Délibérations du comité spécial sur
Le projet de loi C-20
Fascicule 4 - Témoignages
OTTAWA, le jeudi 8 juin 2000
Le comité spécial sénatorial sur le projet de loi C-20, Loi donnant effet à l'exigence de clarté formulée par la Cour suprême du Canada dans son avis sur le Renvoi sur la sécession du Québec, se réunit aujourd'hui à 18 h 08 pour étudier le projet de loi.
Le sénateur Joan Fraser (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente: Mes chers collègues, la sixième réunion du comité d'étude du projet de loi C-20 est maintenant ouverte. Je tiens à souhaiter à tous la bienvenue à nos audiences, y compris au public qui nous suit à la télévision.
[Français]
Le projet de loi a été adopté par la Chambre des communes le 15 mars 2000 et a été lu au Sénat pour la première fois le 21 mars. Il a ensuite été lu une deuxième fois le 18 mai, ce qui veut dire que le Sénat a approuvé le principe du projet de loi. Le projet de loi C-20 a ensuite été déféré à ce comité spécial pour que nous en fassions une étude approfondie.
[Traduction]
Cet examen se poursuit aujourd'hui par la comparution de Marshall Miller, directeur administratif de l'Association pour la défense des Québécois qui ne résident pas au Québec et de celle de Robert Howse, professeur, École de droit de l'Université du Michigan. Les témoins feront chacun une déclaration préliminaire; il y aura ensuite une période de questions et réponses.
[Français]
Une fois que le comité aura entendu tous les témoins sélectionnés, le projet de loi sera étudié article par article. À ce moment, le comité décidera s'il adopte le projet de loi tel quel, s'il recommande des amendements, ou s'il recommande de ne pas donner suite au projet de loi. Le comité fera ensuite rapport de ses décisions au Sénat pour sa considération.
[Traduction]
Monsieur Miller, je vous remercie d'avoir accepté de comparaître aujourd'hui devant le comité. Nous vous écouterons avec intérêt. Vous avez la parole.
M. Marshall Miller, directeur administratif, Association pour la défense des Québécois qui ne résident pas au Québec: Honorables sénateurs, je vous remercie d'avoir accepté de nous entendre. L'objectif de l'Association pour la défense des Québécois qui ne résident pas au Québec est d'obtenir, pour l'ensemble des Québécois, le droit de voter à tout référendum susceptible de déboucher sur la sécession de notre province d'origine.
Nous ne cherchons naturellement pas à obtenir de droit de vote lorsque le gouvernement du Québec exerce les pouvoirs qui lui ont été conférés en vertu de notre Constitution.
Nous regrettons qu'existe la lamentable possibilité d'un Canada divisé. La Cour suprême nous a dit, qu'en droit, le Canada est divisible, et nous l'acceptons. Nous espérons également qu'un débat vigoureux va s'engager dans tout le Canada sur la question de la séparation au niveau politique. Cependant, dans le contexte de la divisibilité du Canada, nous sommes d'accord, pour l'essentiel, avec le projet de loi C-20.
Au cours des quelque 10 minutes dont je dispose, je voudrais examiner les questions suivantes. La nouvelle perspective d'un Canada divisible soulève un certain nombre de questions relatives à la province d'origine. Jusqu'à présent, le lieu de résidence était le principal déterminant des droits de vote d'une personne. La défense du droit à la mobilité aide certainement à maintenir l'unité nationale, mais s'agit-il là d'une illusion ou d'une réalité?
L'avis de la Cour suprême signifie que tous les Québécois doivent être entendus et pas seulement ceux qui résident au Québec. L'opinion internationale est très nettement favorable à ce que dans un vote démocratique au sujet de la sécession, les vues des non-résidents soient également prises en compte.
En ce qui concerne le vide juridique dans le domaine des compétences, vers qui ceux qui ne résident pas au Québec devraient-ils se tourner pour obtenir la protection de leurs droits -- vers un gouvernement provincial qui recherche la séparation et qui contrôle le processus de consultation, ou vers le gouvernement fédéral qui s'efforce de préserver l'unité de notre pays? Comment se fait-il que le projet de loi C-20 ne réponde pas à ces questions et ne suive pas l'avis de la Cour suprême sur le renvoi?
Pour conclure, je parlerai de la manière de remédier à cette situation marquée par une injustice et par un manque d'esprit démocratique flagrants, dans laquelle un grand nombre de Québécois risquent d'être victimes de ce vide juridique; sans enfreindre les principes du projet de loi C-20, avec lequel nous sommes, dans l'ensemble, d'accord.
