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ENEV - Comité permanent

Énergie, environnement et ressources naturelles

 

Délibérations du comité sénatorial permanent de
l'Énergie, de l'environnement et
des ressources naturelles

Fascicule 5 - Témoignages


OTTAWA, le mardi 29 février 2000

Le Comité sénatorial permanent de l'énergie, de l'environnement et des ressources naturelles s'est réuni aujourd'hui à 17 h 05 pour examiner certaines questions se rapportant à l'énergie, à l'environnement et aux ressources naturelles au Canada (Sécurité des réacteurs nucléaires).

Le sénateur Mira Spivak (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente: Monsieur Rubin, je vous souhaite la bienvenue. Je vous invite à présenter votre exposé.

M. Norman Rubin, directeur de la recherche nucléaire, analyste principal des politiques, Enquête énergétique: D'aucuns pensent que la question de la sécurité nucléaire est trop complexe pour que les gens ordinaires la comprennent. Je soutiens exactement le contraire, cette question est en fin de compte trop simple pour que les experts la comprennent, parce qu'ils n'ont pas le recul nécessaire.

Cette question est d'une grande simplicité si on l'aborde du point de vue du risque. Quelle est la personne qui court un risque? Chaque fois que quelqu'un soutient qu'un risque, par exemple, le danger que représentent les usines nucléaires, est faible, négligeable ou acceptable, demandez-vous si l'auteur de cette affirmation assume effectivement le risque dont il parle. La plupart des gens n'éprouvent aucune difficulté à accepter les risques que courent d'autres personnes. Il est par contre beaucoup plus difficile d'accepter les risques que l'on court soi-même.

Dans le cas du risque pour l'environnement et la santé publique que représente la propagation de substances radioactives provenant d'un réacteur CANDU, possibilité qui est au coeur du débat sur la sécurité nucléaire, il convient de souligner que les organismes qui ont créé ce risque, EACL, Ontario Power Generation, anciennement connue sous le nom de Ontario Hydro et la Société d'énergie du Nouveau-Brunswick, refusent de l'assumer. Ces organismes, tout comme le gouvernement fédéral, ont très clairement indiqué, tant par leurs déclarations que par leurs actes, qu'ils refusaient absolument d'assumer ce risque. Ils nous disent que le risque est faible et tout à fait acceptable mais ils se refusent absolument à ce qu'eux-mêmes ou leur organisme l'assument.

Le gouvernement fédéral, comme je le dis, est une des parties qui soutient que le risque est faible mais jusqu'ici, il s'est toujours protégé contre la responsabilité pouvant découler de ce risque. C'est là que réside la simplicité fondamentale de la question. Les gens qui nous répètent que nous sommes en sécurité habitent un bunker inexpugnable. Ils refusent de sortir de leur bunker lorsqu'on les y invite.

Si l'on se base sur les gestes et non pas sur les déclarations creuses que font les organismes qui conçoivent, construisent, vendent, fournissent et exploitent les réacteurs CANDU, on constate que ceux-ci sont entièrement d'accord avec les groupes antinucléaires comme Enquête énergétique et les groupes de citoyens qui vivent près des réacteurs nucléaires. Nous nous entendons tous sur le point suivant: Nous refusons d'accepter le risque qu'un accident dans un réacteur CANDU provoque une catastrophe. La seule chose sur laquelle nous ne sommes pas d'accord est la définition de ce «nous».

Les organismes qui conçoivent, construisent, fournissent et exploitent les réacteurs CANDU, et le gouvernement fédéral, sont tous protégés par ce que j'appelle la loi canadienne la plus stupide, officiellement connue sous le nom de Loi sur la responsabilité nucléaire. Cette loi constitue l'ultime système de sécurité pour l'industrie nucléaire. Vous avez entendu des témoignages sur l'autre système de sécurité spécial, le système d'arrêt 1, le système d'arrêt 2, le système de refroidissement d'urgence mais le système de sécurité de dernier recours est la Loi sur la responsabilité nucléaire.

Ce système de sécurité essentiel n'attend qu'un accident nucléaire grave pour se déclencher. Si un tel accident se produisait effectivement, les 75 millions de dollars, j'ai bien dit «millions» et non pas «milliards» de dollars, de l'indemnité d'assurance accumulée par les propriétaires de réacteurs nucléaires seraient répartis selon le mécanisme prévu par la loi mais pour le reste, cette loi exonère de toute responsabilité les exploitants et les concepteurs de ces réacteurs, les fournisseurs et tous les autres acteurs de ce secteur. Ils n'auraient pas à verser un sou de plus. Peu importe qui a causé l'accident, qu'il y a eu faute, que ces personnes savaient que leur geste causerait un accident, qu'il y a eu un comportement criminel. L'indemnisation totale prévue par la loi est limitée à 75 millions de dollars, sauf si le Parlement autorise expressément d'autres versements. Dans ce cas, les fonds supplémentaires viendront de la poche des contribuables canadiens et non pas de celle des responsables de l'accident. À notre avis, il faudrait plutôt appeler cette loi «la Loi sur l'irresponsabilité nucléaire» parce que son principal objectif est d'exonérer les personnes et les sociétés qui seraient à l'origine d'une catastrophe nucléaire.

