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CLAR - Comité spécial

Comité spécial sénatorial sur le projet de loi C-20

 

Délibérations du comité spécial sur
Le projet de loi C-20

Fascicule 1 - Témoignages du 29 mai 2000 (séance du soir)


cOTTAWA, le lundi 29 mai 2000

Le comité sénatorial spécial sur le projet de loi C-20, Loi donnant effet à l'exigence de clarté formulée par la Cour suprême du Canada dans son avis sur le Renvoi sur la sécession du Québec, se réunit aujourd'hui à 19 h 03 pour étudier le projet de loi.

Le sénateur Joan Fraser (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente: Honorables sénateurs, cette réunion du comité sénatorial spécial sur le projet de loi C-20 est maintenant ouverte. Je vous souhaite la bienvenue à tous, y compris à notre auditoire à la télévision. Ce soir, nous poursuivons notre étude du projet de loi C-20, Loi donnant effet à l'exigence de clarté formulée par la Cour suprême du Canada dans son avis sur le Renvoi sur la sécession du Québec.

[Français]

Ce projet de loi a été adopté par la Chambre des communes le 15 mars 2000 et a été lu au Sénat pour la première fois le 21 mars. Il a ensuite été lu une deuxième fois le 18 mai, ce qui veut dire que le Sénat a approuvé le principe du projet de loi. Le projet de loi C-20 a ensuite été déféré à ce comité spécial pour qu'il en fasse une étude approfondie.

[Traduction]

Nous avons entrepris cette étude plus tôt dans la journée, lorsque le comité a reçu l'honorable Stéphane Dion, président du Conseil privé de la Reine pour le Canada et ministre des Affaires intergouvernementales.

Ce soir, nous recevons deux autres témoins; pour commencer, M. Patrick J. Monahan, professeur à la Faculté de droit Osgoode Hall, après quoi nous entendrons M. Patrice Garant, professeur de droit à l'université Laval. Nous allons commencer par M. Monahan, qui va nous faire une déclaration d'ouverture, après quoi les sénateurs lui poseront des questions.

Monsieur Monahan, vous êtes le bienvenu; vous avez la parole.

M. Patrick J. Monahan, professeur de droit, Faculté de droit Osgoode Hall de l'université York: Madame la présidente, j'ai déjà comparu à plusieurs reprises devant votre comité, et chaque fois j'ai trouvé la discussion avec les sénateurs particulièrement intéressante.

Je n'ai pas préparé de mémoire écrit, car j'avais déjà plusieurs projets sur lesquels je travaillais. D'autre part, j'ai écrit un très long article sur le projet de loi C-20, un article qui a été publié il y a quelques mois. Toutefois, en préparation de ma visite aujourd'hui, j'ai lu les longs débats qui ont eu lieu au Sénat lors de la seconde lecture du projet de loi, et j'ai été frappé par la nature des arguments avancés. Pour commencer, comme chaque fois que je lis les Débats du Sénat, j'ai été frappé par le fait que les sénateurs abordent ces questions sur le plan des principes. J'ai pu constater qu'on respectait beaucoup les opinions divergentes et également que les sénateurs avaient soulevé beaucoup d'arguments nouveaux, des arguments qui n'avaient pas été invoqués lors des discussions à la Chambre.

Après avoir lu ces arguments, après y avoir réfléchi, j'ai essayé d'écrire quelque chose, et j'ai donc rédigé ce texte hier soir; il est plus long que je ne le pensais. En fait, j'ai fini par rédiger environ six pages. Je ne vous les lirai pas, mais je vais résumer ma position. Après nous pourrons en discuter. Je me suis intéressé plus particulièrement aux opinions des sénateurs, et surtout aux arguments différents de ceux qui avaient été avancés à la Chambre. J'ai eu l'occasion de comparaître devant un comité de la Chambre des communes, mais je ne reviendrai pas sur ce témoignage, sinon pour proposer à nouveau un amendement que j'ai déjà proposé à la Chambre, mais qui n'a pas été retenu.

Ma première proposition, c'est que le projet de loi C-20 est une législation constitutionnellement valide. Je ne pense pas qu'on ait parlé de cet aspect-là à la Chambre des communes, mais j'ai lu plusieurs choses à ce sujet dans les Débats du Sénat, où on trouve plusieurs arguments intéressants en ce qui concerne la validité constitutionnelle du projet de loi C-20.

Toutefois, à mon avis les arguments contre la validité constitutionnelle du projet de loi C-20 ne sont pas justifiés.

Personnellement, je suis pratiquement certain de la validité constitutionnelle du projet de loi C-20 et je fonde cette assurance sur deux raisons différentes qui, toutes deux, confirment cette validité. En effet, il n'est pas nécessaire de choisir l'une ou l'autre raison pour valider le projet de loi C-20, puisque l'une ou l'autre serait suffisante. La première, c'est l'article 44 de la Loi constitutionnelle de 1982, qui permet expressément au Parlement du Canada de légiférer pour modifier les dispositions de la Constitution du Canada relatives au pouvoir exécutif fédéral: la Chambre des communes et le Sénat du Canada. Or, c'est précisément l'effet du projet de loi C-20.

Pour commencer, le projet de loi C-20 limite de façon obligatoire la prérogative de l'État d'entamer des négociations constitutionnelles en vue d'une sécession. Ce projet de loi posera, en droit, que l'État ne peut pas entamer des négociations en l'absence de certaines conditions préalables, c'est-à-dire que toute province cherchant à se séparer du reste du Canada doit d'abord poser à sa population une question référendaire claire. Deuxièmement, une majorité claire de cette population doit se prononcer en faveur de la sécession, ce qui signifie qu'elle doit exprimer clairement sa volonté de ne pas continuer à faire partie du Canada. Si ces conditions ne sont pas remplies, ce projet de loi empêche l'État d'amorcer des négociations constitutionnelles.

Comme vous le savez, l'opinion du Parlement lie l'État.

Le sénateur Murray: L'opinion de la Chambre des communes, monsieur Monahan.

Le sénateur Cools: C'est exact.

M. Monahan: Le sénateur Murray attend la période des questions avec impatience, et je ne doute pas qu'il soulève ces questions. Honorables sénateurs, ce qu'on nous propose ici, c'est un projet de loi, et je reviendrai dans un instant sur le rôle de la Chambre des communes.

En effet, c'est ma troisième observation. Le projet de loi C-20 pose certaines conditions qui doivent être remplies. Si ces conditions ne sont pas remplies, l'État ne peut pas entreprendre ces négociations. Comme je l'ai expliqué, cette disposition est valide, car elle est prévue par l'article 44 de la Loi constitutionnelle de 1982. D'autre part, elle est valide également aux termes du préambule de l'article 91 de la Loi constitutionnelle de 1867. Ce préambule à l'article, que l'on appelle l'article sur la paix, l'ordre et le bon gouvernement, donne au Parlement le pouvoir d'adopter des lois dans tous les domaines qui ne relèvent pas exclusivement de la compétence des provinces. J'en déduis, et cela ne fait pas le moindre doute, qu'aucune province ne pourrait adopter une loi interdisant à la Couronne aux droits du Canada, c'est-à-dire le gouvernement exécutif du Canada, d'entreprendre des négociations sur la sécession d'une province.

Puisque cette proposition ne peut pas susciter le moindre doute, il en découle inexorablement, sénateurs, que le Parlement du Canada doit avoir la possibilité d'adopter une telle loi, car la répartition des pouvoirs entre les provinces et le Parlement du Canada qui est énoncée dans les articles 91 et 92 est exhaustive. C'est un domaine où il n'y a ni vide, ni lacune sur le plan de la compétence constitutionnelle. Par conséquent, si les provinces ne peuvent adopter une telle loi, le Parlement doit forcément pouvoir le faire. Voilà donc la deuxième justification possible.

Ainsi, même si nous n'avions pas l'énoncé de l'article 44 de la Loi constitutionnelle de 1982, le projet de loi serait tout de même valide à cause du préambule de l'article 91.

Toutefois, certains sénateurs ont prétendu qu'en dépit de ces deux raisons qui, à mon sens, confirment la validité du projet de loi C-20, le projet de loi n'est pas valide, car il va à l'encontre du principe de l'indivisibilité du Canada. Ce principe découle du préambule de la Loi constitutionnelle de 1867, qui prévoit, comme je l'ai dit au paragraphe 2.5, à la page 2 de mon texte, que certaines provinces souhaitent «s'unir en fédération pour former un seul et même dominion sous la Couronne[...] avec une constitution semblable dans son principe à celle du Royaume-Uni».

Certains prétendent que cela suppose un principe tacite selon lequel le système fédéral au Canada, ou le fédéralisme canadien, est indivisible, comme c'est le cas aux États-Unis et au Mexique.

Honorables sénateurs, c'est avec beaucoup de respect pour ces opinions qui ont été énoncées avec beaucoup d'éloquence que, sur la base de mon interprétation des débats que j'ai lus, je conteste cette opinion. Si je conteste cette opinion, c'est parce qu'historiquement le Parlement du Royaume-Uni a conservé son pouvoir légal illimité d'amender la Constitution du Canada, et qu'il aurait pu amender le système fédéral du Canada comme il l'entendait.

Quoi qu'il en soit, depuis 1982 le Canada est entièrement autonome, comme la Cour suprême du Canada vient de le confirmer dans son avis sur le Renvoi sur la sécession du Québec.

Cela signifie qu'il n'y a pas de modification constitutionnelle que les institutions politiques canadiennes ne peuvent pas adopter, y compris une modification prévoyant la sécession d'une province du Canada. C'est d'ailleurs ce que la Cour suprême du Canada a expressément énoncé dans les paragraphes 84 et 85 de son arrêt.

C'est aussi la position qu'ont défendue tous les intervenants devant la Cour suprême du Canada, et notamment le gouvernement du Canada. Quatorze intervenants représentant des groupes de Canadiens ou des particuliers de tous les milieux ont présenté leur position devant la Cour suprême du Canada. J'ai moi-même défendu cette position avec M. Guy Bertrand, de la province de Québec.

Même si la Cour suprême du Canada n'avait pas déjà tranché la question, même s'il continuait d'exister certains doutes quant à la divisibilité du Canada, je suis d'avis, sénateurs, que c'est la position que le Canada devrait adopter, non pas parce que nous voulons que le pays soit divisé, mais parce que c'est la façon de l'éviter. Nous sommes fiers d'appartenir à ce pays, mais personne ne doit être contraint par la force d'y appartenir ou être empêché de le quitter. Il faut être Canadien par choix. Le choix de la population est respecté au Canada, contrairement à ce qui se passe dans d'autres pays. La tradition veut que les choses se passent ainsi dans notre pays, et c'est une tradition dont le Parlement devrait assurer le maintien en adoptant le projet de loi C-20.

Qu'en est-il des rôles respectifs du Sénat et de la Chambre des communes? C'est la question que posait le sénateur Murray. C'est la question sur laquelle porte le débat au Sénat. J'ai lu attentivement les arguments qu'ont fait valoir de façon très éloquente les sénateurs.

Je comprends que certains sénateurs se demandent s'il convient que le projet de loi C-20 confère un droit de regard à la seule Chambre des communes. Dans ce cas-ci aussi, honorables sénateurs, je conclus que c'est ce qu'il convenait de faire.

J'expose à la page trois, au paragraphe 3.1, les arguments qui m'ont amené à prendre cette position. Permettez-moi de vous les résumer. Que le projet de loi C-20 soit adopté ou non, le pouvoir exécutif pourrait, comme il a toujours pu le faire, entamer des négociations constitutionnelles de son propre chef. Il ne lui serait pas nécessaire d'obtenir la permission du Sénat ou de la Chambre des communes pour le faire. La Couronne, c'est-à-dire les membres du conseil exécutif, ont le pouvoir discrétionnaire voulu à cette fin.

Ce que le projet de loi propose est donc de restreindre ce pouvoir discrétionnaire en précisant les conditions qui doivent être respectées pour entamer de telles négociations. J'expose, honorables sénateurs, dans les paragraphes 3.4 et 3.5, à la page 4 de mon mémoire, que le projet de loi pouvait imposer certaines conditions à la Couronne sans qu'il soit nécessaire que la Chambre des communes ou le Sénat se prononce sur la clarté de la question ou sur la clarté de la majorité. Je vous renvoie à un article à ce sujet dont je suis l'auteur. Je ne fais allusion à cet article que parce que je n'ai pas eu le temps hier soir de faire beaucoup de recherche en prévision de ma comparution. Dans l'article que j'ai écrit en 1996, c'est exactement le modèle que je proposais. J'énonçais dans cet article que le gouvernement n'aurait qu'à préciser que la question était claire et que la majorité était claire.

Cela aurait été possible. La Constitution ne s'y oppose pas. Le gouvernement n'aurait eu qu'à dire: «Nous déclarons par les présentes», et il aurait été possible de prévoir dans la loi des conditions en vertu desquelles une telle déclaration pourrait être faite.

Ce n'est pas l'approche que propose le projet de loi C-20, qui va beaucoup plus loin. Aux termes du projet de loi, non seulement le gouvernement doit se prononcer sur la clarté de la question et de la majorité, mais la Chambre des communes doit aussi le faire, et sa position sur le sujet liera le gouvernement. La première question qui se pose est la suivante: est-il possible pour le Parlement de faire cela? C'est le Parlement qui légifère. La seconde question est celle-ci: est-il souhaitable que le Parlement le fasse?

J'aborde ces questions aux paragraphes 3.7 et 3.8 de mon mémoire. Je soutiens qu'il n'y a pas de raison juridique qui empêche le Parlement de prévoir un rôle pour la Chambre des communes, et non pas pour le Sénat, dans ce processus, étant donné que la Loi constitutionnelle de 1982 attribue déjà des rôles différents au Sénat et à la Chambre des communes dans le processus de modification constitutionnelle. Il n'existe pas de principe en vertu duquel le Sénat et la Chambre des communes doivent toujours jouer un rôle identique.

Deuxièmement, honorables sénateurs, rien ne s'oppose, du point de vue de la politique constitutionnelle, à ce que la Chambre des communes soit la seule institution parlementaire à devoir se prononcer parce que seuls les membres de la Chambre des communes sont élus.

Certains sénateurs soutiennent -- et je comprends leur point de vue -- que cette façon de procéder déprécie le rôle du Sénat parce qu'il n'est pas traité de la même façon que la Chambre des communes. Je vous rétorque, sénateurs, que ni le Sénat ni la Chambre des communes n'ont jamais joué le rôle que prévoit le projet de loi C-20 en imposant des limites à la prérogative de la Couronne. Par conséquent, je ne pense pas que le projet de loi porte atteinte aux prérogatives, privilèges ou pouvoirs du Sénat. Je ne pense pas non plus qu'en adoptant le projet de loi C-20 vous manqueriez de respect envers l'institution et ses traditions. Je vous recommande donc, sénateurs, d'adopter le projet de loi C-20 sous sa forme actuelle.

J'ai proposé un amendement portant sur la clarté de la majorité. Je ne m'étendrai pas longuement sur cet amendement, mais je pourrai répondre à vos questions si vous le souhaitez. Il n'en a pas été question dans les Débats du Sénat. Je vous signale cet amendement parce que, si vous devez examiner des amendements, aussi bien examiner le mien.

Le sénateur Grafstein: Très bien. Le ministre a dit qu'il était prêt à envisager l'adoption d'amendements.

M. Monahan: Si le ministre est prêt à envisager des amendements, je vous soumets cet amendement, que je pense être très important. Si vous me le permettez, je vous l'exposerai brièvement. S'il y a un autre référendum, d'énormes pressions s'exerceront sur les membres du gouvernement et sur tous les députés pour les amener à prendre position dans un sens ou dans l'autre. Le projet de loi est très important, honorables sénateurs, parce qu'il permet au Parlement du Canada, non pas à la Chambre des communes, mais au Parlement lui-même, d'établir certaines conditions devant être respectées avant que le gouvernement puisse entamer des négociations sur la sécession d'une province du Canada. Je me permets de signaler à M. Dion -- que je félicite, ainsi que le premier ministre, d'avoir présenté ce projet de loi -- que le projet de loi présente malheureusement une lacune dans la mesure où il ne précise pas comment on établira si une majorité est claire. Il précise cependant certains facteurs dont le gouvernement doit tenir compte. Il n'énonce pas cependant qu'une majorité claire constitue 50 p. 100 des voix valides plus une.

Je propose donc un amendement qui, un peu comme le prévoit l'article 1 du projet de loi, préciserait le seuil minimal pouvant être considéré comme une majorité claire. Ce seuil serait la majorité des électeurs admissibles, un seuil que M. Claude Ryan a jugé acceptable dans ce contexte, comme il l'a affirmé devant le comité de la Chambre des communes qui étudiait la question.

Voilà mes observations générales, honorables sénateurs. Je me ferai un plaisir d'en discuter avec vous.

Le sénateur Murray: Je ne poursuivrai pas sur la question de l'article 44, mais je suis sûr que d'autres ici présents qui s'y connaissent mieux que moi souhaiteront le faire.

Ce que vous avez dit au sujet du projet de loi C-20, c'est qu'il établit une loi modifiant la Constitution du Canada relativement au gouvernement exécutif du Canada ou au Sénat ou à la Chambre des communes. J'ignore s'il a été présenté sous cette égide ou s'il s'appuie sur un processus, un raisonnement, une justification ou une base particulière. Je laisserai aussi à d'autres le soin d'examiner de façon détaillée si le projet de loi n'influe pas sur les pouvoirs du Sénat prévus à l'alinéa 41(1)b). Monsieur, avez-vous eu l'occasion d'entendre M. Dion cet après-midi?

M. Monahan: Je n'ai pas entendu le ministre. J'ai toutefois eu l'occasion d'examiner ses remarques, qui ont été affichées sur Internet. J'ai lu son mémoire écrit.

Le sénateur Murray: Nous avons eu un après-midi très intéressant. J'aimerais simplement avoir vos commentaires sur ce que M. Dion appelle l'importance légale de l'opinion de la Cour.

Vous êtes au courant de cette question, étant donné que vous l'avez longuement commentée dans l'article que vous avez rédigé en novembre 1999, après que la cour eut rendu public son avis consultatif, mais avant que le projet de loi soit présenté, et vous avez commenté cette question à nouveau après la présentation du projet de loi. Comme vous le savez, les obligations désignées par la cour sont des obligations exécutoires en vertu de la Constitution.

Je tiens également à répéter, et vous ne voudrez peut-être pas faire de commentaire à ce sujet, ce que le très honorable Antonio Lamer a déclaré dans une entrevue qu'il a donnée au quotidien Le Devoir lorsqu'il a pris sa retraite comme juge en chef. Il a dit:

[Français]

Le renvoi sur la sécession du Québec, comme tous les renvois, n'est qu'une opinion. Ni le Québec ni le restant du Canada n'est obligé de suivre notre opinion.

[Traduction]

Cependant, M. Dion a dit aujourd'hui une chose que selon moi il n'avais jamais dite et qu'aucun membre du gouvernement n'avait jamais dite auparavant, du moins pas à ma connaissance, à savoir qu'il considère qu'ils sont liés par cet avis consultatif, de même que le sont toutes les provinces. L'une des sources qu'ils ont citées à cet égard est nulle autre que vous.

Ma question est la suivante: compte tenu du fait que l'on convient que cet avis a force exécutive, qu'est-ce que cela suppose, compte tenu de certaines des questions que vous avez mises en lumière dans votre analyse de l'avis de la Cour suprême du Canada? Par exemple, vous avez fait remarquer que la cour comble les soi-disant «lacunes» de la Constitution, qui ne sont pas vraiment des lacunes en fait, mais plutôt simplement des questions sur lesquelles la Constitution est muette. La cour comble donc ces lacunes par des principes tacites qui ont force exécutoire. Vous indiquez que la cour a décidé d'établir un équilibre parmi ces principes, un exercice que vous considérez comme incompatible avec la fonction judiciaire.

Nous en arrivons ensuite à la question de savoir si une expression claire de la volonté des Québécois, disons impose au gouvernement fédéral et aux autres provinces le devoir légal et constitutionnel de négocier. Vous posez avec raison la question suivante: s'il s'agit d'une obligation légale, comment alors en assure-t-on l'exécution? Quel est le recours légal à cet égard?

Je reviens sans cesse sur le fait que certains d'entre nous ici présents se sont prononcés sur cette formule d'amendement en 1982. Certains d'entre nous faisaient partie du comité mixte, et cetera. Nous considérons que si les gouvernements, les premiers ministres et le Parlement avaient voulu inscrire dans la Constitution une obligation selon laquelle tous les intervenants seraient tenus d'être présents à la table si l'un d'entre eux lançait une initiative de modification de la Constitution, alors nous l'aurions fait. Cela n'a pas été fait. Cependant, la cour déclare maintenant qu'une telle obligation existe.

Plus sérieusement, sur cette question de l'éventualité de la reconnaissance internationale d'une déclaration unilatérale d'indépendance, vous signalez dans votre article de novembre:

Par conséquent, la cour semble approuver tacitement le prononcé d'une déclaration unilatérale d'indépendance illégale par le Québec, tant que cette déclaration unilatérale d'indépendance est considérée comme légitime par la communauté internationale et finit par être reconnue par la communauté internationale.

Enfin, sur la question de la majorité claire, vous dites:

Au lieu de cela, la cour se livre à un exercice strictement législatif où elle conçoit l'obligation constitutionnelle en fonction de sa propre conception de ce qui serait approprié.

La cour a en effet déclaré que l'obligation de négocier ne peut naître qu'à la suite d'une majorité claire en faveur de la sécession. Bien qu'on puisse applaudir, sur le plan politique, l'exigence voulant que «les résultats d'un référendum [...] doivent être dénués de toute ambiguïté en ce qui concerne tant la question posée que l'appui reçu», il n'existe certainement aucun fondement pour prétendre qu'une telle exigence faisait partie de la Constitution telle qu'elle existait avant le 20 août 1998.

