Délibérations du comité sénatorial permanent des
Peuples autochtones
Fascicule 7 - Témoignages
OTTAWA, le jeudi 23 mars 2000
Le comité sénatorial permanent des peuples autochtones, devant lequel a été renvoyé le projet de loi C-9, Loi portant mise en vigueur de l'Accord définitif nisga'a, se réunit aujourd'hui à 9 heures pour examiner le projet de loi.
Le sénateur Jack Austin, c.p. (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président: Le négociateur en chef des Chefs héréditaires gitanyows, M. Glen Williams, va poursuivre son témoignage ce matin. M. Williams comptera sur l'aide de son avocat.
M. Peter Hutchins, chef et conseiller juridique, Chefs héréditaires gitanyows: Merci, monsieur le président et honorables sénateurs. Hier soir, nous vous avons donné une liste des points examinés dans notre mémoire. Nous estimons qu'ils revêtent une importance considérable, non seulement pour ce projet de loi en particulier, mais aussi pour l'ensemble de la procédure de nos traités modernes. Je commencerai par le sujet précis qui est traité brièvement dans le mémoire gitanyow, en l'occurrence les problèmes structuraux, ou systémiques, du mécanisme moderne des traités. À notre avis, ce mécanisme est bien mal en point. Il y a de nombreuses difficultés, on en voit des exemples dans tout le pays. Nous pourrons en reparler plus tard au moment des questions.
Voici certaines des difficultés que nous constatons et que nous avons évoquées dans notre mémoire: tout d'abord, le fait que le Canada et que les provinces n'ont pas réussi à régler les questions pratiques dues aux chevauchements, non pas simplement du point de vue de la prescription stricte des droits, mais plutôt de l'exercice de ces droits et de l'empêchement à les exercer dont a parlé Glen Williams hier soir.
En second lieu, on a tendance à délimiter un groupe autochtone, ou un peuple autochtone, et à régler les problèmes qui le concernent quel qu'en soit le coût pour les voisins. On agit ainsi pour différentes raisons. Nous avons mentionné dans le mémoire le principe du premier arrivé premier servi, que nous voyons s'instaurer dans tout le pays. Pour une raison ou pour une autre, lorsqu'un groupe autochtone est en mesure d'entreprendre des négociations, le gouvernement fédéral a tendance à se limiter à lui, à s'occuper de son cas, sans tenir compte des problèmes des autres ou en bloquant les gens qui s'efforcent de faire partie aussi de l'opération.
Il y a un critère lié au lieu de résidence qui paraît aberrant lorsqu'on tient compte des provinces et des territoires traditionnels. Ainsi, Terre-Neuve part du principe que celui qui n'habite pas Terre-Neuve ne peut pas avoir de droit ou de titre autochtone à Terre-Neuve.
Il y a le problème de ceux qui bénéficient de la meilleure organisation et du meilleur financement.
Il y a aussi le problème lié aux considérations politiques extérieures que l'on a évoqué hier soir. C'est aussi une difficulté.
En troisième lieu, on a tendance à se retrancher derrière des clauses non dérogatoires. Je suis certain que vous en avez entendu parler lors de votre étude du projet de loi. On a évoqué la question hier soir. Le gouvernement fédéral semble considérer que dans la mesure où l'on insère dans le traité une clause dans laquelle on laisse entendre: «Qu'il ne faut pas s'inquiéter, que les droits des autres peuples ne sont pas remis en cause», tout va alors pour le mieux, tous les problèmes sont résolus et l'on peut alors stipuler et faire ce que l'on veut dans le texte du traité. En réalité, les choses ne fonctionnent pas de cette manière. Compte tenu de la présence des clauses non dérogatoires dans le traité nisga'a, vous constaterez que le paragraphe 33 fait pour l'essentiel double emploi parce qu'il établit que les droits et le titre autochtone ne pourront être prescrit. Je vous rappelle que depuis 1982, le gouvernement fédéral n'a pas pu le faire sans le consentement des Gitanyows.
Le paragraphe 34 est une invite aux procès et par conséquent ne semble pas cadrer exactement avec les directives données par la Cour suprême du Canada, qui favorisent la négociation et non pas les poursuites en justice.
Le paragraphe 35 donne une orientation intéressante et mérite d'être étudié, mais il reste un peu vague. Il stipule que si l'on conclut avec d'autres peuples autochtones des traités contradictoires ou incompatibles, des mesures seront prises. Que va-t-il se passer? Est-ce que le gouvernement du Canada s'engage à négocier ces traités quant au fond?
En quatrième lieu, on a tendance à considérer l'élaboration des traités comme une question politique et non pas comme une question de droits. Nous entendons dire que cela ressort de la procédure d'élaboration des traités en Colombie-Britannique, en l'occurrence qu'elle est totalement discrétionnaire et politique. Voilà qui est difficile à accepter pour un peuple autochtone qui négocie un texte visant à reconnaître et à garantir à l'avenir le titre et les droits autochtones.
Pour toutes ces raisons, et pour bien d'autres encore, la façon dont les traités modernes sont négociés chez nous par le gouvernement du Canada et par les provinces pose problème, et en voilà un bon exemple.
Hier soir, je revoyais ce que les tribunaux avaient déclaré. L'arrêt Luuxhon est une décision intéressante et importante. Je ferai cependant remarquer qu'il fait l'objet d'un appel. J'ai indiqué hier soir que cet appel comporte deux volets. Le premier, sur lequel se penchent les tribunaux, c'est de savoir si l'on a l'obligation de négocier de bonne foi, et le second, que l'on n'a pas encore plaidé, est de savoir si le Canada a contrevenu à cette obligation. Certains sénateurs ont laissé entendre qu'il se pourrait que le juge ait déclaré dans cet arrêt que le Canada avait mené les négociations de manière détournée et de mauvaise foi. Cela n'a pas encore été déterminé. Le juge Williamson a bien dit cependant que l'on avait l'obligation en droit de négocier de bonne foi, et que cela semble impliquer que l'on ne puisse pas agir de manière détournée. Il s'agit pour nous de savoir si nous avons manqué à nos obligations.
Nous avons avancé dans notre mémoire plusieurs solutions. Nous nous sommes reportés à la Convention de la Baie James et du Nord québécois, qui établit un précédent en ce sens que des chevauchements très complexes impliquant trois peuples autochtones ont été négociés et ont été pris en compte dans le traité. On ne stipule pas dans le traité qu'ils seront pris en compte plus tard d'une manière ou d'une autre. Les différentes parties ont effectivement réglé le problème. C'est important.
Le projet de loi ayant permis à l'accord de la Baie James d'entrer en vigueur a bien prescrit les droits de certains peuples autochtones qui étaient des tierces parties. En 1975, c'était la solution apportée par le gouvernement fédéral à ces questions complexes. Il y a eu une époque au cours de laquelle le Parlement estimait être en mesure de prescrire des droits, et tout le monde était menacé. Je sais que les Cris de la Baie James et que les Inuits du Québec n'y étaient pas favorables. Ce n'est pas ce qu'ils voulaient. Toutefois, le gouvernement fédéral et celui du Québec l'ont absolument exigé.
Nous vous renvoyons aux clauses de l'accord de la Baie James qui portent sur la gestion conjointe des Cris, des Inuits et des Naskapis -- les clauses qui traitent du partage en commun du territoire et des droits de réciprocité. C'est un mécanisme complexe, mais on peut y parvenir. Dans ce cas précis, on y est parvenu en deux ou trois ans. Il n'a pas fallu 17 ans. Au cours des 25 dernières années, il n'y a eu pratiquement aucun conflit entre les trois parties. De nombreux conflits sont apparus au Canada, mais ces trois parties se sont accommodées de cet accord. Cela prouve que c'est possible.
Dans le cadre de cette opération, les Gitanyows ont cherché à proposer des solutions pratiques. Vous trouverez à l'annexe 5 du mémoire les propositions avancées par les Gitanyows en matière de gestion conjointe et sur d'autres points.
Nous en arrivons enfin aux amendements que nous voulons apporter au projet de loi. J'ai remis ce matin à la greffière des copies des amendements proposés. Cela correspond pour l'essentiel à ce qui figure déjà dans notre mémoire.
Pour l'essentiel, il y a deux types d'amendements. Je ne sais pas si les honorables sénateurs les ont devant eux. C'est un document de deux pages.
Le sénateur Grafstein: S'agit-il du document intitulé «Gitanyow Heriditary Chiefs, Proposed Amendments to Bill C-9»?
M. Hutchins: Oui. Le premier groupe d'amendements porte sur les clauses non dérogatoires. Nous proposons, et je pense l'avoir indiqué hier soir, que l'on reprenne tout simplement les clauses non dérogatoires du traité nisga'a pour les insérer dans ce projet de loi. Autrement dit, il faut une reconnaissance et des directives expresses du Parlement sur cette question. Les amendements proposés, 20A, 20B et 20C, correspondent aux clauses non dérogatoires du traité nisga'a et s'appliquent aux paragraphes 33, 34 et 35 compte tenu de leurs imperfections. Nous sommes parvenus à un point où nous nous efforçons de proposer un minimum de mesures pour minimiser les conséquences.
L'amendement 20D est une nouvelle proposition, mais elle figurait dans notre mémoire et nous en avons parlé hier soir. Dans cet amendement, nous demandons tout simplement au gouvernement du Canada de ne pas exciper du traité nisga'a pour ne pas conclure des traités globaux avec d'autres peuples autochtones. Dans notre esprit, c'est ce qui figure au paragraphe 35 du traité nisga'a. Il est important, et certainement raisonnable, de donner des éclaircissements à cet égard.
Nous proposons le report de l'entrée en vigueur de certaines clauses du traité en attendant, soit qu'un accord soit passé entre les parties sur la façon de régler les chevauchements, soit qu'un traité définitif soit conclu avec les Gitanyows. Il faut bien comprendre que depuis trois ou quatre ans, le Canada et la Colombie-Britannique ont demandé aux Gitanyows que l'on accélère la procédure d'élaboration d'un traité et que l'opération soit menée parallèlement à celle de la signature d'un traité avec les Nisga'as. Il n'en a pas été ainsi. Nous sommes désormais devant un traité qui, peut-on penser, est sur le point d'être ratifié par le Parlement, alors que les Gitanyows s'efforcent toujours de conclure une entente de principe.
Enfin, nous proposons dans notre mémoire que le Sénat du Canada donne des directives claires au gouvernement fédéral pour que celui-ci, en prenant des engagements à cet effet, fasse savoir aux Gitanyows et aux autres voisins des Nisga'as que le paragraphe 35 du traité nisga'a a bien le sens que nous lui donnons. En l'occurrence, il doit être dit clairement que dans le cas, qui n'a rien d'improbable, où un traité signé avec les peuples voisins puisse entrer en conflit avec le traité nisga'a, le Canada continue à s'engager à négocier des traités globaux et à procéder si nécessaire aux rectifications devant être apportées au traité nisga'a, conformément aux dispositions du paragraphe 35 de ce traité. C'est très important. Je ne pense pas que l'on puisse permettre au Canada de s'abriter derrière une formulation qui, en dernière analyse, est creuse.
Sénateurs, voilà qui conclut ce rapide exposé de notre intervention. En compagnie de M. Williams, je suis prêt à répondre à vos questions.
Le président: Merci, monsieur Hutchins.
Le sénateur St. Germain a généralement des questions à poser sur les chevauchements.
Le sénateur St. Germain: Monsieur le président, comme vous l'avez fait remarquer tout à fait judicieusement, ce qui me préoccupe véritablement au sujet de cette législation, ce sont les chevauchements.
Pour commencer, je tiens à féliciter les Nisga'as, qui sont d'excellents négociateurs. Compte tenu de la façon dont ils ont su négocier cet accord, j'estime que, du moins en ce qui concerne les responsables d'aujourd'hui, ils seront d'excellents administrateurs pour le peuple nisga'a.
Hier soir, M. Sterritt nous a demandé d'examiner les frontières des tribus dans le bassin de la Nass. Vous savez qu'il y a eu l'arrêt Calder et il se trouve que M. Calder, un éminent ressortissant de la Colombie-Britannique, est ici avec nous aujourd'hui. Les Nisga'as revendiquaient à l'origine un certain territoire, mais sa superficie est aujourd'hui le double de celle qui figurait dans la revendication d'origine de Calder en 1969. Elle est aussi bien plus étendue que celle que revendiquaient les Nisga'as dans leur requête de 1913.
De toute évidence, il faut soit que les négociateurs de notre gouvernement n'aient pas été à la hauteur des Nisga'as, soit qu'il y ait quelque chose que nous ne sachions pas encore, monsieur le président. J'espère qu'à la fin de ces auditions cette question d'équité viendra sur le tapis.
Est-il vrai, monsieur Williams, qu'à la table des négociations les négociateurs du gouvernement ont fait savoir qu'ils refuseraient de négocier avec les Gitanyows une fois que l'on en serait venu avec une entente territoriale avec les Nisga'as? Dans l'affirmative, pouvez-vous nous expliquer la raison de ces propos?
M. Glen Williams, négociateur en chef, Chefs héréditaires gitanyows: Les représentants du gouvernement nous ont fait savoir qu'ils entendaient continuer à négocier. Les négociateurs du gouvernement représentant les deux paliers de gouvernement à notre table de négociations nous ont dit bien clairement qu'ils ne modifieraient pas l'Accord définitif nisga'a. D'ailleurs, lorsqu'il nous a été présenté le 29 novembre, l'offre était délibérément formulée de manière à exclure toute modification susceptible d'être apportée à l'Accord définitif nisga'a.
Le sénateur St. Germain: En témoignant hier soir, monsieur Williams, vous avez déclaré que vous étiez pleinement d'accord avec la position adoptée par M. Sterritt. C'est bien exact?
M. Williams: Sur quel point?
Le sénateur St. Germain: Concernant la description qu'il a faite des terres traditionnelles des Gitanyows, des Gitxsans et des Nisga'as. Je ne veux pas parler à votre place. Si ce n'est pas tout à fait juste, est-ce que c'est à peu près juste?
M. Williams: Je me rends presque tous les ans dans la zone frontière. Nous avons des cabanes sur notre territoire du Lower Cranberry. J'ai été à Meziadin et mon grand-père ainsi que ma mère ont grandi au lac Meziadin. J'ai là-bas de nombreuses cabanes et des coins de pêche. Voilà des années que je parle avec nos anciens et je suis pleinement d'accord avec ce qu'a dit M. Sterritt. Je suis d'accord avec son témoignage, y compris avec les éclaircissements qu'il a donnés au sujet de la carte de Calder et de la requête de 1913. Je suis tout à fait d'accord avec lui.
Le sénateur St. Germain: Êtes-vous aussi d'accord avec lui lorsqu'il a déclaré que ce traité était dicté par des motivations politiques de l'ancien premier ministre de la Colombie- Britannique?
M. Williams: Je suis pleinement d'accord avec M. Sterritt lorsqu'il nous dit qu'il a été dicté par M. Clark.
Le sénateur St. Germain: Concernant la description qu'il a faite des terres traditionnelles des Gitanyows, des Gitxsans et des Nisga'as. Je ne veux pas parler à votre place. Si ce n'est pas tout à fait juste, est-ce que c'est à peu près juste?
M. Williams: Je me rends presque tous les ans dans la zone frontière. Nous avons des cabanes sur notre territoire du Lower Cranberry. J'ai été à Meziadin et mon grand-père ainsi que ma mère ont grandi au lac Meziadin. J'ai là-bas de nombreuses cabanes et des coins de pêche. Voilà des années que je parle avec nos anciens et je suis pleinement d'accord avec ce qu'a dit M. Sterritt. Je suis d'accord avec son témoignage, y compris avec les éclaircissements qu'il a donnés au sujet de la carte de Calder et de la requête de 1913. Je suis tout à fait d'accord avec lui.
Le sénateur St. Germain: Êtes-vous aussi d'accord avec lui lorsqu'il a déclaré que ce traité était dicté par des motivations politiques de l'ancien premier ministre de la Colombie- Britannique?
M. Williams: Je suis pleinement d'accord avec M. Sterritt lorsqu'il nous dit qu'il a été dicté par M. Clark.
Le sénateur St. Germain: Voilà de nombreuses années que vous êtes le négociateurs en chef des Gitanyows. Vous êtes-vous assis avec Tom Molloy, le négociateur en chef du gouvernement fédéral, lorsqu'on a négocié vos revendications territoriales et celles des Gitxsans?
M. Williams: Oui, j'étais là.
Le sénateur St. Germain: Estimez-vous alors que lorsqu'il siégeait à la table des négociations des Nisga'as, M. Molloy était en situation de conflit d'intérêts étant donné qu'il disposait de renseignements plaçant votre peuple en position de faiblesse et avantageant les Nisga'as? Il disposait de toute évidence de renseignements que vous lui aviez communiqués et qu'il était en mesure d'utiliser à votre détriment à l'autre table de négociations?
M. Williams: Je ne puis qu'être d'accord. Nous avons discuté à maintes reprises avec M. Molloy de ce qui ressortait de presque toutes les rencontres que nous avons eues avec les représentants provinciaux et fédéraux. Nous avons pris bien soin de leur faire part de nos préoccupations concernant le fait qu'il y avait des négociations et qu'elles étaient susceptibles d'englober certaines parties de notre territoire. M. Molloy savait bien ce qu'était notre territoire. Lorsque nous avons présenté un projet de carte, le gouvernement fédéral et la Commission des traités de la Colombie-Britannique l'ont accepté. Ils se sont entendus avec nous sur un accord-cadre.
Oui, je suis d'accord pour dire que M. Molloy était en conflit d'intérêts.
Le sénateur St. Germain: Honorables sénateurs, je pèserai mes mots, parce que je me rends compte qu'il nous reste d'autres témoignages à entendre. J'ai parlé à Earl Muldoe, qui est Delgamuukw, ainsi qu'à des représentants des Gitanyows. Les terres administrées qui ont été concédées en fief simple font pratiquement penser, j'allais dire à une «combine» en ce sens qu'elles ont été choisies de manière stratégique. À certains égards, elles rendent impossible la résolution à l'avenir des revendications territoriales des voisins des Nisga'as. Je veux parler des cinq zones soulignées en bleu qui correspondent aux Gitanyows. Elles semblent toutes situées en des points stratégiques. La cabane de M. Muldoe se trouve sur celle du lac Kwinageese, qui fait aussi l'objet d'un conflit avec les Gitxsans. La zone encerclée en bleu où se trouvent les cinq terrains concédés en fief simple se trouve sur le territoire des Gitanyows.
Je ne veux pas parler à votre place. En voyant cela, je dois aussi tenir compte de la revendication présentée à l'origine. Je fais mes compliments aux Nisga'as, qui sont de toute évidence d'excellents négociateurs. Il m'apparaît que cette situation va entraîner des conflits pendant 1 000 ans ou encore qu'elle ne pourra jamais être résolue comme il se doit. Qu'en pensez-vous?
M. Williams: D'après ce que nous avons pu savoir au sujet de ces terrains concédés en fief simple, il y a eu une étude effectuée par nos voisins par le gouvernement pour déterminer quels étaient les meilleurs terrains, susceptibles d'être le mieux utilisés, sur le territoire revendiqué. Cinq des 75 emplacements répertoriés se trouvent sur notre territoire.
Je crois qu'il y a deux terrains concédés en fief simple au lac Jade dans la région de Kinskuch. Une grosse propriété affectée aux loisirs dans l'arrière-pays accompagne ces deux terrains concédés en fief simple. Dans la région de Meziadin, le terrain répertorié devant être concédé en fief simple se trouve dans une zone dans laquelle nous avions traditionnellement un village. On l'a depuis déplacé.
Un autre terrain concédé en fief simple devait se trouver dans la partie basse de la Nass ou le long de la route 37. Cet emplacement a désormais été déplacé à Grizzly Bear Lake. C'est une zone qui offre des possibilités commerciales.
Voilà, d'après ce que nous savons, les terrains que l'on a répertorié comme étant susceptibles de la meilleure utilisation.
Le sénateur Andreychuk: Vous avez indiqué que les négociateurs ou que les fonctionnaires du gouvernement vous avaient dit qu'ils ne négocieraient aucune clause qui figure dans l'Accord définitif nisga'a.
M. Williams: C'est exact.
Le sénateur Andreychuk: Est-ce que cela englobe, par conséquent, la partie du territoire contesté? Est-ce que d'une manière ou d'une autre on a abordé directement la question?
M. Williams: Il y a une petite portion du territoire réservé aux Nisga'as ou faisant l'objet d'un règlement qui chevauche notre territoire. On nous a fait savoir que l'on ne modifierait pas cette portion du territoire réservé qui chevauche notre territoire de pêche. Nous avions d'énormes intérêts sur cette portion de territoire.
On nous a fait savoir que l'on ne changerait pas la zone affectée à la gestion de la faune ou des pêches. On nous a fait savoir que nous pourrions nous entendre sur ce point particulier.
La question est la suivante: comment s'entendre lorsque les Gitanyows ont des droits non définis par opposition à des droits issus de traités protégés par la Constitution? Nous avons demandé aux responsables de nous expliquer comment ils voyaient la chose et comment nous pourrons refléter cela dans un accord. Ils n'ont pas pu répondre à ces questions.
Le sénateur Andreychuk: De qui parlez-vous lorsque vous dites «ils»?
M. Williams: Des négociateurs du gouvernement.
Le sénateur Andreychuk: De qui s'agissait-il à l'époque?
M. Williams: Il s'agissait des négociateurs en chef du gouvernement fédéral et de la province.
Le sénateur Andreychuk: Vous nous avez indiqué qu'à un moment donné M. Molloy était votre négociateur, puis qu'il a cessé de l'être. Pouvez-vous nous dire comment vous avez appris qu'il n'était plus votre négociateur?
M. Williams: Le gouvernement du Canada a annoncé qu'il était nommé à la table des négociations des Nisga'as.
Le président: Si vous me le permettez, je préciserai que M. Molloy a toujours agi en qualité de représentant de l'État. Il n'a jamais agi pour le compte d'une collectivité autochtone.
Le sénateur Andreychuk: J'en conviens. Je me suis mal exprimé. Ce que je voulais savoir, c'est comment vous avez appris que M. Molloy n'allait plus négocier avec les Gitanyows pour le compte de l'État. Vous nous dites que vous l'avez appris par une annonce?
M. Williams: Effectivement, il y a eu une annonce.
Le sénateur Andreychuk: Si les Nisga'as ne réussissent pas à conserver les terres contestées, il y aura une indemnisation. Avez-vous discuté avec le gouvernement fédéral de ce qui se passera si vous réussissez à récupérer ces terres contestées? Avez-vous discuté d'un montant d'indemnisation si vous ne réussissez pas à récupérer ces terres?
Est-ce que l'on met à votre disposition des ressources, financières ou autres, pour que vous puissiez chercher à récupérer ces terres contestées?
M. Williams: Non. Nous essayons depuis plusieurs années d'obtenir des ressources. Nous avons hérité de ce problème et nous avons toujours cherché à le porter à la connaissance du gouvernement et de nos voisins et à trouver le moyen d'y remédier. Nous avons emprunté de l'argent pour essayer de signaler ce problème à l'attention du gouvernement. Nous avons utilisé nos propres ressources.
Le sénateur Grafstein: Je me pose des questions sur un point qui n'a été soulevé que dans le cadre de l'annexe 11 de votre mémoire. Je vais vous lire le passage concerné et vous pourriez peut-être me le commenter rapidement. Cela a particulièrement éveillé mon attention lors de ces audiences. Vous nous dites à l'article 7:
Notre modèle, qui a été présenté à la fois aux négociateurs et aux politiciens fédéraux et provinciaux s'appuie sur la reconnaissance des droits, du titre et de l'administration autochtone et sur la conciliation de ceux-ci avec les droits et intérêts des Canadiens non autochtones.
Quelle est votre conception des droits des minorités pour les non-Gitanyows sur le territoire gitanyow? Pour qu'il en soit pris acte dans notre procès-verbal, quel est le degré de reconnaissance des droits des minorités s'appliquant aux non-Gitanyows sur le territoire Gitanyows?
M. Williams: Nous sommes en train d'élaborer des règlements internes sur le point précis que vous soulevez. Nous nous référons à notre droit traditionnel, aux lois canadiennes, à la Charte des droits et libertés et aux principes de la démocratie. Nous en sommes justement au point, lors des discussions qui ont lieu entre nous et dans le cadre de nos négociations, où nous voulons faire avancer cette question. Nous voulons prendre en compte ces intérêts et définir exactement quels seront les droits des minorités. Nous voulons tenir pleinement compte de la Charte et des principes de la démocratie. Quoi qu'il en soit, à l'heure actuelle, ces gens sont pris en compte par notre système.
Le sénateur Grafstein: Comment?
M. Williams: Nous avons indiqué hier que nous avions des groupes d'habitation et que nombre des participants qui ne sont pas Gitanyows -- certains peuvent être cris et d'autres des non-autochtones -- sont logés dans notre salle des fêtes. Ils reçoivent des noms, pas trop élevés dans la hiérarchie, mais ils font partie de l'organe de décision de la maison concernée. Certains droits privilégiés leur sont conférés.
Le sénateur Grafstein: Des droits privilégiés?
M. Williams: Oui, des droits privilégiés.
Le sénateur Grafstein: Effectivement, vous ne vous êtes pas encore attachés à régler la question de l'égalité des droits entre les Gitanyows et les résidents du territoire Gitanyows qui ne sont pas des Gitanyows.
M. Williams: Nous nous en occupons. Comme je vous l'ai expliqué, dans notre système traditionnel, nous prenons en compte ce genre de personnes.
Le sénateur Grafstein: Je voudrais aborder un autre volet de vos amendements. N'êtes-vous pas prêts à admettre que la clause 20A que vous proposez fait déjà force de loi et qu'un amendement n'est pas nécessaire?
M. Hutchins: Lorsque j'ai passé en revue les clauses du traité nisga'a, les articles 33, 34 et 35, je vous ai indiqué, sénateur, qu'effectivement l'article 33 faisait double emploi. Cela fait partie de notre droit, dans la mesure où les Gitanyows ont des droits autochtones, et n'ont pas encore des droits issus de traités. Ils sont intégrés à la Constitution.
Le sénateur Grafstein: L'article 20A fait force de loi. Nous n'avons pas besoin de dire que c'est pour plus de précaution. Est-ce que ça ne fait pas partie du droit en vigueur?
M. Hutchins: Bien évidemment, tout le monde peut s'adresser aux tribunaux. J'imagine que les parties ont fait figurer dans le traité l'alinéa suivant: «a. cette clause ne sera effective et n'interviendra que dans la mesure où elle ne remet pas en cause ces droits» pour préciser la situation en cours lors d'une contestation devant les tribunaux.
Le sénateur Grafstein: J'essaie simplement de bien comprendre tout cela. Cela fait partie de notre droit. Je ne sais pas pourquoi, que l'on soit d'accord ou non avec la procédure des traités, il faut que l'on en rajoute par rapport à notre droit, tel qu'il existe déjà. Les points 20A et 20B font déjà partie de notre droit. Pourquoi compliquer davantage la situation? J'aimerais en savoir la raison quant au fond. Dites-moi en quoi vos amendements diffèrent de ce qui figure déjà dans notre droit?
Je reconnais que la clause 20C me semble légèrement différente du droit existant. Elle semble disposer qu'une nation autochtone peut présenter une revendication, selon ce que déclare le sénateur Tkachuk, pour obtenir davantage de terres, et recevoir ensuite moins que la superficie demandée avec une indemnisation correspondante. Il semble que ce soit la réaffirmation de ce principe. Est-ce là ce que se propose la clause 20C?
M. Hutchins: Pour commencer, les clauses 20A, 20B et 20C sont tirées mot pour mot du traité nisga'a, l'expression «cet accord», qui figure dans le traité, étant simplement remplacée par «l'Accord définitif nisga'a». Nous avons repris ces paragraphes. Pour être juste envers les parties, on peut penser que nous négocions un tout et qu'il faut donc que les trois clauses soient insérées.
L'amendement 20C que nous proposons renvoie au paragraphe 35 du traité. C'est une chose différente. Je vous le répète, sénateur, nous interprétons le paragraphe 35 comme étant un engagement pris par le Canada, et incidemment par la Colombie-Britannique, envers les voisins des Nisga'as, qui l'oblige à négocier des traités avec ces derniers et à ne pas exciper du traité nisga'a pour ne pas conclure des traités globaux. C'est notre interprétation. Nous considérons qu'il serait important que le Parlement du Canada fasse figurer cette disposition dans le projet de loi. Nous jugeons aussi important que le Canada le confirme clairement par lettre ou par d'autres moyens aux Gitanyows et aux autres voisins. C'est important. Il ne s'agit pas simplement de répéter l'état du droit. C'est un concept important.
Le président: C'est éventuellement une question que nous poserons au ministre lorsqu'il se présentera devant nous.
Le sénateur Grafstein: Je suppose que votre opposition se traduit surtout par le fait que vous proposez, en vertu des clauses 27(2) et 27(3), que l'on retarde la proclamation de la loi en attendant que les problèmes de chevauchement soient réglés.
M. Hutchins: Oui. Les clauses 27(2) et 27(3) portent sur le principe d'une suspension, non pas de la totalité du traité, mais des parties du traité qui ont des incidences sur les Gitanyows et sur les autres voisins. Nous sommes toutefois ici pour représenter les Gitanyows. Une grande partie du traité peut entrer en vigueur. Comme l'ont dit Glen Williams et Neil Sterritt, cette initiative ne vise pas à bloquer ou à retarder toute cette mise en oeuvre du traité, mais plutôt à permettre à ce peuple de bénéficier immédiatement des avantages de son traité dans la mesure où il ne porte pas préjudice à ses voisins. Cette initiative vise cependant à suspendre l'application des clauses du traité qui ont effectivement des incidences sur les voisins en attendant que l'on ait la possibilité de régler la question des chevauchements ou que le Canada s'acquitte de ses obligations aux termes de l'article 35 et négocie un traité global avec les voisins, en l'occurrence les Gitanyows.
Le sénateur Gill: Ma question porte sur la Convention de la Baie James et du Nord québécois.
[Français]
Il est important de clarifier le fait que les négociations entre les instances fédérales, provinciales et autochtones pour la Convention de la Baie James, qui ont eu lieu entre les années 1970 et 1975, se sont tenues dans un contexte différent. Il y avait eu extinction de droits au préalable. C'est différent du contexte actuel des négociations.
[Traduction]
M. Hutchins: Lors des négociations de l'accord de la Baie James en 1975, je vous ferai remarquer qu'aucune prescription des droits n'avait encore eu lieu. Il y avait cependant une menace de prescription prononcée par le Parlement du Canada au cas où les Cris de la Baie James et les Inuits du Québec ne parviendraient pas à un accord. Cet accord a été négocié en tenant compte du premier grand projet hydroélectrique de la phase I de la Baie James ainsi que des injonctions obtenues par les Cris et les Inuits.
Jusqu'à un certain point, l'accord de la Baie James était un règlement hors cour. Il y avait cependant la menace, à la table des négociations, qui faisait que si l'on ne parvenait pas à un accord ou à une entente, on se retournerait vers le Parlement pour lui demander de prescrire les droits, ce dernier partant du principe à cette époque qu'il en avait le pouvoir. Voilà quelles étaient les conditions dans lesquelles les parties ont négocié l'accord de la Baie James.
Le sénateur Gill: J'ai une question à poser au chef Williams. Les bandes indiennes ou les peuples autochtones peuvent négocier et signer des contrats mais, aux termes des dispositions de la Loi sur les Indiens, il faut que cela soit avalisé par le ministre des Affaires indiennes. Il est possible que certains signent des accords sans obtenir l'aval du ministre, ce qui est cependant illégal aux termes des dispositions de la Loi sur les Indiens.
L'objectif des peuples autochtones qui entreprennent de négocier, c'est d'avoir la possibilité de prendre leurs propres décisions concernant leur avenir. On pourrait l'exprimer différemment, mais je pense que la plupart des bandes veulent avoir la possibilité d'agir pour leur propre compte et pour les membres de leur communauté.
Si vous aviez la possibilité de négocier avec d'autres nations sans avoir à demander la signature ou l'arbitrage du ministre des Affaires indiennes, pensez-vous que les peuples autochtones pourraient parvenir à des accords?
M. Williams: Je pense que nous le pouvons, et nous cherchons à le faire depuis deux décennies. Nous avons cherché à définir les problèmes et les enjeux précis et à trouver des solutions sans l'intervention du gouvernement. Je crois que c'est possible. Il faut toutefois que les deux parties soient placées sur un pied d'égalité. La situation actuelle découle de projets de négociations et d'accords provisoires en vigueur au début des années 90, d'une entente intervenue en 1996 puis, à nouveau, en 1998, qui obligent toutes les parties à ne pas modifier un accord donné. En dépit de tout cela, je pense que c'est possible. Nous sommes arrivés à des accords avec nos voisins, les Gitxsans, et nous sommes parvenus à certaines ententes dans certains domaines, mais il faut que tout le monde soit placé sur le même pied.
Le sénateur Lawson: Pour faire suite à la question posée par le sénateur Andreychuk, monsieur Williams, nous croyons savoir qu'en vertu du traité, si vous réussissez à obtenir la restitution de vos terres au détriment des Nisga'as, ces derniers seront indemnisés en espèces ou en nature. Que se passera-t-il si votre intervention devant la justice n'est pas couronnée de succès, si vous ne récupérez pas vos terres et si elles sont perdues à jamais? Est-ce que le gouvernement ou quelqu'un d'autre a pris envers vous des engagements concernant la façon d'indemniser les Gitanyows?
M. Williams: Notre peuple, comme je vous l'ai dit hier, se trouve sur ce territoire. Nous en dépendons pour notre nourriture -- pour la pêche et pour la chasse. Nous y avons construit des cabanes et des fumoirs et la Loi autochtone gitxsane s'applique sur ce territoire. Les droits issus du traité nisga'a vont se heurter aux droits non définis des Gitanyows. Le joug, ou le droit, Gitanyows, existe depuis des milliers d'années. Nous payons très cher le droit de conserver les noms traditionnels. Quant aux poteaux totémiques dont je vous ai parlé hier, il peut arriver qu'un groupe d'habitation et qu'un chef investissent jusqu'à 100 000 $ pour les ériger. Mon grand-père et nos anciens ont toujours affirmé que ce territoire était pour nous comme une banque, qui nous servait de table sur laquelle nous trouvions notre nourriture. Notre peuple est très convaincu, et déterminé à continuer à appuyer notre système et notre droit sur notre territoire. Nous serons probablement expulsés du territoire, inculpés et empêchés d'y revenir. Je répète qu'il y aura de la confusion et qu'on ne saura pas quels droits s'appliquent en premier lieu sur ce territoire.
Le sénateur Lawson: Pour être plus précis, le gouvernement fédéral ne s'est aucunement engagé à vous indemniser au cas où vous perdriez vos terres.
M. Williams: Nous n'avons reçu aucune indemnisation du gouvernement fédéral.
Le sénateur Lawson: Pourquoi n'avez-vous pas été traités comme les Nisga'as? Sur le plan de l'équité et de l'application de l'ensemble du mécanisme des traités, puisque c'est ce système qui est censé avoir été adopté, pourquoi n'a-t-on pas pris envers vous les mêmes engagements qu'envers les Nisga'as?
M. Williams: Je n'en sais rien.
Le sénateur Lawson: Moi non plus.
Le sénateur St. Germain: Il semble que l'on soit en train de fouler aux pieds les droits des minorités autochtones. Mes collègues sont sensibles à ces droits, comme l'est le sénateur Chalifoux, en raison du fait qu'ils ont eu l'occasion de traiter directement avec des autochtones ou qu'ils sont eux-mêmes autochtones ou en partie autochtones. Cette sensibilité nous oblige à envisager sous tous ces aspects cette espèce de volonté du gouvernement de la Colombie-Britannique de faire adopter de force quelque chose au détriment des Gitanyows et des Gitxsans.
Monsieur le président, il serait peut-être bon que le comité demande aux témoins de comparaître à nouveau une fois que nous aurons entendu M. Molloy et le ministre. Je vous avais indiqué d'avance que j'allais faire cette proposition et vous m'avez informé que vous mettriez la question aux voix. Toutefois, je ne sais pas si c'est la façon dont vous voulez procéder.
Pour moi, je vous l'avoue, c'est la pire erreur que l'on puisse commettre dans toute cette affaire. Compte tenu de l'importance de la situation, est-ce que l'on peut demander aux témoins de comparaître à nouveau?
Sous l'effet de l'émotion qui se dégage de cette séance, les participants font des déclarations sans bien comprendre toute la procédure ni certaines des questions qu'en tant que ressortissants de la Colombie-Britannique nous connaissons bien d'avance. Monsieur Williams, avez-vous dès maintenant quelque chose à dire aux sénateurs?
Notre président pourrait peut-être trancher la question de savoir s'il nous faut réinviter nos témoins.
Le président: Reportons la décision sur cette question en attendant que nous ayons entendu tous les autres témoins. Nous trancherons alors.
Voilà une heure trois quarts que nous entendons les représentants des Gitanyows. C'est la plus longue comparution de tous les témoins. Je reconnais que la question est d'un grand intérêt pour les sénateurs, mais je pense que nous avons pleinement écouté ce qu'ils avaient à dire.
Je suis tout à fait disposé à reporter la décision à plus tard. Si les témoins veulent revenir après avoir entendu le ministre, M. Molloy et d'autres intervenants, ils pourront me le faire savoir à ce moment-là.
Le sénateur St. Germain: Allez-vous prendre arbitrairement cette décision ou est-ce que c'est le comité qui le fera?
Le président: Je m'en remets toujours à la volonté du comité. Je prends ombrage de l'allusion selon laquelle je pourrais agir arbitrairement. Vos interventions m'énervent étant donné que pour poser vos questions vous avez pris autant de temps que tous les autres sénateurs réunis. Je considère que vous n'êtes pas justifié de m'accuser de ne pas vous traiter de manière équitable.
Le sénateur St. Germain: Je vous prie de m'excuser s'il en est ainsi, mais je n'en considère pas moins qu'une question aussi importante pour la Colombie-Britannique et pour le Canada ne doit pas faire l'objet d'une limite de temps alloué par vous-même ou par le gouvernement.
Le président: Non, c'est vous qui devez en décider.
Le sénateur St. Germain: Nous devons en décider. C'est le sens de mon intervention. Je vous remercie de m'avoir donné le temps de poser mes questions.
Le président: Notre comité doit faire son travail. Il y a d'autres questions qui intéressent tout autant les sénateurs, sénateur St. Germain. Nous n'avons pas empêché vos témoins de se faire entendre.
Le sénateur St. Germain: Ce ne sont pas mes témoins. Ce sont nos témoins.
Le président: Vous avez eu tout le temps de défendre votre dossier.
Le sénateur Chalifoux: J'invoque le Règlement. Nous perdons notre temps à entendre débattre et argumenter le président et son vice-président. Je préférerais entendre les témoins. Je vous remercie.
Le sénateur Grafstein: Monsieur le président, en tant que membre du comité n'ayant pas le droit de vote, je tiens à dire aux témoins que leurs témoignages d'hier soir et de ce matin m'ont paru plein d'enseignements et très précis. Les questions sont clairement posées. Nous allons entendre plus tard le ministre et M. Molloy, et nous pourrons nous former un jugement sur les faits. Pour moi, qui me posait sérieusement des questions sur la procédure, les témoignages m'apparaissent très clairs. C'est une question de crédibilité sur certains points.
Il y a des questions de droit, des questions de droit constitutionnel, et des questions de crédibilité. Les témoins nous précisent les enjeux. Plutôt que d'entendre le président et son vice-président débattre d'un point particulier, je suis d'accord avec le sénateur Chalifoux pour dire qu'il nous faut continuer l'audition des témoignages. Nous avons devant nous des témoins et nous avons hâte d'entendre ce que d'autres témoins ont à nous dire.
Le président: Monsieur Williams, je vous invite à faire un dernier commentaire.
M. Williams: Merci de nous avoir entendu. Je vous l'ai dit hier, notre population n'est peut-être pas très nombreuse, mais nous sommes un peuple dans ce pays. Nous en sommes maintenant au moment ultime de l'adoption de ce projet de loi. Vendredi prochain, tout sera consommé. Le gouvernement a choisi la nouvelle année financière pour mettre en oeuvre ce projet de loi. Nous avons témoigné de notre existence et du fait que nous avons un territoire. Notre peuple est très préoccupé. Nos anciens assistent en silence à la mise en oeuvre de cette procédure. Eux aussi sont très préoccupés.
Les pêches vont commencer dans quelques mois. Nous ne sommes pas sûrs que nos droits constitutionnels vont être protégés. Il se peut qu'il y ait des droits autochtones non définis et c'est pourquoi nous vous adjurons de procéder à quelques amendements mineurs que nous vous avons proposés hier soir et à nouveau ce matin. Ce sont des amendements tout à fait bénins. Nous aimerions que l'on adopte le projet de loi C-9 à condition que notre territoire ne soit pas visé par ce texte. C'est bien peu de chose ce que nous vous demandons aujourd'hui afin d'avoir certaines garanties et une certaine tranquillité sur le terrain.
Le président: Nous allons maintenant entendre M. Willard Estey. Je me demande si quelqu'un a déjà vu un ancien juge de la Cour suprême du Canada comparaître devant un comité sénatorial. Voilà 25 ans que je suis ici et je n'en ai pas souvenance.
Nous attendions avec une grande impatience votre comparution. Je ne sais pas si dans ce cas précis le sénateur Grafstein va vous demander officiellement de vous présenter. Il l'a fait pour les autres témoins. S'il se sent obligé de le faire en ce qui vous concerne, je lui en laisserai la possibilité.
Le sénateur Grafstein: Je tiens à révéler l'existence d'un vieux conflit d'intérêts. Il y a une trentaine d'années, nous avons tous deux agi avec M. Estey en qualité d'avocat dans une affaire très importante pour le compte du gouvernement fédéral. Cela ne m'empêchera aucunement de poser des questions fondamentales et bien terre à terre.
M. Estey: J'ai bien peur que cela vous mette hors d'état d'intervenir et vous place en conflit d'intérêts.
Le président: Vous avez la parole.
M. Willard Z. Estey, c.r.: Honorables sénateurs, vous allez avoir l'honneur d'écouter une intervention tout à fait impromptue. Il n'est pas dans mon intention ici de chercher à transformer cette séance du comité en cours de droit et de débattre du bien-fondé des arrêts constitutionnels de la Cour suprême et d'autres tribunaux.
Je tiens à vous dire tout d'abord que je ne suis pas venu ici en tant que témoin à la solde d'un client, prêt à dire ce que celui veut entendre. Je vais vous dire ce que je pense. J'insiste là-dessus parce qu'il arrive que les journalistes considèrent que les avocats, quels qu'ils soient, ne parlent qu'à condition que quelqu'un ait mis de l'argent dans le moulin à parole. Ce n'est pas le cas.
Je tiens à dire ensuite que nous représentons en quelque sorte tout l'éventail de la population canadienne -- des gens qui s'intéressent au bien-être de notre pays. Nous ne sommes pas liés officiellement, que je sache, à une cause ou à une entreprise quelconque, mais je suis simplement venu dire ici une chose bien simple. En l'occurrence, que nous avons conscience de l'importance de l'article 35, qui nous apparaît le bienvenu. Il est grand temps que l'on cherche à le mettre en oeuvre.
Nous ne sommes pas venus ici pour bloquer l'application de la procédure s'appliquant aux Nisga'as ni celle de l'article 35 ou de toute autre disposition. Nous sommes tout simplement venus rappeler une évidence, soit qu'il ne s'agit pas simplement ici d'une affaire portant sur un délit de fuite à la suite d'un accident de la circulation, ou même sur la signification d'une Loi sur les locations immobilières, mais que nous nous penchons sur ce qui est au coeur de la structure du Canada. Nous avons longuement lutté pour en arriver à ce point. Nous avons réalisé ce que les Américains n'ont pu faire qu'à la suite d'une rébellion et d'une guerre civile. Nous n'avons connu ni l'un ni l'autre. Peut-être en souffrons-nous.
Nous avons atteint un nouveau palier dans l'organisation du Canada. Les différentes étapes de la création de notre pays peuvent être rappelées très rapidement. La première s'est déroulée à Versailles, lorsque le Canada est sorti du giron britannique. Loin d'être opprimés, nous avions bénéficié de cette tutelle. Toutefois, il était temps pour nous de prendre notre envol.
La grande rupture suivante est résultée de la crise causée à l'origine par le conflit européen, lors de la Deuxième Guerre mondiale, lorsque le Canada a vraiment montré sa force. Ce qui est étrange aux yeux de l'histoire, c'est que nous avons eu la stupidité, l'impudence ou le courage de déclarer la guerre sans même téléphoner à Washington. Notre situation s'est bien dégradée depuis lors. Aujourd'hui, il nous faudrait passer un coup de fil à la Bourse de New York.
Il en est résulté qu'à l'issue de la Deuxième Guerre mondiale, nous étions une grande puissance commerciale à part entière dans le monde. Nous avons bien progressé ces 50 dernières années. Notre histoire montre que notre nation est bien équilibrée sur le plan des capacités et de l'expérience, ainsi que de la puissance financière, en dépit de ce que nous disons de nous-mêmes. Le seul talent qui nous manque éventuellement, c'est celui de nous vanter. Nous ne voulons révéler aucun de nos secrets, par exemple le fait que nous avons bien plus de pétrole que l'OPEP, ou toute autre chose de ce genre. Ce serait manquer totalement de confiance dans notre pays.
Nous avons affaire désormais à un élément nouveau. C'est le troisième palier -- celui de l'article 35 de la Constitution canadienne de 1982. Il est grand temps que nous mettions en oeuvre cet article, et nous nous félicitons tous de voir que le Sénat a entrepris cette tâche importante de retourner expliquer à la communauté ce que signifie l'article 35. Vous n'en entendrez pas beaucoup parler dans les journaux.
Nous estimons que les Nisga'as et les autres peuples placés dans la même situation progresseront mieux et bien plus rapidement si nous ne nous épuisons pas en de vaines poursuites judiciaires en perdant notre temps à obtenir des décisions faisant autorité pour que nous puissions accomplir notre destin. Notre destin consiste à régler finalement les conséquences d'une lourde et intense immigration européenne après la Première Guerre mondiale et l'arrivée d'une nouvelle avalanche d'immigrants après la Deuxième Guerre mondiale.
Nous tenons simplement à signaler aujourd'hui qu'il y a bien des façons de parvenir au succès que proclame l'article 35. Le meilleur moyen d'y parvenir, à notre humble avis, est de ne chercher à appréhender ce que l'on peut faire sur le plan constitutionnel, bien calmement, et ce qui doit être fait qu'une fois que la Cour suprême se sera prononcée sur les limites de l'article 35.
Pour être pratique, cela signifie qu'il nous faut retirer des pouvoirs aux provinces ou au gouvernement fédéral pour les confier à d'autres organes -- les Nisga'as sont l'un d'entre eux, mais il y en a bien d'autres -- de manière à modifier l'équilibre de la Constitution canadienne. Ce changement est le bienvenu, mais il faut qu'il soit conforme au droit. Nous perdons notre temps à explorer les contre-allées et les sentiers écartés. C'est la voie royale qu'il nous faut emprunter.
Nous faisons humblement remarquer qu'il convient que la procédure législative, qui en est désormais à l'étape de votre comité et du Sénat, soit suffisamment longue pour qu'elle soit entérinée ou que l'on préconise des changements à ce qui a été arrêté avec tant de soin dans la documentation que vous avez devant vous. Si cette documentation a un défaut, c'est d'être trop exhaustive. Nous nous sommes écartés de la grande route pour emprunter un dédale de sentiers et de pistes enchevêtrés qui mènent au même point.
Notre propos est très simple. Il est si simple qu'il en est illusoire. Il y a au moins cinq procès en cours devant les tribunaux de la Colombie-Britannique, qui tous peuvent déboucher sur l'avis dont je vous parle. Subsidiairement, et parallèlement, nous avons le pouvoir de renvoi, dont peut se prévaloir le gouvernement national et non pas les citoyens.
Remarquez qu'il y a une chose que j'aurais dû dire dès le départ. Trois peuples ont uni leurs efforts pour mettre ce projet sur la voie. Voilà 150 ans que nous avons l'habitude tous les trois de présenter des lois devant les tribunaux pour leur demander de trancher. Si nous avons tort, que Dieu nous vienne en aide, mais nous pensons avoir raison parce qu'à de nombreuses reprises nous nous sommes déjà trouvés dans cette même situation.
Un membre de la presse m'a téléphoné il y a quelques jours. En substance il m'a dit que nous étions comme tous les autres juristes, que nous empochions de gros honoraires pour venir ici débiter un discours convenu pour en repartir aussitôt. Tous les trois nous avons décidé, après avoir mis la dernière main à cet énorme travail fait en commun, que nous l'élaguerions pour nous en tenir à l'essentiel et que chacun apporterait sa signature. C'est l'argumentation que nous allons avancer. Cela me ramène à la route que nous allons emprunter.
