Délibérations du comité spécial sur
Le projet de loi C-20
Fascicule 5 - Témoignages pour la séance du soir
OTTAWA, le lundi 12 juin 2000
Le comité sénatorial spécial sur le projet de loi C-20, Loi donnant effet à l'exigence de clarté formulée par la Cour suprême du Canada dans son avis sur le Renvoi sur la sécession du Québec, se réunit aujourd'hui à 19 h 10 pour étudier le projet de loi.
Le sénateur Joan Fraser (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente: Honorables sénateurs, cette huitième séance du comité sénatorial spécial sur le projet de loi C-20 est maintenant ouverte.
Encore une fois, je souhaite la bienvenue à tous, y compris à nos téléspectateurs.
[Français]
Ce soir nous poursuivons notre étude du projet de loi C-20, loi donnant effet à l'exigence de clarté formulée par la Cour suprême du Canada dans son avis sur le renvoi sur la sécession du Québec. Le projet de loi a été adopté par la Chambre des communes le 15 mars 2000 et a été lu au Sénat pour la première fois le 21 mars. Il a ensuite été lu une deuxième fois le 18 mai, ce qui veut dire que le Sénat a approuvé le principe du projet de loi. Le projet de loi C-20 a ensuite été déféré à ce comité spécial pour que qu'il en fasse une étude approfondie .
[Traduction]
Nous poursuivons nos travaux ce soir avec l'audition de Gino LeBlanc, Richard Barrette et François Boileau. Les témoins feront des remarques liminaires, comme d'habitude, puis il y aura une période de questions.
[Français]
Une fois que le comité aura entendu tous les témoins sélectionnés, le projet de loi sera étudié article par article. Le comité fera ensuite rapport de ses décisions au Sénat pour sa considération.
M. Gino LeBlanc, président, Fédération des communautés francophones et acadiennes du Canada: Madame la présidente, il nous fait plaisir aujourd'hui de venir rencontrer le comité spécial sénatorial sur le projet de loi C-20 sur la clarté afin de présenter le point de vue de la Fédération des communautés francophones et acadienne du Canada. Je suis accompagné du directeur général de la Fédération, M. Richard Barrette, ainsi que du directeur du bureau au Québec de la FCFA, M. François Boileau qui est aussi notre avocat-conseil.
Nos commentaires seront brefs et c'est voulu ainsi. Principalement, nous venons ce soir appuyer la position que défend le sénateur Jean-Robert Gauthier. Nous y reviendrons dans quelques instants. Juste un mot, cependant, pour vous dire que nous félicitons et remercions chaleureusement l'honorable sénateur d'être toujours aussi égal à lui-même, à savoir de toujours prendre en considération la défense des droits des minorités linguistiques.
Permettez-moi tout de même de dire quelques mots sur notre fédération. Nous fêtons cette année, en fait dans quelques jours, le 25e anniversaire de la fondation de notre organisation. Autrefois connu sous le vocable de FFHQ, nous avons changé de nom en 1991 afin de nous identifier par ce que nous sommes et non par ce que nous ne sommes pas.
La population des communautés francophones et acadienne du Canada, à l'extérieur du Québec, compte près d'un million de personnes réparties dans neuf provinces et trois territoires. Elle lutte avec conviction et ardeur pour conserver son identité et exprimer sa culture.
Notre organisme a <#0139>uvré, au cours des ans, à faire reconnaître sur le plan national l'existence des communautés francophones et acadienne du Canada, en exposant l'ensemble de leurs besoins, de leurs préoccupations et de leurs intérêts. De plus, la fédération a travaillé à l'intensification des relations avec le gouvernement du Québec, les organismes québécois et les associations porte-parole des communautés francophones et acadienne avec l'ouverture d'un bureau au Québec, en janvier 1988. La FCFA veut aussi accroître la coopération entre ses communautés et la Francophonie internationale.
Il nous tient vraiment à c<#0139>ur de vous parler quelques instants du rôle du Sénat canadien dans notre système parlementaire bicaméral. Bien entendu, vous êtes les experts et les expertes en la matière et voilà pourquoi nous n'insisterons que sur un seul point. Si nous avons une Chambre haute, c'est pour s'assurer de voir à la défense des intérêts des régions du pays ainsi que pour voir à la protection des minorités de langue officielle.
Nous ne nous attarderons pas sur la question de la protection des intérêts des régions puisque d'autres l'ont déjà fait avant nous. Nous insistons cependant sur le rôle du Sénat dans la protection des minorités de langue officielle. Pourtant, c'est tout simple. La majorité n'a pas de droits, elle n'a que des pouvoirs. Et des pouvoirs, elle en a, ne serait-ce que le pouvoir de contrôler la Chambre des communes.
À quoi peut bien servir le Sénat si, par simple majorité des voix à la Chambre des communes, le Parlement pourrait modifier une loi portant atteinte à nos droits les plus fondamentaux? Le Parlement est justement constitué de deux Chambres permettant, pour reprendre une expression à maintes fois utilisée, de prendre une décision mûre, réfléchie ou le «sober second thought».
Nous pourrions citer ici toute une série d'exemples illustrant l'importance pour le Sénat de prendre en considération les droits des minorités de langue officielle. D'ailleurs, n'est-ce pas du moins la raison pour laquelle nous retrouvons autant de sénateurs issus des communautés de langue officielle vivant en situation minoritaire? Nous croyons donc qu'il est de votre devoir de faire en sorte que le Sénat protège les droits de ceux et celles qui peuvent difficilement faire entendre leurs voix à travers le tumulte de la majorité.
Les communautés francophones et acadienne jouissent pourtant de certains droits constitutionnels. En fait, il s'agit plus d'outils essentiels au développement et à l'épanouissement des communautés de langue officielle. On pense notamment aux protections constitutionnelles de droit normatif, les articles prévoyant des obligations strictes, des droits précis comme les articles 16 à 20 et l'article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés. Ces articles ne sont pas le fruit d'un hasard. Si le constituant a choisi de protéger les droits linguistiques, c'est que, justement, les communautés francophones et acadienne avaient, et ont toujours, un besoin urgent de protection. Les jugements de la Cour suprême du Canada l'ont bien dit: ces articles ont un caractère réparateur. À cet égard, il faut nous souvenir de ce que nous enseigne la Cour suprême.Cette dernière nous dit, dans l'arrêt Beaulac entre autres, et je cite:
Les droits linguistiques doivent dans tous les cas être interprétés en fonction de leur objet, de façon compatible avec le maintien et l'épanouissement des collectivités de langue officielle au Canada.
Une interprétation fondée sur l'objet des droits repose sur le véritable objectif de ces articles qui est de remédier à des injustices passées et d'assurer à la minorité linguistique officielle un accès égal et de grande qualité dans sa propre langue, dans des circonstances qui favorisent le développement de la communauté.
Lorsque nous pensons à des outils essentiels, nous venons de faire référence au droit normatif. Mais il y a plus. Il existe des principes non écrits de la Constitution canadienne qui transcendent tous les actes des gouvernements et qui doivent guider l'interprétation de la Constitution par les tribunaux. Le Renvoi sur la sécession du Québec est assez éloquent à cet égard.
En effet, il est clairement indiqué dans le Renvoi qu'il existe quatre principes directeurs fondamentaux, à savoir le constitutionnalisme, la primauté du droit, la démocratie et le respect des minorités. La plus haute cour du pays nous dit que ces principes déterminants fonctionnent en symbiose. Aucun de ces principes ne peut être défini en faisant abstraction des autres et aucun de ces principes ne peut empêcher ou exclure l'application d'un autre.
En faisant un rappel historique de la fondation du Canada, la cour indique clairement que le respect des minorités est un principe de base. Elle indique que les acteurs politiques de l'époque croyaient que le fédéralisme était la structure politique qui permettait de concilier unité et diversité. La Loi constitutionnelle de 1982 est simplement venue réaffirmer l'engagement du Canada envers la protection des droits des minorités et des droits linguistiques.
La Cour suprême du Canada poursuit en indiquant que la poursuite du fédéralisme facilite la poursuite d'objectifs collectifs par des minorités culturelles ou linguistiques qui constituent la majorité dans une province donnée. Le respect des principes démocratiques est également un facteur qui englobe la participation des femmes, des minorités et des peuples autochtones.
Au niveau du principe de constitutionnalisme, la plus haute instance indique que:
Une constitution peut chercher à garantir que des groupes minoritaires vulnérables bénéficient des institutions et des droits nécessaires pour préserver et promouvoir leur identité propre face aux tendances assimilatrices de la majorité.