Peut-être que le 20 août 1998 le gouvernement a fait de l'avis de la Cour suprême un élément de la Constitution. Je dirais que le gouvernement aggrave le problème en acceptant, comme le ministre l'a fait cet après-midi, que cet avis nous lie, et l'aggrave encore davantage en adoptant une loi à cet égard. Je vous invite à commenter là-dessus.

Le sénateur Cools: Madame la présidente, le sénateur Murray a cité un document. Nous pourrions peut-être en avoir des exemplaires, ou du moins en verser le titre au compte rendu.

Le sénateur Murray: J'ai cité un article qui a paru dans le National Journal of Constitutional Law, de novembre 1999. Il s'agissait d'un article intitulé: «The Public Policy Role of the Supreme Court of Canada in the Secession Reference». J'ai fait également allusion à un autre article de l'Institut C.D. Howe.

La présidente: Le sénateur Murray pourrait peut-être fournir ces documents au personnel du comité.

M. Monahan: Lorsque j'ai commencé ma carrière de professeur de droit, l'un de mes professeurs de droit m'a dit que 3,1 personnes lisaient en moyenne des revues de droit. Je trouve donc encourageant de rencontrer l'une des trois personnes qui ont lu cet article dans le National Journal of Constitutional Law.

Le sénateur Murray: Je l'ai lu uniquement parce qu'il figurait dans la note de bas de page du mémoire que vous nous avez remis.

M. Monahan: C'est la raison pour laquelle nous le faisons.

Le sénateur Grafstein: Nous le lisons tous.

M. Monahan: En tant que professeurs de droit et juristes, nous sommes libres de critiquer la Cour suprême du Canada, et c'est d'ailleurs notre devoir de le faire. Il est important d'avoir des critiques constructives des jugements rendus par nos tribunaux. Cependant, cela ne signifie pas, sénateur, que nous ignorons certains jugements ou que nous n'acceptons que les jugements avec lesquels nous sommes d'accord.

Je mentionne la date du 20 août 1998 parce qu'il ne fait aucun doute que depuis le 20 août 1998 cela fait partie de notre Constitution parce que la Cour suprême du Canada a reconnu que c'était le cas.

Qu'est-ce qu'un avis consultatif, sénateur? Un avis consultatif est une déclaration faite par la Cour suprême du Canada dans laquelle elle expose ses vues du droit. Par conséquent, cela s'apparente davantage à un avis que l'on pourrait obtenir d'un avocat. On pourrait faire appel à un avocat pour fournir un avis juridique. Les honorables sénateurs ont l'avis de la Cour suprême du Canada. Cet avis se trouvera tout d'abord à lier les tribunaux, les autres tribunaux, et les gouvernements du pays ont toujours accepté qu'ils étaient liés par cet avis.

Il ne faut pas oublier que jusqu'en 1949 le plus haut tribunal en droit canadien était le comité judiciaire du Conseil privé, et non pas une cour de justice, qui donnait des conseils au souverain en Grande-Bretagne.

Est-ce que nous partirions du principe, sénateur, que jusqu'en 1949 aucun de ces jugements n'était exécutoire? Est-ce la position que nous adopterions? Non. Nous sommes toujours partis du principe que les avis consultatifs lient les gouvernements. Cela ne signifie pas que par la suite les tribunaux ne peuvent pas s'en écarter.

Prenons un autre exemple. En 1983, la Cour suprême du Canada a déclaré, dans un avis consultatif, que la Constitution du Canada de la Loi constitutionnelle de 1982 liait le gouvernement du Québec. Est-ce que nous dirions: «Eh bien, cet avis n'a pas force exécutoire?» Si nous faisions partie du gouvernement du Québec, dirions-nous: «Est-ce la position que cette instance souhaite adopter aujourd'hui?» Cela voudrait dire que le gouvernement du Québec pourrait tout aussi bien dire: «Nous ne sommes pas d'accord avec cet avis, nous ne le considérons pas comme fondé, et par conséquent nous n'avons pas à l'accepter.» Je considère, sénateur, que ce n'est pas la voie dans laquelle nous voulons nous engager. Cela est contraire aux traditions qui existent dans notre pays depuis 1867.

Je ne vois rien de remarquable ou de nouveau dans la déclaration que le ministre nous a faite aujourd'hui. Je m'attendais à ce qu'il reconnaisse le caractère exécutoire de cet avis. On ne peut pas demander l'avis de la Cour suprême et dire ensuite: «Je ne suis pas d'accord; je ne vais donc pas en tenir compte.»

Nous devons accepter ce qui constitue maintenant la loi. J'ai également fait valoir dans cet article que nous devions clarifier ce que l'on entend par «majorité claire» et «question claire», étant donné que la Cour suprême du Canada ne l'a pas précisé. Elle a dit que les acteurs politiques, y compris ce corps législatif-ci, avaient l'obligation d'examiner ce genre de mesure et de voter pour clarifier les expressions «majorité claire» et «question claire».

Le sénateur Kroft: Je voudrais revenir sur la question de la divisibilité. Le comité commence seulement ses travaux. Lorsqu'on lance une entreprise, quelle qu'elle soit, il est important d'avoir la bonne terminologie. Rien ne nous égarerait davantage que l'absence de clarté quant à la signification des mots.

J'ai entendu deux interprétations totalement différentes du mot «divisible» ou plus souvent «indivisible». Pour moi, le terme «divisible» a un caractère absolu. Si une chose est indivisible, elle est indivisible. La seule solution serait de forcer la division par des moyens extra-juridiques ou extra-constitutionnels. Selon moi, l'indivisibilité signifie que le seul recours est la force. D'un autre côté, le concept d'indivisibilité le plus souvent utilisé, comme nous l'avons entendu et comme l'indique la lecture des Débats du Sénat, que vous dites avoir lus, suggère simplement l'existence d'un seuil plus élevé et plus exigeant.

Nous avons entendu des mots comme «supernational» ou «extraordinaire». Il semble que certaines catégories d'amendements ne peuvent être apportés que selon des exigences extraordinairement élevées. Mon collègue, le sénateur Joyal, a parlé d'un référendum national. Je me demande si une chose indivisible est vraiment indivisible ou si elle est seulement plus difficile à diviser.

Il m'est plus difficile de demander cet éclaircissement du fait que vous avez plus ou moins rejeté la question dès le départ, mais soyez patient avec moi, car je crois que c'est une question que nous allons continuer à nous poser un certain temps. J'aimerais que vous me disiez ce que vous en pensez.

M. Monahan: Sénateur Kroft, vous me semblez avoir l'esprit pratique. Vous soulignez un principe évident, à savoir que, quoi qu'en dise la loi, rien n'est indivisible. Autrement dit, même si la Constitution déclare que c'est indivisible, rien n'empêche quelqu'un de procéder un jour à une division, même au moyen d'une modification constitutionnelle. Nous pourrions modifier une disposition nous déclarant indivisibles; ou même si nous avions une disposition nous interdisant de modifier la disposition qui nous déclare indivisibles, nous pourrions la changer. Autrement dit, on ne peut se placer dans une situation où la division n'est jamais possible.

Plus sérieusement, on a fait valoir au Sénat que la sécession présente un caractère particulier qui la place en dehors des questions pouvant faire normalement l'objet d'une modification constitutionnelle. Bien que ni les intervenants ni le gouvernement du Canada n'aient adopté cette position, on la retrouve dans plusieurs articles qui ont été soumis à la Cour suprême du Canada. La Cour suprême connaissait l'existence de ces articles et s'y est reportée. C'est ce qui a occasionné les arguments invoqués par la cour aux paragraphes 84 et 85. Au paragraphe 85, la Cour suprême déclare ceci:

La Constitution est l'expression de la souveraineté de la population du Canada. La population du Canada, agissant par l'intermédiaire des divers gouvernements dûment élus et reconnus en vertu de la Constitution, détient le pouvoir de mettre en oeuvre tous les arrangements constitutionnels souhaités dans les limites du territoire canadien, y compris, si elle était souhaitée, la sécession du Québec du Canada.

Indubitablement, la Cour suprême a rejeté cet argument.

Le sénateur Joyal: Ce n'est pas ce qu'elle dit.

M. Monahan: Selon moi, la Cour suprême a rejeté cet argument. J'irais même plus loin, sénateur, en disant que même si elle ne l'avait pas rejeté -- alors qu'il est évident qu'elle l'a fait -- nous devrions le rejeter parce que notre pays l'a rejeté.

Le sénateur Joyal: Quand?

M. Monahan: Notre pays a dit, et nous devrions dire, que nous sommes une fédération volontaire.

Le sénateur Joyal: Nous sommes une fédération légale.

M. Monahan: Selon moi, c'est sur cette base que nous devrions poursuivre le débat.

Le sénateur Grafstein: Il s'agit d'un mariage librement consenti?

La présidente: Sénateur Grafstein, pourriez-vous, s'il vous plaît, laisser le témoin terminer sa réponse?

M. Monahan: Oui. Selon moi, ce qui distingue le Canada et en fait un grand pays, c'est que les Canadiens respectent volontairement la Constitution.

Le sénateur Taylor: C'est politique, et non pas constitutionnel.

M. Monahan: Bien sûr que c'est politique. C'est une question de politique constitutionnelle.

Je vous ai dit tout à l'heure que j'avais travaillé avec Guy Bertrand au Renvoi sur la sécession du Québec. Comme vous le savez, Guy Bertrand est un ancien séparatiste qui s'efforçait de détruire le Canada. Je lui ai demandé pourquoi il avait changé d'avis. Il m'a dit que c'était parce que, au Canada, nous pourrions avoir un chef de l'opposition déterminé à assurer la sécession d'une partie du Canada. Il estime que c'est une particularité remarquable qui fait du Canada un pays dont on a envie de faire partie. Vous pourriez répondre: «Peu m'importe. Ce n'est pas un argument juridique. Quel tribunal l'accepterait?» En fait, la Cour suprême du Canada l'a fait au paragraphe 85. Je vous dis, honorables sénateurs, que c'est là un message positif qui n'incite pas à la division, mais qui incite plutôt à rester au sein du Canada.

Le sénateur Beaudoin: Ma question porte sur le pouvoir législatif. En droit constitutionnel, nous ne prêtons pas suffisamment attention au fait qu'un projet de loi doit respecter le bicaméralisme de notre pays. Lorsque nous parlons de droit constitutionnel, nous pensons instinctivement au partage des pouvoirs et, depuis 1982, à la Charte des droits. Il y a un autre pouvoir régi par la Constitution, le pouvoir législatif. En vertu de l'article 17 de la Constitution, ce pouvoir est divisé en deux branches. Sauf en cas de modification de la Constitution, les deux Chambres sont égales. Nulle part il n'est dit que l'une domine l'autre. Lorsque nous avons modifié la Constitution en 1982, c'est-à-dire lorsque nous avons dit que le Sénat n'avait qu'un veto suspensif, nous l'avons fait en modifiant la Constitution. Le projet de loi C-20 n'est pas une modification constitutionnelle. Ce n'est pas son objectif. S'il le faisait, il serait ultra vires dès le départ, car une simple loi dans le domaine législatif ne peut pas modifier la Constitution.

Pourquoi ne suivons-nous pas le principe de l'égalité des deux Chambres dans un domaine purement législatif? Vous direz peut-être qu'il existe des précédents. Cela se peut, mais cela ne veut pas nécessairement dire que nous avions raison en établissant ce précédent. Alors que l'histoire du Canada est en jeu, dire que le Sénat n'a aucun rôle à jouer, contrairement au processus législatif de la Chambre des communes, et procéder au moyen d'une simple loi -- je n'emploie pas le mot «inconstitutionnelle», car cela fera l'objet d'un long débat -- cela est contraire au principe fondamental du bicaméralisme inscrit dans la Constitution du Canada.

M. Monahan: Sénateur, je serais certainement d'accord avec vous si l'on envisageait ici d'établir un pouvoir de légiférer ou d'adopter une loi sans le Sénat.

Je commencerai par cette proposition: supposons que nous n'ayons pas le projet de loi C-20? Quelle serait alors la situation juridique? Le gouvernement déterminerait lui-même si la question est claire et si la majorité est claire, car c'est ce que la Cour suprême du Canada a dit qu'il devait faire. Si le gouvernement désire présenter une mesure disant: «Nous ne voulons pas laisser cette décision au gouvernement. Nous voulons un débat ouvert et nous voulons qu'une décision soit prise, pas seulement par le gouvernement, mais par une entité plus vaste, c'est-à-dire une ou deux des chambres législatives du Parlement», peut-on dire que nous choisirons l'une, mais pas l'autre, ou que nous devrons automatiquement choisir les deux? Autrement dit, nous pourrions n'avoir ni l'une ni l'autre.

En l'absence du projet de loi C-20, le Sénat ne tirerait aucune conclusion, pas plus que la Chambre des communes. Il faut se demander s'il est possible de faire intervenir seulement l'une des Chambres ou, si l'une intervient, s'il faut automatiquement et inexorablement se tourner vers les deux. Le gouvernement aurait pu dire: «Nous voulons les deux.» En pareil cas, il serait difficile d'appliquer le bicaméralisme. Je ne prétends pas que ce soit impossible, mais ce serait difficile et compliqué. Étant donné que la Chambre des communes est le seul corps législatif élu, il me semble normal de lui confier ce rôle plutôt qu'au Sénat. Je comprends toutefois la question que vous soulevez, sénateur.

Le sénateur Beaudoin: Je suis d'accord avec vous quand vous dites que le gouvernement aurait pu se passer entièrement de consulter les deux Chambres. C'est la prérogative du pouvoir exécutif. Je n'y vois pas d'objection. Néanmoins, dès qu'il a choisi la voie législative, il doit obéir...

Le sénateur Taylor: Exactement!

Le sénateur Beaudoin: ... aux paramètres des pouvoirs législatifs. Pourquoi choisir l'une des deux Chambres? C'est les deux ou aucune.

M. Monahan: Je ne comprends pas la logique de votre raisonnement, sénateur. Je ne pense pas que ce soit obligatoire. Il est possible de dire que la Chambre des communes rendra une décision exécutoire.

Permettez-moi de vous présenter les choses ainsi, sénateur: en tant que Canadien, je ne serais pas d'accord pour que la Chambre des communes soit soumise au veto ou à la domination du Sénat pour ce genre de questions. Autrement dit, si vous dites que nous devons suivre le même modèle que pour l'adoption d'une loi, cela signifie que le Sénat aurait un pouvoir de veto. J'estime que ce n'est pas acceptable dans ce contexte. C'est inacceptable parce qu'il s'agit d'une question d'une importance fondamentale pour la continuité du Canada. Malgré tout le respect que j'ai pour les honorables sénateurs réunis autour de cette table, c'est à la Chambre des communes qu'il revient de rendre une décision exécutoire.

Même si nous estimons que le Sénat a un rôle à jouer, ce rôle doit être secondaire. D'autres que moi seront peut-être d'un autre avis. Je constate que les sénateurs semblent y voir des objections.

Le sénateur Beaudoin: Pour ce qui est des modifications constitutionnelles, vous avez parfaitement raison, mais nous ne sommes pas dans le domaine des modifications constitutionnelles. Le problème est là. Quoi qu'il en soit, cela me plaît quand même.

[Français]

Le sénateur Hervieux-Payette: Pour notre bénéfice et celui de tous les Canadiens qui s'intéressent à la question, j'aimerais revenir à vos commentaires sur l'article 44 traitant des modifications constitutionnelles. Cet article n'existait pas avant 1982 et il a créé un vide constitutionnel pendant des années.

Nous avons posé la question au ministre des Affaires intergouvernementales. Dans l'éventualité où la question référendaire serait claire, où le résultat serait clair et où les négociations fonctionneraient, arriverions-nous à un amendement constitutionnel?

Avec cet amendement constitutionnel, nous nous retrouvons encore face à un vide juridique. Doit-il y avoir unanimité ou est-ce que l'amendement constitutionnel doit être fait strictement à notre niveau? Étant donné que nous n'entrons pas dans les dispositions de l'article 42 ou de l'article 41, l'article 38 s'applique.

Vous êtes professeur de droit. Selon vous, existe-t-il une convention antérieure stipulant qu'il doit y avoir unanimité? Si on se trouve dans le camp séparatiste, on se dit qu'il serait impossible d'avoir l'unanimité. En politique, il est très rare d'avoir l'unanimité.

Je considère le tout dans la perspective d'une déclaration unilatérale. Si un gouvernement sent qu'il se trouve dans un cul-de-sac, voit qu'il n'aboutira à rien, pourquoi commencer les négociations de bonne foi? Je tente de mettre en relief ce vers quoi nous nous dirigeons si nous entreprennons ce processus.

[Traduction]

M. Monahan: Même s'il a été ajouté en 1982, l'article 44 maintenait ou entérinait une disposition qui existait depuis 1949, l'article 91(1). Cette disposition portait que le Parlement du Canada pouvait modifier la Constitution en ce qui concerne le pouvoir exécutif, le Sénat et la Chambre des communes, du moment que ce n'était pas en rapport avec les pouvoirs conférés aux provinces à l'article 92. Ce pouvoir existe depuis de nombreuses années et a été utilisé à plusieurs reprises.

L'article 91(1) a aussi été utilisé depuis 1982, soit dit en passant, à l'égard d'autres lois qui ont été adoptées. Ainsi, les lois sur la représentation ont été promulguées par le Parlement du Canada en vertu de l'article 44.

Vous avez demandé ce qu'il en était de la modification qui serait nécessaire pour que la sécession puisse avoir lieu. Quelle formule de modification s'appliquerait? La Cour suprême du Canada a refusé d'émettre un avis sur la question. Elle a suivi ainsi la ligne de conduite que lui avait recommandée le gouvernement, même si certains des intervenants ont exprimé un avis sur le sujet.

Pour ma part, je suis d'avis que la formule de modification serait celle qui se trouve à l'article 41, car il s'agirait d'une modification qui viserait presque toutes les questions relevant de l'article 41. Je ne crois pas toutefois que, sur le plan pratique, il y ait vraiment une différence importante entre l'article 38 et l'article 41 en cas de sécession, car tout dépendra du consensus qui pourrait se dégager ou ne pas se dégager en faveur d'un accord acceptable.

Si le consensus entre les provinces était tel que sept provinces représentant 50 p. 100 de la population donnaient leur accord, j'estime que le consensus aurait ainsi un poids énorme. Étant donné l'incertitude que susciteraient la sécession et la menace éventuelle d'une déclaration d'indépendance unilatérale et, sur le plan pratique, une fois atteint le seuil fixé à l'article 38, il ne faudrait pas grand-chose pour qu'on puisse ensuite invoquer l'article 41.

Ce qu'il faudrait dans tous les cas, c'est un large consensus. Si nous avons ce consensus, il n'y aura pas beaucoup de différence, que nous invoquions l'article 38 ou l'article 41. Si nous avons ce consensus, la modification sera acceptée. Si nous ne l'avons pas, la modification constitutionnelle ne sera pas acceptée.

[Français]

Le sénateur Hervieux-Payette: S'il y avait une loi pour amender la Constitution à la Chambre des communes, cette loi se retrouverait au Sénat. Le rôle joué par la Chambre des communes est différent de celui du Sénat. D'une part, la Chambre des communes a le dernier mot sur cette question. D'autre part, le Sénat peut examiner la question puisque l'article 47 le stipule. Le Sénat a également un pouvoir suspensif de réflexion et il peut retourner le projet de loi avec des amendements. De son côté, en décidant d'adopter le projet de loi tel quel, la Chambre des communes a le dernier mot. Ai-je bien compris le cheminement de cet amendement constitutionnel?

[Traduction]

M. Monahan: Oui. J'ai lu ce qu'a dit le ministre Dion. C'est ce qu'il a notamment invoqué à l'appui de son affirmation selon laquelle la Chambre des communes est le seul organisme à avoir un droit de veto légitime sur la détermination du gouvernement d'engager des négociations. Je serais d'accord avec lui là-dessus. Il s'agit là d'une considération légitime.

Le sénateur Lynch-Staunton: Dans vos remarques de clôture, monsieur Monahan, vous vous êtes montré assez enthousiaste à l'égard du projet de loi. Vous vous en réjouissiez, si je me souviens bien. J'ai du mal à partager votre enthousiasme, puisque le projet de loi, vous devez en convenir, confère une certaine respectabilité, voire une certaine légalité, à la possibilité d'une sécession.

Le Parlement du Canada est invité à confirmer que la sécession est une possibilité légale à certaines conditions. Seriez-vous d'accord pour dire que ce n'est pas là le rôle du Parlement? Son rôle est de faire tout ce qu'il peut, étant guidé en cela par le gouvernement, pour confirmer l'unité du pays.

M. Monahan: Sénateur, il faut composer avec le contexte dans lequel nous nous trouvons à la lumière de la décision de la Cour suprême du Canada. À mon avis, dans ce contexte, le Canada est effectivement divisible. Ce n'est pas tout; le gouvernement a l'obligation constitutionnelle de négocier la sécession s'il y a obtention d'un mandat clair à partir d'une question claire.

Je soutiens pour ma part, sénateur, qu'il incombe au Parlement du Canada de préciser par une loi ce qui constituerait une question claire et une majorité claire, pour que la décision ne soit pas laissée aux aléas de la politique électorale. Elle ne dépendra pas de la personne qui se trouvera à occuper le poste de premier ministre au moment où se tiendrait un éventuel référendum ni de la répartition des sièges à ce moment-là. Cette loi pourrait fixer certains paramètres. Naturellement, elle pourrait être modifiée. Nous savons cela, mais elle serait là au moins, et il faudrait la modifier si on souhaitait s'écarter de ce qu'elle impose comme conditions.

À mon avis, sénateur, il est absolument essentiel pour l'unité du pays, à la lumière des conclusions de la Cour suprême du Canada, que des paramètres soient fixés pour circonscrire le pouvoir discrétionnaire du gouvernement du Canada d'engager des négociations. En allant devant la Cour suprême du Canada, M. Bertrand souhaitait notamment inciter la cour à déclarer que le gouvernement du Canada a l'obligation de faire respecter la Constitution canadienne, et la Cour suprême a effectivement fait une déclaration en ce sens. Cette déclaration est d'une importance fondamentale, selon moi, puisqu'elle signifie que le gouvernement du Canada est tenu de s'opposer à toute déclaration unilatérale d'indépendance. Le gouvernement du Canada ne peut pas donner son aval à une déclaration unilatérale d'indépendance. C'est là quelque chose de fondamentalement important. Je vois que le sénateur Murray hausse les épaules et estime que cela n'a pas d'importance.