Mon mémoire contient un bref historique de notre organisme. Je ne vais pas vous décrire tous les efforts qu'ont déployés Enquête énergétique, ainsi que la ville de Toronto et la Dre Rosalee Bertell et les autres, pour essayer de faire abroger cette loi. Le gouvernement fédéral, dont le travail consiste à défendre les lois qui sont contestées, a déployé des efforts considérables pour la faire valider, tout comme Ontario Hydro et la Société d'énergie du Nouveau-Brunswick; ils ont dépensé des millions de dollars pour être sûrs que leur bunker inexpugnable demeure tel qu'il est. Ils ont clairement indiqué dans leurs témoignages et dans les efforts déployés que cette loi était d'une extrême importance pour eux, même si cette loi ne trouve application, peut-on dire, qu'en cas de catastrophe.

À notre avis, cette loi a pour effet de dire aux parties susceptibles d'être à l'origine d'une telle catastrophe qu'elles seront exonérées de toute responsabilité. Si vous voulez vraiment éviter quelque chose et que vous pensez que cette chose va se produire si certaines personnes le souhaitent, pourquoi leur dire à l'avance qu'elles seront exonérées de toute responsabilité? À quoi cela pourrait-il servir? Eh bien, c'est exactement ce que fait cette loi.

Je me dois d'aborder les raisons techniques pour lesquelles l'industrie craint, de façon tout à fait rationnelle, d'être déclarée responsable de ce que pourraient faire un jour les réacteurs. Je ne pense pas que ces personnes soient irrationnelles. Je pense au contraire qu'elles sont très intelligentes et qu'elles agissent de façon logique pour éviter ce risque. Leur peur vient du fait que les réacteurs CANDU sont par nature dangereux. Ce danger est important et vient de leur conception. Lorsque l'on conçoit un réacteur de cette façon, le danger ne vient pas de quelques détails mais des lois de la nature, des lois de la physique.

Les mesures de sécurité qui doivent contenir ce danger ressemblent à des boîtes de conserve placées autour du danger, elles ont la forme de boyaux d'incendie dirigés sur le danger à combattre et prennent la forme de mécanismes de déclenchement informatisés qui doivent mettre en action ces tuyaux d'incendie. Cette protection est assurée par des systèmes de sécurité conçus pour répondre à toutes les façons dont les substances dangereuses, inhérentes aux réacteurs nucléaires, peuvent s'échapper.

Je signale en bas de la deuxième page de mon mémoire qu'Ontario Hydro, comme elle s'appelait auparavant, a eu un jour la malencontreuse idée de prétendre dans une annonce n'avoir fait aucun compromis pour ce qui est de la sécurité de ses centrales nucléaires. J'ai contesté cette annonce devant le Conseil des normes de la publicité du Canada, et c'est une des tâches les plus faciles que j'ai eu à effectuer au nom d'Enquête énergétique. Il est facile de démontrer que l'on fait toujours des compromis lorsqu'il s'agit de prendre des décisions qui touchent la sécurité des réacteurs.

Je crois que vous avez une certaine idée de cet aspect, ne serait-ce que par la discussion que vous avez eue avec des représentants de la Commission de contrôle de l'énergie atomique, lorsque vous leur avez demandé que voulait dire vraiment la notion de sécurité et qu'elle en était la portée exacte. On peut toujours être un peu plus prudent ou un peu moins prudent. Les exploitants et les concepteurs subissent d'énormes pressions qui les poussent à être un peu moins prudents. Les compromis sont à la base des décisions dans ce domaine.

Voici les quatre aspects techniques fondamentaux qui font que les réacteurs CANDU sont dangereux en eux-mêmes et à cause desquels le travail de Victor Snell et de ses collègues d'Énergie atomique Canada limitée ainsi que des membres de la CCEA est pratiquement impossible à accomplir: premièrement, chaque réacteur contient une quantité de substances toxiques pratiquement inimaginable. Dans un moment, je vais vous parler de la quantité de substances toxiques que contient chacun de ces réacteurs. S'il y a quelqu'un dans l'assemblée qui arrive à se faire une idée de cette quantité de substances toxiques, j'aimerais le savoir, parce que moi je n'arrive pas à l'imaginer.

Le deuxième facteur est que ces substances toxiques, toxiques à un point qu'il est impossible à décrire, produisent naturellement de l'énergie. Elles produisent suffisamment d'énergie pour se propager dans l'environnement et pour faire sauter la plupart des barrières destinées à les empêcher de s'échapper.