Elle ajoute:
Même si le passé du Canada en matière de défense des droits des minorités n'est pas irréprochable, cela a toujours été, depuis la Confédération, un but auquel ont aspiré les Canadiens dans un cheminement qui n'a pas été dénué de succès. Le principe de la protection des droits des minorités continue d'influencer l'application et l'interprétation de notre Constitution.
Pour donner l'exemple, la Cour ajoute plus loin:
Des minorités linguistiques et culturelles, dont les peuples autochtones, réparties de façon inégale dans l'ensemble du pays, comptent sur la Constitution du Canada pour protéger leurs droits.
Pour nous, cela devient très clair. Nous ne pouvons procéder à aucun changement constitutionnel qui a le potentiel d'affecter les droits des communautés francophones et acadienne sans que nous ayons eu la chance de pouvoir s'exprimer. La capacité de s'exprimer et d'être consultés sans être un gouvernement élu est un point très important. C'est du moins ce que nous retenons du Renvoi sur la sécession du Québec. Évidemment, une sécession d'une province, surtout le Québec, va directement porter atteinte à nos droits les plus fondamentaux. Nous avons le droit d'être partie prenante du débat, avant, pendant et après tout référendum ou changement constitutionnel proposé qui risque d'affecter nos communautés.
Qui sont ces acteurs politiques? En fait, selon les termes du Renvoi sur la sécession du Québec, les communautés francophones et acadienne sont des acteurs politiques incontournables. Voilà l'essentiel de notre présence devant cet honorable comité ce soir: Nous sommes des acteurs politiques et nous désirons être consultés.
Cette préoccupation de vouloir être présent ne date certainement pas d'hier. Nous étions très heureux du Renvoi sur la sécession du Québec puisque cela venait apporter davantage de légitimité, sinon de légalité, à nos prétentions que nous avons toujours soutenues de façon régulière et constante. Que ce soit lors des négociations entourant l'Accord du lac Meech, l'Entente de Charlottetown ou encore que ce soit lors du dernier référendum de 1995 au Québec, la FCFA a toujours voulu être impliquée, ne serait-ce que par responsabilité minimale envers les communautés que nous représentons.
Le libellé actuel du projet de loi C-20 sur la clarté ne nous accorde aucun moment de consultation. Pourtant, le projet de loi a été amendé pour faire place aux Premières nations, ce que nous soutenons complètement et entièrement. Nul doute qu'un changement constitutionnel de l'ordre envisagé par le projet de loi affecterait les Premières nations et c'est à juste titre que le projet de loi a été amendé.
Les communautés francophones et acadienne veulent se prendre en main. Une façon concrète de mettre ce principe en pratique est de parler en notre nom. Permettez-moi d'ajouter que ce principe s'accorde parfaitement avec les principes directeurs de la Constitution que sont la démocratie et le constitutionnalisme.
Nous avons entendu l'argument selon lequel le projet de loi a été amendé pour les Premières nations parce que ces dernières jouissent d'une protection constitutionnelle prévue à l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. Pourtant, les communautés francophones et acadienne bénéficient également de protections constitutionnelles comme nous l'avons démontré tantôt. Les articles 16 à 20 ainsi que l'article 23 de la Charte ne sont pas simplement des droits individuels. L'article 23 traite des droits à l'éducation. Enfin, l'article 16.1 qui nous indique, pour la première fois au pays, que les communautés française et anglaise ont un statut égal au Nouveau-Brunswick.
Pour les raisons que je viens de mentionner, nous demandons à cet honorable comité de bien vouloir prendre en considération les amendements qui seront présentés par le sénateur Gauthier.
Le projet de loi, tel qu'il est présenté, n'interpelle pas les communautés francophones et acadienne. Mais attention! Nous voulons prendre part au débat, mais nous ne voulons pas débattre maintenant! Laissez-moi préciser notre réflexion là-dessus. Comme nous l'avons mentionné précédemment, la FCFA fera tout afin de s'assurer que les communautés francophones et acadienne ne soient pas les éternelles oubliées dans tout futur débat. Voilà le mot clé: «futur.» S'il y a référendum, nous réagirons au libellé de la question en fonction des intérêts de nos communautés.
La Cour suprême du Canada l'a clairement indiqué dans son avis sur le Renvoi relatif à la sécession du Québec. Pour la cour, il est indéniable qu'une négociation doit avoir lieu. Cette négociation doit se faire en fonction des quatre principes directeurs, dont le respect des minorités.
De plus, nous devrons consulter nos communautés avant de prendre position; nous n'avons pas de mandat de nos associations membres pour prendre d'autres positions en ce moment. Évidemment, lorsqu'il est question de prendre une position qui risque d'affecter irrémédiablement les droits des communautés francophones et acadienne, il serait non seulement impensable mais surtout irresponsable de ne pas prendre le temps de consulter nos communautés.
Nous venons justement de terminer, dans le cadre de notre projet Dialogue, une tournée à l'échelle du pays. Notre projet Dialogue est un projet ambitieux. Nous sommes convaincus qu'il représente une étape importante dans le développement des communautés francophones et acadienne. Nous tendons la main aux anglophones, aux francophones du Québec, aux autochtones et aux communautés ethnoculturelles. Nous espérons qu'une fois que ces gens auront appris à mieux nous connaître, nous pourrons compter sur de nouveaux alliés dans nos efforts pour assurer notre place, en français, au sein de nos communautés de notre pays.
Peu de gens s'en rendent compte, mais cela a pris près de 18 ans, depuis le rapatriement de la Constitution, afin que les provinces et territoires reconnaissent notre droit à la gestion de notre système scolaire et encore, il est souvent remis en question par l'utilisation des fonds fédéraux dans certaines provinces ou territoires. Nos acquis sont précaires, que l'on pense à l'Hôpital Montfort et à la place du français dans la capitale nationale. Nous ne pourrons les maintenir dans l'isolement.
Le moment est donc venu d'ouvrir le débat sur l'avenir de la francophonie canadienne en milieu minoritaire. Nous voulons éviter de nous enfermer dans des concepts préétablis de ce qui est vrai et de ce qui est faux, dans des concepts qui ne servent qu'à esquiver la discussion. Pour nous, il est clair que notre ouverture vers les autres est un gage de nouvelles possibilités.
L'essayiste canadien John Ralston Saul affirmait en septembre dernier, alors qu'il prenait la parole devant des artisans du théâtre franco-ontarien, et je cite:
La force d'une société, c'est la richesse de ses minorités.
Nous ne voulons pas que notre pays s'appauvrisse, nous travaillons au contraire très fort à son enrichissement, à notre enrichissement collectif.
Il nous fera plaisir maintenant de répondre à vos questions.
Le sénateur Beaudoin: Merci d'avoir accepté de comparaître devant nous. Ma question s'adresse aux minorités de langue française hors Québec et concerne principalement l'article 23 sur les droits scolaires. On avait déjà l'arrêt Mahe qui disait que là où le nombre le justifie, les francophones peuvent avoir la direction de leurs écoles et ils peuvent même avoir des commissions scolaires si le nombre est assez considérable. Il y a eu une décision extrêmement intéressante à l'Île-du-Prince-Édouard. Pour la première fois dans l'histoire des droits linguistiques, le juge Bastarache a déclaré que les droits linguistiques scolaires pour la régie des écoles étaient non seulement des droits individuels, mais aussi des droits collectifs. On sait tous que les droits de la Charte canadienne des droits et libertés sont individuels. On sait tous également que les droits des Amérindiens sont des droits collectifs et que les droits confessionnels sont des droits collectifs. Mais pour la première fois, les droits linguistiques scolaires sont collectifs.
Ceci étant le cas, je me demande si vous n'avez pas un statut un peu spécial, même dans la Constitution. À ce moment, peut-être que vous devriez être sur le même pied que d'autres minorités dans d'autres domaines. Par exemple, les Amérindiens, avec l'article 35, ont évidemment des droits collectifs. Je pense que vous pouvez, vous aussi, réclamer ces droits collectifs à la faveur du jugement rendu dans l'affaire de l'Île-du-Prince-Édouard.
Comment envisagez-vous cette consultation? Je n'ai pas eu le plaisir d'entendre mon collègue, le sénateur Gauthier, à ce sujet, mais peut-être qu'il y a possibilité de proposer un amendement.
M. LeBlanc: Vous avez tout à fait raison. Je répondrai en tant que président de la FCFA. Il est vrai que l'arrêt Mahe dit que les droits linguistiques sont un compromis linguistique, qu'il faut laisser le politique en disposer et laisser les gouvernements faire à leur gré. L'arrêt Beaulac dit que c'est plus qu'un compromis politique et qu'il y a des communautés et une société derrière ces droits prévus comme individuels. Il y a une collectivité. M. Bastarache signe clairement avec les autres juges qu'il faut soutenir ces collectivités. Ces droits n'ont pas de sens si personne ne peut les utiliser. L'égalité des communautés anglophones et francophones, effectivement, nous donne un statut important. L'avis sur le Renvoi relatif à la sécession du Québec nous désigne comme un acteur important.