Il y aura inévitablement un certain nombre de points que je ne pourrai qu'évoquer brièvement. Si vous le désirez, nous pourrons y revenir plus en détail au cours de la période de questions.
Je vais maintenant passer à la question de la liberté de circulation et d'établissement. Lorsqu'un Texan vient s'établir dans le New Jersey et proclame fièrement qu'il est Texan, une personne née dans cet État peut fort justement dire, «Et alors?». Dans une fédération qui n'est pas divisible, votre lieu de naissance présente tout au plus un intérêt sur le plan social. Il a peu de conséquences sur le plan juridique.
[Français]
La sécession change tout cela. Le ministre a indiqué -- et c'est exact -- qu'un référendum sur la sécession est différent. La raison est que la sécession c'est pour toujours.
[Traduction]
Lorsque nous quittons le Québec pour aller vivre dans d'autres provinces, nous le faisons à la fois en tant que Québécois et que Canadiens. Les personnes nées au Québec demeurent des Québécois, quel que soit leur lieu de résidence. C'est une qualité qui s'attache à nous dès notre naissance, de la même manière que le fait d'être né Canadien est une qualité qui continue à exister quel que soit notre lieu de résidence ou la durée de notre absence. Selon les règles actuelles, la sécession nous obligerait à faire un choix sans jamais nous donner la possibilité de voter sur ce choix. C'est non seulement contraire à la démocratie, mais cela crée un dilemme auquel les autres Canadiens ne sont pas confrontés. En cas de sécession du Québec, une personne originaire du Nouveau-Brunswick ou de la Nouvelle-Écosse demeurera à la fois Canadien et Néo-Brunswickais ou Néo-Écossais.
Le Canada est un endroit où nous voulons que chacun puisse se déplacer librement. Ce droit est d'ailleurs garanti par l'article 6(2) de la Charte canadienne des droits et libertés. Mais cette mobilité interprovinciale entraîne la perte effective du droit de vote dans un référendum sur la sécession, les droits qui s'y rattachent sont illusoires puisqu'ils ne permettent pas à certains électeurs de participer à ce qui serait peut-être le scrutin le plus important de leur vie.
Nous considérons également que lorsqu'on parle du droit de se déplacer, on ne parle pas uniquement d'étroites questions de droit ou à de droits démocratiques et humains fondamentaux. Ce droit interdit non seulement la discrimination fondée principalement sur la province de résidence antérieure ou actuelle. Pour reprendre les termes de la Charte, ce droit aide à cimenter une nation.
Refuser aux non-résidents le droit de voter dans un référendum sur la sécession revient à dire qu'une personne n'est pas nécessairement allée s'installer dans une autre province, par exemple, pour promouvoir sa carrière. Cela revient à dire que cette personne a abandonné l'endroit où elle est née.
La vie est plus compliquée que cela. Nous sommes nombreux à avoir des liens avec le Québec -- liens de famille, d'affaires et d'amitié. Nous n'avons pas abandonné le Québec, nous sommes simplement allés nous établir ailleurs. En protégeant ces liens et en encourageant le maintien d'un intérêt dans les affaires de la province d'origine, on fait du Canada un pays plus fort. C'est d'ailleurs vrai de n'importe quelle province du Canada, pas seulement du Québec. Pour le comprendre, imaginez le contraire: cela devient une recette pour accroître l'isolement régional et provincial.
La Cour suprême s'est prononcée en faveur de l'inclusion de tous les Québécois. Nous avons soigneusement étudié son avis sur le renvoi, mais nous avons également examiné une cause plus ancienne portée devant la Cour suprême en 1993, Haig c. Canada, qui avait trait au référendum constitutionnel de Charlottetown, au droit de vote et aux questions de résidence.
Partons du principe que les tribunaux en général et la Cour suprême en particulier n'aiment pas perdre leur temps. Le référendum sur l'Entente de Charlottetown a été tenu en 1992. On peut donc se demander pourquoi la Cour suprême a entendu un appel en 1993 portant sur une question qui n'était déjà plus qu'une hypothèse d'école, puisque le référendum n'était plus qu'un souvenir? C'était une façon de nous faire comprendre que l'époque de la conception étroite du droit de vote en fonction du lieu de résidence était révolue. Comment pourrait-on autrement expliquer le temps et les efforts consacrés à cette affaire? La Cour suprême tenait à nous dire quelque chose d'important.