Le sénateur Murray: Je ne pense pas que cela n'a pas d'importance. Je dis plutôt: «Et alors», étant donné ce que vous avez dit au sujet de l'avis consultatif de la Cour suprême du Canada sur la reconnaissance internationale et sur les circonstances dans lesquelles cette reconnaissance pourrait être obtenue.

M. Monahan: C'est précisément ce qui est matière à préoccupation. Si le gouvernement du Canada devait reconnaître la validité d'une déclaration unilatérale d'indépendance, la communauté internationale, ou une bonne part de la communauté internationale, y donnerait sûrement son aval. L'avis émis par la Cour suprême du Canada -- je crois que c'est au paragraphe 69 -- est notamment important parce qu'il précise que le gouvernement du Canada doit faire respecter les droits constitutionnels des Canadiens et qu'il serait inacceptable, contraire à la Constitution, que le gouvernement du Canada accepte une déclaration unilatérale d'indépendance. C'est là une possibilité bien réelle, comme je le souligne dans mon mémoire, et il est important que ce principe soit maintenu.

Le sénateur Lynch-Staunton: Nous n'avions sûrement pas besoin que la Cour suprême nous dise que le Parlement du Canada n'avait pas besoin d'accepter une déclaration unilatérale d'indépendance.

M. Monahan: Non, je veux parler du gouvernement du Canada, monsieur.

Le sénateur Lynch-Staunton: Peu importe. C'est une évidence qui crève les yeux. Ce qu'il y a de tragique dans tout cela, c'est que la Cour suprême est allée bien au-delà de la question qui lui avait été posée. Elle nous a engagés dans une voie dont Dieu seul sait où elle nous mènera, et je ne vois pas en quoi le gouvernement du Canada était tenu de déposer une loi en se fondant sur un avis qui n'est pas exécutoire. Il l'est peut-être selon la tradition et la pratique, mais il ne l'est pas sur le plan juridique. Pourquoi le gouvernement du Canada n'en est-il pas tout simplement resté là et n'a-t-il pas dit: «Merci pour cet avis. Vous êtes allés un peu plus loin que ce à quoi nous nous attendions. C'est très bien de nous avoir indiqué la voie à suivre si jamais nous avons besoin de le faire»? Quel sera l'effet du projet de loi? Il aura pour effet de conférer un statut légal à l'avis de la Cour suprême qui reconnaît la sécession comme étant légitime. Une fois que tout sera fait et que le projet de loi sera adopté, comment pourrons-nous prétendre que le pays n'est plus divisible quand nous nous trouvons à donner notre aval à cette notion de divisibilité?

M. Monahan: C'est ce que dit la loi.

Le sénateur Lynch-Staunton: Permettez-moi de terminer mon intervention. Qu'allons-nous accomplir avec cette loi que les gouvernements antérieurs n'ont pas jugé nécessaire d'adopter? Lors du premier référendum, M. Trudeau a dit: «Je ne suis pas là pour négocier la séparation du pays.» Lors du référendum de 1995, M. Chrétien a dit à peu près la même chose. Il a dit: «Vos questions sont ridicules, farfelues et ambiguës, et je ne suis pas là pour discuter de séparation.»

Tous les gouvernements qui se sont succédé au pays ont eu pour politique de le garder uni. Pour la première fois, on propose une loi qui, si elle est adoptée, conférera une certaine légalité à la possibilité d'une sécession. Je ne vois pas comment quiconque peut accepter cela.

M. Monahan: Sénateur, je ne pense pas que nous soyons vraiment en désaccord, car je crois que vous finiriez par être d'accord avec moi si je pouvais m'entretenir avec vous assez longtemps pour vous convaincre.

Le sénateur Grafstein: Prenons le temps qu'il faut. C'est peut-être nous qui allons vous convaincre.

M. Monahan: Permettez-moi de vous dire, sénateur, que ce n'est pas là une voie où vous voulez vous engager. C'est la Cour suprême du Canada qui détermine ce que dit la loi du Canada. Quand la Cour suprême du Canada déclare ce qui est loi, nous l'acceptons.

M. Bouchard a déposé devant l'Assemblée nationale du Québec un projet de loi, qui est à l'étude à l'Assemblée nationale, qui précise que, étant donné l'importance politique de l'avis de la Cour suprême du Canada...

Le sénateur Taylor: Pas constitutionnelle, politique.

M. Monahan: Vous semblez faire cause commune avec lui, sénateur. Il s'agit simplement d'un avis politique qui n'a pas force exécutoire sur qui que ce soit. Je soutiens, sénateur, que nous ne voulons pas nous engager dans cette voie-là. En fait, le projet de loi en question est anticonstitutionnel précisément parce qu'il refuse de reconnaître le caractère exécutoire des décisions et des avis consultatifs de la Cour suprême du Canada.

Le sénateur Lynch-Staunton: C'est là que nous ne sommes pas d'accord.

M. Monahan: C'est précisément pour cette raison que le projet de loi en question sera jugé anticonstitutionnel par les tribunaux. Il ne reconnaît pas le fait que ce sont les tribunaux qui statuent sur ce que dit la loi.

Le sénateur Cools: Serait-il possible que le comité trouve un moyen rationnel de permettre à un sénateur d'intervenir, pour que, si un sénateur a une question qui était pertinente il y a 15 minutes, il ou elle puisse avoir la possibilité d'intervenir 15 minutes plus tôt?

La présidente: Sénateur Cools, le comité directeur a consacré beaucoup de temps à cette question. Je suis sûre que vous savez combien de sénateurs sont présents. Le comité directeur, après avoir longuement discuté de la question, a décidé que nous accorderions d'abord la parole aux sénateurs qui sont membres du comité et ensuite aux autres qui ne sont pas membres du comité. Chacun de vous aura son tour selon l'ordre le plus strict. Personne ne sera oublié. Nous avançons aussi vite que nous le pouvons. Si vous voulez que le comité directeur réexamine cette question à sa prochaine réunion, je suis sûre que nous pourrions le faire, mais pour l'instant c'est ainsi que le comité directeur a décidé que nous allions fonctionner.

Le sénateur Robichaud: Je n'ai pas l'intention de parler pour le moment du bien-fondé du projet de loi. Je sais que le sénateur Lynch-Staunton s'y oppose. Je tiens à dire très gentiment que je ne suis pas d'accord avec lui, car j'estime que le projet de loi a sa raison d'être à ce moment-ci. Je ne parle pas du fond du projet de loi, mais du fait qu'il est préférable de suivre l'avis de la Cour suprême.

Cela dit, nous avons parlé du fait que le Canada, dans son ensemble, serait divisible ou indivisible. À vrai dire, nous ne nous entendons pas pour le moment sur le fait qu'il le soit ou qu'il ne le soit pas. Il y a deux écoles de pensée là-dessus. Je ne crois pas que ce soit tellement important à cette étape-ci. Il y a des choses qui sont plus importantes que cela. Comme l'a dit le sénateur Murray l'autre jour, en faisant sien le mot d'adieu de Clark Gable: à vrai dire, ma chère, je m'en fiche éperdument.

D'après le Québec, de toute évidence, le Canada est divisible. Si le tout est divisible, d'après vous, pourquoi une partie du tout, à savoir le Québec, ne le serait-elle pas? Comment peuvent-ils soutenir qu'ils peuvent diviser le Canada alors qu'ils refusent que le Québec lui-même soit divisé?

M. Monahan: Ils peuvent soutenir tout ce qu'ils veulent, mais il y a une rupture de logique, n'est-ce pas? L'argument est faux et n'a aucune validité. Il n'est manifestement pas valable, cette opinion étant de plus en plus répandue, à tel point que même M. Claude Ryan, dans une étude qu'il a publiée avec l'Institut C.D. Howe en mars de cette année, a reconnu que les frontières du Québec pourraient faire l'objet de négociations si les Québécois votaient pour se séparer du Canada. Cela attestait un changement d'attitude tout à fait remarquable à mon avis. On constate donc que, de plus en plus, on se rend à la logique selon laquelle, si le Canada est divisible, le Québec l'est aussi. Je suis donc d'accord avec vous là-dessus.

La question n'a qu'une pertinence limitée pour l'étude du projet de loi C-20, en ce sens que l'article 3 du projet de loi oblige le gouvernement à en tenir compte dans les négociations précédant le dépôt d'une modification constitutionnelle. Il n'est pas précisé que les frontières d'un Québec indépendant, le cas échéant, seraient nécessairement différentes de ce qu'elles sont à l'heure actuelle. L'article exige simplement que le gouvernement en tienne compte dans les négociations.

Le sénateur Kinsella: Monsieur Monahan, n'est-il pas vrai qu'il arrive que la Cour suprême du Canada change d'avis? N'arrive-t-il pas qu'une décision ultérieure vienne renverser une décision antérieure?

M. Monahan: Cela s'est déjà produit, mais il s'agissait généralement de décisions qui avaient été rendues bien des années plus tôt, si bien que les circonstances avaient évolué à tel point que la cour avait déclaré vouloir s'écarter de sa décision antérieure.

Le sénateur Kinsella: N'est-il pas vrai que plus tôt cette année la Cour suprême du Canada a elle-même donné une clarification, quelques semaines à peine après s'être prononcée dans l'affaire Marshall?

M. Monahan: Elle a rejeté la demande d'une nouvelle audition présentée par un des intervenants dans l'affaire Marshall. Dans son rejet, elle a précisé certains aspects de son jugement précédent, sans toutefois l'infirmer.

Le sénateur Kinsella: Ne diriez-vous pas qu'une disposition explicite qu'on trouverait dans la Constitution, qu'il s'agisse de la Loi constitutionnelle de 1867 ou de la Loi constitutionnelle de 1982, est tout de même plus solide qu'une interprétation de la Constitution, telle qu'un avis consultatif?

M. Monahan: Sénateur, j'ai lu le compte rendu de votre discours au Sénat, et je dois avouer que je ne souscris pas à ce que vous avez dit, à savoir que l'avis de la Cour suprême doit être considéré comme une interprétation de la Constitution, bien que, comme le signalait le sénateur Murray, j'aie déjà écrit un article critiquant le jugement et expliquant pourquoi il faisait problème à mes yeux.

Toutefois, la Cour suprême doit accepter que la sécession n'est pas prévue de façon expresse dans la Constitution. Voilà pourquoi elle a dû décider si la sécession est permise ou pas. C'est tout l'un ou tout l'autre, comme ce l'était en 1981. La cour a dû déterminer si la proposition de rapatriement de la Constitution était légale ou pas. Comme il n'y avait rien d'écrit dans la Constitution de façon expresse là-dessus, la Cour suprême a dû déterminer si la démarche était légale ou pas.

C'est différent de ce genre d'interprétation dans la pratique selon laquelle un tribunal établit qu'une loi, telle que libellée, est contraire à la Constitution, puis en modifie le libellé afin de la rendre constitutionnelle. C'est ce qu'on appelle une interprétation, où le tribunal, de fait, modifie la loi.

Dans le cas qui nous occupe, où la Constitution ne prévoit pas de façon expresse une situation et où en vient à se demander si un pouvoir existe ou pas, la Cour suprême doit déterminer si le pouvoir existe de fait ou pas. C'est d'ailleurs tout ce qu'a eu à faire la Cour suprême, et qui a fait l'objet de son jugement d'août 1998.

Le sénateur Kinsella: À mon avis, la cour a été placée dans une situation extrêmement difficile lorsqu'on lui a demandé de se prononcer sur le renvoi. Que pouvait-elle faire d'autre que de tenter de répondre à la question? Elle a jugé qu'il était de son devoir de le faire.

Pour revenir à la prérogative de l'exécutif à laquelle vous avez fait allusion, est-ce que cela n'illustre pas là aussi l'absence d'explication explicite dans la Constitution quant au pouvoir qu'aurait l'exécutif? Dans ce cas-ci, rien dans la Constitution n'établit que l'exécutif a le pouvoir de prendre des mesures qui aboutiraient au démantèlement du Canada. Ne diriez-vous pas avec moi qu'on ne trouve nulle part dans le texte de la Constitution ce pouvoir qui serait donné de façon explicite à l'exécutif?

M. Monahan: J'en conviens.

Le sénateur Chalifoux: Monsieur Monahan, votre exposé m'a semblé très intéressant, et j'aimerais avoir votre opinion sur une ou deux choses.

Tout d'abord, le Québec compte une très grande population autochtone, qui regroupe des Inuits, des Métis, des Cris, des Mohawks et plusieurs autres Premières nations. Or, la Loi sur les Cris et les Naskapis et le traité de la baie James touchent directement ces Premières nations. Je sais que le projet de loi prévoit que les Premières nations seront consultées. Toutefois, les traités conclus avec les Premières nations l'ont été par la Couronne et par le Parlement britannique. Quel effet ce projet de loi-ci aura-t-il sur ces traités? La loi oblige-t-elle le Parlement du Canada ou le gouvernement du Canada à consulter les Premières nations? Qu'est-ce que le projet de loi va changer à tout cela? Je ne parle pas ici de l'amendement, puisque le texte stipule que les Premières nations seront consultées et que leurs opinions seront prises en considération. Quelle est la responsabilité légale du Canada envers les Premières nations?

M. Monahan: C'est une question très importante que vous posez là. La Cour suprême du Canada a longuement commenté là-dessus, dans son jugement, et elle a laissé entendre qu'au cours du processus de sécession il faudrait tenir compte de façon particulière des droits des Autochtones. On pourrait faire valoir que ceux-ci ont le droit de prendre part aux négociations, d'une façon qui reste à déterminer, même si cela pourrait s'avérer difficile à coordonner.

Le sénateur Chalifoux: Pourquoi?

M. Monahan: Il faudrait trouver une méthode qui permettrait de déterminer qui parlera au nom des divers peuples autochtones. À l'époque de l'accord de Charlottetown, par exemple, on ne s'était pas entendu sur le choix des représentants, sur le choix de ceux qui seraient financés, et cetera. Il pourrait donc y avoir encore certaines difficultés, mais je ne crois pas que votre question portait là-dessus.

Le projet de loi ne retire aucun des droits issus de traités. Il ne pourrait même en retirer aucun, car ceux-ci sont protégés en vertu de l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. Les obligations dont vous parlez existent donc indépendamment du projet de loi C-20, puisqu'elles sont inscrites dans la Constitution. L'obligation fiduciaire de l'État envers les peuples autochtones est incluse dans l'article 35 de la Loi constitutionnelle. Voilà pourquoi ces droits sont protégés très clairement par la Constitution, et sont indépendants du projet de loi C-20.

Le sénateur Bolduc: Dans l'article que vous avez écrit dans le National Journal of Constitutional Law, vous dites que dans le renvoi sur la sécession la cour pourrait avoir agi comme politicien plutôt que comme juge lorsqu'elle a établi le devoir de négocier la sécession.

Si j'affirme que les juges ont fait preuve d'une sorte d'activisme judiciaire, est-ce que je vous interprète correctement?

M. Monahan: Je critique de temps à autre la Cour suprême du Canada, tout comme le font d'autres professeurs, et, dans le cas qui nous occupe, j'ai critiqué ce qui me semblait être certains points faibles de son jugement. Toutefois, je l'accepte, car c'est le jugement. Je n'accepte pas uniquement les jugements avec lesquels je suis d'accord, particulièrement si je suis débouté. On ne devrait jamais consulter d'avocats pour savoir ce qu'ils pensent d'une cause, car cela pourrait être en corrélation directe avec la façon dont le tribunal a jugé leur plaidoirie.

Tout ce que je dis, c'est que j'accepte le jugement de la Cour suprême du Canada, puisqu'il a maintenant force de loi, à mes yeux. Ce jugement établit la loi du Canada, et c'est ce qui devrait désormais nous guider.

Le sénateur Bolduc: Vous ne diriez pas qu'il s'agit ici d'activisme judiciaire?

Le sénateur Cools: Comment qualifieriez-vous cela?

M. Monahan: On pourrait s'interroger sur ce qui justifie légalement l'obligation de négocier.

Le sénateur Bolduc: Vous semblez vous réjouir que la Cour suprême se soit prononcée, alors qu'elle aurait pu rester muette.

M. Monahan: C'est la Cour suprême du Canada qui s'est prononcée, et nous devons maintenant être guidés par son jugement.

Le sénateur Bolduc: Ne convenez-vous pas avec moi que les juges peuvent également être des législateurs?

M. Monahan: J'en conviens. En vertu de la Constitution, qui établit des normes très générales, la Cour suprême du Canada doit prononcer des jugements qui sont, de par leur nature, discrétionnaires. D'aucuns iraient même jusqu'à dire que ces jugements sont «politiques». C'est à cause de la nature même de la fonction judiciaire prévue par notre Constitution.

Le sénateur Bolduc: Un de vos collègues américains a affirmé que l'activisme judiciaire, tel qu'il existe aux États-Unis, peut mener droit au désastre.

Le sénateur Furey: Monsieur Monahan, j'ai une petite question pour vous.

La Cour suprême du Canada a établi que toute condition qui serait négociée et en vertu de laquelle une province ferait sécession impliquerait un amendement constitutionnel. Nous pouvons nous entendre là-dessus. Dans ce cas, il ne fait aucun doute que le Sénat aurait un rôle à jouer; toutefois, ce rôle se limiterait au veto suspensif, tel qu'il a été établi en vertu de la formule de modification.

Si le projet de loi C-20 donnait au Sénat un droit de veto sur le processus actuel de négociation, est-ce que cela ne reviendrait pas dans les faits à modifier la formule de modification?

M. Monahan: Je n'irais pas jusque-là, je crois.

Le sénateur Furey: Si c'était un veto absolu plutôt que suspensif?

M. Monahan: Je ne crois pas que ce serait anticonstitutionnel si le projet de loi C-20 autorisait le Sénat à formuler une conclusion qui aurait pour effet d'interdire au gouvernement d'entamer des négociations. Je ne crois pas qu'il faudrait pour cela modifier la formule de modification, pas plus que le projet de loi C-20 ne constitue, à mon avis, une modification de la formule de modification. Je ne partage pas cet avis. Cela me ramène à ce que je disais plus tôt, à savoir qu'il est parfaitement approprié que la décision soit prise par la Chambre des communes et que rien n'interdit au Parlement du Canada de décider de conférer ce pouvoir à la Chambre des communes en adoptant le projet de loi C-20.

Le sénateur Finestone: Madame la présidente, ce sujet est des plus importants, et, bien que je ne sois pas membre en règle de ce comité, j'ai l'intention de participer pleinement à ses délibérations, conformément aux droits que me confère le Règlement du Sénat. Si vous trouvez que le temps nous fait défaut, je suggère que vous organisiez autrement les audiences afin de permettre la participation des membres du comité présents.

Le sénateur Taylor: Bravo!

Le sénateur Finestone: Monsieur Monahan, je ne sais pas au juste comment vous poser cette question après votre exposé. Quand le ministre a comparu plus tôt aujourd'hui, il a dit que rien ne pouvait être réglé d'avance, et que la Cour suprême a elle-même dit que certaines choses ne sauraient être réglées d'avance.

En ma qualité de représentante de la collectivité anglophone du Québec, parmi d'autres qui sont aussi ici pour représenter cette collectivité et les non-anglophones, j'ai de sérieuses réserves sur la façon de déterminer qui a voté et qui avait le droit de voter.

Allons-nous calculer le pourcentage d'électeurs qui ont effectivement voté? Comptons-nous le nombre d'électeurs inscrits sur la liste électorale? Comptons-nous les Autochtones auxquels ma collègue, le sénateur Chalifoux, s'est intéressée, et ont-ils le droit de participer à un référendum? S'ils ne participent pas et tiennent leur propre référendum, les résultats seront-ils pris en compte?

Toute la question de la clarté du résultat du scrutin m'apparaît très confuse, et pour l'instant j'estime que ce projet de loi a tout, sauf la clarté. Bien que j'appuie l'idée, j'ai énormément de mal à comprendre comment tout cela fonctionnera dans la pratique. Comment définira-t-on la population qui participera au scrutin? Comment puis-je représenter les anglophones qui, par l'entremise de leurs municipalités, ont dit très clairement que, peu importent les résultats du vote, ils souhaitent faire partie du Canada? Faisons-nous une ventilation géographique des résultats du scrutin?

M. Monahan: Je sais que le temps nous presse.

Le sénateur Finestone: J'aimerais que vous n'en teniez pas compte. Les questions sont plus importantes que l'heure.

M. Monahan: Je suis prêt à rester toute la nuit si vous le voulez. C'est parfait.

Le sénateur Murray et moi-même avons passé toute la nuit aux négociations du lac Meech, et nous saurons tenir le coup ici.

Permettez-moi de préciser que je n'ai pas entendu le témoignage du ministre, et je ne sais donc pas ce qu'il a dit, mais je serais étonné qu'il ait dit que rien ne peut être décidé d'avance, puisqu'il contredirait alors son propre projet de loi. Ce dernier précise que certaines choses peuvent être décidées d'avance. Le paragraphe 1(4) dit clairement que nous pouvons décider d'avance certaines questions sur lesquelles la population ne pourrait pas déclarer clairement ce qu'elle veut. Il est inexact de dire que rien ne peut être décidé d'avance.

Le sénateur Finestone: Il n'a parlé que des frontières. Rien n'est certain d'avance.

M. Monahan: Je partage cet avis. Toutefois, cela ne nous empêche pas d'établir certains paramètres d'avance, puisque son propre projet de loi précise que certaines choses, dont le libellé de la question, peuvent l'être.

Le Parlement devrait pouvoir dire qu'une majorité simple de 50 p. 100 plus un de ceux qui ont participé au scrutin ne constitue pas une majorité claire, ce qui correspondrait à l'avis de la Cour suprême du Canada. La Cour suprême a affirmé à maintes reprises dans son arrêt qu'une majorité simple, qu'une règle sur la «majorité simple», ou quelque chose de ce genre, est contraire à notre tradition constitutionnelle.