Il faut bien voir que le droit constitutionnel est tout à fait simple et dépouillé et que les membres de ma profession, qui l'ont encombré de détails inutiles, ont bien des excuses à faire au public. Il nous suffit ici de mettre ensemble l'article 91 et l'article 92 de l'ancienne Loi sur l'Amérique du Nord britannique, devenue aujourd'hui la Constitution canadienne. Lorsque vous les mettez ensemble, vous obtenez 100 p. 100 des pouvoirs du gouvernement. Tous les attributs de la souveraineté de notre pays se trouvent dans ces deux articles.
À la faculté de droit, nous estimions que le droit constitutionnel était une matière facile parce qu'il suffisait d'apprendre les dispositions de deux articles, ce qui fut la plus grosse erreur que j'aie jamais commise dans ma carrière juridique. Ces deux articles se fondent l'un dans l'autre et nous devons en tirer en droit les pouvoirs nécessaires à la mise en oeuvre du principe de l'article 35. L'idée est simple. Nous sommes passés par un premier stade de civilisation consistant à coloniser des terres et à les transformer en fermes. Nous en sommes maintenant aux industries secondaires et nous sommes fortement impliqués dans le commerce. Nous sommes passés par cette étape et nous avons conclu d'innombrables traités qui engagent les parties dans toutes les régions du pays.
Tout ce que nous faisons ici doit tenir compte de l'existence de cette quarantaine de traités. C'est incroyable comme ils se sont multipliés depuis la signature d'un simple traité fiscal avec les États-Unis. Nous avons des traités commerciaux avec de nombreux pays.
La souveraineté est contenue à 100 p. 100 dans ces deux articles. L'article 35 nous oblige à faire le lien entre les colons d'origine, qui administrent aujourd'hui le pays par l'intermédiaire des articles 91 et 92, et les autochtones, qui ont été laissés de côté pendant un siècle et demi. Leurs droits doivent désormais être détachés progressivement des articles 91 et 92.
Cela m'amène à la seule règle que vous m'entendrez prononcer ce matin, soit la différence qui existe entre déléguer, déroger et renoncer. Ces trois notions reviennent au même selon les cas.
Nous considérons qu'il faut envisager les dispositions détaillées du projet de loi, de l'accord qui y est annexé et des études qui le justifient, en tenant compte de cette simple réalité qui fait que nous cherchons à donner du mordant à l'article 35 sans retirer les pouvoirs conférés par les articles 91 et 92, sauf dans la mesure où cela est jugé nécessaire. Si on le juge nécessaire, il faut modifier la loi. Ce n'est pas un gros problème. Vous ne le feriez pas pour rectifier une ligne blanche au milieu d'une autoroute, mais vous n'avez pas à attendre d'abroger la Loi sur les banques. On ne trouve pas ces complexités ici.
Il vous faut aujourd'hui décider quelles sont les parties de l'accord qui, de toute évidence, ne s'écartent pas des limites fixées par la Cour suprême lorsqu'en examinant l'article 35 on se penche sur les incidences des articles 91 et 92. La cour n'en a jamais été saisie. C'est un domaine nouveau qui doit être exploré.
Là encore, je pense que le résultat sera simple. Il est évident que les autochtones n'ont pas à être confinés au niveau d'une municipalité. À l'autre extrémité, si l'on part du principe que nous devrons continuer à vivre au Canada, nous ne voulons pas inutilement enfreindre les dispositions des articles 91 et 92 pour mettre en oeuvre les principes visés par l'article 35. C'est de cet équilibre délicat dont nous discutons ce matin.
La solution pour en sortir, à mon humble avis, c'est d'attribuer -- «attribuer» au sens neutre -- à la nouvelle entité suffisamment de pouvoirs chez elle pour lui permettre d'assumer sa nouvelle existence prévue par l'article 35 sans enfreindre les compétences provinciales et fédérales reconnues par les articles 91 et 92, sauf lorsque c'est nécessaire. Là, il faudra procéder à une modification constitutionnelle.
Nous ne voyons aucune disposition exigeant une modification qui est susceptible de susciter un débat. Il y a bien des questions tombant sous le sens qui peuvent être réglées par voie d'accord puis entérinées ensuite par voie de modification. Il faudra toutefois un certain temps pour obtenir un avis judiciaire.
Simple coïncidence, il y a deux ou trois jours le sort a voulu que j'aie un journal entre les mains. Contrairement à ce qui se passe le plus souvent, il s'est révélé très utile. Un article signalait que l'honorable David Collenette, le ministre des Transports du Canada, avait déclaré qu'il était raisonnable d'attendre un an et demi pour décider de la fusion des chemins de fer étant donné la nécessité de porter l'affaire à l'attention de la Commission des transports de surface des États-Unis puisqu'il s'agissait là d'une décision importante. À mon avis, cette décision n'est rien à côté de celle qui nous occupe.
Notre thèse est simple. L'action intentée en justice est une requête sur un point de droit et non pas un procès, et il est possible d'accélérer la procédure. En cas d'appel, l'exposé des éléments de preuve ne sera pas très long. Toute la procédure peut être accélérée. Cela ne prendra pas trop de temps. Tout cela relève de la pratique. C'est le produit de 150 ans d'expérience des arcanes de la procédure. Voilà qui nous paraît de bon augure.
Les détails qui ressortent de l'accord principal ne sont pas très importants. J'ai dû lire quelque 500 pages pour le découvrir. Ce qui importe, c'est l'objet de l'article 35, et ce ne sont pas les batailles portant sur les détails qui vont résoudre la question. La question est de savoir à quel point les pouvoirs souverains vont être bouleversés dans les articles 91 et 92 si l'on procède avec succès à un changement minime dans notre droit constitutionnel. Je dis qu'il n'y aura pas grand-chose. Parmi les détails, il y a des choses telles que la primauté. Cette notion nous a causé plus de problèmes constitutionnels que tout autre terme de notre vocabulaire. C'est un piège dans lequel nous ne voulons pas tomber. On n'a pas besoin de primauté à moins qu'il y ait un conflit légitime entre deux pouvoirs tout aussi forts, ce qui n'arrive pas très souvent. Les articles 91 et 92 en sont des exemples. Les recueils de la Cour suprême du Canada étaient à une époque plein de décisions portant sur la répartition des pouvoirs entre le gouvernement fédéral et les provinces. On n'en voit plus beaucoup aujourd'hui. Dans le système fédéral des États-Unis, il n'y a plus d'appel portant sur la répartition des pouvoirs depuis un siècle. Nous entrons dans cette période de maturité.
Nous pouvons éviter ici le problème de la primauté si, en créant un gouvernement autochtone, nous recourons, plutôt qu'à une structure s'apparentant à celle d'une municipalité, à quelque chose s'apparentant à une province, mais non à un État nation. Il serait horriblement compliqué d'essayer de faire fonctionner un État nation à l'intérieur du territoire du Canada. Les problèmes n'en finiraient pas.
Cela ne résoudrait pas les problèmes des Nisga'as. Ce qu'il leur faut, c'est fonctionner à l'intérieur du système fédéral -- un système que le Canada a su faire fonctionner bien mieux que tout autre pays, les Américains y compris. Ce système peut s'accommoder de l'article 35 pratiquement sans aucune difficulté.
Il est possible que nous simplifions trop les choses, monsieur le président, lorsque nous disons que la première étape est elle aussi simple. Il s'agit que vous mettiez sous le boisseau la procédure législative de l'adoption du projet de loi C-9. Ne le mettez pas au panier, contentez-vous de surseoir à l'affaire et éventuellement de consulter le pouvoir exécutif pour savoir s'il veut procéder à un renvoi. Je ne préconise pas cette façon de faire. Je préférerais que l'on procède sans autre intervention politique. Il est possible de procéder, si les avocats en décident ainsi.
Il me reste quelques petites choses à dire. Il y a ici un problème concernant la taille de la communauté nisga'a. C'est une petite communauté qui compte quelque 5 500 personnes, selon les renseignements que j'ai obtenus. Elle n'a pas de véritable capacité industrielle, qui lui permettrait par exemple de construire des automobiles, et compte tenu de sa situation géographique, ce n'est pas demain qu'elle y parviendra. Nous devons tenir compte de nos obligations nées des traités, mais nombre d'entre elles ne s'appliquent pas à l'échelle de fonctionnement et à la situation géographique qui caractérisent les Nisga'as. Je ne pense pas qu'il nous faille nous arracher les cheveux en cherchant à régler des problèmes théoriques. Allons sur le terrain pour y résoudre les problèmes.
J'ai rédigé un document dactylographié de 11 pages qui fait état des différents points que je vous ai exposés. Nous allons vous laisser ce mémoire. Il est très clair. Je ne voulais pas que le comité perde son temps à le consulter. Si vous avez des questions à me poser auxquelles je peux répondre, ou auxquelles mes collègues pourront m'aider à répondre, je suis tout disposé à les entendre.
Le président: Merci, monsieur Estey. Il y a un certain nombre de personnes qui souhaitent vous poser des questions. Souvent, cependant, elles s'accompagnent de commentaires.
Le sénateur St. Germain: Doit-on adopter une motion pour annexer le rapport de M. Estey?
Le président: Non; je l'intégrerai aux témoignages présentés devant le comité.
Le sénateur Beaudoin: C'est un plaisir de vous accueillir. Ma question porte sur l'article 35 et sur la notion de primauté. C'est le seul point qui m'inquiète. Le reste ne pose aucun problème.
Il s'agit là d'un accord, qui aura évidemment une grande importance. Dans 20 domaines, cependant, le projet de loi établit une primauté. Ce n'était pas strictement nécessaire, à mon avis, mais ce n'en est pas moins là. Cela relance tout le débat de savoir si l'on peut interpréter l'article 35 comme signifiant un troisième ordre de gouvernement ou si le pouvoir des peuples autochtones est protégé par cet article. Évidemment, c'est le cas. Il y a une polémique à ce sujet. Certains affirment que l'on a déjà un troisième ordre de gouvernement en vertu de l'article 35, et d'autres juristes disent que non. La Cour suprême n'a pas encore tranché sur ce point, mais l'ancien juge en chef Lamer a déclaré: «Il faut se rendre à l'évidence. Nous sommes tous appelés à rester ici.» C'est la façon dont la Cour suprême envisage le problème à l'heure actuelle.
J'ai tendance à penser que si l'on parle de primauté, cela nous renverra directement au partage des pouvoirs. En ce sens, il se peut que ce soit inconstitutionnel. Hier, nous avons entendu le professeur Ryder nous dire: «Non. C'est uniquement l'application du paragraphe 3 de l'article 35. C'est un accord. Il traite des droits autochtones. Nous ne modifions pas le partage des pouvoirs pour tout le monde au Canada, uniquement en ce qui concerne les Nisga'as.» C'est fait par la voie d'un accord et l'article 3 de l'article 35 dispose que «Les droits issus de traités peuvent englober les droits obtenus par la suite.» Certains droits sont obtenus en vertu des dispositions de l'article 35 de cet accord. Cela ne va pas plus loin. Il ne s'agit pas d'une modification apportée à la Constitution. C'est un accord passé avec les Nisga'as. Il relève directement de l'article 35 et il est protégé par la Constitution actuelle. Voilà quel est son argumentation.
Son argumentation est solide, à mon avis, parce qu'il s'agit bien d'un accord. Le gouvernement du Canada a le droit de passer des accords avec les autochtones. Nous avons le droit de légiférer au sujet des autochtones en vertu des dispositions du paragraphe 91(24). Nous avons la primauté en cette matière, mais nous acceptons une certaine primauté dans 14 domaines.
Si cette disposition relève de l'article 35, elle est probablement tout à fait légale. Si elle n'en relève pas, toutefois, je vois une difficulté. C'est mon point de départ sur la question.
M. Estey: En présence de ce genre d'intervention, je me demande toujours: «S'agit-il d'une question?» C'est une question, et je vous comprends. Voilà longtemps que je vous fréquente et je connais votre formation. Vous êtes féru de droit constitutionnel et je ne vous ferai pas l'affront de vous rabâcher le b-a ba.
Il faut tout d'abord rappeler que la Constitution est le véritable mur de protection qui sépare le chaos de la civilisation. Aucune communauté sur cette terre n'est jamais parvenue à atteindre le niveau de vie auquel nous aspirons sans établir un ensemble de règles que nous appelons constitution. Cela s'explique par la nécessité d'adopter une attitude cohérente -- entre le maître et son domestique, entre l'employeur et l'employé, entre les municipalités et les provinces, et sur le plan de la concurrence que se font aujourd'hui entre elles les provinces en matière commerciale. Nous cherchons tous à détourner le client de notre voisin. Le Québec et l'Ontario cherchent à faire venir les mêmes fabricants étrangers dans notre pays. Nous avons besoin de règles pour limiter nos appétits.
L'article 35 est l'une des dispositions qui donne cette impulsion. C'est une confession embarrassante de la part d'une grande majorité de Canadiens, dont la plupart sont eux-mêmes des émigrés de la deuxième génération. Cette catégorie a marqué notre mode de vie après la Deuxième Guerre mondiale. Nous avons dû tenir compte de ce problème. Je ne pense pas qu'on puisse le résoudre par un moyen qui appelle en soi un traité tiré par contrat de la Constitution.
Il est probable que parler ici de traité est abusif, mais quelle que soit la nature de cet accord, il faut qu'il se conforme au droit existant. Il procède de la Constitution et de la stabilité que celle-ci confère à notre population. Il ne vise pas à faire patienter les Nisga'as, à les tromper et à les décourager comme le fait avec tant de ruse la vielle renarde avec le loup dans les contines de Peter Rabbit. Il n'en est pas question.
L'article 35 ouvre une porte fermée depuis longtemps, mais qui existe depuis longtemps dans notre structure démographique. J'éprouve de la confusion, et je pense que c'est probablement le cas pour d'autres, lorsque nous nous lançons dans cet exercice consistant à dégager ce droit. Ce n'est pas un droit nouveau; c'est un droit qui est dégagé. En procédant ainsi, nous avons tendance à nous encombrer de tout notre bagage intellectuel, parce que c'est ce qui nous a permis de traverser le passé. Ce n'est pas la bonne façon de procéder. Il nous faut prendre ici le temps de réfléchir de façon à pouvoir habiller cette nouvelle réalité comme il se doit, et lui donner du muscle, du nerf et du sang pour qu'elle puisse survivre en tant qu'entité gouvernementale.
D'un autre côté, la survie ne suffit pas. Il faut que cette organisation réussisse face à la concurrence en tant qu'entité gouvernementale. Les populations n'ont pas toutes les mêmes exigences matérialistes, mais les objectifs sont les mêmes: un meilleur niveau de vie, la sécurité d'emploi, la paix chez soi, la paix dans les rues. C'est cela la civilisation, et on ne peut pas l'atteindre avec une Constitution branlante.
Il faut un ancrage dans la Constitution, et cet ancrage c'est que l'on a parfaitement les moyens de constituer un troisième palier de gouvernement. Je vous signale en passant qu'il s'agit là pour moi d'une expression en soi illusoire. Rien ne dit que ce sera davantage un troisième palier de gouvernement que lorsqu'on a créé la Saskatchewan. D'aucuns disent que nous n'avons absolument pas créé de gouvernement. L'exemple de la Saskatchewan est très parlant parce qu'il illustre bien la situation et qu'il est simple. C'est comme si l'on regardait dans une vitrine.
Lorsque cette province a été constituée en 1905, les articles 91 et 92 existaient déjà. La Saskatchewan a hérité des pouvoirs conférés par l'article 92 et des limites imposées par l'article 91. Une loi a été adoptée à ce moment-là pour modifier certaines choses temporairement en fonction d'un calendrier, mais rien n'a été enlevé. Toutes les dispositions de l'article 91 sont restées. Les obligations imposées par l'article 91 sont là, y compris en ce qui a trait aux droits du Parlement, au droit de vote et à tout le reste. Toutes ces dispositions sont un peu comme la Bible. Nous avons profondément assimilé le fait qu'il nous faut avoir le droit de vote, et tout ce qui nous en empêche ou qui s'oppose à cette valeur est entre autre inconstitutionnel. Si par troisième palier de gouvernement on entend que l'on va créer un nouvel élément de civilisation, il faut lui conférer des pouvoirs, mais à partir du moment où on le fait dans le cadre de la Constitution, il faut obéir à la Constitution.
Je n'entrerai pas dans les détails. Cette salle est pleine de gens qui ont oublié plus de choses sur ce document que je n'en ai appris. L'essentiel m'apparaît clair cependant, et c'est qu'il nous faut dégager et mettre sur pied cette structure en tenant compte de l'ensemble du système actuel ou procéder à une modification constitutionnelle. Rien n'empêche que l'on procède à une modification. Il ne s'agit pas par là de ralentir les choses et rien ne nous y oblige. À long terme, ce sera payant comme un compte d'épargne. Si vous faites des dépôts, ils s'accumulent.
Non, par conséquent, je pense que nous avons tout ce qu'il nous faut ici, et les trois quarts des clauses de cet accord sont sources de frictions, entraînent des lourdeurs et des frais et compliquent la vie des Nisga'as. Je pense que le mieux est de rester simple. Lorsqu'on est devant les tribunaux, on comprend vite que la simplicité est la condition de la survie. On ne peut pas bien penser lorsqu'on s'écarte de la voie simple. Einstein en était peut-être capable, mais j'en doute. Il lui a fallu un paragraphe pour établir l'équation E=MC2. On ne peut rien mettre dans un seul paragraphe dans notre système judiciaire. Nous devons en revenir aux principes fondamentaux.
Le président: Merci beaucoup de cette question et de cette réponse. Nous allons maintenant passer la parole au sénateur Andreychuk, qui elle aussi est née en Saskatchewan.
Le sénateur Andreychuk: Merci d'en revenir à ce message simple et de nous rappeler par ailleurs que vos racines sont en Saskatchewan. Je viens de la Saskatchewan et on peut penser qu'il me faut des réponses simples. Des professeurs sont venus nous dire que les articles 91 et 92 ne représentent pas l'intégralité des pouvoirs gouvernementaux. Lors de l'élaboration de notre Constitution -- je pense que c'est là où voulait en venir le professeur Ryder -- il y avait ces autres pouvoirs parce que les autres nations existaient. Ces pouvoirs sont restés en quelque sorte en latence, mais l'article 35 les fait revivre aujourd'hui.
Je m'en tiendrai à des choses bien simples. Nous avons devant nous une loi. Notre responsabilité, je pense, en tant que parlementaires, est de déterminer si elle est constitutionnelle. Nous pourrons nous demander plus tard si cet accord est bien pratique et si nous n'aurions pas pu procéder différemment. Dans notre système, le pouvoir exécutif a le droit de négocier des traités, mais en tant que parlementaires nous avons la responsabilité, à mon avis, de veiller à ce que ce texte de loi n'enfreigne pas des principes fondamentaux et soit en fait conforme à la Constitution.
Je ne sais pas si vous êtes prêt ou non à me répondre. Considérez-vous que ce projet de loi est constitutionnel? Dans la négative, si nous intervenons au point où nous en sommes, nous défaisons un accord passé entre trois parties. Le gouvernement fédéral n'a pas manqué d'affirmer avec force que nous ne pouvions pas le faire. Nous avons le droit d'amender le projet de loi, si nous le souhaitons, mais cela reviendrait à faire tomber tout l'accord, qui relève du pouvoir exécutif, parce que nous n'avons pas la compétence de conclure des traités.
M. Estey: Il y aurait beaucoup de choses à dire. J'ai réfléchi à la question. J'ai été professeur en Saskatchewan pendant un an. Je me souviens qu'un étudiant s'était levé pour me demander: «Que dire de la Loi sur la Saskatchewan? Est-ce qu'elle nous donne les pleins pouvoirs de gouvernement?» C'est essentiellement de cela dont vous nous parlez. La loi de 1905 ne semble pas devoir nous conférer le pouvoir tout-puissant de venir d'ailleurs créer sur cette planète une nouvelle communauté ainsi qu'une province florissante. Tout ce que j'ai pu répondre à ce jeune homme brillant, qui est devenu par la suite un très grand avocat, c'est ceci: tout ce que je sais, c'est qu'avec le recul et sans aucun arbre pour venir brouiller ma perspective, je me dis que si le tout-puissant nous a donné ce pouvoir, pourquoi ne revient-il pas terminer le travail? Je pense que c'est la même réponse que je donne aujourd'hui.
Je ne sais pas s'il nous faut résoudre le dilemme que vous posez. Le pouvoir exécutif du gouvernement est le serviteur ainsi que le demi-maître du pouvoir législatif, aucun des deux ne pouvant bien fonctionner sans l'autre. Ce n'est pas très différent d'une réaction atomique. On a besoin des deux électrodes pour faire bouger les éléments et produire la chaleur indispensable. C'est la même chose ici.
Vous avez une obligation. J'y ai pensé longuement avant de venir en ces lieux. Le Sénat doit s'acquitter d'une immense obligation. Il lui faut parfaire l'élaboration de la législation. Cette obligation l'amène évidemment selon les cas à procéder à un amendement, à opposer un refus ou à donner automatiquement son accord. Les trois possibilités sont en votre pouvoir. Non seulement elles sont en votre pouvoir, mais elles relèvent de vos obligations. Il vous faut vous pencher sur ce texte, dire s'il est bon ou mauvais, et l'améliorer. C'est votre raison d'être. Dans le monde entier, la chambre haute se charge invariablement de freiner les agissements de la chambre basse alors que le pouvoir exécutif suit les choses de près tout au long de la procédure.
Aux États-Unis, le pouvoir exécutif est bien plus actif. S'il veut bloquer le Congrès dans son action, il le fait. Nous n'avons pas cette séparation des pouvoirs. Bien des gens diront «Heureusement», et je suis probablement l'un d'entre eux. Notre système n'est pas simple, mais il est probablement bien plus facile à appliquer que le système présidentiel.
Vous devez écouter le pouvoir exécutif lorsqu'il présente une loi, mais vous n'êtes pas lié par son action. Vous êtes probablement obligé d'y réfléchir, mais c'est difficile à contrôler. Ici, vous avez ces trois possibilités et c'est votre conscience qui doit vous guider.
Évidemment, l'un des éléments qui ont joué, je le reconnais, comme tout le monde à mon avis, c'est que les Nisga'as ont longtemps attendu pour en arriver là. Ce n'est pas d'aujourd'hui qu'ils sont là. J'ai lu le mémoire présenté en 1913 lorsqu'ils ont cherché à obtenir justice. J'y ai pensé à deux fois avant de venir recommander que l'on reporte à nouveau la question. Nous avons tous souffert de ces reports. Tous ceux qui ont eu affaire à Revenu Canada savent combien ça peut prendre de temps.
Je n'ai pas la réponse à votre question mais je suis convaincu qu'il faut que le Sénat fasse simplement son devoir et exerce consciencieusement son obligation d'adopter, d'amender et de renvoyer le projet de loi. Faites ce que vous avez à faire pour que la justice triomphe et faites-le à temps. Nous perdons tellement de temps à l'heure actuelle, mais je ne pense pas que nous perdions notre temps ici.
Je considère que la Commission sur les transports de surface perd son temps. Un chemin de fer est un chemin de fer. On ne peut pas trop compliquer la question. Un an et demi, c'est incroyable. Ce n'est pas ce que je propose. Il ne nous faut pas un an et demi pour faire ce genre de chose au Canada, et c'est peut-être la raison de notre survie.
Le sénateur Andreychuk: Vous nous dites que le temps presse et je suis d'accord avec vous. Vous semblez indiquer que la solution du renvoi n'est pas celle que vous préférez. Vous préconisez que les parties s'adressent aux tribunaux et que ceux-ci se prononcent rapidement.
Je suis un peu moins confiante. Après avoir suivi la procédure, notamment dans les affaires autochtones, je sais que ce n'est tout simplement pas ainsi que ça se passe. Je n'en connais absolument pas la raison. Tout le monde dit que la faute en incombe à d'autres, mais j'ai bien du mal à croire que les tribunaux puissent rapidement se prononcer. Je suis tout à fait convaincue que l'on parviendra finalement à une solution, mais pas rapidement. D'où vient votre optimisme, qui vous fait dire que l'on pourra procéder rapidement?
M. Estey: J'ai les mêmes difficultés que vous. Pendant des années j'ai participé en tant que membre de l'ordre des avocats de Toronto à l'opération consistant à chercher désespérément à accélérer la procédure devant les tribunaux. Nous nous vantons de nos exploits passés; la question a été résolue. Aujourd'hui, la situation est pire que jamais. C'est la faute des membres du Barreau et des juges. Les procès échappent à leur contrôle.
La Colombie-Britannique dispose de la «règle 34». L'Ontario a une règle similaire. Cette règle permet d'extraire d'un dossier complexe une question à laquelle on doit répondre en premier lieu. La chose ne se présente pas aussi simplement, mais cela revient à ça. On se présente sans qu'il y ait de témoins et de témoignages, à l'exception des affidavits, et tout se fait rapidement. Je préfère cette solution, en partie parce que je suis un habitué de cette jungle et que j'ai profité de cette expérience.
La solution du renvoi est délicate. Tout d'abord, il faut que le pouvoir exécutif se persuade de sa nécessité, puis il faut ensuite définir en quoi doit consister le renvoi -- ce qui doit y figurer et ce qui doit en être écarté. Les avocats abusent terriblement de la procédure de renvoi parce que leurs clients sont au fond de la salle et ne peuvent pas les déranger. Ils dictent ce qu'il faut faire. Je n'écarterai pas la possibilité d'un renvoi, mais je préfère simplement les solutions auxquelles je suis habitué.
Le sénateur St. Germain: Si vous en croyez votre expérience en tant que juge en chef, pensez-vous que cela fasse une différence aux yeux de la cour, ou que l'on exerce sur elle une pression inutile, à partir du moment où l'on procède au moyen d'un renvoi -- je pense que vous avez parlé de l'article 84 -- plutôt qu'au moyen d'un texte législatif ratifié, pour en arriver à une décision sur une question telle que celle-là?
M. Estey: Je n'ai pas toute la réponse à cette question. Les résultats ont été différents selon les lieux. J'ai pu constater que ce qui fait la force d'un renvoi, c'est que les avocats disposent d'un cadre souple pour en modifier les conditions. C'est un gros progrès. Un avocat d'expérience peut faire beaucoup pour en élargir ou en rétrécir le champ d'application.
L'inconvénient, c'est que les gens de cette ville prenne un temps fou pour s'occuper des problèmes qui surviennent ailleurs. Les renvois sont retardés, ballottés d'un service à l'autre et tous les membres du personnel ont leur mot à dire. L'affaire se complique.
Pour répondre à votre question, je ne pense pas que la présence ou l'absence d'un texte législatif en bonne et due forme exerce une grande influence sur l'intérêt qui va être accordé à l'affaire. C'est le sujet lui-même qui attire l'attention. Si l'enjeu est passionnant, comme dans le cas de notre industrie bancaire, on s'y intéresse. S'il s'agit par exemple d'une cause environnementale, d'un dommage causé il y a 50 ans ou d'une cheminée de 800 pieds que de toute façon on ne peut pas démolir, l'affaire va traîner, c'est indéniable. Les questions internationales traînent. Je pense par exemple que l'affaire des chemins de fer pourrait ne jamais avoir de fin. Je ne pense pas toutefois que cette question relève de cette triste catégorie. Les avocats sont plus proches des tribunaux provinciaux qu'ils ne le sont de cet animal que l'on appelle à Ottawa la Cour suprême. Il est possible d'amener le greffier à faire accélérer la procédure. On peut choisir ses juges, et tous les juges ne sont pas pareils. C'est comme les athlètes aux Jeux olympiques. On les chronomètre pour savoir à quel point ils sont rapides. Cela n'a pas une grande importance mais, si j'avais le choix, je préférerais que l'on s'en tienne à ce que l'on a et que l'on en finisse.
Le président: Les sénateurs Grafstein, Joyal et Sparrow ont demandé la parole.
Le sénateur Grafstein: Je suis heureux que vous nous ayez rappelé une fois de plus quels étaient nos devoirs constitutionnels. Tel que je les conçois, les devoirs constitutionnels du Sénat sont très simples.
Tout d'abord, il nous faut juger si la législation est constitutionnelle ou non. Vous nous fournissez une échappatoire, mais je ne suis pas sûr que nous puissions nous en prévaloir. Ce serait peut-être pratique, mais nous avons avant tout l'obligation de décider dans quelle mesure les textes de loi qui nous viennent de l'autre chambre, celle des représentants du peuple, sont conformes à la Constitution. En second lieu, nous devons représenter, dans toute la mesure de nos moyens, les intérêts régionaux et les droits des minorités dans ce cadre.
Nous avons entendu hier soir deux exposés très intéressants faits par deux professeurs d'Osgoode Hall, qui m'ont rappelé la première question que l'on m'a posée lorsque j'ai demandé à m'inscrire à la faculté de droit à 19 ans. C'était la suivante: «Grafstein, savez-vous quelle est la différence entre le droit tel qu'il est et le droit tel qu'il devrait être?» Personne ne m'avait encore posé cette question auparavant et j'y pense encore aujourd'hui.
Il me faut tout d'abord décider quel est l'état du droit et ensuite espérer pouvoir persuader les gens de ce qu'il devrait être. Toutefois, il nous appartient aujourd'hui de décider quel est l'état du droit. Je le dis en guise d'introduction parce que vous avez eu la gentillesse de résumer rapidement nos responsabilités constitutionnelles, que certains oublient trop souvent.
J'en viens aux deux questions qui m'intéressent. Vous vous exprimez clairement sur l'une d'entre elles. Vous traitez au paragraphe 15 des pouvoirs et de la question de savoir si l'on peut faire évoluer l'autonomie de gouvernement ou prélever des pouvoirs au gouvernement fédéral sans qu'il puisse s'y soustraire -- ce qui constitue en fait non pas une délégation de pouvoirs mais un transfert. Je vais simplement vous lire le passage concerné pour savoir s'il résume votre point de vue. Il s'agit du paragraphe 15 de votre mémoire.
Il ressort clairement de ce qui précède que l'accord prévoit le transfert par les gouvernements du Canada et de la Colombie-Britannique de pouvoirs souverains très significatifs que la Constitution canadienne confère à l'heure actuelle au Canada et à la Colombie-Britannique. Ce transfert est en soi inconstitutionnel;
Je ne veux pas en débattre. Je tiens cependant à ce que les membres du comité comprennent bien que telle est votre opinion. S'il en est ainsi, je laisserai la question de côté pour traiter d'un sujet plus délicat sur lequel je veux avoir votre point de vue.
Nous avons entendu des avis contraires. Le professeur Sanders, de la Colombie-Britannique, est venu nous dire qu'une fois que nous avons mis ces droits dans la Constitution de 1982, le vieux principe du simple partage des pouvoirs entre les deux paliers de gouvernement a disparu. Autrement dit, il nous dit que l'article 35 est venu compliquer cette situation bien simple. J'aimerais que vous me disiez ce que vous pensez du paragraphe 15 et de la thèse du professeur Sanders.
Je suis intrigué par ce que sont venus nous dire deux des nations représentées ici. Nous avons entendu antérieurement les Nisga'as et nous venons d'entendre aujourd'hui le témoin représentant les Gitanyows. Je leur ai posé, de même qu'au chef Fontaine, de l'Assemblée des premières nations, cette question bien simple: «Êtes-vous conscient des droits des minorités qui se rattachent aux territoires et à l'administration qui vous ont été attribués par cette loi»? Ils m'ont répondu: «Oui, en quelque sorte.» Hier soir, nous avons entendu cette expression «en quelque sorte». Les Nisga'as se qualifient eux-mêmes de «citoyens» nisga'as dans l'accord et je leur ai demandé: «Les personnes qui ne sont pas des Nisga'as auront-elles le droit de vote sur le territoire nisga'a?» On m'a répondu: «Pas vraiment, mais elles auront le droit d'être entendues et de participer, en quelque sorte.»
Ce sont là deux enjeux fondamentaux qui sont bien simples. Tout d'abord, est-ce que le gouvernement peut à sa discrétion déléguer ces pouvoirs souverains en vertu de ce traité sans procéder à une modification constitutionnelle? En second lieu, dans ce cadre, est-ce que la nation nisga'a, ou tout autre nation ou groupe autochtone, ont le droit de conférer «en quelque sorte» des droits aux personnes qui résident sur leur territoire?
M. Estey: Je dois dire à cette auguste assemblée qu'en compagnie du sénateur Grafstein nous avons davantage débattu des questions qu'il soulève ici, sur les trottoirs de la ville de Toronto, que tout autre couple de personnes habitant cette ville. J'ai eu le malheur une fois d'être en concurrence avec lui. Depuis lors j'ai adopté le vieil adage: «Si on ne peut pas le battre, il faut se joindre à lui.» C'est un concurrent formidable.
Ce sont d'excellentes questions. C'est pourquoi le droit constitutionnel est un grand sujet d'étude. Mon propre sentiment -- et je n'ai pas pu le faire partager en une occasion à la majorité des juges de la Cour suprême -- c'est que l'article 35 ne modifie pas l'assise de notre pays. Les articles 91 et 92, c'est le Bouclier canadien fait de roches précambriennes. Dans un pays qui a réussi, on ne peut pas modifier une telle assise.
Je vous ferai respectueusement remarquer que j'ai beaucoup plus appris en tant que praticien que lorsque j'étais professeur, et mes cicatrices sont là pour en témoigner. Je suis fermement convaincu, sénateur Grafstein, que nous devons nous conformer à la Constitution tant que la nécessité du changement n'est pas démontré. Nous avons éprouvé la nécessité d'un changement à mon époque lorsque j'étais étudiant pendant la Dépression, qui a paralysé l'est du Canada et ruiné l'Ouest. Mon père était à l'époque le procureur général de la province et je me souviens d'avoir assisté les dimanches après-midi aux réunions qui se tenaient dans son cabinet de travail. La grande question était généralement la suivante: «Pensez-vous que la Banque de Montréal va nous prêter suffisamment d'argent avant mardi pour que nous puissions payer les salaires vendredi»? On y parlait de l'Université de la Saskatchewan. L'ouest du Canada, et même l'Alberta, ne s'en seraient pas sortis sans l'aide de tous ceux qui se trouvaient à l'est de Winnipeg. J'en ai tiré une leçon que je n'ai jamais oubliée: Si nous affaiblissons l'entente que représente la Confédération, nous affaiblissons tout le monde. C'est indéniable.
À l'heure actuelle, nous ne sommes pas isolés. En intégrant les Nisga'as, nous devons éviter soigneusement de les recevoir dans un cirque qui les empêche de progresser en paix sur le plan politique. Ils pourront apporter tous les changements qu'ils voudront une fois qu'ils auront été intégrés. Si l'accord qui vous est présenté soulève un problème fondamental, il vous faut le modifier. Cela ne fait aucun doute. Ce n'est pas faire de l'obstruction que d'entrer dans le jeu et d'en apprendre les règles non pas sur le banc des punitions mais au centre de la glace. Je n'ai pas de difficulté à répondre à cette question.
Je ne peux pas répondre à votre autre question et je ne pense pas que quelqu'un le puisse. Il y a un mystère dans les liaisons politiques qui s'apparentent aux liaisons chimiques. Lorsque les atomes se combinent et que l'on obtient du H2SO4, la molécule qui en résulte est bien plus dangereuse et bien plus difficile à manier que chacun des éléments de base. C'est ce qui se passe lorsqu'on place quelqu'un dans un cadre constitutionnel pour lequel il n'est pas fait. Il ne sert à rien d'employer une corne à chaussures. On risque de se retrouver bien à l'étroit.
Je suis optimiste sur la question. Je pense que nous pouvons vivre et prospérer avec l'article 35, et prospérer d'autant plus vite qu'il est mis en oeuvre dans le cadre de la Constitution, sous réserve de modifier cette dernière en cas de besoin criant. Il faut que ce besoin soit véritablement criant.
Le sénateur Joyal: J'ai participé à la mise en oeuvre de l'article 35, à la rédaction de la Charte des droits et des articles qui s'y rattachent dans la Constitution de 1982. Il nous apparaissait évident à l'époque, il y a 18 ans, que la question des revendications territoriales était en suspend. Autrement dit, nous savions que nous insérions dans la Constitution un objectif dont les limites n'étaient pas définies et qu'il faudrait les définir à mesure que le temps passe. Je m'en suis toujours tenu à cet objectif.
Ce que vous nous avez dit ce matin nous aide en quelque sorte. Je tiendrai compte de certaines notions dont vous nous avez donné la définition. Vous évoquez une entité qui ne serait pas un État nation, qui ne s'apparenterait pas à une province et certainement pas à une municipalité. Vous avez évoqué les pouvoirs nationaux qui ressortent des articles 91 et 92. Autrement dit, nous devons définir les attributs des États nations qu'invoquent les articles 91 et 92 et, c'est fondamental, la notion de souveraineté, parce qu'il ne peut pas y avoir plusieurs définitions de la «souveraineté» si nous ne formons qu'un seul pays. C'est tout à fait essentiel pour définir les paramètres de ce qui figure à l'article 35. Vous comprendrez que le sort que nous allons faire ici à ce projet de loi aura une influence sur toutes les autres négociations de revendications territoriales parce que l'on considérera que c'est un pas de plus sur la voie de la compréhension des incidences des revendications territoriales aux termes du paragraphe 35(3) de la Constitution.
J'aimerais que nous nous penchions davantage sur votre définition de ce qui ne s'apparente pas à une province ou à un État nation pour qu'en examinant la définition de «l'autonomie de gouvernement» qui figure dans les revendications territoriales, nous comprenions mieux ce que nous faisons en acceptant le projet de loi en l'état. D'un autre côté, vous déclarez au paragraphe 15 de votre mémoire que le transfert de pouvoirs provinciaux et fédéraux entre les articles 91 et 92 est «en soi, inconstitutionnel.» Vous nous renvoyez à l'arrêt McEvoy c. Procureur général du Canada prononcé en 1983. Voilà un jugement sans concession au sujet de la nature de ce projet de loi. Comme l'a dit un de mes collègues, l'une de nos principales fonctions au Sénat est de nous assurer que nous respectons la Constitution, la Charte des droits. Certains ont estimé que la Charte des droits ne s'appliquait pas entièrement aux revendications territoriales. Je me souviens d'avoir déclaré en 1991 que la Charte des droits s'appliquait à l'ensemble du Canada, quelle que soit la situation -- que l'on appartienne aux Premières nations ou, comme vous l'avez dit, que l'on se place lors de la Première ou de la Deuxième Guerre mondiale, au XVIIe ou au XVIIIe siècle ou encore il y a 1 000 ans. Nous sommes dans ce pays pour y rester comme l'a déclaré le juge Lamer. Nous n'allons pas en partir et chacun d'entre nous dans ce pays jouit de droits fondamentaux. Si vous nous dites ce matin que le transfert de pouvoirs entre les articles 91 et 92 au bénéfice de la nouvelle administration nisga'a est inconstitutionnel, je vais devoir très bientôt, sinon un peu plus tard, lorsque ce projet de loi sera renvoyé devant le Sénat, me poser de sérieuses questions sur la façon dont je vais voter.
Ce débat m'apparaît fondamental parce que ce projet de loi, je vous l'ai indiqué, est une nouvelle étape sur la voie de la définition des répercussions globales sur l'ensemble des autres tribus et des règlements des revendications territoriales au Canada. Une bonne décision sur ce projet de loi est une bonne décision pour les négociations et les règlements avec les autres tribus dont les revendications territoriales sont en instance. Vous le savez, leur nombre est grand et il y en aura bien d'autres à venir, surtout compte tenu de la façon dont nous réglons la question nisga'a.
Le président: Je pense que vous en avez terminé.
Le sénateur Joyal: Oui.
Le président: Voilà un autre défi à relever, monsieur Estey.
M. Estey: J'aimerais disposer d'un temps illimité pour répondre à cette question d'école. Elle est excellente.
Je n'ai pas la réponse mais je peux essayer de m'en approcher.
Tout d'abord, les États nations sont en voie de disparition dans le monde. L'Allemagne, l'État nation le plus puissant après les États-Unis, a pratiquement cessé d'en être un. Comment cela s'explique-t-il?
En second lieu, les régimes fédéraux sont attaqués partout sauf aux États-Unis. Les États-Unis ont une formule magique. Ils peuvent s'en accommoder et faire fortune en l'utilisant.
Nous avons plus de difficulté au Canada qu'aux États-Unis parce que tout d'abord nous sommes très dispersés. Nous sommes comme un grand collier de perles et il n'y a pas grand-chose de commun entre l'île du Cap-Breton et Esquimalt. Les gens ne se rencontrent pas, ne se parlent pas, et il est difficile de gouverner. L'équilibre politique est donc essentiel à la survie du Canada. Il n'est pas essentiel à la survie de pays ramassés comme les États-Unis ou le Royaume-Uni, qui peuvent trouver des solutions. C'est impossible ici. On fonctionne avec des appels téléphoniques longue distance.
En second lieu, je ne pense pas que l'État nation soit la réponse au problème nisga'a. On ne trouve pas dans cette population une large gamme d'activités humaines. Les habitants ne sont pas suffisamment nombreux et les ressources naturelles dont ils tirent parti ne sont pas suffisamment variées.
Cela ne veut pas dire qu'ils ne peuvent pas acquérir leur indépendance et survivre. Ils le peuvent. Ce serait difficile, parce qu'on ne peut pas imiter le Danemark. On est entouré par le reste de la population, on est bloqué et on ne peut pas commercer au plan international sans passer par le territoire du Canada. Je ne pense pas que ce soit la bonne solution.
Cela nous ramène au fédéralisme. Il ne peut pas s'appliquer au peuple nisga'a à moins de lui donner tous les pouvoirs que confèrent les articles 91 et 92 ainsi qu'une grande aide des pouvoirs publics tirée de tout l'éventail des pouvoirs fédéraux, y compris en matière d'impôt.
Lorsque je me suis plongé pour la première fois dans cet accord complexe, je n'ai pas pu m'empêcher de rire en repensant aux différentes époques où j'ai poursuivi la communauté urbaine de Toronto et où je l'ai défendue -- puisque j'ai fait les deux. La structure décrite lors de ces deux opérations -- il s'agissait d'une part de l'ancienne municipalité et d'autre part de la nouvelle communauté urbaine -- était bien moins complexe que celle qui est annexée à ce document. On n'a pas encore lu quatre pages qu'on se prend à se demander, qui va payer tout cela?
C'est une véritable manne pour la profession juridique. Les conflits vont être interminables, enchevêtrés, croisés, onéreux et longs.
Vous avez raison. Tout ce que vous faites aujourd'hui va être reproduit par la suite comme dans une photocopieuse à 47 copies la minute. On peut se demander alors comment on va y parvenir sans jeter à bas toute la Constitution? Cela me ramène à votre question de base.
La faille de l'accord, s'il y a une faille, c'est qu'il n'est ni chair ni poisson. On se retrouve aux prises avec la question de la primauté ou d'absence de primauté, qui est tout à fait accessoire et artificiel -- là encore, une aubaine pour les avocats tatillons. Il y aura de nombreux contentieux parce que ce document comporte une clause d'arbitrage obligatoire.
N'oubliez pas que l'arbitrage n'est bon que lorsque A s'oppose à B. C peut rester à l'écart et en rire sans être lié. Les questions engageant des tiers ne sont pas visées. Il faut arbitrer à trois reprises pour englober tout le monde. Ce n'est pas la solution.
La solution, c'est d'instituer sans heurts un simple membre d'une nation fédérale, à part égale. S'il manque d'argent à l'heure actuelle, il faut que les autres le financent, comme ont été financées les provinces des Prairies.
L'Alberta est aujourd'hui un grand contributeur. De mon temps, l'Alberta était un panier percé sur le plan économique et nous regardions de haut cette province.
La solution, c'est le fédéralisme, mais il faut que par définition, presque sur le plan des principes, les groupes qui y arrivent par la voie de l'article 35 y soient encouragés. Personne ne fait d'objection à cela, à ma connaissance. Dieu merci.
La question est donc de savoir quels sont les compromis qu'il faut faire pour en arriver à un État qui puisse fonctionner. Moins on fait de compromis, mieux c'est, mais si après avoir pris bien leur temps, ceux qui se penchent sur toute cette procédure décident de procéder à une modification, qu'on le fasse.
Si j'en crois mes faibles connaissances de cette chose que l'on appelle le droit municipal, il suffit de passer en revue l'annexe complexe du chapitre 11 et d'y enlever tous les détails superflus pour s'engager sur la voie du succès. On n'y parviendra pas si avant même que le projet soit né on l'affuble de toutes sortes de gadgets coûteux en temps et en argent, annexés à une simple formule de gouvernement s'adressant à une population confinée sur un territoire restreint.
Une population n'en a pas moins besoin d'aide économique, qui devrait en outre être prévue dans l'accord. Il faut lire le document avec un grand soin pour savoir d'où va venir l'aide, quand et en quelle quantité.
Ce n'est pas à nous de décider si l'accord est bon ou mauvais. Ce n'est pas nous qui allons le faire. Nous sommes tout à fait pour que vous preniez vos responsabilités et nous vous confirmons, mais en tant que citoyens du Canada, qu'à notre avis, tout le monde, y compris les Nisga'as, a tout avantage à ce que nous ne mettions pas en place une formule qui sera contestée avec succès par la suite.
Personne ne nous saura gré d'avoir laissé passer ce projet, compte tenu de l'argent consacré à l'organisation de ceci, de cela et de cette nouvelle institution, si tout s'écroule en vertu d'une décision de justice. C'est pourquoi je vous demande d'emprunter la voie la plus rapide.
Le président: Voilà qui résume bien votre position. Je vous remercie de votre comparution. Nous sommes heureux d'avoir pu vous entendre aujourd'hui.
Je vais maintenant donner la parole à Dave Merz, président du comité des affaires autochtones et négociateur du traité pour le compte de la B.C. Cattlemen's Association. Nous entendrons ensuite l'intervention de Jack Ebbels, le sous-ministre de l'Énergie, des Mines et des Ressources du gouvernement de la Colombie-Britannique.
Monsieur Merz, nous constatons qu'il y a longtemps que vous prenez part à la négociation et à l'élaboration des traités en Colombie-Britannique. Vous pourriez peut-être nous parler de cette expérience.
M. Dave Merz, membre du comité consultatif régional, B.C. Cattlemen's Association: Je suis l'ancien président de la British Columbia Cattlemen's Association et à l'heure actuelle, je préside le comité des affaires autochtones.
J'ai aussi participé aux travaux du comité consultatif régional interne du Nord, conseillant depuis quatre ans les négociateurs des traités fédéraux et provinciaux.
Je suis un éleveur. Depuis 35 ans, j'exploite avec ma femme un élevage à l'ouest de Prince George. Nous sommes entourés de toute part par les peuples autochtones et par le réseau des réserves tel qu'il existe à l'heure actuelle. Nous n'ignorons pas ce qui se passe et la façon dont on opère.
Au nom des éleveurs de la Colombie-Britannique, je vous remercie de nous avoir donné l'occasion de comparaître ici aujourd'hui. Je pense que vous avez un exemplaire de notre mémoire s'appliquant au projet de loi C-9.
J'aimerais ce matin aborder les grandes lignes de ce mémoire et vous laisser ensuite le temps de nous poser quelques questions.
Je commencerais par vous présenter la B.C. Cattlemen's Association. Durant les 150 années qui se sont écoulées depuis l'époque de la ruée vers l'or, la production de bovins de boucherie a connu une croissance en Colombie-Britannique pour devenir un volet important de l'agriculture dans la province. Le secteur du naissage est le pilier de cette industrie. En 1998, environ 322 000 têtes de bovins et de veaux élevés sur 1 900 ranchs ont été vendus pour une valeur de 252 millions de dollars. La B.C.C.A. est le porte-parole officiel des grands éleveurs de la Colombie-Britannique depuis 1929.
La plupart des terres cédées qui appartiennent aux grands éleveurs servent à produire du fourrage pour nourrir leurs troupeaux pendant les mois d'hiver. Les grands éleveurs des régions situées à l'intérieur de la province sont totalement tributaires de l'accès garanti aux terres de la Couronne pour les pâturages au printemps, en été et en automne. La sécurité des tenures, qui sont les baux, les licences et les permis, sur ces terres est cruciale pour maintenir la viabilité de l'industrie. L'accès à l'eau est tout aussi important pour le bétail et pour les cultures.
Les grands éleveurs ont un point de vue bien particulier au sujet des négociations des traités et des revendications autochtones étant donné que de nombreux ranchs sont situés près des réserves indiennes. Les Indiens sont des amis et des voisins, souvent impliqués activement dans l'élevage du bétail. Nous ne contestons pas les motifs juridiques, sociaux et économiques qui entourent la conclusion de traités en Colombie-Britannique. Nous espérons voir négocier des traités qui feront des Indiens des gens mieux nantis, tant sur le plan économique que social, et qui nous laisserons poursuivre nos activités, en vivant et en travaillant en harmonie avec tous nos voisins. Le règlement des traités sans déplacer des non-autochtones est l'objectif des producteurs de bétail, objectif que nous partageons avec d'autres utilisateurs des ressources et avec les habitants des régions rurales de la Colombie-Britannique.
