Délibérations du comité sénatorial permanent des
Peuples autochtones
Fascicule 6 - Témoignages du 22 mars 2000
OTTAWA, le mercredi 22 mars 2000
Le comité sénatorial permanent des peuples autochtones, auquel a été renvoyé le projet de loi C-9, Loi portant mise en vigueur de l'Accord définitif nisga'a, se réunit aujourd'hui à 17 h 45 pour l'étude du projet de loi.
Le sénateur Jack Austin (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président: Chers collègues, nous reprenons l'étude du projet de loi C-9. Hier, le dernier témoin que nous avons entendu était Mme Mary Dalen; bien qu'elle ait pu présenter son mémoire, les sénateurs n'ont pas pu l'interroger. Je demanderais donc à Mme Dalen de s'asseoir à nouveau à la table des témoins, pour que nous puissions lui poser des questions.
Le sénateur St. Germain a la parole.
Le sénateur St. Germain: Madame Dalen, je vous présente les excuses du comité qui a dû vous demander de revenir aujourd'hui, car il ne nous restait plus temps à la séance d'hier. Nous avons écouté votre exposé, et je vous remercie à nouveau d'avoir fait un si long trajet pour nous le présenter.
Vous avez soulevé hier la question de vos zones familiales de piégeage. Cet accord va-t-il vous empêcher d'utiliser vos zones de piégeage? Pourriez-vous nous expliquer ce qui se passera?
Mme Mary G. Dalen: Je vais vous montrer une carte. Mon père a en main une lettre datée de 1947 dans laquelle on explique que les zones de piégeage étaient transmises de génération en génération, c'est-à-dire bien avant que les missionnaires ou les agents des sauvages n'arrivent. La zone semble très petite.
Le sénateur St. Germain: S'agit-il de la zone ombrée en vert?
Mme Dalen: Oui.
Le sénateur St. Germain: Une partie de votre zone de piégeage se trouve dans ce secteur, n'est-ce pas?
Mme Dalen: Oui, mais ce secteur ne correspond pas uniquement à la zone de piégeage. Il est également utilisée pour des fins de subsistance, car ce sont des terres de chasse qui nous approvisionnent aussi en aliments de base.
Le sénateur St. Germain: Si je comprends bien, cette zone, qui est assez petite sur la carte, fait partie des terres de chevauchement qui vous préoccupent, vous et les autochtones qui vivent à Cedarvale.
Mme Dalen: Oui, nous et le voisinage environnant.
Le sénateur St. Germain: Monsieur le président, je ne sais pas combien des sénateurs veulent poser des questions à Mme Dalen, mais je n'en poserai qu'une seule de plus qui touche sur la responsabilité.
Dans votre exposé d'hier, vous avez parlé de la responsabilité à l'égard de l'administration des bandes. Vous et les vôtres vivez hors réserve depuis déjà longtemps.
Mme Dalen: Depuis toujours.
Le sénateur St. Germain: Est-ce que vous vous préoccupez surtout des autres? Est-ce pour cela que vous dites que les chefs de la bande pourraient éventuellement ne pas rendre de comptes aux simples membres de la bande?
Mme Dalen: En partie. J'ai vécu toute ma vie à Cedarvale, et mes parents et grands-parents n'habitaient pas dans les réserves. Ils ont toujours eu des terres à bail. C'était ainsi qu'ils vivaient. Ils ont accepté que Robert Tomlinson père prenne toutes les terres de part et d'autre de la rivière, et ils ont ensuite défriché les terres. La parcelle que je vous montre sur la carte n'était pas inoccupée, puisqu'elle était occupée par la famille de mon père, c'est-à-dire ses ancêtres paternels. Ma famille paternelle s'y trouvait déjà.
Le sénateur St. Germain: M. Tomlinson, c'est le ministre?
Mme Dalen: Oui, c'était le ministre de l'Église anglicane. C'est ainsi qu'ils ont réussi à éviter de devoir vivre dans les réserves.
Le sénateur St. Germain: Éviter de devoir vivre dans les réserves?
Mme Dalen: En effet.
Le sénateur St. Germain: Pour quelle raison? Était-ce pour des raisons de responsabilité, ou simplement parce qu'ils cherchaient à vivre hors réserve pour avoir un autre mode de vie?
Mme Dalen: Robert Tomlinson a dit qu'il ne voulait pas que les nôtres soient traités de la façon dont les Affaires indiennes traitaient les Indiens.
Voici sur la carte là où habitait la famille de mon père. L'autre peuple qui restait, celui de Gitlusec, habitait ici. Ils vivaient dans 16 maisons d'assemblée et ont été décimés par la maladie de l'Esca. Ceux qui ont survécu habitaient sur cette île-ci. Robert Tomlinson et mes grands-pères sont venus défricher toute la terre qui se trouve ici, l'ont divisée en sections de cinq acres chacune, de part et d'autre de la rivière. Mais les Affaires indiennes ne cessaient de leur tourner autour. Ils avaient leur propre bande, la bande Meanskinisht. Cela fait depuis 1979 que je travaille là-dessus et que j'essaie d'aboutir à quelque chose avec les Affaires indiennes. La bande s'était fait donner un numéro, mais les Affaires indiennes semblent nier aujourd'hui l'existence de la bande Meanskinisht.
Le sénateur St. Germain: Ce sont les personnes qui ont été déclarées comme étant toutes décédées?
Mme Dalen: On pensait que nous étions tous morts. Le bureau de bande auquel j'appartiens aujourd'hui est celui qui nous a tous déclarés décédés, à cause des zones de piégeage de mon père. Ces zones de piégeage se trouvent sur les pics des Sept-Soeurs. Laissez-moi vous montrer où cela se trouve.
Le sénateur St. Germain: Les pics des Sept-Soeurs se trouvent-ils ici?
Mme Dalen: Non, cela, c'est le côté nord.
Le président: Devrions-nous inclure les cartes dans le témoignage?
Le sénateur St. Germain: Bien sûr, surtout à cause du problème de chevauchement. Je crois que nous avons des copies des cartes qui ont été déposées hier, dans le cadre des délibérations.
Le président: Bien. Sur l'une des cartes que vous avez déposées, je remarque que vos terres se situent de part et d'autre de la rivière Skeena, n'est-ce pas?
Mme Dalen: En effet. Il existait deux familles Bright: l'une d'entre elles était celle de mon grand-père, Nathaniel Bright, qui est entré par alliance dans la famille de mon père. Il existait deux familles Bright, parce que l'oncle de mon père aimait à ce point ce patronyme qu'il se l'est approprié. Voilà pourquoi il y avait deux grandes familles portant le même patronyme, mais qui auparavant portaient des noms indiens. Je suis inscrite sur les zones de piégeage de mon père dont je vous parlais hier, que nous avons fini par récupérer l'année dernière.
Le président: Êtes-vous inscrite conformément à la Loi sur les Indiens?
Mme Dalen: Oui.
Le président: Et à quelle tribu appartenez-vous?
Mme Dalen: J'appartiens à la bande du village de mon père, la bande Gitwangak.
Le président: Et à quel peuple appartient cette bande?
Mme Dalen: Au peuple Gitxsan.
Le président: J'aimerais poser la même question que celle du sénateur St. Germain, afin d'être sûr de bien comprendre. Vous avez demandé à comparaître parce que la mise en oeuvre du traité nisga'a vous préoccupe, mais sur quel plan? C'est à vous de nous le dire.
Mme Dalen: Je crains que ce traité ne serve de modèle à tous les peuples indiens, et particulièrement aux particuliers comme moi-même. Mon père a toujours vécu en dehors d'une bande et il respectait les lois du Canada et celles de la Colombie-Britannique, tout comme le faisait mon grand-père.
Le président: Si je vous comprends bien, madame Dalen, vous craignez que si les Gitxsans concluent une entente similaire, celle-ci n'autorise le conseil tribal à vous retirer des droits, n'est-ce pas?
Mme Dalen: À les retirer aux Indiens particuliers.
Le président: Comme il n'y a plus de questions, je vous remercie chaleureusement d'avoir comparu hier et aujourd'hui et de nous avoir aidé dans notre réflexion.
Honorables sénateurs, nous accueillons maintenant maître Alex MacDonald, c.r. Pendant qu'il s'assoie, je crois me rappeler qu'il a déjà été procureur général de la Colombie-Britannique de 1972 à 1975.
M. Alex MacDonald: Oui, c'est à ce moment-là que j'ai gagné ces lettres de c.r.
Le président: Cela s'est déjà vu chez les politiques. Vous pourrez commencer dès que vous serez prêt.
M. MacDonald: Mesdames et messieurs, je voudrais vous parler de la validité constitutionnelle ou plutôt de l'inconstitutionnalité de l'accord nisga'a. Ne croyez pas un instant que je n'aie aucune confiance dans les négociations avec les bandes autochtones ni dans les programmes d'action positive qui se fondent sur des besoins -- et je parle ici des besoins et non pas de leur caractère légal. Lorsque j'étais procureur général, j'ai eu l'honneur de siéger à l'Assemblée législative avec Frank Calder, et l'une des premières choses que nous ayons faites...
Le sénateur Grafstein: Monsieur le président, je connais les antécédents de maître MacDonald, mais dans les circonstances, ne conviendrait-il pas qu'il nous explique en quelques mots quels sont ses antécédents? Nous l'avons connu à divers titres, mais je crois qu'il conviendrait que tous les membres du comité sachent tous les postes qu'il a occupés. Moi-même, je ne l'ai pas vu et je n'ai pas entendu parler de lui depuis longtemps.
M. MacDonald: J'ai déjà été député fédéral, et j'ai aussi été député pendant 26 ans à l'Assemblée législative de la Colombie-Britannique, ce qui est long. Comme je pratique aussi le droit, je suis allé à la Cour suprême du Canada à plusieurs reprises. J'ai enseigné pendant dix ans à l'université Simon Fraser, en donnant des cours notamment sur la Constitution du Canada. Soit dit en passant, j'enseignais à des étudiants autochtones. Lorsque j'étais procureur général, j'ai fondé une école de droit et insisté pour qu'elle soit ouverte aux étudiants autochtones. Certains d'entre eux ont très bien réussi, et l'un d'eux est même devenu un juge éminent. En ma qualité de procureur général, j'ai mis sur pied un système d'aide judiciaire pour les autochtones. Je savais tout de l'affaire Frank Calder en 1976, et l'affaire m'a intéressé, car elle a permis de porter au grand jour les problèmes des collectivités autochtones qui, jusque là, avait été laissées pour compte.
Toutefois, dans le cas qui nous occupe, mesdames et messieurs les sénateurs, si l'on devait constitutionnaliser les 252 pages du traité... il n'est pas nécessaire que j'en dise plus long. Vous en avez certainement suffisamment entendu parler pour savoir ce que je veux dire. Si la seule façon de modifier un iota du texte, c'est d'adopter un amendement constitutionnel ou de conclure une entente qui, comme on le sait, peuvent être très coûteuses, cela revient à faire une grossière erreur, en plus d'aller à l'encontre de la constitution.
Je sais que dans l'accord, on dit qu'il n'a pas pour effet de modifier la Constitution. C'est tout le contraire, puisque le traité permet à une entité souveraine de légiférer. Que les lois adoptées soient mineures ou qu'elles suffisent à envoyer en prison quelqu'un qui aurait enfreint un règlement municipal, cela revient à modifier la Constitution.
Il y est dit que la Charte des droits s'appliquera, et si je voulais prendre plus de temps, je vous lirais l'article en question; mais ensuite, il y dit que le gouvernement nisga'a est libre et démocratique. Cela s'inspire de l'article 1 de la Charte, et par conséquent, cet article n'a aucune force de loi. Cet article permet de restreindre certains droits, par exemple celui d'être à l'abri de la discrimination, mais il est dit aussi que cela peut se faire dans des limites justifiables dans le cadre d'une société libre et démocratique. Dès lors que l'accord établit que la structure du gouvernement a un caractère libre et démocratique, on élimine la Charte, à toutes fins pratiques.
Comme je dois faire vite, permettez-moi vous donner maintenant les arguments principaux. La situation actuelle est inédite, et elle est presque incroyable. Lorsque le Parlement légifère pour donner force de loi à un traité qui confère des pouvoirs à un groupe de Canadiens -- peu importe lequel, qu'il s'agisse d'un groupe méritant comme les Nisga'a ou des Écossais, ou d'autres -- et cède une partie de ses propres pouvoirs à un groupe d'autres Canadiens sans pouvoir les récupérer puisque cela est coulé dans le béton constitutionnel aux termes de l'article 35, il commet une grave erreur. Il pourrait déléguer ces pouvoirs. S'il l'avait fait, je ne serais pas ici aujourd'hui. Si nous avions donné le statut de municipalité aux Nisga'a, ils formeraient la majorité, et pourraient adopter des règlements municipaux, notamment, ce qui reviendrait à une délégation de pouvoirs. Mais non seulement c'est une erreur pour un Parlement ou une assemblée législative d'abandonner à tout jamais ses pouvoirs, mais c'est aussi contraire à la Constitution. Le Sénat fait partie du Parlement du Canada: il peut déléguer sa compétence législative, comme il le fait constamment. Mais il ne peut pas y renoncer à tout jamais.
Un juge anglais -- ou peut-être irlandais, mais peu importe, car il a dit vrai -- a affirmé que le Parlement est tout puissant à tous les égards, sauf qu'il n'a pas le pouvoir de détruire sa propre omnipotence. Or, c'est ce que vous faites dans ce traité. Une fois le traité adopté, les 252 pages seront coulées dans le béton. Si leur mise en oeuvre pose problème, vous n'y pourrez rien.
S'il s'agissait d'une loi municipale adoptée par le gouvernement provincial, vous qui êtes des gens d'expérience savez très bien que si sa mise en oeuvre posait problème dans trois ou quatre ans, il suffirait qu'une commission de l'assemblée législative se réunisse et modifie la loi. En l'occurrence, il est impossible de modifier l'accord, sauf par modification constitutionnelle. Le cas échéant, les avocats entreront en jeu, et vous verrez un nombre infini de causes portées devant les tribunaux sur la façon dont telle ou telle disposition s'applique. Ce sera la fête pour les avocats.
Il faut d'abord établir que la Constitution ne vous permet pas d'abandonner vos pouvoirs. Vous pouvez les déléguer, mais cela reviendrait à tout à fait autre chose.
J'ai apporté avec moi un mémoire que vous pourrez lire. Quelqu'un m'a interrogé sur l'administration de la justice, étant donné mes antécédents comme procureur général. À la page 87 du traité, vous lirez que les agents de police peuvent entrer temporairement sur les terres des Nisga'a pour faire appliquer la loi. Toutefois, à la page 201, le traité donne au conseil nisga'a le droit d'avoir ses propres services policiers et même sa propre commission de police, dont les membres ne peuvent être recommandés que par la bande nisga'a; le gouvernement nisga'a a également droit d'avoir son propre système judiciaire, si limité soit-il.
Lorsque j'étais procureur général, j'étais chargé d'administrer la justice dans l'ensemble de la province, en vertu du paragraphe 92(14). Le mandat du procureur général est désormais tronqué. Les policiers peuvent aller sur les terres nisga'a et enquêter, mais ce pouvoir est désormais extrêmement limité, voir pratiquement inexistant. La capacité de gérer les corps policiers est désormais extrêmement limitée. Si vous décidiez de donner à un groupe ethnique quelconque des pouvoirs de ce genre dépassant de loin les pouvoirs municipaux, des écarts de conduite surviendraient à l'hôtel de ville petit à petit, mais ceci est très grave.
Dans un territoire, dès qu'une victime d'agression est convaincue que les autorités n'enquêtent pas comme il se doit ou favorisent quelqu'un d'autre, elle peut demander au procureur général d'intervenir, et celui-ci a le devoir de le faire. C'est le procureur général qui gère les commissions de police. Il peut enjoindre la GRC de prendre en main les enquêtes dans une municipalité. Du côté judiciaire, le procureur général dont le rôle est d'administrer la justice dans la province a désormais une marge de manoeuvre bien moindre, et cela va à l'encontre de la Constitution.
Comme l'établit clairement l'article 17 de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, le gouvernement du Canada est constitué de la reine, de la Chambre des communes et du Sénat. Il en va de même pour les assemblées législatives provinciales. Par conséquent, toute loi et tout règlement municipal, si banal soit-il, sont adoptés en vertu de ce que j'appelle la prérogative royale. Or, ce projet de loi donne à un organe la souveraineté qui lui permet d'adopter lui-même ses lois sans avoir reçu le consentement de la reine ou du Parlement, sans que ce soit modifiable, ce qui va à l'encontre de la Constitution du Canada ou même de la prérogative royale.
L'article 15 de la Charte des droits et libertés établit que la loi ne fait exception de personne et que tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi. Cette disposition d'applique-t-elle à ce traité-ci? Elle s'applique certainement au projet de loi dont vous êtes saisis aujourd'hui. La Charte dit «indépendamment de toute discrimination». Il saute aux yeux que l'on parle de discrimination dans le projet de loi. À preuve, et c'est l'exemple le plus frappant mais non le seul, les gens qui résident sur les terres nisga'a n'auront pas le droit de vote, ce qui va à l'encontre de l'article 15 de la Charte, puisque la loi ne s'applique pas également à tous dans ce cas-ci. Si l'on prend les autres bandes autochtones, telles que la Westbank, cela veut dire que de 1 000 à 1 500 personnes seront touchées par cette disposition. C'est un précédent extrêmement dangereux! Celui qui est arrêté, mis à l'amende et emprisonné conformément à un règlement municipal ne pourra néanmoins pas intervenir auprès du gouvernement qui a adopté ce règlement. C'est ce que j'appelle toute une violation des droits!
Récemment, dans une affaire émanant d'Hawaï, la Cour suprême des États-Unis a établi que la discrimination en vertu de la loi que constitue le fait de refuser à quelqu'un le droit d'intervenir auprès d'un organe public est contraire à la Constitution. Le jugement a été majoritaire à sept juges contre deux. Je prétends, pour ma part, que ce projet de loi-ci va à l'encontre de l'article 15 de la Charte.
L'article 15 fait ensuite état du programme d'action positive, auquel je souscris sans réserve. Le programme des aides judiciaires autochtones que j'ai mis sur pied constitue un programme d'action positive fondé sur des besoins temporaires. On ne peut pas dire pourtant que ce traité constitue un programme d'action positive au titre du paragraphe 15(2) de la Charte des droits.
J'aborderai pendant quelques instants les jugements rendus par les tribunaux canadiens. La célèbre cause Delgamuukw a jeté l'ombre de la revendication sur toutes les terres de la province de la Colombie-Britannique. L'affaire portait sur l'autonomie gouvernementale et sur les terres. Elle a été portée devant la Cour suprême du Canada, qui ne s'est penchée que sur la revendication territoriale et a renvoyé de nouveau la question devant les tribunaux. La Cour suprême n'a pas abordé l'affaire de l'autonomie gouvernementale, ce qu'a pourtant fait la Cour d'appel de la Colombie-Britannique. Cette dernière s'est penchée avec soin sur la question en se demandant si des pouvoirs souverains d'autonomie gouvernementale pouvaient être accordés à un groupe ou à une collectivité quelconque au Canada. L'arrêt fondamental dans cette cause, qui était celui du juge Macfarlane, établissait que dans la Constitution, il ne peut y avoir un troisième ordre de gouvernement. Or, c'est ce que propose de faire ici ce projet de loi, même si c'est de façon limitée. Il s'y trouve un article qui stipule que lorsqu'il y a incompatibilité entre les lois fédérales ou provinciales et l'accord, c'est l'accord qui l'emporte. Cela constitue un troisième ordre du gouvernement, contrairement à ce que dit la Constitution. Je vous rappelle qu'il s'agissait d'un jugement de la Cour d'appel de la Colombie-Britannique, l'instance judiciaire la plus haute à avoir tranché la question actuellement au Canada. Aucune autre Cour d'appel n'a abordé la question, pas même la Cour suprême du Canada, et la Cour d'appel de la Colombie-Britannique a affirmé que c'était contraire à la Constitution.
Oublions qu'il est question du grand peuple nisga'a, et demandons-nous si l'on ferait cela pour n'importe quel autre groupe au Canada. Le projet de loi affirme que tout le monde jouira de droits, mais que certains en auront davantage que les autres. Si vous aviez essayé cela à l'époque de Pierre Elliott Trudeau, jusqu'où est-ce que ce serait allé? On aurait ri d'une proposition aussi farfelue. Or je suis désolé, mais c'est bien ce que comporte cet accord. Il accorde des droits spéciaux, dont ne jouiront pas les citoyens d'autres municipalités, ce qui est inconstitutionnel. La Constitution ne permet pas ce genre de chose.
Il y a une autre disposition qui me paraît assez osée dans le document, celle qui ferme la porte à toute modification, une fois le traité mis en oeuvre. Elle affirme que le gouvernement du Canada ne peut contester la validité de ces conditions, ni même appuyer leur contestation. Il se peut qu'un jour, on change de gouvernement au Canada. Il me paraît donc extraordinaire d'affirmer qu'un nouveau gouvernement n'aurait pas le droit de demander un renvoi devant les tribunaux ou d'appuyer une contestation, à propos d'un aspect quelconque de l'entente. Le piège va donc se refermer.
Je prie instamment le Sénat de ne pas rejeter cet accord, mais d'insister pour qu'il y ait renvoi devant la Cour suprême du Canada au sujet de sa constitutionnalité. De toute façon, une telle initiative est inévitable. Il y a déjà des citoyens qui vont faire appel aux tribunaux, et cela atteindra probablement la Cour suprême du Canada dans cinq ou six ans. Or la question ne devrait pas traîner en longueur. Il faut saisir l'occasion qui s'offre à nous dès maintenant de recourir à la procédure de renvoi, car une fois le traité ratifié, il sera impossible de le faire. C'est ce qu'il y a de plus logique. On pourra ensuite poursuivre les délibérations sur les mérites du document, sur la justice y compris la justice sociale qui émane de son contenu, mais on le fera à la lumière de l'avis de la Cour suprême du Canada. De toute façon, cet avis sera donné tôt ou tard; il vaut mieux que ce soit le plus tôt possible. Merci, monsieur le président.
Le sénateur St. Germain: Merci, monsieur MacDonald, de votre présence parmi nous aujourd'hui. À titre d'éclaircissement, le gouvernement que vous avez servi et appuyé par le passé est manifestement le même que celui au pouvoir à l'heure actuelle en Colombie-Britannique. Je tenais simplement à ce que les gens connaissent vos antécédents politiques.
M. MacDonald: Je le sais, sénateur, mais je suis un socialiste de la vieille école.
Le sénateur St. Germain: Je ne suis ni professeur de droit, ni avocat, et je n'ai pas votre expérience, mais à ma connaissance, l'accord établit très clairement que le peuple nisga'a se conformera à la Constitution et à la Charte des droits de notre pays. Or, vous remettez quand même cela en question en vertu de l'article 15. Il me semble que l'accord précise bien ce que je viens d'affirmer, et en dépit de cela, vous pensez autrement. J'ai interrogé les Nisga'a eux-mêmes à ce sujet, et ils ont carrément affirmé que la Charte et la Constitution s'appliquent à tout dans l'accord. Cependant, lorsque vous vous reportez à l'article 15, vous êtes d'avis qu'il échappe à la Constitution.
M. MacDonald: Si vous vous reportez à la page 18, au point 9, il est dit, et je cite:
La Charte canadienne des droits et libertés s'appliquera à tout ce qui relève des compétences et pouvoirs du gouvernement nisga'a et de ses institutions, compte tenu de la nature libre et démocratique du gouvernement nisga'a, telle qu'elle ressort de la présente entente.
Il y a exception si elle est justifiée. Ils ont utilisé la même phrase. Cependant, cette fois-ci, on joue un tour à la Charte. «Justifiable dans une société libre et démocratique». Ce sont bien les mêmes termes qu'on utilise. On se trouve donc à dire que les atteintes aux droits reconnus dans la Charte de la part du gouvernement nisga'a sont acceptables parce qu'ils sont justifiables dans une société libre et démocratique, dont celle des Nisga'a.
Ne croyez pas cela -- je sais que je ne devrais pas parler ainsi. Enfin, ne croyez pas que la Charte des droits s'appliquera. Si elle le fait, comment pourrait-on refuser le droit de vote aux gens? Je sais que la disposition relative au vote dans l'article 3 de la Charte ne porte que sur les scrutins provinciaux, municipaux et fédéraux. Je le sais bien. Toutefois, les droits à l'égalité des Canadiens, c'est-à-dire à un traitement et à des avantages égaux en vertu de la loi, figurent à l'article 15, et je regrette de devoir préciser que l'accord transgresse justement ce dernier. On ne porte pas atteinte à la Charte lorsqu'on met en oeuvre de bons programmes qui aident les gens, particulièrement les habitants des collectivités autochtones où les besoins de terres, de protection culturelle et de progrès social sont très urgents.
Le sénateur St. Germain: Merci d'être venu comparaître. Merci de vos explications. N'ayez aucune hésitation en répondant aux questions. Je suis certain que vous n'en aurez pas.
M. MacDonald: Au fait, je n'ai de comptes à rendre à personne. Il est trop tard.
Le président: Il est rare que nous accueillions un socialiste de la vieille école. Nous ne vous demanderons pas votre avis sur le Sénat.
Le sénateur Chalifoux: Bonsoir, monsieur. C'est un honneur et un plaisir de vous accueillir,
M. MacDonald: Tout l'honneur est pour moi.
Le sénateur Chalifoux: Je suis de l'Alberta et je m'occupe des questions autochtones dans cette province et un dans le Canada depuis de nombreuses années. J'aimerais que vous nous parliez plus en détails des services de police. En Alberta, plusieurs réserves ont leurs propres forces policières. Celles-ci ont été formées par la GRC, et elles sont entièrement contrôlées par les conseils de bande. Elles fonctionnent assez bien. Dans la réserve d'Hobbema, il y a une prison qui est totalement contrôlée par le conseil de bande, et qui applique les règles et règlements du solliciteur général. Cela semble fonctionner très bien.
Si ce sont là des exemples de bonnes forces de police réglementées qu'on peut avoir au sein des organisations et au sein des nations autochtones en Alberta, pourquoi cela ne fonctionnerait-il pas pour les Nisga'a?
M. MacDonald: Les Nisga'a devraient avoir leur propre force policière. La ville de Vancouver a la sienne. Toutefois, cela relève du droit général. En dernier recours, quand les choses tournent mal -- et cela se produit invariablement dans toute collectivité -- le procureur général et le gouvernement, en vertu de la Constitution, ont le devoir d'y remédier. La province de l'Alberta fonctionne ainsi aujourd'hui.
Je ne m'oppose pas du tout à ce qu'il y ait une force de police distincte. Je m'oppose au manque de surveillance et de supervision dans l'intérêt du grand public, y compris celui de certaines personnes d'ascendance nisga'a et d'autres origines.
Le sénateur Chalifoux: J'aimerais dire autre chose au sujet du tribunal nisga'a. Un juge autochtone a été nommé dans la nation Tsuu T'ina, et il y en a eu aussi un qui a été nommé dans la région de Peace River. Ils tiennent des tribunaux dans les réserves et semblent le faire très bien. Ils peuvent accueillir des appels et en interjeter.
Je suis en train de lire un mémoire sur l'accord, et on indique que les décisions finales du tribunal nisga'a peuvent faire l'objet d'un appel devant la Cour suprême de la Colombie-Britannique tout comme des décisions rendues à la Cour provinciale de la Colombie-Britannique. Il y a des garanties dans ce mémoire. J'aimerais que vous nous en parliez.
M. MacDonald: Pour ce qui est des appels, la garantie existe. Toutefois, si l'on veut protéger les gens en assurant la loi et l'ordre, si l'on peut dire, les enquêtes sont très importantes. Seront-elles menées adéquatement? Les forces de police sont très importantes. Ce sont elles qui portent des accusations quand elles sont justifiées. Le procureur est très important. La commission de police est très importante, tout comme la supervision de la police. En cas d'inconduite ou si l'on a fait preuve de laxisme dans la poursuite de quelqu'un, la commission de police est là. Toutefois, c'est le procureur général de la province qui assume la responsabilité. En cas d'échec, cette responsabilité existe.
Je ne m'oppose pas du tout au principe des forces de police distinctes ou des tribunaux. L'Alberta agit de façon tout à fait innovatrice. Il faut certainement des juges autochtones. Toutefois, la Constitution exige que des représentants élus de toute la population exercent une surveillance générale, définitive.
Le sénateur Grafstein: Je souhaite la bienvenue aux témoins. J'ai trouvé votre témoignage intéressant et stimulant. Je n'étais pas là l'autre jour quand M. Doug Sanders de l'Université de la Colombie-Britannique a comparu, mais j'ai lu son témoignage et je trouve qu'il est très différent du vôtre. Je vais aborder une ou deux questions pour savoir ce que vous en pensez. Permettez que je lise un bref paragraphe.
L'année 1982 représente, je pense, un tournant puisque nous reconnaissons à cette époque, dans notre Constitution, notre histoire coloniale et l'existence continuelle des communautés autochtones du pays qui n'ont pas été assimilées et qui sont bien décidées à continuer de vivre de façon distincte au sein de la société canadienne.
Voici la phrase intéressante, je pense:
Lorsque nous avons inclus ces droits dans la Constitution en 1982, l'ancienne idée d'un partage simple des pouvoirs entre les deux ordres de gouvernement a disparu.
M. Sanders poursuit en disant:
Nous avons également abandonné un autre principe fondamental en 1982, c'est-à-dire l'idée de la suprématie du Parlement, que la Constitution partageait simplement les pouvoirs entre deux ordres de gouvernement. La Charte représente un changement marqué dans la vie constitutionnelle canadienne en instituant des limites aux pouvoirs des gouvernements fédéral et provinciaux, une situation tout à fait différente par rapport à la Loi constitutionnelle de 1867.
J'en conclus que le professeur Sanders fait valoir la position traditionnelle -- et je n'en donne pas une bonne caractérisation -- mais l'argument que vous invoquez a perdu de son poids en 1982 dans la Constitution. Qu'en pensez-vous?
M. MacDonald: Qu'il est ou non été sage de dire en 1982 que dorénavant les traités seraient considérés constitutionnels, voilà une autre question, mais aucun tribunal n'a statué que vous êtes obligés de conclure un traité. La possibilité existe: vous pouvez négocier un traité. Une fois fait, le traité est gravé dans la pierre, mais aucun tribunal n'a dit que vous étiez obligés de le faire. En fait, je pense que l'ancien juge en chef de la cour suprême, Antonio Lamer, a dit qu'il n'était pas nécessaire de conclure des traités.
Il y a d'autres possibilités. En Colombie-Britannique, il y a la bande de Sechelt à qui de concert, le gouvernement du Canada et de la province ont conféré le statut de municipalité à une bande autochtone. Il suffit d'une loi conjointe. C'est parfait. C'est une étape supplémentaire. En 1986, pour tenter de convaincre mon propre parti, j'ai écrit un article à l'intention du Vancouver Sun. C'est cette dernière étape qui est si grave. N'embourbez pas l'accord nisga'a dans la controverse constitutionnelle.
Le sénateur Grafstein: Je suis convaincu par la plupart de vos arguments, mais j'essaie de mettre les choses en perspective pendant que j'y réfléchis.
Vous dites que si des gouvernements -- provinciaux et fédéral -- décident d'aller de l'avant avec un traité, avec une entente, l'entente n'échappe-t-elle pas à l'article 15 pour relever des articles 25 et 35? Ainsi, c'est peut-être non conformiste, c'est peut-être peu souhaitable sur le plan politique, mais une assemblée législative et l'autre endroit ont conclu que c'est ce qu'ils souhaitent faire. Je ne veux pas entendre les arguments politiques. Nous les avons entendus. J'essaie de comprendre la justification constitutionnelle de ce que vous avancez.
M. MacDonald: Pensez-vous qu'en incluant dans un traité quelque chose qui va clairement à l'encontre des droits de la personne, la loi habilitante du traité n'a pas à être conforme à la Constitution? Voilà de quoi il est question ici. Nous n'en sommes pas encore à l'étape d'un traité. Il faut que ce soit constitutionnel. Voilà ce que nous vérifions ici et ce que nous avons vérifié devant les tribunaux. Toutefois, lorsque nous en serons à cette étape ultérieure, vous avez raison.
Le sénateur Grafstein: Poussons les choses un peu plus loin. J'ai reconnu, avant d'entendre ce témoignage, que la constitution nisga'a et le traité sont apparemment lacunaires puisque les résidents non nisga'a en territoire nisga'a n'auront pas le droit de vote. Or ces personnes ont très clairement le droit de faire connaître pleinement leurs points de vue et de les présenter. Ces personnes ont le droit à une solide représentation. Il faut au moins tenir compte de leurs points de vue même si on ne les accepte pas. Les représentants nisga'a nous ont dit qu'en fait, c'est presque l'équivalent, si on veut, des droits accordés au terme de l'article 15.
M. MacDonald: S'agit-il d'une protection égale en vertu des lois?
Le sénateur Grafstein: Je n'exprime ni mon accord ni mon désaccord. Je dis tout simplement que c'est l'argument qui a été présenté. Je voulais savoir ce que vous en pensiez.
M. MacDonald: Le droit d'être consulté peut être très important ou insignifiant, mais le droit de voter dans une démocratie est fondamental. J'ai donné l'exemple d'un règlement administratif adopté qui touche le zonage de votre propriété ou quelque chose du genre et où vous n'avez pas votre mot à dire. Vous n'êtes peut-être pas d'accord, mais au moins vous avez eu la possibilité de voter. Il s'agit d'un droit démocratique fondamental et toute atteinte à ce droit contrevient à l'article 15 qui prévoit un traitement égal en vertu des lois.
