Délibérations du comité spécial sur
Le projet de loi C-20
Fascicule 5 - Témoignages pour la séance de l'après-midi
OTTAWA, le lundi 12 juin 2000
Le comité sénatorial spécial sur le projet de loi C-20, Loi donnant effet à l'exigence de clarté formulée par la Cour suprême du Canada dans son avis sur le Renvoi sur la sécession du Québec, se réunit aujourd'hui à 13 h 39 pour étudier le projet de loi.
Le sénateur Joan Fraser (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente: Honorables sénateurs, je constate que nous avons le quorum. Je déclare ouverte la septième réunion du comité spécial du Sénat sur le projet de loi C-20. Je voudrais vous souhaiter la bienvenue à tous, y compris aux téléspectateurs qui nous regardent. Soyez les bienvenus au Sénat.
Nous poursuivons aujourd'hui notre examen du projet de loi C-20, Loi donnant effet à l'exigence de clarté formulée par la Cour suprême du Canada dans son avis sur le Renvoi sur la sécession du Québec.
[Français]
Le projet de loi a été adopté par la Chambre des communes le 15 mars 2000 et a été lu au Sénat pour la première fois le 21 mars. Il a ensuite été lu une deuxième fois le 18 mai, ce qui veut dire que le Sénat a approuvé le principe du projet de loi. Le projet de loi C-20 a ensuite été déféré à ce comité spécial qu'il pour en fasse une étude approfondie.
[Traduction]
Cette étude se poursuit aujourd'hui avec la comparution de représentants de l'Assemblée des premières nations, du Grand Conseil des Cris et du Conseil de la nation Innu Matimekush-Lac John. M. Claude Ryan, du Québec, fera suite aux représentants de ces organisations, plus tard cet après-midi.
Les témoins vont nous faire chacun une déclaration liminaire qui sera suivie d'une période de questions. Je crois que certains d'entre vous sont accompagnés de leurs conseillers, mais qu'il n'y avait pas suffisamment de place à la table pour permettre à tout le monde d'y prendre place. Si au cours des délibérations vous souhaitez consulter quelqu'un ou demander à un conseiller de répondre à la question parce qu'elle est de nature technique, n'hésitez pas à le faire. Nous regrettons que notre table ne soit pas plus grande. Nous tenons à vous remercier infiniment d'être venus ici aujourd'hui. Nous savons qu'il ne vous a pas été facile de vous réunir. Nous avons hâte d'entendre votre exposé alors s'il vous plaît, allez-y.
M. Phil Fontaine, chef national, Assemblée des premières nations: Honorables sénateurs, je vous remercie de m'avoir invité à prendre la parole aujourd'hui. J'ai l'intention de raviver plusieurs questions soulevées au moment où le projet de loi a été débattu à la Chambre des communes et d'ajouter des points de vue qui s'y sont greffés depuis.
Depuis 1982, que ce soit directement ou indirectement, par convention ou par nécessité, la réforme constitutionnelle prévoit la participation entière et égale des Premières nations du pays à toutes les étapes du processus et à toutes les tables de négociation qui en découlent.
Elijah Harper et l'Assemblée des chefs du Manitoba ont fait échouer l'Accord du lac Meech car, au chapitre de la formulation et des propositions, les Premières nations n'avaient pas été consultées. Par ailleurs, l'accord ne faisait référence qu'à deux nations fondatrices, omettant ainsi de reconnaître les Premières nations comme les premiers habitants du Canada et comme des autorités souveraines, autodéterminées et autonomes sur le plan gouvernemental.
L'accord constituait une insulte aux gouvernements que forment les Premières nations et, en ne reconnaissant pas la nécessité de nous inclure à titre de partenaires égaux et à part entière dans la détermination de l'avenir constitutionnel du Canada, il transpirait le mépris.
En 1992, le processus entourant l'Entente de Charlottetown reconnaissait les droits des Premières nations et nous réservait une place égale à la table. Même si l'accord n'a pas débouché, cela n'amoindrit en rien le précédent constitutionnel qui y était confirmé quant à la participation entière, égale et constructive des Premières nations dans la réforme constitutionnelle, qu'elle soit directe ou non, et dans toute autre restructuration du pays.
En fait, le texte même de la Constitution canadienne reconnaît et protège la relation unique des Premières nations du Canada avec le gouvernement fédéral et les provinces. L'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 reconnaît et affirme les droits ancestraux et issus de traités dont jouissent actuellement les peuples autochtones du Canada. De nos jours, on admet généralement que les droits à l'autonomie gouvernementale des Premières nations font partie de l'article 35. Nul doute qu'il s'agit là d'une pierre angulaire de la politique fédérale.
Quoi qu'il en soit, les traités historiques conclus de nation à nation n'auraient permis aucune autre interprétation. Donc, les Premières nations, tout comme les provinces et le gouvernement canadien, sont décrites, reconnues et affirmées selon la Constitution comme les principaux gouvernements de ce pays et, à ce titre, ont droit à l'autonomie gouvernementale. La Constitution même du Canada indique qu'aucun recours, procédure ou institution ne peuvent modifier ces droits, de façon positive ou négative, sans la participation entière, égale et constructive des Premières nations.
Le Renvoi de la Cour suprême sur la sécession tenait compte du droit international et du droit canadien. En vertu du droit international, les Premières nations sont des peuples ayant droit à l'autodétermination. Les statuts juridique, politique et territorial des Premières nations du Québec et du Canada ne peuvent donc être modifiés sans la participation entière, égale et constructive des Premières nations du Québec et du Canada. Par ailleurs, l'article 35.1 de la Loi constitutionnelle de 1982 a des répercussions similaires. Comme on s'y réfère moins souvent qu'à l'article 35, je vous le cite en entier:
Les gouvernements fédéral et provinciaux sont liés par l'engagement de principe selon lequel le premier ministre du Canada, avant toute modification de la catégorie 24 de l'article 91 de la Loi constitutionnelle de 1867, de l'article 25 de la présente loi ou de la présente partie:
a) convoquera une conférence constitutionnelle réunissant les premiers ministres provinciaux et lui-même et comportant à son ordre du jour la question du projet de modification;
b) invitera les représentants des peuples autochtones du Canada à participer aux travaux relatifs à cette question.
L'article 25 de la Loi constitutionnelle de 1982 stipule que la Charte des droits et libertés ne devrait pas être interprétée de façon à abroger ou à déroger des droits ou libertés -- ancestraux, issus de traités ou autres -- des peuples autochtones du Canada.
L'article 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867 confère au gouvernement fédéral une autorité constitutionnelle assortie d'une obligation fiduciaire dans les affaires législatives touchant les Indiens et les terres réservées aux Indiens. Dans l'article 35.1, la référence à «la présente partie» inclut l'article 35. Ainsi, l'article 35.1 rend obligatoire et exige clairement la participation des Premières nations dans toute cause ayant des répercussions sur la présence constitutionnelle et les droits des Premières nations du pays.
En fait, les traités convenus de nation à nation entre nos peuples pour le partage des pouvoirs dans ce pays, notre présence antérieure à celle de quiconque et notre titre autochtone convergent tous vers le même résultat. Dans le contexte de ce discours d'ouverture, et compte tenu de toutes les mises en garde que je vais suggérer dans un instant, j'aimerais, au nom de l'Assemblée des premières nations, dire au comité que nous appuyons les lois qui protègent les Canadiens, et aident les Premières nations, en résistant à toute tentative de porter atteinte à l'intégrité constitutionnelle, gouvernementale ou territoriale du Canada, ou des Premières nations, sans la pleine participation et le plein consentement de tous les Canadiens et, en particulier, des Premières nations.
Les Premières nations du Canada appuient les lois qui protègent leurs membres d'une déclaration d'indépendance unilatérale du Québec ou de toute autre province. Nous réitérons que nul autre groupe ou gouvernement n'a autant de raisons, de droits et de moyens de se séparer que les Premières nations du Canada. Même si on nous considère souvent comme des alliés pratiques -- ou des pions -- associés à l'un des deux autres ordres de gouvernement du pays, ne vous méprenez pas. Nous sommes solidaires dans notre foi en la valeur de ce pays appelé Canada, dans nos droits et notre présence en tant que peuples autonomes à l'intérieur de celui-ci, et dans notre droit de choisir indépendamment, peu importe les circonstances, de continuer à respecter et à faire partie de l'intégrité constitutionnelle et territoriale du Canada et des provinces.
Aucun autre ordre de gouvernement n'a le droit de se retirer en emmenant nos membres avec lui. Aucun autre gouvernement n'a le droit de manquer à ses obligations fiduciaires envers nos peuples, ni de les minimiser. Aucun autre gouvernement ou processus référendaire non autochtone ne peut avoir des répercussions sur nos membres sans d'abord faire appel à notre participation égale, entière et constructive, et sans notre consentement.
Aussi, aux questions «Avec qui doit-on prendre des décisions au sujet de la clarté ou de la pertinence d'un référendum? Que pourraient être les modalités et conditions de négociation? Qu'est-ce qui pourrait ressortir de ces négociations?», nous croyons que les réponses sont directes. Les Premières nations du pays doivent former une des parties en cause. Qu'on aborde le sujet d'un point de vue technique à partir de l'article 35.1 de la Constitution, à partir des droits politiques et historiques à l'autonomie gouvernementale des Premières nations reconnue en vertu des traités historiques et de l'article 35 de la Constitution, ou qu'on se fonde sur les principes de droit international sur lesquels la Cour suprême du Canada s'appuie dans le Renvoi sur la sécession du Québec, il ne peut y avoir, maintenant ou plus tard, de bien-fondé à tout processus, tout recours, toute négociation ou toute reconnaissance, que ce soit au pays ou à l'étranger, sans d'abord obtenir le consentement et la participation pleine et constructive des Premières nations du pays.
Cette participation et ce consentement impliquent que les Premières nations soient appelées à se prononcer dès le départ sur la clarté ou sur la formulation claire d'une question référendaire, sur la reconnaissance d'une volonté politique suffisamment bien exprimée par la population d'une province à l'issue d'un référendum, et sur toute négociation en découlant quant aux conditions ou aux modifications requises pour permettre à une province de se séparer du Canada.
Au départ, comme vous le savez, le projet de loi C-20 ne faisait aucune référence explicite à notre participation en tant que partenaires politiques, sauf au paragraphe (2) de l'article 3 qui précisait que les droits, intérêts et revendications territoriales des peuples autochtones du Canada constituaient une des questions que le gouvernement du Canada devait aborder dans les négociations menant à la proposition d'une modification constitutionnelle. Cela aurait relégué les Premières nations à un rôle de témoin muet ou de spectateur, et non de principal ordre de gouvernement. Ce rôle était inacceptable, et nous avons donc travaillé sans relâche pour veiller à ce que le projet de loi soit modifié afin d'y inclure nos droits de participation en tant que coadministrateurs du pays.
Ces efforts ont donné lieu à la modification du paragraphe (5) de l'article 1, et au paragraphe (3) de l'article 2, qui exigent maintenant que nos peuples soient consultés sur la clarté d'une question référendaire et sur la reconnaissance d'une volonté politique majoritaire nettement exprimée par la population d'une province souhaitant se séparer du Canada. Nous avions également demandé des modifications au paragraphe (1) de l'article 3 pour clairement établir notre participation à part entière dans toute négociation visant à modifier la Constitution du Canada si une province devait se séparer. Selon nous, le paragraphe (1) de l'article 3 aurait dû être modifié pour se lire comme suit:
Il est entendu qu'il n'existe aucun droit, au titre de la Constitution du Canada, d'effectuer unilatéralement la sécession d'une province du Canada et que, par conséquent, la sécession d'une province du Canada requerrait la modification de la Constitution du Canada, à l'issue de négociations auxquelles participeraient notamment les gouvernements de l'ensemble des provinces, des peuples autochtones et du Canada.
On pourrait aussi parler de réserver un rôle spécial aux peuples autochtones qui résident dans une province proposant une sécession.
Le premier ministre et son gouvernement avaient choisi de ne pas modifier officiellement le paragraphe (1) de l'article 3 mais, après négociations, décidaient de mettre en vigueur cette modification par une déclaration officielle du ministre Dion dans le hansard, en troisième lecture, qui se lit comme suit:
Le chef national de l'Assemblée des premières nations, M. Phil Fontaine, s'est dit satisfait de ces modifications, mais regrette que le rôle que joueraient les représentants autochtones en cas de négociation d'une sécession n'ait pas été davantage précisé.
À ce propos, je tiens à dire avec insistance que si l'article 3(1) du projet de loi sur la clarté ne mentionne, parmi les participants à une éventuelle négociation sur la sécession, que les gouvernements de l'ensemble des provinces et du Canada, c'est qu'il s'agit des seuls acteurs politiques à qui la Cour assigne une obligation de négocier en cas d'appui clair pour la sécession.
Mais la Cour, pas plus que C-20, n'exclut que d'autres acteurs politiques puissent participer à cette négociation, dont les représentants des peuples autochtones du Canada. Simplement, il ne fallait pas que C-20 aille au-delà de l'avis de la Cour en créant une obligation pour d'autres acteurs que ceux auxquels elle a assigné une telle obligation.
J'ajoute qu'en vertu de la Loi constitutionnelle de 1982, les gouvernements fédéral et provinciaux sont liés par l'engagement de principe selon lequel les représentants des peuples autochtones seraient invités à participer aux discussions pour tout amendement constitutionnel qui affecterait des dispositions de la Constitution mentionnées à l'article 35.1.
Le projet de loi sur la clarté respecte ce principe en précisant bien que les négociations sur la sécession incluraient notamment les gouvernements des provinces et du Canada, et j'insiste sur le mot «notamment».
Nous comprenons donc que le dossier historique et constitutionnel, à tous les égards -- notamment à des fins judiciaires --, exige maintenant notre participation entière et égale dans toute négociation visant à modifier la Constitution du Canada. Toutefois, par mesure de précaution extrême, nous prions instamment le Sénat du Canada de proposer une modification à la loi, selon les conditions précitées, en vue d'y intégrer officiellement ce mandat.
Nous ne voulons pas faire plus d'éclat qu'il n'en faut. Nous appuyons le projet de loi C-20 comme cadre législatif conçu non seulement pour éviter la sécession unilatérale d'une province, mais aussi pour voir à la clarté et au bien-fondé du processus de consultation, des questions posées et de l'expression de l'opinion politique requise pour permettre un événement aussi important. Compte tenu des propos rassurants du ministre Dion dans le hansard et de ceux émis par le premier ministre et d'autres, nous constatons avec satisfaction que le dossier constitutionnel exigeant notre participation est clair. Aussi, nous n'avons pas l'intention, désormais, de bloquer le projet de loi C-20. Comme je l'ai mentionné, la protection de nos membres, et la protection que ceux-ci réservent au Canada, sont trop importantes pour être la cible de politiques intempestives.
Toutefois, si ces modifications à la loi étaient proposées, et si elles étaient jugées acceptables, nous croyons qu'il incombe au Sénat, tout comme à la Chambre, de voir à ce que notre participation pleine, égale et constructive soit enchâssée dans la loi.
Aujourd'hui, je suis accompagné de mon collègue et conseiller juridique Jack R. London, c.r. Nous sommes tous deux à votre disposition pour répondre à vos questions et amorcer le dialogue sur ces sujets de très grande importance. Merci.
M. Ted Moses, grand chef, Grand Conseil des Cris: Au nom du Grand Conseil des Cris, je vous remercie de nous avoir invités à comparaître devant le comité spécial du Sénat sur le projet de loi C-20.
Le Grand Conseil des Cris s'intéresse activement, depuis longtemps, à la question de la sécession du Québec. Nous continuons d'utiliser tous les moyens pacifiques et démocratiques disponibles pour faire connaître nos préoccupations concernant les droits de la personne aux Canadiens et à la communauté internationale.
Nous avons publié deux livres sur le sujet. Sur la scène internationale, nous avons participé à des tribunes sur les droits de la personne où les questions concernant l'autodétermination et la sécession ont été examinées. Nous sommes également intervenus dans le renvoi relatif à la sécession du Québec devant la Cour suprême du Canada.
Avant le référendum québécois d'octobre 1995, nous avons mis en place dans nos collectivités un processus de consultation publique sur la question de la sécession et nous avons tenu notre propre référendum. Plus de 96 p. 100 des Cris ont voté pour que les Cris de la baie James et leur territoire traditionnel ne soient pas séparés du Canada sans le consentement des Cris. Ce résultat a été publié au Québec et dans les autres régions du pays. Comme nous l'avons vérifié ensuite au moyen d'un sondage d'opinions, notre vote a incité les Québécois à voter en faveur du maintien de leur province au sein du Canada.
Plus récemment, nous avons préparé deux longs mémoires qui ont déjà été distribués aux membres éminents du comité spécial du Sénat. Notre mémoire concernant le projet de loi sur la clarté a été soumis à la Chambre des communes, mais il présente quand même un intérêt pour votre comité étant donné qu'il décrit nos préoccupations au sujet de cette question.
Avec l'aide précieuse du député néo-démocrate Bill Blaikie et l'appui de M. Irwin Cotler, le Grand Conseil des Cris a obtenu deux amendements qu'il avait recommandé d'apporter au projet de loi C-20. Nous apprécions le fait que la Chambre des communes consultera les autochtones à l'avenir pour déterminer ce qui constitue une question claire et une majorité claire. Cependant, les amendements que nous avions proposés au sujet de la participation des autochtones à de futures négociations sur la sécession n'ont pas encore été adoptés.
Le deuxième mémoire que nous vous avons soumis concerne la projet de loi 99 du Québec, Loi sur l'exercice des droits fondamentaux et des prérogatives du peuple québécois et de l'État du Québec. Selon nous, il est essentiel d'examiner le projet de loi fédéral sur la clarté à la lumière du projet de loi 99, tel qu'il a été modifié, pour pouvoir placer toute la question de la sécession dans une perspective réaliste.
Le gouvernement du Québec a récemment retiré son projet de loi 99 et en a déposé une nouvelle version à l'Assemblée nationale, la «réimpression» du projet de loi 99. Cette version modifiée violera quand même, si elle est adoptée, nos droits de la personne de la même façon que le projet de loi initial. Elle va quand même chercher à faire en sorte, de façon illégale et illégitime, que les Cris de la baie James et les autres peuples autochtones du Québec n'aient jamais le droit de choisir de rester au sein du Canada, avec leurs territoires, si le Québec se séparait. Ce projet de loi continue de nier la validité de nos propres référendums démocratiques sur la sécession et d'autres questions.
Au lieu de reconnaître le fait que différents peuples et différentes cultures se côtoient dans la province, dont les cultures et les peuples québécois et autochtones -- le projet de loi 99 vise à créer un seul «peuple québécois». Il est erroné de procéder ainsi car on englobe forcément tout le monde. Or, en vertu du principe de l'autodétermination, on ne peut pas nous inclure dans ce peuple québécois unique sans notre consentement. Le projet de loi 99 cherche cependant à priver les peuples autochtones de leur statut de peuple distinct ainsi que de leur droit à l'autodétermination et à l'auto-identification.
Le gouvernement du Québec et d'autres intervenants ont essayé de semer la confusion en soutenant que nous nions l'existence d'un peuple québécois ou d'un peuple canadien-français. Or, nous avons toujours soutenu que tous les peuples du Québec devaient être respectés de la même façon. Il ne nous appartient pas de dire aux autres comment ils doivent se décrire.
Selon nous, le gouvernement et l'Assemblée nationale du Québec ne sont pas habilités en vertu du droit constitutionnel canadien ou du droit international à nous obliger à nous considérer comme faisant partie d'un peuple québécois unique. Le premier ministre Bouchard n'est pas le grand chef des Cris; c'est moi qui le suis. Je ne prétends pas être le grand chef des Québécois. Le projet de loi crée un peuple québécois unique fictif à des fins intéressées.
Le Grand Conseil des Cris appuie avec force l'établissement de règles justes et équitables pour régir tout processus de sécession. Le projet de loi 99 du gouvernement du Québec montre plus clairement que quoi que ce soit d'autre jusqu'ici combien ces règles sont nécessaires. Elles doivent se conformer pleinement au jugement de la Cour suprême du Canada et au renvoi sur la sécession. Le projet de loi 99 du gouvernement du Québec risque de se révéler la mesure la plus préjudiciable prise à l'encontre des Cris de la baie James depuis 1898 et 1912. À cette époque, les gouvernements fédéral et provincial ont annexé à la province notre vaste territoire traditionnel sans d'abord nous en informer ni obtenir notre consentement.
En refusant d'assurer explicitement la participation des peuples autochtones à toute négociation future sur la sécession, le gouvernement fédéral ne respecte pas ses responsabilités fiduciaires. Il accroît notre vulnérabilité alors que la situation est très grave. En agissant de la sorte, le gouvernement incite les gouvernements futurs à refuser de permettre que nous participions directement et activement aux négociations sur une sécession au Canada.
Lorsqu'il a comparu devant le comité sénatorial, le ministre des Affaires intergouvernementales, M. Stéphane Dion, a confirmé que, de l'avis du gouvernement fédéral, l'article 35.1 de la Loi constitutionnelle de 1982 exige que les peuples autochtones participent à toute négociation future sur la sécession. Dans ce cas, pourquoi le ministre refuse-t-il de refléter cette réalité et cette obligation constitutionnelles dans le projet de loi sur la clarté? Pourquoi le projet de loi sur la clarté ne prévoit-il pas la participation des autochtones à toute négociation future?
Il importe de noter que le droit à la participation des peuples autochtones n'est pas lié à la question de savoir si l'article 35.1 fait partie ou non des procédures de modification constitutionnelle. Comme nous le décrivons dans notre mémoire portant sur le projet de loi sur la clarté à la partie V, pages 98 à 107, divers arguments peuvent être invoqués pour justifier le droit à la participation des peuples autochtones.
Par ailleurs, la Cour suprême du Canada a stipulé à plusieurs reprises dans le renvoi sur la sécession que les négociations touchant la sécession doivent reposer sur des principes. Ce ne serait clairement pas le cas si les gouvernements fédéral et provincial cherchent à ne pas respecter les obligations constitutionnelles qui sont les leurs en vertu de l'article 35.1.
Comme le montre clairement notre participation au débat à ce sujet au Canada et à l'échelle internationale, nous prenons extrêmement au sérieux la question de la sécession du Québec. Nous nous rendons compte que l'avenir des générations présentes et futures de Cris ainsi que l'avenir de notre territoire traditionnel sont en jeu. Le peuple Cri de la baie James vit, occupe et gouverne Eeyou Istchee depuis des milliers d'années et nous continuerons de le faire. Nous avons un lien profond et historique avec notre territoire. Ces faits historiques revêtent une grande importance. Aucun peuple ou gouvernement non autochtone au Canada peut prétendre la même chose.
En outre, la Convention de la Baie James et du Nord québécois a été approuvée par les gouvernements et les Parlements tant du Canada que du Québec. Aux termes de ce traité, toutes les parties ont accepté qu'un accord fédéral permanent régisse notre région et d'autres vastes régions du nord du Québec. Aucun changement à cet accord fédéral ne peut être apporté sans le consentement des Cris. Le gouvernement fédéral ne peut pas ne pas tenir compte de notre rôle comme partie à part entière de ce traité en mettant en doute notre participation dans le processus de sécession aux termes du projet de loi sur la clarté.
Le fait que la participation des peuples autochtones n'est pas explicitement prévue dans le projet de loi sur la clarté suscite chez nous beaucoup d'incertitude et d'insécurité. Dans toute négociation sur la sécession, notre marginalisation, voire notre exclusion, devient une possibilité cruelle et déroutante.
À titre de peuples autochtones, nous sommes bien conscients des effets destructeurs de la marginalisation. Différents gouvernements se sont servis de ce processus par le passé pour nous déposséder de notre statut et de nos droits. La marginalisation est l'antithèse même de la démocratie de participation ou de la démocratie représentative. La stratégie qu'a adoptée le gouvernement est lâche. Elle s'en prend aux citoyens les plus vulnérables et à ceux qui n'ont pas voix au chapitre. L'impression qu'on veut cependant donner est qu'on se préoccupe des gens et qu'on leur fait confiance.