Troisièmement, il est impossible d'arrêter cette production d'énergie. Je sais fort bien qu'on dirait que j'ai inventé cela, mais ce n'est pas le cas. Il est impossible d'arrêter la production d'énergie. On vous a parlé de systèmes d'arrêt. L'expression «arrêt» est un terme technique. Appliqué à un réacteur nucléaire, l'expression «arrêt» n'a pas le même sens que celui que l'on trouve dans le dictionnaire. C'est un mot technique qui veut dire quelque chose mais qui ne veut pas dire ce que vous et moi voulons dire lorsque nous disons que quelque chose est arrêté. Il est impossible d'arrêter, dans le sens normal de ce mot, un réacteur.

Quatrièmement, comme si tout cela ne suffisait pas, CANDU comporte un élément fondamental qui lui est particulier, que l'on ne retrouve dans aucune autre centrale nucléaire au monde, à l'exception de la RBMK soviétique, utilisée à Tchernobyl. C'est une caractéristique des réacteurs qui utilisent de la tuyauterie à haute pression. Cette caractéristique peut être décrite à l'aide de mots techniques complexes, mais cela veut dire pour l'essentiel que, si la tuyauterie se fissure, et si l'eau sous pression qui se trouve à l'intérieur de la tuyauterie, le liquide de refroidissement s'échappe, l'eau de refroidissement non seulement ne peut plus absorber la chaleur du réacteur mais en plus de cela, à cause des lois de la physique, la puissance générée par le réacteur augmente de façon exponentielle. Alors que l'on s'attendrait à ce que le réacteur s'arrête, d'après les lois de la nature, le réacteur explose. Dans certains cas, comme à Tchernobyl, c'est exactement ce qui passe.

Permettez-moi de vous donner un peu plus de détails sur ces quatre éléments.

J'ai fait quelques calculs au sujet du contenu du coeur du réacteur CANDU. La question qui se pose est la suivante: Quelle unité peut-on utiliser pour faire comprendre la quantité de substances toxiques qui se trouve à l'intérieur du réacteur? La méthode standard consiste à exprimer cela en «quantité d'eau nécessaire pour diluer les substances pour en arriver à de l'eau potable.» Autrement dit, combien d'eau faudrait-il ajouter à ces substances toxiques pour qu'il soit légal de distribuer cette eau? Bien sûr, je ne dis pas que c'est la méthode qu'il faut utiliser pour se débarrasser des déchets nucléaires ou d'autres substances toxiques, mais c'est une façon de faire des comparaisons, entre des choses comparables, selon des critères identiques.

J'ai appliqué ce principe au contenu d'un des réacteurs CANDU les plus petits, le CANDU 6, qui est de la même taille que les huit réacteurs de Pickering, les quatre de Pickering A et les quatre de Pickering B. J'ai tenu compte d'une décroissance de la radioactivité étalée sur 100 ans, au cours de laquelle la radioactivité diminue de près de 100 p. 100, par rapport à ce qu'elle était à la fin de la première année. Le résultat est que la quantité d'eau nécessaire pour diluer le contenu d'un petit réacteur à un niveau qui serait conforme aux normes pour l'eau potable est d'environ deux multiplié par 10 à la puissance 11 tonnes d'eau. Autrement dit, environ 200 milliards de tonnes d'eau, soit plus de six fois l'eau qui se trouve dans les Grands Lacs; c'est la quantité d'eau dans laquelle il faudrait diluer le contenu d'un réacteur pour que cette eau soit potable, après l'écoulement d'une période de 100 ans.

Comme je l'ai dit, une telle quantité de substances toxiques dépasse l'imagination. Existe-t-il un cerveau qui puisse vraiment comprendre cela? Ce n'est certainement pas le cerveau de cet ancien membre de la société Mensa. Je suis normalement assez bon dans ce genre de chose, mais je n'y arrive pas. Si vous y parvenez, j'aimerais que vous me le disiez.

Si un pour cent d'un pour cent de cette quantité s'échappait dans l'environnement, je pense que cela causerait une énorme catastrophe. Cela découle directement de ce que j'ai dit.

Est-ce que ces substances peuvent s'échapper? Bien sûr, cela est possible. Les réacteurs produisent de l'énergie. Il faut de l'énergie pour que ces substances s'échappent.

À plein régime, ce réacteur génère 600 mégawatts ou 600 millions de watts d'électricité. Il produit cette énergie à un taux d'efficacité d'environ 30 p. 100, puisqu'il produit près de 2 000 mégawatts ou 2 000 millions de watts de chaleur. Cela représente à peu près l'équivalent de 1,3 million de bouilloires électriques domestiques, qui seraient toutes branchées en même temps pour faire bouillir de l'eau. Ces bouilloires électriques ne sont pas des bouilloires ordinaires, parce qu'elles sont faites avec le matériau le plus toxique et le plus carcinogène que nous connaissons.