Le sénateur Grafstein: Vous venez de soulever une autre question dont nous avons déjà entendu parler, mais que vous présentez différemment, et il s'agit de la prépondérance des pouvoirs. Si je comprends bien le traité nisga'a, le gouvernement fédéral conserve, par exemple, ses pouvoirs en matière de droit du travail, et les gouvernements provinciaux conservent les leurs. Le représentant de la B.C. Federation of Labour a comparu devant nous et nous a indiqué que sa fédération n'avait pas d'objection parce que les lois fédérales et provinciales s'appliquent.
M. MacDonald: En ce qui concerne les relations du travail, c'est exact.
Le sénateur Grafstein: Si vous examinez les autres pouvoirs prépondérants du conseil des Nisga'a, quels sont les pouvoirs à votre avis qui sont délétères pour ce qui est de donner aux autochtones la possibilité de développer leur propre style de vie? Quels sont les pouvoirs qui risquent de nuire à la Constitution?
M. MacDonald: Vous ne parlez pas de l'aspect juridique; vous demandez quelles sont les politiques que les Nisga'a pourraient adopter et qui risqueraient de ne pas être de bonnes politiques en matière de développement social. Est-ce exact?
Le sénateur Grafstein: Oui.
M. MacDonald: Que pourraient-ils faire? Eh bien, je désapprouve le fait qu'ils puissent adopter des lois qui priment sur les lois fédérales et provinciales. Si un statut municipal était accordé et qu'ils avaient le droit, avec une majorité de la population nisga'a bien entendu, de faire des lois sur le zonage, sur les limites de vitesse à respecter sur l'autoroute, j'espère qu'il s'agirait de bonnes lois et j'applaudis sans réserve à ce genre d'initiative. Cependant, au moment où vous leur accordez un pouvoir souverain, c'est là où intervient l'aspect anticonstitutionnel.
Dans mon mémoire, je donne un exemple -- inoffensif, comme vous dites -- à propos des adoptions. Il s'agit d'un pouvoir qui appartient à la province de la Colombie-Britannique et qui est désormais transféré aux Nisga'a. L'accent risque d'être différent ici. Ce sont d'excellentes personnes, mais vous êtes en train d'établir un précédent lorsque vous prenez le pouvoir constitutionnel de la province de la Colombie-Britannique et que vous le cédez à un groupe de citoyens. C'est le caractère anticonstitutionnel dont je parle, pas du bien-fondé des mesures que les Nisga'a pourraient prendre.
Le sénateur Grafstein: À votre avis, quelle est alors la différence qui existe entre la délégation du pouvoir discrétionnaire et l'entrave à l'exercice du pouvoir discrétionnaire de la part des gouvernements fédéral ou provinciaux? Autrement dit, nous pouvons déléguer le pouvoir des gouvernements fédéral et provinciaux de déléguer.
M. MacDonald: Oui, et le reprendre.
Le sénateur Grafstein: Et ici, il s'agit d'une délégation avec entrave, et vous dites que cette entrave est anticonstitutionnelle.
M. MacDonald: Oui, parce que lorsque vous déléguez de façon irrémédiable, vous avez abandonné ce pouvoir. Vos arrière-petits-enfants, avec tout le respect que je vous dois, auront cet accord devant eux; ils voteront pour des députés fédéraux et ils ne pourront pas y changer un mot. C'est grave. Qui sait quelle en sera l'issue? C'est un abandon. S'il s'agissait de délégation comme les lois municipales de la provinces, je serais pour.
Le sénateur Sibbeston: Aujourd'hui, dans notre pays, les droits ancestraux sont constitutionnalisés. Nos tribunaux, y compris la Cour suprême du Canada, ont défini en quoi consiste ces droits et ils ont été étoffés. Les autochtones, en particulier, parlent du droit inhérent à l'autonomie gouvernementale.
Je suis de ceux qui croient que l'autonomie gouvernementale ne peut jamais être déléguée. Comprenez-vous vraiment le droit inhérent à l'autonomie gouvernementale? C'est la notion voulant que les peuples autochtones ont le même pouvoir -- le même gouvernement en fait -- de se gouverner eux-mêmes comme ils l'ont fait avant que les non-autochtones arrivent dans le pays.
D'après ce que je crois comprendre du processus que nous examinons ici, en fait, nous ne faisons que remettre aux peuples autochtones les droits qu'ils détenaient avant la naissance du Canada. Après vous avoir écouté, monsieur MacDonald, je me demande si vous envisageriez de revoir votre position pour déterminer si vous êtes quelque peu paternaliste? Je crois que vous vous basez trop sur votre propre interprétation de l'ordre public et que vous n'accordez pas suffisamment de crédibilité aux Nisga'a et aux autres peuples autochtones du Canada. Grâce aux nouveaux traités, ils peuvent établir leurs propres institutions gouvernementales et diriger leurs propres affaires.
Le traité nisga'a permettra aux peuples autochtones de prendre un nouveau départ. Nous avons un lourd passé au Canada. Le statu quo ne fonctionne plus. La verroterie et les couvertures, ça ne fonctionne pas non plus. Êtes-vous étonné de constater que nous entrons dans une toute nouvelle ère où les autochtones peuvent enfin exercer leurs droits et s'affirmer pour conclure un accord comme celui-ci? N'espérez-vous pas, que, grâce à cet accord, les peuples autochtones prendront un nouveau départ et deviendront des membres à part entière de la société canadienne grâce à ce processus?
M. MacDonald: De tout temps, il n'a jamais existé de territoire occupé qui n'ait été volé, aucune culture qui n'ait été un mélange. Vous pouvez aller en Irlande aujourd'hui, la première colonie de la Grande-Bretagne, et vous pouvez parler aux gens dont les droits religieux et civils ont été terriblement opprimés par l'occupation des Britanniques. On a obligé les Irlandais à immigrer et à vivre dans la pauvreté. On leur a volé leurs terres. Pourriez-vous sérieusement dire que vous n'examinez pas les besoins d'aujourd'hui? En Irlande, si vous souleviez la question de revendication territoriale, on vous repousserait. Ils ne veulent rien entendre à ce sujet. Cela s'est produit dans le monde entier.
Je tiens à insister à nouveau, sénateur, sur le fait que je ne m'oppose pas aux négociations avec les bandes autochtones ni à l'établissement d'ententes. Je tiens à m'assurer qu'elles sont fondées sur le besoin, comme je l'ai dit, et non pas sur les particularités légalistes de la situation, quelles qu'elles soient, mais je n'y suis pas opposé. Il s'agit d'un nouveau début dans les relations avec les peuples autochtones au Canada, mais évitez d'aller jusqu'à cimenter cela de façon irrévocable dans la Constitution. C'est cette étape supplémentaire qui est anticonstitutionnelle.
Le président: Je vous remercie, monsieur MacDonald, de votre réponse.
Le sénateur Sparrow: L'aspect constitutionnel, dans le cadre de l'accord, exige l'accord des trois parties pour qu'une modification soit apportée. Cela signifie qu'il est très peu probable qu'un changement soit apporté de toute façon, mais si les trois parties s'entendaient pour le faire, une modification constitutionnelle serait-il toujours nécessaire? La formule d'amendement constitutionnel s'appliquerait-elle quand même si les parties s'entendaient pour apporter un changement?
M. MacDonald: Non. Le traité serait un statut constitutionnel. Si le traité indiquait que les trois parties peuvent modifier tel ou tel article, alors elles pourraient le faire. Il y a toutefois un prix à payer pour pouvoir apporter des modifications s'il y a entente entre les parties. Vous accordez des droits particuliers puis vous demandez à la population de renoncer à quelque chose, de modifier quelque chose. Il y a un prix à payer pour cela mais c'est faisable.
Le sénateur Sparrow: Si les trois parties ne s'entendaient pas et que la population canadienne, par l'intermédiaire de son gouvernement, voulait modifier quelque chose, est-ce que cela deviendrait un amendement constitutionnel?
M. MacDonald: Il faudrait modifier la Constitution et modifier l'article 35.
Le sénateur Sparrow: Tout l'article 35, ou seulement les dispositions qui touchent les Nisga'a?
M. MacDonald: Je fais allusion à l'article prévoyant que les droits issus de traité sont reconnus et affirmés comme s'ils étaient constitutionnels. Il faudrait modifier cela dans le cadre d'une conférence fédérale-provinciale. Modifier la Constitution du Canada sur une question de ce genre est pratiquement impossible. Cela déclencherait un tollé général.
Le sénateur Sparrow: Le ministre des Affaires indiennes a comparu devant les deux comités, celui de la Chambre des communes et le nôtre. Il a déclaré catégoriquement que l'accord ne modifie pas la Constitution. Il pourrait difficilement dire une chose pareille sans l'avis de ses conseillers juridiques.
M. MacDonald: Je sais que cela a été dit. On a dit à l'Assemblée législative de la Colombie-Britannique que cela ne modifie pas la Constitution. Cependant, à la page 21, l'accord énonce qu'en cas d'incompatibilité ou de conflit entre cet accord et toute autre loi fédérale ou provinciale, alors cet accord l'emporte dans la mesure de l'incompatibilité ou du conflit.
Il s'agit-là d'un changement constitutionnel. On n'a jamais entendu parler d'une telle chose auparavant. Aucune autre démocratie -- ni l'Australie, ni les États-Unis -- n'écrirait pareille chose. Cela prive les générations futures de leur droit électoral. Cela n'est pas conforme à la Constitution, quoi qu'on en dise.
Le sénateur Andreychuk: Et si votre position est juste en droit? L'accord a été adopté par l'Assemblée législative de la Colombie-Britannique et par la Chambre des communes. Il ne fait aucun doute que les Nisga'a ont renoncé à certains de leurs avantages pour arriver à ce compromis. Il est déplorable qu'un débat exhaustif et juste n'ait pas été tenu plus tôt, mais nous nous trouvons ici au Sénat.
Si, à ce stade, nous n'adoptions pas ce projet de loi, quelles en seraient les retombées à votre avis, surtout en ce qui concerne les relations entre autochtones et non-autochtones au cours des 10 prochaines années en Colombie-Britannique?
M. MacDonald: Les conséquences, d'une façon ou d'une autre, seront très difficiles. Les Canadiens autochtones ont d'immenses attentes. C'est nous qui avons créé ces attentes. Apparemment, 110 p. 100 de la Colombie-Britannique jusqu'à présent tombe sous le coup de telles revendications et les attentes sont énormes. Je ne propose pas que vous rejetiez le projet de loi. Ce que je dis, c'est qu'il faudrait d'abord obtenir l'opinion de la cour. Cela pourrait se faire rue Wellington. Il suffirait que Jean Chrétien et ses collègues fassent un bref renvoi à la Cour suprême du Canada en indiquant qu'il s'agit d'une question d'une grande importance publique. Bien entendu il y aura des objections de la part de certaines collectivités autochtones, mais vous n'êtes pas en train de les priver des avantages de l'accord, de terres et ainsi de suite. Une bonne partie de ces dispositions sont nécessaires et seront bien utilisées.
Vous ne demandez s'il devrait exister un traité. Si nous en faisons un traité, cela ne risque-t-il pas d'entraîner des retombées encore plus graves et d'énormes frais juridiques par la suite?
Le sénateur Andreychuk: Si le renvoi à la cour suprême auquel vous faites allusion confirmait que ce texte de loi est entièrement constitutionnel, est-ce que cela vous satisferait et apaiserait toutes vos craintes?
M. MacDonald: Oui. Il faudrait que je laisse tomber. Je ne suis pas du même avis, mais ça ne serait pas la première fois que je ne serais pas du même avis que la Cour suprême du Canada. Ce serait la loi du pays. Elle devrait satisfaire tout le monde.
Le président: Je vous remercie, monsieur MacDonald, d'avoir témoigné devant le comité.
Il semble que ce soit la soirée des conseils en droit constitutionnel au Sénat, et demain matin nous poursuivrons dans la même voie. Nous avons d'autres témoins qui vont traiter des questions constitutionnelles que vous avez abordées. Peut-être devriez-vous rester pour écouter leur témoignage.
Notre prochain témoin devait être M. Melvin H. Smith, c.r. de la Colombie-Britannique. M. Smith a fait une longue carrière en tant que conseiller constitutionnel auprès de divers gouvernements provinciaux en Colombie-Britannique, bien que je m'empresse d'ajouter pas auprès du gouvernement au pouvoir à l'heure actuelle. M. Smith a écrit au comité, une lettre datée d'aujourd'hui, nous indiquant qu'en raison de problème, de santé, il lui est impossible de se rendre à Ottawa. Il a demandé d'entendre son ancien adjoint, John Weston, qui parlera en son nom. Je n'ai aucune objection, monsieur Weston, à cette demande. Je vous demande donc de bien vouloir nous présenter le témoignage que M. Smith nous aurait présenté.
M. John Weston, associé directeur, Pan Pacific Law Office: Je suis non seulement un adjoint de M. Smith, mais aussi un de ses grands admirateurs. Vous en saurez plus lorsque je vous aurai parlé de M. Smith.
M. Melvin H. Smith, c.r., est bien reconnu comme l'un des principaux experts du Canada en matière constitutionnelle -- un domaine qui lui tient à coeur. Il a passé 31 ans à la fonction publique de la Colombie-Britannique. Avocat de profession, de 1967 à 1987, il a été spécialiste du droit constitutionnel auprès de quatre gouvernements provinciaux successifs. Je tiens à ajouter que l'un d'entre eux était un gouvernement néo-démocrate. Il a joué un rôle clé dans le rapatriement de la Constitution en 1981. Lorsqu'il a quitté le domaine en 1987, il avait été le fonctionnaire ayant servi le plus longtemps dans ce domaine au Canada.
Jusqu'à récemment, M. Smith avait travaillé comme expert-conseil, commentateur de questions publiques, rédacteur et conférencier universitaire. Jusqu'à la dernière minute, M. Smith avait espéré pouvoir se joindre à vous en personne ce soir. Cependant, il est atteint d'un cancer grave et m'a informé à 19 heures hier soir qu'il était trop malade pour se déplacer. J'étais à la fois déçu qu'il ne puisse pas prendre lui-même la parole devant vous, et honoré de parler en son nom. J'ai dit que sa maladie est grave, mais je n'ai pas parlé de cancer «en phase terminale» pour de bonnes raisons: il était dans la même situation difficile il y a deux ans. Grâce aux prières de son large cercle d'amis et d'admirateurs, il a combattu avec succès la maladie.
M. Smith a fait preuve d'une détermination constante à réussir alors que tout était contre lui et a contesté le statu quo lorsqu'il estimait que cela freinait le développement du Canada. Je citerais comme exemple son combat efficace, mais à l'époque impopulaire, contre le droit de veto visant les modifications constitutionnelles. Certains considèrent qu'il est le père de la formule de Vancouver, laquelle, dans notre Constitution, permet au changement de se faire de façon prudente, mais sans l'étouffer. Selon l'animateur radio le plus écouté de la Colombie-Britannique et un ancien ministre de la Colombie-Britannique chargé des affaires constitutionnelles, Mel Smith a apporté une énorme contribution au Canada, plus que toute autre personne rencontrée par ce commentateur.
Cela dit, je me trouve dans la situation peu probable de prononcer des remarques au nom d'une personne qui à une époque était mon patron -- un homme qui agit sans craintes et sans préjugés et qui est admiré par bien des gens. Je vous demanderais de ne pas oublier que les mots que je vais prononcer sont les remarques de M. Smith et non les miennes.
Honorables sénateurs, je tiens à m'excuser de ne pouvoir me joindre à vous ce soir. J'ai passé la majorité de ma vie professionnelle et une grande partie de ma vie personnelle à travailler à la préservation et à la protection de la Constitution canadienne. Je considère ces audiences comme un moment historique et j'aurais beaucoup voulu prononcer ces remarques en personne. Ma mauvaise santé me garde à la maison et c'est pourquoi j'ai demandé à John Weston de vous faire part de mes réflexions sur trois questions, puis de vous fournir une suggestion simple mais importante.
Tout d'abord, permettez-moi de commenter les répercussions générales de ce traité. Je considère que si cet accord définitif est un exemple d'accord ou de traité de revendications territoriales qu'il reste à négocier en Colombie-Britannique, alors, à la fin de l'exercice, les Canadiens se rendront compte que leurs gouvernements fédéral et provinciaux ont considérablement modifié pour toujours notre tissu économique, social et politique. Nous nous rendrons compte que nos gouvernements ont grandement réduit l'assise territoriale et les ressources fondamentales publiques du Canada, la plus grande source de notre richesse, qu'ils auront cédé une grande partie de leurs pouvoirs d'imposition aux bandes autochtones et qu'ils auront versé des milliards de dollars en indemnisations.
Ces répercussions s'étendront au-delà des frontières de la Colombie-Britannique, car aucune bande autochtone du pays ne pourra résister à la tentation au moins d'envisager de rouvrir les négociations de traité pour d'autres traités au Canada, dont aucun ne prévoie le troisième ordre de gouvernement bien établi, prévu par l'Accord définitif nisga'a. Si l'accord est adopté, vous constaterez que vous ici au Sénat, ainsi que les autres dirigeants provinciaux et fédéraux participants, aurez constitutionnalisé la pêche commerciale exclusivement autochtone et autorisé et financé tout un éventail d'une cinquantaine ou plus de gouvernements à caractère ethnique dont les lois supplantent celles des gouvernements fédéral et provinciaux.
Après avoir examiné les effets du traité dans son ensemble, je voudrais maintenant aborder une question précise, à savoir si la Charte des droits s'appliquera pour protéger les intérêts de la population régie par l'Accord définitif nisga'a. Cela répond directement à vos questions, sénateur Grafstein. La discussion porte généralement sur l'interprétation de deux articles clés de la Charte et d'une disposition de l'accord proprement dit. Premièrement, le paragraphe 9 du chapitre II de l'accord stipule ce qui suit:
La Charte canadienne des droits et libertés s'applique au gouvernement nisga'a concernant toutes les questions relevant de son pouvoir, eu égard au caractère libre et démocratique du gouvernement nisga'a tel qu'énoncé dans l'Accord.
Certains ont fait valoir que, selon cet article, il est clair que la Charte s'applique à toutes les lois adoptées par l'Assemblée législative nisga'a. Rien ne serait plus loin de la vérité. Ces mots ne veulent pas dire grand-chose. Il est impossible, sauf en modifiant la Constitution, de dicter la façon dont la Constitution s'appliquera aux autres lois. Ce paragraphe 9 jouit peut-être d'une protection constitutionnelle, mais il ne modifie pas expressément la Charte des droits. C'est la Constitution et la Charte des droits comme telles qui précisent quelles sont les lois qui s'appliquent à la Charte.
Une autre disposition clé est l'article 32 de la Charte des droits qui porte ceci:
(1) La présente Charte s'applique:
a) au Parlement et au gouvernement du Canada, pour tous les domaines relevant du Parlement [...];
b) à la législature et au gouvernement de chaque province, pour tous les domaines relevant de cette législature.
C'est bien précisé. La Charte s'applique aux lois du Canada et aux lois de la Colombie-Britannique. Les lois nisga'a entrent-elles dans l'une ou l'autre de ces deux catégories? Je ne le pense pas. Je douterais fort que la Charte s'applique.
Lorsque la question sera soumise aux tribunaux, comme elle le sera certainement, un tribunal examinera les termes du traité que j'ai déjà mentionnés et dira simplement: «Ce texte ne nous lie pas. Nous allons examiner la Charte. La Charte nous dit à quoi elle s'applique et à quoi elle ne s'applique pas». En cas de doute, examinez l'article 25 de la Charte, que le comité a étudié ce soir. Il porte ce qui suit:
Le fait que la présente Charte garantit certains droits et libertés ne porte pas atteinte aux droits ou libertés -- ancestraux, issus de traités ou autres -- des peuples autochtones du Canada [...]
Ces deux dispositions montrent bien que la Charte ne s'applique pas aux lois que les Nisga'a adopteront. Quiconque prétend le contraire cherche seulement à apaiser ceux qui soulèvent la question. C'est pour calmer les esprits qu'on prétend que tout va très bien.
Certains persistent à dire que la Charte des droits prévaudra sur les lois nisga'a. Ils doivent reconnaître que nous n'avons aucune certitude, c'est-à-dire aucun jugement des tribunaux portant sur ce genre de question. Nous devons mettre en place un mécanisme pour permettre aux tribunaux d'examiner rapidement la question, et cela avant la mise en oeuvre de l'accord. C'est seulement alors que nous pourrons éviter le désastre que causerait l'adoption d'un document illégal, un document qu'il faudra, comme le mur de Berlin, démolir brique par brique, en retournant constamment devant les tribunaux.
Avant d'en venir à ma conclusion et à mes recommandations, j'aimerais aborder une question de plus, à savoir si le traité cherche à modifier la Constitution. D'une façon ou d'une autre, la réponse à cette question est simple. C'est «oui» ou c'est «non». Si la réponse est oui, il faut modifier la Constitution, ce qui ne peut être fait qu'au moyen de la formule d'amendement. Les constitutions sont des lois fondamentales qu'il est difficile de modifier et qu'il ne faut pas changer, sauf après mûre réflexion, dans l'intérêt des générations de gens que cela touchera. Si la réponse est non, si le traité ne cherche pas à modifier la Constitution, il suffit qu'il soit adopté par l'Assemblée législative de la Colombie-Britannique, le Parlement fédéral et le conseil tribal nisga'a.
Ceux qui affirment que le traité ne modifie pas la constitution font valoir, comme nous venons de l'entendre, que l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 prévoit des traités comportant des dispositions semblables à celles que nous avons ici. L'article 35 confirmait les droits existants -- ancestraux ou issus de traités -- des peuples autochtones et il a été modifié par la suite pour inclure les accords sur des revendications territoriales. Les défenseurs de l'accord doivent invoquer cet article pour faire adopter cet énorme changement dans la façon dont nous nous gouvernons. Je demande au comité de revoir les débats qui ont accompagné l'adoption de l'article 35. À l'époque, la Chambre des communes, le Sénat ou les provinces ont-ils accepté l'idée voulant que l'article 35 permette la création d'un troisième ordre de gouvernement au Canada?
Vous savez qu'un grand nombre des pouvoirs que prévoit le traité Nisga surpasse ceux des gouvernements fédéral et provinciaux. En fait, nous allons créer d'énormes pouvoirs qui seront transférés, des pouvoirs équivalents à la création d'un État indépendant à l'intérieur des frontières du Canada. Il s'agit notamment du pouvoir de légiférer à l'égard du droit des citoyens de gérer des entreprises, le pouvoir de modifier la constitution nisga'a, de nommer des juges, de faire la police et de lever des impôts. Il y en a toute une liste. Je crois que les pouvoirs législatifs conférés au parlement nisga'a, qui n'est pas encore établi, sont anticonstitutionnels, parce qu'ils reviennent à diminuer les pouvoirs législatifs du gouvernement fédéral et des provinces.
On vous dira qu'il s'agit seulement d'une forme de gouvernement municipal. C'est beaucoup plus. Aucune analogie ne peut être faite avec les municipalités. Les provinces peuvent toujours reprendre ou modifier les pouvoirs qui sont délégués aux villes, mais ce genre de changement ne peut pas être apporté aux dispositions du traité une fois qu'il aura force de loi. Il ne s'agit pas seulement de modifier la Loi sur les Indiens, honorables sénateurs. Il s'agit de recourir à l'article 35 pour abdiquer les pouvoirs que possèdent nos deux principaux niveaux de gouvernement. Cette abdication n'avait jamais été envisagée par les auteurs de l'article 35 de la Constitution.
Un gouvernement peut faire beaucoup de choses en adoptant des lois. Il peut bien agir ou mal agir. Il peut donner de vastes superficies de terrains ou de grosses sommes d'argent sans que la Constitution de notre pays puisse l'en empêcher. Mais la Constitution ne permet pas à une assemblée législative de renoncer pour toujours à son droit de légiférer. C'est précisément ce qu'a fait l'Assemblée législative de la Colombie-Britannique et ce que le Sénat songe à faire aujourd'hui.
Si 50 autres traités reprennent le même modèle, une grande partie de la Colombie-Britannique quittera à tout jamais le champs de compétence législative de la Colombie-Britannique ou du Canada. Je ne suis pas le seul à le craindre. M. MacDonald -- et je trouve ironique que M. Smith ait cité M. MacDonald sans savoir qu'il témoignerait après lui -- qui a été un membre éminent du Parlement pendant de nombreuses années, et par la suite député à la l'Assemblée législative de la Colombie-Britannique, a été le procureur général du gouvernement néo-démocrate de 1972 à 1975. Il partage mon opinion quant au caractère anticonstitutionnel du traité nisga'a. Nous avons déjà entendu ces paroles, mais je crois utile de les répéter. Les assemblées législatives ne peuvent pas renoncer pour toujours à certains de leurs pouvoirs constitutionnels, quels qu'ils soient, a déclaré M. MacDonald. C'est impossible. Les Parlements sont omnipotents, mais ils n'ont pas le pouvoir de détruire leur propre omnipotence. L'Accord définitif nisga'a cherche à détruire l'omnipotence de l'Assemblée législative de la Colombie-Britannique et du Parlement du Canada.
Lucien Bouchard accepterait-il les modalités de l'accord définitif nisga'a comme contrat entre le Québec et le Canada? Vous êtes sans doute mieux placés que moi pour répondre à cette question, honorables sénateurs. Rendez-vous compte du caractère sans précédent de la demande qui vous est faites aujourd'hui. C'est la première fois de l'histoire du Canada qu'un accord sur une revendication territoriale englobe l'autonomie gouvernementale. Nous avons 14 accords d'autonomie gouvernementale au Yukon, mais ils se situent en dehors des traités. Il s'agit d'accords distincts. La raison à cela est que les assemblées législatives n'ont pas voulu constitutionnaliser les dispositions d'autonomie gouvernementale au cas où il faudrait apporter des changements ultérieurement. Ce qui a été fait au Yukon est parfaitement constitutionnel, car les dispositions concernant l'autonomie gouvernementale sont restées en dehors du traité.
Si j'étais devant la Chambre des communes, je vous exhorterais à apporter de nombreux changements au traité. Mais surtout, je vous demanderais de séparer du traité les dispositions du chapitre 11 concernant l'autonomie gouvernementale et d'en faire un chapitre distinct. Je sais que le Sénat ne peut peut-être pas, en pratique, envisager d'apporter maintenant un changement aussi important au traité. Je ferai donc une autre suggestion dans ma conclusion.
Quoi que vous décidiez aujourd'hui, honorables sénateurs, n'oubliez pas que tout projet de loi que nous adoptons, et surtout celui-ci qui, avec ses annexes, couvre 700 pages, ne peut être exempt d'erreurs. Les assemblées législatives apportent constamment des modifications à leurs lois, mais dans ce traité nisga'a, nous faisons simultanément trois choses qui sont contradictoires: nous cherchons à apporter des changements radicaux à la façon dont nous nous gouvernons. Nous rendons le nouveau régime extrêmement difficile à modifier. Nous risquons énormément de donner force de loi à un document illégal.
Je sais que je ne vous ai pas tous convaincus aujourd'hui que le traité était anticonstitutionnel ou même déraisonnable. Vous conviendrez toutefois avec moi que la validité de ce projet de loi suscite beaucoup de doutes. Même si le projet de loi représentait la façon la plus sage et la plus harmonieuse de régler les revendications des citoyens nisga'a en répondant aux besoins des autres Canadiens, cela pose un problème. Nous ne voudrions pas qu'une loi de cette importance entre en vigueur pour nous apercevoir plus tard qu'elle était illégale depuis le départ. Je recommande donc que, si le Sénat adopte le projet de loi malgré ses lacunes, il demande que sa mise en oeuvre soit différée jusqu'à ce que la Cour suprême du Canada rende son jugement ou jusqu'au 1er avril 2003.
Après les paroles de Mel Smith, je vais maintenant passer aux miennes. Tout le monde reconnaît que vous avez une décision difficile à prendre. Cela exigera du courage. Permettez-moi de citer en exemple un de mes oncles, un autre Smith courageux qui a eu une décision difficile à prendre. Certains d'entre vous ont peut-être entendu parler de mon oncle, qui est l'un des deux Canadiens survivants qui ont reçu la Croix de Victoria, la plus haute récompense pour le courage au combat. Selon le livre Valiant Men, le 21 octobre 1944, Earnest Smith, surnommé «Smokey», se trouvait dans un fossé au bord d'une route, près d'une rivière en Italie. Lui et l'autre homme qui l'accompagnait étaient membres des Seaforth Highlanders. Leur mission consistait à protéger la tête de pont contre la progression de l'ennemi. Soudain, un char Mark V est arrivé sur la route en balayant le secteur du feu de sa mitrailleuse et a blessé le collègue du soldat Smith. À 30 pieds de distance et en pleine vue de l'ennemi, Smith a tiré avec sa mitrailleuse antichar. La bombe a arrêté le char auquel son conducteur cherchait frénétiquement à faire faire demi-tour. Immédiatement, 10 fantassins ennemis sont apparus derrière le char et se sont précipités vers Smith armés de mitraillettes et de grenades. Sans hésiter, Smith s'est placé au centre de la route, a abattu quatre fantassins avec son Tommy-gun et a dispersé les autres. Un deuxième char a ouvert le feu et d'autres ennemis se sont rapprochés de Smith. Mais l'intrépide Highlander s'est débarrassé d'eux aussi rapidement que des premiers. Se servant des munitions de son collègue blessé, Smith a continué à protéger son compagnon et la tête de pont avec une mitrailleuse jusqu'à ce que l'ennemi abandonne et se retire dans le désordre. Smith et trois autres ont défendu obstinément la tête de pont pendant trois jours, jusqu'à l'arrivée des renforts.
Honorables sénateurs, nous ne vous demandons pas aujourd'hui de risquer votre vie ou même de repousser un char ennemi. Nous vous implorons de tenir compte de la menace qui pèse sur notre Constitution et sur notre pays. Si l'un ou l'autre des deux Smith était ici aujourd'hui, je sais qu'il vous demanderait de prendre position.
Le sénateur Sibbeston: Monsieur le président, je dois reconnaître que j'ai cessé d'écouter le témoin au bout de cinq à dix minutes car je trouve ses propos et son attitude très insultants. Il est possible que la Charte canadienne des droits ne s'applique pas aux Nisga'a, mais qu'en savez-vous? Comment pouvez-vous déclarer publiquement que les Nisga'a ne se conduiront pas de façon à respecter les droits de leur peuple? C'est ce que vous supposez alors que c'est tout à fait contraire à la vérité. Il y a peu de temps que je connais des Nisga'a, mais j'ai trouvé qu'ils étaient très patients. Ils ont attendu plus de 100 ans pour négocier et obtenir le règlement de leurs revendications territoriales. Vous et les gens comme vous voulez tout annuler. Vos propos me paraissent très insultants et très humiliants. Vous êtes amer et négatif. Vous dépeignez une situation désespérée...
Le sénateur Tkachuk: J'invoque le Règlement.
Le sénateur Sibbeston: Les témoins doivent rendre compte de leurs paroles. J'ai le droit de dire ce que je ressens.
Le président: Je dois jouer mon rôle et je dirais que ce rappel au Règlement est justifié. Le témoin a fait part de ses opinions et je ne pense pas que vous puissiez le contredire ainsi.
Le sénateur Sibbeston: Monsieur le président, dites-vous qu'en tant que sénateur, je ne peux pas exprimer les sentiments et les opinions que j'éprouve à la suite des propos tenus par un témoin?
Le président: Que vous ayez tort ou raison, vous insultez pratiquement le témoin par vos paroles. C'est tout ce que je dis.
Le sénateur Sibbeston: Il insulte les autochtones. Il parle des autochtones comme si nous étions en train de créer un mur de Berlin. Quelle description pire que celle-là pourrait-il donner des autochtones?
Le président: Sénateur Sibbeston, vos propos sont irrecevables. Je donne la parole au sénateur St. Germain.
M. Weston: Monsieur le président, je crois que c'est une question à laquelle il faut répondre, et si vous le voulez bien, j'aimerais le faire. Je crois que vous avez parfaitement raison. Nous ne connaissons pas la réponse à ces questions. Tout le monde n'est pas du même avis.
Quelle honte ce serait si, au bout de 100 ans de négociations, nous adoptions une loi qui est invalide depuis le départ pour la mettre en pièces petit à petit alors que nous disposons d'un moyen très rapide de régler cette situation. Je dis seulement que nous devrions supprimer l'incertitude dans l'intérêt des Nisga'a, des autres autochtones et de la population d'un océan à l'autre. C'est tout ce que je dis.
Le président: Vous l'avez dit avec beaucoup d'éloquence.
Le sénateur St. Germain: Je voudrais remercier le témoin d'être venu. Sans critiquer qui que ce soit, j'aurais voulu... mais le président et moi avons convenu de ne pas voyager pour tenir ces audiences, car nous voulions qu'elles se déroulent en toute civilité. C'est dans cet esprit que nous voudrions poursuivre ces audiences ce soir. Je sais que l'homme au nom de qui vous parlez a émis des idées très controversées, et il est très regrettable que nous en soyons là au lieu de discuter de la validité de notre Constitution. C'est peut-être devenu un problème de racisme et autres difficultés en Colombie-Britannique. Ce n'est certainement pas dans cet esprit que je voudrais que ces audiences soient tenues.
Ces audiences ont des répercussions sur les autres autochtones et c'est une question que vous n'avez pas abordée. C'est un aspect très important qu'il faudrait examiner.
