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CLAR - Comité spécial

Comité spécial sénatorial sur le projet de loi C-20

 

Délibérations du comité spécial sur
Le projet de loi C-20

Fascicule 3 - Témoignages pour la séance de l'après-midi


OTTAWA, le lundi 5 juin 2000

Le comité sénatorial spécial sur le projet de loi C-20, Loi donnant effet à l'exigence de clarté formulée par la Cour suprême du Canada dans son avis sur le Renvoi sur la sécession du Québec, se réunit aujourd'hui à 14 heures pour étudier le projet de loi.

Le sénateur Joan Fraser (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente: Honorables sénateurs, la quatrième séance du comité sénatorial spécial sur le projet de loi C-20 débute maintenant. Je tiens à souhaiter à tous la bienvenue à nos audiences, notamment à nos téléspectateurs.

Nous poursuivons aujourd'hui notre étude du projet de loi C-20, Loi donnant effet à l'exigence de clarté formulée par la Cour suprême du Canada dans son avis sur le Renvoi sur la sécession du Québec.

[Français]

Le projet de loi a été adopté par la Chambre des communes le 15 mars 2000 et a été lu au Sénat pour la première fois le 21 mars. Il a ensuite été lu une deuxième fois le 18 mai, ce qui veut dire que le Sénat a approuvé le principe du projet de loi. Le projet de loi C-20 a ensuite été déféré à ce comité spécial qu'il pour en fasse une étude approfondie.

[Traduction]

Cette étude se poursuit aujourd'hui avec les témoignages de M. Maurice Pinard, professeur émérite, Département de sociologie, université McGill, qui sera suivi de Me Stephen Blair, d'Ottawa.

Nous allons commencer par M. Pinard, qui va faire une déclaration préliminaire, après quoi nous passerons aux questions.

Nous entendrons plus tard le témoignage de M. Peter Hogg, doyen de la Faculté de droit Osgoode Hall, et de M. Guy Lachapelle, du Département de sciences politiques de l'université Concordia.

[Français]

Une fois que le comité aura entendu tous les témoins sélectionnés, le projet de loi sera étudié article par article. Le comité fera ensuite rapport de ses décisions au Sénat pour sa considération.

Monsieur Pinard, merci de comparaître devant le comité aujourd'hui. Vous pouvez commencer par votre présentation et ensuite, nous passerons à la période de questions.

[Traduction]

M. Maurice Pinard, professeur émérite, Département de sociologie, Université McGill: Honorables sénateurs, je vous ai remis un mémoire qui est en anglais et en français. Étant donné le peu de temps qui m'est imparti, je ne pourrai pas le lire intégralement, mais j'en lirai des passages et je le résumerai en moins de 15 minutes. Après quoi, bien sûr, je répondrai à vos questions.

Je suis heureux d'être des vôtres, et j'espère que ma compétence vous sera de quelque utilité dans vos délibérations.

Il y a longtemps que la confusion règne, chez plusieurs électeurs, concernant divers aspects de l'option du Parti québécois. Cette confusion porte en particulier, premièrement, sur la signification des différents termes utilisés pour se référer à la sécession du Québec; deuxièmement, sur les conséquences qui se rattachent à chacun; troisièmement, sur le caractère divisible ou indivisible des deux volets de l'option souveraineté-partenariat; et quatrièmement, sur la compréhension même de la question référendaire de 1995.

Je commenterai brièvement chacune de ces questions.

[Français]

Premièrement, il y a confusion sur les termes «séparation», «indépendance» et «souveraineté». Tous ces termes renvoient au même phénomène de la sécession du Québec. Pourtant, aussi récemment qu'à l'été de 1999, pas moins de 46 p. 100, tout près de la moitié des répondants dans un sondage CROP, disaient que la souveraineté du Québec et l'indépendance du Québec voulaient dire quelque chose de différent. Lorsque la comparaison portait non pas sur la souveraineté et l'indépendance, mais sur la souveraineté et la séparation du Québec, 47 p. 100 voyaient quelque chose de différent dans ces deux termes.

À cet égard, la situation n'est pas tellement différente de ce qu'elle était en 1980. Il n'est donc pas surprenant que l'appui à la sécession augmente lorsqu'on passe de questions utilisant le terme «séparation» à des questions utilisant le terme «indépendance», et de ces dernières à des questions utilisant le terme «souveraineté». L'appui, en gros, augmente de 4 p. 100 lorsqu'on passe de «séparation» à «indépendance» et il augmente encore de 4 p. 100 lorsqu'on passe d' «indépendance» à «souveraineté», et ce, pour la même option qui signifie la sécession du Québec. La confusion explique en partie ces différences. Le tableau 1 présenté en annexe pourra vous éclairer à ce sujet.

Deuxièmement, il y a confusion quant aux conséquences se rattachant à ces termes. Nombreux sont ceux pour qui il ne s'agit pas simplement de termes différents, mais d'options différentes. Si on comprend bien ce que signifie la séparation, on ne peut en dire autant de la souveraineté. Plusieurs croyaient par exemple qu'elle impliquait le maintien de liens politiques avec le Canada. Ainsi, dans un sondage, 31 p. 100 des répondants -- pratiquement un répondant sur trois -- croyaient qu'un Québec souverain ferait toujours partie du Canada. Et 14 p. 100 n'en savaient rien. De même, 20 p. 100 pensaient que les Québécois éliraient encore des députés au Parlement d'Ottawa.

Il n'est guère étonnant, devant la confusion que je viens d'évoquer, qu'on ait obtenu, dans les études qui ont été réalisées, des résultats qui variaient selon le libellé de la question portant sur la souveraineté. Dans une étude faite par des universitaires, où nous demandions à la moitié des gens s'ils étaient pour ou contre la souveraineté du Québec, et à l'autre moitié s'ils étaient pour ou contre la souveraineté, en précisant que la souveraineté signifiait que le Québec ne ferait plus partie du Canada, le soutien à l'option souverainiste chutait de 2 à 8 p. 100, et l'opposition augmentait de 4 à 17 p. 100, selon les sondages, car cet exercice a été répété à quelques reprises.

Nombreux sont ceux qui présument que non seulement la souveraineté, mais l'indépendance elle-même, se doublerait d'un partenariat, bien que les questions dont nous faisons état ici ne soient pas des mesures d'appui à la souveraineté-partenariat mais d'appui à la souveraineté simplement. Ce soutien est encore plus élevé.

Pour ce qui est de la souveraineté-association ou de la souveraineté-partenariat, nous n'avons fait, avec l'association ou avec le partenariat, qu'ajouter aux difficultés de compréhension de l'option. En 1980, nombreux étaient ceux qui croyaient qu'après la souveraineté-association, à cause même de l'association, comme dans le cas de la souveraineté toute simple, le Québec serait toujours une province du Canada.

Étant donné toute cette confusion, il n'est donc pas surprenant qu'un sondage CROP de septembre 1999, faisant référence au référendum de 1995 sur la souveraineté-association, révèle que 31 p. 100 des gens, soit à peu près le tiers, après avoir déclaré qu'ils voteraient Oui à la question du Parti québécois, aient déclaré en même temps à une autre question qu'ils voteraient aussi Oui dans un référendum demandant: voulez-vous que le Québec demeure une province du Canada? Depuis 1997, selon plusieurs sondages, les Oui à un référendum où nous poserions cette dernière question représenteraient un pourcentage se situant entre 66 p. 100 et 77 p. 100.

Mon troisième point concerne le caractère divisible ou indivisible des deux volets de l'option souveraineté-partenariat. Le soutien à la souveraineté-association a toujours été largement conditionnel, c'est-à-dire en fonction de la certitude qu'une association économique avec le Canada serait négocié avec succès. Au cours des années 1970, la moitié des appuis à l'option reposait sur l'assurance d'une telle association alors que l'autre moitié était constituée de partisans inconditionnels. La moitié de ceux qui étaient en faveur l'était à condition qu'il y ait un partenariat. Sans cette condition, ils n'étaient plus favorables à l'option.

Le libellé des questions, dans les sondages, ne comporte généralement aucune référence à cette distinction, laissant ainsi entendre que les deux volets de la proposition sont indivisibles. Si nous demandons simplement aux gens s'ils sont pour la souveraineté-partenariat, pour bien des répondants, cela implique la souveraineté où il existera un partenariat.

Les questions auxquelles j'ai fait référence précédemment, je les ai posées aux gens, par exemple: si vous n'étiez pas sûr du partenariat, seriez-vous toujours en faveur de la souveraineté-partenariat? Ou si vous n'étiez pas certain du partenariat, seriez-vous encore en faveur? Nous voyons que la moitié de ceux qui se prononcent laissent tomber s'ils ne sont pas assurés du partenariat. Alors le libellé des questions, dans les sondages, laisse entendre que c'est indivisible, qu'il y aura nécessairement les deux. Pourtant, la position du Parti québécois, maintenant, est qu'ils sont divisibles, mais plusieurs l'ignorent. Ils pourraient avoir la souveraineté sans le partenariat. Des sondages effectués en 1995, lors du référendum, révélaient qu'environ 50 p. 100 des électeurs seulement savaient que l'option était divisible.

En général, tous ces éléments de confusion ont joué en faveur des souverainistes, en 1995, tout comme cela avait été le cas en 1980. En 1995, lorsque nous demandions aux répondants s'il y avait un référendum avec la question suivante: «Voulez-vous que le Québec devienne un pays souverain, peu importe que les négociations d'associations économiques et politiques avec le reste du Canada réussissent ou échouent?», la proportion des intentions de vote en faveur du Oui, selon cette dernière question que nous posions généralement après la question officielle, était inférieure de 5 p. 100 en moyenne à celle obtenue avec la question officielle. Le fait de savoir que la souveraineté n'était pas conditionnelle à la réussite des négociations faisait chuter l'appui des Oui de cinq points. Tout cela rend donc plus relative la quasi-victoire du camp du Oui.

Selon nos analyses, les Non ambivalents -- c'est-à-dire les électeurs ayant l'intention de voter Non à un nouveau référendum, mais se disant en même temps favorables à la souveraineté-partenariat -- lorsque nous leur demandions: «êtes-vous favorable ou non à cette option?» -- il y a toujours plus de gens qui sont favorables à cela qu'il y en qui disent qu'ils voteraient Oui à cette option -- étaient de loin les électeurs les plus confus de tous. Pourtant, il s'agit d'un groupe charnière de l'électorat dans la décision qui mènerait à un référendum gagnant ou perdant. Il en va de même des Oui ambivalants, selon un sondage CROP effectué pour le Conseil Privé, à l'été 1999.

Certains prétendent qu'il ne s'agit pas tellement de confusion que de stratégie lorsque les gens disent: je vote Oui -- je suis en faveur de demeurer dans le Canada --, présumant qu'il s'agirait de stratégies pour amener Ottawa à faire des concessions qui ne seraient pas la souveraineté elle-même.

Il y a des électeurs stratégiques, il n'y a pas de doute à ce sujet. Certains d'entre vous connaissez probablement des gens connus qui ont voté de façon stratégique lors des référendums précédents. Ainsi, parmi les électeurs qui, en 1995, disaient avoir l'intention de voter Oui, 26 p. 100 d'entre eux disaient que c'était, et je cite:

[...] pour amener des changements au fédéralisme actuel tout en gardant le Québec dans le Canada.

C'était l'option qui leur était proposée. Ces électeurs pourraient aussi bien avoir été des électeurs confus que des électeurs stratégiques. Pourtant, notre analyse suggère la présence de confusion même chez certains d'entre eux.

De plus, lorsqu'un répondant déclare que si le Québec devenait un État souverain, il demeurerait une province du Canada -- voir le tableau 2 à ce sujet --, cette réponse ne peut d'aucune façon être interprétée comme l'expression d'une position stratégique. Elle nous dit qu'un État souverain implique que le Québec demeure une province du Canada. Ce n'est pas ce que je veux ou ne veux pas, ce sont les faits. Alors cette réponse ne peut pas être interprétée comme l'expression d'une position stratégique. Elle révèle tout le simplement que nous ne comprenons pas ce qu'est un État souverain. Il ne semble donc pas qu'il soit toujours possible de prétendre que ce qui apparaît comme de la confusion n'est en réalité que de la stratégie, comme plusieurs analystes l'ont suggéré, défendant la position souverainiste.

En somme, selon nos analyses, il y a beaucoup plus d'électeurs confus que d'électeurs stratégiques, particulièrement dans les classes moins scolarisées et surtout moins politisées.

Mon quatrième et dernier point, très brièvement, concerne la compréhension de la question de 1995. Étant donné tous ces résultats, il n'est pas surprenant de constater qu'à la veille du référendum de 1995, seulement 46 p. 100 des personnes interrogées aient déclaré que la question référendaire que nous venions de leur lire au moment de l'entrevue était très claire ou assez claire. En fait, 53 p. 100 disaient, au contraire, qu'elle était plutôt ambiguë ou très ambiguë. Mêmes résultats en 1999: après avoir lu cette question, 36 p. 100 des personnes interrogées ont répondu qu'elle était claire, et encore un plus grand nombre, 61 p. 100, ont répondu qu'elle ne l'était pas. La majorité continue donc de penser que la question référendaire de 1995 n'était pas claire.

La présidente: Nous allons maintenant passer à la période des questions.

Le sénateur Lynch-Staunton: Professeur, dois-je conclure que vous êtes contre les référendums?

M. Pinard: Non, pas du tout.

Le sénateur Lynch-Staunton: Selon votre analyse des référendums, les questions et les réponses ne sont pas claires.

M. Pinard: Les réponses ne sont pas claires lorsque les questions ne le sont pas.

Le sénateur Lynch-Staunton: Dites-vous que 95 p. 100 de la population éligible à voter l'a fait en ne connaissant pas les enjeux? Que la question soit claire ou pas, vous dites que la population ne savait pas ce que signifiait un Oui et ce que signifiait un Non.

M. Pinard: Dans le document, j'ai essayé de démontrer qu'une très forte proportion de la population ne comprend pas bien ce sur quoi elle a voté. Le pourcentage est d'autant plus élevé que dans ces cas particuliers, les questions n'étaient pas simples.

Une de mes premières études en sociologie portait sur les référendums sur la fluoration de l'eau potable aux États-Unis. Très simplement, on peut demander: «Êtes-vous pour ou contre la fluoration de l'eau potable dans votre municipalité?» Des centaines de référendums se sont tenus dans des villes américaines sur ces questions.On aurait très bien pu poser une question que les gens n'auraient pas comprise, telle que: «Êtes-vous en faveur ou non d'ajouter -- telle formule chimique du fluor -- suite aux discussions tenues entre -- telle et telle municipalité», tout comme le faisait la question de 1995.

La première question de savoir si les gens sont pour ou contre la fluorisation est une question claire. Je suis favorable à des référendums portant sur des questions claires et je peux vous en suggérer des exemples.

Je ne dis pas que 100 p. 100 des gens qui iraient voter comprendraient. Toutefois, je dis que dans tout vote, dans toute démocratie et dans tout système bureaucratique, des gens peu informés vont voter en pensant tout le contraire de ce sur quoi ils votent, ils se trompent. Il y a moyen de rendre les choses extrêmement claires et après, c'est la démocratie. Ce qu'on veut, c'est le meilleur des systèmes.

Les gens peuvent, en grande partie, ne pas comprendre. C'est plus grave lorsque le référendum porte sur quelque chose qui est plus ou moins irréversible, comme dans le cas de la sécession, de la fluorisation de l'eau potable, ou dans celui d'une élection.

Très souvent, les gens comprennent mal le programme et les buts d'un parti politique. Certains suggèrent même de restreindre le vote aux gens les mieux informés, les plus instruits. Vous avez sûrement déjà entendu de tels propos, et je suis contre cela. Tout le monde devrait pouvoir voter, et ce qui reste, dans les circonstances, c'est le meilleur système démocratique.

Le sénateur Lynch-Staunton: Seriez-vous d'accord à ce que la vraie question soit incluse dans le projet de loi C-20 afin que les gens la connaissent, si l'opportunité devait se présenter? Croyez-vous qu'ils devraient répondre?

M. Pinard: Je ne crois pas que la question devrait être introduite dans ce projet de loi. Si j'étais à l'Assemblée nationale à Québec et qu'on me posait certaines questions à propos de la loi 99, je vous répondrais que ce serait probablement souhaitable. Par contre, je ne pense pas que c'est au gouvernement fédéral, au Sénat ou à la Chambre des communes, de dicter la question. Ce n'est pas le but de cette loi, et la question ne devrait pas être introduite dans le projet de loi, car la question suggère des choses qui ne devraient pas y être.

Le sénateur Lynch-Staunton: Le but du projet de loi C-20 est de permettre à la Chambre des communes de décider si la question est claire ou non. Croyez-vous que la Chambre des communes devrait avoir le droit de dire à l'Assemblée législative du Québec que la question pourrait être sujette à un veto de la Chambre des communes?

M. Pinard: Je ne crois pas. La Chambre des communes ne peut pas dire que le Québec n'a pas le droit de tenir un référendum avec cette question. La Chambre des communes pourrait dire: «Notre action sera dictée par ce que nous pensons de la question. Vous pouvez tenir le référendum avec cette question, mais vous en tirerez les conséquences. Nous ne vous imposerons pas une question, nous ne vous empêcherons pas de tenir un référendum avec cette question, mais le projet de loi dit bien que si cette question est utilisée, nous déciderons de ce que nous ferons par la suite.»

Le sénateur Lynch-Staunton: Dans votre expertise sur les référendums, avez-vous des exemples de référendums au Canada où la question et les réponses étaient claires?

M. Pinard: J'aurais dû me préparer pour cette question.

Le sénateur Lynch-Staunton: J'ai beaucoup réfléchi aux sondages publics sur le droit de vente d'alcool, surtout celui de 1942 avec la question sur la conscription. La question était celle-ci:

[Traduction]

Acceptez-vous de libérer le gouvernement de toute obligation émanant de tout engagement qu'il aurait pris par le passé limitant les méthodes de recrutement pour le service militaire?

[Français]

Était-ce une question claire?

M. Pinard: J'aurais aimé quelque chose de plus clair.

Le sénateur Lynch-Staunton: Êtes-vous d'accord avec le fait que les réponses étaient claires? Même si la question peut être confuse et sujette à toutes sortes d'interprétations, les réponses, à la longue, sont très claires. C'est mon opinion.

M. Pinard: Si j'avais eu à discuter de cette question, je l'aurais souhaitée plus claire. C'était un vote contre ou en faveur de la conscription.

Le sénateur Lynch-Staunton: Exactement.

M. Pinard: Dans ce cas-ci, si vous posez une question sur la sécession, la question n'est pas claire, mais tout le monde comprend que c'est la sécession. Le mémoire que je viens de vous soumettre, c'est que beaucoup de gens ne pensaient pas qu'il s'agissait de sécession. Cela est très grave.

[Traduction]

Le sénateur Kroft: J'ai deux questions.

Sans chercher à trop simplifier ce qui est de toute évidence un travail qui ne se prête pas à la simplicité, est-il juste de dire, et je généralise beaucoup, qu'à votre avis, plus l'on se rapproche d'une question claire sur la question de la sécession au Québec, une question semblable à: «Souhaitez-vous que le Québec forme un pays distinct?» ou quelque chose de ce genre, plus un «non» est probable?

