Délibérations du comité spécial sur
Le projet de loi C-20
Fascicule 1 - Témoignages du 29 mai 2000 (séance de l'après-midi)
OTTAWA, le lundi 29 mai 2000
Le comité spécial sénatorial sur le projet de loi C-20, Loi donnant effet à l'exigence de clarté formulée par la Cour suprême du Canada dans son avis sur le Renvoi sur la sécession du Québec se réunit aujourd'hui à 13 h 35 pour examiner le projet de loi.
Le sénateur Joan Fraser (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente: Sénateurs, le comité spécial sénatorial sur le projet de loi C-20 est maintenant en séance. Je souhaite la bienvenue à nos audiences à vous tous, y compris aux téléspectateurs.
Nous entreprenons aujourd'hui l'examen du projet de loi C-20, Loi donnant effet à l'exigence de clarté formulée par la Cour suprême du Canada dans son avis sur le Renvoi sur la sécession du Québec.
[Français]
Le projet de loi a été adopté par la Chambre des communes le 15 mars et a été lu au Sénat pour la première fois le 21 mars. Il a ensuite été lu une deuxième fois le 18 mai, ce qui veut dire que le Sénat a approuvé le principe du projet de loi. Le projet de loi C-20 a ensuite été déféré à ce comité spécial pour qu'il en fasse une étude approfondie.
[Traduction]
Notre examen s'effectuera aujourd'hui en compagnie de M. Stéphane Dion, président du conseil privé de la Reine pour le Canada et ministre des Affaires intergouvernementales. M. Dion fera une déclaration liminaire, après quoi les sénateurs pourront lui poser des questions.
Le comité tiendra une autre séance plus tard dans la journée pour entendre deux constitutionnalistes, MM. Patrick Monahan de la faculté de droit d'Osgoode Hall et Patrice Garant de l'Université Laval. D'autres témoins seront entendus dans les jours et les semaines à venir.
[Français]
Une fois que le comité aura entendu tous les témoins sélectionnés, le projet de loi sera étudié article par article. À ce moment, le comité décidera s'il adopte le projet de loi tel quel, s'il recommande des amendements ou s'il recommande de ne pas donner suite au projet de loi. Le comité fera ensuite rapport de ses décisions au Sénat pour sa considération.
[Traduction]
Monsieur le ministre, nous sommes très heureux de vous accueillir aujourd'hui. Nous vous remercions d'être venu. Je vous cède la parole.
[Français]
M. Stéphane Dion, président du conseil privé de la Reine pour le Canada et ministre des Affaires intergouvernementales: Merci beaucoup, madame la présidente, de m'avoir invité, c'est un honneur pour moi. Je voudrais d'abord vous présenter mes collaborateurs. Premièrement, M. George Anderson, sous-ministre des Affaires intergouvernementales. M. Anderson travaille avec moi sur ces questions depuis maintenant plus de quatre ans. Deuxièmement, Mme Mary Dawson, sous-ministre déléguée au ministère de la Justice. Plusieurs d'entre vous la connaissez puisqu'elle travaille sur la Constitution canadienne depuis beaucoup plus de quatre ans. Elle a une vaste expérience sur toutes ces questions. Et enfin, M. Geoffroi Montpetit, mon adjoint législatif.
Honorables sénateurs, je ne saurais mieux décrire que certains d'entre vous l'avez fait la raison d'être du projet de loi C-20 donnant effet à l'exigence de clarté formulée par la Cour suprême du Canada dans son avis du 20 août 1998 sur le Renvoi relatif à la sécession du Québec. Cette raison d'être, comme l'a si bien exprimée le sénateur Lise Bacon le 11 avril dernier, est «que les droits de chaque Canadien soient respectés». Le projet de loi sur la clarté donne effet à cet avis de la cour en ce qui a trait aux seules obligations qui reviennent en propre au gouvernement du Canada. En fait, le projet de loi énonce une évidence: le gouvernement du Canada ne doit pas entreprendre de négocier une sécession en l'absence d'un appui clair pour la sécession.
[Traduction]
En approuvant ce projet de loi, le Sénat permettrait que soit fixé un cadre qui empêcherait tout gouvernement fédéral d'engager des négociations sur la sécession suivant un référendum sur la sécession, à moins qu'une majorité claire des électeurs d'une province aient exprimé leur volonté de se séparer en réponse à une question claire. La question devrait énoncer clairement que la province cesserait de faire partie du Canada et qu'il ne s'agirait pas simplement d'une volonté d'explorer une telle possibilité. Elle ne devrait pas rendre ambiguë la notion de sécession en l'assortissant à d'autres comme celles d'association ou de partenariat politique ou économique. En d'autres termes, le projet de loi C-20 précise, d'une façon tout à fait conforme à l'avis de la cour, tant les lignes directrices que les procédures pour la détermination de la clarté.
Honorables sénateurs, depuis plusieurs semaines maintenant vous débattez de ce projet de loi, et donc du droit des Canadiens sur le Canada. C'est inspiré par cette recherche exigeante de démocratie et de justice, qui caractérise tant notre pays, que vous avez mené vos discussions. Grâce à votre appui, le projet de loi sur la clarté en est maintenant à l'étape de l'étude en comité. Mais plusieurs d'entre vous avaient exprimé certaines préoccupations. Celles-ci m'apparaissent pouvoir être regroupées en quatre interrogations fondamentales:
Premièrement, le Canada est-il indivisible? Deuxièmement, quelle est la portée juridique de l'avis de la Cour suprême du 20 août 1998? Est-on tenu de le respecter étant donné qu'il s'agit d'un avis et non d'un jugement ordinaire? Troisièmement, le projet de loi sur la clarté est-il applicable étant donné que le gouvernement du Québec affirme qu'il n'en tiendra aucunement compte? Quatrièmement, le projet de loi permet-il au Sénat de jouer le rôle qui est le sien? Permettez que je donne, dans l'ordre, la réponse du gouvernement à ces quatre interrogations.
[Français]
Je serai très ouvert, lors de la période des questions, pour discuter d'autres sujets, que ce soit des minorités ou des autochtones. Comme on m'a demandé de faire un court exposé, je me limiterai donc aux quatre questions qui m'apparaissent être au coeur des débats que vous avez menés depuis quelques semaines.
La première question: le Canada est-il indivisible? Je comprends, pour l'avoir éprouvé moi-même, cet attachement profond à notre pays qui nous fait espérer que jamais le Canada n'aura à être divisé. Mais le fait est que le Canada n'est pas indivisible sur le plan juridique. La Cour suprême l'a confirmé.
Essentiellement, la Cour suprême nous a confirmé que le Canada était divisible mais pas n'importe comment. La sécession n'est légalement possible qu'à condition qu'elle soit faite dans le cadre du processus d'amendement constitutionnel. Comme la cour l'a fait valoir, dans son avis, au paragraphe 84, je cite:
Le fait que ces changements seraient profonds, ou qu'ils prétendraient avoir une incidence en droit international, ne leur retire pas leur caractère de modifications de la Constitution du Canada.
Quiconque entend respecter l'avis de la Cour suprême, ce qui, j'en suis persuadé, est le cas du sénateur Joyal, doit donc admettre que le Canada est divisible. S'il en était autrement, la cour n'aurait pas confirmé la position du gouvernement du Canada à l'effet que la sécession pouvait être effectuée par un amendement à la Constitution. La cour n'aurait pas non plus conclu à l'existence de l'obligation d'entreprendre des négociations sur la sécession en cas d'appui clair à la sécession.
Cependant, en plus de l'aspect juridique, considérons, s'il vous plaît, l'aspect moral. Est-il vraiment possible pour un état démocratique de retenir une population qui voudrait clairement le quitter? Je sais qu'au Canada, il n'est pas un seul parti politique important qui ait déclaré vouloir retenir les Québécois dans le Canada contre leur volonté clairement exprimée.
Si nous les Canadiens admettons la divisibilité de notre pays, ce n'est pas parce que nous jugeons notre citoyenneté moins empreinte de valeur que celle des autres pays. Au contraire, c'est que nous estimons notre appartenance au Canada au point que nous pouvons concevoir que cette appartenance puisse reposer sur autre chose que l'adhésion volontaire. Notre culture politique nous amène à conclure que notre pays n'a de sens que dans le consentement mutuel.
Dans la partie écrite de mon texte, vous trouverez différentes citations d'acteurs politiques confirmant que telle est la culture politique au Canada, le consentement mutuel, y compris ce qu'a dit le ministre Rock, au moment où il a fait connaître à la Chambre des communes sa décision d'aller en Cour suprême sur la sécession unilatérale.
En somme, tant sur le plan juridique que moral, on ne peut pas dire que le Canada est indivisible. Mais sa divisibilité ne serait acceptable que dans des conditions de justice et de clarté. Tel est l'état du droit, tel le veut notre culture politique.
La deuxième question: est-t-on tenu de respecter l'avis de la cour? La réponse du gouvernement du Canada est oui.
[Traduction]
Mais cet avis de la Cour doit-il être respecté? La réponse du gouvernement du Canada est oui. Certains d'entre vous ont suggéré que le gouvernement du Canada ne devrait tout simplement pas tenir compte de l'avis de la Cour suprême sur le Renvoi relatif à la sécession du Québec, puisqu'il ne s'agit que d'un avis et non d'un jugement ayant force obligatoire. J'ai un résumé de vos débats dans mon texte, mais comme vous savez ce que vous avez dit, laissez-moi vous donner notre réponse.
[Français]
Le fait est qu'un avis rendu par la Cour suprême dans le cadre d'un renvoi lie, à toutes fins utiles, les tribunaux inférieurs.
[Traduction]
Comme l'a écrit le doyen Peter Hogg: «En pratique, les avis faisant suite à un renvoi sont considérés de la même façon que tout autre jugement.»
[Français]
Les professeurs Henri Brun et Guy Tremblay soulignent que l'opinion émise dans le cadre d'un renvoi «est en réalité un véritable jugement». Le même point de vue est exprimé par les professeurs François Chevrette et Herbert Marx:
Les avis consultatifs ont la valeur de précédent en pratique sinon en théorie.
[Traduction]
Le professeur Patrick Monahan, que vous entendrez plus tard aujourd'hui, observe de son côté que ces avis «ont toujours été considérés par les gouvernements fédéral et provinciaux comme ayant force obligatoire».
[Français]
L'avis de la Cour suprême du 20 août 1998 s'applique à tous les acteurs constitutionnels au Canada. Le gouvernement du Canada a déclaré son intention de le respecter pleinement, en son entièreté. Bien qu'il soit déplorable que le gouvernement du Québec n'ait pas choisi d'en faire autant, cela ne change en rien le fait que l'avis de la cour a des conséquences juridiques pour le gouvernement du Québec comme pour le gouvernement du Canada.
Cela m'amène à ma troisième question, à savoir si ce projet de loi est applicable, si jamais il devenait loi, dans la mesure où le gouvernement du Québec a dit qu'il ne respecterait pas cette loi sur la clarté et n'en tiendrait aucunement compte.
Jusqu'à présent, le gouvernement du Québec a, en effet, affirmé qu'il ignorerait la Loi sur la Clarté et qu'il ne respecterait pas l'avis de la Cour suprême. Il maintient que l'obtention d'une majorité pour le OUI, si faible soit-elle, en réponse à une question aussi confuse que celle de 1995 portant sur la souveraineté avec offre de partenariat, obligerait le gouvernement du Canada à accepter la sécession.
«Le projet de loi C-20 n'y pourra rien», a affirmé le 2 mai dernier, mon homologue du gouvernement du Québec, le ministre délégué aux Affaires intergouvernementales canadiennes, M. Joseph Facal. Aussi, quelques sénateurs se sont dit sceptiques quant à l'applicabilité du projet de loi C-20. Par exemple, le sénateur Rivest s'est déclaré d'avis, le 23 mars dernier, je cite:
Le Parti québécois, peu importe ce projet de loi, va continuer de proposer la souveraineté-association.
Dans l'intervention du sénateur Nolin, nous retrouvons le même argument. Il est vrai que le projet de loi C-20, comme le reconnaît lui-même le sénateur Rivest, n'empiète en rien sur les prérogatives de l'Assemblée nationale et laisse l'Assemblée nationale libre de déterminer le libellé de toute question qu'elle voudrait poser dans le cadre d'un référendum provincial. Le projet de loi sur la clarté n'encadre pas un référendum provincial, il encadre le gouvernement du Canada. Il interdit au gouvernement du Canada d'engager des négociations sur la sécession en l'absence d'un appui clair à la sécession.
Il serait impossible de conclure à l'existence d'un tel appui clair sur la base d'une question aussi confuse que celle du référendum de 1995. Pas de clarté, pas de négociation, énonce le projet de loi C-20. Et pas de négocation, pas de sécession.
À cela, certains sénateurs répondent qu'un gouvernement indépendantiste pourrait déclarer unilatéralement l'indépendence et obtenir par ce moyen la reconnaissance internationale. La Cour suprême elle-même, dans son avis, a avancé le sénateur Beaudoin, le 10 avril, n'envisage-t-elle pas que la sécession puisse «arriver de façon illégale, indirecte, si je puis dire, et en se basant sur une reconnaissance internationale»?
Le projet de loi sur la clarté serait-il alors inutile? Ne faudrait-il pas nous résigner à travailler selon les règles confuses édictées par le gouvernement péquiste, au mépris du droit que les Québécois détiennent sur le Canada?
[Traduction]
Le 30 mars dernier, le sénateur Kinsella a posé la question: «La cour nous a dit noir sur blanc qu'une sécession résultant d'une déclaration unilatérale d'indépendance pouvait toujours se produire. Si c'est le cas, à quoi donc cette loi sert-elle?» Je vais essayer de répondre à la question, monsieur le sénateur. Curieux raisonnement, qui revient à dire que, puisqu'il est toujours possible de contrevenir au droit, il est inutile d'avoir les lois. Non, non, je vous en prie. Il n'y aucune raison d'adopter une telle attitude de résignation aussi contraire aux droits et aux intérêts des citoyens.
Il faut réaliser à quel point une déclaration unilatérale d'indépendance dans un pays démocratique comme le Canada serait non seulement incompatible avec le droit constitutionnel et le droit international, mai en plus, irréalisable en pratique.
Le projet de loi C-20 est tout à fait applicable. C'est la déclaration unilatérale d'indépendance qu'il ne l'est pas. Laissez-moi vous expliquer pourquoi.
[Français]
Le projet de loi C-20 est tout à fait applicable. C'est la déclaration unilatérale d'indépendance qui ne l'est pas. Laissez-moi vous expliquer pourquoi.
Bien sûr, la cour ne peut écarter a priori la possibilité qu'un gouvernement indépendantiste se montre irresponsable au point d'agir de façon «contraire à la primauté du droit» en procédant à une tentative de sécession unilatérale. Mais la cour établit clairement qu'une telle tentative unilatérale ne serait pas fondée en droit international ou en vertu de la Constitution du Canada. La sécession d'une province nécessiterait une modification de la Constitution, (paragraphe 97), «qui exige forcément une négociation» (paragraphe 84), des négociations «fondées sur des principes, avec les autres participants à la Confédération, dans le cadre constitutionnel existant» (paragraphe 149). Une tentative de sécession unilatérale se ferait sans «le couvert d'un droit juridique» (paragraphe 144) et dans le contexte où le Canada aurait «en vertu du droit international, à la protection de son intégrité territoriale» (paragraphe 130).
Qu'est-ce que cela signifie? Cela signifie que le gouvernement d'une province n'a pas le droit de se proclamer unilatéralement gouvernement d'un État indépendant. Ce droit ne lui est reconnu ni en vertu du droit constitutionnel canadien, ni du droit international. Ce gouvernement n'a pas ce droit, ni avant, ni pendant et pas davantage après des négociations qui auraient été infructueuses. Il faut lire le paragraphe 97.
Si ce gouvernement tentait de proclamer unilatéralement l'indépendance, il agirait sans «le couvert d'un droit juridique» et avec tous les risques qu'un tel geste comporterait. Dans mon texte écrit, j'explique des problèmes très concrets qui se poseraient à un gouvernement qui essayerait d'effectuer une sécession unilatérale sans appui juridique et avec des millions de citoyens qui réclameraient de rester Canadiens et qui seraient en droit de le rester.
Je peux résumer l'argument de la façon suivante: une sécession unilatérale, pour être effective, exigerait l'expulsion de l'autorité fédérale du territoire de la province. Elle nécessiterait l'extinction de toutes les responsabilités constitutionnelles fédérales envers les citoyens vivant dans cette province, une extinction qui se ferait contre la volonté de l'autorité fédérale et contre la volonté de millions de citoyens.
Un gouvernement provincial ne dispose ni des moyens juridiques, ni des moyens politiques de procéder à une telle expulsion, une telle extinction. Une sécession en démocratie ne peut se faire par expulsion, elle ne peut venir que d'une négociation.
Si le gouvernement du Canada estimait de son devoir de refuser cette négociation et de continuer à exercer paisiblement ses responsabilités constitutionnelles au Québec, ce serait pour trois raisons. Premièrement, parce que les électeurs québécois n'auraient pas clairement exprimé leur volonté de renoncer au Canada pour faire de leur province un État indépendant.
Deuxième raison, parce que la sécession n'aurait pas été dûment négociée. Et troisièmement, parce que le gouvernement du Canada ne saurait entériner un geste illégal et anticonstitutionnel que serait une sécession unilatérale.
Voilà trois considérations tout à fait raisonnables, conformes à l'avis de la Cour suprême et qui seraient certainement jugées comme telles par la communauté internationale. En de telles circonstances, un gouvernement provincial qui proclamerait unilatéralement l'indépendance n'obtiendrait sûrement pas la reconnaissance internationale. Une telle reconnaissance serait totalement contraire à la pratique des États.
La Cour suprême a évalué le rôle de la communauté internationale de façon prudente et réaliste -- il faut lire le paragraphe 103. En fait, la cour s'en tient à l'évidence: un, il faudrait que l'appui à la sécession soit clair au Québec; deux, que le gouvernement du Québec négocie dans le respect des principes constitutionnels de fédéralisme, de démocratie, de constitutionnalisme et de primauté du droit, et de respect des minorités; et trois, que le gouvernement du Québec se heurte à l'intransigeance injustifiée des autres participants pour qu'il augmente «probablement», précise la cour, ses chances d'être reconnu.
On comprend cette prudence de la cour quand on connaît la réticence extrême de la communauté internationale à reconnaître des sécessions unilatérales. Depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale, il existe un droit reconnu à la sécession dans le contexte colonial. Fort de ce contexte, aucune -- je dis bien aucune -- entité politique n'a été admise aux Nations Unies à l'encontre de la volonté du gouvernement de l'État dont elle voulait se séparer.
Aussi bien, ceux de nos concitoyens qui optent pour la sécession du Québec ne devraient pas compter sur une reconnaissance internationale qui s'exercerait à l'encontre de la volonté de l'État canadien. Ils devraient plutôt miser sur l'honnêteté des Canadiens. Ils devraient miser sur les valeurs de tolérance que nous partageons tous au Canada et qui nous seraient plus que jamais nécessaires si nous avions à mener ces négociations pénibles et difficiles. D'où une contradiction importante du mouvement sécessionniste: puisque nous, Canadiens, sommes des gens à ce point ouverts et tolérants, pourquoi devrait-on se séparer?
Si la négociation de la scission d'un État démocratique moderne serait une tâche énorme, source «d'incertitude et de bouleversements profonds» comme décrit la cour au paragraphe 96, ce n'est pas en raison de la mauvaise foi attribuée aux uns et aux autres. C'est parce qu'il serait bien difficile de trancher des liens si étroitement tissés après quelque 133 ans de vie démocratique commune. Une telle opération nécessiterait certainement le respect du droit et de la clarté.
J'en viens maintenant à la quatrième question, le rôle du Sénat.
[Traduction]
En raison des préoccupations exprimées par plusieurs sénateurs, dont les sénateurs Pitfield, Taylor, Joyal, Kinsella et d'autres, je tiens à affirmer que le projet de loi sur la clarté respecte pleinement le rôle que joue le Sénat dans notre régime parlementaire. Telle est la conviction du premier ministre et de l'ensemble du gouvernement. Sous cet aspect comme sous tous les autres, le projet de loi C-20 est conforme à la Constitution du Canada. Les plus grands experts constitutionnels sont venus le confirmer devant le comité législatif de la Chambre des communes chargé d'étudier le projet de loi C-20. Par exemple, le doyen Peter Hogg considère que la «Loi sur la clarté est conforme au droit constitutionnel, et plus précisément à l'avis rendu par la Cour suprême du Canada sur le Renvoi relatif à la sécession du Québec».
Il est à tout fait approprié que le projet de loi sur la clarté ne confère pas au Sénat le même rôle que le Chambre des communes. Les raisons en ont été bien expliquées par certains d'entre vous, dont le sénateur Boudreau. Permettez que je les expose en mes mots.
Il faut se demander ce qui se produirait en l'absence du projet de loi sur la clarté. Le gouvernement du Canada pourrait alors décider par lui-même de sa réponse à un gouvernement provincial qui lui demanderait de négocier la sécession. Il n'existe ni obligation légale ni pratique politique contraignant le gouvernement à consulter le Parlement -- ou à tenir un référendum national, comme l'a proposé le sénateur Joyal -- avant d'entamer des négociations constitutionnelles. De telles obligations n'existent pas davantage dans le cas d'une négociation constitutionnelle sur la sécession. Voici ce que la Cour suprême a statué au paragraphe 88 du Renvoi sur la sécession du Québec:
Le principe du fédéralisme, joint au principe démocratique, exige que la répudiation claire de l'ordre constitutionnel existant et l'expression claire par la population d'une province du désir de réaliser la sécession donnent naissance à une obligation réciproque pour toutes les parties formant la Confédération de négocier des modifications constitutionnelles en vue de répondre au désir exprimé.