Vous mettez en doute la constitutionnalité du projet de loi et j'ai posé à peu près la même question à M. MacDonald. Estimez-vous, vous aussi, que la disposition de l'accord, citée par M. MacDonald, où il est dit que les Nisga'a doivent se conformer aux règles, à notre Constitution et à la Charte des droits, n'est peut-être pas applicable en raison de la terminologie de l'accord?
M. Weston: Il y a à tout le moins un important degré d'incertitude. Il m'est difficile de répondre au nom de quelqu'un comme M. Smith, qui est une autorité éminente, mais je ferai de mon mieux. Je sais que, si M. Smith était là, il dirait que la question est à tout le moins entourée d'incertitude et que personne dans cette salle ne peut y répondre.
La question doit être soumise à la Cour suprême du Canada. Il est inévitable qu'elle en soit saisie. Il semble tout à fait pragmatique de soumettre à la cour un accord qui a exigé le déploiement d'autant de ressources et qui a suscité des attentes d'un océan à l'autre. Je ne vois pas de raison valable de ne pas le faire. On a eu recours à un renvoi quand M. Trudeau a voulu rapatrier la Constitution canadienne. On y a également eu recours plus récemment sous M. Chrétien. Cela s'inscrit dans la logique de la conservation des ressources, pour que tout le monde puisse aller de l'avant avec la certitude que nous avons quelque chose qui non seulement a recueilli l'aval politique de tous les partis, mais qui a aussi reçu la bénédiction de la cour suprême du pays.
Débattre des détails pourrait nous permettre d'accroître légèrement notre compréhension, mais le fait est que le libellé est contradictoire. Même les partisans les plus convaincus d'un côté ou de l'autre doivent reconnaître qu'il y a beaucoup d'incertitudes dans cet accord.
Le sénateur Grafstein: Votre proposition est très attrayante, mais elle contredit votre argument. M. MacDonald a présenté le même argument. Il a dit que, par cet accord, deux assemblées législatives ont abdiqué leur responsabilité. Elles ont renoncé à exercer leurs pouvoirs. Vous dites, dans cette proposition très attrayante, que le Sénat devrait renoncer à la responsabilité constitutionnelle qu'il a de s'assurer que cette mesure législative est conforme à la Constitution. C'est la question que je me pose depuis que j'ai décidé de siéger à ce comité comme membre sans droit de vote: je veux m'acquitter de ma responsabilité parlementaire, qui consiste à bien comprendre la mesure proposée et à décider si elle est conforme à la Constitution. Je n'ai pas l'intention d'abdiquer ma responsabilité en faveur des magistrats, tout comme je ne m'attendrais pas à ce que les magistrats tentent d'intervenir de façon déraisonnable ou indue dans le processus parlementaire.
Je voudrais donc, monsieur le président, que nous écartions cette proposition. Elle est attrayante, mais il faut l'écarter pour s'occuper des questions d'ordre politique. Le public acceptera peut-être mieux une décision de la cour suprême qu'une décision du Parlement, mais il n'empêche que nous sommes toujours là. Nous n'avons pas encore été dessaisis de nos fonctions. Nous devons décider de cette question. Je voudrais y revenir si vous le permettez. Si vous êtes d'accord, monsieur le président, je voudrais poser une question ou deux.
Le président: Vous pouvez poser une question ou deux, mais je vous demande d'être très concis.
Le sénateur Grafstein: Je me fais en quelque sorte l'avocat du diable pour plaider contre moi-même ici. Le professeur Sanders a dit -- et nous avons entendu un collègue présenter le même argument dans une optique différente -- que les droits des autochtones existaient avant la Constitution de 1867. Il s'agit de droits inhérents et antérieurs. La prérogative royale n'a pas été annulée, mais elle a été en quelque sorte diluée par les accords antérieurs, notamment l'Acte de Québec et les lois antérieures. Nous avons entendu tout cela. Les preuves sont là.
Nous devons examiner cet ensemble de droits énoncés aux articles 35 et 25 et déterminer s'il y a moyen de boucler la boucle, de manière à reconnaître les droits inhérents et déjà existants, de même que la prérogative royale, tout en restant conforme à la Constitution. Les articles 25 et 35 de la Constitution laissent planer un gros point d'interrogation, puisqu'ils disent que les droits ancestraux restent à définir. Deux assemblées législatives démocratiques, celle de la Colombie-Britannique et l'autre Chambre, ont conclu que ces droits ancestraux devraient être renfermés dans cet accord très complexe. Je suppose qu'il ne faut pas nécessairement conclure que toutes les autres négociations suivront la même voie. Il se pourrait bien que les tribunaux soient saisis de la question et qu'on arrive alors à des conclusions différentes.
Que faut-il penser de la question fondamentale qu'a soulevée mon collègue, à savoir qu'il s'agit là de droits inhérents préexistants, antérieurs à 1867, et que les articles 35 et 25 ne sont qu'une tentative d'étoffement, louable mais imparfaite, de ces droits dans la Charte? Que faut-il en faire? Il a présenté ses arguments, mais que pouvons-nous y répondre?
Le président: Le témoin tentera de répondre à la question.
M. Weston: J'ai lu hier la transcription d'un témoignage que ce même professeur Sanders et Melvin Smith ont donné ensemble en novembre 1999, à l'Hôtel Empress, à Victoria. Il est malheureux qu'ils ne soient pas tous les deux là aujourd'hui. Ils seraient d'accord pour dire que ces questions n'ont pas été soumises à l'évaluation des tribunaux. Premièrement, il n'y a jamais eu rien de tel, si bien que nous avons affaire à quelque chose de tout à fait nouveau. Deuxièmement, il y a donc un fort degré d'incertitude.
Selon le professeur Sanders, il existe une théorie du droit et du gouvernement qui est antérieure à notre Constitution, si bien qu'il y a en fait trois parties à notre Constitution, ce dont nous n'avions pas tenu compte auparavant, du moins pas avant que l'article 35 ne soit inclus dans notre Constitution. Il y a là matière à discussion. Le problème tient au fait que deux voies s'offrent à nous. Ou bien nous demandons à la cour de se prononcer, pour qu'elle décide maintenant de la question une fois pour toutes, ou bien nous adoptons le projet de loi. Nous avons entendu M. MacDonald expliquer combien il sera difficile de faire un renvoi à la cour suprême après coup, puisque le gouvernement fédéral et le gouvernement provincial auront en quelque sorte entravé leur capacité à soutenir une contestation. Il faudra donc attendre qu'un simple citoyen conteste le projet de loi article par article, en supposant qu'il ait les reins assez solides pour aller jusqu'à la Cour suprême du Canada, à défaut de pouvoir soumettre le projet de loi tout entier à la Cour suprême du Canada pour qu'elle puisse se prononcer sur ces questions fondamentales et lourdes de conséquences qui se répercuteront sur nos arrière-arrière-petits-enfants.
Le sénateur Grafstein: Peut-on conclure que M. MacDonald et vous seriez satisfaits si le projet de loi était amendé pour dire, en fait, que le gouvernement fédéral et le gouvernement provincial n'entravent pas l'exercice de leur pouvoir discrétionnaire par cet accord et que le partage des pouvoirs est sacré? Y aurait-il une autre solution, celle de nous inspirer de l'expérience américaine qui autorise la mise en place d'un gouvernement autonome, de services de police et d'un système judiciaire, tout en laissant au Congrès l'entière discrétion d'une intervention politique à n'importe quel moment? Cette solution-là pourrait-elle être appliquée chez nous?
M. Weston: Pourriez-vous reformuler la question?
Le président: En fait, j'aimerais donner la parole au sénateur Andreychuk, parce que la question appelle l'expression d'une opinion, alors que le témoin n'est pas spécialiste du droit autochtone américain, à moins qu'il veuille que nous le considérions comme tel.
M. Weston: J'esquiverai volontiers la question.
Le sénateur Andreychuk: Je tiens tout d'abord à vous faire des excuses pour la façon dont cette audience se déroule en votre présence, et je remercie le président d'être intervenu au moment voulu. Depuis que j'ai commencé à m'intéresser à cette question, j'ai pu constater à quel point les Nisga'a sont tout à fait capables de présenter leur position et de négocier pour défendre leurs intérêts. Ils n'ont pas besoin des mesures de protection qu'on semble vouloir leur donner à notre comité. J'estime que les Nisga'a ont négocié de bonne foi avec le gouvernement fédéral et le gouvernement provincial, et je crois que vous et M. Smith nous avez présenté vos observations en toute bonne foi. Cela dissiperait-il vos inquiétudes que les trois parties, après avoir bien étudié l'accord, signent un engagement conjoint, sous forme de lettre ou sous une autre forme, qui réponde précisément à votre préoccupation? Dans cette lettre, ils indiqueraient qu'ils n'ont pas l'intention de violer la Charte des droits et libertés et qu'ils ont l'intention de s'y conformer. Cela ferait-il beaucoup pour atténuer vos craintes? Quels autres points juridiques faudrait-il inclure dans un engagement comme celui-là?
M. Weston: Je me suis intéressé à cette question à mon retour il y a deux ans, d'Asie où je venais de passer de nombreuses années. J'ai maintenant deux enfants âgés d'un an et de deux ans. La lecture des articles dans les journaux m'incite à me demander ce qui se passerait si ces dispositions avaient force de loi quand mes petits-enfants auront atteint l'âge adulte et quand leurs propres petits-enfants l'auront aussi atteint. Nous modifions un document qui est censé être la loi fondamentale qui, non seulement nous gouvernera, mais qui gouvernera toutes les générations à venir. Ce traité servira également de modèle aux autres traités négociés en Colombie-Britannique et peut-être à des traités qui seront renégociés d'un océan à l'autre dans les années à venir.
Ce ne sont pas les participants actuels qui me posent un problème. Nous n'entendons que rapports de bonne foi sur les Nisga'a. Ils ne posent pas de problème. Nous pouvons même dire que leur respect de la loi et que leurs efforts sincères pour améliorer la situation dans cette région sont un exemple de patriotisme pour tous les Canadiens. Tout le monde les applaudit.
Le problème est que nous modifions la Constitution qui est à la base de toutes nos lois. Nous ne pouvons prédire quel sera le comportement de nos successeurs, de ceux qui seront gouvernés par cette loi fondamentale. C'est la raison pour laquelle ceux qui ne pensent pas à six mois, mais à 60 ans ou à 600 ans veulent être certains que cette initiative est la bonne.
Le sénateur Andreychuk: Si ce traité était soumis à la cour suprême et qu'elle l'avalisait, cela vous satisferait-il et seriez-vous prêts à l'accepter?
M. Weston: Je serais beaucoup plus heureux, car je saurais pour le moins que la cour la plus haute du pays l'aurait avalisé, et en fixant les règles nous saurions à quoi nous en tenir. Que nous soyons investisseurs étrangers songeant au Canada pour placer notre argent ou simples citoyens du Canada, nous saurions à quoi nous en tenir. Le reste des 50 accords pourrait être beaucoup plus aisément négocié.
Le président: Merci, monsieur Weston. Les circonstances n'étaient pas faciles pour vous; il est toujours difficile de présenter le mémoire de quelqu'un d'autre et les arguments de quelqu'un d'autre. Je suis certain que vous comprenez très bien le fond de la pensée de M. Smith et nous vous remercions d'être venu.
J'aimerais donner la parole à M. Bell-Irving, natif de la Colombie-Britannique et qui y a fait toute sa carrière. Monsieur Bell-Irving, le sénateur Grafstein voudra que vous lui donniez quelques détails personnels supplémentaires.
M. Harry Bell-Irving, directeur, Citizen's Voice on Native Claims: Mesdames et messieurs les sénateurs, je suis natif de Colombie-Britannique. J'y suis né tout comme mes parents et un de mes quatre grands-parents. J'ai pratiqué le droit à Vancouver pendant plus de 50 ans, mais je n'ai jamais pratiqué dans le domaine constitutionnel. Par conséquent, je ne prétends pas du tout être un constitutionnaliste. Cependant, mon témoignage contiendra des commentaires à caractère constitutionnel, car j'ai une formation juridique et j'estime que les questions constitutionnelles dont nous sommes aujourd'hui saisis sont très importantes.
Je suis d'accord avec les propos de M. MacDonald et je suis aussi d'accord avec les remarques de M. Smith. Je vais essayer de survoler rapidement les parties de mon témoignage qui répètent ce qui vient d'être dit et j'aimerais que vous sachiez qu'en préparant ce témoignage je ne savais pas ce que ces deux messieurs vous diraient. Ce que je dis est entièrement de mon fait.
Je comparais à titre de directeur de la Citizen's Voice on Native Claims, une compagnie sous régime fédéral créée peu de temps après le dépôt de l'accord de principe nisga'a. Son objectif principal était d'informer les Britanno-Colombiens et dans une certaine mesure tous les Canadiens. Cependant, ce qui nous intéressait principalement c'était de renseigner les Britanno-Colombiens sur le traité, dans le but de l'améliorer. J'avoue que nombre des aspects de ce traité inquiétaient gravement et à l'unanimité les membres de notre groupe.
Le projet de loi C-9, Loi portant mise en vigueur de l'Accord définitif nisga'a, est, je crois, à l'exception possible de la déclaration de guerre de 1939, la mesure législative la plus importante que le Sénat ait à étudier depuis que je suis né. S'il est adopté sous sa forme actuelle, l'accord nisga'a aura des conséquences profondes pour tous les Canadiens vivant en Colombie-Britannique. Il aura aussi des conséquences profondes pour tous les autres Canadiens, car tous les autochtones du Canada réclameront une aussi bonne entente ou une meilleure entente pour leur bande, surtout en ce qui concerne les droits à l'autonomie gouvernementale.
Bien que j'aie de graves réserves concernant de nombreuses dispositions importantes de l'accord nisga'a, je limiterai aujourd'hui mes commentaires à deux points: au chapitre 11 de l'accord nisga'a qui énumère les droits à l'autonomie gouvernementale et à la manière dont l'accord nisga'a a été négocié et à celle dont le gouvernement de Colombie-Britannique et le gouvernement fédéral comptent faire adopter ou veulent faire adopter législativement cet accord.
M. MacDonald a dit qu'il ne serait probablement pas ici s'il n'y avait pas eu de chapitre 11. C'est la même chose pour moi. C'est la partie de l'accord qui me cause le plus d'inquiétudes.
Des pouvoirs de gouvernements quasi provinciaux et quasi fédéraux ont été donnés aux Nisga'a dans de nombreux domaines juridiques. Dans 14 circonstances différentes, le chapitre 11 de l'accord nisga'a prévoit qu'en cas d'incompatibilité ou de conflit entre l'accord et les dispositions de toute loi nisga'a, l'accord l'emporte, dans la mesure de l'incompatibilité ou du conflit.
Jusqu'à ce point dans notre histoire, tous les pouvoirs législatifs étaient l'exclusivité soit du gouvernement fédéral, soit des gouvernements provinciaux. L'accord nisga'a prévoit que, dans certains cas, des pouvoirs suprêmes seront confiés à un nouveau troisième palier de gouvernement: le gouvernement nisga'a. Comment le gouvernement fédéral peut-il continuer à dire qu'il reste souverain? Que se passera-t-il quand 60 autres bandes autochtones ou plus en Colombie-Britannique se verront attribuer les pouvoirs suprêmes accordés aux Nisga'a? Que dira le gouvernement fédéral aux autres bandes autochtones canadiennes quand elles exigeront les mêmes droits d'autonomie gouvernementale pour elles?
Le chapitre 11 de l'Accord définitif nisga'a prévoit une constitution nisga'a et une citoyenneté nisga'a et l'accord nisga'a ne pourra être ratifié que par les citoyens nisga'a. C'est l'établissement de facto d'un droit de vote fondé sur la race. Comment ce droit de vote fondé sur la race ou, inversement, ce refus du droit de vote pour manque d'appartenance à la bonne race, est-il conciliable avec le concept selon lequel tous les Canadiens sont égaux? La Colombie-Britannique doit-elle être balkanisée au point de se retrouver avec 60 régions ou plus dans la province, certaines d'entre elles pouvant représenter des milliers de milles carrés, où 99,9 p. 100 de la population vivant en Colombie-Britannique ne pourra pas voter? Cette balkanisation s'étendra-t-elle à l'ensemble du Canada?
Le paragraphe 30 du chapitre 11 de l'accord nisga'a prévoit que, dans certaines circonstances, la Colombie-Britannique consultera le gouvernement nisga'a avant de modifier des lois provinciales. À toutes fins pratiques, cette disposition constitue une dérogation supplémentaire aux pouvoirs du gouvernement de Colombie-Britannique et, à tout le moins, entraînera une augmentation conséquente de la bureaucratie au niveau provincial et des retards dans la promulgation des lois provinciales gouvernant la Colombie-Britannique.
Attendu qu'il est possible qu'une soixantaine d'accords ou plus soient conclus avec d'autres bandes autochtones en Colombie-Britannique, le gouvernement de Colombie-Britannique pourra-t-il continuer à fonctionner de manière efficace et à point nommé?
L'accord nisga'a est en partie un règlement de revendications territoriales et en tant que tel il sera intégré dans la Constitution du Canada. Par conséquent, il ne pourra être modifié que conformément à la procédure constitutionnelle. L'accord prévoit la possibilité de modifications sans le consentement des Nisga'a. En conséquence, les Nisga'a pourraient défier les souhaits du reste du Canada. Assurément, c'est une dérogation non négligeable et illogique à la souveraineté du Canada.
Quoi qu'il en soit, il semblerait pour le moins logique d'avoir une période initiale d'essai de peut-être 10 ans, donnant au Canada et à la Colombie-Britannique le pouvoir de modifier ce qui mérite de l'être. La chose serait possible si l'on faisait du droit à l'autonomie gouvernementale un accord distinct, comme pour tous les traités conclus jusqu'à aujourd'hui par le gouvernement du Canada.
Le sénateur Joan Fraser, dans un article publié récemment dans le National Post, faisait remarquer que, l'année dernière, le Sénat avait proposé 55 amendements à des projets de loi des Communes et faisait également remarquer que c'était le Financial Post qui avait dit en 1998, qu'au cours des dernières années, la Chambre haute a fait du meilleur travail que les partis d'opposition au niveau de l'amélioration des lois. Ces comités, où le vrai travail se fait, ont apporté au cours des années une contribution valable au façonnement de la politique publique fédérale. Quel meilleur endroit pour protéger les intérêts et les droits des citoyens du Canada concernant le projet de loi C-9?
Sans oublier pour autant les discours faits devant le Sénat par l'honorable sénateur Austin et le ministre Nault, je crois important que votre comité entende les représentants de la majorité des Britanno-Colombiens. Les sondages ont montré que la majorité des citoyens de la province n'approuvent pas l'accord nisga'a sous sa forme actuelle. Des sondages ont également montré que la majorité des Britanno-Colombiens approuvent le concept de traités et de traités généreux. Je m'inclus dans cette majorité, tout comme Alex MacDonald, je pense.
Je crois qu'avant l'accord de principe nisga'a, les gouvernements du Canada et de Colombie-Britannique ont décidé qu'il n'y aurait pas de règlement des revendications territoriales tant que les revendications de chevauchement des bandes autochtones voisines ne seraient pas résolues. Quand et pourquoi il n'en a plus été question, je ne sais pas, mais c'était une décision importante et intelligente et son abandon ne finira pas de nous hanter. J'en parle parce que cet abandon a une conséquence directe pour l'accord nisga'a sur laquelle je reviendrai tout à l'heure.
Ce qui suit est un résumé de l'atmosphère dans laquelle l'accord nisga'a a été négocié et adopté par l'Assemblée législative de Colombie-Britannique et la Chambre des communes. En février 1996, l'accord de principe nisga'a a été ratifié et publié. C'était la première occasion pour les Britanno-Colombiens de voir cet accord, même si les négociations duraient depuis des années. Malheureusement, ces négociations s'étaient déroulées dans le secret et tout aussi malheureusement, les gens de la province n'avaient jamais été consultés sur le contenu de l'accord. Dans la période suivant immédiatement la signature, des porte-parole du gouvernement fédéral, de la Colombie-Britannique et du conseil tribal des Nisga'a ont fait comprendre qu'il y avait très peu de marge de manoeuvre.
Lorsque les Britanno-Colombiens concernés ont réclamé un référendum pour approuver l'accord, le premier ministre a refusé. Lorsqu'il a été signalé que le gouvernement provincial n'avait pas consulté la population sur ce qu'elle considérait être des paramètres justes, ou, plus important encore, des paramètres raisonnables pour régler d'une manière générale les revendications autochtones, le gouvernement a décrété que c'était inutile.
Lorsqu'on a fait remarquer au premier ministre que les Nisga'a auraient la possibilité de voter, que l'accord serait soumis à un référendum, et que la population de Colombie-Britannique réclamait elle aussi le droit de voter ou de participer à un référendum, le premier ministre encore une fois a refusé; il a dit que la question était trop compliquée pour être soumise à un référendum. Lorsqu'on lui a signalé que la Loi de modification constitutionnelle de la Colombie-Britannique interdisait au gouvernement de proposer de motion pour une résolution de l'assemblée législative autorisant une modification à la Constitution du Canada à moins qu'un référendum ait tout d'abord été mené conformément à la Loi référendaire relativement à l'objet de cette résolution, le premier ministre a répondu que l'accord nisga'a ne constituait pas un amendement à la Constitution du Canada et que par conséquent un référendum n'était pas nécessaire.
Les trois parties prenantes à l'accord ont continué de négocier, de février 1196 à août 1998, quand l'accord nisga'a sous sa forme définitive a été ratifié par les parties. Ces négociations se sont déroulées dans le secret et la population de Colombie-Britannique, à toutes fins pratiques, en a été exclue. Le gouvernement de la province s'était engagé à publier l'accord chapitre par chapitre au fur et à mesure que les chapitres étaient finalisés, mais cela ne s'est pas fait à l'exception de quelques chapitres à la toute fin. En réponse aux supplications de diverses organisations, y compris l'opposition officielle à l'Assemblée législative, le premier ministre a promis de publier le chapitre sur le gouvernement nisga'a avant de déposer l'accord définitif à l'Assemblée. Bien entendu, le ministre n'a pas tenu cette promesse. À l'Assemblée de la Colombie-Britannique, le NPD a clairement fait comprendre qu'aucune modification ne serait autorisée et, d'ailleurs, une forme de clôture a été imposée pour couper court au débat.
Pendant toute cette période, les gouvernements fédéral et britanno-colombien ont continué à faire des déclarations trompeuses sur l'accord concernant un certain nombre d'aspects matériels, les deux déclarations trompeuses les plus importantes étant que les pouvoirs d'autonomie gouvernementale accordés aux Nisga'a étaient analogues aux pouvoirs locaux ou municipaux et que l'accord créerait un climat de certitude.
On a demandé au premier ministre de permettre un vote libre sur l'accord nisga'a à la Chambre des communes, mais il a refusé disant que c'était une question trop importante pour un vote libre. Est-il cynique de demander: devons-nous être reconnaissants au premier ministre de nous sauver du caucus libéral qui, apparemment, ne peut pas voter tout seul correctement?
Lors de sa comparution devant votre comité le 16 février 2000, le ministre Nault a dit:
Si j'ai un sujet d'inquiétude sérieux à propos du débat public qui a entouré le traité jusqu'à présent, c'est la quantité de désinformation qui existe. Comme vous le savez, les arrangements entourant le traité sont complexes, et certains critiques ont délibérément déformés les faits lorsqu'ils en ont examiné les conséquences.
J'aimerais contester l'utilisation de l'adverbe «délibérément». On m'a accusé de répandre des faussetés et d'être alarmiste. Si j'ai dénaturé certains faits, ce n'était pas intentionnel, ce n'était certainement pas délibéré. Si je l'ai fait c'est seulement parce qu'en dépit du grand soin que j'ai apporté à mon travail, j'ai pu commettre une erreur. Je n'ai jamais écrit quoi que ce soit au nom de notre organisation ou fait une déclaration qui ait été corrigé.
Lors de son témoignage le ministre Nault, poursuit en disant que ce traité
[...] assurera que toutes les lois canadiennes et provinciales seront appliquées dans le territoire visé par l'accord.
Attendu que l'accord nisga'a accorde des pouvoirs suprêmes au gouvernement nisga'a dans 14 domaines de législation, comment le ministre peut-il faire cette déclaration extraordinaire? L'accord nisga'a assure que, dans de nombreux cas importants, les lois fédérales et provinciales ne s'appliquent pas. Le ministre croit-il vraiment ce qu'il dit? Sa déclaration est-elle trompeuse? Je crois qu'elle est trompeuse.
Le ministre, dans son témoignage, poursuit en disant:
Cet accord et les dispositions d'autonomie gouvernementale ont été conçus pour répondre aux besoins des personnes qu'il vise. La majeure partie des pouvoirs législatifs des Nisga'a ne touchera que les Nisga'a, leurs terres, leurs biens, leur langue et leur culture.
Ensuite les mots clés:
Voilà ce que sont l'autonomie gouvernementale et une forme de gouvernement local parfaitement adaptées aux circonstances.
À ma connaissance, 100 p. 100 des pouvoirs législatifs des gouvernements locaux au Canada sont délégués soit par le gouvernement du Canada soit par un gouvernement provincial, ce qui signifie que les pouvoirs des gouvernement locaux peuvent être changés, voire supprimés. Ce n'est pas le cas pour nombre des pouvoirs importants accordés au gouvernement nisga'a. Aucun gouvernement local au Canada n'a une constitution qui l'autorise à conférer la citoyenneté sur la base de conditions de son choix et de restreindre le droit de vote à ceux qui satisfont ces conditions. Aucun gouvernement local au Canada n'a un accès libre et gratuit à des ressources naturelles considérables. Le ministre pense-t-il réellement que le gouvernement nisga'a peut être considéré comme un «gouvernement local»? Cette déclaration est-elle trompeuse? Je crois qu'elle l'est.
Tom Molloy, le négociateur fédéral en chef, a déclaré que l'accord nisga'a avait été négocié de bonne foi et qu'il était trop tard maintenant pour essayer de le changer. Le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien, qui a négocié au nom du gouvernement fédéral, joue le rôle de fiduciaire par rapport aux autochtones, et il est donc en conflit d'intérêts vis-à-vis de ce que j'appelle parfois la minorité de 95 p. 100: c'est-à-dire, les 95 p. 100 des Canadiens qui ne sont pas des autochtones. À mon avis, si on considère le terme «représenté» dans son sens le plus commun, le plus pratique, l'ensemble des Canadiens n'ont pas été représentés, il n'est donc pas exact que l'accord ait été négocié de bonne foi.
Puisque je parle aujourd'hui en Ontario, j'ai de bonnes raisons de poser la question: est-ce que le gouvernement de l'Ontario est prêt à céder des pouvoirs gouvernementaux à des bandes autochtones de la province, tout comme de tels pouvoirs ont été cédés aux Nisga'a? Est-ce qu'on a informé la population de l'Ontario, pour ne pas parler de consultations? Évidemment, c'est une question qu'il convient de poser dans toutes les provinces. Que je sache, que ce soit l'Ontario ou une autre province, personne n'a été consulté. Est-ce que les discussions ont été menées de bonne foi? Je ne le pense pas.
Le sénateur Austin et le ministre Nault ont déclaré tous les deux que l'accord nisga'a ne modifiait en rien la Constitution du Canada. Le sénateur Austin a cité les observations du professeur Monahan. D'après Monahan, l'accord nisga'a ne modifie pas la Constitution du Canada, et de plus, si à l'avenir le gouvernement fédéral concluait de telles ententes avec des autochtones, cela pourrait provoquer la cession d'autres pouvoirs, sans pour autant modifier la constitution du Canada. Si on développe logiquement cette opinion de Monahan, on peut voir que le gouvernement du Canada pourrait céder progressivement tous ses pouvoirs aux autochtones sans pour autant modifier la Constitution du Canada.
Des experts constitutionnels de grande réputation, et en particulier Melvin H. Smith de Colombie-Britannique, entre autres, ont exprimé l'opinion que certains éléments de l'accord nisga'a constituent bel et bien une modification de la Constitution du Canada. Est-il possible de signer un accord de 252 pages, avec des centaines de pages d'annexes, le tout portant sur la Constitution du Canada, sans pour autant modifier la Constitution? Est-ce qu'on ne trompe pas les gens en omettant toute référence aux doutes très graves qui ont été soulevés en ce qui concerne la constitutionnalité de cet accord? À mon avis, la réponse est oui.
Les défenseurs de l'accord nisga's prétendent que c'est un accord démocratique, mais 99 p. 100 des Canadiens, y compris les autochtones qui ne sont pas Nisga'a, ne pourront pas voter dans ce gouvernement nisga'a. Comment le gouvernement nisga'a peut-il être démocratique dans ces circonstances? Est-ce qu'on ne trompe pas les gens en prétendant que l'accord nisga'a est démocratique? La réponse ne peut être que oui.
Les défenseurs de l'accord nisga'a prétendent que la déclaration des droits s'appliquera à l'accord, mais ils ne mentionnent pas les dissensions qui existent parmi les experts constitutionnels à ce sujet.
Je vais arrêter ici ma lecture, car j'imagine que mon document sera imprimé, n'est-ce-pas monsieur le président?
Le président: Tout votre document sera imprimé.
M. Bell-Irving: Je ne parlerai donc pas de l'application de la charte, car d'autres témoins ont déjà fait les mêmes observations.
Les défenseurs de l'accord nisga'a prétendent que cela rendra les choses plus certaines, mais il existe beaucoup d'ententes subsidiaires qui n'ont pas encore été conclues ni rendues publiques: comment peuvent-ils le savoir? Il y a au moins quatre poursuites devant les tribunaux à l'heure actuelle qui mettent en doute la constitutionnalité et d'autres aspects importants de l'accord nisga'a. Une de ces poursuites a été intentée par le Parti libéral de Colombie-Britannique, l'opposition officielle à l'Assemblée législative provinciale, qui a eu plus de voix lors des dernières élections que le parti NPD au pouvoir. Une autre poursuite a été intentée par une bande autochtone voisine qui prétend qu'une bonne partie des terres cédées aux Nisga'a lui appartient, et non pas aux Nisga'a. Peut-on avoir le moindre doute que l'accord nisga'a restera pendant plusieurs décennies devant les tribunaux. Comment peut-on prétendre que tout cela est certain? Est-ce qu'on trompe les gens en prétendant que tout est clair? La réponse ne peut être que oui.
Pourquoi le gouvernement fédéral et celui de la Colombie-Britannique ont-ils négocié en secret, pourquoi ont-ils nié que l'accord nisga'a créerait un troisième palier de gouvernement, nié que cet accord constitue en quoi que ce soit une modification de la Constitution du Canada? Pourquoi ont-ils empêché les gens de Colombie-Britannique de vraiment donner leur avis sur l'accord, pourquoi, alors même qu'ils permettaient aux Nisga'a d'organiser un référendum sur l'accord ont-ils empêché les autres habitants de la province d'approuver cet accord par référendum? Pourquoi ont-ils précipité l'adoption de l'accord à l'Assemblée législative de Colombie-Britannique et à la Chambre des communes en imposant la clôture? La réponse, c'est qu'ils savent bien qu'une nette majorité des habitants de la Colombie-Britannique et même, sur la base de ce qu'on a vu à propos de l'accord de Charlottetown, une majorité des Canadiens, n'approuvent pas cet accord sous sa forme actuelle et le rejetteraient lors d'un référendum. Est-ce que je vais trop loin dans le cynisme en imaginant le premier ministre disant: «Dieu nous préserve d'une situation où l'opinion des Canadiens l'emporterait, ce serait comme un autre accord de Charlottetown»?
Pour résumer, les défenseurs de l'accord nisga'a prétendent que c'est un accord démocratique, mais je n'ai pas le droit de voter. Ils prétendent que cet accord ne crée pas un troisième palier de gouvernement, et que les pouvoirs concédés aux Nisga'a sont seulement ceux que doit posséder une administration locale, mais les lois nisga'a l'emporteront sur les lois du gouvernement du Canada et de la Colombie-Britannique dans 14 cas au moins. Ils prétendent que l'accord nisga'a ne constitue pas une modification de la Constitution du Canada, mais ils reconnaissent que cet accord deviendra un élément de la Constitution. Ils prétendent que l'accord rendra les choses plus certaines, mais en fait, la seule certitude, c'est la perspective d'une incertitude prolongée dans le cadre d'interminables différends devant les tribunaux.
C'est ce que nous appelons «jeter de la poudre aux yeux». Cette «poudrerie» a les proportions d'une véritable tempête de neige. Les Canadiens savent à quel point il peut être fatal de se laisser prendre dans une tempête de neige. Et celui qui se trouve pris dans cette tempête, c'est le Canada.
Si le Sénat approuve l'accord nisga'a sous sa forme actuelle, s'il devient loi, cela diminuera considérablement la souveraineté du Canada. Je suis convaincu que ce sera la première étape du démantèlement du Canada. Je suis convaincu également que si cet accord doit être imité lors de nombreux autres accords avec des autochtones en Colombie-Britannique, cette province deviendra une cause perdue pour le Canada, car elle ne sera plus gouvernable, effectivement et économiquement.
Je prie donc instamment le Sénat de suspendre l'examen de l'accord nisga'a jusqu'à ce que les tribunaux en aient étudié les aspects constitutionnels. Faute de cela, et c'est un minimum, je prie le Sénat de recommander un amendement qui aurait pour effet de supprimer le chapitre 11 sur l'autonomie gouvernementale et de le placer dans un accord distinct, ce qui nous donnerait un délai raisonnable pour voir le gouvernement nisga'a à l'oeuvre. Si à l'expérience, on s'aperçoit que les droits à l'autonomie gouvernementale ont besoin de modifications, ces modifications seraient très simples à apporter, et les droits ainsi modifiés pourraient alors être constitutionnalisés, si c'est jugé souhaitable.
