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CLAR - Comité spécial

Comité spécial sénatorial sur le projet de loi C-20

 

Délibérations du comité spécial sur
Le projet de loi C-20

Fascicule 2 - Témoignages


OTTAWA, le jeudi 1er juin 2000

Le comité spécial sénatorial sur le projet de loi C-20, Loi donnant effet à l'exigence de clarté formulée par la Cour suprême du Canada dans son avis sur le Renvoi sur la sécession du Québec, se réunit aujourd'hui à 18 h 10 pour étudier le projet de loi.

Le sénateur Joan Fraser (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente: Honorables sénateurs, Ouvre la troisième séance du Comité spécial sénatorial sur le projet de loi C-20.

Nous allons poursuivre ce soir notre étude du projet de loi C-20, donnant effet à l'exigence de clarté formulée par la Cour suprême du Canada dans son avis sur le Renvoi sur la sécession du Québec.

[Français]

Le projet de loi a été adopté par la Chambre des communes le 15 mars et a été lu au Sénat pour la première fois le 21 mars. Il a ensuite été lu une deuxième fois le 18 mai, ce qui veut dire que le Sénat a adopté le principe du projet de loi et il a ensuite été déféré à ce comité spécial pour que nous en fassions une étude approfondie.

[Traduction]

Nous avons commencé notre étude un peu plus tôt cette semaine et nous avons entendu les témoignages de l'honorable Stéphane Dion, ministre des Affaires intergouvernementales ainsi que des professeurs Monahan et Garant.

Nous poursuivons ce soir avec les témoignages de Roger Gibbins, président-directeur général de la Canada West Foundation, puis de Joseph Magnet, professeur à la faculté de droit de l'Université d'Ottawa.

Allez-vous nous faire un exposé, monsieur Gibbins?

M. Roger Gibbins, à titre personnel: Oui, effectivement.

[Français]

Le sénateur Hervieux-Payette: J'aimerais savoir combien de temps est alloué à chaque témoin? Cela semblait élastique au début de la semaine. Est-ce qu'on accorde une heure et demie à chaque témoin ou est-ce qu'on continue de façon indéfinie?

La présidente: En principe, nous allouons une heure et demie pour chaque témoin. Si les sénateurs sont très engagés dans les questions, nous allons peut-être dépasser légèrement le temps alloué. Avec le nombre de sénateurs présents autour de la table, une heure et demie par témoin devrait suffire.

Le sénateur Nolin: Il arrive souvent que lors de l'audition d'un témoin, c'est vers la fin que nous découvrons la vraie substantifique matière de son témoignage. Je ne voudrais pas, à cause de cette limite de temps, qu'on s'empêche d'explorer tous les recoins de cette substantifique intelligence.

La présidente: Il faut aussi admettre que nos témoins ne peuvent pas rester jusqu'à l'aube.

Le sénateur Nolin: Non. Nous sommes très respectueux de la disponibilité de nos témoins.

[Traduction]

M. Gibbins: Sénateurs, mon exposé sera très bref. J'ai rédigé un mémoire, mais je m'en écarterai quelque peu. J'ai eu la possibilité de lire la transcription des dernières séances.

Je tiens tout d'abord à remercier le comité de m'avoir invité et j'insiste sur le fait que je comparais ici à titre personnel. Je ne parle pas au nom du personnel ou du conseil de la Canada West Foundation.

Il me faut préciser aussi que je ne suis pas un expert en droit constitutionnel. Mes analyses seront davantage politiques, au bon sens du terme, et un peu plus régionales que celles que vous avez entendues jusqu'à présent. J'ai passé en revue les procès-verbaux de vos dernières séances. Ils sont révélés plein d'enseignements pour quelqu'un qui, comme moi, n'est pas un juriste spécialisé dans le droit constitutionnel.

Les principes qui figurent dans le projet de loi C-20 concordent bien avec les opinions politiques de l'ouest du Canada. Les partis politiques de l'Ouest réclament depuis longtemps l'imposition de règles fixes s'appliquant aux référendums tenus par le Québec sur la souveraineté. Donc, sur le plan des principes, le projet de loi sur l'exigence de clarté bénéficie d'un large appui, même s'il n'est pas nécessairement très fort, de la part de l'ouest du Canada.

J'affirmerais que l'on y appuie aussi le principe selon lequel il faudrait que la communauté politique canadienne dans son ensemble joue un rôle actif en établissant les conditions de tout référendum organisé à l'avenir sur la souveraineté du Québec et en réagissant à la suite des résultats d'un référendum de cette nature. Si les Canadiens de l'Ouest se démarquent éventuellement en cette matière, c'est parce qu'ils ont deux convictions.

La première, c'est qu'il faut que la population soit directement impliquée. On ne croit pas vraiment dans cette région que les institutions parlementaires ou encore que le gouvernement national sont en mesure de bien refléter les opinions régionales. Par conséquent, il est indispensable qu'un accord soit ratifié par la volonté populaire et la promesse d'une telle ratification est indispensable si l'on veut asseoir la crédibilité de l'équipe chargée de négocier.

La deuxième conviction est que les gouvernements provinciaux doivent participer directement et non simplement être consultés pour la forme. La consultation ne suffit pas. Le risque de séparation du Québec est une affaire constitutionnelle et ni le gouvernement fédéral ni le Parlement ne peuvent agir unilatéralement.

Je suis conscient des limites à cet égard du projet de loi sur l'exigence de clarté. Il ne peut pas fixer les règles de la participation provinciale. Il est important, toutefois, de souligner que les provinces doivent être impliquées, et qu'elles doivent l'être dès le départ.

Il est important de souligner qu'il ne faut pas croire que l'appui accordé aux principes généraux du projet de loi sur l'exigence de clarté se transformera en appui durable à ses dispositions spécifiques. Mon argument à cet égard se fonde quelque peu sur des hypothèses parce que les dispositions du projet de loi sur l'exigence de clarté n'ont pas fait l'objet de beaucoup de discussions et de débats politiques dans la région. Je vais m'efforcer de vous indiquer, dans toute la mesure de mes moyens, comment à mon avis ces questions vont être abordées dans l'Ouest, mais il faut bien voir que l'on n'en a pas beaucoup discuté et qu'il n'y a eu aucun sondage d'opinion publique ou autre enquête de ce type.

Comment va réagir la région? Il existe une forte possibilité que les Canadiens de l'Ouest croient que le projet de loi sur l'exigence de clarté a une portée beaucoup plus grande que sa portée réelle. Je ne serais pas surpris s'il s'avère, par exemple, que les Canadiens de l'Ouest croient que le projet de loi définit la question qui pourra être posée aux Québécois et détermine le seuil requis pour qu'un vote au Québec déclenche une réaction de la part du gouvernement du Canada. Autrement dit, le projet de loi C-20 est loin, et probablement très loin, de répondre aux attentes du public à ces égards.

Le projet de loi ne mentionne pas non plus qui négocierait avec le Québec si des négociations devaient se tenir. Enfin, les Canadiens de l'Ouest seraient fort surpris, et sans doute déçus, s'ils découvraient que le projet de loi sur l'exigence de clarté n'accorde aucune place dans cette opération aux gouvernements provinciaux.

Répondre à un référendum québécois dont le résultat serait «oui» n'est pas une tâche que les Canadiens de l'Ouest sont prêts à confier au gouvernement fédéral ou au Parlement, quelle que soit la façon dont on définit le «Parlement.»

Ce qui précède n'est pas nécessairement une critique du projet de loi tel qu'il est rédigé actuellement, ce projet ne nous entraînant, après tout, pas bien loin sur une voie hypothétique. Ce n'est qu'un avertissement qu'il peut bien y avoir de grandes différences entre ce que les Canadiens croient que le projet de loi renferme et son véritable contenu. Cela suggère en outre qu'il est impossible de présumer que les Canadiens de l'Ouest donneront leur approbation aux modalités spécifiques du projet de loi si elles sont définies et lorsqu'elles le seront -- par exemple, si un seuil est déterminé. Considérer que l'appui régional accordé actuellement au projet de loi est un chèque en blanc pour l'avenir serait une erreur.

Si les Canadiens de l'Ouest ne se sont pas encore engagés dans des discussions approfondies des modalités du projet de loi, à quoi faut-il s'attendre s'ils décident de le faire?

Je veux soulever ici certains problèmes potentiels ayant trait à la condition essentielle mentionnée dans le projet de loi, condition voulant que les résultats d'un référendum tenu au Québec, si ce référendum porte sur une question claire, devraient être supérieurs à 50 p. 100 et vraisemblablement beaucoup plus élevés que 50 p. 100, avant que le Parlement ne déclenche les mécanismes de négociation.

Quoique je m'attende à ce qu'au début, le concept de majorité claire obtienne l'appui dans la région, ce concept crée une situation inquiétante pour l'ouest du Canada, situation où un gouvernement souverainiste au Québec obtiendrait plus de 50 p. 100 des suffrages exprimés dans un référendum, mais non une majorité suffisante pour déclencher les mécanismes de négociation.

Pourquoi ces résultats poseraient-ils un problème pour l'Ouest? J'aborderai deux sujets de préoccupations. Le premier est la perspective de l'impasse dommageable dans laquelle nous risquons d'être plongés si, par exemple, 55 à 59 p. 100 des suffrages exprimés dans un référendum sont en faveur de la séparation, mais que le Parlement décide qu'une majorité supérieure est nécessaire. Les Canadiens de l'Ouest ne toléreraient pas une telle impasse et insisteraient probablement pour que des négociations soient entreprises. La motivation d'inciter les Québécois à ne pas dépasser le seuil du 50 p. 100 n'existerait pas. Une fois ce seuil dépassé, on assisterait à un revirement du climat politique dans l'Ouest, et il est raisonnable de penser que ce revirement ne se ferait pas de la façon prévue par les dispositions du projet de loi sur l'exigence de clarté.

Le deuxième point est connexe au premier, car un seuil plus élevé que 50 p. 100 peut inciter les électeurs à voter «oui» dans un référendum au Québec en les portant à croire qu'un vote pour le «oui» n'aura que peu de conséquences, qu'Ottawa ne réagira tout simplement pas. Ainsi un vote pour le «oui» en viendrait à signifier à peine plus qu'une manifestation de solidarité avec le Québec ou un intérêt pour la réforme constitutionnelle.

Toutefois, à l'extérieur du Québec, et plus particulièrement dans l'Ouest, un tel vote pourrait être perçu bien différemment. Il pourrait bien être considéré comme un moyen d'engager le pays dans un débat sans fin sur l'unité nationale, et les Canadiens de l'Ouest tolèrent de moins en moins ce genre de débat.

Bref, cela signifie, à mon avis, que réflexion faite, il y aurait un bon appui régional pour un seuil de 50 p. 100, un seuil où chaque vote compterait et où un vote pour la souveraineté ne serait pas biaisé par l'impression des électeurs québécois que le suffrage au référendum était essentiellement un vote libre.

Je suis d'avis que si le «oui» devait l'emporter par un vote à peine supérieur à 50 p. 100 sur une question raisonnablement claire, les Canadiens de l'Ouest diraient que c'en est assez et insisteraient pour que des négociations soient entreprises, sans égard aux dispositions du projet de loi sur l'exigence de clarté.

Déterminer ce qu'est une question claire n'est pas facile. Je présume que les Canadiens de l'Ouest donneront leur appui à l'interdiction stipulée par le projet de loi d'utiliser des termes ambigus tels «un Québec indépendant dans un partenariat économique avec le Canada.» Au point où en sont aujourd'hui les choses, il y a fort peu d'intérêt dans l'Ouest pour une question qui présuppose une intention ferme du reste du Canada, notamment le désir de négocier un partenariat économique.

Sur ce point, en fait, les Canadiens de l'Ouest ne sont pas nécessairement opposés à ce que soient négociés des accommodements économiques et politiques avec un Québec indépendant; par contre, ils n'admettent pas que d'autres prétendent savoir ce que serait la réaction de leur région.

Permettez-moi de soulever un autre problème potentiel pour les Canadiens de l'Ouest. Comme vous le savez, la décision de la Cour suprême à la suite de laquelle le projet de loi sur l'exigence de clarté a été rédigé ne s'adresse pas uniquement au Québec; les juges y discutent de la façon dont le Parlement pourra réagir à tout référendum provincial conçu pour apporter des changements à la Constitution. Ainsi, la décision de la Cour suprême ouvre la porte à un référendum albertain sur la réforme du Sénat.

Il faut alors se demander si le projet de loi sur l'exigence de clarté donne ouverture à un modèle convenable pour les référendums constitutionnels tenus hors du Québec en vue d'une réforme constitutionnelle plutôt que de la destruction du pays.

Que penseraient, par exemple, les Albertains d'un principe selon lequel le Parlement peut définir la question et déterminer le seuil acceptable dans un référendum provincial sur une réforme institutionnelle? Je ne crois pas qu'un tel geste aurait la faveur des Albertains. Cet exemple suggère donc que si le projet de loi sur l'exigence de clarté est considéré comme un précédent applicable éventuellement à toutes les propositions de réforme avancées par les provinces, il obtiendra beaucoup moins d'appui dans la région que s'il est perçu comme s'appliquant uniquement aux référendums destinés à briser la fédération canadienne plutôt qu'à l'améliorer.

En résumé, les principes et l'esprit du projet de loi sur l'exigence de clarté sont probablement perçus dans l'ouest du Canada comme un geste du gouvernement fédéral pour s'aligner avec l'opinion qui a cours depuis longtemps dans l'Ouest canadien sur les questions d'unité nationale. Parallèlement, les Canadiens de l'Ouest croient vraisemblablement que le projet de loi va plus loin qu'il ne le fait en réalité. Le projet de loi peut en outre établir des conditions relatives au seuil à atteindre qui poseront problème pour l'Ouest.

Finalement, s'il était question que le gouvernement fédéral entame seul des négociations avec le Québec ou qu'il le fasse en s'engageant simplement à consulter les autres acteurs politiques, cette idée serait jugée ridicule et soulèverait la colère.

Enfin, je me dois de mentionner les préoccupations exprimées ces derniers mois au sujet du rôle diminué du Sénat dans le projet de loi C-20. Je suis d'accord pour dire que le projet de loi C-20 peut remettre en cause l'importance du Sénat canadien au sein de la démocratie parlementaire canadienne. Je dirais toutefois que cette atteinte n'est pas vraiment incompatible avec la manière dont le gouvernement actuel et les derniers gouvernements ont traité le Sénat. Il serait illogique d'accorder soudainement de l'importance au Sénat dans le cadre du projet de loi C-20 alors que le gouvernement fédéral manifeste à l'égard de cette institution et de sa réforme une opposition ferme. Ainsi, même si les Canadiens de l'Ouest appuient le principe d'une réforme du Sénat, il est peu probable qu'ils se portent à son secours dans ce cas.

Ainsi que l'a déclaré le sénateur Joyal dans le discours particulièrement révélateur qu'il a prononcé devant cet organe:

Le Sénat est l'expression du principe fédéral visant à protéger les intérêts régionaux et minoritaires contre la simple règle de la majorité à la Chambre des communes[...]

Cette opinion est totalement contraire à la perception qu'ont les Canadiens de l'Ouest du Sénat actuel. Le Sénat actuel n'est pas considéré comme un instrument utile de représentation régionale et il serait extrêmement difficile de convaincre les Canadiens de l'Ouest que les intérêts régionaux d'un Canada préréférendaire seraient mieux protégés si le Sénat avait un rôle plus officiel à jouer.

L'argument qui permet d'exclure le Sénat peut en revanche obliger d'inclure les provinces. Les gouvernements provinciaux et leurs législateurs ont des pouvoirs constitutionnels et leur absence dans un processus quelconque ne fait pas qu'enfreindre la Constitution, elle est également vouée à l'échec.

En ce sens, le projet de loi sur la clarté n'établit pas très bien comment les gouvernements canadiens procéderaient -- et j'insiste sur le pluriel -- advenant la victoire du «oui» à un référendum au Québec.

Les Canadiens de l'Ouest ne seraient pas disposés à confier la négociation, même lors de ses premières étapes, au seul gouvernement fédéral ou à la Chambre des communes.

À titre d'avertissement, je signalerai finalement que bien des gens, y compris moi-même, ont fait usage de ce terme de référendum à un moment donné de la procédure. Je tiens à préciser que nous n'avons pour l'instant aucune règle s'appliquant aux décisions qui seraient prises concernant le fonctionnement d'un tel référendum. Nous n'avons même pas commencé à imaginer comment nous pourrions faire face à un ensemble de réponses régionales et provinciales très diverses à l'issue d'un référendum organisé à une certaine étape de la procédure.

Il nous incombe à tous, si nous commençons à discuter le rôle des référendums dans cette procédure, de nous faire une idée des règles susceptibles de s'appliquer aux décisions et de l'apport éventuel des référendums à la vie politique, plutôt que de nous contenter de rajouter à la confusion.

J'ai terminé mon exposé. Je suis prêt à répondre à vos questions.

Le sénateur Lynch-Staunton: Comme vous le savez, monsieur Gibbins, j'ai moi-même quelques racines albertaines. Votre mémoire m'a intéressé. Je l'ai lu cet après-midi et je viens d'écouter votre exposé. L'une des choses que je n'y ai pas trouvé, cependant, c'est une préoccupation de la part de l'ouest du Canada pour les répercussions de ce projet de loi. J'espérais que vous nous auriez dit que les gens de l'Ouest ne voulaient pas du démantèlement de notre pays. Vous nous avez parlé de l'économie du projet de loi, des différents seuils d'expression du vote lors de référendums, et cetera.

Vous parlez au nom des Albertains en particulier et des habitants de l'ouest du Canada en général, et j'aurais aimé vous entendre défendre l'unité de ce pays plutôt que d'analyser froidement les conséquences de ce projet de loi comme si l'on devait finalement déboucher sur une rupture.

M. Gibbins: Cette analyse de mes propos est juste. Je vous répète qu'il serait faux de penser que mes opinions reflètent obligatoirement celles de la province ou de la région. J'essaie d'interpréter la pensée de ma région. Il faut que vous en tiriez vos propres conclusions.

Cela étant dit, cette région ne veut absolument pas d'une rupture du pays. Les Canadiens de l'Ouest ont joué un rôle exceptionnellement important lorsqu'on a bâti notre pays. J'ai toutefois le sentiment au sujet de ce projet de loi que les Canadiens de l'Ouest -- et je parle ici surtout pour mon propre cercle d'amis, de collègues et de connaissances -- n'ont pas vraiment envie de conserver l'unité de notre pays si les Québécois sont déterminés à le quitter. Cette option n'est plus possible désormais.

C'est pourquoi il n'y aura pas d'opposition au projet de loi sur l'exigence de clarté aux motifs qu'il inciterait les Québécois à se séparer ou qu'il rendrait faisable ou possible cette séparation. Il semble que l'on n'a pas tenu compte de cet argument.

Le sénateur Lynch-Staunton: Avez-vous le sentiment que les Canadiens de l'Ouest ne seraient pas mécontents qu'une région quelconque de notre pays décide de faire sécession? Ce projet de loi ne s'applique pas uniquement au Québec. Il découle du renvoi qui a été fait au sujet de la sécession du Québec, mais il s'applique à toutes les provinces. Je pense que les Québécois seraient très mécontents de voir les Albertains voter à une nette majorité sur une question claire et qu'ils ne manqueraient pas de s'y opposer.

Ne vous ai-je pas entendu dire que vous finissez par vous lasser de voir depuis 30 ans les Québécois occuper systématiquement le devant de la scène et se plaindre et protester constamment sans jamais se dire satisfaits? S'ils veulent partir, doit-on leur souhaiter bon vent et continuer tout seul de notre côté?

Ce sont des choses que l'on entend, mais est-ce là le sentiment général, ou peut-on espérer qu'il ne s'agit là que de l'expression sporadique d'une frustration qui n'est pas généralement partagée?

M. Gibbins: J'essaierai d'être le plus clair possible parce que je me rends compte que l'on peut facilement se méprendre concernant la situation.

Il est indéniable que si les Québécois décident de quitter le pays, cette décision plongera la région dans la tristesse et le désespoir. On ne veut absolument pas voir partir le Québec. Il n'est pas question de penser que le Canada puisse se porter mieux en l'absence du Québec.