À la FCFA, on a toujours revendiqué l'Accord du lac Meech et l'Entente de Charlottetown. On a participé à ces exercices de façon ad hoc. Je pense aux consultations que M. Clark avait eues autour de l'Entente de Charlottetown. On était là, mais notre entrée était toujours un peu ad hoc. Nous n'avons pas élaboré de position sur un statut spécial. Cependant, nous avons toujours dit que nous devons être consultés. J'ajouterais qu'on n'est pas des gouvernements. On ne prétend pas cela. Il y a des gouvernements qui représentent les citoyens, qui sont élus au suffrage universel. Étant donné qu'on est une minorité, on a des structures communautaires, qui sont aussi élues, qui sont nos structures démocratiques et qui ont une place dans le déroulement d'une future négociation ou discussion.
Le sénateur Beaudoin: J'en vois une de la façon suivante. On dit dans l'avis sur le Renvoi relatif à la sécession du Québec que tout doit se faire en considérant les grands principes de base: constitutionnalisme, règles de droit, fédéralisme et droit des minorités. Vous êtes des minorités, mais depuis le jugement de l'Île-du-Prince-Édouard par la Cour suprême du Canada, qui est unanime d'ailleurs, je pense qu'il y a deux dissidences. Cependant, c'est très fort, c'est sept à deux. Vous êtes non seulement des minorités avec des droits constitutionnels, mais maintenant avec des droits collectifs. Ce qui est pris en ligne de compte. Si les Amérindiens ont des droits collectifs, vous pouvez aussi dire que vous avez des droits collectifs. En ce sens, vous êtes reliés directement aux droit des minorités et aussi droits linguistiques. À ce moment, cela pourrait justifier que vous soyez obligatoirement consultés. J'imagine que vous allez être d'accord avec cela. C'est un argument qu'il faut mettre de l'avant.
[Traduction]
Le sénateur Furey: Merci d'être venus ce soir, messieurs. Lorsque le professeur Hogg a témoigné devant notre comité, il a fait remarquer que les vues des minorités seraient importantes dans toute négociation. Toutefois, il a déclaré que la détermination de la clarté de la question référendaire et de la majorité n'aurait pas une incidence directe sur les droits des minorités. Qu'en pensez-vous?
[Français]
M. LeBlanc: Pour nous, il est certain que ce débat va se faire On est en train d'étudier le projet de loi pour préparer la scène, comment les choses vont se faire. On ne se sent pas nécessairement interpellés par ce débat. On a des intérêts comme minorité francophone, on va réfléchir à la clarté de la question, au processus, s'il y a un processus de négociation. Cela va avoir des impacts directs. L'important pour nous c'est d'être consultés sur les sujets qui nous touchent et sur les impacts que nous allons vivre ou subir. C'est cette voix que nous réclamons. C'est cette consultation, soit comme minorité telle que décrite dans le Renvoi, soit comme groupe ayant des droits collectifs à la lumière des nouveaux jugements. C'est cela pour nous l'important. C'est là réflexion de la fédération. Le gouvernement fédéral ne peut pas nous mettre de côté sur cette question.
[Traduction]
Le sénateur Furey: Essentiellement, vous êtes d'accord avec M. Hogg pour dire que ce serait à l'étape des négociations que vous pourriez intervenir?
[Français]
M. Boileau: Les communautés francophones et la fédération sont venues vous dire aujourd'hui que nous voulons être partie prenante à toute discussion entourant toute modification constitutionnelle ou encore sur une sécession d'une province. Avant, pendant et après. Le doyen Hogg a effectivement bien expliqué que nous étions là simplement au moment des négociations. Toutefois on ne peut pas exclure les communautés francophones et acadienne d'un débat qui risque de les affecter invariablement et qui risque de nous toucher. La fédération vous dit ce soir que nous voulons être partie prenante au débat mais attention on ne veut pas nécessairement faire le débat ce soir sur la clarté de la question. Il n'est pas question non plus de s'interposer dans le débat d'une question posée par l'Assemblée nationale du Québec. C'est plutôt de savoir, lorsque cette discussion aura lieu, que nous ferons partie du processus. Comme projet de loi C-20 est un processus qui engage le Parlement fédéral, c'est dans ce processus que nous voulons avoir notre voix.
[Traduction]
Le sénateur Furey: Si je me souviens bien, il a dit que la question de la clarté n'était pas directement liée à la protection des droits des minorités. Êtes-vous d'accord?
[Français]
M. Boileau: C'est difficile d'être d'accord ou de ne pas être d'accord lorsqu'on ne connaît pas nécessairement la question ou lorsqu'on n'est pas dans le contexte d'un débat référendaire. Nous comprenons très bien les arguments du doyen Hogg. Cependant, nous émettons certaines réserves, parce que répondre dans l'affirmative ferait en sorte que d'avance on délègue toute responsabilité envers nos communautés à d'autres groupes ou à d'autres niveaux. Ce n'est pas le cas. On veut être partie prenante au débat et lorsqu'il y aura un débat peu importe sa nature, la FCFA et ses membres auront leur mot à dire.
La présidente: J'aimerais poursuivre un peu dans la même veine. Je me ferai l'avocat du diable. J'essaie de comprendre votre position. Je ne vois pas comment vous concevez le processus. Allons tout de suite au processus de l'étape de la négociation.Il y a eu une question claire et un référendum clair. On arrive à la sécession et aux négociations qui l'entoure. Je vois bien que la sécession du Québec aurait un effet catastrophique pour vous et pour moi, en tant que Québecoise anglophone, et pour ma communauté. Cependant, je ne vois pas en quoi cet effet catastrophique pour vous serait constitutionnel. Ce serait démographique, social ou autre, mais je ne vois pas en quoi la négociation constitutionnelle qui entourerait la sécession affecterait cela? Comment voyez-vous que vos intérêts seraient transgressés?
M. LeBlanc: Tout pourrait être mis sur la table. Je ne pense pas qu'il y ait des choses qui soient sacrées, comme le droit des minorités, les droits linguistiques ou la loi 88. Je ne suis pas juriste, j'ai fait des études en sciences politiques. Toutefois, du moment que la structure fédérale, la répartition des pouvoirs telle qu'elle est à l'heure actuelle avec les droits acquis, du moment qu'on reconfigure tout cela, tout peut être remis en question. On pourrait déléguer les droits linguistiques aux provinces comme un parti politique le revendique à l'heure actuelle. Pour nous ce serait très difficile. Il y aurait vraiment une perte de droits importants. Du moment qu'on est dans cette question hypothétique, tout le monde s'entend pour dire que tout serait négociable sur le plan des droits constitutionnels que nous avons. C'est à partir de cela qu'on dit vouloir une voix pour ne pas qu'il y ait dillution de ces droits acquis.
La présidente: Vous prévoyez donc une refonte totale de toute la Constitution canadienne?
M. LeBlanc: Je ne vous donnerai pas une réponse politique dans le sens qu'il y a six millions de francophones au Québec et nous sommes un million. Il y a un rapport de «realpolitik» en relation internationale. Il y a un rapport de force évident. Je ne crois pas que la volonté des gouvernements provinciaux existe et qu'ils seraient au front pour défendre les minorité francophones. Il faut, selon mon état d'esprit, prévoir que tout pourrait être remis en question. Il n'y a pas d'acquis automatique ou sacré. C'est mon avis.
Le sénateur Nolin: Vous nous présentez ce soir le danger pour les minorités francophones qui vivent à l'extérieur du Québec. D'après vous si vous n'êtes pas partie prenante à la négociation de cette sécession, vos droits linguistiques tels qu'ils sont reconnus actuellement tant par la Constitution et la Charte que par les arrêts des tribunaux seraient en danger? Est-ce votre position?
M. LeBlanc: Tout à fait, c'est notre position. Vous l'avez bien exprimée. Je suis à l'aise avec les termes que vous avez utilisés, en danger, remise en question ainsi de suite. Ce ne serait pas un fatalisme non plus. Je vous donnerait l'exemple de la communauté acadienne qui a eu des acquis par elle-même avant même qu'il y ait un État providence. La communauté acadienne s'est développée bien avant l'appui d'un État fédéral. Cependant il reste que pour l'infrastructure que nous avons aujourd'hui, l'appui de l'État fédéral est très important. C'est comme cela dans beaucoup des fédérations. L'État fédéral a des responsabilités envers les minorités et c'est cela qui serait remis en question. Je suis à l'aise avec votre terminologie.