Le sénateur Beaudoin: Monsieur Bell-Irving, vous dites dans votre mémoire que notre président et notre ministre ont déclaré sans la moindre réserve que l'accord nisga'a ne modifiait pas la Constitution du Canada.
M. Bell-Irving: C'est exact.
Le sénateur Beaudoin: Il s'agit d'une simple loi, une loi très importante évidemment, mais une loi. Dans ce cas, comment pouvons-nous concilier cela et le fait que dans 14 secteurs ou 20 secteurs la règle de la suprématie n'est pas fédérale ou provinciale, mais bel et bien nisga'a? Si c'est le cas, cela signifie que nous avons là un troisième ordre de gouvernement.
Nous savons qu'à l'heure actuelle, du moins jusqu'à ce soir, la cour suprême n'a pas encore déclaré qu'il y avait un troisième ordre de gouvernement. Nous savons qu'un désaccord existe entre certains juristes. D'après certains, c'est inhérent à l'article 35, mais d'autres ne sont pas de cet avis. Toutefois, comme je l'ai dit, je n'ai pas encore vu de jugement de la cour suprême confirmant que nous avons maintenant un troisième ordre de gouvernement.
Si tout cela est vrai, vous concluez que le projet de loi n'est pas constitutionnel, du moins en ce qui concerne la suprématie. C'est bien ce que vous dites?
M. Bell-Irving: C'est exact.
Le sénateur Beaudoin: Dans ces 14 domaines?
M. Bell-Irving: Au moins dans ces domaines-là. Toutefois, il y a d'autres éléments de l'accord qui, à mon avis, ne sont pas constitutionnels.
Le sénateur Beaudoin: Peut-être bien, mais cette règle-là, celle de la suprématie, est différente de toutes les autres, car c'est la première fois qu'une loi prévoit une suprématie qui n'est ni fédérale ni provinciale. Jusqu'à présent, la seule suprématie prévue par la Constitution se trouve dans l'article 95 pour le fédéral, et dans l'article 94 pour le provincial.
Dans ces conditions, vous dites que nous devrions demander à la cour suprême de rendre une décision. Ce projet de loi est actuellement devant le Sénat, et pour l'instant, la seule autorité qui puisse s'adresser au tribunal est le gouvernement du Canada, le gouverneur en conseil. Évidemment, pour autant que je puisse en juger, ils ne voient pas du tout l'intérêt de s'adresser à la cour suprême. Le projet de loi sera peut-être contesté lorsqu'il aura été adopté, lorsqu'il deviendra loi. Comme mon collègue l'a dit, c'est à nous de décider. Les tribunaux existent de leur côté, mais nous sommes ici. Nous sommes la branche législative de l'État, et à ce titre, nous devons assumer nos responsabilités.
Ce que vous réclamez, ce n'est pas un vote contre le projet de loi, mais un vote contre la disposition qui porte sur les 14 domaines où la suprématie n'est ni fédérale, ni provinciale. C'est bien ce que vous voulez?
M. Bell-Irving: Pour commencer, je crois comprendre que le tribunal ne peut pas s'intéresser à la constitutionnalité du projet de loi tant qu'il n'aura pas été adopté ou tant qu'il n'y aura pas de renvoi à la cour suprême. À mon avis, il serait bon de lui soumettre la question, mais ces 14 cas où il est question de suprématie dans les chapitres relatifs à l'autonomie gouvernementale ne sont pas les seuls où la constitutionnalité est en doute.
D'autres témoins ce soir ont traité de certains aspects très importants qui pourraient être inconstitutionnels et, par conséquent, invalides. À mon avis, leur position, une position que je partage absolument, est la suivante: pourquoi essayer d'adopter une loi qui pourrait être inconstitutionnelle? Pourquoi ne pas demander tout de suite une opinion?
Tout comme l'honorable sénateur à droite, je suis d'accord avec les autres témoins qui ont comparu ce soir. Si la Cour suprême du Canada décide que le projet de loi est constitutionnel, je serais à la fois surpris et mécontent, mais je l'accepterais. Ce serait la loi du pays. C'est d'ailleurs dans une large mesure le sujet de la deuxième partie de mon exposé. À mon avis, on a sérieusement abusé du processus démocratique dans toute cette affaire.
Le sénateur Beaudoin: Nous aurons l'occasion ce soir et demain d'entendre l'opinion de deux autres experts constitutionnalistes.
M. Bell-Irving: Je suis certain qu'ils s'y connaîtront mieux que moi.
Le président: Merci, monsieur Bell-Irving, d'être venu. Comme vous l'avez dit, vous avez vraiment renforcé et étayé le témoignage de M. MacDonald et de M. Weston au nom de M. Smith. Votre démarche est très semblable. Nous vous remercions pour votre intervention.
Je demande maintenant aux professeurs de Osgoode Hall, de s'avancer. Bruce Ryder et Kent McNeil. Professeur Ryder, je vous en prie.
M. Bruce Ryder, Osgoode Hall Law School: Monsieur le président, c'est un honneur et un privilège de contribuer à l'étude approfondie du projet de loi C-9 de l'Accord définitif nisga'a par le Sénat. Je vous remercie de m'avoir donné cette occasion de participer à vos travaux. Depuis que j'ai été nommé à la Osgoode Hall Law School en 1987, j'ai eu l'occasion d'enseigner, de faire de la recherche et de publier dans le domaine du droit constitutionnel. J'espère donc pouvoir apporter une contribution modeste aux travaux des sénateurs qui essaient aujourd'hui de démêler les aspects constitutionnels de ces audiences.
Comme vous le savez, l'Accord définitif nisga'a est le couronnement d'un long processus par lequel on a tenté de concilier la souveraineté qu'exerçaient jadis les Nisga'a sur les terres qu'ils occupaient et la souveraineté exercée par la suite par la Couronne. À mon avis, les dispositions de l'accord permettront d'atteindre cet objectif d'une façon équitable et honorable. De plus, l'Accord définitif nisga'a est conforme aux principes fondamentaux de la Constitution canadienne, il permet même de développer ses principes de fédéralisme, de démocratie, de primauté du droit et de protection des droits des minorités.
Par conséquent, au lieu de nous attarder dans le doute constitutionnel, je pense que nous devrions profiter de l'accord pour célébrer l'accomplissement de nos engagements historiques et de nos aspirations constitutionnelles contemporaines.
J'aimerais maintenant relever deux aspects constitutionnels dont le comité a déjà entendu parlé. Il s'agit d'une part du statut constitutionnel de l'Accord définitif nisga'a, et d'autre part, de la question de savoir si cet accord constitue un amendement à la Constitution. J'aimerais également parler de l'application de la Charte et du problème secondaire de la protection des droits de la minorité, protection prévue par l'accord.
Comme vous le savez l'Accord définitif nisga'a est un traité et une entente sur des revendications territoriales aux fins de l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. Par conséquent, si le processus de ratification est mené à bien grâce à l'adoption du projet de loi C-9, les dispositions de l'entente seront protégées par la Constitution. En effet, l'article 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982 prévoit que les droits issus de traités seront «reconnus et confirmés». Tout action gouvernementale non conforme aux dispositions du traité peut être déclarée sans effet conformément à l'article 52 de la Loi constitutionnelle de 1982.
Certains ont prétendu que la constitutionnalisation des pouvoirs gouvernementaux nisga'a grâce au processus de traité constitue une modification de la Constitution canadienne, une démarche possible seulement au terme d'une procédure d'amendement telle que prévu dans la partie 5 de la Loi constitutionnelle de 1982. À mon sens, c'est une position erronée.
Notre Constitution, telle que modifiée en 1982 et 1983, envisage expressément la constitutionnalisation des droits au terme de négociation de revendications territoriales conduisant à des ententes. Autrement dit, la protection des droits issus de traités existants qui est prévue à l'article 35(1) ne se limite pas aux traités qui existaient déjà en 1982. Cette protection s'étend également aux traités futurs, aux traités éventuels, après 1982. Étant donné que le gouvernement canadien s'est engagé depuis le milieu des années 70 à régler les revendications territoriales en suspend dans le cadre d'un processus de traités, il serait tout à fait illogique de limiter l'application de l'article 35 aux traités historiques.
Cette interprétation est rendue encore plus claire par la modification, en 1983, de l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. Les amendements apportés à l'époque tiennent compte de l'entente constitutionnelle sur les droits autochtones conclue le 16 mars 1983 entre les représentants de quatre organismes nationaux autochtones, le gouvernement du Canada et neuf gouvernements provinciaux ainsi que deux gouvernements territoriaux. L'un des amendements ajoute une nouvelle disposition, le paragraphe 35(3) qui prévoit:
Il est entendu que sont compris parmi les droits issus de traités, dont il est fait mention au paragraphe (1), les droits existants issus d'accords sur des revendications territoriales ou ceux susceptibles d'être ainsi acquis.
L'Accord définitif nisga'a, s'il est adopté, comprendra des droits issus de traités qui ont été acquis lors du règlement de revendications foncières conformément à l'article 35(3). Les droits nisga'a à l'autonomie gouvernementale ne constitueront donc pas une modification constitutionnelle, mais ils auront été acquis conformément au processus prévu par les amendements constitutionnels qui ont été ratifiés par le gouvernement canadien et les représentants des peuples autochtones en 1982 et 1983.
Il est exact que les dispositions de l'entente auront pour effet de modifier le degré d'application des lois fédérales et provinciales aux terres nisga'a et aux citoyens nisga'a. C'est vrai pour tous les droits et libertés qui ont été constitutionnalisés. Dans tous les cas, ils ont pour effet de limiter l'application des lois fédérales et provinciales dans la mesure où c'est nécessaire pour protéger ces droits et libertés.
Une caractéristique de la constitutionnalisation des droits de traité prévus à l'article 35(1) est que l'impact de cette disposition sur les pouvoirs fédéraux ou provinciaux évoluera avec le temps, lorsque de nouveaux traités seront négociés et ratifiés. On pourrait dire la même chose, par exemple, de l'impact du droit à l'éducation dans une langue de la minorité qui est prévu à l'article 23 de la Charte des droits et libertés. L'impact de cette disposition sur les compétences provinciales en ce qui concerne l'adoption de lois dans le domaine de l'éducation changera avec le temps puisque les droits à des dispositions éducatives différentes qui sont prévus à l'article 23 dépendent du nombre d'enfants dans une région. Personne n'irait prétendre que la Constitution a été modifiée lorsque le nombre d'enfants dans une région donnée a dépassé un certain seuil. De la même façon, lorsque de nouveaux droits issus de traité sont constitutionnalisés aux termes de l'article 35(1), cela ne constitue pas une modification de la Constitution.
L'Accord définitif nisga'a ne modifie pas la répartition des pouvoirs entre le gouvernement fédéral et les provinces, telle que le prévoit la loi constitutionnelle de 1867. Le pouvoir du fédéral et du gouvernement de la Colombie-Britannique d'adopter des lois sur les sujets énumérés aux articles 91 et 92 de la loi de 1867 demeure inchangé. Il est expressément indiqué dans l'Accord définitif nisga'a que cet accord ne modifie pas la Constitution du Canada, non plus que la distribution des pouvoirs entre le Canada et la Colombie-Britannique.
Comme je l'ai déjà dit, les dispositions de l'Accord définitif nisga'a modifieront, comparativement à la situation actuelle, le degré dans lequel les lois dûment adoptées par le fédéral et la province s'appliqueront aux terres et aux citoyens nisga'a. La Loi sur les Indiens, y compris l'exemption fiscale énoncée à l'article 87 de cette loi, cessera progressivement d'être appliquée. La loi de la Colombie-Britannique sur la division des biens matrimoniaux, qui ne peut à l'heure actuelle être appliquée aux biens immeubles situés dans des réserves indiennes, s'appliquera maintenant aux terres et aux citoyens nisga'a. Le gouvernement fédéral et le gouvernement de la Colombie-Britannique continueront de pouvoir adopter des lois dans les sphères de compétence que leur confère la Constitution. Sous réserve des dispositions du traité, les lois fédérales et provinciales dûment adoptées continueront de s'appliquer aux terres et aux citoyens nisga'a. Le gouvernement nisga'a n'aura pas de pouvoirs exclusifs de légiférer. Il pourra, concurremment au fédéral et à la province ou de concert avec ces gouvernements, adopter des lois sur les sujets énoncés dans l'Accord définitif nisga'a. Les lois fédérales et provinciales qui sont en conflit avec les lois nisga'a dans certains domaines d'intérêt local ou interne, dont le gouvernement nisga'a, la citoyenneté, la culture, la langue et la propriété, cesseront d'être en vigueur.
Une fois ratifié, l'Accord définitif nisga'a définit et protège expressément, sous le régime de la Constitution, le droit des Nisga'a à l'autonomie gouvernementale. Il est toutefois faux de dire que l'accord crée un nouvel ordre de gouvernement. Lorsqu'ils ont comparu devant le comité permanent des affaires autochtones et du développement du Grand Nord de la Chambre des communes, le 23 novembre 1999, mes collègues de la Osgoode Hall Law School, le doyen, Peter Hogg, et le professeur Patrick Monahan ont fait valoir qu'il est à peu près certain que la Cour suprême du Canada reconnaîtra que ce droit à l'autonomie gouvernementale est déjà protégé sous le régime du paragraphe 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982. Je suis du même avis.
Même si la cour suprême n'a pas encore rendu de décision définitive sur cette question, comme on l'a déjà mentionné au cours de vos audiences, c'est l'orientation claire qui se dégage des déclarations qu'elle a faites dans sa décision sur la signification des droits ancestraux reconnus et confirmés aux termes du paragraphe 35(1).
La cour a déclaré que les droits ancestraux comprennent les pratiques, coutumes ou traditions qui faisaient partie intégrante de la culture distincte d'une nation autochtone lors de l'arrivée des premiers colons européens et qui n'ont pas depuis été entièrement éteints délibérément par la Couronne. Puisque les nations autochtones étaient des sociétés organisées, possédant leurs propres traditions de gouvernement lorsque sont arrivés les premiers colons européens, et puisque la Couronne n'a pas démontré son intention claire d'éteindre entièrement ces traditions de gouvernement, le droit à l'autonomie gouvernementale constitue un droit ancestral aux fins du paragraphe 35(1).
Dans l'affaire Delgamuukw, la cour a maintenu que le paragraphe 35(1) protège les titres autochtones non éteints, qui se définissent comme le droit à l'utilisation et l'occupation exclusive d'un territoire. Ce droit appartient en commun à tous les membres d'une nation autochtone et, comme la cour l'a dit dans l'affaire Delgamuukw, c'est la communauté qui doit prendre les décisions relativement à ce territoire. Autrement dit, la définition que donne la cour d'un titre autochtone contient implicitement le droit à la gouvernance collective -- c'est-à-dire à l'autonomie gouvernementale -- en ce qui a trait à l'utilisation et à l'occupation des terres assujetties à un titre autochtone non éteint.
Comme les sénateurs le savent peut-être, la Cour suprême du Canada a déjà eu à deux reprises l'occasion de rendre une décision définitive sur la question de savoir si le droit à l'autonomie gouvernementale est déjà protégé sous le régime de l'article 35(1). Dans ses décisions dans les affaires Pamajewon et Delgamuukw, la cour a expressément refusé de se prononcer, sous le motif que les revendications étaient énoncées en termes excessivement vagues.
Par conséquent, la cour a déclaré que sa compétence institutionnelle ne lui permettait pas de traiter toutes les questions complexes soulevées par des revendications aussi générales. La Cour suprême du Canada et d'autres tribunaux ont expliqué à plusieurs reprises qu'il vaut mieux traiter ces questions de façon globale dans le cadre de la négociation de traités. La seule autre solution, c'est de demander aux tribunaux de définir certains aspects particuliers du droit à l'autonomie gouvernementale d'une nation autochtone, au cas par cas.
La Nation nisga'a, le Canada et la Colombie-Britannique ont fait le bon choix, en élaborant l'Accord définitif nisga'a. Cet accord ne crée pas un nouvel ordre de gouvernement; il a plutôt pour effet de convertir le droit incertain des Nisga'a à l'autonomie gouvernementale, déjà protégé par le paragraphe 35(1) en un droit issu de traité défini expressément et de façon détaillée, avec le consentement des parties.
Monsieur le président, permettez-moi de prendre quelques instants pour traiter des aspects relatifs à la Charte. Comme vous le savez, on peut lire au chapitre II, paragraphe 9 du traité:
La Charte canadienne des droits et libertés s'applique au gouvernement nisga'a concernant toutes les questions relevant de son pouvoir, eu égard au caractère libre et démocratique du gouvernement nisga'a tel qu'énoncé dans l'Accord.
Autrement dit, tous les éléments de droit de la Charte se trouvent incorporés par renvoi dans le traité et la Charte s'applique de cette façon au gouvernement nisga'a, dans l'exercice de ses pouvoirs. En mentionnant le caractère libre et démocratique du gouvernement nisga'a, on permet que les droits et libertés énoncés dans la Charte soient garantis de la même façon et dans la même mesure que pour tous les autres Canadiens, de par l'article 1 de la Charte, dans nos relations avec les gouvernements fédéral et provincial. Cela signifie, par exemple, que c'est le gouvernement nisga'a qui doit assumer le fardeau de la preuve s'il veut démontrer qu'il y a eu violation des droits et libertés garantis par la Charte sous le régime de l'article 1 de cette Charte.
Certains ont dit que certaines dispositions de l'Accord définitif nisga'a sous l'application de la Charte, des dispositions qui à première vue semblent claires, seraient sans effet de par l'application de l'article 25 de la Charte, qui se lit comme suit:
Le fait que la présente Charte garantit certains droits et libertés ne porte pas atteinte aux droits ou libertés -- ancestraux, issus de traités ou autres -- des peuples autochtones du Canada [...]
Certains ont fait valoir que même s'il semble clair, le paragraphe 9 du chapitre II ne permettra pas d'appliquer les dispositions de la Charte au gouvernement nisga'a puisque la Charte ne peut être interprétée comme allant à l'encontre des pouvoirs du gouvernement nisga'a, tels que ces pouvoirs sont énoncés dans le traité.
Je me permets de faire remarquer que cet argument est sans fondement en droit. Il est exact que la Charte ne peut être interprétée comme allant à l'encontre des droits issus de traités énoncés dans l'Accord définitif nisga'a. Par exemple, l'application de l'article 25 signifie que les tribunaux canadiens ne pourront invalider les dispositions du traité qui confèrent au gouvernement nisga'a des pouvoirs de légiférer parce que ces dispositions constituent une discrimination en raison de la nationalité ou de l'origine ethnique et, de ce fait, contreviennent à l'article 15 de la Charte; en acceptant un tel argument, on irait à l'encontre des droits issus de traités conférés au peuple nisga'a, contrairement aux dispositions de l'article 25.
Toutefois, l'article 25 n'empêche pas la Charte de s'appliquer à l'exercice des pouvoirs du gouvernement nisga'a, conformément aux droits énoncés dans le traité. Cela vient de ce que ces droits issus de traités sont eux-mêmes définis comme le pouvoir, pour le gouvernement nisga'a, d'exercer ses pouvoirs conformément aux dispositions de la Charte. Il est donc illogique de dire que l'application de la Charte à l'exercice des pouvoirs gouvernementaux nisga'a, pouvoirs qui, d'après le traité, doivent être exercés conformément aux dispositions de la Charte, constitue une dérogation aux droits énoncés dans l'Accord définitif nisga'a. Au contraire, c'est ce qui est prévu expressément dans le traité.
Étant donné qu'à mon avis le paragraphe 9 du chapitre 2 stipule très clairement que la Charte s'applique à l'exercice de l'autorité gouvernementale par les Nisga'a, les droits et libertés de toutes les personnes sont protégés par le traité. Permettez-moi de parler spécifiquement de la situation des résidents non nisga'a sur des terres non nisga'a, dont il a été question au comité.
L'Accord définitif nisga'a prévoit que tous les citoyens nisga'a peuvent voter lors des élections nisga'a et occuper un poste au sein du gouvernement nisga'a. Le gouvernement nisga'a sera responsable comme dans toute démocratie et les élections se tiendront au moins tous les cinq ans. Les élections se dérouleront en conformité de la constitution nisga'a et des lois nisga'a. Le traité ne confère pas explicitement un droit de vote ou un droit d'occuper une charge aux résidents non nisga'a. C'est parfaitement approprié, à mon avis, étant donné le mélange complexe de pouvoirs gouvernementaux prévus dans le traité. Certains de ces pouvoirs concernent les personnes plutôt que le territoire -- c'est-à-dire qu'ils s'appliquent seulement aux citoyens nisga'a -- et certains concernent des questions purement internes.
Les intérêts des résidents non nisga'a ne sont pas touchés par l'exercice de ces pouvoirs; par conséquent, il ne conviendrait pas de leur garantir un droit de vote en ce qui concerne toutes les questions relevant de la compétence du gouvernement nisga'a. Il est aussi important de souligner, toutefois, que le traité ne contient pas de disposition, contrairement à ce que certains ont pu dire, qui empêche le gouvernement nisga'a d'accorder le droit de vote ou le droit d'occuper une charge politique à des résidents non nisga'a.
Les paragraphes 19 à 23 du chapitre 11 confèrent certains droits aux résidents non nisga'a, y compris le droit d'être consultés au sujet de décisions du gouvernement nisga'a qui les touchent directement et de manière significative, et le droit de participer aux institutions publiques nisga'a dans les cas où les activités de ces institutions les touchent directement et de manière significative. Il n'y a rien dans le traité qui empêche le gouvernement nisga'a d'adopter des lois qui accordent un plus grand droit de participation politique aux résidents non nisga'a et il est même possible qu'il soit tenu de le faire en vertu de la Charte des droits et libertés.
Des jugements rendus récemment par les tribunaux sur des questions de droits politiques dans le contexte du fonctionnement des gouvernements de bande en vertu de la Loi sur les Indiens montrent très clairement que les tribunaux utiliseront l'article 15 de la Charte pour protéger les droits des minorités ou des groupes vulnérables au sein des collectivités autochtones. Les membres du comité qui ne sont pas au courant du jugement récent de la Cour suprême du Canada dans l'affaire Corbiere y trouveront un texte très instructif sur la question. Ce sera la même chose ici; c'est-à-dire que les tribunaux interpréteront la Charte et l'appliqueront à l'exercice de l'autorité gouvernementale par les Nisga'a d'une manière qui protège les droits des minorités ou des groupes vulnérables.
Par conséquent, les préoccupations qui ont été soulevées au sujet des droits des minorités ne devraient pas nous amener à rejeter le traité, étant donné que le traité lui-même ne contient aucune disposition empêchant le gouvernement nisga'a de prendre des mesures afin d'accorder aux résidents non nisga'a des droits appropriés de participation politique. Le traité donne au gouvernement nisga'a la souplesse nécessaire pour concevoir les solutions qui s'imposent en fonction de la nature complexe de leur juridiction.
En fin de compte, en ce qui concerne la question de la Charte, je conclus qu'il reviendra aux tribunaux de décider si les pouvoirs du gouvernement nisga'a ont été exercés de manière à protéger adéquatement les droits de participation politique des résidents non nisga'a.
M. Kent McNeil, Osgoode Hall Law School: Honorables sénateurs, j'enseigne à l'Osgoode Hall Law School depuis 1987. Je suis spécialisé dans le domaine des droits ancestraux. J'enseigne ce sujet et presque toutes mes recherches et toutes mes publications concernent les droits ancestraux, y compris les revendications territoriales et les questions d'autonomie gouvernementale.
Je suis d'accord d'une manière générale avec mon collègue, M. Ryder, et je ne veux donc pas répéter ce qu'il a déjà dit. Je parlerai plutôt de certaines questions spécifiques, dont la première concerne la négociation d'accords de cette nature, y compris des accords sur des droits territoriaux ainsi que du droit à l'autonomie gouvernementale, et de la constitutionnalité de tels accords. En deuxième lieu, je veux parler de la question du chevauchement des territoires revendiqués.
Dans un certain nombre de décisions, mais plus particulièrement l'arrêt Delgamuukw en 1997, qui a évidemment été rendu en Colombie-Britannique et concernait les Nations Gitxsan et Wet'suwe'en, la cour suprême a dit au gouvernement canadien et aux gouvernements provinciaux que ces questions doivent être réglées par voie de négociation. L'affaire Delgamuukw concernait à la fois une revendication territoriale et une revendication d'autonomie gouvernementale, mais la cour n'a pas tranché la question. Elle a renvoyé l'affaire à la section de première instance. Elle a dit, particulièrement en ce qui concerne l'autonomie gouvernementale, qu'elle ne pouvait pas résoudre cette question et elle a envoyé un message sans équivoque. L'ancien juge en chef, Antonio Lamer, a dit expressément que ces questions doivent être réglées par voie de négociation. Autrement dit, les tribunaux peuvent donner des avis et rendre des décisions au sujet des garanties juridiques, mais le meilleur endroit où régler ces questions se trouve à la table de négociation.
À mon avis, c'est exactement ce que les Nisga'a, le gouvernement canadien et le gouvernement de la Colombie-Britannique ont fait. Ils ont négocié cet accord pendant des années. Ce fut une longue et dure lutte pour eux. Les négociations ont abouti à un accord qui représente, à mon avis, un compromis de la part de toutes les parties en cause. Il a été très difficile de conclure cet accord et il faut le respecter.
Je pense que la Cour suprême du Canada respecterait l'accord, si on le lui soumettait. Je doute très fort que la cour suprême annulerait l'accord ou ses dispositions relatives à l'autonomie gouvernementale, étant donné qu'elle a dit explicitement aux Premières nations et au gouvernement du Canada de négocier ces questions. Si la cour suprême devait annuler les dispositions relatives à l'autonomie gouvernementale, elle saboterait les négociations. Ces questions devraient continuellement être portées en justice. Chaque Première nation devrait intenter une poursuite pour faire valoir ses droits à l'autonomie gouvernementale.
La Cour suprême a dit dans sa décision sur l'affaire Pamajewon en particulier, en 1996, que les revendications générales à l'autonomie gouvernementale ne peuvent pas être décidées par les tribunaux. Les tribunaux doivent examiner les questions d'autonomie gouvernementale en termes de pouvoirs spécifiques. Cela signifie que de telles questions doivent être portées en justice, chaque Première nation devra demander des pouvoirs d'autonomie gouvernementale au sujet du moindre élément en matière duquel elle revendique la compétence. Je le répète, chaque Première nation doit suivre le processus parce que la cour a dit que ces questions sont particulières aux traditions, aux coutumes et à la culture des différentes Premières nations. Pour ce qui est de la question de la constitutionnalité, d'une manière très générale, je pense que la cour suprême appuierait l'accord.
Je vais maintenant parler de la question du chevauchement des territoires revendiqués. Je sais qu'on a exprimé pas mal de préoccupations au sujet de cette question. À mon avis, l'accord règle assez bien cette question. Je ne suis pas certain s'il y a ou non des revendications valides portant sur des territoires qui se chevauchent. C'est possible qu'il y en ait. Je pense que les arguments ont été présentés et que c'est vraiment une question de fait qu'il faut déterminer d'une manière ou d'une autre. Il y a chevauchement des territoires revendiqués et je pense qu'il faut déterminer si les revendications sont valides ou non.
L'accord parle de cette question au chapitre 2, paragraphes 33 à 35. Ces dispositions stipulent avant tout que l'accord ne modifie pas les droits d'autres peuples autochtones au Canada. De fait, il ne pourrait pas le faire. Une Première nation, un gouvernement provincial et le gouvernement fédéral ne peuvent pas conclure un accord qui priverait d'autres Premières nations de leurs droits constitutionnels.
Le fait que l'accord soit mis en oeuvre au moyen d'une loi, ou le sera si le projet de loi est adopté, ne modifiera pas, à mon avis, d'autres droits autochtones même si l'accord lui-même ne le stipulait pas, car je le répète encore, ces droits sont constitutionnels. Ils ne peuvent pas être retirés par une loi ordinaire. Ils peuvent être enfreints par une loi seulement si la mesure est justifiable en vertu d'un critère que la cour suprême a établi dans sa décision sur l'affaire Sparrow et dans d'autres décisions.
L'accord n'affecte pas les droits des autres peuples autochtones; d'ailleurs, les deux articles suivants en traitent précisément. Ils stipulent tout d'abord que si un tribunal canadien estime que les droits ancestraux d'une autre Première nation sont en conflit avec les dispositions de cet accord, ils auront préséance. Deuxièmement, l'accord stipule aussi que, si une autre nation autochtone négocie avec le gouvernement fédéral et des gouvernements provinciaux un accord qui n'est pas conforme à l'accord nisga'a, les parties à l'accord nisga'a reviendront négocier ces éléments. Le traité prévoit le cas de décisions des tribunaux sur des droits ancestraux qui iraient à l'encontre de cet accord et ils prévoient aussi des règlements négociés qui pourraient entrer en conflit avec l'accord nisga'a. Il y a un mécanisme pour régler ce genre de différends.
Je ne pense pas que la question des chevauchements de revendications soit un problème. C'est prévu dans l'accord. Je sais bien qu'on a dit que dans le passé, le gouvernement fédéral avait pour principe de ne pas négocier d'ententes s'il y avait des chevauchements. Dans ce cas-ci, l'accord a été négocié en dépit de ces chevauchements. Le problème, c'est que si l'on doit régler d'abord le problème des chevauchements, on risque de se trouver dans une impasse dans certains cas. En fait, cela donnerait à une nation autochtone un droit de veto sur les revendications territoriales de ces voisins. Je pense que ce n'est pas souhaitable. Je pense qu'il vaut mieux essayer de trouver une entente avant de devoir régler des problèmes de chevauchements de revendications, mais je pense que ces chevauchements ne devraient pas pouvoir empêcher une Première nation de conclure sa propre entente. Encore une fois, les dispositions de l'accord permettent tout à fait de régler ce genre de question.
Le président: Merci à tous deux pour vos exposés.
Le sénateur Tkachuk: Ce qui me préoccupe dans ce projet de loi et ce traité, c'est de savoir exactement sur quoi cela va déboucher. N'étant pas un constitutionnaliste, je pourrais dire en termes moins érudits que vous en quoi ou ne consiste pas ce traité.
Je voudrais parler des pouvoirs parallèles. D'après ce que je crois savoir, il y a un pouvoir fédéral et un pouvoir provincial. Il y a des pouvoirs délégués à d'autres formes de gouvernement ou d'administration, des municipalités, d'autres bandes indiennes, le Yukon. Qu'est-ce que c'est que ces compétences simultanées? C'est quelque chose d'original et de nouveau, qui n'a jamais existé auparavant. De quoi s'agit-il? Si ce n'est pas une délégation de pouvoir et si le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux n'ont pas renoncé aux articles 91 et 92, alors de quoi s'agit-il? De quelle institution s'agit-il, et que va devenir notre pays une fois que nous en aurons des centaines?
M. Ryder: En ce qui concerne les compétences simultanées, c'est une notion qui s'oppose à la notion de compétence exclusive. Je pense qu'il n'est pas utile de greffer là-dessus la question des pouvoirs délégués, car dans ce cas-là il s'agit de savoir si les pouvoirs d'autonomie gouvernementale sont délégués ou inhérents. Ce sont deux questions distinctes, et les pouvoirs délégués ou inhérents peuvent être soit simultanés, soit exclusifs. Ce sont deux questions bien distinctes.
Ce que nous connaissons bien actuellement dans notre Constitution, c'est la notion de pouvoirs exclusifs, qui constitue la norme aux articles 91 et 92 de la Loi constitutionnelle, mais il existe aussi d'autres pouvoirs simultanés ou partagés par les gouvernements fédéral et provinciaux. Dans le cas présent, nous avons décidé de ne pas retirer de compétence au gouvernement fédéral ou provincial, mais plutôt de conférer une compétence simultanée à la Nation nisga'a.
Il y a une distinction plus utile à faire pour répondre aux questions soulevées au comité, c'est la distinction entre pouvoirs inhérents et pouvoirs délégués. Il y a eu tout un débat sur la question de savoir dans quelle mesure cet accord, qui traite d'autonomie gouvernementale, s'inscrit dans le cadre de la revendication territoriale et les pouvoirs d'intégration s'inscrivent dans le cadre du modèle de délégation qui caractérise par exemple la législation sechelte.
Cela est conforme à l'évolution de notre interprétation constitutionnelle de la nature de l'autonomie gouvernementale autochtone. Je pense que la jurisprudence de la Cour suprême du Canada montre clairement que le droit ancestral à l'autonomie gouvernementale s'inscrit dans la souveraineté antérieure et l'occupation antérieure de la terre par ces peuples autochtones. C'est leur définition des droits ancestraux. Les droits ancestraux ne sont pas quelque chose qu'on leur délègue ou qui est créé de pièce par un document élaboré par des gouvernements non autochtones; ces droits sont inhérents à l'histoire distincte des peuples autochtones. Non seulement la cour suprême les considère comme tel, mais le gouvernement canadien s'est engagé à considérer les pouvoirs d'autonomie gouvernementale comme des pouvoirs inhérents, par opposition à des pouvoirs découlant d'une loi fédérale.