Cela étant dit, j'ai le sentiment que si le Québec décidait à la majorité de partir, après avoir voté sur une question raisonnablement claire, la colère ferait place dans l'Ouest à la simple volonté d'entamer des négociations pour voir ce qui peut en sortir. Ce serait à mon avis le point tournant.

Il y a aussi le fait -- et là encore je me contente de faire des suppositions -- que les Canadiens de l'Ouest sont convaincus qu'ils ne peuvent pas vraiment influer sur les décisions prises par le Québec. Nous sommes des spectateurs dans ce débat. Nous espérons de tout notre coeur qu'il tournera en notre faveur, mais si les Québécois en décident autrement en toute connaissance de cause l'Ouest, à ce moment-là, ne cherchera plus à tout prix à conserver l'unité du pays.

Je pense que j'ai été aussi clair que possible.

Le sénateur Lynch-Staunton: Vous avez été très clair. Je m'écarte quelque peu du sujet, mais tout ce projet de loi est dominé par la question nationale. Il est malheureux que certains premiers ministres ne jouent pas un rôle plus actif sur la scène nationale et ne font pas délibérément la promotion de l'unité.

N'êtes-vous pas d'accord pour dire que si le Québec venait à partir, ce serait plus ou moins la fin du pays, que personne ne voudra accepter la domination de l'Ontario? Que ce serait tout simplement le début de la fin?

M. Gibbins: Voilà qui nous mène probablement plus loin que le projet de loi C-20.

Le sénateur Lynch-Staunton: Je pense que c'est important. Vous êtes originaire de l'Ouest et nous n'allons pas entendre beaucoup d'intervenants qui connaissent et comprennent la façon de penser de l'Ouest. C'est pourquoi je veux aller plus loin que les dispositions de ce projet de loi.

M. Gibbins: Je le comprends, sénateur. Tout ce que je peux dire, c'est que l'Ouest n'est absolument pas convaincu que le reste du pays pourrait automatiquement survivre au départ du Québec. Cela ne veut pas dire quand même qu'il soit convaincu que ce serait le début de la fin. Je pense que la reconstruction du pays serait une tâche extraordinairement difficile à laquelle nous n'avons pas encore commencé à réfléchir.

J'ai l'impression que les Canadiens de l'Ouest arrêteraient leur stratégie de manière à s'assurer que non seulement le reste du pays survive, mais aussi que l'on instaure des relations de travail raisonnables et à l'amiable avec le partenaire québécois, quelle que soit la forme qu'il prendra. Il serait fou de penser qu'il y a une confiance totale dans le succès d'une telle entreprise. Ce n'est pas le cas.

Le sénateur Lynch-Staunton: Je vous remercie.

Le sénateur Furey: Ma question se réfère à la dernière partie de vos commentaires concernant le rôle consultatif des provinces. Elle est double. Considérez-vous que cela rend le projet de loi inconstitutionnel, et quel est le rôle que vous proposez pour les provinces?

M. Gibbins: Je ne pense pas que cela rende le projet de loi inconstitutionnel. Ce que j'essayais de faire comprendre, c'est que la Chambre, le gouvernement fédéral ou les deux à la fois, auraient d'énormes difficultés à entreprendre des négociations à la suite d'un référendum au Québec sans que les gouvernements provinciaux ne participent dès le départ. Le problème vient tout simplement du fait que la Chambre est peut-être mal placée, dans l'état des choses, étant donné qu'elle est régie par une tradition bien compréhensible de solidarité des partis. Je ne peux pas imaginer que les Canadiens de l'Ouest puissent considérer que la Chambre ou le gouvernement national puisse négocier au mieux de leurs intérêts, et il faudra donc que les gouvernements provinciaux participent à cette opération.

Sur le plan constitutionnel, les provinces n'interviennent en fait qu'au moment de la ratification. Par conséquent, je ne suis pas sûr que nous disposions de lignes de conduite en matière constitutionnelle qui nous indiquent de quelle manière on pourrait faire intervenir les gouvernements provinciaux au cours de cette opération. Je ne pense pas que les procédures ou les mécanismes que le gouvernement fédéral se réserve le droit d'établir sont limités par la Constitution. Il y aurait toutefois des limites politiques imposées dans la pratique qui l'empêcheraient d'agir unilatéralement sans une certaine participation des gouvernements provinciaux.

Le sénateur Furey: Est-ce que les provinces pousseraient les hauts cris si le gouvernement fédéral essayait de leur imposer sa volonté par voie législative?

M. Gibbins: Si le gouvernement fédéral, sans procéder à des consultations, décidait de statuer au sujet du seuil devant être appliqué ou de la clarté de la question, j'imagine que les gouvernements provinciaux en seraient totalement bouleversés.

Le sénateur Bolduc: Pour faire suite à la question posée par mon collègue, diriez-vous que par analogie, ce mécanisme s'apparenterait à la négociation des traités internationaux, l'ALENA, par exemple? Nous savons que les provinces ont été officieusement impliquées dans la procédure de consultation par le gouvernement fédéral. Pensez-vous que l'on mettrait en oeuvre la même procédure? Étant donné qu'il s'agit de leur existence même, est-ce qu'elles exigeraient de ne pas être confinées à un rôle consultatif?

M. Gibbins: J'imagine que les mécanismes de négociation des traités internationaux seraient un bon point de départ pour essayer de déterminer cette relation. J'hésite à faire valoir cet argument, mais la situation est quelque peu différente de celle que vous avez présentée étant donné la composition du gouvernement fédéral et, par conséquent, les complications qui peuvent en résulter lors des négociations avec une province une fois que le Québec aura dit *oui+ à un référendum. On peut imaginer différents types de gouvernements nationaux auxquels les différentes régions auront plus ou moins confiance. Nous avons eu du mal ces dernières années à élire des gouvernements nationaux véritablement représentatifs de la population canadienne. Lorsque cette représentativité générale disparaît, le dernier recours, ce sont les provinces. Cela dépendrait dans une large mesure de la composition exacte du gouvernement fédéral. Je comprends bien qu'il est nécessaire dans ce projet de loi d'envisager à l'avance de nombreux scénarios différents.

Le sénateur Bolduc: Je vous ai posé la question parce que vous savez qu'en 1988 une partie du Sénat n'était pas d'accord avec le point de vue du gouvernement. Le gouvernement de l'époque a organisé des élections pour que l'on puisse trancher au sujet du libre-échange. Non seulement les provinces ont participé au processus de consultation, mais en outre on pouvait disposer du point de vue du Sénat, qui était fermement opposé à ce projet d'accord. Finalement, le gouvernement a décidé d'organiser des élections. Ce mandat n'a pas fait l'objet d'un référendum, mais tout le monde au Canada savait que cette élection portait sur l'Accord de libre-échange nord-américain. Ce n'est qu'après que le gouvernement a gagné les élections que le Sénat a finalement accepté ce projet et voté la ratification de l'accord.

M. Gibbins: Oui. J'ai pensé au rôle qu'une élection pourrait jouer, parce qu'il est indéniable qu'un *oui+ à un référendum québécois aurait une énorme influence déstabilisatrice sur le gouvernement national.

Le sénateur Bolduc: Je le dis parce que le professeur Monahan a déclaré hier que la loi est bonne parce qu'en principe le gouvernement peut négocier -- en l'occurrence, le pouvoir exécutif peut négocier. Il est allé plus loin que cela. Il peut négocier sans tenir compte des provinces et du Sénat. Toutefois, il impose certaines limites à sa propre démarche discrétionnaire. Nous sommes loin de la situation qui régnait en 1988, n'est-ce pas?

M. Gibbins: En effet. C'est une question politique de toute autre ampleur.

Le sénateur Bolduc: Je vous remercie.

Le sénateur Chalifoux: Monsieur Gibbins, je suis une autochtone de l'Alberta. J'ai aussi des ancêtres français. Je suis Métis. J'aimerais que vous nous parliez de votre cercle d'amis et des milieux qui expriment ces idées. Je constate qu'il y a de nombreuses collectivités francophones en Alberta, en Saskatchewan et au Manitoba qui sont très préoccupées par le rôle que vont jouer les francophones dans l'ouest du Canada si l'on en arrivait à cette situation au Québec. Il y a des autochtones dans les provinces de l'Ouest ainsi qu'au Québec qui se demandent quel rôle ils vont jouer si le Québec tient un référendum et décide de faire sécession.

Lors du dernier référendum, des gens de l'ouest du Canada sont allés par trains entiers au Québec dans le cadre de ce que l'on a appelé les «trains de l'unité». Je vous signale aussi que sur certains sites Internet créés par des collectivités francophones de l'Alberta on accueille les clients avec la formule suivante: «Bonjour, Québec.»

Le rassemblement et l'unité de la nation francophone au Canada sont des choses que l'on ressent très fortement. Les groupements minoritaires avec lesquels je me suis entretenu, et j'ai parlé à nombre d'entre eux, ne veulent pas de la séparation du Canada. J'aimerais savoir par conséquent d'où vous viennent vos idées, à vous et à ceux qui vous entourent?

M. Gibbins: Permettez-moi de me justifier. Je tiens à ce que l'on comprenne bien qu'il n'est absolument pas question pour moi de dire qu'une sécession du Québec serait une bonne chose ou que je l'appuie personnellement. C'est une éventualité qui affligerait considérablement mon cercle d'amis. Je veux que ce soit clair, je ne me fais l'avocat d'aucune cause.

Je veux cependant répondre à vos arguments concernant les collectivités francophones et les Autochtones dans l'Ouest. En tant que spécialiste des sciences politiques, je ne défends aucune cause. S'il me fallait faire une prédiction, je dirais qu'il est évident que la séparation du Québec serait catastrophique pour la survie des collectivités francophones dans l'Ouest, du moins dans la mesure où elles bénéficient d'un soutien public. C'est absolument évident dans mon esprit.

Je dirais aussi que la participation du Québec à la fédération canadienne a servi de cadre de référence pour défendre la cause de tout un éventail de groupements minoritaires dans notre pays. Les peuples autochtones peuvent avoir une certaine appréhension face à la perspective d'une séparation du Québec. J'ai l'impression que dans l'Ouest et probablement ailleurs on se replierait sur une redéfinition du Canada axée bien davantage sur une seule culture.

Les collectivités auxquelles vous faites allusion s'inquiètent sincèrement de la survie du Canada et appréhendent sincèrement les conséquences d'une séparation du Québec.

Le sénateur Chalifoux: J'aimerais savoir ce que vous pensez de faire intervenir les provinces, dans le cadre de ce projet de loi, dans la dissolution ou dans l'unification de notre pays.

M. Gibbins: Il ne nous faut jamais oublier de faire la distinction entre les gouvernements provinciaux et les provinces car, comme nous l'avons vu en 1992 lors de l'Accord de Charlottetown, les provinces n'ont souvent pas la même opinion que leurs gouvernements. Je considère personnellement que les gouvernements provinciaux et les premiers ministres des provinces doivent s'impliquer dans toute campagne référendaire qui aura lieu à l'avenir au Québec, et qu'ils doivent livrer deux messages. Premièrement, qu'ils ont le désir profond de conserver l'unité du pays. Deuxièmement, même si c'est un message essentiellement tactique, il leur faut dire que si les «oui» ont la majorité, même si la question n'est pas très tranchée, même si elle est mal définie, les conséquences dans l'Ouest seront imprévisibles. Par conséquent, il faut que ce vote tienne bien compte en fait des réalités. Le message que l'on doit faire passer, c'est que nous voulons que le pays soit uni, mais que ce vote est d'une extrême gravité. Ce n'est pas un vote parmi tant d'autres. J'ai l'impression que dans la région l'opinion publique pourrait totalement se retourner si les choses venaient à mal se passer.

Le sénateur Kinsella: Monsieur Gibbins, est-ce qu'à votre avis la plupart des Canadiens de l'Ouest partent de manière générale du principe fondamental que le Canada est divisible, contrairement à nos cousins américains, qui considèrent fondamentalement que leur union est indivisible? Est-ce que c'est à votre avis le point de départ des Canadiens de l'Ouest?

M. Gibbins: Si je devais faire une supposition, sénateur, je dirais que c'est effectivement le cas. J'ajouterai toutefois que l'on connaît très mal l'état de l'opinion publique sur cette question précise ou sur d'autres questions du même genre. Je me contente de faire des hypothèses.

Le sénateur Kinsella: Bien évidemment, si vous acceptez au départ dans ce projet de loi le principe d'une partition éventuelle du Canada, n'êtes-vous pas d'accord pour dire que nous sommes sur une pente glissante quel que soit le moment auquel intervient cette partition?

Je vais vous poser différemment la question. Considérez-vous que ce projet de loi C-20 est un modèle de référence devant permettre à une province de l'Ouest, en passant par ces trois mêmes étapes -- une question claire, une majorité nette et des négociations -- d'être la première à entamer une procédure de sécession du Canada?

M. Gibbins: Non, sénateur. Tout au long de ma carrière universitaire, depuis 1973, j'ai longuement étudié la politique de l'Ouest canadien, l'aliénation de l'Ouest et le mécontentement de cette région, et je n'ai jamais enregistré au cours de ces 27 années un véritable appui de la part de l'opinion publique en faveur d'une indépendance de l'Ouest à moins d'une catastrophe dans une autre région du pays. Je répondrai donc par la négative.

Le sénateur Kinsella: Je suis ravi de l'entendre et j'imagine que vous englobez les quatre provinces de l'Ouest.

En tant que sénateur des Maritimes, je veux bien comprendre l'état d'esprit auquel vous avez fait allusion au cas où l'on répondrait «oui» à une question claire et où il y aurait une majorité bien définie, des négociations, un amendement apporté à la Constitution et un mouvement faisant sécession au Québec. Ai-je bien compris que vous nous dites que cet état d'esprit dans l'Ouest est le suivant: s'ils veulent partir, qu'ils partent? Quand vous faites cette évaluation de l'état d'esprit dans l'ouest du Canada, tenez-vous compte des répercussions sur les Maritimes lorsque vous raisonnez à l'échelle du Canada?

M. Gibbins: L'argument est intéressant. J'aimerais que ce soit le cas. Il serait trompeur, par ailleurs, de laisser croire que les Canadiens de l'Ouest, lorsqu'ils font de la politique, tiennent énormément compte des Maritimes. Ce n'est probablement pas le cas.

Laissez-moi vous expliquer de quelle façon je ressens les enjeux affectifs étant donné que cela se rattache à votre question. J'étais dans la même salle que près de 300 étudiants en sciences politiques, professeurs, étudiants de l'université et autres participants en 1995 lorsque nous avons regardé le résultat du référendum québécois. J'ai pu constater tout l'éventail des émotions qui s'exprimaient à mesure que les résultats fluctuaient. J'ai trouvé passionnant de vivre cette expérience, de pouvoir parler aux gens par la suite et de voir à quel point ils passaient par des phases d'optimisme et de pessimisme. L'émotion était telle que si les électeurs avaient tranché dans l'autre sens, on avait l'impression que les gens auraient accepté le résultat et décidé de passer à autre chose. Cette expérience émotive a probablement largement orienté ma propre façon de voir les choses par la suite.

Le sénateur Kinsella: Finalement, monsieur Gibbins, au cas où l'on parviendrait à la troisième étape de la procédure définie par le projet de loi C-20, le ministre Dion a déclaré précédemment devant notre comité qu'à son avis il n'était même pas nécessaire que le gouvernement limite la possibilité pour le pouvoir exécutif de négocier une sécession. Autrement dit, en fait, même avec ce projet de loi, des négociations bilatérales pourraient être entreprises entre le gouvernement fédéral et la province faisant sécession. En tant que Canadien de l'Ouest, acceptez-vous des négociations bilatérales, soit entre le gouvernement et une province sécessionniste, menant à une sécession?

M. Gibbins: Je dois bien avouer, sénateur, que ce serait probablement pour moi un véritable cauchemar.

Le sénateur Kenny: Monsieur Gibbins, est-ce qu'un pays est destiné à durer à jamais?

M. Gibbins: Non, je ne crois pas que l'on puisse garantir que le Canada va durer à jamais.

Le sénateur Kenny: C'est vrai pour tous les autres pays?

M. Gibbins: Oui, et on en a certainement vu des exemples.

Le sénateur Kenny: Les arguments que l'on entend au sujet de la divisibilité ou de l'indivisibilité de notre pays ont davantage à voir avec le patriotisme ou l'émotion qu'avec la réalité du monde dans lequel nous vivons.

M. Gibbins: Du point de vue des sciences politiques, nous vivons dans un environnement global qui remet sérieusement en cause la survie des États-nations tels que nous les connaissons. Je pense que la communauté des sciences politiques est de moins en moins certaine de la nature des organisations politiques qui vont à l'avenir structurer notre vie en société.

Le sénateur Kenny: Si la communauté des sciences politiques, puisque c'est ainsi que vous l'appelez, reconnaît que le monde change et évolue, il est raisonnable ou prudent de mettre en place des règles établissant qu'une question claire doit être posée si le pays est divisible, comme vous l'avez indiqué tout à l'heure?

M. Gibbins: Je ne pense pas que l'on encourage nécessairement des mouvements visant à démembrer le pays en mettant des règles en place. Il est possible que par inadvertance des règles puissent produire cet effet, mais la mise en place de certaines règles n'engage pas particulièrement notre pays dans cette voie.

Le sénateur Kenny: Je vous comprends. S'il vous fallait répondre de manière positive à cette même question, pensez-vous qu'en mettant en place des règles on diminue éventuellement le risque d'anarchie, de violence ou de comportements non civilisés?

M. Gibbins: Je vais vous répondre avec beaucoup de précaution. Ce n'est pas parce que l'on se ménage certaines garanties que l'on va nécessairement éviter le chaos, pour employer un terme très général. Je pense que le projet de loi C-20 est un pas dans cette direction. Étant donné qu'il ne nous mène pas jusqu'au bout de l'opération, il est difficile de dire avec certitude s'il pourra permettre à notre pays de garder une certaine sérénité. Je considère qu'il va dans le bon sens.

Le sénateur Kenny: Sans vouloir parler à votre place, est-ce que vous êtes d'accord si je vous dis qu'il nous permet d'avoir des discussions ou un débat plus civilisé?

M. Gibbins: Vous parlez peut-être à ma place, mais je suis d'accord avec vous sur ce point. Toutefois, on ne peut rien exclure. À la réflexion, je pense qu'effectivement il nous permet jusqu'à un certain point d'avoir un débat plus civilisé.

Le sénateur Kenny: De la même manière, est-ce qu'il est sage, lorsqu'on veut que les débats restent civilisés, de prévoir une majorité claire ou un mécanisme permettant de la fixer à l'avance?

M. Gibbins: J'ai pas mal réfléchi à la question et je pense qu'il est important de connaître à l'avance la majorité requise. Si cela peut vous être utile, je suis convaincu, pour un certain nombre de raisons, qu'une majorité simple de 50 p. 100 des voix plus une est à la fois prévisible et rationnelle, et répond aux règles démocratiques de notre pays. Je pense que pour que les débats restent civilisés, il serait utile de connaître cette majorité à l'avance.

Le sénateur Kenny: En résumé, êtes-vous d'accord pour dire que l'absence de règles et de structure, telles que celles qui sont prévues dans ce projet de loi, ne garantit pas que l'on puisse conserver l'unité du pays et risque de précipiter la violence et les troubles au cas où certaines des régions du pays voudraient procéder unilatéralement?

M. Gibbins: La question est quelque peu alambiquée. Je ne suis pas d'accord avec toutes les dispositions de ce projet de loi, mais je pense que c'est un progrès si l'on veut que les débats restent civilisés. Il n'a pas empiré la situation et n'a pas encouragé, ni rendu plus vraisemblable, le démembrement du pays. Je dirais aussi que nous ne serions pas mieux lotis, à mon avis, s'il n'existait pas.

La présidente: Nous allons maintenant donner la parole aux sénateurs qui ne sont pas des membres officiels du comité.

Le sénateur Taylor: Monsieur Gibbins, en tant que collègues de l'Alberta, nous nous connaissons de longue date. Je ne pense pas que nous ayons été souvent d'accord et je ne suis pas sûr que ça va changer aujourd'hui.