Je ne crois pas que le Parlement doive s'arrêter aux questions de détail, mais plutôt établir quelques grands principes, comme le fait le projet de loi C-20, quant au libellé de la question et au dépôt d'une modification constitutionnelle, comme le dit l'article 3.

J'estime que le projet de loi est lacunaire en ce qu'il n'établit aucun paramètre, ne donne aucun éclaircissement important, quant à la majorité requise. Si le Sénat est tenté de proposer des amendements, j'estime que celui-là devrait l'être.

Le sénateur Finestone: Cela signifie-t-il que le Sénat aurait son mot à dire sur l'établissement de ces grands principes et qu'il aurait un rôle à jouer à l'égard d'un amendement comme celui-ci? Si la Chambre des communes l'agréait et décidait de l'inclure dans le projet de loi, serions-nous alors associés à la discussion sur la clarté de la question ou sur les enjeux?

M. Monahan: À mon sens, le projet de loi ouvre la porte à un rôle pour le Sénat, puisqu'il est mentionné aux articles 1 et 2. Le projet de loi précise que la Chambre des communes doit tenir compte de l'avis du Sénat. Ainsi, le Sénat pourra, et devra, jouer un rôle aux termes du projet de loi. La question est de savoir si le Sénat doit jouer un rôle déterminant. Je vous répondrai, sénateur, que je partage l'avis du gouvernement, à savoir que la réponse à cela est non. Il m'apparaît tout à fait approprié que ce rôle revienne à la Chambre des communes.

Je sais que les sénateurs ne sont peut-être pas du même avis, mais c'est ce que je pense.

Le sénateur Finestone: Considérez-vous que le Sénat est le représentant des régions et des collectivités minoritaires du pays? Ne croyez-vous pas qu'en ma qualité de sénateur représentant la minorité d'une province, j'ai un rôle précis à jouer?

M. Monahan: Je crois que le Sénat joue un rôle important et traditionnel, qui est de représenter les minorités et les régions que vous avez évoquées. Sauf le respect que je vous dois, sénateur, je crois toutefois que la Chambre des communes est l'entité à laquelle il appartient de jouer ce rôle déterminant. Cela ne signifie pas que le Sénat n'aura pas un rôle important à jouer, mais, à mon sens, il y a une différence entre un rôle et un rôle déterminant.

Le sénateur Finestone: Le paragraphe 2(3) dit quels autres avis doivent être pris en compte. Je vous le lis:

Dans le cadre de l'examen en vue de déterminer si une majorité claire de la population de la province a déclaré clairement qu'elle voulait que celle-ci cesse de faire partie du Canada, la Chambre des communes tient compte de l'avis de tous les partis politiques représentés à l'assemblée législative de la province dont le gouvernement a proposé la tenue du référendum sur la sécession, des résolutions ou déclarations officielles des gouvernements ou assemblées législatives des provinces et territoires du Canada, des résolutions ou déclarations officielles du Sénat, des résolutions ou déclarations officielles des représentants des peuples autochtones du Canada [...]

Nous sommes troisième sur quatre. Je ne sais pas comment on exprimerait en langage juridique la pondération et l'acceptation de ces avis:

[...] en particulier ceux de cette province, et de tout autre avis qu'elle estime pertinent.

Qu'en est-il des municipalités qui auraient quelque chose à dire?

M. Monahan: Je suppose que rien n'interdit à la Chambre des communes de tenir compte de l'avis des municipalités, mais elles ne sont pas mentionnées. Je crois que les entités mentionnées ici, dont les peuples autochtones et d'autres, sont les entités importantes dont les avis doivent être obligatoirement pris en compte par la Chambre des communes. Je ne sais pas si l'ordre dans lequel elles sont énumérées équivaut à un classement selon leur importance. Ce n'est pas une conclusion qui s'impose. Il me semble que c'est tout simplement une liste d'entités dont l'avis doit être pris en compte. Je ne suis pas convaincu d'avoir lu dans ces dispositions que le Sénat occupe logiquement une place donnée par rapport aux autres entités énumérées. Je ne me suis tout simplement pas posé cette question.

La présidente: Monsieur Monahan, si vous avez d'autres idées sur cette question, vous pourriez peut-être nous en faire part dans une lettre.

Le sénateur Grafstein: Monsieur Monahan, je suis heureux de vous revoir. Je me réjouis que vous ayez, en réponse au sénateur Furey, retiré du jeu cette fausse balle selon laquelle il serait inapproprié au plan constitutionnel de donner au Sénat un rôle contraignant. Si je vous ai bien compris, vous dites que ce serait tout à fait en règle au plan constitutionnel, sauf que vous croyez qu'au plan politique le gouvernement a pris la bonne décision en excluant le Sénat. C'est ainsi que j'ai interprété votre témoignage.

M. Monahan: Pour ce qui est d'un rôle déterminant, oui.

Le sénateur Grafstein: Contrairement au ministre, vous pensez qu'il n'y a aucun obstacle constitutionnel à ce que le Sénat joue un rôle déterminant.

M. Monahan: C'est exact.

Le sénateur Grafstein: Essayons de mieux cerner la dimension politique de ce que vous avez dit. Nous parlons maintenant d'un avis politique, et non pas constitutionnel. Vous nous dites que l'exécutif pourrait imposer des limites à son pouvoir discrétionnaire s'il permettait qu'une résolution contraignante vienne du Sénat, mais qu'il n'a pas à le faire s'il ne le souhaite pas. S'il en décidait autrement, il pourrait sans cela nommer un juge qui serait chargé de déterminer si la question est claire ou non. Le gouvernement aurait pu choisir cette option.

M. Monahan: Absolument.

Le sénateur Grafstein: Il aurait pu dire au sénateur Fraser: «Vous qui présidez les travaux de ce comité allez de ce fait acquérir énormément de sagesse, et vous pourrez donc trancher la question.»

M. Monahan: Oui.

Le sénateur Grafstein: Ou il aurait même pu me choisir, moi, qui suis de l'Ontario. Ou encore il aurait pu dire à la juge en chef McLachlin: «Vous serez seule juge de l'affaire.»

M. Monahan: Oui.

Le sénateur Grafstein: Permettez-moi maintenant de tenter de mieux comprendre la position du sénateur Beaudoin. Il dit que le gouvernement, ayant décidé de ne pas déléguer le pouvoir de trancher la question, mais d'utiliser plutôt un instrument législatif, nous a placés dans une situation quelque peu différente, puisque, par convention, le processus législatif inclut les deux Chambres. Permettez-moi d'aller au bout de mon argumentation, après quoi vous pourrez répondre.

Au bout du compte, nous avons un problème quelque peu différent. Si vous voulez bien vous reporter à Reference Regarding Legislative Authority of Parliament to Alter or Replace the Senate, qui est un autre avis d'experts, il semblerait que la Cour suprême du Canada a clairement jugé qu'une chambre du gouvernement fédéral ne peut s'immiscer dans les intérêts d'une autre chambre. Autrement dit, la Chambre des communes ne devrait pas le faire. Je vous laisse le soin d'apporter des éclaircissements, si vous le souhaitez, puisque vous avez soulevé la question. Vous pourriez peut-être nous aider à mieux comprendre cet arrêt. Il s'agit d'un renvoi à la Cour suprême sur les pouvoirs du Parlement de modifier ou de remplacer le Sénat, et le renvoi traite des pouvoirs législatifs. Ce serait utile d'entendre votre point de vue là-dessus.

Je ne vais pas accaparer le temps du comité, madame la présidente, puisque le témoin n'a pas l'arrêt devant lui et qu'il me dit qu'il lui faudrait le temps de le parcourir rapidement.

M. Monahan: Voulez-vous parler du renvoi sur la Chambre haute?

Le sénateur Grafstein: Oui.

M. Monahan: Je peux répondre à la question.

Le sénateur Grafstein: Je voudrais que vous preniez connaissance du renvoi et que vous répondiez séparément.

Que cherche le gouvernement en proposant ce projet de loi? Quel est le résultat de la décision? Est-ce une décision de la Chambre des communes? Est-ce un ordre de la Chambre des communes? Est-ce un geste législatif de la Chambre des communes? Quel est l'avis contraignant qui sera le résultat de ce projet de loi? Est-ce uniquement un avis contraignant, ou est-ce plus large que cela?

Je pose cette question dans ce contexte parce que le gouvernement tient à aller de l'avant avec le projet de loi sur la clarté, avec lequel je suis d'accord en principe, pour accroître sa légitimité aux yeux de l'opinion publique canadienne et auprès de la population du Québec. Le but du projet de loi, c'est de donner davantage de légitimité aux décisions de l'exécutif.

Quel est le caractère légal de ce produit que le gouvernement tente de faire adopter par une chambre seulement, un produit qui semble si particulier, si différent, et par conséquent sans précédent dans notre histoire constitutionnelle?

M. Monahan: Sénateur, c'est toujours un plaisir de discuter ces questions avec vous, car vous avez des arguments intéressants. Je vais les traiter dans l'ordre dans lequel vous les avez mentionnés.

Premièrement, vous dites que la Cour suprême du Canada, dans le renvoi sur la Chambre haute de 1980, déclarait que les chambres sont égales, et cetera. Ce n'est pas du tout ce que disait la cour. Elle disait que le Parlement ne pourrait pas abolir le Sénat au moyen d'une loi ordinaire, qu'il faudrait pour cela une loi du Parlement de Westminster. Il serait inconstitutionnel que le gouvernement présente un projet de loi pour abolir le Sénat ou pour le remplacer par une chambre des provinces. Le gouvernement devrait appliquer les dispositions des articles 41 et 42 de la Loi constitutionnelle. C'est la décision qui a été rendue en 1980 et dont les effets se manifestent dans la formule d'amendement.

Ce cas-ci est différent. Quel est le produit? Il s'agit d'une résolution de la Chambre des communes, et non pas d'un projet de loi. Vous prouvez mon argument, sénateur, c'est-à-dire que le Parlement aurait pu indiquer dans le projet de loi C-20 qu'il chargera un groupe de citoyens éminents, des juges, des journalistes, des sénateurs, une assemblée constituante, de déterminer si la question est claire. Il n'est pas nécessaire de confier cette tâche à la Chambre des communes ou au Sénat. Êtes-vous d'accord avec moi sur ce point?

Le sénateur Grafstein: Mes questions ne signifient pas que je suis d'accord avec vous. Je le mentionne à titre de proposition.

M. Monahan: Vous dites que le gouvernement n'aurait pas pu procéder de cette façon à cette étape?

Le sénateur Grafstein: Je ne suis pas certain que le gouvernement puisse abdiquer sa fonction de cette façon.

M. Monahan: À mon avis, le Parlement aurait pu charger un autre organisme de rendre une décision. Cela se fait couramment dans des lois où l'on confère des pouvoirs à certaines personnes pour qu'elles rendent des décisions qui lient les gouvernements.

Existe-t-il des raisons qui empêcheraient le gouvernement de choisir la Chambre des communes sans choisir également le Sénat? À mon avis, la Chambre des communes peut prendre des mesures par résolution sans que le Sénat en fasse autant. Il en va différemment d'un projet de loi, que la Chambre des communes peut adopter, mais qui ne prend force de loi qu'une fois adopté par le Sénat. La Chambre peut adopter une résolution sans l'approbation du Sénat.

Le sénateur Cools: Cette résolution lie-t-elle le gouvernement?

M. Monahan: Non, mais vous comprenez mal mon argument. J'essaie simplement de faire valoir que la Chambre des communes peut prendre des mesures par résolution sans que cela exige une résolution du Sénat.

Le sénateur Grafstein: Bon, je veux bien.

M. Monahan: Il faut donc se demander si le Parlement du Canada peut adopter une résolution au moyen d'une loi. Nous reconnaissons que la Chambre des communes peut adopter une résolution sans l'approbation du Sénat.

Le sénateur Grafstein: Le Sénat peut en faire autant.

M. Monahan: C'est exact. Le Sénat pourrait adopter une résolution sur un autre sujet qui ne lie pas l'exécutif du gouvernement. Par contre, le Parlement pourrait-il rendre l'application de cette résolution obligatoire au moyen d'une loi? J'estime que oui.

Le Parlement pourrait obliger le Sénat à adopter une résolution et à rendre une décision. Aux États-Unis, le Sénat ratifie les traités. Il ne serait pas inconstitutionnel d'obliger le Sénat à rendre une décision au moyen d'une résolution. Je ne crois pas que ce soit la bonne politique ou que ce soit la bonne façon de nous gouverner, mais ce ne serait pas inconstitutionnel. En outre, il n'y a rien non plus d'inconvenant ou d'inconstitutionnel à ce que la Chambre des communes adopte une mesure par résolution et à ce que la résolution soit exécutoire. La Chambre des communes a parfaitement le droit de rendre des décisions.

Le sénateur Grafstein: Nous pouvons peut-être voir cela sous un angle différent: je ne me souviens pas que les conventions, les usages et les pratiques du Parlement aient jamais été modifiés de cette façon au moyen d'une loi qui porte sur une question fondamentale relevant de la paix, de l'ordre et du bon gouvernement. Cela s'est-il déjà fait?

M. Monahan: Sénateur, il n'existe pas de pratique ou de tradition qui permette au Sénat de déterminer si une question est claire au moyen d'une résolution qui lie le gouvernement. Il n'existe pas non plus de tradition de ce genre à la Chambre des communes.

Je soumets humblement qu'il ne s'agit pas ici de traditions. La pratique a toujours été que le Parlement adopte des lois qui sont ensuite approuvées par le Sénat, la Chambre des communes et le représentant de la reine. À mon avis, il est faux de dire que nous nous écartons de la coutume, puisqu'il n'existe pas de coutume dans ce domaine. Nous tentons d'établir des paramètres, et ce n'est pas sans difficulté. C'est une initiative courageuse du gouvernement qui n'a, à mon avis, aucun caractère dérogatoire.

Le sénateur Grafstein: Vous dites donc que le caractère bicaméral de notre gouvernement, qui confère des pouvoirs aux deux Chambres et des pouvoirs supplémentaires de freins et de contrepoids au système judiciaire, n'est pas pertinent dans cette discussion?

M. Monahan: Non, ce n'est pas ce que je dis.

Le sénateur Grafstein: Vous avez pourtant dit que c'était incorrect. Cela signifie que ce n'est pas pertinent.

M. Monahan: Ce que je dis, c'est que le Sénat a un rôle à jouer, comme le prévoit le projet de loi C-20, mais qu'il s'agit d'un rôle secondaire.

Le sénateur Grafstein: Madame la présidente, lorsque nous arrivons au coeur du débat, il est important de poser de bonnes questions au témoin pour voir si nous pouvons trouver une solution. Je vois que d'autres membres sont d'accord avec moi. Je ne veux pas vous contrarier, madame la présidente, mais nous essayons d'en arriver à un consensus sur les questions fondamentales.

La présidente: D'autres sénateurs ont aussi des questions fondamentales à poser, sénateur Grafstein.

Le sénateur Grafstein: Permettez-moi de poser une dernière question.

Monsieur, j'aimerais connaître vos opinions politiques. Le sénateur Pitfield a déclaré que d'après ce qu'il sait et d'après son expérience étendue, il s'agit d'une mesure unique et sans précédent, dans un aspect fondamental que vous n'avez pas discuté; il s'agit de la nature du Parlement et de sa relation avec le pouvoir exécutif, dans son application à la Constitution, en ce qui a trait aux freins et contrepoids.

Je suis d'accord avec le ministre lorsqu'il dit que le Sénat est différent de l'autre Chambre, puisqu'il exerce cette fonction de frein et de contrepoids en ce qui a trait aux décisions de la Chambre des communes, comme le souhaitaient les Pères de la Confédération.

Dites-vous que ce rôle ne s'applique pas dans ce cas-ci, qu'il n'est pas sensé, politiquement, d'appliquer des freins et des contrepoids dans cette situation des plus importantes? Je ne comprends pas votre raisonnement.

M. Monahan: Le sénateur Pitfield a raison lorsqu'il dit que c'est une situation sans précédent. Il est sans précédent que l'exécutif soit obligé, par une loi, d'appliquer une décision de l'une ou l'autre Chambre, sans parler des deux.

Généralement, l'exécutif mène des négociations constitutionnelles, et le législateur n'entre en cause que lorsqu'il faut adopter sous forme de loi le produit de ces négociations.

Il y a donc là un écart par rapport à la pratique courante. Ce n'est pas que le gouvernement ne veuille pas consulter le Sénat ou la Chambre des communes; il devra le faire de toute façon s'il doit y avoir un amendement. L'écart tient au fait qu'avant même le début des négociations l'exécutif demande l'opinion d'une des Chambres et non de l'autre, même si le Sénat décide d'exprimer son opinion. C'est cela qui est sans précédent. C'est toutefois une mesure nécessaire et raisonnable, compte tenu du problème auquel le pays doit faire face.

Le sénateur Joyal: Monsieur Monahan, je ne suis pas d'accord avec vous sur un élément essentiel de l'interprétation du statut du Sénat. Pour moi, le Sénat et chaque sénateur ont le devoir d'examiner les lois et les décisions du gouvernement exécutoires pour l'exécutif, qui peuvent équivaloir à des mesures législatives.

Dans l'article 1 du projet de loi C-20, on reconnaît que la résolution adoptée au sujet de la première question devient exécutoire pour le gouvernement, puisqu'elle oriente le gouvernement vers la deuxième question. Cette résolution équivaut à une mesure législative.

En ma qualité de sénateur, je ne peux, de par la Constitution, refuser d'exercer mes fonctions en ce qui a trait à l'examen des décisions prises à l'autre endroit.

Si je refusais d'exercer ces fonctions, la Cour suprême pourrait m'y obliger. C'est pourquoi j'estime que l'article 1 du projet de loi est fautif. Si elle est exécutoire, cette initiative équivaut à une mesure législative. J'ai donc le devoir de l'examiner, et je ne saurais voter en faveur de ce projet de loi, dans sa forme actuelle, car cela équivaudrait à renoncer à mon devoir de sénateur et de membre de cette institution d'examiner les décisions exécutoires pour le gouvernement. C'est pourquoi j'estime qu'un des principaux éléments de ce projet de loi est en jeu. Je me dis qu'il ne faut pas prendre de risque si nous voulons prendre une mesure utile pour le maintien de l'intégrité et de la souveraineté du Canada. Demandons l'avis du Sénat et assurons-nous de le faire selon les règles qui régissent le Sénat et la Chambre des communes en matière législative, règles d'après lesquelles les deux Chambres doivent s'entendre avant de présenter leur opinion à la Couronne. C'est là que nos interprétations de l'article 1 du projet de loi divergent.

Cela dit, permettez-moi de revenir au paragraphe 85 de la décision. Je ne l'interprète pas de la même façon que vous. On dit, dans ce paragraphe:

La Constitution est l'expression de la souveraineté de la population du Canada.

Pour moi, la souveraineté et la perpétuité du Canada dépendent des Canadiens. Les Canadiens sont les gardiens de la souveraineté du pays.

La cour dit également:

La population du Canada [...] détient le pouvoir de mettre en oeuvre tous les arrangements constitutionnels souhaités dans les limites du territoire canadien [...]

Autrement dit, si le gouvernement veut priver la population du Canada de sa souveraineté sur une partie de son territoire, limiter le droit de tous les citoyens canadiens d'exercer leur citoyenneté sur l'ensemble du territoire, il doit d'abord demander à la population si elle souhaite renoncer à cette souveraineté.

Votre interprétation de la formule introductive de l'article 91, selon laquelle l'expression «la paix, l'ordre et le bon gouvernement» donne carte blanche au gouvernement du Canada pour abandonner cette souveraineté, va à l'encontre de ce qu'a dit la Cour suprême. À mon avis, la Cour suprême n'est certes pas allée jusque-là.

Si nous voulons garantir la survie du Canada, pourquoi ne pas mentionner dans le texte du projet de loi le principe que vous avez énoncé, c'est-à-dire que le gouvernement du Canada a le devoir de protéger la Constitution du Canada, de maintenir la souveraineté de sa population et de protéger l'intégrité de son territoire? C'est ce que l'on dit, en gros, dans la Loi sur les mesures d'urgence. Il s'agit d'une obligation fondamentale du gouvernement du Canada. Si nous nous écartons de cette obligation, nous devons nous assurer de bien comprendre ce que nous faisons. C'est pourquoi j'estime que ce projet de loi ne tient pas compte de l'ensemble du jugement de la Cour suprême. Vous nous proposez un raccourci. Ce raccourci nous permet d'éviter la discussion et l'inclusion de principes fondamentaux qui sont l'assise de notre ordre démocratique et constitutionnel, c'est-à-dire que le gouvernement du Canada n'a pas le pouvoir de démanteler le pays. C'est ce qu'a dit le premier ministre. La Cour suprême a bien interprété la formule introductive de l'article 91 en disant que le gouvernement doit maintenir la paix, l'ordre et le bon gouvernement, ce qui revient à la survie de la nation. Votre proposition d'aujourd'hui va tout à fait à l'encontre de l'esprit de l'opinion de la Cour suprême du Canada, c'est-à-dire le maintien de la souveraineté de la population, tel qu'énoncé dans la Constitution.

M. Monahan: Sénateur, permettez-moi d'abord de dire que j'ai trouvé très intéressant votre discours au Sénat. Ce discours donnait amplement matière à réflexion et soulevait des questions très importantes. Néanmoins, mon opinion diffère de la vôtre. Je vais répondre aux questions que vous avez soulevées, à commencer par l'article 1 du projet de loi.