Le traité est la concrétisation de cette évolution de l'interprétation de la nature de l'autonomie gouvernementale. Franchement, il ne saurait être question de revenir en arrière sérieusement pour dire aux Premières nations: «nous sommes prêts à négocier sur l'autonomie gouvernementale, mais uniquement dans le cadre du modèle de délégation». Les ententes juridiques ont évolué au point que -- et il s'agit surtout des répercussions du paragraphe 35 (1) dans la jurisprudence -- l'autonomie gouvernementale est désormais considérée comme inhérente à leur histoire de premiers occupants de la terre en tant que société organisée. Étant donné que c'est à cette interprétation juridique que l'on en est clairement arrivé maintenant, ce ne serait pas possible. Il serait absurde de proposer maintenant aux Premières nations des négociations dans le cadre du modèle de délégation. Cela reviendrait à leur demander de renoncer à beaucoup trop de leurs droits juridiques actuels.
Le sénateur Tkachuk: Vous dites qu'en 1867, à l'époque de la rédaction de la Constitution, il y avait un autre pouvoir dans les coulisses. C'est comme s'il y avait eu un autre pouvoir qui n'a pas été envisagé à l'époque, mais qu'on a ressorti en 1983 ou en 1982 et qui a évolué depuis 18 ans pour donner naissance à cette nouvelle créature, l'Accord définitif nisga'a. Vous avez l'air de parler d'un troisième niveau de gouvernement ici, d'un niveau que nous n'avions pas envisagé précédemment.
M. Ryder: Vous avez raison de parler de troisième ordre de gouvernement. Nous avons déjà l'administration municipale. Quand nous parlons de troisième ordre, je veux dire un troisième ordre de gouvernement qui a un statut constitutionnel. Je ne voulais pas me chicaner avec les autres témoins qui ont dit que ce traité accorde une protection constitutionnelle à un troisième ordre de gouvernement; c'est vrai. Tout ce que je voulais dire, c'est que ce n'était pas nouveau.
Le sénateur Tkachuk: Pour moi, et pour beaucoup d'entre nous, c'est quelque chose de vraiment nouveau.
M. Ryder: Il y a de bonnes raisons de penser, encore que cela puisse toujours se discuter -- et les sénateurs ont été au coeur du débat -- que le droit ancestral à l'autonomie gouvernementale est déjà reconnu au paragraphe 35 (1). Par conséquent, le traité ne crée pas un nouvel ordre de gouvernement, mais il en donne une définition claire sous forme de droit issu des traités.
Le sénateur Tkachuk: J'ai beaucoup de questions à poser ici. Vous savez, je me suis tu pendant toute la soirée et je n'ai pas utilisé mon temps, mais j'attendais ce moment parce que c'est quelque chose qui me préoccupe.
Si les compétences fédérales et provinciales prévues aux articles 91 et 92 se présentent maintenant en parallèle avec cet accord et avec cet organe de gouvernement, avec l'autorisation du Parlement du Canada et du Parlement de la Colombie-Britannique, jusqu'où vont les pouvoirs en vertu des articles 91 et 92 que nous pouvons leur transmettre? C'est ce que vous dites non? Cela veut dire que nous pouvons leur confier tous ces pouvoirs si nous le voulons. À une époque, les Indiens avaient leur propre mode défense, ils avaient leur armée, leur service de courrier, ils avaient leur système de communication par signaux de fumée. Je ne sais pas comment ils faisaient en Colombie-Britannique, mais dans les Prairies on voit à des milles et des milles de distance. On pourrait leur donner tous ces pouvoirs, non? Est-ce qu'on ne pourrait pas leur confier tous les pouvoirs découlant des articles 91 et 92? C'est à cette conclusion logique que vous m'amenez, à l'idée que nous pouvons nous départir de tous ces pouvoirs pour les confier intégralement aux Nisga'a.
M. Ryder: Comme je l'ai dit au début de mon exposé, il faut bien comprendre que ce processus est surtout un rapprochement de deux notions, la souveraineté antérieure et l'occupation antérieure du Canada par des peuples autochtones, et l'affirmation de la souveraineté de la Couronne. En 1867, étant donné que le point de vue des autochtones n'a pas été représenté lors des négociations et de l'élaboration de la Loi constitutionnelle de 1867, nous n'avons pas tenu compte de cette perspective autochtone. Les autochtones estiment que cette loi de 1867 est totalement muette sur leurs droits juridiques.
Ce que nous essayons de faire maintenant -- et que nous essayons de faire depuis de nombreuses années avec la loi de 1982 et les traités -- c'est de rectifier le fait que la souveraineté antérieure des peuples autochtones n'avait pas été reconnue dans l'affirmation de notre souveraineté. En quelque sorte, nous avons redécouvert leurs droits.
Le paragraphe 35(3) autorise la Couronne à conclure des traités avec les peuples autochtones et à constitutionnaliser ces droits en limitant les compétences des gouvernements fédéral et provinciaux. Il y a peut-être d'autres principes constitutionnels et d'autres dispositions de la Constitution qui limitent la marge de manoeuvre des gouvernements lorsqu'ils concluent des traités avec les peuples autochtones.
Il ne faut pas craindre que le gouvernement fédéral renonce à tous ses pouvoirs. Ce que l'on a ici, c'est simplement la recherche d'un compromis entre les compétences gouvernementales fédérales et provinciales et les droits à l'autonomie gouvernementale des peuples autochtones.
Le sénateur Tkachuk: D'après votre argumentation logique, c'est parce que nous n'avions par reconnu ce pouvoir en 1867 qu'il est venu progressivement s'insérer dans notre constitution. Autrement dit, il vient de quelque part dans le passé. C'est une optique presque internationale.
J'aimerais savoir si vous pensez que cela s'applique. Autrement dit, ce droit inhérent se fonde sur une forme de droit quelconque, une forme de philosophie du droit. Il s'applique peut-être aux Suédois ou aux Ukrainiens. D'où vient-il? Est-ce qu'on peut faire la même chose aux États-Unis ou en Australie? Ce droit inhérent s'applique-t-il partout? Il est reconnu internationalement? C'est de cela qu'il s'agit?
M. Ryder: La portée de la question est tellement vaste que je vais laisser mon collègue le professeur McNeil un expert en la matière, y répondre.
Le président: Pourquoi pas? Je vais demander au sénateur Andreychuk de patienter quelques heures encore.
M. McNeil: Le droit inhérent dont parle mon collègue prend sa racine dans le fait que les peuples autochtones étaient présents en Amérique du Nord -- qu'il s'agisse des États-Unis ou du Canada -- avant l'arrivée des Européens. La Cour suprême nous a dit et répété que c'était de là que venaient ces droits ancestraux.
Depuis les années 30, la Cour suprême des États-Unis dit que ce droit inhérent inclut le droit à l'autonomie gouvernementale. Il s'agit de la souveraineté dont jouissaient les tribus indiennes aux États-Unis avant l'arrivée des Européens. Elles ont conservé une partie de cette souveraineté. Elles ont gardé leurs compétences pour ce qui est de la gestion de leurs affaires internes. Elles ont perdu leurs compétences internationales. Elles ne peuvent plus conclure d'accords internationaux avec le Mexique, la France ou un autre pays. Ces tribus indiennes sont toujours situées au sein des États-Unis, mais elles ont des pouvoirs souverains inhérents qui viennent du fait qu'elles étaient souveraines avant l'arrivée des Européens.
Au Canada, nous n'en sommes pas encore là dans notre jurisprudence. Je pense que c'est dans cette direction que s'oriente la cour suprême, mais elle a renvoyé le débat dans l'arène politique. Autrement, la cour suprême a fait allusion à l'autonomie gouvernementale dans ses décisions, mais elle ne s'est pas prononcée sur cette question. Elle a dit au gouvernement: «À vous de négocier. Ce sont des questions d'ordre politique qui doivent trouver des solutions politiques».
Dans cet accord, sauf votre respect, les pouvoirs prévus aux articles 91 et 92 ne sont pas transférés aux Nisga'a. On reconnaît plutôt que les Nisga'a ont un droit inhérent à l'autonomie gouvernementale et que ce droit est protégé par la Constitution. C'est ainsi depuis 1982. Il est nécessaire de définir ce droit, mais comment le faire? Il sera défini soit par les tribunaux, soit par les gouvernements, dans le cadre de négociations. Cet accord découle de cette dernière solution. Il s'agit d'une définition du droit ancestral, par voie de négociations.
Le sénateur Andreychuk: Je veux revenir à la question soulevée par le sénateur Tkachuk, en évitant une terminologie juridique. J'ai toujours considéré la Constitution comme témoignant de la capacité d'un État souverain de décider de la façon dont il se gouvernera lui-même, en général. Le sénateur Beaudoin a déclaré à maintes reprises que les droits sont enchâssés dans la Constitution, qu'ils reviennent aux provinces et au gouvernement fédéral et que tout ce qui n'avait été envisagé en 1867 était un pouvoir résiduel revenant au gouvernement fédéral.
L'article 35 a été créé pour reconnaître que la Constitution de 1867 n'était peut-être pas complète. Je comprends, jusque-là. D'après votre logique, je pourrais croire que si l'ensemble des pouvoirs sont de compétence provinciale ou fédérale, et qu'on reconnaît plus tard des droits ancestraux, quelqu'un doit céder des pouvoirs aux autochtones. À mon avis, ou bien il s'agit de céder des pouvoirs conférés par la Constitution, ou bien nous en sommes venus à la conclusion que notre Constitution comportait des lacunes au départ et que, par conséquent, un troisième palier de gouvernement a toujours existé.
Ce que vous avez dit ne m'amène pas à croire qu'il nous faut un changement constitutionnel. Dans un cas, nous disons «en 1867, nous n'avions pas tout prévu et les Canadiens, autochtones ou non-autochtones, doivent maintenant décider de la façon dont ils vont cohabiter, dans le cadre constitutionnel.» Il y a une façon plus simple de voir les choses: «si tout avait été confié aux provinces et au gouvernement fédéral, quelles parties sont désormais légitimement entre les mains des autochtones?» Il faut donc se demander s'il s'agit-là d'un changement constitutionnel.
M. Ryder: Sénateur Andreychuk, il s'agit-là, certes, d'une question très complexe, à laquelle on a donné une réponse toute simple en prenant une décision en 1982 et 1983. En effet, nous avons alors décidé d'enchâsser dans la Constitution une reconnaissance explicite des droits ancestraux et des droits issus de traité. Nous avons décidé en 1983 de reconnaître les droits issus de traité qui seraient conférés à l'avenir.
Les gouvernements canadiens comprenaient qu'en prenant cette décision, ils restreignaient leurs propres pouvoirs qui n'avaient pas été reconnus antérieurement, du moins par la jurisprudence canadienne. Pour les autochtones, toutefois, ces restrictions sur les pouvoirs des gouvernements canadiens devaient être reconnues parce que le droit inhérent des autochtones à l'autonomie gouvernementale était ancré dans leur souveraineté antérieure et leur occupation antérieure du territoire.
Je considère cruciale l'étape modifiant notre compréhension incomplète de la Constitution, du moins du point de vue des gouvernements non autochtones. Pour les rédacteurs non autochtones de la loi de 1867, nous avons modifié notre compréhension incomplète antérieure, pour essayer de concilier l'affirmation de la souveraineté de l'État et de la souveraineté antérieure des peuples autochtones. Pour y arriver, nous avons inscrit dans la Constitution les droits ancestraux et les droits issus de traité. Cette procédure est exactement celle qui avait été envisagée par les amendements de 1982 et de 1983.
M. McNeil: En 1867, les articles 91 et 92 portaient sur la répartition des pouvoirs entre le Parlement et les assemblées législatives provinciales. À l'époque, il ne s'agissait pas de pouvoirs exclusifs. Ainsi, le Parlement impérial conservait une compétence législative au Canada, en général, jusqu'en 1931, avec le statut de Westminster, et pour les questions constitutionnelles, jusqu'en 1982, lorsque nous avons adopté notre propre formule d'amendement. Les articles 91 et 92 ne doivent pas être considérés comme une répartition exhaustive des pouvoirs, étant donné notre histoire constitutionnelle.
Comme l'a dit M. Ryder, à l'époque, on ne tenait pas compte des autochtones. Ils n'ont pas fait partie du processus. De nos jours, et particulièrement depuis 1982, on reconnaît qu'on a eu tort de les mettre de côté. Nos attitudes ont beaucoup évolué au cours des 140 dernières années. Nous sommes maintenant dans une situation différente.
La situation américaine est très semblable. Les Américains ont une constitution, des pouvoirs pour les États et pour le fédéral, au Congrès. Pourtant, 45 ans après l'avènement de leur constitution, la cour suprême a déclaré que cela n'enlevait pas aux tribus indiennes leur juridiction inhérente pour leurs propres affaires. La constitution des États-Unis n'a pas enlevé aux peuples autochtones leurs pouvoirs, au sein du pays. Nous pouvons en tirer des leçons.
Le sénateur Andreychuk: J'aimerais revenir plus tard à la situation américaine. On n'y reconnaît pas un troisième palier de gouvernement. Ils ont choisi leur propre voie. Le Canada a raison, à mon avis, d'exercer autrement sa souveraineté.
Je simplifie les choses, à la demande de notre président. Je ne voulais pas éviter de parler des pouvoirs impériaux résiduels.
J'aimerais poser une question au sujet du chevauchement. Je crois que la cour a éludé la question ou, peut-être, dans sa sagesse, a dit: «Puisque vous devez vivre ensemble, négociez la meilleure solution possible à ce problème des droits ancestraux et des droits non autochtones». Je crains que d'autres autochtones, s'ils ont des revendications valides, ne pourront négocier de la même façon avec les gouvernements fédéral et provinciaux parce qu'il est convenu que les chevauchements reviennent aux Nisga'a. Si un tribunal ou une autre instance décide que leur voix doit être prise en compte, une méthodologie pourra s'appliquer. Mais si les autochtones ont droit à des négociations exhaustives et sans entrave, il y a au moins deux groupes qui nous ont été signalés qui n'auront pas la même occasion que les Nisga'a d'arriver à un règlement juste, parce que les Nisga'a sont allés de l'avant sans eux.
M. McNeil: Ce n'est pas ainsi que j'interprète l'accord. Il y a trois dispositions portant sur les revendications qui se chevauchent. La première disposition prévoit simplement que l'accord nisga'a n'a aucun effet sur les droits des autres peuples autochtones du Canada. La deuxième se rapporte aux revendications pouvant avoir un effet sur les Nisga'a et résultant d'une décision ultérieure des tribunaux. Cette décision prévaudra sur l'accord nisga'a dans la mesure où elle constate que la revendication est valide. Il y a une troisième disposition qui, je crois, rejoint votre préoccupation, fort justifiée. Elle prévoit que si le Canada ou la Colombie-Britannique conclut un traité ou un accord sur des revendications territoriales avec un autre groupe autochtone en Colombie-Britannique, et que ce traité ou cet accord a des effets négatifs sur les droits des Nisga'a, les parties à l'accord nisga'a reviendront à la table de négociation et trouveront une compensation ou une autre solution pour les Nisga'a.
Autrement dit, il est possible de négocier un accord qui enlève certains droits prévus pour les Nisga'a dans leur accord. Si les parties ne s'entendent pas, l'article de l'accord prévoit le recours à l'article de l'accord sur le règlement des différends. Autrement dit, si les Nisga'a, le Canada et la Colombie-Britannique ne peuvent s'entendre sur ce que devraient recevoir les Nisga'a en remplacement de ce que leur enlèvent les négociations avec un autre groupe autochtone, il faudra passer par un arbitrage exécutoire ou faire régler la question par un tribunal.
Votre préoccupation est justifiée, mais d'après mon interprétation de l'accord, on y a déjà pensé.
Le sénateur Andreychuk: Là où je veux en venir, c'est qu'on nous a maintes fois répété que la négociation avait été menée de bonne foi par les trois parties. Si c'était le cas, le gouvernement fédéral a certainement négocié ces terres en croyant que les Nisga'a devaient les avoir. Il serait fort peu probable que le même gouvernement négocie avec un autre groupe, croyant que les mêmes terres lui appartiennent. Cette négociation n'irait nulle part.
Le sénateur St. Germain: Monsieur McNeil, nous dites-vous qu'en dernier ressort, s'ils ne peuvent négocier ni obtenir d'arbitrage, les autochtones touchés par les chevauchements seront forcés d'intenter des poursuites? M. Ryder a cité l'arrêt Delgamuukw et d'autres, et il disait pourtant que les non-résidents seraient forcés d'intenter des poursuites s'ils voulaient faire respecter leurs droits en vertu de la Charte.
J'ai dit aux Nisga'a qui sont ici ce soir qu'une chose m'inquiète. C'est le fait qu'on se dirige vers des luttes entre autochtones. Vous êtes là, bien tranquilles et bien sages, et vous nous dites qu'il n'y a pas vraiment de problème. Les gens qui sont touchés par la question voient les choses bien différemment, croyez-moi. Ai-je raison de croire qu'en dernier ressort, il y aura des procès fort coûteux pour tous ces gens-là? Ils doivent entièrement compter sur le gouvernement fédéral, qui a négocié, peut-être de bonne foi, pour obtenir les fonds qui leur permettront de défendre leur territoire ou leurs revendications, et vous nous dites que c'est une bonne façon de procéder?
Je suis convaincu que vous connaissez l'affaire Luuxhon. Je ne suis pas avocat, mais je sais qu'on en a tiré une conclusion. Le juge a accusé le gouvernement de négociations malhonnêtes et a fait référence au fait que le gouvernement n'était pas de bonne foi. Il prédisait que tout ce processus aurait des résultats dévastateurs si on n'y remédiait pas tout de suite. J'aimerais avoir vos commentaires à ce sujet. Je suis convaincu que vous connaissez l'affaire Luuxhon mieux que je ne la connaîtrai jamais.
M. McNeil: Je pense que je ne me suis pas bien exprimé. La disposition sur le règlement des différends s'applique aux Nisga'a, au gouvernement fédéral et au gouvernement de la Colombie-Britannique. Autrement dit, si le Canada et la Colombie-Britannique concluent une entente avec une autre nation autochtone, qui a un effet négatif sur l'accord nisga'a, alors les signataires de l'accord nisga'a doivent essayer de négocier pour trouver d'autres solutions. Autrement dit, les Nisga'a qui auraient perdu quelque chose au profit de peuples autochtones voisins auront le droit d'obtenir autre chose du gouvernement fédéral ou provincial.
Le sénateur St. Germain: À moins qu'ils y consentent, les Nisga'a ne sont pas obligés de changer l'accord.
M. McNeil: D'après le libellé de cet article, un autre accord peut primer sur celui-ci. Ils peuvent perdre des droits négociés si un peuple autochtone voisin négocie un accord qui a des effets négatifs. Ils ont un recours. Le recours, c'est que le Canada et la Colombie-Britannique doivent offrir une solution de remplacement.
Le sénateur St. Germain: Je le vois bien.
M. McNeil: Mais si les Nisga'a, le Canada et la Colombie-Britannique ne peuvent s'entendre sur la compensation à offrir aux Nisga'a, la question sera réglée par arbitrage ou par un procès. Ce n'est pas une revendication territoriale.
Le sénateur St. Germain: Sera-ce l'arbitrage ou le procès?
Le sénateur Tkachuk: Ou un arbitrage obligatoire?
M. McNeil: Dans le chapitre sur le règlement des différends, la troisième étape prévoit soit l'arbitrage, soit des procédures judiciaires.
Le sénateur St. Germain: Êtes-vous au courant des détails se rapportant aux chevauchements, dans ce domaine?
M. McNeil: Je sais qu'il y a des revendications qui se chevauchent, et qui peuvent être valables. Je ne veux pas formuler de commentaires à ce sujet. C'est une question de fait, plutôt que de droit.
Le président: Voulez-vous formuler un commentaire, monsieur Ryder?
M. Ryder: Non.
Le sénateur Beaudoin: Ma question est très courte. J'ai écouté très attentivement; à mon avis, vous dites que ce traité a été conclu après 1982, mais que l'article 35 de la Loi constitutionnelle couvre les traités signés depuis 1982. Par conséquent, ce traité est, comme bien d'autres, visé par l'article 35. Si c'est vrai, il est protégé par la Constitution. Que cela équivaille ou non à un troisième palier de gouvernement, c'est protégé par l'article 35. Si votre théorie est bonne, toute la discussion tombe.
Pour autant que je sache, la cour suprême a déclaré dans de nombreux cas que les droits issus de traités qui s'appliquent ici sont ceux qui existaient en 1982. Si vous me dites que la cour suprême va inclure dans ce groupe les traités à venir, alors je suis d'accord avec vous. Est-ce bien ce que vous me dites?
M. Ryder: Exactement. Je crois qu'on a apporté la modification de 1983 pour dissiper toute équivoque à cet égard. Bien entendu, du point de vue de la raison d'être de l'article 35, il est absurde de limiter la protection accordée aux traités qui existaient dans le passé, étant donné que le paragraphe 35(1) cherche à résoudre les problèmes qui se produisaient lorsque la protection des traités ne bénéficiait pas d'un statut constitutionnel, et qu'elle n'avait pas, par conséquent, de protection contre les dérogations unilatérales ne cadrant pas avec la dignité de l'État. Il s'agissait d'une tentative pour accorder une protection constitutionnelle aux traités, et, par voie de conséquence, pour rendre les droits issus de traités plus sûrs. Ainsi, les gouvernements allochtones canadiens tentaient de dire qu'à l'avenir ils se comporteraient d'une façon plus digne et qu'ils accorderaient une certaine priorité constitutionnelle aux traités. Étant donné la raison d'être et l'objet du paragraphe 35(1), il était bien entendu absurde de ne pas le restreindre aux traités historiques. Je pense que la modification de 1983 a été apportée uniquement au cas où il existerait des doutes à cet égard, parce que les termes «droits issus de traités existants» auraient pu être interprétés comme «existants à partir de».
Le sénateur Beaudoin: C'est la première fois que j'entends cet argument.
M. Ryder: Vous êtes certainement d'accord avec le fait que la formulation utilisée pour le paragraphe 35(3) est très claire à ce sujet? On y dit que les droits issus de traités existants comprennent les traités qui ont déjà été conclus et les droits issus de traités à venir. Ce n'est pas la citation exacte.
Le sénateur Beaudoin: En effet, les traités à venir. Si vous avez raison, cela signifie que le gouvernement du Canada pourrait conclure un traité avec une nation autochtone dans un avenir plus ou moins rapproché, et que ce traité serait protégé par l'article 35. On n'aurait pas besoin de modifier la constitution, à ce moment-là. Est-ce bien votre théorie?
M. Ryder: C'est bien ma théorie relativement à l'établissement des droits des peuples autochtones, en effet.
Pour en revenir à la question du sénateur Andreychuk, il est faux de conclure qu'il s'agit là d'un pouvoir illimité de faire des traités, parce que ce pouvoir est restreint par d'autres parties de la constitution et par la charte des droits. Comme la signature de traités est une prérogative gouvernementale, elle sera limitée par la charte.
Le sénateur Beaudoin: J'aimerais bien que ce soit les juges qui le déterminent.
M. Ryder: Je pense que ce serait très clair dans le contexte du projet de loi C-9. Il sera nécessaire de ratifier le traité et de le faire entrer en vigueur, et il s'agit là d'un geste du gouvernement fédéral qui tombe sous le coup, comme toute autre loi, de la Charte des droits et libertés.
Le président: Il n'y a pas un avocat, dans la salle, qui n'aimerait pas être cité à comparaître, pour un côté ou l'autre, devant la Cour suprême du Canada.
Le sénateur Beaudoin: J'ai été cité à comparaître.
Le sénateur Grafstein: Chacun voit 1982 et 1983 selon sa propre perspective. J'y étais, moi, en 1982 et 1983. Franchement, ma version personnelle des choses est qu'il était clair que les revendications territoriales seraient résolues par voie de traité, mais que les questions d'autonomie gouvernementale et autres sujets semblables demeuraient quelque peu différentes. C'est ainsi, je présume, que la Commission royale sur les peuples autochtones a conclu, il y a quelques années, que lorsqu'on en venait aux aspects de gouvernement, il fallait un amendement à la constitution. Vous l'avez lu. Je pense qu'il s'agit du volume 3, des dispositions sur l'autonomie gouvernementale. Pourquoi la commission royale en est-elle venu à la conclusion que lorsque nous parlons d'un troisième palier de gouvernement, par opposition aux revendications territoriales, il fallait un amendement constitutionnel, si votre théorie au sujet de la constitution est correcte?
M. Ryder: Vous faites référence au rapport de la Commission royale sur les peuples autochtones?
Le sénateur Grafstein: Oui.
M. Ryder: Monsieur McNeil connaît probablement mieux que moi le rapport, mais d'après ce que je comprends du chapitre sur l'autonomie gouvernementale et le rapport antérieur qui s'intitulait Partenaires au sein de la Confédération, je ne me souviens pas qu'ils aient dit qu'il était nécessaire d'avoir un amendement constitutionnel à cet égard. J'ai peut-être des problèmes de mémoire, mais je crois que c'était là la recommandation. On a conclu que les droits à l'autonomie gouvernementale des autochtones étaient inhérents, qu'on les reconnaisse explicitement ou non par un amendement constitutionnel, et qu'il existent parce qu'ils n'ont pas été entièrement éteints par une intention claire du gouvernement.
Le sénateur Grafstein: Je ne veux pas me lancer dans un débat à ce sujet. Je devrais peut-être relire les documents pertinents. Je pense qu'on en est venu à la conclusion, après avoir soigneusement étudié la preuve, que, pour des raisons de clarté et de concision, il fallait un amendement constitutionnel lorsqu'on parlait d'autonomie gouvernementale.
M. Ryder: Tout ce que je cherche à dire, c'est qu'on n'a pas précisé qu'il était nécessaire d'accorder une reconnaissance légale.
Le sénateur Grafstein: Rien n'est nécessaire.
J'aimerais maintenant qu'on passe à un autre aspect qui m'intéresse particulièrement. Votre mémoire est très intéressant à ce sujet. Nous avons entendu des témoignages, auparavant, au sujet de la Charte et du droit de vote. Cette question me préoccupe particulièrement. Les témoignages que nous avons entendus là-dessus sont très succincts. Il y a quelque 80 à 110 résidents non nisga'a sur les terres des Nisga'a, et ces résidents ne sont pas propriétaires. Ce sont surtout des enseignants, des médecins, et ainsi de suite. On nous a dit que, lorsque la question de leur droit de vote a été discutée, on n'a pas obtenu l'accord de 70 p. 100 de leurs collègues au sujet du vote.
Ensuite, je lis Corbiere et votre citation, de même que la dernière décision du juge McLachlin. Cela ne concerne pas ce dont je parle, mais plutôt une cause plus facile, d'une certaine façon. Il s'agit de membres d'une tribu qui vivent dans une réserve et qui demandent le droit de vote au sein de cette réserve. La conclusion, à ce sujet, pour reprendre les mots des juges McLachlin et Bastarache, était la suivante:
Toutefois, elles ne présentent pas d'éléments de preuve quant aux efforts qui auraient été déployés ou aux mécanismes qui auraient été envisagés et à leurs coûts, ni d'argument ou de précédent au soutien de la conclusion que le déni complet du droit constitutionnel pourrait être justifié par de tels coûts et des inconvénients d'ordre administratif. Dans les circonstances, nous devons conclure qu'il n'a pas été démontré que l'atteinte peut être justifiée.
J'attends que les Nisga'a nous reviennent pour que nous puissions traiter de la question. Le maire de Terrace nous a dit qu'il y avait un petit groupe de gens qui aimeraient avoir le droit de vote. Ils sont inquiets. Je comprends bien pourquoi ils ne veulent pas faire de réclamation, parce qu'ils travaillent là-bas. C'est donc à nous, du Sénat, de traiter des droits des minorités et des responsabilités régionales, et de faire des réclamations pour ceux qui ne peuvent les faire eux-mêmes.
Vous accordez peut d'importance à la chose en disant que les juges se serviront de l'article 5 pour protéger les droits. Il n'y a aucune disposition dans l'entente des Nisga'a au sujet des droits appropriés, mais on nous a dit qu'ils n'ont pas l'intention, à l'heure actuelle, d'accorder le droit de vote à ce groupe minoritaire. Vous dites que des préoccupations au sujet des droits des minorités ne devraient pas nous amener à rejeter le traité. Je ne dis pas que je suis sur le point de rejeter le traité; je dis simplement que j'aimerais bien être convaincu, avant que nous approuvions ce traité, que les droits des minorités seront entièrement protégés, là-bas comme partout ailleurs au Canada. Quelle est votre opinion à ce sujet?
M. Ryder: N'allez pas croire que j'accorde peu d'importance à cette question.
Le sénateur Grafstein: J'ai déjà discuté de ce problème avec vous ou avez votre collègue par téléphone.
M. Ryder: Je voulais traiter de cette question parce que je pense qu'elle est sérieuse. Je ne pense pas qu'il est bon de se pencher sur les dispositions du traité qui en parlent.
Je crois que la réponse la plus simple à votre question, c'est de dire que les résidents non nisga'a auront exactement les mêmes droits que tous les Canadiens conformément à la Charte des droits et libertés. C'est la raison pour laquelle la cause Corbiere me paraît très intéressante. En effet la Cour suprême du Canada y reconnaît que la situation des Indiens inscrits vivant à l'intérieur des réserves diffère de celle des Indiens inscrits vivant à l'extérieur des réserves, en ce qui a trait à leur participation au gouvernement de la bande. Les juges ont reconnu qu'il n'était pas approprié de conférer aux Indiens inscrits vivant à l'extérieur des réserves exactement les mêmes droits. Nous ne disons pas que les membres de cette minorité devraient avoir le droit de vote sur toutes les questions. Ce serait une erreur, parce qu'on ne reconnaîtrait pas, ainsi, le fait que ces gens se trouvent dans une position bien différente.
On peut sans doute présenter le même argument au sujet des résidents non nisga'a. Il serait erroné de leur accorder un droit de vote parce que l'intérêt qu'ils prennent dans les affaires relevant de la juridiction des Nisga'a est très différent de l'intérêt des citoyens nisga'a. Cependant, il serait également erroné de leur nier entièrement un droit de vote ou des droits à la participation à la vie politique générale. Voilà où il faut s'éloigner du traité. Il n'y a rien dans le traité disant que les citoyens non nisga'a n'ont pas ou ne peuvent pas obtenir le droit de vote, ni qu'ils ne peuvent avoir le droit de participer à la vie politique. Dans le traité, on retrouve un ensemble de solutions assez souples, ce qui correspond exactement à ce qu'a dit la cour suprême dans la cause Corbiere. Les juges de la cour suprême ont dit qu'il existe une gamme de solutions possibles devant faire l'objet de discussion, et si les solutions adoptées par le gouvernement nisga'a à ce sujet sont considérées comme insuffisantes par les résidents non nisga'a, ces résidents auront le droit, comme chacun d'entre nous, de se présenter devant les tribunaux pour dire que le gouvernement nisga'a viole leurs droits à l'égalité, prévus à l'article 15 de la Charte. En d'autres termes, ils possèdent exactement les mêmes droits que nous.
Le sénateur Grafstein: Il y a un ennui avec cet argument. Pour que nous respections notre mandat constitutionnel, nous devons faire une analyse grammaticale des 14 ou 16 domaines de souveraineté, plutôt que d'accorder à ces gens des droits de vote lorsqu'il est absolument clair, en raison des chiffres, que d'aucune façon, dans un proche avenir, ces 100 quelque résidents non nisga'a, qui vont changer avec le temps, mettront en danger la position majoritaire. Je trouve cette question très embêtante. Nous entendons très souvent des gens nous dire qu'il faudrait laisser le soin aux juges de se prononcer. Pourtant, nous peinons à essayer de rédiger un traité, qui sera incorporé dans la Constitution, et qui présentera un certain nombre de certitudes, qui ne sera pas entièrement changées par les juges. Je trouve cette question très embêtante.
Le président: Si vous ne voulez pas répondre, je considérerai qu'il s'agit d'une déclaration.
M. Ryder: Je peux répondre brièvement. Voilà exactement la même façon dont nos droits et libertés fondamentaux, y compris nos droits à la participation à la vie politique, sont protégés par les tribunaux. Il s'agit de la même situation pour les gens qui résident dans le territoire nisga'a. En fin de compte, notre confiance doit reposer, dans ce cas, comme ailleurs au pays, sur ces droits fondamentaux des minorités dont vous parlez.
Le sénateur Gill: J'aimerais intervenir. Nous avons discuté d'une question très importante, ce soir. Je pense que la plupart des autochtones croient qu'ils ont des droits. Personne ne demande de droits. La chose doit être claire. À mon avis, les autochtones du Canada ne demandent de droits. Ils croient qu'ils ont ces droits. La chose a été confirmée par la Proclamation royale, et reconfirmée par le rapatriement de la Constitution. Le droit allochtone l'a également confirmée.
On cherche une façon d'établir une relation avec les non-autochtones, une sorte de partenariat qui améliorerait les relations existantes. En rapatriant la Constitution et en adoptant la loi de 1983, il est clair que le gouvernement reconnaissait que les autochtones ont des droits inhérents, soit des droits qui existaient avant tout, y compris la prétendue découverte de ce pays. C'est un droit intrinsèque. En convenez-vous?
Je reprends quelque chose que vous avez déjà dit, mais il faut que ce soit bien clair. Nous réalisons des progrès énormes dans notre discussion d'aujourd'hui, et j'en suis ravi.
M. Ryder: J'en conviens. Le point de vue que vous exprimez va tout à fait dans le sens de ce que j'essaie de dire aujourd'hui.
M. McNeil: Je suis entièrement d'accord avec vous également. Ce qu'il nous faut, c'est un partenariat, une façon d'établir une relation avec les autochtones de sorte que tous les Canadiens, y compris les autochtones, puissent vivre en partenariat. Cela exige que l'on y réfléchisse beaucoup, puisqu'il y a d'importantes décisions à prendre. Cependant, comme M. Ryder l'a indiqué, la décision a été prise en 1982 quand on a choisi d'inscrire dans la Constitution les droits des peuples autochtones, pour leur assurer la protection qu'ils n'avaient pas auparavant. Certains de ces droits font à l'heure actuelle l'objet de négociations.