Vous avez pris bien soin de préciser que vous n'êtes pas le porte-parole de la Canada West Foundation, même si vous en êtes membre. Vous l'avez dit d'ailleurs à deux reprises. Vous connaissant, j'imagine qu'il y a probablement une bonne raison à cela. Est-ce parce que la Canada West Foundation est en faveur d'un Sénat triplement représentatif et que vous voulez écarter le Sénat au profit des provinces?

M. Gibbins: J'ai rarement le loisir d'oublier le Sénat. La Canada West Foundation est très résolument en faveur d'une réforme du Sénat. Je ne considère pas, cependant, que cela ait quelque chose à voir par la décision qui doit être prise ici. À mon avis, cela ne favorise pas nécessairement la réforme du Sénat et ne lui porte pas nécessairement préjudice. La question me paraît assez accessoire.

Le sénateur Taylor: Néanmoins, étant donné que la Canada West Foundation a des idées bien arrêtées au sujet du Sénat, il vous faudrait voir si elle a été invitée à nos séances. Je suis quelque peu intrigué par le fait que vous soutenez que les régions doivent avoir leur mot à dire en cas de sécession d'une province au Canada. En tant que constitutionnaliste ou que professeur en sciences politiques, vous faites un énorme saut en confiant la question aux provinces. Vous oubliez complètement que nous avons un Sénat qui a été institué pour représenter les régions du Canada.

C'est bien beau de dire que vous n'avez aucunement confiance dans une institution, qu'elle n'en vaut pas la peine, etc., mais cela ne justifie pas pour autant qu'on cherche à l'écarter. Vous pourriez réformer cette institution. Savez-vous s'il est déjà arrivé au Canada que l'on s'adresse immédiatement aux provinces? Jusqu'à présent, les provinces n'ont jamais voulu adopter ce genre de thèse.

M. Gibbins: Je soutiens depuis longtemps que l'un des défauts de la démocratie parlementaire canadienne, c'est que les provinces se sont mises à exercer un rôle régional que le Sénat serait mieux à même d'exercer. Je n'aime pas le principe qui veut que les gouvernements provinciaux assument un rôle national et parlent au nom de leur population lors d'événements nationaux.

Si j'avais mon mot à dire, c'est le Sénat qui jouerait ce rôle et les gouvernements provinciaux n'auraient là qu'un rôle limité à jouer, du moins sur la scène de la politique nationale canadienne. Je ne pense pas, toutefois, que le Sénat actuel se charge de le faire et, par conséquent, voilà pourquoi dans mon esprit je fais quasiment automatiquement le «saut considérable» dont vous parlez.

Il faut voir aussi que sur cette question les provinces se sont vues confier des responsabilités constitutionnelles. À un moment donné, leur assemblée législative intervient dans le processus d'amendement. Donc, à un moment donné, même si elles ne sont pas les seuls porte-parole de leur région, elles sont impliquées. Je préférerais largement que les premiers ministres provinciaux ne soient pas les porte-parole obligés des régions.

Le sénateur Taylor: Ce projet de loi prévoit de ne pas faire participer le Sénat à la procédure de consultation. Il n'envisage pas de l'écarter lors de la procédure finale. De même, est-ce que vous vous attendez à ce que les provinces interviennent à l'étape des consultations? Ne serait-il pas préférable de laisser ce soin au Sénat? Il est pratiquement impossible de faire intervenir les provinces lors de la procédure de consultation, même si elles pourraient certainement être impliquées lors de la prise des décisions ultérieures.

M. Gibbins: Je ne verrais aucun empêchement majeur à ce que l'on fasse intervenir officiellement le Sénat dans la procédure de consultation, parce qu'il serait plus facile et plus rapide à mobiliser lors des consultations que les autres groupes que vous venez de mentionner. Il sera à la fois plus complexe et plus long de trouver les mécanismes permettant de faire intervenir les provinces ou les autochtones que ce n'est le cas pour le Sénat. D'un point de vue logistique, il ne nous coûte rien de faire intervenir le Sénat et de lui conférer un rôle plus officiel.

Je dis simplement que le rôle que doit jouer le Sénat ne peut se substituer à celui des gouvernements provinciaux, tant au niveau constitutionnel que politique. Je ne considère pas, cependant, qu'en jouant un rôle plus officiel, le Sénat viendrait bloquer les rouages de cette opération. Il y aura tellement de sable et de pierres dans ces rouages que l'intervention du Sénat sera probablement un élément positif.

Le sénateur Joyal: Monsieur Gibbins, c'est pour moi un honneur que de poursuivre cette conversation avec vous à la suite des questions que vient de vous poser mon collègue, le sénateur Taylor.

Si je comprends bien la position de la Canada West Foundation, cette dernière est en faveur d'un système bicaméral pour le Canada?

M. Gibbins: Là encore, il me faut faire bien attention. Nous ne sommes pas un groupe de pression. Nous faisons des recherches sur la réforme du Sénat depuis plus de 20 ans. Effectivement, dans leur immense majorité, ces recherches sont en faveur d'un système parlementaire bicaméral pour le Canada.

Le sénateur Joyal: Cela dit, je pense que la Canada West Foundation, surtout lorsqu'on considère le petit nombre de représentants de l'Ouest au Sénat comparativement à la représentation des autres régions du Canada, a certainement de bonnes raisons de se plaindre.

À votre avis, étant donné que ce projet de loi, nous l'espérons, ne sera pas utilisé à brève échéance, ne serait-il pas plus sage de conserver le rôle traditionnel du Sénat en tant que chambre devant s'accorder avec la Chambre des communes pour ce qui est de la procédure législative, de conserver ce rôle traditionnel dans le projet de loi en partant du principe qu'une réforme du Sénat à l'avenir serait susceptible de refléter les priorités et les objectifs que, disons, la population de l'Ouest en général aimerait confier au Sénat ou à une deuxième chambre au Canada? Essayons d'élargir le débat pour ne pas associer en fait le Sénat actuel au modèle que vous aimeriez que l'on mette en place au sein de notre fédération.

M. Gibbins: Là encore, il me faut être prudent. Nos travaux nous ont amenés à conclure que l'abolition du Sénat, son remplacement et l'instauration d'une nouvelle formule seraient bien plus difficiles à mettre en oeuvre qu'une réforme du Sénat. Dans les deux cas, d'ailleurs, la tâche s'avérerait très difficile.

Rien ne nous a permis de conclure dans nos travaux que le Canada aurait avantage à adopter un système parlementaire unicaméral. Par conséquent, je dirais carrément que la présence du Sénat, tel qu'il est maintenant, est un bon modèle de référence et un excellent point de départ.

Quant à savoir si dans cette affaire il convient de renforcer le rôle du Sénat parce que ce serait utile pour maintenir sa vitalité, il m'est bien difficile d'en arriver à une conclusion définitive. Je suis en quelque sorte déchiré parce que, d'une part, on semble reconnaître pour le Sénat un rôle qu'à mon avis il ne joue pas à l'heure actuelle en matière de représentation régionale. Par conséquent, je n'ai pas envie de relancer ce rôle.

Le sénateur Joyal: Je suis d'accord avec vous, il ne s'agit pas d'avaliser la situation actuelle. Toutefois, il y a une façon de faire cynique, à laquelle vous avez fait allusion à la page 8 de votre mémoire: vidons petit à petit le Sénat de son contenu jusqu'à en faire une coquille vide. À ce moment-là, il sera tellement déconsidéré et sera devenu tellement inutile que l'on n'aura pas d'autre solution que de supprimer purement et simplement la Chambre haute ou de passer à autre chose.

Je soutiens quant à moi que nous devrons prendre bien soin de reconnaître pleinement la nécessité de la réforme et de savoir l'intégrer à notre système fédéral actuel tout en maintenant la crédibilité de cette institution et en lui conférant un minimum de pouvoirs parce que, si l'on ne met rien à la place, il sera très difficile de reprendre les pouvoirs à la Chambre des communes, croyez-moi, ce sera très dur ce sera, comme on le dit en français, un bras de fer. Tout le monde va entrer dans la lutte. Les premiers ministres se battront pour obtenir davantage de pouvoirs et la Chambre des communes se battra pour les conserver. Il sera encore plus difficile dans ces circonstances d'assurer le bon fonctionnement de la Chambre haute.

Laissez-moi vous dire qu'il nous faut au minimum garantir le bon fonctionnement de cette institution en lui conservant son rôle constitutionnel dans le cadre de la procédure législative afin qu'elle conserve quelques véritables pouvoirs si nous parvenons à la réformer.

Tel que je comprends le principe d'un Sénat triplement représentatif, nous avons besoin d'une institution efficace, c'est-à-dire d'une institution qui ait des pouvoirs véritables pour représenter les points de vue des régions. Je crois comprendre que c'est là votre opinion, que les régions devraient être mieux représentées à la Chambre haute au niveau national.

M. Gibbins: Laissez-moi vous dire tout d'abord que je ne suis pas obnubilé par le modèle d'un Sénat triplement représentatif. Je suis convaincu par contre qu'il est essentiel dans une bonne démocratie ou un bon système fédéral que l'on puisse compter sur un Sénat qui fonctionne bien. Je ne pense pas que ce soit le cas à l'heure actuelle.

Je suis d'accord avec vous cependant pour dire qu'il n'est pas bon, si l'on veut promouvoir la réforme du Sénat, de retirer encore de sa légitimité ou de sa crédibilité au Sénat aux yeux de l'opinion publique. Je ne pense pas que ce soit nécessaire. À long terme, je ne pense pas que ce soit une bonne stratégie.

Lorsque je commente le projet de loi C-20, je n'agis pas de manière tactique et il ne faut pas penser qu'en refusant un rôle au Sénat j'appuie indirectement sa réforme en l'affaiblissant encore davantage. Je ne pense pas que ce serait une démarche utile.

Le sénateur Banks: Merci d'être venu, monsieur Gibbins. J'espère fortement que nous aurons la chance de nous parler longuement un de ces jours.

Je ferai porter ma première question sur un aspect bien particulier du projet de loi C-20. Je sais que vous n'êtes pas un constitutionnaliste, mais vous avez fait quelques incursions dans ce domaine à quelques reprises et votre science est étroitement liée au droit constitutionnel. J'aimerais que vous vous penchiez sur la séparation des pouvoirs, qui est un principe fondamental dans une démocratie parlementaire. Le projet de loi qui nous est présenté a été déposé et adopté par la Chambre des communes, qui tranche sur une question susceptible de se poser à l'avenir. La Chambre des communes s'est adjugée le droit de trancher sur une question qui découle directement du projet de loi, au sujet d'une province quelconque, quelle que soit la composition de la chambre et la nature de la majorité au moment considéré.

Au fil des années, le Parlement canadien, en adoptant ses lois, a confié avant tout aux tribunaux ce pouvoir de trancher, mais parfois il l'a attribué à d'autres institutions, par exemple à des commissions. Je me réfère en grande partie ici à ce qu'a écrit M. Blair, et je suis sûr que vous connaissez bien ses études. Ainsi, le Parlement a confié le pouvoir de trancher à la commission du travail, par exemple, ainsi qu'à différents types de tribunaux quasi judiciaires. En l'espèce, toutefois, et je crois que c'est une première, la Chambre des communes a déposé et adopté un projet de loi dans lequel elle s'arroge le pouvoir de trancher. Je ne pense pas qu'on l'ait déjà fait auparavant. Qu'en pensez-vous, de manière générale?

Les dispositions prises par la Chambre des communes sur la question visée par ce projet de loi lient-elles le gouvernement ou ne font-elles qu'exprimer une opinion?

M. Gibbins: Si un référendum est organisé au Québec, une décision politique et non pas législative doit être prise au nom du reste du pays pour savoir quelle est sa signification. Que faut-il faire? Une fois que l'on a voté, comment réagir? Aucun mécanisme législatif n'a été établi pour nous permettre de prendre cette décision. Je pense que la population canadienne se tournerait vers le gouvernement en place pour lui demander de la guider.

Je prétends aussi qu'il faudra obligatoirement que le gouvernement lance une consultation, la plus large possible, en tenant compte du fait qu'il sera terriblement limité par le temps. C'est là qu'on en revient au Parlement. La mobilisation des provinces et des collectivités autochtones donnera lieu à une situation extraordinairement difficile, quasi paralytique. C'est pourquoi j'en reviens à penser qu'éventuellement le Sénat a un rôle à jouer en la matière tout simplement parce qu'il est plus facile à mobiliser.

Je ne pense pas qu'il soit injustifié de disposer dans le projet de loi que le cabinet fédéral sera finalement appelé à trancher, car c'est à lui en fait qu'il appartient de le faire. C'est une fiction de penser que ce pouvoir appartient à la Chambre des communes. Il n'appartient pas en fait à la Chambre; il appartient au gouvernement en place.

Le sénateur Banks: Ce sera une loi.

M. Gibbins: C'est exact. Toutefois, la décision prise par le gouvernement ou par le premier ministre ne sera pas un texte législatif, ce ne sera pas un projet de loi. Ce sera tout simplement un avis nous amenant à nous orienter dans telle ou telle direction parce que c'est le sens que nous lui donnerons. Il n'aura pas force de loi. Il n'engagera aucune des parties prenantes sur la scène politique. Il ne les engagera que dans la mesure où elles seront forcées de tenir compte des conséquences de cette loi, qui mènera à un accord ou à un compromis. Elle n'engage pas les parties. Par conséquent, je considère qu'il est justifié que le gouvernement en place ait en dernière analyse le pouvoir de déclarer: «Voilà ce que cela signifie à notre avis.»

Le sénateur Christensen: Monsieur Gibbins, j'ai deux questions assez compliquées à vous poser. Je ne suis pas sûr de bien pouvoir les formuler.

Le sénateur Kenny a abordé la question qui consiste à dire que ce projet de loi peut avoir un effet très positif étant donné qu'il exige une question claire et une majorité nette. On ne précise pas en quoi cela consiste. Il appartient en fait au gouvernement en place de le déterminer. On semble partir du principe qu'il serait très difficile pour une province quelconque du Canada de satisfaire aux exigences du projet de loi étant donné que les gens, si on leur pose une question claire, vont répondre: «Non. Je ne veux pas me séparer.» On semble partir du principe qu'il s'agit là plus ou moins d'un élément dissuasif.

Il est probable que l'on n'organisera pas de tels référendums tant que l'on aura un gouvernement très fort. Étant donné les différents facteurs et notre évolution à l'avenir, nous ne savons pas ce que sera d'autres gouvernements dans six mois, dans dix ans ou dans 100 ans. Imaginons qu'il y ait une minorité qui déclare: «Nous ne voulons pas savoir quelle est la question. Posez la question que vous voulez. Nous acceptons la question et il suffit que nous recueillions 50 p. 100 des suffrages plus une voix, nous sommes bien d'accord.» Que se passera-t-il à ce moment-là? Dans notre système bicaméral, nous disposerions normalement ici d'un garde-fou qui nous permettrait de dire: «Attendez un instant. Nous allons appeler les provinces et nous assurer que la population ait son mot à dire.» Ce n'est pas prévu dans ce projet de loi. Que se passera-t-il dans ce cas?

M. Gibbins: Je dois vous avouer que j'ai en grande partie analysé ce projet de loi en pensant à un gouvernement majoritaire. Si l'on envisage d'autres scénarios, qui ne sont pas inimaginables compte tenu de l'histoire canadienne, la situation se complique encore plus. Il sera encore plus difficile pour un gouvernement minoritaire d'imposer d'autorité une décision concernant la façon de réagir face à une situation propre au Québec.

Je suis prêt à dire par ailleurs qu'en cas de gouvernement minoritaire, et même peut-être si le gouvernement est majoritaire, il sera très difficile de réagir a posteriori. J'estime qu'il sera quasiment impossible de décider après le vote si la majorité a été assez large. Par conséquent, je considère que le projet de loi sur la clarté rendrait plus de services au Canada s'il fixait ces conditions à l'avance.

Le sénateur Christensen: Ma deuxième question porte sur la façon dont ce projet de loi aborde la question du Sénat. Ce n'est pas un projet de loi de réforme du Sénat, même si je pense que tous les sénateurs seront ouverts à une réforme. Lorsque nous avons prêté serment en tant que sénateurs, nous avons juré de défendre le Sénat et les principes qui sont les siens. Ce projet de loi semble nous demander de court-circuiter le mécanisme bicaméral de notre gouvernement et je me demande ce que les sénateurs en pensent sur le plan juridique.

M. Gibbins: Je vous le répète, je ne suis pas un constitutionnaliste, mais le Sénat a un rôle bien défini et constitutionnel dans notre système bicaméral d'adoption des lois, et je pense que les sénateurs ne peuvent pas renoncer à cette responsabilité. Toutefois, le Sénat n'a pas ce même rôle bien défini par la Constitution pour ce qui est de conseiller le gouvernement en place sur des décisions qui sont essentiellement politiques. La question est donc de savoir si les conseils du Sénat seraient sages et utiles pour le gouvernement. J'estime que l'on pourrait penser que ce serait le cas. Il n'en reste pas moins qu'il est plus difficile à mon avis de prétendre que cela fait partie des conventions politiques canadiennes ou de la politique constitutionnelle canadienne. Je pense que ce n'est ni l'un ni l'autre. Il s'agit en fait de conseiller le gouvernement en place au sujet d'une décision politique qui n'est pas de nature législative.

Je ne crois pas que les sénateurs dérogent à leur serment s'ils appuient ce projet de loi en l'état, mais on peut soutenir que le Sénat est l'un des organes qui devrait être consulté lorsque le gouvernement se trouve placé devant une situation terriblement difficile.

Le sénateur Sibbeston: Monsieur Gibbins, vous soulignez dans votre mémoire l'importance de faire participer très tôt les provinces de l'Ouest à cette procédure. Si vous interprétez ce projet de loi de manière positive, pensez-vous qu'il soit possible que cette procédure donne des résultats si, très tôt, le gouvernement fédéral organise une réunion des premiers ministres, consulte les peuples autochtones et confère avec le Sénat, ce que le gouvernement s'engage à faire dans ce projet de loi? Dans cette situation, pensez-vous que la procédure va très bien fonctionner?

Si trop de gens sont impliqués, le chaos risque de s'accentuer. Bien évidemment, il faut que le gouvernement fédéral prenne l'initiative et ce projet de loi établit les grandes lignes de son action, même s'il ne va pas jusqu'au bout. En restant très optimiste au sujet de ce projet de loi, pensez-vous que tout ça puisse très bien fonctionner?

M. Gibbins: Je ne dispose que d'une perspective limitée pour savoir si tout va très bien fonctionner, parce que ce projet de loi ne nous projette pas très loin dans l'avenir concernant la mise en place de tous ces mécanismes de consultation. Je ne pense pas que dans sa formulation actuelle, ce projet de loi empêche de mettre en place les mécanismes positifs que vous avez proposés. Il ne met aucun obstacle significatif ou insurmontable sur le chemin du gouvernement en place, qui l'empêcherait d'instituer les mécanismes de consultation dont il a besoin. Il n'empêche pas le gouvernement d'apporter une réponse positive. On aurait pu au moins laisser entendre quels pourraient être ces mécanismes. La seule indication jusqu'à présent concerne le Sénat et l'on s'est pris à s'inquiéter du fonctionnement éventuel de ces mécanismes. En soi, le projet de loi n'est pas un mauvais point de départ et il ne nous empêche pas d'instituer une procédure bien conçue et utile.

Le sénateur Sibbeston: Ne pensez-vous pas que chacun pourra avoir de ce projet de loi une conception qui lui est dictée par son expérience du gouvernement fédéral? Je comprends bien que dans l'Ouest on puisse avoir une impression d'aliénation et se méfier d'un gouvernement fédéral qui se situe loin vers l'Est, mais en lisant les dispositions du projet de loi sur l'exigence de clarté je ne vois pas comment des provinces ou des intervenants importants pourraient être écartés de la procédure.

Vu sous le meilleur angle, ne pensez-vous pas que tout va bien se passer, qu'il s'agit là d'un projet très logique et démocratique permettant de régler une question très importante, la tentative par une région du pays de se séparer du Canada?

