Délibérations du comité spécial sur
Le projet de loi C-20
Fascicule 3 - Témoignages pour la séance du soir
OTTAWA, le lundi 5 juin 2000
Le comité spécial sénatorial sur le projet de loi C-20, Loi donnant effet à l'exigence de clarté formulée par la Cour suprême du Canada dans son avis sur le Renvoi sur la sécession du Québec, se réunit à 19 h 10 pour examiner le projet de loi.
Le sénateur Joan Fraser (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente: Honorables sénateurs, la cinquième séance du comité spécial sénatorial sur le projet de loi C-20 est maintenant ouverte. Je vous souhaite à tous la bienvenue, particulièrement à nos téléspectateurs. Nous continuons aujourd'hui notre examen du projet de loi C-20.
[Français]
Ce projet de loi a été adopté par la Chambre des communes le 15 mars et a été lu au Sénat pour la première fois le 21 mars. Il a ensuite été lu une deuxième fois, le 18 mai, ce qui veut dire que le Sénat a approuvé le principe du projet de loi. Le projet de loi C-20 a ensuite été déféré à ce comité spécial pour que nous en fassions une étude approfondie.
[Traduction]
Cet examen se poursuit aujourd'hui avec la comparution, d'abord, de M. Peter Hogg, doyen de la Osgoode Hall Law School, et, ensuite, de M. Guy Lachapelle, professeur de sciences politiques à l'Université Concordia de Montréal.
Nous commençons avec M. Hogg. Monsieur le doyen, je sais que vous avez dû faire des pieds et des mains pour être ici ce soir. Nous vous en sommes très reconnaissants. Veuillez nous présenter votre exposé puis nous passerons aux questions et réponses.
M. Peter Hogg, Bureau du doyen, Osgoode Hall Law School: Je suis vraiment ravi d'être ici. J'ai remis un court mémoire. Je suis désolé qu'il ne soit qu'en anglais. Je m'en servirai pendant mon exposé puis, bien entendu, je répondrai à vos questions.
Le 28 février, j'ai comparu comme témoin devant le comité législatif de la Chambre des communes sur le projet de loi C-20. Lors de cette comparution, j'ai affirmé que le projet de loi sur la clarté était conforme à l'avis de la Cour suprême du Canada sur le Renvoi sur la sécession du Québec. J'ai aussi déclaré qu'à mon avis, il était sage pour le Parlement du Canada de fixer ces règles à l'avance, avant un éventuel référendum sur la souveraineté du Québec. Je ne vais pas de nouveau m'étendre là-dessus. Je vais plutôt vous donner mon avis sur les questions soulevées pendant les témoignages présentés à votre comité. J'ai examiné la plupart des témoignages et j'ai cerné les questions qui me semblaient controversées.
Parlons d'abord de l'autorité constitutionnelle pour le projet de loi C-20. Le Parlement du Canada a-t-il le pouvoir constitutionnel de promulguer le projet de loi C-20? À mon sens, oui. Étant donné le pouvoir de faire des lois pour la paix, l'ordre et le bon gouvernement, conféré à l'article 91 de la Loi constitutionnelle de 1867, le Parlement a le pouvoir de légiférer pour toute question qui ne relève pas de la compétence législative des provinces. À mon avis, il est clair que le Parlement du Canada a le pouvoir de réglementer les activités du bras exécutif du gouvernement du Canada, tant pour ce qui est des négociations entourant la sécession que pour la proposition de modification à la Constitution, soit les deux choses proposées dans le projet de loi C-20.
Je vais maintenant parler de la divisibilité du Canada. Peut-on invoquer la Constitution pour contester le projet de loi C-20, qui présume que le Canada est divisible? Je dis que non, parce que la Cour suprême du Canada a dit clairement dans le renvoi sur la sécession, aux paragraphes 84 et 85, que les procédures de modification de la Constitution s'appliquent à toute modification quelle qu'elle soit, y compris la sécession d'une province. Même sans se jugement clair, il est évident que tous les pays, le Canada compris, sont divisibles. Même les pays qui, comme la France, ont une déclaration explicite selon laquelle le pays est indivisible, peuvent être divisés, parce que la déclaration d'indivisibilité elle-même peut être modifiée. Même des pays qui, comme les États-Unis, ont préservé leur union au prix d'une guerre civile peuvent tout de même être divisés, s'il y a volonté de le faire, en recourant aux procédures de modification prévues dans la Constitution.
Je veux vous parler ensuite du référendum national. Peut-on invoquer la Constitution pour contester le projet de loi C-20, parce qu'il ne prévoit pas de référendum national comme condition préalable aux négociations avec le gouvernement du Canada, sur une modification relative à la sécession d'une province? Ma réponse est non, parce que les référendums ne sont pas un élément nécessaire des procédures de modifications prévues à la partie V de la Loi constitutionnelle de 1982. En outre, comme je l'ai déjà dit, la Cour suprême du Canada a dit clairement que ces procédures de modification s'appliquent à tous changements concevables de la Constitution, y compris la sécession d'une province.
En pratique, il est en effet fort probable que nous tenions un référendum national, non pas au début du processus de négociation mais à sa fin, pour ratifier les divers changements nécessaires pour permettre la sécession et reconstituer le reste du Canada. À ce moment-là, bien entendu, le Sénat et la Chambre des communes, ainsi qu'au moins sept assemblées législatives provinciales, devront ratifier la nouvelle entente. Comme vous le savez, deux provinces, la Colombie-Britannique et l'Alberta, ont des lois qui exigent un référendum provincial avant l'approbation d'une modification à la Constitution. Il devra donc y avoir des référendums dans ces deux provinces, et de très fortes pressions politiques s'exerceront pour que des référendums se tiennent ailleurs, aussi.
Il y a bien entendu le précédent de l'Entente de Charlottetown qui, on s'en souviendra, a fait l'objet d'un référendum national en 1992. Il est fort probable qu'un référendum national ait lieu dans la triste éventualité d'une sécession, mais la tenue d'un tel référendum n'est pas obligatoire selon le droit constitutionnel.
Je veux vous parler ensuite de l'avis donné par la Cour suprême du Canada au sujet du Renvoi. Peut-on invoquer la Constitution pour s'opposer au projet de loi C-20, en disant qu'il présume que la Cour suprême du Canada a donné un avis contraignant dans l'affaire du Renvoi sur la sécession. Encore une fois, je réponds que non. La décision de la Cour suprême du Canada au sujet du Renvoi n'est pas contraignante de la même façon qu'une décision rendue dans une affaire entre deux parties, puisqu'il n'y a pas d'arrêt officiel dont le non-respect constituerait un outrage au tribunal. En pratique, toutefois, les décisions de ce genre sont toujours considérées comme si elles étaient contraignantes, simplement parce qu'il s'agit de l'opinion de la Cour suprême du Canada. Il n'y a pas l'ombre d'un doute, cette décision sera respectée par tous les tribunaux inférieurs et par la Cour suprême du Canada elle-même. Dans des procès ultérieurs, toute infraction à cette décision sera considérée comme anticonstitutionnelle. La décision doit donc être respectée.
Parlons enfin de l'exclusion du Sénat. Peut-on invoquer la Constitution pour s'opposer au projet de loi C-20, qui donne à la Chambre des communes seule la responsabilité de déterminer si la question référendaire est claire et si la majorité obtenue dans un référendum est claire? Je pense que non. Ce n'est pas une objection constitutionnelle valide, parce que le Parlement du Canada a le pouvoir de déléguer son pouvoir décisionnel à tout organisme ou personne qu'il choisit. Même les fonctions législatives peuvent être déléguées, comme chacun ici le sait; on fait davantage de lois par voie de règlement qu'au Parlement même. Habituellement, les pouvoirs sont confiés au gouverneur en conseil, à un ministre ou à un organisme administratif comme l'Office national de l'énergie, mais il n'y a pas de raison de ne pas choisir la Chambre des communes, pour la prise de décisions.
Je comprends que les sénateurs soient mécontents du fait que le Sénat est ainsi relégué à un rôle subordonné, pour ces questions. En vertu du projet de loi C-20, la Chambre des communes a le mandat de prendre en compte les déclarations et les résolutions officielles du Sénat, mais manifestement, celui-ci n'a pas le même pouvoir que dans le cadre législatif, où il a un droit de véto, ou même, dans la procédure de modification, où il a un véto suspensif. À mon avis, toutefois, aucun doute ne subsiste quant à la validité constitutionnelle d'une disposition donnant le pouvoir décisionnel seulement à la Chambre des communes.
Parlons brièvement des questions de principe. Évidemment, je ne saurais vous persuader sur les questions de principe, mais je crois que les dispositions du projet de loi C-20 sont justifiées sur le plan des principes. N'oublions pas que sans ce projet de loi, ce serait le gouvernement du Canada, en l'occurrence le Cabinet fédéral, qui se prononcerait sur la clarté de la question et de la majorité. Ni la Chambre des communes, ni le Sénat n'auraient de rôle à jouer à cet égard.
En confiant ces tâches à la Chambre des communes, le projet de loi C-20 a au moins le mérite de se tourner vers les représentants de toutes les régions du pays et de tous les partis. Je peux comprendre pourquoi le Sénat a été exclu, même si j'en ignore les raisons précises. Je peux toutefois présumer qu'il serait embêtant de confier cette décision à deux groupes qui pourraient en venir à des conclusions divergentes. Il ne s'agit pas d'une mesure législative qui peut être modifiée de manière à arriver à un accord entre les deux Chambres, ou qui peut être tout simplement retirée, faute d'accord. Ce n'est pas possible lorsqu'il s'agit simplement de décider si la question référendaire est claire ou si la majorité obtenue dans un référendum est claire. Si une seule des deux instances doit être choisie, le choix doit porter sur celle qui est élue directement, qui détermine la composition du gouvernement qui aura la responsabilité de mener les négociations constitutionnelles.
Le rôle du Sénat pour ce qui est de représenter les régions du Canada ou les minorités linguistiques n'est pas, à mon avis, très important lorsqu'il s'agit de traiter de questions précises comme celle de savoir si la question est claire ou si la majorité est claire. Ce sont des aspects qui exigeront une attention très particulière. Quand les négociations sur la sécession et la reconstitution du pays seront terminées, le cas échéant, le Sénat pourra alors jouer son rôle normal, dans le cadre de la procédure de modification. Au moins sept des assemblées législatives provinciales devront aussi approuver le résultat. Comme je l'ai dit plus tôt, il y aura probablement un référendum national. Il serait difficile de prétendre, bien que je respecte le point de vue contraire, que ce processus ne tiendrait pas compte des intérêts d'une des régions ou d'une des minorités du pays.
Madame la présidente, voilà qui termine mon exposé au comité.
La présidente: Nous passons maintenant aux questions, qui seront je présume très animées.
Le sénateur Lynch-Staunton: Quelle importance accordez-vous au fait que ce projet de loi a été dénoncé par les trois partis représentés à l'Assemblée nationale du Québec, y compris le Parti libéral du Québec, pas plus tard qu'hier? Comme on le disait dans les médias aujourd'hui, M. Charest a déclaré que c'est un trou noir et que le projet de loi empiète sur les prérogatives de l'Assemblée nationale du Québec. En tant que membres du Parlement national et partenaires des assemblées législatives provinciales, quelle importance devons-nous donner au fait que le parti au pouvoir et les deux partis de l'opposition, au Québec, ont dénoncé le projet de loi C-20 en disant qu'il n'aidera pas le Québec à décider de son avenir, avec ou sans le Canada?
M. Hogg: Je crois que c'est une situation malheureuse et troublante. J'ai du mal à comprendre, puisqu'il me semble dans l'intérêt des Québécois de voter sur une question claire. Il est dans l'intérêt du peuple québécois, à mon avis, de ne pas être exclu du Canada sans avoir voté sur une question claire, par une majorité claire. Voilà les deux objectifs de ce projet de loi. Je ne vois pas qu'ils sont contraires aux intérêts des Québécois. Je peux comprendre pourquoi le Parti québécois s'y oppose. Je présume qu'il aimerait poser une question ambiguë. Mais je ne comprends pas pourquoi le Parti libéral du Québec s'oppose au projet de loi.
Le sénateur Lynch-Staunton: Leur opinion ne vous impressionne-t-elle pas au point de vous faire croire qu'il faudrait se pencher de nouveau sur la question, analyser la réaction du Québec et, peut-être, modifier ce projet de loi de manière à tenir compte d'un champ de compétence qui est important, voire sacro-saint, à leurs yeux?
M. Hogg: Si l'opposition au projet de loi était destinée à supprimer l'exigence relative à la clarté de la question, je crois qu'il s'agirait d'un changement malheureux au projet de loi.
Le sénateur Lynch-Staunton: Je vais essayer de retenir, mais je dois dire, d'abord, que le projet de loi n'aide pas beaucoup. On n'y définit pas la clarté, on la demande simplement. Deuxièmement, d'après ce que vous avez dit, nous n'avons pas vraiment besoin de ce projet de loi et le gouvernement pourrait à sa guise dire: «Nous n'aimons pas votre question.» Quelle est la raison d'être de ce projet de loi? Pourquoi se donner le mal de se mettre à dos le Québec et essayer de mettre en place un système, une loi ou une mesure qui n'est pas nécessaire, alors que le gouvernement peut faire ce que le projet de loi prétend lui permettre de faire, de toute façon? À quoi ce projet de loi sert-il? S'il est adopté, qu'est-ce que cela donnera de plus au gouvernement, qu'il ne peut pas déjà faire?
M. Hogg: À mon avis, cette mesure est justifiée par le dernier référendum au Québec. Je considère que la question posée en 1997 était confuse parce qu'on y faisait référence à un partenariat politique et économique avec le Canada dont l'avènement était fort peu probable. Si ce référendum avait été gagné par un vote de 50 p. 100 plus un, le gouvernement du Québec aurait sans aucun doute considéré que c'était suffisant pour justifier la sécession.
J'estime que ce projet de loi permettrait d'éviter cette situation à l'avenir, en exigeant du gouvernement du Québec -- s'il souhaite la sécession -- qu'il présente une question plus claire, sans cacher la sécession du Québec derrière le paravent d'une association politique et économique. On disait aussi que les Québécois garderaient leur citoyenneté, que les frontières demeureraient inchangées et que la devise canadienne serait utilisée. À mon avis, ces déclarations de la part du gouvernement du Québec étaient trompeuses puisqu'en cas de sécession, ce n'est probablement pas ce qui se serait passé. Ce projet de loi rend moins probable la situation très pénible que nous avons frôlée de près au dernier référendum.
Le sénateur Lynch-Staunton: Je n'insisterai pas là-dessus, sinon pour vous rappeler que lors des deux derniers référendums, tant le premier ministre Trudeau que le premier ministre Chrétien avaient déclaré qu'ils ne négocieraient pas en fonction des réponses données aux deux questions.
Je passe à ma deuxième question. Comme d'autres, je suis troublé parce que trop souvent, récemment, on demande au Parlement d'adopter des projets de loi qui seront sérieusement contestés en vertu de la Constitution. Je pense au projet de loi Pearson et au projet de loi sur la redistribution, qui ne se sont pas rendus assez loin pour être contestés. Le projet de loi sur la tabac a toutefois été contesté avec succès et un autre fait actuellement l'objet d'une contestation. Le projet de loi sur le Régime de pensions du Canada est contesté, de même que ceux sur le Traité nisga'a et sur le contrôle des armes à feu. Nous avons des raisons de croire que si le projet de loi dont nous sommes saisis est adopté, il sera aussi contesté.
Je suis extrêmement mal à l'aise d'avoir à examiner un projet de loi que d'autres, plus compétents que moi-même, ont déclaré qu'il pourrait être inconstitutionnel. Si ces incidents se répètent, seriez-vous en faveur de la création au Canada d'une cour constitutionnelle qui serait saisie des projets de loi dont elle examinerait la constitutionnalité, avant que le Parlement commence à l'examiner, afin qu'on sache s'ils résisteraient à une contestation? D'après le témoignage d'experts dans le domaine, nous savons déjà que ce projet de loi ne résisterait peut-être pas à une contestation.
M. Hogg: Monsieur le sénateur, toutes les questions de politique publique au Canada, depuis 30 ans, sont devenues des questions constitutionnelles. L'opposition à toute politique importante prend presque toujours la forme d'une contestation en vertu de la Constitution. La contestation en vertu de la Constitution n'est souvent guère fondée, mais est toujours l'un des moyens employés par l'opposition.
Je crois qu'il n'y a aucun doute quant à la constitutionnalité de ce projet de loi et je ne vois pas l'utilité d'en saisir préalablement un tribunal. Cet examen préalable par un tribunal ne ferait peut-être pas de mal, si ce n'est que retarder l'adoption du projet de loi. Le simple fait qu'une loi est contestée ne signifie pas que la constestation est fondée.
Le sénateur Lynch-Staunton: Croyez-vous qu'il soit justifié que le Parlement adopte le Traité nisga'a, sachant parfaitement que trois causes seraient portées devant les tribunaux aussitôt la sanction royale accordée?
M. Hogg: Absolument, et j'estime que ce projet de loi est parfaitement constitutionnel.
Le sénateur Lynch-Staunton: Je ne vous demande pas votre opinion sur la constitutionnalité de la loi. Je vous demande si vous pensez qu'il est acceptable que le Parlement adopte des mesures législatives sachant très bien qu'elles seront contestées le lendemain. Que la contestation réussisse ou non est sans importance.
M. Hogg: Je ne crois pas que cela soit sans importance. Si l'objection constitutionnelle à une loi n'est pas considérable, je pense que la menace d'une contestation constitutionnelle ne devrait pas retarder ni entraver l'adoption de cette loi. Les procédures judiciaires touchant le Traité nisga'a pourraient durer dix ans.
Le sénateur Lynch-Staunton: Si un tribunal constitutionnel ou un autre organisme indépendant se prononce sur la constitutionnalité avant que le Parlement n'évalue le projet de loi, nous pourrions nous éviter des procès qui durent dix ans.
M. Hogg: Il faudrait peut-être dix ans avant que le projet de loi ne soit adopté.
Le sénateur Lynch-Staunton: Nous discuterons de cela une autre fois. Merci.
Le sénateur Chalifoux: Monsieur Hogg, je suis très heureuse que vous nous ayez fait cet excellent exposé. J'ai trois questions. Premièrement, je me demande quelle répercussion une sécession aurait sur les traités avec les Premières nations. Deuxièmement, et tenant compte de cet aspect, croyez-vous que les Premières nations devraient avoir un siège aux tables de négociation? Troisièmement, la Constitution leur garantit-elle déjà cette place?
M. Hogg: Je pense qu'en cas de sécession, les traités avec les Premières nations seraient violés, car les traités prévoient des obligations du gouvernement du Canada, obligations qu'il ne pourrait plus respecter après une sécession. Par conséquent, j'estime que si la sécession concerne des Premières nations qui ont signé des traités, elles devraient être d'accord. Bien sûr, cela signifie qu'elles devraient être présentes à la table de négociation.
Je ne sais pas avec certitude si le paragraphe 35.1 entraîne obligatoirement leur présence à la table, parce qu'il ne s'agit pas explicitement d'une modification de la catégorie 24 de l'article 91 ou de l'article 25, mais je crois que le devoir fiduciaire du gouvernement du Canada à l'endroit des peuples autochtones crée certainement l'obligation de la présence à la table des Premières nations qui ont signé des traités.