Au sujet de l'Accord définitif nisga'a, vous allez peut-être nous demander pourquoi la B.C.C.A. devrait-elle se préoccuper du projet de loi C-9. Il est facile de dire que l'Accord définitif nisga'a englobe peu de membres de la B.C.C.A. dans son champ de compétence. Il a également été négocié en dehors du processus de la Commission des traités de la Colombie-Britannique.
La B.C.C.A. éprouve trois inquiétudes générales à propos de l'Accord définitif nisga'a. Ce qui nous inquiète tout d'abord, c'est qu'il y a une confusion à propos de la véritable signification de l'accord.
Comme on l'a mentionné à plusieurs reprises ce matin cet accord, en partie du moins, devient un gabarit ou un modèle pour les règlements des futurs traités. Je siège au sein du comité consultatif chargé de conseiller les négociateurs des traités, et on nous renvoie continuellement à l'accord nisga'a, ce qui fait que nous le considérons comme un modèle. Cet accord crée un précédent pour le règlement des revendications car aucun autre groupe ne voudra accepter comparativement moins que ce qui a été négocié avec les Nisga'as. Par conséquent, nous devons examiner les répercussions de l'Accord définitif nisga'a sur le règlement des autres traités.
Je commenterai tout d'abord les questions liées aux ressources dans l'accord et j'examinerai ensuite les enjeux sociaux plus vastes sur lesquels tous les Canadiens devraient donner leurs points de vue.
La vallée de la Nass dispose de ressources forestières mais de peu, voire pas, de ressources en pâturage. Les tenures en pâturage -- c'est là que nous conduisons notre bétail en été, au printemps et à l'automne -- ressemblent beaucoup aux tenures forestières. Nous examinons la façon dont sont traités les détenteurs de tenures forestières dans le traité nisga'a, qui devrait servir d'exemple pour les règlements conclus ailleurs dans la province. Environ 1 930 kilomètres carrés de terres de la Couronne provinciale assujettis à des tenures forestières deviendront des terres nisga'as. Cela représente environ 250 acres par citoyen nisga'a. Si des règlements de même portée sont conclus à l'intérieur de la Colombie-Britannique, il ne fait aucun doute que des familles d'éleveurs seront gravement touchées. Pensez au règlement concernant les Nisga'as en termes de pâtés de maisons plutôt que d'hectares et envisagez les incidences.
Les négociateurs des traités, les autochtones et le grand public pensent souvent aux terres non bâties de la Couronne comme si elles étaient disponibles pour le règlement des traités. En fait, à l'intérieur de la Colombie-Britannique, les terres de la Couronne ne sont pas vacantes. Par le biais d'une série de tenures chevauchantes de la Couronne, elles sont aussi mises en valeur pour utilisation des ressources que les pâtés de maisons à usage résidentiel.
Les terres assujetties à des baux agricoles et à des permis d'exploitation de boisés seront exclus des terres nisga'as. Étant donné que ces tenures seront supplantées sur toutes les terres nisga'as, les dispositions d'accès contenues dans le traité sont d'une importance capitale. Aucun enjeu unique n'a engendré plus de mauvaise volonté à l'égard des Indiens de la Colombie- Britannique que les difficultés d'accès.
L'Accord définitif nisga'a repose sur l'existence d'un volume considérable d'eau non concédée sous licence. Cette eau est réservée aux Nisga'as qui peuvent ensuite demander des permis d'exploitation hydraulique. Dans presque tout le reste de la Colombie-Britannique, les masses d'eau sont intégralement enregistrées et n'ont pas de capacité excédentaire. Cet élément de l'Accord définitif nisga'a ne sera pas transférable aux régions de la province où l'eau est rare et nous espérons que les négociateurs en prendront conscience. Pour le bétail et pour l'irrigation, l'eau est la source de vie de chaque famille d'éleveurs, qu'il s'agisse d'une grosse ou d'une petite exploitation.
L'accord décrit les droits issus de traités en dehors des terres visées par le règlement comme traitant principalement de la récolte des espèces fauniques. En règle générale, la B.C.C.A. estime que les droits issus de traités en dehors des terres visées par le règlement devraient être très limités. De tels droits ne contribueront pas à la certitude portant sur l'utilisation des terres et des ressources. Les droits issus de traités ont un statut constitutionnel. Les autres droits d'utilisation des terres et des ressources ne l'ont pas. Ce statut inégal complique le règlement et l'adaptation entre les droits contradictoires ou concurrents issus de traités et les autres droits à l'utilisation des terres et des ressources, et les rend même impossibles.
Du point de vue de l'utilisateur des ressources, l'une des principales failles des négociations du traité nisga'a vient du fait que l'on n'a pas cherché dès le départ à indemniser les tiers qui sont déplacés. Nous croyons savoir que le gouvernement du Canada accordera à la Colombie-Britannique une contribution, actualisée en dollars de 1993, de 3 millions de dollars pour aider les personnes qui pourraient être touchées négativement par le traité nisga'a. Le Canada et la Colombie-Britannique partageront le coût de rachat des intérêts des tierces parties, estimés à 30 millions de dollars. Nous croyons que ces chiffres sous-estiment considérablement la valeur des terres et des ressources et l'indemnisation subséquente des tiers.
Je vais maintenant commenter un certain nombre des grandes questions sociales. Même si la B.C.C.A. rejette un droit inhérent à l'autonomie gouvernementale, nous admettons que les peuples autochtones de la Colombie-Britannique devraient pouvoir gouverner le plus possible leurs affaires selon des moyens choisis par eux-mêmes et cadrant facilement avec le gouvernement non autochtone. Les Nisga'as doivent être responsables des résultats qu'ils obtiennent, non seulement devant leurs propres gens mais également devant les autres Canadiens. Nous ne considérons pas que la question de la responsabilité a été abordée convenablement dans l'Accord définitif nisga'a. Nous avons observé que la responsabilité financière revêt encore plus d'importance que l'octroi de terres et de ressources supplémentaires si l'on veut faire progresser davantage les collectivités autochtones.
L'un des aspects les plus confus de l'Accord définitif nisga'a est sans rapport avec la Constitution canadienne. Crée-t-il un troisième ordre de gouvernement sans amender la Constitution? L'accord ne doit pas devenir un volet de la Constitution et donc être impossible à amender. Les contestations des traités antérieurs démontrent que les circonstances changent et que toutes les possibilités ne peuvent pas être envisagées lors de la négociation d'un traité.
Dans tout l'Accord définitif nisga'a, on trouve des énoncés précisant si oui ou non les lois provinciales ou fédérales concernant un sujet particulier s'appliquent sur les terres nisga'as, et quel palier de gouvernement a préséance sur l'autre. On stipule que l'accord supplante les pouvoirs fédéraux et provinciaux dans 14 domaines en cas d'incohérence ou de conflit, même si c'est uniquement dans des questions internes au peuple nisga'a. Le précédent est inquiétant. Il en résulte une complexité juridictionnelle et une confusion qui, à notre avis, rendront extrêmement difficile la prestation de services.
Nous faisons des réserves au sujet de la viabilité économique du palier de gouvernement proposé par les Nisga'as. On a indiqué ici même que la population impliquée serait de 5 700 personnes.
Je siège au sein du CCR et certaines nations dont les traités sont en cours de règlement ont moins de 500 membres. Une fois les règlements obtenus, comment va-t-on les mettre en application? Nous ne croyons pas que le gouvernement nisga'a devrait être le pilier économique de l'économie nisga'a, pas plus que ce devrait être le cas avec tout autre règlement d'un traité.
Même si l'Accord définitif nisga'a annonce l'objectif de l'élimination graduelle de la dépendance à l'égard des paiements de transfert au fil des années, l'obligation fiduciaire du Canada subsiste. Qu'est-ce qui empêchera les traités modernes d'être un engagement financier généralisé au nom des contribuables canadiens?
Le fossé de plus en plus grand qui sépare les collectivités autochtones de l'ensemble de la société non autochtone qui les entoure nous inquiète. Le traité nisga'a prévoit des pêches séparées, un réseau scolaire séparé, un enseignement postsecondaire séparé, un régime de soins de santé séparé, un système judiciaire séparé, une administration gouvernementale séparée, et cetera. Nous reconnaissons que les peuples indiens ont besoin de conserver leur culture et leurs traditions et nous reconnaissons sur ce point la nécessité d'une certaine séparation. Nous n'acceptons pas que l'on sépare chacune des activités. Ce n'est pas là la voie que doit emprunter la société canadienne.
La négociation de l'Accord définitif nisga'a est une réalisation remarquable. Nous espérons qu'il représente vraiment un règlement final des revendications des Nisga'as. Nous redoutons de nous éloigner du langage «céder, libérer et capituler» utilisé dans les traités historiques et reconnu par la Cour suprême. Nous espérons que les dispositions entourant la certitude, que l'on retrouve dans l'Accord définitif nisga'a, se révéleront efficaces lorsqu'elles seront mises à l'épreuve dans le temps.
Je vais maintenant exposer les grandes idées de la B.C.C.A. concernant la façon dont on devrait aborder la question des traités et des revendications autochtones. Nos membres craignent très fortement le résultat des négociations des traités. Bon nombre de ces craintes découlent de l'échec des gouvernements à communiquer une vision claire de la Colombie-Britannique d'après traité que tous les résidents peuvent comprendre et appuyer. Nous ne savons pas à quoi ressemblera la province lorsqu'elle aura été morcelée en petits États de ce type, et je ne pense pas que le gouvernement fédéral ou celui de la province le sache eux non plus.
Les tribunaux semblent avoir une vision claire. Les éleveurs ne savent pas où ils se retrouveront ni comment leurs besoins seront satisfaits. Il n'y a aucune vision pour orienter les négociations. Les tribunaux semblent avoir une vision plus claire d'une réalité d'après traité que nos leaders politiques. Cela n'apporte aucun soulagement à nos membres alors que nous essayons d'affronter et de résoudre l'incertitude actuelle. Une vision pour la Colombie-Britannique d'après traité doit comporter un moyen d'atteindre la certitude de juridiction et d'appartenance et la finalité des revendications des droits ancestraux et du titre autochtone, acceptables pour tous les résidents.
Nos membres continuent de croire que les revendications autochtones devraient être réglées principalement en espèces. Certaines personnes ont été offensées par cette position. Nous estimons qu'il y a de bonnes raisons sous-jacentes à cette approche. Premièrement, l'argent permet aux peuples autochtones d'être libres d'entrer dans le courant économique principal par les mêmes filières que n'importe qui d'autre. Ils peuvent acheter des terres et des intérêts liés aux ressources naturelles. Nous croyons fermement que leur inclusion dans l'économie devrait se faire par les méthodes en vigueur et pas par des méthodes nouvelles et uniques.
Deuxièmement, il faut reconnaître que la mise en valeur durable des ressources en respectant l'environnement ne peut pas se réaliser en l'absence de capitaux suffisants. De nombreuses réserves indiennes de l'intérieur possèdent déjà une importante assise territoriale. L'ajout de terres et de ressources pourrait donner naissance à des ghettos ruraux riches en terres mais pauvres en argent. Sans les capitaux et les compétences nécessaires pour utiliser efficacement les ressources dans une économie moderne, les peuples autochtones ne seront pas mieux nantis.
Troisièmement, l'argent offre des possibilités économiques qui ne sont pas forcément liées aux terres issus du règlement des traités. Ce qui nous préoccupe, c'est que, dans de nombreuses régions où vivent actuellement des Indiens, la région ne fournira pas une vie décente aux nombreuses familles concernées, peu importe le nombre d'entreprises locales axées sur les ressources naturelles qui seront transférées. En voyant certaines régions isolées qui doivent faire l'objet d'un règlement, je me dis qu'il est impossible que ces régions puissent devenir économiquement viables.
Nous continuons à considérer l'éducation et l'expansion de débouchés à l'extérieur des réserves comme les principaux moyens qui permettront aux Indiens d'être plus favorisés sur le plan économique. Si nous croyons aux règlements en espèces, c'est enfin parce que leur coût est réparti également entre tous les Canadiens. Le modèle actuel de sélection des terres, utilisé pour les négociations des traités en Colombie-Britannique impose un fardeau indu aux habitants des régions rurales de la Colombie- Britannique et à ceux qui dépendent des terres et des ressources naturelles pour leur subsistance.
Je signale ici que j'ai bientôt l'âge de la retraite. Lorsque je vais devoir vendre mon ranch, je sais que ce genre de situation en déterminera très fortement la valeur.
Il n'est pas certain que cette réaffectation à grande échelle de terres et de ressources satisfera les besoins des autochtones. Ce qui est certain, c'est que des groupes d'utilisateurs, comme les membres de la B.C.C.A., pourraient perdre leurs moyens de subsistance et supporter une part disproportionnée du coût de règlement de revendications territoriales concernant l'ensemble de la société canadienne.
Ce n'est pas une façon équitable d'atteindre un objectif de société. Pour que les traités soient acceptés par la société de la Colombie-Britannique, il faudra que la question de l'indemnisation soit abordée ouvertement avant de conclure les traités. Le Canada a une entente de partage des coûts avec la Colombie- Britannique pour l'indemnisation des tierces parties. Ce n'est nullement une consolation si la base d'indemnisation n'existe pas. Il faut que les gouvernements se dotent d'une juste politique d'indemnisation en temps utile des tierces parties affectées.
La B.C.C.A. appuie le processus de la Commission des traités de la Colombie-Britannique comme un processus que les autochtones, le gouvernement fédéral et la province ont accepté. Toutefois, nous aimerions qu'il soit remplacé par une procédure plus simple. Dans la mesure où il est légitime de faire référence à un groupe autochtone comme étant une nation, nous estimons que les traités devraient être négociés avec les nations autochtones reconnues. Nous voyons des groupes se détacher des nations autochtones établies pour pouvoir mener leurs propres négociations. Je pourrais les nommer, mais je ne le ferai pas. L'établissement de ces différents groupes va coûter très cher à la société.
La déclaration volontaire d'une Première nation en vertu du processus des traités de la Colombie-Britannique n'a aucune assise juridique et pourrait ne pas être reconnue par les tribunaux. Elle crée de nombreux ensembles inefficaces et chevauchants de négociations de traités. Le processus pourrait peut-être être court-circuité en demandant aux gouvernements de préciser les ressources financières globales qui sont attribuées à chaque entité de négociation en les laissant décider comment ces ressources seront utilisées.
Le groupe négociateur déciderait alors quelle partie du montant identifié il souhaite utiliser pour les frais de négociation, les frais d'autonomie gouvernementale et l'indemnisation des tierces parties déplacées.
Nous estimons que les traités devraient inclure seulement les «éléments permanents», les principes qui régiront et façonneront le nouveau rapport. Les ententes complexes et détaillées portant sur la mise en oeuvre, sur lesquelles nous nous penchons à l'heure actuelle, devraient constituer des accords d'application renouvelables permettant une évolution de la relation de travail entre les gouvernements fédéral et provincial et les gouvernements des peuples autochtones.
Ottawa doit reconnaître la nécessité d'avoir un vaste appui du public pour les traités et chercher des moyens de l'obtenir. Dans le cas des Nisga'as, les gouvernements provincial et fédéral ont adopté le traité parce que «C'est la bonne chose à faire».
C'est peut-être le cas, mais ces mêmes gouvernements, aucun des deux n'ayant été élu par une majorité d'électeurs de la Colombie-Britannique, ont également l'obligation de tenir compte des préoccupations des autres habitants de la province. Ils ont échoué à cet égard. Trente pour cent environ de nos voisins autochtones ne participent pas au processus global de la Commission des traités de la Colombie-Britannique.
Sur une base quotidienne permanente, nos membres sont affectés par la politique des revendications particulières et par d'autres politiques du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien, comme la politique d'ajout de terres aux réserves. L'un de mes collègues est récemment venu évoqué les répercussions considérables que cela entraîne pour les éleveurs et les habitants de ces régions.
Ces politiques orientent les négociations non seulement sur l'assise territoriale de la Couronne sur laquelle nos membres comptent, mais souvent elles impliquent des terres affermées en fief simple. Il est donc primordial que le milieu des éleveurs participe dès le début aux discussions concernant l'assise territoriale.
Enfin, nous nous demandons si des lois soigneusement rédigées pourraient aider à définir la nature et la portée des droits ancestraux. La Cour suprême du Canada a clairement statué que le gouvernement fédéral a le pouvoir de réglementer les droits ancestraux. Nous estimons qu'il y a une possibilité de compléter les processus de négociations par des lois et des règlements.
En conclusion, les familles d'éleveurs de la Colombie- Britannique espèrent que les traités conclus avec les autochtones feront avancer leurs intérêts par des moyens acceptables pour les non-autochtones.
Les éleveurs peuvent apprécier peut-être plus que d'autres, le rapport qui existe entre les autochtones et la terre. C'est un sentiment que nous partageons. Toutefois, nous croyons fermement qu'une réaffectation des terres et des ressources constitue une solution simpliste à la situation critique des Indiens de la Colombie-Britannique et qu'agir ainsi sans dédommager ceux qui en possèdent actuellement les droits est profondément incorrect.
Nous souhaitons sincèrement que le résultat des négociations des traités soit un renforcement de la Colombie-Britannique rurale. Cette force découlera de l'équilibre qui sera trouvé entre les intérêts autochtones et non autochtones et entre la reconnaissance des différences et l'offre d'une égalité des chances.
Nous espérons pouvoir vivre à nouveau dans des collectivités où pourra régner un esprit d'acceptation, de collaboration et d'amitié. Nos commentaires concernant le projet de loi C-9 sont destinés à orienter le gouvernement vers cet objectif. Nous ne nous attendons pas à ce que le Sénat empêche la mise en application de l'Accord définitif nisga'a. Nous espérons cependant que le Sénat prendra acte de nos préoccupations et que les éclaircissements que nous lui apportons l'aideront par la suite dans ses délibérations.
Les tierces parties en Colombie-Britannique, surtout celles qui ont des intérêts sur les terres et les ressources, ont bien souffert de la difficulté de se faire entendre. Les gouvernements ont une attitude paternaliste. Les critiques nous taxent de racistes et les autochtones pensent souvent que nous cherchons à empiéter sur leurs droits concernant les terres. Ce que nous voulons en fait, c'est tout simplement être traités équitablement par nos gouvernements et par nos voisins.
Le président: Merci, monsieur Merz. Vous avez bien défendu la cause de votre association dans votre exposé.
Le sénateur Rompkey: Je voudrais tout d'abord vous poser une question de forme. À la page 1 du mémoire de la B.C.C.A., vous dites qu'il ne faut pas déplacer les non-autochtones, mais dans votre exposé vous avez parlé «d'autochtones». J'imagine que vous vouliez dire non autochtones?
M. Merz: Oui.
Le sénateur Rompkey: Vous avez remis en cause l'autonomie du gouvernement ainsi que le contrôle des écoles et d'autres institutions. Comment une Première nation peut-elle préserver sa culture si elle n'exerce pas le contrôle sur ses écoles? Cela m'apparaît une institution clé lorsqu'il s'agit de préserver la culture. Il me semble que l'on s'oriente dans ce sens dans tout le pays.
D'ailleurs, dans ma propre province de Terre-Neuve, même si les règlements avancent très lentement, c'est la première chose que nous avons fait au sujet des Innu. Le gouvernement a confié aux Innu la compétence sur les écoles et les autres institutions locales, en matière de santé, par exemple. Comment peut-on préserver sa culture si l'on ne contrôle pas ces institutions?
M. Merz: Je vois ce qui se passe dans ma région. J'habite à l'ouest de Prince George. Il y a dans les réserves des écoles qui fonctionnent très bien. Lorsque les élèves sont plus grands, ils entrent dans le réseau scolaire public. Des responsables au sein des conseils scolaires veillent à ce que les élèves en provenance des réserves ne perdent pas leur langue et leurs coutumes dans le réseau scolaire public. Je pense qu'il est important que ces gens sachent comment fonctionne notre pays et comment les choses se passent, tout en restant en mesure de maintenir leurs propres traditions. Je ne pense pas qu'ils puissent rester totalement isolés.
Le sénateur Rompkey: Il doit y avoir un moyen terme entre une isolation complète et l'assimilation.
Vous nous avez dit par ailleurs que vous ne saviez pas ce que l'avenir nous réservait. Peut-on faire pire que par le passé? Vous savez ce qu'il en est du passé. Vous savez que le pourcentage d'autochtones incarcérés est bien plus élevé que celui de la population en général. Vous savez qu'il y a un taux d'alcoolisme bien plus fort. Vous savez que les difficultés familiales sont plus nombreuses. Cette situation est le résultat de l'isolation et de l'impossibilité pour ces personnes d'exercer un contrôle sur leur vie et leur avenir. Nous ne savons peut-être pas ce que l'avenir nous réserve, mais nous connaissons bien le passé. L'avenir peut-il être pire que le passé?
M. Merz: Je pense que mes commentaires s'adressaient davantage aux non-autochtones, tels que la collectivité d'éleveurs de Williams Lake, et ceux de ma région, où l'on utilise à l'heure actuelle des terres d'élevage. Nous savons qu'il va y avoir une concurrence directe lorsque les revendications seront réglées. À quoi va ressembler notre secteur? C'est ce qui me préoccupe. Vers quoi nous dirigeons-nous? Allons-nous perdre une petite partie de nos terres d'élevage chaque année? Allons-nous perdre la totalité de nos terres d'élevage?
Cela a des incidences directes sur la viabilité des opérations d'élevage dans toute la province de la Colombie-Britannique. Que va-t-il nous arriver? Vers quoi nous dirigeons-nous? Nous avons organisé des rencontres pour essayer d'en discuter avec les négociateurs, qui nous répondent qu'ils n'en savent rien. Il n'en ont pas encore parlé. Nous savons que des négociations sont en cours dans différentes régions, la mienne y comprise, et je ne sais pas ce qui va se passer.
Lorsque nous parlons ainsi, nous pensons davantage aux non-autochtones. Que va-t-il se passer pour la population de Vancouver, qu'est-ce qu'elle pense du sort réservé à la province? Que va-t-il se passer au sujet de la revendication du parc Stanley? Que va-t-il se passer dans ces différentes régions? Il y a à Prince George une station de recherche qui est actuellement la propriété du gouvernement fédéral. Je crois savoir que c'est l'un des lieux qui fait l'objet de négociations. Qu'en sera-t-il? Que va-t-il se passer?
Le sénateur Chalifoux: Je dois féliciter les Nisga'as pour leurs qualités de négociateurs, parce que lorsque mes ancêtres ont négocié le règlement de terres ils n'ont obtenu que 160 acres, et les Cris seulement 140.
La superficie des terres négociées est plus faible que celle de certains ranchs en Colombie-Britannique.
Je me demande si vous en êtes conscient. Je remarque avec intérêt que vous vous inquiétez au sujet de vos terres alors que la superficie négociée est plus réduite que celle du ranch Douglas, par exemple. J'aimerais avoir vos commentaires à ce sujet.
Vous nous dites à la page 6 qu'en tant que «nation séparée», les Nisga'as bénéficieront, en vertu du traité, de pêches séparées, d'écoles séparées ainsi que d'un enseignement postsecondaire et d'un réseau de santé séparés. Justement, les autres réserves du Canada disposent de réseaux de santé séparés en vertu des dispositions de la Loi sur les Indiens. Il y a des réseaux scolaires séparés dans les réserves et je constate que les élèves commencent à assimiler la culture. Nous sommes le peuple qui a le plus souffert de la discrimination au Canada et des études l'ont corroboré. Je n'arrive pas à comprendre votre point de vue sur ces questions. Il y a bien des années, nos ancêtres ont aidé les vôtres à survivre. Ils se sont entraidés parce que ce sont des êtres humains. Les autochtones ont familiarisé les nouveaux arrivants avec les difficultés de la vie dans ce pays et leur ont appris à survivre.
Communiquez-vous avec vos voisins? Est-ce que vous les rencontrez? Les Nisga'as ont cherché à rencontrer des gens et à négocier. Nous avons entendu dire par les gens qui travaillent à l'intérieur des terres des Nisga'as qu'ils sont heureux et satisfaits des relations qu'ils ont instaurées avec leurs voisins. J'aimerais que vous nous disiez ce que vous en pensez.
Vous avez affirmé que les autochtones ont résisté à l'intégration culturelle. Je ne le crois pas, monsieur Merz. Lorsqu'on se penche sur l'histoire de notre peuple et sur ce qui s'est passé au cours des siècles, on voit que seul un énorme instinct de survie nous a permis de conserver ne serait-ce qu'une minime partie de notre culture. Les choses se remettent en place aujourd'hui. Là encore, en tant que citoyens canadiens, il nous faut tenir compte de nos voisins.
Le dernier point que je tiens à signaler concerne les paiements en espèces. Vous proposez de ne pas faire d'échange de terrains et de tout payer en espèces. Notre peuple n'a jamais eu beaucoup d'argent. On le voit bien dans certaines de nos réserves en Alberta, où le taux de suicide est 10 fois plus élevé que dans le reste du Canada. J'aimerais savoir ce que vous pensez des décès, des terribles souffrances et des conséquences qu'entraînent des gros versements d'argent à des gens qui n'en ont jamais eu. Je vous remercie.
M. Merz: Je ferai un premier commentaire sur la superficie des terres en question. Il est malheureux que vous citiez l'exemple de Douglas Lake et de deux ou trois autres ranchs de ce type, parce qu'ils constituent certainement une exception. Il y a quelque 1 900 ou 2 000 autres ranchs dont la superficie est bien plus réduite. Dans le cas de Douglas Lake et de certaines autres exploitations, il ne s'agit pas de terres dont elles ont la propriété, mais de terres exploitées à l'aide de baux ou de permis de pâturage. Elles ne possèdent pas ces terres et elles versent des droits de pâturage en fonction du nombre de têtes de bétail. La superficie elle-même est calculée en fonction des chiffres correspondant aux terres de la Couronne confiées à telle ou telle exploitation particulière. La taille des ranchs est sujette à interprétation et dépend de la perspective que l'on adopte.
C'est important en ce qui nous concerne parce que nous dépendons de ces pâturages pour vivre. Que va-t-il se passer au cours des négociations si nous perdons ces terres? Comment va-t-on pouvoir vivre? Je comprends ce qui va se passer s'il y a des revendications territoriales dans ces zones. Nous proposons qu'on fasse des paiements en espèces, que les bénéficiaires deviennent propriétaires des terres en les achetant, qu'ils exploitent les ranchs comme ils l'entendent, qu'ils achètent les entreprises comme ils le veulent et qu'ils se servent de tout cela pour assurer leur viabilité économique.
Je conviens que l'intégration culturelle pose un problème et nous n'avons pas la solution. Nous ne savons pas comment cela va fonctionner. Je sais par contre que dans notre région, ces gens ont leurs propres réseaux de santé et d'écoles, qui fonctionnent bien et qui doivent continuer à bien fonctionner. Je ne comprends pas comment ils vont opérer s'ils deviennent des entités individuelles. Comment et d'où vont-ils tirer les recettes fiscales pour faire fonctionner ces réseaux? Ils disposent dans nos régions de magnifiques écoles toute neuves qui fonctionnent, mais sans cette source de recettes, ce n'est plus possible.
J'ai indiqué pourquoi nous estimons que les paiements en espèces représentent une solution viable. Nous tenons compte du fait que lorsqu'on retire des terres lors de la conclusion d'un accord, les propriétaires ruraux vont subir le gros du fardeau lié à ces questions de revendications territoriales. Vous avez devant vous les gens qui vont être impliqués.
Nous avons beaucoup travaillé pour obtenir ces terres. Quelle sera l'indemnisation versée si des gens font faillite parce qu'ils ont perdu leurs baux ou leurs droits de pâturage? Rien n'a été défini sur ce plan. Nous sommes donc préoccupés. Si je décide de vendre mon exploitation, qui va bien pouvoir l'acheter en ce moment étant donné que je me sers des terres de la Couronne pour élever mon bétail et le faire paître? Le système est en place au moyen de baux ou de concessions accordés en bonne et due forme et il y a des années et des années qu'il fonctionne en Colombie-Britannique. Ces nouvelles propositions sont tout à fait différentes. Qu'en sera-t-il de nous?
Le sénateur St. Germain: J'ai perdu des droits de pâturage sans avoir la possibilité de me défendre et je sais donc de quoi vous parlez et quelles sont vos préoccupations.
Je suis préoccupé par votre conception simpliste des solutions devant être apportées à ces questions autochtones dans notre pays. On a tenté sans succès l'assimilation par l'intermédiaire des écoles résidentielles et par d'autres moyens. Il en est résulté les pires maux dans notre société. J'entends continuellement des gens nous dire qu'il nous faut faire quelque chose pour nos pauvres autochtones. Aujourd'hui, nous cherchons à faire quelque chose pour eux, mais différentes catégories de gens au sein de notre société viennent nous dire que l'on devrait faire quelque chose, mais «pas ceci» ou «pas cela» et «pas vraiment de cette manière». Vous proposez entre autres le versement d'argent. Je ne pense pas que ce soit la bonne réponse parce que l'on ne peut pas racheter la dignité. Les Nisga'as, les Gitanyows et les Gitxsans sont des gens responsables. J'ai remis en cause certaines modalités de la négociation et d'autres ont remis en cause la constitutionnalité de l'ensemble. En vérité, c'est peut-être le seul moyen qui nous reste pour redonner à ces gens leur dignité, que nous avons mise à mal. Lorsque j'étais agent de police à Vancouver, j'ai travaillé en civil pendant sept mois. J'ai vu les conditions horribles dans lesquelles vivaient les autochtones, les adultes comme les enfants, qui étaient là vraisemblablement contre leur gré parce qu'ils n'avaient pas de territoire comme celui des Nisga'as pour se développer. Je vous le dis bien franchement, je pense que votre intervention en tant que tierce partie dans les négociations est fondamentale.
J'estime qu'il vous faut être d'une manière ou d'une autre à la table des négociations pour que vos intérêts soient défendus équitablement, ouvertement et selon les règles.
Toutefois, lorsque j'entends la Cattlemen's Association préconiser l'assimilation par voie de paiements en espèces, cela me rappelle les écoles résidentielles et cela vient probablement de la façon dont j'ai été élevé. Je suis en partie autochtone et j'ai grandi au Manitoba où l'on me disait que les «demi-sang» étaient des voleurs. Je ne pense pas cependant que vos recommandations dans ce domaine soient très positives. Je vous le dis bien sincèrement en tant que propriétaire et éleveur de bétail en Colombie-Britannique. Je considère cependant que la participation des tiers est fondamentale pour que l'on ne corrige pas certaines situations en portant tort à d'autres.
Vous pouvez apporter vos commentaires si vous le souhaitez.
M. Merz: Tout notre document traite de la nécessité de ne pas porter tort à d'autres, de garantir leur présence et de veiller aux intérêts des tiers. La position de M. Newton était essentiellement la même, même s'il est parti d'un autre point de vue que le nôtre. Il a été totalement exclu, comme l'on été des régions entières de la province. Heureusement, ma région relève de la procédure de négociation normale et nous avons eu la possibilité de faire entendre notre voix, ce qui est fondamental.
Le président: La B.C. Cattlemen's Association siège depuis longtemps au sein du comité consultatif sur la négociation des traités. Le résultat n'est peut-être pas aussi satisfaisant que vous le souhaitiez mais, du moins, vous savez plus ou moins instantanément ce qui se passe.
Le sénateur Sibbeston: Monsieur le président, j'aimerais faire un commentaire susceptible d'offrir un certain espoir. Je suis d'accord avec d'autres intervenants pour dire que l'argent en soi ne résoudra pas le problème. Je ne suis pas d'accord avec M. Merz lorsqu'il affirme que la réaffectation des biens fonciers est une solution simpliste. Pour qu'un groupe quelconque de gens puissent réussir et progresser, il lui faut de l'argent, des terres, des ressources et une administration, ce qui englobe les non-autochtones. Lorsque les non-autochtones sont arrivés dans notre pays, les autochtones ont été confinés dans des réserves, et nous cherchons à remédier à cela.
Dans les Territoires du Nord-Ouest, où j'habite, grâce aux revendications territoriales et à la participation des autochtones au gouvernement, les gens commencent à s'en sortir. À titre d'exemple, au cours des années 70, alors que les autochtones des Territoires du Nord-Ouest ne participaient pas au gouvernement, n'exerçaient aucun contrôle, n'étaient pas propriétaires des terres et n'avaient pas d'argent, ils se sont opposés à un oléoduc important qui aurait pu être bénéfique pour notre pays. Du fait de leur opposition, l'enquête Berger a finalement réclamé un moratoire. Maintenant, au cours des années 90, après le règlement des revendications territoriales des autochtones, ce sont eux qui font la promotion d'un oléoduc. C'est uniquement parce qu'ils possèdent des ressources, qu'ils ont la propriété des terres et qu'ils participent au gouvernement. Tous ces acquis ont fait prendre confiance aux autochtones et leur ont donné la force de s'intégrer à la société canadienne. Si les Nisga'as finissent par obtenir ce qu'ils demandent, ils pourront contribuer au progrès de la société canadienne.
Je reconnais que les Territoires du Nord-Ouest ne sont pas aussi peuplés que la Colombie-Britannique et que par conséquent les autochtones y ont peut-être davantage la possibilité de réussir. Il n'en reste pas moins que dans le nord de l'Alberta et de la Colombie-Britannique, il reste possible pour les autochtones de réussir comme l'ont fait ceux des Territoires du Nord-Ouest.
Si je vous parle ainsi, c'est pour que vous conserviez l'espoir que tout cela ne débouchera pas sur une catastrophe pour les autochtones.
M. Merz: J'apprécie vos commentaires. Ce sont les moyens qui nous permettent de vivre qui nous préoccupent avant tout. Si nous parlons de versements en espèces, c'est surtout parce que cela nous soulagera vraisemblablement un peu plus que ce n'est le cas pour la population de Vancouver.
Je vous le répète, lorsque les gens de Vancouver passent en automobile devant un terrain vacant, ils pensent que l'on peut s'en servir sans se rendre compte qu'il est déjà concédé à bien des gens. C'est un très gros problème pour les habitants des campagnes de la Colombie-Britannique.
Le président: Merci, monsieur Merz, de votre exposé, qui a éveillé un grand intérêt. Nous avons été heureux d'entendre votre point de vue.
Le témoin suivant est M. Robert Nault, ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien. M. Tom Molloy et M. Andrew Beynon l'accompagnent.
Merci de venir à nouveau, monsieur le ministre. Nous savons que vous vous êtes tenus au courant des témoignages et des questions que nous débattons. Je ne vais pas vous retarder davantage et je vous invite à faire votre exposé. Un certain nombre de sénateurs ont des questions à vous poser. Vous avez la parole.
L'honorable Robert Nault, ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien: C'est pour moi un honneur et un plaisir de comparaître à nouveau devant mes collègues du Sénat pour vous parler du projet de loi C-9, Loi portant mise en vigueur de l'Accord définitif nisga'a. J'en suis à ma quatrième heure de témoignage et j'espère être en mesure de préciser quelque peu les commentaires que j'ai faits lors de ma première comparution.
Plusieurs semaines se sont écoulées depuis notre dernière rencontre et je sais que vous avez eu l'occasion d'entendre un certain nombre de témoins importants. Vous avez certainement entrepris ce que je considère être un examen exhaustif de l'Accord définitif nisga'a. Je pense que vous conviendrez que les commentaires des diverses parties intéressées ont clairement révélé leurs besoins de tenir compte des intérêts de chacun dans le cadre d'un accord soigneusement libellé. Comme je l'ai indiqué lors de mon intervention précédente devant votre comité, je pense que dans l'accord qui vous est présenté, nous avons réussi à atteindre l'équilibre nécessaire. De plus, je crois que le traité des Nisga'as respecte les valeurs de la coopération, de la décence et du respect d'autrui, valeurs qui sont chères aux Canadiens et aux Canadiennes.
Aujourd'hui, j'ai pensé qu'il était important de revoir cinq questions clés ayant passablement attiré l'attention au cours des nombreuses journées d'audience. Je suis sûr que comme tous les comités vous êtes conscients du fait que le personnel de votre bureau a suivi vos délibérations de très près. Nous sommes bien au courant de ce que disent les témoins et des questions que posent les sénateurs. J'ai retenu cinq questions clés parce qu'elles reviennent constamment. Il y en a d'autres, mais je pense que ces cinq-là ont une importance particulière.
La première concerne la façon dont l'Accord définitif nisga'a fonctionnera au sein du contexte légal et constitutionnel canadien. J'aimerais souligner que ce traité a été conçu expressément pour s'harmoniser à ce contexte. Le traité précise les droits des Nisga'as en vertu de l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. Ce faisant, il établit la relation entre ces droits, et les droits et les intérêts des tierces parties.
La relation entre l'Accord définitif nisga'a et la Constitution, les lois canadiennes ainsi que la Charte canadienne des droits et libertés est fondamentale. L'ensemble de l'Accord définitif nisga'a reflète le cadre constitutionnel et législatif du Canada. Aucune modification constitutionnelle n'est nécessaire pour donner force de loi à l'Accord définitif nisga'a, et ce dernier ne modifie en rien la Constitution du Canada. Les lois adoptées par les autorités nisga'as et les autres ordres de gouvernement coexisteront, y compris les dispositions sur l'autonomie gouvernementale de l'accord définitif.
Je pense que Peter Hogg, doyen de la faculté de droit d'Osgoode Hall, un expert réputé en matière de droit constitutionnel canadien, a très bien résumé la question en affirmant:
Qu'il était vrai qu'une fois en vigueur, le traité des Nisga'as serait protégé par l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, qui reconnaît et confirme les titres ancestraux et les droits issus des traités. Il a ajouté que cette protection provenait du libellé de l'article 35, que la conclusion d'un traité ne modifie en rien cet article et que le traité ne ferait pas partie de la Constitution canadienne.
J'aimerais respectueusement attirer l'attention des honorables sénateurs sur les nombreux aspects de l'Accord définitif nisga'a qui ont été négociés en respectant le cadre constitutionnel du Canada. Le paragraphe 8 du chapitre sur les dispositions générales stipule clairement que l'Accord définitif nisga'a ne modifie en rien la Constitution. Ceci reflète bien notre intention d'assurer à l'Accord définitif nisga'a une interprétation conforme à la Constitution.
Le paragraphe 13 du chapitre sur les dispositions générales précise que les lois fédérales et provinciales s'appliquent aux Nisga'as et à leurs terres. De plus, le préambule de l'accord précise que la Constitution est la loi suprême du Canada et réaffirme que l'accord ne modifie pas la Constitution. Ce préambule permettra aux tribunaux d'interpréter la Loi sur l'Accord définitif nisga'a. Enfin, conformément à l'Accord définitif nisga'a, les Nisga'as ont eux-mêmes adopté une constitution interne qui précise que leur constitution est sujette à la Constitution du Canada.
Avant de conclure à ce sujet, j'aimerais attirer votre attention sur le paragraphe 9 des dispositions générales de l'accord, qui se lit ainsi: «La Charte canadienne des droits et libertés s'applique au gouvernement nisga'a concernant toutes les questions relevant de son pouvoir, eu égard au caractère libre et démocratique du gouvernement nisga'a tel qu'énoncé dans l'Accord.» Ce paragraphe explique clairement que la Charte s'appliquera à toutes les activités du gouvernement nisga'a, y compris ses pouvoirs législatifs, et que la Charte protégera toutes -- et j'insiste sur «toutes» -- les personnes touchées par les décisions du gouvernement nisga'a.
La deuxième question clé est celle de la citoyenneté nisga'a. Le dictionnaire anglais Webster définit ainsi le mot «citoyen»: «un habitant d'une ville ou agglomération, particulièrement celui qui a droit à ses privilèges». Je suis sûr que les honorables sénateurs savent tous désormais qu'une fois l'Accord définitif nisga'a en vigueur, les Nisga'as ne seront plus organisés en bandes tel que le prévoit la Loi sur les Indiens. Conséquemment, les dispositions d'adhésion aux bandes ne s'appliqueront plus. Ceci étant dit, aux fins de la détermination de la citoyenneté, les Nisga'as auront des pouvoirs décisionnels semblables à bien des bandes qui régissent l'adhésion de leurs membres en vertu de la Loi sur les Indiens. Plutôt que de parler de membre de bande, les Nisga'as emploieront l'expression «citoyen nisga'a» pour identifier les personnes qui posséderont les droits définis par l'accord.
L'Accord définitif nisga'a définit clairement les critères d'admissibilité à la citoyenneté nisga'a. En résumé, les citoyens nisga'as sont les personnes d'ascendance nisga'a, les enfants ayant été adoptés par ces personnes et les époux autochtones liés par une cérémonie traditionnelle. La citoyenneté canadienne, ou la résidence permanente au Canada, sont également des conditions préalables à la citoyenneté nisga'a.
Les pouvoirs législatifs des Nisga'as leur permettent également de conférer la citoyenneté nisga'a à des non-autochtones. D'ailleurs, cette possibilité a été discutée publiquement en ce qui a trait aux membres des collectivités nisga'as qui sont, depuis très longtemps, intégrés à la culture et à la vie communautaire nisga'a.
J'aimerais également souligner que les pouvoirs législatifs des Nisga'as ne peuvent être utilisés pour enlever la citoyenneté à toute personne l'ayant obtenue en vertu du traité.
Aucune loi nisga'a ne peut imposer au Canada ou à la Colombie-Britannique l'obligation de garantir des droits ou d'assurer des avantages au-delà de ce qui est convenu dans l'Accord définitif nisga'a. Cela signifie que les autorités nisga'as ne peuvent accorder la citoyenneté canadienne, s'immiscer dans les questions d'immigration ou aborder des questions de droits ou de statut découlant de la Loi sur les Indiens.
Honorables sénateurs, la troisième question que je tiens aussi à évoquer est celle qui touche les droits des minorités. Je crois que le témoignage de Bill Young -- propriétaire du camp Nass qui est situé sur ce qui deviendra les terres nisga'as -- vous a démontré que nous avons protégé ces droits dans le traité des Nisga'as. J'aimerais reprendre quelques points qu'il a soulevés dans son témoignage.
Premièrement, en ce qui touche les droits fonciers, les terres privées sont expressément exclues des terres nisga'as. Afin de véritablement protéger ces terres, le traité assure aux propriétaires des droits d'accès garantis. Il assure également que la route principale sur les terres nisga'as demeurera une route publique. En outre, le public aura accès aux terres publiques nisga'as à des fins récréatives. Il s'agit des conditions du traité.
Deuxièmement, aucune disposition du traité des Nisga'as n'enlève de droits politiques à M. Young ou à tout autre citoyen non nisga'a. Tous les propriétaires fonciers privés continueront de voter aux élections régionales, provinciales et fédérales. Toutefois, malgré le fait que M. Young ne soit pas un Nisga'a, le traité lui assure le droit de participer aux décisions politiques des Nisga'as susceptibles de le toucher, entre autres en ce qui a trait aux services sociaux et aux services de santé. Comme M. Young l'a fait remarquer, le Conseil de santé de la vallée de la Nass assure déjà des services à des non-Nisga'as et le tout fonctionne très bien. Nous pouvons donc conclure que ce système, qui fonctionne bien, continuera à le faire.
Honorables sénateurs, ce traité constitue une entente concrète pour assurer à la population minoritaire une véritable protection. La plupart des lois nisga'as aborderont des questions qui ne toucheront que les citoyens nisga'as -- comme les décisions sur la façon d'utiliser l'argent obtenu en vertu du traité. Conséquemment, le traité fera en sorte que les citoyens nisga'as auront le contrôle sur les décisions de leur gouvernement à ce sujet. En même temps, il protège les droits politiques des non-Nisga'as quant aux questions qui les touchent.
Non seulement les non-Nisga'as ont-ils le droit de participer à la vie politique, mais les Nisga'as doivent les consulter au sujet des activités des institutions publiques nisga'as. Il s'agit d'une protection substantielle, car le traité définit la consultation comme un processus où les parties doivent disposer d'un délai raisonnable pour présenter leurs points de vue sur une proposition et comme une obligation, de la part des Nisga'as, de prendre en considération ces points de vue de manière juste. Les gens nous ont demandé de leur assurer une telle protection qui, à nos yeux, est juste et raisonnable.
La quatrième question que je porte à votre attention touche les dispositions sur les pêches du traité des Nisga'as. Ce traité ne prévoit pas d'industrie de la pêche distincte, mais plutôt le contraire -- une industrie de pêche au saumon partagée dans la région de la rivière Nass pour le bénéfice de tous les Canadiens et Canadiennes. Le traité est conforme à l'objectif global du Canada d'assurer la pérennité des stocks de poissons sur la côte ouest. La grande priorité est la protection des ressources halieutiques de la rivière Nass. Tous les autres droits, y compris les droits de pêche des Nisga'as, ne sont accordés que selon le principe de la conservation des ressources.
La toute première disposition du chapitre sur les pêches du traité stipule que les droits de pêche des Nisga'as sont sujets aux lois et aux mesures de conservation proclamées pour la santé et la sécurité du public. Les mesures de conservation peuvent être appliquées de façon à bénéficier à tous les Canadiens et Canadiennes et à toutes les personnes qui pêchent dans la rivière Nass. D'ailleurs, le ministre des Pêches et des Océans disposera de toute l'autorité nécessaire pour imposer des exigences en matière de conservation et les Nisga'as en ont convenu dans le traité.
Les mesures de conservation s'appliqueront aux Nisga'as et à tous les autres pêcheurs qui partagent les stocks de rivière Nass. Ces mesures seront plus sévères que celles actuellement imposées aux personnes possédant des droits de pêche ancestraux. Le traité des Nisga'as établit clairement les règles de partage, qu'il s'agisse de pêche miraculeuse ou de mesures de conservation. Par exemple, dans le traité, les allocations de prise de saumon quinnat sont inférieures aux allocations actuelles. Si le ministre des Pêches et des Océans décide de suspendre la pêche commerciale ou sportive afin de protéger une espèce particulière de poisson de la rivière Nass, les Nisga'as cesseront aussi de pêcher, tel que le précise clairement l'article 33 du chapitre sur la pêche.
Certains tentent de soutenir que le traité des Nisga'as crée des droits de pêche exclusifs parce que seuls les Nisga'as ont des droits de pêche définis par un traité. Je pense que vous ne serez guère surpris de constater que le traité ne touche que les droits des Nisga'as, puisque les droits des Canadiens et des Canadiennes sont déjà établis par d'autres lois. Le traité a été négocié en prenant en considération les droits des autres Canadiens et Canadiennes, comme le droit à la propriété privée, les protections de la Charte, les droits des autres groupes autochtones et les droits de pêche des autres Canadiens, y compris ceux des pêcheurs commerciaux ou sportifs non nisga'as.
Le traité ne touche en rien les droits de pêche des non-Nisga'as pas plus qu'il ne les leur enlève. Les Nisga'as n'auront pas de droit particulier à l'égard de la pêche. Le droit du public de naviguer sur la rivière Nass est préservé. Les Nisga'as ne peuvent interdire la pêche publique, sportive ou commerciale sur la rivière Nass, ou restreindre le droit des autres groupes autochtones de pêcher en vertu de leurs droits ancestraux ou issus de traités. Il est clair que les Nisga'as ne jouiront pas de droits de pêche exclusifs.
J'aimerais vous souligner, honorables sénateurs, que les allocations de prise des Nisga'as sont établies en pourcentage de prises totales. Un pourcentage, par définition, signifie le partage des prises.
J'aimerais commenter brièvement la question des chevauchements. Comme vous le savez, le gouvernement du Canada préfère, dans le contexte des traités modernes, que les groupes autochtones qui ont des territoires traditionnels se chevauchant concluent entre eux des ententes sur l'utilisation future de ces terres. Nous reconnaissons que ces groupes ont parfois de la difficulté à atteindre un consensus et à résoudre leurs désaccords. Comme vous le savez, au cours des années, nous avons encouragé et appuyé la résolution du désaccord sur la question du chevauchement qui oppose les Nisga'as aux Gitanyows. Le gouvernement fédéral a organisé des rencontres entre les parties et appuyé la médiation. Toutefois, les parties ne sont pas encore parvenues à une entente, mais nous demeurons optimistes.
Je tiens à préciser que le gouvernement fédéral n'est disposé à aller de l'avant en l'absence d'une entente entre les parties que dans les cas suivants: le groupe qui s'apprête à obtenir un règlement a négocié de bonne foi avec l'autre partie; aucune mesure n'a réussi à régler le désaccord; enfin, le traité comporte un énoncé explicite à l'effet qu'il ne touche en rien les droits ancestraux ou issus des traités d'autres groupes autochtones.
Dans sa politique à l'égard de ces chevauchements, le gouvernement fédéral reconnaît que dans l'éventualité d'une impasse, la seule solution est de négocier un traité avec chacune des parties à tour de rôle, tout en respectant les droits des autres groupes autochtones touchés.
