Délibérations du comité sénatorial permanent de
l'Agriculture et des forêts
Fascicule 8 - Témoignages
OTTAWA, le jeudi 13 avril 2000
Le comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts se réunit aujourd'hui à 9 h 04 pour étudier la situation actuelle et future de l'agriculture au Canada.
Le sénateur Joyce Fairbairn (vice-présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La vice-présidente: Honorables sénateurs, nos témoins d'aujourd'hui représentent la Fédération canadienne de l'agriculture; il s'agit de son président, Bob Friesen et de Benoît Basillais. Nous avons entendu plusieurs groupes et particuliers de partout au pays, qui sont venus me parler des difficultés relatives au revenu agricole, aux subventions internationales et de toutes les mesures complexes qui causent tant de stress dans notre collectivité. La Fédération canadienne de l'agriculture joue un rôle majeur au sein de la collectivité dans notre pays et a comparu devant notre comité à maintes occasions, pour nous présenter des exposés aussi utiles que réfléchis.
Avant de commencer, j'aimerais souligner que deux nouveaux sénateurs se sont joints à nous aujourd'hui: il s'agit du sénateur Tom Banks, de l'Alberta, et du sénateur Jack Wiebe, de la collectivité agricole de la Saskatchewan.
Veuillez nous présenter votre exposé, monsieur Friesen. Nous avons bien hâte de savoir ce que vous avez à nous dire.
M. Bob Friesen, président de la Fédération canadienne de l'agriculture: C'est vraiment pour moi un plaisir d'être à nouveau devant vous. La dernière fois que je suis venu, nous avons eu une bonne discussion au sujet de l'agriculture au Canada, et c'est justement ce pourquoi la Fédération canadienne de l'agriculture existe. Nos membres viennent de partout au Canada. Chaque province a une organisation agricole générale qui est membre de la FCA. Nous comptons aussi parmi nos membres les organisations nationales de producteurs agroalimentaires, dont le Conseil canadien du porc, tous les organismes de gestion de l'offre, des producteurs de betterave à sucre, et ainsi de suite, ainsi qu'une très bonne part des agriculteurs et exploitations agricoles de pratiquement tous les secteurs et de partout au Canada.
Tout cela fait en sorte qu'il est parfois difficile, voire délicat, d'établir la politique agricole. Cependant, au bout du compte, il est très gratifiant d'observer la collaboration et l'esprit d'engagement et de compromis de tous les intervenants. Une fois que nous avons établi une politique à proposer au gouvernement, nous pouvons être sûrs qu'elle est très solide et qu'elle est appuyée par tous nos membres.
J'aimerais aussi vous présenter mon employé, M. Benoît Basillais, qui m'a beaucoup aidé à examiner certains des problèmes dont nous sommes témoins un peu partout au Canada. Il m'a souligné avec beaucoup d'à-propos certaines des choses que des agriculteurs comme moi peuvent ne pas voir facilement, et je lui en suis très reconnaissant.
Vous avez devant vous un exemplaire de mon mémoire. Nous nous excusons de ne pouvoir vous le présenter sur écran; notre ordinateur portatif semble être tombé en panne juste avant que nous partions pour venir ici. Vous seriez gentils de suivre mon témoignage dans le document que vous avez devant vous; j'essaierai de vous faire part des conclusions auxquelles nous sommes arrivés à la suite de notre examen de l'agriculture.
Ce ne sera vraiment pas facile. Je ne suis pas tout à fait sûr de ce dont je vous ai parlé la dernière fois que je suis venu ici. Lorsqu'on examine les problèmes qui se sont accumulés dans l'industrie agricole depuis quelques années, on peut voir que quatre facteurs ont contribué à la pénible situation que vivent les agriculteurs et expliquent pourquoi ils craignent tant l'avenir et sentent autant que leurs rangs sont décimés aujourd'hui. Tout d'abord, le soutien agricole a baissé d'environ 60 p. 100 depuis sept ans, et cela ne tient évidemment pas compte du financement actuel que nous obtenons. Le prix de certaines de nos denrées a diminué de 40 à 60 p. 100. Le coût des intrants a augmenté de 38 p. 100 depuis dix ans. Enfin, bon nombre de nos agriculteurs ont été affectés par d'énormes catastrophes naturelles. Celles-ci se sont produites partout au Canada, pas seulement au Manitoba et en Saskatchewan. Les pomiculteurs ont essuyé une tempête de grêle en Colombie-Britannique, sans pouvoir compter sur un programme de gestion du risque digne de ce nom. Il y a eu trop de pluie au Manitoba et en Saskatchewan. Il y a eu l'inondation de la rivière Rouge, au Manitoba, il y a quelques années. Le Québec et l'Ontario ont subi la tempête de verglas. Une pénible sécheresse a affligé la vallée de l'Annapolis, en Nouvelle-Écosse. L'automne dernier, les cultivateurs de pomme de terre de l'Île-du-Prince-Édouard ont eu trop de pluie. Un nombre incroyable de phénomènes ont compliqué la situation dans laquelle se trouvent les agriculteurs. Ces facteurs comptent parmi ceux sur lesquels les agriculteurs exercent le moins de contrôle, et c'est une partie du problème. Ils ont beau faire tout ce qu'il faut, ce n'est pas suffisant. C'est l'une des raisons pour lesquelles nous insistons autant pour dire qu'il nous faut redonner à nos agriculteurs la stabilité dont ils ont tant besoin pour fonctionner de façon idéale dans ce que je qualifierais de nouvel âge de l'agriculture.
Toutes les difficultés auxquelles nous faisons face, qu'il s'agisse de catastrophes naturelles, de nouveaux phénomènes comme la biotechnologie, ou de la Loi sur la protection de l'environnement, ont inévitablement un effet sur le revenu agricole. Cependant, j'aimerais souligner aujourd'hui qu'il faut faire bien d'autres choses dans ce cas que simplement continuer à demander de l'argent au gouvernement. Si vous devez vous rappeler une chose de mon exposé de ce matin, j'espère que ce sera celle-ci: même si nous voulons obtenir l'aide du gouvernement, il y a une autre question extrêmement importante -- il faut donner aux agriculteurs les outils dont ils ont besoin pour être plus performants.
Je vous demanderais maintenant d'examiner le document que vous avez devant vous. À la première page, vous verrez un diagramme qui illustre les revenus bruts à la ferme, le coût des intrants et, ensuite, le revenu agricole. En ce qui concerne les revenus bruts, qu'est-ce qui touche la capacité de générer des revenus des agriculteurs? L'un des facteurs les plus importants tient aux règles commerciales. Bon nombre d'entre vous connaissez certaines des politiques commerciales et internationales qui s'appliquent à nous. Nous nous trouvons placés dans un dilemme intéressant. Il nous faut à tout prix avoir de bonnes règles commerciales, et il faut que notre gouvernement les négocie devant l'OMC, parce qu'une grande part de l'agriculture canadienne dépend fondamentalement de notre capacité de trouver des marchés d'exportation et de leur donner de l'ampleur. Toutefois, la façon dont les règles commerciales ont été interprétées par d'autres pays a manifestement eu parfois une incidence sur la capacité, pour nos agriculteurs, de générer des revenus et des recettes pour la ferme.
Nous avons ensuite le coûts des intrants, qui est bien sûr touché par la réglementation en place, par certaines des politiques agricoles que nous avons instaurées et par la façon dont nous les appliquons. J'ai mentionné plus tôt que le coût de nos intrants avait augmenté de 38 p. 100. La réglementation n'est pas la seule responsable de cet état de choses. Nous avons dû subir une hausse du prix du carburant -- qui atteint des sommets incroyables depuis quelque temps --, une hausse du coût des fertilisants et une hausse de tous les autres coûts relatifs aux intrants, et nous avons connu une augmentation de 28 p. 100 du recouvrement des coûts. Je vous donnerai plus tard des détails sur la façon dont certaines réglementations et politiques ont aussi une incidence sur ce qu'il en coûte aux agriculteurs pour être en affaires.
Et en dessous de tout cela, nous avons ce que nous appelons un filet de sécurité. Je reprendrai, si vous le voulez bien, une analogie que j'ai déjà faite. Lorsqu'un trapéziste grimpe à l'échelle pour faire son spectacle, il a un filet de sécurité sous lui. Et le filet de sécurité n'aide en rien l'artiste à s'exécuter; il est là pour l'empêcher de se faire mal s'il tombe. J'aimerais que vous examiniez les agriculteurs sous cet angle. Il nous faut leur donner les outils dont ils ont besoin pour être performants, mais s'il advenait qu'ils tombent en raison de l'un ou l'autre des facteurs que j'ai déjà mentionnés, nous devons prévoir un filet. Au cours des dernières années, nous avons placé le filet lorsqu'un problème était déjà présent. C'est comme si on essayait de le placer sous le trapéziste tandis qu'il tombe. S'il y avait plusieurs trapézistes, certains d'entre eux tomberaient sur le sol et d'autres, dans le filet. Il nous faut nous engager à faire en sorte que le filet de sécurité soit déjà là lorsque surgit le problème. Nous ne voulons pas le placer lorsque le problème est déjà présent.
L'autre question dont nous avons beaucoup entendu parler concerne la part monétaire qui revient à chaque agriculteur. Vous êtes tous déjà familiarisés avec ce sujet. Lorsque M. Nick Parsons était à Ottawa, il avait calculé le revenu qui aurait été produit s'il avait fauché une rangée d'orge brassicole sur toute la distance qui sépare la Colombie-Britannique d'Ottawa. Si cet orge brassicole avait été utilisé pour la bière, il aurait produit pour 145 millions de dollars de bière. Eh bien, 52 p. 100 de cette somme auraient été consacrés aux impôts, 47 p. 100, aux détaillants, et un tout petit 1 p. 100, à l'agriculteur. En fait, la part de l'agriculteur équivaut à un dixième du montant exigé en dépôt pour la bouteille qui contient la bière. C'est un exemple, poussé à l'absurde, du contexte dans lequel évoluent les agriculteurs, qui sont incapables de ramener une part suffisante du dollar de marché dans leur exploitation.
J'aimerais parler un peu des règles commerciales, à la page suivante de mon document, sous la rubrique subventions internationales. Vous êtes tous familiarisés avec le fait que le Canada s'est engagé, après la dernière série de négociations, à réduire les subventions qu'il verse aux agriculteurs. Notre pays s'est engagé à ne pas verser de subventions à l'exportation et, fait intéressant, même s'il ne s'était pas alors engagé à les ramener à zéro, notre gouvernement a tout de même choisi de le faire. Nous en sommes actuellement à 15 p. 100 de nos engagements de dépenses de la catégorie «jaune». Si nous comparons nos dépenses à celles d'autres pays, nous constatons que le Canada verse moins à ses agriculteurs que les autres pays, peu importe quelle mesure nous utilisons pour évaluer les subventions versées dans d'autres pays. Si nous y allons selon un montant par habitant, nous constatons que le Canada dépense environ 145 $ par habitant en soutien agricole. Aux États-Unis, on estime le montant à 350 $. Au Japon, il atteint 550 $. Si vous mesurez le soutien sous forme de pourcentage de la valeur à la ferme, il se situe à environ 16 p. 100 au Canada et à 32 p. 100 aux États-Unis, si vous tenez compte de l'aide que ce pays accorde à ses producteurs d'aliments. À titre de simple comparaison des dépenses, elle se situe, pour le blé dur, à 16 $ la tonne au Canada, à 90 $ la tonne aux États-Unis et à 200 $ la tonne dans les pays de l'Union européenne. J'espère que je vous ai donné les bons chiffres; je ne les ai pas devant moi.