Les réacteurs nucléaires ressemblent à des bouilloires électriques d'autres façons, dans la mesure où ces dernières possèdent divers systèmes de sécurité qui prévoient leur arrêt automatique: par exemple, une bouilloire comporte un dispositif d'arrêt à commande thermostatique. Lorsqu'une bouilloire surchauffe, et que le système d'arrêt ne fonctionne pas, la première chose qui fond, se vaporise et cesse de fonctionner, ce sont les pièces qui produisent l'énergie. À partir de ce moment, la bouilloire arrête de produire de l'énergie. Si elle n'a pas encore mis le feu à la maison, tout va bien; il suffira peut-être de remplacer le comptoir de cuisine. Dans un réacteur nucléaire, la partie que l'on branche et qui produit la chaleur est le noyau des atomes qui composent la bouilloire électrique. Il est impossible de la débrancher.

Que veut dire l'expression «arrêt»? Lorsqu'on arrête un réacteur nucléaire qui fonctionnait depuis un certain temps à son régime maximum, sa puissance de production, soit 2 000 millions de watts, tombe en quelques secondes de 100 à 7 p. 100. Seul le temps permet de réduire davantage sa production. À Three Mile Island, le réacteur a été mis à l'arrêt huit secondes après les premiers signes d'un problème. Le réacteur a été arrêté et un jour et demi plus tard, on a demandé à la population d'évacuer les lieux. Si l'on poursuit l'analogie, on constate qu'il ne sert à rien d'évacuer la population un jour et demi après qu'on a débranché la bouilloire électrique. Il n'existe pas un appareil au monde qui soit plus dangereux qu'un réacteur nucléaire «à l'arrêt». Lorsque l'on parle d'«arrêt» d'une centrale, cela ne veut pas dire que le réacteur est débranché ou comme dans le cas d'une automobile que le frein à main est enclenché, cela veut dire que la centrale génère encore plus d'énergie, en fait une quantité de substances toxiques incroyable, que presque n'importe quel autre appareil tournant à pleine capacité.

La chaleur qui est produite -- et ce n'est pas de la chaleur accumulée; il y a de la chaleur parce que le réacteur était branché, comme la bouilloire électrique. La radioactivité continue à produire de la chaleur, comme l'exigent les lois de la physique. Si cette chaleur n'est pas dissipée, la température augmente jusqu'à ce que le réacteur fonde ou se détruise.

J'aimerais attirer votre attention sur une des lacunes ou caractéristiques de la conception des réacteurs CANDU. Cette caractéristique porte un nom technique: «coefficient de vide positif». Cela veut dire que l'eau de refroidissement circule sur les éléments combustibles sous une pression énorme, près de 100 fois la pression d'un autocuiseur. Si un des tuyaux éclate, les lois de la physique énonce que la réaction en chaîne qui produisait 100 p. 100 de la chaleur devient incontrôlable et passe rapidement à 200 p. 100 et au-delà. C'est le phénomène qui a détruit le réacteur de Tchernobyl. Ces résultats s'ensuivent automatiquement sauf si le réacteur est arrêté de façon très rapide et efficace.

Il y a d'autres problèmes. Par exemple, le métal qui constitue le coeur du réacteur CANDU est un des métaux les plus difficiles à utiliser, il est peu ductile et malléable mais sa présence est nécessaire si l'on veut que la réaction se poursuive. Ce métal est le zirconium, sa géométrie est si complexe qu'il est pratiquement impossible d'inspecter la surface des pièces fabriquées avec ce métal. C'est une des raisons pour lesquelles de nombreux pays développés interdisent la construction de réacteurs CANDU. C'est pourquoi les gens d'EACL et d'Ontario Power Generation gagnent beaucoup d'argent; ils sont chargés de remédier à ces lacunes, un travail impossible.

Compte tenu de ces faits, je soutiens que l'industrie nucléaire canadienne a parfaitement raison de refuser toute responsabilité pour ce qui pourrait arriver un jour. Les gens qui vivent et travaillent près des centrales nucléaires ont tout à fait raison de dire à ces personnes: «Vous pensez que ce risque est acceptable mais ce n'est pas mon avis. Je crois que le gouvernement a trompé la confiance de la population en obligeant les personnes qui résident à proximité de ces centrales à assumer des risques que l'industrie elle-même n'accepte pas.»

Le sénateur Kenny: Je vais commencer par critiquer votre hypothèse de base selon laquelle EACL, Ontario Power Generation et la Société d'énergie du Nouveau-Brunswick n'assument pas ce risque. Je crois qu'il y a des gens qui vivent avec leur famille à proximité de ces centrales, et qui y travaillent tous les jours. Je ne pense pas que l'on pourrait me donner assez d'argent pour que je mette ma famille en danger, et moi aussi, en travaillant tous les jours dans une centrale nucléaire. Ne pensez-vous pas que ces personnes se placent dans une situation dangereuse, si ce danger existe vraiment, du seul fait qu'elles travaillent dans une centrale?

