seule une très petite partie du territoire de la Colombie-Britannique est utilisable. Et cette partie est déjà utilisée; si j'étais de l'autre côté de la table avec les Canadiens autochtones, je ne me battrais pas pour obtenir le sommet des montagnes, à moins que ce soit pour recueillir l'eau.
Le président: Monsieur Newton, je voudrais faire deux ou trois remarques. Premièrement, dans votre témoignage, vous avez envisagé l'avenir des revendications territoriales et leurs conséquences pour les communautés existantes, tant sur le plan matériel que sur le plan économique. Du reste, je vous en remercie. Il y a ici un certain nombre d'habitants de la Colombie-Britannique, et tous les habitants de cette province savent que la question est très importante pour eux et qu'il faudra des années et beaucoup de bonne volonté, de confiance et de transparence pour la régler.
Vous avez parlé du maire Talstra et je voudrais vous signaler, quitte à le rappeler au comité, qu'il a donné son approbation à l'Accord définitif nisga'a. Comme vous l'avez signalé, il s'est senti exclu du processus au départ, mais les choses ont changé par la suite et à la fin, ce sentiment d'exclusion avait totalement disparu.
Vous faites partie des groupes qui ont été consultés et vous l'avez indiqué clairement dans votre témoignage. Comme vous le savez, il y a eu des consultations en Colombie-Britannique, et un comité de l'Assemblée législative provinciale s'est déplacé dans toute la province pour recueillir des témoignages. Avez-vous pu comparaître devant ce comité?
M. Newton: Nous avons dû attendre notre tour pendant huit heures sur deux séances, l'une auprès de la bande de Kamloops et l'autre dans le centre-ville de Kamloops, et finalement, on nous a accordé quatre minutes, que j'ai pu prolonger une fois que j'avais le pied dans la porte.
Le président: Je ne doute pas de votre habileté à cet égard. Enfin, il existe en Colombie-Britannique un organisme appelé comité consultatif de négociation du traité, au sein duquel la Cattlemen's Association est représentée.
M. Newton: C'est exact. Je suis membre du comité des affaires autochtones de la Cattlemen's Association. J'y suis considéré par certains comme le mouton noir du comité. Je ne recueille pas tous les suffrages. Le comité consultatif a certaines valeurs, mais le taux de roulement y est très élevé. La dernière réunion de janvier a produit 285 pages de lecture. C'est beaucoup pour quelqu'un qui essaie de survivre en faisant deux choses à la fois. Ce comité consultatif ne me concerne pas réellement. Nous aimerions le voir remplacé par autre chose. Nous aimerions que le gouvernement fédéral reconnaisse que les politiques d'ajouts aux réserves et d'individualisation des revendications territoriales ont des conséquences pour nous. Nous posons des questions auxquelles il est facile de répondre, mais nous sommes obligés de les poser. On nous renvoie d'un endroit à l'autre, devant 45 fonctionnaires différents, et nous ne pouvons jamais poser nos questions.
Le président: Vous comprenez que nous nous consacrons à un aspect très limité des relations autochtones dans l'ensemble de la Colombie-Britannique, à savoir le territoire des Nisga'a à l'intérieur de la province, et dont une bonne partie est située, je crois, dans les hauteurs. Nous allons certainement beaucoup entendre parler des relations avec les autochtones de façon plus générale.
Je vous remercie de votre comparution devant le comité, qui a présenté pour nous un grand intérêt.
Nous allons maintenant passer du bétail au poisson. Notre témoin suivant est Phil Eidsvik, de la BC Fisheries Survival Coalition. Monsieur Eidsvik, vous avez un mémoire, mais vous avez dit, je crois, que vous n'alliez pas le lire, et je vous en remercie. Votre document sera versé au procès-verbal de cette réunion. Je crois que vous voulez insister sur certains éléments clés. Allez-y, s'il vous plaît.
M. Phil Eidsvik, directeur général, BC Fisheries Survival Coalition: Honorables sénateurs, nous avons participé à un certain nombre d'audiences sur le traité nisga'a ou sur le processus du traité. Je vois qu'il y a des divergences d'opinions entre les sénateurs quant à l'efficacité de ces audiences, mais je peux vous dire que par rapport à ce que nous avons connu au comité de la Chambre des communes et au niveau provincial en Colombie-Britannique, votre comité est de loin le meilleur. Le niveau des débats y est bien supérieur à ce que nous avons vu précédemment. Évidemment, nous aimerions y voir davantage de témoins de notre bord, c'est-à-dire de ceux que le traité inquiète et j'aurais aimé qu'on leur consacre davantage de temps. De toute évidence, il y a des problèmes, mais je tiens à vous féliciter, sénateurs, pour le niveau du débat jusqu'à maintenant.
Je représente une coalition de pêcheurs professionnels qui s'est formée en 1992 pour se consacrer exclusivement aux problèmes de la pêche autochtone et aux revendications des autochtones. Nous sommes intervenus au niveau politique et surtout au niveau juridique, avec plusieurs comparutions à titre d'intervenants devant la Cour suprême du Canada et devant la Cour d'appel de la Colombie-Britannique, et avec plus de 200 comparutions devant la Cour provinciale de la Colombie-Britannique. À ce titre, nous avons une perspective tout à fait privilégiée du problème.
On ne peut pas parler de poisson comme on parle de terre. Le poisson, ce n'est pas la même chose que le bétail. Le poisson n'appartient pas au gouvernement fédéral, et on a trop souvent tendance à l'oublier. Le poisson en tant que ressource est la propriété commune de tous les Canadiens qui sont dans cette salle et de tous les Canadiens de l'ensemble du pays. Il n'appartient pas au gouvernement fédéral d'en faire la distribution. C'est le premier principe qu'il faut admettre lorsqu'on entreprend la négociation d'un traité.
Certains se demandent, à grand renfort d'arguments, si l'Accord définitif nisga'a est un précédent ou un modèle, ce que, de toute évidence, les gouvernements fédéral et provincial s'évertuent à nier. Nous ne sommes pas de cet avis. D'après certains extraits de notes qui ont fait l'objet de fuites, on peut voir que les hauts fonctionnaires de Pêches et Océans décrivent l'accord comme un document essentiel, comme un modèle. La semaine dernière, au comité consultatif auquel le sénateur Austin vient de faire référence, les négociateurs fédéraux se sont adressés aux membres du comité consultatif de négociation du traité ainsi qu'aux représentants de l'industrie forestière, des pêches et des autres secteurs d'activités qui en sont membres pour approuver la politique fédérale de mise en oeuvre d'une pêche commerciale exclusivement autochtone dans toute la Colombie-Britannique, parce que les autres bandes exigent d'en obtenir au moins autant que ce que les Nisga'a ont habilement réussi à négocier. Ce n'est peut-être pas un modèle qui doit être repris mot pour mot, mais il fixe un seuil et énonce un ensemble de principes fondamentaux.