Les États-Unis ont déclaré quelque 7 milliards de dollars de dépenses de la «catégorie bleue» en 1995 ou 1996. Ils ont ensuite retiré cette somme de la «catégorie bleue». Dans la dernière série de négociations, ils s'étaient engagés à dire que les dépenses de la «catégorie bleue» n'étaient pas vraiment réglementaires, mais ils ont dit qu'ils les permettraient durant un moment et qu'ils finiraient par les retirer. Au Canada, lorsque nous réduisons les dépenses dans la «catégorie jaune» ou dans la «catégorie bleue», nous ne revoyons jamais l'argent. Aux États-Unis, lorsqu'ils ont retiré les dépenses de la «catégorie bleue», ils ont en fait placé à peu près le même montant dans la «catégorie verte», pour laquelle il n'y a pas de limite de dépenses. Même si la façon dont le gouvernement américain subventionne les agriculteurs est honnête et n'a pas d'effet de distorsion sur le commerce, nous croyons qu'il y a bel et bien un effet de distorsion sur le commerce. Nous avons donc prévu de demander que l'on impose une limite à l'égard de toutes les dépenses au cours de la prochaine série de négociations, et nous avons préconisé une diminution des dépenses, même de celles de la «catégorie verte».
Évidemment, cela a affecté notre capacité d'être compétitifs. Comme bon nombre de nos agriculteurs vivent tout près de la frontière, on n'a pas besoin d'être un génie pour comprendre que, lorsque les producteurs de l'autre côté obtiennent un chèque de 50 000 $, ils sont en mesure de s'accommoder avec plus de souplesse de modifications structurelles de la ferme. Ils sont capables de vendre leurs produits moins cher parce qu'ils savent qu'ils vont obtenir un chèque du gouvernement.
Il y a ensuite l'accès aux marchés étrangers. Nous dépendons beaucoup du maintien et de l'expansion des marchés d'exportation. Je ne veux pas vous accabler de chiffres aujourd'hui, mais je pense que nous devrions nous pencher sur ce qu'a fait le Canada après la dernière série de négociations. On dit souvent que le Canada est un pays protectionniste. À l'heure actuelle, le Canada est le pays de la Quadrilatérale qui applique le plus de contingents tarifaires. En fait, nous en appliquons 30 p. 100 de plus que la moyenne de l'OMC. Pour les tarifs agricoles, le Canada se situe à l'avant-dernier rang des pays de l'OCDE. En fait, nos tarifs agricoles moyens sont plus faibles que nos tarifs industriels. À l'OCDE, les tarifs agricoles sont en moyenne 4,27 fois plus élevés que les tarifs industriels, mais les nôtres sont plus bas.
À la lumière de ces chiffres, vous pouvez constater que le Canada a exercé un véritable leadership en ce qui concerne l'accès aux marchés et leur ouverture. Nous nous attendons à ce que d'autres pays fassent de même au cours de la prochaine série de négociations de l'OMC. La réussite de nombre de nos agriculteurs dépend d'une amélioration de leur accès au marché d'autres pays. Pour y arriver, il faudra éliminer des subventions à l'exportation et établir une certaine forme d'équité dans le soutien qu'accorde notre pays aux agriculteurs pour faire en sorte qu'ils n'aient plus à concurrencer le trésor gouvernemental d'autres pays. Les subventions internationales et l'accès au marché ont de réelles répercussions sur la capacité des agriculteurs de produire des revenus et d'avoir de saines rentrées de fonds.
Nous avons aussi établi des programmes qui se fondent directement sur les règles commerciales. Comme vous le savez, nous avons tenté d'établir un ensemble de mesures qui constituent un filet de sécurité efficace, mais nous nous retrouvons toujours devant les contraintes de l'annexe 2 et de l'accord sur l'agriculture. Comme nous sommes si vulnérables aux mesures commerciales, nous devons nous assurer de ne pas concevoir un filet de sécurité qui nous exposerait à des mesures d'ordre commercial de la part des États-Unis ou de tout autre pays dont le marché d'exportation a une importance pour nous. Un bon exemple de cela est ce qui s'est produit dans l'industrie du boeuf depuis un an. Nous avons remporté une victoire, mais il a fallu que les agriculteurs dépensent énormément d'argent pour défendre leur droit au commerce et que le gouvernement en dépense lui aussi beaucoup pour la même raison. C'est lui qui est responsable de protéger les agriculteurs lorsqu'une mesure commerciale est imposée. C'est lui qui doit protéger nos agriculteurs lorsqu'ils répondent à son appel pour augmenter leur production afin de développer les marchés d'exportation, et c'est à lui qu'il incombe de les protéger contre leur plus grande vulnérabilité face aux marchés d'exportation.
Nous avons examiné le commerce et son influence sur les revenus bruts et la capacité de nos agriculteurs de fonctionner dans un tel environnement. J'aimerais maintenant passer un moment à examiner la réglementation intérieure. J'ai mentionné plus tôt qu'elle a inévitablement des répercussions sur le revenu des agriculteurs. Prenez par exemple la loi sur les espèces menacées qui a été déposée la semaine dernière. Les agriculteurs se demandent en quoi ce projet de loi touchera leur capacité d'exploiter leur ferme. Y aura-t-il davantage de coûts pour la ferme? Cela donnera-t-il lieu à des poursuites pour nuisance de la part de civils qui vivent autour de la ferme? En quoi est-ce que cela nuira à la capacité des agriculteurs d'empêcher leurs coûts d'augmenter et leur marge de profit de baisser?
Nous avons ensuite la réglementation sur les moulées médicamenteuses. Les représentants de l'industrie du porc me disent que si la réglementation proposée par l'Agence canadienne d'inspection des aliments est adoptée telle quelle, l'industrie du porc pourrait à elle seule faire face à une augmentation des coûts de 40 millions de dollars. Encore une fois, nous aurions des agriculteurs qui doivent se conformer à cette réglementation tandis que ceux des États-Unis n'ont pas à se conformer à une réglementation aussi stricte. Il faudra là aussi procéder à une meilleure harmonisation.
Vous êtes tous familiarisés avec l'examen du transport de céréales et les répercussions qu'il a eues pour nos agriculteurs. Le ministre des Transports devrait bientôt faire une annonce pour veiller à ce que les gains d'efficience réalisés par les exploitants des chemins de fer profitent aussi aux agriculteurs. C'est d'une importance fondamentale. En fait, un sondage informel réalisé en Saskatchewan a révélé que deux choses étaient primordiales pour les agriculteurs: l'élimination des subventions à l'exportation et la réduction des coûts du transport. Voilà un exemple de la façon dont nous pouvons donner à nos agriculteurs de meilleurs outils pour qu'ils puissent être plus performants. Il ne s'agit pas de demander au gouvernement plus d'argent pour améliorer le filet de sécurité. Il s'agit de demander au gouvernement d'appliquer une réglementation qui réduira les coûts pour les agriculteurs et retournera à la ferme une partie des gains d'efficience réalisés par les sociétés de chemin de fer.
Nous avons toute une pléthore d'autres règlements. Le protocole sur la biosécurité en est un. Il a été élaboré à Montréal il y a quelques semaines. Il aura une incidence sur, tout d'abord, les coûts que doivent payer les agriculteurs, parce que nous sommes bien prêts de les forcer à séparer leurs produits à la ferme. De plus, cela pourrait nuire au commerce. Lorsque nous examinons nos buts et objectifs, nous constations que nous nous sommes donné pour but d'obtenir 4 p. 100 du commerce agricole mondial d'ici 2005; pourtant, quelqu'un d'autre au gouvernement peut être sur le point de signer un accord qui nous empêchera de réaliser ces buts et objectifs. Il est temps d'établir de meilleurs liens entre les politiques agricoles et certaines des réglementations que nous avons pour que l'élaboration d'un règlement ou d'une politique agricole ne se fasse pas au détriment d'une autre politique agricole et n'empêche pas les agriculteurs de réaliser leurs buts et objectifs.
Passons maintenant à la réglementation intérieure. La FCA examine de près toutes les politiques et tous les règlements relatifs à la microagriculture pour voir s'il serait possible de créer un milieu plus stable pour les agriculteurs, de leur fournir de meilleurs outils pour travailler et de leur donner la capacité de concurrencer et de faire un peu d'argent. Trop souvent, nous adoptons une mentalité de survivant; nous estimons que si les agriculteurs peuvent tout juste se débrouiller ou si nous pouvons leur éviter de fermer leur exploitation, alors tout va bien. Ainsi, les agriculteurs sont toujours bien près de perdre leur ferme. Si cela se produit, c'est notre infrastructure rurale qui en souffre; en fait, c'est l'ensemble de la collectivité agricole telle que nous la connaissons aujourd'hui.
Je le répète, lorsque nous parlons de survivre, de donner aux agriculteurs la capacité de fonctionner de façon stable et viable, nous devons nous assurer d'examiner toute la réglementation et de cerner les outils nécessaires, mais nous devons aussi nous assurer de protéger les agriculteurs contre les risques accrus auxquels ils sont exposés si leur industrie doit dépendre des marchés d'exportation et s'ils doivent répondre à l'appel du gouvernement, qui les invite à accroître leur contribution à l'économie canadienne.
J'aimerais revenir plusieurs pages en arrière pour examiner une nouvelle fois les programmes de filet de sécurité. Nous avons souligné certains des plus importantes composantes de ce que nous considérons comme un bon filet de sécurité pour les agriculteurs. Là encore, vous pourrez voir que les règles commerciales ont d'énormes répercussions sur notre capacité de concevoir des programmes qui assurent un filet de sécurité. Je me hâte d'ajouter que ce n'est pas parce que nous ne sommes pas capables de concevoir un bon programme de ce genre. Le problème, c'est que nous nous retrouvons toujours à court d'argent. Il nous semble parfois que nous avons adopté une politique selon laquelle nous mesurons les besoins des agriculteurs à l'aune de l'argent que nous jugeons disponible. Nous devrions commencer par évaluer les besoins des agriculteurs puis nous arranger pour trouver suffisamment d'argent pour y répondre.