J'aimerais vous faire remarquer que dans le cas de l'Accord définitif nisga'a, les Nisga'as et les Gitanyows ont signé le Northwest Treaty Accord de 1991 portant sur la propriété commune. De plus, les Nisga'as ont conclu des protocoles d'entente bilatéraux avec la nation tsimshian et les Tahltans. L'Accord définitif nisga'a comporte un énoncé explicite, dans les dispositions générales qui ont préséance sur tous les autres chapitres, qui précise que ses dispositions ne touchent pas les droits ancestraux ou issus des traités d'autres groupes autochtones. Je pense qu'il s'agit là d'une façon appropriée de traiter cette délicate question.
Monsieur le président, honorables sénateurs, voilà qui met fin à mon allocution. Je vous remercie de votre attention et de la possibilité que vous m'avez donnée de revenir vous présenter le point de vue du gouvernement du Canada et du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien.
Je suis prêt maintenant à répondre à vos questions.
Le président: Il est certain que votre réponse porte sur toutes les grandes questions que nous avons examinées. Le sénateur St. Germain s'intéresse tout particulièrement à celle des chevauchements, et je vais lui demander de commencer.
Le sénateur St. Germain: Merci, monsieur le ministre. Il est indéniable qu'il y a d'autres questions que celle des chevauchements, mais c'est celle qui m'intéresse en particulier dans le cadre de ces négociations. Avant de prononcer votre allocution aujourd'hui, avez-vous été mis au courant, monsieur le ministre, de l'exposé fait hier soir par les Gitanyows ainsi que de celui du représentant des Gitxsans, Neil Sterritt?
M. Nault: Oui, en effet. Ils ont eu l'amabilité de me faire parvenir une copie de leur exposé il y a quelques jours.
Le sénateur St. Germain: Ce qu'ils disent dans leur exposé, monsieur le ministre, contredit pour l'essentiel ce que vous venez d'affirmer, à savoir que le gouvernement a négocié de bonne foi.
Un autre problème est apparu. Vous avez à votre droite Tom Molloy. Je pense que le gouvernement l'a placé dans une position insoutenable en tant que négociateur fédéral. Il lui a demandé à l'origine d'être à la table des négociations pour négocier avec les Gitanyows et les Gitxsans, puis il l'a placé à la table des négociations des Nisga'as, où nous savons qu'il était de toute évidence en conflit d'intérêts et qu'il y avait des divergences d'opinion lorsqu'il s'agissait de savoir à qui appartenait telle ou telle terre. Il est allé à la table des négociations des Nisga'as et je pense que l'on a pu s'y échanger des renseignements portant préjudice aux Gitxsans et aux Gitanyows. Pour quelle raison le gouvernement a-t-il agi ainsi? Pensez-vous qu'il y ait ici un conflit d'intérêts?
M. Nault: Non, je ne le pense pas. Ce sont des renseignements qui sont tous portés à la connaissance de toutes les parties. Par l'intermédiaire du BCTC, nous mettons les renseignements à la disposition de toutes les parties. D'ailleurs, nous mettons ces renseignements à la disposition du grand public. Que ce soit Tom Molloy ou toute autre personne, tout le monde dispose des mêmes renseignements. La procédure est conçue comme étant transparente. Toute cette question de conflit d'intérêts me dépasse.
M. Molloy veut en parler, parce que le fait a été porté à sa connaissance. J'aimerais qu'il vous précise quel est le rôle des négociateurs dans toute cette affaire afin que vous sachiez mieux, sénateur, comment tout cela fonctionne.
M. Tom Molloy, négociateur en chef du gouvernement fédéral, ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien: La question du conflit d'intérêts a été soulevée lors de la dernière séance, celle d'hier soir, et à nouveau aujourd'hui. Jusqu'alors elle n'avait pas encore été portée à l'attention du gouvernement ou de moi-même. J'agis pour le compte du gouvernement fédéral. Toutes les connaissances que j'acquiers appartiennent au gouvernement fédéral. Je n'agis pas indépendamment du gouvernement fédéral ni à son insu. C'est comme lorsqu'on fait partie d'une société commerciale, les connaissances de chaque administrateur sont celles de l'ensemble de la société.
J'étais au départ chargé de 33 dossiers dans le cadre de la procédure de négociation des traités en Colombie-Britannique. Il y a actuellement 51 négociations en cours en Colombie-Britannique. Je pense qu'il y a une huitaine de négociateurs qui représentent le Canada. Comme le font les autres négociateurs, je partage toutes les connaissances dont je dispose dans le cadre de l'administration fédérale. Il n'y a pas ces prétendues connaissances secrètes que l'on pourrait utiliser à l'avantage ou au détriment d'autres groupes.
Comme l'a dit le ministre, la procédure est tout à fait transparente. Les renseignements que je peux obtenir aux diverses tables de négociations doivent être transmis. Les décisions s'appliquant au mandat, par exemple, sont prises par les ministres et, en fin de compte, par le cabinet. Toutes les parties prenantes sont donc placées dans la même situation que moi pour ce qui est des renseignements que j'obtiens à chacune des tables de négociations.
Le sénateur St. Germain: Pourquoi alors les négociations ne se tiennent pas en public? Ce n'est pas le cas. On les accuse d'avoir été secrètes. Qu'elles aient été secrètes, privées ou autres, on a l'impression que vous avez agi en qualité d'avocat de la défense pour vous transformer ensuite en procureur de la Couronne.
M. Molloy: Ce n'est pas mon rôle. Je suis un négociateur. Je suis chargé de négocier un certain nombre d'accords avec différentes parties. Je ne vois aucune différence avec le négociateur d'une entreprise chargé de négocier avec trois, quatre ou cinq syndicats différents disséminés dans tout le pays. Je ne vois pas en quoi les renseignements que l'on pourra obtenir à une table de négociations pourraient être utilisés au détriment d'un autre groupe. Le Canada a l'obligation de négocier de bonne foi avec les Premières nations, en veillant à l'honneur de la Couronne. Voilà ce qu'apporte chacun des négociateurs à la table des négociations. Nous ne cherchons pas à tirer des renseignements d'un groupe pour les utiliser à son détriment.
Le sénateur St. Germain: Monsieur le ministre, on nous a remis ces publications. Je les avais déjà vu auparavant et j'en ai une depuis assez longtemps. La revendication d'origine des Nisga'as portait sur une certaine superficie et on a fini par la doubler en englobant les terres des Gitanyows, certaines terres des Tahltans au Nord et certaines terres des Gitxsans. Un territoire de base a été constitué, puis des parcelles ont été accordées en toute propriété dans les zones contestées. On nous dit que ces parcelles sont les meilleures et celles qui sont susceptibles d'être le mieux utilisées dans les zones contestées. Il semble que les négociateurs n'ont pas réussi à négocier.
Je n'ai pas pu demander aux Gitanyows -- j'espère que je pourrai le faire après votre départ -- s'ils sont prêts à accepter un arbitre. Si je me souviens bien, monsieur le président, M. Derrick, le représentant des Gitxsans, a déclaré qu'il était prêt à accepter un arbitrage. Je ne veux pas parler au noms des Gitanyows, mais ils ont bien fait savoir qu'à leur avis leur cause était suffisamment solide pour qu'elle soit soumise à l'examen du public, ou de celle d'un arbitre, qui leur donneraient gain de cause. Voilà dans quel esprit je vous pose ces questions.
Monsieur le ministre, vous me corrigerez si je me trompe, je ne cherche pas ici la confrontation, mais il me semble que l'on foule aux pieds les droits des minorités autochtones dans cette région. D'aucuns nous ont dit que cela s'expliquait par des motivations politiques de la province de la Colombie-Britannique, en l'occurrence ma province. Tout est politique jusqu'à un certain point. Je vous demande, monsieur le ministre, si vous ne pensez pas en toute justice que nous devrions prendre des précautions supplémentaires avant d'insérer cet accord dans la Constitution?
Des professeurs de droit sont venus nous dire hier que les recours en justice n'étaient pas la solution, mais pourtant qu'en dernière analyse ce serait la seule façon de régler ces problèmes. Nous obligeons ces groupes minoritaires, les Gitanyows et les Gitxsans, à s'adresser à la justice, ce qui est très coûteux.
Êtes-vous d'accord pour procéder de cette manière? Pourquoi ne fait-on pas appel à un arbitre? Dans la négative, allez-vous donner à ces gens de l'argent pour qu'ils défendent leur cause?
M. Nault: Il y a des jours où je me ressens une âme de négociateur syndical, mais j'essaie de ne pas me laisser tenter parce qu'il y a des responsables tel que M. Molloy pour négocier au nom du gouvernement du Canada. Il est dommage que les Gitanyows aient donné l'impression qu'il y a des choses qui ne fonctionnent pas, parce qu'ils continuent à négocier avec nous. J'ai la liste de toutes les réunions que nous avons tenues ces derniers mois -- et je suis prêt à vous la communiquer -- et au cours desquelles nous avons bien progressé sur la voie de la conclusion d'un traité s'appliquant aussi à ce groupe. Il me semble pour le moins étrange qu'il se présente devant le comité pour dire le contraire, parce qu'il est en ce moment même à la table des négociations.
Je ne suis pas disposé, cependant, à leur permettre de saisir cette occasion pour négocier certains changements au texte dont nous parlons en laissant entendre aux sénateurs qu'ils sont maltraités. Nous avons protégé leurs droits dans ce traité, de même que nous protégeons les droits d'autres Premières nations lorsque nous nous pencherons sur les questions de chevauchement qui se posent dans tout le pays. Je vous ai dit, lors de ma dernière comparution, que nous avions beaucoup travaillé dans les Territoires du Nord-Ouest et le Yukon, et nous faisons la même chose en Colombie-Britannique. J'ai donné quelques exemples dans mon exposé.
Nous devons prendre bien soin, sénateur, de ne pas donner l'impression qu'en quelque sorte nous forçons les Gitanyows à s'adresser à la justice. Si on les obligeait à s'adresser à la justice, pourquoi continueraient-ils à négocier avec moi? S'ils m'accusent de négocier de mauvaise foi, je prends la chose au sérieux compte tenu de mes antécédents de négociateur syndical. J'ai envoyé des lettres à quelques Premières nations ces deux derniers mois -- depuis que je suis ministre -- des lettres dont la teneur est à peu près la suivante: «Si vous m'accusez de négocier de mauvaise foi, quittez la table des négociations et adressez-vous aux tribunaux.» Je trouve insultant qu'on nous dise que dans notre rôle de fiduciaire nous ne négocions pas de bonne foi. Il est malheureux que certaines Premières nations emploient cette expression à la légère. Je prends la chose au sérieux. Pour votre information, j'ai reçu en retour une lettre dans laquelle on me dit en substance: «Ce n'est pas ce que nous voulions dire. Nous voulions simplement signifier que votre mandat n'est pas aussi souple que nous l'aimerions.» Effectivement, j'ai un mandat que m'a confié le cabinet.
Le sénateur St. Germain: Toutefois, ils se sont adressés aux tribunaux. Il y a eu l'arrêt Luuxhon et l'arrêt Delgamuukw. Dans l'affaire Luuxhon, le juge vous a demandé de ne plus négocier en forçant la main à vos partenaires. Je ne suis pas avocat et, contrairement à moi, vous avez votre conseiller juridique à vos côtés, mais vous avez fait appel de cette décision. Le juge vous a demandé de négocier de bonne foi avec ces gens, et pourtant le gouvernement fédéral et la province ont fait appel plutôt que d'accepter la recommandation du juge vous enjoignant de négocier de bonne foi. Le juge en chef Lamer a fait la déclaration suivante, que plusieurs témoins ont cité ici. Nous sommes tous là pour y rester. Il n'est pas question que quelqu'un parte.
Comment se fait-il que vous fassiez appel de ce que nous avons demandé au juge de trancher? Nous obligeons ces gens à s'adresser à la justice. Je ne vois rien de mal à ce que nous restions à la table des négociations. Ils cherchent des solutions, pas des complications. S'ils recherchaient les complications, ils nous diraient: «Oublions tout et adressons-nous aux tribunaux.»
M. Nault: Avant d'expliquer à M. Beynon la raison pour laquelle nous sommes devant les tribunaux, je tiens à préciser clairement qu'un certain nombre de Premières nations ont accusé ce gouvernement -- et ce ministre, j'imagine -- de ne pas négocier de bonne foi parce qu'elles n'aiment pas notre mandat. Elles considèrent que notre mandat n'est pas suffisamment étendu, qu'il n'y a pas suffisamment de terres et d'argent proposés à la table des négociations. Ce n'est pas parce que j'adopte telle ou telle position lors des négociations que je négocie de mauvaise foi. Lorsque j'étais négociateur syndical et que je présentais une offre à la table des négociations, si les représentants de l'entreprise me disaient: «Nous n'avons pas l'intention d'accepter cela», je ne leur répondais pas, vous négociez de mauvaise foi. Il ne s'agissait là que d'une position de départ. Si notre position de départ ne répond pas aux souhaits de certaines Premières nations, elles ont deux possibilités. Elles peuvent essayer de nous convaincre d'en changer, ce que nous avons fait en Colombie-Britannique où nous avons apporté un certain nombre de changements ces derniers mois, ou elles peuvent quitter la table des négociations et emprunter une autre voie, celle des recours en justice. Elles en ont parfaitement le droit.
Je vais demander à M. Beynon de vous donner les motifs juridiques de notre appel, mais en substance, c'est parce qu'on nous laisse fortement entendre qu'il nous faut adopter un principe qui n'est pas favorable à la négociation. En réalité, vous acceptez simplement ce que veut l'autre camp à la table des négociations.
M. Beynon va vous expliquer en détail notre cause parce qu'elle n'a pas été exposée, à ce qu'il me semble, dans l'intervention qui vous a été présentée.
M. Andrew Beynon, avocat principal, Bureau de négociations des traités fédéraux, ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien: Laissez-moi ajouter quelques mots. Comme l'a indiqué M. Molloy, le gouvernement du Canada reconnaît par principe qu'il lui faut négocier de bonne foi. Dans le mémoire déposé par la défense dans l'affaire Luuxhon, nous avons déclaré que le gouvernement du Canada s'était engagé politiquement à procéder ainsi. C'est bien de cela qu'il s'agit, d'un engagement politique. C'est quelque chose sur laquelle on s'est entendu pour aborder les négociations. Nous faisons appel parce que nous voulons faire savoir aux tribunaux qu'ils ne doivent pas dicter la procédure de négociation et nous dire exactement ce qu'il faut faire. Il est préférable de laisser les parties négocier entre elles.
Je voudrais aussi commenter le fait que vous laissez entendre, sénateur, que la cour, dans l'arrêt Luuxhon, a accusé le gouvernement du Canada ou, éventuellement, le gouvernement de la Colombie-Britannique, de forcer les négociations. Je vous répondrais que la question de savoir si l'on a enfreint l'obligation de négocier de bonne foi, si tant est que ce soit une obligation en droit, n'a pas encore été jugée par la cour. Cette question est en instance.
Le sénateur St. Germain: Il y a des gens qui disent qu'il s'agit là d'un acte d'agression envers les gens qui sont sur le terrain, monsieur le ministre. Votre conseiller juridique a déclaré que les recours en justice n'étaient pas la solution. Pourtant, si l'on en croit les professeurs qui sont venus témoigner, et qui veulent que rien ne soit changé, ces gens seront obligés de recourir à la justice.
Étant donné le passé de la région, ne pensez-vous pas qu'un arbitre pourrait intervenir si les négociateurs fédéraux et provinciaux ne parviennent pas à négocier avec ces gens, à partir du moment où ces derniers sont prêts à accepter un arbitre?
M. Nault: Il y a toujours cette possibilité, sénateur. Nous préférons toutefois que les Premières nations négocient entre elles. Elles connaissent mieux leur passé. Je suis convaincu que nous nous assoirons à la table des négociations avec ces deux groupes et que nous réussirons. Ils se consulteront entre eux ainsi qu'avec les Nisga'as. Contrairement à ce qu'ils vous ont dit, nous sommes toujours à la table des négociations et nous continuons à faire des progrès significatifs. Sans entrer dans les détails, parce que tout n'est pas fini, je peux vous dire que nous avons fait une offre en novembre. Ils continuent à y réfléchir et nous sommes maintenant en train d'examiner le choix des terres. Nous faisons d'importants progrès.
Je trouve donc étrange que quelqu'un soit venu dire au comité que nous ne faisons pas de progrès. Nous en faisons. Sans rendre la chose trop publique, je suis disposé à donner des détails aux honorables sénateurs pour qu'ils sachent où nous en sommes. Je trouve quelque peu regrettable que des gens viennent dire au comité que ces groupes s'apprêtent à nous traduire en justice alors que ce n'est pas le cas. Nous considérons que nous faisons de gros progrès.
Le sénateur Tkachuk: J'espère que vous serez là mardi pour nous informer au sujet des revendications territoriales qui se chevauchent.
J'irai dans le sens des questions posées par le sénateur St. Germain en posant une question au ministre ou à M. Molloy. À quel moment à peu près a été résolue la question du territoire que l'on retrouve dans l'accord définitif?
M. Molloy: On s'est entendu sur le tracé effectif de la carte quelque temps après la signature de l'entente de principe.
Les limites ont été convenues avant mon arrivée à la table des négociations. Le territoire de base a été arrêté avant mon arrivée à la table des négociations. On s'est entendu de manière générale sur l'emplacement approximatif des terres concédées en fief simple. Toutefois, à la suite des consultations effectuées -- sur cette question, la province est davantage impliquée que le gouvernement fédéral -- des modifications ont été apportées aux parcelles concédées en fief simple.
Le sénateur Tkachuk: C'était en quelle année?
M. Molloy: Je n'étais pas là à l'époque. Cela s'est fait avant mon arrivée à la table des négociations en 1996.
Le sénateur Tkachuk: Hier, nous avons entendu l'intervention des Gitxsans ou des Gitanyows, qui nous ont remis un document intitulé Tribal Boundaries in the Nass Watershed. C'était le groupe de M. Sterritt. Ils ont demandé une réponse aux Nisga'as. Si l'on est arrivée à cette entente aux alentours de 1996, les Nisga'as n'avaient pas vraiment intérêt à négocier le territoire qui figurait déjà dans l'accord, n'est-il pas vrai?
M. Molloy: Excusez-moi, mais je vous suis mal.
Le sénateur Tkachuk: Si les limites ont été fixées en 1996 -- le document a été envoyé en 1995 et ils ont demandé aux Nisga'as de leur répondre pour leur indiquer ce qu'ils y trouvaient à redire. Toutefois, à partir de 1996, les Nisga'as n'avaient aucun intérêt à négocier ces limites parce qu'elles étaient déjà fixées et que le territoire leur appartenait. Par conséquent, ils n'y avaient aucun intérêt ces quatre dernières années.
M. Molloy: D'après ce que je sais, il y a bien des années que des discussions ont cours entre les Nisga'as et les Gitanyows et je suis sûr que nombre de ces questions ont été évoquées entre eux.
Pour ce qui est des limites du territoire réclamé par les Nisga'as, nous étions convaincus, étant donné la présence de clauses non dérogatoires dans le traité et le fait que les clauses s'appliquant à la faune et à d'autres domaines de ce type n'étaient pas exclusives, que nous n'étions pas en train d'empiéter sur les droits des Gitanyows. Des mécanismes étaient prévus dans le traité pour régler les difficultés au cas où l'on aurait empiété sans le vouloir sur les droits des Gitanyows.
Le sénateur Tkachuk: Je pense que d'une certaine manière chacun agit dans son propre intérêt. Je vais m'efforcer de m'expliquer autrement.
Aux termes de cet accord, les Nisga'as seront indemnisés de la perte, lors de négociations futures, de toute terre visée par l'accord.
M. Molloy: Il y a une clause portant sur la possibilité de renégocier, qu'il s'agisse d'une indemnisation ou de l'octroi de terres supplémentaires.
Le sénateur Tkachuk: Depuis 1996, ils ont pu se présenter à la table des négociations, mais ils n'avaient absolument aucun intérêt à régler le conflit portant sur les limites du territoire. S'ils s'adressent aux tribunaux et s'ils gagnent, ils conservent les terres; s'ils perdent, ils obtiennent une indemnisation. La seule façon pour eux d'obtenir une indemnisation, c'est de faire adopter cet accord et, par conséquent, je ne vois pas quel était l'intérêt des Nisga'as.
Il n'est pas étonnant que les autres groupes soient découragés. Ils se sont présentés à la table des négociations, mais pour quelle raison une personne censée -- et je sais que les Nisga'as sont censés -- accepterait de négocier une telle clause?
M. Molloy: Je vous l'ai dit, il y a eu des négociations au sujet des parcelles concédées en fief simple, qui ont été modifiées à la suite des interventions qui ont été faites. Nous avons négocié d'autres parcelles en fief simple avec les Nisga'as.
Le sénateur Tkachuk: Supposons que ce projet de loi soit adopté, que l'on s'adresse aux tribunaux et que les Nisga'as perdent leur cause. À combien le gouvernement fédéral évalue le coût pour les contribuables canadiens, dont les intérêts doivent eux aussi être protégés, de ce que j'appellerais la négligence du gouvernement fédéral? Combien en coûterait-il aux contribuables canadiens pour indemniser les Nisga'as aux termes de l'accord s'ils perdent leur cause en justice alors que l'affaire aurait pu être résolue plus tôt?
M. Nault: Monsieur le président, il y a là beaucoup d'hypothèses -- que se passerait-il si, ou encore si. Il n'en reste pas moins que nous ne sommes pas devant les tribunaux. Nous traitons effectivement des chevauchements. La réalité est autre. Les Gitanyows et les Nisga'as sont très proches les uns des autres dans la vallée de la Nass. Vous en avez probablement entendu parler lors des interventions.
Il ne s'agit pas de savoir qui va gagner et qui va perdre. Il est certain que nous n'en sommes pas arrivés à un accord, mais nous sommes cependant confiants d'y parvenir. Quant à demander au gouvernement du Canada ce qui se passerait au cas où nous serions écrasés par un météorite -- je peux éventuellement vous donner une réponse, mais je ne peux pas prédire l'avenir. Ce que je sais, par contre, c'est que si nous ne signons pas des traités en Colombie-Britannique, si nous ne parvenons pas à conclure des traités modernes et à régler à long terme nos relations, il va nous en coûter bien plus d'argent que vous le laissez entendre dans vos commentaires, sénateur, parce que nous aurons alors perdu une chance économique dans une relation qui évolue.
Le président: Vous pouvez poser une dernière question si vous le souhaitez, sénateur Tkachuk.
Le sénateur Tkachuk: Selon vous, monsieur le ministre, je pose des questions fondées sur des hypothèses. Nous avons devant nous les Gitxsans et les Gitanyows, ainsi que l'accord des Nisga'as, qui aux yeux de tout le monde se doit d'être adopté. Ce ne sont pas là des questions fondées sur des hypothèses. On nous dit dans l'accord que s'ils perdent des terres ils seront indemnisés alors que toute cette affaire aurait pu être résolue avant l'adoption de ce projet de loi. Vous pourrez commenter la chose plus tard car je voudrais aborder un autre sujet, qui est celui de l'impôt.
Si j'ai bien compris, dans huit ans et dans 12 ans, ces gens paieront l'impôt provincial et l'impôt fédéral. Je crois comprendre aussi qu'il y aura une exemption. J'aimerais que vous-même ou que M. Molloy m'aide à ce sujet car je ne sais pas dans quelle circonstance cette exemption va s'appliquer. Il se peut que si une autre bande indienne signant un traité en Colombie-Britannique bénéficie d'une exonération fiscale, cette clause puisse être renégociée. Vous pourriez peut-être éclairer ma lanterne.
M. Molloy: Il y a une clause dans l'accord fiscal qui prévoit que certaines exemptions vont s'appliquer aux gouvernements nisga'as pour qu'ils soient traités sur le même plan que les autres gouvernements du Canada aux termes de la législation de l'impôt sur le revenu du gouvernement canadien. Il y a aussi une clause qui traite des rapports entre gouvernements, de sorte que si d'autres dispositions sont négociées avec d'autres Premières nations, dispositions venant modifier la façon dont les gouvernements sont imposés, nous nous engageons à revoir les clauses de cet accord fiscal. L'accord fiscal ne fait pas partie du traité. Toutefois, l'exemption de huit et 12 ans s'appliquant à l'impôt sur les particuliers fait partie du traité et, par conséquent, n'est pas susceptible d'être modifiée.
Le président: Cette fois-ci, c'est votre dernière question, sénateur Tkachuk, lors de cette ronde.
Le sénateur Tkachuk: Si les clauses prévoyant une exemption de huit ans et de 12 ans figurent dans le traité, qui relèvent de l'article 35, il est probable qu'elles ne pourront jamais être modifiées à moins que l'on apporte des changements aux lois fiscales fédérales. C'est bien ça?
M. Molloy: En vertu des clauses du traité, à la fin des périodes de huit ans et de 12 ans, les particuliers seront traités aux termes de la Loi de l'impôt sur le revenu exactement de la même manière que tous les autres contribuables.
Le sénateur Tkachuk: Cette clause sera protégée par l'article 35, n'est-ce pas?
M. Molloy: Oui.
Le sénateur Andreychuk: Monsieur le ministre, merci d'être revenu nous voir aujourd'hui. Je n'ai aucun intérêt personnel à parler ainsi, mais je considère qu'éventuellement, si vous aviez participé aux négociations dès le début, étant donné votre attitude, la conclusion aurait été différente pour les Gitanyows, les Gitxsans et les Nisga'as. Je ne suis pas sûre que votre point de vue, tel que vous l'avez exprimé, ait toujours été celui de votre gouvernement. C'est pourquoi nous faisons face à un tel dilemme. Espérons que l'avenir nous soit à tous plus favorable.
Lorsqu'on veut ménager la bonne réputation d'un négociateur et affirmer la neutralité et l'impartialité du gouvernement, je dirais qu'à partir du moment où l'on déplace un négociateur d'une table de négociations à celle du camp opposé, il n'y a peut-être pas un conflit d'intérêts, mais cela en donne cependant l'impression. C'est comme lorsqu'on retire un dossier à un procureur en plein milieu d'une affaire. Il faut que la Couronne ait de très bonnes raisons et je doute alors que le procureur soit affecté à une autre partie au procès. À l'avenir, ce serait rendre service à des gens comme M. Molloy, ainsi qu'aux parties en cause, de ne pas procéder ainsi.
Je vous renvoie à la page 9 de votre mémoire, monsieur le ministre. Vous nous dites que le gouvernement fédéral n'est disposé à aller de l'avant en l'absence d'une entente entre les parties qu'à la condition que trois critères soient réunis. Tout d'abord, vous n'interviendrez pas si le groupe qui s'apprête à obtenir un règlement a négocié de bonne foi avec l'autre partie. Que se passe-t-il si les autres groupes négocient de bonne foi? Selon votre troisième critère, il faut que le traité comporte un énoncé explicite à l'effet qu'il ne touche en rien les droits ancestraux ou issus des traités d'autres groupes autochtones.
Vous estimez que les Nisga'as ont négocié de bonne foi et vous acceptez donc la zone contestée. Vous la faites figurer dans l'accord. Vous appliquez alors à cette zone contestée les clauses de gestion et la procédure que vous avez négociées avec les Nisga'as. Après quoi, vous indiquez que si à l'avenir on en arrive à une conclusion différente -- autrement dit, il se pourrait bien que ce soit des terres appartenant aux Gitanyows ou aux Gitxsans -- ces derniers les obtiendront mais vous indemniserez d'une façon ou d'une autre les Nisga'as. En agissant ainsi, n'abandonnez-vous pas votre impartialité? Vous avez déjà affirmé que c'était des terres nisga'as puisque vous les avez fait figurer dans l'accord. Est-ce que cela n'indique pas clairement à tout le monde que c'est l'interprétation du litige qui a votre préférence? C'est ce qui me gêne dans votre façon d'agir.
À la page 10, vous laissez entendre qu'il y aura un certain mode d'indemnisation des Nisga'as. Vous mettez cependant les Gitxsans, les Gitanyows et tous ceux qui sont susceptibles d'entrer en conflit dans une position difficile. Ils n'ont pas d'argent, sauf s'ils réussissent à emprunter ou à le trouver par leurs propres moyens, pour négocier leur cause, et ils n'ont aucune garantie de résultat. Vous avez abandonné votre neutralité. Vous avez privilégié un groupe autochtone par rapport aux autres. Vous avez établi une hiérarchie entre les autochtones. Voilà qui m'apparaît le plus inquiétant dans cet accord.
M. Nault: Je suis quelque peu préoccupé et je ne prends des précautions, ce qui n'est pas normalement mon style, que parce que nous sommes en train de négocier sérieusement avec ces gens, contrairement à ce qu'ils vous ont dit. Je ne veux pas faire de commentaires susceptibles d'entraver les négociations, même si je suis dérangé par certains des commentaires qui ont été faits concernant votre travail et ce que nous cherchons à réaliser.
Que Tom Molloy soit à la table des négociations ou non, cela ne fait absolument aucune différence. Les renseignements dont il dispose, tous les négociateurs de la Colombie-Britannique les ont. Cela ne fait aucune différence. D'ailleurs, il y a à la table des négociations l'un des meilleurs négociateurs qui soit au Canada, parce que c'est bien ainsi qu'il faut qualifier Tom, je n'hésite pas à vous le dire. Il m'apparaît assez étrange que les Gitanyows laissent entendre que j'ai retiré le meilleur négociateur de la table des négociations pour leur donner quelqu'un qui a moins d'expérience. Je leur poserai la question directement si c'est ce qu'ils veulent et, dans ce cas, je leur donnerai satisfaction.
Voilà toutefois qui me paraît plus qu'étrange parce que ce que sait M. Molloy, tous mes négociateurs de la Colombie-Britannique le savent. Il n'y a pas de différence. Nous avons jusqu'à un certain point un mandat commun sur certains points. Je n'ai pas carte blanche lorsque j'entreprends de négocier; j'ai un mandat du cabinet, du gouvernement du Canada, qui dicte dans certains cas notre position de base; ainsi, il faut que la Charte s'applique. Il n'est pas question de retirer la Charte ou de faire une exception si elle ne plaît pas à nos interlocuteurs.
Le second point, pour un gouvernement, c'est que si les gouvernements étaient tenus jusqu'à un certain point en otage par les intérêts politiques particuliers d'un groupe au détriment d'un autre, le travail ne se ferait jamais. Nous avons donc établi une procédure offrant une protection pour pouvoir avancer. Sommes-nous convaincus d'avoir bien agi -- et vous laissez entendre que d'une certaine façon nous ne sommes pas impartiaux -- et bien il faut bien voir évidemment que le gouvernement du Canada, de même que celui de la Colombie-Britannique, défendent une position. N'oubliez pas qu'il s'agit d'une négociation. On oublie parfois que nous négocions des droits autochtones. Nous ne nous présentons pas à la suite d'un arrêt de la Cour suprême décrétant: «Voici ce qu'il vous faut accorder à ces gens.» Nous leur disons: «Vous avez des droits autochtones; définissons ces droits dans la société moderne et venons-en à un accord.» Voilà en quoi consiste ce traité.
Je comprends mal pourquoi certains estiment que le gouvernement du Canada ne devrait pas avoir de position à lui à la table des négociations. Il est évident que nous avons une position.
Le sénateur Andreychuk: Estimez-vous à la table des négociations que les terres contestées qui figurent cependant dans l'Accord nisga'a appartiennent légitimement aux Nisga'as?
M. Nault: Oui. Si l'on nous prouve le contraire, dans le cadre d'une procédure indépendante de ce traité, nous procéderons alors aux changements nécessaires. C'est la protection qu'accorde le traité. Nous ne procéderions certainement pas à l'adoption de ce traité si nous n'avions pas le sentiment, ou l'impression, que nous agissons dans le bon sens.
M. Molloy: Aux termes de la procédure de la Commission des traités de la Colombie-Britannique, ce sont les Premières nations qui définissent leurs territoires traditionnels, ce qu'ont fait les Gitanyows et les Gitxsans, et nous négocions en fonction des territoires qu'ils ont fixés. Nous avons pris acte du fait qu'il y avait un problème de chevauchement entre les Gitxsans, les Gitanyows et les Nisga'as. C'est pourquoi nous avons fait figurer ces trois articles. C'est aussi la raison pour laquelle nous nous sommes efforcés, au fil du temps, d'amener les parties à négocier.
Il est erroné de me représenter comme un procureur qui passe dans le camp de la défense. Je ne suis pas passé d'un camp à un autre; j'ai continué à représenter le Canada. Notre rôle n'est pas de choisir une Première nation de préférence à une autre. Nous nous sommes efforcés de faciliter les choses, d'organiser des rencontres et d'établir une procédure de médiation pour que les parties règlent ces questions entre elles.
Dans la zone qui fait l'objet d'un chevauchement, nous avons accordé aux Nisga'as des droits sur les questions qui les concernent. Ce sont leurs droits sur la faune qu'ils gèrent dans la zone faunique, ce sont leur droit de chasse, et cetera. Nous ne traitons pas des droits des autres peuples. Absolument rien n'empêche que ces autres droits puissent être négociés avec les Gitanyows et les Gitxsans dans cette zone faisant l'objet d'un chevauchement.
Le sénateur St. Germain: Et pour ce qui est des parcelles concédées en fief simple?
M. Molloy: Il s'agit là de négocier. Les Nisga'as se sont vu accorder un territoire de base ainsi que certaines petites parcelles concédées en fief simple à l'extérieur de ce territoire. J'ai vu l'offre qui a été faite aux Gitanyows par le gouvernement fédéral et la province, et cette offre englobait certaines parcelles. Il s'agit maintenant que les parties négocient pour savoir quelles vont être ces parcelles.
Le sénateur Andreychuk: J'ai une dernière question à vous poser.
Il y a deux thèses, mais tout le monde semble s'accorder pour dire qu'il convient de donner un sens à l'article 35 et de conférer des droits aux autochtones. D'aucuns affirment qu'on peut y parvenir sans procéder à une modification constitutionnelle alors que d'autres jugent qu'une modification constitutionnelle est nécessaire.
Nous avons entendu ce matin M. Estey nous dire que si nous ne procédons pas à un renvoi devant la cour ou si nous ne laissons pas la procédure judiciaire suivre son cours, et s'il se trouve que nous nous trompons en affirmant qu'une modification constitutionnelle n'est pas nécessaire, le mal causé sera peut-être encore plus grand que si nous retardions éventuellement la décision et si nous procédions à la démarche évidente qui est de modifier la Constitution.
M. Nault: Souvenez-vous que la cour a décidé de surseoir à la décision dans l'affaire de M. Campbell en attendant l'adoption du projet de loi. Si ce traité n'est pas ratifié, les tribunaux n'auront plus de texte sur lequel se pencher. Quel renvoi allez-vous leur présenter alors? Le projet de loi n'aura pas été adopté.
Le sénateur Andreychuk: On peut faire un renvoi devant la cour.
M. Nault: On ne peut pas faire un renvoi devant la cour au sujet d'un projet de loi qui n'a pas été adopté.
Le sénateur Andreychuk: Si, c'est possible.
M. Nault: Vous dites alors: «Faites tout le travail, entendez-vous sur tout, mais ne ratifiez pas le projet de loi.» C'est cela votre argument?
Le sénateur Andreychuk: Le but c'est d'avoir davantage de certitude pour que l'on puisse aller de l'avant dans cette affaire avec des instructions claires et définitives en écartant les zones d'ombre. On peut y parvenir au moyen d'un renvoi ou d'une modification.
M. Nault: Je vous fais respectueusement remarquer que vous siégez ici au sein de la plus haute cour de ce pays. Pour ma part, j'ai pu constater à la lecture de tous les arrêts prononcés par la Cour suprême depuis les 10 dernières années ou même davantage que les tribunaux nous disent de continuer les négociations, d'instaurer une relation avec les Premières nations, et non pas le contraire. «Ne nous renvoyez pas cette affaire» nous disent les tribunaux.
Je trouve bien étrange que M. Estey, qui a siégé lui-même à la cour et qui a eu la possibilité de lire tous les arrêts depuis qu'il a pris sa retraite en 1988 -- et il y en a eu un certain nombre depuis lors; les arrêts Sparrow, Delgamuukw, et cetera -- ait pu faire ce genre de déclaration. Dans ces arrêts, la cour a bien précisé qu'il fallait que l'on cesse de lui renvoyer ce genre d'affaires et que l'on aille de l'avant, parce que ce n'est pas seulement une question juridique, c'est aussi une question politique. C'est la nature de cette relation.
Par conséquent, je considère, et c'est aussi l'avis du gouvernement du Canada, que c'est la bonne façon de procéder. Si quelqu'un décide d'aller devant les tribunaux, comme cela se fait sur toutes sortes de questions qui sont traitées en ces lieux et qui ont trait aux lois que nous adoptons, qu'il le fasse. Nous avons toutefois du mal à accepter que l'on nous dise qu'il faut surseoir à l'adoption d'une législation ou à la mise en oeuvre d'une mesure politique qui nous tient à coeur en attendant qu'une instance non élue décide à notre place. Ce n'est pas ce que les tribunaux nous demandent lorsqu'on examine l'ensemble de leurs décisions. Ils nous disent le contraire. Ils nous demandent de continuer à négocier un lien avec les Premières nations. Voilà en quoi consiste l'objectif.
Il y a des divergences d'opinion, j'en conviens. Il est certain que cette question sera tranchée. Toutefois, de l'avis autorisé de nos responsables au ministère de la Justice et de nombre d'éminents juristes -- dont certains sont dans cette salle -- ceci ne constitue pas une modification constitutionnelle. Je ne suis pas disposé à attendre que les tribunaux décident à notre place, parce que l'on retomberait dans le même travers qui a été le nôtre pendant des années, à savoir que nous laisserions aux tribunaux le soin de définir «une relation politique». C'est à nous, parlementaires, qu'il appartient de définir cette relation dans une société moderne.
Le sénateur Grafstein: Monsieur le ministre, vous avez bien résumé ma position. M. Estey et d'autres préconisent que nous déléguions nos responsabilités à un tribunal. D'un autre côté, lorsque je résume les témoignages, ce n'est pas bien compliqué. Deux anciens procureurs généraux de la Colombie-Britannique, un ancien juge de la Cour suprême du Canada, un professeur de droit de l'Université McGill et au moins trois sénateurs se demandent sérieusement si les pouvoirs attribués ici et si la façon dont ils sont attribués n'enfreignent pas les dispositions des articles 91 et 92 et n'outrepassent pas les droits attribués par l'article 35. Nous avons donc de sérieux doutes sur cette affaire.
Nous sommes maintenant en mesure -- puisque vous avez écarté la possibilité d'un renvoi devant la Cour suprême, et je vous en reconnais tout à fait le droit -- de décider dans quelle mesure ce projet de loi, sous sa forme actuelle, va tellement loin qu'il enfreint la Constitution, en dépit de la brillante argumentation que vous nous avez présentée dans votre mémoire d'aujourd'hui. Je m'en tiendrai là, parce que le problème est ainsi clairement posé.
Je voudrais en venir à une question constitutionnelle et politique qui continue à me préoccuper. J'apprécie grandement vos références prudentes à une question que j'ai portée à votre attention lors de notre première audience, que vous aviez jugée alors accessoire. Je pense que vous vous rendez compte aujourd'hui qu'elle n'est pas si négligeable. J'aimerais voir s'il n'est pas possible de vous convaincre, tant sur le plan constitutionnel que politique.
Selon le modèle que vous nous avez présenté, nous avons maintenant une administration qui échappe au contrôle des instances fédérales -- non pas aux tribunaux, qui peuvent lui appliquer la Charte, mais au contrôle exercé par le pouvoir fédéral. Il y a quelque chose comme 11, 14 ou 20 pouvoirs conférés à l'administration des Nisga'as qui vont, comme l'a indiqué M. Estey, régir la vie quotidienne des habitants des terres nisga'as. Vous avez mentionné M. Young, pour lequel je ne suis pas inquiet, qui possède sa propre propriété. Il a des droits en propre, son propre mode d'imposition et il a pleinement le droit d'en appeler au gouvernement fédéral pour faire respecter ses pouvoirs d'imposition et ses droits. Il n'est pas vraiment englobé dans l'accord. Ma préoccupation porte sur une petite minorité de gens vivant sur le territoire des Nisga'as. Elle est devenue plus pressante, je dois vous l'avouer, ces deux derniers jours, parce que les Gitxsans comme les Gitanyows nous disent maintenant qu'il se pourrait bien que les membres d'autres bandes continuent à résider sur les terres nisga'as.
J'en reviens au Webster -- et je tiens à remercier M. Webster. Vous nous dites à la page 3 que le dictionnaire Webster définit le mot «citoyen» comme étant «un habitant d'une ville ou agglomération, particulièrement celui qui a droit à ses privilèges.» Nous n'en sommes plus ici à la première affirmation qui a été faite en ces lieux, à savoir que les seuls droits et les seuls pouvoirs que nous abordons concernant ces résidents qui ne sont pas des citoyens nisga'as, ne portent que sur des questions locales. Il s'agit de questions culturelles. Il y en a entre 14 et 20. Je ne les ai pas tous répertoriés, mais considérez ces pouvoirs. Ils sont très larges. Il ne sont pas négligeables. Ils ne sont pas simplement accessoires. Tout ce qui est accordé aux résidents non nisga'as, c'est un droit constitutionnel, en vertu de la constitution nisga'a, d'être entendus et de participer. Vous avez bien raison, monsieur le ministre, ils nous ont dit qu'ils avaient le droit d'apporter des modifications et d'autoriser ces résidents non nisga'as à devenir des citoyens. Ils ont le pouvoir de le faire. Toutefois, lorsque j'ai posé la question à M. Gosnell et au chef Fontaine, à savoir s'ils avaient résolu la question des droits des minorités -- ils m'ont répondu: «Non; en quelque sorte; nous le ferons; nous allons y réfléchir; pas encore; pas tout à fait; d'ailleurs, ce n'est pas important.»
Je vous pose la question: est-il souhaitable d'un point de vue politique -- d'un point de vue constitutionnel ça ne l'est pas -- de transférer entre 11 et 20 pouvoirs à une instance composée d'hommes et de femmes de bonne volonté sans accorder aux résidents le droit de vote dans le cadre de ces pouvoirs? Cela ne remettrait aucunement en cause leur culture, leur mode de vie, leur vie quotidienne. Qu'en pensez-vous, monsieur le ministre, et que devons-nous faire?
M. Nault: Vous me posez une question très politique, sénateur, une question que je me suis posé moi-même à maintes occasions, et qui consiste en fait à définir ce qu'est un membre des Premières nations ou un autochtone. Notre loi est ainsi faite aujourd'hui que des non-autochtones ont décidé de définir, pour le compte des autochtones, qui était indien aux termes de la Loi sur les Indiens. Je trouve cela tout à fait inacceptable. Il faut que les gens se définissent eux-mêmes. Nous devons donc donner aux autochtones la possibilité de se définir à l'avenir. Nous ne l'avons pas fait jusqu'à présent. Voilà ce qu'il en est.
Je suis d'accord avec M. Gosnell et avec M. Fontaine pour dire qu'avec le temps les choses vont changer parce qu'à l'heure actuelle nous mettons sur pied avec les Premières nations un projet devant leur permettre de s'autodéfinir, d'examiner toute la question de l'inscription et de définir qui est citoyen ou membre d'une bande.
Si l'on conserve le système actuel, cette définition est donnée par la Loi sur les Indiens. Cette définition a été donnée par nous, les non-autochtones, sur des critères culturels et en fonction de ce qui fait que quelqu'un est un Indien inscrit.
Je préfère d'un point de vue politique laisser les intéressés prendre ce genre de décision et considérer un non-autochtone comme un citoyen s'il est impliqué dans la culture et ne se contente pas d'être de passage. Est-ce qu'un enseignant ou une infirmière, par exemple, qui ne vont habiter sur place que pendant quelques années, doivent avoir les mêmes droits qu'un Nisga'a? Je réponds que non, que ce n'est pas le cas. Toutefois, si une personne y a passé toute son enfance ou toute sa vie adulte, je considère qu'il y a là possibilité de l'intégrer à la vie démocratique.
Le sénateur Grafstein: Il y a la règle des cinq ans au Canada.
Le sénateur Lawson: Je vous renvoie à l'un des exposés qui a été fait hier, celui de la Fédération de la faune de la Colombie-Britannique. Je commencerai par un petit détail parce que ce sont parfois les petits détails qui sont les plus frappants et les plus dérangeants quand ils apparaissent à ce point contraires à l'équité.
Ces témoins sont venus nous dire que les non-Nisga'as auront de la difficulté à prendre part aux travaux du comité sur la faune étant donné que les Nisga'as vont recevoir 20 000 $ par an, plus les frais, au titre de leur participation, alors que les participants non nisga'as ne recevront rien et devront défrayer leurs propres déplacements.
Est-ce que cela figure dans le traité ou dans les documents annexes?
M. Beynon: Le paragraphe 46 du chapitre sur la faune, à la page 141 du texte anglais, traite de la composition du comité sur la faune et précise la répartition entre les représentants du gouvernement fédéral, de la Colombie-Britannique et des Nisga'as. Autant que je sache, le traité ne traite absolument pas de la question des frais de participation.
Le sénateur Lawson: Un témoin nous en a parlé, nous avons examiné la question de près et on nous a dit que c'est ce qui a été convenu. Je pense que cette personne est celle qui est candidate.
M. Beynon: Je ne suis pas au courant de la clause du traité à laquelle elle se réfère.
Le sénateur Lawson: Monsieur le ministre, j'aimerais que vous preniez devant moi un engagement. Au vu des poursuites qui ont été intentées sur des questions comme l'équité salariale, qui nous ont coûté des milliards de dollars, il faudrait se convaincre que ce n'est pas la chose à faire. L'équité doit être respectée. Si neuf personnes siègent au sein de ce comité, il faut qu'elles soient toutes payées également. Il ne doit pas y avoir un tarif pour les Nisga'as et un autre tarif pour les autres.
M. Nault: Parlez-vous d'un non-autochtone?
Le sénateur Lawson: Je crois que c'était un non-autochtone. C'est le candidat appelé à être nommé.
M. Nault: Je m'engage à vous fournir plus tard ce renseignement. Nous ne sommes pas au courant de cette question des 20 000 $, mais je ne manquerai pas de m'en informer et de vous communiquer le résultat.
Je vous dirais cependant une chose, sénateur. Le gouvernement du Canada et le ministre, du fait de leurs responsabilités fiduciaires, ont l'obligation de donner aux Premières nations des services qui s'apparentent à ceux des provinces. Je n'ai pas le mandat d'en accorder autant aux non-autochtones. C'est un autre ministère, une province ou quelqu'un d'autre qui s'en charge. À moins que ce soit un comité traitant précisément des problèmes nisga'as et des terres nisga'as, je ne pense pas que nous puissions subventionner une personne non autochtone qui siège au sein du comité pour s'occuper de la faune dans toute la vallée de la Nass. Nous nous occupons des gens des Premières nations, comme nous l'avons fait à de nombreuses reprises. Je ne connais pas précisément les détails mais je ne manquerai pas, sénateur, de vous communiquer cette information.
Le sénateur Lawson: Il nous a dit effectivement qu'il y avait une clause dans l'accord et que la fédération de la faune avait demandé à bénéficier de l'indemnité de participation. Je ne veux pas savoir si cela porte sur 20 000 $, 2 $ ou 1 $ par an. Quel que soit le montant, tout le monde doit être payé également. Je demande simplement un traitement équitable.
Vous avez déclaré précédemment, monsieur le ministre, que vous protégiez les droits des Gitanyows. Je me demande dans quelle mesure vous les protégez à partir du moment où vous concédez une grande partie de leur territoire ancestral aux Nisga'as?
M. Nault: Sénateur, je vous le répète, les avis divergent et vous pouvez toujours choisir leur version par rapport à celle des Nisga'as. Nous avons choisi de ne pas trancher dans un sens ou dans l'autre, au point de dire qu'il y a éventuellement la possibilité de revoir la chose au cours des négociations et d'en arriver à une solution. C'est pourquoi nous avons protégé ces gens dans le traité, pour que leurs droits ne soient pas foulés aux pieds.
Il vous appartiendra, honorables sénateurs, de décider vous- mêmes si l'on vous a dit la vérité ou s'il y a là des avis qui divergent avec ceux d'autres personnes. Nous avons cherché à négocier de manière à ce que les gens se parlent et qu'on arrive à des solutions, et le territoire faisant l'objet d'un chevauchement va englober certaines terres nisga'as.
Le sénateur Lawson: Nous avons été tous deux négociateurs. J'ai négocié pour le compte de la Colombie-Britannique, pour le compte de l'ensemble du secteur de la construction. La procédure était bien simple. Lorsque nous étions d'accord sur une question, les deux parties apposaient leur signature sur l'entente et on la plaçait dans la boîte des questions réglées. Si une question technique ou complexe venait à se poser, nous la mettions dans la boîte des questions en suspens. À la fin de la négociation, il nous restait éventuellement trois ou quatre points à régler dans la boîte des questions en suspens. Si nous ne parvenions pas à les régler, nous allions en arbitrage.