En négociant des ententes, les autochtones s'appuient sur leurs droits ancestraux. Si ces ententes, et les droits qui découlent des traités modernes, si on veut, n'étaient pas protégés par la Constitution, ils renonceraient à des droits ancestraux protégés par la Constitution en faveur de droits découlant de traités qui ne le sont pas. Pour cette raison, la protection constitutionnelle s'applique aussi bien aux ententes modernes de ce genre qu'aux traités historiques.
Le président: Je vous remercie tous les deux d'être venus aujourd'hui et je vous remercie des conseils et de l'appui que vous nous apportez. Comme vous pouvez le constater d'après les questions qui vous ont été posées, vos opinions ont suscité beaucoup d'intérêt chez nous.
Notre prochain témoin est M. Bill Whimney. Bienvenue, vous avez la parole.
M. Bill Whimney, président du comité des affaires autochtones, B.C. Wildlife Federation: Monsieur le président, tout d'abord, je voudrais vous préciser que je m'adresse à vous à titre de profane. Je n'ai pas de diplôme en droit et je ne prétends pas parler en tant que juriste. Je vous demanderai donc d'être patient avec moi.
Je représente une organisation qui regroupe 35 000 agents de protection de la nature dans la province de Colombie-Britannique, et qui chapeaute 147 organisations mixtes. La B.C. Wildlife Federation est le plus grand organisme de protection du poisson et de la faune en Colombie-Britannique. Ma participation directe à la négociation du traité nisga'a et dans le cadre de la Commission des traités de la Colombie-Britannique remonte à l'époque de la Commission consultative indépendante provinciale des revendications territoriales autochtones et se poursuit au sein du comité consultatif des négociations de traités et du comité consultatif régional.
Avant de parler du traité nisga'a, j'aimerais vous expliquer l'origine de notre intérêt pour les traités. Nous sommes depuis longtemps des participants volontaires aux négociations de traités. Il y a une quinzaine d'années, la B.C. Wildlife Federation a anticipé les conséquences des revendications territoriales globales, comme on aimait les appeler à l'époque, pour le poisson, la faune et la gestion des ressources. Nous étions d'avis que les questions indiennes devaient être réglées, que les négociations étaient la meilleure façon d'aboutir à une solution et que les traités toucheraient la vie de tous les citoyens d'une façon ou d'une autre. Nous avons également reconnu que nous partagions avec les autochtones nos préoccupations, nos intérêts et notre mode d'utilisation traditionnelle des ressources halieutiques et naturelles.
Je voudrais maintenant vous faire part publiquement de nos préoccupations au sujet du traité nisga'a. Étant donné que notre invitation à comparaître devant votre comité nous est parvenue tard, mon exposé ne sera ni détaillé, ni complet, mais j'espère que je pourrai faire ressortir nos principales priorités. Je suis convaincu que d'autres témoins viendront vous parler d'autres préoccupations, s'ils ne l'ont pas déjà fait.
Notre organisation est régie par les politiques que nous avons adoptées lors de notre assemblée générale annuelle de 1987, dont je vous ai soumis un exemplaire. Je voudrais vous exprimer nos inquiétudes par rapport au traité nisga'a à la lumière de certains principes énoncés dans notre politique.
D'abord, les pêches et les ressources fauniques ne doivent pas servir de monnaie d'échange dans les négociations portant sur les avantages sur des terres et d'autres ressources. Immédiatement avant la signature de l'entente de principe nisga'a, notre comité de la faune, le CCNT, a été mis au courant des attributions et des processus relatifs au poisson et à la faune. Quand l'entente de principe a été signée, on nous a informés que le document était très différent de ce que le comité de la faune avait appris en raison des concessions faites dans le cadre des négociations. Nous avons eu l'impression que le gouvernement avait agi de la sorte à cause des échéances qu'il s'était imposées et d'un manque total de mandats définis en ce qui a trait au poisson et à la faune. Le traité nisga'a n'a rien fait pour améliorer la situation.
Deuxièmement, les deux gouvernements, dans un cadre législatif, continueront à avoir le dernier mot en ce qui concerne les pêches, la faune et les autres ressources ainsi que sur la gestion et les attributions connexes. C'est ce qui revient dans le traité nisga'a à plusieurs reprises. Cependant, en ce qui concerne les comités de gestion, le traité précise que le ministre mettra en oeuvre les recommandations du comité, sinon il devra fournir une justification. Cela va dans le sens contraire de la décision de la Cour suprême du Canada dans l'affaire R. c. Sparrow, où il est dit qu'il incombe à quiconque conteste la loi de prouver à première vue qu'il y a eu violation. Si le ministre doit fournir une justification chaque fois qu'il y a un désaccord entre ses décisions d'ordre administratif et les recommandations du comité, ou si l'on permet au processus de devenir alambiqué ou contraignant, il sera alors difficile d'assurer une gestion opportune et efficace. Cela aura une incidence négative sur la protection de la nature et nuira à la récolte des non-autochtones. Les Nisga'a auront de toute façon le droit de pêcher ou de chasser pour des fins domestiques.
Troisièmement, le droit d'utiliser les ressources halieutiques et fauniques et l'accès aux activités récréatives de plein air doivent être garantis à tous les citoyens, conformément aux droits de propriété foncières et des exigences de gestion.
Manifestement les Nisga'a auront le pouvoir d'imposer des droits et des conditions à quiconque voudra exploiter les ressources halieutiques sur les terres nisga'a. Cela élargit la portée de l'autorité normalement associée à la propriété en fief simple et pourrait avoir des effets néfastes sur l'exploitation des ressources par les non-autochtones sur les terres nisga'a.
Quatrièmement, le rapport coûts-avantages, sur les plans économique et social, doit figurer dans toutes les propositions faisant l'objet de négociations. Il est important de comprendre les coûts et les avantages tant pour les autochtones que pour les non-autochtones, si l'on veut que le public appuie les solutions.
Rien ne semble indiquer que ces études ont été faites avant la signature d'une entente de principe ou du traité. Il est clair, d'après le manque d'attention réel accordé à la gestion des ressources halieutiques et fauniques sur les terres définies dans le traité, que les avantages conférés par le traité aux Nisga'a priment sur les coûts ou les avantages pour les autres. On ne semble pas non plus avoir prévu de protection pour les droits des non-autochtones dans cette façon pêle-mêle dont les pêches et la faune seront gérées compte tenu de l'enchevêtrement des territoires traditionnels autochtones, des règlements et des revendications territoriales en vertu de traités et des comités des pêches et de la faune prévus par des traités.
Cinquièmement, l'autonomie gouvernementale indienne au niveau des municipalités et des districts régionaux est quelque chose d'acceptable, mais le concept de nations distinctes et indépendantes ne l'est pas. L'autorité et la responsabilité des gouvernements provincial et fédéral doivent être primordiales.
Dans de nombreux passages du traité, on prévoit que s'il y a un conflit entre les lois d'application générale et les lois établies par le gouvernement nisga'a, ce sont les lois nisga'a qui prévaudront. Un gouvernement au niveau municipal ou au niveau d'un district régional n'aurait pas une telle prérogative; on semble créer ainsi un nouvel ordre de gouvernement. Cela est inadmissible pour notre organisation, puisqu'on risque de se heurter à des conflits de champs de compétence en ce qui concerne les pêches et la faune, ce qui nuira inéluctablement à la gestion efficace de ces ressources.
Sixièmement, il faudra faire intervenir des tiers dans les négociations. Les gouvernements fédéral et provincial doivent, étant les principaux représentants des intérêts non autochtones, faire en sorte que les organisations non gouvernementales aient un rôle actif à jouer dans les négociations.
L'entente de principe et le traité ont tous deux été négociés dans le secret. Notre participation se limitait à donner notre point de vue sur les concepts généraux uniquement, et nous n'avons pas reçu suffisamment de renseignements sur les négociations pour être en mesure d'évaluer les progrès, ni l'ampleur de leurs conséquences pour nos intérêts ou nos droits. À toutes les étapes de la négociation, on nous a empêchés de parler, sauf dans les termes les plus vagues, des renseignements obtenus ou des discussions auxquelles nous avons participé, en nous obligeant à signer un accord de confidentialité. Le nouveau mécanisme de négociation de traités de la Colombie-Britannique est nettement plus ouvert et nous espérons qu'il donnera des résultats plus acceptables.
Septièmement, la B.C. Wildlife Federation est contre la vente ou le commerce des ressources fauniques au-delà de ce que permettent les lois actuelles d'application générale. Ce principe remonte à la fin du XIXe siècle et au début du XXe, lorsque la quête de marchés a failli détruire la faune du Canada et des États-Unis. Le traité nisga'a renferme des dispositions allant dans ce sens. Avant l'arrivée des Européens, cette pratique était peut-être essentielle au mode de vie nisga'a. Or de nos jours, étant donné la capacité qu'on a de s'assurer un revenu grâce à des moyens différents et à des méthodes modernes de récolte, nous ne croyons pas qu'il soit justifié de retourner à cette pratique ancienne et inappropriée.
Huitièmement, on ne doit pas autoriser la vente du poisson pêché à des fins communautaires -- subsistance, activités sociales et cérémonies. Le traité prévoit que ce genre de pêche est distinct et qu'il est, par conséquent, exclus des dispositions normales des protocoles sur la gestion des pêches. Si on autorise les Nisga'a à vendre ce poisson, ils risquent d'abuser de ce droit quand les quotas sont plus faibles que dans les autres types de pêche.
L'un des plus graves défauts du traité nisga'a est le manque de certitude. Pourtant, le gouvernement nous a garanti au début que les traités apporteront de la certitude. Cela est peut-être vrai au niveau de l'administration du gouvernement. Cependant, la B.C. Wildlife Federation représente les intérêts pratico-pratiques de particuliers et de groupes de citoyens en ce qui concerne les pêches et la faune. Nos membres recherchent le genre de certitude qui leur garantit que leurs intérêts sont protégés de façon simple, efficace et compréhensible. Ils veulent également avoir la possibilité réelle de participer à la gestion de ces ressources en tant que parties concernées et non à titre d'observateurs.
Étant donné la nature migratoire de ces ressources, il est impératif que la gestion soit assurée au niveau régional et au niveau des bassins hydrographiques. Le chevauchement ou le conflit des champs de compétence, l'enchevêtrement des comités de gestion autochtones ou l'exclusion des organisations non autochtones d'une participation réelle mèneront inéluctablement à un désastre et au mécontentement.
L'efficacité de tout traité ou entente réside dans sa mise en oeuvre. Il sera très difficile de mettre en application les dispositions du traité nisga'a relatives à la faune étant donné le risque de mal les interpréter.
Tout au long des négociations, comme en témoignent bien les comptes rendus des réunions du comité consultatif de négociation des traités, nous avons exigé une définition des termes qui nous semblait être importante pour la compréhension des enjeux. Au comité de la faune du CCNT, nous avons passé plus de six mois à essayer de définir le terme «protection de la nature», terme très important et souvent utilisé. Nous avons également essayé de définir l'expression «risque considérable». Ces termes sont beaucoup utilisés dans le traité, mais ils ne semblent pas figurer dans la rubrique définition. S'il est vrai que les traités ne font pas l'objet de contestations devant les tribunaux, il en va autrement de leurs interprétations. Les définitions faisant défaut, il est impossible d'interpréter les dispositions du traité relatives à la pêche et la faune ou le rôle du ministre, des Nisga'a ou des tierces parties. Vous trouverez une définition que nous proposons dans les documents joints à notre mémoire.
Il sera difficile pour les non-Nisga'a de participer au conseil d'administration du comité de la faune étant donné que les participants nisga'a recevront 20 000 $ par année, en plus de se faire rembourser les dépenses relatives à leur participation. En revanche, les participants non nisga'a ne recevront rien en contrepartie et doivent assumer leurs propres dépenses. Il faut ajouter à cela le fait que la gestion de la faune ne sera plus assurée par les bureaux de la faune régionaux et provinciaux, mais par des bureaux moins centralisés. On ne peut s'empêcher de se sentir exclus. Conjugué au manque de progrès réalisé en vue de la mise sur pied de comités et les conflits manifestes qui découlent déjà de l'utilisation des ressources par les autochtones et de certaines questions de priorité quant à l'utilisation par d'autres intervenants, ce facteur contribue à accroître nos doutes.
Ce qu'il est intéressant de noter au sujet du traité nisga'a, c'est que tout au long du processus de négociation, on nous a expliqué que si le climat semblait favoriser les droits des autochtones plutôt que ceux des non-autochtones, et parfois même à l'exclusion de ceux-ci, c'était à cause de la façon dont on avait interprété le contentieux des autochtones. Il est important de signaler que dans l'arrêt Marshall du 17 novembre 1999, en citant une motion demandant une nouvelle audition et une suspension, la cour suprême expliquait dans son jugement que les gouvernements avaient, à tort, fermé les yeux sur les droits des non-autochtones, parce qu'ils avaient mal interprété les jugements précédents. À notre avis, ces erreurs d'interprétation ont entraîné des attentes déraisonnables de la part des autochtones, ont incité les gouvernements à considérer les droits, intérêts et préoccupations des intéressés non autochtones comme étant négligeables. Cela pourrait expliquer pourquoi beaucoup de nos recommandations n'ont pas trouvé leur place dans ce traité et l'absence d'harmonie qui semble en découler.
À notre avis, le traité nisga'a a pour objectif de s'attaquer aux insuffisances qui existent dans la relation entre les citoyens et les collectivités autochtones et non autochtones et d'aider à développer des relations harmonieuses entre ces collectivités tout en respectant le droit de tous les Britanno-Colombiens. Toutefois, les préoccupations que nous évoquons ici, si elles ne trouvent pas leur écho ailleurs, pourraient devenir des obstacles empêchant d'atteindre cet objectif des plus louable.
Le sénateur Chalifoux: J'ai sous les yeux une interprétation des traités concernant la gestion des pêches et de la faune. Je lis ici que le ministre des Pêches et des Océans et la province maintiendront leur responsabilité de conservation et de gestion des pêches et de l'habitat halieutique conformément à leurs compétences respectives. De plus, le gouvernement nisga'a peut adopter des lois portant sur la gestion de la pêche nisga'a, si ces lois correspondent au plan de pêche annuel des Nisga'a approuvé par le ministre.
J'entends de votre part un son de cloche tout à fait différent, et c'est pourtant ce que dis ici le traité.
M. Whimney: En fait, vous avez répondu vous-même à votre question, puisque le traité dit que le ministre doit approuver, si cela correspond au plan des Nisga'a. Le traité établit très clairement que, s'il y a écart entre le plan des Nisga'a et les objectifs du ministre pour son ministère, c'est lui qui doit se justifier.
Le sénateur Chalifoux: Non, ce n'est pas ce que j'ai dit. J'ai dit que si les lois correspondaient au plan de pêche annuel des Nisga'a tel qu'il a été approuvé par le ministre, le ministre doit alors approuver le plan avant de faire quoi que ce soit.
M. Whimney: Ça, c'est une question de compétence. Toutefois, ailleurs dans le document, on peut lire que si les Nisga'a présentent leur plan, le ministre approuvera le plan et devra se justifier s'il refuse de le faire. Nous, nous affirmons que si le ministre n'est pas celui qui a le mot de la fin, et si son ministère doit, à chaque fois qu'il y a un petit changement au protocole de gestion, notamment, passer des heures à se justifier, cela peut finir par embourber sérieusement la gestion des pêches et de la faune, au point où les décisions pourraient ne pas être prises de façon opportune.
Le sénateur Chalifoux: On dit ici que les Nisga'a prépareront un plan annuel de pêche pour tous les saumons et les autres espèces de poisson. Une fois que le plan de pêche annuel des Nisga'a aura été examiné, s'il est jugé satisfaisant, il sera approuvé par le ministre des Pêches et des Océans. Le plan doit donc satisfaire le ministre.
M. Whimney: Moi, je vous parle de toutes les circonvolutions du processus. Je n'ai rien contre la participation des Nisga'a dans la gestion des pêches et la possibilité pour eux de proposer des plans. Pour vous donner un exemple, avant, nos règlements provinciaux de pêche et de chasse étaient rendus publics le 30 mars, et les permis pour la nouvelle année entraient en vigueur le 1er avril. Depuis trois ans, nos règlements ne cessent d'arriver de plus en plus tard; Les règlements de chasse de l'année dernière, par exemple, ont été rendus publics au début de juillet alors que la saison de chasse commence à la mi-juillet. Autrement dit, les gens n'ont pas le temps de faire des plans, ni de comprendre où ils doivent se rendre et ce qu'ils doivent faire; or, le gouvernement nous a expliqué que tous ces reports étaient nécessaires à cause des autochtones.
Nous voyons ce traité nisga'a comme le premier d'une longue série, tout comme l'est le cheminement suivi dans le traité nisga'a. Ce qui nous préoccupe, c'est que la gestion de la faune et des pêches deviendra à ce point complexe qu'elle en arrivera à piétiner, ce qui empêchera les non-autochtones de chasser ou de pêcher, tandis que les autochtones auront le droit de le faire pour des usages domestiques, qui sont aussi la raison pour laquelle nous, les non-autochtones, chassons et pêchons. Toutefois, vous remarquerez que, dans le traité, la chasse et la pêche pour des fins domestiques ne fait pas partie du plan de gestion.
Le sénateur Chalifoux: À une époque, j'avais un permis domestique pour ma famille qui me permettait de pêcher dans le nord de l'Alberta, et c'est pourquoi je sais exactement ce dont vous parlez. Ce permis domestique ne servait qu'à ma propre famille, et était réservé aux usages domestiques; il ne pouvait servir à vendre des produits. Je suis bien obligée de remettre en question votre justification.
M. Whimney: Mon organisme ne remet pas le moins du monde en question le droit des autochtones de pêcher pour s'alimenter ou pour des fins sociales ou cérémoniales. En fait, nous avons l'intime conviction que c'est là non seulement un droit pour les autochtones, mais un droit pour tous les citoyens. Aujourd'hui, on parle de ce droit comme étant le droit des autochtones, parce que ce sont eux qui, au départ, ce sont tournés vers les tribunaux pour leur demander de trancher. J'ai l'intime conviction que si je demandais à la Cour suprême du Canada si j'ai le droit de pêcher ou de chasser pour subvenir aux besoins de ma famille, qu'on me confirmerait ce droit. On pourra peut-être m'informer que mes besoins doivent se limiter à ce que m'imposera le plan de gestion des ressources du gouvernement, ce qui me semblera approprié. La Cour suprême a établi clairement que la priorité la plus haute, c'était la conservation. Toutefois, dans la réalité, nous croyons que tous les citoyens ont le droit de chasser et de pêcher pour s'alimenter et pour des fins sociales et cérémoniales.
À notre avis, la structure que de ce traité veut créer est de nature à paralyser vraisemblablement le cheminement et le rendre à ce point complexe que la pêche et la chasse des non-autochtones est vouée à l'immobilisation tandis que celle des autochtones pourra être maintenue. Nous ne craignons pas que les Nisga'a chassent ou pêchent en excès ou abusent de leur droit. Ce que nous craignons, c'est que les Nisga'a fassent éventuellement face au même problème auquel se sont heurtés nombre d'autres Canadiens, à savoir qu'ils s'embourberont dans les méthodes du gouvernement. Les Nisga'a savent aujourd'hui à quel point il est difficile de se perdre dans les dédales du gouvernement. À notre avis, ce traité finira par faire de nous ce que les gouvernements ont fait des Nisga'a depuis 125 ans, ce qui n'est pas de bon augure. Et nous comprenons pourquoi la situation leur est inconfortable.
Le sénateur Lawson: À la page 4 de votre texte, vous dites que la participation des non-Nisga'a au comité de la faune sera limitée du simple fait que les Nisga'a qui en font partie recevront 20 millions de dollars par an, et se verront rembourser leurs frais de participation, tandis que les non-Nisga'a ne recevront pas un sou et devront assumer leurs propres dépenses.
La formation de ce comité est-elle prévue à l'accord nisga'a?
M. Whimney: En effet.
Le sénateur Lawson: Et on parle spécifiquement de 20 millions de dollars versés aux participants nisga'a?
M. Whimney: Il est prévu que les dépenses des Nisga'a seront remboursées. Nous avons réussi à convaincre le gouvernement d'accepter parmi les participants non autochtones un des représentants de la Fédération de la faune de la Colombie-Britannique, puisque nous sommes fortement représentés dans cette province. On nous a répondu que nous devrions alors assumer nos propres dépenses. N'oubliez pas que ce comité nisga'a devrait se réunir, en toute logique, sur le territoire nisga'a. Après tout, il faut comprendre que c'est leur territoire.
Le sénateur Lawson: Combien de personnes doivent siéger à ce comité? Le nombre de membres est-il prévu?
M. Whimney: Je pense que c'est sept ou neuf.
Le sénateur Lawson: Au total?
M. Whimney: Je ne suis pas sûr du nombre total des membres. Pour notre part, nous avons un représentant.
Le sénateur Lawson: Qui d'autre y siège, à part les Nisga'a?
M. Whimney: Le traité prévoit qu'il y a autant de représentants du gouvernement provincial que des Nisga'a, avec en plus, un poste pour un représentant du gouvernement fédéral. C'est, en tout cas, la façon dont j'ai compris le traité, et nous ne contestons pas non plus la composition du comité.
Le sénateur Lawson: S'il y a neuf membres, huit d'entre eux sont-ils remboursés et le dernier pas?
M. Whimney: Sans doute, oui.
Le sénateur Lawson: Que fait-on de la loi fédérale imposant l'équité salariale, c'est-à-dire salaire égal à travail égal? Qu'est-ce qu'on en a fait? Qui a négocié cette disposition?
M. Whimney: Merci de votre suggestion, je n'avais pas encore pensé à cet argument.
Le président: Vous pourrez reprendre la question demain avec le ministre, ou avec les Nisga'a.
Le sénateur Lawson: Je ne voterai certainement pas pour un accord qui prévoirait ce type de condition, même si c'est la seule du genre. Si on ne peut pas être équitable pour une question aussi simple que la composition d'un comité, comment pourrait-on l'être pour tout le reste?
Le président: Nous accueillons maintenant M. Neil Sterritt.
M. Neil J. Sterritt: Merci de m'avoir invité ce soir. D'entrée de jeu, je voudrais présenter mon collègue, Wiimiwosiic Larry Skulsh, chef héréditaire du bassin Nass, qui voudrait vous parler brièvement.
M. Larry Skulsh, chef héréditaire, bassin de Nass: Monsieur le président, mesdames et messieurs du Sénat.
[Larry Skulsh parle dans sa langue maternelle.]
Je suis un chef héréditaire dont le territoire se trouve sur le bassin hydrographique Nass. J'ai reçu le titre de chef héréditaire en 1994, après le décès de mon oncle. Notre démarche remonte déjà à 1983; nous avons discuté de cette question avec les Nisga'a pendant de nombreuses années, mais très peu de progrès a été accompli sur le protocole établi en 1995, Ce protocole a fini par ne plus avoir d'importance, au fur et à mesure que l'entente de principe s'accélérait.
M. Sterritt vous parlera des dossiers que nous avons abordés au cours des ans.
M. Neil J. Sterritt: Je travaille sur ce dossier depuis que je suis revenu chez moi en 1973. J'étais directeur de recherche sur les revendications territoriales pour le conseil tribal gitxsan dans les années 70. Dans la foulée de l'arrêt Calder en 1973, j'ai d'abord commencé à travailler sur la pétition nisga'a et sur ce type de problème.
J'ai été le chef des Gitxsans de 1981 à 1987. Dès le départ, j'ai travaillé en étroite collaboration avec le frère aîné de M. Gosnell, James, de même qu'avec Rod Robinson, pour toutes les questions constitutionnelles. Cela fait longtemps que je me penche sur la question. J'étais chef lorsque l'affaire Delgamuukw a démarré. Les gouvernements fédéral et provincial n'ont montré aucune volonté politique de régler ces grandes questions qui étaient si importantes pour nous, et dont vous avez parlé plus tôt.
Comme vous êtes très occupé, je ne m'étendrai pas davantage sur cette question ou sur l'aspect politique des revendications territoriales; je préférerais vous parler des territoires gitxsans dans le bassin hydrographique Nass. Je parlerai à titre personnel, et comme on ne peut pas parler de la frontière nisga'a dans le bassin Nass sans parler de la frontière Gianyow je vous parlerai des deux.
J'ai fait distribuer mon mémoire, dans lequel se trouve une carte tirée du volume BC Studies: the Nisga'a Treaty Je ne me reporterai pas à cette carte, mais elle pourra vous être utile plus tard. Dans mon mémoire, je vous renvoie aux cartes. J'ai signé l'un des chapitres de BC Studies: the Nisga'a Treaty. J'ai été l'un des auteurs principaux de Tribal Boundaries in the Nass Watershed, qui traite à fond la question que nous avons lancée lors du Protocole de 1995 et qui n'a jamais été exposée. Je vous en parlerai au fur et à mesure que je vous expliquerai mon mémoire.
Dans le mémoire, vous trouverez également des détails sur les négociations conjointes entre les Nisga'a et les Gitxsans, à l'époque où nous avons tenté de résoudre le chevauchement, comme le prévoyait le protocole. Vous trouverez entre crochets soit une confirmation de ce qui fut dit lors des réunions puis confirmé par lettre des Nisga'a aux Gitxsans ou vice versa, soit d'autres pièces de correspondance sur cette question.
Toute cette information, correspondance et bandes, peut être accessible. Vous trouverez tous les renvois dans le mémoire qui est aussi exhaustif que possible. Nous allons partir de là.
Mon témoignage vise à expose les conséquences que pourrait avoir le refus du gouvernement et des Nisga'a de tenir compte équitablement des revendications territoriales contradictoires, c'est-à-dire de tenir compte du chevauchement, tout au long des négociations menant au traité nisga'a.
La raison et le bon sens voudraient que les questions de chevauchement soient résolues avant que l'on ne signe les traités. Une nation autochtone qui réclame des titres sur ses terres ne peut le faire isolément, sans tenir compte de ses autres voisins autochtones. Or, les terre nisga'a ont été établies sans que l'on tienne compte des déclarations claires et maintes fois répétées de propriété que les Gitanyows et les Gitxsans ont faites clairement et à de nombreuses reprises.
Passons maintenant à la page 2, paragraphe 3: Non seulement la revendication récente des Nisga'a est-elle exagérée, mais il est démontré que le peuple nisga'a et le gouvernement ont tous deux fait preuve de mauvaise foi vis-à-vis des Gitxsans et des Gitanyows sur la question du chevauchement. Les Nisga'a ont induit en erreur la population depuis le début. Les Nisga'a et le négociateur fédéral -- de même que les négociateurs provinciaux -- ont induit en erreur le Sénat au sujet des droits fonciers nisga'a du traité, et je vous le prouverai.
Je saute le paragraphe 4 et vais directement au paragraphe 5. J'aborderai donc quatre thèmes: d'abord, l'existence d'un chevauchement territorial qui couvre des terres appartenant aux Gitxsans et aux Gitanyows; en second lieu, l'historique des efforts déployés par les Gitxsans pour obtenir des Nisga'a qu'ils résolvent le chevauchement; en troisième lieu, la mauvaise foi des Nisga'a, de la Colombie-Britannique et du Canada devant la question du chevauchement; et en quatrième lieu, la désinformation sur le chevauchement.
Passons maintenant à la page 3, paragraphe 2: Il ne fait aucun doute que les Nisga'a ont toujours eu conscience des territoires et des frontières qu'ils partageaient avec leurs voisins Gitxsans et Gitanyows. Vous trouverez cela sous la rubrique «Le titre ancestral et l'importance des frontières».
Dans l'arrêt Delgamuukw, la Cour suprême du Canada établissait que le titre autochtone constituait le droit à l'utilisation et à l'occupation exclusives de territoires. Or, la revendication des Nisga'a à la totalité du bassin hydrographique de Nass chevauche des territoires connus comme étant ceux des Gitxsans et des Gitanyows. Les revendications des Nisga'a ne sont pas étayées par les histoires orales ni par les dossiers documentaires traitant des territoires Gitxsans et Gitanyows. Les terres en fief simple et les autres avantages accordés aux Nisga'a au nord de la rivière Kinskuch au cours des négociations en vue du traité sont situées sur des territoires qui ne leur appartiennent pas; si le projet de loi C-9 est adopté, ces terres en fief simple et les autres avantages seront constitutionnalisés sous forme de droits conventionnels.
Si vous regardez la carte et que vous suivez la Nass qui coule vers le nord, vous trouverez la rivière Kinskuch située environ au premier tiers vers le nord. En gros, cela se trouve à l'endroit où la Nass, qui coule vers le nord-est, change de direction pour monter vers le nord-ouest. C'est la région des rivières Kinskuch et Kiteen.
Rien ne prouve que les Nisga'a ait des territoires au nord de ces deux rivières, même s'ils revendiquent l'entièreté du territoire qui se trouve dessiné en jaune sur vos cartes. La zone en jaune représente l'ensemble du bassin hydrographique Nass.
Je passe maintenant au paragraphe 4 de la page 3: Les preuves historiques et récentes mises de l'avant pas les Nisga'a démontrent que ceux-ci partagent une frontière avec les Gitanyows, à environ un tiers du chemin parcouru par la Nass vers le nord, et que ce territoire représente environ un tiers de celui qui est revendiqué par les Nisga'a. La carte de tout le bassin hydrographique Nass vous montre la zone des rivières Kinskuch et Kiteen, là où se trouve la frontière entre les Nisga'a et les Gitanyows et, par conséquent, où se trouve le chevauchement. Autrement dit, tout ce qui est revendiqué au nord des rivières Kinskuch et Kiteen, et qui représente en gros un tiers de tout le territoire vers le nord, représente un chevauchement du territoire avec celui des Gitanyows, celui des Gitxsans, et aussi -- soit dit en passant -- celui des Tahltans. Pour illustrer mes propos, vous trouverez des exemples en annexe de mon mémoire. De plus, vous trouverez d'autres preuves dans deux publications: Tribal Boundaries in the Nass Watershed, publiée chez UBC Press en 1998 et BC Studies: The Nisga'a Treaty. Je répète que vous trouverez des mentions de correspondance dans ces documents.
Le prochain point sur lequel je m'arrêterai est le manque de bonne foi de la part des Nisga'a, ce dont on a parlé au Sénat. Tout d'abord, les Gitxsans estiment que les Nisga'a ont négocié des protocoles d'entente avec eux pour donner l'impression aux négociateurs fédéraux et provinciaux et au grand public de vouloir vraiment régler les problèmes de chevauchement. Nous avons beaucoup d'exemples, qu'il s'agisse de correspondance ou d'enregistrements de conversations, qui le prouvent.
Depuis 1983, les Gitxsans approuvent les discussions à ce sujet pour essayer réellement de régler le problème. C'est pourquoi ce livre a été écrit et c'est pourquoi nous avons fait un certain nombre d'autres choses.
Point numéro 2 à la page 4. En octobre 1986, les Gitxsans sont allés à une réunion à New Aiyansh où un porte-parole des Nisga'a a convenu que la pétition de 1913 n'inclut pas toute la rivière Nass. J'y reviendrai plus tard. Cela se trouve, vous le verrez, dans Tribal Boundaries in the Nass Watershed à l'annexe 5, page 261. Cela montre la pétition des Nisga'a telle qu'ils l'interprètent et cela montre qu'ils ne vont pas jusqu'à l'extrémité supérieure du fleuve, comme ils le prétendent et comme ils l'ont récemment prétendu devant le Sénat.
Point numéro 4: En 1995, les chefs des Gitxsans et des Nisga'a ont signé un protocole qui devait: «lancer un processus visant à déterminer les limites territoriales entre les Gitxsans et les Nisga'a». Le protocole exigeait que chaque partie retire les terres contestées des négociations du traité tant qu'elles ne seraient pas parvenus à une entente mutuelle. Ce protocole a été signé par M. Gosnell et par notre chef à l'époque, Gordon Sebastian, en mai 1995.
À propos du protocole de 1995, M. Gosnell a écrit à M. Ebbels et à M. Osborn, le 12 juin 1995. Cette lettre aux négociateurs fédéraux-provinciaux déclarait:
Nous ne pensions pas négocier la définition précise du territoire traditionnel nisga'a à cette étape des négociations, si bien que notre protocole avec les Gitxsans ne devrait déranger en aucune façon notre calendrier de négociation.
Je cite là une lettre de M. Gosnell aux négociateurs fédéraux datée du 12 juin 1995.
Je ne reviendrai pas sur les points 6, 7, ni 8, que j'ai déjà abordés. À la page 5, au point 9, on signale qu'à l'occasion d'une réunion mixte le 26 avril 1996, les représentants nisga'a ont insisté pour que «le partage et la coexistence» soient le premier objet du protocole, faisant fi de l'objet sur lequel nous nous étions au préalable mis d'accord. Les Gitxsans ont convenu que le partage et la coexistence étaient des principes importants, mais qu'ils n'intervenaient qu'après avoir déterminé qui procède au partage et qui partage quoi avec qui. La question de l'étendue du titre Nisga'a devait encore être réglée. Le procès-verbal de cette réunion et ces déclarations ont été confirmés dans une lettre de M. Don Ryan, notre négociateur en chef, à M. Gosnell, le 26 avril 1996.
M. Ryan écrivait que les Gitxsans réviseraient les limites si elles étaient mal tracées. Quand on leur a demandé d'en faire autant, les Nisga'a n'ont pas répondu.