À titre d'exemple, lors des négociations de novembre 1981 portant sur le rapatriement de la Constitution canadienne, des fonctionnaires fédéraux nous ont assurés que nos droits seraient protégés en notre absence. Or, pour parvenir à une entente avec neuf des dix provinces, le gouvernement fédéral a renoncé à faire reconnaître dans la Constitution nos droits ancestraux et nos droits issus de traités ainsi que les droits à l'égalité des femmes et des personnes handicapées. Ces droits n'ont été reconnus dans le cadre du processus de rapatriement qu'à l'issue d'une campagne d'envergure menée à l'échelle nationale.
En ce qui touche la sécession, le gouvernement fédéral semble craindre de reconnaître aux peuples autochtones des droits et des pouvoirs dont nous jouissons actuellement. Quel mal y aurait-il pour le Canada à affirmer sans équivoque l'existence de nos droits constitutionnels de manière à ce que nous puissions nous protéger en cas de sécession?
Dans le cadre du renvoi portant sur la sécession, le procureur général du Canada a pressé les juges de la Cour suprême de ne pas commenter les droits des peuples autochtones. Le gouvernement a à plusieurs reprises assuré la Cour qu'il honorerait ses obligations constitutionnelles et fiduciaires à l'égard des peuples autochtones en cas de sécession. La Cour fait remarquer dans le renvoi que le cadre juridique dans lequel devraient se dérouler les négociations sur la sécession met autant l'accent sur les responsabilités constitutionnelles que sur les droits constitutionnels.
En enchâssant dans le projet de loi sur la clarté un déséquilibre fondamental, le gouvernement fédéral renonce à ses responsabilités fiduciaires. En refusant expressément de prévoir la participation des peuples autochtones à de futures négociations sur la sécession, le gouvernement non seulement marginalise les peuples autochtones, mais il trahit aussi la confiance de la Cour suprême.
L'une des pires mesures colonialistes est actuellement prise à l'encontre du peuple cri de la baie James. Le gouvernement du Québec prétend pouvoir nous traiter comme du cheptel. Le gouvernement fédéral, qui a pourtant des responsabilités fiduciaires à notre endroit, avalise en fait ce processus impitoyable.
Si le gouvernement du Québec parvient à ses fins grandioses, je perdrai mon pays, ma Constitution et mes terres. Les frontières géographiques du Québec ne reconnaissent pas nos droits. Compte tenu de l'urgence de la situation, le gouvernement fédéral ne doit pas chercher à nous affaiblir, c'est-à-dire à nous lier les mains, en refusant de prévoir la participation expresse des peuples autochtones à de futures négociations sur la sécession dans le projet de loi sur la clarté.
Nous croyons comprendre que le gouvernement fédéral presse actuellement les sénateurs de faire fi du bon sens et d'adopter le projet de loi sur la clarté. Le gouvernement veut simplement que le Sénat approuve à l'aveuglette le projet de loi de la Chambre des communes.
Nous nous opposons à une telle approche qui laisse entendre que le Sénat n'est pas utile, qu'il n'a pas de rôle honorable ou pertinent. Dans le contexte extraordinaire d'une sécession, il ne fait aucun doute que le Sénat peut jouer un rôle très important. Personne ne peut contester le rôle actuellement dévolu dans la Constitution au Sénat dans le processus qui consiste à adopter des lois comme le projet de loi sur la clarté. Personne ne peut contester le fait que la Constitution oblige le Sénat à évaluer pleinement les projets de loi pour s'assurer qu'ils sont conformes aux principes et aux valeurs constitutionnels, y compris aux principes et aux valeurs sur lesquels reposent la démocratie, le fédéralisme et la protection des droits ancestraux et des droits issus de traités. En outre, comme il est une des deux institutions qui composent le Parlement, le Sénat a des obligations constitutionnelles et fiduciaires à l'égard des peuples autochtones.
En ce qui touche le projet de loi sur la clarté, nous pressons le comité sénatorial spécial de s'acquitter de ses responsabilités constitutionnelles et d'appuyer les amendements que nous proposons, lesquels visent à faire en sorte que notre participation pleine et entière soit assurée lors de toute future négociation sur la sécession. En protégeant le statut et la position des peuples autochtones dans le contexte de la sécession du Québec, c'est le Canada tout entier qui y gagnera.
[Français]
Chef Jacques Gauthier, du Conseil de la Nation Innu Matimekush-Lac John.
[Le témoin parle l'inuktitut.]
Je vous remercie de votre invitation. Dans le cadre de l'examen des rapports présentés par les États parties au Pacte international relatif aux droits civils et politiques des Nations Unies -- pacte dont est signataire le Canada -- le comité des droits de l'homme des Nations Unies a fait l'observation suivante à la délégation canadienne, au moment de la présentation du rapport du Canada, à New York, le 6 avril 1999:
Le comité, tout en prenant note de la notion d'autodétermination telle qu'appliquée par le Canada aux peuples autochtones, regrette que la délégation n'ait pas donné d'explication sur les différents éléments de cette notion. Il engage l'État partie à rendre compte de la manière voulue dans son prochain rapport périodique de l'application de l'article premier du Pacte.
Le projet de loi dont vous faites actuellement l'étude est, à notre avis, un test quant à la volonté du Canada de considérer les peuples autochtones vivant dans la province de Québec comme des participants pleins et entiers dans le débat entourant la sécession du Québec.
Le projet de loi C-20, pour le Canada, sera un test quant à savoir s'il a respecté son engagement international de donner un sens significatif à la notion d'autodétermination et son application aux premiers peuples du territoire canadien.
Il va sans dire que, pour le peuple innu, les engagements du Canada et ses obligations à notre égard sont pour ainsi dire une suite d'actions, de décisions, de lois ou de politiques gouvernementales qui n'ont été jusqu'à ce jour que la confirmation des manquements du Canada à l'égard de ses obligations de fiduciaire, tel que reconnu par le common law, le droit canadien, et confirmées dans la Proclamation royale de 1763 ainsi que l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982.
Le projet de loi C-20 va-t-il représenter pour les peuples autochtones un autre manquement du Canada quant à sa responsabilité permanente, aux termes de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, en ce qui a trait aux indiens et aux territoires réservés à leur intention?
Tout nous amène à croire que cela risque d'être le cas, si l'on considère ce que le peuple innu a déjà subi en termes d'actions gouvernementales, de politiques ou de lois canadiennes.
Je voudrais profiter de l'opportunité qui nous est donnée aujourd'hui de prendre deux exemples concrets qui m'empêchent, en tant que leader innu, de garder dans mon esprit un doute raisonnable quant à la volonté du Canada de remplir pleinement ses obligations en droit international, quant au respect des droits humains fondamentaux des peuples autochtones vivant dans la province de Québec, y compris leur droit à l'autodétermination et leur droit au territoire traditionnel autochtone.
Récemment, vous avez eu à étudier le projet de loi C-9 portant sur le règlement territorial du peuple Nisga'a. Il semble, au Canada, que l'adoption de ce projet de loi représente une célébration et un symbole de la conciliation de la présence antérieure des peuples autochtones en Amérique du Nord avec l'affirmation de la souveraineté de la Couronne.
De façon assez ironique, cette loi a quelque chose de commun avec une autre loi qui ne suscite aujourd'hui ni la joie, ni l'enthousiasme, mais plutôt la honte et le déshonneur pour le Canada; il s'agit du projet de loi C-9, généralement connu sous le nom de la Loi sur le règlement des revendications des autochtones de la baie James et du Nouveau-Québec.
Il y a maintenant près de 25 ans, des aînés de mon peuple se sont présentés ici, en ce Parlement, pour demander justice. Ils sont venus avec le même message que nous faisons à votre endroit aujourd'hui: ne décidez pas du sort des peuples autochtones et de leur territoire traditionnel sans leur consentement. Hélas, ce message, personne ne l'a entendu, ou ne l'a écouté, afin de le comprendre.
Le premier ministre d'alors, Pierre Elliott Trudeau, a répondu à nos aînés, en montant hâtivement les marches des escaliers du Parlement: «Ne soyez pas inquiets, allez dire à vos gens que nous allons nous occuper de votre territoire». Nous aurions alors dû réaliser que ce qu'il voulait dire c'est: «Nous allons éteindre vos droits autochtones sur votre territoire sans votre consentement.»
En effet, pour ceux et celles qui ne sont pas familiers avec la petite histoire de la Convention de la baie James et du Nord québécois, le Parlement a adopté, en mars 1977, un projet de loi visant à mettre en oeuvre le Traité avec les Cris et les Inuits du Nord du Québec.
Cette loi a pour effet, selon les prétentions du gouvernement canadien, d'éteindre les revendications, droits, titres et intérêts autochtones, quels qu'ils soient, aux terres et dans les terres du territoire de tous les Indiens et de tous les Inuits, où qu'ils soient.
Aux vues du Canada, selon les prétentions de votre gouvernement, cette loi éteint, sur le territoire visé de la Convention de la baie James, les droits existants des peuples autochtones; de tous, sans exception, y compris les non-signataires de l'Entente.
À titre de non-signataire, le Canada prétend que cette disposition vise notamment les Innu de Matimekush-Lac John. En effet, les Innu de Matimekush-Lac John ont toujours occupé et continuent encore aujourd'hui d'occuper une partie importante du territoire visé par la Convention de la baie James, soit une superficie approximative de 100 000 kilomètres carrés.
Mais voilà que les droits territoriaux innu sont mis en péril par une législation de votre Parlement et ce, contrairement à la Charte canadienne des droits et libertés et à l'encontre des engagements internationaux du Canada en matière de droits humains fondamentaux.
Tout comme dans le projet de loi C-20, le Canada se doit de corriger et d'amender ses lois relatives aux peuples autochtones et à leur territoire, afin de se conformer aux normes du droit international et national en évolution, qui sont de plus en plus contraignantes pour les États quant aux respect des droits territoriaux et des droits humains fondamentaux des peuples autochtones.
L'extinction des droits des peuples autochtones et la loi canadienne visant l'extinction des droits territoriaux des Indiens non-signataires doivent être corrigées et abandonnées.
À l'instar de la présidente du Groupe de travail des Nations Unies sur les peuples autochtones, Mme Erica-Irene Daes, nous exhortons le Canada à renoncer officiellement aux doctrines et grandes orientations juridiques discriminatoires qui nient les droits de l'homme des peuples autochtones ou limitent leurs droits sur les terres et les ressources.
En particulier, dans le cadre de la Décennie internationale des peuples autochtones, le Canada doit adopter une législation correctrice en ce qui concerne les doctrines et politiques qui opèrent unilatéralement l'extinction des droits et des titres fonciers ou de la propriété des autochtones.
Bon nombre de rapports, de programmes ou politiques, de décisions provinciales, nationales ou internationales militent pour l'abandon de cette politique discriminatoire d'extinction, de définition exhaustive ou de conversion des droits des peuples autochtones. Le maintien par le Canada d'une telle politique est périlleux, au regard des opinions et des expertises émises par des institutions provinciales, nationales et internationales reconnues et crédibles.
Après avoir procédé, selon ses prétentions, à l'extinction de nos droits sur notre territoire, le Canada participe maintenant avec le Québec à la création d'un gouvernement territorial inuit au-dessus nos têtes. En effet, toujours sans notre consentement, le Canada a signé avec le Québec et les Inuits un accord politique, confirmé par décret du Conseil des ministres du Québec, visant l'étude de la création d'un gouvernement territorial inuit dans le respect de la compétence du Québec et du respect de l'intégrité de son territoire et l'effectivité de son gouvernement.
Aujourd'hui même, au moment où je vous parle, la Commission itinérante du Nunavik se trouve à Schefferville pour essayer de recueillir des opinions. La nôtre est claire. Encore une fois, le Canada démontre face à mon peuple son mépris le plus flagrant quant aux droits humains fondamentaux des Innu.
Il ne suffit pas pour le Canada de priver mon peuple de son territoire, mais encore faut-il qu'il autorise des gouvernements étrangers à avoir juridiction sur notre territoire national. Bien inutile pour nous de se rendre en Palestine pour comprendre la notion de «territoire occupé». Nous croyons que ce terme, au sens du droit international, aurait une signification et une application immédiate à mon peuple.
Dans le cadre de ses responsabilités constitutionnelles à l'égard des peuples autochtones, il y va toujours de l'honneur de la Couronne et aucune apparence de man<#0139>uvre malhonnête ne doit être tolérée. Quant à ses responsabilités internationales, le Canada doit respecter ses engagements contractés dans le cadre des divers pactes relatifs aux Droits de l'homme.
Or, à nos yeux, autant sur le plan de ses obligations découlant du droit interne que du droit externe, le Canada a lamentablement échoué dans sa tâche de défendre ce que la Cour suprême du Canada a déjà qualifié dans l'affaire Delgamuukw l'un des droits les plus fondamentaux des autochtones, savoir leur droit à leurs terres.
Autant sur le plan de ses obligations découlant du droit national que du droit international, les lois visant l'extinction des droits territoriaux nationaux du peuple innu, la création d'un gouvernement régional inuit en territoire innu, ne sont que deux exemples parmi d'autres où le Canada a manqué à son obligation d'obtenir le consentement des Innu que je représente, quant à savoir s'ils acceptent ou non de voir ainsi leur territoire passer aux mains d'étrangers.
Peu importe la façon d'aborder la situation, sénateurs, votre gouvernement aura des comptes à rendre devant l'opinion internationale au lendemain d'une sécession éventuelle de la province de Québec.
La communauté internationale voudra connaître le sort et le rôle qui seront réservés aux premiers peuples de ce territoire pendant une négociation entourant une sécession éventuelle de la province du Québec.
En toute justice, et ce avec le plus grand respect que je dois à cette institution, si dans un projet de loi C-20 révisé, des membres non élus du Sénat peuvent décider du sort d'un pays grâce à leur pouvoir constitutionnel, pourquoi ne serait-il pas possible pour les peuples autochtones vivant dans la province de Québec de déterminer librement leur statut politique, grâce à leurs droits inhérents et reconnus dans la Constitution du Canada et par le droit international? Membres du Sénat, sur ces questions fondamentales, il ne peut y avoir de politiques discriminatoires ni de règles de deux poids deux mesures.
La présidente: Avant de passer la parole à mes collègues, j'aurais une question de précision. Quand vous dites que les Innu occupent quelque cent mille kilomètres carrés du territoire visé par la Convention de la baie James, pouvez-vous nous dire où se trouve votre territoire?
M. Mc Kenzie: Nous partageons un territoire qui est commun avec les Cris de la baie James. Il y a des territoires qui se chevauchent. Nous occupons l'est du bassin du lac Caniapiscau et les Cris occupent le bassin ouest.
Évidemment, pour que vous compreniez bien notre situation, nous n'avons pas été signataires de la convention de la baie James avec les Cris et les Inuits du Nord du Québec. Malgré cela, la loi de mise en <#0139>uvre de la Convention de la baie James a eu pour effet d'éteindre nos droits ancestraux. C'est très important de comprendre l'enjeu fondamental ici. À mon avis, le fil commun à l'ensemble des représentations faites par les leaders autochtones, c'est le consentement.
[Traduction]
Il est nécessaire d'obtenir notre consentement si l'on veut changer quoi que ce soit à nos droits ancestraux ou à nos droits issus de traités ainsi qu'aux droits touchant nos terres traditionnelles. C'est une conviction que nous partageons tous.
Dans notre mémoire, nous donnons deux exemples de la façon dont le Canada n'a pas respecté ses obligations fiduciaires à l'égard du peuple innu. Nous sommes d'avis que le gouvernement ne peut pas répéter les erreurs du passé avec le projet de loi C-20.
Vous avez les pouvoirs et les capacités juridiques et constitutionnels de tenir compte du message que vous adressent les peuples autochtones de ce pays, c'est-à-dire qu'il faut notre consentement pour modifier les droits et les titres autochtones. Nous sommes des peuples. Voilà pourquoi nous avons le droit de décider de notre avenir politique et de prendre les décisions quant à l'exploitation de nos ressources naturelles et de notre territoire.
Le sénateur Beaudoin: Ma première question s'adresse à M. Moses. Si je vous ai bien compris, vous faites valoir que le gouvernement du Canada a l'obligation fiduciaire de protéger les droits ancestraux en vertu de l'article 91.24 de la Constitution. Dois-je comprendre que vous pensez que le Sénat a également des obligations fiduciaires à l'égard des autochtones?
M. Moses: Absolument. Nous soutenons que le Sénat constituant une partie de la structure gouvernementale canadienne, il a des obligations fiduciaires à l'égard des Canadiens, et en particulier des peuples autochtones.
[Français]
Le sénateur Beaudoin: Vous avez parlé d'un droit égal pour le Sénat et la Chambre des communes, sur le plan législatif, pour la protection des droits des autochtones. Est-ce bien cela?
M. McKenzie: Je partage l'opinion légale exprimée par le Grand Conseil des Cris quant à la portée de l'obligation de fiduciaire, autant de la Chambre des communes que du Sénat en tant qu'institutions de la Couronne. Vous savez comme moi que les relations entre les peuples autochtones et la Couronne sont fondées sur des relations de fiduciaire. Il ne peut y avoir de man<#0139>uvres malhonnêtes réservées aux peuples autochtones. Vous avez un rôle fondamental qui se trouve à être une responsabilité constitutionnelle par rapport au sort que nous avons.
Ce qu'on dit, c'est que si des membres non élus du Sénat peuvent décider du sort d'un pays fondé sur leur pouvoir constitutionnel, -- le Sénat dispose de pouvoirs et de privilèges constitutionnels -- alors pourquoi des peuples autochtones ne peuvent-ils pas décider de leur sort et de leur avenir politique? Pourquoi devrions-nous être comme du bétail qui est transféré d'une juridiction à une autre? Nous ne sommes pas des acteurs de la Confédération canadienne. Nous devons être des acteurs dans l'élaboration de tout changement constitutionnel.
Le sénateur Beaudoin: C'est sûr que vous êtes des acteurs politiques.
M. Mc Kenzie: «Acteurs politiques» implique de la décision. À mon avis, cela va au-delà de la consultation.
Le sénateur Beaudoin: Si j'ai bien compris, vous reprochez au Sénat, en 1977, de ne pas avoir joué ce rôle. Est-ce bien cela?
M. Mc Kenzie: Exactement. Les représentants des Cris étaient à New York au comité des droits de l'homme lors de l'étude du rapport du Canada quant à ses engagements face au pacte international des droits civils et politiques. Donc, le Canada doit rendre des comptes sur le plan international. Madame le ministre Hedy Fry était présente en avril dernier. On lui a demandé comment elle avait l'intention de mettre en <#0139>uvre le droit à l'autodétermination des peuples autochtones.
Vous avez une occasion unique, aujourd'hui, de faire en sorte que ce droit à l'autodétermination des peuples autochtones ait un vrai sens et qu'il soit significatif pour les peuples autochtones.
Vous avez cela entre vos mains, vous en avez l'autorité et la juridiction. L'exemple que nous avons en tant qu'Innu du Canada en est un du manquement total, du mépris flagrant de la responsabilité constitutionnelle du Canada à l'égard du peuple de nous représentons, les Innu. Il y a eu extinction unilatérale des droits des peuples autochtones en 1977. Nous n'avons pas été signataires de la Convention de la baie James. Malgré cela, une loi du Parlement a été adoptée par la Chambre des communes, et aussi le Sénat, après avoir entendu nos aînés devant le comité permanent des Affaires indiennes. il y a 25 ans, et après avoir discuté avec le premier ministre de l'époque, M. Pierre Elliott Trudeau. La légende nous dit qu'on l'a rencontré aux marches du Parlement, à l'extérieur, où il nous a dit que tout allait bien: «Il n'y a pas de problème on s'occupe de vous». Cela voulait dire pour nous l'extinction de nos droits sur le territoire sans le consentement des Innu. Nous ne voulons pas que ce genre d'expérience se répète.
Nous avons un autre exemple quant à la participation du gouvernement du Canada à la création d'un gouvernement régional Inuit, qui est juste au dessus de nous à quelques dizaines de minutes de l'endroit d'où nous venons. Il n'y a pas d'Inuits sur ce territoire. Ce sont des Innu. Ce sont des Indiens qui sont là. Le Canada et le Québec vont créer un gouvernement régional dans le respect des compétences du Québec et de l'intégrité du territoire du Québec, ainsi que dans le respect du principe de réceptivité du gouvernement du Québec sur ce territoire, et cela, sans notre consentement. Nous avons deux exemples concrets où le Canada a manqué. Nous vous demandons de ne manquer à l'obligation de vos responsabilités à l'égard de notre futur en tant que peuple autochtone.
[Traduction]
Le sénateur Beaudoin: Chef Fontaine, lorsque vous faites allusion au mode de révision, faites-vous allusion à l'article 41 qui prévoit la règle de l'unanimité? Autrement dit, si je vous ai bien compris, si la Constitution était modifiée à l'issue d'une négociation, le seul mode de révision qui pourrait s'appliquer serait celui de l'unanimité qui est prévu à l'article 41.
M. Fontaine: C'est juste, sénateur.
Le sénateur Hervieux-Payette: Bien que je n'aie pas suivi tous les jours le débat qui a eu lieu à la Chambre des communes sur ce projet de loi, je sais que les provinces n'ont pas demandé collectivement à faire partie du processus prévu dans le projet de loi comme vous l'avez fait. Vous dites vouloir être traité comme un partenaire. J'aimerais des précisions sur les discussions constitutionnelles qui pourraient découler d'une question claire et d'une réponse claire.
Le Sénat et les Premières nations semblent être dans la même position pour ce qui est du rôle qui leur est confié dans le jugement porté sur la clarté de la question. Nous serons consultés, mais c'est la Chambre des communes qui aura le dernier mot. Si le projet de loi était amendé de façon à vous accorder un droit de participation pleine et entière aux négociations, c'est-à-dire le même droit que la Chambre des communes, le Sénat pourrait réclamer la même chose.
J'aimerais savoir si j'ai bien compris votre position sur le projet de loi C-20 par rapport à celle que vous avancez au sujet de toute autre modification constitutionnelle.
M. Moses: Nous discutons du rôle des peuples autochtones comme acteurs politiques. Le projet de loi sur la clarté ne nous considère pas comme des acteurs politiques quoi qu'on en dise. Nous reprochons au projet de loi de ne pas tenir compte de tous les principes dont a traité la Cour suprême du Canada dans le renvoi. La Cour suprême parle dans ce renvoi d'acteurs politiques, mais ne dit pas que ces acteurs politiques se limitent à la Chambre des communes du Parlement du Canada ou au gouvernement et à l'Assemblée nationale du Québec. La Cour suprême parle d'acteurs politiques au sens large.
À notre sens, le projet de loi ne reconnaît pas aux autochtones le rôle d'acteurs politiques malgré le fait qu'on pourrait porter atteinte à nos droits fondamentaux en cas de sécession.
Le sénateur Hervieux-Payette: Comme les provinces et le Sénat, vous estimez que le processus de consultation est insuffisant. Quel devrait être le processus prévu à cet égard dans le projet de loi? Il est dit dans le projet de loi que les provinces, les peuples autochtones et le Sénat doivent être consultés. Vous avez peut-être consulté les provinces. Voilà pourquoi je pose la question. Pourquoi les provinces ne font-elles pas front commun et ne demandent-elles pas à faire partie du processus? Pourquoi ne comparaissent-elles pas devant notre comité et pourquoi ne réclament-elles pas le même droit que vous?
M. Moses: Je ne peux que parler au nom des peuples autochtones. Il ne suffit pas que nous soyons simplement consultés. La consultation peut prendre la simple forme d'un appel téléphonique ou du dépôt d'un document. Nous parlons ici de participation active et réelle au processus. Nous voulons être à la table de négociation pour pouvoir défendre nos droits et pour pouvoir parler au nom des autochtones.