Toutefois, ce n'est pas ce que vous faites. Vous choisissez votre camp. Vous avez tranché en faveur des Nisga'as, vous leur avez confié les terres; vous avez à mon avis porté un sérieux préjudice à la cause des Gitanyows. Je suis en fait tout à fait préoccupé par ce que nous a dit M. Molloy il y a quelques minutes. On a prétendu que les terres appartenaient aux Nisga'as; c'est donc pour moi un problème. Tom Molloy nous a déclaré que l'on avait offert aux Gitanyows des parcelles concédées en fief simple. Si vous avez fait une telle offre, ça me paraît évident, c'est uniquement parce que vous partez du principe que ces terres leur appartenaient, sinon pourquoi leur avoir fait une offre? C'est bien ça?
M. Molloy: Je vous le répète, selon la procédure d'élaboration des traités en Colombie-Britannique, les Gitanyows ont défini ce qu'ils considéraient être leur territoire. Le gouvernement du Canada a entrepris de négocier. Je vous l'ai dit, le Canada et la Colombie-Britannique leur ont présenté une offre concernant certaines parcelles de terrain, comme l'a fait le gouvernement de la Colombie-Britannique pour les Nisga'as, comme l'ont fait le Canada et la Colombie-Britannique pour plusieurs autres Premières nations de la Colombie-Britannique.
Vous avez utilisé l'expression «une grande partie de leur territoire» et je m'inscris en faux.
Le sénateur Lawson: Qu'est-ce que vous avez fait? Comment formulez-vous la chose? Vous êtes avocat, pas moi. Est-ce que vous les leur avez données? Est-ce que vous les avez intégrées à leur territoire? Comment en êtes-vous arrivé là? Je ne veux pas savoir si vous avez cédé ou donné ces terres, il n'en reste pas moins que les Gitanyows les ont perdues.
M. Molloy: Vous avez dit «une grande partie» de leur territoire. En consultant les cartes, je vois qu'il y a cinq parcelles.
Le sénateur Lawson: Je ne parle pas de ces cinq parcelles; je vous parle, sur la carte, de ce que nous indiquent les Gitanyows. Selon leur carte, une grande partie de leur territoire, du moins à mes yeux de profane, est passée aux Nisga'as. Cela s'ajoute aux cinq parcelles individuelles, et trois au moins de ces cinq parcelles proviennent de l'ancien territoire revendiqué par les Gitanyows.
M. Molloy: Il y a une zone faisant l'objet d'un chevauchement, sur laquelle nous reconnaissons que les Gitanyows ainsi que les Nisga'as et, dans certains cas, les Gitxsans, les Tahltans et Tsimshians, ont des intérêts.
Le sénateur Lawson: Vous avez conclu de toute évidence qu'une grande partie des terres, cédées ou autres, appartenaient aux Nisga'as, parce que vous les avez englobées dans le traité. Il faut que vous ayez conclu, pour avoir fait une offre aux Gitanyows, que certaines de ces parcelles concédées en fief simple sur l'ancien territoire qu'ils revendiquent -- leur appartenaient, sinon vous ne leur auriez pas fait d'offre.
M. Molloy: Nous reconnaissons qu'ils revendiquent ce territoire et nous sommes prêts à négocier en fonction de celui-ci.
Le sénateur Lawson: Il est évident que les Nisga'as sont des négociateurs hors pair. Je pense que le règlement de cette question devrait être reporté à plus tard. Il vous faut la régler séparément. Vous devriez adopter le reste du traité, mais ce qui reste contesté devrait être réglé après coup, lors de négociations. Si vous ne pouvez pas négocier, allez alors en arbitrage. Vous avez cependant inséré la clause selon laquelle, si les Nisga'as perdent des terres qui ont été revendiquées par d'autres, ils seront indemnisés.
Ma deuxième question est le suivante: quelles dispositions avez-vous prises? Supposons que les Gitanyows perdent leur cause et leurs terres. Êtes-vous disposé à les indemniser?
M. Molloy: Je pense que vous avez répondu vous-même à la question. S'ils s'adressent à la justice et s'ils perdent leur cause, ils ne disposeront évidemment d'aucun droit autochtone ni d'aucun droit sur la terre et ne seront évidemment pas indemnisés. S'ils s'adressent aux tribunaux et s'ils apportent la preuve qu'ils ont des droits autochtones, sur lesquels on a empiété d'une façon ou d'une autre, ils pourront alors prétendre à être indemnisés. Vous ne pouvez pas me demander s'ils seront indemnisés au cas où ils perdent leur cause. De toute évidence, ils auront perdu leur cause et n'auront pas de droits autochtones.
Le sénateur Lawson: Ne voyez-vous pas que vous leur portez préjudice lorsque vous prenez les terres qu'ils revendiquent pour les donner à quelqu'un d'autre? Vous n'allez pas subventionner leur cause en justice, n'est-ce pas? Rien ne prévoit à leur égard une aide financière.
Cela m'apparaît injuste. Vous demandez à un sénateur comme moi de voter en faveur de l'accord, de m'associer à un complot du gouvernement fédéral, du gouvernement de la Colombie- Britannique et des Nisga'as pour accaparer des terres revendiquées par d'autres sans les entendre comme il se doit.
M. Nault: Il est regrettable, sénateur, que vous en arriviez à cette conclusion sur la foi, j'imagine, de l'intervention d'un groupe qui a intérêt à promouvoir ici sa stratégie de négociation. Il faut bien reconnaître que cela revient à ça.
Je vous dis sans ambages que je ne suis pas prêt à négocier avec les Gitxsans ou avec tout autre groupe en ces lieux. Nous sommes disposés à nous asseoir avec eux à la table de négociations. Nous continuons à négocier avec eux. Nous jugeons être en mesure de leur accorder une quantité de terres correspondant à leurs besoins. Il faut avouer que cela ne porte pas sur tout le territoire, comme on le voit bien en examinant la carte. Nous avons toute une marge de manoeuvre concernant les terres que l'on peut offrir.
Je ne peux qu'indiquer mon désaccord lorsque vous me dites qu'il y a en quelque sorte un complot.
Le sénateur Lawson: Je me suis peut-être mal exprimé. Le gouvernement fédéral, le gouvernement provincial et les Nisga'as ont une position que vous me demandez d'appuyer. En ce qui me concerne, il s'agit là d'un complot. Vous me demandez d'accepter votre projet et de dire que vous aviez raison d'agir ainsi envers les Nisga'as.
M. Nault: Oui, vous avez raison, nous vous demandons d'accepter ce projet et d'entreprendre de bâtir une relation sans qu'un groupe ou un autre vienne s'opposer aux aspirations du peuple nisga'a. Voilà en quoi consiste notre politique. Je ne suis pas un grand partisan des arbitrages effectués par des non-autochtones. Nous l'avons fait pendant longtemps. Je préfère largement que les groupes des Premières nations s'arrangent entre eux. Nous ferons tout ce qui est en notre pouvoir pour l'encourager.
Nous n'avons pas pour politique de prononcer des décisions arbitraires, ce que nous avions l'habitude de faire parfois. C'est une très mauvaise façon de faire les choses parce que les gens, qui voient le gouvernement prendre ce genre de décisions, en conçoivent de l'amertume. Nous faisons tout notre possible pour que les gouvernements des Premières nations trouvent une solution à ces chevauchements.
Le sénateur Beaudoin: Mon collègue, le sénateur Grafstein, vient de résumer la situation juridique. Si je peux m'exprimer ainsi, nous sommes coincés.
Il y a deux points de vue. Certains estiment que la constitutionnalité ne fait problème que sur un seul point, qui est celui de la primauté. Le reste a peut-être une grande importance, mais je n'y vois aucune difficulté. L'autre thèse, bien entendu, est celle que vous avancez. J'ai le plus grand respect pour cette opinion. D'ailleurs, le professeur Ryder et certains de ses collègues nous ont dit hier que tout entrait dans le cadre de l'article 35. Si leur hypothèse est bonne, je suis alors d'accord pour dire que la question est close et que l'affaire est constitutionnelle.
Après avoir entendu le pour et le contre, je vois mal comment on ne pourrait pas saisir la Cour suprême. Si on ne l'a pas fait jusqu'à présent, on le fera à l'avenir. Ces deux points de vue sont antinomiques. Le projet est conforme à la Constitution ou il ne l'est pas. Personne n'en est bien sûr mais, en cas de doute, de doute sérieux, on s'adresse généralement aux tribunaux. Vous nous dites que la Cour suprême a déclaré qu'il fallait négocier ce projet, le régler sur le plan politique. Elle est d'accord avec cette démarche. Je suis d'accord avec vous lorsque vous nous dites qu'il faut négocier ce projet. J'ai le plus grand respect pour cette démarche, mais elle ne résoudra pas le problème à long terme. Compte tenu de l'enjeu, il est évident que l'arbitre sera ici en dernière analyse la Cour suprême du Canada. Si ce n'est pas au moyen d'un renvoi, ce sera plus tard en raison d'une poursuite en justice. Je vois mal comment il ne pourrait pas y avoir une contestation un jour.
Je dois reconnaître que cet article 35 est très important. Il n'est pas très précis, mais il n'en reste pas moins très important.
La Cour suprême n'a pas tout réglé dans ce domaine, du moins pas encore. Elle ne le fera que lorsqu'elle aura l'obligation de le faire.
Il y a un mot qu'il n'était pas nécessaire de faire figurer dans l'accord. Ce qui est suprême dans notre pays, c'est la Constitution elle-même. Ce qui est suprême, c'est le gouvernement fédéral dans son domaine et les provinces dans le leur.
Il est maintenant question d'un troisième palier de gouvernement, d'un État nation, et cetera. Je ne veux pas me lancer sur le sujet. Si cela doit se faire un jour, il faut que ce soit fait très clairement, parce que le fédéralisme est un système qui met en jeu deux paliers de gouvernement.
Je suis tout à fait favorable à ce que l'on confère aux nations autochtones des pouvoirs très généreux. J'y suis entièrement favorable parce que nous ne les avons pas traitées équitablement. Nous devons remédier à cette situation.
Est-ce que le meilleur moyen d'y parvenir est d'ouvrir la porte à un nouveau type de fédéralisme, comportant trois paliers de gouvernement dans 14 ou 20 domaines? J'en doute. Pouvons-nous le faire sans modifier notre Constitution? Peut-être, si ce projet relève des dispositions de l'article 35, et il est possible que la Cour suprême tranche en ce sens; je n'en suis pas sûr. Seule la cour a le dernier mot en la matière. Nous ne pouvons pas y échapper.
Cela dit, nous sommes ici au Sénat. Nous devons assumer nos responsabilités et voter. Si la justice est saisie après le vote, il appartiendra alors à la cour de trancher. On ne peut pas agir autrement parce que les thèses sont trop opposées.
Je dis toujours que le droit autochtone est un domaine très délicat parce qu'il est bien particulier dans notre pays. Voilà un siècle que nous sommes habitués aux problèmes fédéraux et provinciaux. De nombreuses décisions ont été prononcées par la cour. Même sur la Charte des droits, la cour fait un travail fantastique.
L'examen des droits autochtones est plus difficile. C'est probablement la chose la plus importante puisque ces gens étaient là avant les Européens et qu'il nous faut en tenir compte.
Je comprends que le gouvernement n'envisage pas la possibilité d'un renvoi. Je ne le critique pas sur ce point. Le gouvernement en a la possibilité. Il peut dire «oui» ou «non».
Estimez-vous que le problème est déjà réglé par l'article 35 et que le mieux est de mettre ce projet de loi aux voix? Je suis sûr que vous allez répondre par l'affirmative. Je ne pense pas que cela résolve le problème.
Le président: Je pense que votre déclaration nous aide à comprendre les enjeux et les choix qui s'offrent à nous, sénateur Beaudoin. Est-ce que le ministre veut vous répondre?
M. Nault: J'interviendrai rapidement sur un point, monsieur le président.
Il n'est pas rare que les parlementaires cherchent à privilégier l'autre aspect de la question. Nombre d'éminents juristes ont comparu devant vous et d'autres ne l'ont pas fait. J'ai été déçu d'apprendre que M. Monahan a dû se désister, parce qu'il s'était beaucoup impliqué dans le droit autochtone et qu'il aurait pu vous donner notre point de vue, le point de vue du gouvernement du Canada, qui considère que ce projet ne modifie pas la Constitution.
Il y a deux points de vue sur la question. J'ai toujours considéré pour ma part que cette discussion était politique tout autant que juridique.
Il est très important de définir une relation politique et c'est ce que nous faisons à cette table. Je prends très au sérieux le travail que vous faites en tant que représentants du peuple. Je serais très déçu si la Cour suprême du Canada devait continuer à définir ma relation avec les autochtones dans notre pays. Je considère que ce n'est pas son travail, mais le nôtre. Si l'on s'adresse aux tribunaux, il va alors falloir traiter de tous les points précis entourant ce projet. Si les tribunaux s'efforcent de dicter ce que doit être cette relation, il se peut qu'il nous soit plus difficile de réussir à bâtir une relation qui ne s'est pas très bien déroulée au cours des deux derniers siècles. C'est une question politique.
Le président: Sénateur Sibbeston, vous serez le dernier à poser vos questions.
Le sénateur Sibbeston: J'ai toujours l'impression, lorsque je parle, que l'on va me couper au moment où je me laisse gagner par l'émotion. Je vais prendre le risque toutefois et, après avoir mûrement réfléchi à la question, ce qu'il nous incombe de faire en tant que sénateurs, je vais vous poser la question suivante: Est-ce que cette législation va améliorer le sort du peuple nisga'a? Nous nous perdons dans les détails techniques mais, au bout du compte, je crois que le plus important est de répondre à cette question. Est-ce que ce projet représente la solution? Est-ce qu'il fait avancer la cause et améliore la situation des autochtones dans notre pays?
Je pense que oui. Je suis convaincu que c'est la bonne solution. Je suis convaincu que c'est ce que veulent les Nisga'as et que c'est la solution pour les peuples autochtones de notre pays. Nous innovons, en instituant un troisième palier de gouvernement. Parfois, je m'impatiente quelque peu quand j'entends parler les universitaires et quand je vois les questions de détail qui sont soulevées, notamment en ce qui concerne les droits des minorités s'appliquant aux non-Nisga'as qui vivent parmi les Nisga'as. Si j'en crois mon expérience, les non-autochtones qui vivent parmi les autochtones sont traités comme des rois. Je ne pense pas que les non-autochtones aient quelque chose à craindre. Si des non-autochtones se trouvent parmi les Nisga'as, c'est parce que l'on a besoin de leurs services. Ce seront des professionnels, des agents de police, des travailleurs sociaux, des médecins, des enseignants, et cetera. Généralement, ces gens s'en sortent très bien, surtout lorsqu'ils entretiennent de bonnes relations avec la population. Ce sont eux qui ont le pouvoir. Ce sont eux qui ont l'argent. Ce sont eux qui ont l'instruction. Ce sont eux qui ont le pouvoir et qui prennent toute la journée des décisions, tout au long de leur vie.
Je ne m'inquiète pas au sujet des droits des non-autochtones qui vivent parmi les autochtones; en général, ils ont été bien traités. Je suis sûr que les Nisga'as continueront à le faire. J'ai l'impression que, parfois, nous nous laissons obnubiler par des questions d'école. La réalité, sur le terrain, c'est que les non-autochtones ont été très bien traités et qu'ils se sont très bien intégrés à la vie des communautés. C'est un mal que nous n'avons pas à craindre.
Le président: Merci, sénateur Sibbeston. Il est maintenant plus de 13 h 30 et je pense que le ministre doit nous quitter.
Le sénateur St. Germain: J'aimerais poser une question à M. Molloy.
Le président: Vous avez eu le temps.
Le sénateur St. Germain: Nous en avons déjà discuté auparavant, monsieur le président.
Le président: Ce n'est pas seulement pour votre bénéfice, sénateur.
Le sénateur St. Germain: J'ai écouté de bonne grâce le sénateur Sibbeston et tous les autres intervenants. Il s'agit d'essayer de résoudre ce problème.
Le sénateur Sibbeston: Chaque fois que j'essaie de dire quelque chose...
Le président: Ça suffit, ça suffit. Sénateurs, je vais remercier le ministre en notre nom. Il est resté une demi-heure de plus que prévu. Je suis sûr que M. Molloy va rester, de même que M. Beynon.
Monsieur le ministre, nous vous remercions de votre participation, qui me paraît importante pour nos délibérations.
M. Nault: Je vous laisse avec plaisir mes éminents collègues pendant quelques minutes pour qu'ils puissent répondre à quelques questions supplémentaires. J'ai été heureux d'avoir pu apporter certains commentaires et faire connaître le point de vue du gouvernement. Je saisis cette occasion pour vous remercier chaleureusement d'avoir fait un travail qui me paraît excellent. De nombreuses questions intéressantes ont été posées et votre comité a bien travaillé. Bien sûr, il y aura toujours des divergences d'opinion. C'est une chose que j'admets et que je respecte pleinement. Je tiens cependant à ce que vous sachiez, sénateurs, que voilà maintenant plus de 100 ans que nous nous penchons sur la question, et il serait bon que nous prenions enfin une décision. Certains diront que nous avons pris la mauvaise décision et d'autres que c'est la bonne. Il n'en reste pas moins qu'il nous faut prendre une décision, à mon avis, et faire ce qui nous paraît être le bon choix, du moins en ce qui concerne le Parlement.
Je suis d'accord malheureusement avec le sénateur Beaudoin pour dire que nous nous retrouverons à maintes reprises devant les tribunaux pour définir toutes ces choses. Il est certain cependant que nous voulons favoriser les négociations par rapport aux poursuites judiciaires parce que cela nous paraît devoir encourager davantage le respect et la coopération, sans parler bien sûr du type de relations dont je vous parlais tout à l'heure.
Le président: Je voudrais maintenant donner suite à une question soulevée par le sénateur St. Germain, qui s'adresse aux témoins des Gitxsans et des Gitanyows. J'aimerais simplement demander à Neil Sterritt et à Glen Williams s'ils souhaitent apporter une quelconque contradiction aux témoignages que viennent de nous présenter le ministre ou ses collaborateurs, s'ils souhaitent changer quelque chose à ce qu'ils nous ont dit ou s'il y a quoi que ce soit qu'ils veulent ajouter.
Je vois M. Sterritt qui hoche la tête. Voulez-vous vous approcher? Auparavant, toutefois, le sénateur St. Germain a une question à poser à M. Molloy.
Le sénateur St. Germain: Lorsqu'on rapproche ce document de la revendication Calder, on voit que le territoire revendiqué par les Nisga'as a été pratiquement multiplié par deux, et même davantage. Si l'on remonte à la requête de 1913, on constate que la superficie était un peu plus grande que celle de la revendication Calder. Les terres contestées y figurent.
Êtes-vous en mesure d'affirmer que les Gitanyows ne s'appuyaient pas suffisamment sur des faits historiques pour justifier leur revendication?
M. Molloy: En quelque sorte, on compare ici des choses qui ne sont pas comparables. Je vais vous exposer ce qui se passe au sujet de la carte Calder, et je suis sûr que les Nisga'as vous en parleront. Après avoir lu les documents judiciaires se rapportant à cette carte, je crois savoir qu'au début du procès, l'avocat des Nisga'as a indiqué qu'ils utilisaient cette carte sans préjuger du fait qu'ils réclamaient un plus grand territoire et qu'ils s'en tenaient à cette carte uniquement pour les besoins du procès et pour les questions liées à l'arrêt Calder. C'est ce que j'ai compris en lisant les documents de justice.
Le sénateur St. Germain: Est-ce que cela s'applique aussi à la requête?
M. Molloy: Je n'en sais rien.
Pour ce qui est des preuves, sénateur, comme je l'ai indiqué au cours de mon témoignage, la procédure de la Commission des traités de la Colombie-Britannique n'exige pas qu'un groupe autochtone ou qu'une Première nation apporte des preuves au sujet de son territoire traditionnel. Les autochtones versent au dossier une carte qui délimite la zone qu'ils considèrent comme étant leur territoire traditionnel. Lorsque les Nisga'as ont entamé les négociations avec le gouvernement du Canada, la politique en vigueur était différente et ils ont dû, pour qu'on accepte de négocier avec eux, déposer des éléments de preuve concernant l'usage et l'occupation de leur territoire traditionnel. C'est au cours des années 70, je crois, que l'on a accepté de négocier leur revendication territoriale.
M. Beynon: Laissez-moi ajouter un petit détail. Je pense qu'il est important. Le règlement du Traité nisga'a définit différentes terres devant être détenues par les Nisga'as ainsi que des droits de pêche, et cetera. Ces décisions ne peuvent être assimilées à une reconnaissance du titre ou des droits autochtones. On a ainsi fixé les droits issus du traité sans rien refuser ou admettre quant à la portée du titre ou des droits autochtones.
Le sénateur St. Germain: Est-ce que vous nous parlez du territoire géré?
M. Beynon: C'est exact.
M. Molloy: Nous parlons de l'ensemble du territoire, de tout ce qui relève du traité.
Le sénateur DeWare: Vous ai-je bien compris, monsieur Molloy, lorsque vous nous avez dit aujourd'hui qu'il y avait d'autres revendications territoriales annexes, portant sur de petites superficies, qui ont été présentées à l'équipe de négociation de la Colombie-Britannique et que l'on a entériné dans l'Accord nisga'a?
M. Molloy: Non. J'ai parlé d'un certain nombre de parcelles en fief simple situées à l'extérieur de la zone centrale.
Le sénateur DeWare: Qui ont été présentées...
M. Molloy: Que les Nisga'as ont présenté à l'origine comme étant des parcelles qu'ils voulaient posséder en fief simple. À la suite des interventions qui ont été faites et d'autres mesures prises, on a renégocié; certaines parcelles n'ont pas été acceptées et d'autres les ont remplacées.
Le président: Je remercie M. Molloy et M. Beynon.
Je vais maintenant demander à M. Sterritt de répondre à la question que j'ai posée tout à l'heure.
M. Neil J. Sterritt: J'aimerais préciser certaines déclarations du ministre ainsi qu'une ou deux interventions de M. Molloy. Il y a aussi la question de l'engagement que nous avons pris.
Tout d'abord, le ministre a répété dans son exposé qu'il croyait savoir qu'il y avait un accord entre les Nisga'as et les Tahltans. En fait, il y a eu deux accords, l'un conclu en 1977 et l'autre en 1992. L'accord de 1977 comportait des failles. De nouveaux dirigeants sont arrivés au pouvoir en 1992, qui ne savaient pas ce qui s'était passé en 1986 ou en 1987 entre les Tahltans et nous. C'est expliqué dans l'annexe de Tribal Boundaries in the Nass Watershed. En revendiquant la totalité du bassin de la Nass, les Nisga'as ont rendu caduc ce qu'ils disent être un accord. Le simple fait qu'ils revendiquent les 21 150 kilomètres carrés du bassin de la Nass rend caduc tout accord qu'ils disent avoir passé avec les Tahltans. Ils ont créé un chevauchement après coup. George Asp, leur dirigeant actuel, était là en 1977. Il sait quelle était la situation immédiatement après cet engagement pris envers les Nisga'as. Il a par ailleurs élaboré en détail Tribal Boundaries.
M. Molloy a indiqué que l'on n'avait jamais mentionné la possibilité d'un éventuel conflit d'intérêts de sa part. C'est peut-être vrai, il me faudrait revoir les lettres. Au bout d'un certain temps, les Gitxsans ont écrit une lettre aux deux ministres pour demander que le gouvernement fédéral fasse diligence sur la question du chevauchement. Je ne sais pas exactement si nous avons soulevé la question et celle de l'apparence d'un conflit d'intérêts. Cette lettre a cependant été envoyée et les négociateurs n'ont pas manqué de recevoir toute la correspondance envoyée aux ministres.
Qui décide de la bonne foi? Je pense que naturellement la question des conflits d'intérêts a dû être soulevée. Je n'en jugerais pas, mais il y avait décidément un conflit d'intérêts apparent, sinon réel. Ça revient finalement au même; il faut que l'intéressé le déclare.
On nous rappelle toujours ce qui s'est passé au Yukon pour ce qui est du règlement des chevauchements. Je travaille beaucoup au Yukon. Il y a un accord-cadre définitif au Yukon. Le conseil des Indiens du Yukon a négocié les grandes questions. Ce sont les 14 Premières nations qui à la fin ont négocié les accords définitifs des bandes, des Premières nations. Lorsqu'une Première nation avait un territoire qui en chevauchait un autre, elle ne pouvait pas conclure un accord définitif de bande tant que la question n'était pas résolue. Autrement dit, elle était forcée d'une manière ou d'une autre, par la voie d'un compromis ou autrement, d'en arriver à un règlement. Il y a pratiquement tout juste un an, j'en ai été témoin. M. Molloy a raison. La question a été réglée comme il le décrit, mais pas lorsqu'on n'a pas fait preuve de bonne volonté à la table des négociations.
Quand a été résolue la question du territoire des Nisga'as dans l'accord fédéral? Les parcelles en fief simple, la zone de gestion de la faune et la zone de gestion des pêches ont été réglées dans l'entente de principe. Nous avons la correspondance du Dr Gosnell par laquelle il nous dit qu'il n'y aurait plus d'autres discussions -- c'est une lettre de 1996, que vous trouverez dans la documentation que je vous ai remise hier -- tant que l'on n'aurait pas passé en revue Tribal Boundaries in the Nass Watershed et qu'on n'y aurait pas répondu.
Je serais surpris que leurs spécialistes n'aient pas passé en revue Tribal Boundaries. S'ils ne l'ont pas fait, ils ont fait preuve de négligence sur ce point. S'ils l'ont fait sans réagir, ils ont évidemment agi dans leur intérêt parce que ce n'était pas dans leur intérêt de le faire. C'était en 1996. Jusqu'à présent, la seule réponse qu'on nous a faite, c'est qu'ils possèdent tout.
La question des lignes de trappage est apparue d'ailleurs lors de l'intervention d'hier. Les Nisga'as affirment que les Gitanyows sont venus au cours des années 30 installer des lignes de trappage dans la vallée. Tout le monde a fini par installer des lignes de trappage au cours des années 30, y compris les Nisga'as, qui avaient des lignes de trappage correspondant presque exactement à leur territoire, et il en était de même pour les Gitanyows et les Gitxsans. Ces lignes de trappage peuvent refléter l'étendue d'un territoire autochtone.
Les preuves remontent à 1875, date à laquelle les Gitanyows disaient à un voyageur de passage qu'ils étaient propriétaires de ce territoire. C'est le témoignage que j'ai donné hier.
Le président: C'est surtout au sujet de l'intervention du ministre que nous voulions que vous vous exprimiez.
M. Sterritt: Le ministre nous a reproché de chercher devant le Sénat à renforcer notre position alors que nous sommes à la table des négociations. Je vous affirme catégoriquement que ce n'est pas mon propos. Je suis ici à titre personnel. D'un autre côté, je suis entièrement appuyé par les chefs héréditaires qui sont en butte aux Nisga'as dans la zone faisant l'objet d'un chevauchement.
Nous ne sommes pas pour l'instant à la table des négociations et nous ne nous sommes aucunement engagés à y aller. Il y a eu un échange de lettres à ce sujet, mais ça ne s'est pas fait.
Le président: Vous le contredisez directement. Le ministre a déclaré que vous étiez activement en train de négocier.
M. Sterritt: Nous ne sommes aucunement en train de négocier.
Le président: C'est peut-être vrai pour les Gitanyows, mais pas pour...
M. Sterritt: Ce n'est pas vrai pour les Gitxsans. Nous nous sommes adressés aux tribunaux. Nous avons obtenu des fonds de la province. Nous avons recherché une double entente. Le gouvernement fédéral ne verse pas d'argent dans ce cadre. Nous n'avons jamais été à la table des négociations.
Le président: Je vous remercie.
M. Williams: J'aimerais répondre à M. Nault lorsqu'il nous dit que ce sont des terres nisga'as. Le témoignage présenté hier par M. Sterritt ainsi que le document Tribal Boundaries passent en revue avec soin notre histoire orale, la corroborent avec des documents, et les plus vieux documents dont nous disposons démontrent que les terres appartiennent aux Gitanyows depuis Ginsgoix jusqu'à ce que l'on ait passé Bell-Irving. Il est vrai aussi qu'à l'est et qu'au nord de notre territoire ce sont des terres gitxsanes. Nous avons passé en revue hier le document Tribal Boundaries.
Nous avons entendu le ministre et son personnel nous dire que les paragraphes 33 et 34 vont nous protéger. En témoignant hier et ce matin, j'ai montré que le paragraphe 33 de l'Accord définitif nisga'a ne suffit pas à protéger les intérêts des Gitanyows pour leur permettre d'exercer les droits autochtones protégés par la Constitution sur le territoire.
Je vous ai expliqué comment fonctionnait notre système. Il est bien en place. Nous avons des lois qui sont appliquées à l'heure actuelle. Si ce projet de loi est adopté, il y aura d'incessants conflits sur le territoire entre les droits issus du traité et les droits autochtones non définis.
C'est pourquoi nous avons proposé les amendements déposés ce matin.
Le président: Participez-vous activement à des négociations?
M. Williams: Oui, nous y participons activement.
Je voudrais enfin aborder la question de notre présence ici, dont on dit que nous pourrions tirer parti pour faire avancer les négociations. Nous ne sommes pas venus dans ce but, mais dans l'intention de nous assurer que les préoccupations de nos chefs sur le terrain et que nos liens avec ce territoire seront pris en compte, et pour faire connaître au comité les problèmes qui se posent sur le terrain. Voilà la raison de notre présence ici. Nous sommes venus apporter aussi certaines solutions, recevoir certaines assurances et accorder une certaine protection à notre peuple dans les prochains mois.
M. Hutchins: J'ai deux choses à dire. Le ministre a indiqué qu'il regrettait que l'on s'apprête à demander aux tribunaux de dicter la relation ou de donner des directives au gouvernement du Canada. N'oublions pas que depuis l'arrêt Calder de 1973 qui, bien entendu, a grandement aidé la cause des Nisga'as, le gouvernement du Canada et les provinces ont absolument eu besoin d'être poussés par la cour pour agir. Si des traités sont négociés activement au Canada et s'il y a un semblant de reconnaissance des droits autochtones et du titre autochtone au Canada, c'est parce que les tribunaux, à commencer par l'arrêt Calder, l'ont ordonné. Si le Canada affirme qu'il a un pouvoir de fiduciaire, c'est parce que la cour, dans l'arrêt Sparrow, l'a ordonné. Aujourd'hui les tribunaux, nous le disons, ordonnent que l'on négocie de bonne foi.
Les tribunaux eux-mêmes ont déclaré qu'ils avaient un rôle à jouer pour aider les gens dans les négociations; ce n'est pas tout noir ou tout blanc. Le ministre a indiqué que l'on pouvait, soit négocier, soit aller en justice. Notre point de vue, et je crois que les tribunaux disent la même chose, c'est que nous pouvons compléter le mécanisme des négociations. Nous pouvons aider les parties lorsqu'elles négocient. Par conséquent, il est inacceptable que le gouvernement du Canada oblige les peuples autochtones à faire un tel choix entre la négociation et les poursuites judiciaires; le choix est plus nuancé.
Enfin, je ne crois pas que le ministre ait répondu à notre proposition ou en ait tenu compte lorsque nous demandons de reporter l'entrée en vigueur de certaines clauses du traité. Le sénateur Lawson a parlé à ce sujet de «boîte des questions réglées» et de «boîte des questions à régler». Nous demandons que certaines clauses du traité soient placées dans la boîte des questions non réglées, que l'on instaure un mécanisme de résolution de ces droits -- ce qui figure dans nos amendements au paragraphe 27 -- et qu'on le fasse de manière rationnelle. Le sénateur Beaudoin a raison de dire qu'il y a toutes chances que cette affaire se rende devant la Cour suprême -- pas nécessairement à cause des Gitanyows. Il y a trop d'enjeux ici pour que l'on ne se retrouve pas devant la cour.
Je m'étonne toujours de voir que les politiciens et que le gouvernement du Canada ne sont pas prêts à faire au moins un minimum d'effort pour résoudre ces problèmes avant d'obliger les gens à s'adresser aux tribunaux. Je ne crois pas que le ministre ait cherché à régler la question. Je pense que les Gitanyows font une proposition concrète et positive. J'espère que le comité en tiendra compte.
Le président: Merci d'avoir résumé cette affaire. Je n'avais pas l'intention d'accorder une nouvelle série de questions; toutes les questions ont été posées. Comme je vous l'avais indiqué auparavant, je voulais simplement vous entendre commenter le témoignage du ministre.
Monsieur Sterritt, vous avez un dernier commentaire à faire?
M. Sterritt: Oui. Cette affaire n'aurait jamais dû venir jusqu'ici. Je l'ai dit à Jack Ebbels, le négociateur de la province, ainsi qu'au sous-ministre, qui est un bon ami à moi. Elle n'aurait jamais dû être présentée en ces lieux. Elle aurait dû être réglée en 1996. Si elle ne l'avait pas été en 1996, il aurait alors fallu le faire en 1997. Si les parties n'étaient pas en mesure de résoudre l'affaire, il aurait fallu la soumettre à un tiers indépendant. C'est ce que nous avons proposé. Lorsque ce genre de question se retrouve ici, c'est le signe qu'il y a un problème.
Monsieur le président, honorables sénateurs, je vous remercie de m'avoir donné la possibilité de comparaître devant votre comité. Je dois prendre un avion à cinq heures; je regrette de ne pas pouvoir rester pour entendre les autres témoins.
Le président: Je remercie les trois témoins, M. Williams, M. Sterritt et M. Hutchins.
Je vais maintenant donner la parole à M. Ebbels, le sous-ministre de l'Énergie, des Mines et des Ressources.
M. Jack Ebbels, sous-ministre de l'Énergie, des Mines et des Ressources, gouvernement de la Colombie-Britannique: Merci de nous avoir invité. Le président vient de le dire, je suis actuellement le sous-ministre de l'Énergie et des mines de la province de la Colombie-Britannique. De novembre 1996 à novembre 1998, j'étais le sous-ministre des Affaires autochtones de la province. Avant cela, à compter d'août 1992, j'étais le négociateur en chef de la province pour la négociation de ces traités.
Je vais vous lire le texte de l'intervention préparé à l'intention de votre comité par l'honorable Dale Lovick, ministre des Affaires autochtones de la Colombie-Britannique. Malheureusement, il ne peut pas être ici aujourd'hui. L'honorable Dan Miller, ministre de l'Énergie, des Mines et des Ressources du Nord et ancien premier ministre de la Colombie-Britannique, dont la circonscription englobe la région de la Nass, vous fait savoir lui aussi qu'il regrette de ne pas pouvoir être ici aujourd'hui. Je pense que le document a été distribué aux sénateurs. Je vais vous le lire au nom de M. Lovick.
En ma qualité de ministre des Affaires autochtones de la Colombie-Britannique, je regrette de ne pas pouvoir comparaître en personne devant votre comité pour vous faire part de l'appui de la province de la Colombie-Britannique à l'adoption de l'Accord définitif nisga'a, mais je me félicite de savoir que Jack Ebbels, l'ancien négociateur en chef avec les Nisga'as pour le compte de la province, qui a été aussi mon sous-ministre aux Affaires autochtones, sera parmi vous pour discuter de ce qui vous intéresse et répondre à vos questions. Patrick O'Rourke, sous-ministre adjoint du ministre des Affaires autochtones et ancien membre de l'équipe de négociation de la Colombie-Britannique auprès des Nisga'as, l'accompagne.
L'Accord définitif nisga'a est un tournant important dans l'histoire de la Colombie-Britannique et du Canada -- il marque notre réconciliation avec le peuple nisga'a et instaure avec celui-ci une nouvelle relation. Nous attendons avec impatience l'adoption de l'Accord nisga'a pour que nous puissions commencer à mettre en oeuvre les clauses du traité, qui va paver la voie à l'autosuffisance de la Nation nisga'a et donnera des garanties à l'économie régionale.
Comme on vous l'a dit, l'Accord définitif nisga'a a été conclu après de nombreuses années de négociations. Voilà 112 ans que les Nisga'as s'efforcent de négocier. Les négociations tripartites ont duré plus de huit ans et depuis la conclusion de l'entente de principe en mars 1996, cet accord a fait l'objet de plus de débats et de consultations que tout autre texte législatif en Colombie-Britannique.
Plus de 450 consultations avec des groupements consultatifs et avec le grand public ont été organisées avant et après la signature de l'entente de principe en mars 1996. Un comité législatif a tenu 31 audiences publiques dans 27 localités de la Colombie-Britannique entre septembre 1996 et mars 1997. Plus de 20 000 personnes ont appelé le numéro 1-800 du ministère des Affaires autochtones pour obtenir de l'information, et des dizaines de milliers d'exemplaires de l'accord définitif ont été envoyés par la poste aux habitants de la Colombie-Britannique. Au cours d'une période de neuf mois, le site Web du ministère a été visité 250 000 fois.
La Loi sur l'Accord définitif nisga'a a été débattue plus longuement qu'aucun autre texte législatif dans l'histoire de la Colombie-Britannique et il a été adopté dans le cadre d'un vote libre à l'Assemblée législative de la Colombie- Britannique.
Je suis heureux que le Sénat ait pris le temps de s'informer en détail de l'Accord nisga'a. Par conséquent, plutôt que de chercher à résumer le contenu du traité, je m'en tiendrai à quelques arguments clés qui lui sont opposés et à certains des mythes qui ont circulé ces derniers mois, depuis la conclusion de l'accord définitif. Je vous invite à poser des questions à M. Ebbels sur ces différents points.
Le premier argument porte sur les chevauchements, question qui a été examinée par votre comité. L'Accord définitif nisga'a établit clairement qu'il ne remet pas en cause les droits protégés par la Constitution de tout autre peuple autochtone autre que les Nisga'as. Il y a aussi des clauses et des recours prévus dans l'accord, dans la section s'appliquant aux dispositions générales, qui visent à rétablir les droits autochtones des autres Premières nations. Les paragraphes 33 et 34 disposent que si les tribunaux statuaient que le traité remet effectivement en cause les droits d'autres peuples autochtones aux termes de l'article 35 de la Loi constitutionnelle, cette partie du traité ne serait plus effective. Le maximum sera fait pour modifier le traité afin de corriger ou de remplacer cette partie.
Je vous signale qu'en 1998 les Gitanyows ont demandé à la cour de déclarer que la province et le Canada ne pouvaient pas signer un accord définitif avec les Nisga'as avant d'avoir conclu les négociations avec les Gitanyows. La cour a cependant rejeté cette requête en juin dernier.
La position adoptée par la province en ce qui a trait aux chevauchements est conforme à la décision prise en 1991 par la B.C. Claims Task Force, qui a recommandé que les Premières nations résolvent entre elles les questions de chevauchement. Il convient de relever que le Conseil tribal nisga'a a d'excellents antécédents et s'efforce depuis longtemps de résoudre de bonne foi les questions de chevauchement avec les Premières nations voisines. Il a signé des accords avec les Tahltans des problèmes de chevauchement avec les Gitanyows.
La Colombie-Britannique, pour sa part, participe activement au projet en cours, qui vise à faciliter les discussions entre les Nisga'as et les Gitanyows, et elle a appuyé les efforts de médiation. Nous restons favorables à des négociations avec les Gitanyows. En compagnie du Canada, nous leur avons présenté l'année dernière un projet de concession de terres et d'indemnisation en espèces. Des négociations sont en cours et nous espérons en arriver à une entente de principe avec les Gitanyows au cours des prochains mois.
Le deuxième point que je tiens à aborder est celui de l'administration. Je sais que vous avez entendu plusieurs témoins qui estiment que cet accord va créer une enclave fondée sur des considérations de race, et d'autres qui disent que le traité est inconstitutionnel. La province de la Colombie-Britannique réfute totalement cette prétention. Nous avons demandé des avis juridiques à d'éminents spécialistes des questions constitutionnelles, qui nous ont dit que les pouvoirs conférés aux Nisga'as par ce traité ne dépassaient pas le cadre de la Constitution canadienne.
Dans le cadre de ce traité, le droit provincial et fédéral va prévaloir en cas de conflit dans la plupart des domaines. Nous avons convenu que dans certains domaines, notamment ceux qui relèvent intégralement de la langue et de la culture nisga'a, ainsi que pour ce qui est des droits relatifs aux terres et aux droits tirés du traité nisga'a, ce sont les lois nisga'as qui prévaudront. Dans tous les autres domaines, y compris en ce qui a trait à ces pouvoirs, le gouvernement nisga'a n'aura pas une compétence exclusive. Cette compétence sera plutôt conjointe avec celle du gouvernement fédéral et de la province.
En fait, ce traité confère aux Nisga'as les pouvoirs habituels dont dispose normalement une municipalité -- circulation routière, usage des terres, zonage et police. Toutes les lois adoptées par les pouvoirs publics nisga'as devront se conformer aux normes fédérales et provinciales. En cas de difficulté, les lois fédérales et provinciales auront la primauté.
Ce n'est pas non plus la Colombie-Britannique qui accorde des pouvoirs; c'est tout le contraire. Pour la première fois, des lois provinciales importantes, telles que les lois sur la faune, la circulation routière et les écoles, vont désormais s'appliquer à des gens qui en étaient exonérés parce qu'ils étaient régis par la Loi fédérale sur les Indiens. La seule véritable différence, c'est que la Loi fédérale sur les Indiens ne placera plus les Nisga'as dans le giron étroit du gouvernement fédéral. L'accord leur permet de gérer leurs propres affaires locales et de maintenir leur culture. Cela m'amène à argumenter de manière générale en faveur de l'autonomie de gouvernement, qui est le talon d'Achille de nombreux opposants du traité.
Il faut bien voir que le système actuel n'a pas donné de bons résultats pour les autochtones comme pour le reste de la société. L'un des indicateurs clés de la santé et du bien-être des autochtones et de leurs communautés est le taux de suicide. Comme vous le savez pertinemment, j'en suis sûr, le taux de suicide des Indiens inscrits, particulièrement des jeunes, est six fois plus élevé que celui des non-autochtones.
Je renvoie le comité à une étude publiée par Michael Chandler et Christopher Lalonde, de l'Université de la Colombie-Britannique, qui s'intitule «Cultural Continuity as a Hedge Against Suicide in Canada's First Nations.» Cette étude part du principe que lorsqu'elles parviennent à exercer un plus grand contrôle sur leurs propres affaires économiques et sociales, les communautés autochtones peuvent réussir à améliorer leur santé et leur bien-être.
Voici un rapide résumé des conclusions de cette étude. Le contrôle exercé sur les services de police et d'incendie par certaines Premières nations ont entraîné une diminution de 20 p. 100 du risque relatif de suicide. Le contrôle exercé sur la santé par certaines Premières nations s'est traduit par une réduction de 29 p. 100. Les initiatives portant sur les revendications territoriales des communautés ont entraîné une réduction de 41 p. 100. Le contrôle exercé sur l'enseignement par certaines Premières nations s'est traduit par une diminution de 52 p. 100. Surtout, certaines formes d'autonomie de gouvernement se sont traduites par une réduction de 85 p. 100 du risque relatif de suicide. Le message est clair. Si nous voulons aider les autochtones à corriger les dommages causés par le passé, nous devons nous effacer et les laisser prendre en charge leur vie, leurs collectivités et leur avenir.
Enfin, je voudrais évoquer l'affirmation selon laquelle l'Accord nisga'a est le modèle de tous les traités à venir dans la province. Chacune des communautés des Premières nations est différente des autres et a des intérêts et des besoins locaux très différents. La situation de chaque communauté étant différente, les traités le seront aussi. On en trouve la preuve dans l'entente de principe sechelte, qui a été signée l'année dernière, et dans les cinq offres de terrains et d'indemnisation en espèces qu'ont déposées depuis lors la province et le Canada. Si vous examinez ces ententes et ces offres, vous verrez que même s'il y a des similitudes, chacune d'entre elles est adaptée à la situation propre à chaque communauté.
En conclusion, j'invite le Sénat à donner son appui à cet accord, qui confère aux Nisga'as la possibilité de gérer leurs ressources et leurs services sur leurs propres terres, sous réserve de l'application des lois de la Colombie-Britannique et du Canada, et leur donne la possibilité réelle de se doter d'une base économique, de devenir autosuffisants et d'entrer de plain-pied dans la société canadienne.
La Colombie-Britannique paie déjà le prix de son inaction sur la question des revendications territoriales. Nous payons le prix de la marginalisation des communautés et des taux de chômage systématiquement élevés. Nous payons en termes de perte d'investissement, de perte d'emploi et de perte de possibilités, ce qui nous coûte des milliards de dollars.
Les Nisga'as veulent ce traité. C'est le produit de 20 ans de négociations longues et ardues. Le gouvernement provincial a négocié pendant huit ans. L'accord a été rédigé avec soin et il a été conçu de manière à tenir compte des besoins des trois parties. C'est un compromis au meilleur sens du terme, au sens qu'a voulu donner le juge en chef Lamer à l'expression «donnant-donnant» et lorsqu'il nous a rappelé qu'en fin de compte «nous étions tous ici pour y rester.»
La nation nisga'a et la Colombie-Britannique ont ratifié l'Accord définitif nisga'a. J'invite le Sénat à adopter maintenant cet accord en l'état.
Je terminerai mon intervention en posant deux questions au comité: si, au bout de 20 ans, on n'adopte pas ce traité, quel traité va-t-on alors adopter? Si on ne le fait pas maintenant, au bout de tant de temps, quand va-t-on alors le faire?
Le président: Merci, monsieur Ebbels.
M. Ebbels: Si vous me le permettez, monsieur le président, après avoir consacré tant de temps à cette question et après avoir parcouru la province et visité tant d'endroits, à tant de reprises, j'ai pensé qu'il serait utile pour le comité que je lui mentionne un certain nombre de choses. J'aimerais bien pouvoir rétablir les faits sur un certain nombre de points que j'ai entendu évoquer ces deux derniers jours.
Il y a deux autres documents qui ont été remis aux honorables sénateurs, il me semble. L'un est la liste de toutes les réunions du comité consultatif que nous avons organisées avant la signature de l'entente de principe en mars 1996. Il y a ensuite la liste de toutes les réunions qu'a tenues le comité consultatif entre la signature de l'entente de principe et celle de l'accord définitif.
Avant la signature de l'entente de principe, il y a eu quelque 220 ou 230 réunions. Après cette signature, quelque 230 réunions supplémentaires. Nous avons arrêté de compter une fois que l'accord définitif a été rendu public, mais il y en a eu des centaines d'autres avant que le projet de loi soit déposé devant le Parlement.
Lorsqu'on nous dit que cet accord a été négocié en secret, je vous renvoie à la liste de toutes ces réunions. À nous deux, Patrick O'Rourke et moi, nous avons probablement assisté aux deux tiers ou aux trois quarts d'entre elles, en plus d'assister à nombre de rencontres privées avec des gens appartenant à toutes les couches de la société de la Colombie-Britannique. Je renvoie ceux qui nous disent que l'accord a été négocié en secret à la liste des membres du comité consultatif pour la négociation des traités provinciaux dont disposent, je crois, les membres de cette chambre. Vous verrez que l'on y retrouve pratiquement toutes les grandes organisations, les groupes de pression et les groupes d'intérêt existant en Colombie-Britannique.
De plus, nous avons rencontré régulièrement six comités consultatifs régionaux, dont la liste des membres, pour un certain nombre d'entre eux, a été remise aux parlementaires. Je suis sûr que les Nisga'as vous confirmeront que bien souvent nous n'avons pas pu nous asseoir à la table des négociations ou dû la laisser en état pour discuter du traité, non pas en général mais dans ses moindres détails.
Je rappelle aussi aux honorables sénateurs -- je pense qu'on en a témoigné devant vous déjà -- qu'un comité permanent ad hoc s'est déplacé dans toute la province entre la signature de l'entente de principe et celle de l'accord définitif.
Laissez-moi répondre à l'affirmation selon laquelle aucune modification n'a été apportée à l'entente de principe ou, dit d'une autre manière: «Vous nous avez consultés, mais vous ne nous avez pas écoutés.» Les dispositions s'appliquant à la certitude, qui étaient de loin les plus controversées partout où nous nous sommes déplacés dans la province, chaque fois que nous nous sommes adressés à un groupe consultatif, ont été complètement modifiées. Il suffit de vous reporter à l'accord définitif pour voir à quel point elles ont été modifiées. Nous avons eu des rencontres très longues et très détaillées avec le Business Council of British Columbia. Nous avons passé en revue toutes les possibilités, dans tous leurs détails, en compagnie du comité consultatif sur la négociation des traités. Vous avez par conséquent devant vous un produit qui, je n'hésite pas à le dire, est largement acceptable pour résoudre le problème.
Ces clauses ne figuraient pas dans l'entente de principe. Il y a un titre tout nouveau s'appliquant aux titres fonciers qui indique bien clairement que les terres nisga'a sont des terres en fief simple à l'intérieur de la province de la Colombie-Britannique.