D'après votre raisonnement, si le gouvernement est lié par une décision, il s'agit d'une mesure législative, et par conséquent le Sénat doit être partie prenante. Si c'est votre opinion, je vous signale que vous devrez examiner des centaines de lois qui ont été adoptées par le Parlement et qui confèrent à des personnes qui ne font pas partie du gouvernement le pouvoir de prendre des décisions exécutoires. Je n'ai pas apporté ces lois avec moi, mais je serais heureux de signaler au comité -- dans une lettre, si le comité le souhaite -- quelles lois permettent à des personnes qui ne font pas partie du gouvernement de prendre des décisions exécutoires pour le gouvernement. C'est mon argument, et c'est l'exemple qu'a mentionné le sénateur Grafstein. J'avoue que c'est tout à fait admissible. Le fait qu'une loi confère à un organisme ou à un groupe de personnes le pouvoir de prendre des décisions qui lient le gouvernement ne signifie pas automatiquement que le Sénat doit être partie prenante. Ce serait un principe remarquable. Il serait extraordinaire de dire que le Parlement du Canada ne puisse octroyer de tels pouvoirs, au moyen d'une loi, à des gens qui ne font pas partie du gouvernement. Je ne vois pas pourquoi on voudrait invoquer une telle règle. Elle est contraire aux méthodes que nous appliquons depuis bon nombre d'années.

Passons maintenant à la question de la souveraineté de la population, au paragraphe 85. Il faut bien sûr interpréter ce paragraphe en fonction de tout le jugement, et surtout en fonction du paragraphe 84, qui le précède. Dans ce paragraphe, on reprend un argument qui n'est pas mentionné par les intervenants ou les parties mais qui se trouve dans des articles rédigés par divers professeurs, y compris le professeur House, qui était alors à l'Université de Toronto, le professeur Fremont, de l'Université de Montréal, et le professeur MacLauchlan, de l'Université du Nouveau-Brunswick. Cet argument, c'est que la sécession est supraconstitutionnelle, qu'elle dépasse les pouvoirs du processus d'amendement constitutionnel. La sécession ne peut être visée par la partie V, et il faut donc qu'il y ait une autre façon de procéder, peut-être un référendum. C'est du moins l'avis exprimé par M. House.

J'ai deux remarques à faire à ce sujet. Premièrement, j'estime que la Cour suprême a clairement rejeté cet argument dans son jugement. Je crois savoir que vous n'êtes pas du même avis que moi à ce sujet.

Le sénateur Joyal: La Cour suprême mentionne expressément un référendum, au paragraphe 88. Pourquoi dites-vous que ce mécanisme est exclu? Je cite:

Pour ces représentants, le signal peut être donné par un référendum [...]

M. Monahan: Bien sûr que le signal peut être donné par un référendum. Rien n'empêche le gouvernement du Canada -- ou le gouvernement du Québec -- de tenir un référendum. Au contraire, on dit dans le préambule du projet de loi qu'une province peut consulter sa population au moyen d'un référendum, et le gouvernement du Canada peut consulter par ce même moyen la population du pays. Mais voici ce que j'ai à dire au sujet de votre argument: vous dites au départ qu'il existe un principe d'indivisibilité dans la Constitution canadienne. Si j'ai bien lu votre discours, toutefois, il me semble que votre argument est un peu différent. Vous semblez dire que le Canada est divisible, mais que la règle de cette divisibilité est différente de celle que reconnaîtrait le gouvernement. D'après la règle de divisibilité que vous proposez, il doit y avoir un référendum national, et la division doit être approuvée par une majorité, dans toutes les régions du Canada. Le Canada est donc divisible, mais vous créez une règle différente. D'après votre règle, il faut tenir un référendum. C'est très bien, mais cela ne fait pas partie de la formule de modification constitutionnelle de 1982. Il est certain que le gouvernement peut tenir un référendum. Comme la Cour suprême l'a dit, le signal peut être donné par un référendum, mais ce n'est pas obligatoire. S'il s'agit d'une «interprétation», comme l'a dit l'honorable vice-président, ne s'agirait-il pas d'une interprétation extraordinaire si les tribunaux disaient que non seulement il faut tenir un référendum national, mais aussi qu'il faut obtenir le consentement de la majorité dans toutes les régions?

Le sénateur Joyal: C'était déjà prévu dans le projet de loi C-110.

M. Monahan: Il n'est pas prévu d'inclure cette disposition dans une loi, mais dans une règle de la Constitution à interpréter par les tribunaux. Il n'y aurait rien de mal à prévoir ce genre de chose dans notre Constitution, mais j'estime que cela équivaudrait à une intervention judiciaire grave, n'est-ce pas? La Constitution ne prévoit pas de façon expresse la tenue de référendums. La cour stipule au paragraphe 87 qu'il n'est pas question dans la Constitution du recours au processus référendaire. Ce n'est pas nécessaire, à mon avis, et si l'on comprend bien la décision de la Cour suprême, on constate que celle-ci n'accepte pas l'opinion que vous avez avancée.

Le sénateur Joyal: La cour ne l'a pas rejetée. Elle déclare qu'il appartient aux acteurs politiques de décider sur quels éléments s'appuyer pour agir. À mon avis, le gouvernement actuel a proposé le projet de loi C-110, qui prévoit précisément des majorités régionales avant que le gouvernement ne propose une motion. Le gouvernement s'est lié les mains encore plus que ne le recommandait le tribunal. Lorsqu'elle a rendu sa décision en 1998, la cour était saisie du projet de loi C-110. Elle n'a pas déclaré qu'il fallait laisser de côté le projet de loi C-110, qui empêche le gouvernement de proposer une résolution. Le Parlement ne se prononcera pas sur cette question tant qu'il n'y aura pas de majorité dans les cinq régions du Canada.

Si nous voulons concevoir le meilleur texte de loi possible pour garantir le maintien de l'unité de notre pays et pour permettre aux Canadiens de jouir de leur citoyenneté dans toutes les régions du pays, le Parlement a les moyens de proposer des dispositions qui empêcheront le gouvernement du jour de se précipiter, comme vous l'avez dit, en vue de modifier le projet de loi qui existe déjà sans consulter au préalable les Canadiens. Je vous affirme que la Cour suprême n'a jamais dit que c'est impossible et inconstitutionnel. Elle savait qu'il était possible au gouvernement du Canada d'agir ainsi.

M. Monahan: Vous ne tenez plus tout à fait le même discours. Soit dit en toute déférence, vous avez soulevé un argument différent. Vous avez dit que la cour n'a pas rejeté la possibilité d'exiger la tenue d'un référendum dans la loi, comme c'était prévu dans le projet de C-110. Il va sans dire que ce dernier n'exige pas la tenue d'un référendum ou la présence d'une majorité. Il exige l'approbation de certaines provinces, mais ne fait pas mention de la façon d'obtenir cette approbation. C'est un petit détail, car votre argument est différent. Vous dites que la cour n'exclut pas la possibilité pour le Parlement d'exiger la tenue d'un référendum en vertu de la loi. Je conviens avec vous que la cour n'exclut pas cette possibilité. Toutefois, elle n'exige pas non plus que cela se fasse.

Le sénateur Grafstein m'a posé une question au sujet de mes opinions politiques. À mon avis, il n'est pas souhaitable que les résultats d'un référendum tenu dans une province appuient la sécession en vertu d'une majorité nette, par exemple dans la province de Québec, alors que les autres provinces ont voté contre. Ce serait aller droit à l'impasse, et je ne pense pas que ce soit souhaitable. Cela est sans rapport avec la discussion d'aujourd'hui, car vous tenez maintenant un autre discours.

Le sénateur Joyal: Non, je n'ai pas changé de discours.

M. Monahan: Je pense que si, sénateur. Vous venez de dire qu'il serait possible au Parlement d'adopter une telle mesure. Je conviens que ce serait possible, mais ce n'est pas nécessaire. La Cour suprême stipule clairement que les assemblées législatives pourront adopter des modifications constitutionnelles, et il n'est pas nécessaire de procéder à des consultations par voie de référendum aux termes de la Constitution actuelle.

Le sénateur Taylor: Je ne suis pas avocat, mais ce genre de discussions me rappelle à l'occasion un opéra de Gilbert et Sullivan.

Vous dites au paragraphe 2.10 de votre exposé que le Parlement et le gouvernement du Canada se sont toujours considérés comme dans l'obligation d'agir conformément à l'avis de la Cour suprême du Canada, et que c'est la règle qui devrait s'appliquer en l'occurrence. Vous faites toutes sortes d'hypothèses.

Le Canada suit-il servilement les conseils de la Cour suprême? Les États-Unis font-ils de même? Ou le Royaume-Uni? En d'autres termes, quelle est la compétente ou l'utilité de la Cour suprême du Canada?

M. Monahan: Ce qu'il y a de formidable dans notre pays, c'est que, comme vous le dites, nous suivons «servilement» l'avis des tribunaux. Quand ces derniers émettent une ordonnance, les gouvernements les respectent, Dieu merci!

Le sénateur Taylor: Il s'agit ici de conseils.

M. Monahan: La Cour suprême du Canada nous donne des avis consultatifs par renvois depuis 1892, et le gouvernement les a toujours suivis. Au cours des 100 ans où la cour a fourni de tels avis consultatifs, ces derniers ont toujours été suivis. Les États-Unis n'ont pas de système d'avis consultatifs, et c'est très bien. Si le gouvernement ne souhaite pas obtenir d'avis consultatifs, il n'a qu'à ne pas les demander, tout simplement. Toutefois, le gouvernement décide de temps à autre d'obtenir des avis consultatifs, et lorsque c'est le cas, il ne dit pas: «Nous ne suivrons le conseil que s'il nous convient.» Le gouvernement du Canada n'agit pas ainsi, Dieu merci!

Le sénateur Cools: Monsieur, vous avez soulevé de nombreuses questions intéressantes, et j'aimerais vous demander votre avis sur une foule de choses. Il y a notamment l'opinion exprimée dernièrement par M. Trudeau à l'égard de l'avis consultatif de la Cour suprême du Canada en 1981. J'y reviendrai plus tard.

Ma question découle du paragraphe 2.3 de votre exposé. La question de la prérogative de l'exécutif revient continuellement sur le tapis. C'est un thème permanent qui n'est pas près de disparaître. Aujourd'hui, j'ai demandé au ministre quelle était cette prérogative, et il ne semblait pas le savoir. Vous êtes un homme très versé dans cette matière, et je vais donc essayer de vous poser la question.

Nous connaissons les prérogatives du gouvernement ou les prérogatives de la Couronne, selon la façon dont on veut les appeler. Elles ne sont pas nouvelles et constituent la forme de droit la plus ancienne. Pourriez-vous énumérer ces prérogatives et préciser celle qui permet au gouvernement du pays de négocier une sécession?

M. Monahan: M. Hogg et moi-même sommes en train de terminer un ouvrage sur les prérogatives de la Couronne. Je crois savoir qu'il doit témoigner la semaine prochaine.

Il n'existe pas de définition simple de la prérogative. Il s'agit du pouvoir résiduel qui permet à la Couronne d'entamer des négociations avec d'autres gouvernements en ce qui a trait à une modification constitutionnelle. C'est la prérogative qui est en jeu en l'occurrence.

Le sénateur Cools: Comment s'appelle-t-elle?

M. Monahan: Il est difficile de répondre à cette question, car c'est un pouvoir résiduel qui existait au Moyen <#00C2>ge, à l'époque où le roi régnait grâce à la prérogative royale. Il vaut mieux ne pas se lancer dans les détails. C'est pourquoi je souriais; croyez-moi, il vaut mieux s'abstenir.

Le sénateur Cools: Je peux vous donner l'assurance que je ne suis pas avocate, et vous n'aurez donc pas à me fournir autant d'explications. Les prérogatives sont des pouvoirs très précis qui peuvent être reconnus comme tels?

M. Monahan: Non. Il existe certaines sortes de pouvoirs qui ont été reconnus par les tribunaux. Par conséquent, lorsque la jurisprudence a défini les prérogatives, nous les connaissons, mais il y en a d'autres qui ne sont pas définies, car elles n'ont jamais fait l'objet d'une interprétation judiciaire ou d'une loi.

Le sénateur Cools: Je vous pose la question au sujet d'une seule prérogative, et non pas de la totalité.

M. Monahan: Elle ne porte pas de nom précis.

Le sénateur Cools: Je vous demande de m'expliquer la prérogative grâce à laquelle un gouvernement peut négocier une sécession, une partition, le démembrement du pays, quel que soit le nom qu'on lui donne. Je vous demande de me nommer cette prérogative.

M. Monahan: J'ai déjà dit qu'il s'agit de la prérogative qui permet à la Couronne d'entamer des négociations avec d'autres gouvernements.

Le sénateur Cools: Très bien. Supposons que je vous dise qu'il n'existe pas de prérogative de ce genre?

M. Monahan: La Cour suprême du Canada a dit que le gouvernement est obligé de négocier la sécession.

Le sénateur Cools: Ce qui m'amène à la question suivante.

M. Monahan: Je ne comprends pas comment vous pouvez dire que ce pouvoir n'existe pas alors qu'il a été reconnu explicitement par la Cour suprême du Canada.

Le sénateur Cools: Lorsque vous dites qu'il existe une prérogative visant la négociation avec des gouvernements, parlez-vous de gouvernements étrangers?

M. Monahan: Non. La Cour suprême du Canada fait allusion à des négociations entre le gouvernement du Québec et les gouvernements des autres provinces. Vous jugez, sénateur Cools, que ce pouvoir n'existe peut-être pas. Si c'était le cas, comment le gouvernement du Canada pourrait-il se conformer à l'arrêt de la Cour suprême du Canada?

Le sénateur Cools: À mon avis, s'il existe une loi, vous pouvez la nommer. À ce moment-là il ne nous serait plus nécessaire de deviner. Nous le saurions. Il s'agirait de quelque chose de tangible, un document auquel nous pourrions nous référer.

M. Monahan: Cette prérogative n'est pas assurée par des lois. Il s'agit d'un pouvoir découlant de la common law qui n'est pas défini dans les lois.

Le sénateur Cools: Justement. C'est justement pourquoi on appelle cela une prérogative. Il s'agit du droit associé à la prérogative. C'est pourquoi cela ne figure pas dans les lois. J'essayais d'identifier...

La présidente: Sénatrice Cools...

Le sénateur Cools: Mais c'est très important.

La présidente: Les questions de tous les sénateurs sont très importantes.

Le sénateur Cools: Nous devons décider comment le comité se penchera sur ces préoccupations.

La présidente: Puis-je faire une suggestion? Si vous voulez préparer une liste de questions, je serai heureuse de la transmettre à ceux à qui vous voulez bien les adresser.

Le sénateur Cools: J'aimerais poser ces questions, parce le projet de loi repose en fait sur la prérogative. Les leaders nous l'ont dit. Le gouvernement nous a bien dit que le texte entier du projet de loi repose justement sur cette prérogative de négocier la sécession. Le gouvernement peut le faire sans nous.

J'aimerais justement comprendre ce qu'est cette prérogative. Le leader du gouvernement au Sénat ne veut pas nous le dire. Le ministre non plus. Et le professeur nous dit aussi qu'il ne peut pas nous le dire.

La présidente: Il a répondu à la question à deux reprises.

Le sénateur Cools: Non, il ne nous a pas dit quelle est justement cette prérogative. Ces prérogatives ont un nom. Il s'agit de lois. Il ne s'agit pas simplement d'éléments mystiques. Il s'agit d'une série de lois. Et c'est le coeur même du projet de loi dont nous sommes saisis.

La présidente: Sénatrice Cools, vous avez posé la question à deux reprises. La réponse de M. Monahan ne convient peut-être pas à certains sénateurs, mais c'est sa réponse, et il l'a donnée deux fois.

M. Monahan: La Cour suprême du Canada a identifié expressément l'obligation de négocier la sécession une fois qu'on aura obtenu une majorité claire sur une question claire. La Cour suprême a donc clairement identifié qu'il s'agit là d'un des aspects de la prérogative.

C'est justement comment nous définissons certains aspects de la prérogative qui n'ont peut-être pas été clairs ou qui n'existaient peut-être pas auparavant dans ce cas-ci. Nous avons dorénavant un arrêt de la Cour suprême du Canada, qui dans le cas qui nous occupe, comme dans d'autres affaires, a reconnu certaines prérogatives de la Couronne.

Le sénateur Cools: C'est donc la première fois que la Cour suprême a défini une prérogative royale? C'est la première fois de notre histoire que la cour l'a définie?

M. Monahan: Non.

Le sénateur Cools: Mais oui.

M. Monahan: Je m'excuse.

Le sénateur Cools: Passons donc à l'élément central. Un principe stipule qu'il ne faut pas tromper le souverain sur le caractère d'un projet de loi ou d'une mesure qu'on lui demande d'approuver par la sanction royale. N'est-ce pas exact?

M. Monahan: Je ne sais pas si j'ai bien compris. Dans quelles circonstances pourrait-on tromper le souverain? Voulez-vous dire que le greffier pourrait présenter un projet de loi disant qu'il vise à assurer quelque chose alors que ce n'est pas vrai et qu'on tromperait ainsi le gouvernement? Cela serait certainement inacceptable.

Le sénateur Cools: Fort heureusement, les greffiers ne proposent pas de projets de loi; seuls les sénateurs ou les députés peuvent le faire.

M. Monahan: Mais pour qu'ils soient signés! Allez-y.

Le sénateur Cools: Le gouvernement nous a dit qu'il peut faire comme bon lui semble, et qu'il ne doit rendre des comptes qu'à la Chambre des communes, parce que cette dernière est la seule Chambre habilitée à prendre un vote de confiance. Êtes-vous d'accord?

M. Monahan: Voulez-vous savoir si je reconnais que le gouvernement a émis cette opinion? Je crois que je l'ai lue dans le document présenté par M. Dion, mais je n'ai pas entendu son exposé.

Le sénateur Cools: Le gouvernement nous dit que seule l'approbation de la Chambre des communes est nécessaire, puisqu'il s'agit de la seule Chambre habilitée à prendre un vote de confiance. Il peut donc exclure le Sénat, par une résolution de la Chambre des communes, en ce qui a trait à la clarté.

Si le gouvernement n'a pas besoin de l'approbation du Sénat, que ce soit pour cette résolution ou une autre, parce que la Chambre des communes est la seule Chambre habilitée à prendre un vote de confiance, pourquoi le gouvernement a-t-il besoin d'un projet de loi pour exclure le Sénat? Si, de par la définition même du gouvernement, il n'a pas du tout besoin du Sénat, pourquoi a-t-il besoin d'un projet de loi visant à exclure le Sénat?

M. Monahan: Ce projet de loi n'a pas pour objet d'exclure le Sénat. Vous avez mal compris son objet. Le projet de loi a pour objet d'empêcher le gouvernement de participer à des négociations si certaines conditions préalables ne sont pas respectées. C'est ce que vise le projet de loi C-20.

Le sénateur Cools: C'est justement ce que j'espérais que vous diriez. Aurais-je donc raison de vous dire que l'objectif réel du projet de loi C-20 est, en fait, de créer une prérogative qui n'existe pas actuellement? C'est-à-dire la prérogative d'un gouvernement négociant la sécession?

M. Monahan: Non.

Le sénateur Cools: Pourquoi a-t-on donc besoin de ce projet de loi?

M. Monahan: Justement, c'est la situation contraire. Ce projet de loi vise à limiter une prérogative qui, si ce n'était de ce projet de loi, serait assujettie au pouvoir discrétionnaire du gouvernement seulement, et aux obligations associées au renvoi relatif à la sécession. En fait, c'est d'ailleurs une raison pour laquelle le Parlement a souvent adopté des lois -- pour limiter les prérogatives. La prérogative est le pouvoir dont jouit le roi ou la reine depuis le Moyen <#00C2>ge. Le Parlement impose des limites à cette prérogative. C'est justement l'objet visé par le projet de loi C-20, à mon avis.

Le sénateur Banks: Je suis franchement impressionné par vos vastes connaissances. Je ne suis pas avocat. Si je l'étais, je n'aurais jamais la témérité de débattre avec vous comme je suis sur le point de le faire.

Ceux qui appuient le libellé actuel du projet de loi, et ils ne sont pas très nombreux, défendent le pour et le contre de la même question. D'un côté ils disent qu'il ne s'agit là que d'une affaire courante et qu'il n'y a pas vraiment lieu de s'inquiéter. De l'autre ils disent que le projet de loi est une mesure sans précédent et que le gouvernement n'est donc pas lié par la tradition et la pratique qui veulent que l'on renvoie les questions importantes au Sénat pour qu'il les approuve.

Vous avez signalé que dans nombre de projets de loi le gouvernement du Canada a laissé d'autres personnes déterminer les responsabilités, des responsabilités qui le lient par la suite. Vous avez également signalé que le projet de loi dont nous sommes saisis devrait viser à protéger la question -- une question qui, nous l'espérons, ne sera jamais posée -- des influences politiques et qu'il devrait donc être caractérisé par une certaine continuité.

Je crois que c'est justement pour ces raisons que le Sénat devrait avoir voix au chapitre. Tous les autres exemples, ces beaux arguments juridiques qui citent des précédents indiquant que de telles choses ne devraient pas se produire, sont bien présentés, et je suis convaincu qu'ils ont des fondements juridiques solides, mais à mon avis aucune autre question, certainement aucune question de ce genre, n'a jamais été présentée au Parlement, ou au gouvernement, ou au Sénat ou à la Chambre des communes. Il s'agit là de circonstances uniques. Il ne faudrait donc pas se demander: «Le gouvernement peut-il faire ceci?» ou «Le gouvernement et la Chambre des communes peuvent-ils faire ceci?» ou «Peut-on déroger à la façon normale de faire les choses?», mais plutôt «Le gouvernement devrait-il faire ceci? La Chambre des communes devrait-elle être la seule Chambre qui a voix au chapitre dans cette affaire?»

C'est mon premier commentaire, auquel vous voudrez peut-être répondre, et en fait vous avez déjà fait beaucoup de commentaires sur des questions de ce genre.

Ma deuxième question porte sur les directives, une question qu'a déjà abordée le sénateur Joyal. La Cour suprême semble avoir fait des pieds et des mains pour ne pas faire suivre le terme «obligation» du terme «légale». En fait, la Cour suprême a signalé qu'il fallait faire une distinction entre la légalité et la légitimité. Je pose cette question parce que je ne suis pas un expert. Qu'en est-il de cette définition?