Si le gouvernement du Canada était tenu, en vertu d'une exigence constitutionnelle additionnelle, de consulter le Parlement ou de tenir un référendum national avant d'entamer de telles négociations sur la sécession, la cour en aurait fait mention de façon évidente dans son avis. Elle ne l'a pas fait. Plutôt, la cour a confirmé que, bien que les représentants élus aient toujours le loisir de consulter les citoyens dans le cadre d'un référendum, «au Canada, l'initiative en matière de modification constitutionnelle relève de la responsabilité des représentants démocratiquement élus des participants à la Confédération».
Par conséquent, en l'absence du projet de loi sur la clarté, le gouvernement n'est tenu de consulter ni la Chambre des communes ni le Sénat avant d'engager des négociations sur quelque question constitutionnelle que ce soit, y compris la sécession. Cependant, alors que le Sénat n'aurait aucun recours s'il s'opposait à de telles négociations, la Chambre des communes en aurait un: elle pourrait défaire le gouvernement par un vote de non-confiance. Ainsi, une Chambre des communes opposée à la décision d'entreprendre des négociations constitutionnelles a actuellement le pouvoir de mettre fin à ces négociations.
Le Sénat n'a pas ce pouvoir d'empêcher la tenue des négociations constitutionnelles ou d'y mettre fin, puisqu'il ne détient pas le pouvoir de défaire le gouvernement par un vote de non-confiance. Comme l'expliquait feu le sénateur Eugene Forsey, dans notre régime de gouvernement responsable, le Cabinet est «[...] responsable et doit en répondre à la Chambre des communes [...]». Le principe constitutionnel du gouvernement responsable entraîne le fait que des fonctions et des rôles bien différents sont attribués aux deux Chambres du Parlement. La Cour suprême a par ailleurs reconnu que le gouvernement responsable est l'un des piliers de la démocratie constitutionnelle canadienne; cela se trouve au paragraphe 65.
Le projet de loi sur la clarté respecte l'esprit des relations constitutionnelles actuelles entre le gouvernement et le Parlement. En fait, il reconnaît que la décision d'engager des négociations sur la sécession aurait des conséquences graves et, pour cette raison, il oblige le gouvernement du Canada à s'assurer au préalable de la confiance de la Chambre des communes. De plus, le projet de loi sur la clarté impose à la Chambre des communes l'obligation de tenir compte des déclarations ou résolutions officielles du Sénat sur la clarté de la question et de la majorité. Une telle obligation n'existera que si ce projet de loi est adopté.
En assignant au Sénat et à la Chambre des communes des rôles différents, le projet de loi sur la clarté ne crée en aucune façon un précédent. Il arrive que les deux Chambres n'aient pas le même rôle à jouer et ce, pour d'excellentes raisons. Le Sénat ne peut pas déposer de projet de loi de finances. Il ne peut pas renverser un gouvernement. Il ne s'exprime pas sur toutes les résolutions adoptées par la Chambre des communes. Plusieurs lois confient à la seule Chambre des communes des responsabilités spécifiques. Et le Sénat ne dispose pas d'un droit de veto complet en matière de modifications constitutionnelles.
Arrêtons-nous sur ce dernier aspect. Si le Sénat peut retarder, mais non rejeter, une modification constitutionnelle, c'est qu'il y a une raison. Les rôles que le Sénat est habituellement appelé à jouer, soit de procéder à un second examen objectif et de protéger les intérêts des régions, sont en partie remplis autrement dans le cadre des procédures prévues par les modifications constitutionnelles. Les majorités exigées pour la plupart des modifications fixent la barre haut et garantissent des délibérations raisonnables. Dans l'approbation des modifications constitutionnelles, les assemblées législatives des provinces ont la capacité de protéger directement les intérêts des provinces.
Pour ce qui est de la décision d'engager des négociations constitutionnelles sur la sécession, il est évident que les provinces auraient un rôle indépendant à jouer dans l'évaluation de la clarté. De ce fait, les provinces protégeraient directement leurs intérêts en décidant ou non d'entamer des négociations sur la sécession.
Si le projet de loi C-20 attribuait au Sénat un rôle décisif dans l'évaluation de la clarté, il lui reconnaîtrait en pratique un veto sur une modification constitutionnelle relative à une sécession. Le Sénat se verrait conférer un pouvoir additionnel de bloquer un amendement constitutionnel, pouvoir qu'il n'a pas actuellement dans notre régime parlementaire. Il n'y a rien dans le Renvoi relatif à la sécession du Québec qui indique que la Cour suprême du Canada avait l'intention de revoir les rôles respectifs des deux Chambres.
En somme, le projet de loi C-20 respecte pleinement la Constitution du Canada ainsi que nos traditions parlementaires en ce qu'il attribue un rôle déterminant à la Chambre des communes et en ce qu'il l'oblige à prendre en compte toute déclaration officielle portant sur l'évaluation de la clarté qui serait émise par le Sénat.
En conclusion, je peux résumer le point de vue du gouvernement du Canada à propos de la pertinence de la Loi sur la clarté en deux propositions. Premièrement, dans un pays démocratique comme le Canada, une sécession n'est acceptable que dans la clarté et dans la légalité, c'est-à-dire seulement si les électeurs d'une province la veulent clairement et seulement si elle est négociée dans le cadre constitutionnel.
Deuxièmement, un pays démocratique comme le Canada a le droit, le devoir et les moyens pacifiques de s'assurer que la sécession unilatérale soit exclue, car elle serait trop contraire aux intérêts et aux droits de tous ses citoyens, en particulier ceux vivant dans la province touchée.
Telles sont les deux propositions, ou deux convictions, du gouvernement du Canada que je soumets maintenant à la discussion avec tous les autres aspects qu'il vous plaira de soulever.
[Français]
Je voudrais simplement conclure, comme je le fais pour tous mes discours sur le projet de loi sur la clarté, en réitérant cette autre conviction profonde du gouvernement du Canada: c'est la clarté qui est l'alliée de l'unité canadienne et non la confusion ou l'ambiguïté. La raison en est simple: avec une question claire nous, les Québécois, répondrons toujours que nous voulons rester dans le Canada. Nous avons trop contribué à ce pays, nous avons trop le désir de toujours l'améliorer, pour y renoncer.
Si vous choisissez de voter en faveur du projet de loi sur la clarté, vous renforcez l'unité de notre pays. Car la clarté met en lumière la volonté des Québécois d'être Québécois et Canadiens plutôt que Québécois sans le Canada.
Ainsi, pour reprendre l'expression du sénateur Bacon, vous ferez en sorte «que les droits de chaque Canadien soient respectés». Vous le ferez en votant pour une loi qui respecte les droits de tous les Canadiens, l'avis de la Cour suprême du Canada et notre système parlementaire.
La présidente: Vous remarquerez, monsieur Dion, qu'il y a énormément de gens dont plusieurs sénateurs qui suivent avec intérêt les audiences.
[Traduction]
Pendant le premier tour de questions, les membres du comité auront l'occasion de poser des questions, après quoi les sénateurs ici présents mais qui ne sont pas membres du comité pourront en faire autant. Puisque nous sommes nombreux et que toutes les questions sont importantes, chaque sénateur devrait tâcher d'être bref et précis, sans vider les questions de leur sens mais en évitant les discours et les longs préambules. De même, essayons de faire porter nos questions sur un sujet à la fois et conservons les autres thèmes pour un autre tour de table. Cela donnera à chacun la même chance de participer à cette séance importante du comité.
Le sénateur Lynch-Staunton: Monsieur le ministre, je vais donner l'exemple en vous posant une question très claire. Après vous avoir écouté et suivi votre texte, je vous avoue avoir trouvé très stimulant votre exposé et votre nouveau raisonnement. Que l'on soit d'accord ou non avec vous, vous avez fait un très bel effort. Accepterez-vous des amendements au projet de loi ou estimez-vous que sous sa forme actuelle le texte est satisfaisant et qu'il devrait être adopté tel quel par le Sénat?
M. Dion: Je pense que c'est un excellent projet de loi. Si vous signalez des améliorations, je serai prêt à vous écouter.
Le sénateur Lynch-Staunton: Vous êtes donc ouvert à des amendements?
M. Dion: Si ce sont de bons amendements, oui; je vais vous écouter.
Le sénateur Lynch-Staunton: Il est important de le savoir car, comme vous le savez, un nombre important de sénateurs, en particulier de l'autre côté, ont suggéré des amendements soit à cette étape-ci soit en troisième lecture. Il serait bon de savoir si à tout le moins vous êtes prêt à les entendre. Il se peut bien que vous vous présentiez ici en pensant que le projet de loi est excellent, selon vous, et que des amendements seraient superflus.
M. Dion: Je veux le meilleur projet de loi sur la clarté pour les Canadiens.
Le sénateur Lynch-Staunton: Très bien. Vous êtes donc ouvert à des amendements.
Il y a un élément qui était absent de votre exposé, à savoir une réponse aux forces fédéralistes du Québec conduites par M. Jean Charest. Le parti de M. Charest est officiellement opposé au projet de loi C-20. Il est inutile de vous rappeler que Jean Charest a joué un rôle important lors du référendum de 1995. Tous les Canadiens étaient heureux de le voir se rendre au Québec pour mener les forces fédéralistes comme il le fait toujours.
Au début du mois de mai, M. Charest a déposé à l'Assemblée nationale une déclaration et une note d'accompagnement dans laquelle il déclare que certains événements des derniers mois, en particulier l'adoption par la Chambre des communes du projet de loi C-20, poussent tous les parlementaires québécois à réaffirmer l'autorité et la légitimité de l'Assemblée nationale. La déclaration est assez longue et je suis certain que vous la connaissez. Le début se lit ainsi:
La présente Assemblée:
Réaffirme que les Québécois ont le droit de choisir leur avenir et de déterminer leur statut constitutionnel et politique et que ce droit doit être exercé en conformité avec le droit constitutionnel ou international, les conventions et les principes qui s'appliquent au territoire du Québec.
Après avoir lu la déclaration en entier, il apparaît de façon bien évidente qu'il n'y a pas de place pour le projet de loi C-20 dans cette déclaration. C'est donc dire que le parti le plus suivi au Québec, et l'unique parti fédéraliste, a pris position contre le projet de loi. On ne peut qu'en conclure que celui-ci rassemble les forces séparatistes et ultra-nationalistes du Québec et divise les forces fédéralistes. Que répondez-vous à cela?
M. Dion: M. Charest a dit qu'il n'appuyait le projet de loi sur la clarté parce qu'il croit que le projet de loi est inutile. Je serais d'accord avec lui s'il était premier ministre du Québec. La nécessité du projet de loi sur la clarté tient au fait que l'actuel premier ministre du Québec ne reconnaît pas l'avis de la Cour suprême sur le renvoi. Le gouvernement du Canada doit dire clairement que le gouvernement du Canada respectera intégralement l'avis de la Cour suprême. Je serais d'accord avec M. Charest s'il était premier ministre.
Le sénateur Lynch-Staunton: Je veux que vous m'expliquiez pourquoi, en réponse à une question sur le projet de loi 99 au cours d'une interview accordée il y a quelques jours, M. Charest a déclaré:
[Français]
Bien, c'est-à-dire chez nous, il y a, je pense, une opinion majoritaire très forte sur C-20. Entre autre, on vient judiciariser une question qui est politique.
C'est, à mon avis, une très mauvaise idée et on s'est opposé à ce projet de loi-là et comme on est conséquent, on s'oppose aussi à la réaction du gouvernement du Parti québécois qui, de son côté, veut aussi judiciariser une question qui est d'ordre politique pour le Québec.
Je pense que c'est une très grave erreur, que ça risque de créer à nouveau une saga judiciaire qui va durer plusieurs années et on a proposé des alternatives.
[Traduction]
Qu'il soit ou non premier ministre, il n'en demeure pas moins qu'il est le chef du principal parti fédéraliste du Québec, un parti qui sera appelé à jouer un rôle clé au prochain référendum, quand celui-ci aura éventuellement lieu. À l'heure actuelle, il nous dit que le projet de loi C-20 sera un obstacle plutôt qu'une aide dans la campagne référendaire.
M. Dion: Je crois qu'il critique beaucoup plus le projet de loi 99 que le projet de loi C-20, mais je vais m'abstenir de parler en son nom.
Je sais que ce serait regrettable que nous, Québécois, perdions le Canada dans un processus comme celui qui a eu lieu en 1995. Le chef du Parti libéral du Québec en 1995 était M. Johnson. Il a dit que la question qui a été posée était truquée. Au référendum de 1980, le chef du Parti libéral du Québec a dit que la question était frauduleuse. Un citoyen ne devrait jamais perdre son pays par la ruse ou par la fraude. C'est aussi simple que cela.
Le sénateur Lynch-Staunton: Je ne vous demande pas de défendre la position de Jean Charest. Je veux que vous conciliez sa position avec celle du gouvernement fédéral, qui est contraire à la sienne. Il a dit durant cette interview:
[Français]
[...] la très forte majorité, et je prends témoin des positions qui ont été défendues dans le Caucus. Ils se sont opposé à C-20 comme j'étais opposé à une référence de la Cour suprême.
[Traduction]
M. Charest dit au gouvernement fédéral de retourner au plan A. Je vais citer le reste du passage, si vous me le permettez.
[Français]
On a, aujourd'hui, le jugement, il faut bien vivre avec, mais, moi, je suis de ceux qui pensent que le leadership qu'on attend du gouvernement fédéral, c'est un leadership qui nous amène à améliorer la Fédération canadienne, pas à faire des plans B et là-dessus, bien, on s'y objecte formellement et la réponse venant du gouvernement du Parti québécois n'est pas surprenante.
[Traduction]
Il dit que le Parti québécois se félicite du projet de loi C-20 tandis que son propre parti est contre. Ce projet de loi lui est imposé, à lui et à son parti, par le Parti libéral fédéral. Je ne vous demande pas de défendre sa position. Je vous demande de concilier la position de votre gouvernement avec la sienne. Comment pouvez-vous concilier les deux?
M. Dion: Bon. Les sondages d'opinions menés au Québec montrent que la plupart des Québécois appuient la teneur du projet de loi.
Le sénateur Lynch-Staunton: Je vous en prie, ma question porte sur la position de M. Charest. Je ne veux pas entendre parler de sondages.
M. Dion: Voulez-vous que je parle de ma position ou de sa position à lui.
Le sénateur Lynch-Staunton: Je veux que vous concilier votre position avec la sienne. Il dit qu'il ne veut pas du projet de loi C-20 et vous, vous dites qu'il n'a pas le choix, qu'il doit s'en accommoder.
M. Dion: Votre question est fondée sur l'hypothèse que les Québécois n'appuient pas la teneur du projet de loi sur la clarté. Je suis prêt à affirmer que ce n'est pas le cas. Que M. Charest et M. Chrétien ne soient pas en accord sur tout, c'est un fait. Ce n'est pas nouveau. Le Canada n'en est pas moins uni. On peut avoir des désaccords entre alliés. Vous-même et le chef de votre propre parti ne vous entendez pas sur la majorité qui est nécessaire.
Le sénateur Lynch-Staunton: La question n'est pas là. Ce commentaire est déplacé.
M. Dion: Excusez-moi, vous êtes encore membre de ce parti. C'est la même chose. Je considère M. Charest comme un grand allié, mais nous avons parfois des désaccords. Je veux seulement signaler qu'il n'a jamais dit que le projet de loi C-20 est mauvais. Il a dit qu'il n'était pas utile. Je serais d'accord avec lui s'il était le premier ministre du Québec.
Le sénateur Lynch-Staunton: Et c'est ce que vous appelez un excellent projet de loi.
M. Dion: Oui, il l'est.
Le sénateur Furey: Monsieur le ministre, je fais écho aux propos de la présidente, quand elle vous a souhaité la bienvenue. Je vous remercie d'avoir pris le temps de venir discuter avec nous.
Je veux revenir à ce que vous avez dit au début à propos du caractère indivisible du Canada. Nous avons entendu un certain nombre d'arguments au cours du débat en deuxième lecture. L'un des arguments était fondé sur le préambule de la Constitution selon lequel le Canada est indivisible. Par ailleurs, on nous a dit que, pendant le débat sur le rapatriement, il a été explicitement question d'inclure le mot «indivisible» dans la Constitution, mais que cette idée a été rejetée.
Je comprends très bien que l'on souhaite affirmer que le Canada est indivisible; il est certain que je ne veux pas que le Canada soit divisé. Cependant, si jamais nous étions confrontés à une majorité claire sur une question claire en faveur de la sécession, que se passerait-il, monsieur le ministre Dion, si nous disions simplement: «Désolé, le Canada est indivisible»? Où cela nous mènerait-il?
M. Dion: Premièrement, nous dirions alors quelque chose d'inexact, qui est contraire à la loi. Nous n'aurions pas l'appui de la Cour suprême du Canada. La cour ne se contredirait pas. Quand on n'a pas l'appui de la loi, on est en difficulté.
C'est pourquoi nous nous sommes adressés à la cour. Nous pensions que c'était le gouvernement du Québec qui n'était pas appuyé par la loi. Il faut se rappeler que le gouvernement du Québec affirmait qu'après la victoire du oui, le droit international remplacerait immédiatement le droit canadien. Le gouvernement du Québec pourrait décider de devenir un État indépendant tout de suite ou dès le début des négociations, mais, à ce moment-là, tous les citoyens du Québec seraient dans l'obligation de considérer que leur gouvernement était le gouvernement d'un État indépendant, et tous les citoyens et les gouvernements du Canada et du monde seraient tenus de se ranger à cette position.
Le gouvernement du Canada affirmait qu'il n'y a pas un paragraphe, pas une ligne, pas une virgule du droit international qui appuie cette affirmation. Il faut toujours s'en tenir au cadre juridique, surtout quand il s'agit d'affaires comme celle-ci, qui sont tellement délicates et difficultueuses.
Le sénateur Murray: J'ai mis mes questions par écrit, ayant prévu vos remontrances. Mes questions sont rédigées de façon claire et concise et invitent à donner des réponses claires et concises. Elles portent surtout sur le renvoi de septembre 1996 et sur les arguments invoqués devant la cour par les avocats du gouvernement et sur l'avis consultatif donné par la cour. Ma première question est celle-ci: Quelle est la position du gouvernement fédéral au sujet de la procédure de modification qui s'appliquerait à la sécession d'une province?
M. Dion: La cour a dit...
Le sénateur Murray: Que dit le gouvernement?
M. Dion: Le gouvernement a dit qu'il faut respecter l'avis de la cour, et la cour a dit...
Le sénateur Murray: Monsieur le ministre, je crois que nous pouvons gagner du temps. Vos avocats se sont adressés à la cour. Divers intervenants ont présenté à la cour diverses possibilités quant à ce que la procédure devrait être, mais les avocats du gouvernement ont dit à la cour d'écarter leurs arguments. Par conséquent, il n'est pas utile de venir dire au comité ce que la cour a dit. Ou bien le gouvernement a une position sur la procédure de modification qui s'applique ou qui s'appliquerait, ou bien il n'en a pas. S'il n'en a pas, dites-le et nous passerons à autre chose.
M. Dion: Le gouvernement a dit à la cour qu'il est impossible de décider hors contexte quelle procédure de modification précise s'appliquerait.
[Français]
La cour a dit à l'article 105, et je cite:
[...] chaque option exigerait que nous présumions l'existence de faits qui sont inconnus à ce stade.
Donc la cour nous dit que quand on aura les faits qui sont connus à ce stade, si les politiciens ne s'entendent pas sur la formule d'amendement qui s'applique, éventuellement, les tribunaux pourraient les aider. En l'absence du contexte précis, le gouvernement s'interdit de spéculer sur la formule d'amendement applicable.
Le sénateur Murray: Mais pourquoi n'avez-vous pas inclu dans votre renvoi la question à savoir quelle procédure de modification s'applique à une éventuelle sécession?
M. Dion: Nous croyons qu'il faut connaître le contexte. La cour nous confirme qu'il faut connaître le contexte.
[Traduction]
Le sénateur Murray: Monsieur le ministre, l'objectif déclaré du gouvernement est la clarté. Il me semble que la clarté fera grandement défaut si nous ne savons pas, le lendemain d'un référendum au Québec, quelle procédure de modification s'appliquerait et qui serait chargé de négocier. Ce qui m'amène à ma question suivante.
Au sujet des peuples autochtones du Québec, le gouvernement du Canada est-il d'avis que leur statut constitutionnel vis-à-vis de l'État fédéral et le Parlement pourrait être changé sans leur consentement? Pourraient-ils par exemple être tansférés de la juridiction du Parlement à celle de la nouvelle république du Québec, ou bien ont-ils un droit de veto sur tout changement de leur statut constitutionnel?
M. Dion: La cour a dit que rien ne serait décidé à l'avance.
Le sénateur Murray: Pardon?
M. Dion: Rien ne serait décidé avant les négociations. Au moment d'entamer les négociations, vous ne pouvez pas dire que ceci a été tranché par la cour. Rien n'a été décidé à l'avance. La cour a dit que tous les participants auraient l'obligation de respecter les droits des minorités et en particulier les droits des autochtones et les revendications territoriales. Ce serait donc une grande difficulté pour les négociateurs. Nous savons qu'à cause du paragraphe 35(1), il nous faudrait rencontrer les chefs autochtones dans le cadre d'une conférence constitutionnelle. Le projet de loi sur la clarté stipule que le gouvernement du Canada serait tenu d'assumer ses responsabilités à leur égard.