M. Gibbins: J'ai bien du mal à voir la situation sous son meilleur angle, parce que ce projet de loi vise à régler une situation terriblement difficile pour notre pays. Je ne vois pas la situation sous son meilleur angle. Je vois certains angles qui sont pires ou bien plus difficiles à aborder.

Je vous le répète, je ne pense pas que ce projet de loi nous entraîne nécessairement sur la mauvaise voie. Je soutiens qu'à un niveau très superficiel, celui qui correspond à l'interprétation la plupart des Canadiens de l'Ouest, il reflète une conception raisonnable de la région. Je n'ai pas eu l'impression que dans sa formulation actuelle, ce projet de loi soulevait la colère de la région et qu'il était considéré comme un nouveau signe d'indifférence de la part du gouvernement fédéral. On considère qu'il reflète les sentiments de la région dans son ensemble.

Le sénateur Sibbeston: En tant que spécialiste des sciences politiques, considérez-vous que le gouvernement fédéral a le pouvoir d'agir comme il prétend qu'il va le faire dans ce projet de loi en tranchant la question comme bon lui semble, sans intervention du Sénat?

M. Gibbins: À mon avis, ce projet de loi fait appel à ce qui est essentiellement une décision politique qui doit être prise par le gouvernement, ce qui est conforme à ma conception d'une démocratie parlementaire.

Le sénateur De Bané: Monsieur Gibbins, lorsque certains pays démocratiques disposent dans leur constitution que leur pays est indivisible, bien évidemment ils ne veulent pas dire par là que leurs frontières sont éternelles; toutefois lorsqu'une région de leur pays veut se séparer, le consentement de tous les citoyens est exigé. Au coeur de ce projet de loi, il y a ici le fait que dans une province située au centre du Canada, 2,5 millions de personnes, qui voteraient pour la dissolution du pays, pour la séparation, prendraient une décision ayant des conséquences pour 27,5 millions de leurs compatriotes.

Pensez-vous que selon ce schéma, 2,5 millions de personnes puissent prendre une décision ayant des répercussions considérables pour leurs concitoyens? Une région du Canada qui veut se séparer, surtout lorsqu'elle est située au centre, peut-elle diviser le pays? Cela signifierait probablement la fin de notre pays tel que nous le connaissons. Ne devrions-nous pas empêcher une région de le faire pour que 2,5 millions de gens ne puissent pas prendre une décision ayant des répercussions sur tous les autres? Qu'en pensez-vous, en fonction des décisions qu'ont pu prendre d'autres pays démocratiques en la matière?

M. Gibbins: Ainsi que l'a fait remarquer le ministre Dion dans un certain nombre de ses discours et de ses écrits en la matière, il n'y a pas beaucoup d'exemples, et peut-être même aucun, de pays qui ont été démembrés à la suite d'un vote à peine majoritaire.

Je suis tout à fait d'accord pour dire que l'événement dont nous parlons peut avoir des conséquences catastrophiques. La question que je me pose est la suivante: Que peut-on faire d'autre, sinon négocier, à partir du moment où une province dit *oui+ lors d'un tel référendum, que ce soient 2,5 millions ou 3 millions de personnes qui se prononcent? En ma qualité de résident de cette région bien particulière du pays, que puis-je faire? Ce que je cherche à faire comprendre ici paraît peut-être bien dur à accepter, mais j'ai l'impression que les habitants de ma région se diraient, si un tel vote avait lieu, que même s'il s'agit d'une situation catastrophique, on ne voit pas bien comment revenir en arrière, ce que l'on peut faire sinon négocier. Cela ne veut pas dire pour autant qu'il ne faille pas faire tout notre possible pour orienter ce vote dans l'autre sens.

Le sénateur De Bané: Je suis d'accord avec vous. Si la grande majorité des Québécois votent en faveur de la séparation, il se pourrait très bien que le reste du pays leur dise: «Bien, si vous voulez partir, partez.» Cette décision devra cependant être prise par les deux groupes et non pas par un seul.

Nombre de pays démocratiques affirment qu'un groupe ne peut pas se séparer aussi simplement que cela. Imaginez que demain le Québec soit un pays indépendant et que la région de Montréal veuille s'en détacher. Pensez-vous que le premier ministre du Québec ou que le président de cette république va dire: «Eh bien, si vous voulez partir, faites-le, nous n'y voyons aucun inconvénient.» Si, de même, l'est du Québec veut se joindre aux Maritimes, le chef de l'État de ce pays va-t-il déclarer: «Bien sûr, si vous voulez vous joindre à elles, n'hésitez pas»? Il dira plutôt: «Non, pas du tout; il faut que l'ensemble de la province du Québec décide de vous laisser partir.»

Lorsqu'en Suisse la population francophone a voulu quitter le canton de Berne, qui est germanophone, l'ensemble de la Suisse a voté sur la question. L'ensemble de la population a déclaré: «Oui, vous pouvez quitter le canton de Berne.» Nous savons tous que cette minorité voulait quitter le canton germanophone de Berne, mais l'avis de l'ensemble du pays était nécessaire pour que cela se matérialise.

Je conviens avec vous que le reste du pays pourra très bien dire: «Eh bien, si vous voulez partir, nous allons prendre part à cette décision et vous pourrez ensuite nous quitter.» Je ne suis pas sûr, toutefois, que l'on fasse preuve d'une bonne logique en partant du principe que seuls les habitants d'une région donnée peuvent prendre une décision qui peut avoir des répercussions sur le reste de la population.

D'autre part, je suis d'accord pour dire que personne ne sait exactement ce qui va se passer après coup, mais lorsqu'on envisage les différents scénarios probables, pensez-vous vraiment que si le Québec quittait demain le Canada, la population des provinces de l'Ouest accepterait de faire partie d'un pays dont la Chambre des communes serait dominée par une seule province? Voyez quelle est la structure de l'économie des provinces de l'Ouest. Elle n'est pas axée sur les marchés intérieurs mais sur les marchés à l'exportation. Ne pensez-vous pas que chacune d'entre elles aurait intérêt à demander à se joindre aux États-Unis d'Amérique? Ensuite, bien entendu, ce serait un jeu de domino. Les Maritimes, puis l'Ontario, puis le Québec, en feraient autant.

Le Québec se retrouverait finalement avec deux sénateurs au Congrès américain qui parleraient anglais parce qu'il faut bien avouer que le français passerait bien après l'espagnol si jamais il était autorisé au Congrès américain. Nous nous retrouverions avec deux sénateurs anglophones au Sénat américain. Je sais que nous ne pouvons pas prévoir l'avenir, mais ne pensez-vous pas que ce scénario est plus plausible que celui qui verrait l'Ouest s'entendre avec l'Ontario pour gérer la Chambre des communes et prendre toutes les décisions? Je ne peux pas envisager la chose. Je vous signale que lorsque j'ai présenté ce scénario à un dirigeant séparatiste du Québec, il m'a répondu que c'est peut-être ce que fera finalement le Québec, mais qu'il sera le dernier à le faire. C'était sa consolation.

M. Gibbins: Je vais répondre très rapidement à une question très complexe, sénateur. Je ne fais aucune prévision pour l'avenir; je ne vois pas très bien comment le reste du pays va pouvoir survivre. L'Ontario poserait un énorme problème à l'Ouest dans ce nouveau Canada. Je ne vois même pas comment nous pourrions concevoir un Canada qui puisse fonctionner. Imaginer un Québec indépendant, c'est de la petite bière comparé aux complications qu'entraînerait l'organisation du reste du pays après la séparation.

C'est très difficile, mais je tiens à répondre à la première partie de votre question. Est-ce que le reste du pays doit trancher ou du moins avoir un rôle à jouer? Je suis fermement convaincu que ce serait une erreur que de demander au reste du pays s'il est prêt à autoriser le Québec à se séparer. Il y a tellement de possibilités qui seraient en fait catastrophiques. Le Québec pourrait voter en faveur du «non» et décider de ne pas se séparer alors que le reste du pays pourrait lui dire de se séparer. Il est possible que selon les régions du pays on réagisse très différemment. Que se passera-t-il si la Colombie-Britannique vote à 80 p. 100 pour que le Québec s'en aille alors que l'Ontario dit «non»?

Si je suis convaincu d'une chose, c'est qu'il ne faut pas imposer cette décision à la population canadienne. C'est la décision prise au sujet de l'accord, de la ratification, des clauses permettant à une province de partir, qui doit lui être confiée. J'en suis persuadé. Faire voter au départ l'ensemble du pays sur la séparation serait une chose terrible. Je m'abstiendrais. Ce serait catastrophique.

[Français]

Le sénateur Robichaud: Il semblerait qu'on ait mal cité le ministre Dion lorsqu'on a demandé au témoin ce qu'il pensait des propos du ministre Dion quant à la possibilité d'effectuer un amendement de façon bilatérale. En fait, il y avait deux formules et cela ne pouvait pas se faire bilatéralement.

Vous venez tout juste de dire que l'on ne devrait pas demander aux Canadiens de se prononcer à savoir si le Québec peut ou non se séparer. Cependant, si on formule une entente qui permettrait cette séparation et que la population dit «non», qu'est-ce qu'on fait?

[Traduction]

M. Gibbins: Vous avez tout à fait raison de dire que cette solution pourrait s'avérer mauvaise si la population ne ratifiait pas l'accord. Nous l'avons déjà vu auparavant; en 1992, par exemple.

Le sénateur Robichaud: Ce n'était pas à la suite d'un référendum. Dans ce cas, il faudrait que ça porte sur une question claire, avec une majorité nette.

M. Gibbins: Je suis d'accord, mais il est possible qu'on négocie un accord que nous voulions faire ratifier par la population du Canada et que cette dernière nous dise: «Non, nous n'en voulons pas.» Cela nous mettrait à nouveau dans une situation impossible. Voilà un autre des nombreux scénarios catastrophiques résultant d'un «oui» au référendum québécois. Je ne vois pas d'autre solution, toutefois, que cette ratification publique. Ainsi, dans ma propre province, l'assemblée législative provinciale ne peut pas ratifier un amendement constitutionnel sans organiser un référendum provincial, et il en est de même en Colombie-Britannique. Je pense que c'est pour nous une obligation.

Le sénateur Nolin: À titre de précision, si vous n'êtes pas favorable à un référendum organisé à l'échelle du pays à la suite d'un «oui» donné lors d'un référendum québécois, est-ce que j'ai bien compris que c'était entre autres parce que vous craignez une réaction du Québec? Je pars du principe qu'il y aurait un oui franc et massif à un référendum québécois et une opposition de la part de la population du reste du pays.

M. Gibbins: Il est bon d'éclaircir la chose. Si le Québec disait clairement «oui», il serait à mon avis tout à fait inutile de poser la même question au reste du Canada. Si la population canadienne répondait «non», nous serions placés dans une position très délicate. Si la population canadienne répondait «oui», on encouragerait des réactions émotives en disant: «Allez-y, partez» ce qui, dans une certaine mesure, empoisonnerait les négociations. Je ne vois pas l'utilité d'une telle opération, qui n'aiderait ni le Québec, ni le Canada, dans ces circonstances difficiles.

Le sénateur Nolin: En faisant la même analogie qu'avec l'Ontario, ne pensez-vous pas qu'une attitude négative de la Chambre des communes vis-à-vis de la question adoptée par l'assemblée nationale du Québec aura le même effet sur le Québec?

M. Gibbins: Oui, c'est mon avis.

Le sénateur Prud'homme: Pour vous dire à quel point il y a des différences dans notre pays, tout le monde s'adresse à vous en anglais en vous appelant «docteur», c'est bien normal, mais les Canadiens français n'emploient jamais ce terme entre eux. Pour nous, un docteur, c'est un médecin. C'est simplement pour vous montrer la nuance.

Je n'ai jamais compris pourquoi l'ouest du Canada, où je suis allé plus souvent, comme je l'ai dit lundi dernier...

[Français]

L'Ouest canadien compte 118 représentants au Parlement du Canada, l'Ontario en compte 127, le Québec 99 et l'Atlantique 62. Ces chiffres incluent bien sûr les deux Chambres.

Lorsque je parle du «Parlement du Canada», je ne fais pas comme certains qui disent: «Je suis membre du Parlement, je ne suis pas un sénateur». Ces gens ne comprennent pas le système parlementaire. Nous sommes tous des membres du Parlement, soit du Sénat ou de la Chambre des communes.

Je suis très attaché à l'Ouest canadien pour y être allé près de 300 fois. Vous allez m'expliquer deux choses. Comment se fait-il que 118 personnes puissent se sentir si aliénées du pouvoir central?

[Traduction]

Par déférence, je vais vous poser ma deuxième question en anglais. Je voyage très souvent dans des pays du monde où la vie n'est pas facile. Partout où je vais, on me dit que le Canada est le meilleur pays au monde. J'entends constamment au Canada nos dirigeants politiques le répéter. Nous nous en vantons. Que voit chez nous le reste du monde, qui lui fait dire que nous sommes les meilleurs, alors que nous ne le voyons pas nous-mêmes?

Je peux vous faire quelques suggestions. Je pourrais même en débattre avec mon ami le sénateur De Bané quand il veut, où il veut, et sur mon propre terrain, avec passion. Vous voyez, au Canada, vous êtes calme. Vous représentez une partie du Canada. C'est notre coutume.

[Français]

Nous, les Canadiens français, avons la même dévotion pour le Canada. Je sais que cela vous fera sourire. Qu'est-ce que le monde entier voit en nous que nous ne voyons pas?Je vais vous le dire.

N'est-il pas frappant de voir qu'ici, autour de cette table, vous avez le sénateur Robichaud et le sénateur Gauthier. Vous avez également le sénateur Fraser et le sénateur Lynch-Staunton; donc deux Canadiens anglais du Québec et deux Canadiens français de l'Ontario.

Le sénateur Chalifoux m'a énormément enseigné sur les Premières nations, sont aussi présents le sénateur Sibbeston et toute cette kyrielle d'autres gens. Pendant ce temps, le reste du monde entier se demande comment se fait-il que le Canada fonctionne, disant: «C'est extraordinaire, on n'est pas capable de le faire chez nous». Et on vient nous dire qu'il n'est pas possible de le faire chez nous?

Je suis un nationaliste canadien-français. Je sais que cela déplaît à tout le monde mais je vais le répéter. Je suis un nationaliste canadien-français du Québec. Vous pouvez sourire, cela m'importe peu, je sais qui je suis.

Je sais aussi que c'est la différence qui fait la spécificité du Canada. Que peut-on faire pour convaincre les Canadiens et comment faire pour qu'ils puissent accepter leurs différences?

Un jour j'étais à Vancouver, j'assistais à une conférence constitutionnelle que donnait Joe Clark. Un jeune anglophone originaire de la Saskatchewan m'a dit:

[Traduction]

«J'ai une grande tolérance pour les francophones.»

[Français]

J'avais envie de lui dire merci. Jusqu'à ce qu'une femme, chef autochtone, m'a dit:

[Traduction]

«Laissez-moi parler.» Je me suis senti mal. Je me suis dit que j'étais capable de répondre à cet homme et à cette femme, mais pas aux Premières nations, parce que j'ai trop de respect pour les Premières nations. Elles étaient là avant moi. Je m'attendais à ce qu'elle me fasse passer un mauvais quart d'heure. Elle m'a dit: «Je vais vous dire quelque chose. Le jour où les Canadiens le comprendront, où le gouvernement fédéral le comprendra, où les universitaires le comprendront, où les constitutionnalistes le comprendront, nous garderons notre grand pays.» Elle m'a dit, «Je vous comprends, Marcel.» Je n'avais jamais rencontré cette femme auparavant. Elle a alors déclaré à la cantonade: «Je comprends qu'il soit fier de sa langue,» et elle a précisé: «Seulement, vous m'embêtez tous, parce qu'aujourd'hui je dois exprimer ma fierté en anglais parce que j'ai perdu ma langue.» Cela m'a semblé la plus belle chose qu'ait jamais dite un Canadien. J'en ai encore été plus déterminé à suivre mon propre style et à déranger tout le monde.

La présidente: Vous avez une question à poser, sénateur Prud'homme?

Le sénateur Prud'homme: Oui. J'aimerais avoir les commentaires du témoin.

M. Gibbins: Je me ferai un plaisir de commenter. Je le ferai assez brièvement. Je ne voudrais absolument pas que l'on pense que je parle au nom d'une région qui déborde de mécontentement, qui a un sentiment d'aliénation et qui enrage. Ces temps-ci, le climat politique dans l'Ouest est assez bon. Je ne pense pas qu'il y ait de nombreux Canadiens de l'Ouest pour s'étonner que le Canada est le meilleur pays au monde. Le nationalisme y est très fortement ressenti. Je ne pense pas, à ce point de notre histoire, que les Canadiens de l'Ouest s'inquiètent particulièrement du fonctionnement de nos institutions nationales. Ce fut le cas par le passé, mais le mécontentement dans l'Ouest n'est pas au plus haut à l'heure actuelle. Je ne voudrais pas donner l'impression de parler d'une région en proie au mécontentement. Il n'en est rien. C'est une région prospère qui est raisonnablement satisfaite de l'orientation prise par le Canada. Elle a de véritables problèmes chez elle sur les questions de politique sociale.

J'essaie d'expliquer comment pourrait réagir l'ouest du Canada face à des événements catastrophiques se produisant ailleurs. J'ai essayé d'expliquer que si un tel événement venait à se produire, les griefs historiques, les querelles du passé pourraient revenir à la surface et déterminer la réaction des gens.

Je tiens à bien préciser que l'ouest du Canada, tel que je le connais et tel que je l'ai étudié, s'est toujours caractérisé par un très fort nationalisme canadien. Il se compose de gens qui considèrent avoir bâti ce pays. Ils sont arrivés il n'y a pas si longtemps et ont fait beaucoup d'effort pour notre pays. Ils ne souhaitent absolument pas le voir se démembrer. C'est aussi clair que cela. Il y a un très fort sentiment de nationalisme. La révolte ne couve pas dans cette région. Par contre, si vous lui imposez soudainement les conséquences d'un événement catastrophique comme celui que l'on évoque dans le projet de loi sur l'exigence de clarté, il sera plus difficile de prévoir comment la région va réagir. C'est tout ce que je voulais dire.

Le sénateur Lynch-Staunton: J'ai de nombreuses questions à poser, mais je pense que je vais passer mon tour et parler éventuellement au témoin à un autre moment.

La présidente: Dans ce cas, je dois vous dire avec quelque regret, monsieur Gibbins, que cela met fin à cette partie de notre séance. Merci d'avoir fait tout ce voyage pour venir de l'ouest du Canada. Ce fut très intéressant.

Nous allons maintenant accueillir comme témoin le professeur Joseph Magnet, de l'Université d'Ottawa. Je vous remercie d'être venu. Commençons, si vous le voulez bien, par votre exposé.

M. Joseph Magnet, professeur faculté de droit, Université d'Ottawa: Madame la présidente, honorables sénateurs, je tiens à vous remercier de votre invitation. C'est toujours pour moi à la fois un honneur et un plaisir de venir vous faire part de la manière dont j'entrevois certaines des questions dont vous avez à débattre.

J'ai lu le compte rendu des discours prononcés au Sénat et j'ai également pu prendre connaissance de l'exposé présenté par le ministre et de la teneur de son témoignage devant votre comité. J'ai également pris connaissance des propos énoncés devant vous par les deux professeurs qui ont témoigné lundi soir.

Il ne me paraît guère utile de faire, sur ce projet de loi, un exposé d'ordre général, mais j'aimerais évoquer certains aspects de la question qui paraissent vous préoccuper particulièrement, et vous dire la manière dont je les envisage. J'aborderai donc la question de l'indivisibilité de la fédération, sujet évoqué au Sénat dans certains discours d'une grande éloquence, la formule d'amendement à appliquer en cas de sécession, les obligations qui incombent aux divers acteurs constitutionnels, la compétence constitutionnelle qui est à la base du projet de loi C-20 et, enfin, le rôle du Sénat. J'aborderai également la question de la participation des peuples autochtones. Je crois savoir que ces questions vous préoccupent particulièrement et j'espère pouvoir en cela vous être un peu utile.

D'abord, le Canada est-il divisible?