M. Pinard: Absolument. Le tableau à la fin de mon texte montre qu'en 1999, par exemple, lorsqu'on a incorporé dans la question le mot «séparation» ou l'expression «indépendance complète du Québec», la proportion de ceux qui étaient en faveur ou qui voteraient «oui» à cette question était de 31 p. 100; la proportion de ceux qui voteraient «non» était de 62 p. 100; et la proportion d'indécis était de 7 p. 100. Plus la question est claire, moins il y a de gens qui disent: «Je n'en suis pas sûr», ou «Je ne sais pas». Ce nombre chute à 7 p. 100. Moins du tiers, 31 p. 100, voterait «oui» à cette question. Ce 31 p. 100 s'est maintenu en 1998, 1999, et, pour autant que je sache, étant donné que nous avons eu très peu de sondages où l'on posait ce genre de question, cela se maintient maintenant.

N'oubliez pas que pour cette question, en 1990, à l'époque de l'échec de l'Accord du lac Meech, la proportion était de 42 p. 100 «oui» et de 50 p. 100 «non». C'était très serré à l'époque de l'échec de l'Accord du lac Meech. Le soutien à la souveraineté et à la sécession était très élevé. Ce n'est plus 42 p. 100. C'est maintenant 31 p. 100.

Le sénateur Kroft: Dites-vous alors que la clarté est utile?

M. Pinard: Cela ne fait aucun doute.

Le sénateur Kroft: Ma deuxième question vous fera entrer un peu plus dans un domaine subjectif, mais je crois qu'elle est indiquée, étant donné votre compétence.

Dans quelle mesure croyez-vous que la procédure que prévoit le projet de loi C-20, selon laquelle le Parlement, ou une partie de celui-ci, ferait connaître son avis sur la clarté de la question, pourrait avoir un effet sur l'issue ou la dynamique d'un référendum qui aurait lieu après que cet avis aurait été exprimé?

M. Pinard: À mon avis, il en résulterait que les personnes qui sont ambivalentes, confuses, et qui ne savent pas ce que tout cela veut dire exactement, comprendront que l'association, entre autres choses, est loin d'être certaine, parce que le gouvernement fédéral dirait alors que même la négociation concernant la sécession elle-même n'aurait pas lieu. Cela causerait une certaine confusion, comme il y en a déjà, concernant l'avis de la Cour suprême sur la question de savoir si le gouvernement fédéral serait obligé de négocier après un «oui» à une question claire avec une majorité claire. La Cour suprême a dit que le gouvernement du Canada devrait négocier, mais négocier quoi?

Si je comprends bien l'avis de la Cour suprême, le gouvernement fédéral devrait négocier les divers aspects de la sécession. Dans mon esprit, il n'y a rien dans le projet de loi qui dit que le gouvernement fédéral devrait négocier un partenariat. Auquel cas la population comprendrait alors que non seulement le gouvernement fédéral n'est pas prêt à négocier le partenariat après un «oui» à la question, mais qu'il ne serait même pas disposé à négocier la sécession elle-même. Ainsi les gens diraient: «Eh bien, nous avons intérêt à être prudents dans notre réponse.»

L'opinion publique est extrêmement optimiste à propos de l'association qui suivrait un «oui». Elle est optimiste parce qu'elle songe essentiellement à une association économique qui a été le seul aspect dont il a été question pendant longtemps. L'association économique ne fait pas de doute pour elle. Lorsqu'on interroge les gens dans un cadre qui n'est pas structuré, ils vous disent qu'il est dans leur intérêt de nous vendre à nous et dans notre intérêt à nous de vendre à eux. Ils vous disent qu'ils veulent continuer à vendre à l'Ontario, et que l'Ontario voudra continuer de vendre au Québec. La réponse à cette question serait évidemment un «oui». Cependant, ce n'est pas une association économique qui va très loin. On ne pose pas ici le problème des douanes ou de la monnaie. Il n'est pas du tout question des autres problèmes qui interviendraient dans une association, laquelle ne se ferait peut-être pas, et un partenariat politique encore moins après cela.

La clarté que le gouvernement fédéral exigerait aurait peut-être pour effet d'ouvrir les yeux de plusieurs personnes, de telle sorte qu'elles verraient les effets de la dernière question. Mais même cela ne réglerait pas le problème, et c'est la raison pour laquelle le gouvernement fédéral a dit: «Nous ne conclurons aucun accord de ce genre.» Essentiellement, je suis d'accord avec cela.

[Français]

Le sénateur Beaudoin: D'entrée de jeux, je suis tout à fait d'accord que, si jamais il y a un référendum, la question doit être claire. Tout le monde le souhaite. La difficulté c'est que l'article premier du programme du Parti québécois est pour la souveraineté-association. Les chances sont, si on se fie aux deux premiers référendums, que la question ne soit pas très claire, et que cela soit quelque chose comme: êtes-vous favorable à la souveraineté-association? Le projet de loi sur ce point est assez clair, un ordre est donné au gouvernement de ne pas négocier. Deux choses suivront cela: le vote au référendum donc, si j'ai bien compris, le projet de loi C-20 ne sera pas encore pris. C'est au moment où la législature traite du référendum que l'autorité fédérale est habilitée à dire oui ou non à une question et à se prononcer sur la clarté de la question.

Il ne faut jamais oublier qu'à la fin de tout, si ces négociations ont lieu, un amendement constitutionnel doit prendre place. Certains auteurs nous en ont parlé. Nous allons en discuter aujourd'hui, jeudi et lundi prochains, mais il ne faut pas oublier qu'il y a deux phases.

Quel sera la réaction des gens au Québec si le gouvernement fédéral intervient et dit: la question n'est pas claire, on ne négocie pas. Le référendum a lieu et il y a une majorité assez importante; les fédéralistes au Québec -- il y en a tout de même un bon nombre -- seront divisés. Participeront-ils à ce débat? On ne négocie pas, mais ils se prononceront quand même sur la question. À quel sorte de résultats allons-nous aboutir à la fin? Si c'est oui, cela continue, si c'est non, tout arrête. Si on dit oui la question est claire, le référendum est tenu. Dans un deuxième temps, est-ce qu'il y a une majorité claire? Mais il y a deux temps: question claire et majorité claire. Si on dit: non la question n'est pas claire, dans le premier temps, on ne négocie pas. Le référendum aura lieu quand même -- si je lis bien ce projet de loi -- et évidemment, on n'en tiendra pas compte. Quels seront les résultats pratiques de cela dans les sondages?

M. Pinard: Et dans le vote!

Le sénateur Beaudoin: Oui. Imaginez, au bout de 20 jours, le gouvernement fédéral dit non.

Le sénateur Prud'homme: Ils vont dire non.

Le sénateur Beaudoin: Ils diront non s'il y a deux questions en une. S'il n'y a qu'une seule question, ils diront que la question est claire, mais ma crainte c'est qu'elle ne soit pas claire et double. Ils diront: êtes-vous favorable à la souveraineté-association? À ce moment-là, le gouvernement fédéral dira non, on ne négocie pas. Le vote est tenu après. Quelle influence le Non a-t-il à ce moment-là? Je ne parle pas légalement, je sais bien ce qui va arriver.

M. Pinard: Quelle influence aura le Non au référendum?

Le sénateur Beaudoin: Le non du fédéral au moment du référendum.

Le sénateur Corbin: Votre question n'est pas claire.

Le sénateur Beaudoin: Le gouvernement fédéral dit que la question n'est pas claire et qu'elle est double. J'ai pris un exemple qui pourrait fort bien arriver s'il y a une majorité pour cela. Ils vont dire non, on ne négocie pas. Les Québécois n'ont pas encore voté. Quelle influence cela aura-t-il sur leur vote?

M. Pinard: Cela donnera lieu à une polarisation plus intense.

Le sénateur Beaudoin: Cela améliore-t-il la situation?

M. Pinard: Cela améliore la situation dans le sens où les souverainistes convaincus seront en maudit, deviendront plus convaincus que jamais de voter Oui et continueront de voter Oui. Les gens du côté du Non prendront cette décision avec plaisir, avec un appui à leur position et continueront de voter Non. Le groupe crucial, c'est le groupe des non ambivalents dont j'ai parlé tout à l'heure. Un petit pourcentage de ces gens diront peut-être: j'hésitais, mais maintenant je vote Oui. Et ils voteront Oui. Mais je pense que le plus grand nombre d'entre eux finiront par comprendre un peu mieux ce qui est visé par la question, et ils finiront par voter Non. Votre question est hypothétique et selon ma connaissance de l'opinion publique québécoise, je vous réponds de façon hypothétique. Il y aurait une polarisation plus extrême du fait qu'un grand nombre d'électeurs sont craintifs. Les gens disaient: peur du Québec, peur des conséquences économiques. Il y a encore aujourd'hui au Québec une crainte vis-à-vis la sécession.

[Traduction]

Le résultat final de ce calcul donne à entendre que dans une telle situation plus de gens inclineraient à voter «non» que «oui».

[Français]

Le sénateur Beaudoin: C'est votre opinion?

M. Pinard: Oui.

Le sénateur Nolin: Dans le tableau numéro 1, vous faites référence à un sondage de 1995. Pouvez-vous nous préciser quelle est la date de ce sondage?

M. Pinard: Ce n'est pas un sondage, c'est une moyenne de 11 sondages. Pour 1995, 37 p. 100 disent qu'ils voteraient Oui à la séparation. Le nombre de sondages est donné entre parenthèses dans la troisième partie du tableau avec les «NE SAIT PAS», à la page 2. En 1995, il y a quatre sondages sur l'indépendance. Tout le monde posait des questions, surtout sur la souveraineté. C'était l'option de M. Parizeau avant la souveraineté-partenariat. Jusqu'en avril 1995, il y a eu 22 sondages. Ces chiffres représentent la moyenne de ces sondages.

Le sénateur Nolin: Plus on se rapproche d'une échéance référendaire, moins il y a d'incompréhension, d'ambivalence et de confusion. Comment expliquez-vous cela sociologiquement?

M. Pinard: Ce n'est pas très difficile à expliquer. Ce qui se produit, c'est qu'à mesure qu'on se rapproche du référendum, les gens commencent à porter attention. On a mentionné tantôt qu'environ 93 p. cent ont voté en 1995. Ce n'est pas pour rien! De plus en plus, les gens se sont dit que cela était très important et ils se sont impliqués. De plus en plus, au lieu de parler de hockey ou de baseball, ils se sont mis à parler de cette question. Au travail, à la maison, avec leurs amis, ils se sont mis à écouter ce que les gens disaient et ils sont devenus mieux informés.

Dans ce document-ci, sinon dans le volume que j'ai publié avec Vincent Lemieux et Robert Bernier sur le combat inachevé au Québec, il y a des chapitres qui portent sur le référendum. Je montre clairement que la confusion a diminué énormément durant la période référendaire. Cependant, 15 à 20 p. 100 des gens étaient encore confus. Je cite ces chiffres de mémoire, mais je crois qu'ils se retrouvent dans ce document. Aussi, 10 à 15 p. 100 disaient ne pas connaître la réponse quand on leur demandait si on allait rester une province. Ce n'était plus 33 p. 100 ou 35 p. 100 qui disaient qu'on allait demeurer une province, mais 15 p. 100 qui pensaient qu'on resterait une province et 10 p. 100 qui ne le savaient pas. Il en restait encore 30 p. 100 qui ne savaient pas encore la réponse. À cela, il n'y a qu'une bonne réponse. Avec la souveraineté, on n'appartient plus au Canada de façon juridique, constitutionnelle, et cetera. La raison pour cela, c'est que les gens portent de plus en plus attention à la question. Il y a des gens qui y portent toujours attention, -- comme moi parce que je fais des recherches là-dessus depuis 30 ans -- d'autres parce qu'ils sont politiciens et qu'ils y pensent souvent. Cependant, il y a plein de gens qui n'y pensent pas souvent. Actuellement au Québec, il y a plein de gens qui ne veulent pas y penser et qui ne veulent pas qu'on leur en parle. Alors cela diminue, mais cela n'est pas disparu.

Si vous prenez la ligne 95, il n'y avait presque plus de différence dans le tableau lorsqu'on parle de la proportion qui voterait Oui. À la séparation c'est 37 p. 100 et à l'indépendance, c'est 38 p. 100.

Le sénateur Nolin: Il y a un écart de deux points.

M. Pinard: Il n'y a presque plus de différence. C'est l'appui à la souveraineté qui baisse et il vient rejoindre l'appui à la séparation. De plus en plus, les gens comprennent que la souveraineté, c'était la séparation. Remarquez bien que c'était la souveraineté, ce n'était pas la souveraineté-partenariat. Ce n'est pas pour rien qu'en avril, devant de tels chiffres, le Parti québécois -- sous les pressions de M. Bouchard, et avec M. Parizeau qui résistait quand même -- a dit que cela ne peut pas être la souveraineté tout court, et se fait écraser magistralement. Il faut qu'on retourne à la souveraineté non seulement à la souveraineté-association, mais à la souveraineté-partenariat.

Le sénateur Nolin: Vous me donnez l'introduction à ma deuxième question. Regardons les résultats à la fin du débat sur la question, donc à la fin de septembre 1995. Le sondage CRÉATEC, à la fin de septembre, nous donnait une avance de 13,4 p. 100. C'était une répartition trois quarts / un quart des indécis.

M. Pinard: C'est avec la nouvelle question, cela?

Le sénateur Nolin: C'est la question qui sera présentée aux Québécois lors du référendum. À partir de ce moment, tout ce qu'on voit, tant dans les sondages publics que dans les sondages internes, c'est une diminution surtout accentuée à partir du 7, qui est la date où M. Bouchard est finalement identifié comme le négociateur.

Une série de sondages en 1995 indiquent une réduction de la confusion. Malgré tout cela, à la fin de septembre, on a une avance de 13 p. 100 et plus dans les sondages sur une question connue, qui a été débattue à l'Assemblée nationale depuis près d'un mois. Tout à coup, en octobre, la campagne référendaire commence et là, on a de la misère. Est-ce seulement la présence de M. Bouchard qui peut avoir justifié cela? Parce que c'est toujours la même question.

M. Pinard: Revenez un petit peu plus loin en arrière. Depuis le virage au mois d'avril 1995 jusqu'au mois d'août, la proportion des gens qui nous disaient qu'ils voteraient Oui après une répartition au prorata des indécis -- pas 60/30 -- s'est maintenue en moyenne, de façon très symbolique, à 53 p. 100 pour le Oui et 47 p. 100 pour le Non. Vous n'avez pas cela dans ces tableaux.

Le sénateur Nolin: Ce n'est pas plutôt l'inverse?

M. Pinard: Non. Le Oui était en avance au mois d'avril sur la question de la souveraineté-partenariat. La question n'était pas encore connue, mais les sondeurs l'avaient devinée. C'était sur la souveraineté avec une offre de partenariat. Cela s'est maintenu à 53 p. 100 pour le Oui du mois d'avril jusqu'au mois de septembre. Au moment où on a fait connaître la question, cela est tombé à 50 p. cent et 47 p. cent en une semaine. Cela est descendu encore plus bas, toujours avec la répartition des indécis au prorata, autour de 46 p. 100 pendant presque tout le mois de septembre. Cela s'est mis à remonter très légèrement, de 45 p. 100 à 47 p. 100, à la fin septembre. Cela s'est maintenu à 46 p. 100 ou 47 p. 100. Je n'ai pas les chiffres avec les répartitions plus réalistes, mais cela s'est maintenu jusqu'à 46 ou 47 p. 100 jusqu'à la nomination de M. Bouchard comme négociateur en chef. Il y a eu, ce que j'ai appelé avec beaucoup d'autres, un effet Bouchard.

Il y en a qui disent qu'il n'y a pas eu d'effet Bouchard. La remontée était commencée bien avant cela, les sondages Léger et Léger montraient -- c'est la seule maison de sondage qui l'a fait -- que cela montait toujours. Tous les autres sondages montraient que cela se maintenait presque, avec une avance au prorata de sept ou huit points seulement. Cela a été une avance réaliste beaucoup plus grande que cela pour le Non, mais le Non était passé en avant. Cela a chuté au moment de la question, et ce n'était pas parce qu'elle était différente de celle que les sondages demandaient auparavant. Les gens ont eu peur dès que la question a été rendue publique. Ils se sont mis à y penser et à dire Non.

L'effet de M. Bouchard a augmenté la confusion à nouveau chez certaines personnes qui ont dit: «Il s'en vient négocier l'association. C'est une association, on va continuer à faire partie du Canada.» Je peux vous révéler que dans une étude, qui n'a pas été rendue publique qui a été faite récemment, en décembre dernier, il y a des gens qui nous ont dit dans des entrevues non structurées: «M. Bouchard ne veut pas la séparation, l'indépendance du Québec. Il travaille simplement pour arriver à une nouvelle entente avec le reste du Canada.» Pour eux, le partenariat est une nouvelle entente qui n'implique pas l'indépendance. L'arrivée de M. Bouchard les a rassurés. Ils craignaient M. Parizeau qui s'était battu pour garder une question sur la souveraineté seulement et non pas sur la souveraineté-partenariat. Ils sont devenus convaincus qu'il s'agissait de souveraineté-partenariat, et que le partenariat impliquait qu'on restait au Canada. Un effet Bouchard immense est venu rassurer les gens. Le charisme et la force de M. Bouchard se sont manifestés. Il y avait encore de la confusion à ce moment-là, mais devant la confusion, puisque M. Bouchard était là, les gens ont eu moins peur de faire le saut vers le Oui.

[Traduction]

Le sénateur Murray: Madame la présidente, j'ai quatre observations à faire au sujet de l'expérience référendaire des autres pays et de notre expérience limitée chez nous. Je vais faire mes quatre observations, et j'inviterai ensuite M. Pinard à les commenter. Je n'essaierai pas de poser de questions supplémentaires.

[Français]

La première chose qui saute aux yeux à partir des référendums qui se sont tenus à l'étranger, c'est combien il est difficile de faire approuver une initiative par voie de référendum. En Australie, où le référendum fait partie de la procédure de modification constitutionnelle, seulement 20 p. 100 des projets ont été approuvés et le record en Californie et aux États-Unis, généralement, n'est pas beaucoup plus impressionnant. Deuxièmement, et c'est presque toujours le cas dans une campagne référendaire, c'est le Non qui prend une avance et le Oui qui perd du terrain. Le phénomène est tellement marqué que chez les stratèges, il y a une règle générale à l'effet que le Oui, pour avoir le moindre espoir de remporter, doit commencer avec un appui minimum de 65 p. 100 au début de la campagne.

En 1992, au Canada, c'est cela qui s'est produit. Le Non a devancé le Oui au cours de la campagne référendaire. Mais au Québec, par contre, en 1995, le Non -- comme le sénateur Nolin vient de nous le rappeler -- a perdu une avance considérable de 14 points au cours de la campagne, et le Oui a failli gagner. Vous pourrez peut-être nous expliquer pourquoi cela s'est produit au Québec en 1995.

Troisièmement, le taux de participation est généralement beaucoup moins fort pour les référendums que pour les élections au Québec. Comme tout le monde se le rappelle, le taux de participation en 1995 était de 94 p. 100. Et en 1980, le taux de participation était de 84 p. 100 des électeurs.

M. Pinard: Quelle est votre question sur le taux de participation?

Le sénateur Murray: Comment se fait-il que le taux de participation dans les autres pays est beaucoup moins fort pour les référendums tandis qu'au Québec, et au Canada même, le taux de participation pour les référendums est beaucoup plus élevé?