Le sénateur Beaudoin: Monsieur Hogg, j'ai lu avec beaucoup d'intérêt les deux pages et demie dans lesquelles vous résumez une réflexion très importante.
J'ai seulement deux questions à vous poser. La première porte sur la procédure de modification applicable en cas de négociations entre Ottawa, le reste du Canada et le Québec. Vous dites dans votre mémoire qu'il faudrait que le Sénat, la Chambre des communes et au moins sept assemblées législatives provinciales ratifient les nouvelles dispositions. Je suis personnellement en faveur de cette procédure de modification. C'est exactement ce que vous dites dans votre livre, à la page 135. Vous dites que la sécession pourrait probablement se faire par le recours à la procédure générale de modification. Un ou deux autres experts constitutionnels qui ont comparu devant nous ont dit estimer que la procédure de modification applicable est la formule 7-50. Cela est controversé, bien sûr, mais sur quoi vous fondez-vous pour parvenir à votre conclusion.
M. Hogg: Ma conclusion est la suivante: le recours à la formule 7-50 repose sur l'idée que la sécession d'une province ne fait pas partie des sujets prévus explicitement dans les autres procédures de modification. Nous sommes une petite minorité à avoir cette opinion. Je suis heureux, sénateur Beaudoin, de constater que vous faites également partie de la même minorité. Je sais que ces constitutionnalistes sont parvenus à cette conclusion parce qu'il y aurait une incidence sur les sujets énumérés à l'article 41, sur le consentement unanime, sur la procédure d'unanimité qu'il faudrait suivre. Je ne trouve pas cet argument contraignant parce que, comme vous le savez, nous jugeons normalement de ces questions en nous fondant sur la nature réelle de la modification. Or, il me semble que la modification en question ne porte pas, à proprement parler, sur la charge de lieutenant-gouverneur ou sur la composition de la Cour suprême du Canada.
Le sénateur Beaudoin: Ma deuxième question porte sur l'exclusion du Sénat. Je comprends ce que vous dites dans ce paragraphe mais, à tort ou à raison, je crois que le projet de loi C-20 n'est pas censé être une modification à la Constitution. C'est une loi ordinaire, bien que très importante.
Si c'est une modification à la Constitution en vertu de l'article 44, je peux comprendre, et bien entendu, le Sénat a un véto absolu, dans cas-là -- un véto absolu et non seulement suspensif. Je comprends que cela ne relève pas de l'article 42 et la formule 7-50. Ce n'est pas ce que vous dites et je présume que ce paragraphe ne s'applique pas. Il nous reste donc l'autre possibilité. C'est une loi ordinaire, de grande importance. Ne pensez-vous pas que si l'on se fie uniquement à la loi, les deux Chambres sont égales et doivent être traitées également? C'est la seule chose qui m'embête.
Il n'y a pas de problème avec l'article 44, et cetera. Toutefois, si c'est seulement une loi en vertu de laquelle les deux Chambres sont égales -- et c'est la nature même du bicaméralisme de notre fédération --, cela signifie-t-il qu'elles ne doivent pas être traitées également et qu'il n'est pas question de donner des pouvoirs à une Chambre seulement? J'aimerais que vous nous parliez un peu de cette question.
M. Hogg: Je pense comme vous que la meilleure façon de considérer cette loi, c'est comme une loi ordinaire, tout en reconnaissant que c'est une loi ordinaire de très grande importance. Il me semble qu'elle ne change rien, directement, à la Constitution et nous partons du même point, vous et moi, sénateur Beaudoin.
De toute évidence, la loi doit être adoptée par le Sénat autant que par la Chambre des communes et doit recevoir la sanction royale. Si dans sa sagesse, le Sénat décide d'adopter une loi qui donne un pouvoir décisionnel à la Chambre des commues seulement, je ne crois pas qu'on ait porté atteinte à la Constitution. Le Sénat aurait accepté que pour cette question -- soit la clarté de la question et de la majorité --, la décision peut être prise par la Chambre des communes seulement. À mon avis, cela équivaut à confier un pouvoir décisionnel à l'Office national de l'énergie et au ministre de l'Environnement.
Le sénateur Beaudoin: On demande beaucoup au Sénat. Il est très généreux de notre part de voter notre propre exclusion. Une fois qu'on aura voté ainsi, nous aurons perdu tout autre pouvoir. Nous n'aurons pas d'occasion de voter de nouveau là-dessus.
M. Hogg: Le seul pouvoir que vous aurez perdu, c'est celui de participer à la décision sur la clarté de la question référendaire et de la majorité. C'est la seule chose.
Sans ce projet de loi, le Sénat ne serait pas consulté sur ces questions, ni d'ailleurs la Chambre des communes.
Le sénateur Beaudoin: C'est vrai. Si la Chambre des communes et le Sénat ne sont pas consultés, mais seulement l'exécutif, c'est logique. Mais si cela reste du domaine législatif, ne créons-nous pas une inégalité?
M. Hogg: Oui, on crée une inégalité en confiant cette question uniquement à la Chambre des communes.
Le sénateur Beaudoin: Vous le dites de façon bien gentille.
Le sénateur Furey: Merci, monsieur Hogg. J'aimerais avoir des commentaires sur les préoccupations soulevées par le sénateur Beaudoin au Sénat. Je dois dire pour commencer que si je ne suis toujours d'accord avec le sénateur Beaudoin, je respecte toujours son opinion.
Le sénateur Beaudoin a déclaré qu'en donnant un pouvoir législatif à la Chambre seulement, comme il vient de le répéter, notre Parlement allait à l'encontre de l'égalité législative des deux Chambres fédérales. Il a dit ensuite que lorsque la Chambre des communes adopte une résolution, c'est une mesure législative puisque le pouvoir d'adopter cette résolution découle d'une loi. Il parlait directement du projet de loi C-20, et de l'exercice de ce pouvoir législatif. Il se fondait sur l'arrêt Sinclair, rendu par la Cour suprême du Canada au début des années 90, au sujet d'un décret, qui, comme on le sait, vient du pouvoir exécutif mais fait partie du processus législatif.
Si un décret fait partie du processus législatif, c'est un argument supplémentaire, sénateur Beaudoin, indiquant que nous ne pouvons pas perturber le processus législatif et exclure le Sénat sous prétexte que la résolution n'est pas un acte législatif. Je vous invite à commenter cela, monsieur Hogg.
M. Hogg: Sénateur, comme vous le savez, presque toutes les lois confèrent un pouvoir de décision à une instance autre que le Parlement du Canada. Le pouvoir de prendre des règlements est presque toujours conféré au gouverneur en conseil. Un pouvoir de décision est souvent donné à un ministre. Parfois, des pouvoirs de décision sont conférés à des tribunaux administratifs.
Il est parfaitement clair, sur le plan du droit constitutionnel, que ces délégations de pouvoir sont valables et valides, même si l'on les qualifie de pouvoirs législatifs. Beaucoup de lois qui sont adoptées par règlement sont extrêmement importantes, comme vous le savez. Par conséquent, la seule question qui se pose est celle-ci: la Chambres des communes peut-elle être une instance à qui un pouvoir est délégué?
Nous savons qu'un pouvoir peut être délégué au gouverneur en conseil et aux ministres. Nous savons qu'un pouvoir peut être délégué aux tribunaux administratifs. Un pouvoir peut-il être délégué à la Chambre des communes? Je ne vois aucune raison qui empêcherait la Chambre des communes d'être une instance à qui un pouvoir est délégué. Voilà ma réponse.
Le sénateur Kinsella: Monsieur Hogg, j'ai trois brèves observations à formuler dans trois domaines différents.
Pour donner suite à la dernière conversation sur le modèle que ce projet de loi établit quant à la participation du Sénat à ce processus ou son exclusion, n'est-il pas vrai que l'un des aspects d'un régime bicaméral est qu'il permet de jeter deux regards sur chaque mesure législative? Autrement dit, deux examens ne sont-ils pas mieux qu'un seul? On aurait pu utiliser divers modèles pour éviter le problème que vous avez évoqué, à savoir la possibilité que deux résolutions différentes soient adoptées dans les deux Chambres. Par exemple, nous avons souvent des comités mixtes de la Chambre des communes et du Sénat. Nous examinons les règlements dans un comité mixte. Peut-être pourriez-vous commenter cela.
Deuxièmement, au sujet de ce qu'on a dit à propos de la procédure de modification, comment allons-nous établir quelle est la procédure qui convient quand nous en serons à cette étape d'une modification à la Constitution, à la fin des négociations? Comment cela fonctionnera-t-il. Si le projet de loi est conçu pour apporter un peu plus de clarté dans le processus, ne serait-il pas préférable de jeter aussi un peu de clarté sur toute cette affaire? Le gouvernement devrait nous dire quelle est sa politique à cet égard, dans le projet de loi lui-même, afin que nous le sachions, dans l'intérêt de la clarté. Autrement dit, il faut modifier le paragraphe 3(1).
Enfin, on a demandé à la Cour suprême du Canada de répondre à ces questions. L'un des champs d'étude était justement toute la question du droit à l'autodétermination. Pour ceux d'entre nous qui penchent en faveur du principe de l'indivisibilité du Canada, pour ceux d'entre nous qui veulent donc par tous les moyens possibles faire en sorte que notre pays ne soit pas divisible et qui ne souhaitent pas se prêter à un tel débat, nous devons trouver le sens à donner au droit des peuples à l'autodétermination, mais à l'intérieur du Canada. Je vous invite donc à commenter aussi ce que signifie le droit à l'autodétermination.
M. Hogg: Je pourrais peut-être commencer par la dernière question. La Cour suprême du Canada a dit clairement que le droit à l'autodétermination n'est pas vraiment pertinent dans le débat canadien sur la sécession, car c'est un droit que possède un peuple colonisé ou opprimé. Ces conditions ne s'appliquent pas au Canada, et le droit à l'autodétermination n'est donc pas vraiment un élément du débat sur l'éventuelle sécession du Québec.
Sur la question de savoir quelle procédure de modification est la bonne, je pense, tout comme vous, que ç'aurait été une bonne idée de demander à la Cour suprême du Canada, dans le renvoi sur la sécession, de nous dire quelle est la procédure de modification qui convient. Le gouvernement du Canada a choisi de ne pas le faire. Je crois que l'une des raisons à cela, c'est que la modification de la Constitution qui pourrait faire suite aux négociations sur la sécession pourrait aussi traiter de la reconstitution du reste du Canada. Cela pourrait donc mettre en cause la reconstitution de la Cour suprême du Canada, par exemple. Cela fait partie des éléments qui exigent l'unanimité. Peut-être a-t-on pensé que ce serait un peu difficile de déterminer comment poser une question claire avant d'avoir décidé quelle procédure de modification est la bonne. Quoi qu'il en soit, je crois que si la modification traitait uniquement de la sécession d'une province et ne tentait pas de reconstituer le reste du Canada, alors probablement que la formule des 7-50 serait la bonne. On aurait peut-être pu poser cette question à la cour, mais on ne l'a pas fait.
Pour ce qui est de votre première question, qui portait sur la conciliation des différences entre les deux Chambres dans un système bicaméral, une chose me frappe: L'une des caractéristiques d'un comité mixte est que l'on fait des compromis quant aux changements à apporter au projet de loi. Il me semble que ce serait difficile de s'entendre si le Sénat disait que la question est claire et que la Chambre des communes disait qu'elle n'est pas claire. Ce ne serait pas facile pour un comité d'en arriver à un compromis entre ces deux points de vue. Je suis certain que vous avez raison, sénateur, quand vous dites qu'il aurait moyen de s'en sortir. Je sais que les gens sont raisonnables et qu'il y a toujours une solution, mais ce serait malaisé.
[Français]
Le sénateur Gauthier: Si j'ai bien compris, vous avez dit que la participation dans le processus d'évaluation de la question était le seul pouvoir qu'on perdait. Il s'agit pour moi d'un pouvoir assez important.
La Chambre des communes a amendé le projet de loi C-20 en y incluant les autochtones. Je suis d'accord à ce que les autochtones donnent leur opinion sur la clarté de la question, mais je me demande pourquoi ce droit n'a pas été accordé aux minorités de langues officielles.
Si le projet de loi C-20 est mis en <#0139>uvre et que le Québec décide de partir, je vous prédis qu'il y aura un effet de ressac de la part des anglophones du Canada. De plus, le même effet se produira de la part des anglophones du Québec, dans le cas où la seule solution au problème était la séparation du Québec.
Dans ce processus de consultation, pourquoi a-t-on amendé le projet de loi dans le but d'inclure les autochtones sans inclure les minorités de langues officielles? Je ne parle pas des négociations futures, je parle du processus de consultation.
Vous avez dit qu'en ce qui concerne le projet de loi C-20, le rôle du Sénat n'était pas tellement important. Vous avez peut-être raison. Étant d'origine ontarienne, je peux vous dire que la minorité francophone hors Québec a été négligée, voire même ignorée, pendant de nombreuses d'années, et le gouvernement fédéral a dû prendre des mesures spéciales pour lui garantir des droits.
Le ministre Dion nous dit que la seule raison pour laquelle les autochtones ont été inclus dans le projet de loi C-20, c'est qu'ils font partie de la Constitution. De leur côté, les minorités de langues officielles sont protégées par les articles 16 à 20 de la Constitution. N'est-ce pas suffisant pour les inclure dans le processus de consultation? Que pensez-vous de la clarté de la question ou de la condition majoritaire du Québec?
[Traduction]
M. Hogg: Sénateur, je ne peux pas répondre de façon catégorique à votre question. Tout ce que je peux dire, c'est que le processus de négociation de la sécession et de l'approbation définitive des arrangements en vue de la sécession mettrait en cause le Sénat, la Chambre des communes, les provinces et probablement beaucoup d'autres groupes. Il me semble improbable que, dans tout ce processus, on soit tenté d'écarter les intérêts des minorités de langues officielles. Il me semble que le principal problème n'est pas de déterminer si la question est claire; la question ne dira probablement rien d'explicite sur les détails des arrangements de la sécession. Le rôle important survient plus tard, quand il s'agira de s'assurer que les minorités ont voix au chapitre dans le processus de négociation de ces arrangements.
Le sénateur Gauthier: Je n'ai peut-être pas été assez clair. Je vais le dire en anglais. Je vous pose la question suivante. Vous avez dit que les minorités auraient voix au chapitre dans le processus de négociation des arrangements. Je n'en disconviens pas. Cependant, pourquoi excluons-nous les minorités du processus dans le cadre duquel on décidera si la question est claire ou n'est pas claire? Voilà ma question. Nous n'en sommes pas encore aux négociations, du moins je l'espère.
M. Hogg: Je ne connais pas la réponse à cette question, sénateur.
Le sénateur Pitfield: Professeur Hogg, je pense que la question qu'a posée le sénateur Lynch-Staunton est tellement importante que je vais revenir à la réponse que vous y avez donnée, après quoi je vais vous poser une autre question. La question était de savoir si les questions que l'on demande aux juristes de l'État de trancher ne sont pas, par leur nature même, tellement délicates qu'il devrait peut-être y avoir un autre moyen de demander et d'obtenir une opinion indépendante, différent de celui que nous utilisons traditionnellement.
C'est devenu un problème très sérieux dans le fonctionnement du système politique canadien. Le Sénat est placé dans une situation très sérieuse et il s'efforce d'organiser sa défense. Vous affirmez que le Sénat renonçait à son droit d'être l'une des parties consultées sur tout cela. En fait, c'est l'une des grandes institutions de l'État qui est en cause, et le droit de cette institution d'accomplir son mandat. Non pas qu'elle renonce volontairement à ce droit. On a exercé sur cette institution tous les moyens de pression imaginables pour la mener à faire ce qu'on lui propose de faire.
Il semble que dans le cadre du fédéralisme américain, par exemple, on invoquerait l'argument de la législation déguisée ou une autre disposition semblable et l'on considérerait qu'il s'agit d'une façon camouflée de modifier la Constitution, et la mesure serait déclarée invalide pour cette raison. Comment cela peut-il être régler au Canada?
M. Hogg: En réponse au sénateur Beaudoin, j'ai dit que je ne croyais pas qu'il s'agissait là d'un changement à la Constitution, mais que si nous traitons cela comme un changement à la Constitution, l'article 44 donne au Parlement le pouvoir de modifier la Constitution relativement au gouvernement exécutif du Canada, ou au Sénat ou à la Chambre des communes. Par conséquent, le Parlement du Canada, qui comprend bien sûr le Sénat, pourrait, à mon avis, adopter une loi qui donnerait certaines fonctions à la Chambre des communes seule. Cela se ferait avec le consentement du Sénat.
Le sénateur Pitfield: Pendant que nous essayons tous de digérer ce que vous venez de dire, monsieur, je pourrais peut-être poser ma deuxième question. La question de la divisibilité nous amène à une impasse. Certains d'entre nous ont des opinions très fermement ancrées au sujet de la divisibilité. En lisant votre documentation, dans quelle mesure avez-vous réfléchi à la question de savoir si les parties utilisent bien la même terminologie pour désigner les mêmes éléments, ou bien s'il n'y a pas quelque malentendu?
On parle de divisibilité. Il y en a parmi nous qui disent que nous avons un État qui existe et que l'on ne peut pas le changer actuellement, quoiqu'on pourrait le changer à l'avenir. Au bout du compte, tout peut être changé. Cependant, pour l'instant, la politique établie est telle et si elle doit être changée, elle devra l'être par des forces qui seront reconnues dans le cours des négociations, et cetera. C'est une forme de divisibilité. L'autre forme de divisibilité est celle que vous suggérez. Vous dites que la réalité est que l'on peut diviser tout cela dès maintenant.
Y a-t-il une troisième position sur la divisibilité? D'aucuns diront qu'il y a en fait indivisibilité dans le sens qu'ils refusent qu'il y ait des changements en ce sens. Le Parlement peut transformer un homme en femme, peut changer un nom sur un passeport, peut faire une foule de choses extraordinaires, mais il ne peut pas changer cette réalité. J'ignore si cette sorte de divisibilité existe le moindrement.
M. Hogg: Sénateur, j'ai peut-être parlé un peu à la légère de la divisibilité, parce que si je comprends bien le troisième sens que vous attribuez à la divisibilité, je suis tout à fait contre la division du Canada. Je souligne seulement un point de droit, à savoir qu'il est possible de diviser le Canada en application de la procédure de modification, pourvu que toutes les conditions préalables de ces procédures soient respectées, y compris un référendum dans la province qui veut faire sécession.
Le sénateur Taylor: Professeur Hogg, j'ai remarqué que vous avez témoigné devant le comité de l'autre endroit quand celui-ci étudiait ce projet de loi. Étiez-vous strictement un témoin, ou bien le gouvernement a-t-il également retenu vos services pour aider à rédiger le projet de loi?
M. Hogg: J'ai été strictement un témoin. J'ai bien eu deux ou trois conversations téléphoniques avec des fonctionnaires qui étaient associés à la rédaction du projet de loi, mais on n'a pas retenu mes services pour aider à le rédiger.