Si les Nisga'a ont obtenu X, pourquoi est-ce que les autres seraient prêts à accepter moins que X? Je crois que c'est là un principe important. Il faut voir l'Accord définitif nisga'a comme l'élément de référence dans le règlement des traités de toute la Colombie-Britannique ainsi que des Maritimes. Comme vous le savez, l'arrêt Marshall de la Cour suprême du Canada a établi que les traités de paix signés dans les Maritimes n'ont pas eu pour effet d'éteindre les titres autochtones. D'ici quelques années, on peut s'attendre à ce que le premier traité concernant les Maritimes soit soumis à cette chambre. Il faut considérer que le traité nisga'a s'applique à l'ensemble du Canada et se demander s'il est souhaitable que ses principes s'appliquent à tout le Canada.
Des vices de forme dans la négociation nous ont causé bien des problèmes. On nous dit et on nous redit qu'il est maintenant trop tard pour modifier le traité, et qu'il serait injuste de le faire. Pourtant, ce traité a été négocié en secret. Nous avons élevé une contestation en 1984. En 1987, nous sommes allés devant la Cour fédérale du Canada pour intervenir dans les négociations car nous savions qu'une ressource publique, à savoir le poisson, allait passer du domaine public au domaine privé des Nisga'a. Le gouvernement fédéral et les Nisga'a se sont opposés à notre action et ont obtenu gain de cause. Nous avons succombé. On nous a dit qu'il n'y avait pas de raison pour rendre un jugement immédiatement, puisque nous aurions notre mot à dire dès que le traité serait signé. Évidemment, aujourd'hui, on nous dit que l'accord est définitif et qu'on ne peut rien y changer. Quand avons-nous eu notre mot à dire?
Le comité consultatif de négociation du traité a envoyé une lettre au ministre des Pêches en 1995. Cette lettre portait la signature des représentants de tous les grands secteurs industriels de Colombie-Britannique, qui emploient plus de 120 000 personnes. Le comité disait au ministre qu'il n'avait pas confiance en les négociateurs fédéraux. Cette lettre n'a pas eu de suite. Il ne s'est rien produit, rien n'a changé.
Un représentant de l'industrie minière au comité consultatif a déclaré qu'il allait cesser d'assister aux séances et qu'il allait attacher à son dossier un ballon gonflé à l'hydrogène et portant son nom, ce qui serait tout aussi utile que le travail qu'il a fait au sein du comité depuis sept ans. C'est une condamnation sans appel du processus de négociation.
Il y a un autre problème dont on parle rarement, c'est celui des conflits d'intérêts. Comme vous le savez tous, le gouvernement fédéral a une obligation fiduciaire de représentation des intérêts des peuples autochtones. C'est une obligation juridique dont l'exécution est imposée par la Cour suprême du Canada. Lorsque Ron Irwin était ministre des Affaires indiennes, nous lui avons demandé comment il pouvait négocier dans l'intérêt des peuples autochtones tout en assurant la représentation des autres Canadiens. Il a dit: «Ne vous inquiétez pas, j'ai juste à changer de chapeau.» Cette réponse idiote témoigne bien du niveau de vacuité intellectuelle qui a présidé au processus de négociation du côté fédéral et provincial.
Il y aura sans doute des contestations judiciaires sur la question des conflits d'intérêts. Si j'étais autochtone, je mettrais certainement l'accent sur la qualité des protagonistes et j'insisterais pour savoir qui exactement Jane Stewart, Ron Irwin et Robert Nault prétendent représenter. Je me demanderais aussi si les autres Canadiens sont effectivement représentés et si je suis représenté moi-même en tant que Canadien autochtone. C'est une question importante.
Je voudrais évoquer les effets du traité sur la pêche commerciale en Colombie-Britannique. J'ai joint à mon mémoire un certain nombre de documents du ministère des Pêches qui ont fait l'objet de fuites. Ces documents concernent une offre faite aux Nisga'a en 1987, qui a été révoquée par la suite et qui leur a été faite de nouveau. Vous verrez que l'Accord définitif nisga'a ressemble beaucoup à l'offre de 1987.
Ces notes en disent plus sur les pêches que je ne peux le faire, et je dirai simplement que les pêches en Colombie-Britannique sont tout à fait particulières. C'est la seule industrie au Canada où la participation autochtone dépasse 30 p. 100. À titre de comparaison, les employés du gouvernement fédéral représentent moins de 1 p. 100 de l'emploi, et les médias, également moins de 1 p. 100. Les pêcheurs autochtones sont libres de pêcher où ils veulent sur la côte, en concurrence avec les meilleurs pêcheurs commerciaux. Ils le font depuis le début des pêches au XIXe siècle. C'est une chose dont nous pouvons être fiers.
Un exemple de cette situation s'est manifesté lors d'une réunion avec le ministre Anderson à laquelle j'ai participé il y a quelques années. M. Hutch Hunt, de Port Hardy, y participait également. Nous avons critiqué la politique appliquée sur le fleuve Fraser, qui créait une pêche commerciale distincte au profit de certains groupes autochtones. M. Hunt a dit au ministre qu'en 1993, il s'était fait construire pour 1,5 million de dollars un senneur en aluminium. Il a dit ensuite qu'il avait un équipage de cinq personnes sur son bateau et qu'il assurait donc le soutien de cinq personnes sur sa réserve grâce à des revenus provenant du saumon et du hareng. On lui a dit qu'il faisait erreur et que, par l'intermédiaire de la bande, il devrait s'approprier une partie de la pêche publique qui pourrait ensuite être divisée par les membres de la bande. On a dit à M. Hunt qu'il s'était trompé en décidant de faire honnêtement concurrence à tous les autres Canadiens. Conséquemment, M. Hunt a vendu son permis de pêche au saumon lors du dernier rachat, car il pensait n'avoir aucun avenir dans cette pêche.
Nous avons trouvé cet incident très regrettable, car la plupart d'entre nous ont collaboré pendant très longtemps avec les autochtones dans le secteur des pêches. Aujourd'hui, dans certaines communautés, les gens ne se parlent plus. Des gens qui étaient amis depuis des années ont cessé de se parler. Il y a des altercations dans les cours d'école. C'est le prix de cette séparation, qui aura des effets à long terme si l'on ne change pas de cap.
Et pourtant, il y avait d'autres possibilités au début de la négociation du traité nisga'a. Rien ne nous obligeait à créer une pêche commerciale réservée exclusivement aux Nisga'a. Rien ne nous obligeait à prélever une partie des pêches publiques pour l'attribuer aux Nisga'a. On aurait pu ouvrir la pêche commerciale publique en autorisant des roues à poisson pour les Nisga'a qui voulaient choisir cette méthode de pêche sur la Nass. Il faut que tout le monde puisse participer à la pêche selon les mêmes règles. Il faut partager la pêche en donnant sa chance à chacun. C'est ainsi que les pêches fonctionnent depuis plus de 100 ans au Canada. On aurait pu essayer de continuer de la même façon.
Vous verrez que le premier programme visant à accueillir un plus grand nombre d'autochtones dans les pêches a commencé en 1968, soit 15 ans avant les modifications constitutionnelles de 1982 et plusieurs dizaines d'années avant que des professeurs d'université viennent nous dire que la pêche commerciale tournait au désastre, plusieurs dizaines d'années avant les programmes d'action positive du gouvernement fédéral. Tous les pêcheurs et tous les Canadiens devraient considérer la réussite de cette pêche commerciale multiraciale et non discriminatoire, à laquelle les autochtones participaient harmonieusement.