Quatrièmement, le libellé de la question est beaucoup moins important que d'autres facteurs: beaucoup moins important que le contexte politique, que le débat lui-même. En 1968 ou 1969, 80 p. 100 des Français ont exercé le droit de vote supposément sur une question centrée sur la réforme de leur Sénat. Mais tout le monde comprenait l'enjeu. C'était l'occasion pour les Français de se prononcer sur l'administration du général de Gaulle. Le lendemain, après la défaite de son référendum, il a quitté la présidence pour toujours.

[Traduction]

Ici, au Canada, en 1980 et encore une fois en 1995, les porte-parole fédéraux avaient pour stratégie avouée -- en 1980, M. Chrétien, et certainement M. Charest en 1995 -- de, comme ils disaient, démasquer la souveraineté-association et d'insister pour dire que le véritable enjeux était la séparation. Le premier ministre Trudeau a fait trois ou quatre discours au Québec précisément dans ce but, en 1980, et au milieu de la campagne de 1995 nous avons vu M. Charest agiter le passeport canadien.

[Français]

J'accepte d'emblée les recherches que vous nous avez fournies. Cependant, je vous pose la question à savoir quelle signification je dois attacher à ces recherches dans le contexte actuel?

[Traduction]

J'ai l'impression que par suite du jugement de la Cour suprême, ou en s'appuyant sur le jugement de la Cour suprême, si M. Bouchard peut persuader les Québécois que la conséquence immédiate d'un «oui» serait de contraindre les autres partenaires à négocier, il entreprendrait la prochaine campagne référendaire avec un avantage très marqué.

M. Pinard: En réponse à votre dernière observation, tout d'abord, M. Bouchard dira dans sa campagne: «Ils vont négocier. La Cour suprême a dit qu'ils sont obligés de négocier.»

Le sénateur Murray: «La seule façon de les contraindre à négocier, c'est de voter «oui».» Ce sera le thème principal de sa campagne.

M. Pinard: Oui, mais le projet de loi que vous étudiez vise justement à faire le contraire, et je crois qu'il y aura justement cet effet.

Je ne suis pas sûr que les gens vont le croire aisément, après que la Chambre des communes aura adopté une résolution et affirmé officiellement que, non, elle ne négociera pas. C'est beaucoup plus fort que si c'était le premier ministre ou quelques ministres qui disaient: «Nous ne négocierons pas.» Cette fois, une résolution aura été adoptée, et si je comprends bien le projet de loi C-20, ce sera une résolution exécutoire.

Le sénateur Murray: Pour le cas où la question consisterait à demander le mandat de négocier quelque chose.

M. Pinard: Si vous voulez mon avis, une question qui dirait: «Donnez-nous le mandat de négocier la souveraineté-association, et nous vous reconsulterons plus tard», donnerait une proportion plus élevée de «oui» que la question de 1995. Si, en 1995, on avait posé la question de 1980, il n'est pas impossible que le «oui» l'aurait emporté. Encore une fois, selon l'étude, qui est inachevée et inédite, plusieurs personnes croyaient savoir ce qui se serait passé si le «oui» l'avait emporté en 1995. Rien ne se serait passé. Mais il y aurait eu une discussion, il y aurait eu une impasse, et on ne serait allé nulle part. Plusieurs disaient, et c'est ce qui m'a frappé, qu'on aurait été obligé de tenir un autre référendum. Essentiellement, ils raisonnaient selon les termes de la question de 1980, qui n'était pas, bien sûr, la question qui a été posée en 1995.

Pour répondre brièvement à vos quatre observations, je suis d'accord avec vous pour dire qu'il est très difficile de gagner un référendum, mais cela peut-être également très facile dans certaines circonstances. J'imagine que vous connaissez les nombreux discours de M. Dion qui font état du nombre très élevé de personnes qui ont voté «oui» pour l'indépendance dans certains pays -- dans les pays baltes, par exemple. Il est exact que les référendums ont tendance à échouer, mais certains référendums essentiels ont donné lieu à un «oui» très fort. On ne peut donc présumer de rien.

Il me vient à l'esprit que, si le Québec était opprimé comme le sont certains groupes dans certains pays non démocratiques, il serait très facile de remporter un «oui», même avec une question très dure. Disons que l'armée canadienne, qui serait composée entièrement de Canadiens d'expression anglaise, occuperait le Québec et dirait: «Nous allons vous contraindre à rester au Canada, quelles que soient les circonstances, même s'il faut pour cela restreindre les droits civiques et la liberté de la presse», et cetera. Lorsqu'il y a oppression, il peut être très facile d'obtenir un «oui» très fort à un référendum.

[Français]

Le Non a perdu, mais ailleurs le Non était en avance. Ce que j'ai essayé d'indiquer, tantôt, c'est que du mois d'avril au mois d'août, nous étions à 53 p. 100. J'ai fait les calculs séparément pour les deux périodes. J'oublie mais je crois que c'est du mois d'avril au mois de juin, et du mois de juin au mois d'août, et la moyenne était 53 p. 100 pour le Oui, et 47 p. 100 pour le Non et les indécis étaient répartis au pro rata. Les pourcentages ont baissé à 46 p. 100, c'est le Non qui a gagné. Le Oui a baissé à 46 ou 47 p. 100 en septembre.

M. Bouchard est venu rassurer les gens et le pourcentage a remonté. Cinq des six derniers sondages donnaient, au prorata, exactement 53 p. 100. M. Bouchard est venu chercher les gens qui avaient décroché au début de la campagne, en grande partie à cause de la peur. Parmi ces gens, plusieurs étaient confus et ont voté Oui en pensant qu'avec M. Bouchard, on n'allait pas vers la sécession.

Le taux de participation ailleurs est beaucoup moins important. Dans plusieurs des référendums sur la fluoration, les taux de participation devaient être très bas, et dans plusieurs référendums sur lesquels les gens n'ont pas beaucoup d'intérêt, ils ne vont pas voter, même aux élections municipales qui sont plus qu'un référendum sur une question. La participation dépend de l'importance que les gens attribuent à la décision qui doit être prise.

En 1995, lorsque les gens ont vu que c'était très chaud, cela a augmenté la participation. Ce sont surtout les gens du côté du Non qui ont tendance à s'abstenir. Des gens moins scolarisés, moins intéressés à la politique. Ce sont tous des facteurs qui indiquent que les gens sont plus du côté du Non. Si c'était resté à 80 p. 100 au lieu de monter à 94 p. 100 en 1995, le Oui l'aurait probablement emporté. C'est mon hypothèse.

En ce qui concerne le libellé de la question, vous allez entendre M. Lachapelle dire que le libellé de la question n'a aucune importance, qu'à la fin, de façon générale, les gens votent Oui ou Non, qu'ils oublient le libellé de la question ou ne comprennent pas ce qu'il y a dans le libellé de la question. M. Lachapelle prétend que les gens savent ce sur quoi ils votent, et que le libellé de la question n'a aucune importance. Oui et non. J'ai réussi, en 1980, à faire la seule prédiction à peu près exacte au sujet du référendum de 1980. Dans mon questionnaire du sondage sur le référendum, au lieu de dire aux gens -- comme tous les autres sondages -- de lire la question qui comprenait 114 mots et de leur demander s'ils allaient voter Oui ou Non à cette question, je leur ai posé toutes sortes de questions sur les raisons qui pourraient les pousser à voter Oui ou Non. Finalement, à la quinzième question, je leur demandais: si le référendum à venir avait lieu demain, voteriez-vous Oui ou Non? Il n'y avait pas de libellé, pas les mots «sécession», ou «souveraineté-partenariat». Au lieu d'obtenir 49, 50 ou 51 p. 100 pour le Oui, comme dans tous les autres sondages, j'ai obtenu 43 p. 100 pour le Oui et 57 p. 100 pour le Non. L'analyse m'avait poussé à dire que c'était possible que le Oui descendrait à 41 p. 100. Dans ma tête, les gens savaient s'ils allaient voter Oui ou Non. Il fallait arrêter de leur lire 113 mots et leur demander comment ils avaient l'intention de voter. Dans ce sens, le libellé de la question n'était pas important, mais en même temps, au moment où ils ont décider de voter Oui ou Non, ils se sont dit: je ne vais pas voter sur ceci ou cela comme au moment de la Deuxième guerre mondiale. Ils savaient qu'ils allaient voter sur la conscription, quel que soit le libellé de la question.

Mon point, c'est qu'en 1995, les gens ne se disaient pas: je m'en vais voter sur la sécession; il disaient plutôt: je m'en vais voter sur une nouvelle entente avec le Canada, et c'est de là qu'est venue la confusion.

Si, le jour du vote, on avait demandé aux gens quelle était la question, ils auraient répondu qu'ils ne le savaient pas, que c'était le référendum du Parti québécois. Questionnez des gens plus scolarisés et politisés. Vous serez renversés par le degré de confusion qui existe chez plusieurs électeurs sur des choses comme celles-là. Cette question est complexe. La souveraineté-partenariat c'est complexe, on n'en sort pas.

À ce moment-là, les électeurs oublient le libellé de la question. Ce qu'ils ont compris du libellé et ce qu'ils ont réussi à conclure leur fait décider de voter Oui ou Non. Le contenu de la question, ce qui est l'objet du référendum, va influencer s'ils voteront Oui ou Non, et plus la question sera claire, plus leur Oui ou leur Non sera éclairé.

[Traduction]

Le sénateur Milne: Monsieur Pinard, vous dites que vos sondages montrent que les questions posées par le passé ont semé la confusion dans les esprits. Par ailleurs, vous faites remarquer que pour M. Lachapelle, que nous entendrons plus tard aujourd'hui, la question posée importe peu. Les séparatistes du Québec semblent partager le point de vue de M. Lachapelle. Ils semblent en effet penser que, peu importe la question qu'on lui pose, la population du Québec comprend bien son sens, en particulier à la fin de la campagne référendaire.

S'il y a un autre référendum, pensez-vous que les séparatistes du Québec, compte tenu de l'attitude qu'ils ont adoptée, poseront une autre question peu claire?

M. Pinard: J'ai beaucoup réfléchi à cette question. Je suppose que tout dépend du niveau d'appui dont jouiront les séparatistes à la veille du référendum. Si 70 p. 100 des gens disaient vouloir répondre oui à une question directe, les séparatistes poseraient ce genre de question parce que cela leur faciliterait ensuite les choses. Compte tenu de la situation actuelle, je ne pense pas qu'ils tiendront un référendum dans un avenir rapproché, étant donné que le camp du Oui a perdu des partisans non seulement depuis 1995, mais aussi depuis 1990. Le mieux que les séparatistes puissent espérer, c'est d'obtenir 50 p. 100, 55 p. 100 ou peut-être même 60 p. 100 des suffrages exprimés en posant une question floue. Je pense que c'est ce qu'ils feront.

Le sénateur Milne: Dans ce cas, pensez-vous que le projet de loi C-20 aidera le gouvernement du Canada à faire face à l'un ou l'autre type de question?

M. Pinard: Je pense que le projet de loi permet au gouvernement du Canada de dire que, comme il s'agit de la sécession d'une partie du Canada, il n'est pas prêt à négocier avec les sécessionnistes, à moins que la question posée à la population ne précise qu'il s'agit d'une sécession. Je crois que le projet de loi est utile à cet égard.

Le sénateur Kinsella: Monsieur Pinard, j'aimerais discuter avec vous de ce que j'appelle la «durée utile» du résultat d'un référendum. Il y a quelques instants, en réponse à une question que vous a posée au sénateur Milne, vous avez dit que les électeurs étudieront la sécession jusqu'à ce qu'ils soient tous d'accord sur le principe. À votre avis, compte tenu des recherches que vous avez faites, pendant combien de temps pensez-vous que les électeurs s'attendaient à ce que leur réponse soit valide?

M. Pinard: Vous parlez des électeurs, sénateur?

Le sénateur Kinsella: Oui. Pendant combien de temps pensaient-ils que leur jugement serait valide?

M. Pinard: Vous parlez de leur jugement concernant un vote oui ou un vote non?

Le sénateur Kinsella: La question porte sur la durée utile du résultat d'un référendum. Autrement dit, les électeurs pensaient-ils qu'on leur donnerait de nouveau l'occasion de se prononcer sur le sujet?

M. Pinard: Comme je l'ai mentionné plus tôt, j'ai été surpris de constater dans le cours de mes recherches récentes combien de gens pensaient que, peu importe le résultat du référendum de 1995, il ne mènerait pas à une décision sur la sécession, non seulement parce que les négociations pourraient achopper -- c'était en partie pour cette raison --, mais aussi pour diverses autres raisons, et notamment parce qu'ils pensaient que les politiciens auraient trop peur de prendre une décision aussi grave. Ils disaient cela au sujet des politiciens séparatistes. Nombreux étaient ceux qui disaient être convaincus que le statu quo serait maintenu, estimant que les politiciens auraient trop peur de faire quoi que ce soit ou se rendraient compte, très peu de temps après le début des négociations, qu'il leur faudrait poser une autre question avant de prendre une décision finale sur un sujet aussi grave. La durée utile du résultat n'était pas très longue, et il n'aurait pas mené à une décision catégorique à très court terme.

Le sénateur Kinsella: Par conséquent, est-il plausible, ou du moins raisonnable, de conclure que, quelle que soit la clarté de la question qui sera posée, les électeurs penseront qu'ils pourront revenir sur leur décision? Comme il y a eu deux ou trois référendums ces dernières années, ne perdent-ils pas leur importance pour les électeurs? Vous avez étudié la psychologie ou les intentions des électeurs. Est-ce que vous concluez qu'ils ne prennent pas ces référendums très au sérieux? Comment analysez-vous ce phénomène?

M. Pinard: Supposons que la question soit la suivante: «Voulez-vous que le Québec se sépare du Canada et devienne un pays complètement indépendant?» Si vous posiez une question de ce genre qui énoncerait clairement qu'il s'agit pour le Québec de se séparer du Canada et de devenir un pays au lieu de simplement parler de l'indépendance par rapport à Ottawa, la participation des électeurs serait extrêmement élevée et la proportion des gens qui sauraient ce que signifie un vote oui ou non serait extrêmement élevée comparativement à ce qu'elle était en 1980 et 1995. Les gens attacheraient beaucoup d'importance à ce référendum parce qu'ils sauraient que la décision qui serait prise serait finale. Il y aurait encore des gens qui ne croiraient pas que les politiciens auraient le courage de prendre cette décision, mais je pense que cela se refléterait dans les résultats.

À mon avis, si un référendum avait lieu d'ici un mois, à peine 30 p. 100 des électeurs répondraient oui à une question de ce genre.

Le sénateur Kinsella: Pensez-vous qu'il conviendrait d'amender le projet de loi pour qu'on y précise que la question doit être aussi claire que celle que vous venez d'énoncer afin de s'assurer que tous sachent exactement ce sur quoi porte cette question?

M. Pinard: Le projet de loi précise dans quelles conditions le résultat ne serait pas jugé clair, mais, comme je l'ai dit plus tôt, ce n'est pas au Parlement du Canada de décider du libellé de la question. Il ne doit en aucune façon dicter la question. Je ne suis pas d'accord avec ceux qui disent que le gouvernement du Canada cherche à établir les règles du jeu. Il le ferait s'il énonçait la question, mais ce n'est pas ce qu'il fait.

Le sénateur Chalifoux: Je trouve ce dialogue fort intéressant. Vous avez parlé de la question et des sondages qui ont été faits. Le Québec compte un nombre élevé d'Inuits et de membres des Premières nations. Avez-vous tenu compte de leur opinion dans vos sondages? Je vous signale que le français n'est pas la langue maternelle de bon nombre d'entre eux. Leur langue maternelle est une langue autochtone. En avez-vous tenu compte dans les sondages que vous avez faits auprès de ces collectivités? Les terres des Inuits et des membres des Premières nations constituent une partie importante de la province de Québec.

M. Pinard: La plupart de ces sondages ne sont pas les miens. Tout ce que nous pouvons établir dans un sondage auquel participent 1 000 personnes -- c'est la norme habituelle au Québec --, c'est le nombre de personnes qui ne sont pas francophones et le nombre de personnes qui sont soit anglophones, soit allophones, c'est-à-dire que leur langue n'est ni le français ni l'anglais.

La proportion de ces gens est très petite. La proportion des Autochtones au Québec est encore plus petite. L'opinion de cette proportion de gens ne se reflète pas de façon significative dans nos sondages. Ils sont trop peu nombreux. Nous avons déjà du mal à établir la proportion de non-francophones qui voteraient oui ou non.

L'analyse qui a été faite des suffrages exprimés dans diverses réserves au Québec nous donne une bonne idée de la façon dont les Autochtones voteraient. Je crois que 95 p. 100 des Autochtones ont voté non lors du dernier référendum.

Le sénateur Chalifoux: Avez-vous étudié les intentions de vote des nations autochtones?

M. Pinard: Non. Certaines personnes pensent qu'on devrait le faire, mais ce pourrait être difficile dans certains cas. Les Mohawks, en particulier, n'ont même pas participé au référendum. Je soupçonne que si l'on voulait faire un sondage auprès des Mohawks, leurs dirigeants refuseraient d'autoriser ce sondage ou exerceraient des pressions sur les membres de leur nation pour qu'ils n'y participent pas.

C'est très malheureux. Des milliers de sondages ont été faits au cours des 30 ou 40 dernières années au Québec. Certains d'entre eux auraient pu être menés auprès de la population autochtone. D'autres auraient pu être menés auprès des nouveaux Canadiens ou des anglophones du Québec, et cetera.

La présidente: J'aimerais poser une question, après quoi je permettrai aux sénateurs qui ne sont pas membres du comité de poser aussi des questions.

Comme vous le savez sans aucun doute, monsieur Pinard, le projet de loi C-20 prévoit que ce serait la Chambre des communes qui déterminerait en dernier ressort si la question posée était claire et si la majorité était claire. Un bon nombre de mes collègues estiment que le Sénat devrait jouer un rôle dans ce processus, comme il le fait normalement dans le processus législatif. Cela reviendrait à accorder au Sénat un droit de veto qu'il pourrait exercer s'il le souhaitait.

Je doute que vous ayez fait des recherches sur cette question, mais je vous la pose tout de même, compte tenu du fait que vous connaissez bien l'opinion publique au Québec. Comment réagirait-on au Québec à l'issue d'un référendum si tous les partis à l'Assemblée nationale disaient que la majorité était claire, si la Chambre des communes disait la même chose et si le Sénat s'opposait à des négociations? Quelle serait donc la réaction au Québec?

M. Pinard: Je n'ai pas étudié la question, mais je connais des travaux de recherche qui portent sur l'opinion des gens sur le Sénat. Je ne suis pas un constitutionnaliste, mais mon opinion comme citoyen est que ce genre de décision doit être laissée aux représentants élus. Il s'agit d'une décision capitale, qui fait partie d'un processus qui mènerait à des négociations qui seraient menées par des représentants élus. Par conséquent, la décision à cet égard devrait être prise par les représentants élus. J'ai des vues très fermes sur le sujet, mais il s'agit de mes vues comme citoyen.