M. Rubin: Oui. Il y a effectivement de nombreuses personnes qui travaillent dans le secteur de l'industrie nucléaire qui courent personnellement un danger en acceptant de vivre près des centrales nucléaires. Aucune de ces entités n'est disposée à assumer une responsabilité pour le préjudice que pourraient causer les réacteurs. Il y a effectivement des gens de cette industrie qui croient sincèrement et religieusement que les risques sont tout à fait minimes. Il y a aussi un genre d'effet psychologique dont vous ont parlé les représentants de CCEA, l'effet sécurité du milieu de travail. J'ai souvent comparé ce genre de travailleurs aux conducteurs de taxi qui ne portaient jamais leur ceinture de sécurité; je pense que les choses ont changé maintenant. Pendant des années, les seules personnes qui ne mettaient pas leur ceinture dans leur voiture étaient celles qui couraient le plus grand danger. Cela m'a semblé tout à fait rationnel, non pas du point de vue de la sécurité publique mais du point de vue psychologique. Lorsqu'on choisit d'exécuter un travail qui comporte des risques, on n'aime pas se faire rappeler que l'on court des risques.

J'ai fait circuler une annonce qui avait été distribuée par les responsables de Three Mile Island avant l'accident. Cette annonce disait: «Nous voulons vous parler d'un genre d'usine qui ne fait jamais les manchettes -- une centrale nucléaire bien exploitée.» J'ai essayé de la trouver dans mon bureau mais ne la trouvant pas, je vous ai apporté une copie d'un article d'une revue soviétique qui a paru au mois de février précédant l'accident de Tchernobyl, qui a eu lieu en avril, dans laquelle des travailleurs de Tchernobyl déclaraient qu'ils se trouvaient plus en sécurité au travail qu'à la maison. Ils le pensaient vraiment. Je suis sûr qu'ils ne mentaient pas.

Oui, il y a des gens qui acceptent personnellement la possibilité d'être victime d'un accident nucléaire mais les sociétés qui les emploient sont trop sophistiquées pour faire la même chose.

Le sénateur Kenny: Je vais y venir dans un instant mais l'on peut dire qu'il y a des gens qui sont prêts à parier la vie de leur famille.

M. Rubin: Oui, je crois que l'on peut le dire.

Le sénateur Kenny: Il est donc raisonnable de penser que ces personnes ne croient pas que le risque est aussi grave que vous le pensez?

M. Rubin: C'est probablement vrai. Il est exact que l'on ne s'entend pas sur la nature des risques.

Le sénateur Kenny: Pour ce qui est de la Loi sur la responsabilité nucléaire, il existe un principe bien établi, au sein du gouvernement au moins, voulant que celui-ci s'assure lui-même. Je suis surpris de voir que ces gens paient des primes d'assurance. Cela revient, à mon avis, à jeter l'argent par la fenêtre.

J'accepte sans problème que le gouvernement fédéral assume le fardeau de ce risque. Mais pourquoi devrait-on verser des primes d'assurance lorsque les contribuables sont tout à fait capables d'indemniser les dommages, au cas où il s'en produirait?

M. Rubin: Je ne suis pas sûr que ce soit les contribuables qui courent un risque. Dans l'ensemble, ce n'est pas des organismes gouvernementaux qui possèdent ces réacteurs. Les sociétés d'État se comportent de plus en plus comme des entreprises. Ontario Power Generation, la Société d'énergie du Nouveau-Brunswick et Hydro-Québec sont les propriétaires des réacteurs CANDU qui se trouvent au Canada. En fait, Ontario Power Generation essaie de faire abroger la disposition législative qui l'oblige à s'assurer. Si jamais cette loi est modifiée, il est possible qu'on supprime cette exigence et que cette société soit autorisée à être son propre assureur.

Le lendemain d'une catastrophe nucléaire, il est raisonnable de penser que le gouvernement du Canada aura encore des fonds pour indemniser certains dommages; ce ne sera pas nécessairement le cas de Ontario Power Generation. La question de l'auto-assurance n'est donc pas aussi inintéressante qu'elle le paraît.

La vraie question est celle de la responsabilité. Vous avez raison d'affirmer que la loi exige, de façon arbitraire peut-être, que l'exploitant d'une centrale se procure une police d'assurance commerciale d'un montant de 75 millions de dollars. Ce n'est pourtant pas là, à mon avis, le principal effet de cette loi. Son principal effet est le suivant; si les dommages s'élèvent à 76 millions de dollars, il faudra trouver quelqu'un d'autre pour verser le million de dollars supplémentaire; Ontario Power Generation, la Société d'énergie du Nouveau-Brunswick et Hydro-Québec n'encourent aucune responsabilité si les dommages sont supérieurs à 75 millions de dollars.