Le sénateur Gauthier: Je ne pense pas qu'en réponse à la question de la présidente que vous avez été assez clair. Il n'est pas question pour nous de négocier. Vous l'avez dit tantôt, vous n'étiez pas un gouvernement. La question de la présidente était un peu en ce sens, à savoir si vous vouliez négocier. Voulez-vous lui répondre que vous n'avez pas l'intention de négocier?
M. LeBlanc: Je l'ai dit dans mon intervention tantôt, nous ne sommes pas une structure de gestion gouvernementale quelconque, mais une structure communautaire élue par les communautés francophones. J'ai compris votre question à l'effet que la structure constitutionnelle serait imperméable ou certaines choses seraient imperméables à une négociation, et je ne pense pas que ce soit le cas. Je pense qu'elle sera perméable et que la question des droits des minorités, des acquis qui sont aux alinéas 16 à 20 de l'article 23 pourront être mis sur la table.
Lorsqu'on imaginera de nouveau une autre structure, il n'y aura rien de sacré. Prétend-on vouloir être un des éléments négociateurs? Je ne pense pas que ce soit le cas. J'ai senti que nous étions clairs là-dessus, à savoir que nous ne sommes pas un État, mais une voix des communautés francophones et acadienne. Par contre, nous voulons absolument être consultés.
Le sénateur Gauthier: Vous voulez être consultés?
M. LeBlanc: Oui.
Le sénateur Gauthier: C'est ce que les autochtones ont gagné avec l'amendement de la Chambre des communes. Pas plus, pas moins. Le sénateur Beaudoin a soulevé une question sur les droits collectifs qui m'intéresse énormément et qui a été l'objet d'une grande discussion en 1982. J'ai toujours soutenu que nous, les minorités de langue officielle, avions des droits collectifs. Tous les autres disaient que c'était de la foutaise. Nous sommes allés en cour plusieurs fois car nous soutenions avoir des droits collectifs parce qu'on les exerce, par exemple, en éducation. Je vous en donne un autre : vous êtes membre d'un syndicat, vous ne pouvez pas faire la grève tout seul. C'est un droit de protester contre le patron, mais vous ne pouvez pas l'exercer seul, vous l'exercez en groupe. C'est la même chose pour les catholiques et les protestants, ce sont des droits collectifs. Mais cela n'a jamais été défini. On m'a toujours dit la que la Charte des droits et libertés est une charte des droits individuels, c'est vrai, mais elle s'exerce aussi de façon collective.
Monsieur LeBlanc, advenant qu'une question référendaire soit posée au Québec, vous ne demandez qu'à être consultés ou avoir le pouvoir de donner votre opinion sur cette question et, après le résultat du référendum, être consultés sur la façon dont la minorité s'est exprimée. C'est bien ce que vous voulez?
M. LeBlanc: Oui, on veut un espace pour s'exprimer. On sent que dans le renvoi, lorsqu'on désigne le respect des minorités, nous sommes interpellés dans cette partie du Renvoi et on sent que nous sommes cet acteur communautaire, sans prétendre être un État.
Le sénateur Gauthier: Comme vous l'avez dit tantôt, la masse critique en Acadie est là depuis longtemps. Nous n'avons pas cela ailleurs au Canada, une masse de 300 000 francophones dans une région d'un pays. Nous sommes 500 000 en Ontario, mais nous sommes éparpillés partout. Tout ce que je demande au Parlement et au gouvernement canadien, c'est de s'assurer qu'on ait un mot à dire advenant qu'il soit question de poser un geste qui serait dévastateur pour nous et qui serait, éventuellement, le premier pas vers la séparation de mon pays.
En tant que président de la Fédération des communautés francophones et acadienne, je pense bien que vous soyez d'accord avec moi que si cela survenait, nous aurions à ce moment-là de sérieux problèmes. Je peux vous donner des exemples où le ressac de la part de la majorité anglophone du Canada serait terrible pour nous. Vous vous souvenez de ce qui est arrivé lorsque le Québec a décidé de faire une loi sur la langue, sur l'affichage, et de donner des directives fermes sur l'usage des deux langues. Un ressac s'est produit en Ontario et 70 municipalités se sont immédiatement déclarées unilingues anglaises en protêt contre une loi qu'ils ont mal comprise, je crois. Avez-vous quelque chose à dire à ce sujet?
M. LeBlanc: Dans la mesure où il y a un poids et un équilibre politiques qui sont présents et que cela peut être remis en cause, effectivement nos droits peuvent être remis en question. En même temps, cela dépend des gouvernements. J'arrive du Manitoba et la communauté franco-manitobaine a un appui important de la part du gouvernement manitobain. On pourrait imaginer que ce gouvernement irait au front pour défendre certains acquis de la communauté. M. Doer a vraiment une volonté de faire des choses. Ce n'est évidemment pas la même chose pour d'autres gouvernements.
Je crois que le «realpolitik» comme on dit en anglais, ferait en sorte que notre situation deviendrait plus précaire et que tous les acquis ou outils de développement qu'on a obtenus dans les 30 dernières années seraient remis en cause. On a comme francophones constamment exprimé la solidarité, avec nos compatriotes québécois francophones, qu'un Québec fort pour nous est très important. Montréal est une métropole culturelle francophone pour nous. Je suis un gars de Moncton, et je considère très important, pour moi et ma famille, le dynamisme de Montréal ou du Québec. Ce n'est pas une abstraction, c'est la réalité canadienne. Alors il faut exprimer cela à nos collègues anglophones, c'est important. Pourquoi? Pour protéger la langue française dans nos communautés et partout au Canada. Si on remettait tout cela en question, la réalité politique remettrait en question plusieurs de nos acquis.
Le sénateur Joyal: Je voudrais porter à votre attention, dans le sens des arguments qui militent en faveur de la reconnaissance d'une société francophone ou d'une communauté francophone plus large, l'article 93(4) de la Constitution qui permet au gouvernement canadien de prendre une initiative pour redresser des lois iniques à l'égard des droits à l'éducation -- et on se souvient de l'affaire du Manitoba de 1898. Ce sont des droits qui ne s'adressent pas uniquement à un individu, mais ils sont pris collectivement puisqu'il s'agissait de l'exercice des droits scolaires à l'intérieur d'une structure confessionnelle. C'était évidemment que la structure en cours à ce moment-là, mais fondamentalement ce à quoi on a référé en 1867 dans cet article, c'était la protection d'une communauté qui s'identifiait aux structures religieuse et linguistique.
Par conséquent principalement religieuse, mais on savait très bien à qui on faisait référence à cette époque. On faisait référence aux personnes qui s'exprimaient en langue française, parce qu'on savait que c'était la très grande dominante de la société qui parlait français à ce moment-là. J'aimerais que vous reteniez cet article comme un des articles importants parce qu'il date de l'origine de la Confédération. Il ne vient pas, comme les articles 16 à 23, dans une étape subséquente, plusieurs années plus tard. C'est peut-être là l'indice le plus important des droits de la communauté.
Le point sur lequel j'aimerais attirer votre attention, et vous ne l'avez pas mentionné, c'est le jugement Montfort. Ce jugement qui a basé son ratio decidendi, qui a défini la raison pour laquelle ils ont reçu la requête de Montfort, sur la base de l'interprétation des quatre principes auxquels vous référez et principes élaborés par la Cour suprême dans l'affaire de la sécession du Québec.
L'essentiel du jugement est de dire que la communauté francophone en Ontario est une communauté vulnérable. Quand elle a pris l'initiative de se donner des institutions, on ne peut les lui enlever sans l'affaiblir, et cela vaut autant pour la communauté anglophone au Québec que la communauté francophone. Le principe est bon à l'échelle canadienne, et il n'est pas moins bon parce qu'il s'agirait d'une communauté minoritaire de langue officielle dans un autre contexte social.
Par conséquent, je trouve extrêmement important que ce jugement serve d'appui parce que cela signifie que vous avez des droits acquis qui sont constitutionnalisés sur la base des principes qui sont reconnus dans le jugement. Évidemment, le jugement est en appel on le sait, mais il n'en demeure pas moins que c'est une interprétation fondée sur la référence dans l'affaire du Québec. Ne pourriez-vous pas élaborer davantage sur votre interprétation ou sur la façon de pouvoir soutenir ce que vous nous demandez aujourd'hui, sur la base de ce jugement?