De plus, en raison de ces contraintes monétaires, lorsque nous voulons améliorer nos programmes -- et l'ACRA en est un bon exemple, parce que nous savons tous qu'il nous faut modifier l'ACRA pour la rendre plus efficace --, tout ce que nous faisons alors, c'est de déplacer de l'argent d'un secteur à un autre. Quand nous n'avons pas de fonds supplémentaires, plutôt que de prévoir suffisamment d'argent pour l'injecter là où on en a le plus besoin et de financer tous les secteurs qui en ont besoin, nous nous retrouvons dans une position frustrante: prendre de l'argent ici pour le placer là. S'il y a alors un manque, nous modifions de nouveau le programme et reprenons l'argent là pour le mettre ici, et nous n'arrivons jamais à avoir suffisamment d'argent pour nous assurer qu'il y en a partout et surtout aux endroits où on en a le plus besoin. Évidemment, nous cherchons actuellement à améliorer la formule.
Je crois avoir déjà dit qu'il n'était pas question de demander toujours plus d'argent. Il s'agit de nous concentrer sur les programmes qui assurent un filet de sécurité et sur ce qu'il faut faire pour les améliorer et y mettre le prix, de telle sorte que nous saurons si nous avons un bon programme et un filet de sécurité adéquat lorsque les agriculteurs se retrouveront dans une situation pénible comme celle qu'ils traversent aujourd'hui.
Nous avons mis le CSRN au nombre des piliers les plus importants. Le CSRN a très bien permis aux agriculteurs d'atténuer les légères variations de revenu, et de les ramener entre 70 et 100 p. 100 de leur marge de référence pour les cinq années précédentes. Le CSRN peut être amélioré si l'on augmente la contribution du gouvernement. À l'heure actuelle, le CSRN est configuré de telle sorte que certains comptes augmentent et qu'il semble y avoir beaucoup d'argent au sommet, mais il y a aussi de nombreux agriculteurs au bas qui n'ont à peu près pas d'argent dans leur compte du CSRN. Il nous faut améliorer le CSRN pour qu'il permette aux agriculteurs d'accumuler de l'argent dans leur compte de façon à en avoir suffisamment s'il advenait des problèmes de revenu net.
L'assurance-récolte diffère d'une province à l'autre au Canada. Là encore, nous estimons qu'il faut fournir assez d'argent pour avoir un programme équitable de gestion du risque lié à la production pour tous les agriculteurs du Canada s'il advenait un désastre naturel.
Il y a ensuite l'ACRA, quoique, en raison des risques politiques associés à cet acronyme, nous avons pensé à peut-être le rebaptiser lorsque sa formule aura été améliorée. Bien sûr, nous avons établi qu'un programme de soutien du revenu en cas de catastrophe doit être établi à partir des points forts de l'ACRA, si l'on veut répondre aux besoins futurs. L'ACRA comporte de bons éléments. Nous devons nous assurer de les prendre en considération lorsque nous établirons un programme durable de soutien du revenu en cas de catastrophe et d'y intégrer des composantes qui nous permettront de procurer un revenu plus adéquat aux agriculteurs qui sont victimes d'une catastrophe.
Nous examinons de très près notre filet de sécurité actuel. Il comporte un autre pilier important: les programmes accessoires. Nous avons le CSRN. Nous avons besoin d'un programme d'aide en cas de catastrophe. Nous avons besoin d'une assurance-récolte ainsi que de solides programmes accessoires. Les programmes accessoires permettent aux provinces de répondre aux besoins particuliers de leurs producteurs au chapitre du filet de sécurité.
Nous prenons tout le soin voulu pour établir les programmes qui forment notre filet de sécurité. Nous travaillons tout d'abord à l'échelle de la SCA. Nous travaillons en très étroite collaboration avec le comité consultatif national sur la protection du revenu, qui est un comité ministériel, et je pense que nous nous rapprochons de notre but, qui est de déterminer ce qu'il faut inclure dans un bon programme. Cependant, cela fait, nous devons encore trouver une façon de le financer. Nous vous demandons aussi votre aide pour nous assurer d'obtenir un financement adéquat qui nous permette de donner à nos agriculteurs plus de stabilité, une meilleure stabilité, surtout dans les cas où l'industrie n'a pas toute la viabilité voulue en raison d'éléments comme les pressions exercées par d'autres pays, les catastrophes naturelles et les augmentations du coût des intrants, de sorte que nos agriculteurs n'aient pas l'impression de se trouver dans une situation précaire, mais sentent qu'une chose est en place pour les protéger s'ils en ont besoin. Comprenez-moi bien: nos agriculteurs préféreraient beaucoup tirer leur argent du marché. Et tous les agriculteurs sont du même avis. Ils aimeraient obtenir leur argent du marché, mais ils constatent en même temps que cela n'est pas toujours possible.
Si vous passez maintenant à la dernière page du document, j'aimerais souligner qu'il n'y a pas de solution simple au problème qui se pose à nous. Pour l'industrie agricole à long terme, il nous faut des outils adéquats, de meilleurs outils qui permettent à nos agriculteurs d'être plus performants, et il nous faut un filet de sécurité qui empêchera les agriculteurs d'échouer lorsque'ils n'ont pas les outils nécessaires ou lorsque les outils brisent et qu'ils n'ont pas les moyens de réaliser leurs buts et objectifs.
L'une des questions que me posent le plus souvent les agriculteurs de partout au Canada est celle-ci: le Canada a-t-il une politique agricole? Nous avons beaucoup de ce que j'appelle des politiques sur la microagriculture, mais il nous faut établir plus de liens entre ces politiques, entre leur application par les divers ministères et entre les divers règlements que nous établissons. Trop souvent, lorsque nous établissons ici une politique, elle peut aller à l'encontre d'une autre politique.
Je vais vous donner l'exemple du transport. Si nous pouvions remettre 120 millions de dollars des gains d'efficience réalisés par les sociétés de chemin de fer aux agriculteurs, on peut facilement présumer que ce serait 120 millions de dollars d'économisés en programmes de filet de sécurité. Par conséquent, nous insistons actuellement pour dire qu'il nous faut une politique agricole canadienne générale, qui englobe toutes les politiques relatives à la microagriculture que nous avons établies et qui paraîtra logique au regard des diverses politiques agricoles que nous avons établies, que ce soit dans le domaine des pesticides, du transport, du commerce, de l'environnement ou de la biotechnologie. Toutes sont connectées par des liens très solides, de sorte que la communauté agricole dispose d'un solide ensemble de politiques que nous pouvons appliquer dans le cadre de la politique agricole canadienne générale que nous avons établie.
Pour terminer, je répéterai qu'il nous faut avoir, sous tout cela, un filet de sécurité complet qui entrera en jeu lorsque les politiques et les outils que nous avons établis pour sous-tendre la politique agricole canadienne ne fonctionnent pas où lorsque nous sommes incapables de donner aux agriculteurs les outils dont ils ont besoin. Avec un tel filet de sécurité, nous pourrons veiller à ce que la chute ne cause pas trop de mal aux agriculteurs et qu'ils puissent se relever.
La vice-présidente: Comme vous le savez, nous souhaitons produire un rapport au cours des prochains mois à la suite des présentes audiences. Votre exposé a certes abordé tous les secteurs qui nous préoccupent.
Le sénateur Chalifoux: Votre exposé était très informatif. J'étais dans la région de Peace River il y a quelques semaines et j'ai parlé à plusieurs agriculteurs. Dans cette région du nord de l'Alberta et de la Colombie-Britannique, la sécheresse a eu des effets dévastateurs. Elle dure depuis trois ans, et on s'attend à ce qu'elle se poursuive cette année. Personne ne semble s'occuper de cette situation.
Ma première question aura trait à l'ACRA. D'autres agriculteurs m'ont dit que, en ce qui concerne le filet de sécurité dont vous disposez, les agriculteurs doivent posséder une assurance-récolte pour accéder à l'ACRA. Mais ils n'ont pas l'argent pour le faire. Pouvez-vous m'en dire plus à ce sujet?
Ensuite, il s'est instauré depuis plusieurs années une très bonne organisation agricole autochtone. J'aimerais savoir si elle est membre de votre organisation et ce que vous faites à ce sujet. De plus en plus d'Autochtones commencent à s'occuper d'agriculture.
M. Friesen: Votre dernier point est très intéressant, parce que nous cherchons toujours à attirer de nouveaux membres et à élargir nos cadres. Je vais examiner cette question dès que je vais sortir d'ici.
Le problème que vous avez souligné au sujet du lien entre l'assurance-récolte et le programme d'aide au revenu en cas de désastre concerne le programme d'aide au revenu agricole en cas de désastre de l'Alberta. À l'heure actuelle, il n'est pas obligatoire d'acheter une assurance-récolte pour être admissible aux paiements de l'ACRA. Mais il s'agit bel et bien d'un problème.
Je vais souligner brièvement, si vous le voulez bien, quelques-uns des éléments que nous cherchons à intégrer à l'ACRA. Tout d'abord, nous avons encore un lien entre l'ACRA et le CSRN; en fait, si vous êtes admissible à un chèque de l'ACRA, on déduira 3 p. 100 des ventes nettes auxquelles vous êtes admissible de votre chèque pour en réduire le montant. M. Basillais a fait certaines recherches à ce sujet et a découvert que l'ACRA aurait reversé bien plus d'argent, en fait, beaucoup beaucoup plus d'argent en 1998 et en 1999 si ce lien n'avait pas existé. Fait intéressant, cet argent aurait été remis aux producteurs qui jugeaient le plus que l'ACRA est inadéquat. Nous pensons éliminer ce lien.
En ce qui concerne les sécheresses continues dont sont victimes des communautés agricoles, cela a pour effet de diminuer de façon progressive le rendement historique des agriculteurs, de sorte que les paiements d'assurance-récolte en souffrent. Le même problème se pose pour l'ACRA. Si nous ne pouvons reprendre l'exploitation agricole, l'ACRA finira par être totalement inefficace. C'est pire pour le secteur du grain et des oléagineux, parce que l'industrie du porc a déjà amorcé un retournement. En ce qui concerne l'industrie du bétail, les pointes durent moins longtemps. Vous voulez avoir une diminution spectaculaire, mais une reprise s'amorce rapidement et peut mener à une hausse spectaculaire, de sorte que les marges de référence qu'on applique aux agriculteurs reprennent du poil de la bête beaucoup plus rapidement et que l'ACRA a la capacité de refaire ses frais à ce moment-là. C'est l'un des problèmes que nous examinons actuellement pour ce qui touche les programmes d'assurance revenu à long terme en cas de catastrophe.
Le sénateur Chalifoux: Les agriculteurs m'ont aussi parlé de la question des transports. Les transports coûtent beaucoup plus cher. Ils veulent savoir pourquoi ils ne peuvent transporter leurs grains vers le port de Prince Rupert plutôt que vers celui de Vancouver, parce que ce serait beaucoup plus économique et viable pour eux. Avez-vous des commentaires à ce sujet?