Ma troisième question a été abordée par le sénateur Grafstein. D'après vous, et c'est une hypothèse, que se produirait-il si le Sénat disait dans cette affaire, comme il l'a fait pour l'ALENA, qu'à son avis le gouvernement sous sa forme actuelle n'a pas le mandat de négocier une question de cette importance et doit obtenir ce mandat avant de négocier la dissolution du pays?

Je pose cette question simplement parce que je ne crois pas que nous soyons jamais saisis, peu importe combien d'années je passerai au Sénat, d'une question aussi importante que celle que nous espérons ne jamais jamais à entendre.

M. Monahan: Permettez-moi de répondre tout d'abord à votre troisième question, parce qu'il s'agit d'une question intéressante, légèrement différente des autres. Je crois que vous pensiez à l'arrêt de 1988 portant sur l'Accord de libre-échange, non pas sur l'Accord de libre-échange nord-américain, mais bien sur l'Accord de libre-échange entre le Canada et les États-Unis. M. Turner avait alors annoncé que le Sénat, où le Parti libéral jouissait de la majorité, ne promulguerait pas un projet de loi visant à mettre en oeuvre l'ALENA. Ainsi, on devait demander au Sénat de promulguer un projet de loi visant à mettre en oeuvre cet accord.

Le Sénat devait-il se prononcer sur la question de savoir si le gouvernement pouvait entreprendre des négociations? Non. Le Sénat a-t-il déterminé si les propositions étaient claires ou si diverses conditions avaient été respectées avant que ces négociations ne soient entamées? Non. On a demandé au Sénat, comme on l'a toujours fait dans notre système, de promulguer une loi. Lorsqu'on lui a demandé de le faire, il a refusé parce qu'il ne croyait pas qu'il s'agissait là d'un mandat. Est-ce que la même question se pose ici? Oui.

Lorsqu'on cherchera à présenter un amendement pour autoriser la sécession d'une province, une résolution sera présentée au Sénat et à la Chambre des communes conformément aux dispositions de la partie V. Le Sénat n'aurait qu'un veto suspensif, mais il pourrait décider de ne pas adopter la mesure à ce moment-là, tout comme il l'a fait en 1988. Rien ne changerait. Il n'y aurait aucune dérogation. Cela ne changerait rien aux traditions du Sénat. En 1988, on n'a pas demandé au Sénat d'approuver les négociations de M. Reisman. M. Reisman n'est pas venu demander l'opinion du Sénat.

Le sénateur Banks: S'agit-il du même genre de chose? Je ne le crois pas.

M. Monahan: À mon avis, les circonstances actuelles sont quelque peu différentes. Puisqu'on crée ainsi un précédent, il ne s'agit donc pas d'une affaire courante. Le gouvernement a jugé bon de déposer un projet de loi qui demande à la Chambre de se prononcer à l'avance. À mon avis il n'y a aucune raison pour laquelle le gouvernement ne peut pas procéder de cette façon. En fait, il s'agit là d'une évolution positive parce que cela permet ainsi aux partis de l'opposition de participer au débat. Tous les députés, tous les élus, pourront avoir voix au chapitre quand viendra le temps de déterminer s'il s'agit là d'une question claire.

Je crois que j'ai déjà indiqué que cela serait approprié, que cela ne déroge pas aux traditions du Sénat. Je n'ai rien d'autre à ajouter.

La présidente: Merci beaucoup, monsieur Monahan. Cela nous amène à la fin de nos questions. Nous ne passerons pas à un deuxième tour.

[Français]

Le sénateur Bolduc: Si je comprends bien, dans notre système de «Cabinet government», on est toujours sur une «fast track authority» comme diraient les Américains, n'est-ce pas?

[Traduction]

M. Monahan: Non, parce que si nous voulons que le gouvernement prenne cette décision, on aurait pu le faire sans consulter qui que ce soit d'autre, mais il a décidé de consulter la Chambre des communes. Je ne vois pas pourquoi nous dirions que cela représente d'une certaine façon le système américain ou qu'il s'agit d'une méthode qui n'est pas appropriée. Je crois que c'est une façon parfaitement appropriée pour le gouvernement de procéder.

La présidente: Merci, monsieur Monahan. Cette discussion a été fort enrichissante.

[Français]

La présidente: Bonsoir professeur Garant et bienvenue au Sénat. Je vous laisse d'abord faire votre présentation et ensuite, nous passerons à la période des questions.

M. Patrice Garant, professeur, faculté de droit, Université Laval: Honorables sénateurs, je vous remercie de m'avoir invité pour vous entretenir quelque peu du problème de la clarté référendaire. Je vous ferai part rapidement, hélas, de mes observations, car j'aurais bien aimé avoir deux heures et demie comme mon prédécesseur, mais quand on vient de Québec, c'est moins important que si on vient de Toronto.

Quoi qu'il en soit, je m'intéresse naturellement à la réforme constitutionnelle.

Le sénateur Prud'homme: Ce que M. Garant a dit, avec un sourire, va être écrit et restera. S'il veut prendre 2 heures et demie, c'est son privilège.

M. Garant: J'essaierai d'être bref et de vous faire part de ce qui m'a frappé dans ce projet de loi C-20, au regard du Renvoi relatif à la sécession du Québec. J'ai eu l'honneur d'être invité au Congrès mondial de droit constitutionnel au mois de juillet l'an dernier, à Rotterdam aux Pays-Bas. J'ai pu y entretenir quelque 400 constitutionnalistes sur ce Renvoi relatif à la sécession du Québec que je considère comme probablement l'avis le plus important de l'histoire de la Cour suprême du Canada. D'ailleurs, c'est un avis qui a non seulement surpris, mais épaté la plupart des constitutionnalistes qui font du droit constitutionnel comparé.

Ce qui frappe dans ce renvoi, -- et d'ailleurs ce qui frappe aussi dans le projet de loi C-20 -- c'est que la démarche sécessionniste est considérée légitime. La Cour suprême a fait un choix délibéré, celui de proclamer la légitimité de cette démarche qu'elle a cependant placé dans un cadre ordonné qui est celui de la légalité constitutionnelle.

La cour a donc voulu faire un tour de force en respectant la légitimité de la démarche constitutionnelle de la population d'une province. J'insisterais sur le fait qu'il s'agit de la population d'une province et non pas de n'importe quel segment de la population canadienne. Les provinces canadiennes sont des États fédérés déjà nantis d'une souveraineté étatique, limitée certes, mais la province est un territoire, une collectivité qui a une structure gouvernementale. Parler de la légitimité de la démarche de la population d'une province, c'est devenu important pour la Cour suprême.

Cependant, comme vous le savez, la Cour suprême a considéré deux questions. Un certain nombre de questions très importantes devraient être réalisées pour que cette démarche sécessionniste aboutisse dans la légalité, que la question soit claire et que la réponse donnée à cette question par la population soit sans ambiguïté. De là découle -- et cela a été génial comme l'ont dit la plupart des constitutionnalistes à travers le monde -- cette obligation constitutionnelle de négocier que la Cour suprême a déduite de l'ensemble des caractéristiques du constitutionnalisme canadien et qu'elle a affirmé, comme créatrice de normes constitutionnelles, de sorte qu'il est difficile de remettre en cause ce qui a été dit par la Cour suprême.

C'est un choix délibéré. La cour n'a pas rendu jugement sur le banc, elle a pris six mois pour délibérer. Une multitude de documents lui ont été apportés. Elle s'est prononcée à l'unanimité dans un jugement remarquablement clair et il faut vraiment prendre cet arrêt comme point de départ.

Maintenant, la Cour suprême s'est tournée vers les acteurs politiques pour leur demander de préciser quels seraient les paramètres de cette question claire et de la réponse non ambiguë qui pourraient y être donnés. Elle n'a pas invité particulièrement le Parlement à élaborer une législation, mais nous avons une législation. C'est un choix du Parlement canadien de nous proposer le projet de loi C- 20. La Cour suprême n'a pas non plus indiqué quels seraient les acteurs qui mettraient en <#0139>uvre les critères qu'une législation éventuelle pourrait énoncer en vue de déterminer ce que sera la question claire et la réponse non ambiguë à cette question.

Le projet de loi C-20 fait un choix politique et désigne comme acteur politique par excellence la Chambre des communes. Je reviendrai sur cette question, vous vous en doutez bien, dans la seconde partie de mon exposé parce que cela préoccupe énormément les membres de cette Chambre.

De nombreuses questions ont été posées depuis plusieurs mois sur le projet de loi C-20. Était-il opportun et est-il logique au plan constitutionnel qu'à l'avance, nous ayons une loi qui vienne fixer les paramètres de ce que sera la question claire? Je pense que logiquement, on peut facilement voir découler du renvoi qu'il était admissible et correct pour le Parlement de proposer une législation qui fixe les paramètres de ce que sera une question claire. La Cour suprême a considéré que les acteurs politiques avaient une obligation constitutionnelle concrète, de sorte qu'à l'avance, nous ayons une législation qui dise à l'ensemble de la population quels seront les critères d'une question claire pour le gouvernement fédéral. Cela paraît très défendable, de sorte que ceux qui sont contre le fait que le Parlement propose une telle législation n'ont peut-être pas raison en ce sens que le Parlement fédéral, consciemment, exerce une invitation à une obligation constitutionnelle concrète dont a parlé la Cour suprême.

Voilà en ce qui concerne le «timing» d'une législation qui énonce un certain nombre de critères. Immédiatement à l'article 1 de cette loi, on voit, en ce qui concerne le «timing», apparaître une période à l'intérieur de laquelle la loi invite la Chambre des communes à se prononcer sur la clarté de la question, donc à mettre en <#0139>uvre les critères qu'il y aura dans la législation.

Il est extrêmement discutable de voir apparaître cette période de 30 jours pour la raison suivante. Certes, l'intervention de la Chambre des communes est là pour indiquer au gouvernement s'il aura ou non l'obligation de négocier, mais implicitement, cette intervention pourrait être considérée comme destinée à influencer l'électorat québécois. Ce serait donc une espèce d'intervention d'une instance fédérale dans les rapports entre une législature provinciale et son électorat, de telle sorte qu'on pourrait douter que cet article 1 soit vraiment conforme, au moins à l'esprit du fédéralisme et de la démocratie qui sont deux des principaux fondements du renvoi de 1998.

Certains pourraient même prétendre que c'est d'une constitutionnalité douteuse et que le Parlement fédéral s'immisce de façon subtile dans un champ de compétence législative provinciale. Si ce n'était que de moi, j'enlèverais ces 30 jours pour éviter cette espèce d'apparence d'immixtion dans le processus référendaire au niveau provincial.

Dans un texte que je vous ferai parvenir, -- hélas je l'avais fait parvenir à l'avance, mais il n'est pas arrivé ici à Ottawa -- je traite de l'importance de la décision. Évidemment, je n'aurai pas à vous convaincre de cela. La Cour suprême a employé des termes extrêmement forts. Elle a parlé d'une question d'une extrême importance. Elle a parlé de l'importance fondamentale, pour le public, de cette question de la sécession et c'est là qu'elle a considéré qu'il fallait que la détermination soit l'expression de la volonté démocratique de la population d'une province.

Alors cette idée de population de la province qui doit se prononcer m'amène précisément à poser la fameuse question de la majorité qui sera requise. On voit que la Cour suprême y a accordé une très grande importance. Je ne suis pas surpris qu'un certain nombre de sénateurs posent la question fondamentale de l'adhésion de l'ensemble de la population du Canada également à cette démarche, qui non seulement aboutira à la sécession d'une province mais risquera également de démembrer le Canada. La cour emploie l'expression «démembrement». Cela peut aller jusqu'à l'éclatement même du Canada. Je comprends ceux qui sont un peu perturbés par cette démarche constitutionnelle et qui sont inquiets du fait que l'ensemble de la population canadienne ne soit pas associée à cette démarche sécessionniste d'une partie du Canada.

En ce qui concerne la détermination de ce qui fera l'objet des négociations, il m'est apparu qu'une fois que la Cour suprême parle de légitimité, une fois qu'une question claire aura obtenu une réponse claire d'une majorité significative de la population d'une province, il sera probablement très difficile de revenir discuter du principe même de la sécession à la table des négociations. Il me semble qu'on est déjà à une étape de la négociation des conditions mêmes de l'accession à la souveraineté. Il est extrêmement important de suivre la Cour suprême sur la prudence qu'il faut avoir à cet égard.

Une autre question m'a frappé. Si le Parlement fédéral adopte une législation et qu'en vertu de cette législation des décisions gouvernementales seront prises, on entre dans la sphère d'un contrôle judiciaire possible de cette démarche sessionniste. Cela comporte des avantages et des désavantages.

Au plan strictement juridique, le projet de loi C-20 pourrait faire l'objet d'une contestation constitutionnelle parce que c'est une loi du Parlement. Les décisions gouvernementales seront prises en application de cela et peut-être même de la résolution de la Chambre des communes. En droit constitutionnel canadien, les résolutions des Chambres ne sont pas contestables judiciairement, mais celle-ci est d'un type tellement nouveau et en application d'une législation qui mène carrément à une révision constitutionnelle. Très vraisemblablement, une cour de justice pourrait être saisie de la validité constitutionnelle -- soit au regard de la Charte, soit au regard même du projet de loi C-20 -- de cette résolution de la Chambre des communes ainsi que des décisions gouvernementales qui seront prises.

Avec ce projet de loi, on risque d'entrer dans une phase de contestation constitutionnelle. D'ailleurs, cela se prépare déjà à Québec. Certains fourbissent leurs armes dans le but de contester devant les tribunaux. Il s'agit d'un élément important à souligner dans la démarche du projet de loi C-20. Lorsqu'il sera adopté et que les décisions seront prises, il y aura vraisemblablement contentieux constitutionnel.

En ce qui a trait à la clarté de la question, l'objet essentiel de la question devrait porter sur la séparation et l'indépendance, uniquement et exclusivement. Certes, une législature peut poser diverses questions, mais on doit bien distinguer une question précise qui porterait sur l'indépendance, sur la séparation, de la réponse à cette question.

Le projet de loi donne des exemples, voulant éliminer des questions qui, par le passé, ont été considérées comme étant ambiguës. À cet égard, je soulèverai tout de même un certain nombre de questions au regard, notamment, de l'alinéa 4 de l'article 1. Ces deux exemples de question ambiguë m'inquiètent un peu, en ce sens qu'il s'agit presque, dans ce cas, d'un jugement de valeur sur les questions qui avaient été posées à la population en 1980 et en 1995.

C'est peut-être indélicat pour un Parlement que de se prononcer sur la qualité d'une intervention d'un autre niveau de Parlement. Quoi qu'il en soit, on saisit bien l'idée. L'important est d'avoir une question qui porte essentiellement, sinon exclusivement, sur la souveraineté afin de bien déterminer la véritable réponse de la population à cette question.

Il s'agit de discuter avec des gens intéressés à cette question, tant du côté souverainiste que fédéraliste, pour voir l'éventail des opinions et voir que certaines personnes, très honnêtement, vous diront qu'une question claire porterait sur la volonté de séparation et permettait de conserver la citoyenneté canadienne, le passeport canadien, le dollar canadien, et peut-être même les montagnes Rocheuses. Il appartiendra aux répondeurs de déterminer si la question est claire.

Malheureusement je ne suis pas d'accord avec cela. Il faut que la question soit claire. La Cour suprême l'a bien dit, la question doit porter essentiellement sur la séparation, de sorte que si on pouvait enlever les exemples, on pourrait en venir à une proposition où la question sera claire si elle porte uniquement et exclusivement sur la sécession. C'est peut-être radical, mais au moins on sait à quoi s'en tenir.

Quant à la non-ambiguïté de la réponse, l'article 2, l'alinéa 2, énonce trois critères qui permettraient à la Chambre des communes de déterminer si une majorité claire de la population opte pour l'indépendance. On énonce ces trois critères comme étant l'importance de la majorité des voix, le pourcentage des électeurs ayant voté, et tout autre facteur ou circonstance pertinente. Il me semble qu'au point de vue clarté on a déjà vu mieux.

Nous sommes en matière constitutionnelle et, comme vous le savez, il existe une jurisprudence constitutionnelle dans notre système. C'est un principe de justice fondamentale que les lois soient claires. Il faut que les lois soient claires, surtout lorsqu'elles sont susceptibles d'affecter les droits fondamentaux.

Déjà, la Cour supérieure du Québec a considéré qu'une démarche sécessionniste risquerait d'affecter les droits fondamentaux des citoyens, de sorte que ce principe de justice fondamentale voulant que les lois ne soient pas trop imprécises, pourrait s'appliquer ici, et cet article pourrait être vulnérable et contesté au regard de cette exigence de précision.

De grands arrêts de la Cour suprême ont traité de la question de la précision constitutionnelle et ont considéré comme précise la norme législative susceptible d'orienter véritablement un débat judiciaire, donc qui est susceptible de structurer le pouvoir discrétionnaire de quelque façon. Ici, le pouvoir discrétionnaire du gouvernement n'est guère structuré, de même que celui de la Chambre des communes, quand on parle de «tout autre facteur ou circonstance». Au point de vue clarté, on a probablement déjà vu mieux.

En ce qui a trait à une réponse claire et à une majorité claire, il me semble qu'on pourrait faire un effort de clarté et peut-être mieux indiquer ce qu'on entend par une majorité claire. La Cour suprême, lorsqu'elle a parlé de majorité, ne s'est pas aventurée à préciser au plan quantitatif, mais elle a tout de même dit beaucoup de choses en ce qui concerne la règle de la majorité.

Elle a dit que modifier la Constitution est extrêmement important. Normalement, cela doit exiger un vaste appui sous forme d'une majorité élargie, de telle sorte que la Cour suprême nous oriente vers l'idée que la majorité absolue, 50 p. 100 des voix plus un vote, ne serait peut-être pas suffisante.

La Cour suprême semble dire qu'il faut une majorité claire au plan qualitatif. Quels seraient les critères pour déterminer ce qu'est une majorié claire au plan qualitatif? La Cour suprême a parlé de la population. Il doit s'agit de la volonté de la population d'une province, de la population du Québec. Elle n'a pas parlé uniquement la volonté des Québécois de souche ou des supporteurs de Maurice Richard, mais bien toute la population du Québec. Dans l'esprit de la Cour suprême, cela semble être plus exigeant que l'exigence d'une majorité simple ou absolue (50 p. 100 plus un), comme le prescrit le projet de loi 99.

À cet égard, afin de clarifier les critères qui déterminent si la réponse est claire, on pourrait peut-être reformuler l'article 2 pour y ajouter un peu plus de précision, sans aller à l'autre extrême, sans en faire un critère automatique.

Par exemple, les deux Chambres qui se prononceront tiendront compte d'un haut niveau de participation de la population, de la qualité du processus référendaire et de l'exigence d'une majorité des voix des électeurs inscrits.

Évidemment, lorsqu'on regarde ce qui se passe au plan du droit constitutionnel comparé, on voit que dans un très grand nombre de cas on s'est contenté de la majorité absolue. Mais dans d'autres cas on a exigé un peu plus que la majorité absolue. On a exigé des majorités qualifiées ou des majorités des électeurs inscrits.

L'idée d'avoir une majorité significative se fondant sur la majorité des électeurs inscrits est que cela donne une certaine marge de majorité. Étant entendu que de façon générale il y a une très forte participation, cela encourage, je pense, la formation d'une majorité significative de la population de la province en cause. Cela donne une marge de sécurité et rend moins contestable et vulnérable l'option, qu'un 50 p. 100 plus un vote, tout simplement.

Cela donnerait un peu plus de sécurité au regard de cette idée d'une adhésion à une majorité claire de la population de la province concernée.

Qu'on ait choisi la Chambre des communes comme acteur politique qui doit appliquer les critères du projet de loi sur la clarté ne m'a pas surpris. En y réfléchissant bien, on se rend compte que ce choix est discutable à bien des égards. Certes, les acteurs politiques selon la Cour suprême sont avant tout les parlements, mais le projet de loi C-20 est plus précis et élargit la gamme des acteurs politiques aux gouvernements, aux assemblées législatives, à la Chambre des communes et au Sénat ainsi qu'aux partis politiques provinciaux. Ce projet de loi donne un rôle majeur à la Chambre des communes parce que c'est elle qui devient détentrice du véritable pouvoir décisionnel qui liera le gouvernement et cette prérogative de la Couronne dont on a parlé tout à l'heure.

Quant au Sénat, il devient une instance consultée comme les partis politiques provinciaux ou comme tout autre groupe ou personne. C'est surprenant au regard du statut et du rôle du Sénat dans la tradition constitutionnelle canadienne. Le Sénat est en principe l'égal de la Chambre des communes. Il y a trois exceptions: l'initiative des lois financières, la responsabilité ministérielle et l'amendement constitutionnel -- l'article 47 sous réserve de l'article 44. Quant à cet article 47 dont on a beaucoup parlé, il faut tout de même admettre que cela a déjà été un premier coup dur au Sénat quant à son rôle essentiel depuis la Confédération. Quand le Sénat a consenti à voir diminuer ses pouvoirs, cela a été une première mesure de rétrogradation du Sénat. Le projet de loi C-20 continue, selon moi, dans cette voie du rabaissement du Sénat. Dans le processus de révision constitutionnelle envisagé par ce projet de loi, le Sénat n'est plus un joueur majeur. Il sera consulté comme les partis politiques des provinces ou comme tout autre groupe au Canada.

À cet égard, au plan de l'évolution constitutionnelle canadienne, au plan du bicaméralisme comme caractéristique essentielle du constitutionnalisme canadien, ce projet de loi est extrêmement préoccupant parce que ce n'est pas un projet de loi strictement constitutionnel. C'est tout de même un projet de loi à saveur constitutionnelle. C'est le préambule d'une révision constitutionnelle majeure. En accentuant la dévalorisation du Sénat, il y a, au profit de la Chambre des communes, quelque chose de très préoccupant.

On a beaucoup parlé de réforme du Sénat, mais plutôt dans le sens d'une revalorisation du Sénat. On a voulu, dans bien des milieux au Canada, non seulement conserver le Sénat, mais lui donner des assises démocratiques. Cela fait peut-être 100 ans qu'on parle de l'élection possible du Sénat. On en parlait du temps de Cartier, de MacDonald et au cours des dernières années. Assister -- alors que la population du Canada semble malgré tout y tenir -- à cette rétrogradation graduelle du Sénat me paraît préoccupant. Je considère qu'il est légitime pour un bon nombre de sénateurs de se poser la question.