La question de l'autonomie gouvernementale est importante pour nous, car nous considérons que le ministère des Pêches doit être la seule autorité chargée de la gestion des ressources halieutiques en Colombie-Britannique. Le poisson passe par de nombreux domaines de compétence. Rien que sur le fleuve Fraser, on compte plus de 100 bandes autochtones, dont un certain nombre sont regroupées dans différentes organisations tribales. Malheureusement, ces groupes sont si nombreux que si l'une des 100 bandes décide de prendre 5 p. 100 du poisson et que toutes les bandes voisines en font autant, elles auront bientôt pris 500 p. 100 du poisson disponible. Il faut donc une autorité centrale pour gérer les pêches. Sauf tout le respect dû à M. Sanders de l'Université de la Colombie-Britannique, la Cour suprême du Canada a reconnu elle aussi qu'il faut une autorité centrale pour gérer les pêches.
Une décision a été rendue le 6 mai 1996 dans l'affaire La Reine c. Nikal. Nous avions le statut d'intervenants dans cette affaire. Une bande autochtone des environs de Smithers avait intenté des poursuites parce qu'elle voulait que son chef décide qui pouvait pêcher, à quel moment et quelles espèces ont pouvait prendre. Elle ne voulait pas avoir à obtenir un permis de pêche du ministère. La Cour suprême du Canada l'a déboutée catégoriquement en disant qu'il fallait un gestionnaire unique.
Ce qui nous inquiète dans l'accord nisga'a, c'est qu'il va diviser l'autorité de gestion. Si on l'accorde aux Nisga'a, comment pourra-t-on la refuser aux Kwagiulth et aux Haida. Bientôt, il y aura une douzaine de gestionnaires différents. Quand on voit le conflit interminable entre les États-Unis et le Canada à propos du traité sur le saumon du Pacifique, on voit à quel point on a ici la garantie d'une paralysie des institutions et de la dégradation des stocks de poisson.
Nous n'aimons pas l'autonomie gouvernementale dans les pêches. Nous avons dû mener nous-mêmes bataille contre le ministère des Pêches et des Océans mais malgré ces oppositions parfois acharnées, nous considérons toujours qu'il faut un gestionnaire unique de la ressource.
À la page 14 de notre mémoire, vous trouverez un résumé de l'enquête sur les peuples autochtones réalisée en 1991 par Statistique Canada, à laquelle ont participé 46 000 autochtones de Colombie-Britannique. Lorsqu'on leur demandait ce qu'on pouvait faire pour améliorer leur sort, seuls 910 d'entre eux ont mentionné l'autonomie gouvernementale. Il est intéressant de se demander qui souhaite l'autonomie gouvernementale. M. Sanders a dit qu'elle était unanimement revendiquée dans l'ensemble du pays.
En 1982, il y a eu une série de conférences constitutionnelles qui visaient à concrétiser les droits autochtones, notamment par l'autonomie gouvernementale. Il n'y a eu aucun accord sur la question. Je me souviens de l'un de nos premiers ministres, le très coloré Vander Zalm, qui est revenu d'Ottawa en disant qu'il n'avait pas pu accepter les propositions d'autonomie gouvernementale formulées par les bandes autochtones.
Il y aura toujours des désaccords sur ce point. Presque tous les gens que je connais en Colombie-Britannique sont favorables à une forme d'autonomie gouvernementale de type municipal où l'autorité peut être remise en question en cas d'erreur. Mais avec ce traité, on renonce définitivement à des pouvoirs dans le domaine des pêches et dans de nombreux autres. Et que se passera-t-il si ceux qui ont rédigé cet accord se sont trompés? Et si la Chambre des communes s'était trompée? Que faudra-t-il faire dans 50 ans? C'est pour cela que je suis très heureux de voir que le Sénat prend la question beaucoup plus au sérieux que la Chambre des communes ou l'Assemblée législative de Colombie-Britannique.
Le dernier thème que je voudrais aborder est celui de la culpabilité. On ne peut pas vivre au Canada sans se sentir coupable du sort réservé aux autochtones depuis l'arrivée des premiers Européens. Il faut les indemniser des préjudices qu'ils ont subis, mais ce ne doit pas être un mouvement à sens unique. Personne n'a les mains entièrement blanches. Si l'on veut envisager l'avenir pour les 500 prochaines années, il faut choisir ce qui servira le mieux les intérêts du Canada et de l'ensemble de ses citoyens. Il ne faut pas regarder en arrière et prendre des décisions concernant l'avenir en fonction de ce qui s'est passé avant nous.
Le président: Merci beaucoup. Votre premier argument ne tient pas compte de l'arrêt Sparrow et de la ligne tracée par la Cour suprême du Canada. Je suis sûr que vous connaissez l'arrêt Sparrow, n'est-ce pas?
M. Eidsvik: Dans l'arrêt Sparrow de 1990, la Cour suprême du Canada a établi le droit des autochtones de pêcher pour leur subsistance. Il faut respecter un certain nombre de critères avant de prouver qu'on a le droit de pêcher pour sa subsistance. Ces critères ont été définis dans l'arrêt Van der Peet, du 26 août 1996.
C'est un test long et complexe. Le groupe autochtone doit prouver que la pêche de certaines espèces dans un secteur géographique donné faisait partie intégrante de son mode de vie avant les premiers contacts avec des Européens. Il doit ensuite prouver que la tradition s'est maintenue, et que l'intervention du ministère des Pêches et des Océans porte atteinte à ce droit. Il appartient ensuite au ministère de prouver que l'atteinte à ce droit est justifiée.
Ceci dit, ce n'est pas de la subsistance dont il est question dans le traité nisga'a. C'est l'exploitation commerciale qui est la matière de notre principale objection. Les Nisga'a pourraient probablement faire la preuve d'un droit commercial pour l'oolachan, mais il est fort à douter qu'ils pourraient le faire pour le saumon. Même s'ils pouvaient faire la preuve d'un droit commercial, ce n'est pas un droit exclusif comme celui qu'accorde le traité nisga'a. Dans l'affaire Gladstone de 1996, la Cour suprême du Canada a confirmé le droit des Heiltsuk de récolter des oeufs de harengs cultivés sur du varech, et dans ce cas la cour n'avait fait que réaffirmer les dispositions de la Magna Carta et de la pêche publique. Elle précisait que la reconnaissance des droits des autochtones n'impliquait pas une aliénation des droits d'exploitation commune des ressources.
Les ressources sont suffisantes pour que nous les partagions. Elles ne sont pas suffisantes pour les partager avec tout le monde en Colombie-Britannique mais cela fait déjà quand même 30 p. 100 dans le domaine de la pêche. Sur le plan juridique, nous préférerions de loin nous défendre nous-mêmes devant les tribunaux plutôt que de nous en remettre aux gouvernements fédéral ou provincial en espérant être traités équitablement.
Le sénateur St. Germain: Le sénateur Comeau qui siège au comité des pêches a évoqué cette caractéristique communautaire de la pêche, à savoir qu'elle n'appartient à personne mais à tout le monde. Prévoyez-vous des poursuites judiciaires concernant la pêche si l'accord est adopté sous sa forme actuelle?