Le sénateur Hervieux-Payette: Prenons l'exemple des négociations qui ont mené à l'ALENA. Les provinces n'étaient pas à la table de négociation, mais elles ont été consultées sur les questions de compétence provinciale. En bout de ligne, ce sont cependant les représentants du gouvernement qui ont signé l'Accord de libre-échange nord-américain. Ne s'agit-il pas d'une situation semblable?
M. Moses: Je comprends la comparaison que vous faites, mais il s'agit ici des droits fondamentaux des peuples autochtones. Nous devons participer directement aux discussions étant donné l'importance de cette question. Nous devons y participer pour défendre nos droits. Nous ne pouvons pas nous en remettre complètement au gouvernement à cet égard.
Le sénateur Hervieux-Payette: Il conviendrait de préciser dans le cadre réglementaire du projet de loi comment vous serez consultés, quand vous le serez et la mesure dans laquelle vous le serez. On devrait le faire de façon efficace. À titre d'exemple, nous ne pouvons pas vous consulter pendant six mois, quatre mois, après la tenue du référendum. Nous devons trouver un mécanisme qui fera en sorte que nous obtenions une réponse dans un délai précis si une province tient un référendum sur une sécession.
[Français]
M. MaKenzie: Avant de donner la parole au chef Fontaine, j'aimerais répondre à votre question. Il y a une différence entre les provinces. Les provinces ont un certain nombre de pouvoirs qui sont déjà garantis dans la Constitution. Les provinces sont en voiture par rapport à nous. Nous sommes encore dans des charrettes et nous essayons d'avancer afin de nous assurer que nous puissions avoir un certain contrôle sur la décision politique. Je ne m'inquiète pas pour les provinces, elles vont savoir comment se présenter en cas de sécession. Par contre, notre préoccupation c'est de nous assurer que dans la loi, il y ait vraiment une expression que le Canada et le Sénat agissent conformément au droit international, au droit constitutionnel, et que les représentants soient des acteurs politiques ayant voix sur leur avenir politique. C'est sous cet angle là qu'il faut l'étudier plutôt que sous un cadre réglementaire. Je pense qu'il s'agit que de bons amendements soient proposés par le bon conseil et par l'assemblée.
Le sénateur Hervieux-Payette: Je fais le v<#0139>u au moins qu'il y ait un mécanisme semblable que vous puissiez nous donner sur la façon dont vous aimeriez être consultés. Il existe des modalités de consultation, tout comme lors d'une élection; des règles sont établies pour savoir si cette formule est compatible ou non avec la loi.
Lors d'un référendum il y a parfois des ambiguïtés quand on parle du peuple autochtone: il y a l'Assemblée des Premières nations, les Cris et les Innu. Est-ce que les Cris et les Innus font automatiquement partie de l'Assemblée des Premières nations?
[Traduction]
M. Fontaine: Si vous me le permettez, sénateur, je répondrai à une partie de la question.
L'Assemblée des premières nations est reconnue comme le représentant politique des 633 Premières nations au Canada. C'est une organisation regroupant des chefs autochtones. Lorsque nous présentons une position, nous le faisons conformément au mandat qui nous a été accordé par les chefs autochtones canadiens.
Le sénateur Hervieux-Payette: Par l'entremise de la fédération.
M. Fontaine: C'est juste. Il s'agit d'une organisation regroupant des chefs autochtones. M. Tel Moses est le grand chef des Cris du Québec.
M. Moses: Nous sommes démocratiquement élus par la population.
M. Fontaine: Chacun d'entre nous parle en sa qualité de chef. Malheureusement, nous ne savons pas plus que vous parfois qui parle au nom du Canada. Nous essayons de nous y retrouver du mieux que nous pouvons le faire.
Pour ce qui est du cadre réglementaire et du mécanisme qui devrait être prévu, trois importants points doivent être pris en compte.
Premièrement, nous avons conclu des traités avec le Canada. Ces traités définissent clairement quelle est la relation entre le Canada et les Premières nations.
Le sénateur Hervieux-Payette: C'est votre propre ALENA.
M. Fontaine: C'est juste. En fait, ces traités définissent beaucoup plus clairement la relation que certains le croient. Nous ne devons jamais sous-estimer l'importance de nos traités et de la relation qui en découle.
Deuxièmement, le droit international précise clairement les droits et les intérêts des peuples indigènes et le Canada ne peut pas faire fi des intérêts de ses peuples indigènes.
Troisièmement, le processus prévu dans la Constitution et pour les modifications constitutionnelles est très clair aux termes de l'article 35.1. Nous sommes convaincus que le Canada respectera ses obligations aux termes de cet article. Nous participerons au processus à toutes les étapes.
Le sénateur Chalifoux: J'aimerais vous remercier tous de nous avoir présenté vos vues sur le projet de loi.
Je voudrais préciser une autre chose. Je ne suis pas avocate. Je suis une femme autochtone. Je suis une ancienne. J'ai été nommée ancienne de la nation métisse il y a bien des années. Le premier ministre m'a nommée à ce poste. L'un des principaux rôles que je joue au Sénat est le même que celui qu'on attend de moi dans la nation métisse. Je dois défendre les intérêts de ma région, de mon peuple et de ceux qui n'ont pas voix au chapitre. Dans ma nation métisse, le rôle de l'ancien doit également tenir compte des principes de la justice naturelle.
Quand j'examine ce projet de loi, je vois deux choses. Premièrement, il vise à faire en sorte qu'une question claire soit posée, car les questions qui ont été posées avant manquaient totalement de clarté et suscitaient la confusion. Selon moi, les gens du nord du Québec n'ont pas eu leur mot à dire.
D'autre part, ce projet de loi prévoit qu'il faut que la majorité soit claire et c'est une chose qui devra être déterminée. Ce sont les deux seules questions que règle ce projet de loi, selon moi.
De prime abord, ce projet de loi m'a quelque peu déplu, car j'ai vu que le Sénat ne jouerait qu'un rôle consultatif. Grâce au chef Fontaine et à ceux d'entre vous qui ont comparu devant le comité de l'autre endroit, certaines modifications ont été apportées pour inclure les autochtones. Au paragraphe 1(5) du projet de loi, nous pouvons lire ce qui suit:
[...] des résolutions ou déclarations officielles du Sénat, des résolutions ou déclarations officielles des représentants des peuples autochtones du Canada, en particulier ceux de cette province, et de tout autre avis qu'elle estime pertinent.
Si j'ai bien compris, monsieur Fontaine, à la suite de votre comparution devant le comité de la Chambre, vous avez travaillé avec Bill Blaikie pour obtenir cet amendement. Cela ne vous satisfait-il pas ou du moins cela ne va-t-il pas vous aider? On vous a confié le même rôle qu'au Sénat, c'est-à-dire un rôle consultatif. Il est dit dans ce paragraphe:
[...] des résolutions ou déclarations officielles du Sénat, des résolutions ou déclarations officielles des représentants des peuples autochtones du Canada [...]
Votre rôle est le même que celui du Sénat.
Cela va-t-il vous aider s'il n'est pas possible d'apporter d'autres amendements?
M. Fontaine: Je voudrais dire très clairement ceci. Je n'ai peut-être pas abordé la question en répondant aux autres sénateurs.
La consultation revêt une importance cruciale. Les Premières nations doivent participer à toutes les décisions gouvernementales qui ont des répercussions sur tous les Canadiens, y compris les peuples autochtones. Il ne suffit pas de dire qu'on va nous consulter. C'est déjà évident. Nous devons participer au processus décisionnel.
Il y a toutes sortes d'exemples où les deux niveaux de gouvernement ont examiné diverses questions ayant des répercussions sur tous les Canadiens, y compris nous-mêmes. Il suffit de prendre l'union sociale, les programmes relatifs aux enfants ou les discussions qui se déroulent actuellement entre les ministres de la Santé provinciaux et fédéral. Ce sont des domaines d'une importance cruciale pour nous. Ces questions nous touchent de près. Il faut faire en sorte que l'on tienne compte des intérêts des Premières nations. En fait, nous devrions être présents à la table de négociation.
Lorsque nous parlons des intérêts du Canada, cela comprend tous ses peuples. Je veux parler de nos droits.
Il est important que le Sénat, en tant qu'institution légitime du Parlement, exprime son opinion sur des questions au-delà de celles dont nous parlons ici aujourd'hui. Vous devez vous faire clairement entendre par exemple en ce qui concerne la pauvreté, l'un des plus gros défis que le pays ait à relever. Nous devons éliminer la pauvreté qui règne dans nos collectivités. Nous en voyons de nombreuses manifestations. Nous pouvons parler de la crise du logement et des problèmes de santé. La véritable crise est la pauvreté accablante que connaissent les Premières nations. Je pourrais citer toute une liste.
Le Sénat a l'obligation de se prononcer au sujet de la pauvreté, car c'est l'avenir du Canada qui en dépend. Si nous ne pouvons pas résoudre ce problème, nous ne pourrons pas régler les autres. La pauvreté déterminera l'avenir du Canada de façon très concrète. Pour la cinquième année de suite, les Nations Unies ont classé le Canada en première place selon l'indice du développement humain, mais pour ce qui est de la situation des peuples autochtones, nous sommes au 63e rang. C'est là que se situe véritablement le problème et lorsque nous parlons de l'avenir du Canada, c'est l'avenir du Canada qui en dépend. Il faut s'attaquer de toute urgence au problème de la pauvreté. C'est une longue réponse pour une très brève question.
M. Moses: Nous entendons parler de consultation et de participation. Tout à l'heure, je me suis réjoui de ce que la Chambre des communes a offert de consulter les autochtones à l'avenir sur ce qui constitue une question claire et une majorité claire. Mais une lacune de ce projet de loi que nous proposons de combler au moyen d'amendements concerne la question cruciale de la participation autochtone à de futures négociations sur la sécession. Il faut régler cette question de la participation. C'est très bien d'être consulté, mais il faut que la loi oblige les parties à inviter les peuples autochtones, surtout ceux de la province où l'on propose une sécession, à participer pleinement et directement à ces négociations.
Nous avons de nombreux arguments que nous pouvons invoquer. Les peuples autochtones revendiquent le droit de participer aux négociations futures sur la sécession, avec les acteurs politiques fédéraux et provinciaux, comme la Cour suprême du Canada l'a déclaré. Nous sommes une entité constitutionnelle ayant le droit de participer. Nous sommes des peuples distincts ayant le droit à l'autodétermination. Nous avons signé des traités avec le gouvernement du Canada et, dans ce cas-ci, avec le gouvernement du Québec.
Toute modification de ces traités exige le consentement du peuple cri. À titre d'exemple, 13 modifications ont été apportées, au moyen d'ententes complémentaires, à la Convention de la baie James et du Nord québécois avec la participation des Cris et des Inuits du nord du Québec. Cela montre bien que le consentement des Cris est requis pour modifier un traité.
Je pourrais vous citer d'autres exemples, mais je ne m'étendrai pas sur ce sujet. Nous disons que notre participation à de futures négociations sur la sécession n'est pas prévue ici. Les amendements que nous proposons visent à y remédier.
Le sénateur Chalifoux: Le paragraphe 3(2) du projet de loi porte que:
Aucun ministre ne peut proposer de modification constitutionnelle portant sécession d'une province du Canada, à moins que le gouvernement du Canada n'ait traité, dans le cadre de négociations, des conditions de sécession applicables dans les circonstances, notamment la répartition de l'actif et du passif, toute modification des frontières de la province, les droits, intérêts et revendications territoriales des peuples autochtones du Canada et la protection des droits des minorités.
Que répondez-vous à cela? Cela répond-il à certaines de vos préoccupations?
M. Fontaine: Pour ce qui est des trois articles, bien entendu, nous nous préoccupons vivement de notre exclusion dans le texte initial. Comme vous pouvez le comprendre -- et je sais que je n'ai pas besoin de vous en convaincre -- ce sont les intérêts et les droits de tous les Canadiens qui sont en cause.
Nous avons demandé au gouvernement et aux autres parties intéressées d'apporter les amendements que nous jugions nécessaires à ces articles. Étant donné notre interprétation de l'article 35.1, à savoir que les peuples autochtones doivent participer à tout processus constitutionnel et à toute modification à la Constitution, nous estimions que nous ne devions pas être exclus. Il fallait préciser dans la loi que nous participerions, autant que les autres parties, à l'évaluation de la question et de la majorité.
J'ai mentionné dans mon exposé le fait que nous avions obtenu cette assurance. J'estime que nous avons réalisé d'importants progrès à cet égard.
Le sénateur Kinsella: Les témoins nous ont rappelé cet après-midi les responsabilités constitutionnelles et fiduciaires du Sénat vis-à-vis des peuples autochtones. Peut-être est-il plus important que nous mettions l'accent sur ces considérations plutôt que sur le rôle consultatif proposé par le Sénat.
Il me semble, chef Fontaine, que tout le monde est d'accord pour dire que la question doit être claire. Le problème qui se pose toutefois tient au fait que les négociations, dont la Cour a dit qu'elles seraient obligatoires, influeraient sur les droits des peuples autochtones résidant dans la province qui voudrait se séparer et aussi ceux des autochtones vivant dans les autres provinces, tout comme elles influeraient sur les droits des nombreux autres peuples du Canada.
J'ai été quelque peu surpris que le projet de loi ait été adopté à la Chambre des communes sans l'amendement que vous proposez ici aujourd'hui. Il me semble que cet amendement va au coeur de la question. Si vous n'êtes pas à la table, comment pouvez-vous espérer protéger les droits des vôtres?
Je vous inviterais à vous reporter au paragraphe 82 de l'avis consultatif de la Cour suprême, où la Cour attire notre attention, comme vous l'avez déjà indiqué, sur l'article de la Loi constitutionnelle de 1982. Elle fait également mention de l'arrêt Sparrow, où l'importance de ce droit est développée de façon plus complète.
J'ai été particulièrement frappé par la dernière ligne du paragraphe, où la cour dit ceci:
La protection de ces droits, réalisée si récemment et si laborieusement, envisagée isolément ou dans le cadre du problème plus large des minorités, reflète l'importance de cette valeur constitutionnelle sous-jacente.
Honorables sénateurs, c'est cette question de la valeur constitutionnelle qui nous interpelle en tant que sénateurs. Les témoins nous disent: «Cette valeur constitutionnelle exige que nous soyons à la table pour négocier les droits des nôtres en cette circonstance cataclysmique qu'envisage le projet de loi.»
Seriez-vous d'accord avec moi, chef, pour dire qu'il y a beaucoup de principes que la Cour a énoncés qui sont directement liés au droit de votre peuple de négocier ces droits dans les circonstances envisagées par le projet de loi?
M. Moses: Comme nous avons essayé de le faire comprendre aux membres de votre comité, nous voulons participer pleinement, directement et sur un pied d'égalité aux éventuelles négociations relatives à la sécession. Vous avez fait mention de certains paragraphes de l'arrêt de la Cour suprême. J'attirerais votre attention sur les paragraphes 104, 106 et 149, où la Cour suprême indique clairement que les négociations relatives à une éventuelle sécession doivent être «conformes aux principes». Par conséquent, notre participation entière et directe est incontournable.
C'est dans cette optique que les amendements proposés par le Grand Conseil sont conformes aux droits de la personne ainsi qu'aux droits constitutionnels et issus de traités des peuples autochtones, y compris à leur droit à l'autodétermination. C'est dans cette optique que nous avons proposé les amendements qui, à notre avis, devraient être apportés au projet de loi sur la clarté. Ces amendements assureraient exclusivement aux peuples autochtones du Canada, spécialement aux peuples autochtones résidant dans la province qui souhaite se séparer, le droit de participer aux négociations sur une éventuelle sécession. Les peuples autochtones du Québec, ont le droit de représenter nos intérêts particuliers. Nous sommes les seuls peuples autochtones qui sont menacés d'être inclus de force dans un éventuel Québec indépendant. C'est dans cette optique que nous proposons nos amendements.
M. Fontaine: En supposant que nous ayons la même compréhension de l'obligation constitutionnelle de prévoir la participation des autochtones dans toute cause relative à la Constitution, nous nous reportons à l'article 35.1 qui exige clairement que nous ayons un mandat. J'attire votre attention sur notre mémoire, où nous disons:
Ainsi, l'article 35.1 rend obligatoire et exige clairement la participation des Premières nations dans toute cause ayant des répercussions sur la présence constitutionnelle et les droits des Premières nations du pays. En fait, les traités convenus de nation à nation entre nos peuples pour le partage des pouvoirs dans ce pays, notre présence antérieure à celle de quiconque et notre titre autochtone convergent tous vers le même résultat.
Nous estimons qu'il est incontournable que les peuples autochtones soient à la table.
M. McKenzie: Je crois que vous soulevez ici deux questions fondamentales. Vous parlez premièrement des obligations fiduciaires, puis vous parlez des valeurs constitutionnelles de notre pays. Je vois autour de la table ici des Canadiens qui sont fiers de l'être. Je suppose que vous êtes fiers de faire partie de ce pays, de ce gouvernement et de cette institution qu'est le Sénat du Canada. Quand je me déplace à l'étranger avec mes collègues pour défendre nos droits humains fondamentaux en tant que peuples indigènes, aux Nations Unies, par exemple, ou à n'importe quelle autre tribune internationale où l'on s'intéresse aux peuples indigènes et aux droits de la personne, je constate invariablement que la délégation canadienne cherche à convaincre les autres États qui participent à la tribune qu'on traite bien les peuples indigènes vivant au Canada. Je crois toutefois que vous avez ici une occasion sans pareille d'aider les délégations canadiennes qui se rendent à l'étranger à comprendre que les peuples indigènes peuvent être des acteurs et des partenaires politiques quand il s'agit de questions constitutionnelles et de droits fondamentaux de la personne.
Le Danemark montre la voie dans ses rapports avec ses peuples indigènes, tout comme la Finlande, la Suède et la Nouvelle-Zélande. Ces pays essayent tous de traiter avec leurs peuples indigènes. Vous avez l'occasion de respecter la valeur constitutionnelle que vous prisez tellement et dont il est fait mention dans l'arrêt sur le renvoi relatif à la sécession. Le respect des droits autochtones fait partie intégrante des valeurs constitutionnelles de notre pays.
Vous avez parlé de l'obligation fiduciaire et de l'obligation du Sénat. Je crois que le Sénat a une obligation fiduciaire à l'égard de notre peuple. Vous avez fait allusion à la jurisprudence concernant les peuples autochtones. L'arrêt Delgamuukw précise que l'obligation fiduciaire de la Couronne, quand il s'agit de savoir si elle respecte les droits des peuples autochtones dans les accords concernant les territoires, les terres et les ressources, doit obtenir le consentement des peuples autochtones. Les peuples indigènes membres des Premières nations doivent donner leur consentement à toute activité de développement touchant leurs territoires. Le consentement fait partie intégrante de l'obligation fiduciaire de la Couronne dont vous faites partie, puisque vous êtes des représentants de la Couronne.
Je crois que vous avez fait mention de deux valeurs fondamentales qui sous-tendent le fait que les peuples autochtones doivent être des partenaires à part entière ayant la capacité de décider s'ils veulent faire partie d'un Québec indépendant.
M. Fontaine: Madame la présidente, j'ai deux observations à faire. La première fait suite à des questions qui ont été soulevées. J'ai peut-être mal compris l'intention visée par ces questions. J'ai compris, d'après deux ou trois questions, qu'on se demandait s'il n'y avait pas divergence de vues entre le grand chef Moses et mes autres collègues. Qu'on ne s'y trompe pas: nous sommes du même avis pour ce qui est de notre rôle dans la détermination de l'avenir du Canada. Nous sommes du même avis sur cette question. Nous considérons qu'il s'agit là d'une exigence importante. Il n'y à aucune divergence de vues. Il ne sert à rien d'essayer de nous diviser. Je me devais de bien faire comprendre ce qu'il en est à ce sujet.
Par ailleurs, il a été question de l'obligation fiduciaire et des responsabilités qui en découlent. Il y a une différence entre l'obligation fiduciaire et la façon dont une partie s'occupe de l'autre. Il est question ici de notre participation, et cela dépasse l'obligation fiduciaire. Il est question de représenter nos intérêts et de faire tout ce que nous pouvons pour protéger nos droits à la table.
Même si nous aurions préféré que notre position sur le troisième amendement soit explicitement acceptée, le fait est que l'article 35.1 est clair en ce qui a trait à notre participation. Le droit international fait explicitement mention des droits et des intérêts des premiers peuples. Nos traités aussi réaffirment l'importance et la nécessité absolue d'en tenir compte. Il n'y a pas à sortir de là: les Premières nations doivent être à la table.
M. Romeo Saganash, directeur des relations avec le Québec, Grand Conseil des Cris: J'aurais deux ou trois points essentiels à ajouter en réponse à l'importante question qu'a posée le sénateur Kinsella. Il convient de souligner un fait essentiel, que nous affirmons dans notre mémoire et qui est, je crois, confirmé par la décision de la Cour suprême dans le renvoi sur la sécession, à savoir que, d'après notre interprétation, ni le Parlement ni le gouvernement du Canada n'a le pouvoir discrétionnaire de déterminer qui est acteur politique et qui peut participer aux négociations. Cette décision n'appartient pas au gouvernement du Canada. Elle découle plutôt des paramètres qui ont été fixés par la Cour suprême et qui confirment notre droit de participer à ces négociations.
La Cour suprême l'a également confirmé dans les principes qu'elle a énoncés. Quand elle parle de fédéralisme, elle n'inclut pas uniquement le gouvernement du Canada et les provinces, mais elle inclut également un des piliers de la Constitution du Canada, à savoir les peuples autochtones. La primauté du droit et la protection des droits ancestraux et issus de traités seront violées si les peuples autochtones, surtout ceux qui résident au Québec, ne sont pas inclus dans les négociations sur une éventuelle sécession. C'est ce qu'il faut indiquer clairement à cette table.
Deuxièmement, le gouvernement du Canada, par la voix de son procureur général, a promis à la Cour suprême du Canada qu'il respecterait son obligation fiduciaire à l'égard des peuples autochtones. Or, le projet de loi dont vous êtes saisis viole cette promesse parce qu'il ne prévoit pas la participation entière, égale et directe des peuples autochtones aux négociations sur la sécession. On peut certes soutenir que l'article 35 prévoit déjà l'obligation de les inclure, mais il faut le dire explicitement dans le projet de loi afin de rassurer les peuples autochtones.
Si je reviens maintenant à la question qu'a posée le sénateur Beaudoin tout à l'heure relativement à la responsabilité fiduciaire du gouvernement en vertu non pas seulement de l'article 91.24, mais aussi de l'article 35, je vous donne un exemple plus clair pour illustrer cela. Quand le projet de loi visant à approuver et à mettre en vigueur la Convention de la baie James et du Nord québécois a été adopté par le Parlement, il y était précisé expressément que le Parlement maintiendrait sa relation spéciale avec les Cris et les Inuits. Il n'y était pas question du gouvernement du Canada. Il n'y était pas question non plus du ministre des Affaires indiennes ni du ministre des Relations intergouvernementales. Il y était question du Parlement du Canada. Que je sache, le Parlement comprend toujours le Sénat.
Le sénateur Kroft: Je voudrais revenir aux propos du chef national Fontaine il y a un moment pour dire que, à mon avis, la discussion qui se poursuit depuis environ une heure manque de définition. Quand on parle de participer aux négociations ou d'être à la table, il me semble qu'on dépasse le champ du projet de loi C-20. Le projet de loi C-20 doit son origine au renvoi, et le renvoi a répondu à certaines questions qui visaient à déterminer si le Québec avait le droit de déclarer unilatéralement son indépendance. La cour a répondu non en expliquant les motifs de sa décision, et nous avons proposé le projet de loi pour clarifier la situation. C'est tout ce que fait le projet de loi. Il ne détermine pas le cadre dans lequel les discussions auront lieu, il ne dit pas non plus qui y participera et il n'en fixe pas l'ordre du jour. Naturellement, nous savons que l'éventualité susciterait beaucoup de discussions.