Le sénateur Taylor: Votre point de vue coïncide à peu près parfaitement avec celui du gouvernement, et c'est pourquoi j'ai pensé que vous ressentiez peut-être une certaine fierté à titre d'auteur de cette mesure.
M. Hogg: Non, je n'en suis pas l'auteur, mais je crois que le projet de loi est sage et bien avisé.
Le sénateur Taylor: Vous avez évoqué le Parlement du Canada à quelques reprises durant votre exposé et vous avez dit que le Parlement comprend les deux Chambres. Quand on bâtit quoi que ce soit sur une majorité parlementaire, c'est tout à fait comme bâtir sur des sables mouvants, parce qu'on ne sait jamais ce qui se passera aux prochaines élections. Un nouveau parlement peut modifier ou abroger une loi, et cetera. Il y avait une chanson de Harry Belefonte au sujet d'une maison bâtie sur le sable. Je ne peux imaginer rien de plus évanescent que de construire sur une majorité à la Chambre des communes. Le Sénat ajoute une certaine permanence, parce que nous avons une certaine durée.
Dans mon tout premier discours sur ce sujet, j'ai demandé à quoi pouvait servir un projet de loi qui dit au Sénat de s'écraser alors que cela aurait pu se faire au moyen d'une résolution à la Chambre des communes, parce qu'après tout, l'exécutif commande à la Chambre neuf fois sur dix. À quoi sert de se donner la peine d'adopter un projet de loi qui stipule que le Sénat ne sera pas consulté? Pourquoi vouloir ainsi saper le Sénat? Comme vous êtes assez proche de cette mesure, peut-être avez-vous une réponse à cette question.
M. Hogg: Je ne suis pas du tout proche de cette démarche, sénateur Taylor, et je peux vous assurer que je n'avais nullement réfléchi à toutes ces questions avant ces derniers jours.
Il me semble qu'il y a un certain avantage à nommer la Chambre des communes dans le projet de loi, au lieu de s'en remettre simplement au gouvernement pour qu'il présente une résolution au moment voulu, en ce sens que la Chambre des communes a maintenant le droit de participer au processus décisionnel même si le gouvernement en place devait décider ultérieurement qu'il préférerait ne pas permettre aux partis d'opposition d'être parties prenantes dans le processus. Je pense que cela ajoute quelque chose de l'inscrire dans le projet de loi et, ce n'est que conjecture de ma part, mais je suppose que c'est le cheminement qui a abouti à cela.
Le sénateur Taylor: Ma deuxième question découle de ce qu'on vient d'entendre. Au bas de la page 2, vous dites: «Habituellement, le pouvoir est délégué au gouverneur en conseil ou à un ministre ou à un organe administratif comme l'Office national de l'énergie.» Dans cette loi, il est stipulé que seule la Chambre des communes prendra la décision. Ce faisant, cette loi peut-elle devenir en quelque sorte l'équivalent de l'Office national de l'énergie, où l'Ontario et le Québec possèdent 59 p. 100 des sièges à la Chambre, proportion qui atteindra peut-être 65 p. 100? Cela pourrait-il servir de précédent pour d'autres lois qui n'auraient rien à voir avec la séparation mais qui pourrait comprendre l'énergie ou n'importe quoi d'autre? Pourrait-on utiliser cela comme précédent et dire: «Vous, au Sénat, avez accepté ceci et, nous avons donc maintenant le droit d'aller de l'avant dans ce cas-ci.»?
M. Hogg: Ce pourrait être un précédent pour d'autres projets de loi, mais le sujet de la présente mesure est tellement inhabituel qu'il me semble que tout autre projet de loi, qui porterait par exemple sur l'énergie, semblerait tellement différent que ce ne serait pas un précédent fiable.
Le sénateur Taylor: Votre confiance envers le processus parlementaire est plus grande que la mienne.
[Français]
Le sénateur Prud'homme: Dans votre présentation, au dernier paragraphe à la page 3, en anglais, vous dites:
[Traduction]
Le rôle du Sénat pour ce qui est de représenter les régions du Canada ou les minorités linguistiques n'est pas très important lorsqu'il s'agit de traiter de questions précises comme celle de savoir si la question est claire ou si la majorité est claire.
[Français]
L'avenir d'un pays doit être très important, comme la divisibilité d'un pays ou sa continuité, ainsi que la représentation des régions et des minorités linguistiques. J'aimerais vous demander : Quelle est votre conception du Sénat?
Je vous demande ceci, indépendamment de ce qu'est l'opinion publique actuelle, pour laquelle nous ne nous défendons pas, car nous n'avons pas à nous défendre. Nous n'avons pas à défendre le Sénat car il est là. Que nous soyons d'avis qu'il y ait du changement au Sénat, nous en sommes tous, j'en suis certain.
Il y a d'ailleurs plus de sénateurs ici ce soir, à toutes les réunions, qu'il n'y en a à la Chambre des communes. Nous n'avons pas de leçon à donner, mais nous n'en avons pas non plus à recevoir. Lorsque la population décidera de disposer du Sénat, d'élire le Sénat, de le rendre égal ou autrement, nous aurons un débat et nous verrons ce que la population, une fois bien éclairée, décidera.
Dans le moment, je ne suis pas ici pour défendre le Sénat, mais je vous demande quelle est votre conception du Sénat. Que faisons-nous ici, les 21 sénateurs présents, un lundi soir? Quel est le rôle des sénateurs? J'ai toujours pensé que c'était pour défendre les minorités, les régions.
[Traduction]
Je refuse de raccrocher. Quand je parle des minorités, je suis fatigué de parler seulement du français et de l'anglais. Il y a toutes sortes de minorités qui sont censées être protégées.
[Français]
Pourquoi, soudainement, le gouvernement procéderait-il de la manière dont vous nous l'avez expliqué et que, sitôt, le gouvernement dirait qu'il va consulter le Parlement? Cet après-midi, un témoin semblait glisser entre les termes Parlement et gouvernement. Pour moi ce n'est pas la même chose. Pour vous non plus, c'est sûr. Le gouvernement, c'est le gouvernement. Le Parlement, ce sont les sénateurs, les députés et la reine, qui signe par son Gouverneur général.
Quelle est votre conception du Sénat et son rôle? Pourquoi minimisez-vous le Sénat dans le dernier paragraphe de la page 3 de votre brillant exposé, en disant que ce n'est pas très important? Remarquez que je ne suis pas choqué, je vous pose tout simplement la question.
[Traduction]
M. Hogg: Je pense que vous accordez trop de poids à la décision sur la question de savoir si une question référendaire est claire. Supposons que le Québec pose la question suivante: le Québec devrait-il devenir un pays séparé? À mon avis, ce serait une question claire. Mais elle ne dit rien des minorités. La protection des minorités ne vient pas de l'évaluation de la clarté de la question, mais plutôt des négociations qui suivront au cours de la reconstruction du Canada et des arrangements qu'il faudra prendre pour la séparation du Québec. Dans ce processus, le Sénat jouera un rôle, tout comme les provinces et les minorités, par l'entremise de leurs organisations respectives. C'est pourquoi je dis que la question de savoir si la question claire est relativement peu importante du point de vue de la multitude de détails qu'il faudra régler ultérieurement.
Le sénateur Cools: Professeur Hogg, j'ai deux ou trois questions. Je sais que le temps file et que d'autres veulent intervenir et je serai donc très brève. En fait, ma question comporte deux volets et porte sur un passage de votre propre livre sur la sécession. J'y reviendrai dans un instant.
Je vous ai écouté attentivement. Comme bien d'autres, je connais très bien votre oeuvre. Vous ne cessez de revenir à la question essentielle, à savoir que le gouvernement du Québec est peut-être trompeur, qu'il embrouille peut-être les choses, qu'il n'est peut-être pas tout à fait honnête. Ma question est celle-ci: si, dans notre pays, le gouvernement fédéral et le Parlement du Canada croient vraiment que nous avons un gouvernement provincial, un premier ministre provincial, une province qui ne sont pas absolument honnêtes envers leur population et qui sont peut-être trompeurs, n'y a-t-il pas un meilleur moyen pour nous de s'attaquer directement à ce problème, au lieu de passer par ce cheminement tortueux qui divise les groupes parlementaires, et cetera? Si la question peut être l'expression du caractère trompeur ou disons carrément de la malhonnêteté d'un premier ministre provincial, ne devrions-nous pas nous attaquer carrément à ce problème?
M. Hogg: C'est une très bonne question. Je pense qu'il y a des avantages à établir certaines règles à l'avance et qu'il n'est pas nécessaire d'attendre d'être placés devant une situation qui pourrait s'avérer très difficile. Si ce projet de loi est adopté et si, par la suite, un gouvernement du Québec devait poser une question qui, de l'avis de la Chambre des communes, était trompeuse ou embrouillée, ce projet de loi établit un mécanisme permettant de s'attaquer à ce problème. Vous avez tout à fait raison. Il y aurait d'autres moyens que ce projet de loi de s'y attaquer, mais le fait d'établir les règles à l'avance comme on le fait dans ce projet de loi présente quand même certains avantages.
Le sénateur Cools: J'estime que l'on pourrait quand même adopter un projet de loi qui répond à l'exigence de clarté sans aller jusqu'à donner au gouvernement le pouvoir de négocier la sécession. C'est ma première observation, monsieur Hogg. Vous continuez de dire que le gouvernement du Québec pourrait agir, pour se servir de termes parlementaires, de façon moins qu'honorable. Je vous laisse en juger.
Ma deuxième question porte sur ce que vous dites dans la quatrième édition de votre livre, Constitutional Law of Canada. Permettez-moi de vous citer. Ensuite, vous voudrez peut-être répondre. Dans la partie intitulée «Sécession par modification», vous dites ce qui suit:
On peut prédire avec une certaine assurance que tout gouvernement fédéral réagira de façon plus ou moins hostile à un mouvement de sécession. Il faut s'attendre à ce que le gouvernement adopte pour principe qu'il n'a pas obtenu le pouvoir pour présider à la dissolution de la fédération.
Ensuite, vous traitez d'autres choses, et notamment de la situation en Australie-Occidentale et aux États-Unis d'Amérique. Plus loin, vous revenez à cette question. Vous y revenez en signalant qu'en Australie-Occidentale, la majorité de la population a appuyé la sécession. Vous dites ensuite:
[...] cela n'a pourtant pas été considéré comme suffisant pour justifier la coopération ou même l'acquiescement du gouvernement fédéral. Par conséquent, même si un référendum a montré que la majorité d'une population d'une province souhaite se séparer, ce référendum n'aurait aucune signification constitutionnelle en soi, et aucun précédent historique ou politique ne permet de supposer que le référendum pourrait définir la politique du gouvernement fédéral (ou des autres gouvernements provinciaux).
Sachant donc ce que vous pensez, monsieur Hogg, voici ma question: si, en votre qualité de juriste faisant autorité, vous affirmez qu'il n'existe aucun précédent historique ni politique, comment se fait-il que la Cour suprême du Canada ait réussi à trouver une justification?
M. Hogg: Sénateur, je regrette de le constater, la Cour suprême du Canada est souvent en désaccord avec moi. Lorsqu'elle est en désaccord avec moi, ses vues l'emportent.
Le sénateur Grafstein: Je suis d'accord avec vous, monsieur Hogg, il s'agit d'une mesure législative plutôt inhabituelle. D'une certaine façon, elle est extraordinaire, vous ne trouvez pas?
M. Hogg: Oui.
Le sénateur Grafstein: Ce n'est pas une mesure législative ordinaire.
M. Hogg: Permettez-moi d'attendre et de voir où vous voulez en venir, monsieur le sénateur.
Le sénateur Grafstein: Vous avez dit qu'elle est inhabituelle.
M. Hogg: J'en conviens.
Le sénateur Grafstein: Elle n'est donc pas habituelle.
M. Hogg: Très vrai.
Le sénateur Grafstein: Vous nous laissez entendre que le pouvoir exécutif peut, constitutionnellement, déléguer cette responsabilité inhabituelle à une seule Chambre. Vous dites qu'il n'y a aucun doute quant à la validité constitutionnelle d'une disposition déléguant des pouvoirs décisionnels à la seule Chambre des communes.
Or, il s'agit là de plus que d'une simple délégation: il s'agit d'une opinion contraignante. Il ne s'agit pas d'une délégation; il s'agit de rendre contraignante la prérogative du pouvoir exécutif.
M. Hogg: Lorsqu'une loi confie un pouvoir à un organisme délégué, on envisage normalement une décision contraignante. Par exemple, lorsque le gouverneur en conseil prend des règlements, il s'agit de règlements contraignants. Ils sont contraignants du fait de l'existence des lois. Je ne pense pas que le fait que l'opinion de la Chambre des communes serait contraignante change quoi que ce soit à mon opinion.
Le sénateur Grafstein: Vous ne considérez pas cela comme un abandon de pouvoir; vous continuez de considérer cela comme une délégation de pouvoir, n'est-ce pas?
M. Hogg: Oui.
Le sénateur Grafstein: Permettez-moi une petite digression. Nous avons eu des discussions ici sur la nature de l'avis consultatif de la Cour suprême du Canada. Pensez-vous que cette décision consultative, qui est l'objet de la loi dont nous sommes saisis, est contraignante?
M. Hogg: Oui.
Le sénateur Grafstein: Dans votre texte, vous êtes un peu plus dubitatif à ce sujet. Vous semblez dire qu'en réalité, cela n'est pas contraignant, mais qu'en fait, du point de vue pratique, c'est bel et bien contraignant. Je vous renvoie à la partie 8.6(d) de votre texte. Vous y dites:
Il s'ensuit que la réponse de la Cour suprême n'est pas contraignante, même pour les parties en cause, et n'a pas le même poids, du point de vue des précédents, qu'une opinion exprimée pour une cause véritable. C'est certainement ce que dit la loi en noir sur blanc. Toutefois, il ne semble pas y avoir de cas répertorié où l'opinion exprimée lors d'un renvoi à la Cour ait été négligée par les parties ou balayée par un tribunal ultérieur du fait de son caractère consultatif. En pratique, les opinions exprimées lors d'un renvoi sont traitées de la même façon que d'autres opinions judiciaires.
Techniquement, du point de vue constitutionnel, cette opinion n'est pas contraignante, toutefois, d'un point de vue pratique, elle est effectivement contraignante. Êtes-vous d'accord?
M. Hogg: Oui.
Le sénateur Grafstein: C'est donc votre position?
M. Hogg: Oui, en effet.
Le sénateur Grafstein: Connaissez l'opinion consultative de la Cour suprême sur les pouvoirs du Sénat?
M. Hogg: Je ne l'ai pas examinée récemment, mais je la connais.
Le sénateur Grafstein: Permettez-moi de vous rafraîchir la mémoire. Comme vous le savez, pour cette cause, la décision a été rendue en 1979. Permettez-moi de m'y reporter. Je suppose qu'en pratique cette décision est contraignante. Dans une opinion unanime, la Cour suprême s'est prononcée sur la question de savoir si la Chambre des communes pouvait contourner le Sénat au moyen d'une mesure législative.
Selon nous, le pouvoir accordé au Parlement fédéral par le paragraphe 19(1) ne vise pas à lui permettre de modifier, de quelque façon que ce soit, les dispositions des articles 91 et 92, portant sur l'exercice du pouvoir législatif par le Parlement du Canada et les assemblées législatives des provinces.
Jusque là, aucun problème. La Cour ajoute ensuite:
Le paragraphe 91(1) est une application particulière du pouvoir législatif général du Parlement du Canada.
Ce ne semble toujours pas être un problème. Ensuite, la Cour ajoute:
Ce pouvoir général ne peut être exercé que par la Reine, avec l'avis et le consentement du Sénat et de la Chambre des communes. Le paragraphe 91(1) ne peut être interprété comme conférant le pouvoir de faire fi du reste de l'article. Il ne peut être interprété comme permettant le transfert des pouvoirs législatifs énumérés à l'article 91 à une instance ou à des instances autres que celles qui y sont spécifiquement désignées.
Vous nous avez dit que le pouvoir exécutif a une prérogative et qu'il peut déléguer son pouvoir à qui bon lui semble. Dans ce cas-ci, il a choisi l'autre Chambre. Il aurait pu en faire autant aux neuf provinces, n'est-ce pas?
M. Hogg: Pas le pouvoir exécutif, mais le Parlement du Canada, y compris le Sénat, aurait pu le faire.
Le sénateur Grafstein: Dans ce projet de loi, nous aurions pu déléguer notre pouvoir. Vous dites que le pouvoir exécutif a choisi de déléguer son pouvoir et qu'il aurait pu recommander à la Chambre des communes, qu'il contrôle, de déléguer le pouvoir aux neuf provinces. Toutefois, il a choisi de le déléguer à une seule Chambre.
M. Hogg: Oui.
Le sénateur Grafstein: Voici ce que dit la Cour suprême à ce sujet:
Dans la cause du procureur général de Nouvelle-Écosse contre le procureur général du Canada et Lord Nelson Hotel Company Limited [[1951] R.C.S. 31], la Cour a établi que ni le Parlement du Canada ni une assemblée législative provinciale ne peuvent se déléguer l'un à l'autre les pouvoirs législatifs qui leur ont été confiés, pas plus qu'ils ne peuvent accepter d'exercer les pouvoirs confiés à un autre organe législatif.
Nous ne pouvons pas déléguer des pouvoirs à une autre assemblée législative. La Cour suprême ajoute ensuite:
L'élimination du Sénat irait beaucoup plus loin dans la mesure où elle représente un transfert par le Parlement de tous ses pouvoirs législatifs à un nouvel organe législatif dont le Sénat ne fait pas partie.
Donc, en fait, nous avons créé un nouvel organe législatif qui s'appelle la Chambre des communes, et qui ne comprend ni la Reine ni le Sénat.
Je veux vous lire quelques autres extraits; vous pourrez ensuite conclure et me dire ce que vous en pensez. Tout d'abord, pour en revenir à ce que vous disiez un peu plus tôt:
Comme on l'a indiqué précédemment, le système de représentation régionale était l'une des caractéristiques essentielles du Sénat lorsqu'il a été créé. Sans cela, le Sénat ne serait plus un élément essentiel du régime fédéral canadien.
C'est l'argument du sénateur Gauthier. Je termine avec le dernier paragraphe. Ce sont tous des extraits de cette décision.
[...] nous sommes d'avis que le paragraphe 91(1) pourrait permettre au Parlement de modifier la constitution du Sénat, mais qu'il ne permet pas au Parlement d'en modifier les caractéristiques fondamentales ou essentielles qui ont été données au Sénat pour assurer la représentation régionale et provinciale au sein du processus législatif fédéral. La nature du Sénat a été déterminée par le Parlement britannique [...]
On dit en conclusion:
Nous sommes d'avis que sa nature fondamentale ne peut être modifiée unilatéralement par le Parlement du Canada et que le paragraphe 91(1) ne confère pas ce pouvoir.
Autrement dit, le Sénat ne peut accéder à cette demande particulière si cela modifie fondamentalement ses pouvoirs de façon législative plutôt que par le biais d'une modification constitutionnelle. C'est ce que dit cet arrêt.