La province de Québec a été établie par les articles 4 et 5 de la Loi constitutionnelle de 1867, et les lois constitutionnelles subséquentes ont élargi les limites de son territoire et redéfini ses pouvoirs, en les élargissant, notamment par l'article 92A de la Loi constitutionnelle de 1982 et l'abandon du paragraphe 93(1) de la Loi de 1867, mais également en les resserrant, notamment avec l'adoption de la Charte des droits et libertés, mais aussi, dans l'hypothèse d'une période de crise, en conférant au Parlement fédéral le pouvoir de légiférer dans des domaines relevant normalement de la compétence législative du Québec, ce pouvoir ayant été délégué au cabinet fédéral par le Parlement du Canada. Nous voyons ainsi que l'entité juridique que constitue la province de Québec est quelque chose qui a été créé par la Loi constitutionnelle et qui a subi, au cours de notre évolution constitutionnelle, des changements importants.

Les constitutionnalistes aiment, malgré tout, débattre de la question de savoir si les provinces pourraient ou non être supprimées. Lors du renvoi sur le rapatriement de la Constitution en 1981, on fit valoir que les provinces pourraient être supprimées par le jeu du vieux mécanisme d'amendement. Toutes les provinces pourraient effectivement être supprimées et la Canada lui-même transformé en État unitaire et non plus fédéral. La cour a entendu l'argument mais n'a pas jugé nécessaire de se prononcer sur ce point.

Dans le Renvoi sur la sécession du Québec, l'avocat représentant Ottawa fit valoir encore une fois que la nouvelle formule d'amendement autorisait tous les cas de figure. La cour l'a interrogé très fermement sur la question de savoir d'où le gouvernement fédéral tenait le pouvoir d'affirmer qu'il pourrait procéder au démembrement du pays dans certaines hypothèses. L'enregistrement vidéo des plaidoiries en Cour suprême est d'un vif intérêt. Comme vous le savez, la cour a livré sa réponse sur ce point aux paragraphes 84 et 85 du Renvoi sur la sécession du Québec où la cour, ayant débattu de ce point avec les avocats plaidants, répondit que l'amendement de la Constitution permettait en effet tous les changements possibles, y compris la sécession d'une province.

Tout cela donna ultérieurement lieu à un débat passionnant sur le sens ou la signification juridique de l'avis ainsi exposé aux paragraphes 84 et 85 car le Renvoi sur la sécession est un renvoi et un avis consultatif et non pas un arrêt comme la cour en rend d'ordinaire en matière contentieuse. La question a déjà été débattue au Sénat, mais je voudrais l'évoquer à nouveau.

Normalement, en matière contentieuse, l'arrêt de la cour comporte deux choses. Il y a le jugement proprement dit, puis il y a les motifs de ce jugement. Pour qu'il y ait jugement, il faut que quelque chose se produise, c'est-à-dire qu'un demandeur exige quelque chose de la cour, ou qu'un procureur demande la prise de telle ou telle mesure. La cour répond alors: Oui, telle personne peut prétendre à la somme de 2 500 $, ou Oui, la Couronne peut obtenir une condamnation. Cela, c'est le jugement. Puis, il y a les motifs du jugement, c'est-à-dire l'exposé des raisons motivant la décision de la cour.

Dans le cadre d'un renvoi, il n'y a pas de jugement car aucune des parties ne sollicite quelque chose de la cour. Il n'y a que des motifs de jugement, c'est-à-dire l'avis de la cour, ou plus précisément un avis consultatif. Dans le cadre d'un litige, seul le jugement compte. Le jugement peut être transmis au shérif qui va alors procéder au recouvrement des 2 500 $, ou transmis aux autorités qui vont procéder à l'incarcération ou à la prise d'autres mesures contraignantes. Seul le jugement compte.

Les motifs du jugement, eux, ont valeur de précédent car ils expliquent comment la cour est parvenue à sa décision. Dans les tribunaux d'instance inférieure, les motifs se fondent essentiellement sur les faits, mais au fur et à mesure qu'on avance dans les degrés d'appel, ce sont des questions de droit qui se posent et les motifs du jugement s'imprègnent de plus en plus de raisonnements juridiques et de conclusions de droit.

En droit, l'avis consultatif a exactement la même valeur que les motifs d'un jugement. Au fur et à mesure que l'on gravit les degrés d'appel, l'avis consultatif ou les motifs de jugement s'imposent, comme ils s'imposent devant un tribunal d'instance inférieure. Un certain nombre de doctrines juridiques telle que l'autorité de la chose jugée, le raisonnement par analogie et la valeur des précédents, permettent aux avocats de conseiller leurs clients: telle cause ayant été décidée de telle manière, si telle ou telle situation se produit à nouveau il y aura telle ou telle conséquence car les deux situations sont analogues et le même raisonnement s'applique.

J'estime pour ma part que les paragraphes 84 et 85 du Renvoi sur la sécession du Québec constituent un avis consultatif mais que cela n'en change aucunement la signification car cet avis a la même valeur de précédent que les motifs exposés par un tribunal à l'appui d'une décision rendue dans le cadre ordinaire d'un litige. Nous savons donc que s'il est demandé à un tribunal de dire, ou à un avocat de prévoir, si les procédures d'amendement contenues à la partie 5 peuvent être utilisées par une province pour faire sécession, la cour répondra qu'effectivement oui, la partie 5 peut être utilisée par une province pour faire sécession. Voilà comment il est possible de se prononcer en ce sens. J'estime que la réponse est concluante et qu'on ne saurait guère la contester. Je sais que cela vous préoccupe beaucoup et j'espère que vous trouverez quelque utilité dans ce que je peux en dire.

Je sais également que vous être préoccupés par la question de savoir qu'elle serait la formule d'amendement retenue en cas de sécession. À mon avis, la formule d'amendement serait celle de l'unanimité car, en pareille hypothèse, la fonction de lieutenant-gouverneur du Québec serait supprimée. Or, aux termes de l'alinéa 41a) de la Loi constitutionnelle de 1982, une telle décision exige l'unanimité.

J'imagine que si le Québec quittait la fédération, les trois juges issus du barreau du Québec ne siégeraient plus à la Cour suprême. Cette modification de la Constitution exigerait, elle aussi, l'unanimité en raison de l'alinéa 41d) de la Loi constitutionnelle. Cela dit, je ne vois pas pourquoi un tel changement interviendrait immédiatement. Ce changement pourrait être, en effet, reporté, mais j'estime qu'on ne saurait faire fi de l'alinéa 41a). Dans la mesure où le poste de lieutenant-gouverneur serait supprimé, il faudrait qu'il y ait unanimité.

En ce qui concerne les obligations incombant aux acteurs constitutionnels, j'estime, à la lecture du Renvoi sur la sécession du Québec, que l'unique obligation est de négocier. Les acteurs constitutionnels doivent engager des négociations. Il se peut qu'ils ne parviennent pas à s'entendre, mais la cour a bien dit qu'ils ne sauraient rester indifférents devant la volonté de sécession exprimée, au vu d'une question claire, par une majorité claire également. Cela veut dire que les acteurs constitutionnels doivent engager des négociations même si, comme le sénateur Joyal, ils sont persuadés que le pays est indivisible. Non seulement sont-ils tenus de négocier, mais encore doivent-ils engager ces négociations dans un esprit d'ouverture, accueillant les opinions de l'autre bord et acceptant éventuellement d'être persuadés de ce qu'il convient de faire, même s'ils ont, sur ce point, des convictions arrêtées.

Voici la signification que je donne à cette obligation de négocier. J'estime qu'elle est tout à fait conforme aux hautes vues qui se sont exprimées au sein de ce comité, et selon lesquelles ce pays ne devrait pas être divisé car, moralement, il est indivisible. Le fait d'accepter de négocier, de recueillir le point de vue d'un autre acteur constitutionnel de notre fédération quant à ce qui devrait être fait, même si cela devait aboutir au démembrement du pays, et de discuter des raisons ou des modalités de tout cela, rien de cela ne me semble incompatible avec des convictions très fortes. Voilà donc les paramètres de cette obligation de négocier -- l'ouverture d'esprit et la non-indifférence.

J'imagine que si l'un des acteurs devait venir négocier enfermé dans ses certitudes et indifférent aux vues de l'autre bord, il n'y a pas grand-chose qu'un tribunal pourrait faire, mais la Cour suprême a tout de même laissé entendre que les autres acteurs du système international pourraient prendre note de ce comportement déraisonnable, de cette inflexibilité, de ce rigorisme de la part de la fédération. Il est possible qu'il en soit effectivement ainsi, mais, du point de vue juridique, cela n'importe guère.

Permettez-moi maintenant d'évoquer brièvement les compétences qui fondent le projet de loi C-20. Il y a eu des débats assez abscons, notamment sur les prérogatives. Selon moi, ce que les constitutionnalistes pourraient appeler l'essence même de ce projet de loi, a trait à l'obligation de négocier. Il s'agit d'une obligation incombant aux intervenants fédéraux à l'occasion d'un amendement constitutionnel. Au sens formel, la Constitution ne reconnaît que le Sénat et la Chambre des communes. La Constitution ne dit rien des membres de l'exécutif, dont dépendraient en fait les négociations; le premier ministre, le chef de l'opposition, le Cabinet, sont autant de créatures qui n'apparaissent pas dans la Constitution. Le rôle qu'est appelé à jouer dans tout cela l'exécutif ressort entièrement de nos conventions constitutionnelles.

Si les représentants des divers pouvoirs exécutifs s'entendaient sur un projet de sécession, le résultat de cette négociation, l'accord lui-même, n'aurait pas à être soumis aux acteurs formellement reconnus dans les textes, c'est-à-dire le Sénat, la Chambre et les assemblées législatives des provinces, et ce pour les raisons évoquées tout à l'heure. D'après moi, il faut voir dans le projet de loi C-20 un projet de loi visant la mise en oeuvre de l'obligation de négocier. Le pouvoir d'agir en ce sens se trouve à l'article 44 de la Loi constitutionnelle. On confère à cet égard une responsabilité constitutionnelle aux deux chambres puisque cet article prévoit la manière dont elles devront répondre à une demande de sécession présentée dans les règles. Cette disposition circonscrit l'action de l'intermédiaire des deux chambres, en l'occurrence le gouvernement exécutif, qui agira pour leur compte. Elle précise ce dont l'exécutif devra tenir compte et apporte certaines restrictions à l'action de l'exécutif en la matière.

J'estime que cette disposition n'a que pour effet de réguler les rapports entre les deux acteurs responsables au regard de la Constitution, le Sénat et la Chambre des communes, ainsi que le gouvernement exécutif qui leur sert d'intermédiaire en vertu de nos conventions constitutionnelles. Cela s'est produit de nombreuses fois auparavant et les tribunaux ont eu l'occasion de se pencher sur la question, plus particulièrement dans l'affaire SEFPO c. Ontario (Procureur général), procès intentée par le Syndicat des employés de la fonction publique de l'Ontario. Excusez-moi de ne pas en avoir apporté le texte. Peut-être pourrais-je quand même en donner la référence aux fins du compte rendu. C'est [1987] 2 R.C.S., p. 2. La cour avait, dans cette affaire, à examiner les dispositions législatives affectant la fonction publique d'une province. Elle a expliqué qu'il s'agissait d'un texte de loi adopté en vertu des pouvoirs prévus à l'article 45, disposition analogue concernant l'amendement de la Constitution d'une province. Selon la cour, cette disposition confère le pouvoir de prendre les mesures en question.

Le projet de loi C-20 règle de manière équivalente l'action de l'exécutif et il trouve son fondement dans l'article 44 de la partie 5 de la Loi constitutionnelle de 1982. Je ne pense pas qu'il tire son fondement des prérogatives du Parlement. Je ne crois pas avoir à m'étendre sur la question. Je suis d'accord avec les points de vue exprimés plus tôt, selon lesquels il existe en effet une prérogative en matière d'affaires étrangères, mais je ne vois pas comment il pourrait y avoir, au sein d'une fédération, une telle prérogative réglant les rapports, par exemple, entre la Couronne fédérale et une Couronne provinciale. Le débat me paraît à la fois abstrus et hors sujet.

Si le Sénat ne convient pas que tel devrait être son rôle, eh bien il est en droit de ne pas transférer ce pouvoir. Autrement dit, il peut toujours ne pas donner son aval au projet de loi C-20. Il a le pouvoir d'y opposer son véto. Il peut le faire, en effet, s'il n'est pas d'accord sur ce qui serait son rôle. Cela dit, s'il adopte ce projet de loi, c'est bien le rôle qui lui reviendra dans le cadre du processus d'amendement constitutionnel.

J'aimerais, très rapidement, évoquer maintenant le rôle des peuples autochtones. Vous avez vous-mêmes abordé la question lors de vos délibérations. Le ministre l'a lui-même évoquée. Selon l'article 35.1, le Parlement et les législatures provinciales doivent, avant qu'un amendement constitutionnel puisse être adopté dans un certain nombre de domaines, organiser une conférence constitutionnelle et y inviter les représentants des peuples autochtones afin de discuter avec eux des sujets en question. En l'occurrence, il s'agit des sujets suivants: l'autorité du gouvernement fédéral à l'égard des Indiens et des terres qui leur sont réservées, c'est-à-dire le paragraphe 91(24); l'article 25 de la Charte; et la formule d'amendement.

Il me semble évident que la sécession d'une province, et en particulier celle de la province de Québec, affecterait les compétences fédérales à l'égard des Indiens et des terres qui leur sont réservées étant donné qu'une telle éventualité retirerait du domaine de la compétence fédérale, ou du moins retirerait censément de ce domaine, quelque 10 000 Cris, certains Mohawks et des membres d'autres peuples. Il faudrait qu'un tel amendement soit précédé d'une conférence constitutionnelle où les peuples autochtones auraient été invités afin d'en discuter. Il me semble également évident que l'article 3 du projet de loi C-20 envisage, dans le cadre de négociations sur la sécession, un examen de la situation et des droits des peuples autochtones. Pour moi, il s'agit là d'une disposition équivalente à l'obligation d'organiser une conférence constitutionnelle et je crois qu'il y a effectivement une obligation constitutionnelle d'inviter les peuples autochtones. Cela, cependant, n'est pas la même chose que de dire que les peuples autochtones doivent participer à la décision portant sur la question de savoir si les responsables fédéraux sont effectivement tenus de négocier et si l'obligation de négocier est déjà effective. S'il advenait que l'on propose un amendement constitutionnel éliminant la compétence du gouvernement fédéral à l'égard des Indiens et des terres qui leur sont réservées, il est claire que les peuples autochtones devraient être invités, mais cela ne veut pas nécessairement dire que l'inverse est vrai et qu'ils peuvent décider ou participer à la décision sur la question de savoir s'il y a effectivement obligation de négocier avec la province.

Je pense que je vais m'en tenir là, en espérant avoir apporté une ou deux précisions qui pourraient être utiles.

La présidente: Je vous remercie.

Le sénateur Beaudoin: Je vous remercie de cet exposé clair et concis. Je voudrais, maintenant, vous poser deux ou trois questions, dont une première concernant le projet de loi C-20. Plusieurs experts constitutionnels nous ont dit que ce projet de loi est fondé sur les compétences relatives à la paix, à l'ordre et au bon gouvernement, mais, pour d'autres, le fondement de ce projet de loi se trouve dans l'avis consultatif de la cour. Si j'ai bien compris, vous estimez, pour votre part, que le fondement constitutionnel de ce texte se trouve dans l'article 44. Cet article donne à l'autorité fédérale, dont le pouvoir exécutif, le pouvoir unilatéral d'amender la Constitution dans certains cas. Ce qui me préoccupe, c'est que le projet de loi C-20 n'est pas censé porter amendement de la Constitution. C'est censé être une loi ordinaire. Cela étant, estimez-vous tout de même que le projet de loi C-20 constitue, sur ce point-là, un amendement constitutionnel?

M. Magnet: C'est pourquoi j'ai évoqué l'affaire du Syndicat des employés de la fonction publique de l'Ontario. Dans cette affaire, il s'agissait également d'une loi ordinaire de l'Ontario qui affectait les droits politiques des membres de la fonction publique. Pour le juge Beetz, il s'agissait d'un amendement à la Constitution de la province, relevant à ce titre de l'article 45. Alors que pour nous un amendement à la Constitution est une chose très importante, et où il est évident que la Constitution fédérale en sera affectée, en fait beaucoup de choses bien moins importantes constituent tout de même des amendements à la Constitution et relèvent à ce titre des articles 44 et 45, y compris certaines choses tout à fait modestes -- du moins comparées à la sécession du Québec -- telles que des modifications apportées aux lois sur la fonction publique.

Le sénateur Beaudoin: Oui, mais le projet de loi C-20 ne semble pas respecter entièrement le principe du bicaméralisme inscrit dans la Constitution du Canada. Mon argument est le suivant: le fait d'écarter, par une loi ordinaire, le Sénat va, me semble-t-il, directement à l'encontre du principe d'égalité des deux assemblées, principe de base du bicaméralisme inscrit dans la Constitution. Si vous fondez le projet de loi C-20 sur l'article 44, vous pouvez invoquer le même argument pour dire qu'il amende la Constitution. Il est évidemment possible, par un amendement constitutionnel, de réduire les compétences de l'une ou l'autre chambre. Tout le monde est d'accord sur ce point. Ce n'est pas là où se situe le problème. Le problème est de savoir si le projet de loi C-20 est un projet de loi ordinaire, auquel cas nous avons à son égard un pouvoir de véto ne comportant ni restriction ni réserve, ou s'il s'agit d'un amendement constitutionnel subreptice fondé sur l'article 44.

M. Magnet: Si je vous comprends bien, cela voudrait dire que vous n'auriez alors, à l'égard du projet de loi C-20, qu'un véto suspensif. Autrement dit, vous n'auriez pas, à l'égard de ce projet de loi, un véto absolu. Ce n'est pas de cette manière-là que j'interprète vos pouvoirs. J'estime que vous êtes trop modeste en ce qui concerne les pouvoirs vous permettant de contrer le projet de loi C-20.

Le sénateur Beaudoin: Pas du tout. Il ne fait aucun doute que si nous ne votons pas le projet de loi C-20, il n'ira pas plus loin. Ça, c'est l'exercice de notre véto absolu à l'égard d'un texte de loi ordinaire. Mais, si c'est en fait un amendement constitutionnel, notre véto n'aura effet que pendant six mois. C'est toute la pertinence de ma question.

M. Magnet: Les articles 44 et 45, qui correspondent au pouvoir unilatéral d'amendement conféré à Ottawa et aux provinces en ce qui concerne leurs constitutions respectives, s'appliquent aux lois organiques -- c'est-à-dire aux textes portant organisation de leurs pouvoirs législatifs respectifs et gouvernant les rapports entre eux ainsi que les sujets n'ayant rien à voir avec l'élément fédératif de la Constitution. Ainsi, lors du renvoi sur le Sénat, comme vous le savez très bien, bien qu'il se soit agi d'un amendement touchant le fonctionnement de votre assemblée, la cour a estimé que cela affectait la dimension fédérative du Canada. C'est pourquoi il n'a pas été possible d'y donner suite en vertu des pouvoirs fondés à l'époque sur l'article 44.

D'après moi, le projet de loi C-20 fait la même chose, c'est-à-dire qu'il organise les compétences fédérales concernant la Constitution à l'échelle fédérale, sans pour cela modifier les aspects fédératifs de celle-ci. Autrement dit, la teneur essentielle du projet de loi est la suivante: «Nous sommes tenus de négocier; comment va-t-on en pratique procéder?» Selon le projet de loi, il faudra d'abord voir s'il existe effectivement une majorité claire qui s'est prononcée sur une question claire. Nous allons alors désigner pour ce faire un intermédiaire, en l'occurrence la Chambre des communes. Si la Chambre aboutit à une conclusion donnée compte tenu d'un certain nombre de facteurs, voilà comment nous nous organiserons pour satisfaire à l'obligation qui nous incombe. D'après moi, il s'agit en l'occurrence d'une loi organique relevant de l'article 44.

Le sénateur Beaudoin: Supposons, pour l'instant, que rien de cela ne pose de problème. J'en reviens au bicaméralisme. L'article 17 pose, s'agissant de lois ordinaires, le principe de l'égalité des deux assemblées.