Le sénateur Murray: Monsieur le ministre, vous avez refusé un amendement qui aurait garanti aux peuples autochtones une place à la table de négociation. Cet amendement a été proposé au comité de l'autre endroit par le grand chef Fontaine. Il me semble que le gouvernement a une attitude très généreuse à l'égard des droits des autochtones dans le dossier des Nisga'as, où vous prétendez constitutionnaliser le traité en application de l'article 35 de la Charte, et que vous adoptez une attitude au contraire très étroite dans le cas des droits des autochtones au Québec. Vous ne leur accordez même pas une place à la table de négociation.
Vous n'avez pas répondu à ma question. Doivent-ils donner leur consentement, oui ou non? Pouvez-vous changer leur statut constitutionnel sans leur consentement?
M. Dion: Nous ne pouvons pas éviter de leur parler, de négocier avec eux. Le résultat de ces négociations est inconnu, comme dans le cas de toutes négociations entourant une sécession. Il n'y a aucune garantie que la frontière d'une province ne serait pas déplacée à l'issue de négociations de ce genre. Si un groupe de la population demande clairement de rester au Canada, si cette demande et claire et majoritaire, il serait très difficile d'éviter de déplacer les frontières, mais ce n'est pas une certitude. La cour a dit que rien n'est tranché à l'avance.
Une chose est certaine, toutefois, c'est que le gouvernement du Canada a une obligation fiduciaire envers les peuples autochtones et nous serions tenus d'assumer cette obligation. Il nous faudrait respecter le paragraphe 35(1) de la Constitution de notre pays. D'après le chef Fontaine, le gouvernement est d'avis que cette disposition permet déjà leur participation dans de telles négociations, ne serait-ce que parce que le paragraphe 35(1) de la Constitution exige leur présence à la table et leur participation aux négociations. Par conséquent, le projet de loi C-20 doit au minimum prévoir cette possibilité.
[Français]
Les gouvernements fédéral et provinciaux sont liés par l'engagement de principe selon lesquels les représentants des peuples autochtones seraient invités à participer aux discussions pour tout amendement constitutionnel qui affecterait des dispositions de la Constitution mentionnées à l'article 35.1. Le projet de loi sur la clarté respecte ce principe en précisant bien que les négociations sur la sécession incluraient notamment les gouvernements des provinces et du Canada.
[Traduction]
Le sénateur Milne: Monsieur le ministre Dion, selon de nombreuses rumeurs qui circulent, le prétendu traitement inégal accordé au Sénat dans ce projet de loi reflète votre opinion personnelle en faveur de l'abolition du Sénat. Que répondez-vous à cela?
M. Dion: Je réponds en citant le sénateur Pitfield, qui a dit que l'on peut avoir des opinions différentes sur l'avenir du Sénat et qu'elles sont toutes tout à fait légitimes. Je ne suis pas certain que vous-mêmes, sénateurs, ayez toute la même opinion quant à l'avenir du Sénat, et vos opinions sont toutes légitimes, mais c'est un débat qui devra avoir lieu si jamais cette question suscite un débat constitutionnel parmi les Canadiens. Cela dit, nous devons respecter le Sénat. Je suis entièrement d'accord. Le projet de loi sur la clarté respecte les rôles et les prérogatives que la Constitution accorde au Sénat ainsi que ceux qui sont traditionnellement accordés au Sénat.
[Français]
Le sénateur Beaudoin: Monsieur le ministre, j'aimerais vous poser une question au sujet du rôle du Sénat. Dans les débats confédératifs, sir George Étienne Cartier a consacré des pages et des pages au Sénat. L'article 17 de la Constitution dit bien que nous avons deux chambres législatives: le Sénat et la Chambre des communes. Il est clair que sur le plan législatif, les deux chambres sont égales, mais que sur le plan constitutionnel, le veto n'est que suspensif. On est tous d'accord là-dessus. Il y a tout de même un paragraphe où vous référez au paragraphe 88 de l'avis de la Cour suprême, où on dit:
Au Canada, l'initiative en matière de modification constitutionnelle relève de la responsabilité des représentants démocratiquement élus [...]
La Cour suprême, évidemment, est suprême, mais la Constitution aussi est suprême.
L'article 52(1) de la Constitution dit:
La Constitution du Canada est la loi suprême du Canada; [...]
L'article 46(1) de la Constitution dit très clairement:
L'initiative des procédures de modifications visées aux articles 38, 41, 42 et 43 appartient au Sénat, à la Chambre des communes [...]
Il y a déjà un petit accroc dans l'avis de la Cour suprême et l'article 46 de la Constitution. Le Sénat est certainement un acteur politique. Il n'est pas élu, mais il est politique. Le Sénat a un rôle d'initiative en matière d'amendement constitutionnel. L'article 46 n'est pas tellement connu, mais il est là.
À mon avis, chaque fois qu'on légifère une loi, les deux Chambres sont égales et pour respecter le principe du bicaméralisme qui est une des bases de la Fédération, il faut respecter légalité des deux Chambres. Il faut que le Sénat dise oui au projet de loi C-20 pour qu'il soit adopté. On a un veto absolu, mais on nous demande gentiment de voter pour le projet de loi tout en sachant qu'une fois qu'il sera adopté, on sera exclu. C'est beaucoup demander à un sénateur. Si on suit les grands principes du bicaméralisme et si on respecte non pas seulement la lettre, mais l'esprit de la Constitution, on devrait traiter le Sénat et la Chambre des communes d'une même façon. Si c'est un amendement constitutionnel, ce n'est pas égal, mais si c'est une loi et un rôle qui est dévolu par une loi, il me semble qu'on doit respecter l'égalité.
M. Dion: Le rôle du Sénat apparaît par le fait qu'il approuve le projet de loi sur la clarté. Si malheureusement on en venait à ce stade et si les négociateurs arrivaient à un accord de séparation, il faudrait que cet accord de séparation prenne une forme constitutionnelle et le Sénat aurait alors un rôle à jouer. Entre-temps, le Sénat aurait tout le loisir de commenter, conseiller et tenter d'influencer les négociations. Il n'a pas la capacité que vous me demandez de donner au Sénat, la possibilité...
Le sénateur Beaudoin: De reconnaître.
M. Dion: ... d'arrêter un processus de négociation constitutionnel. Vous me demandez de faire quelque chose qui est contraire à nos traditions politiques, et cela, je ne peux pas le faire.
Évidemment, si le Sénat avait le même rôle que la Chambre des communes concernant l'évaluation de la clarté et de la majorité, et que le Sénat disait que ce n'est pas clair, on donnerait au Sénat la capacité d'établir un veto absolu sur le début d'une négociation constitutionnelle, un pouvoir qu'il n'a pas.
Le sénateur Beaudoin: Un instant. Je suis d'accord que vous donniez un pouvoir à la Chambre des communes. Vous avez choisi d'agir par une loi. Vous auriez pu agir autrement, mais vous avez parfaitement le droit d'agir par une loi. Mais dès que vous vous engagez sur la voie législative, il faut suivre les principes du bicaméralisme au Canada. Pourquoi donnez-vous un pouvoir à la Chambre des communes et pas au Sénat? On a 30 jours. On est moins nombreux qu'à la Chambre des communes, mais on peut certainement le donner dans le même temps.
Le Sénat est une Chambre législative qui a toujours existé. Cartier était très formel là-dessus: égalité du Québec et de l'Ontario au Sénat et égalité des deux Chambres. On va contre les principes du bicaméralisme qui font partie intégrante de notre Constitution canadienne.
M. Dion: J'aimerais bien vous convaincre parce qu'en janvier lors du lancement de mon livre, vous m'aviez dit que vous adoriez la Loi sur la clarté.
Le sénateur Beaudoin: Je n'adore pas les lois. Un instant.
M. Dion: Vous l'aimiez bien.
Le sénateur Beaudoin: J'ai dit que j'étais d'accord qu'une question doit être claire. Ce n'est pas de la question dont on discute aujourd'hui, mais de la loi.
M. Dion: Cette loi respecte le rôle du Sénat parce qu'elle ne donne pas un nouveau pouvoir à la Chambre. La Chambre l'a déjà. Le gouvernement est responsable devant la Chambre. Il n'est pas responsable devant le Sénat. S'il est responsable devant la Chambre, le gouvernement peut très bien dire: je vais d'abord m'assurer que j'ai la confiance de la Chambre avant de m'engager dans des négociations aussi graves. Il ne donne pas un pouvoir à la Chambre. Il sait que la Chambre a ce pouvoir et c'est pourquoi il agit ainsi.
Le sénateur Beaudoin: De Chambre législative que nous sommes aujourd'hui, on devient, après le projet de loi C-20, un espèce de groupe de pression. C'est tout.
M. Dion: La Loi sur la clarté ne diminue en rien les prérogatives et les rôles du Sénat. Il pourra les jouer. Elle lui accorde même quelque chose qu'il n'aurait pas sans la Loi sur la clarté: l'obligation pour la Chambre de prendre en compte le point de vue du Sénat. Ce qui n'existerait pas s'il n'y avait pas la Loi sur la clarté. Le gouvernement pourrait agir sans consulter, en aucune façon, le Sénat.
[Traduction]
Le sénateur Chalifoux: J'aimerais clarifier une déclaration du ministre Dion. Les droits des autochtones ne sont pas des droits minoritaires; ils sont tout à fait distincts. Au Québec, on trouve la nation inuite, la nation crie, les Mohawks et beaucoup d'autres nations. Il y a aussi la nation Métis. Je crois savoir qu'aucune de ces nations n'a été consultée ou que leur avis n'a pas été pris en considération pendant les négociations.
Les traités ont été signés par les Premières nations, la Reine d'Angleterre et le Canada. La province du Québec n'y a pas participé. Il y a la Loi sur les Cris et les Naskapis du Québec. Les avez-vous consultés? Je crois savoir que cela fait partie de la Constitution. Les Mohawks ne se sont jamais joints à quiconque. Ils sont distincts. Certains sont aux États-Unis, d'autres au Canada. Ont-ils été consultés dans tout cela?
S'ils veulent faire sécession -- et je prie que cela n'arrive jamais -- qu'adviendra-t-il des premières nations, des Inuits et des Métis? Comment les frontières seront-elles déterminées? Si ces groupes veulent tous rester au Canada, les séparatistes n'auront qu'un petit territoire autour de Montréal. J'aimerais savoir ce que vous en pensez.
M. Dion: D'abord, vous avez raison, les populations autochtones ont un rôle particulier et jouissent d'une reconnaissance dans la Constitution canadienne qui n'est pas la même que pour les minorités. C'est pourquoi je mentionne le fait que si, malheureusement, nous devions négocier le démantèlement du pays, nous serions obligés de convoquer une conférence constitutionnelle parce qu'un vote sur la sécession mettrait leurs droits en péril. Je ne peux pas affirmer avec certitude aujourd'hui ce que serait l'issue de ces négociations, toutefois.
Pour ma part, je pense que lorsqu'un groupe d'êtres humains dit qu'ils sont distincts et que pour cette raison ils souhaitent quitter le pays, il est très difficile pour eux de nier le même droit à d'autres, qui ont peut-être une spécificité encore plus grande et depuis plus longtemps encore. Les peuples autochtones dans une province sécessionniste auraient des arguments très puissants auxquels il serait très difficile de passer outre. Le gouvernement du Canada aurait le devoir de s'assurer que leur point de vue est respecté et il aurait à négocier en ne ménageant aucun effort pour respecter leurs droits.
Le sénateur Chalifoux: Est-ce que les peuples autochtones qui ont signé des traités avec la Reine et avec le Canada feraient partie du mouvement séparatiste, à cause des traités? J'aimerais savoir ce que vous en pensez.
M. Dion: Je ne peux pas vous donner de réponse juridique. Une réponse politique serait de dire qu'il serait très difficile de contester leurs arguments parce que leurs arguments sont très forts. C'est la réponse politique. La réponse pluraliste appelle la question suivante: Comment peut-on enlever une population d'un État pour la transférer dans un autre sans sa volonté? La situation est plutôt ardue. Ce serait l'une des grandes difficultés des négociations. Il faut que les gens le sachent avant de se lancer.
Je me souviens que de ceux qui ont voté le 30 octobre 1995, presque personne dans le sud du Québec ne savait que dans le nord du Québec il y avait eu trois référendums où une claire majorité de 95 p. 100 ont dit qu'ils allaient rester au Canada quelle que soit l'issue du référendum. Je me souviens qu'après le référendum, lorsque des journalistes ont demandé à M. Parizeau ce qu'il aurait fait des référendums dans le nord du Québec, sa réponse a été extraordinaire. Il a déclaré que ces référendums n'étaient pas légaux.
Je demande donc à tous et chacun de ne pas adopter un système de deux poids deux mesures. Chacun doit respecter la loi, à commencer par le premier ministre du Québec.
Le sénateur Chalifoux: Est-ce que ces populations ont été consultées lorsque vous avez préparé votre projet de loi: les Inuits, les premières nations, les Métis et les Mohawks?
M. Dion: Beaucoup d'entre eux sont venus au comité législatif de la Chambre.
[Français]
Le sénateur Nolin: J'aurais deux questions. Dans vos remarques préliminaires, vous faites référence à la décision du gouvernement de suivre l'avis de la Cour suprême sur le Renvoi relatif à la sécession du Québec. Dans quel paragraphe de la décision la Cour suprême indique-t-elle au gouvernement qu'il devrait procéder par voie législative pour régler cette question politique?
M. Dion: La cour n'a pas demandé au gouvernement de faire une loi, mais elle ne l'interdit pas non plus. Elle laisse les acteurs politiques décider par quelles procédures ils rempliraient leurs obligations de négocier en cas de clarté. Le gouvernement n'avait aucune obligation de faire une loi. S'il en a décidé ainsi, c'est pour des raisons politiques, parce que le gouvernement du Québec ne s'est pas engagé à respecter l'avis de la Cour suprême.
Si le gouvernement du Québec avait accepté l'avis de la Cour suprême dans son entièreté, sans choisir les passages qui l'intéressent; si le gouvernement avait convenu de ne jamais demander aux autres Canadiens de négocier la séparation du Québec, à moins de pouvoir traduire une volonté claire des Québécois à se séparer -- non pas une majorité arrachée à coup de questions confuses, choisies et concoctées à coup de «Focus Group»; si le gouvernement avait dit que des gens voulaient se séparer, que la population n'était pas tellement divisée là-dessus, et s'il avait demandé aux autres Canadiens de négocier dans le cadre constitutionnel, et qu'à la fin des négociations, on apparaîtra comme pays sur une base légale; si M. Bouchard avait dit cela, M. Chrétien lui aurait répondu qu'il était en profond désaccord avec lui quant à la possibilité de la séparation, et il lui aurait dit qu'il était en profond accord avec lui sur la procédure par laquelle la sécession pourrait être faite.
Il est malheureux qu'en démocratie, non seulement nous ne nous entendons pas sur fond, mais nous ne nous entendons pas non plus sur la procédure à suivre pour régler un problème de fond. La cour nous a indiqué la procédure, le gouvernement du Québec l'a refusé. Le gouvernement du Canada, par le projet de loi sur la clarté, confirme que lui, il la respecterait.
Le sénateur Nolin: J'ai une deuxième question. Comme vous l'avez dit, cette question est hautement politique. Replaçons-nous en 1995. À cette époque, j'étais un des acteurs de la campagne fédéraliste au Québec.
Le 11 septembre 1995, M. Parizeau a dépose la question à l'Assemblée nationale. C'est alors que le débat sur la question s'est amorcé. Les sondages, tant publics qu'internes, ont montré que nous avions pris de l'avance durant le débat sur la question référendaire. M. Chrétien a déclaré, à l'instar de M. Trudeau, en 1980, que cette question n'était pas claire. M. Johnson a fait de mème. Tout le monde du côté fédéraliste a soupesé les conséquences de l'ambivalence de cette question; malgré tout, nous, les fédéralistes, avons gagné le débat de la question.
Le référendum de 1995 a connu un dénouement heureux, malgré un compte serré. Reportons, en tenant compte des faits historiques, le projet de loi C-20 en 1995. Le débat à la Chambre des communes sur le projet de loi C-20 aurait dû se terminer autour du 10 octobre. En réalité, le 10 octobre 1995, le projet de loi C-20 n'existait pas. À ce moment-là, nous perdions dans les sondages, quels qu'ils soient, publics et internes, nous nous retrouvions à moins de 1,8 p. 100; comment votre projet de loi aurait-il pu nous aider, comme vous le dites si bien dans votre conclusion, à renforcer l'unité de notre pays?
Lorsque vous dites qu'en votant en faveur de votre projet de loi, nous favorisons l'unité de notre pays, je vous répondrais que même si je vote contre, je suis capable de travailler pour l'unité de notre pays.
Nous sommes en 1995. Tous les matins, dès 7 heures, avec certains de mes collègues et de vos amis du Parti libéral, nous nous préparons à défendre le Canada. Un bon matin, la Chambre des communes décide que cette question n'est pas claire et, de ce fait, le gouvernement décide qu'il ne négociera pas, quoi qu'il arrive. Comment cette décision pourrait-elle nous aider?
M. Dion: Le projet de loi C-20, à l'article 1. (1), stipule «Dans les trente jours...». C'est à l'intérieur d'un délai de 30 jours après le dépôt du texte de la question. La question de 1995 était si manifestement frauduleuse qu'en une demi-heure, la Chambre des communes aurait jugé qu'elle était irrecevable.
Le sénateur Nolin: Vous auriez quand même pris l'avis du Sénat?
M. Dion: Je crois que le Sénat nous aurait indiqué sa réponse en cinq minutes. Cela n'aurait pas pris plusieurs jours, premièrement. La question était si manifestement frauduleuse que le Sénat, la Chambre des communes, et les assemblées législatives des provinces auraient conclu dans le même sens, comme les Québécois, d'ailleurs, qui dans les sondages, ont dit que la question était confuse.
Vous dites que nous avons quand même gagné le débat, mais à quelques jours du vote, environ la moitié des Québécois croyaient que la souveraineté et le partenariat étaient liés. Si on votait OUI, on votait pour la souveraineté-association.
En fait, la procédure était si confuse que lorsque M. Parizeau, deux ans plus tard, lors de la parution de son livre, disait qu'il était prêt à faire une déclaration unilatérale d'indépendance dans les jours qui auraient suivi une victoire référendaire, ce ne sont pas seulement les citoyens ordinaires qui se sont étonnés de cela, mais également MM. Bouchard, Landry et d'autres. M. Duceppe avait même dit, alors qu'il était en campagne électorale, qu'il ne voulait pas être vu auprès de M. Parizeau. M. Parizeau a été obligé de leur montrer l'entente tripartite des trois partis politiques qui démontrait que c'était un an maximum et qu'il il pouvait donc faire sa déclaration unilatérale d'indépendance très vite, s'il en avait envie.
Ils n'avaient même pas compris cela eux-mêmes. Ils avaient envisagé quelque chose de si compliqué qu'ils s'étaient emmêlés dans leurs propres pinceaux, à tel point que l'un des trois leaders du OUI, M. Dumont, nous a dit, en février dernier, qu'il n'avait jamais été souverainiste. Il n'a pas dit qu'il l'était en 1995 et qu'il avait cessé de l'être.
Connaissez-vous un autre pays au monde qui accepterait de négocier sa brisure quand l'un des trois leaders séparatistes nous dit qu'il n'est pas séparatiste? Alors la réponse à votre question, sénateur Nolin, j'aimerais que ce soit vous qui la donniez et qui me disiez qu'évidemment, jamais votre parti et vous-même n'accepteriez de perdre votre pays à cause d'une fraude. Et cela doit être dit clairement aux gens: pas après le vote, mais avant.
[Traduction]
Le sénateur Cools: Madame la présidente, j'invoque le Règlement. Il n'y a pas suffisamment d'installations pour l'interprétation du français à l'anglais autour de la table. Je déteste avoir à me plaindre, mais le sénateur Grafstein et moi-même devons partager un écouteur. Je sais que M. Dion ne veut pas que je rate la moindre de ses paroles, et je crains d'en rater beaucoup.
La présidente: J'ai déjà dit que nous allons faire ce que nous pouvons pour que nous ayons plus d'écouteurs aux rencontres futures.
Le sénateur Prud'homme: J'ai le même problème que le sénateur Cools, madame la présidente. Il n'y a pas suffisamment d'écouteurs autour de la table.
La présidente: J'ai déjà dit que nous allons faire ce que nous pouvons pour les audiences futures du comité.
[Français]
Le sénateur Hervieux-Payette: Monsieur le ministre, j'aimerais qu'on clarifie la question de la reconnaissance d'une décision unilatérale ambigüe ou non. La Cour suprême, au paragraphe 109 de son avis, dit qu'elle «n'a pas compétence» pour statuer en droit, qu'elle ne prétend donc pas agir en tant qu'arbitre, et que son avis n'est que consultatif. Cependant, une grande partie des activités du gouvernement qui prône la sécession se fait déjà, au moment où on se parle, sur la scène internationale. Le même gouvernement, qui a été élu avec moins de 50 p. 100 des voix, dépense énormément d'énergie et de fonds des contribuables québécois pour promouvoir cette idée sur la scène internationale.
Pourriez-vous nous donner les grandes lignes du processus de reconnaissance? On reconnaît les grands principes du droit à l'autodétermination. C'est ce principe, évidemment, que l'on fait valoir sur la scène internationale. J'aimerais qu'on clarifie ce principe pour le bienfait des électeurs Québécois et Canadiens.