J'ai une opinion tranchée sur ce qui se passerait s'il y avait un désaccord entre la Chambre des communes et le Sénat. Cela aurait un effet désastreux concernant l'issue du référendum et la clarté de la question. Cela créerait beaucoup de confusion. Le fait que la Chambre des communes dise après un Oui que le résultat est clair et que le Sénat dise le contraire aurait des conséquences énormes. Si le camp du Oui l'emportait par une majorité claire lors d'un référendum au cours duquel une question claire serait posée, il importerait que le reste du Canada demeure uni. Or, de par sa nature, il ne sera pas très facile au reste du Canada de demeurer uni. Il faut tenir compte des diverses factions qui existent au niveau provincial, au niveau fédéral, dans l'Ouest, dans l'Est, des francophones, des anglophones et des autres. Le pays comporte diverses factions qui n'existent pas dans le camp souverainiste.

Même s'il pourrait y avoir des désaccords mineurs entre M. Parizeau et M. Bouchard, le camp du Oui serait extrêmement uni. Compte tenu de la structure de la société canadienne, il serait extrêmement difficile au camp du Non de demeurer uni. Dans une situation comme celle-là, il importerait beaucoup que le gouvernement fédéral soit uni. Si le Sénat et la Chambre des communes ne s'entendaient pas sur l'interprétation à donner aux résultats du référendum, cela créerait une crise grave.

Quant à savoir quelle serait la réaction des gens si le Sénat posait ce geste, la seule chose que je puisse dire -- je suis sûr que vous connaissez les résultats des sondages qui ont été menés sur le Sénat au cours des dernières années -- c'est que les gens n'ont pas une très haute opinion du Sénat, c'est le moins qu'on puisse dire. Peu de gens pensent que le Sénat devrait demeurer tel qu'il est. La plupart des gens voudraient qu'il soit soit aboli, soit réformé. Lors d'un sondage mené par Environics, 20 p. 100 des personnes interrogées sur ces options ont dit que le Sénat devrait demeurer tel qu'il est, 40 p. 100 ont dit qu'elles voulaient qu'il soit aboli et 40 p. 100, qu'il soit réformé. Je vous cite ces chiffres de mémoire.

J'ai été surpris des résultats obtenus lorsqu'on a demandé aux gens si le Sénat devrait être élu ou non. Environ 80 p. 100 des répondants ont dit qu'il devrait être élu tandis que seulement 6 p. 100 d'entre eux ont dit que les sénateurs devraient être nommés par le gouvernement.

À l'heure actuelle, l'image du Sénat n'est pas très positive. Il pourrait être très néfaste en ce sens que le Sénat décide d'imposer un veto à une décision qui serait alors prise par la Chambre des communes. Si le camp du Oui devait l'emporter lors d'un référendum, j'espère que le pays, ou à tout le moins le gouvernement central du pays, sera uni.

[Français]

La présidente: Nous passons maintenant aux questions des sénateurs qui ne sont pas membres du comité. Je suis certaine que leurs questions seront courtes et concises.

Le sénateur Prud'homme: Monsieur Pinard, quand j'étais président du caucus libéral du Québec et du caucus national, j'ai eu l'occasion de vous inviter à plusieurs reprises. J'ai été élu secrètement, et il est évident que je ne l'aurais pas été ouvertement.

Si le Québec disait: «Donnez-nous un mandat pour négocier avec Ottawa sur la formulation d'un nouveau Canada et nous reviendrons vous soumettre le résultat pour approbation», quelle serait votre opinion quant à cette formulation?

M. Pinard: Je pense qu'une question comme celle-là pourrait gagner. Plusieurs membres du Parti québécois favorisent cette stratégie. Je pense qu'ils gagneraient le référendum, mais cette stratégie n'est pas adoptée, car cela les mènerait dans un cul-de-sac. Une pression énorme viendrait de la population, qui voudrait s'entendre sur autre chose que la sécession.

Le sénateur Prud'homme: Il n'est pas nécessaire de prendre le pouls de nos communautés. Il y a 65 000 autochtones au Québec, dont des nations indiennes et une nation inuit. Inutile de penser comment ces gens voteraient, on le sait déjà.

Les allophones, pour leur part, constituent 18 p. 100 de la population. Je déteste ce mot et je n'aime pas, non plus, le mot «francophone», je suis plutôt Canadien français.

Il y a donc 18 p. 100 d'allophones et d'anglophones. Lors du dernier référendum, on sait très bien comment cette partie de la population a voté. Dans le comté de Mont-Royal, plus particulièrement à Côte-St-Luc, ils ont voté au-delà de 99 p. 100 pour le Non. Le résultat est très clair et sans confusion, ces gens savaient très bien ce sur quoi ils votaient.

En 1980, Pierre Elliott Trudeau faisait partie du comité du Non. J'y étais avec le sénateur Nolin, qui représentait des forces du Parti conservateur, et moi, celui du Parti libéral. Il y avait également M. Jean Marchand et M. Claude Ryan. Un jour, je vous dirai comment cela se passait à l'intérieur. C'était presque bordélique.

Le message d'Ottawa m'apparaissait très clair, surtout celui de M. Trudeau. Vous avez raison lorsque vous dites qu'on élimine tous les mots. Quand est venu le temps de voter en 1980, les gens avaient une idée de ce sur quoi ils votaient, j'en suis convaincu.

Jusqu'à maintenant, e ne suis pas favorable à l'adoption du projet de loi C-20. À mon avis, nous allons ouvrir la boîte de Pandore inutilement, puisqu'on ne dit pas à l'avance ce qu'Ottawa considérera. Connaissant à peu près toutes les institutions d'Ottawa, je constate qu'on ne nous précise pas à l'avance ce qu'est une majorité claire.

Faut-il attendre le résultat et dire que, tout dépendant du résultat, la question n'était pas claire? Je dois vous dire que cela m'embête. Je continue de dire que le Canada est indivisible pour des raisons autres que celles du sénateur Joyal.

La présidente: Sénateur Prud'homme, avez-vous une question?

Le sénateur Prud'homme: Chacun ses habitudes. On peut apporter des commentaires et le témoin commente s'il le désire.

La présidente: C'est parce que nous n'avons pas beaucoup de temps.

Le sénateur Prud'homme: Ne croyez-vous pas que la moindre provocation en plein milieu du référendum pourrait faire changer le résultat? Les Canadiens français du Québec forment 82 p. 100 de la population. À l'époque des Yvette, un événement est survenu et le résultat a changé.

Présentement, les gens sont indifférents. Tous mes amis du Bloc québécois et du Parti québécois sentent que rien ne monte. Je suis plus sensible qu'eux. Si jamais il y a un référendum, le danger, c'est que la dynamite peut monter. En plein milieu du référendum, les gens vont constater qu'il y a un projet de loi à Ottawa qui va décider.

N'avez-vous pas peur de la thèse développée par le sénateur Joyal? On ignore de quoi sera constituée la prochaine Chambre des communes. Le président de la Chambre pourrait décider par un vote si la question est claire ou non, si le référendum est clair ou non. Cela ne vous trouble pas un peu?

M. Pinard: J'espère que nous n'en viendrons pas à une décision du président de la Chambre des communes. Si on en vient à cela, il faudra l'accepter, mais le manque de décision sur la clarté de la question n'est pas mieux.

Vous disiez tantôt que les gens comprenaient en 1980, mais je pense que les gens ne comprenaient pas en 1980. Si les gens avaient compris en 1980, ce n'est pas 40 p. 100 qu'ils auraient eu, mais encore moins que cela. Par contre, il y avait, à ce moment, une promesse d'un nouveau référendum. Dans les études que j'ai faites du référendum de 1980, il y avait aussi énormément de confusion. Ce n'est donc pas nouveau. J'ai d'ailleurs cité des chiffres du référendum de 1980 dans mon texte.

On va venir vous dire, sans doute, que les gens ne sont pas idiots, et je suis tout à fait d'accord. Ce n'est pas la question. La question, c'est de savoir si les gens comprennent ou pas. Il y a beaucoup de choses que je ne comprends pas en physique, en chimie ou dans d'autres domaines comme ceux-là, et cela ne fait pas de moi un idiot. Ce n'est tout simplement pas mon domaine. Il y a des gens qui ne comprennent pas parce que le sujet ne les intéresse pas. Cela n'en fait pas des idiots, mais cela en fait des gens moins bien informés sur cette question. Tout ce qu'on peut faire pour améliorer cette situation sera pour le mieux. En 1980, il y avait beaucoup de gens confus et en 1995, aussi, à cause de questions très élaborées.

Le sénateur Joyal: Ma première question porte sur le fait qu'il semble y avoir un certain consensus au sein du Parti québécois, du moins dans l'aile la plus dure du Parti québécois, pour que la prochaine question soit : «Voulez-vous que le Québec devienne un État souverain?» Dans l'ordre de gradation des concepts que sont la souveraineté, l'indépendance, la sécession, la séparation, cela me semble être la question la plus «soft». Mme Josée Legault écrivait dans le journal The Gazette, il y a une semaine, que ce serait la question sur laquelle elle souhaiterait que le prochain référendum porte au Québec. Est-ce, d'après vous, une question claire?

Ma deuxième question est liée à la participation des électeurs. Le projet de loi C-20 assume que les électeurs sont ceux qui ont le droit de vote à l'heure actuelle dans les lois du Québec, à savoir les électeurs inscrits à l'âge de 18 ans. Qu'arriverait-il, selon vos statistiques, si on portait l'âge légal de voter à 16 ans? Cela changerait-il considérablement, pour vous, la répartition des chiffres telle que nous l'avons actuellement?

Ma troisième question porte sur la base de votre affirmation qu'il est préférable que le Sénat soit exclu du projet de loi pour éviter de créer de la confusion. Ne croyez-vous pas, à cet égard, qu'il faudrait exclure les quatre partis de la Chambre des communes qui se sont déjà prononcés, à savoir qu'une majorité de 50 p. 100 plus un est une majorité claire? Si on veut que le Canada parle d'une seule voix, il faudrait d'abord clarifier l'opinion des partis politiques qui se sont déjà prononcés. Il y a quatre des cinq partis politiques à la Chambre des communes qui considèrent que 50 p. 100 plus un est une majorité claire. J'imagine que le parti gouvernemental n'accepte pas cette opinion. On a donc déjà, au départ, une sorte de conflit fondamental qui est réel, entre l'opinion d'un parti qui forme actuellement le gouvernement, mais qui peut ne pas former le gouvernement au moment d'un prochain référendum sur la sécession au Québec. D'après vous, est-ce qu'on n'a pas là, en pratique, une situation beaucoup plus conflictuelle que le fait que le Sénat puisse ou non se prononcer, selon l'hypothèse que vous avancez vous-même?

M. Pinard: À la première question qui était: «Voulez-vous être un État souverain?», je vois deux problèmes. Connaissant ce que les gens comprennent du mot «État», je crois que ce serait mieux si on utilisait le mot «pays». Dès qu'on met le mot «pays» dans les entrevues avec les électeurs mous, ils commencent à comprendre un peu plus qu'avec le mot «État». L'État, c'est l'appareil étatique, et cetera.

Le mot «souverain» -- et je pense que c'est ce que vous avez suggéré -- c'est le plus mou des termes: séparation, indépendance, souveraineté. Le tableau 1 indique que lorsqu'on passe du terme «séparation», à «indépendance», puis à «souveraineté», on augmente le taux d'appui.

Une des raisons pour lesquelles cela survient, c'est que le mot «souveraineté» est devenu associé au mot «association», et que les gens disent dans les sondages que même s'il n'y a pas le mot «association», la souveraineté vient nécessairement avec l'association; ce n'est pas la même chose que l'indépendance ou la séparation. Le mot «souveraineté» est de loin le moins bien compris de tous ces termes. J'ai même vu des gens, dans des entrevues non structurées, me dire que la souveraineté fait référence à la reine. C'est difficile d'être plus confus que cela, mais il y a des gens qui pensent cela. Malheureusement, le terme «État souverain» n'est pas assez clair.

Il faut nettement faire référence à la sécession et ne pas utiliser le mot «sécession», car ce mot est encore moins bien compris. Les gens ne savent pas ce que c'est. Il faut y faire référence par des mots comme «séparation», «indépendance», un pays complètement indépendant qui n'est plus une province du Canada.

Le sénateur Joyal: Vous voteriez donc non à une question comme celle-là? Cette question n'est pas claire?

M. Pinard: La question «Voulez-vous être un État souverain?», n'est pas assez claire dans mon esprit pour savoir ce qu'on veut faire.

Quant à votre deuxième question qui porte sur le vote à 16 ans, je peux vous dire à ce sujet que la relation avec l'âge n'a pas été un facteur important en 1990, au moment de l'Accord du lac Meech; presque tout le monde était en faveur, jusqu'aux personnes âgées de plus de 50 ou de 55 ans. Au moment du référendum, la relation à l'âge a été à peu près la même chez les gens de 20 ans à 50 ans. Mais depuis, la relation avec l'âge a repris de l'importance : plus on est jeune, plus on est pour le Oui, et moins on est jeune, moins on est pour le Oui. Les gens que le camp du Oui a perdus depuis le référendum, ce sont des gens d'âge moyen. En donnant le droit de vote à 16 ans au lieu de 18 ans, cela tendrait à augmenter la proportion du Oui.

Cependant, assez curieusement, je ne sais pas si vous êtes au courant qu'on a fait des sondages, il n'y a pas très longtemps, à ce sujet, et les gens sont très fortement opposés à ce qu'on donne le droit de vote aux jeunes de 16 ans. Les gens voient cela un peu comme un truc ou estiment qu'on ne peut pas être un adulte à 16 ans. Les gens, à 80 p. 100, et je cite de mémoire, mais ça m'a frappé très, très fortement, sont opposés à ce qu'on baisse l'âge du droit de vote.

À votre troisième question concernant l'exclusion des partis d'opposition à la Chambre des communes, je voudrais, dans un monde idéal, que le gouvernement, le Parlement fédéral. parle d'une seule voix, et cela impliquerait aussi parler d'une seule voix même à la Chambre des communes. Mais là, on peut abolir le système démocratique complètement, et je ne vois pas comment on peut éviter cela. Je souhaite, au moment d'un vote, qu'il y aura unanimité à la Chambre des communes sur ces questions.

Le sénateur Prud'homme: Le gouvernement ou le Parlement?

M. Pinard: Idéalement, tout le gouvernement, tout le Parlement devrait parler d'une seule voix, le Sénat et la Chambre des communes, s'il se prononçait sur la question. Il sera toujours loisible que les sénateurs disent qu'ils en pensent de toute façon, n'est-ce pas?

Le sénateur Prud'homme: Je m'excuse, mais «Parlement» et «gouvernement», c'est une grande nuance pour nous. Le Parlement, c'est la reine, la Chambre des communes et le Sénat. Je n'ai pas d'objection si vous voulez dire la Chambre des communes, mais si on dit le gouvernement, c'est une autre affaire.

M. Pinard: Je comprends.

[Traduction]

La présidente: Sénateurs, nous avons pris un peu de retard sur notre horaire et notre prochain témoin est ici. J'ai déjà trois sénateurs sur la liste. Je propose de leur accorder à chacun cinq minutes. Êtes-vous d'accord?

Des voix: D'accord.

Le sénateur Nolin: Je cède mes cinq minutes.

Le sénateur Kroft: J'ai déjà parlé.

Le sénateur Lynch-Staunton: Je cède mes cinq minutes au sénateur Grafstein.

La présidente: Sénateur Grafstein, vous bénéficiez de la générosité de vos collègues.

Le sénateur Grafstein: Monsieur Pinard, vous avez une réputation impressionnante au Canada pour la clarté de vos conclusions, ce qui n'est peut-être pas le cas des questions sur lesquelles on vous a demandé de vous pencher.

Le gouvernement actuel du Québec a dit qu'il agira lorsqu'il aura des conditions gagnantes. D'après le témoignage que vous nous avez donné aujourd'hui, j'en conclus qu'il aimerait avoir beaucoup de questions confuses pour étoffer son appui au Québec. Il aimerait avoir un gouvernement fédéral faible qui émettrait de nombreux points de vue différents. Deux conditions préalables pourraient favoriser la tenue d'un référendum. Dans un premier temps, lorsque les questions ne sont pas très claires, c'est-à-dire des questions ambiguës qui pourraient obtenir un appui, et dans un deuxième temps, lorsque le centre présente une certaine faiblesse, que ce soit au sein du gouvernement même ou au Parlement avec un gouvernement minoritaire.

Les deux grands partis de l'opposition dans l'autre endroit, c'est-à-dire l'Alliance et le Bloc, ont adopté le principe selon lequel une majorité de 50,1 p. 100 suffit. Cependant, ce ne serait pas l'opinion du grand public. Est-ce que vos conclusions à propos du Sénat ne renferment pas une certaine incohérence si effectivement le Sénat, par opposition au Parlement, représente l'opinion populaire et la Chambre des communes, celle de la minorité sur la question du 50,1 p. 100?

M. Pinard: Voulez-vous dire si le Sénat déclarait que 50 p. 100 plus un n'est pas suffisant?

Le sénateur Grafstein: Oui.

M. Pinard: J'ignore si cela se produirait dans ce cas. Je serais étonné si la Chambre des communes déclarait qu'une majorité de 50 p. 100 plus un est suffisante, à moins que la question soit très claire.

Le sénateur Grafstein: Il ne faut pas oublier que ce projet de loi porte sur deux aspects. Il faut que la question soit claire, après quoi il y a un vote. Puis il s'agit de déterminer si le résultat du vote représente une majorité suffisante. Cependant, en pratique, dans les référendums, ces questions se trouvent fusionnées dans le premier débat. Nous savons maintenant -- et je crois que personne ne le contestera, pas plus ceux qui appuient le projet de loi que ceux qui ont des doutes à son sujet -- que les deux grands partis d'opposition, le Bloc et l'Alliance, considèrent qu'une majorité de 50,1 p. 100 est suffisante. Cependant, le public, tant au Québec que dans le reste du Canada, ne serait pas d'accord avec ce point de vue. Si le Sénat adoptait la position populaire et que l'opinion à la Chambre des communes était fragmentée, alors le public en voyant les conséquences ne dirait-il pas, «Dieu merci pour le Sénat»?

M. Pinard: Voulez-vous dire avant ou après un référendum?

Le sénateur Grafstein: Avant puis après.

M. Pinard: Je pense qu'un tel geste de la part du Sénat recevrait un appui très ferme de la population. Il serait appuyé par une forte proportion de Canadiens en dehors du Québec ainsi que par les fédéralistes du Québec. C'est un cas où le Sénat bénéficierait d'un appui malgré la faiblesse de l'appui dont il bénéficie habituellement.

Le sénateur Grafstein: Monsieur Pinard, votre témoignage est très instructif. À la lecture de votre témoignage et de votre document, ce qui me frappe, c'est que plus les conséquences sont claires, plus la question est claire. Lorsqu'on pose une question sans que les conséquences soient claires, cela accroît la confusion. Pour appuyer cette affirmation, vous avez dit que la souveraineté sans conséquences n'est pas claire et suscitera la confusion. Vous avez dit qu'il y aura confusion si les conséquences ne sont pas précisées. Vous semblez plus à l'aise avec la souveraineté-association. C'est une notion qui est un peu plus facile à appréhender et qui par conséquent susciterait moins de confusion, mais il n'en resterait pas moins une certaine confusion quant à son sens réel. Vous avez aussi dit que l'indépendance sans qu'on en précise les conséquences prête aussi plutôt à confusion.

Laissez-moi vous présenter un autre mot pour voir s'il serait plus clair. Je fais allusion à la question de l'«indivisibilité» d'un pays. Est-ce que ce serait un terme plus clair que les quatre ou cinq autres, sans que l'on parle des conséquences?