M. Eidsvik: Nous avons déposé un dossier de poursuite à la Cour suprême de Colombie-Britannique contre le traité il y a presque un an et demi. Nous irons jusqu'au bout de la procédure.
Le sénateur St. Germain: A-t-elle été retardée parce que les tribunaux ne veulent pas y toucher tant que l'accord ne sera pas entré en vigueur?
M. Eidsvik: Exactement. Pour l'essentiel, la cour a décidé qu'étudier maintenant cette question avant que le traité n'ait été officiellement adopté serait empiéter sur la procédure législative, et la magistrature est toujours excessivement prudente sur ce genre de point.
Cependant, en vérité, aller devant les tribunaux ne nous intéresse pas. Aller devant les tribunaux n'intéresse pas les Nisga'a. Aller devant les tribunaux n'intéresse personne. Nous avions pensé qu'il y avait une meilleure solution mais les choses n'ont pas marché comme nous le voulions et c'est à ça que les tribunaux servent. Les tribunaux sont là quand les divergences sont inconciliables. Cette question et beaucoup d'autres concernant la pêche dans le traité nisga'a finiront devant les tribunaux.
Les dispositions concernant la pêche dans ce traité posent un gros problème de compréhension. Je ne les comprends pas. Les spécialistes de l'industrie ne les comprennent pas. Notre équipe juridique ne les comprend pas. Les juristes spécialisés dans les questions de pêche ne les comprennent pas. Il est possible que les Nisga'a les comprennent. Il est certain que les responsables fédéraux avec lesquels nous en discutons ne les comprennent pas. Quand il y a malentendu, les litiges ne sont pas loin et je crois qu'il y aura des litiges concernant le volet pêche du traité nisga'a pendant des décennies même si nous perdons sur la question du droit public d'accès. Il y aura litige sur l'accès aux poissons, sur les espèces autorisées, sur le lieu de comptage, sur qui aura la responsabilité de ce comptage, ce genre de choses.
Le président: Encore une fois, je vous ramène au document.
Le sénateur St. Germain: Monsieur le président, je trouve vos interventions étranges.
Le président: Je suis un sénateur comme tous les autres et j'ai le droit de poser des questions. Vous y voyez des objections?
Le sénateur St. Germain: Non, mais il reste que normalement ce sont les sénateurs membres du comité qui posent des questions.
Le président: Je pose des questions qui aident aussi bien les sénateurs d'un côté que de l'autre.
Le sénateur St. Germain: Parfait.
Le président: Et, à l'occasion, très rarement, j'ai aussi des commentaires à faire.
Les questions concernent le chapitre 8, le chapitre sur la pêche, et le rôle du ministre. Est-ce que vous avez ce document?
M. Eidsvik: Le traité?
Le président: Les pages 111 à 126 exposent la procédure de l'Accord définitif nisga'a puis la page 127, la liste des recommandations du comité conjoint de gestion des pêches dont le ministre doit tenir compte, à savoir: des exigences de conservation et de la disponibilité des ressources de pêche; de toutes les préférences nisga'a concernant les méthodes, périodes et lieux de récolte partout dans la région du Nass; de l'utilisation des ressources de pêche au bénéfice de tous les Canadiens; de la récolte efficiente et efficace des ressources de pêche; des exigences d'intégration et de gestion efficiente de l'ensemble des pêches; des procédures scientifiques reconnues pour la gestion des ressources de pêche; et de toutes autres questions que le ministre estime appropriées.
Pensez-vous que les pêcheurs commerciaux auront la possibilité de se faire entendre par le ministre ou pensez-vous que vous serez exclus d'une procédure au cours de laquelle le ministre ne négociera qu'avec le comité conjoint de gestion des pêches?
M. Eidsvik: Il est difficile de prévoir comment ce comité évoluera. Je vois que ce comité de gestion consultatif ne compte pas de représentants ni des pêcheurs commerciaux ni des pêcheurs sportifs. J'espère que nous pourrons toujours compter sur des rencontres occasionnelles avec le ministre.
D'une certaine manière, que le ministère des Pêches établisse le plan de pêche en concertation avec des groupes autochtones et d'autres Canadiens n'est pas un mauvais modèle. En fait, l'arrêt Sparrow impose au gouvernement fédéral de consulter les groupes autochtones. Ce n'est pas un droit de veto mais le gouvernement fédéral a l'obligation de discuter et de prendre au sérieux les points soulevés par les autochtones en matière de pêche. Le problème, et c'est le cas en l'occurrence, c'est lorsque la procédure devient tellement lourde qu'elle handicape le ministre et l'empêche d'agir rapidement pour respecter le début de saison, et qu'elle a tendance à exclure certains participants parce que désormais un groupe autochtone siégera en privé avec les représentants du fédéral et de la province, établissant un plan de pêche pour une ressource commune sans inclure à la discussion tous les concernés.
Comme exemple, je pourrais peut-être vous citer celui de la pêche au hareng en Colombie-Britannique. Immédiatement après la fin de la pêche au hareng en avril, nous avons en mai notre première réunion d'examen des plans de pêche de l'année qui vient de s'écouler. Participent à ces réunions des représentants des autochtones et des pêcheurs commerciaux. Il semblerait qu'y participent aussi désormais des représentants des pêcheurs sportifs. Ces réunions se poursuivent pendant toute l'après-saison de pêche. Elles s'intéressent à toute la côte et déterminent où nous pouvons et où nous ne pouvons pas pêcher pendant la saison de pêche. Tous les intéressés et tous les concernés participent d'une manière constante et pratiquement sans problèmes.
Comment le ministère va-t-il négocier des plans de pêche et des plans de gestion avec des dizaines de groupes autochtones différents tout le long de la côte? Les inspecteurs doivent déterminer quels règlements appliquer à tel ou tel endroit. Doivent-ils s'appuyer sur la Loi sur les pêches? Doivent-ils s'appuyer sur cet accord? Doivent-ils s'appuyer sur certains règlements adoptés par le gouverneur en conseil relativement à cet accord? Personne ne s'y retrouve. Les inspecteurs n'ont déjà pas du tout la tâche facile. Le taux de succès des poursuites intentées par le ministère est déjà extrêmement faible à cause des innombrables possibilités de vices de forme. Nous préférerions que cette procédure soit simplifiée.
Cela ne veut pas dire que les autochtones devraient être exclus de la consultation. La Constitution leur donne juridiquement le droit d'être présents et nous avons l'obligation de respecter ce droit. Cependant, je crois que nous sommes allés trop loin dans ce traité. Nous risquons la paralysie institutionnelle.
Le président: Je devrais signaler à mes collègues que le comité se compose de six membres: deux représentants la nation nisga'a, deux du Canada et deux la Colombie-Britannique. Les Nisga'a ne sont pas majoritaires au sein de ce comité mixte de gestion. C'est au paragraphe 79.
M. Eidsvik: Non, ce n'est pas ce que j'ai dit, sénateur Austin.
Le sénateur Andreychuk: Ce qui vous gène dans cet accord ce n'est pas que les autochtones continuent à avoir le droit de pêcher pour leur subsistance. Si je vous comprends bien, ce qui vous gène c'est l'aspect commercial.