M. Dion: La procédure est aussi simple que celle-ci, à quelques nuances près. Si le gouvernement canadien annonce au monde que l'une de ses provinces va devenir un État, la reconnaissance est automatique. Si le gouvernement canadien dit que c'est une affaire canadienne qui se négocie avec l'une des provinces, les autres pays ne s'en mêlent pas. Ils peuvent marquer leur préférence, en parler, nous montrer leur sympathie et souhaiter que tout cela se règle pacifiquement. Mais c'est une affaire canadienne.
Le sénateur Hervieux-Payette: Le processus de reconnaissance internationale se fait-il par un communiqué d'un pays A, B et C dans les journaux, ou existe-t-il une procédure aux Nations Unies? Ou quels seraient les mesures de reconnaissance?
M. Dion: Ce n'est pas la seule, mais la meilleure forme de reconnaissance internationale, c'est quand un pays est accepté à l'ONU. Je peux vous dire que depuis que les Nations Unies existent, jamais un pays issu d'un autre pays n'y est entré sans le consentement de l'autre pays. Hors du cadre colonial, cela ne se produit pas. Ce qui ne veut pas dire qu'il n'y a pas eu des interventions dans des pays pour des raisons humanitaires. Si vous prenez, par exemple, le cas du Kosovo, jusqu'à présent, le Kosovo n'a pas été reconnu comme un pays indépendant, même si nous savons tous qu'à plus de 90 p. 100, cette population veut son indépendance, et même si le gouvernement ne s'est pas comporté de façon exemplaire face à la population du Kosovo.
[Traduction]
Le sénateur Kinsella: Monsieur le ministre, nous sommes ravis de vous avoir entendu dire dès le début de notre étude que vous serez ouvert à l'idée de recevoir des amendements à la suite de notre examen. Notre examen sera approfondi et détaillé.
J'aimerais vous citer un passage du paragraphe 153 de la l'avis consultatif de la Cour suprême:
Toutefois, il reviendra aux acteurs politiques de déterminer en quoi consiste «une majorité claire en réponse à une question claire», suivant les circonstances dans lesquelles un futur référendum pourrait être tenu.
Au septième paragraphe du préambule de votre projet de loi, on peut lire:
ATTENDU [...] Que, compte tenu du fait que la Cour suprême du Canada a conclu qu'il revient aux représentants élus de déterminer en quoi consiste une question et une majorité claires dans le cadre d'un référendum sur la sécession tenue dans une province [...]
Il y a incompatibilité avec la «question claire» du paragraphe 153 que je viens de vous lire. Vous avez dit dans votre exposé plus tôt cet après-midi et il est dit au septième paragraphe du préambule du projet de loi que le texte est basé sur l'avis de la Cour suprême -- «compte tenu du fait que la Cour suprême [...]» Toutefois, la Cour suprême a dit qu'il reviendra aux acteurs politiques de prendre cette décision. Elle n'a pas dit que cela reviendrait aux représentants élus. Pourquoi cette incompatibilité ici?
M. Dion: En fait, la cour a utilisé les expressions «acteurs politiques» et «représentants élus» de façon un peu interchangeable tout au long du renvoi. Par exemple, l'expression «représentants élus» est employée dans les paragraphes 35, 82, 65, 66, 74, 85, 88, 100 et 101.
La principale raison pour laquelle j'estime que le Sénat a un rôle différent de celui de la Chambre des communes n'est pas liée aux expressions «représentants élus» ou «acteurs politiques», qui sont employées de façon interchangeable. Cela tient au fait que le gouvernement est responsable devant la Chambre des communes.
Le sénateur Kinsella: Monsieur le ministre, ma deuxième question porte sur l'indivisibilité du Canada, qui est mon hypothèse de départ. Je vous ai écouté. Vous semblez défendre l'idée selon laquelle le Canada est divisible. Votre position sur la divisibilité découle-t-elle de la position de la Cour suprême dans son avis consultatif? Est-ce la raison pour laquelle, à votre avis, le Canada est divisible?
M. Dion: Je savais que le Canada était divisible avant le renvoi à la cour. Je pense que très peu de gens soutiennent le contraire. Le but du renvoi n'était pas de s'assurer que le Canada est divisible, mais bien que la sécession ne pouvait se faire hors du cadre constitutionnel car cela irait à l'encontre des droits des citoyens.
Le sénateur Kinsella: Si j'ai compris votre raisonnement cet après-midi, c'est qu'il y a des arguments à la fois juridiques et moraux qui expliquent, à votre avis, pourquoi le Canada est divisible. Est-ce à dire que nos amis des États-Unis ont moins de sens moral et de respect pour la primauté du droit? Cette grande fédération repose sur les principes de la démocratie, du constitutionnalisme, du fédéralisme, de la primauté du droit et de la protection des minorités; pourtant, la Cour suprême des États-Unis dans l'affaire Texas c. White, a clairement statué que cette fédération est indivisible. Qu'en est-il de la Couronne elle-même? Lorsque la Nouvelle-Écosse a cherché au XIXe siècle a faire sécession de la Confédération, qui en était à ses tous débuts, la Couronne le lui a refusée. Les Mexicains ont-ils moins de sens moral et de respect pour la primauté du droit du fait que dans cette grande fédération la sécession n'est pas admissible? Qu'est-ce qui fait que le Canada est dans une situation différente?
M. Dion: C'est une bonne question. Premièrement, cela nous fait comprendre à quel point une loi demandant qu'une province du Canada soit reconnue comme un État indépendant contre la volonté du gouvernement du Canada est complètement contraire à la pratique des États. Il n'y a aucun risque de ce genre, parce que la plupart de ces pays sont indivisibles eux-mêmes et n'ont aucun intérêt à encourager un tel geste unilatéral dans un autre État, assurément pas un pays du G-7 qui est très respecté comme le Canada.
Mais je ne réponds pas à votre question. Je commente seulement l'argument voulant qu'une déclaration unilatérale d'indépendance entraînerait la reconnaissance internationale, ce qui est à mon avis tout à fait irréaliste et faux.
Quant au fait que beaucoup de pays démocratiques, pas seulement des dictatures, se sont déclarés indivisibles -- vous avez mentionné les États-Unis, la France, l'Italie, l'Espagne, l'Australie et d'autres -- je respecte leur point de vue. Je ne dis pas que je suis plus moral que les citoyens de ces pays-là. Je comprends qu'on veuille affirmer que chaque pouce de territoire du pays appartient à tous les citoyens du pays, qu'aucun citoyen ne peut perdre sa citoyenneté contre sa volonté, et que tous les citoyens ont le droit de transmettre cette citoyenneté à leurs enfants. C'est ce que ces démocraties ont dit et je respecte tout à fait cela. Toutefois, si ces pays se trouvaient dans la situation où une partie de la population du pays disait clairement «nous voulons partir», dans un pays où il existe une solide tradition de consentement, je ne suis pas certain que la seule et unique réponse de ces démocraties serait de dire: «Vous ne pouvez pas partir parce que c'est contraire à la Constitution.» Je ne suis pas certain que les États-Unis d'aujourd'hui voudraient déclencher une guerre civile s'ils étaient dans cette situation. Les démocraties ont évolué et peut-être que, confronté au fait qu'une partie de la population veut clairement partir, on pourrait accepter de négocier et de modifier la Constitution pour rendre possible cette négociation.
Il y a une chose que je sais: je suis au Canada, pas dans un autre pays. Au Canada, tous les partis que je connais, y compris le vôtre, ont déclaré qu'ils ne garderaient pas le Québec au Canada contre la volonté clairement exprimée des Québécois.
Le sénateur Kinsella: Monsieur le ministre, ne croyez-vous pas qu'il y a une faille dans le paradigme qui a inspiré le monde universitaire et même le milieu politique, à savoir que nous n'avons pas fait de l'indivisibilité du Canada l'option préférentielle, mais que nous avons plutôt déployé beaucoup d'énergie et de créativité pour promouvoir le droit des peuples à l'autodétermination. Le droit à l'autodétermination est un droit fondamental reconnu internationalement et notre cour, dans cet avis et dans d'autres rendus auparavant, a déclaré qu'il faut respecter ce droit en apportant, de façon créatrice et ordonnée, diverses modifications à notre fédération. Par conséquent, ne serait-ce pas faire preuve de cohérence que de promouvoir le droit à l'autodétermination, en l'occurrence de la population du Québec, tout en insistant en même temps pour que cela se fasse à l'intérieur des paramètres d'un Canada indivisible? Ne serait-ce pas l'option préférentielle?
M. Dion: Je n'ai jamais pensé que le Canada était indivisible, pour les raisons que je viens d'énoncer. Pourrais-je vous poser une simple question? Êtes-vous d'avis que le Québec doit être retenu à l'intérieur du Canada à l'encontre de la volonté clairement exprimée de la population du Québec?
Le sénateur Kinsella: C'est mon option, oui.
M. Dion: C'est votre position.
Le sénateur Kinsella: Oui.
M. Dion: Ce n'est pas la position de votre parti.
Le sénateur Kinsella: C'est ma position et c'est une position de principe.
M. Dion: Je vais vous lire la résolution adoptée en 1991 par le Parti conservateur.
Le sénateur Kinsella: Monsieur le ministre, sauf le respect que je vous dois, au Sénat, nous n'avons pas tenu notre débat selon des lignes partisanes, et votre intervention est vraiment contraire à notre façon de faire. Mais c'est vous le témoin et vous pouvez dire ce que vous voulez.
M. Dion: Je ne vous demande pas d'accepter la position de votre parti. Je veux simplement montrer à quel point l'idée que le Canada est divisible a été acceptée par un parti important -- je suppose que ce n'est pas votre parti -- quand il a déclaré:
Il est résolu que la reconnaissance du droit des hommes et des femmes du Québec à l'autodétermination est confirmée.
J'espère que dans l'esprit du Parti conservateur, l'autodétermination ne signifie pas la sécession unilatérale. Mais le problème est que MM. Parizeau et Bouchard se servent de cette résolution pour dire que les conservateurs acceptent la manière Parizeau de démanteler le Canada. Ce serait très utile pour clarifier le débat que M. Clark dise: «Sûrement pas.»
[Français]
Le sénateur Gill: Monsieur le ministre, ma question touche évidemment les autochtones. Je suis très heureux qu'on puisse discuter de ces questions entre autochtones et non-autochtones. On n'a pas souvent la chance de le faire et on en profite maintenant.
Suivant la Proclamation royale de 1763, que vous connaissez, et qui confirmait les droits des autochtones, et la Loi de l'extention des frontières du Québec de 1912, vous vous souviendrez que lors du jugement concernant la Baie James, le juge Malouf a déclaré que les autochtones de cette région avaient des droits et devaient évidemment être consultés, et qu'on devait s'asseoir avec les autochtones de la Baie de James parce que c'était une condition sine qua non pour que l'extention des frontières du Québec puissent s'appliquer. Évidemment aussi, il y a eu, lors du rapatriement de la Constitution, la confirmation des droits inhérents des autochtones.
Je présume que cela vient de la Proclamation royale pour l'extension des frontières. Pensez-vous, monsieur Dion, qu'on doit maintenant dépasser le vocabulaire qu'on a toujours utilisé, c'est-à-dire qu'on doit consulter les autochtones? Il faut, il me semble, chercher l'assentiment des autochtones. On l'a fait pour l'extension des frontières. Si jamais on change la configuration du Canada, il faudrait consulter et rencontrer les autochtones et leur demander ce qu'ils en pensent. J'aimerais avoir votre commentaire, s'il-vous-plaît.
M. Dion: Votre question, sénateur Gill, est dans le même sens que la question du sénateur Murray et du sénateur Chalifoux sur les autochtones. Sur le plan légal, je ne peux pas vous répondre avec certitude, parce que la cour ne s'est pas prononcée à fond sur la question autochtone. Il y a des experts légaux qui affirment qu'on ne peut pas changer les autochtones de pays sans leur consentement. La cour ne l'a pas dit. Je ne peux donc pas le dire. Je suis prudent. Ce que je sais, c'est que, politiquement, le Parti libéral du Canada aurait un gros problème à accepter de négocier une séparation alors qu'il y aurait des populations autochtones qui voudraient rester dans le Canada et que nous, on signerait un accord contre leur volonté. Je vois mal mon premier ministre, tel que je le connais aujourd'hui, accepter une telle chose. Cela irait contre sa morale profonde.
Le sénateur Gill: Vous parlez du gouvernement et non seulement du Parti libéral.
M. Dion: Je parle du Parti libéral, de l'orientation de mon parti et de mon gouvernement, ainsi que de mon premier ministre. Mais je ne peux pas appuyer cela sur une certitude légale. Cela n'a pas été testé à fond en cour.
Le sénateur Pitfield: Pourquoi pas?
Le sénateur Gauthier: Monsieur Dion, je suis d'accord pour la clarté de la question référendaire, mais comme la majorité des Canadiens, je m'oppose à la division de mon pays. Si on en venait à cela, la proposition du projet de loi C-20 m'inquièterait beaucoup du point de vue politique. En ce qui me concerne, je crois que le projet de loi doit porter un énoncé clair et précis relativement aux minorités de langues officielles, aux minorités linguistiques si préférez, surtout pour la province qui cherche à se détacher du Canada et, en particulier, pour les Canadiens d'expression française ou anglaise qui resteront dans ce nouveau Canada, si un jour il devait être accepté.
Vous avez répondu tantôt que vous accepteriez des amendements. Vous avez accepté un amendement à la Chambre concernant les autochtones. Je vous demande très spécifiquement si vous accepteriez un amendement concernant les minorités de langues officielles, afin de leur donner un droit de parole?
M. Dion: Vous auriez pu me demander pourquoi, au départ, le gouvernement ne mentionnait pas explicitement les peuples autochtones dans les articles où il s'agit d'évaluer la clarté de la question et de la majorité. On l'a fait par la suite à la demande des députés du Parti libéral et du NPD, ainsi que des leaders autochtones. La raison pour laquelle on ne l'avait pas fait, c'est que cela allait de soi qu'on allait prendre en compte les points de vue de composantes aussi importantes de notre pays que sont les minorités linguistiques et les autochtones. La seule raison pour laquelle on a accepté de mentionner spécifiquement les autochtones, c'est qu'ils ont un rôle précis dans la Constitution en vertu de l'article 35.1.
Sinon, il est inutile de mentionner explicitement tel ou tel groupe, parce qu'il va de soi que leurs points de vue seront pris en compte. Le projet de loi sur la clarté nous engage à négocier dans le respect des droits des minorités et aussi en tenant compte, pour ce qui est de la clarté et de la majorité, des déclarations officielles du Sénat qui, comme vous le savez, s'intéresse particulièrement aux minorités. Si jamais, malheureusement, on en arrivait à un accord de séparation en bout de ligne, le ministre qui proposerait une telle modification constitutionnelle devrait avoir tenu compte correctement des droits des minorités. C'est précisé dans le projet de loi et dans l'avis sur le Renvoi relatif à la sécession du Québec de la Cour suprême. Il doit prendre en compte les droits des minorités. Le Sénat aurait, à cette occasion, le droit d'évaluer si les minorités ont été correctement prises en compte lors des négociations. Est-ce que ce sera facile à faire, est-ce qu'on peut être rassurés? Bien sûr que non, c'est extrêmement grave et plein d'incertitudes. Mais ce n'est pas le gouvernement du Canada qui propose la sécession. Tout ce qu'il fait, c'est qu'il dit que, pour résoudre une affaire aussi délicate, on doit agir dans le cadre du droit, parce que si on sort du droit, ce sera encore mille fois plus dangereux!
Le sénateur Gauthier: Vous avez déjà dit que le projet de loi C-20 protégeait les Québécois contre un gouvernement provincial abusif qui voulait enlever le Canada. En dehors du droit et de la clarté, je vous demande qui protégera les minorités linguistiques partout au Canada, qui seront certainement durement affectées par ce processus de séparation? Je peux vous dire, de par mon expérience, que ce ne sont pas les gouvernements provinciaux qui vont le faire. Cela fait 20 ans qu'on travaille à la Constitution de 1982, et on a encore du chemin à faire pour obtenir le minimum de nos droits. Il y a un million de Canadiens d'expression française hors Québec et 800^000 Canadiens d'expression anglophone au Québec. Qu'arrive-t-il à ces gens-là, et qui parle pour eux?
Il n'y a rien qui me garantit que vous serez là dans deux ou trois ans. Lorsqu'il y aura eu une élection fédérale et une élection provinciale, il n'y a rien qui me garantit dans le projet de loi que nous, les minorités, auront le droit de nous exprimer, advenant un référendum au Québec.
M. Dion: La Loi sur la clarté, dans l'article 3, ne fait pas la liste de tous les participants à une négociation. Ce n'est pas le rôle d'une loi fédérale de déterminer ceux qui négocie et ceux qui ne négocie pas; ce sera aux participants de la Fédération de décider. Comme le sénateur Murray pourrait en témoigner, à Charlottetown, ils ont eu à décider qui participerait ou non, et ils ont fini par accepter certains groupes autochtones à la table de négociations. Le gouvernement fédéral ne peut pas le décider seul par une loi. Ce que vous trouvez dans le projet de loi C-20, ce sont les acteurs qui ont l'obligation de négocier en cas de clarté, d'après la Cour suprême, c'est-à-dire le gouvernement fédéral et les gouvernement des provinces. Ce sont eux qui sont mentionnés, mais rien n'empêche les participants aux négociations d'accepter à la table de négociations d'autres négociateurs qui représenteraient d'autres intérêts. La preuve, c'est que le projet de loi sur la clarté fait mention notamment des gouvernements de l'ensemble des provinces et du Canada. Cela ouvre la porte au fait que des composantes aussi essentielles du pays, et aussi profondément touchées par la brisure de notre pays que seraient les minorités de langues officielles, puissent être à la table. Qui les protégera? D'abord et avant tout, elles-mêmes. Ne croyons pas que ce genre de chose sera négocié entre technocrates, tranquillement. Le pays serait en ébullition, les gens seraient plus que jamais inquiets de leurs droits et du futur. C'est pourquoi les gouvernements doivent montrer l'exemple en agissant toujours à l'intérieur du droit. Quand le gouvernement du Québec laisse entendre qu'il pourrait essayer de faire une sécession de façon complètement politique en dehors du droit, cela veut dire qu'il est prêt à sombrer dans l'anarchie. Et un gouvernement qui accepte de dire qu'il agit dans l'anarchie, quel genre d'exemple donne-t-il aux citoyens qui ont des raisons légitimes d'être inquiets quant à leur avenir?
[Traduction]
Le sénateur Taylor: Vos réponses sur les peuples autochtones et les minorités linguistiques me rendent quelque peu perplexe. S'il y a un organisme qui a été créé pour s'occuper de ces groupes, c'est bien le Sénat. Pourquoi écarter le seul organisme qui compte une bonne représentation des Autochtones et dont la seule et unique raison d'être est de représenter les régions sur un pied d'égalité, ainsi que les minorités linguistiques, pour compter plutôt sur une situation qui apparaît improbable? Je m'explique: pourquoi voulez-vous créer une situation où le gouvernement ou bien la Chambre des communes, qui est élue au suffrage universel, serait le seul et unique moyen d'expression des droits des régions et en particulier des droits des peuples autochtones et des groupes linguistiques minoritaires? Vous avez déjà le mécanisme pour assurer la défense de ces droits. Pourquoi voulez-vous l'écarter?
M. Dion: Oui, mais je répète que nous n'affaiblissons pas le rôle du Sénat avec le projet de loi sur la clarté. En l'absence de ce projet de loi, le Sénat ne pourrait pas être consulté par le gouvernement. Le gouvernement négocierait et le Sénat pourrait évaluer les résultats de ces négociations, en raison de son veto suspensif de six mois et parce que la sécession nécessite une modification constitutionnelle pour être légale. Avec le projet de loi sur la clarté, la Chambre a l'obligation de tenir compte de votre opinion sur la clarté. Pendant les négociations, vous conserverez intégralement votre capacité d'influencer les négociations, de commenter ce qui se passe et de donner votre voix aux citoyens du Canada afin de veiller à ce que leurs intérêts soient bien protégés. Au bout du compte -- c'est-à-dire, si jamais nous en arrivons là et s'il y a entente sur la séparation --, vous évaluerez si l'entente en question respecte les droits des minorités et les droits des Autochtones.
Le sénateur Taylor: Vous et moi avons tous deux assisté au Stampede de Calgary. Il y a un vieux dicton dans l'Ouest que l'on pourrait appliquer au système que vous décrivez: «C'est comme fermer la porte de l'étable après que le cheval s'est échappé.»
Il y a un deuxième point sur lequel j'aimerais avoir une réponse. Ce projet de loi traite de la clarté et de la séparation, mais peut-être que la Colombie-Britannique ou l'Alberta voudront se séparer à l'avenir. Qu'en est-il des autres dossiers? Ce projet de loi crée-t-il un précédent permettant à la Chambre à représentation proportionnelle, qui est dominée par l'Ontario et le Québec, d'adopter une loi qui touche directement des régions comme l'Ouest ou les Maritimes? Par exemple, vous pourriez être intéressés à une nouvelle politique énergétique nationale, tandis que nous, nous sommes intéressés à la production. Les Maritimes et les provinces de l'Ouest auraient normalement un veto au Sénat. Êtes-vous en train de créer un précédent? Sinon, pouvez-vous nous donner des exemples d'une telle procédure dans le passé?
M. Dion: Certaines lois confèrent des rôles précis à la Chambre à l'exclusion du Sénat. Toutefois, ce n'est pas mon principal argument. Mon principal argument est que ce n'est pas un précédent. Si nous donnions au Sénat un droit de veto au début des négociations constitutionnelles, c'est cela qui serait un précédent. J'ai une liste de diverses lois qui ont été adoptées et qui confient à la Chambre un rôle précis à l'exclusion du Sénat. Je vous ferai parvenir cette liste plus tard.