M. Pinard: Je ne suis pas sûr que j'utiliserais ces mots-là. La question que je préfère est la suivante: Voulez-vous que le Québec demeure une province du Canada ou non? Ce serait la question que je poserais. J'estime qu'elle est claire. Comme je l'ai dit, dans les sondages qui ont été faits depuis 1997, 60 à 70 p. 100 de la population a dit: «Je voterais oui à cette question-là.»

Le sénateur Grafstein: Pourrait-on dire, monsieur Pinard, que le terme «indivisibilité» et l'expression «continuer à faire partie du Canada» sont pratiquement interchangeables?

[Français]

Monsieur Pinard, nous sommes d'accord sur le fait que la question d'un référendum ou d'un plébiscite n'a jamais été claire ou aussi claire que nous l'aurions voulue -- vous avez mentionné le plébiscite de 1942 -- mais les réponses ont été claires. Je voudrais vous citer aussi la question qui a été posée en 1992 suite à l'Entente de Charlottetown:

Êtes-vous en faveur de l'entente qui a été conclue [...]

Et, on y avait inscrit la date. La question ne pouvait pas être plus confuse et plus vague. Elle manquait de clarté mais les réponses ont été claires. Les gens ont compris quand même durant le débat. Je voudrais que vous soyez un peu d'accord avec moi: même si les questions ne sont pas claires rares sont les réponses qui ne le sont pas.

M. Pinard: Je suis en désaccord fondamentalement avec vous en ce qui à trait à cela. Je pense qu'une généralisation qu'on peut faire sur ce que vous dites...

[Traduction]

... avec tout le respect que je dois aux politiciens, très souvent les politiciens préfèrent formuler les questions de la façon qui leur permettra le plus facilement d'obtenir ce qu'ils veulent. Il n'est pas étonnant que le Parti québécois agisse ainsi. Les fédéralistes ont fait la même chose avec l'Entente de Charlottetown comme ils l'ont fait avec la conscription. Il y a des cas où une question sur la séparation pourrait être un peu complexe. Cependant les gens ne tarderaient pas à dire: «C'est comme la conscription». Les gens à l'époque ont demandé: «Est-ce la conscription, oui ou non?» Si la question ne portait que sur la sécession, les gens finiraient par dire: «C'est une question sur la séparation». Je ne crois pas que la question de 1980 ou de 1995 se range dans cette catégorie.

Le sénateur Lynch-Staunton: La question de 1992 se lisait comme suit: «Acceptez-vous que la Constitution du Canada soit renouvelée sur la base de l'entente conclue le 28 août 1992?» Nommez-moi une personne ne faisant pas partie des milieux politiques en question qui comprenait le sens de cette question. Pourtant, le taux de participation au référendum a été assez bon et les résultats du vote ont témoigné d'une opposition assez catégorique. Était-ce une opposition à la confusion ou était-ce parce qu'au cours de la campagne les gens ont peut-être eu l'impression que les changements étaient trop compliqués et complexes et qu'ils n'étaient pas prêts à les accepter? Peu importe que la question était claire ou non, la réponse s'est avérée assez claire.

M. Pinard: Je crois que la question ne sera jamais tout à fait claire. Il n'y aura même pas de discrétion concernant la séparation. Les gens diront: «Non ça n'aboutira pas à cela. C'est une ruse.» Il y aura une certaine confusion à cet égard.

Une fois cela dit, je ne suis pas d'accord avec l'idée. Lisez l'analyse que je fais dans mon ouvrage et lisez mon analyse du référendum de 1980. Je ne crois pas que qui que ce soit puisse examiner la chose de façon objective -- et mon travail sur cette question a été qualifié d'objectif -- et dire que la population savait clairement ce sur quoi elle votait dans le cadre de ces référendums.

Le sénateur Lynch-Staunton: C'est un argument contre les référendums. Êtes-vous partisan des référendums?

M. Pinard: Je suis certainement partisan d'une décision prise par référendum et non par le gouvernement dans une élection, par exemple.

[Français]

La présidente: Je vous remercie, professeur Pinard. Votre témoignage a été extrêmement intéressant et nous aidera beaucoup dans nos délibérations.

[Traduction]

Chers collègues, notre prochain témoin est M. Stephen Blair, qui est avocat à Ottawa et qui a présenté un mémoire sur le statut constitutionnel du projet de loi C-20. Bienvenue, monsieur Blair. Si vous voulez bien commencer.

M. Stephen G. Blair, avocat: Madame la présidente, honorables sénateurs, je tiens à vous remercier de m'avoir invité à prendre la parole devant vous aujourd'hui. En décembre dernier, le Globe and Mail a imprimé une copie du projet de loi sur la clarté dans l'un de ses numéros, et j'ai pris la liberté de lire le projet de loi. Si je ne l'avais pas fait, je ne crois pas que je serais ici aujourd'hui. Cependant, j'ai été immédiatement frappé par des aspects du projet de loi qui m'inquiètent profondément, et je vais vous les indiquer brièvement.

Il y a premièrement son long préambule. Deuxièmement, il y a son traitement de la séparation des pouvoirs. Troisièmement, il y a sa tentative de lier les futures Chambres des communes. Quatrièmement, il y a le rôle limité qu'il prévoit pour le Sénat. Et cinquièmement, il y a ce que j'ai considéré comme un nouveau processus fédéral pour examiner les lois provinciales.

Je ne dirai pas grand-chose à propos du préambule, sauf que, selon moi, il est là parce que le gouvernement considère peut-être le projet de loi boiteux sur le plan constitutionnel. Il a inclus un très long préambule dans l'espoir de pouvoir justifier le projet de loi s'il est un jour renvoyé au tribunal. Je n'ai jamais vu un préambule d'une telle longueur et je ne pense pas qu'il puisse sauver le projet de loi. À cet égard, je suis encore convaincu que le préambule n'empêchera pas du tout que le projet de loi soit jugé anticonstitutionnel s'il est adopté.

La question de la séparation des pouvoirs revêt beaucoup d'importance à mes yeux. Pendant toutes les années où j'ai exercé le droit et où j'ai été étudiant en droit, je n'ai jamais vu une loi du Parlement ou d'une assemblée provinciale où les législateurs, ceux qui adoptent la loi, se nommaient en même temps les seuls arbitres chargés de déterminer comment la nouvelle loi sera appliquée et interprétée. Au Canada, lorsque nous adoptons de nouvelles lois, si nous prévoyons qu'on devra peut-être les interpréter, on en charge d'habitude des tribunaux indépendants ou la cour. Si vous examinez les nombreuses lois fédérales que nous avons maintenant, vous n'en trouverez aucune où le Parlement a chargé soit le Sénat soit la Chambre des communes d'être juge et jury pour l'application des lois.

Selon moi, depuis 1700 environ, on a déterminé que les questions d'application générale de la loi à des faits particuliers doivent être tranchées par des juges indépendants. Plus récemment, on a aussi confié cette tâche à des tribunaux indépendants. La caractéristique de ces tribunaux indépendants, c'est qu'ils peuvent rendre des décisions sans être influencés par des considérations politiques ou financières et ce, pour d'excellentes raisons.

John Locke avait déclaré:

[...] Ce serait tenter la fragilité humaine, qui est prompte à l'ambition, que de confier le pouvoir de faire exécuter les lois à ceux-là même qui détiennent le pouvoir de les faire [...]

Nous avons eu au Canada des exemples déplorables de cas où les législateurs ont assumé des rôles judiciaires. Les cas les plus célèbres sont, bien sûr, les Lois sur les élections contestées qui ont fini par être abolies en 1873. Ces lois existaient depuis toujours en Angleterre et, dans son ouvrage sur le Parlement, Erskine qualifiait la pratique voulant que ce soit les députés qui jugent les élections contestées comme une perversion évidente de la justice. En 1878, le juge Henri de la Cour suprême du Canada a lui aussi décrit ces anciennes procédures des lois sur les élections contestées en disant que les documents parlementaires de tous les pays contiennent de nombreuses preuves de manque d'objectivité et de fiabilité. Il disait aussi:

Ces documents fournissent des exemples de cas évidents d'injustice et de traitement arbitraire et tyrannique envers des personnes, parce qu'il convenait à des majorités partisanes de leur infliger une humiliation.

Compte tenu de ces antécédents, comment pouvons-nous aujourd'hui laisser entendre que la Chambre des communes, dont le rôle consiste à être hautement partisane et biaisée dans ses activités quotidiennes, pourrait en toute justice et en toute équité déterminer selon la loi et les faits la clarté d'une question référendaire? La réponse, c'est que c'est tout simplement impossible et c'est pourquoi nos assemblées législatives n'ont pas, selon moi, adopté de loi de ce genre en plus de 100 ans.

En réponse à la décision de la Cour suprême suite au renvoi de la question de sécession, le ministre Dion a déclaré:

Il y a peu de choses plus dangereuses dans une démocratie qu'un gouvernement qui se place au-dessus de la loi lui-même, mais qui continue d'exiger l'obéissance de ses citoyens.

En proposant de charger la Chambre des communes, qui est, après tout, une assemblée captive si le gouvernement est majoritaire, de trancher les questions de clarté selon des critères déjà adoptés par la même Chambre, le gouvernement fédéral demande à ceux qui adoptent la loi d'être seuls juges dans l'interprétation et l'application de ces lois à des cas particuliers, en l'occurrence une question référendaire sur la sécession d'une province. À mon avis, une telle loi est contraire à la déclaration de M. Dion et à nos traditions démocratiques et viole en même temps le principe de la séparation des pouvoirs selon la Constitution.

Dans mon mémoire, je soutiens que le projet de loi sur la clarté viole le principe de la séparation des pouvoirs. Ces dernières années, la Cour suprême a clairement confirmé dans bien des cas qu'il existe une séparation des pouvoirs aux termes de la Constitution du Canada. Feu le juge en chef Dickson avait déclaré:

En termes généraux, le rôle du judiciaire est, il va sans dire, d'interpréter et d'appliquer la loi; le rôle du législatif est de prendre des décisions et d'énoncer des politiques; le rôle de l'exécutif est d'administrer et d'appliquer ces politiques.

Le professeur Hogg, que votre comité entendra plus tard aujourd'hui, a décrit en ces mots l'importance de l'indépendance:

L'indépendance des juges par rapport aux autres branches d'un gouvernement est tout particulièrement importante, parce qu'elle fournit l'assurance que l'État sera assujetti au principe de la primauté du droit. Si l'État pouvait compter sur les cours de justice pour ratifier toutes ses actions législatives et exécutives, même si elles ne sont pas autorisées par la loi, l'individu ne serait nullement protégé contre la tyrannie.

Dans un cas en Australie, en 1957, Lord Simonds déclarait ceci au nom du Conseil privé à propos du système fédéral australien, mais je pense que cela s'applique aussi bien à notre régime:

Dans un système fédéral, l'indépendance absolue du judiciaire est le rempart établi dans la Constitution contre l'empiétement du législatif ou de l'exécutif.

La phrase suivante est très importante:

C'est faire disparaître une sauvegarde constitutionnelle fondamentale que de conférer au même organisme un pouvoir exécutif et un pouvoir judiciaire.

À mon avis, c'est ce qui se passe dans le cas du projet de loi sur la clarté. Nous confions aux députés le choix de trancher certaines questions juridiques, alors que ces mêmes députés ont adopté la loi et sont assujettis aux forces dont nous reconnaissons l'existence dans notre régime parlementaire, vu que leurs chefs de parti leur disent comment voter et qu'ils risquent de graves sanctions, y compris la perte possible de leur poste s'ils ne votent pas conformément au désir de leur chef de parti.

On peut prendre un autre exemple, celui de nos jurés. Les jurés sont indépendants. Pouvez-vous imaginer un cas où un juge dirait à un juré qu'il doit déclarer l'accusé coupable sans exercer son propre jugement indépendant? Pouvez-vous imaginer un système où un juré risquerait une amende s'il votait pour acquitter l'accusé au lieu de le déclarer coupable?

J'ai résumé tout cela dans mon mémoire, mais je tiens à le répéter.

Les parlementaires devraient faire uniquement ce qu'ils sont le mieux placés pour faire, soit s'adonner de façon légitime à la politique de parti pour créer de nouvelles lois selon certaines limites constitutionnelles bien précises. Nous ne devrions pas oublier les importantes leçons tirées il y a plus d'un siècle des anciennes lois sur les élections contestées. Autrement dit, les législateurs d'aujourd'hui ne devraient pas pouvoir se nommer eux-mêmes arbitres des lois adoptées par d'autres, surtout lorsqu'ils essaient de juger ces lois en fonction de critères et de procédures juridiques qu'ils ont eux-mêmes créés et adoptés.

Pour toutes ces raisons, les Canadiens ne devraient pas applaudir aux dispositions contenues dans l'article 1 du projet de loi sur la clarté. Ces dispositions devraient les inquiéter parce que, comme le Conseil privé l'a dit dans Liyanage, une affaire importante, si l'on prend une première fois de telles mesures et qu'elles soient maintenues, on pourra faire la même chose constamment, ce qui entraînera l'érosion des protections constitutionnelles.

Je passerai les autres questions en revue plus rapidement. Je pense que c'est à l'article 2 du projet de loi qu'on stipule que la Chambre des communes doit examiner une question posée lors d'un référendum et qu'on jugera que la question n'est pas claire si elle contient telle ou telle chose. À mon avis, on essaie de lier les mains d'une future Chambre des communes ou de la Chambre des communes actuelle. Ce n'est pas une chose que nous faisons normalement. Selon un principe de la common law, le Parlement ne peut pas lier les mains d'un Parlement futur, mais le projet de loi sur la clarté ne tient pas compte de ce principe.

Je cite le doyen Hogg:

Sur le plan politique, la raison fondamentale de cette règle est claire. Si un corps législatif peut s'obliger à ne pas faire quelque chose dans l'avenir, un gouvernement pourrait utiliser sa majorité parlementaire pour empêcher que ses politiques soient modifiées ou écartées dans l'avenir. Ce serait exercer une influence sur un gouvernement élu au cours d'une nouvelle élection, qui aurait à régler de nouvelles questions. En d'autres mots, pendant qu'il est au pouvoir, un gouvernement pourrait empêcher d'avance que soient adoptées dans l'avenir des politiques préconisées par l'opposition.

Soyons tout à fait clairs: Le projet de loi pourrait être modifié par le Parlement actuel ou un Parlement futur. Toutefois, jusqu'à ce que la loi soit modifiée, dans l'hypothèse où le projet de loi est adopté, le Parlement qui suivra celui-ci est lié par la même loi et la même évaluation des questions du référendum sur la sécession. En mettant les choses au pire, si un vote était tenu, les députés pourraient être obligés de voter d'une certaine façon après des élections ultérieures ou même plusieurs. Ce n'est pas ainsi que notre régime fonctionne normalement.

J'ai aussi trouvé le projet de loi très singulier vis-à-vis du Sénat. Pour cette raison, j'ai relu la décision de la Cour suprême du Canada dans l'affaire du renvoi sur la compétence de la Chambre haute. Il m'est apparu clairement qu'en vertu de l'ancien article 91.1 de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, le Parlement ne peut modifier le rôle du Sénat ou de la Chambre des communes qu'en ce qui concerne les questions de gestion interne comme l'âge obligatoire de la retraite, la création de nouveaux sénateurs venant du Nord, et cetera.

En 1982, les formules de modifications constitutionnelles ont conservé, à mon avis, ce pouvoir limité de modification par le Parlement à l'article 44 de la Loi constitutionnelle de 1982, ou la portion de la formule de modification de la Constitution.

Le pouvoir de modifier la Constitution au sujet des pouvoirs essentiels du Sénat se trouve aujourd'hui à l'alinéa 42(1)b), relatif aux pouvoirs législatifs du Sénat et de sa composition. Pour effectuer une modification en vertu de l'alinéa 42(1)b), celui-ci doit être adopté et par le gouvernement fédéral et par les Parlements provinciaux dans une certaine mesure.

Je ne peux pas croire qu'une loi comme le projet de loi sur la clarté portant sur le démantèlement possible du Canada soit une question de gestion interne, autorisant le Parlement à n'invoquer que l'article 44 pour modifier la Constitution relativement au Sénat sans consentement des provinces. Il me semble que le Sénat a un intérêt déterminant pour toute discussion conduisant au démantèlement possible du pays et doit pouvoir jouer en totalité son rôle législatif constitutionnel.

De plus, dans la mesure où j'apprends maintenant que le gouvernement ou d'autres partisans du projet de loi fondent leur appui sur l'article 44, je suis étonné, parce que des assurances ont été données il y a à peine quelques mois selon lesquelles la Loi sur la clarté était valide et ne supposait aucun changement constitutionnel. S'il doit y avoir une modification en vertu de l'article 44, je vous prie de me dire de quoi il s'agit, car cela n'est certainement pas clair dans le texte du projet de loi. N'avons-nous pas le droit qu'on nous dise clairement qu'un article donné de la Constitution est modifié? Le projet de loi ne contient rien de tel. S'il y a des amendements, doit-on simplement deviner de quelles modifications implicites il s'agit? Sommes-nous censés croire qu'une modification implicite d'une constitution écrite comme la nôtre est satisfaisante?

Dans mon mémoire, je traite de l'examen des lois provinciales par le gouvernement fédéral et je fais l'historique des dispositions relatives au report ou au désaveu. Je ne préconise pas de revenir à l'époque du report ou du désaveu. Je préconise l'abolition de ces pouvoirs. Toutefois, je pense qu'il est particulièrement instructif d'examiner ces dispositions car elles contiennent un mécanisme très précis et très clair d'examen des lois provinciales par le gouvernement fédéral et à part les articles de la Constitution restés tels quels depuis 1867, il n'y a aucun autre mécanisme par lequel le gouvernement fédéral peut examiner les lois provinciales.

Je demande donc où se trouve le pouvoir qui permet au Parlement de revoir les questions de référendums provinciaux comme il propose de le faire en passant par la Chambre des communes. Si cela devait se produire, il faudrait chercher dans la Constitution une disposition qui autorise le Parlement à adopter les lois qui lui conviennent pour examiner les lois provinciales. Il est évident que rien dans la Constitution ne le prévoit et qu'aucun membre sensé d'une union fédérale, comme une de nos provinces en 1867 ou aujourd'hui, n'accepterait un mécanisme d'examen aussi vaste par le gouvernement fédéral.

De plus, cette façon de procéder ne serait pas une bonne forme de gouvernement, mais plutôt le contraire, puisque les lois provinciales seraient assujetties aux formes arbitraires de révision du gouvernement fédéral qu'il pourrait se donner.

Il faut se rappeler que l'Acte de l'Amérique du Nord britannique de l867 a été convenu par les parties présentes; quelques années plus tard, le Conseil privé a déclaré ce qui suit:

La façon dont on l'interprète d'année en année ne doit pas faire perdre de vue ou modifier les dispositions du contrat initial qui prévoyait l'établissement de la fédération; il n'est pas juste non plus qu'une interprétation judiciaire des dispositions des articles 91 et 92 impose aux membres de la fédération un contrat nouveau et différent.

La Cour suprême a cité ce passage en l'approuvant dans le renvoi sur la compétence de la Chambre haute lorsqu'elle a exploré la possibilité que le Parlement puisse modifier les dispositions relatives à la composition et au pouvoir législatif du Sénat. Je pense qu'il s'applique tout autant à ce projet de loi, qui propose à mon avis un nouveau mécanisme d'examen des lois provinciales. Cette éventualité n'a tout simplement pas été envisagée au moment de la Confédération; elle n'a pas été acceptée et, à mon avis, est illégale.