M. LeBlanc: Vous avez tout à fait raison. Pour nous, ce jugement rendu par la Cour divisionnaire de l'Ontario, est important. Nous allons demander à être intervenant dans cette cause en appel. Ces principes constitutionnels non écrits qu'on invoque sont très importants et ils s'inspirent du renvoi sur la sécession. Déjà dans notre vocabulaire institutionnel, on intègre ces principes, mais on attend de voir le résultat de cet appel. Je vous remercie de noter l'article 93(4) sur les collectivités religieuses à l'époque. C'est un point important étant donné que c'était la Loi constitutionnelle de 1867. J'ai invoqué l'arrêt Beaulac et le renvoi sur la sécession avec un peu d'appréhension parce que le jugement est en appel. On peut prévoir que cela finira en Cour suprême et risque d'être un jugement très important. On a beau donner des droits aux langues, le droit de s'exprimer, d'être compris, des droits individuels, s'il n'y a pas de collectivité, de communauté ou d'institutions pour ces minorités vulnérables, ces droits ont très peu de sens. C'est vulgariser ce que la Cour suprême nous a dit dans les arrêts Summerside et Beaulac.
[Traduction]
Le sénateur Joyal: Pensons à l'attitude du gouvernement actuel de l'Ontario qui a décidé de contester le jugement dans l'affaire Montfort et refusé de reconnaître le caractère bilingue d'Ottawa. Supposons que c'est le gouvernement Harris qui est à la table de négociation. Que pourrait-on attendre de pourparlers où l'on négocierait dur sur les frontières et d'autres questions tout aussi pressantes? Vous seriez le dernier point à l'ordre du jour, le point dont on discuterait à la fin de la journée, quand tout le monde est épuisé d'avoir dû faire de si nombreux compromis dans toutes sortes d'autres domaines. Le poids politique des minorités est minime, pour ne pas dire nul, pour bien des gouvernements au Canada.
[Français]
M. LeBlanc: Vous avez répondu à votre question.
Le sénateur Corbin: Je suis francophone du Nouveau-Brunswick. J'ai 32 ans de vie sur la scène politique fédérale, 16 ans en tant que député, 16 ans en tant que sénateur. J'étais membre du premier comité de la première Loi sur les langues officielles. J'ai fait partie du comité du rapatriement de la Constitution avec les sénateurs Joyal, Murray et d'autres de nos collègues de l'époque. J'ai appuyé l'inclusion dans la Charte des droits des communautés francophones du Nouveau-Brunswick. Je ne pense pas avoir la réputation d'être un mou sur le plan de la défense des droits des communautés francophones minoritaires, au contraire. Du moins, c'est la conviction que j'ai. Appuyez-vous ce projet de loi?
M. LeBlanc: La position de la Fédération des communautés francophones et acadienne du Canada est d'être consultée, d'avoir une voix au débat. Il s'agit de s'assurer que lorsque nos enjeux seront sur la table, qu'on puisse s'exprimer et être entendus.
Le sénateur Corbin: Vous avez déjà été consultés même en l'absence d'articles dans un projet de loi qui obligerait les gouvernements à le faire. Vous et vos prédécesseurs avez certainement le don de faire valoir vos revendications. C'est pour cela que je vous demande si vous avez vraiment besoin de ce projet de loi pour être consultés et faire valoir vos opinions. Vous avez parlé tantôt d'une plus grande bonne volonté qui existe de part et d'autres au Canada. Cependant, la Canada West Foundation, qui comparaissait devant ce comité le 1er juin dernier, a dit que si le Québec faisait la sécession, c'en était fini du bilinguisme au Canada, ce serait l'unilinguisme anglais. À Shawinigan, en 1995, lors du lancement de la campagne référendaire des troupes fédéralistes, la dernière phrase du discours du premier ministre, l'honorable Jean Chrétien, était: «La séparation du Québec, jamais, c'est non».
Ce projet de loi a-t-il pour but de bloquer la séparation du Québec si c'est la volonté démocratique des Québécois d'aller en ce sens?
M. LeBlanc: Il faudrait demander au premier ministre et à son équipe. Je n'en ai aucune d'idée.
Le sénateur Corbin: Vous avez analysé le projet de loi, non?
M. LeBlanc: On a analysé le projet de loi et à la lumière des discussions avec certains de vos collègues, nous pensions qu'il y avait une possibilité pour nous d'être consulter lorsqu'il y aurait un processus référendaire. Nous pensions aussi qu'étant donné que les communautés francophones et acadienne n'ont pas de gouvernement, il serait approprié que les structures démocratiques de la Francophonie, des communautés francophones et acadienne puisse avoir une voix. C'est ce qui est important pour nous. C'est là où nous en sommes. Je vous donne des exemples. Je pense à l'entente de Calgary. J'étais président de la FCFA à ce moment et il était fort difficile de se faire entendre. On a été consulté. On a rencontré M. Dion, mais nous n'étions pas partie prenante parce qu'on n'a pas de gouvernement. On ne veut pas prétendre être un gouvernement, mais il faut réussir à établir une voie de communication, un lieu de débat, un lieu pour que les voeux, les besoins de la Francophonie canadienne soient entendus. C'est ce qui est important. Nous avons cette difficulté même si un Acadien, le premier ministre du Nouveau-Brunswick, représente une province. Il a ses commettants et n'a pas uniquement la vision de la communauté francophone et acadienne. Comme le sénateur Beaudoin et d'autres l'ont exprimé, il y a des droits qui dépassent simplement le droit individuel de parler français au Canada; et la Cour suprême le confirme de plus en plus. Il y a des droits collectifs comme l'exemple du Nouveau-Brunswick le donne. Ces collectivités doivent avoir une voix au chapitre des débats. C'est ce qui est important pour nous.
Le sénateur Corbin: Le premier ministre du Canada a dit: «Si le Québec se sépare, les minorités, c'est fini». Croyez-vous à cela?
M. LeBlanc: Je l'ai bien exprimé tantôt. Je ne suis pas de l'école fataliste. Je vis à Moncton. La communauté acadienne a des institutions depuis le XIXe siècle. Bien avant qu'il y ait un appui de l'État fédéral. On pourra quand même avoir une certaine vitalité. Cela étant dit, le «realpolitik» dont je faisais allusion tantôt, fait en sorte que les gens de la Canada West Foundation et comme certains gouvernements canadiens et d'autres, n'ont pas en priorité à l'agenda le développement du fait français en milieu minoritaire au Canada. Si le Québec quitte la Fédération canadienne, cela va sensiblement compliquer les choses.
[Traduction]
Le sénateur Banks: J'aimerais d'abord vous poser une question, madame la présidente, si vous me le permettez, car j'aimerais que vous me conseilliez avant que je pose ma question aux témoins. J'aimerais faire suite aux questions du sénateur Furey, qui ont suscité mon intérêt. Il me semble que nous discutons maintenant de choses qui ne relèvent pas directement de ce projet de loi. Nous discutons ici de négociations sur la séparation du Québec, qui suivrait un référendum, et non pas du référendum même, qui est le sujet du projet de loi C-20.
La présidente: Vous avez probablement raison, monsieur le sénateur. Mais il arrive que les comités du Sénat s'écartent du sujet pour approfondir leur compréhension. Toutefois, si vous voulez parler du projet de loi C-20, n'hésitez pas à le faire.
Le sénateur Banks: C'est ce que j'aimerais faire. Il est impossible de ne pas penser au spectre de ce qui suivrait les événements que nous examinons. Toutefois, en ce qui concerne le projet de loi comme tel, les consultations dont fait mention le projet de loi -- les opinions qui seraient sollicitées et prises en compte par la Chambre des communes aux termes de ce projet de loi -- portent sur deux questions: la clarté de la question référendaire et la clarté du résultat du référendum sur cette question.
Souhaitez-vous que la communauté francophone hors Québec ait un rôle consultatif à jouer dans la détermination de ces deux questions qui, même si les autres questions sont délicates et importantes, constituent le fondement de ce projet de loi?
[Français]
M. Boileau: On comprend très bien votre question, sénateur. La difficulté que la FCFA a à dire non à ce sujet: «non, ce n'est pas grave si on n'a pas été consulté sur la clarté de la question, non, ce n'est pas grave si on n'est pas consulté sur la majorité.» C'est un peu troquer à l'avance ce qui pourrait être d'intérêt pour nous et les questions qui peuvent être posées dans le cadre d'un débat futur. Il n'y a pas de débat en ce moment, on se comprend bien. On va devoir tenir compte de tout un contexte. Ce contexte va nous dicter si oui ou non nous prendrons une position. Peut-être qu'à ce moment, ce ne sera pas la peine d'être consultés. Devrais-je me reprendre et dire que nous serons consultés et on dira peut-être que pour nous la question est claire ou les résultats du vote sont très clairs. Le point n'est pas là, le point est de pouvoir être consultés. C'est cette possibilité d'être consultés qui est importante. Le processus est parfois aussi important que le résultat, dans ce cas-ci, le processus est très important. C'est le projet de loi C-20 qui interpelle le Parlement fédéral. Lorsque le Parlement fédéral prendra une décision, et si dans son projet de loi C-20 il prend la peine de préciser qui il devra consulter, comme, par exemple, les Premières nations, il nous semble évident que les communautés francophones et acadienne ont intérêt à être consultés. Encore là, peut-être n'aurons-nous pas grand chose à dire sur la clarté de la question. Cela dépendra de notre membership. Il faudra vérifier auprès de nos communautés à savoir ce qu'ils pensent de la clarté de la question, de la clarté du vote, et cetera. Au moins nous aurons cette possibilité.