Je ne l'ai pas mentionné dans mon mémoire mais les évaluations des dommages que pourrait entraîner un accident de ce genre vont de dizaines de milliards de dollars à 1 billion pour les seuls dommages à la santé causés par les radiations.

Le sénateur Kenny: Vous estimez donc qu'il faudrait modifier la loi pour que l'assurance privée ne soit pas obligatoire et pour créer simplement un risque à la charge de la Couronne; il faudrait si les réacteurs continuent à être exploités, que la province ou le territoire dans lequel ils sont situés soit responsable en cas d'accident. Est-ce bien cela?

M. Rubin: Je suis partisan du principe selon lequel «les pollueurs doivent payer». Je crois que les gens qui créent ce risque devraient en être tenus responsables. On ne peut pas se contenter de les laisser prétendre que le risque est faible ou affirmer être très surpris qu'un accident se soit produit; ces sociétés devraient être responsables de tous les dommages qu'elles causent.

Cela veut dire, pour moi, qu'il ne faudrait pas fixer arbitrairement un plafond à la responsabilité des parties qui pourraient être à l'origine d'un accident. Si General Electric construit une pièce défectueuse, nous devrions poursuivre cette société jusqu'à ce qu'elle n'ait plus d'argent ou que toutes les personnes lésées soient indemnisées, même si on ne retrouve pas de note de service ou de courriel indiquant que le personnel savait que cette pièce pourrait causer un accident. Il faut que ces sociétés assument elles-mêmes leur responsabilité.

Je crois que ce principe incite les gens à agir de façon responsable. On demande aux enfants et ensuite, aux adultes d'assumer leurs responsabilités. Je crois que lorsque les gens savent qu'ils devront assumer les conséquences de leurs actes, ils ont tendance à agir de façon plus prudente. C'est pourquoi je ne pense pas que l'on devrait demander à la Couronne d'assumer cette responsabilité, dans un premier temps du moins.

Il y a l'autre question, à savoir l'indemnisation intégrale des victimes. Il est tout à fait possible que les responsables d'un accident n'aient pas les moyens d'indemniser toutes les victimes; il faudrait pour ce faire adopter des dispositions exigeant que les sociétés se procurent une couverture minimale.

Le sénateur Kenny: Je dois vous dire, monsieur Rubin, que j'ai beaucoup de mal à suivre vos comparaisons. Pensez-vous vraiment que les pilotes respectent les règles de sécurité pour éviter les accidents à cause de leur primes d'assurance ou bien parce qu'ils ne veulent pas se retrouver aux premières loges en cas d'accident?

M. Rubin: Il ne s'agit pas seulement de pilotes ici. Il s'agit de décisions prises par des sociétés, dans le domaine de la maintenance notamment. Il s'agit de la culture d'une organisation en matière de sécurité. L'autorité de réglementation a utilisé le mot «culture» à plusieurs reprises. Cette autorité vient de découvrir, il y a quelques années, que la culture de l'organisation, la façon dont elle conçoit son rôle, est le facteur clé en matière de sécurité dans l'exploitation des centrales nucléaires.

Ontario Power Generation, auparavant Ontario Hydro, a souvent gagné des prix pour le plus grand nombre de jours d'opérations sans interruption. Dans la culture de cette société, chacun sait que, lorsqu'un réacteur CANDU est arrêté à un moment où il tourne à plein régime, il faut attendre 36 heures avant de pouvoir le redémarrer. Cela représente une perte de production et de recettes pendant 36 heures. Ces aspects sont connus et ils influencent les comportements.

Le sénateur Kenny: J'aimerais que cela fasse partie de votre témoignage parce que c'est le genre d'information qui est très utile aux membres du comité. Nous pourrions passer des années à étudier les différentes façons de remettre en état une centrale après un accident ou à déterminer les responsabilités en cas d'accident mais je préfère de beaucoup essayer de trouver des façons d'éviter les accidents et entendre les recommandations que vous pourriez présenter au comité sur les mesures à prendre pour qu'il n'y ait pas d'accident.

J'aimerais beaucoup que vous nous parliez des problèmes qui découlent de la culture d'entreprise dans ce secteur parce que cela touche directement la sécurité des réacteurs. Je ne peux cependant pas vous suivre lorsque vous dites que le montant des sommes assurées influence la sécurité d'un réacteur.

Avant de m'arrêter, j'aimerais vous demander la liste des pays qui n'acceptent pas les réacteurs CANDU.

M. Rubin: Je vais devoir vous la faire parvenir.

Le sénateur Kenny: Oui, envoyez-la-nous.

M. Rubin: Je ne suis pas certain d'avoir une liste complète. Je sais qu'il y a l'Allemagne. Il est intéressant de noter que cela soulève le débat entre la prévention et ce qu'ils appellent la sécurité fondamentale. La «prévention des accidents» consiste à inspecter la centrale et non ajouter des boyaux d'incendie et des systèmes de sécurité supplémentaires destinés à intervenir en cas de rupture d'une conduite. Ils veulent être sûrs que les conduites n'éclateront jamais. C'est leur philosophie.