Pour ces motifs, j'estime que le projet de loi sur la clarté est invalide et outrepasse les pouvoirs du Parlement.

J'ai suivi le débat au Sénat et au comité. Les échanges ont été vifs au Sénat sur la question de savoir si l'État canadien est divisible. À mon avis, il l'est pour deux raisons. D'abord, la Cour suprême a déclaré qu'il est divisible dans le renvoi sur la sécession. Deuxièmement, à mon avis, cela est conforme à nos traditions de common law où rien ne peut rester inchangé à tout jamais. Conformément à cette tradition, la Constitution ne renferme aucune interdiction contre la division, et les diverses formules de modification n'imposent aucune limitation sur les types de modification possibles.

Toutefois, je sens que certains sénateurs ont du mal à accepter ces principes. Je vous comprends et j'ai une suggestion à vous faire. Je pense que cette difficulté n'est pas vraiment reliée à l'idée de la division mais plutôt à ce projet de loi précis. Le problème surgit parce que le véritable objet de ce projet de loi est la sécession, ou une sécession possible, ou une procédure de sécession d'une province canadienne. Le gouvernement habille ce projet de loi en l'appelant projet de loi sur la clarté alors que le thème sous-jacent est la sécession.

En tant que sénateurs, vous êtes invités à analyser et adopter la première loi dans l'histoire du pays qui traite de la sécession, et je comprends la douleur que cela peut causer à un grand nombre d'entre vous.

De plus, il n'y a pas de règle officielle établissant que le Parlement a la compétence législative pour adopter des lois relatives à la sécession. Le renvoi laisse bien à penser que les tribunaux pourraient adopter une telle loi dans le cadre des limites constitutionnelles normales, mais à ce jour aucune décision officielle n'a été prise montrant que le Parlement dispose bien de ce pouvoir. J'ajouterai que je ne crois pas que le projet de loi sur la clarté s'insère dans les limites constitutionnelles normales et prescrites.

Certains ont dit que ce projet de loi est une victoire législative. Ce n'est pas mon avis. Je trouve déplorable de m'adresser à vous dans le mois du 10e anniversaire de la mort de l'Accord du lac Meech et que le sujet de discussion soit la sécession. Depuis le référendum de 1995, un ensemble croissant de lois sur la sécession ont été préparées au Canada par des universitaires avant et après le renvoi.

Ce mois-ci, le Barreau du Haut-Canada tiendra sa série annuelle de conférences extraordinaires. Il s'agit sans doute du plus prestigieux programme de formation juridique des avocats en Ontario. Pour la première fois en 15 ans, le thème sera le droit constitutionnel. Je vous ai fourni des documents. Un des débats cette année s'intitule: «La sécession du Québec». Cela aurait été inconcevable dans une conférence sur le droit constitutionnel il y a cinq ou dix ans à peine.

Si le projet de loi sur la clarté est adopté, il y aura un renvoi à la cour relativement à la sécession. Un nombre remarquable d'universitaires rédigeront des documents sur le sujet. On vous a remis une liste d'au moins 25 articles qui vont de 1997 environ à aujourd'hui. Une édition spéciale du National Journal of Constitutional Law est consacrée au renvoi à la Cour suprême. Un ouvrage rédigé par un avocat du ministère de la Justice, M. Warren Newman, porte lui aussi sur le renvoi à la Cour suprême Nous sommes en train d'élaborer un cadre d'analyse du droit de la sécession.

Pour moi, cela augure mal pour le Canada. Toutefois, si ce projet de loi est adopté et si la loi est contestée, que ce soit l'un ou l'autre camp qui gagne, il y aura une législation de la sécession encore plus imposante et celle-ci croîtra de façon exponentielle quand les tribunaux canadiens auront tranché une ou plusieurs affaires supplémentaires.

À mon avis, le Sénat a la possibilité de stopper ce processus. Vous pouvez le faire en stoppant le projet de loi sur la clarté au stade actuel. La décision sur le renvoi sert actuellement bien les deux camps, et chacun d'eux peut revendiquer la victoire à un certain degré. Voyons ce que l'avenir nous réserve. Peut-être l'emballement pour le droit de la sécession se calmera-t-il. Si ce projet de loi est adopté, vous pouvez être certains que cela ne se calmera pas. Il prendra de l'ampleur et la sécession risque d'être une prédiction qui se réalisera à force d'en parler.

Dans le débat qui a eu lieu ici, je suis heureux de constater qu'il a été fait mention de l'histoire américaine. Je sais qu'on a fait allusion à l'affaire de Texas c. White. Je pense que nos intérêts seraient beaucoup mieux servis si l'on se souvenait de la décision de 1858 ou 1859 de la Cour suprême des États-Unis dans l'affaire Dred Scott. Il s'agissait d'un esclave qui avait vécu en territoire esclavagiste et avait gagné un État libéré, avait été un homme libre pendant un certain temps puis avait été renvoyé dans un État esclavagiste. La question devant le tribunal était de savoir s'il retrouvait sa condition d'esclave. Le jugement, comme beaucoup d'autres, en ce qui concerne Dred Scott, n'importe pas vraiment.

Le sénateur Cools: Pourriez-vous répéter le nom, s'il vous plaît?

M. Blair: Dred Scott. Je n'ai pas la référence, mais je pourrais vous l'obtenir. Comme je le disais, comme dans tant d'autres affaires, le sort de Dred Scott ne compte pas vraiment. Il a en fait été renvoyé en esclavage. Toutefois, la décision a créé une situation constitutionnelle qui a déclenché la guerre civile. La décision a marqué la fin d'une décennie pendant laquelle d'importants changements juridiques s'étaient produits dans la république américaine. Plus que toute autre décision ou tout autre acte législatif, cette affaire a ouvert la voie à la guerre civile en plaçant le pays dans une camisole de force constitutionnelle sur la question de l'avenir de l'esclavage au moment où les immenses territoires de l'Ouest s'ouvraient à la colonisation, au développement et à l'accession au rang d'État. Les résultats de l'affaire montrent les dangers qui existent lorsque les gouvernements s'en remettent abusivement aux actions législatives et aux jugements des tribunaux pour résoudre leurs différends.

Dans une description de l'affaire Dred Scott, un historien a dit ceci:

Le brio manifesté par le gouvernement fédéral sur les plans législatif, exécutif et judiciaire entre 1850 et 1860 a bouleversé le climat politique de l'Amérique [...] Les ambitions et les passions des deux partis politiques sont donc en réalité responsables de la décision judiciaire qui a secoué le pays d'un bout à l'autre.

À mon avis, le Canada n'a pas encore connu son affaire Dred Scott. En bloquant cette mesure législative aujourd'hui, vous avez la possibilité d'empêcher qu'il y en ait une. Si vous ne la bloquez pas, le cadre d'analyse du droit de la sécession continuera de se développer sous des formes imprévisibles dont il est impossible de prédire les conséquences. L'exemple qui vient immédiatement à l'esprit est celui de l'arrêt Donald Marshall, les émeutes évitées de justesse à Burnt Church au Nouveau-Brunswick et les conséquences éventuelles à l'échelle du pays pour l'exploitation des ressources.

En résumé, je vous encourage à rejeter ce projet de loi. Ne le renvoyez pas à la Chambre des communes. C'est une mauvaise loi. Elle viole la Constitution. Elle accroît l'emballement pour le droit de la sécession ambiante.

Le sénateur Joyal: J'invoque le Règlement. Vous m'excuserez mais je dois me rendre à la réunion du comité des transports qui entend les représentants des gens de l'air du Québec sur le projet de loi C-26. Je m'excuse auprès du témoin et auprès de mes collègues. J'essaierai de revenir aussitôt que cette réunion sera terminée, mais il est possible que malheureusement je doive me contenter d'en lire le compte rendu.

Le sénateur Kinsella: J'ai trouvé fort intéressante votre référence à ce nouveau cadre d'analyse qui semble se développer en matière de droit de la sécession au Canada. J'ai également trouvé intéressant un des documents que vous avez distribués, à savoir le National Journal of Constitutional Law. La page couverture que vous avez distribuée semble donner le nom de plusieurs supporters du gouvernement dans ce domaine en pleine expansion.

Permettez-moi de revenir au projet de loi et en particulier à son article 3 qui parle de la nécessité d'une modification de la Constitution pour autoriser la sécession d'une province. En deuxième lecture, j'ai demandé au parrain de ce projet de loi quelle serait la formule de modification applicable. Il n'a pu répondre à ma question. Lors de la dernière réunion de ce comité, le professeur Joseph Magnet nous a dit que pour lui il ne faisait aucun doute que seule la formule à l'unanimité pouvait s'appliquer à une modification de la Constitution. Convenez-vous avec le professeur Magnet que c'est la seule formule applicable?

Je considère que c'est terriblement important car malgré la somme d'opinions rédigées sur cette question et malgré l'avis de la Cour suprême selon lequel dans son renvoi il y a obligation constitutionnelle de négocier, je ne suis pas convaincu d'une reconnaissance constitutionnelle de la sécession. Conclure à partir d'une reconnaissance d'obligation constitutionnelle de négocier que notre loi constitutionnelle reconnaît le droit à la sécession d'une province, c'est aller un peu vite.

Au cas où je me tromperais et qu'ils auraient raison, et voulant avoir les moyens de défendre l'unité et le caractère indivisible du Canada, j'aimerais qu'on m'explique un peu plus clairement quelle formule de modification s'appliquerait. Pourriez-vous nous dire ce que vous en pensez?

M. Blair: Je ne suis pas spécialiste de la partie V qui concerne les modifications. Cependant, l'article 41 semble être l'article qui traite des modifications par consentement unanime. Ces modifications concernent la charge de la reine, celle du gouverneur général et celle du lieutenant-gouverneur, la représentation à la Chambre des communes, l'usage du français ou de l'anglais, la composition de la Cour suprême et une modification de la présente partie où, je suppose, de la formule de modification elle-même.

À première vue, je ne vois pas que la sécession d'une province relève de l'article 41, à moins bien entendu que quelqu'un dise qu'il faudrait en fait modifier la formule de modification pour permettre à une province de quitter le Canada.

Personnellement je pencherais plutôt pour la procédure normale de modification énoncée, je crois, à l'article 38 de la loi. Tout ce qui ne correspond pas à un genre spécial de modification est considéré comme une modification de procédure normale et c'est l'article 38 qui s'applique. Je ne sais pas vraiment.

Le sénateur Kinsella: Selon l'argument avancé, c'est la charge de reine et de lieutenant-gouverneur d'une province candidate à la sécession qui serait largement affectée. À votre avis, cela ne devrait-il pas lourdement peser en faveur d'une formule à l'unanimité?

M. Blair: Je ne saurais pas vraiment dire, sénateur. Je n'ai pas d'avis dans un sens ou dans l'autre. Encore une fois, il me semble qu'il s'agit des charges particulières de la reine, et du gouverneur général et du lieutenant-gouverneur et non pas de la composition du pays. S'il s'agissait d'abolir la charge de la reine, par exemple, il faudrait l'unanimité. Modifier profondément la charge de Gouverneur général réclamerait l'unanimité. Cependant, le départ d'une province ne semble pas le réclamer.

Le sénateur Kinsella: Vous avez semblé suggérer dans votre exposé qu'une des difficultés que vous posent le projet de loi et le pouvoir d'examen de la question posée par une assemblée législative qu'il conférerait à la Chambre des communes reviendrait à rétablir une procédure de désaveu.

M. Blair: Oui.

Le sénateur Kinsella: Voudriez-vous vous expliquer un petit peu plus?

M. Blair: J'utilise le report et le désaveu comme des exemples en disant que c'était dans la formule agréée, si vous voulez, en 1867, autorisant l'examen par le fédéral des lois provinciales. Il n'y a pas d'autre formule dans la Constitution qui autorise une autre méthode d'examen par le gouvernement fédéral, hormis la contestation juridique que nous reconnaissons comme le moyen légitime d'examiner la législation provinciale ou le contraire.

Pour ce qui m'intéresse, je consulte l'article 91 de la Constitution qui énumère les pouvoirs du Parlement. Parmi toutes les rubriques énumérées à l'article 91, je peux voir qu'il est question des banques, de l'assurance-chômage, du trafic et du commerce, des phares et des bouées, mais je ne vois nulle part que la Chambre des communes ait le pouvoir d'examiner une loi provinciale comme elle propose de le faire dans ce projet de loi. Je ne pense pas que la Cour suprême, en indiquant dans son renvoi que les acteurs politiques avaient un rôle à jouer dans la procédure, entendait un rôle radical au point de laisser juger par la Chambre des communes une loi provinciale valide.

Le sénateur Milne: Monsieur Blair, vous dites que le Canada est divisible. Par conséquent, vous êtes d'accord avec cette partie du renvoi de la Cour suprême. Cependant, vous n'êtes pas d'accord quand la Cour suprême, dans le même renvoi, arrête que ce sont les acteurs politiques, et plus particulièrement les acteurs politiques élus, qui doivent décider si la question ou la majorité sont claires ou non. Pourquoi êtes-vous d'accord avec cette partie de ce renvoi et non avec l'autre?

M. Blair: Sénateur, je crains ne pas être d'accord avec votre interprétation de ce renvoi. Je crois que quoi que dise la Cour suprême à propos du rôle des acteurs politiques, il faut l'interpréter dans le contexte des limites prescrites par la Constitution. Si la Cour suprême avait voulu permettre au Parlement de passer outre aux règles de séparation des pouvoirs, elle l'aurait dit explicitement. Je crois que la Cour suprême dit que les acteurs politiques élus ont un rôle à jouer, mais moi ce que je dis, c'est qu'en choisissant la voie de la Loi de clarification, le gouvernement fédéral se fourvoie complètement.

Le sénateur Milne: Je ne peux pas contester votre argument puisque vous semblez en être totalement convaincu.

M. Blair: Cela va à l'encontre des nombreux arrêts de la Cour suprême qui confirment le principe de la séparation des pouvoirs. Nous ne pouvons supposer que parce que la Cour suprême dit dans son renvoi sur la sécession que les acteurs politiques ont un rôle à jouer, elle implique ce faisant que toute la jurisprudence sur la séparation des pouvoirs est désormais caduque. Il y a de nombreux arrêts qui rappellent que les fonctions judiciaires doivent être remplies uniquement par les tribunaux. Il y a des articles de la Constitution qui le garantissent.

L'autre problème que me pose cette loi est qu'elle demande en fait à la Chambre des communes de remplir une tâche judiciaire. Je suis avocat et on pourrait considérer que je suis partial, mais je ne peux pas y donner une autre interprétation. Je ne suis pas certain qu'un tribunal ne pourrait pas y donner non plus une autre interprétation. De plus, c'est contraire à une tradition séculaire de notre pays. Ce n'est pas ainsi que nous faisons les choses. Je ne peux pas être plus clair.

Le sénateur Milne: Ce n'est pas contraire à l'arrêt de la Cour suprême.

M. Blair: Si. La Cour suprême n'a pas autorisé le genre particulier de loi proposé par M. Dion.

Le sénateur Milne: Madame la présidente, j'abandonne.

Le sénateur Beaudoin: J'ai deux questions à poser. La première concerne l'argument sur la séparation des pouvoirs. La deuxième, bien entendu, concerne la formule de modification. Il est évident que cette question est primordiale car le projet de loi fait référence à une modification constitutionnelle. Nous ne cessons d'oublier qu'après la négociation, même si la question et la majorité sont claires, il faut une modification constitutionnelle. La Cour suprême n'a pas été consultée sur ce point. Le projet de loi C-20 n'en parle pas. Quand j'ai commencé à m'intéresser à cette question j'ai constaté que les juristes étaient divisés. Peter Hogg penche dans un sens et il sera là ce soir. Le professeur Magnet penche dans l'autre sens. Il y a ceux qui balancent entre les deux.

Puisque vous avez abordé la question, permettez-moi de revenir à cette séparation des pouvoirs.

Un témoin en particulier, Claude Ryan, a parlé de la difficulté de certaines formes d'intervention d'un ordre de gouvernement dans les affaires d'un autre ordre de gouvernement. C'est un argument complexe et j'aimerais en savoir plus sur ce sujet. Le projet de loi C-20 utilise le verbe «déterminer». Il dit que c'est la Chambre des communes qui doit déterminer si la question et claire. «Déterminer» est un terme très fort pour une assemblée législative. Normalement c'est un terme utilisé par la branche judiciaire de l'État.

Si je comprends votre argument, vous considérez que c'est une intrusion par un des ordres de gouvernement dans les affaires d'un autre ordre de gouvernement. Pouvez-vous être un peu plus précis? Nous parlons de fédéralisme.

M. Blair: Oui.

Le sénateur Beaudoin: Il y a deux ordres de gouvernement dans ce pays, et chaque ordre de gouvernement, dans sa propre sphère, est l'égale de l'autre. J'aimerais que vous vous expliquiez un peu plus. C'est un peu analogue à ce que nous pourrions appeler une intervention législative ou une intervention judiciaire.

M. Blair: Sur le plan judiciaire, c'est pratiquement analogue à ce qu'on pourrait qualifier d'usurpation de la fonction judiciaire ou de tentative d'usurpation de la fonction judiciaire par le Parlement. Je ne peux pas vraiment l'affirmer, mais je crois que la cour s'intéressera de très près à la procédure proposée ici. Permettez-moi de revenir sur les différentes étapes de la procédure. Dans les 30 jours suivant le dépôt, à l'Assemblée législative de la province, du texte de la question, il doit être examiné par la Chambre des communes et celle-ci, comme vous l'avez dit, doit déterminer si la question est claire ou non. Pour aider le Parlement ou la Chambre des communes à déterminer, le projet de loi énumère différents critères au paragraphe (4) de l'article 1. En fait, selon moi, il impose des critères obligatoires s'appliquant à certains types de questions référendaires.

Selon moi, il suffit de remplacer «Chambre des communes» par «tribunal» pour que cela ressemble très fort au genre de lois que le Parlement adopte quotidiennement quand il veut que ces lois s'appliquent à toute la population et à toutes les entreprises du pays.

J'estime que c'est une usurpation de la fonction judiciaire. Comme je l'ai dit, je ne vois pas de précédent et une lecture des lois fédérales vous montrera qu'il n'existe rien qui ressemble à ce projet de loi.

J'ai parlé trop longtemps et j'ai oublié la deuxième partie de votre question.

Le sénateur Beaudoin: Vous dites que c'est de la nature d'une intervention dans la sphère législative d'un autre gouvernement avant que la loi ne soit adoptée par le premier ordre de gouvernement. Très peu de témoins ont soulevé ce problème. En fait, le seul dont je puisse me souvenir est M. Ryan. Bien sûr, l'autorité provinciale peut n'y prêter aucune attention, mais le fait est qu'un ordre de gouvernement détermine qu'une loi qui en est à une étape quelconque de la procédure dans une assemblée législative, n'est pas claire. Généralement nous laissons cela aux tribunaux mais, dans ce cas, nous le laisserons à un autre ordre de gouvernement. Je mets de côté le désaveu. Ce n'est pas un désaveu. Le pouvoir de désaveu n'a pas été utilisé depuis 47 ans. Même Bora Laskin l'a déclaré comateux si ce n'est déjà défunt. Ce pouvoir ne pourra être ressuscité mais en théorie il continue d'exister.

Est-ce une intervention illégale?