Je comprends le besoin et le désir constant que nous avons tous. Peut-être que nous, les sénateurs, cherchons aussi à faire réaffirmer l'importance de notre rôle dans tout cela. Le fait est, cependant, que nous avons tous un rôle qui est fixé par la Constitution, n'est-ce pas, car, en dernière analyse, il y aurait des négociations qui seraient longues, complexes et qui comprendraient de nombreuses facettes et, si jamais il était question de sécession, il faudrait discuter d'une modification à la Constitution. Le processus à suivre pour modifier la Constitution est déterminé et comprend le Sénat. Les règles à ce sujet ont été fixées en 1982. Pour ce qui est des peuples autochtones, les règles les concernant sont énoncées et protégées à l'article 35 de la Constitution.
Je vous demande en toute justice de tenir compte du projet de loi tel qu'il est, d'en comprendre l'objet et les objectifs et de ne pas nous laisser aller dans notre discussion et à en agrandir l'importance à tel point qu'il devienne la table sur laquelle tout doit être déterminé et où le rôle de chacun doit être fixé d'avance. On a beau chercher à rendre le projet de loi le plus exhaustif possible, le fait est qu'on risque ainsi de laisser de côté des questions d'une importance énorme. Ce serait risquer la catastrophe que d'essayer de définir dans le projet de loi qui seraient les parties à la négociation et quels seraient les points à négocier, car on ne pourrait même pas commencer à tout définir.
La Constitution détermine quels sont nos droits en l'occurrence et quelle est votre position constitutionnelle. La question que je vous pose est la suivante: n'est-ce pas là la position à laquelle il faut s'en remettre si nous croyons en la structure constitutionnelle de notre pays?
M. Fontaine: Dans les réponses que j'ai données, et je crois qu'il en est ainsi pour mes collègues, j'ai essayé de baliser nos discussions. Pour ma part en tout cas, je n'ai pas voulu agrandir ou exagérer l'importance de quelque question que ce soit. Ce qui est clair cependant, c'est que notre rôle dans tout ce qui détermine le bien-être futur ou l'avenir du Canada doit nous permettre de participer aussi entièrement que possible en tant que membres des Premières nations. Quand nous disons que nous devons être à la table, c'est que nous en sommes convaincus. Trop souvent, par le passé, les gouvernements ont pris des décisions qui avaient un impact sur les droits et les intérêts de ceux que nous représentons sans tenir dûment compte de la valeur de notre présence à la table.
Quand on parle des valeurs du Canada, de ses traditions et de tout ce qui est important pour le pays, les peuples qui constituent les Premières nations sont parmi ces choses les plus importantes. Il est important de tenir dûment compte, chaque fois que l'occasion se présente, du fait que nous sommes importants pour le bien-être futur du Canada, notamment dans les discussions sur le projet de loi C-20. J'ai déjà clairement indiqué quelle est ma position à ce sujet.
M. Moses: Je voudrais répondre à la question et ajouter quelques observations à celles qu'a faites le chef national.
Quand nous parlons de participer entièrement, directement et sur un pied d'égalité au processus, il ne s'agit pas de participer simplement à la cérémonie qui en est l'aboutissement. La Cour suprême du Canada envisage ce que serait la procédure de sécession. Pour ma part, cette procédure ne doit pas faire en sorte que je n'aie de rôle à jouer qu'à la toute fin. Je veux y participer avant, pendant et après. Voilà, à mon avis, la procédure de sécession dont parle la Cour suprême du Canada dans sa décision.
Avec tout le respect que je vous dois, puisque nous parlons de la Cour suprême du Canada, le projet de loi sur la clarté fait partie de la mise en oeuvre de la décision rendue par la Cour suprême du Canada relativement à la sécession du Québec. J'attirerais votre attention sur le fait que la Cour suprême n'a pas conféré aux gouvernements ou aux assemblées législatives au niveau fédéral ou provincial le pouvoir d'exclure des acteurs politiques du processus de négociation. Je voudrais qu'on me dise où les peuples autochtones sont explicitement exclus comme acteurs politiques dans tout processus de négociation qui serait entrepris dans le contexte d'une éventuelle sécession. La Cour suprême et d'autres instances judiciaires ont d'ailleurs confirmé que les peuples autochtones possèdent un statut juridique particulier et qui est maintenant aussi constitutionnel. Notre statut en tant qu'entités constitutionnelles est reconnu par la Commission royale sur les peuples autochtones ainsi que par divers juristes.
Nous ne voulons pas être simplement des observateurs du processus. Nous voulons y avoir une participation entière, égale et directe, y compris aux négociations. La participation, c'est plus que la consultation. La consultation ne me donne pas une participation entière, égale ou directe. N'importe qui pourrait diffuser quelque chose à la radio et prétendre avoir négocié avec les Cris ou les avoir consultés. Ce serait cela la consultation. Ce serait nier aux peuples autochtones le droit de représenter leurs propres intérêts particuliers sur une question aussi essentielle et fondamentale que les droits relatifs à l'avenir et les droits relatifs à la situation des peuples autochtones advenant une sécession.
Le sénateur Murray: Je vais résister à la tentation de débattre avec le sénateur Kroft de l'interprétation originale qu'il donne du projet de loi et de la relation entre le projet de loi et l'avis consultatif de la Cour suprême. Je vais poser mes deux questions aux témoins l'une à la suite de l'autre.
Ai-je bien raison de penser que l'APN, les Cris et les Innus ont tous comparu ou déposé un mémoire devant la Cour suprême du Canada, ou les deux?
M. Moses: Nous étions des intervenants. Le Grand Conseil était un intervenant dans le renvoi sur la sécession du Québec.
Le sénateur Murray: Dans les mémoires que vous avez déposés dans le cadre de votre témoignage, vous faites certaines déclarations relatives aux droits de vos peuples. Pourquoi pensez-vous que le gouvernement fédéral a donné instruction à ses avocats de demander à la Cour de s'abstenir de se prononcer sur ces questions? C'est ma première question.
Deuxièmement, je voudrais vous entendre nous dire, pour que ce soit consigné au compte rendu, si les parties au mode de révision, c'est-à-dire le Parlement fédéral et les provinces, peuvent changer le statut constitutionnel des peuples autochtones du Québec vis-à-vis de la Couronne et du Parlement fédéraux sans leur consentement.
J'aurais pensé que la réponse à cette question aurait été «Non». Quand il est venu devant nous, j'ai essayé d'amener M. Dion à le dire. Il l'a presque fait, mais il n'a pas voulu s'avancer au point de dire que les peuples autochtones du Québec ont effectivement un droit de veto sur tout changement à leur statut constitutionnel vis-à-vis de la Couronne et du Parlement fédéraux. Ce sont là mes deux questions.
M. Moses: Je vais répondre à la première question. Comme le chef national vous l'a dit, vous n'arriverez pas à nous diviser. Nous travaillons en très étroite collaboration.
En réponse à la première question, je dirais que l'avocat représentant le gouvernement du Canada a effectivement demandé aux juges de la Cour suprême de ne pas se prononcer sur les questions touchant les peuples autochtones ou de ne pas éclaircir ces questions. Il s'agit d'une demande expresse qui a été faite. J'y vois, pour ma part, le signe manifeste que le gouvernement du Québec ne voulait la clarté que sur les questions touchant le gouvernement du Canada dans cette affaire, et pas sur les questions autochtones. Cela vous explique pourquoi les peuples autochtones doivent avoir une participation entière, directe et égale. Nous ne pouvons pas nous fier au gouvernement du Canada, en dépit de son obligation constitutionnelle et fiduciaire à l'égard des peuples autochtones, pour qu'il défende et protège les droits autochtones dans ce contexte, et c'est pourquoi nous disons que nous devons être partie à tout le processus. Nous devons représenter nos intérêts. Si le gouvernement du Canada ne peut pas représenter nos intérêts devant la Cour suprême du Canada, nous doutons qu'il puisse le faire dans l'éventualité d'une sécession.
M. Fontaine: La réponse à votre deuxième question, sénateur Murray, est «Non». Je crois que le processus de Charlottetown a créé le précédent selon lequel les peuples autochtones doivent être à la table.
Le sénateur Murray: La question portait sur le consentement, chef.
M. Fontaine: L'article 35.1 exige clairement notre participation. J'ai aussi fait mention de deux considérations importantes, une qui concerne les traités et l'autre la définition de la relation entre le Canada et les premiers peuples. Le sens que nous donnons à notre participation est très clair. Nous devons être à la table et nous devons participer aux négociations. J'ai fait mention dans mon mémoire du droit international qui est très clair sur les droits et intérêts des premiers peuples.
[Français]
M. McKenzie: Étant avocat, je me débats devant les tribunaux sur des questions de droits aborigènes. Le Canada, de par sa Constitution, a la responsabilité de protéger nos droits fondamentamentaux. Cependant, quand je dois me battre contre le procureur général du Québec pour défendre des droits concernant la chasse, la pêche ou autre, souvent, quand apparaît des limbes le procureur général du Canada, c'est pour appuyer ce que le procureur général du Québec dit.
Le procureur général du Canada est supposé être de mon bord. Il est censé m'appuyer dans mes revendications parce que j'ai des droits fondamentaux, et ils sont inscrits dans ma Constitution.
J'ai une responsabilité, selon les sections 91(24) et (35) de l'Acte constitutionnel de l'Amérique du Nord britannique, quant aux relations de la Couronne avec le Canada depuis 1763, envers ce groupe autochtone. Soit que le procureur n'est jamais là au bon moment, soit qu'il apparaisse tout le temps pour nous contredire. C'est la raison de notre présentation.
Nous avons donné deux exemples où le Canada a failli quant à son obligation de fiduciaire. Il a failli à ses responsabilités constitutionnelles à l'égard des peuples autochtones par rapport aux terres qui leur sont réservées. Les relations entre les peuples autochtones et la Couronne fédérale sont ancrées dans l'histoire de ce pays, sauf que dans les négociations visant le règlement des revendications devant les tribunaux, le gouvernement fédéral est toujours absent. Est-ce pour une question de politique interne ou autre qu'il le fait, pour ne pas embêter le Québec? Je ne le sais pas.
Comme le grand chef Ted Moses le disait, souvent, nous sommes pris pour nous défendre nous-mêmes, car celui qui est censé nous protéger est absent. Nonobstant ces faits, notre avenir comme peuple autochtone reste entre nos mains; cela prend un consentement, et vous devrez prendre acte de cet élément.
En ce qui concerne les discussions sur la sécession du Québec, le ministre Facal a été très clair. L'ensemble de ses théories relatives à la sécession du Québec ne reposent pas sur le droit, mais sur un fait. Il dit que le Québec va se séparer peu importe la situation, peu importe ce que dit le droit canadien et peu importe ce que dit le droit international, et que le droit international va prendre acte de tout cela d'un coup de baguette magique.
Ce n'est pas cela, nous vivons dans un pays où la règle de droit demeure une valeur fondamentale. Et la règle de droit indique que les autochtones dans ce pays ont des droits fondamentaux dans la Constitution du Canada.
[Traduction]
M. Fontaine: Je n'ai pas voulu manquer de courtoisie envers le sénateur Murray sur cette question du consentement.
Le sénateur Murray: Je n'ai pas considéré que vous m'aviez manqué de courtoisie.
M. Fontaine: Rien de moins que cela ne marchera bien sûr. Il s'agit donc d'un élément important.
Le sénateur Murray: Je croyais que vous vous rangiez à l'avis de M. Dion. Vous êtes venu près de le faire, mais vous ne l'avez pas dit en tant que tel.
M. Moses: Cette question est d'une importance telle qu'elle mérite mon attention. J'ai trois points à soulever en réponse à la deuxième partie de la question qui nous a été adressée.
En ce qui a trait au consentement, toutes les parties qui ont signé la Convention de la baie James et du Nord québécois en 1975, c'est-à-dire les Cris du Nord québécois, les Inuits du Nord québécois, le gouvernement du Canada, le gouvernement du Québec, Hydro-Québec, la Société d'énergie de la baie James et d'autres sociétés d'État, ont consenti ainsi à un accord fédéral permanent avec les Cris. Un accord fédéral permanent a été approuvé par le Parlement et par l'Assemblée nationale. Deux mesures législatives ont été adoptées pour avaliser l'accord qui a été négocié.
Deuxièmement, les peuples autochtones sont des peuples. Nous avons le droit à l'autodétermination. Nous avons de ce fait le droit de choisir, comme c'est le cas pour tout le monde.
Troisièmement, il n'existe aucun document ni aucune loi qui obligerait les Cris à quitter leurs territoires contre leur gré. C'est pourquoi notre peuple a explicitement fait le choix de dire qu'on ne pourra pas l'expulser contre son gré.
Par conséquent, toute modification à la Convention de la baie James et du Nord québécois exige le consentement des Cris, et il faut pour cela modifier l'accord fédéral permanent qui a été approuvé par voie législative.
Le sénateur Sibbeston: Je vais commencer par deux faits. D'abord, l'actuelle Constitution n'est pas un instrument qui permet de bien faire face à l'éventualité d'une sécession. C'est une éventualité à laquelle on n'a pas pensé à la fin des années 80 et ces dernières années quand la Constitution a été modifiée. Je considère que nous sommes maintenant en train d'essayer de faire de notre mieux, en tant que pays, pour affronter cette éventualité, si jamais elle se produit.
Deuxièmement, il y a le rôle des autochtones. Les autochtones n'étaient certainement pas reconnus dans la Constitution quand le pays a été fondé. Jusqu'à ces dernières années, les Français et les Anglais étaient considérés comme les deux peuples fondateurs. Des progrès ont été réalisés. Nous comptons maintenant cinq autochtones au Sénat et, depuis les années 80, on reconnaît les droits ancestraux.
Étant donné les limites que nous impose la Constitution, je me demande si nous n'avons pas fait tout ce que nous pouvions faire pour inclure les autochtones dans le projet de loi sur la clarté. Le projet de loi prévoit trois occasions où le gouvernement fédéral doit consulter les autochtones, ce qui veut dire qu'ils sont mieux traités à certains égards que le Sénat.
Est-il possible qu'on ne puisse pas en fait vous accorder ce que vous demandez à moins de modifier la Constitution? Nous avons fait beaucoup de chemin. Nous sommes reconnus dans la Constitution et, avec la croissance du troisième palier de gouvernement au pays, le palier de gouvernement autochtone, nous pourrions avec le temps être reconnus dans la Constitution comme troisième palier de gouvernement -- comme un des peuples fondateurs du pays. Nous serions alors inclus dans la Constitution et reconnus par elle et peut-être que nous aurions un rôle à jouer dans la modification de la Constitution. Pour l'instant, le mode de révision ne parle que du gouvernement fédéral et des gouvernements provinciaux.
Puis-je savoir si les dirigeants autochtones estiment que je dis juste? Nous donnons aux autochtones autant de possibilités de participer que nous pouvons le faire dans les limites de notre Constitution, mais ce qu'ils veulent en fait, c'est qu'à des conférences constitutionnelles futures, ils soient reconnus comme le troisième peuple fondateur de notre pays et comme troisième palier de gouvernement, de façon qu'ils aient leur mot à dire notamment en ce qui a trait à la modification de la Constitution.
M. Fontaine: Je ne veux pas m'engager dans un long débat là-dessus, sénateur, mais j'estime que l'article 35 nous accorde déjà la reconnaissance dont vous parlez. Nous nous considérons comme représentant un ordre de gouvernement distinct, et je n'en dirai pas plus.
M. Moses: Il ne fait aucun doute que la Loi constitutionnelle de 1982 prévoit que les peuples autochtones peuvent conclure des traités et participer au processus de modification des traités qui, par conséquent, comme je l'ai déjà dit, ne sauraient être modifiés sans notre consentement. Le droit de participer se trouve donc énoncé dans la loi.
Ce qui nous préoccupe dans le projet de loi sur la clarté, c'est qu'on contourne ce droit. Ce droit serait contourné dans le projet de loi sur la clarté si les peuples autochtones n'étaient pas inclus comme acteurs politiques dans toutes les étapes du processus.
Le sénateur Sibbeston: Je comprends que l'article 35.1 impose au gouvernement fédéral ou aux gouvernements provinciaux l'obligation de rencontrer les peuples autochtones et je trouve que c'est bien, mais cela ne veut pas dire qu'à l'issue de la conférence, ces gouvernements doivent s'entendre avec les peuples autochtones. Le droit en question n'est que le droit de se rencontrer. Ce que je dis, c'est que les autochtones veulent plus que cela. Vous ne voulez pas simplement être consultés; vous voulez plus de droits. Il me semble que vous n'obtiendrez ces droits que si vous êtes partie à la Constitution, si bien qu'un jour la Constitution ne pourra être modifiée que par le gouvernement fédéral, les gouvernements provinciaux et les gouvernements autochtones.
Je me demande si un jour on peut envisager que les autochtones soient partie à la Constitution, qu'ils ne soient plus présents aux négociations à simple titre de consultants mais à titre de négociateurs et qu'aucune modification à notre Constitution ne puisse être apportée sans l'accord des peuples autochtones. C'est le genre de pouvoir que j'espère et que je souhaite pour les peuples autochtones et notre pays. Est-ce aussi, à terme, votre objectif, et pensez-vous qu'un jour les conférences constitutionnelles seront organisées sur cette base?
M. McKenzie: Sur le strict plan juridique, je suis d'accord avec le chef Fontaine quant à notre rôle dans la Constitution, à notre droit à l'autonomie gouvernementale et au fait que nos gouvernements peuvent décider de l'avenir de nos droits, de nos titres et de nos ressources naturelles.
Je suppose que le Grand Conseil des Cris a des arguments juridiques solides, fondés, avec justification à l'appui, qu'il pourrait utiliser devant n'importe quel tribunal de ce pays pour défendre votre thèse.
Je vous invite à aller plus loin, je vous incite à aller plus loin car vous pouvez adopter des lois qui peuvent tout changer pour les premiers peuples de ce pays. Je vous incite à aller au-delà de votre strict rôle d'interprétation de ce que dit ou ne dit pas l'article 35.
Je me souviens de la réplique dans le film Jerry MacGuire, «Laissez-moi vous aider». La communauté internationale observe comment le Canada traite ses autochtones, le rôle et les responsabilités accordés aux autochtones concernant leur avenir, leurs territoires, leurs droits territoriaux et leurs gouvernements. Ne pas interpréter à la lettre l'article 35 ne peut que vous aider.
Ce sont des questions fondamentales. Traitons-les avec toute l'équité requise quand elles concernent les premiers peuples de ce pays.
M. Saganash: J'aimerais ajouter que je ne suis pas d'accord quand vous parlez de droits futurs. Pour commencer, nous avons déjà des droits en vertu de la Constitution, droits confirmés à plusieurs reprises par la Cour suprême au cours des 20 dernières années. L'arrêt Vanderpeet, par exemple, a confirmé que nous étions des entités constitutionnelles différentes dans ce pays. La Cour suprême a confirmé que nous jouissions d'un statut juridique spécial et désormais d'un statut constitutionnel spécial.
Deuxièmement, la coutume dans notre pays veut que les peuples autochtones ou indigènes soient impliqués lorsqu'il s'agit de questions fondamentales comme une sécession. Les experts constitutionnels parlent de «convention constitutionnelle». C'est une tradition qui remonte aux conférences constitutionnelles de 1983-1987. De plus, depuis les négociations de 1992 sur l'Entente de Charlottetown, il y a participation directe et égale des peuples autochtones.
Nous sommes également une composante constituante du principe fédéral. On ne peut plus le nier. La Cour suprême du Canada a encore confirmé ce principe dans son renvoi relatif à la sécession. En outre, les normes internationales d'aujourd'hui confirment notre droit de participation à ces questions.
Je ne suis pas d'accord quand vous dites espérer et souhaiter qu'un jour nous aurons toutes ces choses. Ces droits sont déjà confirmés. Notre droit de participation repose aujourd'hui sur des bases juridiques solides et nous n'avons pas à attendre plus longtemps. Il faut que ce principe soit reconnu dans le projet de loi sur la clarté. C'est le cadre qui a été établi par la Cour suprême dans son renvoi relatif à la sécession et ce cadre, comme le dit la Cour suprême, doit non seulement rappeler nos droits constitutionnels qui sont déjà reconnus mais également les responsabilités constitutionnelles du gouvernement du Canada et du Parlement du Canada. Pour nous, c'est un préalable indispensable.
Le sénateur Milne: J'aimerais votre avis sur un point qui n'a pas encore été évoqué, à savoir la divisibilité du Canada.
Allons au-delà des opinions du sénateur Kroft sur le projet de loi C-20, au-delà de la deuxième étape et à celle des négociations qui, comme la Cour suprême l'a énoncé et comme M. Moses l'a rappelé, doivent reposer sur un certain nombre de principes dont celui de votre participation.
À cette troisième étape, si une partie du pays se déclare clairement pour la sécession, le Canada ne peut l'en empêcher, donc le Canada est divisible.
Si une partie du Québec, si votre peuple au Québec, déclare clairement vouloir rester canadien, le Québec devient également divisible, n'est-ce pas?
M. Moses: Sur cette seule base, je suppose que si le Canada est divisible, les provinces le sont alors également. Si le Canada ne peut invoquer contre la division le droit international, comment dans ce cas une unité administrative du Canada, comme la province de Québec ou toute autre province, peut prétendre ne pas pouvoir être divisible?
[Français]
Le sénateur Gauthier: Essentiellement, le projet de loi C-20 propose d'éliminer le Sénat dans le processus de détermination, à savoir si la question référendaire a été approuvée majoritairement et si elle était claire.
Il est difficile pour moi de faire face à un projet de loi qui, d'un côté, élimine le Sénat sous prétexte que le Sénat n'aura rien à dire dans le processus de détermination. C'est la majorité à la Chambre des communes qui décidera. Cela peut représenter un problème difficile dans l'éventualité d'un référendum. Rien ne dit que le gouvernement actuel sera au pouvoir à ce moment-là.
Pour ma part, j'ai tenté de convaincre le ministre des Affaires intergouvernementales d'inclure dans le projet de loi une entité canadienne importante et ses minorités linguistiques. Les peuples autochtones, quant à eux, ont obtenu une modification au projet de loi, et je suis content pour eux.
J'espère que vous avez la même sympathie pour la minorité linguistique francophone qui, elle, se retrouvera terriblement isolée dans tout ce processus de décision référendaire. Comme les peuples autochtones, les minorités francophones ont fait l'objet d'une certaine discrimination. En Ontario, le Règlement 17, entre autres choses, a rendu très difficile l'avenir des minorités francophones au sein du Canada.
Dans votre cas, vous avez réussi à convaincre le gouvernement d'apporter un amendement aux articles 1(3) et 3(5). Le ministre, ici même dans cette Chambre, disait que la raison pour laquelle il a accordé cet amendement, c'est parce que les peuples autochtones font partie de la Constitution à l'article 35.
C'est très bien, mais les minorités linguistiques sont également protégées par les articles 16 à 23 de la Constitution. Le ministre ne m'a évidemment pas donné satisfaction. Je fais partie d'une minorité linguistique, je suis originaire de l'Ontario et j'y ai vécu toute ma vie. D'après ce même projet de loi, on semble dire que les peuples autochtones, et en particulier ceux de la province qui cherche à se séparer du Canada, auront un mot à dire.
Mais qu'arrivera-t-il aux autres peuples autochtones du Canada? Il y en a. Qui, d'après vous, parlera pour ces gens des autres provinces qui seront délaissés, qui feront face à la possibilité de la sécession du Québec?
Il y a des peuples autochtones au Québec et, en vertu du projet de loi C-20, ils ont l'autorité de donner leurs opinions, leurs représentations et leurs avis au gouvernement. Est-ce vous, monsieur Fontaine, qui parlerez pour les Cris du Québec?