Il y a eu une refonte complète des clauses concernant les routes, et un chapitre tout nouveau a été inséré en grande partie à la suite des consultations que nous avons tenues dans toute la province. On a la garantie que la route qui entre dans la vallée de la Nass et qui la traverse est une route provinciale.
Contrairement à ce que je crois avoir entendu dire hier par le représentant de la Fédération de la faune de la Colombie- Britannique, des changements très significatifs ont été apportés au chapitre sur la faune en raison de l'intervention de la Fédération de la faune. L'accord définitif, et je regrette d'avoir à vous ennuyer avec tous ces détails, plafonne le nombre d'orignaux qui peuvent être abattus. Cela ne figurait pas dans l'entente de principe. Les droits de chasse aux grizzlys y figurent aussi. Ce n'était pas dans l'entente de principe. Nous avons élargi à sa demande le comité de la faune pour qu'il comporte suffisamment de représentants de la province -- et je regrette que le sénateur Lawson ne soit pas parmi nous, parce que c'est avec plaisir que je pourrais répondre à la question qu'il a posée au sujet des 20 000 $.
Le président: Nous lui communiquerons votre réponse.
M. Ebbels: Nous voulions nous assurer d'avoir suffisamment de sièges, et nous avons donc fait figurer un membre de la Fédération de la faune de la Colombie-Britannique dans notre équipe au sein du comité. Nous nous sommes entendus sur cela avec la Fédération de la faune de la Colombie-Britannique, et vous le verrez dans notre accord définitif.
Le président: Pouvez-vous nous dire quel est l'accord que vous avez passé avec la Fédération de la faune?
M. Ebbels: Vous voulez que je le fasse?
Le sénateur St. Germain: Oui, rapidement.
M. Ebbels: Tout d'abord, les négociations se sont déroulées entre les Nisga'as, la province et le Canada. Les négociations ont porté sur la possibilité de concilier leurs droits et leurs intérêts avec les nôtres et ceux du Canada, non avec ceux de la Fédération de la faune de la Colombie-Britannique.
L'accord auquel nous sommes arrivés avec la Fédération de la faune de la Colombie-Britannique -- et en passant, je vous signale que ce fut très difficile. Je suis sûr que j'ai été accusé là-bas, à maintes reprises, de négocier de mauvaise foi. Nous avons dû revenir en arrière et modifier ce sur quoi nous nous étions entendus provisoirement dans l'entente de principe, pour en élargir la portée. Nous nous sommes entendus pour agrandir notre équipe afin de faire place au représentant de la Fédération de la faune sans cependant qu'il soit payé. Voilà quel était l'accord.
Le président: Est-ce qu'elle a accepté cette entente?
M. Ebbels: Oui. Les 20 000 $ dont a parlé le témoin ne se rapportent pas précisément à l'assistance des Nisga'as à ce comité sur la faune. Ils s'appliquent à la gestion de la faune. Ça ne figure pas dans le traité. Ce n'est pas un droit fixé à jamais par le traité. Ces 20 000 $ relèvent de l'accord de financement qui est en place, je crois, pour cinq ans. Cela s'apparente à une contribution aux frais de démarrage.
Laissez-moi aborder la question des relations avec le gouvernement régional. Nous avons négocié avec le représentant du District régional de Kitimat-Stikine présent à la table des négociations, et nous avons reproduit intégralement ce qu'il voulait voir figurer dans l'accord définitif.
Il y a un chapitre tout entier consacré à la transition en matière forestière. Une partie des terres nisga'as regroupe la zone TFL No. 1, que possède Skeena Cellulose. Il y aura un retrait progressif de Skeena Cellulose dans cette partie du territoire nisga'a, doublé d'un recours de plus en plus fréquent à des entrepreneurs nisga'as. Il y a dans le traité des clauses très détaillées qui ne figuraient pas dans l'entente de principe. Nous avons discuté très longuement et en détail de toutes ces clauses avec les représentants de Skeena Cellulose, les exploitants forestiers sous contrat et les représentants de l'IWA. On peut dire je crois, sans crainte de se tromper, qu'ils se sont de manière générale félicités de ces clauses de transition.
Je m'arrêterai ici. En fait, la liste est pratiquement interminable, mais je tenais à donner ces précisions compte tenu des commentaires que j'ai entendus ces deux derniers jours.
Je ne sais pas si quelqu'un en a parlé, mais il y a un rapport qui a été rédigé par le protecteur des citoyens en 1997. Le protecteur des citoyens de la Colombie-Britannique est un agent du Parlement et il est nommé par un comité représentant tous les partis. Il a été demandé au protecteur de déterminer dans quelle mesure on avait suffisamment consulté le public pour qu'il puisse participer à l'élaboration du traité. Le protecteur des citoyens a conclu, et je n'ai pas ici la date exacte, que le public avait eu en fait amplement la possibilité d'intervenir au sujet du traité et qu'il avait été dûment consulté.
J'en viens ensuite à une intervention faite par le représentant de la B.C. Cattlemen's Association. Il s'inquiète des éventuelles incidences sur les détenteurs de concessions privées et sur les intérêts privés dans la zone du traité. Je peux vous dire qu'il n'y a aucune concession existante -- à l'exception de celle de Skeena Cellulose, dont le propriétaire majoritaire est la Couronne -- auquel puisse porter préjudice ce traité. En fait, c'est tout le contraire. Aucune terre détenue en fief simple n'a été touchée. Il y a un bail agricole et un bail portant sur une terre forestière qui ne sont absolument pas touchés.
En fait, c'est le contraire qui est vrai. Ceux d'entre vous qui connaissent les campagnes de la Colombie-Britannique savent que les problèmes d'accès sont terriblement importants. Il n'y a pas trente-six moyens de traverser les montagnes et les vallées. Les administrateurs provinciaux ne sont pas très nombreux dans cette région et pendant un siècle environ, les gouvernements ne se sont pas beaucoup intéressés aux Premières nations disséminées sur le territoire. Par conséquent, il y a nombre de mauvaises routes d'accès qui mènent aux parcelles en fief simple, aux sites des répéteurs de BCTel, et cetera. Nous avons en fait négocié et annexé au traité une clause détaillée garantissant un accès qui n'existait pas jusqu'alors.
Si le traité nisga'a doit servir de modèle de référence -- et je n'aime cette expression parce que le Traité nisga'a n'est pas un modèle -- et si les éleveurs en ont peur, ils ont tort. Ce traité est un merveilleux exemple des répercussions que peuvent avoir les traités dans les autres régions de la province.
Certaines inquiétudes ont été émises au sujet des droits d'utilisation de l'eau. Je vais vous dire combien il y a d'eau dans la vallée de la Nass. C'est de l'ordre de 233 millions de décamètres cubes par an, je crois. La quantité d'eau affectée aux Nisga'as -- qui, en passant, est destinée éventuellement à de futurs petits projets hydroélectriques, qui constituent en soi une forme de débouché économique -- est de 300 000. Je pense que c'est bien le chiffre. On leur a alloué une petite portion de l'eau libre disponible dans la rivière Nass.
La situation est bien différente dans l'intérieur de la Colombie-Britannique, où il n'y a pas d'eau libre d'être utilisée. Cela signifie que toute l'eau disponible est déjà concédée sous licence, elle est déjà prise.
Par conséquent, la solution adoptée sera différente dans l'intérieur, notamment en ce qui a trait aux droits d'utilisation de l'eau. Comme l'ont bien fait remarquer au témoin le sénateur de l'Alberta et le sénateur St. Germain, ce qu'il faut, c'est rencontrer ses voisins et en arriver à une solution qui ne soit pas concoctée à votre place par Victoria ou par Ottawa, quelque chose qui donnera des résultats sur le terrain. Toutefois, il faudra que ce soit une solution différente.
Une dernière chose avant que je passe la parole à M. O'Rourke. Nous tenions à parler de la primauté. On a beaucoup épilogué au sujet des 11, des 14 ou des 16 domaines dans lesquels les lois nisga'as ont préséance sur les lois fédérales ou provinciales. Je pense que cela mérite que nous apportions certaines précisions.
Avec tout le respect que je dois à M. MacDonald, qui est un éminent ressortissant de la Colombie-Britannique, je tiens à corriger au moins une chose. Il s'inquiétait au sujet de la police et de l'administration de la justice, et de l'incapacité du procureur général à administrer les questions de police en Colombie-Britannique. Je vous renvoie au paragraphe 19 du chapitre sur l'administration de la justice. Il se trouve à la page 189 du document que j'ai devant moi.
Si le ministre est d'avis:
que des services policiers efficaces, conformes aux normes prévalant ailleurs en Colombie-Britannique, ne sont pas fournis à l'intérieur des terres nisga'as; ou
qu'il est nécessaire ou souhaitable d'assurer la prestation efficace de services policiers conformément aux normes prévalant ailleurs en Colombie-Britannique
le ministre peut, aux modalités approuvées par le lieutenant-gouverneur en conseil, fournir ou réorganiser des services policiers à l'intérieur des terres nisga'as en nommant des individus comme constables, en ayant recours au corps de police provincial pour fournir des services policiers, ou par d'autres moyens.
Le ministre dont il est question est le procureur général. C'est la reproduction exacte des pouvoirs du procureur général sur les services de police municipaux tels qu'ils figurent dans la British Columbia Municipal Act. Il s'agit ici du dernier recours dont dispose le procureur général sur les services de police des municipalités de la Colombie-Britannique, qui est protégé dans ce traité.
Là encore, je n'accuse personne, mais j'ai parfois du mal à accepter certaines préoccupations lorsqu'il existe des données précises pour y répondre. Je sais qu'il s'agit là d'un gros document très complexe. Le sujet est complexe. Je pense que cela répond aux préoccupations de M. MacDonald.
On a beaucoup parlé de partage des pouvoirs et de primauté et je demanderai à M. O'Rourke de vous faire part de notre point de vue.
M. Patrick O'Rourke, sous-ministre adjoint, Négociations, ministère des Affaires autochtones, gouvernement de la Colombie-Britannique: Pour bien comprendre cette question au départ, il faut savoir que cet accord ne confère pas aux Nisga'as des pouvoirs exclusifs; tous leurs pouvoirs gouvernementaux sont partagés. Cela signifie qu'ils opèrent en association avec les pouvoirs fédéraux ou provinciaux. Je dois vous dire que je suis avocat, mais je m'efforcerai de ne pas parler comme l'un d'eux.
Lorsque deux lois semblent s'appliquer à la même question, il y a des règles de primauté qui interviennent. Parfois elles sont imposées par le pouvoir judiciaire et dans d'autres cas elles sont fixées par la loi ou, comme ici, par un traité.
Je vais vous donner un exemple très simple. À l'heure actuelle, le Canada comme les provinces peuvent légiférer. Même si en théorie les articles 91 et 92 s'excluent l'un l'autre, dans la pratique les deux gouvernements légifèrent dans les mêmes domaines. Celui qui est reconnu coupable de conduite avec facultés affaiblies aux termes du Code criminel du Canada perd son permis de conduire pendant une période donnée. La B.C. Motor Vehicle Act, qui régit l'octroi des permis de conduire, dispose que le permis du coupable sera retiré pour une plus longue période. Il y a là deux règles différentes; est-ce que cela pose un problème? Aux yeux des tribunaux, ces lois n'entrent pas en conflit, il y a simplement deux lois qui coexistent, qui doivent toutes deux être respectées. Dans un tel cas, le permis est retiré pendant la période la plus longue, soit 12 mois.
Parfois, il y a effectivement un conflit entre deux lois. Il peut arriver qu'une loi dispose que l'on doit faire telle chose alors qu'une autre déclare que cette action est illégale. Dans un tel cas, il faut une règle s'appliquant à la primauté. Dans le Traité nisga'a, nous avons négocié des règles de primauté qui s'appliquent à chacun des pouvoirs d'élaboration des lois des Nisga'as. Dans certains cas, nous avons accepté que les lois nisga'as aient la primauté. Cela signifie que dans les rares occasions où les lois vont être contradictoires, la loi nisga'a sera celle qui s'appliquera, à la marge, si l'on peut dire.
Nous l'avons accepté dans deux grands domaines. Il y a tout d'abord l'ensemble des questions sur lesquelles, aux yeux de la province, il n'appartient pas au gouvernement d'avoir le dernier mot -- soit celui de la langue et de la culture nisga'a. Lorsqu'ils ont eu le dernier mot au sujet des langues autochtones, les gouvernements ont adopté des règles interdisant aux autochtones de parler leur langue. Nous pensons qu'il ne faut pas que les Nisga'as puissent courir à nouveau un tel risque. Par le passé, le gouvernement fédéral a adopté des lois interdisant les manifestations de la culture autochtone. Les Potlatchs étaient illégaux en Colombie-Britannique et l'on a jeté pour cela des gens en prison. Nous avons estimé qu'aux termes du traité, les Nisga'as ne devraient plus jamais courir ce risque à l'avenir. Nous avons agi ainsi, non pas en leur conférant un pouvoir exclusif sur leur culture, mais en leur accordant des pouvoirs partagés qui auront primauté en cas de conflit. Ils disposent de la primauté sur les questions internes.
De même, lorsque le traité procure des avantages -- des terres ou de l'argent remis aux termes du traité -- ce sont les Nisga'as qui doivent avoir le dernier mot quant à leur utilisation. Ils doivent avoir le dernier mot quant à la façon d'organiser leur gouvernement. Nous avons accepté la primauté dans ces domaines.
Les autres grands domaines, et ce sont probablement ceux qui préoccupent le plus la province parce qu'ils relèvent de la compétence provinciale, portent sur des choses comme l'enseignement et l'aide à l'enfance. Nous avons mis des conditions à l'exercice du pouvoir d'élaboration des lois nisga'as qui protègent -- et qui protègent pleinement -- les intérêts provinciaux essentiels.
Je vais prendre l'exemple de l'enseignement. Je parle d'enseignement s'appliquant aux Nisga'as sur le territoire nisga'a -- il ne s'agit ni de moi, ni de vous, ni de mes enfants. Ces lois doivent cependant établir des normes équivalentes aux normes provinciales pour ce qui est du contenu des programmes, des examens, de la qualification des enseignants et de la mise en oeuvre de moyens de contrôle objectifs. Ces normes doivent permettre aux élèves nisga'as d'entrer dans des écoles provinciales et de pouvoir accéder aux universités de la province. S'ils respectent ces normes, leur loi est alors valide.
Si la loi n'est pas conforme à une loi provinciale dans un autre domaine, c'est la loi nisga'a qui prévaut. Quels sont ces autres domaines? La province décrète que l'année scolaire commence le 15 septembre et se termine le 26 juin. Les Nisga'as pourront très bien décider, pour une raison ou pour une autre, de commencer le 18 septembre et de terminer le 29 juin. La province pourra considérer que cette année scolaire est acceptable, dans la mesure où les normes d'enseignement sont respectées et où les enseignants sont qualifiés comme il se doit. D'autres différences seront acceptables.
Je ne vais pas passer en revue chacun des pouvoirs. Chacun des 14 pouvoirs dont la liste a été dressée relève de ces deux grands domaines, soit parce que nous n'avons pas jugé bon que les gouvernements aient le dernier mot, soit parce que les intérêts des gouvernements sont suffisamment protégés par les limites imposées par le traité. Dans d'autres domaines qui ne sont tout simplement pas indispensables à la dispense d'un bon enseignement, nous étions disposés à permettre aux Nisga'as de s'écarter de la norme.
Le président: Je vous remercie de cet exposé.
M. Ebbels: J'aimerais rajouter une chose. J'aimerais vous donner une idée des enjeux que représente la primauté. Vous avez entendu de nombreux intervenants soutenir que les articles 91 et 92 recouvrent l'intégralité des pouvoirs législatifs au Canada. En l'occurrence, il n'y en aurait pas d'autres. D'aucuns soutiennent, par conséquent, que si l'on passe un accord d'autonomie de gouvernement, il faut que ces pouvoirs soient délégués.
D'un autre côté, de nombreux témoins sont venus nous dire que les droits autochtones qui sont protégés par l'article 35 de la Constitution englobent le droit inhérent à l'autonomie de gouvernement et qu'il y a donc quelque chose à négocier. Lorsqu'on le fait, c'est une chose qui est protégée par la Constitution.
Par conséquent, pour s'en tenir aux principes et sans vouloir choisir son camp, il y en a qui ont tort et d'autres qui ont raison, et il est vraisemblable qu'un tribunal tranchera la question un jour. Il est très important que les traités soient négociés en Colombie- Britannique et que nous fassions quelques progrès. Le ministre Lovick a abordé un certain nombre de ces questions dans son intervention. Il y a des raisons juridiques, telles que celles que vous avez entendues ici auparavant, de même que les exhortations en provenance de la Cour suprême et d'autres instances, qui nous demandent d'aller de l'avant et de négocier des solutions; il y a des raisons sociales, telles que la prise de conscience de la situation dans les réserves, qui de manière générale est tout à fait alarmante, je pense que personne ne me contredira; enfin, il y a les raisons économiques, qui font qu'il y a urgence, non seulement si l'on veut agir au bénéfice des non-autochtones, mais aussi de celui de l'ensemble des habitants de la Colombie-Britannique. Je m'occupe du portefeuille de l'énergie et des mines et je consacre beaucoup de temps avec des entreprises à essayer de lever des capitaux. On se fait davantage prier pour faire des affaires en Colombie-Britannique parce que les revendications territoriales autochtones n'ont pas été résolues. On estime que nous perdons 1 milliard de dollars d'investissement par an -- de l'argent qui n'entre pas en Colombie-Britannique en raison de l'incertitude de la situation.
Compte tenu de ces réalités, il importe que nous réglions le plus tôt possible la question des traités en Colombie-Britannique. Pour ce qui est de la bataille juridique, il n'était pas question que les Nisga'as signent un traité établissant une forme de gouvernement comportant une délégation de pouvoirs, justement pour les raisons que vient d'exposer M. O'Rourke. À titre d'exemple de ce qui pouvait arriver par le passé, un gouvernement opérant avec une délégation de pouvoirs pouvait retirer son inscription à un Indien inscrit qui entrait dans un bar. Il était interdit de parler sa langue, on pouvait être placé dans une école résidentielle et l'on ne pouvait pas bénéficier de la loi sur la colonisation accordant une centaine d'acres à chacun des colons. Les Indiens n'y avaient pas droit. C'est ainsi que les choses se passaient et le fait que les gouvernements opérant en vertu d'une délégation de pouvoirs pouvaient changer unilatéralement les situations s'est traduit ainsi à la table des négociations: «Pas de traité s'il y a délégation de pouvoirs. Il n'en est pas question.» Nous avons donc dû trouver une solution de rechange, et voici ce que nous avons trouvé.
C'est, à mon avis, une solution très pratique apportée à un problème très épineux.
Le président: Vous avez abordé de nombreux sujets sur lesquels nous aurions dû sinon vous interroger puisque, vous avez pu le voir en prenant connaissance des témoignages, nombre de questions ont été posées sur ces sujets.
Le sénateur Rompkey: Je vais faire des commentaires d'ordre général parce que je suis un nouveau venu au sein de ce comité et que j'ai bien du mal à appréhender tous les détails. Je ne connais pas vraiment tous les détails de l'accord nisga'a, mais j'ai écouté très attentivement ce qui s'est dit.
J'aimerais faire quelques commentaires d'ordre général. Je tiens tout d'abord à féliciter les deux témoins qui, de toute évidence, ont fait un travail compliqué, ardu et profitable -- avec succès. Il a fallu non seulement de l'habileté, mais du courage, et il faut aussi féliciter le gouvernement de la Colombie-Britannique. Ce genre de choses n'est jamais facile et il y faut non seulement de la détermination, mais aussi du courage.
J'évoquerai une observation qui a été faite au sujet du modèle. On a dit que le traité nisga'a servirait peut-être de modèle de référence. On a dit aussi que les Premières nations étaient différentes les unes des autres, qu'elles n'avaient pas les mêmes intérêts et les mêmes besoins et que les traités seraient par conséquent différents. En fait, le traité nisga'a va être un modèle. Ce n'est pas une mauvaise chose, c'est une bonne chose. Je peux vous dire qu'à l'autre bout du pays, dans le nord du Labrador, on s'est beaucoup intéressé à la négociation du traité nisga'a. Vous verrez d'ailleurs cet été, lorsqu'on votera au sujet de l'entente de principe, que l'accord d'autonomie de gouvernement du nord du Labrador est très semblable à l'accord nisga'a. L'accord nisga'a a en réalité mis la barre à un certain niveau et il est bon que l'on ait un point de référence, une norme, qui soit bien établie. Il faut espérer que cette entente soit efficace et qu'elle englobera les mêmes principes régissant le partage des pouvoirs et la primauté.
Je dirais ceci au sujet du modèle. Ce sera bien un modèle et j'estime qu'il aura un effet très positif.
Le président: Je ferais remarquer que le ministre Nault comme les représentants de la Colombie-Britannique, de même que d'autres intervenants, ne voient pas dans cet accord un modèle de référence. Ils le considèrent comme une entente particulière élaborée dans des circonstances très précises. Il se peut que vous ayez raison avec le temps, mais il est certain que le gouvernement ne cherche pas à faire de cet accord un modèle. Monsieur Ebbels, voulez-vous donner le point de vue de la province de la Colombie-Britannique?
M. Ebbels: Merci pour vos aimables observations. Ce n'est pas un modèle que l'on pourrait répéter automatiquement. Si l'on change les noms et les chiffres, l'accord devient tout autre. Il faut se débrouiller avec les atouts dont on dispose sur un territoire aussi diversifié que la Colombie-Britannique. Il est indéniable, cependant, que nous avons consacré des milliers d'heures pour essayer de résoudre le problème de la certitude. Autrement dit, peut-on employer une autre formulation pour conférer une certaine certitude et une certaine finalité à la conclusion du traité, plutôt que de le faire en échange de ce qui se trouve dans le traité, ou de prescrire le titre et les droits autochtones. Des milliers d'heures ont été consacrées à cette question et autant à celle qui a trait à la résolution des conflits. Nous estimons ne pas nous être trompés et avoir fait un bon travail. Il y a de nombreux autres principes que nous cherchons à faire appliquer aux autres tables de négociation, telles que l'application de la Charte ou de la Constitution, le fait que nous voulons que le régime des parcs reste au bout du compte le même, et cetera. Il m'apparaît plutôt que les acquis relatifs aux traités pourront différer du tout au tout, selon le lieu où l'on se trouve. Il y aura des solutions totalement différentes dans l'exemple que je vous ai donné au sujet des droits d'utilisation des eaux.
Le sénateur Rompkey: Je ne parlais pas de l'intention du gouvernement du Canada -- peut-être n'a-t-on pas voulu qu'il y ait là un modèle de référence -- mais plutôt de la réalité, qui voit l'instauration de modèles. C'est comme pour les contrats passés avec des syndicats, dès qu'un syndicat signe un contrat, les autres suivent dans tout le secteur. Il en est de même des communautés autochtones. Les habitants de ces communautés voient ce qui se passe dans le pays et ils tirent des conclusions en fonction des efforts qui ont été faits par d'autres. C'est ce que je voulais dire, et non pas que le gouvernement du Canada voulait en faire un modèle. Vous l'avez dit dans votre exposé et je suis d'accord. Chaque situation est différente. Naturellement, il y aura des modèles, c'est la réalité de la situation.
Le sénateur St. Germain: J'ai téléphoné à l'ancien premier ministre Dan Miller, qui m'a dit: «Jack Ebbels va venir témoigner.» Je comprends son enthousiasme, puisque vous connaissez parfaitement l'accord et les questions qui s'y rapportent, monsieur Ebbels. Vous nous avez très bien communiqué l'information. Vous nous avez dit qu'une délégation de pouvoirs était inacceptable pour les Nisga'as. Lors des discussions qui ont eu lieu avec M. Aldridge, nous avons déterminé que cette entité devait assurer sa pérennité en s'appuyant sur un pouvoir économique. Avec des paiements de transfert, elle s'apparenterait à une municipalité. J'ai posé cette question parce qu'il y a des accords, tels que ceux qui ont été passés au Yukon avec les Gwich'in, les Sahtu et d'autres, qui font appel à une délégation de pouvoirs. Je ne vois absolument pas en quoi ils pourraient être remis en cause.
Ce que vont faire les Nisga'as n'est pas fixé dans le marbre, et pourtant cela n'a déclenché aucune controverse. Il semble qu'au bout du compte ces gens soient très satisfaits. Avez-vous un commentaire à faire à ce sujet?
M. Ebbels: Vous avez raison de poser la question. J'ai essayé de proposer cette solution aux Nisga'as, qui ne l'ont pas acceptée. Nous essayons à la table des négociations de proposer un modèle de délégation de pouvoirs, si toutes les parties sont d'accord, et l'accord des Sechelts en est un bon exemple. C'est une forme de double délégation de pouvoirs. Ils sont satisfaits, ils en ont été contents jusqu'à présent, il en est de même pour la province et pour le Canada, et aucune des parties ne souhaite changer ce modèle. Nous ne leur imposerons pas la solution retenue par les Nisga'as.
Le sénateur St. Germain: Je conviens avec vous que nous avons besoin de stabilité. Vous connaissez mieux que personne, vous qui avez été sous-ministre, les problèmes de Gustafsen Lake en Colombie-Britannique.
Ma question -- et je sais que vous nous écoutez patiemment, que nos délibérations vous agacent ou qu'elles éveillent votre intérêt -- portent sur les chevauchements. Si j'interprète mal la chose, vous me corrigerez.
En consultant le dossier qui nous a été fourni, je ne puis que constater que la superficie réclamée dans la revendication Calder, puis lors de la requête de 1913, était bien plus réduite et n'englobait certainement pas les terrains concédés en fief simple qui sont aujourd'hui contestés.
Le ministre nous a dit aujourd'hui que les intéressés étaient en train de négocier. Il a raison en partie, mais en partie seulement, parce que les Gitanyows sont à la table des négociations, ce qui n'est pas le cas des Gitxsans.
Nous examinons le dossier qui nous est confié, qui implique que l'on va fouler aux pieds les droits des minorités. Vous êtes un professionnel et vous serez encore là. Je me suis aperçu, en tant que ministre et que député, que vous êtes immuable alors que nous ne faisons que passer.
M. Ebbels: En Colombie-Britannique, je pense qu'un sous-ministre ne dure que deux ans et demi environ.
Le sénateur St. Germain: Je sais effectivement que les choses changent.
Nous sommes aux prises avec une terrible situation. Je ne sais pas si vous avez écouté les témoignages. Ce n'était pas exactement des menaces voilées, mais des intervenants ont laissé entendre qu'ils allaient protéger leur territoire sur le terrain. Cela pourrait déboucher théoriquement sur de graves confrontations entre nos propres peuples autochtones, ce qui serait grave pour tout le monde. Les choses s'envenimeraient à un point où je ne sais pas où tout cela finirait par se terminer.
M. Ebbels: Je vais vous répondre, vous m'arrêterez si c'est top long.
Le problème est très délicat.
Je tiens, pour qu'il en soit pris acte, à m'inscrire en faux contre l'avis de l'ancien premier ministre Clark ou d'autres membres du gouvernement, qui affirment que nous avons précipité l'adoption du traité nisga'a dans le but de forcer la main aux Gitanyows et à tous ceux qui ont comme eux des droits autochtones.
Je ne peux, vous le savez, divulguer la teneur des réunions du cabinet, mais j'y ai passé des centaines d'heures à arrêter nos positions et il y a eu sur cette question, pendant de nombreuses années, de très longues et de très sérieuses discussions.
Je vais essayer de résumer le problème. Les conflits entre les Premières nations durent depuis on ne sait combien d'années -- des décennies, des siècles peut-être. Les communautés acquièrent de la puissance, puis en perdent, et il y a à cela bien des raisons.
N'oubliez pas que la Colombie-Britannique est dans l'obligation d'essayer de donner davantage de stabilité à la région en concluant des traités pour les trois grandes raisons dont je vous ai parlé: des raisons juridiques, sociales et économiques. Ces raisons sont toujours présentes dans son esprit, de même qu'une bonne part d'espoir de la part des Premières nations -- étant donné les arrêts prononcés dans des affaires comme Delgamuukw et Sparrow, qui ont reconnu différents types de droits autochtones -- qui s'attendent à ce que ces questions soient résolues.
Vous avez affaire à un problème de chevauchement qui n'a pas été résolu. La province de la Colombie-Britannique, et le ministre Nault en a dit autant un peu plus tôt au sujet du Canada, ne veut pas intervenir et juger de la primauté d'une revendication par rapport aux autres. Ce serait au départ une tâche impossible. Nous voulons que la question soit résolue par les Premières nations.
Que faire lorsqu'on a essayé et échoué? Des tentatives ont été faites par le Canada, dont a parlé le ministre Nault, et d'autres, nombreuses, par la province. Il y a eu des tentatives de la part des Nisga'as et des Gitanyows eux-mêmes.
Que faire lorsque les mécanismes que tout le monde a essayé de mettre en place n'ont pas résolu la question? Vous-même et le sénateur Andreychuk, vous mettez d'un côté le doigt sur la plaie lorsque vous nous dites qu'en laissant adopter le traité nisga'a, nous favorisons les Nisga'as au détriment, pourrait-on dire -- je ne dis pas cela en mauvaise part -- d'une Première nation voisine. C'est un point de vue légitime.
L'envers de la médaille, c'est que si l'on n'adopte pas le traité nisga'a en raison de ce chevauchement non résolu, nous leur portons préjudice. Pourquoi seraient-ils tenus en otage par la position adoptée par leurs voisins? Inversement, pourquoi les voisins se sentiraient-ils lésés du fait de la position adoptée par les Nisga'as?
Le sénateur St. Germain: Pourquoi ne voulez-vous pas alors aller en arbitrage? Ce pourrait être un arbitre autochtone. À un moment donné, la Commission des traités de la Colombie- Britannique a publié un document indiquant qu'aucun traité et aucun accord ne serait signé tant que les chevauchements ne seraient pas résolus.
M. Ebbels: C'est ce qu'on entend beaucoup dire. Ce n'est pas ainsi que sont formulées les recommandations du Groupe d'étude sur les revendications en Colombie-Britannique Je ne les connais pas par coeur, mais on dispose qu'aucun traité ne sera conclu en l'absence d'un mécanisme permettant de résoudre les chevauchements. On n'exige pas que les chevauchements soient réglés pour conclure un traité.
Le sénateur St. Germain: Est-ce que c'est un document révisé?
M. Ebbels: Non, cette disposition existe depuis le début.
Le sénateur St. Germain: Très bien.
Le président: Puis-je donner la parole au sénateur Grafstein et permettre ensuite au sénateur St. Germain de la reprendre?
Le sénateur Andreychuk: J'ai une question supplémentaire à poser à ce sujet.
Le président: Allez-y, sénateur Andreychuk.
Le sénateur Andreychuk: Vous considérez qu'éventuellement les Gitanyows et les Gitxsans sont désavantagés par le choix que vous avez fait. Si vous n'étiez pas passé aux actes, ce sont les Nisga'as qui auraient été désavantagés. Je suis d'accord avec vous sur ce point. Ce qui me gêne, c'est que vous changez les règles du jeu lorsque vous faites intervenir l'indemnisation. Vous n'avez pas dit, allons de l'avant avec les Nisga'as, parlons de la zone contestée et ménageons ensuite toutes les possibilités en fonction de celui qui a raison. Vous semblez avoir penché en faveur de l'une des parties. C'est la chose que j'aimerais que vous m'expliquiez.
M. Ebbels: Je ferais deux remarques à ce sujet. Le gouvernement de la Colombie-Britannique considère, de même que le gouvernement du Canada, que les paragraphes 33, 34 et 35 ainsi que les dispositions générales sont le meilleur moyen de passer à la conclusion du traité en présence d'une question de chevauchement non résolue. Nous estimons que c'est le meilleur moyen de protection possible qui nous permette malgré tout de passer à la conclusion d'un traité compte tenu qu'il est impératif pour la Colombie-Britannique de démontrer que l'on va de l'avant et que l'on peut progresser.
En second lieu, l'équipe de négociation a passé des centaines d'heures à examiner la chose. Nous avons envisagé de laisser en quelque sorte certaines zones dans les limbes ou de reporter l'application d'une partie du traité, quelle que soit l'importance de cette partie. La difficulté, c'est de savoir comment décortiquer tout cela. On ne peut pas traiter des droits d'accès de manière aussi exhaustive et aussi définitive que l'exige en particulier le public des régions rurales de la Colombie-Britannique, sans avoir déterminé la quantité de terres attribuées. On ne peut pas déterminer la quantité d'argent versé sans avoir déterminé la quantité de terres attribuées parce qu'il y a une valeur propre à chaque terre. Il est très difficile, par exemple, de déterminer le régime de gestion de la faune lorsqu'une partie des terres se trouve dans les limbes.
Nous en avons conclu que c'était extrêmement difficile à faire. Vous n'êtes peut-être pas d'accord avec cette solution, mais c'est celle que nous avons trouvée. Je serais très heureux que tout ait été résolu. L'arbitrage est généralement précédé par la médiation, et nous sommes passés par la médiation. Je pense que la médiation a été mise de côté pendant que nous nous efforcions d'accélérer les négociations. Ces négociations se poursuivent, même si elles battent de l'aile selon les Gitanyows.
Le sénateur Grafstein: Merci de votre témoignage. Je voudrais revenir sur un point fondamental que vous avez soulevé, le choix des modèles d'administration. Vous savez quelle est ma position à ce sujet, je ne la répéterai donc pas. Vous nous avez donné quelques réponses et, bien évidemment, nous les examinerons.
Il y a en fait deux modèles d'administration. L'un s'appuie sur une délégation de pouvoirs et donne de très bons résultats, nous a-t-on dit. Ce modèle d'administration s'apparente en quelque sorte à celui de la création des nouvelles provinces. Historiquement, le gouvernement fédéral craignait que la création d'une province ne vienne remettre en cause la prérogative royale ou les droits souverains. C'est pourquoi nous avons dans notre Constitution la disposition portant sur le désaveu.
Comme vous le savez, on nous a dit récemment, en tant que constitutionnalistes, que cette disposition, qui permettait de contrecarrer les errements des assemblées législatives provinciales, s'était atrophiée au fil des années. Je crois savoir qu'aux États-Unis, la nation Navaho, par exemple, dispose des pleins pouvoirs pour rechercher son identité, préciser ses droits, être indépendante, se prononcer elle-même sur les questions qui l'intéressent, et cetera, et pourtant le Congrès américain n'a jamais cédé ses pouvoirs. Je crois savoir que depuis 1888, certaines activités ont été rétrocédées de sorte que la nation Navaho possède aujourd'hui son propre système judiciaire. Elle dispose même de tribunaux dont les juges sont nommés, contrairement aux autres dispositions qui s'appliquent. Pourtant, au bout du compte, le Congrès américain a toujours conservé les pouvoirs qui lui accordent la primauté sans intervenir avec les pouvoirs qualifiés de décisionnels que lui accorde le régime fédéral.
On nous a dit que 51 négociations restaient à mener -- même si les chiffres varient à ce sujet -- dans la seule Colombie- Britannique. Nous avons entendu le président et le ministre nous dire, contrairement à ce qu'affirme le sénateur St. Germain, qu'il ne s'agit pas là d'un modèle, mais d'un accord isolé.
Est-ce que cela ne constitue pas un véritable problème pour les futures négociations? Le modèle faisant appel à la délégation de pouvoirs apaiserait les préoccupations de nombre de sénateurs, d'une grande partie du grand public et d'un bon nombre de gens de la Colombie-Britannique, qui s'opposent à ce projet pour des raisons constitutionnelles ou politiques. Que faire, maintenant? Il est prouvé que le modèle fondé sur la délégation de pouvoirs fonctionne. Il est prouvé que l'autre modèle soulève de graves questions constitutionnelles. Nous avons entendu vos arguments au sujet des pouvoirs partagés. Des inquiétudes subsistent à ce propos. Le paragraphe 35 n'est pas aussi clair que vous voudriez qu'il soit. Que faire, maintenant?
M. Ebbels: Il y a 197 bandes indiennes en Colombie- Britannique. Il y en a environ 600 au Canada. Un tiers des bandes sont par conséquent en Colombie-Britannique. Elles opèrent toutes en vertu du modèle de délégation de pouvoirs prévu par la Loi sur les Indiens. À partir du moment où le conseil de bande adopte des résolutions, pratiquement aucune loi provinciale ne s'applique. C'est une administration d'État qui s'est révélée une catastrophe, comme on peut en juger par les problèmes sociaux. Nous espérons pouvoir nous en débarrasser.
L'une des difficultés de la procédure actuelle, c'est le nombre des bandes concernées. Certaines sont de taille très réduite et l'on peut penser qu'il faudrait qu'elles fassent partie d'un groupe tribal ou linguistique plus large, mais c'est à la commission des traités qu'il appartient d'en juger.
Au bout du compte, j'aimerais que les 197 formes de gouvernement local bénéficiant d'une délégation de pouvoirs, dont les résultats sont catastrophiques, disparaissent. J'ai entendu dire précédemment en ces lieux que nous étions en train de nous créer une foule d'obligations de consultation envers une quarantaine ou une cinquantaine de bandes indiennes, ce qui allait bloquer l'action de la province. C'est là où nous en sommes à l'heure actuelle. La Cour suprême du Canada nous dit que nous devons consulter, que nous ne pouvons pas remettre en cause les droits autochtones. Qui allons-nous consulter? Lors de nos négociations avec les Nisga'as, nous avons dû traiter avec au minimum quatre assemblées de village et une quantité de chefs de famille et de clan. Il en coûte à la province des sommes incroyables et cela lui fait perdre un temps inimaginable.
C'est l'une des raisons pour lesquelles il est difficile d'attirer les entreprises en Colombie-Britannique. Chaque fois qu'une nouvelle mine doit s'installer ou que l'on veut construire une route, on se demande toujours qui a été consulté, s'il y a eu suffisamment de consultations et si les bandes ont bien été en mesure d'évaluer comme il se doit le projet. Une fois ce traité entré en vigueur, nous ne devrons consulter que le gouvernement central nisga'a et le traité précise clairement sur quoi nous devons le consulter. Si la clause ne figure pas dans le traité, nous n'aurons pas à le consulter.
Comme les Nisga'as, nous y gagnerons beaucoup en temps et en argent. La province estime que cette solution est utile et qu'elle arrive même trop tard. Nous n'aurons pas à faire face à une pléthore d'obligations de consultation. Ce traité aura l'effet opposé.
Le président: Je vous remercie, sénateur Grafstein, ainsi que les témoins. Y a-t-il d'autres sénateurs qui veulent poser une dernière question?
Le sénateur St. Germain: Cet accord ne relevait pas du mécanisme instauré par la Commission des traités de la Colombie-Britannique, n'est-ce pas?
M. Ebbels: C'est exact. Les négociations n'ont pas été menées sous les auspices de la Commission des traités de la Colombie-Britannique parce qu'elles ont été entamées en 1976 et que la commission n'est entrée en fonction qu'en 1991.
Le sénateur St. Germain: Pour répondre à la question posée par le sénateur Grafstein, qui oppose la délégation de pouvoirs à la constitutionnalisation, si c'est ainsi que l'on veut appeler le mécanisme qui nous est présenté ici, les Sechelts ont un gouvernement autonome bénéficiant d'une délégation de pouvoirs. Leur sort en a été amélioré. Je ne crois pas qu'il soit juste de dire qu'une délégation de pouvoirs va plonger ces gens dans la pire des pauvretés et qu'elle est responsable des maux sociaux dont ils souffrent à l'heure actuelle. Je tenais à le préciser.
M. Ebbels: Ce n'est pas l'impression que je voulais donner. Vous avez raison d'intervenir.
Le sénateur St. Germain: Merci.
Le président: Je remercie M. Ebbels et M. O'Rourke. Nous avons beaucoup apprécié votre venue et votre intervention en faveur de l'une des parties à l'accord.
Nous allons maintenant entendre Mercy Thomas, qui va témoigner à titre personnel.
Mme Mercy Thomas: Honorables sénateurs, mesdames et messieurs, permettez-moi de me présenter. Je m'appelle Mercy Thomas, mais on m'appelle également Nisibilada, matriarche de la wilp des Nee'is'lis'e'yans. Wilp veut dire «maison» dans la langue des Nisga'as. La wilp des Nee'is'lis'e'yans fait partie du clan du loup des Git Gingolx et des Nisga'as. Mon blason représente le loup hurlant. Je suis mariée et j'ai quatre fils, une fille, seize petits-enfants, quatre arrières-petits-enfants plus ceux qui viendront s'y ajouter.
J'ai commencé à travailler à l'âge de 10 ans. Aujourd'hui, je suis travailleuse culturelle autochtone au sein du district scolaire de Surrey. Mon travail consiste à apporter une connaissance des autres cultures et à établir des passerelles entre ces autres cultures et la culture autochtone. J'ai maintenant 65 ans et je vais, en juin, prendre ma retraite. Je tiens également à préciser que je suis une des survivantes des écoles résidentielles.
Dans la famille de ma défunte mère, nous étions huit frères et soeurs. Deux de mes soeurs sont encore en vie. Notre wilp compte environ 600 personnes. Je viens de Kincolith, auquel on ne peut accéder que par avion ou par bateau. Kincolith fait partie des autres villages nisga'as de Greenville, Canyon City et Aiyansh. Il fait partie de la haute Nass.
Nous avons un mode de vie qui nous est particulier. Selon la Loi sur les Indiens, je suis membre de la bande de Kincolith. Je suis citoyenne du Canada.
Honorables sénateurs, je suis, en tant que matriarche, directement responsable de la population de ma wilp et de nos territoires. Chaque wilp exerce, sous la conduite des chefs et des matriarches, un contrôle exclusif sur certains territoires fermés aux autres clans. Ce sont de ces terres que les membres de la wilp tiennent le droit de pourvoir à leur subsistance, notamment par la chasse, la pêche et la récolte. C'est comme cela que nous vivons à Kincolith.
Je précise que les habitants de Canyon City, d'Aiyansh et de Greenville n'ont pas le droit de vivre de ces Ango'askws, c'est-à-dire de nos terres ancestrales de Observatory Inlet, Anyox, Sandy Beach, Alice Arm, Portland Inlet et Stewart sur la frontière avec l'Alaska. Les habitants de la haute Nass ont leurs propres Ango'askws qui sont fermés à la population de Kincolith qui n'a, à leur égard, aucun droit.
Les négociateurs ont eu beau jeu de parvenir à un arrangement bradant les terres de Kincolith pour obtenir la signature de ces traités, car la plupart d'entre eux ne sont pas de Kincolith. Honorables sénateurs, je remarque qu'aucune représentant de Kincolith ne se trouve parmi les Nisga'as qui sont ici aujourd'hui.
La wilp et ses Ango'askws, c'est-à-dire ses territoires, sont étroitement imbriqués. L'histoire, la fondation et l'avenir d'une wilp, tout dépend de ses terres. Sans terre, il n'y a pas de wilp ou de droit aux noms ancestraux, aux chants, aux récits, aux danses traditionnelles ou à l'histoire du peuple. L'Accord définitif nisga'a porte une atteinte profonde et durable à notre mode de vie, car il exclut les terres liées à ma wilp ancestrale et aux autres wilps de Kincolith. De plus, les populations de Kincolith ne disposeront d'aucun territoire pouvant servir de base à leur développement et ouvrant la voie à l'autoconsommation.
Honorables sénateurs, vers la fin des années 1800 et le début des années 1900, mon père et son beau-frère accompagnèrent à Aiyansh, à Canyon City et à Greenville, les arpenteurs-géomètres du gouvernement venus pour effectuer le relevé de leurs terres, mais ceux-ci les chassèrent sous la menace des armes à feu. Selon mon père, ils n'ont dressé le relevé que des terres de Kincolith. Ces relevés sont enregistrés au ministère des Affaires indiennes ainsi qu'au Bureau d'enregistrement foncier d'Ottawa.
Tous les propriétaires terriens de Kincolith ont un certificat de possession, c'est-à-dire un document juridique attestant leurs droits de propriété. Ce sont pourtant les terres de Kincolith qui ont été instrumentalisées par les négociateurs afin d'aboutir à ce traité.
La haute Nass verra son territoire s'accroître alors que les terres de Kincolith, elles, ont été amoindries. Nous disparaissons presque de la carte issue des négociations. Ce traité est-il juste, est-il équitable? Pour nous, il est bien loin de l'être. Nous, peuple de Kincolith, nous avons trop à perdre et les nouvelles dispositions me semblent inacceptables.
Selon la Loi sur les Indiens, les conseils de bande élus doivent assembler tous les membres de la bande et les informer à chaque fois qu'une parcelle de leur territoire doit être vendue, donnée à bail, cédée ou donnée. Il faut qu'il y ait référendum ou plébiscite. Toute cession d'une parcelle de nos territoires est subordonnée au vote majoritaire de l'ensemble des membres. Or, les choses ne se sont pas passées ainsi en l'occurrence. Les chefs et les matriarches de Kincolith n'ont pas apposé leur signature sur les documents de cession. Nous perdons nos Ango'askws et nos terres. Nous serons nous-mêmes perdus.
Honorables sénateurs, selon l'Accord, la plupart des services qui nous étaient auparavant fournis par le Canada et la Colombie-Britannique nous parviendront par l'intermédiaire du Conseil tribal nisga'a, le futur lisims de gouvernement.
Si, donc, nous voulons pouvoir bénéficier de ces services essentiels, nous devrons nous soumettre à l'autorité du futur lisims de gouvernement du Conseil tribal nisga'a, et avaliser, par conséquent, la perte de nos territoires et la destruction de nos wilps, de notre mode de vie et d'acquiescer, en définitive, à l'anéantissement de notre peuple à Kincolith.
Honorables sénateurs, je sais que la Charte des droits et libertés est là pour protéger, nous, citoyens du Canada. Je m'inquiète, cependant, des injustices que ce nouveau traité rend possibles. Je m'inquiète du fait que les autochtones non nisga'as qui épousent des Nisga'as ne seront pas protégés. Ma belle-fille, par exemple, une autochtone mariée à mon fils depuis plus de 25 ans, a pris part au scrutin de ratification du traité. Son bulletin de vote a été mis dans une enveloppe sur laquelle on a inscrit son nom alors que le vote était censé être secret. Sept mois plus tard, elle a reçu une lettre du comité de l'ayuuk, c'est-à-dire de l'autorité judiciaire des Nisga'as, l'informant qu'elle n'avait pas le droit de participer à ce vote car elle n'avait pas été adoptée par une tribu ou par une wilp. Mon mari, citoyen canadien d'ascendance galloise, a été, conformément aux dispositions de la loi nisga'a, adopté par la wilp de l'aigle, mais on lui a pourtant refusé le droit de participer au scrutin de ratification du traité au motif que ce n'est pas un autochtone nisga'a.
Je ne vous cite que ces deux exemples-là, mais la conclusion de ce traité a donné lieu à beaucoup d'injustices de ce genre. Les Nisga'as affirment qu'ils appliquent la loi nisga'a et, pourtant, ils ne reconnaissent pas ce qui est à la base même de cette loi, c'est-à-dire les décisions des wilps et des chefs.
J'estime que ce traité est le fruit d'une dictature. Ceux qui ont, à cet égard, des motifs d'inquiétude sont laissés pour compte. Rien n'est prévu pour faire des futurs lisims de gouvernement des administrations crédibles appliquant des procédures régulières et respectant les droits à l'égalité.
Je ne suis d'ailleurs pas la seule à m'en inquiéter. Nombreux sont ceux et celles qui, comme moi, n'ont aucun accès aux subventions fédérales et provinciales que les négociateurs de ce traité ont reçues. Comme nous ne pouvons donc pas nous faire entendre, cela donne l'impression que nous sommes tous d'accord pour signer ce traité, ce qui n'est absolument pas le cas. Nos préoccupations n'ont pas été intégrées au processus. Nous sommes les plus démunies des personnes démunies. Comme toujours, nos préoccupations sont passées sous silence.
Je voudrais maintenant m'écarter de mon texte et dire que je représente également Frank Barton, qui n'a pas pu être présent aujourd'hui car il n'avait pas l'argent nécessaire pour m'accompagner. Il m'a, cependant, donné cette lettre pour confirmer que je le représente effectivement.
Notre peuple des Nisga'as est une société matrilinéaire, mais il est clair que les négociateurs n'ont accueilli au sein de l'équipe de négociation aucune femme, ce qui est tout à fait contraire aux lois de nos wilps et contraire, aussi, à la Charte canadienne des droits. Les préoccupations dont je fais état ne sont pas seulement les miennes ou celles de ma wilp ou, encore, celles des autres femmes nisga'as, mais celles, aussi, d'autres femmes des Premières nations qui risquent de subir les conséquences de ce genre de dispositions dans d'autres traités. Je m'inquiète de la perte de l'égalité fondamentale entre les sexes et des autres droits garantis par la Charte canadienne des droits, par la Constitution et aussi par la common law.