M. Blair: Oui. Pour ce qui est du pouvoir de désaveu, je suis d'accord, il est défunt, il est en coma prolongé, comme vous voudrez, mais il reste instructif car c'est la méthode agréée pour l'examen fédéral d'une loi provinciale. Le projet de loi de clarification propose quelque chose de nouveau. Je ne trouve pas de soutien constitutionnel à cette procédure nouvelle d'examen. Vous dites que nous avons deux sphères parlementaires. Elles sont égales. Je crois que quand une sphère ou une assemblée législative commence à entrer dans le domaine d'une autre assemblée législative et juge le travail qu'elle fait, c'est quelque chose que nous ne faisons pas et à mon avis ça ne se fait pas.

Le sénateur Beaudoin: C'est très important. La cour rend souvent des arrêts sur la question de la séparation des pouvoirs. Ce qui est moins connu c'est la séparation de ces trois pouvoirs: le législatif, l'exécutif et le judiciaire. Selon votre argument, dans ce cas, concernant cette partie du projet de loi, vous critiquez le fait que la branche législative assume une partie du rôle de la branche judiciaire.

M. Blair: Exactement. Vous avez tout à fait raison. La séparation des pouvoirs est avec nous depuis la Confédération. La séparation des pouvoirs qui énonce le rôle des trois branches du gouvernement -- l'exécutif, le législatif et le judiciaire -- a toujours été avec nous mais n'est vraiment pris au sérieux par nos tribunaux que depuis, disons, une vingtaine d'années. C'était un caractère relativement oublié de notre Constitution, mais il fait l'objet de nombreuses interprétations depuis une vingtaine d'années, ce qui montre bien qu'il a repris du poil de la bête.

La présidente: Avant de passer à l'intervenant suivant, pour clarifier les choses et aussi peut-être pour la gouverne de nos téléspectateurs qui n'ont peut-être pas dans leur salon une copie du renvoi de la Cour suprême, le passage sur lequel le sénateur Milne fondait sa question était le paragraphe 100, qui dit en partie:

La cour n'a aucun rôle de surveillance à jouer sur les aspects politiques des négociations constitutionnelles. De même, l'incitation initiale à la négociation, à savoir une majorité claire en faveur de la sécession en réponse à une question claire, n'est assujettie qu'à une évaluation d'ordre politique, et ce à juste titre.

Et, plus loin:

Seuls les acteurs politiques auraient l'information et l'expertise pour juger du moment où ces ambiguïtés seraient résolues dans un sens ou dans l'autre, ainsi que des circonstances dans lesquelles elles le seraient.

Je ne vous demande pas de commentaire, monsieur Blair. Votre position est claire.

M. Blair: Concernant la majorité ou la question?

La présidente: Les deux: une majorité claire en réponse à une question claire.

Le sénateur Kroft: Je suis envahi d'un sentiment de sérieux car je vois que le nom de mon professeur de droit constitutionnel est cité parmi les auteurs dans cette revue et je suppose donc que quelqu'un est en train de me surveiller. Je peux vous assurer que si jamais quelqu'un a eu la tentation d'être un supporter du gouvernement, ce n'était pas lui. Par lui, bien entendu, je veux dire le professeur Dale Gibson.

Je vais continuer à vous poser des questions sur ce sujet car, comme mon collègue, le sénateur Beaudoin l'a mentionné, le point que vous soulevez ne l'a été par personne à l'exception, semble-t-il, de M. Ryan. Revenons aux problèmes fondamentaux comme je les vois. Il y en a deux. L'opportunité de la délégation, si l'on veut, de ce rôle à la Chambre des communes et la question de l'ingérence dans les affaires provinciales.

Je voudrais aborder ces deux questions car elles coïncident et des témoins précédents nous ont présenté des arguments très convaincants à ce sujet. Je voudrais savoir pourquoi je suis dans l'erreur, si vous avez raison.

Premièrement, pour ce qui est de l'intervention dans un champ de compétence provincial, la position du gouvernement fédéral est très claire. C'est une position que la plupart de nos témoins-experts et moi-même avons acceptée. C'est que ce projet de loi se contente d'établir certaines règles quant à la façon dont le gouvernement fédéral réagirait dans certaines circonstances. Selon moi, il n'empiète aucunement sur la législation provinciale ou la capacité du gouvernement provincial d'agir aux termes de sa législation. Par conséquent, où est cette ingérence? Je ne pense pas que le gouvernement fédéral cherche à faire autre chose que d'établir des lignes directrices régissant sa propre conduite.

Deuxièmement, plusieurs témoins nous ont dit -- et c'est ce qu'on nous a présenté comme la position du gouvernement -- que le gouvernement fédéral a déjà le pouvoir d'entamer ces négociations, s'il le juge bon. M. Monahan a laissé entendre qu'il pouvait choisir la Chambre des communes, comme il l'a fait, ou le Sénat, ou les deux Chambres du Parlement ou encore un tout autre groupe. Le sénateur Grafstein a soulevé cette question. Il a seulement fait un choix quant à l'entité qu'il consulterait pour exercer un jugement quant à la façon de répondre à la législation provinciale.

Voilà comment je comprends les deux éléments. Je ne vois toujours pas pourquoi vous parlez d'ingérence car je ne vois aucune ingérence dans le champ de compétence de la province étant donné que le gouvernement fédéral décide seulement de la façon dont il réagira. Il a le droit de consulter qui il veut quand il veut, ou personne, quant à la clarté de la question.

M. Blair: Pour ce qui est de l'ingérence du gouvernement fédéral, si vous parlez d'une province qui propose, en principe de bonne foi, une question référendaire sur la sécession, elle doit pouvoir s'attendre à ce que cette question référendaire soit jugée équitablement par le gouvernement fédéral. Ma principale objection au projet de loi sur la clarté est qu'en soumettant cette question à la Chambre des communes, comme cette dernière aura établi elle-même ses lignes directrices pour juger la question, comme les députés sont soumis à la discipline du parti, le processus d'examen ne peut pas être équitable.

Le sénateur Kroft: Quelle est l'ingérence dans le champ de compétence provincial dont a parlé le sénateur Beaudoin?

M. Blair: Vous soumettez une loi provinciale à un examen au niveau fédéral.

Le sénateur Kroft: J'estime que non. Le gouvernement fédéral se contente de discuter, avec ceux avec qui il décide de discuter, de la conduite qu'il adoptera à la suite de cette décision référendaire. Il ne demande pas au gouvernement provincial de faire certaines choses. Vous ne m'avez pas encore démontré qu'il y a une ingérence dans un champ de compétence provincial.

M. Blair: Je considère que c'est une ingérence. Je vois cela comme une intervention non autorisée. Ce n'est pas le genre de chose que nous avons l'habitude de faire au Canada et selon moi, l'arrêt de la Cour suprême n'autorise aucunement le gouvernement à procéder comme il propose de le faire. C'est ce que j'appelle de l'ingérence.

Le sénateur Kroft: Je vois tout ce que vous avez énuméré dans une optique diamétralement opposée et je ne pense pas avoir progressé le moins du monde, comme mon collègue.

Mon autre question porte sur le recours jugé inapproprié à la Chambre des communes pour guider le gouvernement.

M. Blair: Comme tribunal, en fait.

Le sénateur Kroft: Lorsque vos collègues disent que le gouvernement peut se tourner vers qui il veut ou vers des personnes pour l'aider à décider de négocier ou non, vous rejetez totalement cette position?

M. Blair: Encore une fois, je considère que le processus proposé dans le projet de loi sur la clarté est un véritable affront à notre démocratie.

Le sénateur Kroft: Je pourrais peut-être vous poser une question précise. Selon vous, le gouvernement fédéral aurait-il le droit, s'il n'avait pas présenté ce projet de loi...

M. Blair: C'était votre autre question.

Le sénateur Kroft: Oui, tout le reste en découle.

Aurait-il le droit de décider lui-même d'entamer des négociations sur cette base avec le gouvernement provincial?

M. Blair: Je pense que oui.

Le sénateur Kroft: Comment ce droit peut-il être diminué du fait qu'il décide de consulter la Chambre des communes ou quelqu'un d'autre alors qu'il a le pouvoir de décider sans consulter qui que ce soit?

M. Blair: C'est parce qu'il demande à la Chambre des communes de juger de la clarté de la question référendaire et que la méthode qu'il a choisie est de charger la Chambre des communes d'établir les critères dans une résolution. Dans notre système, nous n'avons pas pour habitude de demander aux législateurs de juger leurs propres lois. C'est le problème que pose ce projet de loi.

Le sénateur Murray: Aucun porte-parole du gouvernement n'a dit que ce projet de loi modifiait l'article 44. M. Monahan a dit que c'était le cas et d'autres témoins l'ont peut-être affirmé aussi. Quand nous reverrons M. Dion, nous aurons l'occasion de lui poser de nouveau la question.

Le sénateur Grafstein: M. Monahan a dit que c'était l'article 44 ou une autre disposition.

Le sénateur Murray: M. Blair estime que ce projet de loi modifie l'article 44.

M. Blair: Non, non.

Le sénateur Murray: Non? Quelle disposition alors? Est-ce celle qui concerne la paix, l'ordre et le bon gouvernement? Quelle est-elle?

M. Blair: De quel amendement parlez-vous?

Le sénateur Murray: Vous êtes allé jusqu'à dire que cela modifiait les pouvoirs du Sénat et qu'il faudrait donc l'accord de cette province représentant 50 p. 100 de la population.

M. Blair: Oui, l'alinéa 41(1)b).

Le sénateur Murray: Si ce n'est pas cela, s'agit-il d'un amendement à l'article 44 ou est-ce une loi au nom de la paix, de l'ordre et du bon gouvernement?

M. Blair: Parlez-vous des pouvoirs du Sénat ou du rôle du Sénat?

Le sénateur Murray: Je parle du projet de loi.

M. Blair: Vous ne pouvez pas modifier la Constitution selon le principe de la paix, de l'ordre et du bon gouvernement.

Le sénateur Murray: Dans ce cas, c'est un amendement à la Constitution?

M. Blair: Oui, si vous reconnaissez que cette mesure porte atteinte au partage des pouvoirs, qu'elle représente un nouveau processus d'examen pour les lois provinciales et qu'elle empiète sur le rôle du Sénat. Plusieurs principes constitutionnels sont alors remis en question et il faudra tous les modifier pour que cette loi puisse être appliquée.

Le sénateur Murray: Bien entendu, le gouvernement affirme que ce n'est absolument pas un amendement à la Constitution.

M. Blair: Je ne suis pas d'accord.

Le sénateur Murray: Vous semblez aimer l'avis de la Cour suprême. C'est l'impression qui se dégage de votre mémoire. Je ne sais pas comment interpréter votre toute dernière phrase où vous dites:

L'exemple qui vient immédiatement à l'esprit de celui de l'arrêt Donald Marshall, les émeutes évitées de justesse à Burnt Church au Nouveau-Brunswick et les conséquences éventuelles à l'échelle du pays pour l'exploitation des ressources.

Ces événements n'ont pas découlé d'une décision de la Chambre des communes ou du Sénat, mais plutôt d'une interprétation plutôt généreuse que la Cour suprême a faite de l'article 35 de la Charte.

M. Blair: Je dis que si nous poursuivons dans cette voie et si nous légiférons au sujet de la sécession, si le projet de loi sur la clarté est adopté et contesté devant les tribunaux, jusqu'à la Cour suprême du Canada, cela nous donnera de nombreux arrêts des tribunaux dont nous ne savons quels seront les résultats. Nous pourrions nous retrouver avec une situation comme celle de Donald Marshall et de Burnt Church.

Le sénateur Murray: Que pensez-vous des nouvelles obligations que le tribunal nous impose, concernant la procédure de modification, notamment, et de l'obligation constitutionnelle de négocier si l'un des partenaires propose une modification constitutionnelle? Qu'en pensez-vous?

M. Blair: Vous voulez dire si le référendum l'emporte?

Le sénateur Murray: Non, non.

M. Blair: Excusez-moi, je ne vous suis plus.

Le sénateur Murray: On a dit que l'initiative légitime d'un des partenaires de modifier la Constitution entraîne l'obligation pour les autres partenaires de venir à la table et de négocier.

M. Blair: Qui a dit ça?

Le sénateur Murray: La Cour suprême du Canada.

M. Blair: Dans quoi?

Le sénateur Murray: Dans l'avis consultatif. J'ai déjà soulevé cette question. Nous sommes quelques-uns à avoir voté sur la formule de modification en 1981. Si nous avions eu l'intention d'imposer une obligation constitutionnelle de ce genre dans la procédure de modification, nous l'aurions fait. Je n'arrive pas à comprendre que la cour décrète qu'il y a «une obligation constitutionnelle contraignante». Je me demandais ce que vous en pensiez.

M. Blair: Parlez-vous de l'obligation de négocier?

Le sénateur Murray: Oui.

M. Blair: Je ne sais pas d'où cela vient, mais c'est là dans la décision.

Le sénateur Murray: Est-ce maintenant la loi? Pensez-vous que ce soit une bonne chose? Ou est-ce simplement dans l'avis consultatif?

M. Blair: Je ne pratique plus le droit, et cela ne me manque pas.

Le sénateur Murray: Vous ne vous présentez plus devant la Cour suprême du Canada.

M. Blair: Je ne me présente plus devant la Cour suprême du Canada, mais je n'aimerais pas du tout devoir le faire et faire valoir que la décision de la cour n'est pas légale.

La présidente: D'un point de vue pratique. Sénateur Kenny.

Le sénateur Cools: Sur ce point très intéressant, qui était...

La présidente: Sénateur Cools, votre nom est sur la liste. Avez-vous une question, sénateur Kenny?

Le sénateur Cools: J'invoque le Règlement pour le faire.

La présidente: Impossible. Sénateur Kenny.

Le sénateur Cools: Vous ne pouvez pas m'ignorer.

La présidente: Sénateur Kenny.

Le sénateur Cools: Madame la présidente, je vous en prie, je veux invoquer le Règlement. Il a soulevé quelque chose d'extrêmement important.

La présidente: Votre tour viendra, sénateur Cools.

Le sénateur Cools: J'invoque le Règlement.

La présidente: Non, sénateur Cools.

Le sénateur Cools: Il a dit que comme avocat, il ne pouvait pas contredire leur opinion ici et aller plaider devant la Cour suprême du Canada. C'est extrêmement important.

La présidente: Merci, sénateur Cools. Sénateur Kenny.

M. Blair: J'aimerais ajouter que personnellement...

La présidente: Monsieur Blair, c'est au sénateur Kenny de poser une question.

Le sénateur Cools: Vous avez soulevé un point de déontologie. Il s'agit d'un tribunal...

La présidente: Sénateur Kenny.

Le sénateur kenny: Ça va à tout le monde?

Le sénateur Grafstein: Si c'est ce que veut la présidente, cela me convient.

Le sénateur Kenny: Monsieur Blair, au cours de votre témoignage, vous avez déploré le fait que l'on est en train de rassembler toute une somme de documents sur le droit relatif aux sécessions. Personne autour de cette table, à mon avis, ne souhaite assister au démembrement du Canada, mais vous avez mentionné, je pense, que le Canada est divisible.

M. Blair: Oui.

Le sénateur Kenny: Il est tout à fait raisonnable de supposer que tous les pays, à un moment ou à un autre, vont évoluer d'une façon ou d'une autre.

Si un nombre important de Canadiens souhaitent se séparer, ne vaudrait-il pas mieux qu'il y ait des règles à cette fin? Ne serait-il pas sensé de mettre ces règles en place à l'avance, dans le calme, avant qu'on ne commence à se lancer des briques dans la rue?

M. Blair: Ce que vous dites, sénateur, est assez sensé. Je crains toutefois que lorsque nous tenterons de mettre ces règles en place, elles risquent de faire l'objet de contestations devant les tribunaux et d'avoir des résultats qu'on ne saurait prévoir. Si nous pouvions être assurés que nous pourrons mettre ces règles en place, qu'elles ne seront pas contestées et qu'elles s'empoussiéreront pendant 50 ans encore, ce serait parfait.

Quant au projet de loi, je suis d'avis qu'il est si mal conçu qu'il sera certainement contesté devant les tribunaux et pourrait ouvrir la porte à des arrêts négatifs.

Le sénateur Kenny: Si je vous ai bien compris, vous reconnaissez qu'il est souhaitable de mettre en place des règles d'avance, d'une façon calme et ordonnée, mais vous n'aimez pas la façon dont le gouvernement s'y est pris dans ce cas-ci.

M. Blair: En principe, oui. Cela dit, je précise dans mon mémoire que l'arrêt récent de la Cour suprême sert bien les intérêts du pays. Il sert bien les intérêts des deux camps. Je ne suis pas convaincu qu'il faille aller plus loin. C'est mon avis personnel. D'autres ne le partagent peut-être pas.

Le sénateur Kenny: Ce que je crains c'est qu'en l'absence de règles, nous risquons de voir une clique inventer les règles au fur et à mesure. Ce serait désastreux pour le pays. Les choses ne se dérouleraient pas de façon ordonnée ou pacifique et ce ne serait pas du tout ce à quoi nous sommes habitués.

M. Blair: Personne ne sait ce qui nous attendrait le lendemain d'un vote majoritaire en faveur de la sécession d'une province. Ce serait le monde à l'envers et je ne suis pas convaincu que nous puissions élaborer suffisamment de règles en prévision d'une telle situation.

Le sénateur Kenny: C'est préférable de laisser faire et d'avancer à l'aveuglette.

M. Blair: Je ne suis qu'avocat. Je ne crois pas pouvoir prédire avec certitude ce que nous réserve l'avenir. Les lois que nous adoptons aujourd'hui pourraient bien nous servir à l'avenir, mais elles pourraient aussi nous entraver. Je ne sais pas.

Le sénateur Kenny: Vous avez cité le doyen Hogg dans votre exposé. Il doit comparaître ce soir. Il aurait dit, quand il a comparu devant le comité de la Chambre des communes, le 22 février, que le projet de loi sur la clarté respecte le droit constitutionnel canadien et particulièrement l'arrêt de la Cour suprême du Canada sur la sécession. Est-ce que cela fait problème pour vous?

M. Blair: Oui. Je ne sais pas...

Le sénateur Kenny: Vous acceptez qu'il l'ait dit ou que...

M. Blair: Non, j'accepte qu'il ait pu le dire, mais j'imagine mal qu'il ait pu se prononcer sur ces questions touchant au partage des pouvoirs qui, à mon sens, constituent la principale faiblesse de ce projet de loi. Tant qu'il n'aura pas fait une analyse sérieuse de ces questions, comme je l'ai fait, et rendu sa décision, je suis forcé de dire que je ne partage pas son avis.

Le sénateur Kenny: Quand il comparaîtra ce soir, quelles questions aimeriez-vous que nous lui posions pour obtenir des éclaircissements?

M. Blair: Vous pourriez lui remettre mon document, lui demander de le lire et lui demander ensuite ce qu'il en pense.

Le sénateur Grafstein: Mauvaise question, sénateur Kenny. Réessayez.

Le sénateur Bolduc: Il y a dans le projet de loi un paragraphe du préambule qui se lit comme suit:

Attendu que la Cour suprême du Canada a déclaré que les résultats d'un référendum sur la sécession d'une province du Canada ne sauraient être considérés comme l'expression d'une volonté démocratique créant l'obligation d'engager des négociations pouvant mener à la sécession que s'ils sont dénués de toute ambiguïté en ce qui concerne tant la question posée que l'appui reçu;

Je sais que le sénateur Murray a déjà posé une question là-dessus. J'aimerais que vous commentiez, en tant qu'avocat, cette obligation d'engager des négociations. Croyez-vous qu'il est normal, sage, approprié, que la Cour suprême ait dit pareille chose, ou croyez-vous qu'il y a là un peu d'activisme judiciaire? Qu'en pensez-vous?