[Traduction]
M. Moses: Permettez-moi d'attirer votre attention sur notre proposition d'amendement. Vous la trouverez dans notre mémoire, dans le premier appendice. Nous n'y faisons pas référence à une province en particulier mais aux peuples autochtones du Canada. Nous y faisons référence à tous les représentants du Canada, ce qui inclut bien entendu les peuples autochtones qui vivent dans la province dont le gouvernement propose la sécession.
En l'occurrence, il s'agit de la sécession du Québec. Il est certain que les peuples autochtones du Québec auront un rôle à jouer en tant que représentants de ces peuples.
M. Fontaine: J'ai parlé de l'Assemblée des premières nations et de son rôle dans cette procédure, entre autres choses. J'ai parlé de notre mandat et de représentations que nous avons faites au nom des Premières nations. Nous parlons au nom des Premières nations du Canada. Notre position est aussi englobante que faire se peut. Sur ce sujet particulier, nous avons étroitement consulté nos frères et nos soeurs du Québec.
Le sénateur Joyal: Permettez-moi de vous renvoyer au paragraphe 2 de l'article 35 de la Loi constitutionnelle. Il nous rappelle quelque chose de très important lorsque nous débattons de la question des droits des peuples autochtones du Canada, à savoir la définition d'autochtone au Canada. Dans cette loi, les peuples autochtones incluent les Indiens, les Inuits et les Métis du Canada.
Certains de me collègues ici présents et certains de vos anciens se souviendront probablement que lorsque nous avons inclus pour la première fois cette définition dans la proposition de la Loi constitutionnelle de 1982, les Métis n'étaient pas inclus. Grâce aux interventions de nombre de vos anciens et, bien entendu, tout particulièrement, du représentant des Métis, cette définition ne fait désormais plus de distinction entre les différents peuples autochtones. En vertu de la Loi constitutionnelle, ils sont tous intégrés à toute procédure concernant les autochtones.
Cela dit, je souhaite revenir au projet de loi C-20 qui est un projet de loi important et dont l'interprétation peut avoir un impact important sur la manière dont nous traitons tout particulièrement les peuples autochtones.
J'aimerais vous citer la Loi d'interprétation du Canada qui contient les définitions indispensables pour comprendre les divers termes de ce projet de loi. Le paragraphe 1 de l'article 35 de la Loi d'interprétation du Canada dit:
35(1) Les définitions qui suivent s'appliquent à tous les textes.
«province» province du Canada, ainsi que le territoire du Yukon, les Territoires du Nord-Ouest et le Nunavut.
En fait, le Parlement a modifié cette définition pour inclure le Nunavut quand il a été reconnu comme territoire.
L'article 1 du projet de loi dit:
Dans les trente jours suivant le dépôt à l'assemblée législative d'une province, ou toute autre communication officielle, par le gouvernement de cette province, du texte de la question qu'il entend soumettre à ses électeurs dans le cadre d'un référendum sur un projet de sécession de la province du Canada [...]
Ce projet de loi prend acte qu'un territoire pourrait déposer une telle résolution.
En d'autres termes, cela veut dire que nous prenons en occurrence acte du fait que l'Assemblée législative du Nunavut pourrait déposer une loi référendaire proposant sur la base d'une question claire et d'une majorité claire sa séparation du Canada et son indépendance internationale. En d'autres termes, elle pourrait exercer ce droit dont le chef Fontaine a parlé dans son mémoire, à savoir:
En vertu du droit international, les Premières nations sont des peuples ayant droit à l'autodétermination.
En d'autres termes, ce projet de loi reconnaît aux Inuits un droit référendaire pour obtenir une reconnaissance internationale tout comme le ferait un État indépendant. J'ai du mal à concilier ce droit avec les définitions du paragraphe 2 de l'article 35.
La présidente: Est-ce que vous pourriez accélérer un peu, sénateur?
Le sénateur Joyal: Je finis. Le paragraphe 1 de l'article 3 du projet de loi pose le même problème puisqu'il requière: «[...] de négociations auxquelles participeraient notamment les gouvernements de l'ensemble des provinces et du Canada». Selon mon interprétation de cet article, cela signifie que le Nunavut négocierait avec le gouvernement fédéral mais que les autres peuples autochtones ne négocieraient pas. C'est la raison pour laquelle vous êtes venus nous voir cet après-midi pour nous demander à être inclus dans les modifications.
Adopter le projet de loi C-20 sous sa forme actuelle, c'est en réalité faire une distinction entre deux groupes de peuples autochtones du Canada, à savoir, les Inuits, à qui bien entendu la Loi sur le Nunavut et la Loi d'interprétation accordent le plein statut légal, et, bien entendu, les autres peuples autochtones qui ne négocieraient pas avec le gouvernement fédéral et la province en voie de sécession mais seraient simplement consultés.
J'ai du mal à le concilier avec l'égalité de traitement des peuples autochtones aux termes de notre loi constitutionnelle.
M. Fontaine: Croyez-moi, je parle sérieusement, mais, si je comprends bien votre question, notre point de vue sur cette question de sécession et, en fait, toute la question de la souveraineté et comment nous sommes nous-mêmes représentés à cet égard, est que cette terre est à nous. C'est la patrie des autochtones. Nous nous sommes toujours définis comme faisant partie de cette terre. Il n'a jamais été question de sécession ou d'indépendance. Nous séparer de nous-mêmes ne fait pas de sens.
M. Moses: Vous avez fait référence aux Inuits du Nunavut. La loi prévoit et autorise une forme civile de gouvernement et le retrait de certaines parties du Canada de la Constitution canadienne. Je dois vous reprendre, sénateur. Le Nunavut n'est pas le résultat d'une reconnaissance de son caractère autochtone. Le Nunavut permet la mise en place d'un gouvernement fondé sur la non-ethnicité, c'est-à-dire un gouvernement non ethnique. Tant que les Inuits seront en majorité et tant que les aménagements qui permettraient l'arrivée de non-autochtones n'aura pas eu lieu, le Nunavut sera gouverné par la majorité de la population et elle est inuite. Supposons qu'on découvre un énorme gisement minéral et qu'il y ait afflux de non-autochtones, de travailleurs non autochtones. Il y aura déséquilibre. Il ne pourra plus y avoir de gouvernement exclusivement inuit, les non-ethniques auront le droit d'exercer le gouvernement.
C'est une précision que je voulais apporter. C'est sur la base de ce principe que je voulais faire ces commentaires. Ce n'est pas la reconnaissance d'un principe autochtone.
La présidente: Un de mes collègues me signale que seulement la moitié des Inuits vivent au Nunavut, l'autre moitié vit au Québec.
[Français]
Le sénateur Prud'homme: Vous êtes, monsieur McKenzie et monsieur Moses, entre autres, en grande négociation avec le gouvernement du Québec actuellement. Il y a des tables de négociations qui ont ont lieu présentement. Certaines fonctionnent très bien et d'autres sont plus difficiles. Est-ce que je me trompe?
M. McKenzie: Non, vous avez raison.
Le sénateur Prud'homme: Il y a des tables de négociations.
M. McKenzie: Oui.
Le sénateur Prud'homme: Elles sont très avancées?
M. McKenzie: Oui. Effectivement, il y a des négociations entre les Innu, le gouvernement du Québec et le gouvernement du Canada. Je ne sais pas si le représentant du gouvernement du Québec est ici, mais je suppose qu'il va regarder CPAC pour écouter notre témoignage. Il y a des négociations qui sont à un stade quand même assez avancé au niveau des principes. Il y a des négociations avec le gouvernement du Québec et le Canada. Le représentant du Canada est M. André Maltais, qui était autrefois un de vos collègues, et M. Guy Bernard, ancien secrétaire exécutif de la province de Québec.
Sans divulger les fins détails de la négociation, le but de cette négociation est d'arriver à l'extinction des droits des peuples autochtones sur le territoire, pour lever l'hypothèque fédéral, d'une part, sur le territoire de la province de Québec et, d'autre part, pour lever l'hypothèque autochtone sur le territoire de la province de Québec. Les Innu, actuellement, n'ont aucun traité. Ils n'ont fait aucune entente de cession ou d'abandon de leurs droits aborigènes. Donc, ils ont des droit pleins et entiers qui sont reconnus dans la Constitution de 1982, d'après l'article 35, et ils ont les droits prévus par la common law. Nous n'avons pas de traité, cependant nous détenons les droits qui sont décrits présentement. L'objectif avoué et clair du gouvernement du Québec et du gouvernement fédéral c'est d'en arriver à une définition complète, exhaustive et finale de ce que cela veut dire un droit autochtone pour les Innu. Donc, le but est de définir ce que cela sera d'être un autochtone dans 50 ans, 75 ans ou 100 ans d'ici. C'est un exercice très difficile.
Si le gouvernement fédéral demandait au gouvernement du Québec ou à Guy Bernard: «Quels sont les droits que tu as comme Québécois?», je crois qu'il aurait de la difficulté à dire que les droits se retrouvent dans un manuel qui aurait environ 300 pages et puis, voilà, qu'il n'a plus d'autres droits. C'est un exercice périlleux. Pour ces raisons, il n'y a pas d'entente. On n'arrive pas à trouver une formule acceptable, autant pour la Couronne du Québec que pour la Couronne canadienne ou pour les autochtones, afin de faire en sorte que le titre autochtone existe et subsiste avec les droits de la Couronne tel que prévu dans les décisions de la Cour suprême dans Van der Peet et Delgamuukw qui prévoit la conciliation de la présence antérieure des droits autochtones avec la souveraineté.
Le sénateur Prud'homme: Advenant qu'il y ait une entente entre vous et le gouvernement du Québec, sans que le gouvernement fédéral donne sa sanction, où vous situez-vous dans cette question? Je sais qu'il y a des négociations non publiques très serrées actuellement.
M. McKenzie: Ces négociations sont publiques.
Le sénateur Prud'homme: La question est très claire: advenant qu'il y ait acceptation entre vous, d'une part, et le gouvernement du Québec, d'autre part, est-ce qu'il doit y avoir une acceptation du gouvernement fédéral?
M. McKenzie: Définitivement. Pour arriver à une entente visant les droits autochtones, la Proclamation royale de 1763 est claire. Cela fait partie de votre constitution. Ce n'est pas la nôtre, mais la vôtre. Ce sont les instruments de la Couronne. Elle dit bien que toute session des droits autochtones du nouveau territoire doivent être remis à la Couronne du chef du Canada -- qui était la Couronne britannique avant, mais maintenant c'est la Couronne du chef du Canada. Il faut remettre nos droits à la Couronne canadienne et non pas à la Couronne québécoise. Donc forcément, c'est une condition sine qua non, s'il advenait que nous ne voulions pas céder nos droits, mais les garder et les mettre en valeur conformément aux décisions de la Cour suprême et de la section 35. Pourquoi faudrait-il céder nos droits et les abandonner? On ne demande pas aux Canadiens ni au Québécois d'abandonner leurs droits. Il n'y a qu'aux autochtones à qui on demande d'abandonner leurs droits identitaires liés au territoire, à l'autonomie gouvernementale, et cetera. Cela va mal quand vous négociez sur cette base. C'est pour cette raison que cela fait cinq ans qu'on ne peut pas négocier en vertu de cette politique fédérale visant l'extinction des droits des peuples autochtones. Sparrow et la Commission royale d'enquête sur les peuples autochtones étaient clairs. Pourquoi nous serions-nous battus pour avoir des droits constitutionnels dans la section 35 de 1982 pour, par la suite, y renoncer? C'est un non-sens. Il faut trouver un mécanisme d'entente, avec le Québec et le Canada, qui reconnait la pérennité des droits ancestraux autochtones ainsi que les droits des Canadiens et des Québécois sur le territoire. Et vous verrez, bientôt, cela sera écrit dans le ciel qu'il y aura une entente.
[Traduction]
Le sénateur Watt: Merci à tous d'être venus. On dirait que nous n'avons pas vraiment eu le temps de discuter de l'élément le plus important de ce projet de loi, celui qui concerne notre quotidien, à savoir la Constitution. La Constitution est censée refléter dans ses termes généraux les besoins de chacun.
Ayant participé aux négociations de la Convention de la baie James et du Nord québécois et ayant signé la convention elle-même, un certain nombre de choses me ramènent à 1975 et à la question soulevée par les Innus. Ils estimaient avoir été ignorés. Ils croyaient également avoir perdu leurs droits ancestraux. Nous avons tous notre propre interprétation de ce qui peut être aliéné et de ce qui ne peut pas l'être. Je tiens à vous dire que d'après moi, vous n'avez pas perdu vos droits de peuple autochtone.
J'ai eu l'occasion d'en discuter avec le ministre responsable de ce projet de loi, le C-20. Il m'a dit qu'il n'était pas nécessaire d'apporter un amendement au sujet des autochtones car c'est déjà dans la Constitution. C'est précisément ce qu'il a dit. Je lui ai demandé: «Si c'est déjà dans la Constitution, pourquoi ne pas le répéter dans le projet de loi C-20?» En fait, je suis allé plus loin et je lui ai dit que ce projet de loi serait considéré contraire à la Constitution si on ne tenait pas compte des préoccupations des autochtones à ce sujet. De son côté, il est allé jusqu'à dire que vous-mêmes et M. Peter Hogg avez la même opinion sur ce qui se produirait si les dirigeants autochtones portaient cette affaire devant la Cour suprême du Canada. Il m'a dit: «Peut-être auriez-vous raison, mais peut-être que non». C'est exactement ce qu'il m'a dit.
En même temps, le ministre m'a expliqué à quel point ce projet de loi était important, tellement important qu'il devait être à toute épreuve, et certainement à l'épreuve d'une contestation judiciaire. Malheureusement, en ma qualité de membre de la Chambre haute, je regrette de devoir dire qu'à mon avis ce projet de loi n'est pas à toute épreuve. Je sais qu'il serait très coûteux de le contester devant les tribunaux, mais en dernière analyse, ce sera peut-être la seule possibilité pour les autochtones. Mais nous verrons cela plus tard, selon ce qui se produira.
Je me suis demandé pourquoi le ministre responsable de ce projet de loi refusait la participation directe des autochtones. Au moment de la mise en scène, il veut vous exclure du projet de loi C-20. J'ai l'impression qu'il veut limiter la participation des acteurs politiques. Il considère que les autochtones ne devraient pas être des acteurs sur la scène politique. Autrement dit, il interprète à sa façon la décision de la Cour suprême du Canada, mais je ne suis pas de son avis.
Cela dit, j'ai entendu les observations des autres sénateurs, en particulier au sujet de l'exercice que vous appelez «consultations». Les 20 dernières années ont donné aux autochtones de notre pays de bonnes raisons de savoir ce que signifie le mot «consultations». Cela ne vaut pas le mot qu'ils utilisent pour exprimer notre participation. Comme M. Moses l'a dit, consulter signifie donner un coup de téléphone et dire: «Voilà ce que nous avons l'intention de faire. Au revoir» ou on vous envoie une note. Nous avons connu cela.
Jusqu'en 1982, j'ai participé directement à la formulation du texte de la Constitution. En 1982, le premier ministre m'avait assuré que les engagements négociés avant le rapatriement ne seraient pas modifiés par les premiers ministres provinciaux. J'ai été invité à la conférence des premiers ministres, mais uniquement pour écouter, pas pour participer.
Avant que les premiers ministres, fédéral et provinciaux, ne se réunissent derrière des portes closes, le premier ministre du Canada m'a dit de ne pas m'inquiéter, que cela ne nous concernait pas. Lorsqu'ils sont ressortis, ce qui est aujourd'hui l'article 35 ne figurait plus dans la résolution. Je crains que cela ne se reproduise, même si le ministre Dion nous dit qu'il n'est pas nécessaire de modifier le projet de loi C-20 parce que cela se trouve déjà dans la Constitution. À l'époque, nous n'avions pas l'article 35, et je remercie le ciel que nous l'ayons aujourd'hui. Si nous avions eu l'article 35 avant la Convention de la baie James et du Nord québécois, je ne pense pas que nous aurions eu ces problèmes.
Je suis désolé que les choses aient tourné ainsi. En ma qualité de signataire, je considère que j'ai une certaine responsabilité.
Monsieur Fontaine, monsieur Moses, j'ai proposé un amendement au comité, mais je ne suis pas certain qu'il sera retenu. Cela dit, si tout le reste échoue, qu'est-ce que vous pourrez faire?
M. Moses: L'article 35.1 prévoit les devoirs et les obligations constitutionnels du Canada envers les peuples autochtones, mais il ne s'agit pas d'une simple réunion, terme qui a été utilisé. Il s'agit d'une obligation constitutionnelle de négocier. Par «négocier», on entend que les autochtones doivent être assis à la table des négociations. J'ai passé la moitié de ma vie à négocier. Quand on parle «d'accord» cela veut dire que les parties s'entendent sur le fond. Voilà comment on négocie avec succès. Cette obligation figure dans l'article 35.1 de la Constitution canadienne.
Il est possible que cela nous permette de participer à un processus qui met en cause nos traités et nos droits ancestraux, sous leur forme actuelle, mais nous pensons que le projet de loi C-20 exclus expressément la participation des autochtones. Cela peut être interprété de nombreuses façons, et nous commençons déjà à entendre diverses interprétations sur les effets de l'article 35.1. Imaginez quelles interprétations nous entendrons plus tard au sujet du projet de loi C-20 et de la participation des autochtones au processus de sécession envisagé, dans ce cas particulier, par le Québec?
C'est la raison pour laquelle nous faisons appel au Sénat. Le Sénat a le mandat constitutionnel d'évaluer la législation qui lui est soumise. Ce faisant, le Sénat doit respecter certains principes et valeurs constitutionnelles et agir logiquement. C'est la raison pour laquelle nous demandons au Sénat de faire respecter les principes de la démocratie, du fédéralisme ainsi que la protection des droits ancestraux et issus de traités. C'est la responsabilité constitutionnelle du Sénat.
Si toutes nos tentatives échouent et que le projet de loi C-20 entre en vigueur, nous chercherons certainement des recours. Si le projet de loi C-20 est adopté sans amendement, il est même possible que nous envisagions une contestation constitutionnelle.
Je tiens à bien faire comprendre que nous sommes en faveur des amendements. Nous demandons aux honorables sénateurs de voter pour les amendements qui reconnaissent notre droit de participer à part égale au processus de négociation qui met en cause les droits humains fondamentaux de notre peuple, des droits qui sont menacés par une sécession possible. C'est la responsabilité constitutionnelle du gouvernement du Canada et du Parlement, et cela comprend le Sénat.
M. Fontaine: Évidemment, je partage cette opinion. Moi aussi, je prie instamment le Sénat de voter pour ces amendements. Nous avons exprimé notre position le plus clairement possible et nous espérons qu'elle sera étudiée attentivement.
[Français]
M. McKenzie: Pour répondre aux commentaires importants du sénateur Watt, et pour les fins de l'enregistrement, en tant qu'autochtone, je ne crois pas que nos droits aient été éteints. Le Canada prétend -- et nous l'avons exprimé clairement tout au long de notre présentation -- avoir éteint nos droits par une loi canadienne.
Nous représentons la troisième génération de personnes à faire face à cette législation canadienne adoptée en 1977. Des gens maintenant décédés sont venus ici, ils ont manifesté devant le Parlement, pour faire des représentations, en mars 1977. Maintenant, d'autres générations de leaders ont essayé. Ils ne sont plus à des tables de négociations ou de représentation comme ici. C'est un héritage qui demande réparation de la part du gouvernement canadien.
Je suis d'accord avec les commentaires des deux chefs du Grand Conseil des Cris. Les sénateurs ne peuvent faire emploi de deux poids, deux mesures. S'ils peuvent décider du sort d'un pays pourquoi nous, comme peuple autochtone, n'en avons-nous pas le droit?
[Traduction]
La présidente: Chef Fontaine, merci beaucoup. Cette séance a été particulièrement intéressante pour nous.
Le sénateur Grafstein: Il existe une différence fondamentale entre la position de ce groupe autochtone et celle du ministre. La différence, c'est que d'après le ministre, au début de toute négociation constitutionnelle, disons qu'il s'agit d'un «processus», il n'est pas forcément nécessaire de faire participer certains acteurs politiques à la discussion sur la question proprement dite ou ce qui constitue une majorité, même si ces acteurs politiques sont des acteurs sur la scène provinciale, comme c'est le cas. Voilà ce que dit le ministre.
D'après ce que vous nous dites, la Constitution donne le droit de participer dès le début à la discussion sur dix sujets.
Ce sont les sujets suivants: les droits issus de traités et également les responsabilités spéciales du Parlement, telles qu'énoncées dans l'article 35.1 de la Constitution; la répartition des pouvoirs du Parlement; les arrêts de la Cour suprême; les principes de la jurisprudence, qui comprennent le fédéralisme, la règle de droit et la protection des minorités; le Sénat, qui est également responsable des droits des régions et des minorités; et enfin, la jurisprudence du droit commun.
Le ministre ne nie pas que le Sénat soit un acteur politique, mais il fait valoir que c'est un acteur qui n'est pas élu. Il prétend que vous représentez certains groupes, mais que n'ayant pas été élu d'une façon parlementaire, le Sénat n'a pas le droit de participer à la discussion en ce qui concerne la teneur de la question et ce qui constitue une majorité claire.
Est-ce que vous êtes d'accord ou pas?
M. McKenzie: Sénateur, j'ai une réponse très simple. Le ministre Dion a de la chance de ne pas être autochtone, car s'il l'était, il ne parlerait pas de cette façon. Il serait d'accord avec nous. S'il se trouvait dans notre situation, il n'invoquerait pas ce genre d'argument pour nous exclure de toute participation directe à des négociations qui concernent l'avenir de notre territoire et de nos ressources.
Le sénateur Grafstein: Tout au début, monsieur McKenzie?
M. McKenzie: Oui.
M. Saganash: Pour commencer, il faudrait rappeler au sénateur que M. Ted Moses, le grand chef du Grand Conseil des Cris du Québec a été élu aussi démocratiquement que n'importe quel député. Cela doit être parfaitement clair: nous aussi, nous sommes élus démocratiquement.
Deuxièmement, le ministre se trompe tout à fait quand il prétend pouvoir exclure certains acteurs politiques de ce processus alors qu'il y fait participer d'autres. Le ministre n'a aucune discrétion en la matière. C'est ce qu'a dit la Cour suprême. Or, c'est la Cour suprême qui a établi la scène où ces acteurs politiques se produisent. La Cour suprême n'a donné au ministre aucun pouvoir d'exclure certains acteurs politiques du processus.
À ce stade, il importe d'ajouter que si le ministre Dion et les souverainistes s'entendent sur une chose, c'est lorsqu'il s'agit d'exclure les autochtones. Le bill 99 qui se trouve actuellement devant l'Assemblée nationale exclut également les autochtones du processus. Le projet de loi sur la clarté a le même effet. C'est une chose sur laquelle les souverainistes et le ministre Dion s'entendent. Nous pensons que cela n'est pas acceptable aux termes du renvoi de sécession de la Cour suprême.
M. Moses: Très rapidement, madame la présidente, j'aimerais confirmer que pour les Cris il serait tout à fait inacceptable, et également injuste et antidémocratique de conclure que les autochtones ne devraient pas participer à l'avenir aux négociations sur une sécession possible ou ne devraient pas jouer ce rôle politique. Comme la Cour suprême l'a observé dans sa décision, et je cite «Ce qui est problématique ce sont les détails» et à mon avis, ces hypothèses nous le confirment bien. Cela dit, je m'empresse d'ajouter que ces observations ne s'adressent pas aux sénateurs.
La présidente: Nous vous remercions. Cette séance a duré longtemps, elle a été particulièrement intéressante, et également très importante pour notre étude de ce projet de loi. Vous avez toute notre gratitude.