J'ai parlé de la Loi sur la responsabilité nucléaire avec beaucoup de gens et dans de nombreuses réunions publiques. Permettez-moi de vous dire que rares sont les personnes qui estiment qu'obliger les parties à assumer leurs responsabilités concerne uniquement les conséquences d'un accident. D'après mon expérience, la plupart des gens reconnaissent qu'en obligeant les gens à assumer les conséquences de leurs actes, cela influence la probabilité qu'un événement donné se produise. Si nous ne sommes pas d'accord sur ce point, alors je le regrette. J'ai déjà rencontré des gens qui n'établissent pas de lien entre le fait de dire à quelqu'un à l'avance qu'il sera tenu responsable de ses actes et la probabilité qu'un événement donné se produise. Pour moi, ce lien existe. Il me paraît fondamental.

Le sénateur Kelleher: Les représentants de l'EACL qui ont comparu devant nous le 22 février nous ont dit que l'on ne construisait plus de nouvelles centrales nucléaires en Amérique du Nord depuis quelques années parce qu'il y avait un surplus de l'offre et non pas un manque de confiance envers les réacteurs nucléaires. Que pensez-vous de ce commentaire?

M. Rubin: Je suis surpris que M. Torgerson ait pu sérieusement faire cette déclaration.

En Amérique du Nord et en Europe, on travaille à augmenter la production électrique. Il se fait beaucoup de choses autour de Toronto pour augmenter la production d'électricité. On vient d'annoncer l'année dernière la construction d'une centrale de cogénération de 800 mégawatts. Les investisseurs souhaitent exploiter les possibilités qu'offre la production d'électricité dans un environnement qui sera bientôt concurrentiel; ils ne font pas que développer cette technologie.

M. Torgerson a essayé à quelques reprises d'éviter d'aborder directement la question en parlant de «grande échelle» ou en utilisant des mots de ce genre. Bien évidemment, la taille d'une centrale n'a rien à voir avec la question de l'offre et de la demande. On peut construire plusieurs petites centrales ou une grosse. Dans le domaine du nucléaire, on ne construit que de grosses centrales. Ils aiment parfois utiliser des mots soigneusement choisis pour éviter de parler de tout ce qui n'est pas aussi centralisé que leur secteur. Cependant, une centrale de cogénération de 800 mégawatts produit davantage qu'un réacteur CANDU 6; c'est pourquoi je ne vois pas comment l'on ne pourrait pas en tenir compte. À mon avis, c'est un commentaire spécieux qui ne rime à rien.

Le sénateur Kelleher: Cela vient-il plutôt du fait que l'industrie a moins confiance dans les centrales nucléaires et que c'est cela qui explique qu'aucune nouvelle centrale nucléaire n'ait été construite récemment?

M. Rubin: Oui. De plus en plus, on considère que l'électricité est un bien et non pas quelque chose de magique que l'on appelle l'infrastructure. On considère que c'est un bien que les consommateurs achètent, que les producteurs produisent et que les transporteurs transportent. Lorsque l'on considère l'électricité de cette façon, sa production devient une activité commerciale. Dans cette optique, la plupart des investisseurs refusent d'envisager d'utiliser des centrales nucléaires. Personne n'est prêt à construire une centrale nucléaire à ses propres risques, avec ses propres fonds. Il y a beaucoup de gens qui investissent leurs fonds dans la production d'électricité. Mais il ne s'agit pas de la filière nucléaire, on parle de cogénération à gaz, c'est parfois des éoliennes, des petites centrales électriques. Il existe différentes techniques. Il faut signaler qu'il y a peu de projets axés sur le charbon, ce qui me fait plaisir en tant qu'écologiste; je suis également satisfait de constater qu'aucun de ces projets ne concerne le nucléaire.

Le sénateur Kelleher: Notre comité s'intéresse également aux normes internationales en matière de sécurité nucléaire. Compte tenu du fait que le Canada exporte ses réacteurs CANDU, j'ai demandé à EACL quelles étaient, le cas échéant, leurs responsabilités à l'égard des réacteurs CANDU vendus à la Roumanie et à la Corée. Ils m'ont répondu, comme je m'y attendais, qu'ils ne pouvaient exercer leur pouvoir dans ces pays mais qu'on les consultait régulièrement et qu'ils avaient des représentants sur place qui fournissaient des conseils.

Pensez-vous que cela soit suffisant? Si ce n'est pas le cas, quelles seraient vos recommandations sur ce point, étant donné que nous avons notre mot à dire à ce sujet, puisque ce sont nous qui vendons les CANDU à des pays qui en ont grandement besoin?