M. Magnet: C'est exact.

Le sénateur Beaudoin: En matière constitutionnelle, il n'y a, aux termes de l'article 47, qu'un véto suspensif. Or, en l'occurrence, nous conférons un pouvoir à l'une des deux assemblées mais pas à l'autre. L'on peut dire à tout le moins que les deux assemblées ne sont pas mises sur un pied d'égalité. S'agit-il uniquement d'une loi organique, ou s'agit-il d'un amendement constitutionnel fondé sur l'article 44?

M. Magnet: En parlant d'égalité, en l'occurrence, on introduit un élément de subjectivité qui ne contribue pas vraiment à la compréhension du problème. Disons qu'il existe une obligation et qu'il s'agit de savoir comment on va s'en acquitter. Cette obligation incombe au pouvoir fédéral et le seul pouvoir fédéral constitutionnellement reconnu est le Sénat, non différencié, et la Chambre des communes, non différenciée elle non plus. Ce sont les seuls pouvoirs dont il soit fait état.

Dans ces conditions-là, comment cette entité assez peu manoeuvrable, va-t-elle procéder? Il faut adopter des mesures en ce sens et, d'après moi, le projet de loi C-20 est justement un texte de mise en oeuvre. La loi électorale, les textes sur la représentation et les textes sur la fonction publique sont tous des textes à caractère constitutionnel et, pourtant, je ne pense pas qu'on puisse dire que le Sénat n'aurait à leur égard qu'un véto suspensif. Il s'agit de textes à caractère constitutionnel, c'est-à-dire qu'ils relèvent de l'article 44. Il s'agit de textes de mise en oeuvre à l'égard desquels le Sénat a cependant un droit de véto intégral.

D'après moi, la manière de résoudre le problème qui se pose à vous, c'est-à-dire l'inégalité que vous pouvez légitimement percevoir dans tout cela, serait de rejeter le projet de loi. Ce projet ne serait ainsi pas adopté bien qu'il s'agisse d'un texte à caractère constitutionnel relevant de l'article 44.

Le sénateur Beaudoin: Mais, à supposer qu'il soit adopté, si, à de nouvelles occasions, nous procédons de la même manière, après quelques années, le Sénat se retrouvera considérablement amoindri, et cela en l'absence de tout amendement constitutionnel.

M. Magnet: Il pourrait effectivement en être ainsi. Bien sûr, vous avez toujours le pouvoir de défaire ce que vous avez fait. Si vous votez cette loi, vous pouvez toujours tenter, de concert avec l'autre chambre, de revenir sur cet état de chose. Mais je parle là en termes de droit constitutionnel, sénateur, car nous savons tous que cela peut ne pas être facile.

Le sénateur Beaudoin: Quelqu'un a évoqué la prérogative royale. Pensez-vous qu'en matière d'amendement constitutionnel -- d'après moi l'article 46 est très net sur ce point -- l'initiative appartient soit à une province, soit au Sénat, soit à la Chambre des communes? Si je vous ai bien compris, vous avez dit tout à l'heure que le pouvoir exécutif de l'État ne peut pas le faire, lui, si ce n'est de concert avec le Sénat et la Chambre des communes?

M. Magnet: Oui, cela est vrai aux termes de la Constitution. Bien sûr, les conventions constitutionnelles sont venues combler d'importantes lacunes et fournir les nombreuses précisions nécessaires.

Le sénateur Furey: J'ai un peu de mal à comprendre la réponse que vous avez apportée à la dernière question du sénateur Beaudoin. Avez-vous effectivement dit que si le Sénat votait ce projet de loi sous sa forme actuelle, sans exiger d'avoir son mot à dire au niveau des décisions de principe qui vont être prises en matière de clarté, cela n'aurait aucunement pour effet d'amoindrir le rôle constitutionnel du Sénat?

M. Magnet: Je ne vois en effet aucun amoindrissement de son rôle constitutionnel. Il est vrai, cela dit, qu'en agissant ainsi il réduira le rôle politique qu'il aurait pu, dans certains cas de figure, être appelé à jouer.

Le sénateur Furey: Qu'entendez-vous par cela, monsieur le professeur?

Le sénateur Joyal: Cela dit bien ce que cela veut dire; on appelle un chat un chat.

M. Magnet: Cela veut dire que les pouvoirs constitutionnels du Sénat ne sont aucunement amoindris. Cela ne modifie en rien son rôle constitutionnel, mais dans la regrettable hypothèse où il y aurait effectivement sécession, le Sénat ne serait alors pas consulté sur la question de savoir s'il faut négocier, alors que certains membres de votre comité estiment devoir être consultés

Le sénateur Milne: Le Sénat serait alors simplement consulté.

M. Magnet: Il n'aurait dans ce cas-là aucun pouvoir de véto.

Le sénateur Furey: Le Sénat n'aurait alors qu'une voix consultative. J'en reviens une fois encore à ce que vous avez dit dans le cadre de votre exposé, c'est-à-dire que, sous sa forme actuelle, vous ne pensez pas que ce projet de loi porte le moindrement atteinte au pouvoir constitutionnel du Sénat; est-ce exact?

M. Magnet: C'est exact.

Le sénateur Chalifoux: Vous avez fait plusieurs observations intéressantes au sujet des peuples autochtones. Vous n'avez mentionné que le paragraphe 91(24) et l'article 35. Ce qui me préoccupe depuis longtemps, cependant, c'est que les traités ont été conclus entre la Couronne et le Canada. Or, que fait-on de tout cela et comment une sécession pourrait-elle avoir pour effet d'annuler des traités conclus il y a si longtemps? Cela constitue, à mes yeux, un problème important. Par ailleurs, comment cela affecterait-il la Loi sur le règlement des revendications des Autochtones de la Baie James et du Nord québécois ainsi que la Loi sur Cris et les Naskapis du Québec. Ces deux lois prévoient que, lors de tout référendum, les peuples autochtones du Québec doivent être consultés et avoir la possibilité de participer.

M. Magnet: J'estime, effectivement, que les peuples autochtones doivent être consultés avant l'adoption d'un amendement constitutionnel. Plus que d'être consultés, il faut qu'ils soient invités à participer à tout débat sur ce point. Les questions que vous venez de soulever sont à la fois passionnantes et épineuses. Il se peut très bien que la question des traités soulève une question de droit international et, plus précisément, une question de succession d'États. Il se pourrait aussi que les traités entre les peuples autochtones et un État métropolitain soit d'une nature particulière et qu'il y ait lieu de régler la question dans le cadre de négociations. Je ne suis pas certain qu'il y ait en la matière un précédent, et c'est effectivement une question à la fois passionnante et épineuse. Il m'est arrivé de penser que si je vivais au Québec, la curiosité intellectuelle me porterait peut-être à voter en faveur de la sécession, simplement pour voir ce qui se passerait.

Le sénateur Rompkey: J'aimerais revenir à la question concernant le Sénat. Vous nous avez dit que, aux termes mêmes de la Constitution, les deux seuls acteurs en présence sont le Sénat et la Chambre des communes, et que le gouvernement leur sert, en quelque sorte, d'intermédiaire. En l'occurrence, le gouvernement a choisi de faire participer à ce processus une assemblée mais non l'autre. Je ne vous demanderai pas ce que le gouvernement avait en tête en agissant ainsi étant donné qu'à l'heure actuelle il a la majorité dans les deux assemblées. Il pourrait ne pas en être toujours ainsi cependant. Il est d'ailleurs plus probable que l'on voie le gouvernement avoir la majorité dans cette assemblée et non dans l'autre. Lorsqu'en 1972 je suis arrivé à Ottawa, le gouvernement n'avait pas la majorité à la Chambre. Cela s'est déjà vu et cela pourrait se produire à nouveau.

Cela dit, le gouvernement a choisi en l'occurrence de faire participer une des assemblées mais non l'autre. Vous nous avez dit que cela n'amoindrit en rien le rôle constitutionnel du Sénat et cela est exacte puisque nous aurons la faculté de nous prononcer sur l'accord qui pourrait éventuellement être négocié. Cette assemblée, par contre, ne sera pas appelée à se prononcer sur les situations prévues dans le projet de loi C-20.

Je ne vous demande pas ce qui aurait, d'après vous, pu porter le gouvernement à en décider ainsi, mais j'aimerais bien que vous replaciez ce cas dans son contexte historique. Y a-t-il, sur ce point, des précédents, soit au Canada soit dans d'autres pays? Auriez-vous sur cela une perspective historique à nous faire entrevoir?

M. Magnet: Le précédent qui me vient immédiatement à l'esprit est la suppression du droit de véto du Sénat en matière d'amendement constitutionnel. Il est vrai que cela a réduit le rôle constitutionnel de votre assemblée. C'est quelque chose qui s'est effectivement produit. J'imagine que selon certains cela confine l'assemblée dans un rôle secondaire s'agissant de dire s'il y a lieu ou non de négocier. Selon certains, il y aurait là quelque chose qui paraît regrettable.

La présidente: J'aimerais revenir à la question qu'avait soulevée le sénateur Beaudoin. Si nous procédons ainsi et qu'à l'avenir nous agissons à nouveau de même, nous établirons des précédents qui finiront effectivement par amoindrir le rôle du Sénat. Je ne suis pas très certaine comment, à supposer que nous agissions de même à plusieurs reprises, nous finirions par affecter les pouvoirs conférés à notre assemblé car, constitutionnellement, il faut bien que nous soyons là pour voter les lois. En effet, ce précédent ne s'appliquerait qu'à un texte qui n'est pas un texte législatif et à l'égard duquel nous n'avions de toute manière aucun pouvoir. Me suivez-vous dans mon raisonnement un peu sinueux? Ce que je veux dire c'est que je vois mal comment nous pourrions, en pratique, établir toute une série de précédents à cet égard?

M. Magnet: Si je vous comprends bien, madame la présidente, ce projet de loi C-20 vise un concours de circonstances tout à fait extraordinaire. Dans la vie de notre pays, il peut y avoir peu de situations aussi extraordinaires. Si cette éventualité devait se concrétiser, ce serait effectivement un événement extraordinaire. Vous avez donc peut-être raison de dire que ce précédent ne ferait pas, en quelque sorte, jurisprudence. Le sénateur Rompkey m'a demandé de citer un exemple où il y a effectivement eu diminution du rôle de votre assemblée et je lui en ai cité un, même si c'était en matière constitutionnelle. Il se peut que dans l'esprit de certains ce précédent s'ajoute à l'autre et que ces deux-là puissent éventuellement être suivis d'un troisième.

On ne saurait prédire. Il est clair que la sécession d'une province dans un pays fédéral qui est une démocratie avancée et prospère serait un événement sans précédent.

Le sénateur Joyal: C'est pour cela qu'il faut rendre une telle éventualité impossible.

La présidente: Vous avez, je pense, répondu à ma question. Monsieur le professeur, je vous remercie.

[Français]

Le sénateur Gauthier: Monsieur Magnet, je vais vous parler d'un sujet qui n'a pas beaucoup été abordé, c'est-à-dire les minorités de langues officielles.

Dans le projet de loi C-20, on dit qu'advenant une question claire et un résultat également clair, la Chambre des communes tiendra compte de l'avis de tous les partis politiques représentés à l'assemblée législative de la province par le gouvernement qui propose la tenue du référendum sur la sécession, des résolutions ou déclarations officielles des gouvernements ou assemblées législatives des provinces et territoires, des résolutions ou déclarations officielles du Sénat, des résolutions ou déclarations officielles des représentants des peuples autochtones, en particulier ceux de cette province, et de tout autre avis qu'elle estime pertinent.

Quand j'ai questionné le ministre Dion à savoir pourquoi il n'avait pas inclu les groupes de minorité de langues officielles comme ayant droit de faire connaître leurs résolutions et leurs propositions, il m'a répondu que la seule raison pour laquelle il l'avait fait, c'est parce que c'était dans la Constitution à l'article 35.1, et que conséquemment, il avait décidé d'inclure les autochtones. Vous savez comme moi que les dispositions quant aux droits constitutionnels des minorités de langues officielles reposent en grande partie sur neuf articles de notre Constitution, les articles 16 à 24. Pourquoi ces gens n'ont-ils pas, dans le projet de loi C-20, le même droit de donner leur avis à la Chambre des communes?

[Traduction]

M. Magnet: Sénateur, je ne sais pas ce que les rédacteurs du projet de loi avaient à l'esprit. Cela dit, je suis entièrement d'accord avec vous que les minorités linguistiques officielles -- un million de personnes au Québec et un autre million à l'extérieur de cette province -- occupent, constitutionnellement, une place importante. Une énorme structure institutionnelle leur est consacrée, instaurée par une pratique administrative et garantie par des dispositions aussi bien constitutionnelles que législatives. Elles ont un rôle extrêmement important à jouer au Canada. Cela dit, lorsqu'on sollicite l'avis des gens, on obtient parfois des réponses surprenantes. Lors du rapatriement de la Constitution, la société franco-manitobaine s'est posé un certain nombre de questions. Lors du premier référendum au Québec, la société franco-manitobaine était, par exemple, favorable à la sécession du Québec. Il est parfois très intéressant de solliciter l'opinion des gens.

[Français]

Le sénateur Gauthier: Pour plus de certitude dans un document aussi important que ce projet de loi, pourquoi mettre de côté ou ignorer une des composantes importantes de notre pays: la dualité linguistique? Advenant le cas où cette même dualité linguistique n'est pas incluse dans le projet de loi C-20 et que survient un changement de gouvernement ou une coalition gouvernementale composée, par exemple, du Bloc québécois et de l'Alliance canadienne, que peuvent faire les minorités de langues officielles? À mon avis, rien, à moins qu'elles soient jugées, et je cite: «[...] et de tout autre avis qu'elle estime pertinent» tel que stipulé à la dernière phrase de l'article 1(5) du projet de loi.

Ne serait-il pas mieux d'avoir clairement écrit dans le projet de loi que les minorités de langues officielles seront habilitées à donner leur opinion sur la question plutôt que de laisser la question en suspens? Je n'ai rien contre le fait que le ministre inclut les autochtones -- au contraire, je suis en faveur de cela. Pourquoi avoir ignoré les deux peuples fondateurs du pays? J'ai toujours cru que mon pays était indivisible. Maintenant, on me dit que ce n'est plus le cas. Je vais réfléchir aux arguments qu'on m'a donnés jusqu'à maintenant. Les minorités de langues officielles, celle des anglophones du Québec et celle du reste du Canada, ont élevé leurs enfants dans un pays qu'elles croyaient respectueux de ses langues officielles, lesquelles pouvaient être utilisées d'un océan à l'autre. On leur dit maintenant que cela va être négocié. Deviendra-t-on un peuple marchandé selon les bonnes dispositions des deux parties en cause, soit la province dissidente et le reste du Canada? Je ne veux pas devenir matière à marchandage et j'aimerais qu'on puisse donner notre opinion et amender ce projet de loi pour le faire. Pensez-vous que c'est possible?

[Traduction]

M. Magnet: Sénateur, je vous remercie d'avoir exprimé ce point de vue avec tant d'éloquence, et de m'accorder ainsi l'occasion d'évoquer à mon tour très brièvement cette idée. La solution ne vous paraîtra peut-être pas entièrement satisfaisante, mais les minorités linguistiques officielles, en l'absence d'un amendement, peuvent toujours, comme elles l'ont déjà fait dans le passé, recourir à vos bons offices puisque vous siégez en cette assemblée en tant que sénateur représentant les minorités linguistiques officielles. Depuis longtemps vous les représentez avec éloquence et passion. Vos propos d'aujourd'hui le confirment encore une fois et certains pourront utilement y recourir.

Le sénateur Banks: Monsieur le professeur, ceux d'entre nous chez qui la consultation suscite moins d'enthousiasme se rappelleront ce que Churchill avait dit de l'homme condamné à être décapité. Le soir précédent, vous allez lui demander s'il veut être décapité. Il est probable qu'il répondra que non, mais, après l'avoir consulté vous pouvez procéder à son exécution. Il est décapité, mais non sans avoir au préalable été consulté.

Avez-vous pu entendre la question que j'ai posée au témoin précédent?

M. Magnet: Non.

Le sénateur Banks: Elle concernait le principe de séparation des pouvoirs voulant que lorsqu'une législature adopte une loi, elle ne doive pas par la suite se prononcer sur les choses susceptibles d'en découler. J'ai demandé au témoin précédent si, d'après lui, un jugement rendu sur la question telle qu'envisagée dans le projet de loi C-20, s'imposerait au gouvernement. D'après lui, la réponse serait non. Je suis heureux de dire que j'ai remporté avec lui le débat qui a eu lieu sur ce point dans le couloir car, en effet, une loi peut soit prescrire soit interdire. En l'occurrence, dans l'éventualité où la Chambre des communes aurait une composition différente de celle qu'elle a actuellement, il n'est pas impossible d'envisager une situation où la Chambre adopterait une mesure interdisant au gouvernement d'engager des négociations. D'ailleurs, si je comprends bien, le projet de loi C-20 prévoit que, si la Chambre des communes ne décide pas que la question posée était effectivement claire, le gouvernement ne pourra pas entamer des négociations. Cela étant, la Chambre des communes n'a-t-elle pas rédigé et adopté un projet de loi lui conférant le pouvoir de trancher une question qui en découle et qui est envisagée dans ce même projet de loi et que, du moins dans certaines circonstances, cela s'imposerait donc au gouvernement? Cela n'est-il pas directement contraire à la tradition et aux conventions qui, comme vous le disiez plus tôt, comblent les lacunes qui apparaissent entre les subtilités du droit constitutionnel?

M. Magnet: Je vous remercie de m'avoir posé la question. Ce n'est pas comme cela que les choses m'apparaissent du point de vue constitutionnel, mais vous avez soulevé des questions extrêmement pratiques sur le plan politique et vous les avez ensuite enveloppées dans une argumentation constitutionnelle. Je ne pense pas que ce texte lie le gouvernement d'une manière que réprouverait la Constitution, mais il est vrai que ce que vous dites au sujet d'une Chambre différemment constituée à l'avenir pourrait très bien un jour donner au gouvernement matière à regrets. J'ai à cet égard un certain nombre de points de vue qui ne sont ni constitutionnels ni même juridiques mais politiques. Ils ne sont pas tellement éloignés d'ailleurs des sentiments que vous avez vous-même exprimés, c'est-à-dire que le gouvernement pourrait se trouver, dans l'autre assemblée, devant une Chambre beaucoup plus problématique. Le Bloc pourrait détenir la clé de l'équilibre et procéder à de surprenants jeux d'alliance. Ce projet de loi pourrait effectivement créer pour le gouvernement un certain nombre de problèmes.

Mais cela est un jugement entièrement politique. Un gouvernement peut s'attendre, étant donné les conventions politiques, à pouvoir contrôler ce qui se produit dans l'autre assemblée. Vos propos portent à envisager les cas de figure inattendus et les situations qui viendraient changer le cours ordinaire des choses. Dans de pareilles circonstances, ce projet de loi pourrait créer plus de problèmes qu'il n'en résout. Je ne suis aucunement en désaccord avec vous sur l'aspect politique du problème, mais je ne peux cependant pas vous suivre lorsque vous estimez que ce projet de loi n'est pas conforme à la Constitution. Je ne vois pas d'arguments en ce sens-là.

Le sénateur Banks: Si l'on songe aux mesures qui pourraient être adoptées ultérieurement par des tiers, par la voie d'un pourvoi en Cour suprême, par exemple, à l'égard des mesures prises au titre du projet de loi C-20, et si l'on peut, pour un instant, faire abstraction de l'amour-propre du Sénat, la Chambre des communes n'aurait-elle pas plutôt intérêt à confier le pouvoir de se prononcer sur la clarté de la question, à un autre organisme, possiblement quasi judiciaire, ou à un comité de sages?

M. Magnet: L'affaire de la sécession n'a pas été renvoyée devant la Cour suprême pour stimuler la réflexion des professeurs de droit ou alimenter un débat d'idées. Si la question a été portée devant la Cour suprême, c'est parce que le gouvernement avait constaté la gravité du problème étant donné que beaucoup de gens pensaient que la sécession pourrait être indolore. La question a été portée devant la Cour suprême pour faire changer d'avis un certain nombre de personnes. Le gouvernement n'a pas rédigé les questions soumises à la cour sans avoir longuement réfléchi à ce qui pourrait se passer par la suite. Les questions étaient en effet très soigneusement rédigées.