Comme l'a dit tantôt le sénateur Nolin, cela ne nous empêchera pas d'avoir notre mot à dire si nous ne sommes pas inclus dans le projet de loi C-20. Je ne pense pas que la fédération va soudainement se renfermer et dire que puisque nous ne sommes pas inclus dans le projet de loi C-20, nous ne pourrons pas parler. Sauf que notre inclusion dans le projet de loi C-20, réaffirme une fois de plus que nous sommes des acteurs politiques et que nous voulons participer à tout débat qui entoure le futur des communautés francophones et acadienne.
[Traduction]
Le sénateur Banks: J'en conclus que la modification constitutionnelle à laquelle vous avez fait allusion dans votre exposé ne se limite pas au projet de loi C-20 en particulier et que vous n'avez pas non plus fait valoir que le projet de loi C-20 en soi est une modification constitutionnelle.
M. LeBlanc: Cela ne se limiterait pas au projet de loi C-20.
[Français]
Cela incorporait toute modification constitutionnelle qui concerne les communautés.
Le sénateur Bolduc: Si je comprends bien, à l'article 1 (5), on dit, et je cite:
Dans le cadre de l'examen de la clarté de la question référendaire, la Chambre des communes tient compte de l'avis de [...]
S'il était indiqué que l'avis des associations des minorités linguistiques, comme cela est indiqué pour les représentants des peuples autochtones, vous seriez satisfait de cela?
M. LeBlanc: Cela pourrait être une formule acceptable.
Le sénateur Bolduc: Cela pourrait être un amendement au projet de loi qui tiendrait compte de vos représentations?
M. LeBlanc: Oui, sénateur Bolduc.
Le sénateur Poulin: Monsieur LeBlanc, maître Boileau, monsieur Barrette, je vous remercie de votre présence parmi nous ce soir. Nous aimerions vous féliciter à l'occasion de votre 25e anniversaire. Je me souviens de l'avant fédération où l'on se rencontrait aux états généraux une fois par année, la plupart du temps à Montréal. Nous étions tous des Canadiens français d'un bout à l'autre du pays où l'on discutait des dossiers en commun. Il est dommage que nous ayons été obligés de former cette fédération parce que nos alliances et notre attachement au Québec sont historiques et se continuent.
Ceci dit, j'ai été très touchée par votre présentation concernant certains messages que vous nous avez transmis surtout touchant l'unité et la diversité. Le fait qu'au Canada on ne tolère pas seulement les différences, mais on les encourage a progressé. Un bon exemple des différences c'est justement notre vie en tant que minoritaires dans toutes les provinces du Canada. Nos acquis sont précaires et on se rend compte tous les jours qu'ils demeurent précaires.
J'abonde dans le sens du sénateur Banks. Je regarde l'esprit du projet de loi C-20, espérant que nous n'aurons jamais à mettre en application cette législation. Nous avons choisi d'interpréter les mots «acteurs politiques» en termes de gouvernance, mais aussi en termes «d'acteurs politiques» à la Chambre des communes. Je représente le nord de l'Ontario au Sénat. J'appuie donc vos commentaires.
Je regarde les acteurs politiques à la Chambre des communes comme étant les représentants des minorités d'un bout à l'autre du pays. Si on jette un coup d'<#0139>il uniquement à ma famille politique, les libéraux, je vois M. Bakopanos représentant d'une minorité linguistique du Québec, M. Bélair, M. Bélanger, M. Bellemare, M. Bonin, M. Boudria, ce sont tous des députés de l'Ontario et Mme Bradshaw des Maritimes, M. Duhamel député de l'Ouest. En ce qui a trait aux acteurs politiques je prends pour acquis que vous êtes de l'avis qu'à la Chambre des communes nous sommes bien représentés en tant que minorités. Seriez-vous d'accord?
M. LeBlanc: Ce sont des conjonctures; des élections sont tenues et des députés sont élus. Moncton est un bon exemple, Mme Arsenault est une Acadienne, mais c'est la première acadienne à être élus depuis 125 ans de Parlement. Ce sont des conjonctures, mais il reste qu'il y a quand même des concentrations qui font en sorte que nous avons une présence historique à la Chambre des communes. Je dis toujours que ces gens peuvent parler pour nous à l'intérieur du caucus, ils respectent la ligne de parti. Dans le système parlementaire britannique à la Chambre des communes la ligne de parti est un fait.
Le sénateur Poulin: Je n'ai pas nommé les minorités que l'on retrouve chez les conservateurs et le NPD.
M. LeBlanc: Absolument, il y a une représentation. Il y a un pouvoir des communautés francophones et acadienne qui est présent. Il est toujours important pour les communautés de s'exprimer. Cela fait 30 ans que nous bâtissons un réseau d'infrastructure, de gestion scolaire, de développement économique en santé. Ces gens ont des structures démocratiques et leur voix m'apparaît importante dans les délibérations. Ils parlent véritablement au nom de ces communauté tout en ayant un appuie politique.
Le sénateur Poulin: J'ai relu le projet de loi C-20, et peut-être que je comprends mal, mais je n'y retrouve rien quant à ce qui vous empêcherait de donner votre opinion après avoir consulté votre membership dans le délai prescrit de 30 jours pour faire l'interprétation de la question. Je prends pour acquis, selon l'article 1(5) et tout autre avis estimés pertinents, que cela incluait mon groupe -- les minorités linguistiques. Telle que je connais notre fédération, qui n'a jamais été passive, je la voyais jouer un rôle proactif en allant de l'avant pour donner son opinion sur la clarté de la question à la Chambre des communes.
M. LeBlanc: Nous venons ici demander une précision, appuyés en cela par des discussions que nous avons eues avec d'autres sénateurs. Les communautés francophones sont des acteurs politiques lorsque la Cour suprême parle, dans son renvoi, de «minorités». Soyons spécifiques et disons que les communautés francophones et acadienne sont une voix à être entendue en ce moment.
Selon mon expérience, il y a généralement de la bonne volonté. J'ai donné l'exemple de l'Entente de Calgary. Sans prétendre être un gouvernement, notre voix doit réussir à pénétrer l'espace politique et à être entendue.
Le sénateur Gill: Vous dites que selon le projet de loi, les autochtones doivent être consultés. Vous dites «comme les autochtones». Voulez-vous établir un parallèle entre vos groupes francophones et des groupes anglophones de la même manière que les autochtones le font? Sans entreprendre de débat, je ne pense pas qu'il s'agisse des mêmes assises. Je ne pense pas non plus que nous soyons servis de la même façon au pays. Croyez-vous que cela fasse avancer le débat?
M. LeBlanc: Dans ma présentation, je ne pense pas avoir dit «comme les autochtones». Par contre, dans mon texte, d'après l'article 35, s'il y a reconnaissance de la place des autochtones, nous, comme collectivité, devons avoir une reconnaissance constitutionnelle également.
Je viens de terminer une tournée du Canada et je peux vous assurer, selon le discours que j'ai entendus des Métis, des Inuits et des autochtones, que nous ne voyons pas les choses dans même perspective qu'eux. Le discours est différent -- la revendication territoriale, le processus de réconciliation que l'Assemblée des Premières Nations développe, et cetera. C'est une logique à part. Cependant, pour avoir parlé avec plusieurs Mi'kmaqs des provinces atlantiques, en ce qui concerne notre volonté de retransmettre notre langue, de préserver notre culture ou notre différence, cet objectif est le même, sauf que les moyens et le discours sont très différents. Il n'y a pas de doute là-dessus.
[Traduction]
Le sénateur Milne: Mes questions sont essentiellement dans le sillage de celles qui viennent d'être posées mais sont très pragmatiques. Je comprends ce que vous dites sur vos droits collectifs et la nécessité de les protéger. Je comprends aussi que ce sera très important lors de négociations éventuelles, à une étape ultérieure. Toutefois, vous dites que le projet de loi C-20 ne vous donne pas la possibilité d'être consultés. Du point de vue pratique, qui le gouvernement devrait-il consulter? Y a-t-il un groupe qui soit représentatif? Êtes-vous un organisme représentatif? Qu'en est-il des francophones du nord de l'Ontario? Qu'en est-il de Georgetown, ville voisine de la mienne, qui compte une grande collectivité francophone? Qu'en est-il de la région de Windsor, des Prairies et du Nord? Y a-t-il un groupe représentatif, plus ou moins élu, plus ou moins gouvernemental, que le gouvernement pourrait consulter?