Le sénateur Taylor: Il n'est peut-être pas nécessaire que nous discutions de cela tout de suite. Peut-être pouvez-vous faire parvenir cette liste au comité.
M. Dion: Oui. Je précise bien que ce n'est pas mon principal argument.
Le sénateur Grafstein: On vient d'évoquer l'existence d'un document. Je suis d'accord pour ne pas nous attarder sur cela tout de suite, mais il serait très utile que ce document soit déposé pour que nous puissions prendre connaissance de cette liste à notre convenance.
La présidente: Pouvez-vous nous la faire parvenir?
M. Dion: Nous vous enverrons la liste.
Le sénateur Taylor: Monsieur le ministre, vous avez dit que le Sénat joue un rôle différent de celui de la Chambre des communes parce que la Chambre des communes peut défaire le gouvernement. Le Sénat peut bloquer le gouvernement, comme vous le savez bien. Il l'a fait dans le dossier de la TPS. Il n'y a pas une grande différence entre bloquer un gouvernement et défaire un gouvernement.
M. Dion: Si, la différence est nette à mon avis. Quand vous faites obstacle au gouvernement, c'est une lutte de pouvoir politique entre le Sénat et le gouvernement. Le gouvernement n'est pas dans l'obligation de déclencher des élections parce que vous l'empêcher d'agir. Le gouvernement peut décider de laisser tomber une loi parce que le Sénat n'en veut pas.
Le gouvernement peut décider de déclencher des élections pour savoir ce que la population du Canada en pense. Si les gens appuient les efforts du gouvernement, alors le gouvernement peut exercer des pressions sur le Sénat pour que celui-ci écoute la population du Canada, mais vous n'avez légalement aucune obligation de changer d'avis. Vous pouvez décider de ne pas changer d'avis, en dépit de ce que les Canadiens ont dit par leur vote. Par contre, il est probable que vous changerez alors d'avis pour des raisons politiques.
Si le gouvernement est défait à la Chambre dans un vote de non-confiance, il existe une convention qui fait que le gouvernement doit déclencher des élections.
Le sénateur Taylor: Il y a beaucoup plus d'exemples d'un gouvernement qui ne tient compte d'un vote de censure qu'il n'y a de cas de sénateurs qui ne tiennent pas compte d'un tel vote.
[Français]
Le sénateur Joyal: En guise d'ouverture, je voudrais d'abord dire que j'ai appuyé la démarche du gouvernement, à l'étape de la deuxième lecture, d'ouvrir le débat national sur la question de l'avenir du Canada. J'appouve l'initiative législative du gouvernement de permettre à tous les Canadiens de débattre les principes à la base de l'ordre constitutionnel canadien.
Il y a un fossé entre votre position telle qu'exprimée aujourd'hui sur l'indivisibilité du pays et celle que je soutiens. Je crois que votre lecture du jugement est partielle et limitative. Fondamentalement, la cour a répondu non à la question, à savoir: est-ce que le Québec a le droit fondamental à sa sécession? La cour a répondu non. Donc, l'effet de chose jugée que l'on donne à l'opinion de la cour est à l'effet que le Québec n'a pas le droit à l'autodétermination, bien que, comme vous l'avez dit, la culture politique au Québec ou au Canada avait toujours été d'agir comme si le Québec avait le droit à l'autodétermination. Et c'est ce à quoi vous avez fait référence dans votre réponse à mon collègue le sénateur Kinsella. Puisque la cour s'est prononcée là-dessus il y a presque deux ans, l'effet de chose jugée existe. À mon avis, il est extrêmement dangereux pour le gouvernement canadien de faire croire que la divisibilité du pays ne repose pas sur la souveraineté des Canadiens.
Vous terminez votre énoncé en disant que chaque Canadien doit avoir le droit d'être respecté dans un processus comme celui-là. Je prétends que le droit de chaque Canadien n'est pas limité aux Québécois qui disent que c'est la fin du Canada. Le droit de chaque Canadien existe, où qu'il ou qu'elle soit au Canada. C'est ce que je trouve de fondamentalement biaisé dans l'affirmation où on dit que, juridiquement, le Canada est divisible. Il faut affirmer que la souveraineté du pays appartient à chacun des Canadiens individuellement.
C'est le principe fondamental de notre ordre constitutionnel, et cela n'a jamais été contredit par l'avis de la Cour suprême. Au contraire, la Cour suprême dit très clairement qu'il faudrait réconcilier les deux majorités. Il faut commencer par reconnaître les droits de la majorité, c'est-à-dire les droits de l'ensemble des Canadiens de s'exprimer, s'ils donnent le mandat à leur gouvernement de vouloir aller démanteler le pays.
Messieurs Trudeau et Chrétien ont dit qu'ils n'avaient pas le mandat de le démanteler. Croyez-vous qu'ils l'ont depuis que la Cour surprême s'est prononcée sur la sécession du Québec? Il ne l'on pas, ce mandat.Où iront-ils le chercher? Pourquoi votre projet de loi ne reconnaît-il pas fondamentalement le rôle et le droit des Canadiens d'être entendus, avant que la Chambre des communes du Canada ne se prononce en dernier ressort par un vote non qualifié sur l'avenir de leur pays?
M. Dion: La cour a dit qu'on pouvait, comme le plaidait le gouvernement du Canada, faire une sécession par amendement constitutionnel.
Il y a un passage dans l'avis de la cour où on dit que la Constitution n'est pas un carcan. J'ai cité un autre passage dans mon discours où on dit que s'il s'agit d'un changement énorme, cela ne nous enlève pas son caractère d'amendement constitutionnel. La cour a dit que la responsabilité d'initier les changements constitutionnels était celle des représentants élus. On a eu un débat avec le sénateur Beaudoin à ce propos.
La cour a dit que, face à une volonté claire et non ambiguë de se séparer de la population d'une province, il y a obligation d'engager une négociation en vue d'un amendement constitutionnel pour rendre cette sécession effective. Bien qu'il n'y ait aucune obligation de résultat, on peut se retrouver dans une impasse. Il n'y a pas d'obligation d'aller jusqu'au bout, mais il y a une obligation de négocier en accord avec les principes constitutionnels.
S'il y avait un principe selon lequel, avant de s'engager dans de telles négociations, il fallait d'abord que les gouvernements se fassent dédouaner par les Canadiens au moyen d'un référendum, la cour l'aurait dit. Elle ne l'a pas dit.
Le sénateur Joyal: Le paragraphe 88 dit très bien:
[Traduction]
Par ces représentants, le signal peut être donné par un référendum [...]
[Français]
La cour a très bien laissé aux acteurs politiques le soin de déterminer s'ils devaient dans leur esprit consulter la population canadienne avant de s'asseoir, et c'est là où l'interprétation politique du jugement de la Cour suprême entre en ligne de compte. C'est ce qu'il n'y a pas dans ce projet de loi. Le gouvernement n'a pas utilisé toutes les avenues ouvertes dans l'opinion de la Cour suprême pour s'assurer que la sécession n'est pas un raccourci pour priver les Canadiens de l'ensemble du pays d'exercer leurs droits. C'est là où vous et moi avons une différence d'appréciation du projet de loi C-20. Je suis d'accord avec la partie où on discute de la clarté de la question et de la clarté de la majorité, mais je ne suis pas d'accord sur le fait que le projet de loi C-20 omet de reconnaître les principes fondamentaux de l'ordre constitutionnel canadien. Ces principes n'ont pas été niés par la Cour suprême. La cour a très bien dit que ces principes remplissent les omissions de la Constitution canadienne. C'est le paragraphe 53 qui établit très clairement la nature du préambule de l'ordre constitutionnel canadien.
M. Dion: Sénateur Joyal, je vais lire l'article que vous venez de mentionner. En anglais c'est:
[Traduction]
Par ces représentants, le signal peut être donné par un référendum [...]
[Français]
Non pas «doit» être donné pour un référendum.
Par ces représentants, le signal peut être donné par un référendum [...]
Je continue la citation:
[...,] mais, en termes juridiques, le pouvoir constituant au Canada, comme dans bien d'autres pays, appartient aux représentants du peuple élus démocratiquement. La tentative légitime, par un participant de la Confédération, de modifier la Constitution a pour corollaire l'obligation faite à toutes les parties de venir à la table des négociations.
La cour n'a pas dit qu'il faut faire un référendum auparavant pour savoir si ces représentants ont l'appui de leur population leur permettant de venir à la table des négociations.
Là où je suis d'accord avec vous, c'est qu'au lendemain d'un OUI clair, reconnu comme clair par les participants à la fédération, nous reconnaissions tous que nous avons obligation de négocier. Cela ne nous dit rien sur bien des problèmes mentionnés autour de la table. Qui négocierait? Est-ce qu'on inclurait les minorités? Qui seraient les représentants des minorités? Cela ne nous dit rien à ce sujet. Cela ne nous dit rien non plus sur la position au sujet des négociations que les différents participants pourraient avoir. Il est bien possible que certains participants disent qu'ils veulent consulter la population pour savoir quelles seront les positions à prendre.
C'est un des gros inconnus d'une démarche de sécession, et ce n'est pas une Loi sur la clarté fédérale qui peut résoudre ce problème. Tout ce que cette loi fait, c'est qu'elle répond et donne effet à l'obligation de clarté établie par l'avis de la cour. Là où je suis en désaccord avec vous, c'est que je ne nous vois pas faire un référendum sur un référendum, et dire aux Canadiens: « Il y a eu un référendum dans une province; maintenant, on va faire un référendum pour savoir si vous voulez qu'on reconnaisse ce référendum.»
Cela ne m'apparaît pas conforme à l'avis de la cour.
Le sénateur Joyal: Seriez-vous prêt, au cours d'une campagne électorale, à venir demander aux Canadiens s'ils sont prêts à donner le mandat au gouvernement canadien de démanteler leur pays sans les consulter? Seriez-vous prêt à débattre cela sur les tribunes nationales au cour d'une élection à venir?
M. Dion: D'abord, en toute honnêteté, cela ne serait pas la question qu'on poserait. On demanderait aux gens s'ils sont prêts à retenir une population contre sa volonté clairement exprimée, et quel moyen ils utiliseraient pour ce faire. Cela ne serait pas une question canadienne. Donc, je ne la poserais pas aux Canadiens.
Le sénateur Joyal: Comment interprétez-vous le droit des Canadiens de s'exprimer sur leur avenir, sur leur choix de demeurer un pays uni sur un territoire, et de garder leur citoyenneté, où qu'ils soient et où qu'ils se déplacent?
M. Dion: La loi sur la clarté protège ce droit. Elle fait en sorte que si on voulait négocier une scission, cela se ferait en tenant compte des droits et des intérêts de chacun, dans le cadre constitutionnel de notre pays. Personne ne pourrait agir unilatéralement sans tenir compte des droits des autres. La cour a dit qu'il n'y avait pas de droit absolu à la sécession, et qu'il fallait tenir compte des droits de chacun dans le respect des principes constitutionnels. Le gouvernement est déterminé à faire respecter ces principes constitutionnels en toute circonstance.
[Traduction]
La présidente: La parole est au sénateur Grafstein, suivi du sénateur Pitfield.
Le sénateur Cools: Et moi? Suis-je au bas de la liste? Je suis à l'arrière de la classe.
La présidente: Sénateur Cools, je donne la parole aux intervenants strictement selon l'ordre dans lequel les honorables sénateurs m'ont fait part de leur désir de poser des questions.
Le sénateur Grafstein.
Le sénateur Grafstein: Monsieur le ministre, je vous souhaite la bienvenue. Je souscris moi aussi aux objectifs de ce projet de loi. Je suis content que vous ayez dit que vous êtes ouvert à d'éventuelles améliorations pouvant être apportées au projet de loi. Nous sommes ici pour rendre ce projet de loi encore plus excellent, de sorte que, de ce point de vue, nous sommes violemment d'accord. Permettez-moi de vous citer d'autres éléments sur lesquels nous sommes violemment d'accord.
Vous supposez que cela s'applique au gouvernement fédéral aussi bien qu'à la province de Québec. À la page 7, vous dites que le gouvernement du Québec serait tenu de négocier «dans le respect des principes constitutionnels de fédéralisme» -- ce qui me semble une bonne chose -- «de démocratie» -- ce qui me semble encore mieux -- «de constitutionnalisme et de primauté du droit, et de respect des minorités». Je suppose que ces principes s'appliqueraient également en ce qui a trait à ce projet de loi. Nous sommes violemment d'accord là-dessus.
Je passe maintenant à la proposition suivante, sur laquelle je pense que nous sommes également violemment d'accord, à savoir la citation du sénateur Forsey. Ce dernier a en effet déclaré que dans notre système de gouvernement responsable, les ministres sont responsables devant la Chambre des communes. C'est une vue très étroite. En fait, je ne l'accepte pas. C'est une interprétation étroite de ce principe, mais passons. Vous ajoutez que le principe constitutionnel du gouvernement responsable entraîne des fonctions et des rôles très différents pour les deux Chambres du Parlement.
Au lieu de nous lancer dans des arguties -- puisque nous n'avons pas votre liste d'exceptions et que nous pourrons les examiner dans l'ordre lorsque nous les aurons --, discutons un peu des conventions constitutionnelles applicables au Sénat et des principes de la Constitution. La Cour suprême du Canada a maintes fois statué que le principe du fédéralisme en vertu de la Constitution est indissociable du Parlement, ce qui signifie que l'expression de ce principe concernant les régions et les minorités est différente à la Chambre des communes, comme le sénateur Taylor l'a dit. Cela aussi c'est le principe du fédéralisme.
Examinons maintenant les usages et les précédents. Comment se fait-il qu'en vertu de la Loi sur les mesures d'urgence, le gouvernement de l'époque a décidé que pour déterminer s'il y avait urgence, le gouvernement avait besoin que les deux Chambres donnent leur avis? Comment se fait-il que les gouvernements précédents ont décidé que pour une déclaration de guerre, il fallait l'assentiment des deux Chambres? Monsieur le ministre, dans le cas d'une insurrection civile, en vertu de la Loi sur les mesures d'urgence, ne faudrait-il pas que les deux Chambres donnent leur avis? Pourquoi, dans ce cas, monsieur le ministre, en préalable à ce qui pourrait être l'événement le plus dramatique de l'histoire du Canada, la séparation possible du pays, ces principes et conventions constitutionnels ne s'appliqueraient-ils pas sans porter atteinte au principe de la responsabilité ou du gouvernement responsable, qui, à mon avis, va beaucoup plus loin que la responsabilité devant une seule Chambre?
M. Dion: Il est tout à fait juste de dire que dans de nombreux cas le Sénat a un rôle très important à jouer dans notre régime politique et parlementaire, mais il est question ici d'une modification de la Constitution. La Loi sur les mesures d'urgence n'a rien à voir avec la modification de la Constitution. Le projet de loi sur la clarté, si. Je respecte beaucoup la tradition, je suis très conservateur en la matière, et selon la tradition je ne peux pas conférer au Sénat un pouvoir qu'il n'a pas s'agissant de la capacité du gouvernement d'entamer des négociations constitutionnelles.
Le sénateur Grafstein: Permettez-moi une digression avant de revenir à cette question. Vous semblez établir une distinction nette entre la capacité de modifier et la capacité de surseoir. Un exemple récent serait lorsque la Chambre populaire a décidé d'adopter le projet de loi sur l'ALENA. Le Sénat a jugé que la volonté populaire ne s'était pas exprimée et que le gouvernement de l'époque n'avait pas de mandat en ce sens; il a donc décidé de retarder la probation du projet de loi jusqu'à ce que ce mandat soit donné. Cela fait, le Sénat a rapidement approuvé le projet de loi.
En quoi, sur le plan politique, la question de la clarté est-elle différente lorsqu'elle s'applique à la Chambre populaire et à la Chambre créée par la Constitution pour exprimer non pas la volonté populaire du jour mais la volonté précise des régions, comme le voulaient les Pères de la Confédération, et des minorités, y compris les droits des Autochtones et des minorités? En quoi cela est-il différent?
M. Dion: C'est pourquoi j'ai dit que la liste dont je viens de parler n'est pas mon principal argument. Mon principal argument, c'est que nous sommes en train de négocier un changement constitutionnel et qu'il faut respecter la tradition qui régit cette démarche. Le Sénat a un rôle différent de celui de la Chambre dans cette démarche.
Le sénateur Pitfield: C'est vertigineux. Jamais je n'aurais cru voir le jour où le Parti libéral se prononcerait en faveur de la désunion du pays!
Des voix: Bravo!
Le sénateur Pitfield: Je me demande, monsieur le ministre, si vous êtes en faveur du bicaméralisme dans notre État fédéral.
M. Dion: Nous avons tous diverses idées sur la question, comme vous l'avez dit dans votre intervention.
Le sénateur Pitfield: Ce n'est pas sur la table actuellement.
M. Dion: Précisément.
Le sénateur Pitfield: Le gouvernement n'a pas l'intention de soulever une question de fond?
M. Dion: Tout juste.
Le sénateur Pitfield: Il serait déplorable d'alourdir notre programme de travail avec une autre proposition de fond.
M. Dion: Je suis d'accord.
Le sénateur Pitfield: Pourquoi donc, grand Dieu, fait-on intervenir la réforme du Sénat à ce moment-ci?
M. Dion: Nous ne le faisons pas.
Le sénateur Pitfield: Eh bien, je peux seulement vous dire que lorsque vous passez par une grande institution de la Constitution et que vous proposez de lui accorder un traitement différent de celui qu'elle a reçu par le passé, et que vous la traitez de façon différente des autres instruments constitutionnels du jour, il me semble que vous la modifiez dans les faits. Vous la modifiez de façon aussi effective par ce que vous ne faites pas que par ce que vous faites.
J'ai du mal à accepter que l'on soutienne que le projet de loi n'est pas très important, parce que lorsque l'on l'examine, il ne modifie pas grand-chose. J'ai remarqué que vous avez dit que certains droits ont été donnés aux électeurs, alors qu'ils ne les avaient pas auparavant, mais la vérité est qu'il s'agit ici d'un emploi très ingénieux du pouvoir législatif, très efficace, très utile, qui appuie un principe qui me plaît, mais qu'est-ce qu'il fait?
Il dit que nous n'autoriserons pas nos employés à parler pour leur employeur officiellement dans la chambre de négociation s'ils n'ont pas suivi ces étapes préalables pour obtenir l'approbation de ce qu'ils comptent faire. Est-ce vraiment là ce qu'il fait?
M. Dion: Non, sénateur. Sauf le respect que je dois à votre point de vue, permettez-moi de vous expliquer de quelle manière nous respectons entièrement le Sénat dans le projet de loi sur la clarté, parce que ce texte n'enlève aucune prérogative au Sénat.
Le Sénat pourra intervenir pour évaluer si un jour nous avons la tâche ingrate d'évaluer si un accord de séparation pourra devenir un changement constitutionnel. Dans la négative, il n'y aura pas de sécession. Un accommodement constitutionnel sera nécessaire; les négociateurs ont donc la capacité de proposer quelque chose de juste que le Sénat pourra évaluer. Le projet de loi sur la clarté ne change rien à cela.
Le projet de loi ne change rien sauf qu'il impose à la Chambre des communes l'obligation de tenir compte du point de vue du Sénat à propos de l'évaluation de la clarté, non à propos de ce projet de loi. Vous devez voter pour ce projet de loi, sans quoi il ne sera pas mis en oeuvre. Le Sénat conserve son droit concernant la partie législative de la démarche et à propos de la démarche constitutionnelle passée. Entre les deux, le Sénat conserve toujours son rôle d'influencer, de faire des démarches, d'adopter des résolutions et des motions.
Le sénateur Finestone: Je vais céder mon temps de parole au sénateur Pitfield s'il souhaite poser une autre question.
Le sénateur Cools: Madame la présidente, je pense que le sénateur Pitfield devrait disposer de tout le temps dont il a besoin.
Le sénateur Finestone: Je suis d'accord.
Le sénateur Prud'homme: Je lui cède mon temps de parole aussi.
La présidente: Sénateur Pitfield, voulez-vous continuer?
Le sénateur Pitfield: Je suis très reconnaissant de l'offre qui m'est faite et de l'amabilité qui m'est manifestée. Je n'accepterai que pour élucider cette question, si vous me le permettez.
Monsieur le ministre, on dit souvent que dans notre forme parlementaire de gouvernement, il y a un contrepoids à tout. Par exemple, le droit de nommer quelqu'un est compensé par le droit d'établir la rémunération. Qu'est-ce qui fait contrepoids, selon le gouvernement, au pouvoir et à la responsabilité des ministres?
M. Dion: Dans une démocratie?
Le sénateur Pitfield: Non, dans notre gouvernement aujourd'hui.
M. Dion: Dans notre régime, comme vous le savez bien, les ministres sont responsables devant les représentants élus par le peuple; il s'agit donc, au bout du compte, du peuple.
Le sénateur Pitfield: J'imagine qu'il n'y a pas d'expression plus répandue dans l'histoire et les ouvrages législatifs de notre pays que la formule utilisée pour désigner l'approbation du Parlement: la reine, sur l'avis et avec le consentement du Sénat et de la Chambre des communes. C'est essentiellement cette formule qui est en cause ici et il me semble que lorsque vous dites que la Chambre peut proposer ces mesures et que la responsabilité est en cause ou non au gré du gouvernement, nous sommes dans une situation où le gouvernement n'est pas responsable.