Ne diriez-vous pas que ce serait bien plus que malaisé? Vous avez dit qu'il ne serait pas pratique de conférer le pouvoir décisionnel à deux organes qui pourraient en arriver à des conclusions différentes. Mais il ne s'agit pas ici de ce qui est pratique ou non. Dans cet arrêt, la Cour suprême juge qu'il s'agit du droit du pays. Le Sénat, même s'il le voulait, ne pourrait céder ses pouvoirs à cet autre organe qu'est la Chambre des communes.
M. Hogg: Je pourrais mieux vous répondre si vous me lisiez la question qui avait été posée à la Cour suprême du Canada dans le renvoi sur le Sénat. Si vous n'en avez pas le libellé précis, je vous dirai ce qu'était cette question si ma mémoire est bonne.
Le sénateur Grafstein: Allez-y, et nous verrons si nous sommes d'accord. Nous ne sommes pas ici pour lire de longues décisions. Je vous renvoie simplement à l'arrêt [1980] 1 R.C.S. 54. Je vous lis les questions. Elles sont brèves.
Le Parlement du Canada a-t-il le pouvoir législatif de révoquer les articles 21 à 36 de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique de 1867, dans sa version modifiée, et de modifier d'autres articles de cette loi afin d'en supprimer toute mention d'une Chambre haute ou du Sénat? Dans la négative, dans quelles conditions particulières et dans quelle mesure?
Le Parlement du Canada a-t-il le pouvoir législatif d'adopter des mesures législatives modifiant ou remplaçant la Chambre haute du Parlement afin de réaliser l'un ou l'autre des changements suivants [...].
On mentionne ensuite divers changements qui pourraient être apportés au Sénat, relativement à la représentation des sénateurs, à leurs qualités, et ainsi de suite. Puis, on traite de changements dans l'arène politique à l'exclusion de l'arène sénatoriale.
M. Hogg: Il me semble qu'on a demandé à la cour si le Parlement du Canada pouvait, sans modification constitutionnelle, abolir ou modifier radicalement le Sénat. La cour a répondu non, il faut une modification constitutionnelle pour ce faire. Le pouvoir que conférait alors le paragraphe 91(1), disposition qui a depuis été révoquée, ne permettait pas au Parlement du Canada d'abolir le Sénat ou de le modifier radicalement, par exemple, pour en faire une assemblée élue. C'est bien différent de ce dont on traite ici aujourd'hui.
Le sénateur Grafstein: L'est-ce vraiment?
M. Hogg: Je crois que oui, parce qu'on ne cherche pas à abolir ou à reconstituer le Sénat. Dans ce projet de loi, on confère une fonction à la Chambre des communes qui n'est pas conférée au Sénat. Mais le rôle du Sénat en matière législative reste inchangé. Le rôle du Sénat en matière de modification constitutionnelle reste inchangé.
Le sénateur Grafstein: Toutefois, vous nous avez dit plus tôt que le pouvoir exécutif dont il s'agit ici relève, soit de l'article 44 qui permet de modifier les pouvoirs du Sénat, soit de l'obligation d'assurer la paix, l'ordre et le bon gouvernement, obligation relativement à laquelle les décisions ont toujours été prises par les deux Chambres, comme le veulent la tradition et l'usage.
M. Hogg: En occurrence, la décision sera prise par les deux Chambres. Le projet de loi C-20 doit être adopté par les deux Chambres.
Le sénateur Grafstein: Mais pas le produit.
M. Hogg: Non, pas le produit.
Le sénateur Grafstein: Permettez-moi de conclure, monsieur Hogg, parce que j'ai parfois du mal à faire la distinction entre les points vue politiques et les points de vue constitutionnels. Vous n'aimez pas beaucoup le Sénat, n'est-ce pas?
Le sénateur Joyal: Vous ne témoignez pas sous serment.
Le sénateur Grafstein: J'espère que nous pouvons être francs les uns avec les autres. Certains professeurs me plaisent, d'autres pas.
M. Hogg: Je ne dirais pas que je n'aime pas le Sénat; je dirais plutôt que j'estime souhaitable que le Sénat soit une assemblée élue.
Le sénateur Grafstein: Cela traduit-il bien votre point de vue? Encore une fois, nous sommes ici pour faire la distinction entre les vues politiques et les vues constitutionnelles. C'est là notre problème. C'est notre responsabilité constitutionnelle. J'ai lu votre texte du début à la fin, mais je me suis attardé sur le paragraphe de la page 241 qui m'apparaît troublant. Vous y parlez du Sénat et, plus particulièrement, de l'idée d'assurer une représentation égale des quatre régions du pays au sein du Sénat:
En rétrospective, il est évident que cette idée était vouée à l'échec, car les sénateurs devaient être nommés plutôt qu'élus, et nommés par le gouvernement fédéral plutôt que par les gouvernements provinciaux. De toute façon, le Sénat n'a jamais représenté efficacement les intérêts régionaux ou provinciaux.
C'est ma dernière remarque.
M. Hogg: Voulez-vous que je réponde? J'ai bien écrit cela, et je continue de croire que le Sénat serait plus efficace s'il était une assemblée élue. Que puis-je ajouter?
Le sénateur Joyal: Monsieur Hogg, vous avez reconnu bien honnêtement que, dans le passé, il est arrivé que vous et la Cour suprême du Canada n'interprétiez pas de la même façon les règles constitutionnelles. Dans le cas du renvoi sur le Sénat, certaines de vos opinions ont-elles été rejetées par la Cour suprême du Canada?
M. Hogg: Dans le renvoi sur le Sénat?
Le sénateur Joyal: Non, dans le renvoi sur la sécession du Québec.
M. Hogg: Je ne comprends pas la question.
Le sénateur Joyal: Dans le renvoi sur la sécession du Québec, se peut-il que la Cour suprême du Canada ait rejeté certaines de vos interprétations des règles constitutionnelles?
M. Hogg: Oui. À mon avis, la loi n'imposait pas le devoir de négocier la sécession à la suite d'un résultat positif à un référendum sur la sécession de la province. Le passage qu'a lu le sénateur Cools traduit bien la position que j'avais adoptée à l'époque.
Le sénateur Joyal: Et qu'en est-il de la majorité? Lors de votre témoignage devant le comité de la Chambre des communes, le 22 février, vous avez déclaré ce qui suit:
Pour ce qui est de la majorité claire, la deuxième question, ce que je disais avant le renvoi à la Cour suprême et que j'ai écrit dans un article, c'est que bien que ce serait une bonne idée d'insister sur une majorité spéciale pour une décision aussi irréversible et importante que la sécession, je ne voyais pas de principe de droit que l'on pourrait invoquer pour insister sur une majorité spéciale et c'est pourquoi j'estimais qu'il fallait accepter comme règle constitutionnelle 50 p. 100 plus une des voix.
C'est une opinion audacieuse.
Ce qui a changé depuis que j'écrivais cela en 1997, c'est que la Cour suprême du Canada dans sa décision a déclaré qu'il fallait, et je cite, «une majorité claire».
Autrement dit, si le gouvernement fédéral vous avait demandé votre avis sur les règles constitutionnelles relatives à une majorité claire, vous auriez répondu que 50 p. 100 plus une des voix en faveur de la sécession aurait suffi et qu'une seule voix aurait permis le démantèlement du pays.
M. Hogg: À l'époque, j'estimais que 50 p. 100 plus une des voix constituait une majorité suffisante pour un scrutin référendaire. Pour ce qui est de savoir si cela aurait entraîné le démantèlement du pays, cela aurait dépendu de la clarté de la question et du choix qu'aurait fait le gouvernement du Canada de négocier ou non avec le gouvernement du Québec, car, à mon sens, il n'y avait pas d'obligation de négocier. Quoi qu'il en soit, cette époque est révolue puisque la Cour suprême du Canada a adopté une position différente de la mienne et, bien sûr, c'est cette position qui prévaut, à savoir qu'il faudrait une majorité claire.
Le sénateur Joyal: Sur ces deux questions fondamentales, il n'y a pas d'obligation constitutionnelle de négocier d'après le paragraphe 98 du Renvoi sur la sécession du Québec:
Les rôles respectifs des tribunaux et des acteurs politiques, dans l'exécution des obligations constitutionnelles que nous avons décrites, découlent inéluctablement des remarques antérieures. Dans le Renvoi relatif au rapatriement, une distinction a été faite entre le droit de la Constitution, que généralement les tribunaux font respecter, et d'autres règles constitutionnelles, telles que les conventions de la Constitution, qui sont susceptibles de sanctions politiques seulement.
En d'autres termes, la cour n'a pas suivi votre raisonnement dans son interprétation de l'obligation juridique. En ce qui a trait à la majorité, la cour n'a pas non plus suivi votre raisonnement.
M. Hogg: C'est exact.
Le sénateur Joyal: Je veux simplement qu'il soit bien clair qu'en matière de primauté du droit, on peut différer d'opinions et que, en matière de politique, on peut aussi différer d'opinions. Justement, concernant la primauté du droit, je cite une des remarques que vous avez faites le 22 février:
À mon avis, et comme vous l'on déjà dit d'autres témoins, le gouvernement canadien enfreindrait à la Constitution s'il se lançait dans des négociations visant à démanteler le pays sans s'être convaincu que les électeurs du Québec ont clairement exprimé un désir de sécession du Canada.
Voyons voir ce que vous avez dit ce soir et qui figure à la page 3 de votre mémoire:
N'oublions pas que si le projet de loi C-20 n'existait pas, ce serait le gouvernement du Canada -- en l'occurrence le Cabinet fédéral -- qui se prononcerait sur la clarté de la question et de la majorité. Ni la Chambre des communes, ni le Sénat du Canada n'auraient de rôle à jouer à cet égard.
Autrement dit, d'après vous, d'après ce que vous avez dit ce soir, le Cabinet seul aurait à se prononcer sur la clarté de la question et de la majorité et personne n'aurait de motif juridique de se plaindre parce que, selon vous, c'est une prérogative de l'exécutif que d'amorcer des négociations et de déterminer, bien sûr, ce qu'est une question claire et qu'est une majorité claire. Mais dans votre témoignage précédent, vous avez déclaré clairement que le gouvernement du Canada violerait la Constitution s'il se lançait dans des négociations sur le démantèlement du pays sans être d'abord convaincu que les électeurs ont exprimé clairement leur volonté de faire sécession.
Y aurait-il ou non violation de la Constitution? D'une part, vous dites que oui et, d'autre part, vous dites que non, parce qu'on pourrait invoquer la prérogative de l'article 91 -- la paix, l'ordre et le bon gouvernement.
M. Hogg: Pour revenir à ce que vous avez dit plus tôt, je reconnais me tromper souvent. Vous pouvez très bien décider de faire fi de mes remarques de ce soir puisqu'on m'a donné tort dans le passé.
En ce qui concerne votre dernière question, sénateur Joyal, je ne crois pas qu'il y ait contradiction si j'ai bien compris les extraits que vous avez lus. N'ai-je pas dit que, si ce projet de loi n'existait pas, le gouvernement du Canada aurait l'obligation de négocier la sécession parce que la Cour suprême du Canada a stipulé que, s'il juge que la question était claire, il violerait ses obligations constitutionnelles s'il négociait la sécession à partir d'une question qui n'était pas claire?
Le sénateur Joyal: En d'autres mots, vous faites une distinction entre l'obligation qu'a le gouvernement du Canada de se prononcer sur la clarté de la question et l'obligation qu'a le gouvernement du Canada d'amorcer les négociations.
M. Hogg: Je fais cette distinction, mais j'en conclus aussi que, en l'absence de ce projet de loi, la décision de la Cour suprême du Canada obligerait le gouvernement du Canada, contrairement à ce que je croyais auparavant, à négocier avec le gouvernement du Québec si la question était claire, et, à mon avis, le gouvernement du Canada ne remplirait pas ses devoirs constitutionnels s'il négociait la sécession d'une province alors que la question référendaire n'était pas claire.
Qui se prononce sur la clarté de la question? En l'absence de cette mesure législative, ce devrait nécessairement être le gouvernement du Canada, soit le pouvoir exécutif, le Cabinet fédéral.
Le sénateur Joyal: Voici ma dernière question. Je cite encore une fois votre témoignage du 22 févier:
La cour a donc clairement laissé à ce qu'elle appelle des acteurs politiques la question de savoir si les conditions de négociation -- à savoir, une question claire et une majorité claire -- ont été remplies.
Certes, ces acteurs politiques incluent le gouvernement et le Parlement canadien qui auraient à décider s'ils devraient entreprendre les négociations de sécession.
Comment conciliez-vous cette déclaration avec les sept «attendus» du projet de loi qui disent que, à la lumière de la conclusion de la Cour suprême du Canada, il incombe aux représentants élus de déterminer si la question et la majorité sont claires? Le 22 février, vous étiez d'avis que cela incombait au gouvernement et au Parlement du Canada. Le Parlement inclut-il le Sénat et la Chambre des communes? Vous connaissez certainement la différence entre le Parlement du Canada et le gouvernement du Canada.
M. Hogg: Je dis simplement qu'en l'absence de toute mesure législative, la décision reviendrait par défaut au gouvernement du Canada. C'est lui qui déterminerait si la question était claire ou non. Il agirait ensuite en conséquence.
Le sénateur Joyal: Mais vous avez déclaré que les acteurs politiques incluent le gouvernement et le Parlement du Canada.
La présidente: Monsieur le sénateur Joyal...
Le sénateur Joyal: C'est important, madame la présidente. Je sais que je n'exprime pas ici votre opinion, mais c'est une question importante et le compte rendu prouve que le témoin a bien fait cette déclaration.
Le sénateur Lynch-Staunton: Ça ne prendrait qu'une minute.
Le sénateur Taylor: Ce n'est pas une course.
Le sénateur Prud'homme: Cela a pris trois ans à Charlottetown.
Le sénateur Joyal: Plus simplement, monsieur Hogg, à votre avis, qui est un acteur politique au sens du renvoi à la Cour suprême?
M. Hogg: Le gouvernement, le pouvoir exécutif, pourrait être un acteur politique. La Chambre des communes, le Sénat et le Gouverneur général pourraient aussi en être.
Je dis simplement que, si ce projet de loi ne le précisait pas, je ne crois pas qu'on serait tenu de consulter le Parlement du Canada avant de se prononcer sur la clarté de la question, car, en l'absence de toute autre mesure, c'est à l'exécutif qu'il incomberait d'en décider.
Autrement dit, lorsque la Cour suprême du Canada a fait mention de «acteurs politiques», elle n'a pas précisé qui serait ces acteurs; elle a laissé au Parlement du Canada le soin de déterminer qui serait ces acteurs. D'après moi, le projet de loi C-20 précise qui sont ces acteurs. S'il ne faisait pas, ce serait simplement le pouvoir exécutif.
Le sénateur Beaudoin: J'aimerais avoir une précision. Vous avez dit que le projet de loi C-20 est constitutionnel conformément à la disposition sur la paix, l'ordre et le bon gouvernement ou à l'article 44. Je mets de côté la paix, l'ordre et le bon gouvernement, car c'est en effet une possibilité. Mais je vous lis l'article 44:
D'après les articles 41 et 42, le Parlement peut modifier la Constitution du Canada au sujet du Sénat [...]
Je cite l'article 42:
Toute modification de la Constitution du Canada portant sur les questions suivantes se fait conformément au paragraphe 38(1) [...]
Et cela inclut les pouvoirs du Sénat, c'est très clair. Cela signifie aussi que l'article 44 est assujetti à la formule de modification 7-50. Vous décidez de laisser cette disposition de côté en disant que ce n'est pas nécessaire et que vous n'avez pas besoin de ce type de modification, ce qui est draconien. Cela signifierait que l'article 44 est réservé à des modifications moins importantes que celles auxquelles s'applique l'article 42.
Cela pose problème pour moi. Lorsqu'on décide de la survie d'un pays, c'est évidemment une question de grande importance, et je suis enclin à dire que l'article 42 pourrait s'appliquer dans ce cas. Quant à vous, vous affirmez que c'est plutôt l'article 44 qui s'applique.
Nous sommes tous d'accord pour dire que le Parlement peut, unilatéralement et par une simple loi, réduire les pouvoirs du Sénat, ceux de l'exécutif ou ceux de la Chambre des communes. Je dois donc conclure qu'à votre avis, le projet de loi C-20 est de moindre importance, en ce qui concerne, en tout cas, le pouvoir du Sénat. À mon avis, cela va directement à l'encontre du renvoi sur le Sénat dont parlait le sénateur Grafstein.
Le pouvoir conféré par l'article 44 se fonde sur celui qui est conféré au paragraphe 91(1), qui a été abrogé et remplacé. En toute logique, cela illustre la très grande importance du projet de loi. Je suis bien prêt à dire qu'il avait été prévu que ce texte ne soit qu'une loi, et on peut bien invoquer la paix, l'ordre et le bon gouvernement, mais si nous invoquons l'article 44, qui constitue une modification unilatérale, il est difficile de concilier cela avec les articles 44 et 42, à cause de l'importance du projet de loi C-20. Vous pouvez peut-être tenter de me convaincre que cela n'est pas très important et que cela peut relever de l'article 44, n'est-ce pas?
M. Hogg: Sénateur Beaudoin, dans ma déclaration, j'ai dit que le pouvoir de faire des lois pour la paix, l'ordre et le bon gouvernement pouvait constituer l'autorité pour le projet de loi. Autrement dit, je n'ai pas affirmé que l'article 44 était l'autorité. Je n'ai fait que répondre à votre question.
Le sénateur Beaudoin: C'est exact.
M. Hogg: Il me semble qu'en vertu du paragraphe 38(1), tout changement dans les pouvoirs du Sénat exigerait une modification de la Constitution, surtout s'il s'agit de modifier un des pouvoirs du Sénat stipulé actuellement dans la Constitution du Canada. Autrement dit, si l'on cherchait, par exemple, à retirer au Sénat le rôle qu'il a d'approuver les mesures législatives, rôle que lui confère actuellement la Constitution du Canada, il faudrait pour cela une modification en vertu de la formule 7-50, comme le prévoit actuellement l'article 42. Accorder certains pouvoirs à la Chambre des communes sans les accorder nécessairement au Sénat ne me semble pas à mon avis modifier en quoi que ce soit les pouvoirs du Sénat tels qu'ils sont prévus dans la Constitution du Canada. Par conséquent, je ne crois pas que l'article 42 s'applique, ni non plus l'article 44.
Le sénateur Beaudoin: Si je vous comprends bien, lorsque l'on ne traite pas sur un pied d'égalité les deux Chambres du Parlement, cela ne justifie pas, à votre avis, que l'on parle d'une modification aux pouvoirs du Sénat. Pour ma part, je suis plutôt enclin à dire que, dès lors que dans notre histoire, même si l'avenir de notre pays est en jeu, on persiste à dire que les deux Chambres ne sont pas sur un pied d'égalité, c'est au contraire très important. En effet, tout le pays pourrait être détruit indirectement à cause de cela. Mais vous, vous maintenez que cela relève de l'article 44 et que cela constitue une modification secondaire.
J'ai du mal à faire la distinction entre ce qui serait une modification directe selon l'article 42, selon la formule 7-50, et une modification secondaire au moyen d'une loi. Je veux bien que cela puisse se faire, mais à mon avis, l'assemblée constituante qui existait à l'époque du rapatriement de la Constitution n'avait nullement l'intention de permettre que des changements aussi importants que ceux-là soient rendus possibles par une simple loi du Parlement. J'ai du mal à accepter cela. Vous, de votre côté, vous concluez que tout cela est possible, même si le projet de loi est de la plus haute importance, et même s'il s'agit d'une mesure législative exceptionnelle qui ne traite pas équitablement les deux Chambres de notre Parlement. Je ne crois pas que c'était ce qu'avaient envisagé les Pères de la Confédération.