M. Benoît Basillais, analyste de politique, Fédération canadienne de l'agriculture: Voici une question très spécifique. Ce ne sont pas les agriculteurs qui décident, ce sont les compagnies. À Prince Rupert, il y a beaucoup de problèmes à savoir à qui appartient le port. Il s'agit d'un problème énorme qui dure depuis longtemps. Malheureusement, la FCA ne peut pas y faire grand-chose. Toute la question revient à savoir qui possède le port de Prince Rupert.
Au sujet de votre question à propos de l'assurance-récolte, ce problème concerne spécifiquement l'Alberta. L'Alberta exploite son propre programme et a des règles spécifiques. C'est l'un des problèmes de l'ACRA. Il s'agit d'un programme national, mais il y a cinq ou six programmes provinciaux dont les règles diffèrent. En Alberta, les agriculteurs peuvent devoir adhérer à une assurance-récolte pour être admissibles au programme de sécurité du revenu agricole, mais ils n'en ont pas besoin pour l'ACRA, qui compte pour 60 p. 100.
M. Friesen: Il y a deux choses qui nous frustrent et dont j'aimerais parler. Tout d'abord, il a été très frustrant que le gouvernement ne puisse régler la question des transports. Cela aiderait énormément les agriculteurs de l'Ouest. Ensuite, en ce qui concerne l'ACRA, le gouvernement fédéral a fait preuve de beaucoup de souplesse dans sa refonte de l'ACRA tandis que nous l'utilisions en 1998 et 1999. Dans bien des cas, les changements de formule étaient rétroactifs. Ce qui est si frustrant, c'est que le gouvernement fédéral a vu que l'ACRA était mal conçue dès le départ et que nous avons dû en modifier la formule; il avait alors accepté les changements, mais les gouvernements provinciaux sont intervenus de façon très différente. Si vous examinez la feuille qui énumère les changements de formule ayant été apportés, notamment sur le travail familial, le calcul des stocks, les marges négatives et l'élargissement de la taille de la ferme, vous pouvez voir que la situation de chaque province est très différente. Lorsqu'on le ramène à l'échelle provinciale, nous constatons que le programme ACRA manque énormément d'uniformité.
Un facteur vient encore compliquer les choses: le fait que le gouvernement fédéral contribue à hauteur de 60 p. 100, et les gouvernements provinciaux, à hauteur de 40 p. 100. Vous avez donc une couverture de 60 p. 100 pour nombre des changements de formule, mais pour récupérer les 40 p. 100 supplémentaires, il vous faudra habiter une province qui a appuyé les changements de formule en question. Cela s'est révélé extrêmement frustrant. Tout cela ne vise qu'une chose: faire épargner de l'argent aux provinces.
Le sénateur Stratton: C'est bon de vous revoir, monsieur Friesen. Je m'intéresse à l'aspect du problème qui concerne la réglementation. Nous devrions examiner la question, parce qu'il s'agit d'un aspect dont nous avons entendu parler, mais que nous n'avons pas réellement examiné. Le croque-mitaine dont nous entendons le plus souvent parler et qui m'inquiète le plus est l'Organisation mondiale du commerce. Comme je vous l'ai dit auparavant, ce n'est pas une résolution à court terme. Elle est à long terme. Il a fallu sept ans pour établir la dernière et 10 ans pour la peaufiner, et on peut facilement prévoir que la même chose se produira dans ce cas-ci. Ça frustre tout le monde que la Communauté européenne soit la plus lente à venir s'installer à la table.
Nous savons donc que le problème durera de 15 à 20 ans. Il nous faut une solution à long terme. Nous avons besoin de programmes qui répondent aux besoins immédiats, parce qu'il semble qu'on ait désespérément besoin d'une aide tout de suite. Compte tenu de tout cela, le plan de trois ans établi le 23 mars au sujet du filet de sécurité et du revenu agricole est-il adéquat à vos yeux?
M. Friesen: En ce qui concerne l'accord fédéral-provincial, je vous parlerai tout d'abord, si vous le voulez bien, du mauvais côté de ce qui s'est produit, après quoi je tenterai courageusement de trouver un bon côté. Pour conclure l'affaire, il fallait retirer 65 millions de dollars du fonds d'aide en cas de catastrophe pour préserver la situation des provinces dans la réaffectation du financement du filet de sécurité. Nous avons insisté pour que le fonds d'aide au revenu en cas de catastrophe demeure intact et soit affecté aux fins pour lesquelles il avait été établi. Nous avons donc plutôt retiré les 65 millions de dollars et les avons versés dans l'ensemble du fonds prévu comme filet de sécurité, l'autre fonds de la «première boîte» ou fonds un, selon le nom que vous voulez lui donner. Nous avons maintenant un chiffre encore plus faible avec lequel travailler pour améliorer la forme que prend notre fonds d'aide en cas de désastre lié au revenu.
Nous avons insisté auprès du gouvernement pour qu'il ajoute plus d'argent plutôt que de faire cela. Ça ne nous dérangeait pas que les provinces exigent plus de fonds de la part du gouvernement fédéral, mais c'est là aussi un exemple de ce dont j'ai parlé plus tôt. Nous ne pensons pas que, pour résoudre ce problème, il devrait prendre de l'argent d'ici pour le mettre là, d'une province à une autre, d'un agriculteur à un autre ou d'un fonds à un autre. Il devrait tout simplement augmenter l'enveloppe pour que toutes les provinces aient un financement adéquat. Inutile de dire que ce n'est pas cela qui est arrivé, quoiqu'il semble qu'il injectera 40 millions de dollars pour protéger le Manitoba et la Saskatchewan. Je pense que la situation du Nouveau-Brunswick a été réglée avec la façon dont ils ont fait ce calcul, de sorte que ce n'est plus un problème.
En ce qui concerne le côté positif, les agriculteurs commençaient à sentir beaucoup d'insécurité parce qu'il semblait difficile de parvenir à un accord, même si nous étions persuadés que le gouvernement viendrait en aide aux agriculteurs dans chaque localité agricole. Les agriculteurs avaient manifestement besoin d'une entente qui leur donnerait plus de stabilité. C'est une chose positive qui s'est produite. L'autre est le fait que l'argent réservé en cas de catastrophe liée au revenu était garanti pour une année supplémentaire. Plutôt que d'avoir seulement deux ans, nous en avons maintenant trois. Ainsi donc, pour trois ans, sous réserve que le financement réservé aux catastrophes liées au revenu soit suffisant, je pense que les agriculteurs ont atteint une certaine stabilité.
Cependant, trois ans, ce n'est pas assez long. Un filet de sécurité ou des programmes à ce sujet, ce n'est pas quelque chose que vous pouvez mettre sur une tablette pendant un certain temps pour vous en servir uniquement lorsque surgit une catastrophe, parce qu'il est inévitable que des agriculteurs ne seront alors pas protégés. Trois ans, ce n'est pas ce que l'on peut qualifier de long terme pour un programme. Pourquoi ne pas l'avoir fait pour 20 ans? Si l'argent n'est pas nécessaire, alors on ne l'utilisera pas. Mais s'il est nécessaire, il devrait être là pour qu'on puisse l'utiliser.
Fait intéressant, nous avons recommandé au ministre qu'un fonds d'aide au revenu en cas de catastrophe soit renouvelable. Autrement dit, s'il y a 500 millions de dollars dans le fonds pour l'année 2000 et que nous n'en avons besoin que de 200 millions, reportons les 300 millions de dollars restants sur l'année 2001. Logiquement, puisque l'agriculture fonctionne par cycle, le fonds resterait là, et les gouvernements n'auraient pas à y ajouter quoi que ce soit durant plusieurs années. Mais le gouvernement n'aime pas que les choses soient ainsi. Il préfère mettre l'argent là pour un an puis le dépenser ou le perdre. Il n'aime pas notre idée, mais nous avons jugé qu'il s'agissait d'une offre bien légitime.
Le sénateur Stratton: C'est ce qu'ils font avec le compte de l'assurance-emploi. Il y aura 35 milliards de dollars dedans cette année.
L'aspect intéressant, c'est que tandis que nous entendons les divers groupes nous faire part de leurs préoccupations, nous attendons. À tout le moins, moi j'attends. En ce qui concerne les programmes du filet de sécurité, vous avez dit dans votre déclaration que vous analysez actuellement diverses options. Allez-vous présenter un plan exhaustif au gouvernement ou peut-être nous en présenter un? J'aimerais que les divers groupes déposent sur la table quelque chose qui montre clairement la route à suivre. Est-ce une variation de l'ancien RARB? Est-ce que cela se fonde sur l'ACRA existant et sur le CSRN? Il faut que ce soit précisé clairement pour que le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux puissent proposer six ou sept solutions différentes.
M. Murray Downing, de Reston, au Manitoba, a élaboré un programme du genre. J'ai trouvé ce programme plutôt curieux. J'aimerais bien que M. Downing soit ici. Il dispose d'un certain soutien, qui augmente considérablement dans tout le Manitoba et toute la Saskatchewan. Avez-vous vu son programme? C'est une variation du RARB, soit dit en passant.
M. Friesen: Oui. Nous avons eu plusieurs rencontres avec Murray Downing. Nous avons tenu une réunion du comité consultatif national sur la protection du revenu la semaine dernière à Winnipeg, où les gens nous ont présenté quatre ou cinq propositions sur un programme de protection du revenu. Murray Downing était l'un d'entre eux. Une autre proposition a été présentée par la section locale 10 de Keystone Agricultural Producers au Manitoba. Sid Gordon nous en a présenté une, et un homme du nom de Jason Dearborn, de la Saskatchewan, a présenté l'autre. Nous avons écouté toutes les propositions et les avons examinées au regard de certains des règlements dont je parlais plus tôt. Le commerce est une grosse affaire. Même si je ne suis pas sûr que l'une ou l'autre de ces propositions pourrait se traduire par un bon programme autonome, j'estime que nous pourrions utiliser des idées de toutes les propositions. Le problème le plus évident de la proposition de Murray Downing est évidemment le commerce. Il ne serait pas vert.
Une des autres choses que nous avons examinées est l'ampleur de la vulnérabilité que nous pouvons assumer lorsque nous concevons un filet de sécurité. Le CSRN n'est pas vert non plus, mais dans ce cas à tout le moins, nous estimons ne pas nous être placés en trop grande situation de vulnérabilité, de sorte que nous nous en sortons, pour ainsi dire. La proposition de Murray Downing est fondée sur la production et le prix actuels, et cela pose un problème. Après notre rencontre avec lui, nous avons analysé toutes les propositions, et nous allons partir de là.
La vice-présidente: Le dépliant de Murray Downing est actuellement à la traduction et sera distribué à tous les membres du comité dès que possible.
Le sénateur Stratton: Je vous en remercie, parce qu'il a téléphoné périodiquement. Je pourrai au moins lui donner le nom de M. Friesen, qui affirme que la proposition pose des problèmes sur le plan commercial. Peut-être qu'il croira davantage M. Friesen que nous.