M. Eidsvik: Exactement.
Le sénateur Andreychuk: En l'occurrence, si je vous comprends bien, ce qui vous inquiète c'est que le gouvernement n'agisse pas suffisamment vite.
M. Eidsvik: C'est une des choses. Je pourrais vous citer rapidement un exemple. La semaine dernière nous étions à la Cour fédérale du Canada relativement à une demande d'injonction faite par un groupe autochtone près de Prince Rupert. Ils prétendaient que le ministère ne les avait pas consultés correctement et qu'il ne leur avait pas donné suffisamment d'argent pour qu'ils puissent consultés correctement. C'est conformément aux directives de l'arrêt Sparrow qui n'établit pas une procédure formelle mais qui impose une obligation de consultation en bonne et due forme.
Nous avons maintenant 30 ou 40 pages dans le chapitre sur les pêches dictant au ministère ce qu'il doit faire et comment le faire. Si je ne comprends pas ces dispositions, si mes administrateurs ne les comprennent pas et si nos avocats ne les comprennent pas, nous risquons de nous retrouver plus souvent devant les tribunaux. Nous risquons de nous retrouver dans le genre de situations prévalant aux États-Unis où se sont en fait les tribunaux qui gèrent la pêche. Ce n'est certes pas une éventualité que nous envisageons avec plaisir.
Le président: Dans l'État de Washington, sénateur, les tribunaux ont attribué aux autochtones de l'État de Washington 50 p. 100 de la pêche commerciale sur la base de leurs droits historiques.
Le sénateur Andreychuk: J'ai lu ces dispositions et j'ai trouvé curieux que du point de vue juridique elles imposent au ministre de s'arranger pour trouver une entente. Il doit faire des efforts raisonnables et cela prend du temps. Est-ce que vous craignez que cet accord ignore les questions de conservation? J'aurais pensé que cet accord aurait donné la priorité à la conservation sur toutes les autres obligations du ministre. Est-ce que vous partagez mon sentiment? Prétendez-vous simplement qu'il devrait y avoir plus de cogestion et moins de bureaucratie?
M. Eidsvik: Oui, sénateur, et je ne connais pas de pêcheur, qu'il soit sportif, autochtone ou commercial actif qui prétende que la conservation n'a pas la priorité. Je crois que l'intention de cet accord est de créer un régime de conservation sérieux. Le problème c'est que l'Accord définitif nisga'a est tout simplement trop lourd et trop compliqué. Si vous l'appliquez aux 100 autres groupes ou 50 autres groupes de Colombie-Britannique, ce sera catastrophique.
Le ministère a déjà tout le mal du monde à se conformer aux exigences de consultation de l'arrêt Sparrow. Le ministère sera complètement dépassé. Parlez-en à John Fraser, l'ancien président de la Chambre des communes, et je crois qu'il vous confirmera ce que je vous dis. C'est un précédent alarmant.
Le président: J'aimerais entendre M. Fraser. Ce serait un témoin intéressant.
Le sénateur Tkachuk: J'ai une question à poser à propos de cette procédure de consultation qui occupe une grande partie de notre conversation. La procédure de consultation des autres intéressés dans le contexte des négociations du traité nisga'a a-t-elle été équitable? Que pensez-vous de la procédure suivie?
M. Eidsvik: Madame le sénateur assise à côté de vous a parlé tout à l'heure de la nécessité pour nous de passer par l'accès à l'information. Le ministère avait des responsables de l'accès à l'information dont la performance laissait à désirer et c'est eux qui pour l'essentiel nous informaient. Les seuls renseignements que nous avons pu obtenir sur le traité nisga'a est qu'il était en train d'être négocié. Et encore c'est parce qu'il y a eu des fuites au niveau de certains documents. Le secret à propos de ces négociations a été très bien gardé.
Nous continuons à vouloir voir l'étude payée par le ministère qui fait de l'accord nisga'a un précédent et l'applique aux autres pêches tout le long de la côte. C'est d'un intérêt vital pour nous. Nous avons insisté pour que cette étude soit faite. Le ministère a fini par accepter en 1993 ou 1994. Elle lui a coûté beaucoup d'argent. Il a engagé les services d'un excellent scientifique pour la faire. Lorsque cette étude a été faite, le ministère a dit au comité consultatif de négociations sur le traité que cela faisait partie des négociations et que nous ne pouvions pas la voir. Les négociations sont terminées depuis plus de deux ans et je n'ai toujours pas vu ce document.
Nos membres qui pêchent dans le fleuve Fraser veulent savoir ce qui leur arrivera si le précédent du traité nisga'a est appliqué à toute la côte. Ils veulent savoir s'ils devraient commencer à plier leur matériel et chercher un autre travail. Je ne peux pas leur donner de réponse puisque le ministère ne veut pas nous communiquer cette étude. C'est un simple exemple de la pauvreté du processus de consultation. C'est comme les champignons qu'on élève dans le noir. C'est la réalité de cette situation et je crois qu'aucun représentant de l'industrie au sein du comité consultatif ne vous dira le contraire.
Le sénateur St. Germain: Est-ce que vous avez bien dit que si ce pouvoir était délégué plutôt que constitutionnalisé, il ne vous poserait pas de problème?
M. Eidsvik: Ce n'est pas ce que j'ai dit mais pour le moins, si nos craintes s'avèrent, il se pourrait que dans dix ans, cinq ans ou deux ans vous décidiez de leur retirer ce pouvoir. Non, il faut que le ministre des Pêches soit le gestionnaire et que les fonctionnaires du ministère soient responsables des analyses scientifiques et de l'application de la loi. C'est ce que nous préférons.
Le sénateur St. Germain: Ne vous a-t-on jamais offert la possibilité de discuter avec les négociateurs? Je ne conteste pas vos propos, mais chaque fois que j'en ai discuté avec eux, les représentants des Nisga'a m'ont clairement indiqué, en ce qui les concernait, que c'était le ministre qui avait la responsabilité ultime du volet pêche. Je ne questionne pas votre témoignage, mais j'entends deux sons de cloche différents, monsieur Eidsvik: celui des Nisga'a et le vôtre.
Je pense que vous avez la responsabilité de représenter votre organisation, mais je crois que les Nisga'a ont clairement indiqué qu'en matière d'attribution de quotas de pêche c'est au ministre des Pêches qu'ils devront rendre compte. Ils croient également à la priorité absolue de la conservation. Ils n'ont pas du tout hésité à le dire.
Il est malheureux de se retrouver dans cette situation. Vous représentez une coalition de pêcheurs de Colombie-Britannique et nous nous retrouvons avec deux positions conflictuelles. Je ne sais pas comment nous résoudrons ce problème. J'ai l'intime conviction que ce projet de loi sera adopté et cela pose de graves problèmes. Je connais les passions que cela déclenche chez les pêcheurs. Lorsque je siégeais à l'autre endroit, je représentais Mission--Port Moody où les restrictions ont sévèrement touché les pêcheurs à filet maillant du Fraser. C'est peut-être plus une observation qu'autre chose mais c'est une réalité.