[Français]
M. LeBlanc: Nous développons notre infrastructure depuis 30 ans. Depuis 20 ans, si je prends le domaine de l'éducation, notre infrastructure comprend des conseillers scolaires et des écoles homogènes francophones. La communauté a créé des lieux de pouvoir. Ce sont des lieux de gouvernance, mais ce ne sont pas des gouvernements ou des États. Les communautés renferment dans leurs infrastructures politiques ce que nous appelons des groupes porte-parole. Dans chaque province, nous retrouvons un groupe porte-parole.
[Traduction]
Le sénateur Milne: On procéderait province par province?
[Français]
M. LeBlanc: Oui, voilà, par province et territoire. À l'Île-du-Prince-Édouard, la Société Saint-Thomas-d'Aquin est le porte-parole reconnu par Pat Binns et son gouvernement. La fondation de cette société remonte au XIXe siècle, aux environs de 1881. L'infrastructure est en place, il faudra voir comment cela pourrait se restructurer. Il y a de nombreuses façons d'avoir des consultations avec une communauté.
Nous fédérons neuf provinces et trois territoires hors Québec et nous travaillons avec des groupes nationaux aussi. Je suis assez à l'aise pour dire que l'infrastructure communautaire existe et que ses membres ont une opinion qui mérite voix au chapitre.
[Traduction]
Le sénateur Milne: Alors, je ne comprends pas comment votre association fonctionne. Votre organisation est-elle bénévole? Avez-vous été élu au poste que vous occupez?
[Français]
M. LeBlanc: Notre fédération est constituée de groupes porte-parole dans chacune des provinces. Ces groupes rassemblent des membres individuels, certains sont des fédérations aussi. Au Manitoba, par exemple, existe la Société franco-manitobaine. Ses représentants, selon moi, sont reconnus par leur gouvernement provincial comme la voix de la communauté francophone au Manitoba. La Société franco-manitobaine chapaute d'autres groupes connexes tels que les groupes de jeunes francophones et de femmes francophones du Manitoba, par exemple. Il y a une infrastructure assez élaborée.
Au Nouveau-Brunswick, par exemple, il existe au-delà d'une quarantaine d'organismes francophones. Même les municipalités francophones, au Nouveau-Brunswick, ont une association. Alors l'infrastructure est relativement développée. Nous fédérons les groupes porte-parole dans chacune des provinces. Ils sont membres de la FCFA, et par leur entremise, nous délégons une représentation auprès de l'État fédéral, principalement auprès du gouvernement fédéral, de la Chambre des communes et du Sénat. C'est ainsi que nous sommes structurés.
Nous sommes aussi reconnus par l'État fédéral. M. Chrétien, ou M. Pelletier, ou des ministres du Cabinet quand ils veulent échanger des idées au sujet des minorités francophones vont consulter la FCFA ou d'autres groupes. Notre crédibilité se fonde sur notre histoire et sur les positions que nous avons prises. Nous ne sommes pas un gouvernement et nous ne le prétendons pas. Nous ne sommes pas élus au suffrage universel, mais nous avons une légitimité de par nos structures démocratiques communautaires.
Le sénateur Nolin: Il y a eu à quelques reprises ce soir référence au fait que nous discutions en surface avec nos témoins du projet de loi. Dans un premier temps, j'aimerais rappeler que la négociation qui va suivre une question claire et une réponse claire fait partie du projet de loi C-20, à l'article 3.
[Traduction]
Le sénateur Milne: À ce moment-là, absolument. C'est le processus précédent qui me préoccupe.
[Français]
Le sénateur Nolin: C'est justement sur ce point que je pose ma question à nos témoins. À l'article 3(2), à la toute dernière ligne, on énumère une série de têtes de chapitre qui devront faire partie de la négociation. On dit bien «notamment, la répartition de l'actif...» et à la fin on dit «la protection des droits des minorités».
Dans cet article, interprétez-vous cela comme étant la protection des droits minoritaires uniquement dans la province qui demande la sécession ou la protection des droits minoritaires à l'extérieur de cette province?
M. LeBlanc: J'espère que cela inclut les communautés francophones et acadiennes. C'est la raison pour laquelle nous sommes ici ce soir, pour avoir une voix au débat.
M. Boileau: Cela reprend un des principes qui ont été élaborés par le Renvoi sur la sécession. Dans le Renvoi sur la sécession, il est bien mentionné qu'on devra prendre en considération la protection des minorités de langue officielle, tant au Québec qu'à l'extérieur, advenant une sécession de la province de Québec.
Cependant, l'article 3(2) n'est pas clair à ce niveau. Nous sommes ici devant vous pour nous assurer que le respect des minorités de langue officielle, également à l'extérieur du Québec, sera pris en considération.
M. LeBlanc: J'ajouterai un exemple. Dans le cas de Calgary, les ministres fédéraux m'ont assuré que «la diversité canadienne» incluait les communautés francophones et acadienne. Après quelques années d'expérience dans la politique fédérale, mes attentes sont un peu plus élevées. À mon avis, il faut être un peu plus explicite.
Le sénateur Nolin: On semble vous questionner sur la représentativité et le potentiel représentatif de votre organisation. La fédération regroupe combien de personnes?
M. LeBlanc: Au Nouveau-Brunswick, la SANB a une capacité de représenter 250 000 personnes. Elle a environ 20 000 membres, ce que je trouve quand même significatif. L'Île-du-Prince-Édouard a une communauté de 5 000 Acadiens qui compte environ 1 000 membres. C'est souvent à la lumière de la proportion de la communauté. Je n'ai pas vraiment de chiffres nationaux à vous fournir.
Le sénateur Nolin: Diriez-vous que vous êtes l'organisme représentatif de la communauté francophone au Canada?
M. LeBlanc: Oui, je sens cette reconnaissance de la part de mes homologues fédéraux.
Le sénateur Nolin: Et ce, incluant le Québec?
M. LeBlanc: Oui. D'ailleurs on a un bureau à Québec, on a des échanges avec M. Facal, avec M. Bouchard. Effectivement, on représente les communautés francophones auprès du gouvernement du Québec, on est reconnus en tant qu'interlocuteur.
Le sénateur Kinsella: Monsieur LeBlanc, regardons l'article 3(1) du projet de loi et prenons en considération la situation du Nouveau-Brunswick, plus particulièrement l'article 16. Dans cette province, le gouvernement doit protéger les deux communautés linguistiques de façon égale.
Pour le Nouveau-Brunswick, la sécession du Québec serait un scénario plus tragique que pour le reste du Canada. À cause de l'existence de deux communautés linguistiques, l'amendement constitutionnel doit être apporté selon la formule d'unanimité. Autrement, il serait impossible pour le gouvernement du Nouveau-Brunswick de garantir la parité entre les deux groupes linguistiques. Êtes-vous d'accord?
M. LeBlanc: Vous faites référence à des formules de modification constitutionnelle. Je comprends le sens de votre question, mais je ne peux pas affirmer que la FCFA a élaboré une prédiction à cet effet. Il y a effectivement une protection du fait qu'elle est enchâssée.
M. Boileau: On comprend très bien les arguments invoqués qui appuient la règle de l'unanimité de 41 de même que ceux pouvant être invoqués en vertu de la règle de 38.On parle également de la règle 44 de la Loi constitutionnelle de 1982.
On s'entend pour dire que ce n'est pas clair. Le Renvoi sur la sécession du Québec a bien démontré que la Cour suprême n'a pas établi clairement quel serait le processus de modification constitutionnelle en laissant le champ aux acteurs politiques. Sur ce plan, c'est aux acteurs politiques de prendre une décision. À moins que je ne me trompe, la cour a également indiqué, dans son Renvoi sur la sécession, de ne pas revenir devant les tribunaux pour déterminer d'autres questions qui sont de nature politique.
Si on en arrive à un débat référendaire, on doit se demander quelle procédure de modification constitutionnelle prendre. Ce sont évidemment des questions extrêmement importantes et les acteurs politiques prendront le tout en considération, dépendamment de la clarté et de la majorité.
Le sénateur Poulin: M. Leblanc, si je vous ai bien compris, la fédération est régulièrement consultée par le gouvernement sur toutes ces questions. Il faut dire que cela fait partie de la tradition de tous les gouvernements de notre pays. Depuis bien des années, la fédération représente vraiment les intérêts de tous les Canadiens français des provinces autres que le Québec. Vous êtes donc partie prenante des décisions prises dans le passé par les acteurs politiques et par les gouvernements?