Le sénateur St. Germain: Une chose me préoccupe vraiment. J'oeuvre encore dans le secteur agricole, et ce qui me préoccupe le plus, c'est le projet de loi sur les espèces menacées. Pour ceux d'entre nous qui exploitent encore une ferme, un ranch ou un autre établissement du genre, voilà un projet de loi qui fait vraiment peur. Les politiciens et les citoyens des villes ne font pas souvent face aux situations que l'on vit dans le domaine de l'agriculture. Le plus gros problème qui touche la faune, c'est l'incursion des gens dans leur habitat. Nous avons une politique selon laquelle nous faisons entrer les gens au pays par centaines de milliers. Je ne dis pas qu'il s'agit d'une mauvaise politique. Je ne la critique pas, mais on ne peut avoir le beurre et l'argent du beurre. On ne peut amener des centaines de milliers de personnes au pays et multiplier notre population sans devoir en payer le prix. Et votre habitat va en payer le tribut le plus lourd.
Les pays surpeuplés, les pays densément peuplés dont la population est excessivement nombreuse n'ont pratiquement pas d'habitat, pas de gibier. Tout meurt, et l'homme finira par détruire la face de la Terre s'il est laissé à lui-même. Puis, voilà qu'entre en jeu le projet de loi sur les espèces en péril. J'entrevois un impact terrifiant lié à ce dont vous parlez, à propos de l'arrosage et de tous les aspects de la question. Je vois ce qui se passe dans ma propre province, la Colombie-Britannique, en ce qui concerne l'exploitation forestière et la chouette tachetée. On déboise des zones énormes, et les gens poussent les hauts cris parce qu'il n'y a pas d'emploi. C'est la même chose.
Quel mot le monde agricole a-t-il eu à dire dans l'élaboration de ce projet de loi sur les espèces en péril? Il ne s'agit pas d'une question sectaire. Les citadins, qu'ils soient membres du Parti conservateur, du NPD ou d'autre chose encore, essentiellement, ne sont pas réalistes. Ils parlent de la cruauté faite aux animaux et ainsi de suite, et disent que l'homme ne devrait pas faire ceci ou cela; par contre, ils vont manger un hamburger chez McDonald's sans y penser à deux fois. C'est tellement hypocrite. Le monde urbain a grandi avec cette mentalité sans réalisme, à l'abri des problèmes. Personne ne se tient debout et ne conteste, car on compte sur des orateurs qui sauraient vanter les vertus de toute chose, quelle qu'elle soit. Les pauvres agriculteurs et éleveurs et gens victimisés -- ils doivent s'asseoir et avaler cela, et réduire leurs revenus et s'adapter. Je vous demande donc si vous avez eu votre mot à dire dans l'élaboration de ce projet de loi.
M. Friesen: Je ne saurais trop insister là-dessus: les agriculteurs veulent être responsables. Ils veulent maintenir l'équilibre de l'environnement. Ils veulent vivre dans le même environnement que tout le monde. Dans une certaine mesure, cela ne les dérange pas d'avoir à rendre des comptes. Par contre, là où le travail supplémentaire, le stress supplémentaire ou les coûts supplémentaires proviennent du fait que le public souhaite faire quelque chose, les agriculteurs insistent pour que les frais soient partagés. Nous voulons être responsables, mais nous ne pouvons faire tout cela et protéger l'environnement et respecter toutes les autres règles. Les agriculteurs ne peuvent pas supporter tous les coûts de cela. Tout ce fardeau ne peut être mis sur les épaules des seuls agriculteurs.
Nous avons participé au processus de consultation concernant le projet de loi sur les espèces en péril. Au départ, plusieurs choses nous préoccupaient. Premièrement, nous ne pouvions sanctionner un projet de loi susceptible de mettre un terme aux activités d'un agriculteur. Deuxièmement, si un agriculteur est touché par cela au point où il doit assumer des coûts supplémentaires, nous voulons être dédommagés. Troisièmement, on nous a encouragés à atteindre nos objectifs par le truchement de mesures incitatives. Une des choses que nous avons apprises au moment de rencontrer les bureaucrates à ce sujet, c'est que ceux-ci préféraient inciter les agriculteurs à se conformer à la réglementation en question. Toutefois, nous avons beaucoup insisté pour dire qu'un dédommagement s'imposait si un agriculteur ne pouvait faire ce qu'il faut faire sans engager des frais, surtout s'il est touché au point où il doit cesser ses activités pendant un certain temps. Cela ne fait donc aucun doute: il faudrait que nous soyons dédommagés.
L'autre souci que nous avions au départ, dont la source aurait été éliminée, paraît-il, c'est que le projet de loi permette au public de harceler les agriculteurs au moyen d'actions en justice de toutes sortes. Or, les membres de mon personnel et d'autres gens encore ont pu me dire que ce problème, dans une très grande mesure, a été éliminé aussi.
Certes, nous allons poursuivre avec la consultation, et au moment où le projet de loi passera à l'étape de l'étude en comité, nous allons certainement travailler de concert avec le comité pour nous assurer que les intérêts des agriculteurs sont défendus. Comme je l'ai dit, les agriculteurs veulent être responsables, et cela ne les dérange pas d'avoir à rendre des comptes dans la mesure où la responsabilité et les comptes à rendre sont partagés avec le grand public.
Le sénateur St. Germain: Je ne sais pas si vous habitez à la ferme, mais l'autre jour j'étais chez moi, à Pemberton. On m'a dit que des gens passaient sur la terre. C'était quelqu'un qui disait représenter la direction générale des pêches. Les gens ont l'impression que si vous possédez une terre plus grande qu'un lot en ville, tout le monde a le droit de la traverser sans s'en soucier autrement. Par contre, si vous mettez le pied sur le lot d'un type au centre-ville de Vancouver, celui-ci fera venir la police dans les 30 secondes, et vous serez arrêté pour avoir passé sur un terrain privé. Voilà la différence dans les mentalités. Les citadins pensent qu'ils peuvent venir chez vous et se promener partout sur la terre sans s'en soucier.
Quant à la question de savoir si le public peut harceler le monde des éleveurs et le monde des agriculteurs, qui d'autre que vous a fait valoir des observations sur la question? Quelle protection existe vraiment à cet égard? Le projet de loi sera adopté, j'imagine; je tiens seulement à ce que le monde agricole suive de près cette question, dès le départ.
De la façon dont les choses fonctionnent à Ottawa, le pouvoir a souvent préséance sur les principes, et cela vaut quel que soit le gouvernement en place -- conservateurs, libéraux, et cetera. Dans les dossiers qui ont un impact sur tout le monde, comme celui-ci, je tiens à savoir ce que vous faites et si d'autres organisations du monde agricole suivent de près à propos de ce projet de loi, au fur et à mesure qu'il suit la filière législative.
M. Friesen: À ma connaissance, tous ceux qui sont touchés par la question ont certainement fait partie des consultations. Je m'attends à ce qu'ils fassent partie des consultations à l'étape de l'étude en comité. Je ne saurais nommer par contre tous ceux qui ont présenté des observations au ministre.
Le sénateur St. Germain: Y a-t-il un lien entre votre organisation et la Cattlemen's Association et diverses autres organisations? Êtes-vous reliés ou fonctionnez-vous tous individuellement?
M. Friesen: La Cattlemen's Association n'est pas membre de notre organisation. Nous collaborons très étroitement avec elle dans des dossiers comme ceux de l'environnement et des espèces en péril. Nous avons collaboré avec elle également dans ce dossier.
[Français]
Le sénateur Gill: Je voudrais revenir à une question posée par le sénateur Chalifoux concernant les membres de la fédération. Si je comprends bien votre témoignage, votre organisation regroupe des associations provinciales d'agriculteurs oeuvrant dans à peu près tous les domaines de l'agriculture. Des autochtones font-ils partie de votre fédération? J'imagine qu'il y en a sans doute dans les associations provinciales.
Souvent on retrouve des problèmes, comme le sénateur St. Germain le mentionnait, de harcèlement des agriculteurs, il y en a aussi pour les autochtones. Ce sont des expériences que nous vivons actuellement.
Je ne sais pas si cette pratique est utilisée par votre fédération mais souvent on renvoie les autochtones au ministère des Affaires indiennes. Est-ce qu'on accepte chez vous que les autochtones puissent être membres de vos associations provinciales ou nationales? La réaction habituelle des organisations nationales est de renvoyer ces gens au ministère des Affaires indiennes puisqu'ils ont une certaine responsabilité. Est-ce que chez vous la philosophie veut que vous acceptiez des membres autochtones évidemment dans le domaine de vos compétences?
[Traduction]
M. Friesen: Tout à fait. Nous ne faisons pas de distinction entre les agriculteurs. La Fédération canadienne de l'agriculture ne compte pas de membres individuels. Seules des organisations en sont membres. Tout autochtone qui serait membre de la FCA le serait du fait d'être membre d'une organisation provinciale ou d'une organisation nationale sectorielle responsable d'une denrée. Nous ne faisons aucune distinction que ce soit entre les agriculteurs.
Le sénateur Oliver: Dans votre mémoire sur les questions relatives au revenu des agriculteurs, vous dites que la FCA ne croit pas à l'existence d'une seule et unique solution qui viendrait régler le problème. J'aimerais vous poser une question sur le pouvoir du monde agricole, car c'est une question dont nous avons déjà traité; de fait, plusieurs témoins, et particulièrement le Syndicat national des agriculteurs, ont parlé d'un pouvoir insuffisant par rapport aux autres éléments de la chaîne alimentaire. Certaines personnes disent que nous devrions fixer un plafond aux bénéfices des entreprises. Selon vous, quels mécanismes devrait-on utiliser pour améliorer le pouvoir de négociation des agriculteurs, pour s'assurer qu'ils obtiennent un prix juste en échange de leur produit?
M. Friesen: La solution, pour donner aux agriculteurs un pouvoir plus grand sur le marché aussi bien que dans les milieux politiques, c'est la solidarité, c'est l'établissement de coalitions très grandes et très fortes. Cette façon de penser peut s'appliquer au niveau politique. Sans aucun doute, c'est le mandat de la FCA à Ottawa. Toutefois, elle peut s'appliquer tout autant à la ferme et dans le monde commercial.
Cette coalition fonctionne très bien. Prenons l'exemple de la régulation de l'offre. La loi confère aux producteurs le droit de se regrouper, le mandat de regroupement. De ce fait, les producteurs ont davantage de pouvoir pour traiter avec les gens qui achètent leurs produits. Par exemple, la Commission canadienne du blé a permis aux producteurs d'agir collectivement pour mettre en marché leur produit. À long terme, cela produit des bénéfices à la ferme même.
Le sénateur Oliver: D'un point de vue pratique, pour les agriculteurs en Alberta, en Saskatchewan et au Manitoba qui veulent verser correctement les salaires et verser les paiements voulus pour l'hypothèque et l'équipement aujourd'hui, en quoi ce pouvoir accru que vous dites posséder représente-t-il une solution pratique pour qui souhaite régler ses comptes à la fin de ce mois-ci? Comment les gens vont-ils obtenir un prix plus juste pour leur produit?