Mon mari, maintenant décédé, était le juge Anthony Robinson, un des demandeurs dans l'affaire Calder. À l'époque, nous étions tous les deux décidés de ne jamais renoncer à nos territoires et aux Ango'askws de Kincolith pour obtenir la signature de ce genre de traité.
Le préjudice éventuel, qui va jusqu'à l'anéantissement de ma wilp, me porte à demander que ce traité soit d'abord soumis au contrôle des tribunaux avant d'être mis en vigueur. Avant que n'intervienne une décision définitive, il faut que les tribunaux se prononcent sur le cas des personnes qui estiment que leurs droits territoriaux ont été violés. C'est une question de justice et d'équité.
Il y a tellement de lacunes et de vices à relever et à corriger avant que ce traité reçoive la sanction royale. Je sollicite du Sénat une décision équitable et juste. Voilà l'objet de la demande que je formule en mon nom propre et au nom de la wilp que je représente.
Je tiens à exprimer ma reconnaissance au comité et à le remercier de m'avoir donné le temps d'exposer mes préoccupations et celles de la wilp Git Gingolx, et aussi d'exposer la situation de toutes les personnes qui ont été exclues de ce processus historique.
Le président: Je vous remercie beaucoup de votre témoignage.
Le sénateur St. Germain: Voulez-vous que la lettre de M. Barton soit versée au procès-verbal?
Mme Thomas: Si vous le voulez bien.
Le président: Sommes-nous d'accord sur ce point?
Des voix: D'accord.
Le sénateur St. Germain: Combien de personnes y a-t-il dans votre wilp?
Mme Thomas: Notre wilp est en augmentation constante.
Le sénateur St. Germain: Oui, j'ai pu le constater.
Mme Thomas: À l'heure actuelle, je dirais qu'il y a à peu près 600 personnes, rien que sous ce toit.
Le sénateur St. Germain: Avez-vous engagé une action devant les tribunaux pour demander réparation? Vous êtes-vous pourvue en justice?
Mme Thomas: Oui, et je dépose ici à l'intention du Sénat notre déclaration.
Le sénateur St. Germain: Vous avez raison au sujet des femmes. Je n'en ai pas vu beaucoup.
Mme Thomas: Il n'y en a aucune.
Le sénateur Grafstein: Je vois beaucoup de femmes ici.
Le sénateur St. Germain: Je veux dire avec les Nisga'as. La délégation qui représente Kincolith en compte-t-il une?
Mme Thomas: Les chefs et les conseillers de chaque bande portent, me semble-t-il, deux casquettes et cela constitue pour moi un conflit d'intérêts. Je croyais que l'un d'entre eux serait ici aujourd'hui, mais je ne le vois pas. Je ne sais pas pourquoi. Le groupe de négociateurs ne comprend aucune femme.
Le sénateur St. Germain: Vous demandiez comment assurer que ce nouveau gouvernement pourra être tenu pour responsable de son action. C'est une question que beaucoup d'entre nous nous sommes posées et que j'ai évoquée au Sénat dans mon discours initial. On a souvent dit qu'il s'agit un peu d'un système municipal et que les subventions iront quand même à la population. Or, dans un régime municipal, puisque la municipalité est instituée par la province, celle-ci peut, si la municipalité ne respecte pas certaines normes, lui refuser des subventions publiques et même révoquer la loi qui l'a instituée. En l'espèce, par contre, il y a création d'une entité qui ne pourra pas être modifiée, si ce n'est avec l'accord des trois parties. Les clauses de l'accord sont presque gravées dans le marbre. Nous n'avons, je le répète, aucune raison de nous méfier des personnes en question, qui sont parfaitement estimables, mais c'est ce qui pourrait se passer à l'avenir qui suscite les interrogations.
Craignez-vous, notamment, que les responsables ne rendent pas compte de leur action devant les membres de la nation nisga'a, et que les personnes qui, comme vous, habitent les zones plus éloignées auront encore plus à souffrir de cet état de choses puisqu'elles ne seront pas, à proprement parler, représentées lors des lisims de gouvernement?
Mme Thomas: J'allais justement le dire.
Le sénateur Andreychuk: Combien de wilps y a-t-il dans la région de Kincolith?
Mme Thomas: Il y a quatre clans, chaque clan pouvant comporter deux, trois ou quatre wilps.
Le sénateur Andreychuk: Partagent-ils tous votre sentiment? En avez-vous discuté avec eux?
Mme Thomas: La majorité d'entre eux sont de notre avis mais ils n'osent pas s'exprimer. Ils ne sont pas comme moi.
Le sénateur Andreychuk: Sans doute ne devrais-je pas avoir à vous poser la question, mais est-ce l'intégralité des terres de Kincolith qui relèveront du traité nisga'a ou certains de vos territoires resteront-ils en dehors du traité?
Mme Thomas: Les habitants de Kincolith n'auront droit qu'aux terres qu'ils habitent actuellement. Cela ne leur donne aucune possibilité de développement. Avant la conclusion de ce traité, il y avait 42 réserves. Sauf erreur de ma part, la région de la haute Nass va maintenant avoir 23 réserves de plus qu'avant et le Kincolith 19 terres en fief simple, c'est-à-dire des terres qui pourront être vendues comme n'importe quel autre bien. Si, donc, nous nous trouvons à court d'argent, ces terres pourront être vendues et il ne subsistera plus rien des terres de Kincolith.
Le sénateur Andreychuk: Est-ce dire que vos terres ne font pas partie des terres nisga'a et qu'elles relèvent toutes du régime du fief simple?
Mme Thomas: Nous ne possédons rien dans la zone centrale. Toutes les autres terres relèvent du régime du fief simple.
Le sénateur Andreychuk: Si nous examinions sur le cas de toutes les bandes indiennes de Kincolith, verrions-nous que tous leurs territoires relèvent du régime du fief simple?
Mme Thomas: Oui.
Le sénateur Andreychuk: Donc, pour être parfaitement clair, aucun de ces territoires ne reste en dehors de l'accord nisga'a? C'est-à-dire que, sur le plan géographique, il ne reste plus rien à négocier ou à contester?
Mme Thomas: Une fois signé le traité, il ne reste plus rien à négocier.
Le sénateur Andreychuk: Le traité englobe donc tout?
Mme Thomas: C'est exact.
Le sénateur Andreychuk: Savez-vous, dans votre wilp, combien de personnes ont voté?
Mme Thomas: C'est une des irrégularités que je tiens à signaler. D'après les registres, nous somme 6 000 Nisga'as et 5 000 électeurs. Deux mille trois cent quatre-vingt-quinze personnes étaient enregistrées dans le cadre du scrutin. Je crois savoir que, sur ce nombre, 2 605 personnes ont voté. On nous avait dit, précédemment, que ceux qui ne voteraient pas verraient leur voix compter au nombre des «non», mais ce n'est pas comme cela que les choses se sont passées. À l'heure actuelle, de nombreux membres de Kincolith ne sont pas au village, mais sont ailleurs, soit pour leur travail soit pour leurs études. Ceux de nos membres qui étaient à Kamloops, à Prince George ou sur l'île de Vancouver n'ont reçu aucun renseignement concernant le vote. Leur voix n'a donc pas compté. Certains d'entre eux viennent de Kincolith. Je crois d'ailleurs que c'est le cas pour la plupart d'entre eux.
Le sénateur Andreychuk: Savez-vous s'il y en a, parmi les gens de Kincolith, à qui ont ait demandé de participer à l'élaboration des nouvelles structures gouvernementales des Nisga'as et à faire partie des groupes constitués à cet effet?
Mme Thomas: Nous habitons assez loin de Aiyansh où se trouvera l'hôtel du gouvernement. Nous habitons juste à l'embouchure de la rivière Nass. C'est pour cela que je disais que nous sommes indéniablement différents. Nous sommes un peuple de marins et nous nous nourrissons des fruits de mer que l'on trouve dans la haute Nass. Les pêcheurs doivent aller loin et j'imagine que c'est pour cela qu'il n'y a personne ici de Kincolith.
Je crois pouvoir dire, en réponse à votre question, que certains font partie de ces institutions, mais il est extrêmement difficile de participer à leurs activités car les seules liaisons possibles avec Kincolith sont par avion ou par bateau.
Le sénateur Andreychuk: Et enfin, avez-vous, à un moment donné, pris contact avec le gouvernement fédéral ou avec le gouvernement de la Colombie-Britannique pour protester contre la procédure retenue et contre le processus même?
Mme Thomas: Oui.
Le sénateur Andreychuk: Quelle a été la réaction à votre démarche?
Mme Thomas: Avant la conclusion de l'accord, nous avons pris contact avec le gouvernement provincial. Suite à notre prise de contact, les autorités provinciales accélérèrent la conclusion de l'accord. Nous avons alors envoyé des lettres aux ministres fédéraux, à leurs bureaux dans les édifices parlementaires. Chaque personne contactée nous renvoyait à quelqu'un d'autre. Nous n'avons pas les moyens qu'ont beaucoup d'autres Nisga'as. Nous n'avons obtenu du gouvernement fédéral ou du gouvernement provincial aucun prêt nous donnant les moyens d'effectuer des déplacements. C'est pour cela que nous n'avons pas été entendus.
Le sénateur Grafstein: Vous avez dit avoir protesté contre l'Accord. Avez-vous adressé vos protestations au gouvernement provincial?
Mme Thomas: Nous lui avons écrit. J'ai d'ailleurs une copie de toutes les lettres que nous leur avons adressées, au ministre des Affaires autochtones notamment. Nous avons tout fait pour être entendus -- non seulement par le gouvernement provincial mais également par les Nisga'as. Nous avons essayé de leur faire comprendre que nous ne voulions pas perdre nos terres, mais je suis persuadé maintenant que les gens de Kincolith se verront toujours mis en minorité. Nous avons des copies des lettres qui démontrent que nous leur avons effectivement écrit.
Le sénateur Grafstein: Vous avez protesté auprès du gouvernement provincial et on ne vous a pas répondu?
Mme Thomas: Oui, Frank Barton a reçu une réponse de la part d'Ujjal Dosanjh alors qu'il était procureur général. Il disait, dans sa lettre, que si M. Barton estimait qu'il y avait eu des négligences criminelles, il devrait s'adresser à la GRC. M. Barton a porté l'affaire devant la GRC, à Prince Rupert, et les choses en sont restées là.
Le sénateur Grafstein: Et qu'en est-il de la procédure électorale?
Mme Thomas: Oui, nous nous sommes également insurgés contre cette procédure.
Le sénateur Grafstein: Comment vous y êtes-vous pris pour protester auprès du gouvernement fédéral?
Mme Thomas: Nous lui avons écrit. Nous ne pouvions pas nous déplacer car nous n'en avions pas les moyens.
Le sénateur Grafstein: Je comprends bien. Et à quel ministre vous êtes-vous adressés?
Mme Thomas: Nous nous sommes adressés à plusieurs ministres, oui.
Le sénateur Grafstein: Et aucun d'eux ne vous a répondu?
Mme Thomas: On nous répondait très sèchement. On nous renvoyait à un autre ministère. Frank Barton a gardé tout ce courrier mais il n'a malheureusement pas pu venir.
Le sénateur Grafstein: Est-ce la première fois que vous engagez une action en justice à l'égard de cette situation?
Mme Thomas: Oui, en ce qui me concerne. Frank Barton et d'autres ont attaqué le Conseil tribal nisga'a devant les tribunaux de Kamloops.
Le sénateur Grafstein: Que s'est-il passé?
Mme Thomas: Le juge a estimé que le Conseil tribal nisga'a avait déjà dépensé des sommes importantes et que le tribunal n'y pouvait rien. Frank Barton et les autres ne sont pas parvenus à démontrer l'existence d'irrégularités. Peu de temps après, James Robinson et Frank Barton ont reçu du Conseil tribal nisga'a des lettres leur demandant d'organiser un banquet, de se déshabiller publiquement et de se baigner. C'était leur manière d'humilier ceux qui les avaient fait comparaître en justice.
Le sénateur Grafstein: Aidez-moi à bien comprendre quels sont vos droits actuels et quels sont les changements qui doivent y être apportés. Vous êtes Nisga'a?
Mme Thomas: Oui.
Le sénateur Grafstein: Les 600 personnes appartenant aux quatre clans de Kincolith sont toutes Nisga'as?
Mme Thomas: Oui, mais nous sommes d'abord des Git Kincoliths. Nous venons de Kincolith.
Le sénateur Grafstein: Aurez-vous le droit de vote selon les nouvelles dispositions relatives aux structures gouvernementales?
Mme Thomas: Nous pourrons voter. Ce qui semble dérisoire dans tout cela, cependant, c'est qu'il y a trois autres villages dans la région de la haute Nass et que nous serons toujours mis en minorité. Nous n'avons aucun moyen d'action. On nous considère une fois pour toutes comme des dissidents.
Le sénateur Grafstein: Si j'ai bien compris, vous avez le droit de voter, mais vous prétendez que vous serez toujours mis en minorité à cause de la zone où vous habitez ou des différences de point de vue sur un certain nombre de questions.
Mme Thomas: Non, c'est une question de nombre. Les trois villages de la haute Nass mettront toujours Kincolith en minorité, et nous n'y pourrons rien.
Le sénateur Grafstein: Vous auriez le droit, si vous pouviez convaincre d'autres parmi vous de participer aux nouvelles institutions, de faire partie du gouvernement?
Mme Thomas: Si le vote était libre, cela serait possible, mais ce n'est pas le cas. Chaque réserve choisit son chef et son conseil et ce sont eux qui deviennent automatiquement membres du Conseil tribal nisga'a.
Le sénateur Grafstein: Ce sont des scrutins de liste, système qui existe dans certains endroits.
Je remercie notre témoin.
Le sénateur Sparrow: Ce que vous nous dites montre bien qu'il vous a fallu beaucoup de courage pour venir ici devant le comité. Vous nous avez dit que parmi les 600 personnes que compte votre village, beaucoup auraient indiqué qu'on a tenté de les intimider -- ce n'est pas le mot que vous avez vous-mêmes utilisé -- lorsqu'elles ont tenté de s'opposer au processus en cours. Pourriez-vous nous expliquer les conséquences que vous pourriez subir ou que vous et vos concitoyens pourraient craindre?
Mme Thomas: Pour être franche, honorables sénateurs, il m'a fallu beaucoup de courage pour défendre les droits de ceux qui ont été exclus complètement du processus, et surtout pour les gens de Kincolith. Ils se sentent intimidés. Nous avions eu une réunion à Kincolith et nous avions décidé de nous retirer du processus de négociation de ce traité. Nous avions adopté une résolution aux termes de laquelle nous devions nous retirer car nous allions trop y perdre. Nous nous sommes réunis en tant que citoyens de Kincolith. Le Conseil tribal nisga'a s'est alors rendu à Kincolith et je ne suis pas bien certaine de ce qui s'est passé mais je crois savoir que le Conseil, en raison des pressions exercées par le Conseil tribal nisga'a, a annulé la résolution. Or, cette résolution avait été avancée par les citoyens de Kincolith, non pas par le conseil. Celui-ci n'avait donc aucun droit de retirer une résolution qui avait été décidée par les citoyens eux-mêmes. La question n'a jamais été renvoyée aux citoyens depuis. Nous voudrions en être à nouveau saisis.
Le sénateur Sparrow: Comment résoudre le problème dont vous faites état? S'agirait-il de renoncer à l'accord sous sa forme actuelle? Quels changements voudriez-vous voir apporter à cet accord? Préféreriez-vous qu'on en revienne à la situation antérieure? Si l'actuelle situation devait demeurer inchangée, quel serait, d'après vous, l'avenir de votre peuple?
Mme Thomas: Je ne veux pas que soit maintenu le statu quo. Je voudrais que des changements interviennent. Comme je le disais plus tôt, nous avons pris part à la première action en justice, mais ce n'était pas pour renoncer à nos terres, principalement à nos terres de Kincolith. J'aimerais que tout le processus soit reporté. Nous n'avons d'autre solution que d'aller en justice. Les choses sont allées trop loin pour que nous ayons une autre solution.
Ainsi que je le disais un peu plus tôt, nous sommes pauvres parmi les pauvres. Ce serait un miracle si cela pouvait changer. Je comprends bien que ma venue ici aujourd'hui ne vous donne pas nécessairement le moyen de faire quelque chose. Je ne nous vois pas, par contre, continuer à relever du ministère des Affaires indiennes, car sous son régime on nous a réprimés.
La seule solution qui nous reste est d'en saisir les tribunaux.
Le sénateur Sparrow: Vous proposez le report des dispositions en question. Quelle en serait l'utilité? Quel serait l'intérêt, pour vos 600 concitoyens, d'une action en justice?
Mme Thomas: J'espère que les honorables sénateurs se pencheront davantage sur la question car notre point de vue n'a pas été pris en compte. Ceux qui sont en désaccord avec la manière dont les choses se passent doivent pouvoir être entendus. Un report des mesures décidées nous permettrait de mettre en évidence toute une série de divergences. Une action en justice permettrait de trancher la question de nos droits. Je connais mes droits et je suis citoyenne du Canada. Mais, vu la situation telle qu'elle se présente, la seule solution qui nous est ouverte est celle de l'action en justice. J'espère qu'on entendra nos préoccupations et qu'on définira les droits que nous avons au regard de ce traité.
Le sénateur Sparrow: Y compris sur la question des terres?
Mme Thomas: Oui, tout à fait.
Le sénateur St. Germain: Lorsque le Conseil tribal nisga'a s'est rendu à Kincolith, étiez-vous présente lorsque fut retirée la résolution de non-adhésion à l'accord?
Mme Thomas: Lorsque la résolution a été lue aux citoyens de Kincolith et au Conseil tribal nisga'a, deux chefs se sont levés en déclarant «s'il y en a, entre vous, qui pensent comme je le pense moi-même, que nous allons perdre une trop grande partie de nos terres, je vous demande de sortir avec moi». La majorité des gens de Kincolith sont sortis. Les seuls qui sont resté, ceux qui se trouvaient en situation de conflit d'intérêts, étaient des membres du conseil exécutif général. Ils ont décidé par un vote de se constituer en conseil du village formant partie du Conseil tribal nisga'a. Les seuls qui restaient étaient le chef et les membres du conseil, tous élus. Tous les autres étant déjà partis.
Le sénateur St. Germain: Combien y en avait-il à peu près?
Mme Thomas: Ils ont été assez nombreux à sortir. C'est alors que de nombreux individus se sont rendus dans les salles du fond pour exercer des pressions sur les conseillers. Ceux-ci nous ont dit plus tard qu'on les avait conduits dans les salles du fond et qu'on leur avait dit de retirer la résolution.
Le sénateur St. Germain: Merci, monsieur le président. Voilà un excellent témoignage.
Le président: Si j'ai bien compris, vous assistiez-vous même à la réunion où le chef Robinson s'est levé et a demandé aux membres de sortir avec lui?
Mme Thompson: Oui. Je suis sortie avec lui.
Le président: Je vous remercie de votre témoignage. Il nous est très utile.
Mme Thomas: Je regrette de ne pas pouvoir chanter avec mon tambour car j'avais un chant que je voulais vous faire entendre.
Le président: Non, non. Les règles interdisent les pancartes, drapeaux ou manifestations. Nous ne pouvons recueillir que les témoignages et je ne voudrais pas aller à l'encontre de notre règlement.
Le sénateur Sparrow: Si le chant n'est pas trop long, nous pourrions tout de même l'écouter.
Le sénateur St. Germain: Cela nous est déjà arrivé.
Le sénateur Andreychuk: Dans ses déplacements pour procéder à certaines auditions, le comité a toujours admis un certain élément cérémonial.
Le président: Par notre pratique, nous avons la faculté de modifier nos règles.
Le sénateur St. Germain: Allez-y, si vous voulez chanter.
Le sénateur Sibbeston: Oui, offrez-nous un chant.
Le sénateur Andreychuk: M. Monahan va-t-il nous faire un exposé?
Le président: Si Mme Thomas veut bien nous excuser un instant. M. Monahan préfère ne pas prendre la parole. Il voudrait que nous considérions que son exposé devant la Chambre des communes comme ayant été lu en l'occurrence. Lui et le juge Estey ont été collègues au sein du même cabinet d'avocats et il estime pour cela ne pas devoir prendre la parole.
Le sénateur Andreychuk: Autrement dit, il se retire. Vous m'en avez cité le motif; ils travaillaient dans le même cabinet. Il semble donc qu'il s'en remet à M. Estey.
Le président: Non, il ne s'en remet pas aux arguments du juge Estey.
Le sénateur Andreychuk: Je ne suis moi-même pas en mesure de le savoir étant donné qu'il n'est pas ici pour me le dire.
Le président: Je vous assure qu'il m'a dit vouloir que nous considérions son exposé à la Chambre des communes comme témoignage devant le comité.
Le sénateur Andreychuk: Est-ce comme cela que nous allons procéder?
Le président: Oui, bien sûr. J'avais l'intention d'évoquer la question à la fin de nos auditions, plutôt que d'engager un débat procédural dès maintenant. J'essaye de tenir compte des besoins des témoins. Il faut bien tenir compte des emplois du temps et des horaires des compagnies aériennes.
Le sénateur Andreychuk: Il n'y aura pas de contre- interrogatoire.
Le président: Accordez à ce témoignage le crédit qu'il vous semble mériter car il n'y aura, effectivement, pas de contre-interrogatoire.
Madame Thompson, je vous prie de bien vouloir continuer.
Mme Thompson: Merci. Ce chant a été composé après qu'ils eurent conclu l'accord de principe. Il va exactement dans le sens de ce que j'ai dit aujourd'hui, c'est-à-dire que nous allons perdre nos terres ancestrales. Je pense à mon arrière-grand-père et à mon arrière-grand-mère, aux territoires de chasse de mes oncles, aux récits de ma mère.
Nos négociateurs ont été grassement rémunérés mais maintenant, nous allons perdre nos terres. Que va-t-il arriver à nos enfants? Nos arrière-petits-enfants n'auront plus rien. Nous avons, dans la langue nisga'a, le mot ayuu'waa, un terme de détresse. Lorsqu'un accident se produit, nous disons ayuu'waa. Lorsque quelque chose va mal, nous disons ayuu'waa. Voici mon chant, qui s'appelle Ayuu'waa.
[Le témoin exécute un chant dans sa langue]
Le président: Nos prochains témoins représentent le Conseil tribal nisga'a. Ils reviennent devant le comité pour présenter un exposé complémentaire et pour répondre aux questions que peuvent vous inspirer les témoignages d'autres intervenants.
M. Joseph Gosnell père, président, Conseil tribal nisga'a: Monsieur le président, nous n'entendons pas donner lecture officielle de notre mémoire car nous savons que le temps nous est compté et que, de toute manière, nous avons exposé notre point de vue et nos idées dans le cadre d'autres interventions devant ce comité.
Je voudrais, si vous le voulez bien, procéder à rebours et commencer par ce qui a été dit en dernier. On m'a transmis un mot qui me demandait «Si vous vivez dans une société matriarcale, comment expliquer qu'on ne voit pas de femmes au sein de votre comité?» Je voudrais répondre aussi brièvement que possible à la question ainsi posée.
Au fil des ans, des femmes ont effectivement siégé au sein de nos conseils de bande au gré des résultats des élections. Elles peuvent être élues et perdre leur mandat comme les députés à la Chambre des communes, les membres des gouvernements fédéral et provinciaux ou les membres de toute autre assemblée. Tout cela dépend de la volonté des électeurs. Nous ne procédons pas, en effet, par nomination. Cela dit, des femmes sont de temps à autre élues à nos conseils de bande.
La commission sanitaire de la vallée nisga'a est majoritairement administrée par des femmes nisga'as et je me félicite de la place qu'elles occupent dans nos organismes. Au sein du district scolaire 92, les femmes sont majoritaires, non seulement parmi les enseignants mais également parmi les personnels administratifs. Au sein de nos conseils de bande, et il y en a quatre dans la région de la rivière Nass, la majorité des personnels administratifs sont des femmes.
Le vote de ratification du traité constitue un des éléments les plus importants dans l'histoire de la nation nisga'a. Nous avons constitué un comité distinct pour superviser le travail très important que cela exigeait. Ce comité a été constitué non pas par le Conseil tribal nisga'a mais à partir d'une liste de noms avancés par chacune de nos quatre communautés et par les trois zones d'habitation périphérique. Je constate avec plaisir que les femmes sont majoritaires au sein de ce comité. C'est une femme commissaire qui a été chargée de veiller à l'ensemble du processus. Elle était elle-même secondée par une coprésidente. Je me félicite du rôle que les femmes nisga'a occupent au sein de notre société.
Ce que Mme Thomas a dit est exact. Frank Barton a pris contact avec la GRC et a affirmé qu'il y avait eu des fraudes au sein du Conseil tribal nisga'a. Des membres du détachement de la GRC à Prince Rupert ont examiné les documents qui leur étaient soumis et n'ont relevé aucune irrégularité. Nous avons d'ailleurs reçu une lettre en ce sens. La GRC n'a donc pas retenu les allégations avancées par M. Barton. Nous pouvons, si vous le voulez, vous faire parvenir une copie de cette lettre.
Cela dit, je dois corriger Mme Thomas à l'égard de ce qui est un des principaux devoirs dans notre culture. Lorsqu'un tort a été fait à quelqu'un, le responsable doit s'en excuser. Mais cela, ça ne dépend aucunement de nous. Cela ne relève pas du comité exécutif du Conseil tribal nisga'a. Nous avons, en effet, un comité chargé d'interpréter et d'appliquer les lois de notre peuple. Les membres de ce comité ont expliqué à M. Robinson comment ils percevaient ce qui s'était produit, et ce que lui imposaient les lois de notre nation. Il n'a aucunement été obligé de se déshabiller en public, de s'humilier. Des excuses auraient suffi. J'estime qu'il y a eu, dans ce qui a été dit devant le comité, certaines exagérations.
Monsieur le président, mes collègues compléterons mes propos si je néglige tel ou tel aspect de la question. Nous avons, à de nombreuses reprise, exposé, non seulement ici devant le comité permanent mais également devant des comités de la province de la Colombie-Britannique, les points de vue et les observations de la nation nisga'a. Nous avons fait valoir devant vous nos arguments et nous n'allons par reprendre ici a teneur des documents que nous vous avons fait parvenir. Vous aurez tout loisir pour les lire ou les relire.
Le 22 mars 1996 est le jour où nous avons signé, à Vancouver, l'accord de principe. Hier était le quatrième anniversaire de cet événement. Cela fait en effet quatre ans que nous avons, à Vancouver, signé ce document historique. Au cours de ces quatre années, et aujourd'hui encore, nous avons recueilli les points de vue de personnes de tous les horizons. Nous en avons entendu plusieurs au cours des derniers jours, aussi bien des juges et des maires que de simples citoyens de toutes les régions du Canada. Mes collègues et moi-même passons à la télévision et à la radio. Nous donnons des entrevues. Nous prenons la parole dans les universités, collèges et écoles secondaires afin d'expliquer l'importance que ce traité revêt pour l'avenir de la nation nisga'a et pour nous sortir de l'ornière que nous a tracé l'action du ministère des Affaires indiennes depuis plus de 130 ans. Nous essayons de nous sortir de cette situation et nous estimons qu'à terme ce traité permettra à notre peuple de se sortir de là.
Peu de gens comprennent les compromis qui ont fait que nous pouvons, à ce stade avancé, venir devant le comité et vous demander de l'approuver -- je parle des compromis que nous avons faits pour en arriver là. Nous espérons que cette comparution devant votre comité sera l'ultime étape du processus. Vous aurez à décider, en fonction de ce que vous avez entendu et des éléments qui vont ont été fournis, si ce traité mérite ou non votre approbation. Une alternative se présente à vous. Vous pouvez approuver le traité et nous ouvrir ce qui est pour moi la voie d'un avenir meilleur, ou vous pouvez rejeter ce traité et nous continuerons à relever de la Loi sur les Indiens. Voilà le choix qui s'offre à vous. Notre avenir est entre vos mains. Vous déciderez en fonction de ce que vous avez entendu.
J'ai indiqué qu'il y avait eu un vote, et nous vous avons fourni les résultats de ce scrutin de ratification. La nation nisga'a a collectivement décidé d'accepter les clauses de ce traité et de la constitution nisga'a. Il est claire que, comme nous avons pu nous en apercevoir cette après-midi, il y en a qui ont des opinions très fortes sur la question, et qui les expriment comme bon leur semble. Mais, en définitive, honorables sénateurs, la volonté de la majorité doit être respectée. Je dis bien la volonté de la majorité et non pas la volonté de quelques-uns.
Nous n'avons forcé personne. Nous n'avons pas fait d'efforts pour solliciter des votes. Nous avons dit très clairement: Vous prendrez cette décision vous-mêmes en vous fondant sur ce que ce traité nous apportera, selon vous. C'est ce que les citoyens nisga'as ont fait, et la majorité de notre nation a accepté le contenu du traité nisga'a, ainsi que la constitution nisga'a. Chose certaine, comme nous l'avons entendu cet après-midi, il s'agit de personnes qui ont des opinions très tranchées et qui expriment ces options et commentaires sous des formes diverses. Cependant, à l'issue de cet exercice, honorables sénateurs, la volonté de la majorité des citoyens de notre nation doit être respectée -- la volonté de la majorité, et non celle d'une poignée de personnes.
Je pense que si le résultat du scrutin avait été différent, si le traité avait été rejeté, on aurait demandé à nos négociateurs d'adopter une démarche différente. Les choses ne se sont pas produites ainsi. On nous a demandé de poursuivre dans cette voie et de finaliser le traité, et c'est ce que nous avons fait.
Lors du scrutin, des représentants fédéraux et provinciaux ont veillé à la régularité des opérations. Il n'y a pas eu de sournoiseries. Comment aurait-il d'ailleurs pu y en avoir? Le scrutin était supervisé par des représentants du gouvernement du Canada et du gouvernement de la Colombie-Britannique.
Passons maintenant à la question des droits de la minorité. On a beaucoup parlé des droits de la minorité, c'est-à-dire d'un certain nombre de personnes qui continueront néanmoins continuer à travailler au sein de nos communautés après la date d'entrée en vigueur. Lors de la dernière séance du comité, j'ai écouté ce que disait le sénateur Grafstein. Selon lui, il n'y avait pas lieu de craindre que la minorité l'emporte jamais sur la majorité. Cela permettait de poser la question des droits de la minorité.
Monsieur le président, je ne partage pas le point de vue du sénateur Grafstein. Les autochtones d'Amérique du Nord et d'Amérique du Sud sont instruits par l'histoire. Je crois savoir qu'il y a plusieurs siècles, c'est-à-dire il y a environ 500 ans, un groupe de soi-disant explorateurs, de soi-disant découvreurs de nos terres, arrivèrent par accident en Amérique du Nord et en Amérique du Sud et débarquèrent sur les rivages de notre grand pays. Je crois pouvoir dire que les peuples autochtones de l'époque partageaient le point de vue exprimé par l'honorable sénateur: jamais les nouveaux arrivants ne parviendront à l'emporter sur nous. Pourtant, nous voici en l'an 2000, 500 ans après la découverte de l'Amérique et nous avons été entièrement submergés. Est-il nécessaire de rappeler que, selon Statistique Canada, nous ne représentons que 2 p. 100 de la population. Nous avons été entièrement submergés sur notre propre territoire.
Honorables sénateurs, voilà la crainte que nous inspire une éventuelle reconnaissance pleine et entière des droits de la minorité à l'intérieur de nos territoires. Les peuples autochtones de l'Amérique du Nord et du Sud ont payé le prix fort pour ce qui apparaît aujourd'hui comme un progrès. Le coût pour nous a été très élevé.
Pourquoi, donc, ne pas faire un pas de plus, comme le demandait l'honorable sénateur? Pourquoi ne pas aller jusqu'au bout et accorder à tous ceux qui se trouvent sur nos territoires le droit de voter et de participer à notre gouvernement? Je viens d'exprimer un de mes points de vue sur cette question. Mais, à titre de comparaison, permettez-moi de demander aux personnes ici présentes si vous permettriez à des étrangers ou à des personnes que vous avez provisoirement accueillies chez vous, de décider de la répartition des biens de votre famille. Le feriez-vous en fait? Voilà comment le problème se pose à nous: il y a des gens qui viennent s'installer chez nous un an, voire deux ou trois ans, et puis qui repartent. Devons-nous leur reconnaître les droits en question? Je vous pose la même question: à notre place, le feriez-vous? Leur confieriez-vous les avoirs de la famille? Je ne le pense pas.
Honorables sénateurs, nous avons laissé sur ce point la décision au gouvernement qui pourra statuer, à l'avenir, après avoir examiné la situation, sur le cas de certains de nos citoyens qui ont épousé des non-Nisga'as; ils pourront alors voir si les non-Nisga'as se sont bien intégrés à notre société, s'ils ont respecté les lois de notre peuple et s'ils ont participé à notre vie culturelle. Le gouvernement aura la faculté d'accorder à l'avenir des droits à ces personnes. Je ne peux moi-même pas en décider. Ce n'est pas à moi qu'il appartient de le faire. Je vais maintenant aborder un autre sujet, tout en sachant qu'il peut y avoir d'autres questions sur ce point.
Je passe maintenant au problème des chevauchements. Les personnes des divers bords ont exprimé leurs points de vue à l'égard de la situation devant laquelle nous nous trouvons. Certains honorables sénateurs savent peut-être quelles étaient les exigences du gouvernement fédéral à l'égard de ces soi-disant chevauchements.
Monsieur le président, après avoir entendu certaines des observations qui ont été faites hier, nous rejetons catégoriquement l'accusation voulant que nous ayons essayé de tromper nos voisins, ou d'induire en erreur la Chambre des communes ou le Sénat, ou que nous ayons agi de mauvaise foi. Cette accusation, nous la rejetons avec la plus grande énergie.
Je tiens à répondre à une observation qui a été faite à l'égard de l'un des documents imprimés il y a plusieurs années sous le titre «Lock, Stock and Barrel». Mon frère James, maintenant décédé, avait participé à ce travail car ce titre provient d'un passage qu'il avait cité il y a déjà assez longtemps au cours du débat constitutionnel. Ce n'est pas le seul document que nous ayons. Dès le départ, avant même que commencent les négociations, le gouvernement du Canada a exigé que nous effectuions une étude sur l'utilisation et l'occupation des sols. Il nous a fallu prouver que nous étions effectivement propriétaires de ces terres. Or, cela, nous l'avons fait. Comme le démontrent tous les volumes de cette étude sur l'utilisation et l'occupation des sols, les territoires dont nous avons parlé nous appartiennent effectivement.
Il a été question ici des actions en justice qui pourraient éventuellement être intentées contre nous. Je tiens à préciser que nous aussi nous sommes parfaitement disposés à saisir les tribunaux sur le fondement des informations que nous avons réunies dans le cadre de l'étude sur l'utilisation et l'occupation des sols.
Glen Williams affirmait, hier, que leurs droits fonciers n'ont pas été confirmés par les tribunaux. Je suis tout à fait d'accord. Selon la jurisprudence Delgamuukw, tout groupe revendiquant un territoire, doit démontrer qu'il en a l'utilisation et l'occupation exclusives à l'exclusion des autres tribus. Il se peut qu'à l'avenir nous ayons à plaider un tel dossier et nous sommes prêts à le faire.
Des représentants du gouvernement fédéral et du gouvernement de la Colombie-Britannique étaient présents lorsque nous avons accepté de recourir à la médiation. Tout cela a été consigné et, à certaines conditions, nous sommes prêts à procéder comme il avait été convenu de le faire.
Il a également été affirmé hier que l'offre que le Canada et la Colombie-Britannique ont faite à nos voisins les Gitanyows ne représentait que les miettes du festin nisga'a. J'estime que cela est faux. Vous êtes peut-être au courant de la formule établie par le gouvernement du Canada et par le gouvernement de la Colombie-Britannique en matière de partage des coûts pour décider des territoires attribués aux divers groupes tribaux et du montant des transferts de fonds qui seront accordés. Cette formule est fondée sur le nombre d'habitants.
Selon l'alinéa liminaire de la pétition de 1913, c'est à nous qu'il appartient de dire dans quelles conditions nous entendons régler la question territoriale et ce même texte prévoit que, si certaines conditions sont satisfaites, nous adopterons une position raisonnable et modérée. Ayant respecté les engagements pris par nos aïeux, nous nous trouvons attaqué de tous bords. Certains ont prétendu que les Indiens allaient recevoir des territoires trop grands et bénéficier d'un règlement financier trop généreux. D'autres prétendent, au contraire, que la contrepartie est insuffisante. D'autres encore ont estimé que tout cela est parfaitement inconstitutionnel. Il appartiendra aux tribunaux d'en décider.
On a entendu proférer des menaces de violence et de guerre, même ici dans cette salle du Sénat. Puis-je rappeler aux honorables sénateurs que nous ne sommes plus au XVIIIe siècle et que nous vivons dans un État de droit où tous les citoyens sans exception sont tenus de respecter la loi.
Monsieur le président, honorables sénateurs, nous avons négocié le traité nisga'a de bonne foi. Le Sénat devrait-il à ce stade modifier les règles applicables? Allons-nous à nouveau changer l'agencement des buts à l'issue de ce processus engagé il y a déjà 25 ans?
Nous reconnaissons que le traité nisga'a n'est pas entièrement satisfaisant. Le Sénat a pour mission de procéder à un second examen objectif des textes adoptés par la Chambre d'à-côté. Connaissez-vous un texte de loi provincial ou fédéral qui soit entièrement satisfaisant? Connaissez-vous un traité international qui soit entièrement satisfaisant? La perfection n'existe pas en ce domaine et ce traité est, lui aussi, imparfait. Cela dit, nous sommes tombés d'accord au niveau de la teneur. Notre peuple s'est prononcé en faveur de ce texte. C'est le propre de la négociation. Cela exige des compromis et c'est ce que nous avons fait.
M. Edmond Wright, secrétaire-trésorier, Conseil tribal nisga'a: Honorables sénateurs, je participe depuis de nombreuses années à l'activité du Conseil tribal nisga'a. J'ai été élu administrateur pour la première fois au début des années 70 et, depuis, j'ai été régulièrement réélu au Conseil tribal nisga'a.
Quelqu'un a demandé pourquoi certains de nos villages n'étaient pas représentés ici. Notre groupe avait décidé que les trois représentants élus par la nation toute entière se rendraient ici pour présenter le mémoire au comité. La semaine prochaine, et la semaine d'après, nous serons accompagnés de quatre élus des villages. Nous sommes également accompagnés par quelques-uns de nos principaux responsables, des personnes qui s'occupent de ce dossier depuis déjà de nombreuses années.
Je suis fier du fait qu'au printemps se tiendra la 43e assemblée annuelle de la nation nisga'a. Cette assemblée se tient à tour de rôle dans les quatre villages et dans les deux centres urbains situés près des villages, Prince Rupert et Terrace. Cette année l'assemblée se tiendra à Prince Rupert. Les membres exécutifs ne participent à ces assemblées que lorsqu'on leur demande. Là, ce sont les citoyens qui dirigent. Nous-mêmes n'occupons pas les rôles principaux. Nous sommes là simplement à titre de membres ordinaires.
Je voudrais revenir sur certaines des questions qui ont été soulevées hier. Les porte-parole des chefs héréditaires des Gitxsans et des Gitanyows continuent à affirmer que le traité des Nisga'as va entraîner une violation de leurs droits. Cela ne me paraît pas exact.
Le 25 novembre 1999, nous avons soumis au comité de la Chambre des communes un mémoire complémentaire qui s'ajoutait au mémoire initialement déposé le 22 février. Nous restons fidèles aux arguments avancés dans ce mémoire.
Nous avons également retenu la déclaration du président, selon qui ce comité n'assumera pas le rôle d'un médiateur.
Le président: J'ai dit que nous ne sommes ni des médiateurs, ni des arbitres, ni des juges, ni une instance arbitrale, même si nous aimerions beaucoup contribuer à la résolution de ce différend qui vous oppose.
M. Wright: Nous tenons à préciser à l'intention du comité que, de fait, les Nisga'as ont accepté en 1998 de recourir à l'aide d'un médiateur nommé par le gouvernement fédéral afin de tenter de résoudre le différend qui nous oppose aux Gitanyows. Les détails se trouvent dans notre mémoire du 25 décembre. Nous sommes tout à fait disposés à poursuivre dans cette voie.
Un des obstacles auxquels nous nous sommes heurtés à l'époque lorsque nous nous sommes retirés de ce processus, provenait du fait que les Gitanyows n'avaient pas encore reçu d'offre du Canada ou de la Colombie-Britannique. Or, on leur a depuis fait une offre et il est fort probable qu'ils vont, à cet égard, engager des pourparlers. Lorsque nous saurons de manière plus précise les droits et les compétences qui leur sont reconnus, il sera plus facile d'engager des discussions dans le cadre d'un effort de médiation. Nous nous en tenons à ce que nous avons dit et nous souhaitons effectivement continuer dans cette voie si cela est possible.
Mais une autre question encore est venue bloquer ce processus. Je parle là des actions en justice engagées par les personnes citées tout à l'heure. Il est extrêmement difficile d'engager une médiation et de procéder à un échange d'informations lorsque les tribunaux sont en même temps saisis de l'affaire. Même si, comme je l'ai dit, nous n'entendons pas nous en remettre à vous pour trancher ces litiges, je tiens à préciser que, ainsi que je l'ai dit plus tôt, je participe aux affaires des Nisga'as depuis le début des années 70.
Hier, j'ai entendu avancer une quatrième description de la frontière sud des Gitanyows. Hier, ils nous ont affirmé, en effet, posséder un territoire situé à 800 mètres au sud de la Kinskuch. C'est la quatrième description qu'il m'a été donné d'entendre au cours de ces 20 dernières années. Selon la première description que j'ai entendue, et qui à l'époque m'avait fort chagriné, ils prétendaient que leur territoire allait jusqu'à l'embouchure du Sgaskinist. Le Sgaskinist est un ruisseau qui appartient à notre président. C'est le territoire de sa lignée. J'ai réagi vivement à cette affirmation car mon père faisait partie de sa famille. Je me souviens d'une enfance passée là. La seconde frontière revendiquée au cours des quelques 20 dernières années, passait juste au nord de Ts'imanwihlist, c'est-à-dire à l'entrée du premier canyon. La ligne était censée passer à mi-chemin de ce premier canyon. J'ai, chez moi, une copie de la carte. Puis, les huit chefs ont signé une lettre nous déclarant que leur frontière était située juste à l'embouchure de la rivière Kinskuch et qu'elle englobait la rivière. Nous l'avons respectée. Hier, j'ai entendu dire que la frontière passait 800 mètres plus bas.
Au fil des ans, nous avons dressé des cartes. Nous étions parmi les premiers groupes autochtones à utiliser un procédé SIG. Nous sommes capables d'établir de fort jolies cartes. Nous n'avons pas voulu le faire car nous ne voulions pas porter devant vous ces problèmes. Nous avons mis en place un mécanisme qui devrait permettre de régler la question.
Je tiens à rappeler que, selon nous, et même si nos voisins n'ont pas souscrit au texte, les paragraphes 33 à 35 des dispositions générales devraient permettre de régler les problèmes de délimitation. Il ressort très clairement des mémoires présentés par Neil Sterritt et chefs héréditaires des Gitanyows qu'ils ne veulent pas que nous exercions le moindre droit sur leurs terres.
Je voudrais ajouter quelque chose à ce que notre président a dit en parlant de la jurisprudence Delgamuukw. On a également parlé dans cette affaire, d'«exclusivité partagée», expression qui peut sembler curieuse. En effet, comment partager l'exclusivité? Je crois que cela voulait dire qu'il s'agissait d'une zone que nous nous partagions et c'est effectivement ce qui était affirmé dans l'affaire Delgamuukw. On trouve de nombreux exemples de cela en Colombie-Britannique ainsi que dans d'autres régions du Canada.
Il serait injuste que, dans le cadre d'une médiation ou de pourparlers, l'autre côté veuille s'accaparer le tout en ne nous laissant rien. Nous aussi nous avons des droits et nous en sommes conscients. Après tout, depuis l'arrivée des arpenteurs, nous n'avons guère changé de position. Nous ne nous sommes jamais écartés de notre ligne initiale. Nous avons été logiques avec nous-mêmes et, comme le dit notre président, nous avons poursuivi notre chemin avec une grande patience.
D'autres ont parlé des zones qui les préoccupent tant. Il s'agit, en effet, de droits de chasse et de pêche non exclusifs. Il s'agit donc de droits appartenant à tous nos membres. Selon les calculs effectués par le MPO et le ministère de la Pêche et de la Faune de la Colombie-Britannique, il y en aurait assez pour tout le monde, pour les non-autochtones et pour les autochtones qui ont des droits à faire valoir. Une formule de répartition fondée sur un certain nombre de principes a été élaborée afin de tenir compte des droits de chacun. Cela, il est important de le rappeler.
Les Gitanyows prétendent que, dans leurs territoires, nous possédons cinq zones en fief simple. Il s'agit, comme nous le disons dans notre autre mémoire, de touts petits territoires puisqu'ils ont, au total, une surface de 1,5 kilomètres carrés. La zone contient de nombreuses autres terres non autochtones relevant du régime du fief simple, mais dès que certains autochtones obtiennent quelque chose, les autres autochtones s'insurgent contre eux. Cela ne se produit pas si c'est un Blanc qui obtient quelque chose. Il y en a là-bas beaucoup qui pensent comme cela.
Comme nous l'avons dit, et comme l'a déclaré notre président, nous continuons à penser que nous sommes propriétaires de toute la zone que nous avons délimitée. Les Gitanyows et les Gitxsans estiment que les zones que nous revendiquons contiennent des parcelles de territoires leur appartenant. J'espère que la question pourra être résolue.
Nous voulons pouvoir coexister. Il y a déjà de nombreuses années, nous avons, sans ingérence extérieure, engagé un processus de négociation avec les Gitanyows. Nous avons tenter d'obtenir un protocole d'entente leur reconnaissant des droits de pêche afin que les jeunes, et d'autres personnes aussi, ne se méprennent pas sur la relation que nous voulons entretenir avec eux. Même s'ils n'en étaient pas encore à l'étape des négociations en vu du traité, nous étions très proches de l'accord de principe. Nous savions où étaient situés nos territoires. Nous avons fait savoir que nous ne refusions aucunement que d'autres viennent chasser et pêcher sur les territoires des Nisga'as. Nous leur avons proposé d'installer leurs camps de pêche sur la frontière. Notre offre a été rejetée. Nous allons poursuivre dans cette voie. Nous avons une volonté de coexistence; nos peuples coexistent depuis longtemps.
J'ai relevé avec grand intérêt le fait que vous ne mettiez pas en cause le modèle exposé par Neil Sterritt, le représentant des Gitanyows et des Gitxsans. Il vous disait, me semble-t-il, qu'ils avaient un modèle différent. Personne ne lui a demandé d'expliquer ce modèle. Ils avaient dit, plus tôt, qu'ils étaient favorables à un long processus de réconciliation, qui pourrait s'étendre sur une période de 100 ans. Bien sûr, nous ne sommes pas du même avis; nous voulons appliquer l'accord que nous avons conclu avec le Canada et la Colombie-Britannique.
Il n'y a là rien de vraiment nouveau. Nous avons conclu, il y a quatre ans, un accord de principe. Le Canada et la Colombie- Britannique nous ont rejoint le 12 janvier 1976, nous disant: «Eh bien, commençons.» Deux mois plus tard, ils revenaient sur ce qu'ils avaient dit, prétendant ne vouloir maintenant intervenir qu'à titre d'observateurs. Nous, nous avons continué. Nous avons travaillé longtemps. De nombreuses personnes se sont penchées sur le document et nous voulons que ce document soit appliqué.
M. James Aldridge, conseiller juridique, Conseil tribal nisga'a: Monsieur, l'exécutif m'a demandé d'attirer votre attention sur un certain nombre d'éléments se trouvant dans le mémoire précédent. Vous avez dit, monsieur le président, que le mémoire intitulé «Faits concernant le différend nisga'a- gitanyow», initialement déposé à la Chambre des communes, a maintenant été distribué aux sénateurs. Ce document se passe de commentaire. Vu l'heure tardive, il ne sera pas nécessaire d'en reprendre les arguments, mais nous demandons instamment aux sénateurs de l'étudier à la lumière des témoignages recueillis au cours des quelques derniers jours, car selon les Nisga'as, il constitue une réponse complète à bon nombre des arguments avancés ici.
Cela dit, il y a tout de même, dans ce document, deux choses sur lesquelles je tiens à attirer plus précisément votre attention. Si vous n'avez pas ce document en main, j'en donnerai lecture. Il s'agit, en premier, de quelque chose que le sénateur St. Germain a évoqué à de multiples reprises. Il appartient donc aux Nisga'as d'y répondre directement.