M. LeBlanc: Comme je le disais plus tôt, cela varie énormément. La fédération, par voie de communication et de consultation, est reconnue comme étant le porte-parole des minorités francophones au Canada.Le niveau de communication varie donc énormément en fonction du débat.
La fédération pourrait traiter de dossiers spécifiques tels l'Entente sur l'union sociale, l'Accord du lac Meech et la Loi sur les langues officielles. Le niveau de consultation varie et notre participation n'est pas reconnue officiellement.
Le sénateur Murray: Vous êtes un interlocuteur?
M. LeBlanc: Oui, mais nous sommes l'interlocuteur reconnu dans tous ces champs de consultation.
Le sénateur Poulin: Votre financement est-il de source fédérale?
M. LeBlanc: Notre financement est de source fédérale. Pour certains projets ponctuels, il peut également provenir de plusieurs ministères du Québec ainsi que de d'autres provinces.
[Traduction]
Le sénateur Banks: Étant des Prairies, j'ai des réserves innées quant à la possibilité d'atteindre des objectifs culturels par la voie législative. Je sais que la législation en place a été très bénéfique et que les décisions qui ont été rendues relativement à la Constitution ont été très positives. Cependant, en général, cela s'est fait dans un contexte de bonne volonté ou, à tout le moins, parce que les majorités ont bien voulu accepter les minorités là où il y a des minorités dans les deux camps.
J'aimerais avoir une précision. Les diverses minorités nous disent que si une province du Canada faisait sécession, Dieu nous en garde, il en serait fait de certains aspects culturels dans le reste du pays. Cela m'inquiète, car j'apprécie beaucoup l'importance et la valeur du fait français au Canada, surtout dans ma province de l'Alberta.
Là-bas, les premiers colons étaient français. C'est dans ce contexte que je demande une précision. Bien avant que les tribunaux ne rendent des décisions sur l'application de la Constitution dans le domaine de la protection de la langue et de la culture françaises -- je pense aux années 40, le plus loin que je peux me rappeler, ainsi qu'aux années 50 et 60, avant que cela ne commence -- il y avait en Alberta et dans bien d'autres régions du Canada des collectivités francophones fortes, effervescentes et en sécurité. Il y a des villes au nord, nord-est et nord-ouest d'Edmonton où la langue quotidienne des affaires est le français. Il y a comme toujours une communauté culturelle, de théâtre et d'éducation francophone importante et bien vivante à Edmonton.
Je vous demande donc, un peu comme le ferait un anticréationniste, puisqu'il en a toujours été ainsi, pourquoi vous êtes si certain que ces collectivités ne survivraient pas à l'avenir?
[Français]
M. LeBlanc: Je pourrais commencer avec l'État providence. Je l'ai dit tantôt, on avait l'infrastructure bien avant que l'État commence à pénétrer le tissu social canadien. Vous avez raison. Bien avant l'éducation publique, l'église catholique avait un réseau d'infrastructures culturelles et éducationnelles. Cela incluait le Canada français, donc le Québec.
Par contre, à partir du moment où l'État providence s'est installé, cela n'a pas été facile partout et plusieurs communautés ont perdu des acquis. Même au Nouveau-Brunswick où j'habite, dès qu'on a rendu l'école publique, il y avait bien des avantages au niveau du financement, mais il reste que les francophones ont eu des pertes. L'église avait des écoles homogènes, des écoles francophones et catholiques, et à ce moment, il y a eu des pertes. Depuis 30 ans, la pénétration de l'État providence dans nos communautés est un bénéfice très important.
Je vous donne un exemple concret. À Moncton au Nouveau-Brunswick, il aurait été impensable d'avoir une université sans l'appui de l'État canadien, sans que Louis J. Robichaud et d'autres aient obtenu un appui du gouvernement. Je vous dirais que même personnellement, ma famille a été éduquée là. Sans cela, aujourd'hui, le français au Nouveau-Brunswick en aurait sûrement pris un coup. Cela a pris des interventions de l'État. Je serais d'accord avec vous que l'État n'est pas toujours le meilleur acteur dans tous les domaines, mais il reste qu'au niveau de protéger les minorités, de donner une infrastructure, la contribution de l'État, en particulier fédéral, par exemple dans le cas de l'Université de Moncton, a changé complètement le dynamisme de la communauté.
Aujourd'hui, la communauté d'affaires de Moncton est issue principalement de la faculté d'administration de l'Université de Moncton et elle fonctionne en français. L'État a contribué à cela. Si l'État se retirerait les communautés seraient laissées à elles-mêmes, cela ne serait pas une catastrophe du jour au lendemain, mais il y aurait des pertes énormes.
Le sénateur Joyal: À la page 3 de votre mémoire, vous parlez du rôle du Sénat. Si je comprends votre interprétation, vous seriez favorable à un amendement qui reconnaîtrait dans la loi le rôle du Sénat comme partie à la décision de la question et de la majorité pour que nous puissions assumer la totalité de notre rôle à l'égard des minorités?
M. LeBlanc: L'équipe et moi avons discuté longuement de cette question. Il est clair que le rôle traditionnel du Sénat en tant que défenseur des minorités, le rôle du Sénat dans l'institution bicamérale fait en sorte qu'effectivement, on ne serait pas ici ce soir si on ne pensait pas que vous aviez un rôle important à jouer.
Le sénateur Prud'homme: Depuis 37 ans, je me fais toujours un devoir, lorsque je voyage à travers le pays, de m'informer auprès du sénateur Gauthier où je pourrais aller saluer les Canadiens français hors Québec. Il me donne toujours la liste de tous les organismes qui existent au Canada et je l'en remercie publiquement. Je vais les voir. C'est important pour moi. On doit s'assurer que les efforts qu'on fait pour garder le pays tel quel, c'est important.
Cet après-midi, M. Ryan nous a prévenus qu'il semble y avoir un calme et un désintérêt à l'heure actuelle dans la population, surtout au Québec. Cela donne beaucoup d'encouragement à ceux qui veulent que le projet de loi C-20 soit sanctionné parce que selon eux, tout est tranquille et c'est le temps de l'adopter. M. Ryan est d'opinion que c'est se mentir, je ne veux pas mal interpréter, mais qu'en période référendaire, cette question deviendrait importante. Selon moi, ce que nous sommes en train de faire, -- si vous ne me croyez pas, vous viendrez au prochain référendum au Québec porter le drapeau du Canada -- c'est une bombe à retardement qui nous induit en erreur. C'est vrai que cela ne lève pas. Mes amis du Bloc québécois, du Parti québécois et les autres Canadiens français me disent que s'il y avait un référendum, cela deviendrait un argument auquel il nous faudra répondre, en plus d'avoir à défendre l'option fédérale à laquelle nous croyons encore. Du moins, quelques-uns d'entre nous. Quelle est votre position à ce sujet?
M. LeBlanc: Le projet de loi C-20 n'est pas la priorité pour nos communautés. Il y a d'autres sortes de clartés qui leur importent énormément à l'heure actuelle. Entres autres, il y a la clarté sur les soins de santé en français au Canada et sur le développement économique en français au Canada.
Le sénateur Prud'homme: Mais on parle en période référendaire?
M. LeBlanc: Oui. On a quand même jugé pertinent de venir ici ce soir pour exprimer le fait qu'on veuille être consultés et entendus. Pour nous, la priorité ne se situe pas au niveau du projet de loi C-20. D'ailleurs, la FCFA a toujours été un organisme qui a prêché le renouvellement du fédéralisme, le plan A, c'est-à-dire s'asseoir et discuter. Nous sommes prêts à être un joueur du plan A dans ce renouvellement.
Le sénateur Prud'homme: Je parle en période référendaire. Vous n'aurez pas droit de vote. Ne sommes-nous pas en train de jeter les bases d'un débat dans le débat qui pourrait rendre plus difficile la défense du fédéralisme?
M. LeBlanc: En tant que président de la FCFA, je serais heureux de participer à n'importe quelle discussion au sujet du renouvellement du fédéralisme afin de définir la voie qu'on pourrait prendre. C'est la position de la FCFA.
Le sénateur Prud'homme: Donc cela ne vous ennuierait pas de venir, pendant la période référendaire s'il y en avait une, nous expliquer l'importance du projet de loi C-20?
M. LeBlanc: Il serait important de vous expliquer la réalité des minorités francophones au Canada, les défis de vivre en français en milieu minoritaire qu'elles doivent relever. C'est une lutte quotidienne, mais nous la faisons avec plaisir. Certainement que nous partagerions l'importance que ces six millions de francophones représentent dans notre développement. Nous voulons voir comment nous pouvons renouveller la fédération avec les aspirations traditionnelles que le Québec a toujours eues et qui n'ont pas été reconnues encore.
La présidente: Messieurs, je vous remercie, au nom de tous, de vos témoignages.
La séance est levée.