M. Friesen: À la fin du mois, compte tenu des facteurs que j'ai mentionnés plus tôt, ce sera très difficile. La diminution de l'aide aux agriculteurs, par rapport à celle qui est consentie aux agriculteurs d'autres pays, les catastrophes naturelles, avec une couverture inadéquate dans bien des cas, la diminution du prix des denrées et l'augmentation du coût des extrants -- voilà autant de facteurs qui ont influé sur la façon dont les agriculteurs peuvent travailler dans leur environnement.
Avec la régulation de l'offre, les agriculteurs sont mieux en mesure de soutirer du marché une somme suffisante pour couvrir leurs coûts. Toutefois, étant donné que les denrées comme les céréales et les graines oléagineuses et l'industrie du bétail ou l'industrie du porc dépendent tant du marché mondial et que les secteurs en question ont peu d'influence sur les prix du marché mondial, la capacité n'est pas la même. Il importe d'être conscient du fait que la régulation de l'offre tient pour presque 100 p. 100 au marché intérieur, même si les exportations connaissent aussi une certaine croissance. Par exemple, dans l'industrie de la volaille, les exportations pourraient compter pour 10 à 15 p. 100 de la production. Tout de même, ce secteur reçoit l'essentiel de son argent du marché intérieur, ce qui lui permet de bien couvrir ses coûts.
Dès que vous dépendez du marché mondial et du prix mondial, vous devenez très vulnérable. Or, nous devons nous assurer d'être à l'abri de ce risque, faire en sorte que les agriculteurs n'en arrivent pas au point où ils ne peuvent plus exercer leurs activités. C'est pour cette raison que nous parlons de meilleurs liens, de meilleurs outils, de meilleurs filets de sécurité.
Le sénateur Oliver: Il y a un problème connexe qui a une incidence sur les bénéfices des agriculteurs et sur les coûts, et il découle des aliments génétiquement modifiés comme le colza canola et ainsi de suite. Un certain nombre de témoins ont signalé que les consommateurs exigent de plus en plus de règles pour la salubrité des aliments et l'étiquetage des organismes. Qui devrait assumer les coûts associés à la salubrité des aliments et aux autres activités comme l'étiquetage? Est-ce que ça doit être l'agriculteur, à la ferme même? Comment croyez-vous que les choses vont se régler en ce qui concerne ce coût supplémentaire?
M. Friesen: Cela soulève nombre de questions reliées entre elles. Je vais commencer par traiter de la salubrité des aliments. Le Canada et les agriculteurs du Canada sont réputés dans le monde entier pour produire des aliments de très bonne qualité qui sont sans danger. Sans nul doute, nous devons préserver cette réputation, car nous dépendons du marché international. Les agriculteurs ont trimé dur. De fait, il appartenait à la FCA de transmettre l'argent tiré du FCADR au programme canadien de salubrité des aliments à la ferme. Tous les gens de l'industrie du bétail, de l'industrie de la volaille, de l'industrie laitière, de l'industrie porcine travaillent d'arrache-pied pour évoluer jusqu'au stade où leur industrie sera accréditée par l'ACIA. Ces industries cherchent à recevoir cette sanction pour s'assurer d'avoir un bon programme de salubrité des aliments à la ferme. Oui, des coûts supplémentaires sont engagés à la ferme et oui, les agriculteurs aimeraient refiler certains de ces coûts au consommateur.
La question des produits génétiquement modifiés est extraordinairement délicate. Et elle est susceptible d'avoir un effet sur notre production de denrées tirées des OMG si nous ne l'abordons pas avec un grand soin. À l'heure actuelle, nous produisons presque 3 millions d'hectares de produits d'OMG au Canada. Le consommateur international a réagi très vivement aux OMG dans certains pays. Nous devons traiter cette question avec un grand soin.
Nous devons nous assurer que rien ne nous échappe. Je parle des négociations sur un protocole de biosécurité qui ont eu lieu à Montréal. Ce protocole vise à gérer les mouvements transfrontaliers de produits d'OMG. Vous vous rappellerez que nous nous sommes donné pour objectif d'obtenir une part de 4 p. 100 du marché mondial de l'agriculture d'ici l'an 2005. Nous avons aussi décidé de maintenir l'infrastructure rurale, de faire en sorte que l'activité des agriculteurs demeure viable, de nous assurer que le coût de leurs intrants ne dépasse pas les sommes qu'ils reçoivent du marché. Nous croyons que les négociations sur le protocole de biosécurité ont beaucoup fait pour le commerce sans tenir compte vraiment des produits génétiquement modifiés et de l'évaluation des risques, ou encore de l'harmonisation des mesures avec les autres pays et ainsi de suite. Cela pourrait inhiber le commerce.
Si l'accord est ratifié et que j'exporte mon blé sans OGM vers l'Europe, à moins de pouvoir garantir que ce blé ne contient aucun OGM -- il n'y a pas de blé transgénique qui soit actuellement approuvé au Canada. Je devrais pouvoir dire que je garantis qu'il n'y a pas d'OGM dans ce chargement de blé. Toutefois, si je ne peux le faire, je dois faire indiquer que le chargement «peut contenir» des OGM.
Le sénateur Oliver: Cela réduit votre prix?
M. Friesen: Oui. Toutes nos recherches nous ont fait voir qu'il est difficile de garantir qu'il n'y a pas d'OMG. Comme vous le savez bien, lorsqu'un agriculteur pratique la rotation des récoltes, presque inévitablement, une fois les semences de blé plantées dans un champ où il y a eu auparavant des semences transgéniques de colza canola, il y restera des traces d'OMG.
Le sénateur Oliver: Le même raisonnement doit s'appliquer aux agriculteurs américains qui essaient de vendre leurs produits en Europe.
M. Friesen: Tout à fait. Voici maintenant la question du triage. J'ai entendu des gens dire aujourd'hui qu'il n'y aurait aucune façon de faire envoyer des chargements de produits sans OMG qui ne contiendraient pas d'OMG sous une forme ou une autre. Le degré de triage qui permettrait de garantir qu'un produit est libre de tout OMG occasionnerait une somme de travail et des coûts incroyables à la ferme et à l'élévateur.
Le sénateur Oliver: Quelle est donc la solution?
M. Friesen: J'aimerais bien dire que j'ai la réponse à cette question. Au point où nous en sommes, la FCA a demandé aux ministres de ne pas ratifier le protocole sur la biosécurité avant d'avoir procédé à une analyse d'impact, pour déterminer ce qui arrivera s'ils le font.
Nous avons délégué à Montréal trois personnes qui travaillent ensemble aux négociations. Jennifer Higginson, de notre bureau, est l'une d'entre elles. Ce sont ces trois personnes qui ont fait que les négociations se sont poursuivies jusqu'à quatre heures du matin le samedi. Sans doute, le résultat final était supérieur à la position de départ établie à Carthagène; néanmoins, certains des éléments que nous souhaitions obtenir n'ont pas été obtenus. Lorsque les négociateurs ont fait le point à notre assemblée annuelle, fin février, ils ont dit à ce sujet que le ministre de l'Environnement souhaitait ratifier le protocole, mais qu'il n'avait aucune idée de l'impact de ce dernier. C'est l'équivalent d'un plongeur qui prend son élan et saute avant de vérifier s'il y a de l'eau dans la piscine. Nous insistons donc pour qu'il y ait une analyse d'impact, car nos agriculteurs ne peuvent se permettre d'assumer tous les coûts qu'occasionnerait peut-être une telle entente à la ferme.
Le sénateur Wiebe: Je vous remercie de l'occasion qui m'est offerte d'assister à l'audience ce matin. J'ai été agriculteur toute ma vie; j'ai commencé à cultiver la terre en 1959. Il ne fait aucun doute que les citoyens du pays devront faire preuve d'une générosité extraordinaire pour bien s'assurer que le prix de la déformation des marchés mondiaux soit reflété dans un programme qui assurera la viabilité des activités de nos agriculteurs. Lorsque nous parlons de l'agriculture, nous disons que l'industrie de l'élevage et l'industrie laitière connaissent certaines difficultés, mais celles-ci sont minuscules par comparaison aux problèmes que connaissent en ce moment les producteurs de céréales et de graines oléagineuses. C'est vraiment sur cela qu'il faut centrer nos efforts.
Lorsque nous parlons publiquement de la nature des difficultés en question, il conviendrait probablement d'adresser nos observations aux producteurs de graines oléagineuses et de céréales, plutôt qu'à l'industrie agricole dans son ensemble.
Jusqu'en 1994, j'ai été admissible à pratiquement tous les programmes gouvernementaux créés pour régler les crises dans le domaine de l'agriculture. Très souvent, j'ai été admissible à un programme, et la somme d'argent que j'ai reçue ne suffisait pas tout à fait à régler le problème dans mon cas particulier. D'autres fois, je n'avais pas droit à un paiement; d'autres fois encore, j'ai reçu un paiement dont je n'avais certainement pas besoin.
Les habitants du Canada devront certainement faire une contribution énorme au secteur des céréales et des oléagineux. La Fédération canadienne de l'agriculture, une des plus grandes organisations agricoles du Canada, qui parle au nom de la majorité des agriculteurs du pays, a-t-elle une recommandation à formuler à l'intention du ministère de l'Agriculture -- recommandation que nous pourrions lui transmettre -- pour s'assurer que les sommes d'argent en question servent de la manière la plus efficace possible, qu'il y a un programme qui fait en sorte que les sommes en question se retrouvent entre les bonnes mains? C'est une question qui me préoccupe vraiment, car nous envisageons actuellement, dans la mesure où nous voulons régler le problème, de consacrer à un seul et unique programme une somme sans précédent au pays.
M. Friesen: Vous soulevez un point valable. Vous avez raison de dire que c'est le secteur des céréales et des oléagineux qui sera vraiment frappé durement. Sans aucun doute, le secteur des céréales et des oléagineux souffre de difficultés chroniques, à long terme. Cela ne fait aucun doute.
Permettez-moi une parenthèse: vous avez demandé tout à l'heure ce que nous avions fait de concert avec la Cattlemen's Association. Je tiens simplement à signaler que Sally Rutherford, notre directrice générale, a collaboré très étroitement avec Peggy Strankman, de la Canadian Cattlemen's Association, à ce dossier particulier -- celui des espèces en péril.