M. Hogg: Je crois que c'est possible, car les pouvoirs accordés par la Constitution au Sénat ne sont pas touchés par ce projet de loi-ci. Cela ne fait que refuser au Sénat un nouveau pouvoir accordé à la Chambre des communes, pouvoir qui n'aurait été accordé ni à la Chambre des communes ni au Sénat n'eût été ce projet de loi-ci.
Le sénateur Beaudoin: C'est tout un refus!
M. Hogg: En effet.
Le sénateur Beaudoin: Ce n'est pas rien. Vous dites que c'est l'article 44 qui s'applique.
M. Hogg: Non, je dis que c'est faire des lois pour la paix, l'ordre et le bon gouvernement qui s'applique.
Le sénateur Beaudoin: Ce n'est même pas une modification.
La présidente: J'ai cinq sénateurs d'inscrits sur la liste, après quoi nous devrons mettre un terme à nos questions, puisque nous devons accueillir un autre témoin intéressant.
Le sénateur Bolduc: Monsieur Hogg, vous dites, au dernier paragraphe de votre mémoire, ce qui suit:
Le rôle du Sénat, pour ce qui est de représenter les régions du Canada ou les minorités linguistiques n'est pas très important lorsqu'il s'agit de traiter de questions précises comme celle de savoir si la question est claire [...]
Vous êtes en train de me dire à moi, qui représente la province de Québec et qui siège au Sénat, qu'il n'est pas très important que nous en débattions à la Chambre haute, nous qui sommes des parlementaires? Cela m'embête beaucoup de vous entendre dire cela.
M. Hogg: Je vous répondrai qu'il est peu probable qu'une question claire mentionne quoi que ce soit sur le rôle des minorités. La protection des minorités se fera lors du processus de négociation et de modification qui suivrait un référendum. Lors de ce processus, le Sénat aurait à jouer normalement son rôle, tout comme les provinces, et on s'attendrait à ce que les minorités deviennent des intervenants actifs et importants, comme elles l'ont été lors des propositions de modifications de l'Accord du lac Meech et de l'Entente de Charlottetown. Je ne crois pas qu'il soit nécessaire de mobiliser les minorités pour déterminer si la question est claire ou pas.
Le sénateur Bolduc: Autrement dit, nous serons réduits au rôle d'un groupe de pression.
M. Hogg: Pas du tout. Tout ce que je dis, c'est que pour déterminer si la question est claire ou pas, c'est un peu comme dans une décision judiciaire. Il s'agit tout simplement d'appliquer une norme à un problème.
Le sénateur Bolduc: Une décision judiciaire prise par les membres de la Chambre des communes.
M. Hogg: Ce n'est pas une décision judiciaire, mais ça y ressemble.
Le sénateur Bolduc: La Cour suprême joue au politicien lorsqu'elle décide que nous devons négocier.
M. Hogg: Peut-être.
Le sénateur Bolduc: Vous admettrez que c'est compliqué pour les profanes.
M. Hogg: C'est compliqué même pour les avocats.
Le sénateur Murray: Monsieur Hogg, vous avez répondu à l'un de nos collègues qu'un référendum dans la province qui veut faire sécession est la condition préalable aux négociations en vue de la sécession. J'imagine que c'est ce que vous avez conclu de l'avis consultatif de la Cour suprême. Cela m'oblige à poser la question qu'a déjà soulevée parfois le sénateur Joyal: pourquoi ne pas tenir de référendum dans toutes les provinces puisque tous les habitants de ces provinces pourraient perdre leur pays?
Ma deuxième question porte sur la prétendue obligation légale qu'ont toutes les parties de négocier. D'après la façon dont j'interprète l'avis consultatif, cette obligation s'étend non seulement à une proposition de sécession, mais aussi à toute initiative constitutionnelle légitime provenant de l'une des parties. Depuis 1982, le Québec refuse de prendre part à quelque négociation sur une modification constitutionnelle, tant que ses objections politiques à la Constitution de 1982 n'auront pas été résolues. Êtes-vous en train de nous dire qu'advenant une initiative légitime de la part de l'une des autres parties, nous pourrions obliger le Québec à s'asseoir à la table des négociations? Comment peut-on faire respecter cette obligation légale?
M. Hogg: Sur la question de savoir si l'obligation de négocier s'applique aux modifications autres que les modifications visant la sécession, je n'ai pas encore tiré de conclusions. D'une part, l'obligation de négocier pourrait s'appliquer en toute logique à toutes les modifications. D'autre part, la sécession est un événement à ce point inusité et bouleversant qu'on pourrait interpréter cette disposition comme s'appliquant qu'à la sécession et pas à d'autres types de modifications.
Le sénateur Murray: Ce sont, à mon avis, des déclarations relativement générales.
M. Hogg: Vous avez peut-être raison. Si c'est le cas, je ne sais pas comment on peut faire pour obliger une province récalcitrante à prendre part aux négociations. Je ne peux pas imaginer qu'un tribunal émettrait une injonction en ce sens.
Le sénateur Joyal: Ou l'inverse.
Le sénateur Gauthier: Monsieur Hogg, je comprends ce que vous avez fait valoir au sujet du bicaméralisme qui existe au Canada. Je sais également que nos règles prévoient l'organisation de conférences réunissant le Sénat et la Chambre des communes dans le but de résoudre des problèmes. Or, l'exclusion du Sénat est très grave. Après tout, en France, par exemple, on peut organiser des conférences constitutionnelles. Là-bas, le Sénat et l'assemblée législative peuvent se réunir pour discuter et pour mettre aux voix toute proposition qui leur est soumise. Ici, la proposition, c'est la clarté de la question. Pourquoi le Sénat n'aurait-il pas voix au chapitre? Vous affirmez que ce n'est pas important qu'il ait voix au chapitre. Je dis, pour ma part, que c'est important: je suis sénateur et je veux être consulté. Pourquoi le gouvernement ne pourrait-il pas tout simplement convoquer les deux Chambres pour qu'elles en discutent et que les deux Chambres se prononcent au moyen d'un vote, ce qui aurait pour conséquence que la décision aura été prise démocratiquement. Vous êtes contre cette façon de faire?
M. Hogg: Je ne suis pas contre. Cela pourrait même être une façon de résoudre le problème de bicaméralisme dont j'ai parlé.
Le sénateur Grafstein: Monsieur Hogg, vous avez porté toute votre attention sur la première question, qui concerne la clarté. Toutefois, il y a deux questions en jeu. Vous semblez accorder autant de poids au traitement des deux questions, même si la deuxième, qui est celle de la majorité, pourrait faire l'objet d'un âpre débat et pourrait être contestée, puisqu'il s'agirait d'assurer que les minorités sont incluses dans une majorité claire. Est-ce que ce ne serait pas là le rôle le plus approprié à faire jouer à notre système bicaméral de gouvernement?
M. Hogg: Je n'ai jamais dit qu'il y avait quoi que ce soit d'inapproprié à faire intervenir le Sénat dans l'un ou l'autre des débats. Je fais simplement valoir deux choses. D'abord, la Constitution permet au Parlement du Canada d'octroyer à la seule Chambre des communes le pouvoir de décider. Deuxièmement, on peut imaginer que cela pourrait présenter un certain dilemme -- quoique non insoluble -- si, en permettant aux deux Chambres de se prononcer, on obtenait deux réponses différentes.
Pour ce qui est de ma deuxième observation, c'est purement une question de politique. Et mon opinion n'a pas plus de poids que celle de n'importe qui d'autre. D'ailleurs, comme l'ont déjà souligné plusieurs sénateurs, mon opinion sur les questions constitutionnelles ne pèse pas lourd dans la balance.
Le sénateur Grafstein: J'aimerais savoir ce que vous pensez de l'argument suivant, qui nous a déjà été exposé par au moins un témoin, à savoir que la Constitution prévoit de façon expresse les moyens que peut prendre le gouvernement fédéral, c'est-à-dire l'exécutif, pour transiger avec une assemblée législative provinciale qui n'aurait pas à coeur les intérêts du gouvernement fédéral. Je parle ici du pouvoir de rejet et du pouvoir de réserve. Dans votre livre, je crois que vous avez opté pour la même conclusion que les tribunaux: de l'avis de ces derniers, les constitutionnalistes estiment que ce pouvoir est caduque.
Il existe deux méthodologies spécifiques qui ont été affaiblies par le fait qu'elles sont tombées en désuétude. Un témoin nous a même expliqué qu'il existait en fait une troisième méthode pour apporter une modification à la Constitution, qui était tout à fait nouvelle et même révolutionnaire, puisqu'elle ne faisait appel qu'à une seule des deux instances, la Chambre des communes. Il s'agit, effectivement, d'une nouvelle mesure inhabituelle et exceptionnelle qui utilise des moyens inhabituels et exceptionnels pour s'occuper d'une loi provinciale. Le témoin concluait que cela pourrait équivaloir à une modification de la Constitution plutôt qu'à une simple mesure législative.
M. Hogg: Je conviens avec vous qu'il s'agit d'une mesure fort inhabituelle. Je conviens aussi qu'il s'agit d'une méthode inhabituelle pour s'occuper d'une loi provinciale. Toutefois, le gouvernement du Canada est obligé de se demander comment il va définir les acteurs politiques et qui devra déterminer si la question est claire ou pas. Ce que le gouvernement propose, et ce que le Sénat devrait accepter si jamais le projet de loi est adopté, c'est que le principal acteur politique, ce sera la Chambre des communes. Je conviens avec vous que tout cela est très inusité; mais il faut aussi reconnaître que c'est un problème extrêmement inusité que le gouvernement du Canada et aujourd'hui le Parlement ont à résoudre.
Le sénateur Grafstein: Ne croyez-vous pas que, comme l'expliquait un éminent ex-juge, cela tient plus de la modification constitutionnelle que d'une délégation législative?
M. Hogg: Non, je ne suis pas d'accord.
Le sénateur Grafstein: Je vois.
Le sénateur Joyal: À la page 3 de votre texte, vous concluez avec ceci:
[...] le Sénat jouera son rôle habituel dans le processus de modification, et au moins sept assemblées législatives provinciales auront aussi à approuver le résultat [...]
Pourquoi n'avez-vous pas mentionné le projet de loi C-110 dans votre exposé? Ce projet de loi-là constitue, lui aussi, un élément juridique important du consentement que pourraient exprimer les provinces. Vous avez expliqué que la Colombie-Britannique et l'Alberta ont des lois particulières qui les obligent à faire un certain nombre de choses avant d'acquiescer à un changement. Pourquoi ne pas avoir mentionné le projet de loi C-110? Est-ce un oubli, ou est-ce parce que vous avez l'impression que, le moment venu, le projet de loi aura été abrogé et le gouvernement du Canada n'aura plus à en tenir compte?
M. Hogg: Non. J'ai tenu pour acquis qu'il faudrait aussi tenir compte du projet de loi C-110. Toutefois, je n'ai pas jugé que le projet de loi était à ce point pertinent, même s'il peut peut-être étayer mon argument, puisqu'il prévoit une plus grande présence régionale dans toute la démarche.
Le sénateur Joyal: Auriez-vous pu ajouter le projet de loi C-110 à votre exposé?
M. Hogg: Oui.
Le sénateur Joyal: On nous a dit que, peu importe le jugement d'un tribunal, il doit y avoir un stare decisis et un obiter dictum. C'est en tout cas ce que disent ceux qui écrivent des textes juridiques et qui observent les jugements. Dans les prochaines semaines, pourriez-vous faire parvenir au comité ce qui vous semble être, à votre avis, les stare decisis du renvoi sur la sécession ainsi que les opinions incidentes qui y sont afférentes?
M. Hogg: Non, car je crois que tout ce qui est pertinent à cette mesure législative fait clairement partie du ratio decidendi de la Cour suprême du Canada.
La présidente: Monsieur Hogg, je vous remercie au nom des membres du comité et des sénateurs qui se sont joints à nous. Votre témoignage nous a particulièrement éclairés, et nous vous sommes reconnaissants d'avoir pris le temps voulu pour comparaître. Nous savons que votre horaire est très chargé.
[Français]
La présidente: Notre prochain témoin, le professeur Guy Lachapelle, est professeur titulaire de la faculté des sciences politiques, à l'Université Concordia, à Montréal. Bienvenue au Sénat. Nous écoutons votre présentation.
M. Lachapelle, professeur, faculté des sciences politiques, Université Concordia: Je vous remercie de m'avoir invité à partager avec vous mes réflexions sur l'impact du projet de loi C-20. Je reprendrai certains des arguments que j'ai présentés au comité législatif de la Chambre des communes, le 21 février dernier. La présentation de l'honorable Stéphane Dion devant votre comité et la pertinence de vos questions ont confirmé bon nombre de mes appréhensions. Le projet de loi C-20 est une atteinte aux libertés et valeurs démocratiques des Canadiens et des Québécois. Il constitue également une négation des principes constitutionnels qui ont guidé à la naissance du Canada et aux relations entre le Québec, le gouvernement fédéral et les provinces canadiennes.
Le gouvernement fédéral judiciarise un processus éminemment politique. Il fait une lecture stratégique du jugement de la Cour suprême du Canada sur le Renvoi relatif à la sécession du Québec et il ne s'engage nullement à respecter l'avis de la Cour suprême. Il s'enlise dans des considérations secondaires sur un légalisme outrancier. La morale politique qui guide actuellement l'État fédéral s'inspire clairement d'un esprit tutélaire. Je suis d'accord avec le sénateur Joyal pour affirmer que le projet de loi C-20 fait une lecture partielle et limitative du renvoi. Il légitimise le projet souverainiste et reconnaît que le Canada est divisible mais pas le Québec.
Au lendemain du référendum de 1995, le premier ministre du Canada affirmait sur les ondes de la CBC, dans le cadre de l'émission The National, qu'il avait l'intention d'utiliser l'article 91 pour faire référence aux questions du sénateur Beaudoin sur la Constitution, pour faire des lois pour la paix, l'ordre et le bon gouvernement au Canada, afin de déterminer la question lors du prochain référendum au Québec. Le projet de loi C-20 semble bien être sa réponse et peut-être même une première étape vers d'autres actions légalistes.
Plus encore, ce projet de loi dit «de la clarté» affirme que la Chambre des communes a la responsabilité de se prononcer sur la clarté d'une question et d'une majorité référendaires avant de déterminer si le gouvernement du Canada a l'obligation d'entreprendre la négociation d'une éventuelle sécession. En d'autres mots, le gouvernement fédéral a décidé de nier la légitimité de l'Assemblée nationale du Québec et du Sénat. Les élections et les référendums dans les provinces ne relèvent pas de son autorité. À notre avis, le projet de loi C-20 est anticonstitutionnel, sans mentionner qu'il milite pour la dominance d'un fédéralisme de type exécutif.
Sommairement, le gouvernement fédéral cherche à édicter certains critères qui seront en vigueur après que l'Assemblée nationale du Québec aura décidé qu'il est temps de poser la question référendaire. Ces trois critères sont: que la question du prochain référendum au Québec devra être claire pour le gouvernement fédéral, c'est-à-dire porter uniquement sur la sécession; que la majorité devra être claire; qu'une question qui ferait référence à des notions d'association ou d'offre de partenariat avec le Canada ne pourrait mener à une négociation.
Pourquoi le projet de loi se limite-t-il à la formulation de la question et de la majorité requise, alors que d'autres enjeux sont aussi importants? Le financement des comités parapluies, le rôle de la télévision et le temps d'antenne, les activités gouvernementales ou le vote obligatoire sont autant de sujets sur lesquels le gouvernement fédéral aurait pu faire connaître son opinion.
Le projet de loi C-20 a surtout une visée politique, soit de dissuader bon nombre de Québécois de voter en faveur de l'indépendance. Nous chercherons aujourd'hui à mieux comprendre ce que les concepts de question claire et de majorité claire signifient de manière pratique et non théorique.
Nous remettons aussi en question la logique du projet de loi C-20. Pourquoi les Québécois ne pourraient-ils pas proposer une offre de partenariat? À ce propos, le renvoi de la Cour suprême du Canada ne mentionnait nullement que le gouvernement du Québec ne pouvait pas consulter sa population au cours des étapes de la négociation. De toute manière, ce jugement n'était qu'une opinion et non un jugement exécutoire, comme l'a bien rappelé le juge Antonio Lamer. Donc, pourquoi légiférer lorsqu'il n'y a pas nécessité?
D'abord, qu'est-ce que qu'une question claire? Le projet de loi C-20 est relativement muet et décevant à ce propos. Selon le projet de loi C-20, la Chambre des communes, pas le Sénat, déterminera si la question permettra au peuple québécois d'exprimer clairement son intention de ne plus faire partie du Canada, et de devenir un État indépendant. La question du prochain référendum ne pourrait porter ni sur un mandat de négocier, ni sur une offre de partenariat, et, en particulier, sur un accord politique et économique. Dans ces deux situations, il y aura absence, selon le projet de loi C-20, d'expression claire de volonté.
Cependant, si les Québécois expriment une volonté claire de faire une offre de partenariat au Canada avant la déclaration d'indépendance, le projet de loi ne peut pas les en empêcher, à moins que le gouvernement fédéral décide, comme en 1995, de soutenir qu'il n'a pas l'intention de négocier. Il faut mentionner que les enquêtes d'opinion récentes au Québec démontrent que les Québécois pensent de plus en plus qu'une entente politique n'est pas viable, et qu'un accord économique est souhaitable. Le projet de loi C-20 est un moyen détourné par lequel le gouvernement fédéral cherche à se soustraire à son obligation de négocier.
Historiquement, le gouvernement fédéral n'a jamais pu dire ce qu'était une question claire. Lorsque Terre-Neuve a voulu entrer dans la Confédération canadienne, le Haut Commissionnaire du Canada avait qualifié la question d'ambiguë et d'équivoque, car elle ne faisait pas mention des conditions d'union qu'offrait le Canada. Le Haut Commissaire du Canada était inquiet quant au déroulement de la campagne référendaire, car selon lui, et je cite:
La Confédération entrait dans la lutte fort désavantagée et, que même si elle devait l'emporter avec la majorité des voix, il faudrait tout probablement réexaminer les bases de l'union.
Ce qui est intéressant dans ces propos est qu'il importe que les citoyens sachent qu'elles seront les bases de leur future union ou partenariat avant un référendum. L'électeur veut savoir sur quelles assises se fera la négociation, aussi bien dans un cas d'union que de sécession. Le droit à l'information est aussi un principe fondamental.
Nous pensons que le gouvernement fédéral erre lorsqu'il affirme que, pour mener à la négociation d'une sécession, il faut une question claire sur la sécession. Même avec une question ambiguë, selon les acteurs politiques du moment, qui n'expliquaient pas les termes de l'union, Terre-Neuve est devenue une province canadienne. Suivant les critères établis par le projet de loi C-20, nous pourrions affirmer aujourd'hui que l'entrée de Terre-Neuve dans la Confédération s'est réalisée de manière ambiguë.