Cette allégation répétée à maintes reprises -- hier soir encore -- on y a fait allusion plusieurs fois aujourd'hui dans les réponses apportées au sénateur St. Germain. Il s'agit de ceci. On prétend que lorsque les Nisga'as portèrent leur cause, en 1968, devant la Cour suprême de Colombie-Britannique, dans le cadre de l'affaire Calder, le territoire dont ils ont fait état était beaucoup plus petit que le territoire qu'ils présentèrent ultérieurement comme celui qui leur appartenait effectivement. Or, cela n'est pas exact. Je tiens à préciser à l'intention des honorables sénateurs, que la déclaration déposée dans le cadre de l'affaire Calder -- cela fait maintenant 32 ans et à l'époque je ne m'occupais pas encore du dossier -- expose très clairement les limites du territoire traditionnel nisga'a, limites correspondant mot pour mot à la pétition de 1913. Il s'agissait, en effet, de l'intégralité du territoire décrit dans la pétition de 1913, y compris tous les cours d'eau se jetant dans la Nass. Je ne reprends pas les termes exacts de la pétition, mais le texte existe si vous souhaitez vous y référer.
À l'époque, il y avait déjà un différend entre les Nisga'as et leurs voisins les Gitanyows. Pour éviter que cette action en justice crée un litige entre Premières nations alors que les Nisga'as ne faisaient que solliciter un jugement déclaratoire à l'encontre du procureur général de la Colombie-Britannique, les Nisga'as demandèrent à leur conseiller juridique, Tom Berger, de ne faire état dans le seul cadre de ce procès, que des territoires incontestés. Nous avons joint au document une photocopie de la transcription des débats. Je sais que certains d'entre vous en ont une copie et je me souviens de l'avoir examiné il y a quelque temps avec le sénateur St. Germain dans son bureau. Il se souvient sans doute que, le premier jour de l'audience, M. Berger a déclaré à la cour:
[traduction] J'ajoute à l'intention de la cour qu'au paragraphe 8 de la déclaration -- et je ne demande pas à la cour de s'y référer car il ne s'agit que d'une explication -- [...] Les demandeurs ont tracé les limites de la zone qui constitue, selon eux, le territoire tribal des Nisga'as.
Or, il s'agit là de la description contenue dans la pétition de 1913.
Les demandeurs ont tracé les limites de la zone qui constitue, selon eux, le territoire tribal des Nisga'as. Ce territoire, qu'ils occupent de temps immémorial était délimité par des points de repère bien connus dans cette partie de la côte Nord du Pacifique. La zone qui est délimitée sur la carte du professeur Duff, signée par mon savant collègue et par moi-même, est une zone plus restreinte et je tiens simplement à dire que les demandeurs n'ont aucunement renoncé à la zone plus grande mentionnée au paragraphe 8 de la déclaration et que ce n'est qu'aux fins de cette action en justice qu'ils n'invoquent que la zone délimitée sur la carte.
La cour a répondu:
Le paragraphe 8 ne coïncide pas avec la zone délimitée sur la carte, celle-ci étant plus petite? En ce qui concerne la présente action, j'ai à me prononcer sur le droit à la zone délimitée sur la carte?
M. Berger a répondu:
Oui.
La cour a répété, afin qu'il n'y ait aucun doute sur ce point:
Aux fins de la présente action, on écarte donc la description figurant au paragraphe 8?
M. Berger a répliqué:
C'est bien cela.
Ils se sont donc fondés sur la plus petite carte, à laquelle le sénateur St. Germain a fait allusion, mais il ressort nettement du compte rendu de l'audience que cela n'était que pour les seules fins de ce procès, les demandeurs s'en tenant en fait à la description figurant dans la pétition de 1913.
Sans nier l'importance des autres parties du mémoire, que nous vous prions instamment de lire, j'insiste sur un second point précis qui mérite d'être soulevé car nous nous sommes aperçu que certains sénateurs n'avaient peut-être pas saisi cette distinction. Le sénateur St. Germain aura peut-être l'amabilité de montrer la carte aux membres du comité.
Le sénateur St. Germain: Cette carte m'a été fournie par le ministère.
M. Aldridge: Nous avons tous les deux la même carte et il n'y a aucune différence entre nos positions. Il s'agit d'une carte dressée par le ministère et elle me paraît exacte sur les points qui nous intéressent.
Honorables sénateurs, veuillez noter la zone vert foncé dans la partie inférieure de la rivière Nass. Il s'agit des territoires des Nisga'as. Là, il faut être attentif aux questions de terminologie. Je précise, à l'intention des sénateurs, que cela se trouve à la toute dernière page. Vous verrez reproduit en plus grand cette grande zone verte.
Il s'agit là de 2 000 kilomètres carrés de territoires nisga'as, c'est-à-dire de territoires dont, en vertu du traité, la nation nisga'a a la propriété en fief simple. La grande zone verte qui l'entoure est ce qui correspond, selon les Nisga'as, à leur territoire traditionnel. Sur la carte, des lignes distinctes indiquent les revendications territoriales des Gitanyows et celles des Gitxsans et des Tsimshians.
Pendant les négociations antérieures à la conclusion de l'accord de principe -- et je précise que cela remonte à 1996, c'est-à-dire avant que Glen Clark soit élu premier ministre -- les Nisga'as revendiquaient aussi des territoires situés considérablement en amont.
Le 17 janvier 1996, dans une lettre jointe à leur mémoire précédent et adressée au président, les chefs héréditaires des Gitanyows affirmaient notamment ceci:
Nous vous demandons cependant de nous assurer par retour du courrier que l'accord de principe ne comprendra aucun territoire ni aucune ressource dans le secteur de la Nass en amont de l'embouchure de la rivière Kinskuch.
La rivière Kinskuch constitue en fait la frontière septentrionale des territoires nisga'as. Suite à cette lettre dans laquelle les Gitanyows disaient aux Nisga'as: «Nous voulons que vous nous assuriez que vous ne vous étendrez pas en amont de l'embouchure de la rivière Kinskuch», les Nisga'as décidèrent: «Bon, prenons une décision et évitons le problème.» Ainsi, la frontière septentrionale des territoires nisga'as fut donnée comme correspondant à l'embouchure de la rivière Kinskuch. Cela ne veut pas dire que cela faisait entièrement droit à la demande, car le président, dans une lettre en date du 29 janvier 1996, fit savoir aux chefs des Gitanyows que:
Les territoires nisga'as, c'est-à-dire la partie de notre territoire traditionnel qui, aux termes du traité, appartiendra en toute propriété à la nation nisga'a, ne s'étendront pas au nord de la rivière Kinskuch, ni, en amont de la rivière Nass, au-delà de l'embouchure de la Kinskuch.
Aujourd'hui, le sénateur Lawson a dit quelque chose portant à penser que des territoires énormes avaient été concédés dans la zone litigieuse. Il n'en est rien. En fait, et comme le président l'a souligné dans sa lettre du 29 janvier, il y aurait, dans ces territoires, des droits de pêche et de chasse non exclusifs en amont de la rivière, puis un certain nombre de petites zones appartenant aux Nisga'as en fief simple. C'est que le président leur a assuré. Ce n'est pas dire qu'ils y ont donné leur aval. Les Nisga'as ont du moins convenu de fixer la frontière à la rivière Kinskuch à laquelle s'arrêteraient les territoires nisga'as et c'est là où nous en sommes aujourd'hui.
Je n'évoquerais pas ici les projets d'amendement que les chefs des Gitanyows vous ont exposés à moins que vous n'envisagiez sérieusement de les reprendre à votre compte ou que vous ne vouliez recueillir notre point de vue sur cela.
La seconde partie du mémoire complémentaire a uniquement trait au nombre de personnes qui, parmi les Nisga'as, sont favorables au traité. Vous auriez dû recevoir une copie de ce communiqué de presse qui analyse les chiffres de manière détaillée avec répartition des voix entre les divers groupes. Vous pourrez vous-même prendre connaissance des chiffres.
La partie suivante du mémoire complémentaire porte sur la question de la citoyenneté et des droits des minorités. Je n'entends pas reprendre ici les arguments exposés plus tôt. La question a été longuement discutée. Je ne sais pas si tout cela est clair et il convient donc, d'après nous, d'attirer votre attention sur ce point. Le Parlement a déjà avalisé l'utilisation du mot «citoyen» pour parler de quelqu'un qui appartient à une Première nation. Les Nisga'as ne sont pas en cela les premiers.
La Loi sur l'autonomie gouvernementale des Premières nations du Yukon telle qu'adoptée par le Parlement, c'est-à-dire aussi par le Sénat, dit ceci:
«citoyen» Citoyen de la Première nation au sens de la constitution qui la gouverne.
L'article 8 de la loi prévoit simplement qu'une constitution d'une Première nation du Yukon doit contenir un code de la citoyenneté qui énumère les conditions de la citoyenneté de la Première nation ainsi que les procédures permettant de dire si une personne est effectivement citoyen ou non. Ce code doit conférer à toutes les personnes inscrites le droit de devenir citoyens de la Première nation. La loi du Yukon n'impose pas aux Premières nations l'obligation d'accorder la citoyenneté à d'autres individus nonobstant leur résidence ou le fait que ces individus soient affectés par les lois des Premières nations du Yukon. Les dispositions du traité nisga'a sur la citoyenneté sont sensiblement les mêmes que ces dispositions que le Parlement a déjà adoptées et qui sont entrées en vigueur. Cette précision nous semblait importante.
Ainsi que d'autres l'ont déjà fait remarquer -- et l'argument est développé à la page 7 du mémoire complémentaire -- il faut, au départ, comprendre que le gouvernement nisga'a a pour fonction essentielle de prendre des décisions concernant les biens appartenant collectivement au peuple nisga'a. La terre, les arbres, les poissons et la faune appartiennent collectivement au groupe. La fonction principale du gouvernement est de s'occuper des biens du groupe. Les Nisga'as voudraient que l'on comprenne quelque chose qui a déjà été affirmé par d'autres, à savoir: Comment une personne qui ne possède aucune part de ces biens et qui ne partage ni la langue ni la culture, mais qui vient simplement s'installer là pour travailler en tant qu'agent de police ou qu'infirmière pour une période déterminée, pourrait-elle avoir voix au chapitre lorsqu'il s'agit de décider comment ces biens devraient être distribués, administrés, protégés, utilisés ou vendus?
Nous avons essayé de dresser la liste des éléments qui, d'après nous, étayent les droits des minorités. Il serait inexact de dire que le traité nisga'a ne tient pas compte des droits des minorités: c'est le contraire qui est vrai. Quant à la question de savoir si ce traité en tient suffisamment compte, c'est à chacun d'entre vous d'en décider, chacun pouvant se faire une opinion sur ce point. D'abord, le traité tient compte des droits des minorités tout comme il est tenu compte de ces droits par tous les autres gouvernements du pays, c'est-à-dire par l'application de la Charte des droits.
Vous me pardonnerez si, de propos délibéré, je n'évoque pas les arguments concernant les articles 25 et 35 et l'alinéa 9 et leur application. Vous avez déjà entendu tout cela. Je me suis déjà expliqué sur cela à de multiples reprises. Je ne peux que répéter que la Charte s'applique. Si quelqu'un laisse entendre qu'elle ne s'applique pas, je lui demande instamment de trouver une manière plus sûre d'assurer que les dispositions de la Charte s'appliqueraient. Certains prétendent que, compte tenu de l'article 33 qui mentionne la Chambre des communes et les assemblées législatives, la Charte s'interdit de s'appliquer à d'autres gouvernements. Qu'il me soit permis de répondre qu'il n'en est rien. La Charte s'applique en effet.
Les autres restrictions sont exposées dans mon mémoire. Je ne les répéterai pas, mais je voudrais tout de même attirer votre attention sur les choses suivantes: le fait, notamment, que les non-Nisga'as n'ont aucun droit de demander la citoyenneté nisga'a a entraîné une conséquence lors des négociations. En effet, cela a eu pour conséquence de restreindre la compétence des Nisga'as, dans la plupart des cas, aux seuls citoyens et territoires nisga'as. En présence de certains faits significatifs -- qui ne sauraient être évités dans tous les cas -- l'accord prévoit des moyens de participation.
Si les parties avaient adopté la solution inverse et affirmé que tout résident a droit à la citoyenneté nisga'a même en l'absence du moindre droit de propriété, la compétence nisga'a aurait été plus étendue. C'est-à-dire que nous aurions soit négocié des conditions plus larges, soit nous ne nous serions pas laissé convaincre par les négociateurs du gouvernement de restreindre la compétence autant que nous l'avons fait.
Tout le monde s'accorde sur les principes fondamentaux de la démocratie. Personne ne cherche à opprimer les minorités. Après des négociations difficiles, nous avons tenté de parvenir à une solution qui pouvait recueillir l'adhésion des trois parties. Les gouvernements ont négocié les dispositions de l'Accord au nom de leurs électeurs; les Nisga'as se sont dit d'accord. On aurait tort, à l'étape où nous en sommes, de rouvrir les négociations.
Mon mémoire contient une page ayant trait à la pêche. Je ne vous en donnerai pas lecture, mais elle répond à l'exposé de M. Eidsvik. J'espère que chacun comprendra que, en l'occurrence, la conservation des ressources et de l'environnement revêt une importance essentielle. Les pouvoirs du ministre sont maintenus. Nous vous avons clairement indiqué les dispositions qui s'appliquent. Je tiens également à rappeler l'existence d'un document déposé il y a déjà un certain temps. Il s'agit d'une note écrite que j'ai envoyée au président sur une question très précise de droit, en l'occurrence l'application de la Grande Charte.
Le président: Cette feuille a été distribuée aux membres du comité et constitue une pièce versée au dossier.
M. Aldridge: J'aimerais maintenant dire quelques mots sur ce sujet important qu'est le gouvernement nisga'a. D'abord, quelques observations concernant l'exposé que M. Estey vous a fait ce matin.
En ce qui concerne le gouvernement nisga'a, nous étions ici dès le début et nous avons présenté un certain nombre d'arguments. Nous avons lu le compte rendu des diverses interventions et il me semble, en toute déférence, qu'une certaine confusion continue de régner à l'égard de certains concepts très importants. Les professeurs Ryder et McNeil ont déjà évoqué le problème hier soir.
Plusieurs ont dit, à cette table même, qu'il y a un problème du fait qu'on n'a prévu aucune délégation de pouvoir. Tout le monde voudrait que les compétences gouvernementales soient des compétences déléguées. Or, l'accord prévoit un certain nombre de garanties constitutionnelles. Cela semble contradictoire. Je vous demande de bien vouloir distinguer les deux choses. La différence entre la délégation et l'inhérence concerne la source du pouvoir et non pas sa protection.
Un honorable sénateur a dit à un moment que nous avions décidé de ne pas conférer de droit inhérent. Qu'il me soit permis d'avouer que ce propos m'a proprement stupéfait. Faites bien attention aux termes utilisés. C'est ce qu'on entend, justement, par le mot «inhérent». Cela veut dire qu'un tel droit ne peut pas être conféré car il est, justement, inhérent. Mais ce qui m'intrigue c'est ceci: pourquoi certaines personnes sont-elles si troublées par l'idée que les Premières nations auraient le droit de se gouverner et qu'elles tiendraient ce droit de leur occupation originelle du sol en tant que société organisée installée là de temps immémorial? Comment se laisser obnubiler par l'idée qu'un pouvoir ne peut exister que s'il procède de la Couronne? Pourquoi insisterait-on pour dire à une Première nation que, avant le traité, soit elle ne possédait pas le droit inhérent de se gouverner, soit elle l'avait possédé mais ce droit était éteint, soit, encore, que pour pouvoir accéder au traité il faut déclarer que «les droits que nous aurions pu avoir précédemment sont éteints et, à l'avenir, tous nos pouvoirs procéderont de la Couronne»? Pourquoi fixerait-on un tel droit d'entrée?
Qu'il me soit d'ailleurs permis de dire que la question essentielle n'est pas la source de ce pouvoir. Ce qui est important c'est, comme les sénateurs l'ont fait remarquer, le pendant de ces pouvoirs, c'est-à-dire leur garantie constitutionnelle. Peu importe qu'il s'agisse de pouvoirs délégués ou de pouvoirs inhérents. Il s'agit de savoir si ces pouvoirs sont constitutionnellement protégés. Voilà, me semble-t-il, la vraie question.
Hier soir, et ce matin encore, vous avez entendu des témoins qui semblent considérer que la garantie constitutionnelle du droit à l'autorité gouvernementale, contenue dans un traité, ébranle les fondements mêmes de notre structure constitutionnelle canadienne. Quel est le fondement implicite de cette objection? Est-ce qu'un élément essentiel de notre régime constitutionnel exige que la vie des Indiens soit en définitive régie par des gouvernements non autochtones? C'est ce qui s'est passé jusqu'ici, non seulement dans les faits mais aux termes mêmes de la loi.
Il faut bien comprendre que la question de savoir si les clauses d'autonomie devaient bénéficier de garanties constitutionnelles a fait l'objet d'une négociation précise. Ce n'est pas quelque chose qui s'est produit par hasard, et nous n'avons pas abordé la question de manière fortuite au détour de quelque chose. Cela a exigé beaucoup de réflexion, non seulement de la part des négociateurs fédéraux, provinciaux et nisga'as, mais également des équipes d'avocats du ministère de la Justice, du ministère du Procureur général et des autres conseillers que chaque bord a employés. La question a été examinée très attentivement et nous sommes parvenus à des compromis. Que personne ne pense qu'il serait maintenant possible de refuser le principe d'une garantie constitutionnelle sans rejeter entièrement le traité. Cela est impossible.
Les discussions qui ont eu lieu ici, et peut-être aussi certains renseignements auxquels ils accordent trop de crédit, portent, me semble-t-il, peut-être certains sénateurs à penser qu'il n'y a jamais eu auparavant d'autonomie bénéficiant d'une garantie constitutionnelle et que ce serait en l'occurrence le premier cas. Dans notre mémoire précédent, nous tentons au contraire d'expliquer qu'il ne s'agit aucunement d'un saut dans l'inconnu mais d'une simple évolution.
Dans une affaire que j'évoque à la page 12 de notre mémoire complémentaire, la Cour a eu à se prononcer sur le cas d'une bande fonctionnant dans le cadre de la Loi sur les Cris et les Naskapis du Québec, une loi adoptée dans le cadre de la Convention de la Baie-James et du Nord québécois. La cour a estimé dans cette affaire que:
Cela étant, il semble que le Parlement fédéral ne puisse pas, sans aller à l'encontre de la constitution, adopter les lois qui empiètent sur les droits conférés aux Cris et aux Naskapis aux termes de la Loi sur les Cris et les Naskapis du Québec. De telles lois seraient de nul effet car incompatibles avec les droits garantis aux autochtones par le paragraphe 35(3) de la Loi constitutionnelle de 1982 (art. 52). Tout changement apporté aux droits existants des autochtones n'a de force légale que s'il est introduit par voie d'amendement constitutionnelle.
Ce jugement, émanant d'une cour provinciale, est cité avec approbation dans l'affaire Tawich Development Corporation, dans laquelle la Chambre civile de la Cour du Québec cite la cause précédente et l'invoque pour conclure qu'une bande exerçant ses pouvoirs au titre de la Loi sur les Cris et les Naskapis du Québec n'est pas une municipalité. Pour la cour:
À l'inverse des municipalités, la bande n'exerce pas des pouvoirs délégués ou subsidiaires. Elle tire ses pouvoirs d'un traité, en l'occurrence de l'accord.
La Convention de la Baie James et du Nord québécois a été négociée et conclue dans les années 70. Dans ces conditions-là, comment prétendre que le présent accord est sans précédent. Les gens ont souvent dit, et, à cet égard, je regrette que le président-adjoint ne soit pas ici, «Et le Yukon? Que s'est-il passé au Yukon? Cela devrait bien leur suffire.»
Les honorables sénateurs ne savent pas nécessairement que l'entente-cadre finale, et donc toutes les ententes définitives particulières, reprennent cette disposition. Je me suis permis de le reproduire intégralement, à partir du bas de la page 12 de notre mémoire complémentaire: l'article 5.5.0 de l'Entente-cadre finale concernant les pouvoirs de gestion des Premières nations du Yukon. J'insiste sur le fait que l'article reproduit aux pages 12 et 13 n'est pas tiré de l'accord sur l'autonomie gouvernementale. Il ne figure pas dans l'accord sur l'autonomie du Yukon, mais provient de l'accord sur les revendications territoriales et stipule que
chaque Première nation du Yukon... peut exercer à l'égard des territoires qui lui sont reconnus les pouvoirs suivants:
Décréter des règlements concernant l'utilisation et l'occupation des territoires qui lui sont reconnus.
Il s'agit là d'un pouvoir très large, en l'occurrence celui de:
[...] développer et d'administrer les programmes de gestion foncière en rapport avec ses territoires qui lui sont reconnus.
Là encore, il s'agit d'un pouvoir très étendu. Cette disposition prévoit en outre que chaque Première nation du Yukon peut faire payer des loyers ou autres redevances et créer un système d'enregistrement de ses droits. Étant donné que le paragraphe 35(3) de la Constitution s'applique aux ententes définitives particulières conclues avec chacune des Premières Nations du Yukon ces pouvoirs législatifs jouissent dorénavant d'une garantie constitutionnelle.
Il ne faut donc pas voir dans le traité nisga'a une initiative inusitée. C'est l'étape suivante d'un processus logique. La seule différence importante entre cet accord et les accords qui l'ont précédé réside dans sa portée. Toutes les dispositions relatives à l'autonomie se trouvent dans l'accord sur les revendications territoriales conclu avec les Nisga'as.
Ainsi, dans cette salle même, j'ai entendu certaines personnes dire qu'en 1982 et en 1983 personne n'avait même imaginé que la garantie prévue dans les accords sur les revendications territoriales voulait dire qu'on accorderait une garantie constitutionnelle à des accords d'autonomie gouvernementale. Un tel argument dépasse vraiment ceux d'entre nous qui travaillent depuis longtemps dans ce domaine.
Il m'a pour la première fois été donné de participer à une séance d'un comité sénatorial en 1983 dans le cadre d'une délégation du Conseil tribal nisga'a. C'était le 22 septembre. Nous participions à une séance du comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles qui se penchait alors sur une motion d'amendement de la Constitution par l'ajout d'un paragraphe 35(3). J'avais alors, comme je l'ai aujourd'hui, l'honneur de faire partie, en tant que conseiller, de la délégation nisga'a. Au cours de cette séance, la délégation nisga'a a évoqué les conséquences d'une telle mesure. Après avoir décrit l'objet de l'accord sur les revendications territoriales des Nisga'as, qui était alors en cours de négociation, expliquant qu'il s'agissait de s'entendre sur un processus permettant de définir la manière dont seraient reconnus, à l'avenir, les droits autochtones des Nisga'as, la délégation fit clairement savoir que l'autonomie était un des droits en question et que nous entendions négocier l'instauration d'un mécanisme gouvernemental approprié et l'établissement de liens avec le reste du Canada. L'amendement fut, bien entendu, adopté, et qu'il me soit permis de rappeler que notre traité accomplit le but que nous lui avions fixé à l'époque.
Nous n'étions alors pas les seuls à venir témoigner devant le Sénat. Chacun comprenait que les accords sur les revendications territoriales comprendraient notamment une garantie constitutionnelle.
Et voilà où nous en sommes. Lorsqu'on entend quelqu'un, parmi les témoins qui se sont exprimés hier soir ou aujourd'hui, ou parmi les sénateurs, dire qu'ils seraient favorables à cet accord si seulement l'autonomie ne bénéficiait pas d'une garantie constitutionnelle, il faut comprendre qu'ils veulent en fait permettra aux gouvernements fédéral et provinciaux d'enfreindre les droits des Nisga'as même en l'absence d'un objectif législatif valable et d'une manière incompatible avec l'honneur de la Couronne. Autrement dit, ces personnes voudraient que les divers gouvernements soient en mesure d'empiéter sur les droits des Nisga'as comme bon leur semble, sans être tenus d'agir en conformité avec les normes constitutionnelles définies dans l'arrêt Sparrow. Comment penser que les Nisga'as, ou toute autre communauté d'ailleurs, puissent jamais accepter ce genre de conditions?
Les Nisga'as estiment, et leur point de vue est en cela partagé par à peu près tous les groupes autochtones du Canada, par la commission royale ainsi que par tous les professeurs de droit qui sont venus témoigner devant le comité, que le droit inhérent à l'autonomie se trouve déjà inscrit au paragraphe 35(1). Certains ne seront pas du même avis, mais si vous comprenez que ce point de vue est celui de toutes les Premières nations, et qu'elles sont soutenues en cela par des professeurs de droit et des juges, comment penser que les Nisga'as accepteraient d'adhérer à un accord qui prévoit qu'en échange ils devront renoncer à cette garantie constitutionnelle?
Le sénateur Beaudoin n'est pas ici, mais j'étais prêt à engager avec lui un débat sur la prééminence. Cela revient au même. La thèse voulant que l'idée de prééminence implique un renoncement, une cession, un transfert ou une restriction des pouvoirs prévus aux articles 91 et 92 est fausse. Les articles 91 et 92 demeurent intacts. Le traité précise d'ailleurs que cela n'entraîne aucune modification de la Constitution du Canada.
Le traité limite-t-il l'exercice des pouvoirs prévus aux articles 91 et 92? Bien sûr que oui. Les dispositions relatives à la pêche, aux terres et à la faune viennent effectivement restreindre les pouvoirs prévus aux articles 91 et 92. Mais depuis 1982, votre pouvoir a perdu son caractère absolu. Votre pouvoir est soumis à un certain nombre de restrictions d'ordre constitutionnel.
Les tribunaux ont pourtant eu l'occasion de préciser que l'article 35 n'a rien d'absolu. Il n'est pas comme les articles 91 et 92. Il faudrait, par conséquent, que, dans leur champ respectif de compétence, les divers gouvernements ressentent le besoin de revenir sur cet engagement, ressentent le besoin de dire: «Eh bien, oui, nous avions convenu, avec vous Nisga'as, que vos lois l'emporteraient, mais nous avons changé d'avis» et légifèrent dans ce domaine en disant que «nonobstant le traité nisga'a, la loi fédérale l'emportera en l'occurrence».
Eh bien, en cela ils commettaient une violation du traité. Mais le fait que cela soit une violation du traité n'en fait pas pour autant une mesure ultra vires, au regard des articles 91 et 92. En cas de violation du traité, il appartient à la Couronne de démontrer que son action s'inscrit dans le cadre d'un objectif législatif valable, que sa démarche est conforme à l'honneur de la Couronne et qu'elle se justifie en l'occurrence. C'est tout.
À ceux qui disent que «les chefs nisga'as d'aujourd'hui étant des êtres remarquables, on ne s'en inquiète pas, mais qui sait s'ils ne seront pas à l'avenir remplacés par des fripons», les Nisga'as répondent: «Nous apprécions beaucoup les sénateurs et députés actuels, mais que penser des fripons qui pourraient être appelés à les remplacer à l'avenir». Les Nisga'as disent, pour leur part: «Eh bien, si surviennent des fripons qui font quelque chose de vraiment bizarre, violent les droits des minorités et essayent de prendre des mesures si mauvaises que la Couronne doive recourir à son pouvoir de suspension» -- il s'agit bien sûr d'une analogie mais elle n'est pas inutile -- «Eh bien, prenez les mesures qui s'imposent.» Si ces mesures se justifient, elles seront confirmées. Il n'y a aucune cession, renoncement ou transfert. Cela étant, comment prendre les observations faites au nom de M. Mel Smith par M. Estey et par M. Weston?
Le leitmotiv des deux dernières séances semble avoir été que le traité est un bon document mais qu'il convient de ne pas le mettre en vigueur pour l'un ou l'autre des motifs qu'ont pu invoquer les divers témoins.
Que dire de l'idée, avancée par M. Estey et M. Smith -- et à laquelle nous répondons à la page 17 de notre mémoire complémentaire -- qu'il y aurait lieu de reporter l'entrée en vigueur du traité nisga'a en attendant que la Cour suprême du Canada se prononce? Cela devrait prendre trois ans selon M. Smith, et cinq ans selon M. Estey. Reporter le traité de cinq ans en attendant l'issue d'une action en justice engagée, ironie du sort, par le chef provincial de l'opposition, Gordon Campbell, et ses collègues, entraînerait des effets désastreux.
Les Nisga'as s'opposent fermement à l'idée. Qu'il me soit permis de dire que je trouve infiniment regrettable que M. Estey avance cette idée à ce stade avancé du processus, plus de quatre ans après la publication de l'Accord de principe et plus de deux ans après l'Accord définitif alors que s'achève l'ultime étape de l'examen parlementaire.
Il n'y a rien de nouveau dans cette idée. Rappelons que la Cour s'était déjà prononcée sur l'action par laquelle Gordon Campbell et ses collègues tentaient d'obtenir de la cour qu'elle se prononce sur la validité du traité avant même son entrée en vigueur. La cour a décidé que l'action serait suspendue en attendant l'adoption de mesures législatives concernant les revendications territoriales.
Évoquant certaines des observations faites plus tôt aujourd'hui par les sénateurs Grafstein et Beaudoin, je vous réfère à la décision rendue en février 1999 par le juge Williamson:
[traduction] Notre régime de gouvernement exige que les tribunaux respectent le droit du Parlement et des assemblées législatives d'exercer une entière liberté dans la formulation, le dépôt, la modification et l'adoption de textes législatifs. Cette obligation s'impose tout autant que l'obligation qui incombe aux pouvoirs législatifs et exécutifs de respecter et de défendre l'indépendance de la magistrature. Il s'agit là d'éléments essentiels de nos principes démocratiques, de notre histoire et de notre Constitution. Si tant est qu'il puisse y être porté atteinte, il est clair qu'on ne peut pas procéder à la légère.
Ainsi, le pouvoir législatif doit avoir toute liberté pour proposer des projets de loi et pour explorer lors des débats les répercussions possibles des textes proposés. Les assemblées législatives sont néanmoins tenues au respect du droit. Si elles adoptent des dispositions que les tribunaux jugent par la suite inconstitutionnelles, elles doivent respecter la décision de justice.
Les demandeurs n'ont pas fait appel de cette décision. M'autoriserez-vous à rappeler -- comme le sénateur Grafstein l'a fait plus tôt -- que vous ne devez pas en cela vous en remettre aux tribunaux qui se chargeraient ainsi de décider à votre place. Il ne faut pas tenter de réintroduire par la bande quelque chose que les tribunaux ont déjà écarté.
Le Parti réformiste a essayé de faire à peu près la même chose au printemps dernier. La majorité des députés a refusé de le suivre.
Il ne faut pas non plus oublier que, selon l'alinéa 19 des dispositions générales, si, malgré le point de vue des trois parties, un tribunal invalide une des dispositions du traité, les parties doivent faire de leur mieux pour corriger la disposition en cause. Ce qu'il y a d'important ici c'est qu'une telle disposition peut être disjointe du reste du traité dans la mesure où elle est non valable ou non applicable. Une disposition invalide n'a pas pour effet de suspendre ou d'annuler le traité tout entier. On retranche simplement ce qu'il convient de retrancher et on continue. Pourquoi attendre cinq ans l'entrée en vigueur de la moindre clause de ce traité, étant donné le correctif qui peut être appliqué aux mesures éventuellement contestées?
Qu'il me soit permis de répondre aux motifs avancés par M. Estey aussi bien de vive voix que dans son mémoire, mais qui ne nous étaient avant aujourd'hui connus que par la voie d'un communiqué de presse. Nous estimons, et cela avec toute la déférence qu'appellent sa réputation et son expérience, que sa thèse démontre une compréhension incomplète du traité et de la nature de la garantie constitutionnelle que lui accorde l'article 35 de la Loi constitutionnelle selon l'interprétation qui prévaut depuis 10 ans.
Relevons que, sauf erreur, M. Estey a rencontré l'organisation dénommée CANFREE, un groupe qui semble s'être constitué précisément pour faire opposition au traité nisga'a. Il n'a, par contre, jamais fait le moindre effort pour entrer en contact avec le Conseil tribal nisga'a pour exprimer ses préoccupations ou entendre nos arguments. Il est clair que s'il agissait en tant que conseil de CANFREE, on voit mal pourquoi il chercherait à nous rencontrer. Mais, je ne savais pas très bien s'il agissait effectivement en tant que conseil. Je n'ai moi-même pas cherché à les rencontrer. Si M. Estey avait écouté nos arguments, nous lui aurions expliqué que rien dans le traité nisga'a ne permet de dire que ce texte crée, pour s'exprimer comme lui, un «État indépendant». Qu'il me soit permis de lui faire remarquer que son utilisation, dans son mémoire, de l'expression «créer un État indépendant» est si excessive que l'on est porté à se demander s'il a tant soit peu connaissance de la teneur parfaitement explicite du traité. Mais ces questions ont déjà toutes été abordées.
Lorsque M. Estey est venu devant vous ce matin, et aussi lorsque M. Weston s'est exprimé, hier soir, au nom de M. Smith, voici sous quelle forme ils se sont faits les avocats de l'orthodoxie constitutionnelle. Toutes les compétences législatives sont énumérées in extenso et réparties entre les gouvernements fédéral et provinciaux par les articles 91 et 92. Hors de ces deux dispositions, il n'y a rien. Désolés, Premières nations, lorsque les pères de la Confédération se sont réunis en 1867, tous les pouvoirs ont été divisés en deux. Nous ne pensions pas à vous; il ne vous reste rien. Accepteriez-vous un pouvoir délégué?
Voilà l'orthodoxie constitutionnelle. Je dois dire, en toute déférence, que cela n'est pas exact. La Cour d'appel de Colombie-Britannique s'était prononcée en ce sens dans l'affaire Delgamuukw mais la Cour suprême du Canada a infirmé son jugement. La Cour suprême du Canada ne s'est pas prononcée de manière définitive sur la question. Comme les professeurs Ryder et McNeil l'ont expliqué hier soir, on ne saurait énoncer de manière trop extensive le droit à l'autonomie. Cela veut donc dire que si ce droit est impossible à démontrer, il est également impossible à nier.
La décision de la Cour d'appel fut infirmée. J'insiste sur le fait que la Cour d'appel s'était prononcée exactement dans le sens de la thèse défendue par M. Estey et que la Cour suprême du Canada a infirmé son jugement et ordonné la tenue d'un nouveau procès. Ainsi que les professeurs Ryder et McNeil nous l'ont dit hier soir, le problème qui se présente aux Premières nations, c'est d'avoir à prouver, un à un, qu'ils possèdent effectivement les divers pouvoirs.
Les audiences dans l'affaire Campbell devraient commencer le 15 mai 2000, c'est-à-dire dans un peu plus de six semaines. L'échange de documents entre les parties a déjà commencé. Le juge Williamson avait annoncé qu'il entendrait la cause dès que possible après l'entrée en vigueur ou la sanction de cette loi.
Les audiences débuteront donc le 15 mai. Il n'y a pas lieu de suspendre ou de reporter quoique ce soit. Tous ces arguments, et d'autres encore peut-être, seront développés devant la Cour suprême de Colombie-Britannique dans six semaines si le projet de loi est adopté. Les tribunaux entendront les plaidoiries et trancheront. En attendant, on ne saurait justifier le fait d'imposer au peuple nisga'a les coûts, financiers et autres, d'un nouveau retard de cinq ans.
Il y a, dans toute cette situation, une certaine ironie. Ces dernières années, les tribunaux n'ont cessé de dire: «Négociez au lieu d'attaquer; ces problèmes ne se prêtent guère à jugement». Eh bien, les Nisga'as ont, effectivement, négocié. Ils négocient même depuis 1976. Ils ont joué le jeu selon les règles qu'on leur avait imposées. Maintenant, dans les derniers temps de l'examen, par le Sénat, du traité en question, on explique aux Nisga'as, à destination du Sénat, que: «Eh bien, chers Nisga'as, il est bien que vous ayez négocié, mais avant de pouvoir jouir des fruits de votre négociation, il va vous falloir intenter une action en justice. Il vous faudra attendre que les tribunaux se soient prononcés.» Si c'est la règle que l'on veut imposer, c'est-à-dire obliger les gens à négocier pendant 20 ans, puis les obliger à se pourvoir en justice avant que le traité conclu puisse entrer en vigueur, comment s'attendre à ce que les gens intéressés se plient à ce genre de règle?
Le sénateur Grafstein: Je n'essaierais même pas de faire pièce aux arguments si éloquemment développés par M. Gosnell. Ils me portent, je dois dire, à examiner à nouveau les positions que j'ai tenté de faire valoir ici. J'y consacrerai la fin de semaine. Le Sénat étant une Chambre de réflexion, je vais prendre le temps de réfléchir. Je tiens à préciser, à son attention, que cette séance a été, pour moi, du plus grand intérêt. Tout cela porte en effet à réfléchir. Je suis arrivé ici en tant qu'orthodoxe et, si je ne pense pas vraiment pouvoir renoncer à mon orthodoxie, je vais examiner attentivement la thèse adverse. Les témoins se sont exprimés selon leurs divers points de vue sur les questions qui me paraissaient les plus importantes et je vais devoir méditer sur tout cela.
J'aurais, cependant, une question. Pourriez-vous nous donner lecture de l'article 35 de la Constitution du Canada?
M. Aldridge: Cette disposition figure à la partie II de Loi constitutionnelle de 1982:
35. (1) Les droit existants -- ancestraux ou issus de traités -- des peuples autochtones du Canada sont reconnus et confirmés.
(2) Dans la présente loi, «peuples autochtones du Canada» s'entend notamment des Indiens, des Inuits et des Métis du Canada.
(3) Il est entendu que sont communication pris parmi les droits issus de traités, dont il est fait mention au paragraphe (1) les droits existants issus d'accords sur des revendications territoriales ou ceux susceptibles d'être ainsi acquis.
Le sénateur Grafstein: Justement, tout dépend de cela. Je ne veux pas laisser entendre que ces arguments n'ont pas été développés devant le Parlement puisque les autochtones ont effectivement défendu la thèse que l'on vient d'évoquer. Je vais devoir consulter le hansard et me référer aux débats car le point me paraît essentiel. Chaque mot avait été pesé, si j'ai bonne mémoire, et on aurait pu, pour éviter toute ambiguïté, parler explicitement d'autonomie. Encore une fois tout cela n'est que conjecture, mais je crois, peut-être à tort, que si, pour davantage de précision, on avait tenté d'insérer le mot «autonomie», la formulation aurait été rejetée. Je pense qu'un examen du hansard permettra de s'en assurer. Enfin, ce n'est pas le dernier mot sur la question mais simplement une piste de réflexion. Constatons tout de même l'évolution qui s'est produite puisqu'on est passé de simples revendications territoriales à un régime d'autonomie jouissant de garanties constitutionnelles, et c'est tout le problème que nous tentons actuellement de résoudre.
C'est aussi le problème des interprétations successives de la Constitution et de la doctrine de l'«arbre vivant». Les situations évoluent, tout change. Il est exact de dire, comme vous l'avez fait, et comme le professeur Ryder et les autres intervenants l'ont rappelé hier, que nous nous trouvons face à une évolution.
Je crois pouvoir dire qu'il nous faut contempler la Constitution à travers deux prismes différents. D'un côté, il y a les circonstances actuelles. Il ne faut pas se laisser enfermer dans le carcan de ces circonstances car c'est une démarche stérile. Il faut tenir compte de considérations d'ordre pratique. Mais il faut également essayer de cerner quelle était, à l'époque, l'intention des intéressés et, en cela, il faut se montrer juste.
Vos arguments sont fondés mais je crois que si l'on avait proposé une formulation différente, elle aurait été rejetée. L'idée était de permettre aux revendications territoriales d'évoluer dans un cadre bénéficiant de garanties constitutionnelles sans pour cela affaiblir la thèse des droits inhérents. Encore une fois, cela n'est pas le dernier mot sur la question mais simplement un point de vue qui peut se défendre.
Je tiens à dire, enfin, que votre mémoire, et le mémoire présenté par le gouvernement provincial, sont impeccables dans leur formulation et, j'espère, impeccables dans leur pouvoir de persuasion, mais je ne peux pas tirer de conclusion avant d'avoir achevé l'exercice de réflexion auquel je vais me livrer au cours de la fin de semaine.
Le président: Qu'il me soit permis d'ajouter quelque chose aux propos du sénateur Grafstein, même si je suis parfaitement convaincu que la définition inclut effectivement le droit inhérent à l'autonomie. Pour plus de certitude je voudrais, cependant, donner officiellement lecture d'un extrait de l'article 41 de la fameuse Entente de Charlottetown. Les gouvernements de l'époque, y compris celui de M. Mulroney, y ont inséré un paragraphe affirmant que:
Il y aurait lieu d'amender la Constitution afin de reconnaître que les peuples autochtones possèdent un droit inhérent à l'autonomie gouvernementale dans le cadre du Canada. Ce droit devrait figurer dans un nouveau paragraphe de la Loi constitutionnelle de 1982, le paragraphe 35.1(1).
Le consensus politique dont témoigne ce passage comporte, aux yeux de tout spécialiste du droit ou de la science politique, la doctrine de l'«arbre vivant». L'Accord fut, bien sûr, soumis aux électeurs mais personne ne sait pourquoi ceux-ci le rejetèrent.
Le sénateur Grafstein: Mais, tout cela ne nous dit rien de la volonté du législateur et du public canadien de l'époque.
Le président: La volonté du législateur et des législatures du Canada était évidente, mais la question fut soumise à la population et, le débat, si vous voulez, divergea.
Le sénateur Andreychuk: Les professeurs ont soutenu que le principe en avait déjà été posé en 1982.
M. Aldridge: J'allais ne rien dire mais, pour être juste envers le professeur et, chose plus importante encore, pour être juste envers les organisations autochtones de ce pays, je dois tout de même répondre. Tout le monde ici a fait état de ses titres de compétence. Vous me pardonnerez donc si je précise que pendant les années 80 j'ai assisté à toutes les conférences des premiers ministres. J'étais présent à presque toutes les conférences préparatoires, au cours desquelles les Nisga'as ont rencontré fonctionnaires et élus et, pendant un certain temps, j'ai même oeuvré auprès du Conseil des Indiens du Yukon. À chaque fois qu'une de ces organisations évoquait la possibilité d'adopter un amendement afin de faire explicitement état du principe d'autonomie, c'était toujours avec l'idée qu'un jour les gens feraient valoir l'argument suivant: «Eh bien, il est clair que vous pensiez ne pas y avoir droit, sans cela vous n'auriez pas fait une telle proposition.» Tout le monde en était parfaitement conscient et, à chaque fois, ils répondaient: «Mais nous voulons que cela soit clair. Ce droit existe déjà, mais nous savons que certaines personnes estiment que nous ne l'avons pas. Nous savons qu'il y a des gens qui ne sont pas d'accord sur ce point. Nous estimons déjà avoir ce droit, mais nous voulons qu'il soit explicité.» Les autochtones ont toujours fait valoir que, pour eux, ce droit existait déjà.
Hier soir, la conversation a un peu dévié vers la question de savoir si la Commission royale sur les peuples autochtones avait jugé qu'un tel amendement était nécessaire. Il y avait, je pense, un léger malentendu. Si je ne m'abuse, la commission estimait que le droit inhérent était déjà garanti par l'article 35.1, mais qu'il y aurait lieu d'adopter à cet effet un amendement explicite afin d'écarter tout doute sur ce point. Je ne crois pas me tromper en disant que c'était bien le point de vue du comité Beaudoin-Dobbie en 1992.
Il n'est pas juste envers les peuples autochtones, ni même envers l'histoire de ce long débat, d'affirmer à présent qu'en demandant on mentionne en toutes lettres le droit à l'autonomie, qu'on reconnaissait en fait qu'un tel droit n'existait pas.
Le sénateur Andreychuk: Permettez-moi de dire que tel n'était pas là mon argument. Vous réfutez un argument que je n'ai pas avancé.
M. Aldridge: Excusez-moi.
Le sénateur Andreychuk: Les termes utilisés en 1982 et en 1983 se passent de commentaire. Je parlais de la formulation de l'Entente de Charlottetown. J'en revenais à ce que le professeur avait dit. Vu l'heure tardive, je ne pense d'ailleurs pas qu'il y ait lieu de s'étendre sur cela. Vous faites valoir votre interprétation des négociations qui ont abouti à l'Accord de 1982. Je crois que, sur ce point, c'est le sénateur Grafstein qui a raison. Pour interpréter un texte, il faut se fonder sur la formulation qui a été adoptée, puis essayer de déceler l'intention qui en est à la source. Il nous appartient de réfléchir à tous les éléments qui nous ont été présentés, et non de trancher le débat car il nous faudrait pour cela appeler à témoigner toutes les personnes qui se trouvaient là en 1982. Ce ne serait que justice que de procéder ainsi.
Le président: Je me trouvais parmi eux et j'ai déjà donné mon avis sur ce point. J'ai siégé six mois au sein du comité mixte spécial sur la Constitution. Je n'en dirai pas plus sur ce point.
Le sénateur Pearson: J'ai suivi ce débat avec le plus grand intérêt et je n'ai guère posé de questions. De nombreuses personnes avaient des questions à poser et cela m'a permis d'assister au dialogue. J'ai beaucoup apprécié la patience avec laquelle vous avez conduit les débats. Je dois dire d'une manière générale que, à l'instar du président, l'idée d'un droit inhérent à l'autonomie ne m'inspire aucune réserve. J'en suis même fortement partisan.
J'apprécie ce que vous avez fait ici pour introduire un peu de clarté car, me semble-t-il, le débat sur cette question devenait parfois assez abstrait. Les intervenants ont commencé par évoquer les divers domaines de compétence puis, tout d'un coup, on s'est retrouvé avec une plénitude de pouvoirs. En fait, il s'agit de compétences parfaitement naturelles qui concernent essentiellement l'administration de votre communauté nisga'a. Je ne vois rien à redire. Vous avez admirablement réussi à conjuguer vos propres compétences et les compétences fédérales et provinciales.
Voilà ce que je tenais à dire. J'aime beaucoup les débats théoriques, mais on a parfois tendance à trop s'écarter des réalités concrètes. Souhaitons que tout cela se passe bien.
M. Aldridge: Nous avions demandé, à l'intention des sénateurs, une copie du tableau analytique. Je ne m'y suis pas référé car nous voulions éviter de tout disséquer. Nous avions, aussi clairement que possible, procédé à une ventilation des diverses compétences au regard de la règle de la prééminence.
Le sénateur DeWare: Dans les années 80, je faisais de la politique au niveau provincial en tant que membre du gouvernement du Nouveau-Brunswick. À l'époque, tous les premiers ministres provinciaux avaient accepté de participer, avec le premier ministre du Canada, aux réunions du lac Meech. À l'époque, nous avions comme premier ministre Richard Hatfield, un homme qui s'intéressait de près aux questions constitutionnelles. Il était alors parfaitement convaincu que la démarche du lac Meech était la bonne. Hélas, au cours des trois années en question, ils s'écartèrent un peu du chemin initialement tracé.
À l'époque, nous avions demandé à nos premiers ministres ce qu'il en serait des peuples autochtones. Comme vous le savez, les peuples autochtones n'avaient pas été invités à participer au processus du lac Meech. Selon notre premier ministre, on lui aurait clairement dit qu'une fois l'accord conclu, nous pourrions engager des négociations avec nos peuples autochtones. Estimez-vous que si l'Accord du lac Meech avait été ratifié, les négociations en question seraient maintenant achevées?
M. Aldridge: N'oubliez pas que si l'Accord du lac Meech n'a pas été ratifié c'est, justement, parce qu'il ne tenait pas compte de la situation des peuples autochtones. M. Harper, du Manitoba, a donc finalement refusé d'y adhérer.
Souvenez-vous que l'accord a en partie achoppé sur le fait qu'il y avait déjà eu quatre conférences des premiers ministres consacrées aux droits des autochtones car la première n'avait, en effet, pas permis de s'entendre sur un seul amendement. Songez à ce qui s'est passé lorsqu'ils se sont réunis pour parler des problèmes des autres; ils ont pu immédiatement parvenir à un accord. On s'est demandé à l'époque pourquoi on n'avait rien obtenu au bout de quatre conférences alors que, s'agissant des problèmes des autres, on était immédiatement parvenu à s'entendre.
Si les choses s'étaient passées différemment et que l'Accord du lac Meech avait été ratifié, où en serait-on aujourd'hui? Je ne connais pas la réponse.
Le sénateur DeWare: Il y a déjà près de 20 ans de cela.
Le président: Chers sénateurs, mesdames et messieurs les témoins, permettez-moi de vanter un peu l'activité du Sénat. Faites savoir autour de vous que ce comité sénatorial a siégé, sans interruption, de 9 h à 17 h 30. Alertes et éveillés, nous avons écouté tous les témoins, y compris votre résumé des débats.
M. Gosnell: Honorables sénateurs, nous sommes aujourd'hui, me semble-t-il, arrivés à un seuil qui ouvre à la nation nisga'a des perspectives tout à fait nouvelles. Je vous demande, à vous membres de ce comité, de nous accompagner dans cette démarche. Je demande à tous les membres du Sénat de nous accompagner sur la voie de la réconciliation.
Le président: C'est avec grand plaisir que je lève la séance.
La séance est levée.