Il ne fait aucun doute que le secteur des céréales et des oléagineux connaît des difficultés chroniques, à long terme, du point de vue des revenus. Au Canada, les dépenses par habitant réservées aux agriculteurs s'élèvent à 145 $. Aux États-Unis, elles s'élèvent à 360 $. Nous sommes toujours un peu étonnés d'entendre quelqu'un dire que nous ne pouvons consacrer plus d'argent aux agriculteurs: pour une bonne part, certaines de nos difficultés résultent d'ententes internationales que notre gouvernement a signées. Nous avons déjà fait la remarque: le moment est venu pour notre gouvernement d'harmoniser ses ententes internationales et sa politique financière. Le ministre Pettigrew ne devrait pas signer une entente internationale qui permet à d'autres pays de dépenser avec une impunité quasi totale à moins d'avoir appelé d'abord M. Martin pour lui dire: «Je dois signer cette entente, mais cela veut dire que nous allons dépenser une certaine somme d'argent.»
Nous préparons actuellement un document d'options. Nous voulons dresser la liste de toutes les choses qu'il faudrait faire, selon nous, pour améliorer comme il se doit notre régime de protection du revenu. Nous allons fixer le coût des modifications en question. C'est avec plaisir que nous vous transmettrons cela, une fois que notre conseil d'administration en aura fini.
Vous dites, sénateur, avoir déjà reçu un chèque à un moment où vous n'en aviez pas vraiment besoin. Permettez-moi de vous donner quelques exemples de ce qui est arrivé. Chaque fois que nous remanions la formule, nous faisons qu'un peu plus d'argent s'écoule vers la zone où on en a le plus besoin; toutefois, et c'est inévitable, cela donne plus d'argent à ceux qui n'en ont pas tout autant besoin. Je ne veux qu'on me cite comme ayant dit qu'il y a des agriculteurs qui n'ont pas besoin d'argent. Je soupçonne que tous les agriculteurs ont besoin d'une certaine somme d'argent. Tout de même, il y en a certains qui en ont besoin davantage que d'autres.
Je vous donne un exemple: l'annonce ponctuelle faite par le premier ministre concernant les 400 millions de dollars qui sont versés au Manitoba et à la Saskatchewan en fonction des ventes nettes admissibles calculées sur une période de trois ans. Ce qui va arriver, c'est que l'agriculteur ayant le plus besoin de l'argent se prévaudra vraisemblablement des mesures de secours en cas de catastrophe pour l'an 2000. Qu'advient-il lorsque cet agriculteur se prévaut de ces mesures en l'an 2000? Le chèque qu'il reçoit, qui est tiré du fonds annoncé, doit figurer dans ses revenus. Cela a pour effet de réduire le montant de son chèque d'aide en cas de catastrophe. Je soupçonne que jusqu'à la moitié des 400 millions de dollars en question représenteront simplement des économies pour l'ACRA. Toutefois, l'agriculteur qui ne se prévaut pas de l'ACRA pour l'an 2000 recevra le chèque de toute façon.
Encore une fois, là où on a le plus besoin de l'argent, c'est fortement dilué; et là où on n'en a pas autant besoin, le revenu demeure le même.
Le sénateur Wiebe: Vous n'avez pas tout à fait répondu à ma question. Vous vous êtes concentré sur la raison de ma question, c'est-à-dire qu'un agriculteur reçoive ceci et qu'un autre agriculteur ne reçoive pas vraiment cela.
La clé pour vous, en tant que fédération, c'est de concevoir une formule où vous pourriez dire au gouvernement: «Voici la façon la plus efficace, la meilleure façon de s'assurer que ceux qui en ont besoin reçoivent le montant adéquat. Nous avons procédé de telle façon que les citoyens du pays, dont l'argent sert à verser ces paiements, peuvent être convaincus du fait que l'affectation des fonds a fait l'objet d'une saine gestion.» Ce genre de mode d'exécution est un élément clé de la question. Si vous avez ce genre de mode d'exécution, est-ce que ce sera acceptable pour toutes les organisations agricoles qui comptent parmi vos membres?
J'ai de l'expérience en tant qu'agriculteur. Une des difficultés que nous connaissons, dans le domaine de l'agriculture, c'est que nous sommes tous beaucoup trop indépendants, individuellement, tout comme le sont nombre de nos organisations. Vous avez bien fait ressortir, un peu plus tôt, le fait que la meilleure façon pour les agriculteurs d'accroître leur pouvoir consiste à parler d'une seule voix, plutôt que d'une demi-douzaine. J'espère que, en tant que fédération, vous avez réglé ce problème et que vous êtes en mesure de décrire la façon dont il faudrait procéder. Si nous n'en arrivons jamais là, nous allons nous retrouver ici, vous et moi, à discuter de la même question à cette table pour les onze années à venir. D'une manière ou d'une autre, nous devons nous attaquer au coeur du problème et le régler. Jusqu'à maintenant, nous ne nous sommes pas très bien tiré d'affaire en tant qu'industrie.
M. Friesen: Je m'excuse du fait que ma dernière réponse ait été trop politique. La FCA, aussi bien que le comité consultatif national sur la protection du revenu, ont recommandé au ministre que, d'abord, pour venir en aide à certains des producteurs qui ont très peu d'argent dans leur compte du CSRN, sinon un compte vide, nous devrions majorer la contribution du gouvernement au CSRN.
Nous entendons des plaintes selon lesquelles il y a beaucoup trop d'argent dans le CSRN, mais nous ne croyons pas que ce soit le cas. Premièrement, si l'agriculture ne se remet pas sur pied, nous pourrions aboutir à l'épuisement des fonds du CSRN et à un programme d'ACRA qui ne fonctionne pas du tout d'ici quelques années. Nous avons donc affirmé que les gouvernements doivent majorer leur contribution, de manière à donner aux producteurs la capacité de renflouer leur compte du CSRN.
Deuxièmement, nous avons proposé certaines modifications techniques touchant le CSRN, modifications qui devraient aider les producteurs à consolider leur compte plus rapidement. Nous avons proposé des modifications techniques qui devraient donner aux producteurs un meilleur accès à leur compte du CSRN. Nous avons aussi recommandé au ministre qu'il supprime le lien CSRN-ACRA, ce qui représenterait une économie de 150 millions de dollars pour le gouvernement. Voilà quelques exemples des mesures particulières que nous préconisons.
Nous allons essayer de pousser l'exercice de manière à déterminer d'autres mesures qu'il faudrait adopter. Permettez-moi de vous rassurer: nous sommes toujours en quête d'une façon de mieux diriger l'argent vers ceux qui sont encore laissés pour compte. Oui, il y aura toujours un agriculteur qui dira: «Je n'ai pas eu de chèque, mais mon voisin un demi-mille plus loin en a reçu un.» Heureusement, à la table de la FCA, nous ne voyons pas cela. Tout le monde sait que l'idée, c'est de destiner l'argent à ceux qui en ont le plus besoin.
Permettez-moi de vous donner un exemple. Un matin, au moment où je conduisais ma fille de 14 ans à l'école, elle m'a dit: «Mon ami à l'école dont le père est cultivateur de céréales dit qu'ils n'ont pas beaucoup d'argent parce qu'ils ne reçoivent pas assez d'argent pour leur grain et qu'ils n'obtiennent pas assez d'appui du gouvernement.» Ma fille ne prête pas une grande attention à ce que je fais, mais, à l'occasion, nous en parlons. Elle m'a regardé et m'a dit: «Est-ce que tu t'assures que l'argent s'en va là où on en a le plus besoin?» Au bout d'une discussion qui avait duré quatre minutes environ, elle avait déjà déterminé que le problème, trop souvent, réside dans le fait que l'argent ne va pas là où le besoin est le plus criant. Il me semble que, collectivement, nous pourrions trouver une façon pour que cela se fasse.
Nous allons faire tout notre possible. Nous allons vous informer de toute mesure envisagée à la réunion de notre conseil d'administration à cet égard. Et, toujours, pour que les gens soient conscients de certaines des difficultés dont il est question, nous allons intégrer ça à l'ensemble.
Le sénateur Wiebe: Je vous remercie des observations que vous avez formulées. Je souhaite avoir avec vous encore nombre de discussions sur l'agriculture.
Le sénateur Sparrow: Permettez-moi de souhaiter d'abord la bienvenue à nos deux nouveaux collègues membres du comité.
M. Wiebe a parlé de la générosité des Canadiens à l'endroit du monde agricole. Le monde agricole a été très généreux envers les Canadiens. L'industrie agricole permet aux Canadiens de profiter d'une politique d'aliments bon marché depuis trop longtemps déjà. Nous devons trouver une méthode pour nous assurer que le consommateur paie le bon prix. Lorsque vous achetez une automobile, le fabricant contrôle le prix. Les propriétaires décident du tarif du transport des marchandises par train. Ce n'est qu'en agriculture qu'il n'existe aucune façon de déterminer si le consommateur paie le bon prix et que l'on souffre de la situation.
Le mieux que l'on ait pu faire, c'est, bien sûr, la création d'offices de commercialisation. Or, les offices de commercialisation ont très bien fonctionné. C'est un élément que nous risquons de perdre durant des négociations. Je ne crois pas que le grand public ait jamais payé plus qu'un prix équitable pour les produits que contrôlent les offices de commercialisation. C'est un énoncé plus qu'une question, mais vous allez peut-être vouloir commenter cela, quand même.
Lorsque le programme d'ACRA est né, certains fonctionnaires du ministère de l'Agriculture ont affirmé que la FCA était l'architecte du programme. Puis, pendant un bon moment, les gens ont dit que le programme était bon parce que toutes les organisations agricoles l'appuyaient. Le problème, c'est que cela a reporté pendant trop longtemps les mesures qu'il aurait fallu prendre pour rectifier les choses.
Aux premiers stades, par exemple, j'ai appuyé le programme, jusqu'à ce que les résultats soient connus. À ce moment-là, il est devenu très évident que quelque chose n'allait pas: ce n'était pas conçu de la manière que les organisations agricoles et la plupart d'entre nous estimions indiquée.
En disant cela, je vous demande: suis-je sur la bonne voie? Comment éviter que cela ne se reproduise? Le ministère n'a-t-il pas vraiment écouté les gens à ce moment-là, ou encore n'a-t-il pas entendu ce que lui disaient les organisations agricoles et la FCA? Je sais très bien que, plus tard, en tant qu'organisation, vous avez dû cesser d'appuyer le programme.
M. Friesen: Vous avez soulevé deux questions. Celle des aliments bon marché, entre autres. Vous avez tout à fait raison. Agriculture et Agroalimentaire Canada génère des recettes de l'ordre de 85 milliards de dollars tous les ans. La part de notre industrie représente jusqu'à 24 p. 100 de l'excédent commercial et environ 14 p. 100 du nombre d'emplois au Canada. Notre contribution à l'économie est donc très importante.
Certains d'entre vous avez peut-être déjà lu un de nos document sur ce que l'on pourrait qualifier de journée d'affranchissement de la facture d'épicerie. Vous avez déjà entendu parler de la «journée d'affranchissement de l'impôt», qui tombe le 1er juillet. Eh bien, la journée d'affranchissement de la facture de l'épicerie tombe le 7 février. C'est le jour où le ménage moyen a accumulé un revenu suffisant pour régler l'intégralité de la facture d'épicerie pour l'année. Ce qui est encore plus important, c'est que le 9 janvier est le jour où le ménage moyen a gagné suffisamment d'argent pour payer la part de l'agriculteur dans la facture d'épicerie pour l'année. C'est au Canada que la facture d'épicerie est la moins élevée par rapport au revenu disponible. À ce chapitre, notre taux est un point de pourcentage inférieur à celui des États-Unis.