Point 10, page 5: M. Rod Robinson, directeur général du conseil tribal nisga'a à l'époque a écrit:
Le comité [...]
C'est-à-dire le comité du protocole.
[...] représentant les Nisga'a a reçu des instructions spécifiques visant la conclusion d'un accord avec les Gitxsans sur le partage et la coexistence que vous avez refusé.
C'est M. Robinson qui écrivait à M. Ryan le 7 mai 1996.
M. Robinson a également déclaré que les Nisga'a n'étaient pas prêts à reconnaître le droit de propriété des Gitxsans sur la haute-Nass parce qu'ils avaient des preuves indiscutables de leur propriété depuis des temps immémoriaux. Or les Nisga'a n'ont jamais présenté ces preuves aux Gitxsans.
Je passe maintenant au point 11, page 6. À une réunion mixte du comité du protocole, les membres du comité nisga'a ont déclaré:
[Nous] ne voulons rien voir qui puisse ralentir la signature du traité [...] l'accord de principe [...] et je répète, nous réalisons maintenant que de laisser cela courir davantage ne fait que freiner inutilement l'accord définitif. C'est ce qui a été déclaré à une réunion du comité du protocole nisga'a.
Notre négociateur en chef l'a confirmé dans une lettre à M. Gosnell en mai 1996.
En réponse, point 12, M. Gosnell écrit:
Nous espérons que vous comprendrez aussi que nous ne pouvons permettre qu'une entente sur une limite territoriale puisse être une condition préalable à la conclusion d'un accord définitif avec la Colombie-Britannique et le Canada. Cela vient d'une lettre de M. Gosnell à M. Ryan, datée du 17 juin 1996.
Il est extraordinaire que le Canada, avec ses responsabilités spéciales vis-à-vis des voisins des Nisga'a, accepte cette façon de procéder en matière de traité.
Les Gitxsans ont ensuite proposé de se mettre d'accord sur un arbitre indépendant qui répondrait à la question suivante: «Les Nisga'a ont-ils un titre et un droit ancestral sur le bassin fluvial de la Nass au-delà du confluent de la Bell-Irving et de la Nass»? Cette question se trouvait dans une lettre que j'ai écrite à M. Gosnell le 20 juin 1996.
Trouvez le lac Meziadan au milieu de la carte et remontez un peu, et vous verrez où la Bell-Irving se jette dans la Nass. C'est ce point que nous indiquions parce que notre frontière avec les Gitanyows se trouve là. Il ne peut pas y avoir de frontière avec les Nisga'a, leur territoire peut-il donc aller jusque-là? C'était la nature de la question. Nous estimions qu'il était temps d'avoir un arbitre indépendant qui s'occupe de la question.
M. Gosnell a finalement promis qu'une réponse complète à notre document sur les frontières tribales serait préparée et mise à la disposition des Gitxsans, Gitanyows, de la Colombie-Britannique et du Canada. C'était une lettre du 1er août 1996 de M. Gosnell à M. Ryan. M. Gosnell dit aussi:
[...] il n'y aura pas d'autres réunions entre les comités nisga'a et gitxsans du protocole tant que notre réponse complète à votre document n'aura pas été finalisée.
Nous avons remis ce document, en 15 exemplaires, aux Nisga'a en novembre 1995. Cela fait plus de cinq ans. Nous n'avons jamais eu de réponse.
La page 7 porte sur le fait que les Nisga'a et le gouvernement fédéral ont mal informé la population. Nous disons que la rhétorique et les expédientes politiques ont marqué les déclarations nisga'a et fédérales ou provinciales devant les médias et le grand public. Les exemples donnés montrent que le Sénat a également été induit en erreur.
Je ne reviendrai pas sur tout cela. Nous avons des preuves; je peux vous les montrer. Nous ne parlerons que de ce qui vous a été dit depuis que vous avez entrepris vos audiences.
Tout d'abord, les Nisga'a déclarent qu'ils ont toujours affirmé leur droit de propriété sur le bassin de la Nass, qu'ils sont les seuls autochtones à résider sur les rives de la Nass et qu'ils ont toujours suivi la description de leur territoire donnée dans la pétition de 1913. C'est ce qu'ils vous ont dit dans leur mémoire intitulé «Les faits sur le conflit nisga'a-gitanyow» -- le 25 novembre 1999.
Cette prétention est sans fondement. En 1986, les chefs nisga'a m'ont remis deux cartes à Terrace, en Colombie-Britannique. Elles portaient les marques «Map 1» et «Map 2». La première carte était la pièce 2 dans Calder. La carte 2 contenait la note suivante, note des Nisga'a: «La carte 2 représente la limite des revendications territoriales des Nisga'a telle qu'indiquée dans la pétition nisga'a... en 1913». Dans l'ouvrage Tribal Boundaries in the Nass Watershed, aux pages 142 et 143, vous verrez les cartes 18 et 19. Ce sont les deux cartes auxquelles je fais allusion. Ces cartes n'ont pas été tracées par les Gitxsans, mais par les Nisga'a. Elles m'ont été remises avec ces deux notes.
En outre, aux pages 140 à 146, on explique longuement tout le contexte, non seulement de la pétition nisga'a de 1913, mais également le fait que nous avons découvert en faisant des recherches, qu'il y avait une pétition en 1908 qui indiquait jusqu'où sur la Nass s'appliquait la pétition en question.
Le bassin de la Nass représente 21 150 kilomètres carrés. D'après leurs calculs, la revendication des Nisga'a sur 15 900 kilomètres carrés sur la carte 2 -- leur propre interprétation de la pétition de 1913 -- dont environ 5 300 kilomètres carrés se trouvent à l'extérieur du bassin de la Nass. Ainsi la revendication nisga'a dans le bassin de la Nass à partir des calculs permis par ces cartes représenterait environ 11 000 milles carrés. Il faut savoir que ce chiffre peut fluctuer.
Les Nisga'a ne réclament pas tout le bassin de la Nass. J'ai déjà expliqué cela plus tôt. J'ai aussi mentionné la pétition présentée par les Nisga'a en 1908, et que nous avons découverte. Rappelons qu'en 1908, le comité de revendication territoriale des Nisga'a comprenait des chefs gitanyow, tout comme celui de 1913. Cependant, la pétition de 1908 réclame des terres situées dans la vallée de la Nass, sur quelque 140 milles de longueur, soit 224 kilomètres, ce qui est tout ce dont ils ont besoin pour les besoins de la chasse, de l'abattage et de la pêche. Toute la longueur du bassin de la Nass, depuis Mill Bay à l'embouchure jusqu'aux eaux d'amont fait 384 kilomètres. Autrement dit, la pétition des Nisga'a n'englobe nullement tout le bassin de la rivière Nass.
Si on s'était conformé à ce qui était affirmé dans la cause Calder en 1968, on aurait utilisé la pétition des Nisga'a comme preuve, plutôt qu'une demande plus modeste fondée sur les affirmations des Gitanyows d'après lesquelles il y avait chevauchement. Toutefois, s'ils étaient tellement convaincus du bien-fondé de leurs revendications, alors pourquoi ne se sont-ils pas adressés aux tribunaux? Vous pourrez trouver cette affirmation à la page 139 du document intitulé Tribal Boundaries in the Nass Watershed.
La frontière des Gitanyows-Gitxsans se trouve à Surveyors Creek, à quelque 224 kilomètres de la laisse de haute mer. Autrement dit, si vous vous reportez à votre carte, juste sous le lac Bowser, vous verrez le cours d'eau appelé Surveyors Creek. Il s'agit de la frontière entre les Gitxsans et les Gitanyows.
La pétition de 1913 était donc erronée.
Je vais sauter le point 2 pour gagner du temps. Il s'agit d'une déclaration faite par un représentant des Nisga'a à Ottawa. Vous pourrez la lire vous-mêmes. Quoi qu'il en soit, les preuves figurant dans Tribal Boundaries in the Nass Watershed sont nombreuses; on les trouve aux pages 210 à 212.
Quand Tom Molloy a témoigné devant le comité, il a affirmé «il y a d'importants chevauchements avec les revendications de la nation tsimshian et celle de la tahltan, et les Nisga'a se sont entendus avec ces deux autres Premières nations à cet égard.»
M. Molloy a négocié aux tables des Gitxsans et des Gitanyows avant de le faire au nom des Nisga'a. Je l'ai renseigné au sujet des enjeux relatifs aux négociations portant sur les chevauchements et sur les progrès réalisé. Il savait alors que j'étais en train de rédiger Tribal Boundaries in the Nass Watershed, et il a d'ailleurs reçu le rapport en novembre 1995.
Le chef tahltan, M. Vernon Marion, a soumis une déclaration à la Cour suprême de la Colombie-Britannique en 1987, où figurait la frontière entre les Tahltans et les Gitxsans au nord, tout près du haut de la carte. Il ne s'agit pas de territoires très vastes.
Cette frontière correspond à notre frontière septentrionale des bassins versants des rivières Nass et Skeena. On trouvera les renseignements détaillés à l'annexe 1 de Tribal Boundaries in the Nass Watershed, aux pages 255 à 257.
Tom Molloy sait fort bien que les Nisga'a revendiquaient le bassin de la rivière Nass en entier, y compris le territoire des Tahltans. Par conséquent, comment pouvait-il affirmer que les Nisga'a avaient signé une entente avec les Tahltans? Il y a contradiction entre les deux affirmations. Il a tout simplement tort de laisser entendre qu'il n'y a pas de chevauchement des revendications des Nisga'a avec celles des Tahltans, des Gitxsans et des Gitanyows.
En outre, comment l'honorable Robert Nault peut-il vous affirmer que «les intérêts du peuple nisga'a et de ses voisins ont été pris en compte de façon attentive et équilibrée», et que le processus «s'est déroulé avec la participation des parties les plus touchées par le traité»? Une telle affirmation est manifestement erronée. La frontière entre les Nisga'a et les Gitanyows se trouve aux rivières Kinskuch et Kiteen. La preuve de cela se trouve à l'annexe de ce document, et ne représente que deux pages. Voici le reste de la preuve.
La carte que je tiens nous a été donnée par les Nisga'a. Elle représente les limites de leur territoire d'habitation. Elle confirme aussi dans notre propre langue que les Nisga'a reconnaissent l'exactitude des revendications des Gitanyows au sujet de leur territoire à eux. La carte a été dessinée par les Nisga'a en 1984, époque où nous nous sommes adressés aux tribunaux avec la cause Delgamuukw, et ils ont alors cherché les moyens de prouver qu'ils avaient des territoires qui allaient jusqu'au cours supérieur de la rivière Nass.
Le président: Monsieur Sterritt, Tom Molloy est-il au courant de l'existence de cette carte?
M. Sterritt: Oui.
Le président: Serez-vous ici demain matin?
M. Sterritt: Je prends l'avion de 8 h, mais si je dois rester, je peux le faire.
Le président: À vous d'en décider. Quoi qu'il en soit, le ministre et M. Mulloy seront interrogés à ce sujet demain.
Le sénateur St. Germain: Peut-être
Le président: Que voulez-vous dire par «peut-être»? Il a été convenu que M. Mulloy et le ministre seront ici demain à midi. Le ministre sera présent pendant une heure.
Le sénateur St. Germain: Nous en avons discuté, mais rien n'était ferme.
Le président: Au contraire, l'entente est ferme et l'a toujours été. Lorsque nous invitons un ministre, et que nous nous entendons avec lui sur la date et l'heure de sa présence ici...
Le sénateur St. Germain: Vous êtes tombé d'accord; pas moi.
Le président: Je vous ai avisé du rendez-vous ferme que nous avions avec le ministre. Je suis étonné que vous réagissiez ainsi.
Le sénateur St. Germain: Oui je sais. Monsieur le président, vous m'avez avisé de ce que vous faisiez, et vous vous souviendrez que je vous ai alors dit que nous allions entendre tous les témoins comme il se doit, et que s'il devenait impossible de respecter notre échéancier, les audiences se poursuivraient jusqu'à la semaine suivante, et que nous aborderions l'étude article par article au milieu ou à la fin de la semaine. C'est sur cela que nous nous sommes entendus.
Le président: Vous avez compris notre discussion tout à fait de travers. Je vous ai dit qu'en tout état de cause, nous suspendrions nos travaux à midi afin d'entendre le témoignage du ministre. On en a aussi discuté au sein de notre comité directeur. Les débats n'en ont peut-être pas été enregistrés, mais je précise que le ministre sera disponible seulement de midi à 13 heures demain.
Le sénateur St. Germain: Le ministre est tenu de se mettre à la disposition du comité. Ce n'est pas lui qui détermine ces choses, monsieur le président. Lorsque j'étais ministre, ce n'est pas moi qui avais le dernier mot en cette matière. Je répondais aux demandes exprimées par les comités. Je suis sûr que vous faisiez de même lorsque vous étiez ministre.
Le président: Nous ne forçons pas un ministre à témoigner devant ce comité. Il n'est pas obligé de venir. Nous l'avons invité à témoigner, et avons convenu du moment de sa venue. Vous exagérez un peu en tenant des propos aussi agressifs. J'aimerais bien permettre au témoin de poursuivre.
Je vais demander au témoin de terminer son exposé, après quoi le sénateur St. Germain et moi pourrons nous disputer une fois que nous aurons entendu tous les témoins de ce soir.
M. Sterritt: Pour ce qui est de la carte, elle figure dans le document Tribal Boundaries in the Nass Watershed à la page 188. Les preuves sont là. Elles contiennent les renseignements pertinents. Il s'agit d'une carte complète.
Si je dois revenir demain matin, j'aimerais bien le savoir car il faudra que je change de vol.
Le président: Est-ce que quelqu'un d'autre pourrait nous présenter la carte? Si je demande cela, c'est que demain, j'ai l'intention de demander à M. Mulloy s'il la connaît. C'est bien ce que M. Sterritt a affirmé dans son témoignage ainsi que dans son mémoire.
Si quelqu'un d'autre détient cette carte, cela me satisfera. Je ne veux certainement pas vous obliger à rester, monsieur Sterritt.
M. Sterritt: Nous pouvons certainement nous arranger. M. Skulsh ou un autre des représentants des Gitanyows pourra présenter la même question.
Je vais conclure cette partie puis entamer mon résumé dans quelques instants.
La frontière séparant les territoires nisga'a et gitanyow se trouve aux rivières Kinskuch et Kiteen. Cela se trouve à un tiers en amont de l'embouchure de la Nass. Les revendications des Nisga'a portant sur les territoires au nord des deux rivières sont erronées et constituent un chevauchement, et un chevauchement incorrect. Il ne peut y avoir aucune frontière entre les Nisga'a et les Gitxsans sur le cours supérieur de la Nass parce que c'est à 130 kilomètres en aval que la frontière est située, et elle sépare les territoires nisga'a et ceux des Gitanyows. Autrement dit, le territoire gitxsan se trouve le long du cours supérieur de la Nass. Il faut faire encore 130 kilomètres pour y arriver.
En résumé, personne chez les Gitxsans ne s'oppose au traité des Niga'as. Nous y sommes favorables. Les Nisga'a l'ont d'ailleurs mérité car ils ont travaillé très fort pour l'obtenir. Ils ont bien défendu leur cause et méritent la signature du premier traité de l'époque moderne en Colombie-Britannique. Cela étant dit, le processus relatif aux revendications qui se chevauchent n'est pas bon, il faut en changer.
Après avoir étudié le document Tribal Boundaries in the Nass Watershed, les Nisga'a savaient à partir de 1995 qu'ils n'étaient pas en mesure de prouver qu'ils avaient droit à des terres situées au nord des rivières Kinskuch et Kiteen. Dans l'accord définitif, les gouvernements provincial et fédéral ont accordé aux Nisga'a, des terres en fief simple ainsi que d'autres avantages et privilèges au nord de la rivière Kinskuch, sur des terres appartenant aux Gitanyows et aux Gitxsans. Or, si le projet de loi C-9 est adopté, ces conditions deviendront des droits consacrés dans la Constitution.
Plus tôt, il a été dit que les Nisga'a se sont vu refouler par un arrêt des tribunaux ou par des mesures prises par les Gitxsans ou les Gitanyows, et qu'ils ont ensuite essayé d'obtenir autre chose, ce qui veut dire qu'on les a récompensés d'avoir revendiqué nos terres. Si on faisait l'inverse, c'est-à-dire si les Gitxsans situés à la source de la Nass réclamaient le bassin entourant l'embouchure du même cours d'eau, ce serait tout aussi ridicule. Toutefois, telle est bien l'attente créée par le processus actuel de négociation des traités, tout au moins dans cette région de la Colombie-Britannique.
Le Canada et la Colombie-Britannique ont le devoir de négocier de bonne foi les droits reconnus par traité. Ils ne devraient pas encourager l'opportunisme politique ou stratégique permettant à une nation autochtone participant à une négociation d'obtenir des avantages aux dépens de ses voisins. Le Canada et la Colombie-Britannique ont donc l'obligation juridique, éthique et morale de suspendre tous les droits et les avantages cédés aux Nisga'a mais qui font partie des territoires des Gitanyows et des Gitxsans.
Il y a des leçons fondamentales à tirer de la négociation du traité avec les Nisga'a. D'abord, les nations autochtones doivent se fonder sur des preuves et des méthodes de recherche solides pour démontrer le bien-fondé de leurs affirmations relatives aux frontières lorsqu'il y a chevauchement. Or l'absence de normes est l'une des carences observées dans le processus de la Commission des traités de la Colombie-Britannique, et elle encourage la formule du premier arrivé, premier servi. Deuxièmement, il faut résoudre les litiges au sujet des chevauchements avant la conclusion d'un traité. En troisième lieu, moralement et juridiquement, il est inacceptable de sacrifier le titre de propriété d'une ou de plusieurs nations pour conclure un traité avec une autre nation. Quatrièmement, lorsque des revendications contradictoires restent sans solution, le processus ne débouche pas sur la certitude tant prisée par le gouvernement. Cinquièmement -- et il s'agit là de la plus grave lacune de la politique fédérale et du processus de la Commission des traités de la Colombie-Britannique -- il faut absolument s'en remettre à une procédure de règlement des différends devant un organe indépendant qui soit contraignante lorsque les deux parties autochtones n'arrivent pas à s'entendre au sujet de revendications contradictoires. En l'absence de bonne foi et lorsque l'opportunisme politique se manifeste, il faut pouvoir compter sur un tiers indépendant, et on devrait suspendre les choses ainsi que le prévoyait le protocole intervenu entre nous.
En l'occurrence, on résoudrait le problème en éliminant de la portée du traité les parties d'un territoire faisant l'objet de revendications contradictoires, afin qu'on résolve ces litiges grâce à des preuves solides, des négociations inter-tribales ou une médiation de la part d'un tiers indépendant.
Ce livre a été rédigé à l'intention des Nisga'a afin qu'ils nous montrent où nous nous sommes trompés. Cela fait cinq ans qu'ils l'ont en main. Telle était bien la raison d'être de ce document. Nous n'essayons pas d'imposer une façon de faire. Nous leur avons simplement demandé de nous indiquer où nous nous étions trompés. Or, ils ne nous l'ont jamais dit.
Je ne vais pas vous faire parcourir les annexes; je préciserai cependant qu'ils comportent certaines preuves que vous pouvez examiner à loisir.
Le président: Merci. Avant de céder le micro au sénateur St. Germain, j'aimerais vous poser une question de nature plutôt abstraite. Étant donné votre conviction face aux preuves de propriété que vous avez soumises, pourquoi estimez-vous que les gouvernements fédéral et provincial étaient quand même disposés à aller de l'avant jusqu'à conclure une entente avec les Nisga'a? Pouvez-vous nous donner votre interprétation de cela?
M. Sterritt: Je crois que le moteur de toute l'initiative a été le premier ministre Glen Clark, dont l'orgueil le poussait à vouloir conclure le tout premier traité en Colombie-Britannique. Il ne se souciait pas de la façon dont cela se passerait. J'ai retracé ses propos à cet égard. Je mme suis aussi renseigné sur les pressions que subissaient les négociateurs de la Colombie-Britannique présents à la table des Nisga'a. C'était bien cela qui dirigeait le tout. Étant donné que les gens adoptaient des positions, les Gitxsans par exemple, nous proposions un modèle différent de ce que vous voyez, surtout dans le sillage de l'arrêt Delgamuukw. Cela dit, la conclusion de ce traité a probablement été une bonne chose, malgré ce qu'elle a coûté aux voisins des Nisga'a. À mon avis, c'est un point de vue défendable. J'ai d'ailleurs écrit un long article de journal, ou peut-être deux, sur cette question, et j'y traite des deux aspects du traité, mais je ne l'ai pas ici.
Le président: Pourquoi le gouvernement fédéral accepterait-il ce genre de chose?
M. Sterritt: En bien, il partageait un peu cette attitude. Le gouvernement fédéral tenait aussi à un traité qui serait conforme à ceux qui avaient été signés jadis. Rappelez-vous que si on avait appliqué le raisonnement de l'arrêt Delgamuukw de 1997 aux revendications des Nisga'a, ou si ces derniers l'avaient invoqué, ils auraient été obligés de démontrer où étaient situées leurs frontières. En ce cas, et conformément à notre exposé, il aurait été prouvé que les frontières revendiquées s'écartaient d'un tiers de leur emplacement -- autrement dit, qu'il ne devait pas y avoir de fief simple dans notre région. On se serait aussi probablement sérieusement interrogé au sujet des régimes de gestion de la faune et de la pêche en amont de la rivière, étant donné que nous allions nous aussi présenter nos revendications.
Le président: Par souci de clarté, avez-vous résolu la question de vos revendications contradictoires avec les autres tribus?
M. Sterritt: Dans le bassin de la rivière Nass, nous avons réglé la question frontalière avec les Tahltans. Si vous vous reportez à votre carte, l'endroit où vous voyez le nom «Treaty Creek» a fait l'objet d'un traité. Vous trouverez d'ailleurs une déclaration à cet effet à l'annexe de ce document. Le traité a été signé au début du XXe siècle. Nous avons donc résolu la question. Certaines des affirmations de Tom Molloy sont donc contradictoires, et le chef actuel des Tahltans s'appelle George Asp. C'est lui qui était chef déjà en 1977. Il a ce livre en sa possession et il l'a lu. Si quelqu'un tient à le vérifier, il faudrait lui en parler.
Le président: En conséquence, dans la région entourant la rivière Nass, vous avez réglé vos différends frontaliers avec tout le monde sauf les Nisga'a?
M. Sterritt: Il faut aussi que nous nous entendions là-dessus avec les Gitanyows, mais le différend ne porte que sur un très petit secteur le long du cours supérieur de la rivière, qui coule vers le sud. Il y a donc un tout petit territoire appartenant aux Gitxsans à la source de la rivière. Les principales régions du nord, là où se trouve notre frontière avec les Gitanyows, ont été mentionnées dans des documents remontant aux années 1890. Elles étaient déjà mentionnées en 1875. Cela figure d'ailleurs dans le document. Nous connaissons notre frontière avec les Gitanyows et celle avec les Tahltans, qui est située dans le bassin de la rivière Nass.
Le président: Merci beaucoup.
Le sénateur St. Germain: Merci, messieurs d'être venus aujourd'hui et de nous avoir fait votre exposé. Cela fait quelques années déjà que je connais M. Sterritt, et je sais qu'il a beaucoup travaillé sur ce dossier.
Ce qui me préoccupe vraiment ici, c'est qu'on semble avoir piétiné les droits des minorités autochtones. Je conviens moi aussi que les Nisga'a méritent qu'on en soit arrivé à un accord. Cela dit, où sont les chefs autochtones qui représentent tous les autochtones, les gens comme Phil Fontaine? Il me paraît très étrange que les Gitanyows et les Gitxans semblent être relégués aux bas échelons. Certains sénateurs ici présents sont peut-être des défenseurs très sincères de l'entente, et ils tiennent à ce que nous donnions notre aval automatique au document et que nous expédions les choses. L'un d'entre eux a dit que nous pinaillons, et d'autres ont affirmé que nos préoccupations n'étaient que de la foutaise, et que nous voulions tout simplement démolir l'entente. Or, pour ma part, j'estime depuis le début que s'il faut émettre une réserve au sujet de ce traité, c'est qu'il ne résout pas la situation des peuples autochtones voisins des Nisga'a. Pourquoi vous a-t-on négligés ou mis sur la touche par rapport à ces enjeux, et pourquoi est-ce que les autorités ne s'en sont pas saisies? Elles semblent au contraire les éviter. Est-ce pour des raisons de commodité politique?
M. Sterritt: Cela tient à des considérations historiques, et j'entends par là d'histoire récente. Après la cause Calder entendue en 1973, le gouvernement fédéral a eu pour politique de négocier six traités à la fois au Canada, dont l'un en Colombie-Britannique. Si on voulait obtenir des fonds de recherche relatifs aux revendications territoriales pour lancer des négociations de cette nature, il fallait présenter une carte de ce qu'on estimait être les territoires revendiqués avant même d'avoir effectué la recherche. Bon nombre de tribus de la Colombie-Britannique ont dessiné leur carte, mais elles ont englobé des territoires beaucoup plus vastes que les leurs pour être sûrs de ne rien négliger, avec l'intention de revenir en arrière le cas échéant, une fois la recherche effectuée.
Quand les Gitxans ont présenté leurs revendications au gouvernement fédéral en 1977, nous avons tout fait pour que ce soit aussi exact que possible et, dans presque tous les cas, nous avons inséré nos travaux détaillés au fur et à mesure. Parmi les autres groupes tribaux de la Colombie-Britannique, les Gitanyows ont effectué les recherches nécessaires. Ils ont probablement les revendications territoriales les mieux documentées de l'Amérique du Nord sinon du monde. Très peu d'autres groupes tribaux de la Colombie-Britannique ont effectué des recherches aussi détaillées, et c'est ce qui a mené à l'affaire Delgamuukw. Les Tahltans sont l'un des autres groupes qui ont fait de très bonnes recherches. Le travail n'a donc jamais été fait dans ce cas-ci.
Relativement à la question des chevauchements, s'ils ne possèdent pas les renseignements voulus, ils devront peut-être s'entendre entre eux comme les négociateurs fédéraux et provinciaux voudraient apparemment qu'ils le fassent. «Mettez-vous d'accord pour régler cette question; ce doit être facile.» Cependant, ce n'est pas le cas s'il y a des aînés qui savent où sont les frontières et s'ils ont des preuves documentaires à l'appui.
C'est la situation qui existe maintenant en Colombie-Britannique et c'est pourquoi presque aucun groupe n'a examiné la question des frontières autant que les Nisga'a, les Gitxsans, les Gitanyows et les Tahltans. C'est pourquoi les divers sommets et l'Union of British Columbian Indian Chiefs et les autres intervenants ne sont pas vraiment au courant de tout cela et ne veulent pas intervenir, ou du moins c'est en partie à cause de cela.
Le sénateur St. Germain: Selon vous, Tom Molloy était-il en situation de conflit d'intérêts vu qu'il vous avait représenté et avait représenté les Gitxsans et les Gitanyows à la table de négociation avant de passer à la table des Nisga'a.
M. Sterritt: Je pense qu'il l'était dans une certaine mesure. Quand il siégeait à notre table, je lui avais demandé d'expliquer la politique à suivre pour la question des chevauchements et il l'avait expliquée. Selon lui, si, d'après le gouvernement fédéral, le groupe à la table avait tout fait pour résoudre le conflit de bonne foi et n'y avait pas réussi, le gouvernement fédéral irait de l'avant. Il participait à nos négociations. Ensuite, il est allé ailleurs. Ce qu'il faut savoir, c'est qui décide qu'on a agi de bonne foi. Dans ce cas-ci, Tom Molloy avait été chargé d'obtenir un traité rapidement, et c'est lui qui a décidé si l'on avait agi de bonne foi. D'après moi, si on avait voulu procéder correctement, on se serait adressé à quelqu'un de l'extérieur. C'est ce qu'il faut faire pour résoudre des conflits. Il est tout à fait ridicule de demander à des autochtones de négocier si l'une des deux parties a ses entrées auprès des deux échelons gouvernementaux et que l'autre partie a du mal à se rendre à la table de négociation pour discuter. C'est ridicule. Je trouve donc qu'il était en situation de conflit à cause de cela, et aussi que la politique fédérale était faible.
Le sénateur St. Germain: De leur côté, les deux professeurs qui ont témoigné et qui voulaient éviter les litiges ont reconnu à la fin du compte que la seule façon de régler la question en théorie c'est que vous et les Gitanyows fassiez appel aux tribunaux. N'est-ce pas vrai? Ne considérez-vous pas que c'est ce qui arrivera à la fin du compte et que cela coûtera très cher? D'où obtiendriez-vous le financement nécessaire? Cela devrait venir du gouvernement fédéral, n'est-ce pas?
M. Sterritt: Comme nous devons encore de l'argent pour l'affaire Delgamuukw, ce ne serait pas facile.
En réalité, il ne serait pas nécessaire de demander l'intervention des tribunaux si on avait procédé de la bonne façon en 1995, quand cet ouvrage a été publié, ou bien en 1996, 1997, 1998 ou 1999. On aurait dû négocier et obtenir la médiation devant un tiers, ou encore l'arbitrage.
Le sénateur St. Germain: Nous avons ici la revendication territoriale nisga'a, Calder, 1968-73. Cela figure à la page 78 de l'ouvrage BC Studies: The Nisga'a Treaty. Si je ne m'abuse, la pétition de 1913 disait essentiellement la même chose que la revendication Calder. Est-ce exact?
M. Sterritt: Non.
Le sénateur St. Germain: Le territoire était-il plus vaste, différente ou quoi?
M. Sterritt: Je vous prie de vous reporter à l'ouvrage Tribal Boundaries in the Nass Watershed. J'espère que vous en avez un exemplaire sous les yeux.
Le sénateur St. Germain: Je ne l'ai pas ici.
M. Sterritt: Si vous jetez un coup d'oeil aux pages 142 et 143, qui sont deux pages en regard, vous pourrez voir la pétition nisga's de 1913 et la pièce 2 dans l'affaire Calder. La pièce qui figure dans l'ouvrage B.C. Studies, la pièce 2 dans l'affaire Calder, est celle que vous verrez à gauche. La pétition de 1913 est à droite. Vous pourrez voir que cette revendication comprend le lac Meziadin alors que la pièce Calder ne le revendique pas.
Le sénateur St. Germain: Le territoire va aussi jusqu'à la laisse de haute mer n'est-ce pas?
M. Sterritt: Il va presque jusqu'au ruisseau Serveyors, qui marque la frontière entre notre groupe et les Gitanyows. C'est le territoire gitanyow qui fait qu'il y a une différence entre les deux. Les Gitanyows avaient été inclus dans la pétition de 1913.
Le président: Je dois vous dire, monsieur Sterritt, que certains sénateurs n'ont pas le livre en question et ne peuvent donc pas se reporter au document que vous avez présenté.
M. Sterritt: Nous pouvons vous en remettre des exemplaires.
Le sénateur St. Germain: Si l'on jette un coup d'oeil à la revendication Calder de 1968-1973, on peut voir que le territoire revendiqué est deux fois plus vaste. J'ai entendu les arguments des deux côtés. J'ai passé un certain temps avec Glen Williams et les Gitanyows, et je vous ai parlé à vous et à d'autres également. Le territoire revendiqué est presque deux fois plus étendu que le territoire revendiqué à l'origine, et il comprend presque tout le bassin de la Nass. Quand j'ai posé des questions à diverses personnes, on m'a laissé entendre que les gens n'étaient pas disposés à négocier. J'ai du mal à le croire. Si la revendication Calder était légitime, et nous devons considérer qu'elle était crédible vu qu'elle a été examinée par les tribunaux et qu'elle porte sur la rivière Kinskuch et la rivière Kiteen, comment se fait-il qu'on n'ait pas pu aboutir à un règlement auparavant?
Je peux vous dire une chose. D'après moi, s'il y a une seule raison pour laquelle le projet de loi ne devrait pas être adopté, c'est bien celle-ci. C'est mon humble avis.
On a dit que les gens n'étaient pas prêts à négocier de bonne foi. C'est ce que les Nisga'a m'ont dit à propos des autres parties en cause. Qu'en pensez-vous?
M. Sterritt: Cet ouvrage a été rédigé pour réunir toutes les preuves et les présenter aux Nisga'a pour que nous sachions jusqu'où nous sommes dans l'erreur. Nous avions dit que, s'ils pouvaient nous montrer où nous nous trompions, nous modifierions les frontières. Nous avons posé cette même question aux Nisga'a à l'époque, mais ils n'ont pas répondu.
Les Nisga'a affirment que les frontières ne sont pas celles qui sont indiquées. Avons-nous négocié de bonne foi? Nous étions prêts à produire ce document et toutes nos généalogies pour montrer les liens de parenté. Nous avions tous les documents voulus. Nous les avions tous apportés. Nous avons demandé aux Nisga'a de nous montrer leurs généalogies, mais ils ne l'ont pas fait à l'époque, et ils ne l'ont toujours pas fait.
Nous avons dû faire tout cela pour l'affaire Delgamuukw. Nous savions que nous aurions du mal quand nous nous sommes adressés aux tribunaux dans cette affaire. Nous avions toutes les preuves et nous avions négocié. Nous avons dit aux Nisga'a: «il faut montrer ceci, ceci et cela. Commençons par la tradition orale. Oublions la façon de faire de l'homme blanc ou les documents écrits. Procédons de cette façon et nous verrons.» Nous n'avons jamais réussi. Si vous jetez un coup d'oeil aux comptes rendus de toutes ces réunions, vous verrez que nous n'avons jamais obtenu qu'ils acceptent de partager et de coexister avec nous.