Il y a bien des façons de tenir un référendum. Le projet de loi C-20 n'offre à ce chapitre aucune règle claire. Est-ce qu'il serait possible, en vertu du projet de loi C-20, que le gouvernement du Québec puisse tenir un référendum en même temps qu'une élection? Est-ce que la question suivante serait assez claire: «Voulez-vous que le Québec devienne un pays souverain?» Le gouvernement du Québec peut-il poser une question à deux volets, l'une portant sur l'offre de partenariat et l'autre sur l'indépendance? Peut-il offrir, comme au référendum de Terre-Neuve, deux options: l'indépendance, ou le fédéralisme renouvelé?
Pour les politicologues, une telle discussion demeure fort banale puisque dans les faits, il a été démontré que la question n'a que peu d'influence sur les résultats d'un référendum. Tout le débat sur la clarté n'est pas une question juridique mais une question de stratégie électorale ou référendaire. Le seul élément qui devrait guider le législateur est de s'assurer que la campagne référendaire soit une occasion de débat où les véritables enjeux sont étalés. Mais cela relève davantage des acteurs politiques. Rien n'a empêché le gouvernement canadien de dénoncer à loisir autant la conduite du référendum de 1948 à Terre-Neuve que de ceux du Québec en 1980 et 1995.
Si les questions de 1980 et 1995 n'étaient pas claires, que dire alors des nombreux électeurs québécois qui ont voté Non, pensant qu'ils votaient à chacun de ces référendums pour un fédéralisme renouvelé qui serait décentralisé? Ont-ils été floués par la question référendaire, ou par les promesses des acteurs politiques? Si le Québec a été exclu de la fédération canadienne en 1982, ce n'est certes pas à cause de la question de 1980. La légitimité du rapatriement a d'ailleurs été mise en cause par le juge Antonio Lamer, qui aurait aimé que les citoyens se prononcent par voie référendaire.
Concernant une majorité claire, le projet de loi C-20 nous laisse dans la plus grande expectative. Il affirme qu'en vue de déterminer si une majorité claire de la population de la province a déclaré clairement qu'elle veut cesser de faire partie du Canada, la Chambre des communes prendra en considération trois facteurs: l'importance de la majorité, le pourcentage des électeurs admissibles, et tous autres facteurs et circonstances qu'elle estime pertinents.
Le projet de loi C-20 ressemble ici, à bien des égards, à la loi d'avril 1990, du président Gorbatchev, dont l'objectif était de dissuader les peuples baltes de faire sécession. Il avait modifié la règle de la majorité simple pour les cas de sécession en faveur de la règle des deux tiers.
Ces nouvelles règles vont à l'encontre des principes universellement établis. Le gouvernement fédéral semble d'accord avec l'idée de prendre comme assise la majorité absolue des électeurs inscrits sur la liste électorale plutôt que la majorité absolue. Dans le cas du référendum de 1995, cela signifie que la majorité requise pour le Oui aurait été de 54,5 p. 100, compte tenu du taux de participation de 94 p. 100. Si tel est le cas, pourquoi ne pas l'indiquer clairement? Le gouvernement fédéral a pourtant participé activement aux référendums québécois de 1980 et de 1995, sans jamais remettre en cause les résultats de ces deux exercices démocratiques.
L'exemple de Terre-Neuve en 1948 s'inscrit également dans la reconnaissance de ce principe. Le 22 juillet 1948, les Terre-Neuviens choisirent à 52,34 p. 100 la Confédération. Quelques comtés votèrent en faveur du gouvernement responsable, contre l'entrée de Terre-Neuve dans la Confédération. À l'époque, les opinions étaient fort partagées quant à la définition d'une petite majorité suffisante. Mais le gouvernement britannique affirma clairement:
[...] qu'il se sentirait lié par tout vote majoritaire en faveur de la Confédération, et qu'il serait prêt à prendre les mesures nécessaires pour réaliser l'union.
Il ne s'agissait pas pour le gouvernement britannique d'un processus ardu.
Le parlement britannique avait d'ailleurs laissé au gouvernement du Canada l'entière responsabilité de décider ce qui devrait être une majorité acceptable pour que Terre-Neuve puisse entrer dans la Confédération. Le 19 juillet, le premier ministre du Canada, W.L. Mackenzie King consulta Louis St. Laurent qui déclara:
Je suis d'accord qu'à moins d'obtenir plus qu'une faible majorité, le Canada ne devrait pas accepter la province dans la Confédération. J'ai dit qu'il était nécessaire d'attendre et de voir ce qui se passerait si la majorité était faible.
Même si plusieurs Terre-Neuviens furent particulièrement déçus du résultat, en particulier la Responsible Government League, le gouvernement canadien décida malgré tout de:
[...] considérer la majorité comme suffisamment grande (sic) pour justifier l'adoption des mesures requises pour obtenir l'assentiment du Parlement et du Sénat à l'entrée de Terre-Neuve dans la Confédération [...]
[...] même si on peut affirmer que plusieurs Terre-Neuviens voulaient demeurer Terre-Neuviens. On entreprit par la suite de négocier les conditions finales de l'union. Le 31 mars 1949, Terre-Neuve entrait officiellement dans la Confédération.
Depuis 1995, une analyse rapide des opinions indique d'ailleurs que de nombreux politiciens et intellectuels, tant au Canada qu'au Québec, favorisent la règle du 50 p. 100 plus un vote, considérant que l'égalité du droit de vote est un principe démocratique fondamental. Je cite l'ancien premier ministre du Canada, Pierre Elliott Trudeau, qui écrivait:
La démocratie prouve vraiment sa foi dans l'homme en se laissant ainsi guider par la règle du 50 p. 100. Car si tous les hommes sont égaux et si chacun est le siège d'une dignité suréminente, il suit inévitablement que le bonheur de 51 personnes est plus important que celui de 49 : il est donc normal que ceteris paribus et compte tenu des droits inviolables de la minorité, les décisions voulues par les 51 l'emportent.
Plusieurs juristes et politicologues ont d'ailleurs suggéré qu'en utilisant l'expression «majorité claire», la Cour suprême du Canada n'a pas nécessairement voulu dire «majorité qualifiée». Le professeur Henri Brun est d'opinion que la Cour suprême ne parlait que d'une majorité qualitative, établie en fonction du déroulement du référendum. Mais il est important de retenir qu'aucune démocratie occidentale ne prévoit une majorité qualifiée lors d'un référendum. La règle du «fair-play» constitue aussi une règle fondamentale à tout exercice démocratique; la remettre en cause, c'est miner les fondements d'une société. Ce principe du «fair-play» devrait d'ailleurs être inscrit dans le projet de loi C-20. Le gouvernement fédéral devrait également affirmer qu'il entend respecter les lois et les règles de la Loi québécoise sur les consultations populaires.
L'obligation de négocier fut au c<#0139>ur du discours référendaire de 1995 et ce sont les souverainistes qui ont eu la main tendue, car ils estimaient, et ils estiment encore, qu'ils auront certaines obligations morales et politiques envers le Canada au lendemain de l'indépendance. C'est le gouvernement fédéral qui affirmait à l'époque qu'il refuserait de négocier, quel que soit le résultat du référendum. Certes, aucune disposition de la Partie V de la Loi constitutionnelle de 1982 ne prévoit une telle situation, ce qui pose évidemment la question de l'indivisibilité du Canada. Tout ce qu'on peut affirmer, c'est qu'au-delà du droit, il existe un principe fondamental: celui de la justice entre les peuples.
Comme l'indique l'article 55 de la Charte des Nations Unies, -- et le critique libéral en matière constitutionnelle, M. Pelletier, y faisait référence récemment -- il appartient à tous les peuples de prendre des dispositions:
[...] en vue de créer les conditions de stabilité et de bien-être nécessaires pour assurer entre les nations des relations pacifiques et amicales fondées sur le respect des peuples et de leur droit à disposer d'eux-mêmes [...]
Cette déclaration se retrouve également dans la Déclaration sur les relations amicales de 1970 qui stipule clairement que la première condition d'application du droit à l'autodétermination est la reconnaissance d'un peuple. De l'avis de tous, les Québécois forment un peuple sur le plan juridique international.
Évidemment, le gouvernement canadien nie l'existence du peuple québécois. Pourtant, Lester B. Pearson avait compris que le Québec constituait une nation à l'intérieur d'une nation, «a nation within a nation». Pour reprendre l'expression de John Rawls, les Québécois ont démontré à plus d'une occasion qu'ils appartiennent à la communauté des «peuples respectables», c'est-à-dire un peuple pacifique, non expansionniste et dont le système de justice, basé sur le droit civil, jouit de toute la légitimité nécessaire pour faire appliquer les lois. Le peuple québécois possède la liberté de choisir son avenir et le Canada a le devoir de respecter ses choix. Le Québec et le Canada sont des partenaires égaux pouvant régler leurs différends par la mise en place d'accords de coopération. Nous avons eu l'occasion de démontrer ailleurs que certaines conditions d'ordre politique, économique et social sont nécessaires à la réussite de ce nouveau partenariat Québec-Canada.
Le gouvernement du Canada a choisi, pour sa part, une autre voie, celle de contester devant la Cour suprême du Canada la légalité d'une éventuelle déclaration unilatérale d'indépendance, et de proposer le projet de loi C-20. Si le Oui l'avait emporté lors du référendum d'octobre 1995, le premier ministre du Québec, Jacques Parizeau, aurait affirmé au soir de la victoire des forces souverainistes de sorte que la transition se serait effectuée «...sans perturber les services aux citoyens», et de manière telle qu'il n'y aurait pas eu de vide juridique. Ces deux objectifs fort respectables constituent sans nul doute des défis de taille pour tous les démocrates Québécois et Canadiens qui veulent s'assurer que la transition, aux lendemains d'un vote majoritaire en faveur de la souveraineté du Québec, puisse se faire de manière aussi harmonieuse que possible. Le projet de loi sur la souveraineté prévoyait, d'ailleurs, une période de négociation devant durer au plus un an; dans le cas d'un échec, le Québec estimait alors pouvoir déclarer son indépendance.
En fait, suivant une telle hypothèse, le Canada et le Québec vivront une période de reconstitution de leur État. Le Canada devra biffer de sa constitution tous les éléments relatifs au Québec, alors que le gouvernement québécois aura à rédiger la constitution d'un nouvel État du Québec. Les questions de plusieurs d'entre vous, posées à l'honorable Stéphane Dion sur les mécanismes et les formules d'amendements constitutionnels et sur l'article 46 de la Constitution, furent fort pertinentes. Entre la légitimité et la légalité de tout processus démocratique, certains principes doivent prévaloir. Le droit n'est pas au-dessus des sociétés; il ne peut que légitimer une réalité politique effective. Il doit prendre acte des particularismes de toutes les sociétés, qu'elles soient dans une situation de décolonisation, de modernisation ou de reconstitution. La Cour suprême du Canada n'a évidemment pas défini qui seraient les acteurs politiques, et nous pensons que le Sénat devrait être mandaté pour établir les règles et mécanismes visant à faciliter la transition.
Des questions se posent malgré tout. Durant la période de transition et de reconstitution de l'État québécois, la question fondamentale sera de savoir si le Québec saura rebâtir ses assises juridiques et politiques. L'Assemblée nationale du Québec devra-t-elle d'abord passer une motion ou une résolution affirmant qu'elle prend acte du verdict de la population, ou devra-t-elle faire immédiatement une déclaration unilatérale d'indépendance? Les gouvernements du Québec et du Canada devront-ils nommer conjointement un comité dont la tâche sera de planifier les étapes de la transition? La constitution canadienne sera-t-elle toujours en vigueur dans cette phase, ou faut-il envisager l'idée de mettre un place un tribunal supranational? Les réponses à ces questions sont nettement beaucoup plus importantes que celles soulevées par le projet de loi C-20.
La responsabilité politique du gouvernement fédéral est de négocier les conditions de la sécession, afin que la transition se fasse de manière harmonieuse et respectueuse des droits de tous les citoyens. Ottawa espère bien sûr faire reculer les Québécois en plantant plein d'embûches sur le chemin de la souveraineté. Que le prochain référendum au Québec ait lieu dans deux ans, cinq ans ou dix ans, plusieurs questions demeurent incontournables. Il nous semble que, dans l'intérêt des Canadiens et des Québécois, le gouvernement fédéral devrait plutôt adopter une stratégie exempte d'ambiguïté. Le projet de loi C-20 a des objectifs nébuleux et il patauge dans l'arbitraire plutôt que dans le réalisme politique.
Nous pensons que le projet de loi C-20 devrait être abandonné. Toutefois, si vous décidez de l'amender, il faudra indiquer clairement que la règle de la majorité du 50 p. 100 plus un vote doit s'appliquer et donner des exemples de questions acceptables. Il devrait également établir des principes fondamentaux, et je vous en nommerai quelques-uns, dont plusieurs ont d'ailleurs été établis par le gouvernement américain, alors qu'il critiquait l'action de M. Gorbatchev.
Un premier principe est que si le Québec vote clairement pour l'indépendance, le gouvernement fédéral entreprendra de bonne foi des négociations avec le gouvernement du Québec, afin de minimiser les effets négatifs de la transition.
Deuxièmement, qu'il rejette toute violence et intimidation -- sanctions économiques ou autres -- comme moyen de stopper la volonté démocratique du peuple québécois.
Troisièmement, qu'il cherche à mettre en place, de concert avec le gouvernement du Québec, après un vote majoritaire des Québécois pour l'indépendance, des mécanismes flexibles de négociation, y compris la définition des comités et l'identification des groupes, des autochtones et des minorités linguistiques hors Québec pouvant faire partie des tables de négociation.
Quatrièmement, qu'il accepte que le prochain référendum du Québec ait lieu sous la supervision des Nations Unies et, cinquièmement, qu'un groupe d'experts internationaux soit mandaté pour surveiller le déroulement du référendum et le processus de négociation. En cas de litige, certaines règles devrait également s'appliquer.
La souveraineté du Québec exige un grand sens de responsabilité, autant des acteurs souverainistes que fédéralistes. C'est ce que la Cour suprême a affirmé en insistant que si une majorité de Québécois se prononce en faveur de la souveraineté, tous ont l'obligation de négocier les changements constitutionnels qui correspondent à ce désir.
Je pense que le Sénat devrait avoir un rôle à jouer, en particulier les sénateurs venant du Québec. L'expérience de plusieurs d'entre vous sera utile lors de la période de transition. En 1995, les forces souverainistes avaient d'ailleurs demandé à plusieurs acteurs politiques -- dont un de vos anciens collègues, le sénateur Arthur Tremblay -- de faire partie de l'équipe de négociation.
Je vous inviterais à lire les mémoires d'Arthur Tremblay, auxquels j'ai contribué à la publication. Il n'est malheureusement pas en anglais, c'est un ouvrage de 600 pages extraordinaire.
Le projet de loi C-20 s'appuie malheureusement davantage sur l'incertitude que sur la clarté, et, dans sa mouture actuelle, il ne peut mener qu'à des négociations confuses.
Le sénateur Murray: Dans votre mémoire, vous faites très peu allusion au rôle des autres provinces. Rassurez-nous en nous disant que vous ne croyez pas que l'indépendance du Québec pourrait être négociée entre Québec et Ottawa. Il s'agirait d'une lecture très partielle de l'avis de la Cour suprême.
M. Lachapelle: Je suis tout à fait d'accord avec vous. J'ai mentionné les autres provinces ainsi que les comités. À mon avis, la définition des comités relève du Sénat qui, en bonne partie, représente les provinces. Ce serait donc au Sénat de déterminer quels seraient les représentants des provinces qui siégeraient sur différents comités.
Je suis convaincu que certains comités intéresseront davantage certaines provinces que d'autres, surtout dans le cadre du libre échange économique où il y aurait des intérêts particuliers. Par exemple, l'Ontario pourrait avoir un rôle plus important à jouer que d'autres provinces. Il n'est pas du rôle des souverainistes de définir le rôle de chacune des provinces. C'est au premier ministre de chacune des provinces de voir quel rôle elles voudront jouer dans de futures négociations.
Le sénateur Murray: Sauf erreur, je crois que la Cour suprême a dit que toutes les provinces devraient être impliquées dans les négociations. Selon vous, quelle formule d'amendement s'applique à un amendement de la Constitution pour effectuer l'indépendance du Québec, la sécession d'une province?
M. Lachapelle: Si le Québec votait majoritairement pour l'indépendance, on entrerait dans une période très difficile, dans une reconstitution de deux États. Il est très difficile de déterminer quelle règle s'applique dans une situation pareille.
Devra-t-on aller devant la Cour suprême pour déterminer quels seraient les mécanismes de négociation? Dans le cas d'une sécession, je ne pense pas qu'un tribunal serait acceptable de la part du Québec. Actuellement, aucune règle précise n'est établie. C'est au Sénat de voir comment la Cour suprême pourrait réagir et de déterminer quel serait le type de formule d'amendement. Automatiquement, vous excluez le Québec. On ne peut donc plus parler d'une formule 7-10.
Dans le cas de l'unanimité des provinces, est-ce que ce serait la règle qui s'appliquerait au reste du Canada? Une province est exclue de la négociation, et cela redéfinit le cadre constitutionnel et législatif.
Le sénateur Murray: La Cour suprême a imposé aux partenaires de la confédération l'obligation constitutionnelle de venir négocier une initiative légitime venant d'un autre partenaire. Vous acceptez cela. S'il y a amendement de la Constitution en provenance d'une autre province ou du gouvernement fédéral, le Québec a-t-il l'obligation de respecter cet avis?
M. Lachapelle: Au Québec, tous s'entendent pour dire qu'il faut tenir compte de l'avis de la Cour suprême. La question de la négociation était au centre, et c'est pourquoi, dans mon mémoire, je suis revenu sur l'essentiel du partenariat et de la négociation, le partenariat étant la condition essentielle d'une négociation.
Les parties devront tenir compte de ce que la Cour suprême a dit. Il ne s'agit pas de tenir compte d'une implication légale, mais des fondements de ce qu'elle a dit.
Le sénateur Murray: Selon votre lecture de l'avis, est-ce que l'obligation de négocier s'applique également à toute initiative, à tout projet d'amendement et non pas seulement à la sécession?
M. Lachapelle: Vous voulez dire avec le Québec?
Le sénateur Murray: De négocier toute initiative visant à modifier la Constitution, non pas seulement une initiative visant l'indépendance d'une province.
M. Lachapelle: J'aurais plutôt le précédent de Charlottetown en tête. La Cour suprême fait renvoi à la sécession du Québec, elle ne fait pas renvoi à l'ensemble des débats constitutionnels et sur qui devrait être à une table des négociations lorsqu'il y a changement constitutionnel. De par le passé, cette table s'est allongée, plusieurs groupes y faisaient part. La Cour suprême ne définit pas non plus les acteurs politiques. Il faudra clairement établir qui sont les acteurs politiques mandatés. Les provinces, les groupes minoritaires et les groupes de langue officielle sont importants dans le processus de négociation et devront jouer un rôle. De prime abord, on ne peut exclure personne dans une négociation éventuelle.
Le sénateur Beaudoin: Si j'ai bien compris votre exposé et les conditions que vous avez mises de l'avant, sur la question de la majorité claire, c'est réglé, vous proposez 50 p. 100 plus un.