Je crois que si vous posez la question aux Nisga'a ici présents, et il y en a beaucoup dans cette salle, ils vous répondront sans hésiter que la pêche sera contrôlée par le ministre des Pêches.
M. Eidsvik: Cela met tout le monde dans une position délicate. Nous sommes obligés de discuter les intentions des Nisga'a. Je ne pense pas que cela soit approprié. Je crois que tous les Nisga'a concernés ont les meilleures intentions pour la pêche. Cependant, si mon associé avec qui je partage la propriété de mon bateau était assis à côté de moi, je ne le laisserais pas faire la loi dans les pêches même si j'estime qu'on pourrait lui faire totalement confiance. Il serait en position de conflit d'intérêts.
On ne peut tout simplement avoir d'intérêts financiers dans les pêches et en même temps avoir la responsabilité de les gérer. La loi impose aux inspecteurs de déclarer sous serment qu'ils n'ont pas d'intérêts financiers dans les pêches. Il y a eu beaucoup trop d'incidents. M. Tobin a insisté lorsque nous avons signé l'accord avec l'Union européenne après la guerre du turbot pour que les observateurs et les inspecteurs sur les bateaux de l'Union européenne soient impartiaux et indépendants de l'Union européenne.
Quand je dis que les Nisga'a se retrouvent dans une position très délicate, ce n'est pas un reproche que je leur fais. Ils ne devraient tout simplement pas être mis dans une telle situation. Je ne les y mettrais certainement pas; je n'y mettrais pas mes amis; je n'y mettrais personne que je connais. C'est la raison pour laquelle je veux que le gendarme soit le ministère. C'est une réponse compliquée mais la question est compliquée.
Le sénateur St. Germain: Je sais qu'elle est compliquée.
Le président: Monsieur Eidsvik, je suis certain que vous connaissez les dispositions du chapitre 8 mais vu votre témoignage j'aimerais signaler que dans les dispositions générales, la première obligation qui est faite au ministère, c'est la conservation. Pour ce qui est de la vente, le paragraphe 67 dit:
Toute vente d'espèces autres que le saumon et de plantes aquatiques récoltées en vertu des droits nisga'a au poisson se fait conformément aux lois d'application générale fédérales et provinciales et à toute loi nisga'a concernant la vente du poisson ou des plantes aquatiques.
Le paragraphe 68 dit:
Sous réserve de l'Accord, le ministre est responsable de la gestion des pêches et de l'habitat du poisson.
Le paragraphe 73 dit:
En cas de conflit entre une loi établie en vertu de l'article 72 et une loi d'application générale fédérale ou provinciale, la loi fédérale ou provinciale l'emporte, dans la mesure du conflit.
Le sénateur Andreychuk: Pour être juste, monsieur le président, le paragraphe 89, par contre, dit:
Lorsqu'il considère les recommandations du comité conjoint de gestion des pêches, le ministre tient compte:
des exigences de conservation et de la disponibilité des ressources de pêche.
Dans le contexte de l'environnement, je tiens à insister sur le fait qu'il n'y a aucune ambiguïté, c'est la conservation qui a la priorité et non pas les autres questions de gestion efficace des pêches. La survie des espèces, à mon avis, devrait être la première priorité de tout le monde. D'une certaine manière, ce n'est pas aussi clair ici que cela devrait l'être à mon avis. C'est l'analyse de cette partie du point de vue écologique.
Le président: Je crois que le pouvoir du ministre en matière de conservation est primordial mais nous pourrons y revenir.
M. Eidsvik: Vous avez cité les paragraphes 67 et 68. Le paragraphe 71 dit:
En cas d'incompatibilité ou de conflit entre une loi nisga'a établie en vertu de l'article 69 ou 70 et une loi fédérale ou une loi provinciale, la loi nisga'a l'emporte, dans la mesure de l'incompatibilité ou du conflit.
Le paragraphe 69 traite de la répartition des droits nisga'a au poisson, les autorisations de pêche données à des personnes autres que des Nisga'a, l'échange ou le troc de poisson, la désignation et les documents de bateaux de pêche, l'identification de ces bateaux et d'autres questions convenues par les parties. Le paragraphe 70 donne au gouvernement nisga'a le pouvoir d'établir et d'administrer les exigences en matière de licences et de documents. Ces lois, les lois des Nisga'a prévalent dans la limite de leur compatibilité avec l'accord et les plans annuels de pêche. C'est une abdication flagrante du pouvoir fédéral.
Le président: Ce que vous lisez s'applique à leur allocation. Ce que j'ai lu s'applique à leur droit de vente qui est contrôlé par les lois fédérales et provinciales. Vous l'aviez fait remarquer à propos de la question des ventes.
Monsieur Eidsvik, vous avez soulevé un certain nombre de questions très intéressantes que nous étudierons. Nous avons apprécié votre témoignage.
Notre témoin suivant est Mme Mary Dalen. Nous avons 20 minutes. Je demanderais à Mme Dalen de venir s'installer. Si nous ne pouvons terminer avec son témoignage aujourd'hui, elle pourra revenir demain.
Le sénateur St. Germain: Monsieur le président, apparemment, Mme Dalen a réservé pour un vol à 8 h 45 demain matin, ce qui lui pose un problème.
Le président: Le comité pourrait se réunir de nouveau à 15 h 30 demain après-midi, si vous le souhaitez, et le témoin pourrait attraper un vol à 18 h 20 demain et rentrer chez elle quand même demain, si elle le souhaite. C'est à vous de décider. Comme vous le savez, c'est vous qui décidez de la longueur de l'audience des témoins. C'est là que nous en sommes. Nous pourrions entendre son témoignage ou nous pourrions attendre jusqu'à demain ou nous pourrions simplement verser son mémoire au compte rendu. Si elle veut rentrer chez elle, je suggérerais qu'elle résume son témoignage et que nous versions son mémoire au dossier.
Mme Mary G. Dalen: Je vais faire mon exposé. Je crois pouvoir le faire en 20 minutes. J'ai des cartes et des preuves tirées des documents de mon père et des preuves de chevauchement et je vais brièvement parcourir mon mémoire. Je vous l'ai envoyé à l'avance, mais il contient des erreurs. Je m'en excuse. J'ai fait des erreurs d'impression parce que j'étais pressée. Je ne savais pas vraiment que j'allais venir. J'espérais que le professeur d'université qui était ici resterait afin qu'il puisse entendre ce que j'ai à dire car je crois que ce que je vais dire est important.
Mesdames et messieurs, je suis née et j'ai grandi dans le village de Cedarvale, dans la province de la Colombie-Britannique. J'aimerais avant tout remercier le Sénat du Canada, la greffière du comité, mon mari et mon fils, ainsi que mes amis de New Hazelton pour m'avoir permis d'être ici. Ma famille et mes amis de Vancouver m'ont encouragée et m'ont fait part de leurs bons voeux.
Je vis près de l'endroit où le peuple nisga'a revendique des territoires. Je vais examiner la portée de ces revendications au moyen de cartes, en faisant référence à notre histoire et en comparant la façon dont nos parents et nos grands-parents vivaient et la façon dont ils sont passés de leur mode de vie à celui des Européens. Les cartes et les autres documents intégrés au présent mémoire appartiennent à l'Association historique du village de Meanskinisht et ils ne peuvent être distribués à l'extérieur du Sénat, puisque nous, les directeurs de cette association, avons investi temps et argent pour les obtenir et établir l'histoire du village Meanskinisht sans l'aide du gouvernement.