Le sénateur St. Germain: Le gouvernement nous dit que nous devrions écouter ce que disent les tribunaux. Les tribunaux ont déclaré qu'il devait y avoir des négociations, dans l'arrêt Delgamuukw et aussi dans l'arrêt Luuxhon, à propos duquel le juge a accusé le gouvernement de ne pas avoir traité de bonne foi avec les Gitanyows.
Que devons-nous faire maintenant? Nous devrions négocier, mais les négociations n'ont jamais eu lieu. D'après vous, comment pourrions-nous permettre que le processus aille de l'avant pour que vos droits ne soient pas violés?
M. Sterritt: Vous devez mettre de côté le secteur où il y a apparemment chevauchement et vous occuper du reste du traité. Les Nisga'a devraient obtenir l'application de leur traité au moment prévu, mais on devrait mettre ce secteur de côté.
Le président: C'est maintenant le tour du sénateur Tkachuk. Vous avez eu beaucoup de temps, sénateur St. Germain.
Le sénateur Tkachuk: J'ai quelques questions à poser.
Le sénateur St. Germain: C'est pourtant une question importante, monsieur le président.
Le président: Je sais que c'est votre domaine, et c'est pour cela que je vous ai donné beaucoup de temps.
Le sénateur St. Germain: J'ai une autre question.
Le président: Lorsque vous êtes lancé, vous oubliez combien de temps vous prenez.
Le sénateur Tkachuk: Je voudrais un peu parler d'argent. Vous avez dit une chose intéressante pendant votre exposé à propos des terres visées par l'accord. Relativement au territoire controversé, si les frontières sont établies avant que le traité n'entre en vigueur, les Nisga'a ne seront pas indemnisés. C'est ce que je crois comprendre. Autrement dit, cela ne fait pas partie du traité ou est-ce que je me trompe? Si le traité est adopté, s'il y a contestation et si les Nisga'a sont perdants, ils seront indemnisés selon cet accord, je pense.
M. Sterritt: C'est exact.
Le sénateur Tkachuk: Ils sont donc gagnants dans les deux cas. S'ils ont gain de cause devant les tribunaux, ils obtiennent le territoire. S'ils perdent leur cause, ils seront indemnisés pour le territoire perdu. Nous avons entendu toutes sortes de chiffres, mais nous n'avons jamais pu obtenir un chiffre exact. On nous a dit que cela coûterait au gouvernement quelque chose allant de 350 à 500 millions de dollars. Combien pensez-vous que cela coûtera d'indemniser les Nisga'a si l'accord est adopté et si les tribunaux rejettent leurs arguments?
M. Sterritt: Je n'en ai pas la moindre idée.
Le sénateur Tkachuk: D'après vous, qui pourrait répondre à cette question?
M. Sterritt: Je l'ignore.
Le sénateur Tkachuk: Quand le sénateur St. Germain a demandé pourquoi on avait fait si vite pour cet accord, vous avez dit que c'était peut-être parce que l'ancien premier ministre provincial Glen Clark voulait bien paraître et qu'on n'avait pas tenu compte des controverses relatives au territoire. Peut-on dire aussi qu'il tenait à ce que l'accord soit adopté, peu importe ce que cela coûterait au gouvernement provincial?
M. Sterritt: C'est une toute autre question. C'est peut-être vrai compte tenu des traversiers rapides et de quelques autres cas, qui sait.
Le sénateur Tkachuk: On n'a que des preuves indirectes.
M. Sterritt: C'est possible.
Le sénateur Tkachuk: Je m'en tiendrai là.
Le sénateur Chalifoux: C'est curieux que vous disiez qu'il n'y a pas de chefs nationaux ici aujourd'hui. Je voudrais signaler la présence de Marilyn Buffalo, la présidente de l'Association des femmes autochtones du Canada.
Le sénateur St. Germain: Je n'ai pas dit qu'il n'y en avait pas, j'ai dit que leurs voix n'avaient pas été entendues.
Le sénateur Chalifoux: Voulez-vous me permettre de parler? J'ai bien aimé vous écouter toute la soirée, mais c'est maintenant mon tour.
Nous savons tous que l'Assemblée des premières nations n'a pas l'appui de tous les autochtones. Appuyez-vous l'Assemblée des premières nations dirigée par Phil Fontaine?
M. Sterritt: Oui.
Le sénateur Chalifoux: L'Assemblée vous a-t-elle consultée ou avez-vous rencontré vous-mêmes l'Assemblée?
M. Sterritt: J'ignore si M. Fontaine a rencontré notre négociateur en chef. Je sais que Barbara Clifton est à Ottawa avec Marilyn Buffalo. Elles ont peut-être discuté de ces questions. Je n'ai pas eu d'entretiens à ce sujet avec notre chef national.
Le sénateur Chalifoux: J'ai parlé à des gens de l'autre Chambre et leur ai demandé comment il se sait qu'on n'ait pas réglé la situation avant. On m'a répondu que c'est parce que vous n'arrivez pas à vous entendre. Vous avez de votre côté par votre témoignage bien montré qu'ils avaient tort. Je tiens à vous en remercier.
M. Sterritt: Merci beaucoup.
Le sénateur Chalifoux: Appuyez-vous le traité nisga'a?
M. Sterritt: Je l'appuie. Les Nisga'a ont travaillé longuement et durement pour obtenir ce traité et ils le méritent. Il faut cependant régler la question des frontières. C'est une chose dont il faut s'occuper dans le nord-ouest de la Colombie-Britannique.
Le sénateur Andreychuk: Certains honorables sénateurs ont déclaré que les droits ancestraux ne devraient pas être définis par des non-autochtones et je suis bien d'accord. Qu'en pensez-vous? Vous êtes certainement d'accord avec moi. À ce moment-là, si le traité nisga'a est adopté, ce sont des fonctionnaires fédéraux, c'est-à-dire des non-autochtones, qui auront décidé quels sont vos droits relativement à certains territoires.
M. Sterritt: Il y a deux questions en jeu. D'abord, nous devons voir plus loin que les belles paroles. Je m'occupe de ces questions depuis 1973, et j'ai participé très activement aux négociations constitutionnelles. J'y ai joué un très grand rôle.
Nous avons dû nous mettre sérieusement à l'oeuvre pour passer de 1982 à 1983 et ensuite à 1987 et à 1992, parce que davantage de gens posaient des questions et davantage de gens contestaient nos revendications. Si nous avions pu accélérer les choses en 1982, nous aurions pu avoir une année excellente. De toute façon, nous devions pouvoir mieux expliquer ce qui se passait à ceux qui étaient touchés par nos initiatives.
Il ne doit pas y avoir de secrets. Il faut bien préciser ce que nous voulons et ce que nous faisons. Nous devons prendre le temps de renseigner les intéressés sur les enjeux et ce que cela signifie pour eux. Les Nisga'a l'ont très bien fait. Leur campagne de relations publiques a été excellente. D'autres groupes tribaux ont fait la même chose. Nous, nous avions décidé de le faire dans les années 70, c'est-à-dire d'aller parler de nos revendications devant les diverses chambres de commerce.
D'autre part, il y a diverses façons de procéder et les Nisga'a en ont choisi une. Nous en avons choisi une autre. Nous voulons mettre notre modèle de l'avant comme peuple gitxsan, et je pense que les Gitanyows et quelques autres groupes aussi veulent la même chose. Nous devons expliquer quel est ce modèle ou alors personne ne voudra négocier avec nous. Les négociateurs ne sont pas disposés à discuter du modèle avec nous. Pourtant, les deux parties ont l'obligation de se renseigner. De notre côté, nous avons l'obligation d'expliquer clairement ce que nous faisons et ce que nous voulons. À la fin du compte, vous approuverez ce que nous faisons, mais pas si vous ne comprenez pas ce que c'est.
Le sénateur Grafstein: Votre modèle de gouvernance diffère un peu de celui des Nisga'a. Vous nous l'avez expliqué plus tôt. Quand verrons-nous le prochain traité? Autrement dit, si le traité nisga'a est approuvé, remis à plus tard ou quoi que ce soit, passera-t-on au vôtre après?
M. Sterritt: Quand nous avons entamé les négociations en 1994, les choses se sont passées rapidement. Nous sommes parvenus à l'étape 4 assez vite. Comme, bien sûr, on voulait naturellement et à juste titre s'occuper d'abord des Nisga'a et comme nous n'obtenions pas les résultats espérés à la table de négociation, nous avons décidé d'amener l'affaire Delgamuukw jusqu'en Cour suprême du Canada.
Maintenant, nous devrions passer un certain temps à réfléchir à la façon de procéder. Plusieurs groupes sont prêts à signer dans la région des Sechelts, par exemple. La plupart des groupes tribaux de la Colombie-Britannique ne tiennent pas vraiment à aller de l'avant à l'heure actuelle. Ils préfèrent attendre.
Le sénateur Grafstein: Pourquoi?
M. Sterritt: Les négociateurs provinciaux et fédéraux ont une position très arrêtée. Quand les représentants des Gitanyows vont venir témoigner, vous pourrez leur demander pourquoi. On leur a fait une offre tout à fait irréaliste et ce n'est pas ce qu'ils voulaient. Leurs explications vaudront mieux que les miennes.
Le sénateur St. Germain: En deux mots, pouvez-vous imaginer négocier alors que la question du chevauchement n'est pas réglée?
M. Sterritt: Encore une fois, il s'agit de savoir où les limites sont fixées. À supposer que les Nisga'a et nous-mêmes nous rencontrions pendant cinq heures ou cinq jours, sans pouvoir nous entendre, il faudrait bien alors que l'on demande à quelqu'un d'étudier les preuves. Les Nisga'a ont certains documents, notamment des cartes et certains rapports. Nous les avons reçus. Cette personne indépendante devrait donc étudier toutes les preuves, comparer les leurs et les nôtres. Cette personne indépendante devrait déterminer où se trouve la frontière.
Le sénateur Lawson: Le ministre a comparu devant le comité le 16 février. À propos du chevauchement, il a dit savoir que nous voudrions être rassurés, c'est-à-dire avoir la garantie que les droits ancestraux des autres autochtones ne seraient pas lésés par le traité. La question du chevauchement est propre à la Colombie-Britannique, mais aussi à d'autres régions. Il y a des dispositions particulières dans ce traité pour garantir que les droits ancestraux et les droits conférés par traité à des Premières nations voisines ne sont pas affectés.
Il faut que vous sachiez que vous ne serez pas affectés. C'est ce que le ministre a dit. Quant à moi, je ne suis pas un spécialiste, juste un chauffeur de camion, mais certains professeurs érudits sont venus nous dire que tout ce que contient ce traité est cristallin. Il n'y a pas un seul hectare qui soit menacé. Le ministre n'a pas un seul hectare qui soit menacé et on soutien qu'il n'y a absolument pas de problème pour vous.
Il y a des gens qui, autrefois, pouvaient avoir les deux pieds sur terre mais qui désormais sont entre deux chaises car ils n'ont plus de terre parce que quelqu'un la leur a prise. Je pense que vous avez raison. S'il me fallait choisir un négociateur, je choisirais les négociateurs nisga'a. Ce sont les meilleurs.
Je voudrais que cette question soit réglée avant l'approbation du traité. Qu'on mette cette question à part et qu'on la résolve. Le gouvernement en a la responsabilité. On ne peut pas léser les droits d'un peuple en tentant de protéger les droits d'un autre.
M. Sterritt: Ces affirmations en vertu de ces articles-là de l'accord nisga'a pourraient très bien être vraies. Toutefois, chat échaudé craint l'eau froide -- car j'ai commencé à m'occuper de cette question en 1973 ou 1974 -- et j'ai pu vous donner des exemples qui prouvent l'absence de bonne foi. Supposons un instant que nous devions invoquer cela. Qu'est-ce qui nous prouve que les gouvernements ou les Nisga'a ne vont pas faire appel à toutes leurs ressources pour nous empêcher de résoudre cette question à notre satisfaction? Je ne peux pas compter là-dessus car, jusqu'à présent, nous n'avons pas constaté de bonne foi.
Le sénateur Lawson: Il vous faudrait compter sur ce qui se passe dans la plupart des cas: un tribunal impartial -- des hommes et des femmes intègres, un comité du Sénat peut-être, mais des gens intègres qui examineraient les preuves en toute équité avant de prendre une décision qui contraindrait les intéressés. Je pense que les deux parties souhaitent cela. Toutefois, pour faire vite, on ne peut tout simplement pas dire que peu importe si quelques petites tribus sont lésées, l'essentiel est la signature du traité.
Le président: Les représentants des chefs héréditaires gitanyow peuvent-ils s'approcher?
Vous pouvez faire votre exposé.
M. Glen Williams, négociateur en chef, Chefs héréditaires gitnayows: C'est sans doute la quatrième fois que je comparais devant un comité parlementaire qui étudie l'accord nisga'a. Chaque fois, nous répétons la même chose en expliquant comment cet accord touche notre peuple et notre territoire.
Honorables sénateurs, vous avez sans doute entendu au cours des dernières semaines le témoignage des représentants du gouvernement, des négociateurs, des avocats, des universitaires qui vous auront dit que nous sommes protégés grâce au paragraphe 33 de l'Accord définitif nisga'a. Ces témoins vous ont sans doute parlé aussi du paragraphe 34. Ils auront parlé également du paragraphe 35 de l'Accord définition nisga'a.
Avant de commencer, je tiens à signaler au nom de notre peuple que le témoignage de M. Sterritt, qui s'est référé à un document intitulé Tribal Boundaries in the Nass Watershed et à la revue BC Studies, qui s'est référé également à des cartes et aux chapitres du livre qui traitent de ce que le peuple nisga'a et ses aînés ont dit, livre qui porte sur l'histoire des Gitnayow et des Gitxsans, est tout à fait juste. Nous sommes d'accord avec M. Sterritt. Nous reconnaissons que les limites se trouvent là où il l'a dit.
J'aimerais vous présenter notre peuple. Je voudrais vous présenter notre territoire. Vous avez une carte sous les yeux. Cette carte indique le territoire en noir et vous pouvez voir le bassin de la Nass là où il se trouve, sous la rivière Meziadin. Sur le côté se trouvent des mâts totémiques; ces mâts sont encore érigés dans notre localité. Le mât qui est signalé appartient à notre maison. Ce mât comporte le totem d'un grizzly dont on parle dans notre tradition orale. Le grizzly est l'emblème de notre maison. Nous avons érigé ce mât en 1994. Cela nous a coûté très cher, mais nous voulions présenter un témoignage public aux autres Gitxsans, aux gens du territoire, afin d'indiquer que nous existions toujours et que nous avions encore un lien avec ce territoire. L'emblème vient de notre territoire.
Si vous regardez la limite des Luuxhon, vous constaterez que c'est la rivière Kinskuch dont Neil Sterritt a parlé. À côté de là se trouve un autre mât totémique où figure un martin-pêcheur. Cela reprend la tradition orale des Luuxhon jusqu'à la frontière à Kinskuch, qui est à 800 mètres de la rivière Kinskuch. Ces mâts sont encore aujourd'hui dans notre collectivité. Nous maintenons nos pratiques. Nous avons encore des lois qui nous relient à ces territoires.
Le président: Monsieur Williams, quand ces mâts ont-ils été érigés?
M. Williams: Certains l'ont été au cours de la dernière décennie et d'autres il y a quelques années. Certains ont été érigés il y a plus de 100 ans.
Le président: Les mâts dont vous avez parlé sont-ils d'anciens mâts, érigés il y a une centaine d'années, ou sont-ils relativement récents?
M. Williams: Certains sont là depuis plus de 100 ans et d'autres sont plus récents. Ceux-là ont été érigés au cours des quatre ou cinq dernières années.
Dans la région de Meziadin, ces deux mâts appartiennent à la maison de `Wiilitsxw. L'histoire raconte comment `Wiilitsxw a guerroyé à Meziadin et ces mâts racontent la tradition orale de la façon dont les Gitanyows et `Wiilitsxw ont fait la guerre à des tribus du Nord et comment ils ont acquis ce territoire vers 1861. Cette histoire se trouve dans le chapitre sur les Gitanyows concernant les limites.
Sénateurs, notre histoire, notre régime, notre système de maisons, nos lois, nos noms héréditaires existent encore solidement aujourd'hui. Nous sommes des Gitxsans. Dans Delgamuukw, il est question de la nature, du contenu et de l'importance de la tradition orale. Nous ne sommes pas différents de nos voisins les Gitxsans. Nous sommes des Gitxsans.
Passons maintenant aux premiers accords, l'accord de 1992, l'accord sur les mesures de protection intérimaires concernant les revendications territoriales nisga'a, l'accord de principe de 1996 et finalement, l'Accord définitif nisga'a, accords qui ont déjà causé des préjudices à notre peuple. Dans notre mémoire et dans ses annexes, nous citons certains de ces préjudices. À la page 7 de notre mémoire, il est question des pêches, car l'Accord définitif nisga'a donne aux Nisga'a la gestion exclusive des pêches dans tout le bassin de la Nass qui contient 84 p. 100 de notre territoire. Pour ce qui est de la faune, la situation est essentiellement identique. Les Nisga'a sont sur le point d'acquérir des droits conférés par traités protégés par la Constitution, droits qu'ils pourront exercer sur la faune et les ressources halieutiques de notre territoire. Les Nisga'a et les gouvernements ont étudié la façon d'utiliser au maximum les terres de notre territoire. Ils ont réservé des aires récréatives qui font partie de l'Accord définitif nisga'a. Ils ont identifié sur notre territoire cinq régions de premier choix qui seront converties en fiefs simples. Les Nisga'a pourront acquérir des permis de pêche sur toutes les principales rivières. Des régions qui portent actuellement nos noms autochtones porteront bientôt des noms nisga'a.
Quel effet cela a-t-il sur notre système? Comme je l'ai dit, notre système est très solide. Nous continuons à utiliser les territoires qui se trouvent directement sur la frontière. Ils sont une source de saumon pour notre peuple et nos maisons. Nous avons des sites de chasse privilégiés dans ces régions. Notre peuple a des lois qui régissent ces territoires. Nous voulons continuer à utiliser ces territoires.
Ce projet de loi aura des conséquences sur notre système héréditaire en ce sens qu'il existera désormais des droits nisga'a issus de traités protégés par la Constitution qui recoupent nos droits non définis en tant que Gitanyows. Le système et les lois gitxsans existent depuis des milliers d'années. Nos chefs ont indiqué à plusieurs reprises que nous ne céderons pas notre territoire.
Quels sont les droits qui auront préséance à cet égard? Des avocats et les négociateurs peuvent se cacher derrière le paragraphe 33, mais au bout du compte, quels sont les droits qui prévaudront? Les droits des Nisga'a, nouvellement créés et modifiés, l'emporteront-ils sur les nôtres? Nous n'avons pas l'intention de quitter notre territoire. Nous aussi nous possédons des droits ancestraux protégés par la Constitution sur ce territoire. Nous n'avons pas quitté notre territoire par suite d'autres accords. Voilà le problème que vous créerez si vous adoptez ce projet de loi.
Nous négocions depuis 1993. Les Nisga'a se sont vu accorder des droits sur la pêche, la faune, les terres de premier choix, et sur tout les principaux débouchés économiques dans notre territoire. Le paragraphe 33 énonce que vous pouvez négocier avec un autre groupe, mais que nous reste-t-il pour conclure une entente avec deux gouvernements? Comme nos chefs l'ont dit, nous sommes en train de négocier des miettes sur notre propre territoire.
À la fin novembre, nous avons reçu une offre de territoire et de paiement comptant. On nous a offert 20 000 hectares et 13,5 millions de dollars pour que nous renoncions à nos droits. Cette offre a été conçue délibérément par les deux gouvernements de manière à ne pas influer sur l'Accord définitif nisga'a parce que toutes les parties à l'Accord définitif nisga'a s'étaient engagées à ne pas y changer un iota. Peu de temps après cette offre, nous avons demandé des modifications, et les négociateurs des deux gouvernements nous ont indiqué qu'ils ne pouvaient pas modifier l'Accord définitif nisga'a.
On vous a parlé du paragraphe 35. J'ai écouté le témoignage des professeurs qui ont comparu ici ce soir. Ils ont la solution et la voici. Le paragraphe 34 parle de litige. On y indique que nous devons établir nos droits devant les tribunaux. Nous avons intenté une poursuite devant les tribunaux en mars 1998. Peu de temps après, nous avons fait l'objet de violentes attaques de la part des deux gouvernements. Ils ont essayé de faire avorter nos poursuites devant les tribunaux. Ils l'ont fait à plusieurs reprises, dans l'espoir de nous faire abandonner. Ils savaient que nous n'avions pas les ressources nécessaires pour soutenir des poursuites devant les tribunaux. Ce processus a été coûteux. Mais la solution prévue par ce pays pour régler les problèmes de chevauchement, c'est d'aller devant les tribunaux. Si vous possédez les ressources nécessaires, vous pouvez vous rendre jusqu'à la Cour suprême du Canada.
C'est pourquoi nous avons proposé certaines solutions pour le peuple gitanyow et un moyen pour le Canada de sortir de l'impasse. Nous sommes d'accord avec M. Sterritt lorsqu'il a dit ce soir que le traité de nos voisins les Nisga'a devrait s'appliquer sur leur propre territoire. Les anciens chefs gitanyow l'ont bien précisé. Je l'ai dit et je le répéterai. Ils ont travaillé fort pour obtenir cet accord, mais nous voulons que notre territoire ne soit pas visé par l'accord.
Comme nous le proposons dans notre mémoire à la page 9, si vous avez une telle confiance dans les paragraphes 33, 34 et 35, pourquoi ne les avez-vous pas inclus dans le projet de loi C-9 comme vous l'avez fait pour d'autres questions? Modifiez le projet de loi pour y inclure ces paragraphes. Si vous croyez les mémoires que vous avez reçus, ajoutez un autre article au projet de loi: l'approbation et la ratification de l'Accord définitif nisga'a ne nous empêchera pas de négocier librement pour notre propre territoire. C'est le deuxième amendement que nous réclamons. Comme M. Sterritt l'a indiqué, nous convenons qu'il faut suspendre les chapitres et les dispositions qui touchent notre territoire. Nous vous en proposons le libellé à la page 10 de notre mémoire, en plus de l'article 27 du projet de loi C-9.
Vous qui appartenez à la chambre de réflexion de ce pays, nous vous demandons votre aide pour nous permettre de rétablir le calme et la certitude dans notre territoire. Car c'est la raison d'être de ces accords; on a parlé à plusieurs reprises de l'importance de la certitude. Nous aussi, nous recherchons la certitude. C'est pourquoi nous vous demandons de nous appuyer en ajoutant les amendements proposés à l'article 27. Pour vous faciliter la tâche, nous vous en proposons le libellé.
Les Nisga'a vous ont peut-être dit que leurs voisins ne veulent pas que vous changiez quoi que ce soit au projet de loi C-9, mais il appartient au Sénat du Canada d'en décider. Nous vous implorons d'ajouter ces amendements, de nous appuyer et de prendre des mesures immédiates en ce sens. S'il vous est impossible de le faire, il faudra alors prévoir un fonds de litige pour nous permettre de promouvoir notre cause et d'appuyer ceux qui risquent de se faire inculper parce qu'ils exercent les droits protégés par la Constitution, des droits qu'ils ont toujours exercés et que leurs ancêtres ont exercés pendant des siècles.
Dans le cadre de la mise en oeuvre de ce projet de loi, un plan de gestion des pêches nisga'a sera élaboré. En fait, il est déjà en train d'être élaboré et nous en avons vu la première ébauche. On y parle de tout le bassin de la Nass. Cela risque de semer l'incertitude et la confusion. J'ai parlé aux gestionnaires des pêches. Ils se demandent quoi faire. Nous leur avons demandé: Quels sont les droits qui auront la priorité sur notre territoire en juin lorsque la pêche commencera? Quels sont les droits qui prévaudront? Il y avait une dizaine de personnes présentes. Aucune d'entre elles n'a pu répondre à nos questions.
Lors de notre dernière discussion, on nous a dit qu'on allait demander un avis juridique pour déterminer s'il faut maintenir les droits issus de traités des Nisga'a, protégés par la Constitution ou les droits définis des Gitanyows.
Nous avons également fourni certaines preuves. Nous avons indiqué les conséquences qu'aura sur la faune l'incertitude permanente qui régnera chez nous. Le gouvernement de la Colombie-Britannique a déjà signalé ces préoccupations. Vous trouverez ces preuves dans les annexes portant sur la Direction de la faune du gouvernement de la Colombie-Britannique; les responsables ont de graves réserves à propos de la gestion opérationnelle sur le terrain.
Je vous renvoie aussi au paragraphe 34. Je demanderais à notre conseiller juridique de vous faire un bref résumé de la déclaration faite par le juge dans notre cause. Notre cause est l'affaire Luuxhon, nom de l'un de nos chefs héréditaires qui vit sur la frontière même.
Le chef Peter Hutchins, conseiller juridique, Chefs héréditaires gitanyows: Honorables sénateurs, l'affaire Luuxhon est toujours devant les tribunaux, devant la Cour d'appel de la Colombie-Britannique.
Notre mémoire renferme une partie qui traite des défauts systémiques et structurels dans la procédure moderne de conclusion des traités. Il est très important que le comité regarde au-delà du problème immédiat que pose le traité nisga'a et des problèmes particuliers des voisins des Nisga'a, et en considère les répercussions sur l'ensemble du pays. Il s'agit d'une question d'importance nationale si effectivement notre pays veut poursuivre, de façon honorable, une procédure de conclusion de traité et établir des mécanismes sûrs en matière de traités avec les Premières nations et les peuples autochtones de ce pays.
Ce qui est en train de se produire présente un risque pour la procédure moderne de conclusion de traité. Il est important de ne pas oublier ce que les tribunaux déclarent à ce sujet, et en particulier ce qu'ils déclarent à propos des négociations.
Les tribunaux ne préconisent pas simplement le recours à la négociation, ni ne disent qu'il est préférable de négocier que d'intenter des poursuites. Ce que les tribunaux sont en train de dire maintenant, et qui est très intéressant, c'est qu'il y a une façon appropriée de négocier. L'affaire Luuxhon en est un des exemples les plus intéressants. Les tribunaux sont également en train d'indiquer à la Couronne et aux peuples autochtones la conduite appropriée à adopter. Ils décortiquent le processus et indiquent la façon dont il devrait se dérouler.
Cette information est absolument essentielle. On ne peut pas simplement envoyer un groupe d'autochtones ou des représentants d'une Première nation prendre part à un processus avec les représentants de la Couronne, car on sait pertinemment que les règles du jeu ne sont pas équitables dans un tel contexte. Même si, de nos jours, certains déclarent que les peuples autochtones sont bien préparés, disposent de nombreuses ressources et de conseillers juridiques compétents -- et je ne répondrai pas à cela -- le fait est qu'ils ne disposeront jamais de ressources équivalentes.
Les Premières nations subissent d'autres inconvénients graves dans le cadre des négociations. Il est donc nécessaire d'établir une norme de conduite appropriée dans le cadre de ces négociations. Les tribunaux commencent à dire que la Couronne devrait être tenue de négocier de bonne foi.
Deux affaires sont maintenant devant les tribunaux. À la Cour fédérale du Canada, le juge dans l'affaire Inuits du Nunavik c. Canada, qui traitait du chevauchement et de la façon dont le Canada a négocié des traités avec les Inuits du Nunavik qui résident au Québec mais possèdent des territoires dans le nord du Labrador, a déclaré que la Couronne avait le devoir légal de négocier de bonne foi. Comme le Canada n'a pas fait appel de cette décision, il s'agit d'un jugement définitif de la Cour fédérale du Canada.
Comme M. Williams l'a mentionné, les Gitanyows ont aussi intenté une action devant les tribunaux de la Colombie-Britannique, la cause Luuxhom, qui pose la même question: La Couronne dans ses deux aspects, fédéral et provincial, a-t-elle le devoir de négocier de bonne foi avec les peuples autochtones des Premières nations une fois qu'ils ont convenu d'entamer une procédure de négociation d'un traité?
Dans cette affaire, le juge de première instance Williamson a déclaré que oui, la Couronne a ce devoir. Comme je l'ai dit, le Canada et la Colombie-Britannique ont interjeté appel de ce jugement. J'ignore ce que le ministre et ses collaborateurs vous ont dit sur la façon dont ils ont mené ces négociations. Ce que je peux vous dire, car je suis en train de préparer cet appel et de répondre aux factums des deux gouvernements, c'est que les gouvernements soutiennent avec vigueur qu'il n'existe aucun devoir légal de la part de la Couronne de négocier de bonne foi. Tout cela est très politique et très discrétionnaire.
Nous avons la décision finale, bien entendu, et il s'agit d'un appel. Il est intéressant de constater que les tribunaux ne se contentent pas de dire, comme l'a fait le juge en chef dans Delgamuukw, qu'il est préférable de négocier plutôt que de plaider devant les tribunaux. Il passe maintenant à l'étape suivante et demande: Comment devraient se dérouler ces négociations? C'est absolument essentiel. Autrement, d'après mon expérience -- quiconque a travaillé dans ce domaine en a l'expérience, comme bien entendu que les Nisga'a -- on passe de très longues années à consacrer d'énormes sommes d'argent et n'innombrables ressources à négocier un traité raisonnable et équitable. Ce n'est pas facile. C'est épuisant et il faudrait qu'il existe à tout le moins certaines règles du jeu. C'est ce que les Gitanyows essaient d'établir par le biais de Luuxhom.
Il y a eu certaines discussions ici à propos de luttes internes au sein des Premières nations. Il existe des différences bien entendu. L'affaire Luuxhom est devant les tribunaux de la Colombie-Britannique, cette cause est portée contre le gouvernement du Canada et le gouvernement de la Colombie-Britannique. Il s'agit d'une affaire dont l'objet est d'obtenir une mesure de redressement déclaratoire -- c'est-à-dire obtenir des indications de la part du tribunal quant aux devoirs de ces deux couronnes.
Existe-t-il un devoir de négocier de bonne foi? Il s'agit de la première déclaration sur laquelle se sont penchés les tribunaux. Une deuxième étape, qui n'est pas encore devant les tribunaux, consiste à demander: existe-t-il un devoir de négocier de bonne foi, les couronnes ont-elles manqué à ce devoir lorsqu'elles ont conclu un traité avec les Nisga'a? Ont-elles manqué à leur devoir envers les Gitanyows lorsqu'elles ont conclu le traité en question avec les Nisga'a? Cette affaire n'a pas été entendue par les tribunaux et cela ne se fera pas avant un certain temps.
Voilà où en sont les causes concernant les Gitanyows. L'affaire des Inuits de Nunavik que je vous ai décrite va dans le même sens. Il ne s'agit pas d'une affaire portée contre d'autres Inuits, d'autres peuples autochtones. Cette affaire vise à demander au tribunal ses instructions concernant les devoirs de la Couronne.
Le mémoire propose aussi ce que nous considérons être des solutions pratiques. Nous aimerions avoir du temps pour les parcourir avec vous, ainsi d'ailleurs que les amendements mentionnés par M. Williams. Le mémoire demande aussi au comité de donner des instructions précises au gouvernement du Canada quant à ce que nous considérons être ses engagements tels qu'ils sont libellés dans les traités nisga'a. Cela est très important, parce que nous allons non pas parler de modifier le traité nisga'a, mais bien de faire en sorte que le libellé non dérogatoire ait un effet précis et réel.
J'aurais dû vous indiquer dès le départ que j'agis à titre d'avocat dans la cause Luuxhon et dans d'autres affaires devant les tribunaux. Comme nous avons soulevé la question dans le mémoire -- et j'espère pouvoir en parler brièvement -- j'ai aussi été l'un des avocats qui ont participé aux négociations de la Convention de la Baie James et du Nord québécois au milieu des années 70.
Nous portons cette convention à l'attention du comité car nous considérons qu'il s'agit d'un précédent et d'un modèle intéressant et envisageable -- non pas parfait, car rien n'est parfait -- pour résoudre les revendications autochtones là où il y a chevauchement. C'est un modèle qui existe et qui fait partie des lois du Canada depuis 25 ans.
J'ai parfois de la difficulté à répondre aux gens de la Colombie-Britannique qui demandent par exemple: comment régler ces problèmes de chevauchement? Elles sont toutes si complexes et difficiles. Nous avons devant nous un traité qui, au départ, concernait deux peuples autochtones, puis un troisième, et où il y avait d'importants chevauchements. On est arrivé à une solution. Nous aimerions simplement avoir l'occasion de vous décrire certains aspects de cette convention.
Peut-être est-ce le moment de faire une pause. J'espère que nous vous avons suffisamment mis en appétit pour que vous nous invitiez à revenir demain pour vous en dire plus.
Le président: J'aimerais vous demander, monsieur Williams, si vous êtes libre demain matin?
M. Williams: Tôt en matinée.
Le président: Qu'entendez-vous par tôt?
M. Williams: Neuf heures.
Le président: Nous commencerons donc par vous à 9 heures. J'espère que vous pourrez terminer votre exposé en 15 minutes afin de permettre aux sénateurs de vous poser des questions. Le témoignage que vous nous avez donné ce soir nous a vivement intéressés.
M. Williams: Nous avons plus ou moins terminé notre exposé; nous n'aurons besoin que de quelques minutes de plus.
Le président: La plupart des avocats se réjouissent de pouvoir revoir leur mémoire et d'avoir une autre audience, et je sais que c'est sûrement votre cas à vous aussi, monsieur Hutchins.
Nous commencerons par vous à 9 heures, et vous prendrez la place laissée vacante par le professeur Monaghan. Nous respecterons donc l'horaire prévu.
La séance est levée.