M. Dion: Le gouvernement est beaucoup plus responsable du fait du projet de loi sur la clarté que sans celui-ci. En l'absence de ce projet de loi, le premier ministre pourrait dire dans une conférence de presse, oui, c'est clair, nous allons négocier. Avec le projet de loi sur la clarté, il doit y avoir un débat.
Le sénateur Pitfield: Qui, monsieur le ministre?
M. Dion: Il faut un débat où la Chambre des communes devra tenir compte du point de vue du Sénat.
Le sénateur Pitfield: Qui autorisera le début de négociations à propos de la séparation du pays?
M. Dion: Le gouvernement négociera s'il y a un appui clair.
Le sénateur Pitfield: Qui donnera l'autorisation?
M. Dion: La Chambre déterminera s'il y a un appui clair. Le gouvernement devra ensuite obtenir la confiance de la Chambre, devant qui le gouvernement est comptable.
Le sénateur Finestone: J'invoque le Règlement, madame la présidente.
J'ai le droit d'invoquer le Règlement.
La présidente: Non, malheureusement, sénateur Finestone, vous n'en avez pas le droit. Vous n'êtes pas membre du comité.
Le sénateur Prud'homme: J'invoque le Règlement. Je vous dis que je ne vais pas pouvoir siéger si vous adoptez cette attitude. Il a clairement été dit par le Président du Sénat, peut-être avant l'arrivée du sénateur Fraser, qu'il n'y a pas de distinction entre les sénateurs. La seule différence entre les sénateurs est la suivante: par courtoisie, un non-membre devrait rester silencieux jusqu'à ce que les membres du comité aient eu la parole; à ce moment-là, le non-membre peut se voir accorder la parole. Il n'y a pas de différence entre sénateurs au Sénat. Nous sommes tous égaux. C'est donc dire que si un non-membre d'un comité veut invoquer le Règlement, celui-ci a le droit de le faire. J'ai dit à la présidente que je suis prêt à coopérer aujourd'hui. J'ai demandé à être inscrit au second tour ou au dernier pour ne pas gêner qui que ce soit. Je crois en la courtoisie, mais je suis pointilleux sur les règles. J'ai l'intention d'imiter l'ancien sénateur Frith dans l'application rigoureuse du Règlement du Sénat du Canada, qui a été utilisé contre les conservateurs à l'époque.
Il n'y a pas de distinction à faire entre les sénateurs, membres ou non de comité, à telle enseigne que si le comité siégeait à huis clos, j'exigerais d'y siéger. Si vous disiez que seuls les membres du comité peuvent siéger à huis clos, vous n'aurez pas le droit de siéger; vous devrez en référer au Sénat et seul le Sénat en séance plénière peut exclure quelqu'un. Je vois qu'il y a au moins sept sénateurs qui sont d'accord avec moi ici aujourd'hui.
La présidente: Merci de votre intervention, sénateur Prud'homme. Le sénateur Finestone voulait poser une question, je crois, et le ministre souhaite faire une intervention.
Le sénateur Finestone: Je vous demande pardon, madame la présidente, vous ne savez pas ce que je voulais faire. J'ai invoqué le Règlement. Lorsque vous me donnerez la parole, je vous dirai pourquoi j'ai invoqué le Règlement. Êtes-vous prête à me laisser prendre la parole?
La présidente: Je suis prête à vous laisser prendre la parole, sénateur Finestone, mais peut-être pourriez-vous le faire autrement qu'en invoquant le Règlement. Cela nous simplifierait beaucoup la vie.
Le sénateur Finestone: Je pensais qu'invoquer le Règlement serait plus facile.
Je voulais préciser, madame la présidente, que j'ai cédé mon temps de parole parce que je crois que le gouvernement du Canada, le rôle du Sénat, la Chambre, les membres élus et non élus sont tous basés sur les valeurs fondamentales que l'on trouve dans la Constitution du Canada, à l'article 15, qui énonce que les personnes handicapées ont le droit d'être traitées comme les autres avec équité.
Nous en avons une preuve vivante ici avec le sénateur Jean-Robert Gauthier, aidé par une nouvelle technologie merveilleuse qui permet à un malentendant de participer.
Nous avons ici quelqu'un qui est malade, qui a une déficience. Si j'insiste vraiment pour céder mon temps de parole au sénateur Pitfield, c'est parce que, lui aussi, il a une certaine déficience. Nous devons tenir compte des gens qui ont une déficience. Je ne crois pas que vous l'avez fait, quand vous avez décidé que le sénateur Pitfield devait présenter sa proposition et que la période de questions était terminée.
La présidente: Je vous remercie, sénateur Finestone. Je pense que le sénateur Pitfield vous a remerciée pour votre générosité.
Si vous aviez fermé les yeux et écouté le sénateur Pitfield, vous auriez entendu des questions très pertinentes posées sans la moindre difficulté. Je crois qu'on lui a donné une excellente occasion de faire valoir des points importants. Si le ministre en a le temps, nous procéderons à un autre tour de questions, pour lequel la liste s'allonge déjà.
Le sénateur Cools: Je suis certaine que le ministre sait que nous voulons l'entendre. Si nous n'en avons pas le temps aujourd'hui, je suis sûre que le ministre se fera un plaisir de revenir à maintes reprises.
J'ai plusieurs questions à poser. Je vais les poser et le ministre pourra y répondre. Ce sont des questions faciles.
Hier, j'ai assisté aux funérailles du soldat inconnu, et j'aimerais dire, monsieur le ministre, que quand il est parti à la guerre, la seule certitude qu'on pouvait avoir à son sujet, c'était qu'il était jeune. Il est parti combattre pour Dieu, pour le roi et pour la patrie. Monsieur le ministre, il ne savait pas que le Canada était divisible. Personne ne le lui avait dit.
Vous avez dit que nous devons respecter la loi. Mes questions ont justement trait à la loi. Comme le ministre le sait, les ministres sont censés rendre des comptes selon la procédure juridique reconnue.
Le ministre nous a dit, tout comme le sénateur Boudreau, que le gouvernement a la prérogative d'entamer des négociations concernant la sécession sans consulter la Chambre ni le Sénat. Le ministre pourrait-il nous dire de quelle prérogative il parle? Peut-il nommer et définir cette prérogative particulière?
M. Dion: J'aimerais que vous répétiez la question, s'il vous plaît.
Le sénateur Cools: Très bien.
Vous avez dit, tout comme le sénateur Boudreau au Sénat, que le gouvernement du Canada a la prérogative d'entamer des négociations concernant toutes questions, la sécession comprise. Je vous demande de quelle prérogative il s'agit? J'aimerais que vous mettiez un nom sur cette prérogative.
M. Dion: La capacité qu'a le gouvernement d'entamer des négociations, y compris sur la sécession, a été confirmée par la Cour suprême dans son avis sur le renvoi. D'après la cour, dans notre régime, ce sont les représentants élus qui amorcent les changements constitutionnels.
Le sénateur Cools: La cour n'a pas à se prononcer sur l'exercice de quelque prérogative que ce soit et le gouvernement -- de même que vous et le sénateur Boudreau -- a insisté pour dire qu'on peut s'appuyer sur cette prérogative. Je vous demande le nom de cette prérogative particulière sur laquelle s'appuie le gouvernement.
M. Dion: Écoutez, sénateur, cette prérogative est plénière et ne peut être restreinte que par voie législative.
Le sénateur Cools: Je vous demande de nous dire quel est le nom de cette prérogative. S'agit-il, par exemple, de la prérogative de clémence? De quelle prérogative parle-t-on? Je veux que vous nous en donniez le nom.
M. Dion: Je vais demander à Mme Dawson de répondre.
Le sénateur Cools: Non. La prérogative royale est l'apanage du Cabinet et du roi; par conséquent, c'est du ministre que je veux entendre la réponse. Je ne veux pas d'une réponse d'un fonctionnaire.
M. Dion: Excusez-moi, quelle est la réponse?
Le sénateur Cools: La question est sérieuse.
M. Dion: C'est une prérogative de la Couronne.
Le sénateur Cools: Je le sais. Je vous demande de laquelle il s'agit.
M. Dion: Cette prérogative est exercée par le gouvernement et ne peut être restreinte que par voie législative.
Le sénateur Cools: Nous vous demandons de dire quel est le nom de cette prérogative. Il y en a un bon nombre. Nous vous demandons de donner le nom de cette prérogative. Il y en a parmi nous qui s'y connaissent un peu en matière de prérogative.
Très bien. On constatera au compte rendu que le ministre n'a pas su nous dire sur quelle prérogative le sénateur Boudreau s'appuyait.
M. Dion: Si vous ne voulez pas entendre la réponse de la fonctionnaire, je vais citer l'avis de la Cour au paragraphe 87:
Nos institutions politiques sont basées sur le principe démocratique et, par conséquent, l'expression de la volonté démocratique de la population d'une province aurait du poids, en ce sens qu'elle conférerait légitimité aux efforts que ferait le gouvernement du Québec pour engager un processus de modification de la Constitution en vue de faire sécession par des voies constitutionnelles.
Le sénateur Cools: Sans vouloir vous contredire, monsieur le ministre, ces mêmes tribunaux, il y a quelques semaines à peine dans l'affaire Conrad Black, ont jugé que les tribunaux n'avaient rien à voir dans l'exercice de la prérogative royale. Monsieur le ministre, sauf le respect que je vous dois, votre réponse est tout à fait erronée.
Je vais vous poser ma prochaine question.
M. Dion: Je pense que c'est une bonne réponse.
Le sénateur Cools: Non, parce que la cour ne s'est pas du tout penchée sur la question de la prérogative royale, monsieur le ministre. Vous ne semblez pas savoir de quoi je parle.
Le sénateur Hervieux-Payette: Nous ne le savons pas non plus.
Le sénateur Cools: Très bien. Je l'ai expliqué dans mes discours. Je vais passer à ma prochaine question.
Vous dites que nous sommes saisis du projet de loi C-20. Comme nous le savons tous, tous les pouvoirs, 100 p. 100 des pouvoirs du Parlement et du gouvernement du Canada sont contenus aux articles 91 et 92 de la Loi constitutionnelle de 1867. Le ministre pourrait-il nous dire quelles sont les dispositions exactes de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique ou de la Loi constitutionnelle de 1982 sur lesquelles il s'appuie pour nous soumettre le projet de loi C-20?
M. Dion: C'est l'article 91, le pouvoir général de prendre des lois qui ont trait aux institutions fédérales.
Le sénateur Cools: Aux institutions fédérales?
M. Dion: Oui.
Le sénateur Cools: Je vois. Très bien.
Voici ma question suivante: la cour a dit que la loi obligeait le gouvernement de négocier la sécession. Pouvez-vous me dire quelles sont les dispositions précises de la Loi constitutionnelle sur lesquelles s'appuie la cour pour tirer cette conclusion?
M. Dion: La démocratie, le fédéralisme, le constitutionnalisme dans la primauté du droit et le respect des minorités sont quatre principes non écrits de notre droit constitutionnel.
Le sénateur Cools: Je crois savoir que vous avez ces documents juste devant vous, mais je ne pense pas que nous soyons sur la même longueur d'ondes, monsieur le ministre. Je vous ai demandé de dire de quelles dispositions des lois constitutionnelles il s'agissait, de la Loi sur la constitution. La Constitution du Canada est constituée par l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, de 1867, la Loi constitutionnelle de 1982 et un ensemble d'autres lois. Sur quelles dispositions ou sur quel pouvoir constitutionnel énoncé dans une loi la cour s'est-elle appuyée pour conclure que le gouvernement du Canada avait l'obligation de négocier une sécession?
M. Dion: Dans la Loi constitutionnelle de 1867, on parle d'un Dominion sous la Couronne du Royaume-Uni de la Grande Bretagne et d'Irlande, ayant une constitution semblable en principe à celle du Royaume-Uni. Cela permet aux tribunaux de dire que notre Constitution est en partie non écrite, puisque rien n'est écrit en Grande Bretagne.
Le sénateur Cools: Êtes-vous en train de dire donc que la cour ne s'est pas appuyée sur le droit, qu'elle s'est appuyée sur...
M. Dion: Non, sur les principes non écrits de notre Constitution. Je me permets d'ajouter que ce sont de merveilleux principes. Je pense que le renvoi à la Cour suprême est une chose formidable. Il aidera non seulement le Canada mais peut-être aussi d'autres pays qui connaissent le même genre de difficultés.
Le sénateur Cools: Vous dites donc que...
La présidente: Sénateur Cools, nous devons poursuivre. Je vous inscris pour le deuxième tour.
Le sénateur Cools: Ce sont des questions connexes. Il y en a quatre ou cinq.
La présidente: Comme je l'ai dit, il y a de nombreux sénateurs dans la même situation.
Le sénateur Cools: Je suis tout à fait d'accord. Tout ce que nous devons faire, c'est de convoquer à nouveau le ministre. Mes questions sont bien simples.
La présidente: Il est déjà là depuis longtemps.
Le sénateur Murray: Monsieur le ministre, vous avez été plus loin que vous ne l'aviez jamais été -- et plus loin, je crois que quiconque au sein du gouvernement -- en disant que l'avis consultatif de la Cour suprême est contraignant. Jamais je n'avais entendu le gouvernement le dire. Je trouve cela frappant. Je m'en voudrais de ne pas rappeler une déclaration du très honorable Antonio Lamer dans une entrevue donnée juste après qu'il ait quitté son poste.
[Français]
Dans Le Devoir du 11 janvier 2000, je cite le juge Antonio Lamer:
Le renvoi sur la sécession du Québec, comme tous les renvois, n'est qu'une opinion. Ni le Québec ni le restant du Canada n'est obligé de suivre notre opinion.
[Traduction]
Vous pouvez fournir une réponse ou une explication, si vous voulez. Toutefois, si l'on s'en tient à la déclaration antérieure de la cour, selon laquelle ces obligations sont juridiquement contraignantes aux termes de la Constitution, et au fait que vous acceptez cela, comment ces obligations juridiques seront-elles exécutées, en particulier ladite obligation pour toutes les parties d'entreprendre des négociations au cas où l'une d'entre elles lancerait une initiative visant à modifier la Constitution?
M. Dion: Sénateur, vous avez posé deux questions. Vous avez tout d'abord demandé si c'était contraignant. Deuxièmement, vous avez demandé comment cela s'appliquerait dans un cas non pas de sécession mais d'une autre modification constitutionnelle.
Le sénateur Murray: De sécession ou d'une autre modification constitutionnelle. Il est évident que l'obligation indiquée par la cour s'applique non seulement à la sécession mais à d'autres initiatives constitutionnelles.
Une de vos collaboratrices, monsieur le ministre, opine de la tête. Je pourrais si vous le voulez citer ces déclarations. Elles sont tirées de l'avis de la Cour suprême.
M. Dion: Vous m'avez posé beaucoup de questions, sénateur. J'essaierai d'y répondre dans l'ordre.
Votre première question portait sur le juge Lamer. Je ne ferai pas de commentaires sur une interview rapportée dans un journal. Votre collègue, le sénateur Beaudoin, en a déjà parlé et je crois que ses remarques étaient très claires. Toutefois, je m'asbtiendrai de commentaires. L'intervention d'un juge, pour avoir des conséquences juridiques, doit être faite lorsqu'il est juge.
[Français]
Le très honorable Antonio Lamer a écrit en 1998, en tant que juge en chef de la Cour suprême, dans le cadre du renvoi relatif aux juges de la cour provinciale:
[...] l'avis de notre cour aura une valeur éminemment persuasive.
et
[...] lie les tribunaux [...].
Ce qui est tout à fait conforme avec tous les experts légaux que j'ai cité tout à l'heure et c'est assez reconnu. Bien sûr que cet avis nous lie, et que si un gouvernement devait s'aviser de ne pas le respecter, sa décision serait contestéeen cour, presque certainement avec succès. Le gouvernement du Canada a toujours respecté les avis de la cour, et il entend respecter celui-là comme tous les autres. J'imagine que c'est votre position aussi; je ne puis pas concevoir que cela ne le soit pas.
[Traduction]
Le sénateur Grafstein: Madame la présidente, je ne voudrais pas interrompre la discussion, mais il pourrait être utile que le ministre nous dise d'où il tire cette citation pour que nous puissions l'examiner.
M. Dion: C'est dans une partie du discours que je n'ai pas lu.
Le sénateur Prud'homme: Document bien rédigé.
Le sénateur Murray: Ma question au ministre est la suivante: comment ces soi-disant obligations juridiques contraignantes, en particulier l'obligation de négocier, seraient-elles exécutées? Si c'est une obligation contraignante, il doit y avoir un recours juridique. Quel est-il?
M. Dion: J'ai expliqué dans mon discours que la question que vous avez posée soulève un problème pour le gouvernement séparatiste. Le gouvernement canadien est là sur le territoire de la province. Il a un rôle à jouer. Il assure des services, dépense de l'argent, perçoit des impôts et protège les citoyens dans le monde entier. Aujourd'hui, un Québécois est aussi Canadien que tout autre Canadien. Si je vais dans les Rocheuses et que je me casse la jambe en faisant du ski, je suis Canadien et, en tant que tel, j'ai les mêmes droits d'être aidé que les autres Canadiens. Si je me rends dans une ambassade canadienne à l'étranger parce que je rencontre des difficultés, le personnel ne me dira pas: «Vous n'êtes plus Canadien parce que votre premier ministre provincial a décidé qu'il est président d'une république». J'ai des droits. Ces droits ne peuvent pas m'être retirés par le premier ministre provincial. Il n'a pas la compétence voulue pour le faire. La question pour lui sera de savoir comment me retirer ces droits.
Le sénateur Murray: La question que je vous pose, monsieur le ministre, est la suivante: la cour a jugé que l'existence du droit de présenter un projet de modification de la Constitution, qui s'applique à tous les partenaires de la fédération, y compris, d'ailleurs, au Sénat, comme vous le savez bien, impose un devoir correspondant aux participants à cette Confédération d'entreprendre des discussions constitutionnelles en vue de reconnaître et d'étudier les expressions démocratiques d'un désir de changement dans d'autres provinces.
À mon avis, cela veut dire -- il y a d'autres citations -- que non seulement une modification au sujet de la sécession mais une modification touchant une autre question, impose une obligation de négocier aux autres partenaires de la Confédération. Très franchement, je ne puis croire qu'il en soit ainsi. Certains d'entre nous ici ont voté sur cette formule de modification au Parlement en 1982. Si les premiers ministres provinciaux avaient voulu imposer une telle obligation, ils l'auraient fait. Or, ils ne l'ont pas fait. Si nous, parlementaires, l'avions voulu, nous l'aurions fait.
Comment pourrait être exécutée cette obligation juridique soi-disant contraignante? Si le Parlement fédéral et neuf autres provinces ont décidé qu'ils veulent une modification constitutionnelle au sujet de ceci ou cela mais que l'Île-du-Prince-Édouard déclare: «Non, nous imposons notre veto; nous ne négocierons pas», comment va-t-elle être légalement contrainte de négocier?
Le gouvernement fédéral a droit de veto sur toutes les modifications constitutionnelles. Si dix provinces font une proposition, le gouvernement fédéral peut leur dire d'aller au diable. C'est bien ce qui signifie le droit de veto, non? D'où sort cette obligation juridique contraignante?
M. Dion: L'obligation contraignante a été déclarée par la cour dans le cas d'une demande de sécession par une province, demande qui serait clairement appuyée. C'est ce qu'a dit la cour au sujet des quatre principes non écrits que j'ai mentionnés. Toutefois, la cour n'a pas déclaré qu'il y a une obligation de sécession. Il n'y a pas de droit absolu à la sécession. La cour a dit qu'il y a une obligation de négocier de bonne foi dans ces circonstances, et que «vous devez en venir à une modification constitutionnelle». C'est la raison pour laquelle le pays n'est pas indivisible. La modification constitutionnelle peut mener cette province à quitter le Canada. Pour les autres cas, la cour a été très brève. Elle n'a rien dit que nous ne savions pas. Si une province déclare: «Nous voulons négocier quelque chose», quoique ce soit, «et nous avons le soutien des habitants de la province pour négocier», les autres avant, comme après, le renvoi à la Cour suprême, négocieraient. Cela ne veut pas dire qu'elles seraient d'accord. Elles ne le seraient peut-être pas.
Le sénateur Murray: Vous n'êtes même pas obligé de déposer un amendement qui vient d'une province. Vous le savez. Vous pouvez passer outre. Cela a déjà été fait.
M. Dion: Mais vous devez expliquer pourquoi vous ne pouvez accepter l'amendement et pourquoi il n'y aura pas de négociations.
Le sénateur Milne: Heureusement, mes questions sont toujours brèves. On a beaucoup discuté en deuxième lecture au Sénat, et encore ici aujourd'hui, du fait que le Canada est indivisible. Personnellement, c'est ce que j'espère. Que proposeriez-vous si une claire majorité de la population d'une province votait massivement pour la séparation sur une question limpide? Il y a des pays qui ont versé beaucoup de sang précisément à propos de ce genre de chose; des familles ont versé leur sang à cause de cela. Cela laisse des plaies pendant des générations.
Quelles seraient les conséquences pratiques, légales ou morales si nous disions à ceux qui ont des ambitions séparatistes qu'il n'y a pas de moyen licite de poursuivre ces ambitions, parce que le Canada est indivisible?
M. Dion: Je conseillerais à un premier ministre séparatiste faisant face à ce genre de situation, de s'en remettre aux tribunaux.
Le sénateur Milne: Vos réponses sont même plus brèves que mes questions.