Deuxièmement, l'Assemblée nationale a un pouvoir absolu sur la question référendaire. Une question claire peut inclure à la fois la souveraineté et une association de type économique ou politique. Ce sont vos trois points de base, n'est-ce pas? Par contre, je n'ai rien entendu de très précis sur la formule finale d'amendement à la suite des négociations. Ai-je raison de dire que, pour vous, la question de la formule d'amendement unilatéral ne se pose même pas? Autrement dit, une question posée par l'Assemblée nationale qui remporte 50 p. 100 plus un règle toute la question de l'indépendance?
M. Lachapelle: Vous allez plus vite que je pensais. Ce n'est pas mon point de vue. Cela ne règle pas l'indépendance, c'est une étape qui devra mener à une négociation éventuelle. La période de négociation pourra prendre un certain temps, dépendant des acteurs politiques qui seront là. Cependant le Québec ne sera pas là pour modifier la Constitution canadienne.
Le sénateur Beaudoin: Non, cela est très clair dans vos exposés. Toutefois, il est évident qu'il y aurait la question de la dette, peut-être même du territoire, quoique cela est un point très sensible. Ces questions seraient posées lors d'un processus de sécession. Cependant, je n'ai jamais rien entendu sur la formule d'amendement. C'est vrai que je vais loin. On ne sait jamais ce qui peut arriver. Vous ne vous êtes jamais prononcé là-dessus. À mon souvenir, la loi 99, ou tout autre loi qui pourrait la remplacer ou lui succéder, ne parle pas de cet aspect. Pourtant, la Cour suprême s'est tout de même prononcée sur cette question, quoiqu'on ne l'a jamais invitée à identifier la formule d'amendement, si c'est la formule du 7-50 ou l'unanimité. Comme vous l'avez entendu, on a posé la question au doyen Peter Hogg. Je n'ai jamais rien entendu de la part du Québec là-dessus.
J'en conclu que, pour vous, c'est une question de 50 p. 100 du vote plus 1. C'est une question que l'Assemblée nationale elle seule formule et qu'elle croit être tout à fait claire. Bien sûr, il restera les questions de la dette et du territoire. Mais je n'ai jamais rien entendu de plus sur la façon dont le Québec voit cette sécession possible.
M. Lachapelle: Pour répondre clairement à votre question sur la formule d'amendement, on n'a pas de jugement de la Cour suprême dans ce cas particulier. Donc, il faudrait aller à la Cour suprême et demander un jugement pour clarifier la formule d'amendement qui doit s'appliquer dans un cas de sécession. C'est ce que vous demandez.
Le sénateur Beaudoin: Oui.
M. Lachapelle: On n'a pas de réponse, donc on nage dans l'aléatoire. C'est pour cela que j'insiste sur la présence des Nations Unies et la présence d'un comité de surveillance. Si on a un comité de surveillance impartial qui nous dit que la question est claire, que la majorité est claire, il s'agira donc de décider les mécanismes de la transition. Et dans ces mécanismes, les acteurs politiques et tout le monde ont un rôle à jouer. C'est aussi simple que cela.
En ce qui a trait à la question constitutionnelle, le Québec sera dans une phase de reconstitution. Certains disent que le Québec a déjà sa propre constitution. Est-ce qu'on va appliquer le principe américain du «Successor State Principle»? En d'autres mots, est-ce que les lois canadiennes s'appliqueront automatiquement au Québec pour une période de transition, ce qui voudrait dire, grosso modo, qu'on inclut les formules d'amendement et autres qu'on devrait appliquer ou les parties qui sont utilisables dans un cas pareil? C'est là que la Cour suprême ne nous a pas aidés jusqu'à présent et ne nous aidera pas à définir clairement ce que seront ces termes. Je pense que c'est à nous de définir ce que seront ces termes de sécession. Je pense que le Sénat a un rôle à jouer à ce niveau.
Je cite encore Arthur Tremblay, pour avoir lu les 600 pages de son livre, il est aussi volumineux que le livre de M. Hogg, pour vous dire que lui aussi a des divergences profondes sur les formules d'amendement à savoir quel type de formule devrait-on utiliser. Dans le cas de 1982, cela a été un débat ardu. Je ne pense pas que ce soir ou dans les jours prochains on pourra trancher définitivement cette question. Il s'agit de savoir dans quels secteurs particuliers les formules d'amendement s'appliquent; cela peut devenir très complexe. Vous avez mentionné quelques secteurs, dont la dette, la citoyenneté, peut-être, et d'autres types de négociations, mais ce sera deux équipes de négociation qui devront s'entendre sur un certain nombre d'éléments.
La présidente: Professeur Lachapelle, je reste un peu perplexe. Si j'ai bien compris ce que vous venez de dire, je pense que vous avez dit qu'il fallait que quelqu'un établisse que la question et la majorité ont été claires. Vous ne voulez pas que ce soit la Chambre des communes. Est-ce bien ce que vous avez dit?
M. Lachapelle: Non. J'ai dit que quelqu'un doit surveiller le processus référendaire. Il est clair que ce ne sera pas la Chambre des communes. La Chambre des communes n'a pas l'autorité ni la légitimité de surveiller et de décider si la question référendaire est valable ou non. Il va falloir retourner à des organismes, comme dans d'autres référendum. Les Nations Unies ont toujours utilisé des observateurs étrangers. Le Canada fait partie de l'équipe d'observateurs étrangers pour valider les résultats de référendum. Je pense que le même type de processus pourrait s'appliquer. On pourrait avoir des observateurs qui pourraient observer de façon indépendante le résultat. Nous savons très bien que si la question se limite au projet de loi C-20, la Chambre des communes décide si la question est claire. On connaît déjà la réponse. En 1948, lors du référendum de Terre-Neuve, la question n'était pas claire.Et en 1980 et 1995, jamais les questions n'ont été claires, que ce soit dans des questions de sécession ou d'union au Canada. Il va falloir trouver, entre nous, une personne morale qui est capable de valider le résultat du référendum.
La présidente: Tous les exemples que vous avez mentionnés ont eu lieu avant le renvoi à la Cour suprême. C'est le renvoi qui a un peu changé notre univers, n'est-ce pas?
M. Lachapelle: Tout à fait.
La présidente: Et il a établi qu'une question claire et une majorité claire faisaient partie du processus. Alors, étant donné cet avis de la Cour suprême, comment peut-on dire que du côté du gouvernement fédéral, il ne doit pas y avoir de processus pour contrôler les réactions du gouvernement fédéral? Je ne parle pas du tout des pouvoirs de la l'Assemblée nationale. Pour que le gouvernement fédéral puisse agir, il faut une détermination de la part des acteurs politiques, pas de n'importe qui, mais de la part des acteurs politiques, que la question soit claire et que la majorité soit claire. Il me semble que c'est incontournable maintenant.
M. Lachapelle: C'est exactement ce que je dis dans mon mémoire. Je suis tout à fait d'accord avec vous. Ce n'est pas le projet de loi C-20 qui le fera. Ce sera d'autres mécanismes. Si vous voulez dire clairement ce qu'est une question claire et une majorité claire, dites le. La règle c'est 50 p. 100 plus 1. Ou est-ce 52 p. 100 à Terre-Neuve? La majorité est-ce 54 p. 100 du vote? Dites ce qui est clair. Les citoyens vont comprendre.
Il s'agit de poser la question. Voulez-vous que le Québec devienne un pays souverain? C'est la question de M. Chrétien. C'est la question de M. Parizeau. Mettez un exemple, cela va clarifier les choses. Si vous voulez après coup négocier, négocions. Mettons sur pied un tribunal de négociation. Soyons clairs sur les modalités de ceux qui vont valider et entériner, et qui seront partie prenante pour prendre cette décision. Je pense que vous avez un rôle à jouer comme sénateurs.
Je suis contre le projet de loi C-20 dans ce sens aussi. Par le passé, certaines personnes ont participé au référendum de 1995. En ce qui a trait au comité de négociation, on peut parler de M. Claude Castonguay et de M. Tremblay. Ils étaient tous des gens qui avaient été nommés pour former un comité qui devait voir à la transition. Ils n'étaient pas des souverainistes. Ils n'étaient pas nécessairement des fédéralistes. C'étaient des personnes qui avaient la capacité et, je dirais, la reconnaissance morale, à tout le moins, de juger de la pertinence du débat. Faisons-le, si vous voulez le faire, et que le projet de loi C-20 le dise clairement. C'est un élément de démocratie. Si c'est un fédéralisme exécutif que l'on veut poursuivre, on l'a exactement avec le projet de loi C-20. Prenez la décision.
Le sénateur Kinsella: Monsieur Lachapelle, j'aimerais revenir à l'avis de la Cour où il est question, pendant plusieurs paragraphes, de la question du droit à l'autodétermination. Par exemple, au paragraphe 126, les juges on fait une distinction entre l'autodétermination interne et l'autodétermination externe. Que pensez-vous de cette analyse à propos de l'autodétermination?
M. Lachapelle: Pouvez-vous poser une question plus précise? Est-ce que vous demandez si le Québec a droit à l'autodétermination?
Le sénateur Kinsella: Au paragraphe 126 de l'avis de la Cour suprême, la cour a fait une distinction entre l'autodétermination interne et l'autodétermination externe.
M. Lachapelle: Je crois qu'on faisait référence aux États dans des situations coloniales.
Le sénateur Kinsella: C'est l'autodétermination externe.
M. Lachapelle: Tout à fait.
Le sénateur Kinsella: La cour a mentionné aussi l'autodétermination interne. Qu'est-ce que l'autodétermination interne? Quelle est la base au Québec, et en quoi consiste la substance de ce droit à l'autodétermination interne comme la Cour suprême l'a mentionné?
M. Lachapelle: Aucun élément de la Constitution canadienne prévoit un cas de sécession. La constitution soviétique le prévoyait. Où peut-on aller lorsqu'on ne sait pas si la sécession est prévue dans la Constitution d'un pays? Cela reste très nébuleux! Est-ce que le Québec est dans une situation coloniale? Tout le monde est d'accord pour dire que non. On est dans une situation de reconstitution ou d'évolution. C'est pour cela que je m'appuie sur John Rawls en terme du principe de justice des peuples. Ce principe est le seul qu'on puisse appliquer lorsqu'on parle de droit international et de droit à l'autodétermination. John Rawls a écrit beaucoup sur l'équité, sur la légalité, et on retourne un peu à ces principes. Quels sont les principes qui guident l'autodétermination des peuples? C'est l'élément le plus important qu'il faut retenir. La Cour suprême établit un certain nombre de principes. N'oublions pas les principes du fédéralisme et de la démocratie. Qu'est-ce que la démocratie au Canada? La règle de droit. Ni le gouvernement du Québec ni le gouvernement fédéral ne s'oppose à la règle de droit. Tout le monde l'a reconnu. Le Québec constitue un peuple dans le sens de l'autodétermination respectable, en fonction de ces prérogatives et en fonction de ses lois. Personne ne peut remettre cela en cause. C'est la définition qu'on doit donner, parce que la question était précise à la Cour suprême sur le droit externe et droit interne. Je suis d'accord avec la Cour suprême dans ce jugement.
[Traduction]
Le sénateur Prud'homme: Cela ne fait que sept ans que je siège au Sénat, mais j'ai siégé pendant 37 ans au Parlement. Même si on le fait en pratique, il n'est pas nécessaire de signaler à chaque fois que l'on accorde la parole aux parlementaires qui ne sont pas membres du comité en question. Nous sommes tous d'accord: ce sont les membres du comité qui ont la priorité, et c'est ensuite au président à décider à qui il accordera la parole. C'est vous qui êtes le patron du comité. Vous pouvez même poser des questions vous-même. Mais je n'aime pas vous entendre dire que vous allez maintenant accorder la parole à ceux qui ne sont pas officiellement membres du comité. Auriez-vous la bienveillance de nommer simplement ceux à qui vous accorderez le droit de parole. Nous sommes tous les deux sénateurs, vous et moi.
La présidente: En effet, nous le sommes.
Le sénateur Prud'homme: Un jour, je pourrai bien présider un comité, et à ce moment-là, je tiendrai compte du fait que vous êtes sénateur, même si vous ne faites pas partie du comité.
La présidente: Merci pour cette bonne pensée. Mon seul objectif, c'est la précision, afin que chacun sache où nous en sommes.
Le sénateur Kroft: Je veux certainement savoir où nous en sommes, dans ces délibérations. J'ai bien écouté la discussion de ce soir. Certaines subtilités m'ont peut-être échappé, mais je dois vous dire que j'écoutais.
J'ai bien entendu mes collègues rapprocher votre point de vue du cadre du renvoi de la Cour suprême et de notre compréhension de la façon dont le Canada s'occupe de ses éléments constitutifs. Par ailleurs, je crois vous avoir entendu dire: «Donnez-moi un chiffre» -- vous laissez entendre que c'est 50 p. 100 plus un. «Nous tiendrons un vote et appliquerons les principes d'équité, mais à ce stade-là, l'affaire est conclue.» Je ne vois pas la distinction. Je ne veux pas entrer dans un débat juridique subtil qui ne ferait que semer la confusion dans nos esprits, à cette heure tardive, mais je ne vois pas bien la distinction entre une déclaration unilatérale d'indépendance fondée là-dessus et ce dont vous nous parlez. Vous prenez soin de laisser entendre qu'il faut trouver des mécanismes pour que soient respectés les principes d'équité, de justice universelle, de négociations efficaces en fonction des principes internationaux, de respect des biens et de la loi, et cetera. Pourtant, il s'agit de mesures administratives ou d'accommodement qu'il faut prendre quand un pays se sépare d'un autre.
Vous m'aideriez beaucoup en expliquant davantage ce qui distingue une déclaration unilatérale, au lendemain du vote, selon laquelle vous êtes maintenant un pays séparé qu'il faut laisser agir de manière à ce que ce soit concrétisé. Est-ce ce que vous nous dites, en fin de compte? Ou est-ce que vous-même vous sentiriez lié par des attaches juridiques ou des subtilités constitutionnelles, des restes de tendons et de ligaments qui vous rattacheraient d'une manière ou d'une autre au Canada?
M. Lachapelle: L'issue n'est jamais sanctionnée par la loi, même après un vote. Je ne l'ai pas dit dans mon mémoire. Il est clair qu'il doit y avoir un processus de transition -- qui mène probablement à une déclaration d'indépendance, selon la formule qui est conforme à votre Constitution, par exemple la déclaration d'indépendance des États-Unis. Il y en a divers types. Personne n'a jamais dit quels pourraient être les délais. Au sujet du partenariat, ce que le gouvernement du Québec a dit -- comme moi-même, avec Bob Young et d'autres, en tant qu'universitaires examinant divers cas de sécession --, c'est qu'en général, c'est une question de responsabilité pour les deux parties, de procédure, de choix de comités. Voilà ce que je voulais dire. Quels comités y participeront et quels sont les acteurs politiques? Voilà les éléments importants du processus. L'affaire n'est pas réglée après le vote. Le vote, ce n'est que de l'information.
Le sénateur Kroft: Lorsqu'on parle des acteurs politiques, on parle des personnes qui représentent les deux côtés, et qui veulent s'entendre. Vous avez parlé de «négociateur» au lieu de «acteur politique». Le lendemain du vote, nos préoccupations relatives aux procédures constitutionnelles sont sans importance, n'est-ce pas? Il ne s'agit plus que d'arriver à un règlement, comme pour une propriété. Je ne veux pas dénigrer l'objet de ces négociations, puisqu'on y trouverait de nombreux sujets très graves et complexes, qui ne correspondent pas du tout à des biens, mais il ne sert à rien de vous parler de procédure constitutionnelle puisque vous n'y penseriez plus, n'est-ce pas?
M. Lachapelle: Je penserais à autre chose mais à cela aussi, je suis d'accord avec vous. J'ai écrit sur les obligations morales d'un Québec indépendant. Je crois que nous avons des responsabilités, au Québec. Quoi qu'il arrive, tous les Québécois -- fédéralistes comme souverainistes -- ont une obligation morale envers le reste du Canada. J'ai toujours dit que si, demain, je vote pour l'indépendance, je ne vote pas contre les Canadiens mais pour le Québec. C'est dans la même veine. Je crois que nous avons toujours des obligations morales, constitutionnelles et juridiques, en vertu de divers documents. Après un vote, ces obligations ne sont pas levées. Elles ne sont pas supprimées par le vote. Ces obligations demeurent et devront faire l'objet de négociations. Si les négociations prennent deux ans au lieu d'un, peu m'importe. On prendrait le temps qu'il faut pour faciliter le processus, pour que chacun soit content, pour réduire les coûts pour les deux parties et pour que tout soit faisable.
Il y a toujours un risque, j'en conviens. Reste à savoir comment nous gérons le risque. C'est ce qui m'intéresse le plus. Constitutionnellement, comment gérer ce risque? À ce moment-ci, est-ce que la Constitution du Canada nous garantit que tous ces risques seront éliminés? Je n'en suis pas convaincu. Je ne peux pas vous donner une réponse claire à ce sujet parce que je connais les acteurs politiques. Je sais que ces acteurs sont des politiciens et j'ai assisté aux référendums de 1980 et de 1995. Les règles changent chaque fois, même si la loi est la même. Les règles changent et vous êtes maintenant saisis d'un autre projet de loi visant à changer la loi pour un troisième référendum. Dans chacun de ces référendums, nous ne connaissions pas les règles. Les Québécois y sont habitués. Pourquoi? À cause de l'intervention de nombreux acteurs politiques. Je vous dis que nous avons une belle constitution sur papier; pourtant, il y a des acteurs politiques qui jouent différemment et qui ont des intérêts différents parce que leurs interventions ne sont pas fondées sur des principes. D'une certaine façon, je vous exhorte à préparer une loi, en disant clairement de quel genre de négociation il s'agira. Qui sera partie à la négociation? Qui aura la responsabilité? Est-ce le Parlement ou le gouvernement? Est-ce le peuple du Canada, dans le cadre d'un autre référendum? Qui a la responsabilité d'agir? Est-ce la Constitution qui décide pour tout le monde? Voilà ce que je voulais dire. Dans ces circonstances, je vois bien des choses qui ne sont pas limpides. Il faudrait peut-être analyser la façon dont ont procédé les Nations Unies dans des cas semblables, par le passé. Voilà ce que je recherche. Je veux savoir comment les Nations Unies ont agi dans ces situations, en fonction d'un principe, la démocratie associée à la justice et à l'équité.
[Français]
Le sénateur Joyal: Monsieur Lachapelle, à la page 6 de votre mémoire, au premier paragraphe, vous demandez si la question suivante serait assez claire. Je vous cite:
Voulez-vous que le Québec devienne un pays souverain?
Et vous poursuivez au début du paragraphe suivant:
Pour les politicologues, une telle discussion demeure fort banale puisque dans les faits il a été démontré que la question n'a que peu d'influence sur les résultats d'un référendum.
Je suis un petit peu perplexe parce que vous venez d'exprimer en réponse à mes collègues qu'il faut que la question soit claire. Vous soutenez que le projet de loi ne définit pas la question, alors qu'il devrait le faire. Vous dites qu'on devrait s'entendre sur une formulation de question, n'est-ce pas?