[Français]
Notre témoin aujourd'hui est M. Claude Ryan, connu probablement par tous les Canadiens en tant qu'ancien chef du Parti libéral du Québec, mais certains diraient parmi nous que c'est surtout en tant qu'ancien journaliste qu'il a d'abord été reconnu par le public. Monsieur Ryan, je pense que vous avez une présentation à nous faire et nous passerons ensuite à la période habituelle des questions et réponses. Bienvenue chez nous.
[Traduction]
M. Claude Ryan: Madame la président, je vous remercie de votre hospitalité. Je suis heureux de comparaître une fois de plus devant un comité sénatorial. J'ai souvent eu l'occasion de constater que les travaux des comités sénatoriaux étaient très sérieux. Les sénateurs tiennent à aller au fond des choses, et si je peux apporter une contribution modeste à vos travaux sur cette question et sur le projet de loi C-20, je le ferais avec plaisir.
J'ai rédigé mon exposé en français. Une version anglaise a été préparée pendant la fin de semaine, mais je n'ai pas eu le temps de la vérifier.
[Français]
Le texte français fait foi jusqu'à nouvel ordre. C'est pour cela que je n'ai pas éprouvé le besoin de vérifier. Mais je vous donne cet avertissement parce que parfois on fait des petits changements de rien, par exemple, lorsque je parlais de la société politique, dans un texte en anglais, et que j'avais écrit que la société politique existe pour permettre de vaquer aux besoins de l'existence mortelle de l'humanité, son existence éternelle relevant de d'autres formes d'association, le traducteur à écrit: la société politique existe pour guider l'existence «morale» au lieu de «mortelle».
Si vous me permettez, je vais lire l'intervention déjà préparée et j'aurai quelques modifications à faire en cours de route par rapport au texte original français. Ensuite, je serai à vos ordres pour tout ce que vous voudrez me demander, sauf le vote.
Je vous remercie de l'invitation que vous m'avez aimablement faite de témoigner devant votre comité. J'apprécie cette occasion que vous m'offrez d'exprimer de nouveau mes vues sur le projet de loi C-20. Comme j'ai déjà déclaré en février dernier devant un comité de la Chambre des Communes que le projet de loi était à mes yeux inacceptable, et que je n'ai pas changé d'avis à ce sujet, je devrai forcément réitérer dans ma présentation les principales critiques que je tentai alors, sans trop de succès, de porter à l'attention de vos collègues de l'autre Chambre.
Dans la mesure où j'en serai capable, j'essaierai cependant d'étayer plus clairement les réserves que m'inspirent les deux principaux articles du projet de loi. Le rôle réservé aux membres du Sénat dans le projet de loi ayant suscité de vives réactions dans cette Chambre, je vous livrerai aussi mon opinion à ce sujet. Enfin, dans une dernière partie, je proposerai certaines modifications susceptibles, à mon humble avis, de contribuer à rendre le projet de loi moins contestable.
En vertu de l'article 1 du projet de loi, le Parlement serait appelé, dans les jours qui suivraient le dévoilement de la question référendaire, à porter un jugement sur la clarté de la question à l'aide de deux points de repère précis que définit le projet de loi, à savoir la mention explicite d'un projet de sécession et l'absence de toute autre proposition.
De plus, dans l'hypothèse d'un jugement négatif sur la clarté de la question, le Parlement serait appelé à créer l'interdiction pour le gouvernement fédéral d'entamer avec le Québec, à la suite d'un résultat référendaire favorable à la souveraineté, toute négociation pouvant mener à la sécession de cette province.
Ces dispositions m'apparaissent exorbitantes et politiquement irréalistes. Le maintien de l'unité du pays concerne, au premier chef, le Parlement et le gouvernement fédéral, et doit être pour eux une préoccupation constante. Cette préoccupation ne doit cependant pas s'exprimer de manière jalouse et possessive. En régime fédéral, elle doit s'exprimer dans le respect des attributions dévolues aux autres acteurs politiques. Le Parlement et le gouvernement fédéral doivent aussi agir en postulant que chaque gouvernement et chaque législature voudront agir en conformité avec les principes constitutionnels et la règle du droit. Vu dans cette perspective, le projet de loi C-20 m'apparaît fautif à plusieurs égards.
Tout d'abord, le projet de loi procède d'une méfiance quasi viscérale à l'endroit de la bonne foi d'un parti et d'un gouvernement qui ont toujours agi, que je sache, dans le respect des règles constitutionnelles et de la légalité. Les auteurs du projet de loi C-20 laissent supposer que l'Assemblée nationale, de qui relève l'approbation de la question, pourrait être tentée de passer outre à l'exigence de clarté énoncée par la Cour suprême. Si jamais cela devait se produire, des recours précis et efficaces seraient à la disposition du Parlement et du gouvernement fédéral. Mais à ce stade-ci, il faut plutôt présumer de la bonne foi du gouvernement québécois et de l'Assemblée nationale.
En second lieu, le projet de loi viole une règle de conduite élémentaire en vertu de laquelle, en régime fédéral, chaque ordre de gouvernement doit pouvoir légiférer et agir dans ses champs de compétence sans avoir à subir l'ingérence législative de l'autre. Après avoir reconnu dans les «considérants» que le gouvernement d'une province a le droit de consulter sa population par voie de référendum sur quelque sujet que ce soit et de décider du texte de la question référendaire, les auteurs du projet de loi C-20 formulent, concernant la clarté de la question, des exigences telles qu'ils ne sauraient échapper au reproche d'avoir voulu se servir d'une loi fédérale pour tenter de dicter non seulement la teneur, mais aussi la forme de la question. Cela témoigne d'une absence déplorable de respect pour le gouvernement du Québec et pour l'Assemblée nationale et, à mon sens, pour l'esprit fédéral tout court. Certaines choses étant plus claires à la suite de l'Avis de la Cour suprême, il serait plus judicieux, pour le Parlement et le gouvernement fédéral, de laisser Québec faire le prochain geste, vu qu'un futur référendum, s'il doit avoir lieu, sera de toute manière une initiative essentiellement québécoise, de souligner à temps et à contre-temps leur attachement aux normes énoncées par la Cour suprême et d'être prêts à agir efficacement lorsque la situation le requerra.
Troisièmement, au chapitre des moyens, le projet de loi C-20 va trop loin en prétendant qu'un jugement défavorable du Parlement sur la question référendaire devrait entraîner automatiquement l'interdiction pour le gouvernement fédéral d'entamer avec le Québec toute négociation pouvant mener à la sécession. Il aurait été plus judicieux de dire qu'advenant un résultat référendaire favorable à la souveraineté mais qui aurait été obtenu en réponse à une question dénuée de clarté, le gouvernement fédéral ne serait pas lié par l'obligation de négocier. Cela eut produit le même effet sans que le gouvernement fédéral soit privé pour autant d'une marge de manoeuvre dont il pourrait avoir besoin. Vu que nul ne connaît le genre de situation qui pourrait découler d'un éventuel référendum, il apparaît peu sage de vouloir lier les mains du gouvernement fédéral comme le proposent les auteurs du projet de loi C-20.
Quatrièmement, par l'importance quasi obsessive qu'il attache à la clarté de la question, le gouvernement fédéral, une fois de plus, invite le reste du pays à passer à côté du vrai problème qui est à la source du malaise actuel. Il tente de faire croire que le résultat serré de 1995 fut attribuable au caractère ambigu et enchevêtré de la question. Mais il se trompe lui-même et il trompe la population du Canada en cherchant à répandre cette impression. Je suis moi aussi d'avis que la question de 1995, tout comme celle de 1980 et encore davantage, n'était pas claire et je me suis longuement expliqué à ce sujet dans une étude publiée récemment par l'Institut C.D. Howe. Mais je ne pense pas que le libellé de la question ait été la principale cause du résultat serré du vote. La vraie cause de l'augmentation du vote favorable au projet de souveraineté-association fut bien davantage, à mes yeux, le mécontentement de milliers de Québécois devant le peu d'empressement du reste du Canada à renouveler le fédéralisme canadien en accord avec les justes aspirations du Québec. N'allons surtout pas croire que le projet de loi C-20, s'il est adopté, aidera à renverser cette opinion toujours fort répandue au Québec.
Cinquièmement, avec le projet de loi C-20, le gouvernement fédéral veut sans doute fournir aux forces fédéralistes un instrument additionnel dans leur lutte contre le séparatisme québécois. Mais il risque de produire l'effet contraire au Québec. Le projet de loi C-20 jouit en effet d'un large appui dans le reste du pays, et il n'y a pas lieu de s'en étonner car l'opposition au séparatisme est viscérale au Canada anglais au point que les réactions au sujet de ce qui se passe au Québec y sont le plus souvent dénuées de tout esprit critique. Mais au Québec même, le projet de loi C-20 contribue à alimenter les convictions anti-fédéralistes des souverainistes québécois et est malheureusement une source de division et de tension inutile à ce moment-ci parmi les forces fédéralistes. En fait foi l'opposition exprimée à maintes reprises par le chef du Parti libéral du Québec, M. Jean Charest et de nombreux autres libéraux provinciaux. M. Charest a aussi fait valoir avec à-propos -- de même que M. Benoît Pelletier, porte-parole du groupe parlementaire libéral en matière constitutionnelle -- qu'une déclaration commune de l'Assemblée nationale serait mieux indiquée et plus prudente, dans les circonstances, que le projet de loi 99, l'approche législative proposée par le gouvernement Bouchard.
Sixièmement, si la composition du Parlement devait demeurer ce qu'elle est présentement, la question référendaire approuvée par l'Assemblée nationale serait probablement jugée acceptable par une majorité des députés qui représenteraient le Québec à la Chambre des Communes, mais une majorité des députés en provenance des autres provinces pourrait la juger peu claire. Déjà à la merci du consentement des autres partenaires, s'il voulait légalement accéder à l'indépendance, le Québec serait en outre assujetti, en ce qui concerne la clarté de la question référendaire, au jugement d'une majorité de députés extérieurs au Québec.
Enfin, un commentaire s'impose sur un argument qui a été invoqué devant vous au cours des dernières semaines par divers témoins, dont le ministre des Affaires intergouvernementales canadiennes. Parmi ces témoins, il y avait même des constitutionnalistes qui jugent d'après leur discipline, mais qui ne sont pas sur le plancher des vaches. Selon ces témoins, le projet de loi C-20 serait tout à fait acceptable en ce qu'il ne créé de contraintes que pour le gouvernement fédéral et n'empiète en aucune manière sur les compétences de l'Assemblée nationale. Cet argument spécieux ne tient pas la route dès que l'on sort d'une perspective étroitement légaliste. Le projet de loi donne en effet l'impression de créer des obligations pour le gouvernement fédéral mais en réalité, les obligations véritables qui en découleraient visent d'abord et avant tout le gouvernement du Québec et l'Assemblée nationale. Le gouvernement fédéral tente d'accomplir indirectement, en utilisant à cette fin le Parlement, ce qu'il n'oserait entreprendre directement, mais l'effet est le même. En définitive, c'est la liberté de manoeuvre du Québec qu'il cherche à encadrer.
Pour toutes ces raisons, je trouve l'article 1 du projet de loi C-20 franchement inacceptable. Je préférerais, pour ma part, que les trois règles suivantes soient observées avant la tenue d'un futur référendum sur la souveraineté du Québec:
Premièrement, le Parlement, le gouvernement fédéral et les partis politiques fédéraux devraient présumer, jusqu'à preuve du contraire, que le gouvernement et l'Assemblée nationale du Québec, même s'ils défendent -- au moins une partie d'entre eux et des députés à l'Assemblée nationale -- une option constitutionnelle différente, sont respectueux de l'ordre constitutionnel canadien et des lois et ils devraient agir avec eux dans cet esprit.
Deuxièmement, s'ils le jugent à propos, rien ne devrait empêcher ni le Parlement, ni les partis fédéraux, ni les personnalités politiques oeuvrant sur la scène fédérale, ni même le gouvernement fédéral, de faire connaître en tout temps leur opinion sur tout aspect du processus référendaire qu'ils jugeraient contestable à la lumière des normes constitutionnelles et de l'intérêt général du pays.
Troisièmement, à moins de motifs urgents et graves, qui n'existent pas à l'heure actuelle, le Parlement devrait s'interdire toute intervention législative visant à contrecarrer par anticipation l'exercice de ses compétences législatives par l'Assemblée nationale et/ou pouvant être interprétée comme introduisant une entrave de taille dans la libre expression de la volonté de la population.
Le deuxième article du projet de loi C-20 stipule qu'avant toute négociation pouvant découler d'un résultat référendaire favorable à la souveraineté, le Parlement devrait être appelé à déclarer, par résolution, «si, dans les circonstances, une majorité claire de la population a déclaré clairement qu'elle veut que la province cesse de faire partie du Canada».
Une question vient tout de suite à l'esprit: à moins que les auteurs du projet de loi ne visent une modification de la règle traditionnelle de décision en pareil exercice, la démarche définie dans le projet de loi est-elle vraiment nécessaire?
Si on s'en tient à la ligne de conduite suivie jusqu'à maintenant pour apprécier le résultat de référendums comparables, le genre de vérification que prévoit le projet C-20 ne serait pas vraiment nécessaire. Selon la règle de 50 p. 100 plus un qui a été suivie jusqu'à maintenant, la victoire va en effet au camp ayant obtenu la majorité des suffrages exprimés lors d'un référendum. Dans un tel contexte, il n'est pas besoin de vérification parlementaire pour être assuré de l'authenticité du résultat. Le rapport officiel du directeur général des élections pourvoit normalement à ce besoin, et toute contestation pouvant découler de la manière dont s'est déroulé le scrutin relève des tribunaux, ou d'un aréopage spécialement institué à cette fin, et non pas du Parlement fédéral.
Au lieu de s'en remettre à cette manière classique de procéder, le projet de loi C-20 institue une procédure nouvelle, en vertu de laquelle il appartiendrait au Parlement de vérifier si la population a clairement décidé qu'elle voulait que la province cesse de faire partie du Canada et de prendre en considération, à cette fin:
a) l'importance de la majorité de voix exprimée en faveur de la sécession;
b) le pourcentage des électeurs inscrits ayant voté au référendum;
c) tout autre facteur et circonstance qu'elle estime pertinents.
S'il ne s'agissait que de vérifier les chiffres relatifs aux deux premiers critères, le rapport du directeur des élections y pourvoirait, et on ne voit guère ce que le Parlement pourrait y ajouter, si ce n'est une signature. Il en va cependant tout autrement du troisième critère. Celui-ci ouvre la porte à toutes sortes d'interprétations, dont l'effet pourrait être d'annuler la règle de base qui a été observée jusqu'à maintenant et de lui substituer a posteriori une nouvelle règle, au sujet de laquelle le projet C-20 ne donne d'ailleurs aucune indication. Les auteurs du projet de loi C-20 ont l'audace de le présenter comme un projet de loi sur la clarté. Il s'agit malheureusement d'une clarté à sens unique qui risque d'être tout le contraire de la clarté bien comprise. Il s'agit aussi d'une approche en vertu de laquelle, sans avis ni décision préalable, la règle d'interprétation d'un vote référendaire tenu sous l'autorité de l'Assemblée nationale serait modifiée unilatéralement par le Parlement fédéral après la tenue d'un référendum. Ce serait là du jamais vu dépassant tout entendement démocratique. Il m'apparaît impérieux, en conséquence, que l'alinéa (2)c) de l'article 2 soit biffé, ou à tout le moins reformulé, de manière à exclure toute possibilité de distorsion antidémocratique dans l'interprétation du résultat référendaire.
Si j'ai accepté avec plaisir l'invitation de votre comité, c'est parce qu'il m'a été donné, comme je l'ai dit tantôt, de vérifier à diverses reprises le sérieux avec lequel les membres du Sénat s'acquittent des mandats qui leur sont confiés. C'est aussi pour vous dire qu'à mon avis, le gouvernement fédéral a tort de vouloir rabaisser le rôle du Sénat dans l'appréciation des deux matières principales dont traite le projet de loi C-20. Le Sénat est l'un des deux corps qui forment le Parlement. Il détient des pouvoirs incontournables en matière de changement constitutionnel et il possède à cet égard, en vertu de la Loi constitutionnelle de 1982, un pouvoir d'initiative semblable à celui qui a été dévolu à la Chambre des communes et aux législatures provinciales. Il apparaît bizarre, pour dire le moins, que les auteurs du projet C-20 donnent l'impression de vouloir réduire considérablement le rôle du Sénat dans l'examen des sujets dont traite le projet de loi C-20.
Je vous ai soumis une critique sévère du projet de loi C-20 mais je l'ai fait en m'inspirant de principes que je n'ai cessé de défendre depuis de nombreuses années. Parce qu'il ne respecte pas ces principes, parce qu'il ravale l'Assemblée nationale au rang d'un parlement inférieur, parce qu'il témoigne d'une méfiance profonde envers la démocratie québécoise, parce qu'il laisse sous-entendre que les souverainistes québécois seraient des citoyens séditieux qu'il faut garder sous surveillance, ce projet m'apparaît humiliant pour les parlementaires qui siègent à Québec et pour la population qu'ils représentent. Il m'apparaît inacceptable à la lumière d'une saine conception du fédéralisme et de la démocratie. Il est, en outre, une source profonde de malaise, voire de division, entre fédéralistes québécois. Pour toutes ces raisons, il serait très regrettable, à mon avis, que le projet de loi C-20 devienne loi sous sa forme actuelle.
Par-delà les longs développements historiques et philosophiques dont son avis était assorti, les réponses de la Cour suprême aux trois questions que lui avait soumises le gouvernement fédéral étaient, de fait, tellement claires et tellement précises que le gouvernement fédéral s'est vu conférer au plan légal un immense avantage sur tout gouvernement québécois qui voudrait séparer le Québec du reste du Canada par le recours à des moyens le moindrement contraires aux normes constitutionnelles. L'avantage ainsi conféré au gouvernement fédéral aurait dû suffire à ce stade-ci sans qu'il soit besoin de le traduire avec autant de précipitation dans un texte législatif rempli de méfiance envers la démocratie québécoise, et dont la principale carence est que, tout en se réclamant de la clarté, il introduit plus de confusion que de clarté dans les questions dont il traite.
Comme il nous incombe à tous, en démocratie, de chercher à trouver des dénominateurs communs sur les questions qui ne peuvent donner lieu à des accords unanimes, et tout en étant d'avis qu'un projet de loi sur la clarté n'est pas nécessaire à ce stade-ci, je me permets en conclusion d'indiquer, à titre de suggestions, quelques pistes qui pourraient contribuer selon moi à rendre le projet C-20 davantage acceptable aux yeux des fédéralistes modérés qui ne peuvent l'accepter dans sa forme actuelle.
Il suffirait à mon avis -- vous allez trouver ceci un peu simplistique parce que c'est une demande importante -- de certains changements pour que le projet C-20 ait une plus forte légitimité au Québec. Je suggérerais pour ma part -- ici il y a un changement par rapport à la version anglaise que vous avez --:
a) que le considérant numéro 7 soit biffé. Tous les autres considérant pourraient rester mais le considérant numéro 7 devrait être défait à mon point de vue.
b) que l'article 1 soit biffé et que le Parlement et le gouvernement fédéral réservent leur droit d'intervenir en tout temps afin, s'il y a lieu, de faire connaître leur avis et/ou leurs intentions sur tout aspect du processus référendaire qui leur apparaîtrait contestable en regard des normes constitutionnelles canadiennes;
c) que l'article 2 soit conservé, mais modifié de manière à se lire comme suit:
Dans le cas où le gouvernement d'une province, après la tenue d'un référendum sur un projet de sécession de celle-ci, cherche à engager des négociations sur les conditions auxquelles la province pourrait cesser de faire partie du Canada, le Parlement procède à un examen et, par résolution, détermine si, dans les circonstances, une majorité claire de la population, en réponse à une question claire, a déclaré qu'elle veut que la province cesse de faire partie du Canada. Dans le cadre de l'examen en vue de déterminer si une majorité claire de la population a déclaré clairement qu'elle voulait que la province cesse de faire partie du Canada, le Parlement prend en considération:
a) la clarté de la question soumise à la population;
b) l'importance de la majorité des voix exprimées en faveur de la proposition de sécession;
c ) le pourcentage des électeurs admissibles ayant voté au référendum.
En ce qui touche les autres articles, l'article 2(3), pourrait être conservé tel quel. Il en est de même pour l'article 2(4), sauf que les mots «la Chambre des communes» seraient remplacés par les mots «le Parlement». L'article 3(1), étant donné les réponses de la Cour suprême aux trois questions que lui avait soumises le gouvernement fédéral, la nécessité de cet article m'apparaît douteuse. Je suggérerais volontier de le biffer aussi, parce que c'est du déjà connu. Autrefois, nous avions un principe en pédagogie: quand une punition a été donnée une fois, ce n'est pas nécessaire de la donner quatre fois.
L'article 3(2) pourrait demeurer, sauf qu'il serait souhaitable de remplacer les mots «toute modification des frontières de la province» par des termes plus neutres tels «la délimitation des frontières», pour ne pas laisser s'accréditer l'impression dans le Québec ou dans le reste du pays, que nous aurions déjà décidé à l'avance de réduire les frontières du Québec pour le punir d'une décision qu'il aurait prise. La délimitation des frontières du Québec me semblerait amplement suffisante en bonne législation.
Je suis maintenant à votre disposition pour toutes questions, tous commentaires et naturellement toutes objections que vous voudrez me soumettre.
Le sénateur Beaudoin: Ma question porte sur l'article 2, qui prévoit, comme vous l'avez déjà dit, une certaine forme de tutelle entre deux législatures dans une fédération. Avant, j'aimerais souligner que la nécessité de l'article 3(1), suivant les réponses de la Cour suprême aux trois questions qui lui avaient été soumises par le gouvernement fédéral, m'apparaît douteuse. C'est la fameuse formule d'amendement constitutionnel après le stade des négociations, par hypothèse, fructueuses.
Il y a tout de même un débat considérable devant nous sur ce plan. Certains on dit que c'est la formule 7-50 qui s'applique, d'autres on dit que c'est la formule de l'unanimité. Vous proposez que nous l'enlevions. La raison pour laquelle la cour suprême ne s'est pas prononcée à ce sujet, c'est parce que nous ne l'avions pas invitée à le faire. Le gouvernement n'était peut-être pas intéressé à avoir cette réponse. La Cour a choisi de ne pas se prononcer. Elle aurait pu, mais elle en a décidé autrement.
Alors vous suggérez que cela soit mis de côté? Probablement parce que le mécanisme que vous proposez est très différent finalement de celui qui apparaît dans le projet de loi. Autrement dit, vous voulez mettre de côté la question d'intervention d'une législature dans le travail d'une autre, et cela, je peux le comprendre. La question de la «tutelle législative», c'est une chose qui pourrait arriver à un moment donné. Croyez-vous qu'il serait inutile d'avoir un amendement constitutionnel à la fin?
M. Ryan: Vous m'entraînez loin. Cet article est un petit peu exagéré, parce que la Cour suprême a déjà dit que cela fait partie de la Constitution, qu'il n'existe aucun droit au titre de la Constitution du Canada d'effectuer. Si c'est dans la Constitution, pourquoi est-il nécessaire de le mettre dans une loi? C'est mon objection à propos de cet article. Je n'embarque pas dans les détails de la formule d'amendement. Vous savez que la Cour suprême a rigoureusement suivi ce que le gouvernement fédéral lui avait demandé. Il avait dit qu'il ne voulait pas qu'elle lui donne de réponse à ce sujet et elle n'en a pas donné. C'était formellement dans les présentations du gouvernement fédéral à la Cour suprême.
Le sénateur Beaudoin: Cela me satisfait. On dit qu'on peut amender la Constitution. Les négociations par hypothèse sont fructueuses. On sait déjà qu'une formule d'amendement va s'appliquer et que si jamais il y a un désaccord entre les acteurs politiques, ils retourneront devant la Cour suprême s'il y a un doute. Si tel est le cas, cela va.