M. Dion: Ce que je veux dire, c'est que dans une démocratie, surtout lorsqu'il s'agit de choses aussi importantes que les droits des citoyens, les gouvernements doivent montrer l'exemple. Ils doivent toujours déclarer qu'ils respecteront le cadre juridique et s'efforceront de trouver une solution au désaccord, tout en respectant les lois du pays.
[Français]
Le sénateur Nolin: Monsieur le ministre, vous n'avez pas répondu à ma question plus tôt. Je suis un organisateur fédéraliste au Québec. Prenons votre décision, par exemple, à la fin du débat sur la question du référendum de 1995, où vous avez dit que nous menions dans les sondages internes par 13,4 p. 100. Vous déposez votre décision de la Chambre des communes comme quoi la question n'est pas claire. Qu'est-ce que je fais, moi, comme organisateur fédéraliste? Est-ce que je rentre chez moi?
M. Dion: Je ne suis pas certain de comprendre le sens de votre question.
Le sénateur Nolin: Je la répète.
M. Dion: Qu'est-ce que vous faites si je vous dis que la question n'est pas claire? Eh bien, à ce moment-là, les politiciens du moment ont différents choix. Une chose est certaine, tout le monde sait qu'on ne perdra pas le Canada sur une question confuse. C'est inacceptable. C'est contre les droits des gens.
Le sénateur Nolin: Est-ce qu'on doit continuer à travailler et défendre le Canada en tant que fédéraliste québécois?
M. Dion: Bien entendu. Mais ce référendum ne mènera pas à une séparation sur une question confuse. Aucun pays au monde, aucune démocratie au monde n'accepterait cela pour elle-même. Nous ne l'accepterons pas davantage au Canada. Voyons, je suis certain que vous ne pouvez pas l'accepter, sénateur Nolin.
Le sénateur Nolin: On a continué à travailler 1995, même si le premier ministre du Canada de l'époque nous avait dit que la question n'était pas claire.
M. Dion: Le premier ministre du Canada a dit que la question n'était pas claire. Le leader du NON a dit que la question n'était pas claire. On ne pouvait pas perdre notre pays sur une question qui n'était pas claire. Et maintenant, c'est affirmé dans une loi, et c'est encore plus clair.
Le sénateur Nolin: Vous savez quels seront les talents utilisés et quels auraient été les talents utilisés par nos adversaires du camp du OUI pour monter en épingle cette ingérence de la Chambre des communes dans une décision prise par l'Assemblée nationale. Vous ne pouvez pas ignorer cette situation.
M. Dion: Joignez-vous avec moi pour dire que ce n'est une ingérence. Il ne faut pas inventer une ingérence qui n'existe pas.
Le sénateur Nolin: Monsieur le ministre, je ne sais pas ce que vous allez dire, mais c'est ce que nos amis du camp du OUI vont faire.
M. Dion: Mais vous leur dites le contraire, il n'y a d'ingérence.
Le sénateur Nolin: On va leur dire le contraire c'est certain. Monsieur le ministre, disons qu'ils réussissent à exacerber les passions des Québécois, cela a déjà été fait dans le passé. Souvenons-nous de l'élection qui a suivi le rapatriement de la Constitution en 1980; on en connaît les conséquences. Qu'aurions-nous fait si, suite à la question qui n'était pas claire de 1995, le résultat avait été l'inverse?
M. Dion: La différence, sénateur Nolin, je tenais beaucoup, et le premier ministre aussi, à ce que ce débat sur la clarification de l'enjeu se fasse dans une période de calme, en dehors de la turbulence référendaire. Beaucoup nous disaient le contraire: «N'en parlez pas, il n'y a pas de référendum en vue.» Justement parce qu'il n'y avait pas de référendum en vue -- on ne sait jamais quand M. Bouchard en fera un, mais dans les prochaines semaines, il ne semblerait pas y en avoir -- il était utile que le gouvernement fasse cet exercice de clarification. Tout le monde peu y réfléchir. Et tout le monde peut bien voir cette question de 1995, mais cachez-la, ne la montrez pas à l'étranger. C'est une question inadmissible quand on parle d'une chose aussi grave que de la perte d'un pays. Donc, si jamais la chose devait se répéter, les esprits sont préparés maintenant. Les gens savent que ce genre de chose n'est pas acceptable.
Le sénateur Nolin: C'est ce qu'on vous dit d'ailleurs, que ce n'est pas acceptable. Un débat politique n'est pas juridique.
M. Dion: Non. Toute décision démocratique a un volet politique et un volet juridique, vous le savez très bien, sinon c'est l'anarchie. Le droit des gens est de faire en sorte qu'ils ne perdent jamais leur plein droit au Canada sur une question confuse. Je suis sûr que vous êtes d'accord avec moi, alors il faut le dire aux gens, sans complexe, et avec franchise et honnêteté.
Le sénateur Nolin: On en a pas de complexes. Monsieur le ministre, la cour même nous a dit que c'était une question politique, et de ne pas aller la voir pour orienter nos décisions politiques. C'est exactement ce que nous faisons en présentant une loi; nous ouvrons la porte et c'est ce que M. Charest a dit au gouvernement du Québec. On en fait un débat judiciaire, et c'est exactement ce que la Cour suprême nous a demandé de ne pas faire.
M. Dion: La cour a dit explicitement que la question de la sécession est à la fois politique et juridique. Elle a un volet politique et un volet juridique. En ce qui a trait à la clarté, la cour a identifié une obligation de négocier en cas d'appui clair. Reste la négociation de la clarté de l'appui sous forme d'une question claire et d'une majorité claire, sujette à l'interprétation des «acteurs politiques». Le gouvernement du Canada est certainement un «acteur politique». On ne contestera pas la chose. Donc, cette évaluation doit être faite.
La cour nous dit qu'une question claire est une question sur la sécession. Elle parle explicitement de la volonté de cesser de faire partie du Canada. De toute façon, sénateur Nolin, nous savons tous ce qu'est une question claire. Si les Québécois voulaient se séparer du Canada, il n'y aurait pas de débat sur la clarté de la question. C'est parce que les Québécois ne veulent pas se séparer du Canada que nous avons ce débat, et aussi parce que le gouvernement péquiste est assez irresponsable pour essayer de rendre, au moyen d'artifices, une option majoritaire, alors qu'elle ne l'est pas.
[Traduction]
Le sénateur Furey: Monsieur le ministre, j'essaie de comprendre pourquoi certains de mes collègues s'opposent à ce projet de loi, au processus et font un lien entre cela et la diminution des pouvoirs constitutionnels du Sénat. Je ne vois pas très bien le rapport.
Lorsque le Sénat adopte des projets de loi, les décrets du conseil ou les règlements ne lui sont pas toujours soumis pour approbation. Dans l'arrêt Sinclair, la Cour suprême du Canada a même statué qu'un décret du conseil fait partie du processus législatif. Encore une fois, le Sénat n'est pas obligé d'adopter chacun de ces décrets du conseil. Dans le cadre du processus législatif, le décret du conseil n'a pas pour effet d'indiquer que le Sénat n'a pas de rôle direct à jouer sur certains éléments du processus législatif.
Deuxièmement, nous pouvons sans doute concevoir que les conditions négociées d'une sécession exigeront une modification de la Constitution. La Cour suprême a été assez explicite sur ce point. Quoi qu'il en soit, le Sénat a déjà actuellement un rôle précis mais limité. Nous n'avons qu'un veto suspensif.
Si l'on modifie le projet de loi C-20 pour donner au Sénat un rôle égal à celui de l'autre endroit, je voudrais savoir si cela va nécessiter un autre changement à la formule d'amendement?
M. Dion: Sur le second point, vous avez raison. On ne peut pas modifier le veto suspensif du Sénat par une mesure législative. Ce n'est pas le genre de changement auquel on peut procéder par la voie législative. Il nécessite une modification constitutionnelle.
Le sénateur Furey: Si nous voulons amender le projet de loi C-20 pour donner au Sénat des pouvoirs égaux, est-ce qu'il faudra modifier la formule d'amendement?
M. Dion: Si nous donnons au Sénat le pouvoir de mettre un terme à la négociation constitutionnelle, alors que le Sénat n'a pas de droit de veto absolu, je ne suis pas certain que nos bases juridiques seront solides, mais je sais que nous irons tout à fait à l'encontre de la tradition suivie jusqu'à maintenant au Canada.
En ce qui concerne l'arrêt Sinclair, j'en ai longuement parlé avec le sénateur Beaudoin et avec Mme Dawson. Pour ceux qui l'ignorent, cet arrêt concerne la fusion de Rouyn-Noranda. Le gouvernement de l'époque a été attaqué en justice parce qu'on avait l'impression qu'il essayait de procéder au coup par coup au moyen de décrets du conseil pour contourner les droits linguistiques prévus dans la Constitution. La cour a dit qu'il était impossible de faire quelque chose de non constitutionnel par voie de décret du conseil. Je ne pense que cette jurisprudence s'applique en l'espèce, puisque nous faisons quelque chose qui est tout à fait conforme au droit constitutionnel.
Le sénateur Lynch-Staunton: Monsieur le ministre, si ce projet de loi avait été en vigueur lors du référendum de 1995, et en particulier pendant le débat sur la question, la majorité des députés du Québec qui, comme vous vous en souvenez, formaient alors l'opposition officielle, se seraient prononcés dans le sens de la clarté de la question, tandis que les députés du reste du pays auraient trouvé qu'elle n'était pas suffisamment claire. Pouvez-vous imaginer le chaos, la confusion et les répercussions nuisibles qui en auraient résulté pour les forces fédéralistes du Québec? Pouvez-vous imaginer le clivage au Parlement national, avec les Québécois seuls contre le reste du pays, ou le reste du pays faisant bloc contre le Québec? Est-ce ce que vous voulez créer?
M. Dion: C'est assez étrange, car sondage après sondage...
Le sénateur Lynch-Staunton: Non. Répondez à la question, monsieur le ministre. Pouvez-vous imaginer ce qui se serait passé si le projet de loi avait été en vigueur lors du référendum de 1995, si les députés du Québec s'étaient prononcés dans le sens de la clarté de la question tandis que ceux des autres provinces ne l'auraient pas trouvée assez claire? Pouvez-vous imaginer l'effet d'une telle situation à l'époque?
M. Dion: Tout d'abord, le Parti libéral du Québec a dit que la question n'était pas claire.
Le sénateur Lynch-Staunton: La question que je vous pose manque-t-elle de clarté?
La présidente: Sénateur Lynch-Staunton, veuillez laisser le ministre répondre; vous pourrez revenir à la charge.
Le sénateur Lynch-Staunton: Je ne veux pas savoir ce qu'a dit le Parti libéral du Québec en 1995.
La présidente: Laissez le ministre répondre.
M. Dion: Vous parlez bien des forces fédéralistes?
Le sénateur Lynch-Staunton: Je vous dis que si le projet de loi C-20 avait été en vigueur lors du référendum de 1995, et si la Chambre des communes avait été obligée de se prononcer sur la clarté de la question, la vaste majorité des députés québécois...
M. Dion: À la Chambre des communes?
Le sénateur Lynch-Staunton: Oui, à la Chambre. La vaste majorité des députés québécois auraient trouvé la question claire, tandis que les députés des autres provinces auraient été d'un avis contraire. Pouvez-vous imaginer le genre de clivage que cela aurait causé au sein du Canada, notamment au Québec, si le reste du Parlement national du Canada avait réagi négativement à une décision du Québec? C'est le genre de chaos que vous aimeriez créer et c'est le genre de chaos que vous pourriez créer avec ce projet de loi.
M. Dion: Je ne pense pas que nous créerions le chaos parce que le Bloc dirait qu'une question ambiguë est claire.
Le sénateur Lynch-Staunton: Très bien.
M. Dion: Vous dites que vous êtes disposé...
Le sénateur Lynch-Staunton: L'Assemblée nationale s'est déjà prononcée. L'Assemblée provinciale déclare que la question est claire.
M. Dion: Pourtant, l'opposition officielle à l'époque a jugé que la question posée en 1995 n'était pas claire. L'opposition officielle à l'Assemblée nationale a voté contre...
Le sénateur Lynch-Staunton: Vous avez raison; 44 députés s'y sont opposés. Je parle du Parlement national.
M. Dion: Je vous demande ceci.
Le sénateur Lynch-Staunton: Ce n'est pas vous qui me posez des questions.
M. Dion: À votre avis, y a-t-il un seul pays au monde qui négocierait son démantèlement sur la base de la question de 1995?
Le sénateur Lynch-Staunton: Le Bloc québécois aurait trouvé la question de 1995 suffisamment claire en vertu du projet de loi C-20, et ce, peu importe la question.
M. Dion: Est-ce que vous voulez dire qu'à partir du moment où le Bloc trouve la question claire, on doit alors accepter l'éclatement possible du pays?
Le sénateur Lynch-Staunton: Là n'est pas la question. La question est hypothétique mais la voici: quelles auraient été les conséquences si tous les députés d'une province avaient dit Oui au sein du Parlement national alors que tous les autres avaient répondu Non?
M. Dion: Mais les députés bloquistes ne représentent pas tout le Québec. Le Québec vaut bien plus que cela.
Le sénateur Lynch-Staunton: Si vous ne pouvez répondre à cette question clairement, permettez-moi de vous en poser une autre.
M. Dion: Ils font partie du Québec, mais ils ne représentent pas tout le Québec. Il serait faux de dire que, à partir du moment où les bloquistes ont jugé la question claire, le Québec, en tant qu'entité monolithique, a forcément trouvé la question claire.
Le sénateur Lynch-Staunton: Quand vous lirez le compte rendu, vous comprendrez peut-être mieux ce à quoi je veux en venir. Je vais maintenant vous poser ma deuxième question, qui découle de la première.
En novembre, citant Le Devoir du 3 septembre 1998, dans lequel Jacques Parizeau aurait proposé la question suivante: Voulez-vous que le Québec devienne un pays? Le premier ministre a affirmé: «Avec une question claire comme celle-là, on n'aura pas de problème avec moi.» Vous trouverez cette citation dans le hansard du 24 novembre 1999. Voilà un cas où le fédéraliste en chef et le séparatiste en chef s'entendent sur la question référendaire.
Pour éliminer toute confusion, tout débat chaotique ou toute querelle interminable à la Chambre des communes, pourquoi ne pas proposer une projet de loi qui renferme une question? Cela serait suffisamment clair. Pourquoi ne pas dire «Voilà la seule question que le gouvernement national acceptera, et c'est sur la base de la réponse à cette question que nous déciderons si nous engagerons des négociations ou non». Pourquoi ne pas inclure une question de ce genre dans le projet de loi?
M. Dion: Ce n'est pas...
Le sénateur Lynch-Staunton: De toute façon, vous imposerez la question à la Chambre des communes, que les députés le veuillent ou non.
La présidente: Silence, s'il vous plaît!
M. Dion: Je vous remercie, madame la présidente. Il s'agit d'une loi provinciale et d'un référendum provincial. La formulation exacte de la question référendaire ne relève ni d'une loi fédérale, ni d'un projet de loi fédéral. Dans le projet de loi, nous disons simplement: Si vous voulez que nous négociions, montrez-nous qu'il y a un appui clair, exprimé par la réponse à une question claire à la majorité claire. Avec ce projet de loi, le gouvernement du Canada ne cherche nullement à décider ce qui se passera lors d'un référendum provincial. En revanche nous soutenons que, si le gouvernement d'une province veut nous inviter à négocier la séparation, nous ne répondrons à son invitation que si nous déterminons que la question est claire et que la majorité est claire aussi.
Vous avez donné l'exemple d'une question qui pourrait être considérée comme claire, mais il y a bien des formulations qui pourraient être jugées claires également. Ainsi, on pourrait poser les questions suivantes: voulez-vous que le Québec se sépare du Canada? Voulez-vous que le Québec cesse de faire partie du Canada pour devenir un État indépendant? Nous avons ce qui est clair et nous savons aussi que la souveraineté-partenariat n'est pas claire.
Le sénateur Lynch-Staunton: Si vous savez ce qu'est une question claire, qu'en est-il alors de la «majorité claire»?
La présidente: Sénateur Lynch-Staunton!
Le sénateur Lynch-Staunton: Je voudrais poser une dernière question, si vous le permettez.
La présidente: Très brièvement, allez-y.
Le sénateur Lynch-Staunton: Vous avez défini ce qu'est une question claire, et nous l'avons tous compris. Mais qu'est-ce qu'une «majorité claire»?
M. Dion: Il faudra que nous évaluions la chose, comme nous l'avons toujours fait -- c'est-à-dire sans changer les règles, comme on l'a toujours fait au Canada. Le résultat du référendum devrait être évalué par les pouvoirs politiques selon les critères énoncés dans le projet de loi sur la clarté.
Le sénateur Lynch-Staunton: Qualitativement parlant, une voix vaudrait plus qu'une autre.
M. Dion: Ce n'est pas ce que vous dites dans votre discours, monsieur le sénateur. Dans votre discours, vous parlez de 66 p. 100 de personnes ayant le droit de voter.
Le sénateur Lynch-Staunton: C'est bien cela.
M. Dion: C'est bien ce que vous proposez.
Le sénateur Lynch-Staunton: Oui, c'est bien cela. Je n'ai pas fait de proposition sous forme d'amendement, mais je pourrais très bien le faire.
[Français]
Le sénateur De Bané: Monsieur le ministre, à propos de ce qui constitue le fondement d'un pays, je suis d'accord avec vous. En dernière analyse, ce n'est pas une langue commune, ni une religion commune, ni la même couleur de peau, ni toutes sortes de critères contingents qui constituent le fondement d'un pays, mais bien la volonté des gens de vivre ensemble. C'est le fondement moderne d'un pays, et depuis le début du XIXe siècle ,on en est arrivé à cette conclusion.
C'est Ernest Trenant qui disait: «Un pays, une nation, c'est un plébiscite de tous les jours».
Dans un pays, la décision d'un groupe de faire sécession a un impact sur tout le reste du pays. Prenons l'exemple suivant. Supposons que demain, le Québec est un pays indépendant. Le Québec dira-t-il à une région du Québec qu'elle seule peut déterminer son destin? Non.
Tous les Québécois auront à participer à cette décision, parce qu'elle a un impact sur toute la population. Ce n'est pas parce que les gens de la Gaspésie veulent se séparer du Québec et faire partie des Maritimes que seule leur opinion, si elle est exprimée clairement, compte. Cela a un impact sur tout le monde.
Lorsque le Jura a exprimé le souhait de devenir un canton séparé du canton de Berne, c'est toute la Suisse qui a participé à ce référendum, non seulement les gens qui souhaitaient à 100 p. 100 former leur propre canton.
Il y a une question qui n'a pas été étudiée à sa juste valeur. Dans quelle mesure, dans le cas où la plus grande province canadienne se retirerait de la Confédération, cela n'aurait-il pas un impact sur le pays tout entier? Je reprends la réflexion de mon collègue le sénateur Joyal. Dans quelle mesure la sécession d'une province, qui est au centre du pays, n'aurait-elle pas un impact profond sur tout le pays?
Pourquoi l'Ouest Canadien, dont l'économie est tournée vers les marchés étrangers, continuerait à faire partie d'un pays dominé davantage par la province centrale qui resterait, c'est-à-dire l'Ontario? On peut très bien imaginer que si une province centrale comme le Québec se séparait du Canada, petit à petit, toutes les provinces feraient leur demande d'adhésion aux États-Unis d'Amérique. La question de l'impact de la sécession d'une province sur tous les autres Canadiens est une question très importante.
Je ne peux pas imaginer que demain, le Québec, pays indépendant, dirait à une région : oui, oui, si vous voulez tous vous séparer et faire partie soit du Nouveau-Brunswick, soit du Nord de l'Ontario, et cetera, libre à vous de nous quitter. Si vous, le Nord du Québec, vous voulez partir, partez, il n'y a aucun problème.
Non. On dira que tout le Québec doit participer à cette décision. C'est ce sujet qui est fondamental: le fait qu'une province, qui est au centre du pays et qui est aussi importante, quitte. Cela a un impact sur tout le monde et, finalement, peut-être, sur le pays tout entier.
M. Dion: Je suis tout à fait d'accord avec vous, il y aurait des conséquences extrêmement graves. C'est l'une des raisons pour lesquelles le gouvernement a demandé à la cour s'il y avait un droit à la sécession unilatérale, si le gouvernement d'une province pouvait unilatéralement décider de sortir la province du pays, étant donné que les conséquences seraient graves pour l'ensemble du pays et non pas seulement pour cette province.
Cela dit, ce n'est pas la principale raison pour laquelle j'ai tellement insisté que cette clarification soit faite: c'est que les conséquences seraient encore plus graves pour les citoyens de la province touchée. N'oublions jamais qu'une sécession du Québec, puisque malheureusement c'est au Québec qu'on a ce problème, divise d'abord les Québécois entre eux, en plus de les diviser des autres Canadiens. L'idée que cette division peut se faire en dehors d'un contexte légal est tout à fait injuste pour cette population, comme pour l'ensemble du pays. Voilà pourquoi on est allé à la cour, et pourquoi il faut que tout se passe selon la procédure légale indiquée par la cour.
Vous avez parlé de régions du Québec qui voudraient continuer à faire partie du Canada. Il faut bien comprendre que la modification de frontières, si on devait en venir là, ferait partie de l'accord de séparation. Les négociateurs diraient aux représentants des sécessionnistes: vous voulez faire sécession, regardez sur le terrain; pour s'en sortir, la solution la moins mauvaise possible est que l'on déplace des frontières pour que les populations qui ont indiqué clairement qu'ils veulent continuer à faire partie du Canada, puissent y rester. Cela serait négocié avant l'accord de séparation et ferait partie de l'amendement constitutionnel. Le nouveau pays, s'il doit apparaître, apparaîtrait avec des frontières différentes, pour accommoder le plus de gens possible. C'est exactement ce que les Suisses ont fait dans le cas du Jura. Ces choses seront négociées, et elles ne peuvent pas mener à une sécession sans amendement constitutionnel, pour lequel amendement constitutionnel il y a des formules à suivre, des consultations à faire, et l'ensemble du pays y serait engagé.