M. Lachapelle: On devrait donner un exemple.
Le sénateur Joyal: D'accord. Cet après-midi, le professeur Maurice Pinard est venu témoigner. Il a d'ailleurs mentionné que vous souteniez une vue différente de la sienne. Je lui ai demandé si, à son avis, la question suivante était une question claire: voulez-vous que le Québec devienne un État souverain? Il m'a dit que non. Ce n'est pas une question claire. Vous, vous nous dites, dans des mots presque semblables: voulez-vous que le Québec devienne un pays souverain? On substitue le mot «pays» par le mot «État». D'après vous, c'est un exemple de question claire.
Alors, mettez-vous à notre place. Comme pouvons-nous arriver à définir un exemple de question claire quand deux professeurs d'université, éminemment qualifiés, ont un point de vue différent sur deux questions semblables? Le professeur Pinard a publié toutes sortes de tableaux, il a analysé le vote des référendums antérieurs et vous, vous vous appuyez sur un article du journaliste Denis Lessard publié dans La Presse du 3 mars 1995. Un avocat peut dire blanc et l'autre peut dire noir. À ce moment, on engage un litige devant les tribunaux et on tranche. Selon l'avocat que vous engagez, vous allez avoir la réponse que vous voulez.
Je croyais qu'au niveau de la science politique, on pouvait faire des analyses très scientifiques, donner des opinions et qu'on pouvait argumenter sur des nuances, mais il y a au moins des éléments statistiques auxquels on peut référer. Comment peut-on se satisfaire d'un amendement au projet de loi qui ajouterait un exemple de question claire pour accéder à votre demande, si vous ne nous donnez pas plus d'informations ou de points de référence pour arriver à déterminer ce qu'est une question claire? Le témoin précédent nous a affirmé de façon définitive que la question n'était pas claire. Pourriez-vous nous renvoyer à des travaux qui nous permettraient aujourd'hui de mieux comprendre la définition de la clarté?
M. Lachapelle: Le premier travail important à lire serait «Referendum Guidelines for the Future», écrit par David Butler. Cette étude a été faite en partie pour le Sénat britannique et les membres de la Chambre des représentants dans le but d'étudier les questions. En voici un extrait.
[Traduction]
En fait, même si les Québécois pourraient le nier, on exagère de beaucoup les préoccupations relatives au libellé de la question. Les gens ne lisent pas le bulletin de scrutin pour faire leur choix. Ils se rendent au bureau de scrutin et votent oui ou non. Leur décision est fondée sur la question au sens large ainsi que sur la façon dont elle a été présentée pendant la campagne.
Si la question est biaisée, on en aura parlé dans le cadre du débat. Une question biaisée peut très bien se retourner contre ceux qui l'ont préparée. Il reste que pour que le référendum soit juste, il faut que la question soit aussi équilibrée et le moins ambiguë que possible.
[Français]
Je vous donne un avis. On pose la question: accordez-vous au gouvernement du Québec le mandat de réaliser la souveraineté-association et d'en négocier la mise en oeuvre? Maurice Pinard dit que la question était claire en 1980. Si c'est ce que vous voulez, vous avez la question de Maurice Pinard.
[Traduction]
Le sénateur Grafstein: Maurice Pinard a changé d'opinion.
M. Lachapelle: Avec le temps, Maurice Pinard a changé d'idée. Que pouvons-nous faire, nous les politologues? Nous analysons d'autres référendums. Dans le référendum danois, il n'y avait pas de question, seulement la réponse: «oui» ou «non». C'est encore plus clair quand il n'y a pas de question. C'est une situation parfaite.
La réponse, oui ou non, se rapporte au débat qui a eu lieu pendant la campagne. Comme politologues, toutefois, nous savons que la campagne référendaire a de l'importance. Nous le constatons chaque fois.
Pendant le dernier référendum, au Québec, j'étais en faveur de l'amendement proposé par le Parti libéral, qui modifiait la question en y ajoutant «un pays souverain». Je pense que le Parti québécois a commis une erreur en n'intégrant pas ces mots à la question.
[Français]
Si ce projet de loi a été écrit par un politologue, je suis surpris qu'on insiste tant sur la question, alors que tous les travaux empiriques, dont les travaux de M. Pinard, cherchent à évaluer le résultat d'un vote en fonction d'une question ou de certains paramètres de la question comme le partenariat. Le partenariat est un élément toujours important. Certains collègues vous diront que cela n'a pas été l'élément déterminant du résultat référendaire. Toutefois, le partenariat est un élément de campagne. En 1980, on a connu la question six mois avant le référendum. En décembre, le gouvernement du Québec avait énoncé la question. Est-ce que cela a changé quelque chose? Lors du dernier référendum, on a su la question deux mois à l'avance. Est-ce que cela a changé quelque chose au résultat du référendum?
À mon avis, la question est un élément qui permet d'orienter une campagne. Il existe des préambules pour informer les citoyens, comme pour le référendum au Danemark. Le préambule au Danemark comptait pratiquement deux pages et expliquait le sens de ce référendum. J'ai insisté, dans mon mémoire, pour dire que ce qui est le plus important, c'est qu'on ait un débat éclairé. En tant que démocrate, selon moi, c'est important que les acteurs politiques débattent de vrais enjeux. Qu'on soit fédéraliste ou souverainiste, je pense qu'on s'entend tous là-dessus. La question, c'est d'avoir une question claire.
Je rappellerai le référendum de Charlottetown en 1992. C'était une question qui menait à des changements constitutionnels importants. S'agissait-il d'une question claire ou d'une question dont les interprétations ont varié beaucoup d'une province à l'autre? C'était une question complexe. C'est pour cela que je vous dis de mettre une question au projet de loi, de donner des exemples. Décidez du processus. Il y a des pays qui n'ont pas mis de question et il y en a qui en ont mis. Choisissez. Vous avez une panoplie d'options.
La présidente: Monsieur Lachapelle, vous aurez remarqué que je dis souvent aux sénateurs de poser de courtes questions. Je vais vous demander de donner des réponses un peu plus courtes également.
Le sénateur Joyal: Monsieur Lachapelle, si je vous suis dans ce raisonnement, l'importance de la question n'est pas déterminante sur le résultat du scrutin. Tout dépend du débat engagé et de la façon dont il est mené. A contrario, on pourrait penser que la question «Voulez-vous que le Québec devienne un pays différent complètement séparé du Canada?» n'aurait pas d'impact plus qu'il le faut sur le référendum.
M. Lachapelle: Vous dirigez la campagne référendaire donc, vous orientez la réponse de façon à avoir une connotation négative ou positive. Cela va orienter la campagne. Alors, vous aurez le résultat qui va avec le type de campagne si vous procédez avec ce genre de questions. De là à dire que le gouvernement devrait poser ce genre de questions, c'est une autre chose. On devrait être aussi clair que possible pour les citoyens, même ceux qui ne sont pas bien informés au sujet du référendum, afin qu'ils puissent au moins voter. Il faudrait parler des implications de cette question. L'élément important n'est pas tant la question que la réponse qu'il faut y donner.
Le sénateur Joyal: Oui, mais la question est sur la table quand même.
M. Lachapelle: Parlons de fond. Il s'agit de savoir qui déterminera ce type de question. Quelle serait une question qu'on jugerait acceptable? Donnez des exemples. Si cet exemple vous satisfait, mettez-le dans le projet de loi C-20. Cela sera un exemple, à tout le moins, et vous pourrez dire que cette question est acceptable. La question que j'ai prise est celle de M. Chrétien, qui disait qu'elle était acceptable. Alors, mettons-la dans le projet de loi. Je peux vivre avec cette question.
[Traduction]
Le sénateur Grafstein: Merci, monsieur Lachapelle, pour un témoignage différent et fascinant. Si je vous ai bien compris, vous estimez que la question en soi n'est pas si importante, mais vous insistez sur l'importance de la légitimité du processus. Puisque vous avez parlé à quatre ou cinq reprises du Sénat, on peut dire que pour une plus grande légitimité politique, pour une plus grande clarté constitutionnelle, pour un plus grand réalisme politique, le Sénat devrait participer d'emblée au débat, n'est-ce pas? Est-ce essentiellement ce que vous dites au sujet du Sénat?
M. Lachapelle: Absolument.
Le sénateur Grafstein: Nous sommes donc saisis d'un projet de loi qui recherche la légitimité politique et la légitimité constitutionnelle, qui sont tout aussi importantes l'une que l'autre. Je veux bien vous comprendre; vous dites que le projet de loi ne va pas suffisamment loin, qu'il devrait traiter davantage de cette question particulière. Il faut davantage de détails, plus de sujets, un processus plus clair, et cetera. Nous parlons donc de la question et de la nature du projet de loi.
Parlons de la deuxième partie, qui préoccupe les sénateurs du Québec et d'autres, qui ne sont pas ici ce soir. Des sénateurs qui ne viennent pas de l'Ontario ou du Québec m'ont fait valoir que ce processus était non seulement inconstitutionnel, parce qu'il exclut les sénateurs des régions, mais aussi mal conçu, politiquement, parce qu'essentiellement, à la Confédération, on souhaitait que les sénateurs ne venant pas de l'Ontario ou du Québec aient leur mot à dire, et c'est pourquoi on a créé le Sénat.
Acceptez-vous cet argument?
M. Lachapelle: Je conviens que les membres du Sénat et des régions doivent participer au débat.
[Français]
Le sénateur Prud'homme: Il y a des choses fascinantes dans le 50 p. 100 plus un. Je suis canadien-français du Québec. J'ai de la difficulté à m'identifier autrement et d'ailleurs, je ne m'identifierai jamais autrement. Vous connaissez mon passé; nationaliste du Québec, cela c'est certain. Cela au moins, c'est clair.
Le soir du grand résultat, il y avait cette nervosité à travers tout le pays, même qu'à un moment donné, on croyait que le Oui l'emporterait. Mon flair me disait: d'où viennent les votes? Je savais qu'aussitôt que les votes massifs de l'Île de Montréal seraient entrés, cela balancerait. C'était mon impression. J'aime beaucoup ce processus.
Pourquoi s'est-on accroché? On a eu un Non à cinquante point quelque pour cent. Cela a été un triomphe. Vous savez que je n'ai pas de craintes d'aller dans tous les milieux les plus nationalistes, canadiens-français, péquistes ou bloquistes. J'ai voté non. C'est évident. Comment se fait-il qu'on s'accroche tellement à ce chiffre magique de 50? Si cela avait été l'inverse, on aurait dit que ce n'était pas assez, que le pourcentage n'était pas assez clair. C'est ce que j'essaie de comprendre. J'ai vu les résultats, et je ne suis plus membre du caucus du Parti libéral du Canada. Il arrive que j'en souffre.
Je sais que cette nervosité s'est manifestée au caucus libéral du Canada. C'est ce qui a amené tous les autres projets, les résolutions et maintenant la clarté. Les députés de l'extérieur du Québec avaient dit: la prochaine fois, c'est notre pays qui est en jeu. Ils ont raison. Pourquoi, d'un côté, 50 était-il le chiffre magique qu'il fallait atteindre -- et on l'a atteint aux dernières heures -- et que si l'inverse était arrivé, certaines personnes auraient dit que ce n'était pas assez?
M. Lachapelle: Lors des deux derniers référendums, il y a eu un gagnant et un perdant. Les stratégies référendaires étaient très différentes. On avait dit que les forces fédéralistes allaient gagner à 60/40. On nous a dit cela au Québec pendant deux ans. Pendant deux ans, on nous a martelé de messages disant qu'on contrôlait tout, que politiquement, on était à l'aise. En fait, ils ont ouvert le tiroir et pris la stratégie de 1980 et l'ont appliquée de nouveau. Je ne ferai pas l'exorcisme de toutes les erreurs stratégiques du camp fédéraliste, mais en bonne partie, le résultat est celui d'une campagne qui a été un succès du côté des adversaires politiques. La pire décision qui a été prise est celle de ne pas prendre de décision. Aujourd'hui, on se retrouve dans une situation sans décision. Vous allez me dire: oui, mais que direz-vous si c'est encore le même résultat, mais à l'opposé, sans décision? Je ne dis pas qu'à 51 p. 100 ce sera facile. Ce sera encore plus difficile que si c'était 55 p. 100. Sauf qu'à Ottawa, le gouvernement fédéral n'a pas compris le message. En 1995, M. Chrétien a fait des promesses aux Québécois. Il disait qu'un vote pour le Non était un vote pour un fédéralisme renouvelé. Verdun. Les Québécois l'ont interprété comme cela. Les sondages de l'époque le démontrent. Encore aujourd'hui, 70 p. 100 des Québécois veulent une réforme du fédéralisme. Il ne faut pas avoir la tête dans le sable pour comprendre qu'il y a quelque chose qui ne fonctionne pas en quelque part. Si le projet de loi C-20 est la solution au problème, il y a quelqu'un qui n'a pas vu ce qui se passe et qui ne verra pas ce qui va se passer la prochaine fois. Si cela continue, ce sera à vous de prendre la décision. Vous avez devant vous un projet qui n'améliore en rien la situation.
Je comprends les citoyens des autres provinces, surtout ceux de l'Ouest, qui disent ne pas savoir ce qui se passe au Québec.
J'ai des amis de la Colombie-Britannique qui arrivent au Québec et qui se demandent s'ils sont capables de sortir de l'autoroute 40 sans se faire lancer des roches. On est en l'an 2000 et il y a encore des citoyens qui pensent comme cela au Canada. Bref, je pense que la société québécoise a évolué; elle était canadienne-française et est devenue québécoise, et je pense qu'aujourd'hui il n'y a pas de grande différence entre les deux concepts. La société est démocratique, il y a eu la Révolution tranquille, il y a des élections, des référendums, et nous exportons notre expertise en ce qui concerne la démocratie.
Aujourd'hui, certains cherchent des échappatoires pour nier une réalité et ce, pour des raisons strictement électoralistes. Aux États-Unis, on appelle cela «raising the flag». C'est la théorie du président américain qui lève le drapeau, et quand on lève le drapeau, tout le monde appuie. C'est la même théorie qui s'applique ici, et c'est la raison pour laquelle «raising the flag» fonctionne au Canada anglais. Mais ce n'est pas le problème, le problème est ailleurs.
Le sénateur Prud'homme: Jeudi, il va y avoir un grand événement à Québec en relation avec Jean Lesage. Il n'y aura pas beaucoup de Canadiens français, de Québécois ou de Canadiens invités, seulement quelques-uns semble-t-il, et je dois dire que je suis invité. Il y aura de grands discours qui m'aideront dans ma réflexion d'ici jeudi.
Les gens n'aiment pas parler de ces choses-là parce que c'est un terrain glissant, mais moi je vais me risquer parce que je suis vieux. Vous avez mentionné «Canadien français» et «peuple québécois». Je suis les résultats, bureau de vote par bureau de vote, dans toute la province. Dans le comté de M. Dion, je peux vous nommer tous les bureaux de vote de son comté au fédéral, ainsi que les résultats du référendum, surtout dans le West Island. On est tous des Québécois, c'est certain! Mais il y a plusieurs peuples au Québec, et les peuples autochtones, ce n'est pas une invention de Marcel Prud'homme.
Comment le dire sans blesser personne? C'est sûr qu'on est tous des Québécois si on habite le Québec. Il y a 18 p. 100 de gens qui, à 99 p. 100, votent non, et c'est leur droit, mais il y a cependant 82 p. 100 qui est le peuple canadien-français du Québec. C'est clair, je le dis pour M. Turp, ils vont finir par venir à cela. Même si on ne nous permet pas d'employer l'expression «peuple canadien-français», c'est avec beaucoup de passion que je reconnais les peuples autochtones. Il y a 11 peuples autochtones au Québec, ce n'est pas compliqué. Il y 65 000 autochtones, et on peut s'entendre. On a entendu toutes les kyrielles, puis on est rendu maintenant des francophones, au lieu d'arriver avec la réalité. Le débat n'est-il pas chez les Canadiens français du Québec? C'est ceux-là qu'il faut convaincre. Ils n'en veulent pas, c'est clair. Moi, je vous dis qu'ils n'en veulent pas. D'après vous, est-ce si offensant de parler comme cela? Il y a des gens qui trouvent cela offensant à Ottawa.
M. Lachapelle: Mon opinion est que les Québécois sont ceux qui habitent le territoire du Québec, tous ceux qui sentent qu'ils font partie de cette communauté politique, sociologique. Ce sont des gens qui s'identifient, des minorités. En tant que professeur à l'Université Concordia, je peux vous dire qu'il y a beaucoup de gens qui s'identifient comme Québécois et qui s'identifient aussi comme Nord-Américains. N'oublions pas qu'il y a quand même 10 p. 100 de francophones au Québec qui ont de la parenté aux États-Unis, et qui s'identifient aussi comme Canadiens.
L'identité varie: il y a une identité nationale forte d'être Québécois, une identité continentale que le libre-échange a certainement renforcé, il s'agit de la nord-américanité des Québécois et, troisièmement, une identité constitutionnelle ou territoriale qui est le Canada. Ces trois identités existent, mais depuis des années, l'identité québécoise est devenue une identité forte.
Pour répondre à votre question sur les peuples, je vous renverrais au Dictionnaire des peuples de Larousse. Vous y retrouvez tous les peuples du monde. Ils sont nombreux, ils existent et sont définis. Peut-être devrais-je en envoyer une copie à plusieurs bibliothèques. Je vous dirais même que j'aime beaucoup l'idée de «peuple respectable», dans le sens que les gens reconnaissent les droits de chacun, et reconnaissent que le Canada aussi a été fondé par deux peuples fondateurs, comme on nous disait à la petite école dans nos bons collèges classiques. Est-ce encore vrai aujourd'hui? Ceux qui veulent nous enlever cette identité le font à leurs risques et périls.
La présidente: Je vous remercie beaucoup au nom du comité. Avant de vous laisser partir, parce qu'il est tard, je vais vous demander de réfléchir un petit peu. Vous avez dit que vous aimeriez voir des échantillons de questions claires. Une des difficultés évidemment, pour nous au niveau fédéral, est de trouver ce qui serait une question claire acceptable à l'autre partie, étant donné que nous n'avons aucun droit de légiférer sur la question que l'Assemblée nationale poserait. C'est presque par curiosité, mais si vous trouvez des échantillons de questions claires, pourriez-vous nous les faire parvenir?
M. Lachapelle: Je vous encouragerais à lire un beau petit document publié lors du référendum de 1980 au Québec qui s'appelait: Pour mieux comprendre les référendums, publié par le Conseil de l'unité canadienne et qui vous donne toutes les questions de l'Australie, Terre-Neuve, Irlande, Norvège, Danemark, Royaume-Uni, en détail. Il est plein d'exemples de questions, c'est le gouvernement fédéral qui l'a fait, et vous pouvez le consulter.
Un des exemples intéressants est celui de l'Australie occidentale en 1938, qui est un cas de partenariat, en bonne partie, et qui est très sensible à la question qu'on avait en 1995 au Québec, qui avait été jugée par le conseil de l'unité canadienne comme étant une question claire et non ambiguë. Ce sont donc vos propres documents qui définissent cette question comme une question claire.
La présidente: Je vous remercie, vous avez été très patient et nous l'apprécions beaucoup.
La séance est levée.