Les réponses apportées par la cour n'étaient pas entièrement inattendues, pas plus que ne l'était la réaction. Le projet de loi C-20 n'est pas un texte rédigé sur un coin de table entre deux tasses de thé. J'y vois le fruit d'une stratégie très élaborée que le gouvernement juge nécessaire afin de répondre aux graves problèmes auxquels il doit faire face. Je crois qu'actuellement les responsables gouvernementaux trouveraient très malvenue l'idée de confier la question à un organisme indépendant et apolitique.

Le sénateur Joyal: Monsieur Magnet, je vous connais depuis déjà un certain nombre d'années. Je suis assez déconcerté par la conclusion que vous exposez dans un mémoire qui a été diffusé mais dont vous n'avez pas donné lecture. Je voudrais qu'elle soit consignée au compte rendu. Dans la dernière partie de votre mémoire, que vous intitulez «Do I Support the Bill?» vous dites que dans la mesure où ce projet de loi s'adresse à 600 000 nationalistes non forcenés pour leur dire «Nous pouvons vous rendre la vie très difficile», votre expérience vous porte à ne pas soutenir le projet de loi. Mais, vous ajoutez que dans la mesure où ce projet de loi s'adresse aux partisans de M. Parizeau qui entendent, en recourant à un subterfuge, obtenir un mandat populaire et opérer une sécession unilatérale, vous n'êtes pas opposé au projet de loi.

Votre conclusion me rend un peu perplexe. Peut-être ne devrais-je pas l'être étant donné qu'un professeur de droit peut être naturellement porté à voir les deux côtés de la question, et à suivre la voie moyenne, mais en tant que sénateur qui se consacre à défense du Canada, cette position me paraît intenable.

Si le gouvernement a saisi la Cour suprême, c'est pour une raison très particulière sur laquelle je voudrais insister. C'est vrai que, comme vous l'avez dit, ce n'était pas pour occuper l'esprit des professeurs de droit et des législateurs. Il s'agissait, en effet, d'empêcher la décomposition du pays. C'est pour cela que le gouvernement du Canada a saisi la Cour suprême.

La Cour suprême a répondu non à deux questions simples: le Québec ne peut pas faire sécession unilatéralement; le Québec ne possède, ni au regard du droit canadien, ni au regard du droit international, un droit à l'autodétermination. Au paragraphe 98 de son avis, la cour conclut qu'il n'y a donc ni droits, ni moyens exécutoires. Ça, c'est au regard de notre droit.

La cour ajoute ensuite qu'il y aurait une obligation de négocier de bonne foi. Ce qui m'excède le plus, dans votre exposé, c'est le long développement que vous consacrez à la nature de cette obligation, vous savez, l'obligation de négocier de bonne foi. En ce qui concerne cette obligation, l'exécution ne saurait, selon la cour, être obtenue en justice mais devant le tribunal de l'opinion publique. Le gouvernement du Canada peut donc, même après un référendum comportant une question claire qui a obtenu une réponse claire, décider, pour des raisons politiques, qu'il n'engagera pas de négociation. Traînez-moi, si vous voulez, devant les tribunaux, mais j'entends m'en remettre au jugement de la population canadienne. Voilà la réalité. Ça, c'est la réalité politique entourant l'avis de la cour.

Je suis vraiment agacé par les gens qui viennent arguer de l'obligation de négocier de bonne foi. Je réponds, non, je ne négocierai pas de bonne foi, je m'en remettrai à la décision des Canadiens. Pour moi, c'est cela la bonne foi en l'occurrence, c'est de cette manière-là que cette bonne foi s'exprimera.

Je suis révolté par l'attitude qui consiste à dire eh bien je ne veux pas faire de peine aux nationalistes, mais bien sûr je suis partisan du projet de loi dans la mesure où il permet de lutter contre les méchants séparatistes. Il en va de même du Sénat dont on prétendrait qu'il s'agit d'une assemblée en second, si l'on peut dire. Nous ne sommes pas, au regard de ce projet de loi, une assemblée en second. La formule d'amendement nous confère un droit de véto que nous pouvons exercer et si, quelques mois plus tard, la Chambre des communes vote non, ce texte nous revient. Ce serait ça un droit de véto?

Ce n'est pas un véto, ça. Ce n'est rien. Ce n'est pas une assemblée en second. En tant qu'assemblée législative nous disparaissons purement et simplement. Voilà la teneur du projet de loi.

La présidente: Avez-vous une question à poser?

Le sénateur Joyal: J'aime appeler un chat un chat. J'aime parler sans détour. Il nous faut tenter de comprendre les incidences juridiques de ce texte, de savoir quelle est l'étendue de nos pouvoirs légaux, quelle est, légalement, l'étendue des obligations du gouvernement et quelle est la position que le gouvernement va avoir la sagesse et le courage politique de défendre. Voilà l'objet de nos travaux et, monsieur le professeur, je dois dire que, devant certaines tergiversations, j'ai du mal à me contenir.

M. Magnet: C'est pour cela que vous avez tant d'admirateurs et de partisans, parmi lesquels vous pouvez d'ailleurs me compter. C'est à cause de la passion qui vous anime et parce que vous n'avez pas peur des mots. J'entends fort bien ce que vous venez de nous dire.

Permettez-moi, maintenant, de répondre aux arguments juridiques que vous avez soulevés. Je suis désolé car je ne savais pas que les notes que j'avais préparées avaient été diffusées. Cela dit, je veux bien y répondre étant donné qu'elles correspondent effectivement à mes réflexions sur ce sujet. Je serais heureux de compléter les quelques notes que j'avais consignées pour garder en mémoire mes réflexions. Mon intention n'était pas du tout de vous faire part de mes opinions sur l'aspect politique de la question. C'était, pour moi, de simples repères, mais je veux bien y apporter un certain nombre de précisions.

Je ne pense pas que c'est tergiverser que de dire qu'il y a effectivement une obligation de négocier. Cette obligation existe de par la Constitution. Je ne pense pas que les acteurs constitutionnels responsables, y compris cette assemblée, puissent dire: «Non, nous ne négocierons pas même si la Constitution nous en fait obligation». Cela me semble irresponsable et constitue, d'après moi, une absurdité aussi bien juridique que constitutionnelle, voire politique. Vous ne pouvez pas procéder ainsi car le pays, l'opinion publique, se retourneraient contre vous si vous disiez: «Eh bien, nous voulions que la loi l'emporte, mais, maintenant, nous allons nous y soustraire. Nous sommes des acteurs constitutionnels mais nous n'entendons pas nous acquitter de notre obligation constitutionnelle». Vous seriez la risée des démocraties parlementaires. Selon la cour, c'est comme cela que les acteurs de la vie internationale verraient les choses. La loi constitutionnelle a été précisée par la cour et les acteurs constitutionnels doivent s'y tenir.

Mais maintenant, peut-on entamer des négociations et se contenter de dire «Ce que vous affirmez ne me plaît guère; je n'accepterai rien de tout cela»? Cela correspond peut-être à votre sentiment mais, pour moi, il ne s'agit nullement de tergiversations et je n'ai nullement honte de dire qu'il faut entamer des négociations dans un esprit d'ouverture. Il s'agit, après tout, de personnes qui ont des convictions très profondes concernant une question politique qui nous importe tous au plus haut point, des convictions qui se sont exprimées, au vu d'une question claire, de manière démocratique et politique. Pouvez-vous simplement leur dire «Je ne veux pas vous écouter»? Non. D'après moi, la Cour suprême vous engage, au paragraphe 92 de son avis, à ne pas être indifférents. Cela veut dire, d'après moi, que si vous n'êtes pas indifférents à nos compatriotes qui se sont prononcé sur cette question, vous entamez des négociations dans un esprit d'ouverture, vous essayez de comprendre, de discuter, de débattre et de persuader, et aussi de vous laisser persuader, en attendant l'aboutissement du processus. Je suis désolé, mais je n'appelle pas cela de la tergiversation. J'appelle cela de la démocratie.

J'avais simplement griffonné quelques notes sur le papier.

La présidente: Monsieur le professeur, excusez-nous si nous avons par inadvertance distribué un document qui n'était pas destiné au comité.

M. Magnet: Madame la présidente, vous êtes bien aimable, mais le sénateur Joyal, pour qui j'ai beaucoup d'estime et d'amitié, a soulevé une question et c'est très volontiers que j'y ai répondu car je ne voulais pas qu'il y ait, sur ce point, un défaut de clarté.

Y suis-je favorable? Si je réfléchis à ce qui se passe depuis 40 ans, il me semble que le nationalisme couve là où la nation est divisée, en l'occurrence par la langue, mais dans d'autres cas, tel qu'en Irlande du Nord, par la religion et dans d'autres encore par la race. Lorsqu'il y a une fracture qui divise la nation -- dans notre cas une fracture linguistique -- et qu'en raison de cette fracture, une partie de la nation se voit déconsidérer, cela donne la situation qui régnait ici en 1960. Dans cette ville, au sein de cette fonction publique fédérale, le français n'était pas parlé. Au Québec, les travailleurs francophones étaient largement moins bien payés. Il existait entre les deux communautés une inégalité. Certains membres de cette assemblée ont dit que le Canada est le meilleur pays du monde. Nous avons fait preuve, au cours des 40 dernières années, d'une formidable capacité d'adaptation au changement. Les revenus des deux communautés ont augmenté et sont maintenant à égalité. La loi a instauré la représentation proportionnelle du français et de l'anglais au sein de la fonction publique fédérale. Nous y sommes parvenus et la population a soutenu nos efforts. Il y a eu une adaptation tout à fait radicale.

Au sein de notre société, de notre nation, il y avait un fervent nationalisme qui nous a portés à nous adapter. Ce phénomène était parfaitement compréhensible au Québec. Nous avons pris les mesures qui s'imposaient mais un tel sentiment ne s'apaise pas si vite. Voilà ce que je pense. De plus, certains événements politiques sont susceptibles de rallumer les flammes du nationalisme et c'est ce qui s'est passé avec l'échec de l'Accord du lac Meech et certains autres problèmes. Non seulement le nationalisme n'a-t-il pas disparu comme prévu, mais il a eu un regain de ferveur.

J'avais noté dans mes feuillets les causes du nationalisme. Nous avons fait de gros progrès et c'est comme cela que l'on doit faire face aux difficultés qui sont à l'origine aussi bien du renvoi sur la sécession du Québec que du projet de loi C-20. En nous penchant sur les causes du nationalisme, en corrigeant l'infériorité de statut d'un des groupes linguistiques, nous avons fait de gros progrès. Je crois que c'est de cette manière-là que nous devons procéder.

Je ne suis pas partisan d'un projet de loi qui affirme, comme on avait tenté de l'affirmer lors de la Conférence de Charlottetown, que soit on adopte le texte, soit on assiste au démembrement du pays. On ne peut pas maintenir notre fédération par la peur. Dans la mesure où c'est ce que ce projet de loi tente de faire, je ne pense pas qu'on puisse y voir une bonne stratégie. Je comprends fort bien les difficultés auxquelles le gouvernement fédéral a dû faire face lors des deux cycles de pourparlers constitutionnels qui ont abouti à l'échec. Je comprends fort bien les motifs qui sous-tendent ce projet de loi mais l'expérience nous apprend que la peur est mauvaise conseillère.

Mais il existe un second problème. Nous sommes surpris de voir que le gouvernement du Québec envisage peut-être d'obtenir un mandat à la dérobé en posant une question équivoque, puis en prenant des mesures politiques difficilement acceptables afin d'obtenir la reconnaissance. C'est dans cette mesure-là que je suis partisan du projet de loi puisqu'il tente de contrer de telles mesures si elles étaient envisagées par le Québec.

Je regrette, sénateur, que vous ayez pu voir dans mes notes une forme de tergiversation ou d'ambivalence. Les notes que j'avais consignées n'étaient que les jalons de ma réflexion. J'espère que ces précisions vous aideront à mieux comprendre la position qui est la mienne. Je tiens à dire encore une fois combien la passion et l'éloquence avec lesquelles vous défendez une certaine position sont les marques d'un grand patriote. J'ai été très ému par le discours que vous avez prononcé au Sénat.

Le sénateur Taylor: Je voudrais aborder la question sous un angle tout à fait différent. Nous avons parlé de la séparation et de la question de savoir si le Sénat est écarté du débat ou s'il a voix au chapitre. D'après vous, si le Sénat est écarté, cela établira un précédent qui ne serait pas trop grave. On arriverait peut-être à le surmonter à terme.

Mais laissez-moi vous demander ceci. Ce projet de loi, essentiellement, a été décidé par l'exécutif, le Parlement y étant, si l'on peut dire, surajouté. Cela étant, ils n'ont pas vraiment besoin du Sénat.

Mais ce projet de loi établit tout de même un précédent à l'égard d'un certain nombre d'autres questions. N'oubliez pas que l'Ontario et le Québec comptabilisent actuellement environ 59 p. 100 des députés. Au vu du recensement, cette proportion devrait passer à environ 65 p. 100. Or, au Sénat, il leur est impossible de dépasser les 48 p. 100.

Le précédent que constitue le projet de loi C-20 peut donner à l'exécutif et à la Chambre des communes le pouvoir de prendre des décisions dans d'autres domaines, en matière linguistique, par exemple, ou concernant une politique énergétique nationale. Il ne serait donc plus nécessaire de s'adresser au Sénat, où prévaut un équilibre régional qui fait contrepoids. Que pensez-vous de ce précédent-là?

M. Magnet: Sur ce point-là, je suis entièrement d'accord avec la présidente. Il s'agit en effet d'un événement extraordinaire. On ne saurait considérer un événement qui est extraordinaire comme un simple événement parmi d'autres. Autrement dit, ce n'est pas comme cela que je vois les choses. Encore une fois, vous me posez une question prospective sur ce qui pourrait se produire si le Sénat était écarté de certaines autres questions. Cela risque-t-il de provoquer une succession de mesures allant toutes dans le même sens? On ne peut que rappeler qu'on ne saurait prédire ce que réserve l'avenir.

Il s'agit, il est vrai, d'un événement extraordinaire. Peut-être est-ce exagéré de dire qu'il est unique, mais il demeure néanmoins extraordinaire. Si vous craignez qu'à l'avenir on ait recours à cette méthode dans des circonstances qui ne sont pas extraordinaires et où l'on ne pourrait pas invoquer les justifications dont certains ont fait état en l'occurrence, rappelons que vous avez les moyens, par votre véto, d'arrêter la mesure.

Le sénateur Taylor: Je parlais de décisions exécutives dont nous ne serions même pas saisis. Il n'est pas nécessaire de procéder par voie de projet de loi. Une politique énergétique nationale, par exemple, n'a pas besoin d'être incarnée dans un projet de loi. Il suffit d'une décision de l'exécutif qui pourrait être avalisée par la Chambre des communes, la décision étant, en fait, prise par deux provinces seulement.

M. Magnet: Je ne suis pas sûr de bien comprendre le sens de votre question.

Le sénateur Taylor: Je dis simplement qu'il n'était pas nécessaire, en l'occurrence, d'avoir un projet de loi. Il s'agit simplement, en effet, d'obtenir l'aval des deux assemblées pour ce qui constitue une simple décision de l'exécutif.

M. Magnet: Je vois.

Le sénateur Taylor: Supposons qu'un jour, le pouvoir exécutif décide qu'il n'a pas besoin de proposer un projet de loi. Il peut simplement obtenir une résolution. La Chambre des communes, dominée comme elle l'est par l'Ontario et le Québec, peut adopter une résolution dont le Sénat ne sera pas saisi. Autrement dit, le pays pourrait être gouverné par résolution sans jamais que le Sénat soit appelé à se prononcer.

M. Magnet: Je vous remercie d'avoir apporté cette précision, mais cette éventualité ne me semble guère réaliste, surtout dans l'hypothèse d'un programme énergétique national. Cela dit, je rappelle que le projet de loi en question met en oeuvre une obligation constitutionnelle préexistante. Il met en oeuvre quelque chose qui existe déjà mais qui nécessite certaines précisions.

Ce projet de loi est là pour apporter les précisions nécessaires. À l'inverse, sans dispositions législatives, il n'y aurait aucune obligation, aucune possibilité d'élaborer un programme énergétique national. Il faut, pour cela, que des crédits soient affectés. Il faut que des structures soient créées. Tout cela exige des dispositions législatives. Je ne vois vraiment pas comment un tel programme pourrait être élaboré de manière purement administrative. Votre assemblée, si je comprends bien l'exemple que vous avez cité, serait appelée à jouer pleinement son rôle. Le Programme énergétique national que vous évoqué a fait l'objet d'une loi.

Le sénateur Christensen: La question a été soulevée par plusieurs autres sénateurs et je pensais que vous y aviez répondu, mais en écoutant la réponse que vous avez apportée au sénateur Taylor, je ne suis plus aussi sûre.

Je vais dire, pour parler en profane -- et peut-être pouvez-vous confirmer ce qu'il en est vraiment -- que ce projet de loi C-20 est en fait un acte de la Chambre des communes. Ce n'est pas une loi. Il s'agit d'une résolution qui aurait pu être adoptée par la Chambre des communes.

Il ressort de votre exposé que le pouvoir exécutif n'a pas la compétence voulue pour engager des négociations et se prononcer sur la clarté des questions référendaires et sur la majorité qui se serait éventuellement dégagée. Donc, pour cela, il faut bien qu'il y ait une loi. C'est toute la raison d'être du projet de loi C-20; il faut obtenir, auprès des deux chambres du Parlement, l'autorité permettant à l'exécutif de prendre ultérieurement ces décisions.

Cela dit, il fallait bien que le projet de loi C-20 soit soumis au Sénat. Le Sénat doit, pour légitimer les dispositions inscrites dans ce texte, adopter le projet de loi C-20. D'après moi, le projet de loi C-20 n'est que de peu d'importance par rapport à la gravité de ce qui se produirait si le référendum était remporté par les partisans d'une sécession et qu'il nous fallait, dans ce contexte-là, engager des négociations.

Cela n'explique pas pourquoi le Sénat devait être écarté de cette importante décision, qui est bien plus lourde de conséquences que celle dont nous sommes actuellement saisis.

À cela, il convient d'ajouter une chose. Je sais que les sénateurs s'inquiètent de voir le Sénat ne pas s'exprimer sur ce point, mais ce n'est nullement parce que nous nous sentirions atteint dans notre dignité de sénateurs, mais plutôt parce que nous craignons ce qui pourrait se passer à l'avenir en l'absence de contrepoids.

M. Magnet: Je vous remercie de l'exprimer ainsi. Je crois qu'il est vrai, comme vous l'avez dit -- et peut-être n'avais-je pas saisi toute la portée de la question précédente -- que ce mécanisme pourrait très bien être instauré sans recourir à des dispositions législatives. J'estime qu'on pourrait le faire en l'absence d'un texte de loi et je n'avais peut-être pas saisi tout le sens de la question. Je vous remercie de cette précision.

Ce que je veux dire relève un peu de la conjecture car je ne peux qu'exprimer le fruit de mes propres réflexions. Si l'on a eu en l'espèce recours à un texte législatif c'est, je crois, que cela fait partie d'une stratégie d'ensemble destinée à avertir certains que «Nous pouvons vous rendre la vie très difficile. Ne vous imaginez pas que si cette éventualité se réalisait les choses se passeraient sans accroc. Nous pouvons vous rendre la vie très difficile et nous allons devoir parler avec vous de choses très graves dont, selon vous, nous n'avons pas à parler. Nous allons effectivement devoir en parler.» Je crois que c'est une des raisons d'être de ce projet de loi.