Le sénateur Beaudoin: Vous avez dit que vous avez des précédents à l'effet que certaines loi accordent des pouvoirs à une Chambre et non pas à l'autre. J'ai un certain intérêt pour cela, mais de toute façon, cela ne change rien à la question juridique et constitutionnelle. Ce n'est pas parce que dans le passé, à trois, quatre ou cinq occasions on a donné des pouvoirs différents à l'une des deux Chambres, qu'on avait raison de le faire sur le plan juridique et constitutionnel. Surtout à propos d'une question qui touche à la sécession d'une province, car il n'y en a pas de précédent comme cela. On va me parler de la Nouvelle-Écosse, mais en Nouvelle-Écosse, cela s'est réglé vite, et c'était une question d'argent, en bonne partie. J'ai étudié cette question, et les Law officers of the Crown à Londres ont dit que l'on pouvait très bien changer tel article, et cela s'est réglé rapidement. Cela aurait pu peut-être se terminer par une sécession, mais je pense que cela ne changerait rien d'avoir trois ou quatre précédents, parce que le précédent actuel qui pourrait être créé -- j'espère qu'il ne sera jamais créé -- est sans précédent lui-même. En effet, une sécession ne s'est jamais produite dans l'histoire du Canada.
Quant à la formule d'amendement, vous semblez avoir dit que vous n'avez pas demandé à la Cour suprême de se prononcer là-dessus. Je pense que la Cour suprême, même si on ne l'invitait pas à le faire, aurait pu le faire, mais elle a choisi de ne pas le faire. Je pense que c'est une des deux formules suivantes: l'unanimité ou la formule 7-50. Vous semblez, monsieur le ministre, arriver à une conclusion différente. Avez-vous dit que cela pourrait varier selon les négociations? La sécession, c'est la sécession.
M. Dion: On a deux grandes formules: l'unanimité ou 7-50. Cela se joue pas mal entre ces deux-là.
Le sénateur Beaudoin: Mais si c'est aussi simple que cela, pourquoi...
M. Dion: Cela ne pourrait pas être bilatéral pour les raisons mentionnées par le sénateur De Bané.
Le sénateur Beaudoin: Si c'est une des deux formules, pourquoi n'a-t-on pas demandé à la cour de se prononcer? Il n'y aura jamais de sécession sans un amendement constitutionnel.
M. Dion: Nous avons dit à la cour qu'à notre avis, la détermination précise de la formule d'amendement nécessaire devrait se faire dans les circonstances. La cour n'était pas obligée d'être d'accord avec nous, mais elle a été d'accord avec nous.
Le sénateur Beaudoin: Sur quoi au juste? S'il y a une Loi sur la clarté...
M. Dion: C'est le paragraphe 105 de l'avis de la cour:
Chaque option exigerait que nous présumions l'existence de faits qui sont inconnus à ce stade.
La cour, sur cette base, dit que, comme les faits sont inconnus pour le moment, elle ne se prononce pas.
Le sénateur Beaudoin: C'est tout de même étrange qu'un projet de loi, dont l'objectif avoué est la clarté, ne demande pas quelle est la formule d'amendement applicable, qui seule pourra réaliser cette sécession.
M. Dion: Il est sûr qu'une sécession comporte un grand nombre d'inconnus, -- M. Charest appelle cela des trous noirs -- c'est évident. La Loi sur la clarté ne prétend mettre de la clarté partout, elle met de la clarté là où on peut le faire, en l'absence de contexte. Et en l'absence de contexte, la Loi sur la clarté nous dit ce que nous devons faire pour donner effet à l'obligation de négocier, telle qu'établi par l'avis de la cour.
Le sénateur Beaudoin: Et si jamais on se rendait là, par hasard -- je ne le souhaite pas bien sûr -- faudra-t-il aller devant la Cour suprême pour demander quelle est la formule d'amendement?
M. Dion: C'est possible, mais peut-être que non. Peut-être que l'accord de séparation ravirait tout le monde, je n'en sais rien et je souhaite ne jamais le savoir.
Le sénateur Beaudoin: On y pensera à ce moment, mais...
[Traduction]
Le sénateur Kinsella: Monsieur le ministre, la clarté du compte rendu oblige, l'un de mes collègues a évoqué le Sénat et la question des règlements. Comme chacun le sait, les règlements font l'objet d'un examen tant par le Sénat que par la Chambre des communes. En effet, cet examen est effectué par un comité mixte. On pourrait peut-être envisager d'utiliser le modèle du comité mixte de la Chambre des communes et du Sénat pour satisfaire nos objections à ce projet de loi.
Ceci étant dit, ma question porte sur le dernier paragraphe, le plus important, de l'avis de la Cour suprême. En effet, le paragraphe 155 stipule:
Même s'il n'existe pas de droit de sécession unilatéral en vertu de la Constitution ou du droit international, c'est-à-dire un droit de faire sécession sans négociation sur les fondements qui viennent d'être examinés, cela n'écarte pas la possibilité d'une déclaration inconstitutionnelle de sécession conduisant à une sécession de facto. Le succès ultime d'une telle sécession dépendrait de sa reconnaissance par la communauté internationale qui, pour décider d'accorder ou non cette reconnaissance, prendrait vraisemblablement en considération la légalité et la légitimé de la sécession eu égard, notamment à la conduite du Québec et du Canada [...]
C'est donc la conduite du Canada, aussi bien que celle du Québec, qui détermine s'il y aura reconnaissance ou non.
Comme vous le savez, monsieur le ministre, la Déclaration d'indépendance de la république qui se trouve au sud de notre pays était à la fois anticonstitutionnelle et illégale. Si la Cour suprême a raison dans ce qu'elle énonce dans le dernier paragraphe, étant donné qu'elle a envisagé tout le scénario et compte tenu de votre projet de loi, ne pensez-vous donc pas que, au fur et à mesure que nous entamerons les trois étapes décrites dans le projet de loi, le mouvement sécessionniste aura plus de chance de réussir?
Prenons la première étape, qui est la détermination de la clarté de la question. Si la Chambre des communes détermine que la question est claire, n'y aurait-il pas lieu de croire alors que l'on vient de faire un cadeau au mouvement sécessionniste, en ce sens qu'on vient de lui donner l'aval de la moitié du Parlement?
Supposons qu'on passe maintenant à la deuxième étape, à savoir la détermination de la clarté du résultat référendaire. Supposons qu'il est de 50 p. 100 plus un, sinon plus. Je suppose qu'il n'y aura pas lieu d'aller plus loin si le résultat est de 50 p. 100 moins un. Cependant, si le résultat est d'au moins 50 p. 100 plus un, et si le Parlement devait le refuser, cela ne jouerait-il pas en la faveur du mouvement sécessionniste, notamment à la lumière de ce que la Cour suprême a affirmé au paragraphe 155? Le mouvement sécessionniste se tournera alors vers la communauté internationale, notamment vers les nombreux pays qui constituent la francophonie aujourd'hui. Certains de ces pays sont dirigés par des chefs d'État qui ont obtenu bien en deçà de ce pourcentage, dans certains cas à peine 13 ou 14 p. 100, mais ils ont l'armée à leurs côtés. Ces chefs d'État diront «Ah! Si seulement j'avais obtenu 50 p. 100 plus un!» Là encore, on fera un cadeau au mouvement sécessionniste.
La dernière étape que vous proposez est celle des négociations. Comment se sont déroulées les négociations constitutionnelles? Remontons aux origines des négociations fédérales-provinciales sur des sujets sur lesquels nous sommes d'accord; les céréales, par exemple. N'est-il pas vrai que nous avons connu davantage d'échecs en matière de négociations? Une fois de plus, le mouvement sécessionniste pourra se tourner vers la communauté internationale et dire «Nous avons suivi la loi fédérale de M. Dion, mais voilà qu'ils négocient de mauvaise foi». La Cour suprême a affirmé que la conduite du Canada serait un facteur déterminant dans la reconnaissance de la sécession par la communauté internationale.
Qu'avez-vous à dire de ces trois étapes? N'est-il pas vrai qu'elles pourraient jouer en faveur du mouvement sécessionniste qui, comme l'a indiqué la Cour suprême, pourrait faire une déclaration d'indépendance unilatérale anticonstitutionnelle et illégale?
M. Dion: Je vous remercie, sénateur. J'ai répondu à toutes ces questions dans mon discours, mais j'en parlerai de nouveau. La Cour suprême n'a pas dit qu'on a le droit de faire sécession unilatéralement. Ce n'est pas ce que la Cour suprême a affirmé. C'est une possibilité, et cette possibilité découle de la reconnaissance internationale. La Cour suprême a dit que si l'une des deux parties se montre très intransigeante, cela donnera plus de poids aux revendications de l'autre. La Cour suprême n'est pas allée plus loin que cela, car elle sait qu'elle ne peut contrôler le monde. Son pouvoir étant limité au Canada, il ne s'étend pas à l'étranger.
Il faut voir la pratique des États. À l'exception du contexte colonial, il n'y a pas de droit à la sécession. On décourage fortement une telle initiative. Mieux encore, les pays du monde n'aiment pas les sécessions unilatérales. Dans la plupart des cas, ils s'y opposent. Ils font de leur mieux pour éviter de s'en mêler, car ils ne veulent pas avoir à y faire face. Imaginez 3 000 groupes qui réclament chacun son identité; c'est le meilleur moyen de semer le chaos dans le monde. C'est pourquoi les Nations Unies n'ont jamais eu à faire face au scénario que vous avez décrit.
Que se passerait-il si la communauté internationale disait «Nous reconnaîtrons cette province en tant qu'État indépendant»? Le gouvernement du Canada dirait tout simplement «Donnez-nous un autre exemple d'une telle situation.» Cela n'est absolument pas conforme à ce que nous savons de la pratique des États. C'est le mythe que les chefs séparatistes répandent au Québec, et c'est loin d'être la vérité. La vérité est que la communauté internationale hésite à reconnaître les sécessions, et ce, même s'il est évident que les peuples veulent, unanimement, leur indépendance et qu'ils sont victimes d'oppression de la part de l'État où ils vivent. Malgré cela, la communauté internationale ne reconnaît pas ces États comme des États indépendants. Elle a peut-être tort, mais il reste que c'est la pratique actuelle.
Il y a même des cas dans le monde où des peuples ont pris le contrôle d'un territoire par les armes et ont affirmé «Nous sommes un État indépendant.» La réponse de la communauté internationale a toujours été de dire «Non, vous n'êtes pas un État indépendant. Officiellement, vous faites toujours partie de l'État auquel vous avez pris le territoire.»
La reconnaissance internationale est très difficile à obtenir. Si nous avons un désaccord lors des négociations avec le Québec, le reste du monde dira: «Nous souhaitons bonne chance aux Canadiens. Nous savons que vous êtes un peuple pacifique et que vous réussirez à résoudre le problème comme il se doit. Cela vous regarde.»
[Français]
Le sénateur Bolduc: Dans le programme du Parti québécois, à l'article 1, on parle de la souveraineté-association. Supposons que le gouvernement pose aux Québécois une question qui a trait à la souveraineté-association. Nous devrons tous débattre tous du mieux que nous le pouvons, les sécessionnistes aussi.
J'ai fait 24 discours dans les trois dernières journées précédant le référendum de 1995 -- je me le rappelle -- pour essayer de neutraliser le résultat des votes. À Québec, nous avons réussi à neutraliser l'opinion à 50-50.
Supposons que le résultat final soit à 53 p. 100. Que faisons-nous le lendemain? Que fait le gouvernement fédéral?
M. Dion: Sur une question confuse, le gouvernement du Canada refuse de négocier la séparation, car il serait injuste de négocier dans la confusion sans avoir l'assurance que c'est ce que les gens veulent. Donc, il n'y aurait pas de négociation. Qu'arrive-t-il après? Nous vivons dans une démocratie. Après, je ne sais pas. Le gouvernement séparatiste a des choix à faire. Il peut enclencher des élections, signer un autre référendum avec une question claire, mais nous ne pouvons briser le pays sur une question confuse. Je suis sûr que vous êtes d'accord moi.
Le sénateur Bolduc: Je n'ai pas à répondre à cela pour l'instant, c'est moi qui pose les questions. Dans l'éventualité où le référendum l'emporterait à 53 p. 100, qu'est-ce que projet de loi réglerait?
M. Dion: Le projet de loi garantit aux citoyens québécois qu'ils ne perdront jamais leur pays sur la base d'une question confuse. Si la question est confuse, il n'y a pas de négociation sur la séparation. Il n'y a pas de séparation.
Le sénateur Bolduc: Autrement dit, le gouvernement fédéral maintient sa ligne dure vis-à-vis des provinces. Où cela va-t-il nous mener?
M. Dion: Vous appelez cela une ligne dure! C'est un droit fondamental des citoyens. Accepteriez-vous de perdre le Canada dans la confusion?
Le sénateur Bolduc: Si 53 p. 100 des gens s'en balancent, cela veut sûrement dire qu'il y a un problème quelque part dans les relations fédérale-provinciales? Pourquoi ne nous attaquons-nous pas plutôt à régler ce problème? C'est peut-être en dehors du débat, mais je vous pose la question, parce que vous êtes le patron sur ce point.
M. Dion: Il y a différentes façons d'améliorer le Canada, vous avez vos idées et nous avons les nôtres que nous partageons, mais la première condition de la clarté est de ne jamais confondre les propositions visant à sortir du Canada aux propositions visant à améliorer le Canada. Si un gouvernement prétend avoir gagné le référendum sur une proposition visant à sortir du Canada, il faut que la question ait été claire, sinon il ne peut pas y avoir de négociation.
Le sénateur Prud'homme: Monsieur le ministre, pour fonder le Canada, les Pères de la Conférédation se sont réunis pendant trois ans à Charlottetown. Cela leur a pris trois ans. Là où les discussions se sont tenues, la province de l'Île-du-Prince-Édouard n'a même pas voulu adhérer à la Confédération. Je ne suis pas surpris qu'on prenne le temps nécessaire.
Moi, je sais qui je suis, monsieur le ministre. Je suis un nationaliste canadien-français du Québec. Je suis pleinement d'accord avec tous les arguments extraordinaires présentés par mes collègues. Le Canada, pour moi, c'est un pays indivisible. Cette pensée m'a nuit considérable dans certains milieux nationalistes. Je répète que je suis un nationaliste canadien-français du Québec. Après avoir vu pendant deux jours tout ce qui s'est dit sur Maurice Richard, que nous regrettons tous, je me sens très à l'aise de réemployer le mot que tout le monde semble vouloir détruire: le mot canadien-français. Cela existe, cela respire, cela chante, cela pleure, cela s'excite, comme vous le voyez, mais cela existe.
J'ai fait près de -- cela peut amuser quelques-uns mais cela ne me dérange pas, car je suis très sérieux -- 300 discours dans l'Ouest canadien depuis 1964. Il n'y a pas un seul député ou ministre du Québec qui est allé aussi souvent que moi dans l'Ouest du Canada.
[Traduction]
Personne n'a de leçon à me donner à ce sujet-là.
[Français]
L'Alberta, la Colombie-Britannique et le Yukon en ont marre du gouvernement central. Et si on pose une question très claire et très précise, et si on récolte un vote fulgurant, que vont-ils faire pour se séparer du Canada?
M. Dion: Si on suit l'avis de la cour, il faut le faire, cette séparation ne serait possible qu'après une négociation où les intérêts de tout le monde auraient été pris en compte, y compris des minorités, exactement comme dans le cas du Québec.
Le sénateur Prud'homme: Alors la conclusion pour moi nationaliste canadien-français du Québec, c'est que je suis ce que M. Lalonde, un bon ami, a appelé récemment, et je le cite: «il n'y a plus que les `saint-jean baptistars'». Je suis un «saint-jean baptistar». Cela ne me dérange pas. Ne serais-ce pas mieux, monsieur le ministre -- et j'ai écouté tous mes collègue depuis 35 ans --, d'employer toute notre énergie à faire comprendre à ceux qui habitent le Québec, cette majorité, qu'il y a plusieurs nations au Québec. Mon ami le sénateur Gill, qui représente les Premières nations du Québec, Mme Fraser qui représente la minorité anglaise, ont des droits constitutionnels, tout comme M. Warren Allmand du Québec, le sénateur Lynch-Staunton, et Mme Finestone, qui ont aussi des droits constitutionnels. Je pense qu'on devrait prendre plus de temps à exprimer cela, plutôt que d'arriver toujours avec les provocations qui ne font que jouer sur les cordes sentimentales de ce que certains continuent d'appeler les Québécois, pour mieux nous confondre. Ils devraient plutôt dire les Canadiens français du Québec ont un problème entre eux. Vous savez comment les 18 p. 100 de la population vont voter parce que vous les représentez, tout comme je les ai représentés. Je sais comment ils vont voter, et ils ont le même droit que moi. Ne pensez-vous pas que ce projet de loi va dans le sens de la provocation plutôt que dans le sens d'un projet de loi suspendu, et c'est ce que je souhaite. Après avoir bien écouté les débats au Sénat, le premier ministre, mon ami de toujours, Jean Chrétien, pourrait suspendre le projet de loi et faire de ce projet de loi la démonstration à tous les Québécois de comment il est difficile de défaire un pays.
M. Dion: C'est certain que l'une des grandes beautés du Canada, c'est qu'on peut avoir différentes identités sans ne rien imposer à personne. Je respecte donc tout à fait la façon dont vous vous définissez. Cela fait partie de mon pays. Il est certain aussi que le fondement du fait qu'on est ensemble, c'est qu'on veut rester ensemble. C'est une question de volonté de rester ensemble. Ce n'est parce que vous dites que le Canada est indivisible que le Canada est indivisible. C'est parce qu'on veut rester ensemble. Le projet de loi sur la clarté dit que tant qu'on voudra rester ensemble, on restera ensemble. C'est cela le point. On ne peut par des astuces, par des façons artificielles, nous enlever ce pays. C'est tout ce que cela fait. Pour le reste, le débat est ouvert. Quel est le rôle du fédéral? Quel est le rôle des provinces? Comment tenir compte des minorités? Comment aider les autochtones? Le pays continue à s'améliorer et à avoir le débat que nous avons. On ne peut pas perdre ce pays tant qu'on veut le garder. C'est tout.
[Traduction]
Le sénateur Joyal: Monsieur le ministre, vous avez très soigneusement étudié la position constitutionnelle qu'un autre parti a énoncée dans son livre d'orientation. Pourriez-vous vérifier le compte rendu des congrès du Parti libéral du Canada, au cours des 35 dernières années, pour voir si on a adopté une résolution qui soustrait le chef du parti de l'obligation de maintenir le Canada uni et indivisible? Pourriez-vous consulter ces comptes rendus avant de revenir nous voir?
M. Dion: Le Canada n'est pas indivisible.
Le sénateur Joyal: Je soutiens que vous faites une erreur d'interprétation fondamentale entre le droit d'une province à faire sécession unilatéralement et l'obligation de négocier. La Cour suprême a dit que le Québec n'a pas le droit de faire sécession unilatéralement. Par conséquent, le gouvernement canadien a le devoir de maintenir l'intégrité et l'unité du pays, et il ne peut s'y soustraire. En refusant de reconnaître que la réponse aux deux premières questions est que le Canada est un pays uni et indivisible, vous avez transformé une obligation, dont l'existence est attestée par la Cour suprême, en une sorte de droit.
Vous pourriez peut-être demander à vos adjoints de vérifier la différence entre un droit constitutionnel et une obligation politique. Pour ma part, je crois que c'est la question fondamentale sur laquelle repose le principe voulant que le Canada soit un tout indivisible.
M. Dion: Il n'y a pas de droit à la sécession dans une démocratie comme le Canada. Les juges de la Cour suprême l'ont bien dit. On est obligé d'entamer des négociations si l'appui est clair et, par conséquent, on peut modifier la constitution pour permettre la séparation. Dans ce cas-là, le Canada n'est pas indivisible. En modifiant la Constitution, une province peut effectivement se retirer de la Confédération.
Le sénateur Joyal: Dans votre propre déclaration, vous dites que les Québécois ne devraient pas être privés de leur droit de faire partie du Canada. Pourquoi voulez-vous alors priver les autres Canadiens de leur droit de garder leur pays uni? Pourquoi ne reconnaissez-vous pas ces deux obligations semblables?
M. Dion: Grâce au renvoi à la Cour suprême et au projet de loi sur la clarté, le premier ministre d'une province ne peut décider unilatéralement de devenir président d'une république. Une telle décision serait prise par l'ensemble du pays.
La présidente: Je vous remercie, monsieur le ministre. Cette séance a été inhabituellement longue et extrêmement intéressante. Nous vous sommes reconnaissants de nous avoir accordé tout ce temps.
Le sénateur Lynch-Staunton: Madame la présidente, pourriez-vous demander au ministre quand il sera disposé à revenir devant notre comité. Il serait préférable qu'il ne soit pas le dernier témoin.
La présidente: Le comité de direction essayera d'arranger cela.
M. Dion: J'ai été très heureux d'être parmi vous aujourd'hui et je suis disposé à revenir vous voir. Cela dit, je pense qu'il serait plus utile que je revienne une fois que vous aurez entendu d'autres témoins.
La présidente: Je vous remercie. Le comité de direction se mettra en rapport avec votre cabinet.
La séance est levée.