M. Blair: Je pense qu'il y a de l'activisme judiciaire. C'est un peu comme dans la négociation collective où un syndicat, ayant obtenu l'agrément avec un nombre minimal d'adhérents, se présente au bureau de la direction et dit: «Nous voulons maintenant négocier une première convention collective.» C'est un pas de géant de passer du modèle de la négociation collective à...

Le sénateur Bolduc: Eh bien, c'est exactement cela. C'est ainsi que les choses se passent à Québec depuis 25 ans. J'y ai été associé, et je le sais.

M. Blair: C'est la seule situation pour laquelle je puisse tirer des conclusions.

Le sénateur Bolduc: Autrement dit, tenez un référendum dans les règles et vous obtiendrez les négociations. Est-ce la bonne interprétation?

M. Blair: Le projet de loi ne dit pas que les négociations aboutiront.

Le sénateur Taylor: J'en conclus que ce projet de loi ne vous plaît guère. Si autant de doutes persistent, pourquoi le Sénat ne ferait-il pas, par excès de prudence, ce qu'on a fait au Nouveau-Brunswick dans l'affaire Donald Marshall où la province a demandé des éclaircissements au sujet des décisions antérieures des tribunaux. Je dis cela étant donné que le projet de loi ne prévoit aucun rôle pour le Sénat. Il y a toute la question des acteurs politiques par opposition aux représentants élus, de l'empiétement sur les droits des provinces, comme vous l'avez dit. Croyez-vous que le Sénat serait sage de demander à la Cour suprême d'apporter des éclaircissements comme on l'a fait dans l'affaire Donald Marshall?

M. Blair: Si nous connaissions les résultats à l'avance, alors nous pourrions déterminer s'il est opportun de faire un deuxième renvoi pour éclaircissement. Je craindrais que la décision n'enflamme les passions des uns et des autres. Je crains ce que pourrait dire une telle décision et les effets qu'elle aurait.

En outre, si on renvoie la question à la Cour suprême du Canada, cela enrichit le droit relatif aux sécessions.

Le sénateur Taylor: Nous sommes déchirés. Cela m'amène à ma deuxième question. N'étant pas avocat, je ne comprends pas tout à fait. Quel motif justifierait une contestation? Vous dites qu'il y aura contestation devant la Cour suprême. Un simple citoyen pourrait contester la loi dès que le projet de loi C-20 aura reçu la sanction royale? Je maîtrise mal le droit. Faudra-t-il attendre la tenue d'un référendum? Comment peut-on contester la légalité de ce projet de loi?

M. Blair: La plupart des provinces ont des lois qui les autorisent à demander l'avis juridique des cours d'appel par renvoi. Une province pourrait contester le projet de loi au moyen d'un renvoi à sa cour d'appel, par exemple. Elle pourrait aussi intenter une poursuite contre le gouvernement fédéral et demander que le projet de loi soit déclaré nul et non avenu.

Si un gouvernement provincial devait intenter une poursuite contre le gouvernement fédéral, je crois que l'affaire serait entendue en première instance. Elle serait entendue par un juge seul. Si la province pouvait choisir plutôt d'agir par renvoi, elle pourrait s'adresser directement à la Cour d'appel en évitant le procès en première instance.

Le sénateur Taylor: L'Alberta, par exemple, pourrait-elle intenter une poursuite sous prétexte que le Sénat a été exclu de sorte que le principe de la représentation régionale est bafouée?

M. Blair: Oui. Il existe des règles sur le «droit d'ester». À l'heure actuelle, je ne sais pas au juste quelles sont les règles quant au droit d'ester, qui préciserait qui peut contester une loi fédérale. Je ne saurais vous dire si n'importe quel citoyen pourrait intenter une poursuite sous prétexte que ses droits sont bafoués d'une façon ou d'une autre. C'est possible.

Le sénateur Cools: J'aimerais remercier notre témoin d'être venu aujourd'hui. J'aimerais aussi signaler aux sénateurs que le père du témoin, assis très fièrement dans la tribune, est un ancien député. Il a aussi été juge d'une Cour supérieure.

Vous avez soulevé quelques questions dont la plus importante est celle qui a retenu l'attention du sénateur Kroft. C'est un peu malheureux qu'il n'ait pas poussé son raisonnement jusqu'au bout.

Vous avez dit en plaisantant, mais j'ai pris cela très au sérieux, que même si vous étiez en désaccord avec l'avis juridique donné par la Cour suprême du Canada, vous n'iriez pas plaider devant elle. J'ai pris cela très au sérieux et d'ailleurs, de nombreux avocats m'ont déjà dit la même chose. Même dans le cas de ce projet de loi-ci, ils ne tiennent pas à venir prendre position devant le comité sénatorial parce que, selon eux, ils vont devoir eux-mêmes aller plaider devant ces mêmes juges et ils n'ont donc pas intérêt à prendre position ici.

C'est ce que j'avais voulu faire valoir avant que la présidente ne me coupe la parole. Je pense que c'est là quelque chose de très important et que le sénateur Kinsella a d'ailleurs soumis à notre comité des règles.

Il y a une autre question incidente qui en découle sans nécessairement en être la conséquence. On entend souvent dire qu'en règle générale, ce sont les gouvernements qui sont les clients des constitutionnalistes et qu'en règle générale aussi, ces derniers sont d'une façon ou d'une autre à la solde des gouvernements, comme en attestent d'ailleurs leurs opinions. Je pense que c'est quelque chose que nous devrions peut-être faire valoir avec insistance. Chaque fois que nous nous sommes réunis pour discuter de questions comme celle-là, l'Accord de lac Meech ou l' Entente de Charlottetown par exemple, c'est un argument qui est revenu régulièrement. Ce que nous semblons découvrir ainsi, c'est que les avocats de droit constitutionnel conduisent le gouvernement là où il veut aller. Comme vous l'avez dit vous-même, c'est un domaine du droit qui a connu une croissance assez soudaine, assez mystérieuse, assez rapide aussi, et cela sans fondement juridique, sans aucun fondement juridique. D'ailleurs, puisque vous avez vous-même cité l'affaire Dred Scott, je pourrais me hasarder à affirmer que ce domaine du droit a véritablement enflé comme la grenouille de la fable.

Cela étant, je voudrais maintenant revenir à la question très importante que vous avez posée, c'est-à-dire la différence d'opinion entre la Chambre des communes et l'Assemblée législative du Québec. Cette dernière se plaît à s'appeler l'Assemblée nationale, mais je préfère pour ma part l'appellation constitutionnelle juste qui est l'Assemblée législative du Québec. Il y aurait donc une divergence d'opinion au sujet de la nature même de la clarté. Je pense que cette question que vous avez abordée est extrêmement importante. Peu d'autres témoins en ont parlé avant vous. Il n'empêche que j'attendais impatiemment, j'espérais même, que certains témoins en parlent.

S'agissant d'une désaccord entre l'opinion de la Chambre des communes et celle de l'Assemblée nationale, ce qui est tout à fait vraisemblable à mon sens, la question deviendrait donc celle-ci: de quelle façon l'opinion de la Chambre des communes pourrait-elle être mise à exécution? Outre cela, la véritable question qui se pose est celle-ci: comment la Chambre des communes exprimera-t-elle son mécontentement à l'endroit de l'Assemblée nationale ou plutôt de l'Assemblée législative du Québec?

Ainsi, une telle motion, la résolution concernant la clarté référendaire, pourrait être proposée par un ministre. Que ferait le ministre et que ferait la Chambre? Le ministre ou les Communes demanderaient-ils au président de la Chambre, par voie de motion, d'émettre un mandat d'arrestation contre M. Bouchard? Comment exprimer clairement et affirmer cette divergence d'opinion en transcendant la question du pouvoir qui serait donné au gouvernement de négocier une sécession? Voilà le genre de questions auxquelles les gens craignent de répondre étant donné qu'il y a deux domaines du droit qui sont parfaitement négligés alors même que le gouvernement ne se prive pas d'en faire usage. Le premier de ces domaines est le droit de la prérogative et le second, le droit du Parlement. Ce sont probablement les deux domaines du droit qui ont été les plus négligés par les chercheurs.

Pourriez-vous donc remonter un peu en arrière, revenir à votre question et me dire comment pourraient se concrétiser cette divergence d'opinion avec la Chambre des communes ainsi que le mécontentement de cette dernière?

M. Blair: Si j'ai bien compris la position du gouvernement, les Communes se prononceront sur la question référendaire, après quoi un ministre proposera une résolution disant: «Nous approuvons la question» ou «Nous n'approuvons pas la question», résolution qui sera mise aux voix et adoptée. Quant à la suite, je n'en sais trop rien.

Le sénateur Cools: C'est-à-dire que vous ne savez pas si, advenant l'adoption de la résolution, le gouvernement pourrait tenir.

M. Blair: En effet.

Le sénateur Cools: Si la résolution du gouvernement est rejetée, il se pourrait qu'on demande la démission du gouvernement. Personne n'en a encore parlé. Voici ce que je disais l'autre jour au ministre Dion: Supposons que la motion du gouvernement soit rejetée, et que le Sénat propose rapidement une motion de censure à l'endroit du ministre dont la motion a été rejetée par la Chambre, le gouvernement tomberait, ne vous y trompez pas, et il y aurait des élections.

Par contre, pour en revenir à ma question, je voulais parler de l'attitude des Communes qui, par voie de résolution, auraient ainsi condamné le premier ministre du Québec. Que ferait la Chambre des communes à l'endroit de ce dernier?

M. Blair: Je ne pense pas que le projet de loi prévoit autre chose que l'adoption d'une résolution en désaveu de la question. Si j'ai bien compris, le gouvernement est toujours parti du principe que, même si la question n'était pas approuvée par les Communes, la province aurait néanmoins tout loisir de conduire son référendum et d'utiliser cette question.

Ce qui sera intéressant, c'est de voir ce que fera le gouvernement fédéral pendant la campagne référendaire. Va-t-il rester sur la touche sans rien faire ou va-t-il activement participer au processus même s'il doit affirmer au bout du compte qu'un vote affirmatif n'ouvrirait pas les portes de la salle des négociations? J'ignore ce qui se passera.

Le sénateur Cools: C'est ce genre de questions et l'impossibilité qu'il y a d'obtenir des réponses, qui font qu'il s'agit essentiellement d'un problème politique.

Ma question suivante concerne le fondement juridique du projet de loi C-20. Vous n'avez pas mâché vos mots dans votre exposé liminaire. Vous avez dit que ce projet de loi mettait en exergue la clarté mais qu'il reposait sur la notion de sécession.

M. Blair: Oui.

Le sénateur Cools: Je suis d'accord avec vous. Rien dans ce projet de loi ne rend les choses plus claires. Ce texte tente de donner un fondement légal à la sécession. J'ai essayé de trouver une référence constitutionnelle ou légale que le gouvernement pourrait invoquer pour justifier ce projet de loi parce que je n'ai trouvé aucun précédent en droit. Tout cela est très intéressant. L'avis consultatif de la Cour suprême du Canada parle d'abandon de la loi. La Cour suprême dit que la législation est trompeuse et donc qu'on ne saurait s'y fier. Voilà qui est absolument époustouflant et extraordinaire. Un tribunal qui vient dire qu'on ne peut se fier à la loi pour prendre une décision.

Le sénateur Kroft: Pouvez-vous nous donner le numéro du paragraphe?

Le sénateur Cools: Certainement, je puis même vous le lire si vous le souhaitez.

La présidente: Pendant que vous cherchez cela, M. Blair pourrait peut-être répondre à votre question.

Le sénateur Cools: J'ai posé la même question au ministre et il n'a pas été capable de répondre. Quel titre de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique permet au gouvernement de soumettre le projet C-20 au Parlement du Canada?

M. Blair: J'en parle précisément à la page 17 de mon texte. Pour être parfaitement clair, il lui faut commencer par dire qu'on ne trouve aucun pouvoir de ce genre à l'article 91. Nous parlons, et il faut le répéter, de banques, de commerces, de bouées et de phares. Ni la clarté, ni la sécession ne s'inscrivent dans une de ces catégories.

La question est donc de savoir si, puisque la Constitution ne traite pas expressément de la sécession, nous pouvons invoquer la paix, l'ordre et le bon gouvernement pour justifier l'adoption d'une loi par le Parlement dans ce domaine. Comme je l'ai indiqué dans mon allocution, la cour n'a pas répondu à cette question.

Si vous lisez la décision de la Cour suprême, vous verrez qu'elle semble inviter les différents paliers de gouvernement à participer au processus, mais elle n'indique pas clairement que le pouvoir législatif permettant d'adopter un projet de loi comme celui-ci relève de l'article sur la paix, l'ordre et le bon gouvernement. C'est l'argument qu'on pourrait invoquer à la prochaine audience judiciaire, lorsqu'on examinera ce projet de loi. C'est une question préliminaire à laquelle nous n'avons pas encore de réponse officielle.

Le sénateur Cools: Vous avez raison, et je crois que c'était un peu l'intention du législateur.

Le sénateur Grafstein: Je voudrais aussi vous féliciter d'être venu nous présenter ce document à titre personnel. Votre mémoire a une portée considérable et est très direct. Manifestement, vous avez hérité des talents de votre père, que je connais depuis le jour où je suis entré en politique. Je vois qu'il est ici et je suis heureux de pouvoir louer vos efforts en sa présence.

Cela dit, j'aimerais analyser votre mémoire avec vous, si vous me le permettez. J'aimerais commencer par un joli extrait de l'arrêt de la Cour suprême du Canada.

Au paragraphe 26, la cour déclare:

[...] la cour doit veiller surtout à conserver le rôle qui lui revient dans le cadre constitutionnel dans notre forme démocratique de gouvernement.

Ainsi, un tribunal dont les juges sont nommés, le plus haut tribunal du pays, déclare qu'il doit surtout veiller à conserver le rôle qui lui revient dans le cadre constitutionnel de notre forme démocratique de gouvernement. Vous savez sans doute, monsieur Blair, que moi, je veux conserver dans ce projet de loi la règle de droit et la constitutionnalité; je m'intéresse donc à la préoccupation du Sénat du Canada dans le maintien de son propre rôle au sein du cadre constitutionnel de notre forme démocratique de gouvernement.

Vous avez indiqué, et je suis plutôt d'accord avec vous, que le projet de loi comporte un problème grave. Vous avez mentionné plusieurs problèmes sérieux, mais le plus grave semble être le fait qu'on fait fi d'une décision de la cour rendue en 1979-1980 disant que le gouvernement fédéral ne peut, directement ou indirectement, contourner le rôle du Sénat comme organe législatif.

M. Blair: Ni le modifier.

Le sénateur Grafstein: Ni le modifier unilatéralement. Vous avez laissé entendre que ce pourrait être une préoccupation dans ces circonstances-ci.

Venons-en au coeur du projet de loi: un des grands esprits constitutionnels m'a dit l'autre jour: «Fions-nous à notre instinct.». Vous avez dit que votre instinct vous a amené à conclure qu'il s'agit ici d'une question judiciaire qui devrait, par conséquent, être laissée aux tribunaux. La cour, elle, a jugé qu'il s'agissait d'une question de législation, d'une question de loi.

À votre avis, s'agit-il d'une loi normale, comme toutes les autres adoptées par une assemblée législative, comme cela semble être le cas à première vue, ou ne s'agit-il pas plutôt d'une modification à la Constitution? Si nous ne sommes pas d'accord avec vous lorsque vous prétendez que c'est une question de partage des pouvoirs et que nous estimons qu'il s'agit plutôt d'une question de loi ou de modification constitutionnelle, ne diriez-vous pas que le projet de loi est vicié? Autrement dit, en écartant le Sénat, nous n'avons pas tenu compte du rôle du Sénat dans le cadre constitutionnel de notre forme démocratique de gouvernement. Qu'en pensez-vous?

M. Blair: Je suis désolé, votre question était si longue que je n'ai pu la suivre.

Le sénateur Grafstein: Le projet de loi n'est-il pas vicié puisqu'il écarte le Sénat du processus?

M. Blair: Oui. Toutefois, je mettrais un bémol. Encore une fois, puisqu'il s'agit de la sécession possible d'une province du Canada, j'estime que les sénateurs, surtout ceux de cette province mais les autres aussi, devraient avoir un rôle à jouer, d'après mon interprétation du jugement rendu dans le renvoi sur le Sénat.

Le sénateur Grafstein: Je crois que vous êtes le premier témoin à avoir fait mention du renvoi de 1979-1980, qui énonce clairement les pouvoirs du Sénat de l'ère moderne, et je vous en sais gré.

M. Blair: Je ne crois pas que les formules de modification ajoutées en 1982 aient changé quoi que ce soit au jugement de la Cour suprême de 1979.

Le sénateur Grafstein: Vous avez anticipé ma question et je vous remercie de la réponse.

Pour revenir à vos remarques générales, vous avez déclaré:

On a discuté activement, au Sénat, de la question de savoir si notre pays est divisible. À mon avis, il l'est pour deux raisons. Premièrement, la Cour suprême a affirmé qu'il était divisible dans sa décision sur le renvoi sur la sécession.

Est-ce vraiment le cas? Je vous explique pourquoi on pourrait vous contredire. Le renvoi, qui a été utilisé à toutes sortes de fins, était en fait un avis fondé sur trois questions. Il reste muet sur la capacité juridique ou constitutionnelle du gouvernement de composer avec la sécession. Il dit seulement -- selon une formulation négative -- que, selon les lois du pays, une déclaration unilatérale de sécession serait illégale et que, en droit international, une déclaration unilatérale de sécession serait illégale. Les juges n'ont pas répondu à la troisième question parce que, d'après eux, elle était comprise dans la première et la deuxième. C'est tout ce que dit la décision.

Par conséquent, pourquoi concluez-vous que la Cour suprême du Canada a jugé le pays divisible, ce qui, je présume, vous a amené à conclure que le pays est divisible aux termes de la Constitution?

M. Blair: J'envisage cet aspect très simplement. Dans sa décision, la cour dit que, s'il y a un référendum sur la sécession dont le résultat est clair, la partie gagnante a le droit d'insister pour que se tiennent des négociations et ces négociations pourraient mener à une modification de la Constitution.

Le sénateur Grafstein: Mais ne pourrait-on pas aussi conclure que la Cour suprême a jugé que les institutions du gouvernement auraient l'obligation politique de négocier en cas de question et de majorité claire?

M. Blair: Oui.

Le sénateur Grafstein: Cela ne devrait pas nous amener à conclure qu'il existe une obligation constitutionnelle de négocier la sécession.

M. Blair: Je suis d'accord avec vous.

La présidente Monsieur Blair, au nom du comité, je vous remercie beaucoup d'être venu témoigner ce soir. Il est rare qu'un particulier offre de témoigner devant un comité du Sénat avec un mémoire si réfléchi. Vous nous avez apporté une nouvelle perspective sur plusieurs questions, et nous vous remercions du temps et de l'énergie que vous avez consacrés à votre témoignage.

M. Blair: Merci, mesdames et messieurs. Je suis heureux d'être venu.

Le séance est levée.


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