Le président: Je dois vous dire, madame Dalen, que tout ce que vous nous communiquez devient public et accessible au public.
Mme Dalen: Nos ancêtres et grands-parents pouvaient parcourir en long et en large les sentiers des territoires de piégeage et de chasse familiaux qui longent la vallée de la Nass. Les missionnaires empruntaient ces sentiers avec les guides de nos villages. Je peux apercevoir le sommet de la montagne depuis ma demeure dans le village d'Aiyansh. Les territoires revendiqués par les peuples nisga'a chevauchent les territoires de piégeage et de chasse de nos familles le long de la région de la Nass. Nos familles ont utilisé ces territoires depuis des générations et aucun membre de la famille n'a de document indiquant que nous les avons cédés. Nous exploitions ces régions pour assurer notre survie, en particulier au cours des deux guerres mondiales, alors que la nourriture était rare. Les documents de mon père peuvent prouver que nous utilisions et occupions ces lieux.
C'est la raison pour laquelle je voulais que le professeur d'université reste. La bande de Meanskinisht et la réserve indienne de Koonwats numéro 7 sont situées dans le village de Cedarvale. Le village de Meanskinisht fut fondé en 1887-1888 sous la direction du missionnaire Robert Tomlinson père et de son épouse, Alice Mary. Les gens observaient religieusement la loi chrétienne. Ils employaient leur temps et leur argent pour construire eux-mêmes leurs demeures, leurs églises et leurs écoles. Nous avions un moulin à scie à l'époque des bateaux à vapeur et nous approvisionnions les villages voisins en bois d'oeuvre. Il y avait des forgerons et des charpentiers. Nous fabriquions la brique à partir de la glaise des ruisseaux avoisinants et nous construisions des tours à la main. Les femmes jouaient un rôle important dans l'organisation du village. Elles étaient couturières et elles remplissaient toutes sortes d'autres tâches. Les gens travaillaient du lever au coucher du soleil et se réveillaient à 6 heures du matin au son du clairon.
Déjà en 1909, des Indiens ont commencé à acquérir des terrains par l'entremise d'une personne qui leur servait d'agent. Nos documents démontrent que mon père et ses frères ont fait l'acquisition de terrains en 1912. Ils ont acheté et possédé un terrain en vertu des lois du gouvernement provincial. Mon père et ses frères étaient également propriétaires officiels d'un territoire de piégeage en 1939, enregistré au nom de Josiah Bright et Compagnie, entité qui incluait son épouse et tous ses enfants. En 1999, mon fils et moi avons fait en sorte que le ministère de l'Environnement, des Territoires et des Parcs nous retourne se territoire de piégeage en vertu des lois du gouvernement provincial.
Nous avons découvert lorsqu'un membre du gouvernement m'a remis les documents de mon père que nos propres conseillers de bande locaux, leurs associés et le bureau du conseil de tribu avaient déclaré que tous les membres de ma famille étaient décédés. Mon fils Lyle et moi-même avons dû attendre huit ans pour que ces territoires de piégeage nous soient retournés, à nous et aux membres de ma famille qui en ont hérité de leurs parents dont les noms figuraient sur la liste.
Les pages 1 et 2 renvoient à la Loi sur l'Accord définitif nisga'a. Mes grands-parents et mes parents respectaient les lois de la Colombie-Britannique et du Canada. Tout en vivant dans le plus strict respect de la loi chrétienne, ils ont pu choisir la religion qu'ils désiraient et sont devenus méthodistes. Il y avait aussi un conseil des aînés. Ils ont su préserver leurs traditions et leur culture. Le ministère des Affaires indiennes exerçait un contrôle serré et procédait régulièrement à un recensement. Ainsi, en 1952, ils ont découvert que nos gens étaient des contribuables et ont vite pris des mesures pour que ces gens et leurs enfants se mêlent aux autres bandes. Après avoir parlé à nos parents et grands-parents, le ministère des Affaires indiennes a, par inadvertance, renvoyé les gens à leur village en vertu du système des chefs héréditaires. Nos pères et nos oncles sont alors devenus des chefs héréditaires et ont dû s'amalgamer dans leur propre village. Je vais déposer quelques documents importants qui vont appuyer mes dires.
Je vis toujours sur la terre que mes ancêtres ont léguée aux membres de ma famille, et je paie mes impôts à la province.
J'ai quelques observations au sujet du chevauchement. Je possède des documents démontrant que les terres du côté nord de Cedarvale furent utilisées et occupées par ma famille de génération en génération. Ces terres sont limitrophes à la région Nass. Je vais vous montrer où se trouve cette région ainsi que la lettre de mon père datée de 1947.
Qu'entend faire le gouvernement des questions non résolues concernant les situations de chevauchement et quelles mesures prendra-t-on pour résoudre cette impasse, si les négociations des traités entre le peuple nisga'a et les autres groupes tribaux s'avèrent un échec?
On a toujours entendu les conditions énoncées par les groupes tribaux dans leurs revendications territoriales: les terres privées ne font pas partie des discussions et elles ne sont pas négociables. Pourquoi certaines terres privées sont-elles saisies et les propriétaires fonciers devraient-ils craindre de perdre aux mains de la province les terres sur lesquelles ils paient des taxes? On note, aujourd'hui comme hier, beaucoup d'incertitude chez les propriétaires fonciers. À ma connaissance, aucun des membres de ma famille déclarés décédés n'était concerné par les revendications territoriales. Je veux dire que si un règlement de revendication territoriale était conclu dans notre région, il est peu probable que nous en profitions. On nous a dit que les gens vivant hors réserve seraient à jamais écartés de toute proposition de règlement de revendication territoriale ou d'autonomie gouvernementale.
Nos numéros de bande servent de capital pour le ministère des Affaires indiennes, les bureaux de conseil de bande et les groupes tribaux de revendications territoriales. Les montants octroyés aux membres hors réserve sont minimes comparativement à ce que touchent les membres vivant sur la réserve. Les peuples indiens bénéficient peut-être d'un faible coût pour les appartements et les logements des villes, mais leurs salaires sont également limités et, s'ils gagnent plus que ce qu'il leur faut pour occuper ces appartements et ces logements, ils doivent déménager.
C'est d'ailleurs la raison pour laquelle des gens demandent des assises territoriales et des règlements individuels: pour ne pas être laissés pour compte. Le ministère des Affaires indiennes ne veut pas traiter avec ces peuples en tant qu'individus. Le gouvernement fédéral considère les peuples autochtones comme des collectivités. Par conséquent, nous sommes immobilisés dans le temps en vertu de la Loi sur les Indiens et nous sommes coincés dans des bandes en vertu d'un système collectif. Les droits individuels devraient avoir préséance sur les droits collectifs, ce qui signifie que les personnes pourraient acquérir un terrain et les avantages qu'on ne leur a jamais octroyés. Le gouvernement fédéral doit cesser de regrouper les peuples.