Un amendement possible au projet de loi C-20 serait de revenir à l'équivalent de l'article 47, de permettre au Sénat de se prononcer sous la forme d'un véritable veto suspensif pendant une période de temps. Par une deuxième résolution, la Chambre des communes, en cas de désaccord entre les deux Chambres, pourrait renverser le Sénat un peu comme c'est le cas à l'article 47 de la Loi constitutionnelle de 1982. Au moins, on n'accorderait pas une seconde rétrogradation au Sénat. Voilà une des propositions que je pourrais faire pour rendre plus acceptable le projet de loi C-20 aux sénateurs.

La présidente: C'était extrêmement intéressant. Vous avez abordé plusieurs questions fascinantes. Nous passons maintenant à la période des questions.

Le sénateur Beaudoin: Au départ, je désire vous féliciter parce que vous avez touché plusieurs points qui n'ont jamais été abordés jusqu'à présent, c'est-à-dire le statut d'une résolution au Sénat et à la Chambre des communes.

D'entrée de jeu, il faut toujours dire que le projet de loi C-20 est un projet de loi et non pas un amendement constitutionnel. Donc, s'il est adopté, il devient loi. Voilà pourquoi je dis qu'il faut appliquer les principes du bicaméralisme; ce qu'on ne fait pas dans le projet de loi C-20.

On donne uniquement à la Chambre des communes la possibilité de donner un ordre au gouvernement de ne pas négocier parce que la question et le verdict ne sont pas clairs. On fait cela dans les premiers 30 jours. Ce que je n'aime pas beaucoup dans le texte du projet de loi C-20, c'est qu'on donne à une chambre législative le pouvoir de déterminer si la question est claire ou non. Cela ressemble étrangement à un certain pouvoir judiciaire. De quel droit un parlement peut-il juger un autre parlement avant que la loi ne soit adoptée? C'est bien cela qu'on dit. Vous avez des réserves et je les partage, mais que suggérez-vous? Qu'on passe à autre chose? Qu'on élargisse ou qu'on étende la période? J'ai déjà discuté de cela avec des représentants du gouvernement et ils m'ont dit qu'après 30 jours, ce serait trop tard. On se retrouve à se mêler des affaires qui sont dans une chambre législative différente de la nôtre. Est-ce conciliable avec le principe du fédéralisme?

M. Garant: Ce n'est pas conciliable. Dans les 30 jours, l'assemblée législative sera encore à discuter et à voter. C'est vraiment une intervention dans les débats parlementaires d'un autre niveau de parlement. Après tout, les législatures sont des parlements et à cause de ces divisions des pouvoirs dans une fédération, normalement, seuls les tribunaux agissent comme arbitres du partage des compétences. Il ne s'agit peut-être pas d'un problème de partage des compétences, mais au moment où une assemblée législative discute d'un projet de loi, un autre niveau de législature intervient pour se prononcer au regard d'une loi fédérale sur la clarté. Cela me paraît extrêmement délicat, non conforme à l'esprit du fédéralisme et même à l'esprit de la démocratie parlementaire. C'est une espèce de non-intervention dans une fédération, d'un niveau de parlement à l'égard d'un autre niveau de parlement. Cela se fait rarement, même dans les législations ordinaires. On évite de faire coïncider les débats parlementaires sur les mêmes questions. On ne soumettrait pas une loi sur l'environnement dans une province au même moment qu'on discute d'une loi fédérale sur l'environnement, sachant qu'il y aurait peut-être un conflit de juridiction.

Je suis d'accord avec vous, c'est très délicat. Au plan constitutionnel, ce n'est sûrement pas conforme à l'esprit du fédéralisme et du constitutionnalisme tel qu'on l'a vécu jusqu'à présent.

Le sénateur Beaudoin: C'est la première fois qu'on ouvre cette piste. On a touché à l'exécutif, au législatif, et cetera. Mai là, c'est l'intrusion d'un pouvoir dans un autre pouvoir. Cela ne m'apparaît pas heureux comme formule.

M. Garant: J'ai eu l'occasion de discuter avec le ministre de cette question. Il affirmait qu'il fallait protéger la population un peu contre elle-même. La population, les voteurs ne sont tout de même pas des enfants d'école. Jusqu'à un certain niveau, ils peuvent apprécier eux-mêmes.

Certes, il y a tous les hommes politiques au niveau fédéral qui peuvent mettre en garde la population contre une question qui ne serait pas claire. Les Chambres peuvent intervenir plus tard -- même après le référendum -- pour dire qu'aux termes des paramètres de la loi, cette question n'était pas claire et qu'il n'y a donc pas de négociations.

[Traduction]

Le sénateur Furey: Monsieur, dans votre exposé au comité de la Chambre des communes, vous avez indiqué que le Parlement fédéral ne devrait pas se prononcer sur la clarté de la question avant la tenue d'un référendum. Vous avez dit que cela constituerait une ingérence inconstitutionnelle dans les activités démocratiques de la province. Ai-je bien compris?

M. Garant: Oui, c'est ce que je dirais.

Le sénateur Furey: Si la Chambre des communes est d'avis que la question référendaire n'est pas claire et n'engage donc pas le gouvernement fédéral à entreprendre des négociations sur la sécession, ne vaudrait-il pas mieux que la Chambre des communes fasse connaître son opinion avant la tenue du référendum?

M. Garant: D'un point de vue pratique, vous avez peut-être raison. Cependant, pour une question de principe, comme je l'ai dit au sénateur Beaudoin, il est difficile de reconnaître qu'un parlement pourrait se mêler des discussions démocratiques tenues dans un autre parlement, soit l'Assemblée nationale. C'est une question de principe.

Pour des raisons pratiques, il vaudrait peut-être mieux intervenir lorsque les choses sont plus importantes, mais je préfère qu'on s'en tienne aux principes. Je sais qu'après un référendum vous obtenez les résultats. Si le oui l'emportait par une faible majorité, la population pourrait dire: «Eh bien, nous pensions que la question était claire, mais au fédéral on dit maintenant que ce n'est pas le cas.» On pourrait penser que c'est injuste.

Je préférerais qu'on respecte les principes et qu'on dise que la réponse et la question n'étaient pas claires, mais au moment opportun, soit après le référendum.

[Français]

Le sénateur Murray: Vous dites dans votre mémoire que le projet de loi C-20, une fois adopté, deviendra une loi au sens de l'article 52 de la Loi constitutionnelle de 1982. Le contrôle de la constitutionnalité s'applique à la loi et vous ajoutez:

De même, la décision gouvernementale prise en vertu de cette loi est assujettie à la Constitution ainsi qu'à la Charte et peut faire l'objet d'une contestation judiciaire.

En vertu de cette loi, cette décision sera le projet de résolution qui sera déposé par le gouvernement, à la Chambre des communes, visant à déclarer que la question est claire ou ne l'est pas. C'est la décision gouvernementale prise en vertu de cette loi.

Dans quelle circonstance cette décision pourrait-elle faire l'objet d'une contestation judiciaire?

M. Garant: Je voyais davantage dans le processus la décision gouvernementale après la résolution de la Chambre des communes. La Chambre des communes votera une résolution indiquant au gouvernement s'il peut négocier ou non.

Le gouvernement, à la suite de cette résolution, décidera de négocier sur telle ou telle question. C'est cette décision gouvernementale qui suivra la résolution. La résolution pourrait être contestée au regard de la Charte et de la Constitution parce que cette résolution de la Chambre des communes, c'est quelque chose d'un peu nouveau et c'est presque la mise en oeuvre d'une loi du Parlement. Dans ce sens, elle devient presque justiciable.

La décision gouvernementale de négocier sur telle ou telle question pourrait faire l'objet d'une contestation judiciaire. Encore faut-il trouver des motifs de contestation, des violations de la Charte ou des violations de la disposition.

C'est le principe général que cela devient plus facilement justiciable que si on laissait les choses un peu dans le vague comme c'est présentement. Actuellement, on négociera en vertu de la prérogative gouvernementale, un très vaste pouvoir discrétionnaire qui donne moins prise à des contestations constitutionnelles, à un contentieux constitutionnel, que lorsque nous avons une loi. C'est dans ce sens que j'ai parlé de la possibilité d'un contentieux constitutionnel. Il y en a sûrement qui vont s'en saisir. On en parle déjà actuellement.

Le sénateur Murray: Si je comprends bien l'intention du projet de loi, le gouvernement n'aura pas à donner suite à une résolution. Une fois que la résolution déclarant que la question n'est pas claire, et que c'est approuvé par la Chambre des communes, c'est fini. Le gouvernement ne négocie pas.

M. Garant: Oui. Là se poserait la question à savoir si la résolution elle-même pourrait être contestée par des gens qui voudraient la négociation et qui prétendent que la question est claire, que la Chambre des communes s'est trompée, qu'elle a mal appliqué les paramètres ou les critères énoncés dans le projet de loi C-20.

Le sénateur Murray: Quels paramètres?

M. Garant: Dans le projet de loi C-20, il doit y en avoir pour déterminer ce qui est clair par opposition à ce qui ne l'est pas.

Le sénateur Murray: Vous avez pu entendre le professeur Monahan tout à l'heure sur la question de la nature de l'avis de la Cour suprême.

M. Garant: Oui.

Le sénateur Murray: Il soutient que l'avis est obligatoire, qu'on n'a pas le choix et que c'est la loi. À partir du 20 août 1998, on a de nouvelles obligations sur la Constitution canadienne, on a une nouvelle loi sur quelques aspects. La Cour suprême a créé de nouvelles lois.

M. Garant: Je suis entièrement d'accord et l'immense majorité des constitutionnalistes sont de cet avis. On parle d'un avis consultatif obligatoire. Dans les termes, cela peut paraître contradictoire, mais nous sommes en matière constitutionnelle. La Cour suprême l'a dit dans le fameux Renvoi relatif aux juges de la Cour provinciale

Un avis en matière constitutionnelle, lorsque fait à la demande des gouvernements, c'est devenu une nouvelle norme constitutionnelle.On dit que la Cour suprême est créatrice de normes constitutionnelles.

Le sénateur Murray: Vous m'avez convaincu. Comment expliquez-vous la déclaration de l'honorable juge Antonio Lamer?

M. Garant: Je suis tombé de ma chaise quand j'ai entendu cela. Évidemment il n'est plus juge, c'est le citoyen Lamer qui parle. Je ne m'explique pas du tout cet énoncé.

Le sénateur Murray: Il a dit que ni le Québec, ni le restant du Canada n'était obligé de suivre leur avis.

M. Garant: Je ne comprends absolument pas. Je préfère me référer aux arrêts de la cour et aux opinions de l'immense majorité des auteurs de droit constitutionnel.

Le sénateur Murray: Vous nous conseillez de le convoquer devant ce comité pour nous expliquer ce passage?

M. Garant: Demandez-lui de s'expliquer.

[Traduction]

Le sénateur Milne: Je m'excuse de revenir au même genre de questions qu'ont déjà posées plusieurs sénateurs, mais vous avez posé toute une énigme. Vous croyez que la question proposée ou définie au paragraphe 1(4) n'est pas suffisamment claire, et que le projet de loi C-20 ne devrait autoriser qu'une question qui porte exclusivement sur la sécession, et qu'elle devrait être définie de façon plus stricte dans cette partie du projet de loi. Cependant, vous dites également que le gouvernement fédéral ne devrait pas dire à l'avance si la question que pose le gouvernement du Québec est claire.

Cela ne placerait-il pas les Québécois dans une situation fort défavorable, lors du référendum, si le gouvernement fédéral n'annonçait pas sa position à l'avance? Je crois que vous ne prenez pas vraiment position.

M. Garant: Je peux accepter le libellé actuel du paragraphe (4), mais je préférerais une version plus courte qui dirait exactement ce qu'a dit la Cour suprême et ce que vise le projet de loi, soit que nous voulons une question claire sur la sécession, et une réponse à cette question claire. Si vous aviez d'autres questions, il serait possible de les subdiviser et de tenir compte des opinions de la population. Les Québécois veulent-ils la sécession et un partenariat et les autres avantages associés à la situation actuelle? Vous pourriez avoir des réponses différentes à cette question. L'expérience m'a appris que même en 1995 plusieurs Québécois ont voté oui parce qu'ils jugeaient qu'il n'y aurait pas de vraie sécession, de vraie séparation, mais plutôt une nouvelle entente.

Le sénateur Murray: Des négociations.

M. Garant: C'est justement ce que je voudrais éviter. Je suis peut-être radical, mais nous devons être clairs. Il s'agit d'un projet de loi sur la clarté. Donc ce devrait être l'élément central.

Le sénateur Milne: Vous semblez proposer une plus grande clarté pour ce qui est du projet de loi sur la clarté.

Le sénateur Murray: C'est ce que nous faisons tous.

[Français]

Le sénateur Nolin: Est-ce que la Cour suprême, dans son avis, indique au gouvernement la voie législative telle qu'elle nous est proposée dans projet de loi C-20?

M. Garant: Elle ne l'exclut sûrement pas. Elle s'en remet aux acteurs politiques de choisir la voie qui permettrait de déterminer ce qu'est une question claire. La voie législative habituellement consiste à légiférer. Il s'agit précisément d'énoncer ses couleurs. La voie législative n'est pas un mauvais choix, surtout que nous voulons indiquer à la population ce que doit être une question claire et une réponse claire. De cette voie découlera la fameuse obligation constitutionnelle de négocier. C'est la condition essentielle au déclenchement de l'obligation de négocier. Le fait qu'une loi soit votée par le Parlement est central.

Je sais qu'au Québec certains prétendent que c'est un rouleau compresseur, une intervention. Mais non, c'est conforme à l'esprit du renvoi de la Cour suprême. Ce n'est sûrement pas contraire même si la Cour suprême ne dit pas qu'elle souhaiterait qu'une loi vienne énoncer les critères qui permettront de déterminer si c'est clair.

Le sénateur Nolin: Vous soulevez dans un texte que j'ai lu et dans vos remarques préliminaires la question de l'à-propos de l'époque où la fameuse résolution de la Chambre des communes sera prise, communément appelé le «timing» de cette décision. Dans une réponse à un de mes collègues tout à l'heure, vous avez même mis de l'avant l'hypothèse d'une décision prise après le vote.

M. Garant: Après 30 jours. Cela pourrait être après le référendum.

Le sénateur Nolin: Après le référendum présenté aux Québécois et répondu par les Québécois. J'aimerais que vous élaboriez sur cette question.

M. Garant: J'ai tenté d'expliquer que naturellement on est un peu coincé. Si on attend après le référendum, on pourrait se faire reprocher par la population qu'on aurait pu les aviser d'avance, les mettre en garde. En ce qui a trait aux 30 jours, au plan des principes, c'est carrément une intervention dans le processus législatif d'un autre niveau de gouvernement. Vous pourriez peut-être dire entre les deux, laissons la législature voter sa question et on se prononcera après qu'elle ait voter, mais après le vote de la question, on est en période référendaire. Alors est-ce qu'il est opportun d'intervenir? Cette intervention naturellement est possible. Tous les politiciens fédéraux doivent s'impliquer, et cetera, comme cela a été le cas lors des deux derniers référendums. Est-ce que cela serait du même ordre? À ce moment-là, la résolution serait considérée comme une intervention, comme n'importe quelle autre intervention dans le processus. Je ne sais pas. Je préférerais carrément qu'on laisse un peu écouler le temps et attendre le résultat du référendum, étudier la question et la réponse et voir si tout répond au critère de clarté énoncé dans le projet de loi C-20.

Le sénateur Nolin: En vertu de la Loi référendaire du Québec, le débat sur la question doit durer au moins 35 heures. Il doit s'écouler au minimum 18 jours entre le dépôt de la question et le vote à l'Assemblée nationale sur la question. Votre questionnement sur l'à-propos du 30 jours est très justifié, parce que toute évidence, si on prolonge le délai à 30 jours, on tombe en plein milieu de la période référendaire, ce qui vous apparaîtrait comme une intrusion. Vous avez utilisé les mots «peu délicat» pour ne pas dire tutelle ou désaveu. Ce sont des mots qu'on connaît en droit constitutionnel. Si on ne peut pas le faire pendant le débat sur la question, on ne peut pas le faire pendant la décision de la question par la population. Quand allons-nous le faire?

M. Garant: Il faudra attendre après.

Le sénateur Nolin: La population ne pourrait pas dire que nous ne leur avons pas dit?

M. Garant: Il y a beaucoup de monde qui vont le dire. Je pense que l'ensemble des politiciens fédéralistes le diront parce que la clarté sera un enjeu important. Si c'est vraiment une question ambiguë, tout le monde dira: «Si vous votez là-dessus, c'est à vos risques et périls.» L'obligation de négocier comme gouvernement fédéral dépend de la clarté. Le gouvernement dira: «Nous vous mettons en garde parce que nous croyons, nous avons tout le sentiment, que cette question n'est pas claire, elle est ambiguë.»

Le sénateur Nolin: J'ai une dernière question. Vous avez, fort à propos, émis l'hypothèse de la judiciarisation, d'une quasi-loi ou d'une résolution de la Chambre des communes. Vous allez devoir nous éclairer sur cela, car j'ai toujours compris que le Parlement faisait des lois et que lorsqu'il faisait des lois, il les judiciarisait automatiquement. Le pouvoir judiciaire pouvait, dès lors que le processus parlementaire avait pleinement pris son essor, faire en sorte que la loi soit ouverte à l'interprétation des tribunaux. Vous émettez ici une hypothèse très intéressante.

Si c'est judiciarisable, c'est donc une loi. Si c'est une loi, c'est donc le processus parlementaire qui s'applique, mais le processus parlementaire inclut le Sénat et la reine ou son représentant. Comment alors dessiner un beau cercle avec les problèmes contradictoires que nous rencontrons dans le projet de loi C-20?

M. Garant: La résolution serait judiciarisable, donc ferait l'objet d'un contentieux constitutionnel. L'application d'une loi fédérale va vraiment dans ce sens. La judiciarisation, surtout en matière constitutionnelle, n'est pas mauvaise en soi. J'avais écrit, dans le journal Le Devoir, au moment où le gouvernement avait décidé de demander l'avis, que c'était un pavé jeté dans la marre, mais en relisant l'arrêt de la Cour suprême, j'ai réalisé qu'il n'était peut-être pas si mauvais de saisir la Cour suprême d'une question aussi importante. La judiciarisation pour protéger les libertés, les droits des collectivités, peut être une bonne façon de procéder.

Le sénateur Nolin: Je n'ai aucun problème avec cela. Je veux simplement que ce soit fait selon les règles.

M. Garant: En matière constitutionnelle, cela peut se faire rapidement. Cela ne prendra pas des années. Nous pouvons saisir directement la plus haute cour et en l'espace de quelques mois avoir une réponse. Nous ne pouvons pas pendant 10 ans parler de sécession. Nous devons passer à autre chose à un moment donné.

Le sénateur Gill: Ma question concerne les autochtones. Vous avez mentionné que plusieurs parties devaient être impliquées dans les consultations concernant la législation, mais vous n'avez pas parlé des autochtones.

Selon votre curriculum vitae, vous avez vécu certaines expériences au Québec touchant les communautés authoctones, dont la Commission Dorion sur l'intégrité du territoire du Québec. Vous avez dû être également témoin des démarches concernant la Convention de la Baie James et du jugement du juge Malouf rendu dans cette histoire à propos de l'extension des frontières du Québec. Pour qu'il y ait extension des territoires et que ce soit appliqué, il fallait que les authoctones soient consultés -- et je ne parle pas uniquement d'une consultation pour plaire aux gens. Ne pensez-vous pas qu'il y ait obligation que les autochtones soient impliqués dans le cas présent, peu importe ce qui arrive au Québec ou ailleurs au Canada, puisque la population autochtone est répartie à travers le Canada? Ne pensez-vous pas que ce doit être une obligation majeure du gouvernement fédéral, afin que les autochtones soient consultés et considérés?

M. Garant: La loi n'en parle pas en termes aussi clairs. Il est évident que les autochtones sont implicitement inclus dans les groupes et que leur opinion doit être prise en compte par la Chambre des communes, mais au sens strict, non. Comme les amendements peuvent être soulevés, d'après ce que j'ai entendu du ministre Dion, il faudrait voir à votre affaire si vous voulez très spécifiquement qu'il y ait au moins une consultation auprès des autochtones. Ce n'est pas dit expressément. Si vous voulez aller plus loin, c'est tout autre chose. Déjà, le Sénat est exclu, il ne reste que la Chambre des communes. On commence par réimpliquer le Sénat et si vous voulez que d'autres groupes aient un véritable veto, alors c'est une autre paire de manches. Je ne dis pas que je suis en désaccord avec vous, mais il reste que le projet de loi ne va pas dans cette direction

Le sénateur Gill: Quand je parle d'extension des frontières du Québec, je parle de l'histoire de la Proclamation royale. Je parle de ce qui est inscrit dans l'histoire et qui a été reconfirmé en 1982, lors du rapatriement de la Constitution sur les droits inhérents des autochtones. Peu importe ce qu'on dit actuellement, vous ne pensez pas que les autochtones devraient être consultés, peu importe ce qui arrive concernant une redistribution des territoires ou une reconfiguration des territoires, simplement à partir des obligations constitutionnelles?

M. Garant: D'ailleurs, la Cour suprême a dit expressément que toute la question autochtone devra être obligatoirement à la table des négociations. Maintenant, qu'est-ce qu'elle a voulu dire par cela? Est-ce que les autochtones seront directement impliqués ou faudra-t-il aller plus loin et avoir le consentement des autochtones pour rediscuter des droits territoriaux, des frontières, et cetera? Cela dépendra des négociations qui s'enclencheront à la table. La Cour suprême a été prudente à ce sujet.

Le sénateur Bolduc: Je veux simplement dire que les préoccupations que j'avais ont été exposées par un de mes collègues et que j'ai reçu réponse à mes questions. J'en suis très satisfait.