M. Ryan: Oui.
Le sénateur Beaudoin: C'est une réponse tout à fait acceptable. Je reviens à l'article 2. Vous dites que le gouvernement fédéral, le Parlement, pourrait intervenir en tout temps. J'imagine que vous excluez «avant la période de 30 jours», mais pour fins de flexibilité, le Parlement, avec ses deux Chambres, pourrait avoir le droit dans son projet de loi d'intervenir en tout temps?
M. Ryan: Sauf par voie législative, telle est la différence, sauf si deux parlements interviennent en même temps par voie législative sur la même question. Vous retrouverez cela dans les trois principes que j'ai énoncés à la page cinq:
[...] à moins de motifs urgents et graves, le Parlement devrait s'interdire toute intervention législative visant à contrecarrer par anticipation l'exercice de ses compétences législatives par l'Assemblée nationale [...]
Mais que le Parlement dise «n'importe quand, nous ne sommes pas pour cela, nous ne voulons pas de cette affaire et nous vous prévenons», je ne peux pas empêcher cela, c'est la démocratie et le Parlement est là pour cette raison.
Le sénateur Beaudoin: Et non pas par une loi.
M. Ryan: C'est mon objection de fond.
Le sénateur Beaudoin: J'ai toujours pensé que le meilleur moyen n'était pas la voie législative mais exécutive.
Le sénateur Hervieux-Payette: Je devrais peut-être demander des commentaires sur vos propos, à la page deux de votre mémoire, «à ce stade-ci, il faut plutôt présumer de la bonne foi du gouvernement québécois et de l'Assemblée nationale» étant donné que lors des deux référendums précédents, nous étions dans le même camp. Est-ce que le Parti libéral, ou l'opposition, a souscrit aux deux questions?
Ne serait-ce pas une forme d'angélisme que de présumer de la bonne foi quand il s'agit d'une question aussi importante, qui décidera de l'avenir de tout un pays et de notre province, quand l'opposition n'a pas voix au chapitre sinon que d'être défaite par 50 plus un sur la question et quand il s'agit de sceller notre sort sur une question que vous avez jugée inacceptable quand vous étiez chef de l'opposition? Quand vous dites qu'il faut présumer de la bonne foi, c'est celle du gouvernement québécois, parce que c'est lui qui va poser la question, qui a la majorité à l'Assemblée nationale. Où dans le passé puis-je des références concrètes de sa bonne foi?
M. Ryan: En ce qui concerne les questions soumises aux référendums antérieurs, je vous ai référé à deux analyses publiées par l'Institut C.D. Howe: Consequences of the Quebec Secession Reference: The Clarity Bill and Beyond. Quant à la question qui a été posée en 1995, en particulier, vous trouverez ma réponse à l'intérieur de ces articles. Je ne suis pas obligé de m'attarder sur cette question maintenant.
En ce qui concerne la bonne foi des acteurs, c'est très important. C'est fondamental en démocratie. On peut reprocher au gouvernement péquiste de 1995 et de 1980 d'avoir agi avec astuce. Cela ne sera pas le seul gouvernement et le seul Parlement à avoir fait cela dans l'histoire du monde. À peu près tous les gouvernements, quand ils préparent un projet de loi, ont toujours des arrières-pensées en plus des motifs nobles qu'ils vont mettre de l'avant en public. J'ai légiféré moi-même pendant une douzaine d'années et je ne peux pas prétendre que j'étais pur à 100 p. 100. Nous faisons pour le mieux. C'est l'habitude que j'ai cultivée. Quand j'étais à l'Assemblée nationale, j'ai essayé de toujours travailler en supposant que l'adversaire avait peut-être autant de bonne foi que moi, même en s'inspirant de convictions et d'objectifs différents.
S'il n'y a pas ce respect fondamental de l'honnêteté présumée de l'autre, la vie parlementaire devient extrêmement difficile. On risque de corrompre le processus politique. Si l'adversaire manque aux règles qui découlent de l'ordre constitutionnel, on doit alors le combattre avec une grande sévérité. Légiférer en présumant, j'y suis foncièrement opposé. J'ai appris au cours des années. Je ne suis pas plus séparatiste aujourd'hui que je l'étais à l'époque. Je respecte davantage ceux qui ne pensent pas comme moi après carrière de 15 ans de parlementarisme, au-delà de 16 ans de journalisme. Je le faisais au début de ma carrière. Je m'aperçois que les idées des gens proviennent de bien des expériences de toutes sortes. Plus on connaît les personnes, plus on comprend pourquoi elles pensent de telle ou telle manière, et moins on est enclin à les condamner et à leur prêter des motifs mauvais à tout propos. C'est ma philosophie politique, et je serais très peiné qu'elle soit contredite par un projet de loi sur une question aussi importante.
Le sénateur Hervieux-Payette: Vous étiez avec nous tantôt lorsque nous avons entendu les représentants des Premières nations au sujet de la divisibilité du Canada. Puisque nous n'avons rien dans la Constitution, sauf peut-être les comptes rendus des discussions qui ont eu lieu avant la rédaction de l'Acte d'Amérique du Nord britannique en 1867, dans votre discours, -- puisque de toute façon on parle de référendum, de 50 p. 100 plus un -- il me semble que vous penchez en faveur de la divisibilité. À partir de cette perception que j'ai eue de votre présentation, pensez-vous que le territoire québécois est un territoire aussi divisible, à partir des présentations des témoins présents cet après-midi?
M. Ryan: D'abord, vous savez que j'avais dit que la Cour suprême aurait été mieux de ne pas trancher cette question. Les acteurs politiques ne l'ayant pas tranchée, je ne pensais pas que la Cour suprême devait le faire. Je ne le pense pas davantage aujourd'hui même si je respecte l'opinion qu'elle a donnée et que, comme citoyen canadien, je dois vivre avec les conséquences de cette opinion. En ce qui concerne le Québec, j'ai pris connaissance des propos de votre collègue, évidemment par la presse. Il y a une différence fondamentale entre le cas canadien et le cas américain. Je suis un disciple du président Lincoln dont j'ai lu les écrits. C'est une source d'inspiration absolument unique pour tout démocrate. M. Lincoln avait affirmé avec force l'indivisibilité de l'union fédérale américaine, et c'est au nom de cette indivisibilité qu'il a mené la guerre contre les sécessionnistes. Au Canada, nous avons choisi la voie de la discrétion. Cela n'a pas été clarifié. On a préféré le développer à mesure qu'on avançait historiquement. J'étais très heureux que la Cour suprême, dans les considérations qu'elle a énoncées, emprunte aussi cette voie et dit que notre tradition n'est pas la tradition américaine. Cela entraîne, par conséquent, la possibilité qu'a énoncée la Cour suprême à l'état de principe. Cela vaut particulièrement pour le Québec, parce qu'une province qui n'est pas comme les autres, qui forme une nation au sens culturel et social du terme et qui forme un peuple, à ce moment, a un droit fondamental à l'autodétermination. Va-t-elle l'exercer? C'est une autre question. Il a un droit fondamental que la Cour suprême elle-même est obligée de reconnaître. Là, le projet de loi reconnaît le Québec comme étant une province comme les autres. Nous savons tous que le projet de loi vise le Québec. Il faut bien s'ouvrir les yeux et voir clair. Où est-ce que le problème se pose actuellement? Les peuples autochtones veulent tous rester dans le Canada. Ils veulent avoir plus d'autonomie. Le problème qui se pose, se pose au Québec. C'est de cela qu'on doit discuter.
Maintenant, en ce qui touche le Québec, si jamais il devient souverain ou décide de le devenir, il devra faire face à cette question, et, en particulier, le problème des autochtones est un problème très sérieux qui devra être examiné. Personne n'a la réponse à ce problème actuellement. C'est le plus que je puisse dire.
Le sénateur Lynch-Staunton: Ce qui me préoccupe le plus avec ce projet de loi, -- et vous en avez fait mention dans votre présentation -- c'est le fait que le projet de loi C-20 a dirigé les forces fédéralistes au Québec et, en même temps, a donné un coup d'élan aux forces séparatistes et ultra-nationalistes. Il faudra se poser des questions sur l'utilité d'un tel projet de loi qui divise ceux qui devraient l'appuyer et renforce ceux qui l'acceptent pour des raisons extrêmement anti-fédéralistes. M. Charest appelle le projet de loi C-20 un trou noir. C'est lui qui sera appelé, s'il est en fonction au prochain référendum, pour diriger les forces du Non, et déjà, il demande au Sénat de rejeter ce projet de loi.
Vous avez été le président du comité du Non lors du premier référendum. Vous avez connu ce que c'est de garder ensemble les forces fédéralistes. On connaît les tensions qui existaient dans le temps, mais heureusement, le résultat a été positif en ce qui concerne ceux qui étaient contre la question.
Si vous aviez eu à subir, à l'époque, un projet de loi comme le projet de loi C-20 ou une décision de la Chambre des communes durant la campagne référendaire déclarant que la question n'était pas claire, pourriez-vous imaginer ou partager avec nous quel aurait été l'impact sur le reste de la campagne et sur le vote?
M. Ryan: Je vais essayer de répondre, mais d'abord, je vais vous dire quel aurait été ma réaction. Si M. Trudeau avait présenté un projet de loi comme celui-ci à la Chambre des communes, je lui aurais dit que je n'en voulais pas. Je l'aurais déclaré publiquement. Je pense qu'il le savait. Quand M. Trudeau s'est prononcé sur la question ou sur d'autres aspects, je n'avais aucune objection, et c'était son droit le plus strict. Ce n'était pas à moi de lui dicter ce que j'aurais souhaité qu'il dise. On en a discuté ensemble, aimablement, malgré les légendes. Plus aimablement avant qu'après.
Alors. s'il était arrivé avec un projet de loi comme celui-là, moi, comme chef de l'opposition à Québec, je lui aurais dit que je n'en voulais point et que nous n'en avions pas besoin.
Le sénateur Lynch-Staunton: On n'écoute pas ce que M. Charest dit aujourd'hui.
M. Ryan: Je n'étais pas au courant, mais si M. Charest dit cela, je l'en félicite.
Le sénateur Lynch-Staunton: Si vous étiez obligé de subir le projet de loi C-20 et une décision de la Chambre des communes sur la question, quel en aurait été l'impact?
M. Ryan: Je ne sais pas quel en aurait été l'impact. Une campagne connaît beaucoup de zigzags. Cela va d'un côté et de l'autre. Comment cela aurait-il influencé le résultat du vote? Je ne suis pas en mesure de vous le dire. Je ne voudrais pas tenir des propos vains là-dessus. Personne, pas même les sondeurs d'opinion, ne pourraient pas vous le dire.
[Traduction]
Le sénateur Lynch-Staunton: Depuis de longues années, vous observez ce qui se passe au Québec, pouvez-vous nous parler des forces qui souhaitent faire du Québec un pays indépendant, et comparer leur détermination dans le passé et à l'heure actuelle? Je ne parle pas de ceux qui souhaitent une souveraineté-association, un partenariat ou une forme d'union fédérale, basée sur le modèle européen ou sur un autre modèle, mais je parle plutôt des séparatistes à tous crins, ceux qui souhaitent une séparation complète du Canada.
M. Ryan: Je n'ai pas de connaissance particulière en la matière, et je suis forcé de me baser sur les sondages d'opinion, tout comme les autres personnages publics. D'après les sondages la proportion des Québécois qui sont déterminés à obtenir la séparation varie entre 20 et 35 p. 100. Cela dépend de la façon dont la question est énoncée, et du moment de l'année où on fait le sondage.
Toutefois, ce qui est plus révélateur à mon avis, c'est que le nombre de gens pour qui la notion de souveraineté ne paraît pas aussi radicale qu'il y a 20 ans est bien plus élevé de nos jours. C'est la raison pour laquelle, du point de vue des Canadiens, la proposition souverainiste reste très dangereuse. Beaucoup de gens n'auraient plus les problèmes qu'ils auraient eus il y a 20 ans pour voter dans un sens ou dans l'autre. Ils considèrent que ce n'est pas tellement important et qu'ils s'en tireraient très bien en cas de séparation. Cette proportion oscille entre 25 et 50 p. 100.
Le sénateur Lynch-Staunton: Quelle est la différence entre séparation et souveraineté?
M. Ryan: Évidemment, la notion de souveraineté se prête à plusieurs définitions. Toutefois, c'est la définition qui contient la notion de séparation qui semble la plus claire. Cela dit, il est impossible de contrôler les mots qui sont utilisés par les gens et par les acteurs politiques. Un péquiste vous parlera de souveraineté mais il pensera à l'indépendance politique. Quand je vous parle de souveraineté, de mon côté, c'est à la souveraineté du Québec en ce qui concerne ses domaines de compétence que je pense. Ce genre de choses est impossible à contrôler. Lorsqu'un péquiste vous parle de souveraineté, il faut comprendre qu'il veut dire indépendance.
Le sénateur Lynch-Staunton: Autrement dit, bien que l'article 1 de la Constitution séparatiste parle de souveraineté-association, cela veut vraiment dire séparation.
Le Parti québécois affiche aujourd'hui la notion de souveraineté-association, il a renoncé au mot «séparation», mais à votre avis, l'un et l'autre sont interchangeables.
M. Ryan: C'est exact. Dans une large mesure, ils ont réussi à associer les deux termes et à les rendre moins choquants qu'ils n'auraient été il y a 25 ans. Même si les gens ne pensaient pas que c'est possible, si on leur posait la question dans ces termes, leur réaction ne serait pas négative.
Le sénateur Lynch-Staunton: Vous pensez que, selon le libellé de la question, beaucoup de gens votent pour la souveraineté sans se rendre compte que c'est en même temps un vote pour la séparation.
M. Ryan: Oui. C'est une conclusion qu'on peut tirer d'après certaines études des sondages effectués après le dernier référendum. Toutefois, après cinq semaines de débats intensifs sur les deux aspects de la question, on pourrait penser que les gens sont suffisamment intelligents pour se rendre compte qu'ils votent, soit pour la souveraineté considérée comme une séparation, soit pour le Canada. Les résultats démocratiques sont rarement clairs comme de l'eau de roche. Dans les élections, toutes sortes de facteurs interviennent, et c'est le cas également lors d'un référendum. J'ai passé par deux référendums, et je ne pense pas que les gens soient si bêtes. Ils comprennent ce qu'on leur demande, ils n'ont pas besoin qu'on leur mette les points sur les i.
[Français]
Le sénateur Lynch-Staunton: En effet, quelle que soit la question, ils connaissaient l'enjeu après la campagne.
M. Ryan: Oui.
[Traduction]
Le sénateur Chalifoux: J'ai beaucoup apprécié vos observations et j'ai trouvé votre mémoire très intéressant.
Je suis de l'ouest du Canada, je suis Métisse. J'aimerais vous demander des précisions sur un certain nombre de choses. Ce projet de loi semble s'appliquer au Québec, mais c'est également une série de règles qui pourraient s'appliquer à d'autres régions. On sait que depuis longtemps l'ouest du Canada souhaite une séparation. On en a parlé en Colombie-Britannique, et cet hiver j'étais au Yukon à un moment où le Yukon et l'Alaska parlaient, chacun de leur côté, de se séparer et de devenir indépendants. Pour le Canada, c'est une question qui n'est jamais réglée. Toutes ces régions représentent plus des deux tiers de notre pays.
D'autre part, s'il n'y avait pas eu Louis Riel et le gouvernement provisoire de l'époque, l'Ouest du Canada ferait peut-être partie des États-Unis à l'heure actuelle. Toutefois, Louis Riel était un fédéraliste convaincu et il tenait à appartenir au Canada. Pendant ce temps, les États-Unis lui faisaient la cour pour essayer de le convaincre de se joindre aux États-Unis. Les autochtones habitent le Canada depuis des milliers d'années. Je suis moi-même originaire de Rupert's Land.
J'aimerais savoir ce que vous pensez de la position des dirigeants autochtones au Québec. Ils voudraient jouer un rôle politique, participer à part entière à toutes les discussions sur la séparation. J'aimerais savoir ce que vous en pensez. Est-ce que l'article 35 de la Constitution leur donne ce droit, ou non?
M. Ryan: Je ne peux pas répondre immédiatement à votre question. Je ne voudrais pas susciter de confusion, je préfère m'informer et vous donner plus tard une réponse par écrit.
Le sénateur Chalifoux: Je l'apprécierais beaucoup.
M. Ryan: Toutefois, si vous le voulez bien, j'aimerais faire une observation.
Peu importe ce qu'on a dit ailleurs au Canada, je pense que le Québec est peut-être la province qui a manifesté la plus grande compréhension pour la misère des nations autochtones. Les deux partis politiques -- à savoir le gouvernement du Parti québécois ainsi que les gouvernements libéraux -- ont fait beaucoup pour mieux les comprendre et parvenir à des ententes mutuellement acceptables dans le cadre d'une société politique commune à tous. Peu importe ce que nous pouvons apprendre en marge de ce que nous essayons de faire, nous serons toujours parfaitement disposés à écouter.
C'est dans cet esprit que je comprends votre question, et je serai ravi de vous adresser une réponse écrite.
Le sénateur Chalifoux: Il y a matière à un bon débat sur cette question, mais ce n'est ni le moment ni le lieu.
[Français]
Le sénateur Nolin: Ma première question se rapporte à votre expérience des deux derniers référendums, et je ferai un peu le pont avec la question que le sénateur Lynch-Staunton vous posait tout à l'heure. Disons qu'en 1980 et en 1995 le projet de loi C-20 existait. Comme par hasard, la Chambre des communes détermine que la question n'était pas claire. Vous vous opposez à ce que cela se fasse, mais cela se fait quand même. Vous êtes à ce moment le grand patron du camp fédéraliste au Québec. Nous, les fédéralistes québécois, que faisons-nous partir du jour où la Chambre des communes déclare que la question n'est pas claire? Le ministre nous dit qu'il faut continuer à travailler. Que pensez-vous de cette hypothèse un peu farfelue?
M. Ryan: La situation est bien différente, parce qu'on discute, à ce moment, dans un climat où il y a possibilité d'un référendum ultérieur, mais les circonstances invitent à penser que ce n'est pas pour demain. Par conséquent, la poussière peut retomber. Il peut arriver que des circonstances se présentent qui rendent le gouvernement actuel, ou un gouvernement futur, capable de comprendre que ce n'est peut-être pas l'approche la plus judicieuse. Il peut arriver bien des choses. C'est la raison pour laquelle cela ne soulève pas de tempête actuellement. Comme il n'y a pas de référendum -- vous connaissez l'opinion publique quand il n'y a pas de problème immédiat -- l'opinion publique est indifférente. Ceux qui misent là-dessus pour faire n'importe quoi sont dans l'erreur.
Le sénateur Nolin: Vous vous souviendrez des faits au Québec au sujet du rapatriement unilatéral de la Constitution.
M. Ryan: Cela a pris du temps et cela a été difficile, je le sais parce que j'ai beaucoup souffert à cause de cela.
Le sénateur Nolin: Vous avez souffert beaucoup...
M. Ryan: Oui, sans acrimonie, cependant.
Le sénateur Nolin: Je comprends, c'est l'expérience. Ma deuxième question concerne l'avis de la Cour suprême. La cour nous a fait un grand exposé sur l'obligation de négocier de bonne foi, dans le cas d'une décision claire d'une province de se séparer du reste du Canada. Est-ce que vous croyez que cette obligation de négocier devrait s'appliquer, doit s'appliquer, ou s'applique à toute autre négociation constitutionnelle? Je pense, entre autres, à un amendement constitutionnel introduit par une province dans l'optique de renouveler de bonne foi le fédéralisme canadien.
M. Ryan: Je vais être franc avec vous, cette partie de l'avis de la Cour suprême a été soulignée comme une des parties les plus importantes de l'avis. Je ne partage pas complètement cette opinion. Prenons l'exemple des relations de travail. Je crée l'obligation pour l'employeur de négocier avec des employés qui se sont réunis en syndicat. Je dois attacher une sanction à l'obligation de négocier que j'ai créée pour l'employeur et les deux parties. Il faut également créer l'obligation pour le syndicat de négocier avant d'aller en grève. Si le syndicat viole la loi, il y a des amendes prévues, et il peut même perdre son accréditation. Si l'employeur ne respecte pas la loi et refuse de négocier, -- on l'a vu dans le cas des épiceries Métro -- cela peut, en fin de compte, coûter des millions de dollars en sanctions, et c'est prévu dans la loi. Dans ce cas-ci, il n'y a rien de prévu. C'est un beau principe, et on peut très bien dire qu'on a négocié de bonne foi car on a rencontré ces gens pendant cinq semaines puis cela n'a rien donné. Qu'est-ce que vous faites? C'est pour cela qu'il ne faut pas partir en peur avec cet énoncé. Ce n'est pas mauvais comme principe de civilisation, dans la mesure où les gens agissent de bonne foi, mais ce n'est pas une clé pour résoudre un problème.
La présidente: J'ai écouté avec intérêt vos propos au sujet du Sénat et j'aimerais en savoir plus. Dans l'amendement que vous proposez, vous donneriez au Sénat à peu près le rôle qu'il joue, mutatis mutandis, dans n'importe quelle législation, c'est-à-dire que le Sénat a droit de veto.
Dans le cas où le peuple québécois vote clairement en réponse à une question claire, que tous les partis de l'Assemblée nationale disent qu'il s'agit bien d'un oui en réponse à une question claire, que les partis à la Chambre des communes disent qu'il faut négocier, qu'arrive-t-il si le Sénat exerce son pouvoir de veto? Allez-vous aussi loin dans les pouvoirs que vous donneriez au Sénat?
M. Ryan: Pour être franc, je n'ai pas examiné tous les aspects techniques de cette question. Advenant un résultat référendaire favorable à la sécession du Québec, le gouvernement fédéral a l'obligation de rencontrer immédiatement les responsables des deux Chambres afin d'établir une façon de travailler ensemble.Ils pourront trouver une façon exceptionnelle de le faire et, au besoin, modifier certaines règles permettant d'atteindre un consensus, mais ils ne pourront pas modifier la Constitution. Le pouvoir de veto du Sénat figure-t-il dans la Constitution?
La présidente: Dans une législation, oui, mais pas pour des résolutions. Normalement le Sénat fait une résolution, la Chambre des communes en fait une autre. Vous dites que le Parlement doit faire une résolution en affirmant que oui, il y a eu réponse claire à une question claire. Cela équivaut à dire que, si le Sénat n'est pas d'accord, il s'agit d'un veto sur le destin du Québec.
M. Ryan: Ce que le Sénat peut faire, c'est retarder l'affaire de six mois. Ce n'est pas la fin du monde. Au rythme où ces choses évoluent, personne ne va cesser de fonctionner à cause de cela. Un délai de six mois ne serait pas mauvais.
La présidente: Cela est arrivé à l'étape de l'amendement constitutionnel.
M. Ryan: Il n'y a pas de drame dans votre question.
[Traduction]
Le sénateur Kinsella: Monsieur Ryan, plus tôt cet après-midi, dans son témoignage, le chef Jacques Gauthier nous a rappelé ce que la Commission des droits de la personne des Nations Unies, qui a étudié le rapport que le Canada a soumis conformément au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, avait à dire au sujet de l'application du droit à l'autodétermination aux peuples autochtones. Le chef Gauthier nous a dit ce que les Nations Unies ont dit:
[Français]
Le comité, tout en prenant note de la notion d'autodétermination tel qu'appliquée par le Canada aux peuples autochtones, regrette que les délégations n'aient pas donné d'explications sur les différents éléments de cette notion.
[Traduction]
Monsieur Ryan, comme vous le savez, dans son avis, la Cour suprême répondait à une série de questions, dont l'une portait directement sur le droit à l'autodétermination en vertu du droit international concernant les droits de la personne. Dans plusieurs paragraphes de son avis, la cour donne une explication de ce droit à l'autodétermination.
Peu importe si ce processus se déroule comme le gouvernement le veut, si, pour la première fois dans notre histoire, l'on érige en loi les étapes à suivre pour aboutir à la sécession, le peuple du Québec conservera le droit à l'autodétermination. La cour établit une distinction entre le droit interne à l'autodétermination et le droit externe à l'autodétermination.