Pour ce qui est de l'ACRA, il était appelé à connaître de nombreux problèmes -- je ne veux pas dire que la FCA est parfaite. Tout de même, lorsque les discussions ont commencé à propos d'un programme d'aide en cas de catastrophe, nous avons établi des critères de base inévitables pour la conception d'un tel programme. Ce qui est arrivé, c'est qu'à mesure que le programme approchait du point où il aurait la bénédiction du ministre, puis serait mis en oeuvre, nous avons perdu nombre des éléments qui nous paraissaient indispensables à un bon programme d'aide en cas de catastrophe. La couverture des marges négatives en est un bon exemple. Nous avons appris très peu avant la date de mise en oeuvre que les marges négatives ne seraient pas couvertes.
Permettez-moi d'expliquer une partie de ce problème. Les fonctionnaires ont dit que nous ne pouvions couvrir les marges négatives, mais ensuite que nous n'étions pas obligés de faire entrer notre marge négative dans le calcul de notre marge de référence. Ensuite, au moment de la mise en oeuvre, ils ont dit: «Nous ne pouvons faire cela parce que nous deviendrions vulnérables sur le plan commercial». Par conséquent, nous n'avons pas obtenu que les marges négatives soient couvertes. En plus, une fois arrivés aux calculs pour l'année, ils ont dit qu'il fallait inclure la marge négative dans la marge de référence. Heureusement, le ministère a changé son fusil d'épaule, rétroactivement. Le fonds fédéral couvre 42 p. 100 des marges négatives, car il couvre 70 p. 100 de sa part de 60 p. 100.
L'expansion des fermes est un autre exemple. Si un agriculteur donne de l'expansion à sa ferme, il accumulera bien sûr un revenu brut plus élevé que cela n'aurait été le cas dans sa période de référence. Il a peut-être vendu son produit à un prix unitaire moins élevé, mais il présente une marge plus importante en raison de l'expansion. Eh bien, ils n'ont pas tenu compte de cela. Et devinez quoi? Ils ont rajusté le tir pour le cas où un agriculteur réduirait la taille de son exploitation. C'est donc une autre modification qu'ils ont apportée.
La main-d'oeuvre familiale est un autre cas. En 1998, pour recenser les stocks, ils ne prenaient qu'un prix pour référence. Au début de la période d'inventaire, à la fin de la période d'inventaire, c'était le même prix. Par conséquent, on n'avait pas le bonheur de perdre des sommes incroyables d'argent en raison de la dépréciation des stocks. Cela a été modifié aussi.
Nombre des éléments qui auraient dû faire partie d'un programme d'aide en cas de catastrophe lié au revenu, selon nous, ont été exclus. De même, nous souhaitions qu'il n'y ait pas de lien avec le CSRN. C'est une chose que nous demandons encore aujourd'hui.
Vous avez donc raison. Nous souhaitions avoir un programme d'aide en cas de catastrophe et nous croyions avoir exposé les grands traits d'un bon programme. Toutefois, les éléments exclus ont été trop nombreux; à nos yeux, cela a été un fouillis. Nous sommes heureux que certaines des modifications en question aient été apportées, mais, sans nul doute, il faudra d'autres modifications pour que cela fonctionne mieux.
Par ailleurs, nous nous dirigions vers l'instauration d'un filet de sécurité pour les agriculteurs au moment où ceux-ci étaient déjà en chute libre -- il fallait concevoir et reconcevoir. Il a fini par falloir attendre un temps incroyable avant que les fonds ne soient débloqués. Des 8,7 milliards de dollars annoncés aux États-Unis en guise de complément à l'aide au monde agricole, 5,5 milliards ont été versés dans le contexte de la Fair Act. Deux semaines après l'annonce du fonds de 8,7 milliards de dollars, nous avions en main à notre bureau un document énumérant tous les États touchés; dans chacun de ces États, deux semaines après l'annonce, presque 100 p. 100 de l'argent avait été versé déjà.
Le ministère déploie beaucoup d'efforts pour essayer d'harmoniser le CSRN et tout programme d'aide en cas de catastrophe liée au revenu, de manière à pouvoir travailler en harmonie, de sorte que le programme d'aide en cas de catastrophe débouche sur des paiements versés beaucoup plus rapidement. Eh bien, d'abord, évaluez les besoins de l'agriculteur plus rapidement, et puis nous enverrons l'argent plus rapidement.
Le sénateur Stratton: Étant donné que la Communauté européenne et le Japon prêtent à l'agriculture un caractère multifonctionnel -- autrement dit, qu'ils reconnaissent le fait que les fermes sont indispensables à l'environnement, au paysage rural, et tout cela -- et, comme le sénateur St. Germain l'a dit, nous avons le projet de loi sur les espèces en péril qui est à l'étude, les Canadiens ne devraient-ils pas être appelés à payer un certain prix? Est-ce que nous devrions adapter cette multifonctionnalité? Il semble que nous nous dirigions vers la multifonctionnalité, mais nous ne disons pas aux agriculteurs que nous allons leur venir en aide. Est-ce que nous devrions nous diriger dans cette voie, celle de la multifonctionnalité, comme l'Union européenne et le Japon?
M. Friesen: J'ai deux réponses là-dessus. Oui, si le gouvernement nous fournit suffisamment d'argent. Non, s'il ne le fait pas. Si notre gouvernement accepte le concept de la multifonctionnalité à l'OMC, mais ne veut pas nous fournir suffisamment d'argent pour assumer les frais du concept, encore une fois, nous nous retrouverions coincés, par rapport aux autres pays. Nous essayons de déterminer s'il faut embrasser cette notion ou la rejeter catégoriquement.
La Pologne veut se joindre à l'Union européenne. La Pologne compte actuellement plus de producteurs laitiers que l'ensemble des pays membres de l'Union européenne. Elle compte en moyenne deux vaches par troupeau. Elle se fera éloquente au sujet de la libéralisation du commerce et de la mondialisation au prochain volet des négociations, j'en suis sûr, mais va-t-elle permettre que ses producteurs laitiers soient à la merci du marché mondial? Non, elle ne le permettra pas. Elle les paiera pour qu'ils soient producteurs laitiers. Elle les paiera pour qu'ils gardent leurs fermes à la campagne, pour que les touristes puissent passer par là en voiture et voir les deux vaches qui paissent dans le champ.
Nous pourrions aisément faire valoir la chose. Si vous regardez le point fort de la régulation de l'offre dans ce qu'elle ajoute à nos collectivités au Canada, à mon avis, cela pourrait aussi être presque une notion de multifonctionnalité.
Mais oui, si vous voulez permettre cela à l'OMC, eh bien donnez-nous l'argent. Si vous n'allez pas nous donner l'argent, permettez-nous de nous battre contre cela.
Le sénateur Sparrow: La loi sur la stabilisation du prix des céréales a été adoptée il y a longtemps. Si je ne m'abuse, c'était un bon programme. Je me demande simplement si vous proposez au comité d'étudier ce programme à l'égard de futurs programmes. Le régime de stabilisation du prix des céréales bénéficiait de la contribution des agriculteurs aussi bien que de celle du gouvernement fédéral. Le fonds mis sur pied était administré par la Commission du blé. Je présume que l'argent a été versé dans les recettes générales, mais je n'en suis pas sûr. Le fonds a atteint 500 millions de dollars, presque 1 milliard de dollars, parce que c'était à l'époque où il n'y avait pas de problèmes. Le prix était favorable. Puis, les organisations agricoles ont poussé les hauts cris: «C'est notre argent, versez-le.» Des pressions ont été exercées sur le gouvernement pour qu'il verse les sommes en question parce que l'argent appartenait aux agriculteurs, et c'est ce qu'il a fait. Il a versé l'argent. Et puis, lorsque la catastrophe est arrivée, le fonds était dégarni. Le programme s'est donc évanoui.
Il me semble que si nous devions élaborer un programme semblable, il nous faudrait fixer une limite au fonds et peut-être réduire les cotisations par la suite, pour qu'un certain niveau soit maintenu, et puis s'organiser pour que l'argent ne puisse être si facilement versé, pour que le fonds soit un fonds permanent. J'ose croire que nous sommes capables de déterminer ce que peut représenter une catastrophe dans le secteur des denrées agricoles, sur plan financier. Je crois qu'il ne serait pas trop difficile de concevoir un tel programme.
Je vous demande donc d'étudier cela.
M. Friesen: Je ne suis pas très au courant de ce dossier, je demanderais donc à M. Basillais de s'en charger.
M. Basillais: Le programme avec cotisations est l'une des options que nous étudions. Toutefois, si nous allons dans cette voie, cela soulève des questions importantes concernant l'assurance-récolte et le CSRN. Comment fonctionnent-ils de concert? Il n'est pas facile de répondre à cette question. Si un programme comme celui-là est mis en place, alors quelle est la raison d'être du CSRN? Ce n'est pas une question que les agriculteurs se poseraient, mais c'en est une que le gouvernement pourrait se poser. Les gouvernements provinciaux demandent pourquoi le CSRN est nécessaire. Il y a donc là des conséquences majeures, mais nous étudions la question.
M. Friesen: Cela fait partie de l'autre défi que nous devons relever. Un programme à long terme d'aide en cas de catastrophe liée au revenu doit être conçu de telle manière qu'il ne mine pas l'assurance-récolte, pour que tous les programmes se complètent les uns les autres. C'est une autre chose qu'étudie le comité consultatif national sur la protection du revenu, car il y aura des conséquences si nous ne concevons pas les programmes avec soin. L'assurance-récolte est un programme que les agriculteurs ont à coeur, du moins dans certaines provinces.
La vice-présidente: Merci beaucoup, messieurs Friesen et Basillais. Vous nous avez fourni quantité de renseignements et nombre de points de vue avec un éclairage intéressant. Nous sommes heureux de constater que vous soyez si intimement liés au processus consultatif concernant le filet de sécurité.
Nous sommes heureux également de constater que vous surveillez de près le dossier de l'OMC. La cohésion de la position du monde agricole, même si les choses n'ont pas abouti comme on l'aurait prévu au moment du dernier volet, était certes un élément très bien vu du côté du Canada.
Je dois signaler à nos témoins que notre président habituel, le sénateur Gustafson, regrettera de n'avoir pu participer à la séance aujourd'hui. Lui et sa femme ont dû composer avec un décès dans la famille et, de ce fait, il a dû s'absenter cette semaine. Je me permets de vous transmettre ses salutations. Il lira la transcription de vos observations avec beaucoup d'attention.
La séance est levée.