[Traduction]

Le sénateur Kroft: J'essaierai d'être bref. Je vous poserai une question qui ne découle pas directement des commentaires que vous avez faits.

Vous avez parlé d'ingérence dans les affaires de la province. Vous faisiez alors allusion au choix du moment en ce qui a trait à la question de la clarté. J'aimerais savoir ce que vous pensez d'une question qui a été soulevée aujourd'hui. Un de nos collègues, qui cherchait une autre façon d'aborder la clarté, a dit qu'il serait peut-être utile d'inclure dans le projet de loi le texte d'une question. Puisque nous essayons de déterminer si certaines mesures représenteraient une ingérence dans les affaires d'une province, j'aimerais savoir, brièvement, ce que vous pensez de cette suggestion.

M. Garant: Je n'irais pas aussi loin que cela. Je préférerais faire ce que la Cour suprême a dit à l'égard de l'objet essentiel d'une question, soit savoir si la population appuie la séparation ou la sécession. C'est la question fondamentale.

Le sénateur Kroft: En d'autres termes, vous préféreriez parler de la qualité de la question plutôt que de son libellé?

M. Garant: C'est exact.

[Français]

Le sénateur Kinsella: J'aimerais savoir si vous croyez que le rôle donné à la Chambre des communes constitue une forme de désaveu? Si la Chambre des communes doit poser un jugement, cela veut-il dire que si la question n'est pas bonne, cela constituerait une forme de désaveu? Si l'Assemblée nationale présentait une question et que la Chambre des communes décidait que ce n'est pas une bonne question, est-ce que ce jugement de la Chambre des commune constituerait une forme de désaveu vis-à-vis une décision de l'Assemblée nationale?

M. Garant: Je ne croirais pas. Il y a tout de même un arrêt de la Cour suprême qui précise les paramètres constitutionnels de ce que doit être la clarté. C'est la mise en <#0139>uvre d'une législation fédérale qui fixe des critères de clarté. Il faut tout de même que quelqu'un décide. Est-il opportun que ce soit un organe politique plutôt qu'un organe judiciaire? On aurait pu penser à un organe judiciaire pour trancher la question de la clarté.

Le sénateur Nolin: Ils ont dit qu'ils ne voulaient pas.

M. Garant: Si le Parlement s'en remet à des acteurs politiques, donc à un acteur politique qui, idéalement, pourrait être la Chambre des communes et le Sénat qui se prononcent sur la clarté, cela ne devrait pas être considéré comme une intrusion, un jugement de valeur ou un désaveu de ce que fait une législature. C'est l'application d'une norme constitutionnelle, point à la ligne, parce que découle de la clarté de cette question une obligation constitutionnelle de négocier. Alors il appartient aussi aux législatures de suivre ce que dit la Cour suprême. Quand elle a fait son renvoi, elle a lancé un message à toutes les provinces en leur disant que leurs questions sur la sécession doivent être claires. C'est pour les aider à les faire plus claires que vous avez le projet de loi C-20.

Le sénateur Kinsella: Ma deuxième question est la suivante: pour quelle période de temps dureront les résultats d'une question référendaire? Lors du débat en deuxième lecture au Sénat, un des arguments présentés par le sénateur Boudreau était, et je cite:

[Traduction]

[...] la menace constante d'un troisième référendum sur la sécession du Québec en moins d'une génération ne nous laisse d'autre choix responsable que d'agir maintenant, avant que ne s'installe l'atmosphère de crise d'une campagne référendaire. Le premier ministre du Canada a demandé au premier ministre du Québec de s'engager à ne pas tenir de référendum au cours de son présent mandat. En refusant, le premier ministre du Québec a forcé le gouvernement fédéral à aller de l'avant avec ce projet de loi.

[Français]

Selon vous, les résultats d'une question référendaire perdue seraient valides pour combien de temps? Un an, cinq ans, dix ans?

M. Garant: Si vous supposez que la question a été claire et qu'on revienne avec la même question, est-ce qu'il y a une période de prescription en matière constitutionnelle? Je ne crois pas.

L'avantage d'un projet de loi ou d'une loi qui déterminerait les critères de la clarté est de permettre précisément, si dans le passé on a eu des questions considérées ambiguës, de ne pas revenir à des questions identiques. Il n'y a pas de période de temps. La clarté est une obligation objective. Les parlements provinciaux et les législatures provinciales doivent poser des questions claires pour demander à la population s'ils veulent se séparer.

La Cour suprême a étudié le problème de la sécession, elle n'a pas étudié le problème des modifications constitutionnelles de quelque nature que ce soit. C'est dans le cadre d'une sécession qu'il y aura obligation de négocier si on donne une réponse claire à une question claire.

Le sénateur Kinsella: Et si la réponse était non? Et si un an après, le mouvement sécessionniste présente une autre question, que se passe-t-il alors?

M. Garant: Si elle est claire, cela répond aux exigences de la Cour suprême. Évidemment, la cour ne s'est pas prononcée sur le nombre de référendums. À cet égard, dans les congrès constitutionnels de droit comparé auxquels j'ai assisté, il y a des constitutionnalistes à travers le monde qui ont dit: «Mais les Québécois, est-ce qu'ils vont finir par l'avoir à l'usure?» La Cour suprême ne s'est pas prononcée là-dessus.

Le sénateur Fraser: Monsieur Garant, je voudrais revenir sur la majorité qui devrait être requise. Vous favorisez plutôt une majorité de 50 p. 100 plus un des électeurs inscrits sur la liste?

M. Garant: La majorité absolue des électeurs inscrits, de sorte que cela donne tout de même une marge de sécurité. Il faut éviter ce qui est arrivé lors de référendums dans d'autres pays, c'est-à-dire qu'une participation moins importante de la population puisse trancher une question aussi importante que le démembrement d'un État fédéral. Pour inciter la population à participer massivement à ce choix majeur, l'idée de fixer à la majorité des électeurs inscrits donne tout de même une marge de sécurité et fait en sorte qu'on atteigne normalement plus que 50 p. 100 plus un. Ce critère a déjà été utilisé dans d'autres constitutions à travers le monde.

Le sénateur Fraser: Est-ce qu'on ne retombe pas dans le même problème? Beaucoup de gens trouvent que 50 p. 100 plus un des électeurs ne suffit pas, c'est-à-dire que n'importe quelle majorité de 50 p. 100 plus un risque d'être très fragile et de disparaître un mois plus tard ou une semaine plus tard?

M. Garant: Évidemment, c'est sûrement moins fragile qu'une majorité absolue de voteurs. S'il y a 80 p. 100 de la population qui s'exprime et que vous avez 50 p. 100 plus un, cela ne fait pas vraiment la majorité de la population de la province, suivant l'expression de la Cour suprême. Pour être plus sûr que c'est la majorité de la population de la province considérée, la majorité des électeurs inscrits donne une marge de sécurité. Idéalement, il serait peut-être mieux d'établir des majorités qualifiées comme dans certains autres régimes constitutionnels où il existe des majorités plus élevées telles que 75 p. 100 ou 60 p. 100.

Le sénateur Joyal: Monsieur Garant, je voudrais vous ramener au projet de loi et à la question des acteurs politiques. Le paragraphe 7 des attendus du projet de loi dit, et je le cite:

[...] que, compte tenu du fait que la Cour suprême du Canada a conclu qu'il revient aux représentants élus de déterminer en quoi consistent une question et une majorité claires dans le cadre d'un référendum sur la sécession [...]

Est-ce que vous êtes d'opinion que le septième attendu introductif du projet de loi correspond aux paragraphes 100 et 153 qui disent textuellement, et je cite le 153:

Toutefois, il reviendra aux acteurs politiques de déterminer en quoi consiste «une majorité claire en réponse à une question claire» [...]

Quand vous lisez ces deux paragraphes et que vous référez au septième attendu et à l'article 1, est-ce qu'il n'y a pas là un raccourci à ce que la Cour suprême a dit?

M. Garant: Non seulement il y a un raccourci, mais une équivoque. Fort heureusement, le préambule ne fait pas partie de la loi. Vous avez absolument raison. Lorsqu'on a parlé de question claire, elle a visé les acteurs politiques et c'est beaucoup plus que les représentants élus. Comme le sénateur Beaudoin l'a bien mentionné lorsqu'on a parlé de représentants élus, c'était pour l'initiative et même là, la Cour suprême ne s'est pas méfiée. C'est probablement par inadvertance qu'elle a oublié une autre disposition de la Constitution, à savoir qu'on ne peut pas, par un arrêt, modifier la Constitution. Mais le Sénat peut prendre l'initiative des lois constitutionnelles; les membres du Sénat ne sont pas des représentants élus. De sorte que la cour a dit, selon moi par inadvertance, quelque chose qui est contraire à la Constitution. Et ce qu'on retrouve précisément dans le préambule, vous avez absolument raison, c'est aussi incorrect. C'est incorrect de considérer qu'il revient aux représentants élus de déterminer en quoi consiste la question parce que la Cour suprême a dit qu'il appartient aux acteurs politiques.

Le sénateur Joyal: Elle l'a dit à deux reprises dans l'avis.

M. Garant: Dans le préambule, c'est contraire à ce que dit la Cour suprême à propos de la question claire. Ce sont les acteurs politiques. Même lorsque la Cour suprême a parlé de représentants élus pour l'initiative en matière constitutionnelle, ce n'est pas exact parce que c'est contraire à la Constitution de 1867.

Il faut se méfier et vous avez absolument raison. «Acteurs politiques», c'est relié à la clarté de la question. Les acteurs politiques, ce sont les parlements et le gouvernement. Comme acteur politique, le gouvernement fédéral propose une loi et il fait un choix entre divers acteurs politiques pour l'application de cette loi. Ce choix est à mon point de vue très discutable. Ce choix se fait uniquement à la Chambre des communes au motif -- peut-être implicite, comme semblait le dire le ministre Dion -- qu'il faut que ce soit des représentants élus. Lorsque la Cour suprême parle des représentants élus, elle entend l'initiative des projets de loi, ce qui est contraire à la Constitution.

Si on avait voulu parler de l'initiative des projets de sécession, cela aurait été plus compréhensible parce que les projets de sécession viennent normalement des provinces. Les provinces n'ont pas de Sénat, elles n'ont que des représentants élus. Évidemment, il va de soi que l'initiative viendra de représentants élus.

Parler de légitimité à cet égard se défend bien. Ce sont des représentants élus -- des députés de l'Assemblée nationale ou de quelque autre législature -- qui proposent la sécession et qui enclenchent une démarche sécessionniste. C'est compréhensible. Mais quand on parle d'acteurs politiques pour la clarté de la question, ce sont tous les acteurs politiques, ce ne sont pas les élus. Vous avez absolument raison.

Le sénateur Joyal: Si on veut s'assurer que ce projet de loi est étanche, il faut limiter au maximum les possibilités de contestation?

M. Garant: Oui.

Le sénateur Joyal: La contestation peut survenir une fois que le projet de loi est adopté, mais elle peut survenir en plein référendum ou immédiatement après le référendum.

M. Garant: Exactement.

Le sénateur Joyal: Le pire scénario va comme suit. Le gouvernement canadien présente une résolution à la Chambre des communes, elle est votée sur la clarté et sur la majorité. Une fois qu'elle est votée, le gouvernement sécessionniste de la province prend cette résolution, va devant les tribunaux et conteste sa constitutionnalité parce qu'elle n'aurait pas l'autorité constitutionnelle requise d'avoir été avalisée par les deux Chambres du Parlement du Canada.

On se retrouve dans le pire des scénarios, c'est le vide juridique au moment où le pays a besoin de clarté et de savoir quelle est la règle de droit. Ne croyez-vous pas que si les articles du projet de loi étaient modifiés pour rétablir le statut du Sénat, on limiterait considérablement la marge d'incertitude de ce projet de loi?

M. Garant: Considérablement. J'ai proposé un certain nombre de modifications qui ne paraissent pas aussi essentielles que celle-là. Comme bien d'autres, j'y ai pensé tardivement.

Le rôle dévolu au Sénat dans ce projet m'apparaît, au plan d'une contestation constitutionnelle, beaucoup plus dangereux et ce, peut-être au moment où on s'y attendra le moins. Après un référendum où les choses claquent, on se ramasse devant les tribunaux pour contester le fondement même de la décision du gouvernement de négocier ou non.

Le sénateur Joyal: D'après vous, le fait de rétablir le statut du Sénat ne pourrait pas être contesté sur la base que le gouvernement aurait donné à une chambre non élue un rôle réservé à une chambre élue. Le raisonnement inverse ne pourrait être fait, mais dans le cas présent, il peut être fait.

M. Garant: Il peut être fait, vous avez absolument raison.

Le sénateur Joyal: Une façon de prévenir est de reconnaître -- la Cour suprême ne le défend pas -- le rôle d'un acteur politique essentiel à l'ordre constitutionnel canadien, qui est en particulier le Sénat?

M. Garant: Exactement. À la limite, pourrait-on inclure une disposition comparable à l'article 47 de la Loi constitutionnelle de 1982? Probablement qu'il serait préférable de l'inclure comme acteur majeur dans ce processus.

[Traduction]

Le sénateur Grafstein: Merci beaucoup, monsieur Garant. Vos commentaires ont été fort utiles. J'aimerais en venir à l'arrêt de la Cour suprême du Canada, un arrêt que vous jugez enlevant et positif. Qui pourrait douter de la validité de certains des commentaires faits dans cet arrêt? Par exemple, je suis convaincu que vous vous souviendrez que la Cour suprême du Canada, dans ses commentaires sur le constitutionnalisme et la primauté du droit, parle de la primauté du droit et de la question linguistique au Manitoba comme précédent. On mentionne également l'importance de la primauté du droit, qui est en fait touchée par la Constitution. En fait, on précise au paragraphe 72 du Renvoi relatif à la sécession du Québec que «Le principe de la primauté du droit exige que les actes de gouvernement soient conformes au droit, dont la Constitution.» On fait mention de la suprématie constitutionnelle. On ajoute au paragraphe 72: «La Constitution lie tous les gouvernements, tant fédéral que provinciaux, y compris l'exécutif.»

Vous avez entendu M. Monahan signaler dans son exposé que la prérogative du gouvernement fédéral est très nouvelle en ce qui a trait aux lois provinciales, mais elle n'est pas si nouvelle que cela. La Constitution a toujours prévu une forme de pouvoir et de prérogative pour le gouvernement fédéral en ce qui a trait aux lois provinciales, le droit de révocation et le pouvoir de réserve.

Il ne s'agit donc pas de quelque chose de nouveau, mais d'un nouveau processus. La Constitution accorde toujours au gouvernement fédéral le pouvoir explicite d'exercer sa prérogative de réserver ou de révoquer certaines lois provinciales. Si le gouvernement fédéral décide de révoquer ou de réserver des lois, il existe un mécanisme pour ce qui est du pouvoir suspensif, et le gouvernement pourrait tomber s'il n'agissait pas. Je ne prendrai pas le temps du comité pour passer en revue cette situation, mais peut-être devrions-nous penser à ces dispositions.

Le gouvernement a maintenant recours à cette prérogative, comme on nous l'a dit, mais d'une façon différente. Cependant, on ne mentionne nullement l'abolition du principe bicaméral enchâssé dans la Constitution; on n'en parle absolument pas. Le gouvernement a maintenant recours à sa prérogative sans préavis simplement pour éviter le principe bicaméral, et vous jugez que c'est spécieux.

M. Garant: Je crois que oui.

Le sénateur Grafstein: Étudions donc le résultat de cette mesure législative. Est-ce que ce résultat est une loi? Quelle est en fait la différence entre une opinion exécutoire et une loi dans ses termes les plus génériques?

M. Garant: Si c'est exécutoire, c'est une loi. De par sa nature et sa caractéristique une loi est exécutoire. Elle crée des obligations et des droits; ainsi cette résolution lie le gouvernement. C'est une loi.

Le sénateur Grafstein: C'est pourquoi je suppose que la Cour suprême du Canada a dit au paragraphe 72 que les gouvernements, fédéral et provinciaux, doivent respecter ses dispositions. En fait, leur autorité légale leur est accordée par la Constitution; c'est la seule source.

Je suppose que vous conviendrez que la théorie bicamérale existe et se porte très bien, selon cette décision, et qu'il n'y a qu'une façon pour le gouvernement, exerçant sa prérogative, outre le droit de la révocation et le pouvoir de réserve, de changer cela, et c'est de modifier la Constitution.

M. Garant: Oui, je suis d'accord.

[Français]

Le sénateur Prud'homme: Vous voyez que nous ne sommes pas pressés, c'est la beauté du Sénat de prendre notre temps. Je vous assure qu'on veut vous traiter également, même si je ne suis pas membre du comité -- j'attends toujours tranquillement le moment venu. Je ne referai pas le discours que j'ai fait passionnément cet après-midi et qui m'a obligé à aller prendre de l'air frais, mais je suis prêt à répéter une fois de plus que moi je sais qui je suis. Je me suis défini comme un Canadien français, nationaliste, du Québec.

Je crois que le Canada est indivisible et que cela ne peut pas se faire de cette manière. Au contraire, je considère que de le faire de la manière dont on veut procéder, c'est de la pure provocation pour des gens qui, comme nous, croyons que ce n'est pas de cette façon qu'on peut garder le pays uni.

[Traduction]

Le gouvernement fédéral a mis sur pied le Programme énergétique national, et l'Alberta a été offensée. Les Albertains en ont peut-être plus soupé du Canada que les Québécois. L'Alberta, le Yukon et la Colombie-Britannique en ont soupé des nouveaux traités conçus pour une très petite minorité qui décide de faire ce que bon lui semble. Qui dirait que «Voulez-vous que x devienne un pays?» n'est pas une question claire?

[Français]

Maintenant, 80 p. 100 des gens décident que oui. Monsieur Garant, là vous parlez à un député qui s'est fait mentir quand la Loi sur les mesures de guerre a été adoptée. Je voulais voter contre. J'ai obtenu la permission de faire un discours qui était peut-être malhabile, c'était le prix que j'ai obligé à payer. Mais on m'a menti. Les faits qu'on m'a donnés relevaient de la paranoïa totale. Je vous répète que ça peut arriver dans les mêmes circonstances: vous pouvez avoir un gouvernement très populaire dans une partie du pays, dont le gouvernement à Ottawa qui est majoritaire ou, pour employer une expression de notre collègue le sénateur Joyal, un gouvernement peut-être presque minoritaire où c'est par le vote du président du Parlement qu'on décide si la question est claire et si le pourcentage est suffisant.

En plus de cela, on ignore le Sénat. Le discours du sénateur, je l'ai relu très attentivement et j'écoute les collègues ici. Je suis prêt à être convaincu par l'un ou par l'autre, mais je suis convaincu de plus en plus que ce projet de loi est une provocation.

La présidente: Vous avez une question, sénateur Prud'homme?

Le sénateur Prud'homme: Considérez-vous un projet de loi, dans les circonstances où on ne définit pas le pourcentage des votes? C'est comme si on disait qu'on allait attendre pour voir combien de gens vont voter, et on nous dira si c'est assez. C'est de prendre la population pour des idiots s'ils ne savent pas sur quoi ils votent. Il y a 93,34 p. 100 des Québécois qui ont voté. Dans une partie du comté de Mont-Royal, ils ont voté à 99,3 p. 100 et ils savaient très bien ce sur quoi ils votaient. Il y a neuf comtés au Québec qui ont voté à plus de 90 p. 100 et aucun comté n'a voté moins à moins de 80 p. 100. Il n'y a que six comtés qui ont voté de 80 à 90 p. 100.

La présidente: La question, sénateur Prud'homme...

Le sénateur Prud'homme: Pourquoi attendre, pourquoi ne pas le dire quel pourcentage? Madame suggère que cela devrait prendre 50,1 p. 100, comme vous avez dit, de la liste électorale. Vous savez, à ce sujet, que cela va créer un problème en Israël pour la paix.

La présidente: Votre question.

Le sénateur Prud'homme: Je ne fais pas partie de l'école des grands constitutionnalistes, mais je suis un pratiquant de la rue et je sais ce que les gens pensent. S'il y a une question qui n'est pas claire, ils savent bien qu'à Ottawa ils vont être obligés de négocier puis ils vont le dire que si ce n'est pas clair, ils ne négocient pas. Mais pourquoi tout ce tortillement? On va consulter qui? Les autochtones devraient être consultés.

La présidente: On va demander à M. Garant de répondre.

M. Garant: Je pense que vous avez raison, et d'ailleurs je propose d'en arriver à quelque chose qui serait le plus objectif possible. Par exemple, déterminer la majorité absolue des électeurs inscrits, c'est quelque chose de clair.

Quant au reste, cela correspond à ce que la Cour suprême nous a dit quant à la qualité. À ce moment-là, est-ce que la Cour suprême aurait parlé pour rien dire? Ce message de la Cour suprême s'adresse très bien à la population comme telle, est-il nécessaire de le revéhiculer dans un projet de loi? Là, vous avez peut-être raison de douter de l'utilité d'un projet de loi. Mais enfin, un projet de loi peut aussi avoir une vertu pédagogique, c'est-à-dire rappeler des choses qui sont vraies en elles-mêmes, mais qui méritent d'être rappelées à l'ensemble de la population.

À ce moment, le gouvernement fédéral, dans son obligation constitutionnelle de négocier, pourra dire quels étaient les critères et que ces critères leur permettent de dire qu'ils ont l'obligation de négocier. Maintenant, peut-être que vous avez raison de vous demander: «Pourquoi tout cela, laissons les choses venir et puis, après coup, il va falloir se prononcer de toute façon». Enfin, l'idée d'un projet de loi n'est pas mauvaise en soi. C'est effectivement une démarche qui peut avoir également une vertu pédagogique de dire à la population ce que nous entendons par la clarté.

La présidente: Monsieur Garant, vous avez été extrêmement patient, avec une force physique intellectuelle remarquable. Vous voyez, cela témoigne de l'intérêt que votre témoignage suscitait puisque tout le monde est encore là.

La séance est levée.


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