Vous qui avez réfléchi à ces événements actuels, en avez-vous conclu qu'il aurait été beaucoup plus utile pour le gouvernement de chercher à définir l'essence de l'autodétermination des peuples du Québec et de tous les peuples du Canada plutôt que de faire voter cette loi? Cela faisait partie du sujet que la cour a étudié partiellement, mais ce droit à l'autodétermination des peuples du Québec ne disparaîtra pas. Auriez-vous donc l'obligeance de communiquer aux membres du comité vos réflexions sur le droit des peuples du Québec à l'autodétermination?
M. Ryan: À mon avis, on en a assez dit sur cette question pour le moment. La cour a longuement commenté cette question, et nous n'avons pas encore saisi toutes les ramifications de son raisonnement. Je ne crois pas que les gouvernements soient en mesure de jeter un éclairage nouveau sur ce que nous savons maintenant. S'ils pouvaient apporter des améliorations pratiques qui amélioreraient les relations dans tous les domaines qui sont sources de conflits entre les deux ordres de gouvernement, ils serviraient mieux le Canada qu'en continuant de discuter de ces questions dans l'abstrait, ce qui ne fait qu'accroître la confusion.
Le sénateur Kinsella: Je suis d'accord avec vous, monsieur Ryan. Le droit à l'autodétermination n'est pas un droit qui se concrétise de soi-même, c'est beaucoup plus comme le droit à l'éducation ou le droit à la santé. Sans hôpitaux et sans écoles, ces droits ne veulent pas dire grand-chose. Si l'on veut donner plus de substance à la notion de droit à l'autodétermination, les gouvernements doivent montrer de l'initiative et de l'imagination. Ne croyez-vous pas que l'essentiel du droit à l'autodétermination réside dans des améliorations à la fédération et dans l'exercice créatif qui consisterait à dire comment les peuples du Québec peuvent jouir de l'autodétermination dans la plus large mesure possible? Autrement dit, n'est-ce pas sur ce point que doit porter l'action gouvernementale et non sur ces notions constitutionnelles abstraites?
M. Ryan: Sénateur Kinsella, le reste du Canada n'est pas disposé à reconnaître que le Québec, dans un sens précis, forme un peuple distinct. Ce fait doit être reconnu et accepté, et cela pourrait nous conduire à des accords particuliers dans des domaines dont on discute dans la presse ces jours-ci.
Tant que l'on refusera systématiquement et résolument d'accepter cette réalité, les problèmes avec lesquels nous nous débattons depuis les 25 dernières années vont subsister et pourraient même prendre de l'ampleur. Sans vouloir jouer les prophètes de malheur, il est certain que nous ne sommes pas plus avancés dans ce dossier aujourd'hui que nous l'étions lorsque nous avons remporté le premier référendum, il y a 20 ans de cela. Il doit y avoir une raison à cela, et pour celui qui étudie l'histoire, cette raison n'est pas difficile à trouver.
[Français]
Le sénateur Gauthier: Dans vos commentaires, vous avez dit à la page 3:
Le projet de loi C-20 jouit en effet d'un large appui dans le reste du pays. Il n'y a pas à s'en étonner car l'opposition au séparatisme est viscérale au Canada anglais, au point que les réactions au sujet de ce qui se passe au Québec y sont le plus souvent dénuées de tout aspect critique.
Ma question portera sur les minorités de langues officielles. Advenant un référendum sur la sécession du Québec, il ne fait aucun doute que les minorités francophones au Canada seront vraisemblablement la cible d'un ressac de la part de la majorité anglophone. N'oublions pas qu'il y a quelques années, plus de 70 municipalités de l'Ontario se sont déclarées unilingues anglophones en réaction à l'adoption d'une loi québécoise limitant l'affichage en anglais dans cette province. Il faut présumer qu'une décision de la part du Québec de quitter le Canada suscitera une réaction similaire.
Pourrait-on inscrire dans le projet de loi C-20 -- je ne suis pas optimiste à savoir si je peux le faire mais je suis toujours, comment dirais-je, à l'affut d'une possibilité -- d'inscrire à l'article 2 (5), une modification qui permettrait aux minorités de langues officielles, française hors Québec et anglaise au Québec, le droit de donner, comme le font d'autres articles, ses avis, ses résolutions et ses commentaires, afin que l'on participe de façon constructive à ce processus qui sera, pour nous, dévastateur. Si le projet de loi est adopté comme il l'est présentement, et que les minorités sont exclues, d'après moi, cela sera un désastre, advenant que le Québec décide de tenir un référendum.
La Cour suprême, M. Ryan, a été très claire au sujet de la protection des droits des minorités. Le projet de loi C-20 est absolument silencieux là-dessus en ce qui a trait aux consultations et au droit des minorités de se faire entendre.
Accepteriez-vous un amendement de la part de votre humble serviteur à l'effet que l'on modifie l'article 2 (5) en incluant: «des déclarations officielles des représentants, des peuples ou des groupes minoritaires de langues officielles avant de prendre une décision»? Au niveau politique, je suis inquiet, parce que c'est la majorité à la Chambre des communes qui va décider. Il n'est pas dit que cette majorité sera favorable ou consentante et qu'elle comprendra le problème canadien. Les minorités sont quasiment essentielles dans notre pays; on tient le pays ensemble parce qu'on est partout dans le pays. La minorité francophone existe de l'Est à l'Ouest du pays. Si le Québec se sépare, c'est notre cordon ombilicale canadien qui est coupé. Appuyez-vous cette suggestion? Personne n'en parle, je suis le seul à en parler.
M. Ryan: Je pense que le sénateur Gauthier qui me connaît depuis longtemps, sait que j'ai toujours manifesté un grand attachement aux droits des minorités linguistiques, en particulier, cela va de soi, aux droits des minorités linguistiques francophones dans les autres provinces du Canada. Je crois aussi avoir fait montre de respect pour les droits de la minorité linguistique de langue anglaise au Québec.
Le problème que vous posez est un problème délicat. Jusqu'à maintenant, on dit que c'est une question qui doit être tranchée par les gouvernements et les législatures. Cela fait déjà beaucoup de monde. Si l'on commence à introduire des intérêts particuliers en plus de ceux-là, et ce que j'appelle des «charter interests», d'autres secteurs de la société vont demander à avoir, eux aussi, un droit de représentation. La question: est-ce que vous leur donnez seulement le droit d'être consultés, de faire part de leurs avis, ce qui donne un droit de participation à la décision? Il faudrait regarder cela de manière attentive. S'il devait s'agir d'un droit de soumettre des représentations, je pense que votre question mérite un examen attentif et sympathique. Si cela devait comporter un droit de participation à la décision, ce serait plutôt réservé, puisque la responsabilité des décisions, surtout dans une matière comme celle-là, doit relever des représentants élus de la population, parmi lesquels se trouvent des représentants des deux groupes linguistiques et d'autres groupes également.
Le sénateur Gauthier: Je suis d'accord avec vous. On inclut les autochtones dans le projet de loi C-20. Cependant, on n'a pas inclu les minorités linguistiques.
M. Ryan: Le sénateur Gauthier a précisé sa question, et là encore, comme je ne connais pas la teneur de l'amendement relatif aux peuples autochtones, je suis obligé de réserver ma réponse. Les peuples autochtones sont mentionnés dans la Constitution à l'article 35. Les minorités linguistiques le sont également à l'article 16. Vous soulevez un argument intéressant, et je pense que l'on doit le considérer avec respect.
[Traduction]
Le sénateur Grafstein: Monsieur Ryan, soyez le bienvenu. Il est bon de vous retrouver.
Votre témoignage sur cette question, qui va au coeur de ce projet de loi, est des plus intéressants. Vous dites que la question ne serait peut-être pas claire mais qu'en fait, les gens la comprendraient. Il y a au moins un autre témoin qui a dit la même chose.
Cependant, M. Pinard a affirmé que, dans l'intérêt des forces séparatistes, plus la question est anodine, plus les conséquences sont confuses, plus ils récoltent de votes. Il a dit que vous pourriez obtenir un vote majoritaire, soit 50 p. 100 plus un, sur une question qui serait claire pour les séparatistes mais qui serait plus ambiguë pour les personnes qui ne sont pas des séparatistes convaincus. Par conséquent, les séparatistes seraient plus à même d'obtenir un vote favorable.
Mais ce n'est pas ma question. Ma question est la suivante: en vertu des principes du constitutionnalisme, du fédéralisme, de la primauté du droit et de la protection des minorités, le Cabinet fédéral peut-il se donner le mandat de négocier de telles questions à la suite de la résolution d'une seule Chambre qu'il contrôle peut-être? En vertu des principes démocratiques, est-ce qu'une Chambre et un cabinet doivent avoir le pouvoir de décider si l'on va négocier sans -- et c'est la question primordiale -- un mandat clair comme le veut la théorie démocratique qui dit que le Parlement exprime les voix de tous les habitants du Canada?
M. Ryan: Si j'en juge d'après mon expérience de gouvernant, un gouvernement peut entrer en pourparlers avec un autre gouvernement à sa guise, sans qu'il ait besoin d'un mandat qui lui aurait été donné par les députés élus à la Chambre des communes ou le Sénat. Il peut entamer des négociations à tout moment.
Voilà pourquoi, à mon avis, ce projet de loi est très présomptueux et fait fi de la réalité. Une fois que l'on engage une discussion, une deuxième discussion s'ensuit, puis un troisième. On se retrouve avec une solution qui a l'air raisonnable, et on se demande comment on pourrait ériger en loi. Ensuite il faut répondre à toutes les questions. Quel est le rôle du Parlement? Quel est le rôle de la Chambre des communes? Quel est le rôle du Sénat? Quel est le rôle du ministère de la Justice, et cetera? Tout d'abord, les ministériels hommes et femmes, doivent ensemble examiner la réalité qui est née et trouver des solutions à une situation difficile. Ensuite vient l'étape des procédures judiciaires qui sont des facteurs très importants dans le fonctionnement de notre société. Si vous inversez le processus, vous suscitez toutes sortes d'obstacles imprévisibles.
J'ai pris part aux discussions qui ont mené à l'Accord du lac Meech, je siégeais au conseil des ministres lorsqu'on a négocié l'Entente de Charlottetown et divers accords avec les nations autochtones du Québec, et lorsque le cabinet a été saisi d'une question, c'est parce qu'on avait trouvé une solution aux neuf-dixièmes des problèmes. Si le premier ministre réunit son cabinet pour lui dire: «Je veux votre avis parce que je ne suis pas sûr de ce que je vais faire», vous avez une discussion qui ne mène nulle part. Au moment de lever la séance, il se dira: «La prochaine fois, j'aurai une solution précise.» Il doit trouver cette solution précise en tenant des discussions, des conversations et peut-être même des négociations. C'est comme cela que le processus politique fonctionne. C'est un processus admirable pour cette raison même. Le ministre est parfois frustré, tout comme les députés d'ailleurs.
[Français]
Le sénateur Prud'homme: Je vais juste vous demander de préciser ce que vous avez dit. En 1980, vous vous souviendrez que, sous votre chapeau, trois libéraux fédéraux étaient là: le regretté Jean Marchand, Jean Chrétien et moi-même, qui représentait le caucus.
Un seul autre peut se permettre de faire des confidences, c'est le sénateur Nolin. Ce sont les seuls, et je dis cela pour mes amis de langue anglaise, afin qu'ils sachent ce qu'est un processus et aussi pour qu'ils réfléchissent aux conséquences que vivent ceux qui ont à se battre sur le terrain. Nous sommes les seuls au Sénat qui pourrions en raconter, avec vous et d'autres, et nous le ferons un jour.
Je reviens de la ville de Québec et je vous dis que cela m'a fait du bien de voir la ville française et historique, où a eu lieu le dévoilement du monument de Jean Lesage. Le sénateur Bolduc était là, et ce sont des fédéralistes, en grande majorité, qui ont assisté à cet événement, des Canadiens français.
Vous nous avez dit tantôt qu'il ne se passe rien à l'heure actuelle, et que les gens n'ont donc pas grand-chose à dire. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle on dit que c'est le temps d'adopter le projet de loi C-20, car il n'y a pas de démonstration dans les rues, il n'y a rien.
J'appelle cela une bombe à retardement qui nous éclaterait dans la face, nous les nationalistes canadiens-français, et les autres qui s'identifient autrement, en plein milieu d'un référendum où nous aurions à expliquer à nos compatriotes qu'il faut rester dans le Canada, en plus de leur expliquer le projet de loi C-20 qui pourrait être adopté. Pourriez-vous élaborer à ce sujet?
M. Ryan: Si la tâche des fédéralistes québécois dans une campagne qui se développerait à un moment que nul ne peut prévoir devait devenir, par la force imprévue des choses, de défendre le projet de loi C-20, il pourrait très bien arriver que M. Bouchard fasse reporter tout le débat sur le projet de loi C-20. Si vous dites Oui, vous allez dire non au projet de loi C-20 puis si vous dites Non, vous allez dire oui au projet de loi C-20. Cela peut faire perdre de vue l'objectif principal du référendum. Un bon nombre de fédéralistes québécois seront bien embarrassés pour défendre le projet de loi C-20, moi le premier. Voilà.
Le sénateur Joyal: Monsieur Ryan, vous avez fait référence à la pensée politique du président Lincoln, et j'aimerais citer l'extrait de son «First inaugural address» du 4 mars 1861. Vous la connaissez par c<#0139>ur, mais je voudrais la partager avec mes collègues, et je cite:
[Traduction]
La perpétuité est implicite, sinon explicite, dans la loi fondamentale de tous les gouvernements nationaux. On peut dire sans risque de se tromper qu'aucun gouvernement digne de ce nom n'a jamais eu de disposition dans sa loi organique prévoyant sa propre fin[...]
[...] la Constitution elle-même m'enjoint expressément de faire respecter dans tous les États les lois de l'Union. J'estime qu'il s'agit là simplement de mon devoir, et je m'en acquitterai dans toute la mesure du possible à moins que mes maîtres légitimes, le peuple américain, ne me refusent les moyens qu'il me faut, et ne m'ordonnent de faire le contraire, en m'exprimant leur volonté en ce sens avec force[...] le but déclaré de l'Union est de défendre la Constitution et de préserver son intégrité.
[Français]
Ce que je comprends du président Lincoln, c'est que la perpétuité ou la continuité de l'État est sous-jacente à son existence, est impliquée dans son existence. Et qu'à moins de refuser à la personne responsable de diriger cet État les moyens financiers de maintenir cette responsabilité, ou encore qu'on lui exprime d'une façon très claire, «authoritative manner», leur volonté de ne plus continuer et de demeurer ensemble, il n'a d'autre choix que de maintenir l'ordre constitutionnel.
Ceci dit, je trouve que ce que la Cour suprême a dit en termes de réponse à trois questions claires sur le plan juridique, -- je considère le débat sur le plan juridique à cette étape -- c'est que le Québec n'a pas le droit à l'autodétermination, ni en droit interne ni en droit international. On peut ne pas aimer cela, mais c'est ce que la cour a dit fondamentalement, d'une manière quand même très nette. Le droit interne canadien ne permet pas au Québec de faire sécession unilatéralement.
Alors, quand vous nous dites que le Québec a un droit fondamental à l'autodétermination parce qu'il forme une nation, on peut. sur le plan du discours politique, supporter cette vue, mais sur le plan des principes juridiques, ce n'est pas ce que l'ordre constitutionnel canadien contient dans les réponses données par la Cour suprême à ces questions.
M. Ryan: C'est la question. Tout le monde va reconnaître que tout en affirmant le droit à l'autodétermination du peuple québécois, il peut y avoir des opinions différentes sur les modalités suivant lesquelles ce droit doit s'exercer, suivant même les règles juridiques. C'est évident qu'après que la Cour suprême ait donné son avis, -- et je dois dire que je ne suis pas de ceux qui pensent que c'est seulement un avis consultatif -- je ne suis pas d'accord, mais je l'accepte en discipline civique.
Par conséquent, je pense qu'il n'y a pas de débat entre nous. Le passage que vous avez cité du président Lincoln, je l'ai peut-être reproduit 10 ou 15 fois dans ma vie. C'est un de ses discours les plus élevés et les plus nobles. Et malheureusement, le contexte dans lequel le président Lincoln formulait ses observations est très différent du contexte historique canadien. Il ne faut pas oublier qu'ils ont commencé, aux États-Unis, par une Confédération, en 1776, qui n'a pas très bien fonctionné. Ils ont décidé de se réunir de nouveau puis de créer une fédération, à laquelle tout le monde a adhéré librement. Les États, les uns après les autres, ont tenu des votes et des débats dans chacune des législatures. Et de tout cela, le président pouvait inférer, à l'intérieur de son pays, qu'il y avait une union «indissoluble». Mais au Canada, ce n'est pas ainsi que cela a fonctionné, parce deux peuples étaient présents, en plus les autochtones. Aux États-Unis, on a écrasé les autochtones beaucoup plus qu'au Canada.Le contexte, particulièrement en ce qui regarde le Québec, et ce depuis l'acte de 1774, est reconnu comme étant de nature différente. C'est cela qui a présidé au développement du Canada.
Je crois que nos Pères de la Confédération, même M. Trudeau en 1980-1981, ont agit prudemment en ne mettant pas de définition dans la Constitution sur ce point, parce qu'ils jugeaient que les esprits n'étaient pas mûrs pour qu'on règle cela. M. Trudeau était assez intelligent pour savoir qu'il y avait là un problème.
À mon avis, en général, les neuf dixièmes de la loi de 1982 ne créent pas de gros problèmes. Du fait qu'elle ait été adoptée contre le Québec, et qu'une formule d'amendement ait été ajoutée sans le consentement du Québec, c'est une question fondamentale. C'est ce qui distingue le Canada des États-Unis. Tout en ayant le plus profond respect pour la pensée du président Lincoln, encore une fois, sur ce point, je pense qu'il parlait en fonction de la tradition américaine et non pas de la tradition canadienne. Si au Canada, nous arrivons à une entente où le Québec sera partie prenante à fond, ce sera alors le temps de poser la question: "How long will this endure?" Il faut que les acteurs politiques s'engagent pour longtemps. Évidemment, on ne fait pas une constitution pour changer d'idée demain matin, ni pour que cette opinion soit renversée par la population à un moment ou à un autre. C'est une condition sur laquelle personne n'a de contrôle en démocratie. Mais toutes choses étant égales, les acteur politiques pourraient s'engager pour beaucoup plus longtemps, à condition que les règles soient claires. Quand les règles ne sont pas claires, je ne veux pas que ce soit la Cour suprême qui m'envoie un billet. À mon avis, ce n'est pas acceptable.
Le sénateur Joyal: Mais les représentants du Québec à l'époque, en 1867, ont quand même voté pour approuver le projet d'union confédérative comme on l'appelait. Ils ont donc posé leur geste de souveraineté, de mandataires de la population d'une manière expresse pour confirmer l'entente convenue à ce moment entre les différents gouvernements.
M. Ryan: Quel a été le vote dans la partie Bas-Canada?
Le sénateur Joyal: Je crois qu'il y a eu 28 représentants du Bas-Canada contre 21.
M. Ryan: 28/24.
Le sénateur Joyal: À 28/24, c'est très près, mais ils ont voté quand même. C'était 50 plus un.
M. Ryan: Si vous comptez les votes francophones, vous allez vous apercevoir que le problème n'était pas réglé de ce point de vue. Après cela, il y a eu une élection, on a élu le parti qui avait mené les négociations. C'était quand même une confirmation pour un temps assez long. Il existait un consensus. N'oubliez pas que les libéraux étaient plutôt favorables, ils étaient associés à ce moment-là.
Le sénateur Joyal: Ils étaient contre. Ils menaient le groupe des députés qui s'opposaient à la Confédération. D'ailleurs, c'est Antoine-Aimé Dorion qui était leur chef.
M. Ryan: Malgré cela, il est resté dans le Parti libéral. C'est normal aussi. C'est bon qu'il soit resté là. C'est l'affirmation du Québec. Je ne pense pas qu'il y ait un libéral sérieux qui va rougir de cela! Pas du tout.
[Traduction]
Le sénateur Cools: Monsieur Ryan, je tiens seulement à dire que je suis de celles qui auraient voulu que le comité se rende au Québec et parcoure le Canada pour entendre le point de vue des Canadiens et des Québécois sur ce projet de loi. Il est regrettable que cela n'ait pas été fait.
Vous avez condamné le projet de loi C-20 dans des termes assez vigoureux, et vous avez prié le Sénat d'exercer ses pouvoirs en le modifiant radicalement. Vous avez également déclaré que le projet de loi C-20 contribue à alimenter les convictions anti-fédéralismes des souverainistes québécois. Autrement dit, le projet de loi C-20 aura un effet politique négatif pour le fédéralisme au Québec et profitera aux séparatismes du Québec.
Voici ma première question: à votre avis, vous qui avez été un dirigeant au Québec ainsi que le rédacteur en chef d'un grand quotidien, pourquoi le gouvernement du Canada et le ministre ont-ils proposé ce projet de loi, qui nuira à la cause du fédéralisme au Québec?
Ce qui m'amène à ma deuxième question. Vous avez dit que le projet de loi C-20 témoigne d'une méfiance à l'égard du gouvernement du Québec et d'une grande méfiance à l'égard de l'Assemblée nationale en particulier. Vous avez employé l'expression «méfiance viscérale». La première partie du projet de loi C-20 témoigne d'une méfiance sur la question de la clarté et sur la motivation, dirait-on, de l'Assemblée nationale et du gouvernement du Québec, et en particulier du premier ministre, mais ensuite, quelques paragraphes plus tard, le projet de loi C-20 propose une coopération avec ces personnes mêmes à l'égard desquelles on se montre soupçonneux dans la première partie du projet de loi. J'aimerais avoir votre avis à ce sujet.
M. Ryan: M. Dion vous a donné la réponse à la première question lorsqu'il a témoigné devant votre comité. Je ne suis pas un interprète sûr des intentions du gouvernement fédéral, et je ne m'aventurerai pas sur ce terrain très dangereux. Je ne vais pas interpréter ses motifs.
Pour ce qui est de la deuxième partie de votre question, oui, il y a méfiance, non seulement envers l'Assemblée nationale et du gouvernement du Québec mais aussi envers la démocratie québécoise. La démocratie fonctionne assez bien au Québec. J'aurais aimé remporter toutes mes élections, mais j'en ai perdu quelques-unes, et cela est très sain pour la démocratie. Il y a eu des défaites et des victoires de part et d'autre, comme nous avons eu le bonheur de le voir au Québec au cours des 25 dernières années. Ce n'est pas une tragédie à mon avis que le Parti québécois soit au pouvoir pendant un certain temps, à condition que ce ne soit pas pour toujours. Si l'on tient vraiment à un changement, il faut le mériter. Je n'irai pas plus loin que cela.
Je parle sincèrement mais peut-être naïvement lorsque je dis que si le comité acceptait de modifier le projet de loi dans le sens que j'ai proposé, ce serait un rappel clair des indications que la Cour suprême a fournies relativement à la gestion de ces affaires. L'on éviterait ainsi toute forme d'accusation d'ingérence dans l'exercice des attributions légitimes de l'Assemblée nationale ou du gouvernement du Québec, et le peuple du Canada serait tout aussi bien protégé contre tout abus de pouvoir de la part du gouvernement du Québec. Tous les recours seraient parfaitement garantis. Comme l'a dit clairement le sénateur Joyal -- et je suis parfaitement d'accord -- les réponses aux trois questions que le gouvernement fédéral a soumises à la Cour étaient extrêmement claires. D'un point de vue juridique, tout le reste n'est que conjecture.
[Français]
La présidente: Monsieur Ryan, au nom de tous les sénateurs, je vous remercie beaucoup. Cet échange a été extrêmement intéressant et extrêmement stimulant.
La séance est levée.