Dans ses notes d'allocution, le ministre des Affaires gouvernementales a mentionné la fréquence avec laquelle la Cour suprême utilise le mot «clair» pour souligner l'importance qu'elle attache à la clarté. Nous voudrions en faire de même au sujet de la notion de résidence.
Pour que le résultat soit clair, la Cour suprême voulait-elle que le droit de vote soit fondé sur une interprétation restrictive du lieu de résidence, ou au contraire sur une interprétation plus large et inclusive? À la page 12 de notre mémoire, nous présentons un tableau qui illustre la fréquence avec laquelle la Cour suprême a utilisé des termes se prêtant à une interprétation restrictive et précise, tels que «domicile», qui est une notion importante en droit du Québec, encore bien plus que les simples notions de résidence, de «résidents», ainsi que celles de notions inclusives plus générales telles que «Québécois» et le «peuple du Québec». Nous en avons fait de même pour l'expression «population», terme utilisé dans le projet de loi C-20, qui a plusieurs sens et qui apparaissait à huit reprises. Les expressions générales inclusives «peuple du Québec» et «Québécois» apparaissaient 26 fois, alors que «résident» ou «résidents» n'apparaissaient qu'à six reprises, soit une marge de plus de 80 p. 100 en faveur d'une interprétation plus large et inclusive. La notion la plus restrictive de «domicile» ou de «domicilié au Québec» n'a pas été mentionnée une seule fois.
Il semble clair que la Cour suprême pensait à tous les Québécois, et pas seulement aux résidents de la province au moment d'un référendum.
Si le projet de loi C-20 est fondé sur l'opinion de la Cour suprême, nous estimons avoir le droit de réclamer qu'il exige que la population toute entière d'une province, y compris les non-résidents, et pas seulement ceux qui s'y trouvent au moment d'un référendum, puissent voter pour que le résultat quel qu'il soit puisse être considéré comme la claire expression de la volonté de se séparer.
Dans ce domaine, la position internationale est très nette. Le principe du droit de vote pour les non-résidents est très largement répandu. L'Union européenne, qui a également adopté le principe de la mobilité, autorise automatiquement les non-résidents à voter. Les Nations Unies ont également adopté une interprétation très libérale des droits de vote des non-résidents dans les référendums sur la sécession. De son côté, le gouvernement du Canada a soutenu les droits de vote des non-résidents lorsqu'il était membre du Conseil de sécurité des Nations Unies, à l'époque du référendum du Timor oriental en 1999.
Il est inconcevable que l'Indonésie et le Timor oriental aient une attitude plus démocratique que notre propre pays dans le cas d'un référendum sur la sécession. Le critère relatif au droit de vote des non-résidents que le gouvernement du Canada a accepté pour les autres devrait également être appliqué à tous les Québécois.
Il reste que nous ne savons toujours pas vers qui nous tourner pour assurer la protection de nos droits démocratiques. Le ministre nous a écrit à la suite de notre exposé devant le comité législatif. Nous apprécions le fait que les vues que nous avons exprimés ont retenu son attention. Le ministre nous a dit que, dans tous les autres domaines, l'article 2(2)c) devrait apaiser toutes nos inquiétudes. J'y reviendrai dans un moment.
Le ministre a également déclaré que ce qui l'inquiétait c'était que nos suggestions en faveur d'un amendement au projet de loi étaient contraires à l'esprit de celui-ci en ce qui concerne la non-ingérence dans la manière dont une province tient un référendum. Nous nous permettons respectueusement d'exprimer un avis contraire.
Nous avons recommandé que le projet de loi C-20 soit amendé afin d'inclure après chaque mention de la «population de la province» les mots «quel que soit leur lieu de résidence». Nous n'avons pas changé d'avis en ce qui concerne la pertinence de ce changement. En effet, cet amendement n'oblige pas la province à inclure tous les Québécois qui ne résident pas au Québec. Il précise simplement qu'ils ne sont pas tous inclus, la clarté du résultat pourrait être compromise, en particulier en cas de vote serré.
Examinons cette possibilité de plus près. Une province peut décider de courir le risque en excluant, dans la pratique, la population de ses membres non-résidents; elle peut remporter une victoire de justesse qui ne serait, cependant, pas reconnue par le Parlement. En agissant ainsi, elle mise