Les négociateurs de ces traités et des revendications territoriales -- s'ils aboutissent -- feront un grand tort à ces gens, puisque le gouvernement autonome qu'ils créeront laissera pour compte ceux qui ont choisi de ne pas figurer dans leur liste d'admissibilité ou d'inscription.
Les gens qui expriment leurs inquiétudes sont abandonnés dans une situation désespérée, totalement ignorés par les chefs et les conseillers, les dirigeants des Premières nations, les négociateurs et leurs associés, et leur existence devient pire que celle qu'ils menaient sous l'ancien régime des agents des sauvages du ministère des Affaires indiennes. Si nous nous reportons au temps de nos parents, les agents des sauvages étaient-ils en droit de surveiller les gens hors des réserves, de procéder à leur recensement et d'isoler les peuples indiens inscrits au ministère des Mines et des Ressources (Direction des Affaires indiennes)?
Honorables sénateurs, pourquoi les gens ne peuvent-ils mener des revendications individuelles dans la région où ils sont nés et où ils ont grandi? Le ministère des Affaires indiennes connaît nos numéros personnels. Certains d'entre nous ne veulent rien d'autre que de récupérer les territoires qui leur ont été enlevés pour être intégrés aux réserves et d'autres régions que le ministère des Affaires indiennes n'était pas autorisé à ajouter aux territoires des réserves. Les réserves indiennes n'appartiennent pas aux particuliers. C'est le ministère des Affaires indiennes qui détient les droits de propriété sous-jacents de tous les territoires des réserves indiennes.
Je vais maintenant parler de l'Accord définitif nisga'a et des terres de la Couronne. Les terres de la Couronne ont toujours appartenu à tous les Canadiens. Ces terres devraient continuer à relever des gouvernements provinciaux et fédéral. Ma crainte est que les négociateurs du fédéral et du provincial remettent aux peuples nisga'a de vastes territoires ainsi que leurs ressources. C'est ma préoccupation dans le cas des revendications territoriales, et c'est aussi ce que craignent un grand nombre d'habitants de la région qui refusent d'abandonner les terres de la Couronne.
Les gouvernements ne devraient pas accepter d'étendre les réserves indiennes. On devrait remettre les réserves aux peuples nisga'a sans agrandir ces territoires. Le règlement devrait être définitif et ne pas laisser au peuple nisga'a 20 ans pour implanter un régime fiscal tout en profitant des avantages et en percevant les millions de dollars remis au conseil de tribu en vertu du règlement. Qu'advient-il des Indiens ordinaires, en particulier ceux qui possèdent peu de biens et ceux qui vivent hors des réserves?
L'Accord définitif nisga'a est protégé par l'article 35 de la Constitution, cité tout au long du texte. Selon moi, il ne s'agit pas d'un règlement final. Il s'agit plutôt de la continuité du statut particulier, cette fois pour 5 000 personnes dont la moitié vivent hors réserve.
Ce qu'a obtenu le peuple nisga'a est un troisième ordre de gouvernement. L'établissement de son propre système législatif et de ses forces de police doit être examiné. Les revendications territoriales et les traités doivent être définitifs; les responsabilités et les obligations gouvernementales à la suite des ententes de règlement devraient être identiques pour tous les citoyens. La souveraineté du Canada doit être préservée. Avec tout le respect que je dois aux honorables sénateurs, il me semble que les gouvernements sont en train de perdre le contrôle sur la démocratie au Canada.
Mesdames et messieurs les sénateurs, à propos de l'Accord définitif nisga'a, je crois que le Parlement ne devrait pas accepter cette entente dans sa forme actuelle. Vous seuls, mesdames et messieurs les sénateurs, pouvez faire en sorte que les députés apportent les changements nécessaires.
Sous sa forme actuelle, cette entente sera préjudiciable pour bien des gens. Certains ne connaissent pas ce que les événements leur réservent avant que la réalité ne les frappe de plein fouet. Il est alors trop tard et on ne peut rien faire pour eux.
Il est dans le meilleur intérêt des membres de la bande que le ministre des Affaires indiennes, comme les chefs autochtones des Premières nations, remboursent les prêts et les frais d'administration des négociations. Nous avons appris que, dans notre région, les membres de la bande doivent payer les frais liés aux revendications territoriales. Les Indiens ordinaires demandent des comptes au gouvernement fédéral et veulent savoir où se trouvent les sommes qui leur sont affectées.
Les gens s'épuisent à essayer de se faire une place sur cette terre et en ont assez de voir les chefs autochtones des Premières nations et leurs conseillers s'enrichir au su de tous. Les revendications territoriales empêchent les gens de progresser. Il faudrait mettre un terme à toutes ces négociations, prévoir une durée limitée et une date butoir. Les membres de la bande ne devraient pas avoir à payer les factures et ne rien recevoir.
Lorsqu'on m'a redonné le territoire de piégeage de mon père, la bande dont je suis membre nous l'a enlevé à nouveau. Le Bureau du conseil tribal a déclaré que nous étions tous décédés. Mike Scott, député de Skeena, a écrit pour moi au ministère de l'Environnement, des Terres et des Parcs. Le processus a été très long, et il y a eu de nombreuses formalités administratives. J'ai signé un affidavit.
Mon père a acheté des terres en 1912. J'ai les documents à l'appui ici. J'ai la preuve du montant qu'il a payé. J'ai la preuve du bail qu'il a payé. Mon oncle Sam, en 1912, a payé 254,30 $ plus taxes, plus les coûts de transfert.
Le président: Nous n'avons malheureusement plus de temps. Avant de conclure, le sénateur St. Germain voudrait vous poser une brève question.
Le sénateur St. Germain: Madame Dalen, je vous félicite car je sais qu'il est difficile de faire un exposé de cette nature à titre personnel et d'exprimer ses préoccupations sans d'aide juridique ou quoi que ce soit. Est-ce ce que vous nous avez présenté ici tout ce que vous vouliez présenter à notre comité? Êtes-vous satisfaite de votre exposé?
Mme Dalen: J'ai une carte ici qui montre le chevauchement.
Le sénateur St. Germain: Accepteriez-vous de nous laisser cette carte?
Mme Dalen: Oui, une photocopie.
Le sénateur St. Germain: Le président serait-il prêt à accepter cela et à le faire verser au compte rendu comme élément du mémoire?
Le président: Oui, cela fait partie de l'exposé. Nous en avons distribué des exemplaires aux sénateurs, de sorte que tout le monde a une copie.
Mme Dalen: J'aimerais que ce qui chevauche retourne à la famille, je ne veux pas négocier quoi que ce soit. Cela appartient à ma famille, et je veux le ravoir.
Le sénateur St. Germain: C'est sur des terres privées, madame Dalen?
Mme Dalen: Sur des terres de la Couronne. Comme mon père l'a dit, ce territoire est utilisé depuis des générations. Ces lettres sont datées de 1947.
Le sénateur St. Germain: Étant donné l'heure, nous devons nous arrêter ici, mais le président a reconnu que cette carte fera partie du compte rendu. Je tiens à vous remercier, et je suis sûr que tout le monde vous remercie de votre exposé.
Le président: Merci beaucoup.
La séance est levée.