Cela dit, je reconnais que l'objet même du texte, c'est-à-dire la mise en oeuvre de l'obligation de négocier, aurait pu se faire sans texte législatif. Je ne pense pas que cela veuille nécessairement dire qu'on pourrait procéder de la même manière en ce qui concerne, par exemple, un programme énergétique national, car il s'agit, en l'occurrence, d'une obligation préexistante qui avait besoin d'être précisée, mais les précisions nécessaires pourraient être, il est vrai, introduites par voie administrative. Les éléments qui interviendraient dans l'autre cas, tels que la mise en place de structures ou la dévolution de certains pouvoirs, ou l'engagement de certaines dépenses, exigeraient l'adoption d'un texte législatif et votre assemblée aurait naturellement voix au chapitre. J'espère que cela répond à la question que vous m'avez posée.

Le sénateur Finestone: Que le Québec finisse par faire sécession ou non, je dois dire qu'à mes yeux ce texte-ci est un des plus importants projets de loi que j'aie jamais vus; un texte qui fera date. J'ai l'impression, par contre, qu'on est en train d'écarter certains acteurs qu'on ne devrait pas écarter et cela me préoccupe beaucoup. J'ai écouté avec attention ce que vous nous avez dit, mais cela ne rejoint pas mes propres réflexions.

Une autre chose qui me déplaît est l'utilisation du mot «sécession». Pourquoi ne pas simplement utiliser le bon vieux mot «indépendance», que tout le monde comprend.

Je voudrais revenir maintenant à la question soulevée par le sénateur Gauthier. Je voudrais que vous nous fournissiez certains éclaircissements à cet égard. Selon le préambule, la démocratie ne se limite pas au règne de la majorité, une majorité claire en faveur de la sécession serait nécessaire pour que naisse l'obligation de négocier la sécession et c'est d'une majorité claire au sens qualitatif, dans les circonstances, qu'il faut déterminer l'existence. Ça, c'est dans le préambule. Ensuite, on passe au projet de loi proprement dit. J'aimerais savoir comment on peut s'attendre à ce qu'on entame les négociations dans un esprit d'ouverture alors qu'on ne dit plus un mot de l'aspect qualitatif.

Encore une fois, et toujours dans le préambule, on invoque les principes du fédéralisme, de la démocratie, du constitutionnalisme et de la primauté du droit et de la protection des minorités. Puis, on passe aux dispositions du projet de loi et on s'aperçoit que l'article premier passe tout cela sous silence. On voit, au paragraphe 1(5), toute une liste des personnes ou d'organismes qui seront consultés, aussi bien au niveau des provinces que du gouvernement fédéral, les diverses résolutions des représentants des peuples autochtones et, surtout, ceux des provinces dont le gouvernement propose un référendum sur la sécession, ainsi que tout autre avis jugé pertinent. Aucune mention n'est faite, encore une fois, des minorités.

Cet aspect-là est pourtant cité à deux reprises dans le préambule. Je tiens à vous dire que je fais moi-même partie d'une minorité, étant à la fois anglophone et membre d'un groupe ethnique et que je n'ai pas oublié les propos de M. Parizeau.

Le paragraphe 1(5) ne fait aucune mention des minorités. Celles-ci ne figurent pas non plus dans la liste qui se trouve au paragraphe 2(3). Le paragraphe 2(4) n'en dit pas plus. Il n'y a toujours rien au paragraphe 3(1).

Enfin, au paragraphe 3(2), on relève l'expression «aucun ministre». Il n'est question ni du Sénat, ni de la Chambre des communes, ni des législatures provinciales. Le texte parle simplement d'«aucun ministre.» Eh bien, selon ce que vous nous avez dit au début de votre exposé, aucun ministre n'a de rôle dans tout cela. La Constitution n'envisage que la Chambre des communes, le Sénat et, j'imagine, la Reine.

La présidente: Avez-vous une question à poser?

Le sénateur Finestone: J'y viens. La question a trait au paragraphe 3(2): Aucun ministre ne peut proposer de modification constitutionnelle à moins que *le gouvernement du Canada n'ait traité, dans le cadre de négociations, des conditions de sécession applicables dans les circonstances+ puis, à la fin de ce paragraphe, on voit évoquer «la protection des droits des minorités». S'ils doivent procéder à des consultations et veiller à la protection des droits des minorités, estimez-vous normal qu'au niveau de l'évaluation qualitative nécessaire il soit prévu non seulement qu'il faut que la question soit claire, mais également que la majorité soit claire, que les minorités soient entendues et qu'il existe, à cet égard, une obligation?

Je porte trois casquettes: la première, en tant que Québécoise inquiète devant la perspective d'un référendum; la deuxième, en tant que membre d'une minorité; et la troisième, en tant que membre d'un groupe ethnique. J'ai oublié d'ailleurs une première casquette qui est celle d'une Canadienne. Cela me paraissait aller de soi.

J'aimerais savoir comment vous interpréteriez et appliqueriez le critère qualitatif à l'égard, par exemple, d'une Alberta qui voudrait se séparer pour des raisons essentiellement économiques. Comment envisager la protection des droits des francophones en Alberta sans parler de la protection des droits des anglophones au Québec? Où se situe l'obligation?

M. Magnet: L'exigence qualitative repose sur l'avis de la cour rendu dans le renvoi sur la sécession. Autrement dit, la notion de majorité claire est une notion essentiellement qualitative. Ce n'est pas simplement une question de chiffres.

Le sénateur Finestone: J'en ai compté 56 000 qui ne comptaient pas et c'est pour cela que je compte.

M. Magnet: Si je vous comprends bien, il s'agit de savoir s'il existe, de par la Constitution ou aux termes de ce projet de loi, une obligation de tenir compte, lors de l'évaluation qualitative, de l'avis des minorités linguistiques officielles. Je comprends votre inquiétude sur ce point, comme j'ai compris celle qu'a exprimée le sénateur Gauthier. Je ne pense pas qu'il existe une obligation constitutionnelle de solliciter l'avis des minorités linguistiques officielles ou de quelque autre groupe que ce soit. Je ne pense pas qu'il y a, sur ce point, d'obligation constitutionnelle. Je ne pense pas non plus que le projet de loi contienne une contradiction, autrement dit qu'il manque de cohérence. Vous l'avez d'ailleurs fort bien compris puisque vous pouvez exprimer avec éloquence le sentiment que vous ressentez, en tant que membre d'une minorité, en tant qu'anglophone au Québec et en tant que membre d'un groupe ethnique, à l'idée d'être tenu à l'écart de cela. Je pense que sur ce point les dispositions du projet de loi ne sont ni contradictoires ni inintelligibles.

Il est vrai, comme vous l'avez relevé, qu'il n'y a aucune obligation de consulter la minorité linguistique officielle ou les populations ethniques. Certains estimeront, en accord avec vous, que cela serait souhaitable. Sur ce point-là, je n'ai guère d'opinion. Je n'élude aucunement votre question mais lorsqu'il s'agit de dire qui devrait être consulté, la réponse relève d'un calcul de haute politique, les stratégies ayant été mûrement pesées par le gouvernement qui y réfléchit depuis des années. Je n'ai aucune opinion sur cela car je ne suis pas certain qu'il soit vraiment important d'être consulté dans le grand face-à-face qui aurait lieu en pareille hypothèse. Je regrette que ma réponse ne vous soit d'aucun secours, mais je ne peux en fait que parler de l'aspect constitutionnel de la question hélas, car, sur le plan politique, je n'ai pas d'idée arrêtée.

Le sénateur Kinsella: On a évoqué ici des principes passionnants, mais il y en a un qui a retenu mon attention en particulier. Il concerne la formule d'amendement qui, selon le professeur Magnet, s'appliquerait en l'occurrence. Vous avez bien dit que, selon vous, cela exigerait l'unanimité?

M. Magnet: Oui, sénateur Kinsella.

Le sénateur Kinsella: Honorables sénateurs, cela me semble très important. Il s'agit, à mon avis, d'un des points de convergence de plusieurs courants qui se sont manifestés dans le cadre de notre débat en deuxième lecture. Ma préférence va à une vision d'un Canada indivisible. Je serais partisan de retenir ce principe fondamental.

Cela dit, je vois une convergence entre ce principe dont je suis partisan et la réalité de ce projet de loi qui, selon vous, exigerait l'unanimité. Selon le paragraphe 3(1) du projet de loi, cela «requerrait la modification de la Constitution du Canada». À supposer que nous amendions le projet de loi pour lui faire dire «Ainsi, conformément au principe de l'unanimité, la Constitution du Canada serait amendée», j'y verrais une convergence entre le principe d'un Canada indivisible et l'exigence constitutionnelle d'un amendement de la Constitution adopté à l'unanimité.

Autrement dit, d'une manière typiquement canadienne, nous pourrions peut-être trouver un terrain d'entente. Que pensez-vous de cela?

M. Magnet: Je vous remercie de vous exprimer ainsi sénateur. C'est aussi mon point de vue. Il me semble très peu probable que l'on parvienne à l'unanimité alors que les deux chambres du Parlement et chacune des dix assemblées législatives provinciales ont en fait un droit de véto à l'égard d'une sécession éventuelle. Il est vraiment peu probable qu'on parvienne à l'unanimité.

Cela dit, j'étais très surpris de constater, à l'occasion de pourparlers constitutionnels précédents, qu'il y avait accord unanime sur un certain nombre de choses. En 1985, par exemple, j'ai été franchement étonné de l'unanimité à l'égard de l'Accord du lac Meech. Je l'ai été encore de l'unanimité sur l'Entente de Charlottetown. J'estime qu'une résolution en faveur de la sécession n'obtiendrait jamais le consentement unanime. Cela dit, la modestie m'oblige à avouer qu'il m'est arrivé, dans le passé, d'avancer certains points de vue qui, par la suite, ne se sont pas réalisés.

Le sénateur Kinsella: Aux États-Unis, dans le fameux dossier Texas c. White, que vous connaissez sans doute, la cour suprême a affirmé que l'union américaine n'est pas divisible. Cet arrêt ne contient-il pas de nombreux passages susceptibles de rallier bien des avis? La logique qui y est développée ne s'appliquerait-elle pas en l'occurrence?

Autrement dit, nous pourrions affirmer que le Canada est indivisible et inscrire cela dans le projet de loi. Ne pourrions-nous pas en décider ainsi pour la première fois dans notre histoire législative et prévoir que la règle de l'unanimité s'appliquerait? Ne serait-il pas sage de procéder ainsi?

M. Magnet: Votre analyse est passionnante. Aux États-Unis, chaque jour, les écoliers commencent, la main sur le coeur, par jurer allégeance au drapeau et à une nation indivisible qui garantit à chacun la liberté et la justice. Il s'agit là de quelque chose qui est profondément enfoui dans le caractère américain et renforcé par l'expérience de la guerre la plus sanglante qui ait jamais été livrée pour défendre, justement, le principe de l'indivisibilité de la nation.

Notre caractère à nous est différent. Nous n'avons pas à cet égard le même sentiment. Certains d'entre nous l'ont, mais pas d'autres. Dans notre système, les écoliers ne se le voient pas rappeler chaque matin. Il serait peut-être bon que nous parvenions à ce point-là dans notre évolution constitutionnelle. Il se peut que votre idée prenne corps et que, petit à petit, au gré des débats, l'idée fasse son chemin et finisse à faire partie de notre caractère national et de notre vie politique.

Le sénateur Beaudoin: La question est, il est vrai, importante. Aux États-Unis, dans l'affaire Texas c. White, la cour suprême a statué que les États-Unis d'Amérique étaient indivisibles. Mais ce n'est pas exactement la même chose que de dire que la sécession d'une province est subordonnée à l'application de la clause d'unanimité de la formule d'amendement. L'argument va dans le même sens mais la thèse de Texas c. White va encore plus loin car il y a très peu de constitutions au monde qui prévoient certaines choses qui ne sont pas susceptibles d'amendement.

Je crois que le sénateur Joyal s'est déjà exprimé à cet égard, c'est-à-dire sur le fait que la notion d'indivisibilité existe effectivement, et qu'on y trouve là une garantie importante, qu'il s'agisse d'un principe supranational ou que la clause de l'unanimité s'applique ou non. D'autres prétendent que si l'on peut s'intégrer au Canada par une décision acquise aux 7/50, pourquoi ne pourrait-on pas en ressortir à l'issue d'un scrutin pris dans les mêmes proportions. Selon vous, et il en est peut-être effectivement ainsi, c'est en raison de l'existence d'un système monarchique et de trois juges québécois au sein de la Cour suprême, deux choses relevant de la règle de l'unanimité.

Le sénateur Joyal: Dans la formule d'amendement.

Le sénateur Beaudoin: Oui, dans la formule d'amendement. Est-ce bien ce que vous avez dit?

M. Magnet: Oui, sénateur, et plus particulièrement la monarchie et la fonction de lieutenant-gouverneur du Québec.

Le sénateur Beaudoin: Et la Cour suprême?

M. Magnet: Oui, mais je crois que le Canada pourrait accepter, même si cela peut paraître bizarre, que sa Cour suprême continue à compter trois juges issus du barreau du Québec. Cela pourrait faire l'objet d'un changement ultérieur. Je répète que cela serait bizarre et c'est pour cela, d'après moi, que l'alinéa 41d) constitue un motif additionnel. Il est clair, cependant, que l'élimination de la fonction de lieutenant-gouverneur du Québec exige une décision prise à l'unanimité.

Le sénateur Beaudoin: Sur ce point, nous avons tout de même progresser.

Ce qui m'inquiète quand même c'est lorsque vous dites que l'on pourrait recourir à l'article 44 à la fois pour adopter une loi organique et pour adopter un amendement constitutionnel. J'ai toujours considéré que le projet de loi C-20 n'était pas censé être un amendement constitutionnel. Si vous voulez modifier les pouvoirs du Sénat, il vous faut, en vertu de la Constitution, appliquer la formule des 7/50 et non pas recourir à un projet de loi ordinaire.

M. Magnet: En effet.

Le sénateur Beaudoin: J'y vois donc une certaine contradiction.

M. Magnet: Oui. J'ai déjà essayé de m'expliquer sur ce point. Peut-être n'y suis-je pas parvenu. Ce que nous appelons la Constitution du Canada porte, entre autres, sur des choses tels que les pouvoirs du Sénat. Elle porte aussi sur des choses beaucoup plus modestes telles que les lois sur la représentation et la délimitation des circonscriptions électorales, qui relèvent de lois ordinaires. Selon la jurisprudence, ces lois font partie de la Constitution du Canada. Ces lois constitutionnelles, telles que celles sur la délimitation des districts électoraux, peuvent être modifiées en vertu de l'article 44 dans le cadre d'une sorte de délimitation organique des pouvoirs fédéraux. D'après moi, le projet de loi C-20 n'est rien d'autre que cela.

Le sénateur Beaudoin: Rien de plus que cela?

M. Magnet: Non.

Le sénateur Beaudoin: L'indépendance d'une province?

M. Magnet: Non. Quant au jugement qualitatif qui déterminera si la question était claire et s'il lui a été répondu par une majorité claire qui oblige le gouvernement fédéral à négocier, quelqu'un va devoir en décider.

Le sénateur Beaudoin: Ce n'était pas la question que je vous posais. Quant à conférer à la Chambre des communes le pouvoir de dire: «nous vous commandons, à vous le gouvernement, de ne pas négocier si la question n'est pas claire», pouvez-vous me trouver, dans toute l'histoire du Canada, une loi analogue à celle-là? Je n'ai jamais vu cela auparavant. Je suis tout à fait partisan de la clarté, mais cette manière de procéder me paraît curieuse. Il est dit que ce pouvoir appartiendra à la Chambre des communes mais non pas au Sénat. J'estime qu'en cela il y aurait violation du bicaméralisme, dont le principe est pourtant inscrit dans la Constitution.

M. Magnet: Sénateur, permettez-moi de m'expliquer à nouveau sur ce point. Je connais la vigueur de votre thèse mais j'estime pour ma part que l'obligation de négocier n'a pas sa source dans le projet de loi C-20. Cette obligation de négocier provient de la Constitution.

Le sénateur Beaudoin: Où cela se trouve-t-il dans la Constitution?

M. Magnet: Dans le renvoi sur la sécession, aux paragraphes 84 et 85.

Le sénateur Beaudoin: Mais il s'agit là d'un avis consultatif.

M. Magnet: Je crois m'être exprimé sur la valeur d'un avis consultatif.

Le sénateur Beaudoin: Devrais-je en convenir avec vous?

M. Magnet: J'estime que la Constitution vous en fait obligation. L'obligation a en effet sa source dans la Constitution. Le projet de loi C-20 affirme «Nous y sommes tenus. Il faut nous organiser. Quel serait le meilleur moyen de nous organiser?» D'après moi, c'est cette organisation qui fait du projet de loi C-20 une simple loi constitutionnelle organique. Il s'agit de s'organiser, mais il faut d'abord décider si la question était claire afin de décider si l'obligation de négocier est née. C'est comme cela que nous déciderons.

La présidente: D'abord, pour faire suite à la question posée par le sénateur Kinsella, le Parlement du Canada peut-il, aux termes de la Constitution, déclarer unilatéralement quelle sera la formule d'amendement constitutionnel qui s'appliquera si un ministre dépose un amendement constitutionnel tel que l'envisage le paragraphe 3(2)? Peut-on agir unilatéralement?

M. Magnet: Vous le pourriez, mais sous réserve de l'arrêt que pourrait rendre la Cour suprême en cas de contestation sur ce point. Il existe pour cela un certain précédent puisque le projet de loi de 1996 sur les amendements constitutionnels prévoyait bien que nous n'exercerions pas notre pouvoir tant que ces conditions ne seraient pas réunies. Vous pourriez agir de la même manière sans risque d'empiéter sur la Constitution.

La présidente: Il me semble pourtant que la procédure d'amendement constitutionnel prévue dans ce projet de loi ne prévoyait pas quelle formule s'appliquerait. On pourrait ainsi appliquer soit la règle de l'unanimité, soit la formule des 7/50, alors que nous pourrions, nous, choisir. Le sénateur Kinsella prône l'unanimité alors que certains pourraient préférer la règle des 7/50. Juridiquement, j'imagine que les deux thèses peuvent se défendre, mais je ne suis pas juriste.

M. Magnet: Vous pouvez très bien prévoir dans la loi, que «Dans ce cas, la règle de l'unanimité s'appliquera». Je ne pense pas me tromper sur ce point, mais si la cour ne retenait pas cet argument, la loi serait invalidée.

La présidente: Autrement dit, même si on prévoyait cette formule dans le texte, les choses ne s'arrêteraient pas nécessairement là?

M. Magnet: C'est exact.

La présidente: En deuxième lieu, êtes-vous pour ou contre ce projet de loi?

M. Magnet: Je crains de me faire traiter de chat par le sénateur Joyal! Certains éléments de ce projet de loi me paraissent bons, mais certains ne me semblent pas particulièrement utiles en l'occurrence. Il me semble bon de prévenir le faux-fuyant que nous anticipions. Ce que je n'aime pas beaucoup c'est l'idée de dire;N«ous pouvons vous rendre la vie très difficile, donc tenez-vous à carreau.»

La présidente: Je vous remercie.

Le sénateur Joyal: Selon l'article premier du projet de loi, la Chambre des communes détermine par une résolution si la question est claire, et cette résolution lie le gouvernement. Autrement dit, si la Chambre détermine, par résolution, qu'il y a une majorité claire, le gouvernement est tenu de passer à l'étape suivante. À cette seconde étape, il y a une autre résolution qui, elle aussi, s'impose au gouvernement, qui va alors être tenu de négocier.

Je ne vous demande pas une opinion immédiate car vous n'avez peut-être pas eu le temps de vous pencher sur la question, mais je vous demande, dans l'intérêt de nous tous, de réfléchir à la question de savoir si cette résolution est, juridiquement, analogue à une loi et si elle exigerait, par conséquent, l'accord du Sénat puisqu'il s'agirait d'un acte législatif ou analogue à un acte législatif qui, pour être valide, aurait à être adopté par les deux chambres et sanctionné par la Couronne?

M. Magnet: Sénateur Joyal, je le ferai très volontiers.

Le sénateur Joyal: Je vous remercie.

La présidente: Pourriez-vous transmettre votre avis sur ce point à notre greffière?

M. Magnet: Très volontiers.

La présidente: Nous vous remercions. Monsieur le professeur Magnet, tout cela a été du plus vif intérêt et nous vous en remercions.

La séance est levée.


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