M. Rubin: C'est une excellente question. Je n'ai pas de réponse toute prête, en partie parce que j'essaie de mettre un terme à l'activité que vous essayez d'améliorer. Je pense également que cette activité se poursuit parce qu'elle bénéficie d'une aide artificielle sans laquelle elle cesserait immédiatement. Si l'on s'arrêtait de donner 1,5 milliard de dollars à chaque pays qui est suffisamment tyrannique ou dans le besoin pour penser qu'il va réussir à imposer à sa population un réacteur CANDU, je pense que les ventes cesseraient immédiatement et que nous n'aurions pas à nous demander si les réacteurs installés en Turquie ou en Chine sont sécuritaires.

Le sénateur Kelleher: Partez du principe que vous n'avez pas encore réussi à mettre fin aux ventes de réacteurs CANDU.

M. Rubin: Cela me fait mal au coeur de partir de ce principe mais je vais le faire. Je suis là pour vous être utile, et je vais donc essayer de répondre à votre question.

Le sénateur Kelleher: En attendant que vous réussissiez à faire arrêter les ventes de réacteurs CANDU, que pouvons-nous ou devrions-nous faire pour réduire les risques que ces réacteurs représentent dans ces pays? Je suis sûr que le sort des populations de ces pays vous préoccupe et que vous ne vous intéressez pas uniquement aux Canadiens.

M. Rubin: Tout à fait. Je m'intéresse également à leur environnement et à long terme, je ne suis pas convaincu que l'on améliore leur environnement ou leur sécurité en leur donnant l'illusion que leurs réacteurs sont moins dangereux qu'ils ne le sont. Cela permet d'envisager des compromis intéressants; je n'ai pas encore vraiment réfléchi à cet aspect mais je vais essayer de le faire dans un instant.

La Commission de contrôle de l'énergie atomique, notre organisme de réglementation que je critique souvent, communique régulièrement avec ses homologues des pays qui ont acheté des CANDU.

Le sénateur Kelleher: Je le comprends.

M. Rubin: Des membres des organismes de réglementation de l'industrie nucléaire de la Roumanie, et peut-être de la Chine, même si je ne connais pas très bien la situation en Chine, et de la Corée viennent au Canada suivre une formation fournie par la Commission de contrôle de l'énergie atomique, tout comme les exploitants de centrales suivent des stages auprès d'Énergie atomique Canada limitée et parfois d'Ontario Hydro, auparavant.

Ce n'est pas que nous ne leur transmettons pas notre expertise, cela, nous le faisons. C'est un problème d'extraterritorialité. Je ne pense pas que nous puissions les obliger à adopter toutes nos normes, ni à être aussi compétents que nous dans ce domaine, et l'on doit espérer que cela sera suffisant.

Il y a un aspect de mon exposé qui touche cette question, et j'aimerais pouvoir mieux vous répondre là-dessus, à savoir, si le Canada, par l'intermédiaire d'Énergie atomique du Canada limitée en tant que fournisseur de CANDU, met en jeu la responsabilité de la Couronne canadienne, au cas où l'un des réacteurs que nous avons vendu à l'étranger serait à l'origine d'une catastrophe nucléaire?

Le sénateur Kelleher: C'est là un des aspects qui intéressent le comité et je vous demanderais donc de bien vouloir y réfléchir. Il est difficile de se prononcer lorsque l'on n'a pas toutes les réponses. Vous pourriez peut-être réfléchir à cette question et nous faire parvenir votre opinion, en tenant pour acquis que le Canada va continuer à vendre des CANDU. Nous aimerions connaître vos suggestions, peut-être sur le genre de conditions que nous pourrions imposer aux acheteurs étrangers de réacteurs CANDU. Pourriez-vous nous les transmettre?

M. Rubin: Oui, si je réussis à réfléchir correctement sur cette question.

Je viens de penser en ce moment qu'il existe un mécanisme pour ce genre d'évaluation, qui est prévu par la loi, et que le gouvernement actuel ne l'a pas respecté; c'est l'évaluation environnementale des projets réalisés à l'étranger.

La présidente: Très bien.

M. Rubin: Il y a en ce moment une poursuite judiciaire qui porte sur ce point. Si l'on suit l'esprit de cette loi, on constate qu'elle offre un mécanisme qui permet d'évaluer la conception d'un projet, la formation des personnes chargées de le réaliser, ainsi qu'un certain nombre d'autres choses, notamment l'évaluation des effets du projet, ce qui pourrait au moins donner lieu à un examen public de ces questions.

Le sénateur Kelleher: Nous nous intéressons tout autant aux méthodes d'exploitation.

M. Rubin: Il serait souhaitable que le comité suive la question de la responsabilité extraterritoriale. Par exemple, dans le cas où les lois chinoises ne protègent pas EACL, et vous et moi en tant que contribuables, en cas de catastrophe nucléaire, et dans le cas où des citoyens chinois affirmeraient avoir perdu beaucoup d'argent, cela pourrait donner lieu à des poursuites extraterritoriales contre lesquelles il faudrait nous protéger.

Le sénateur Kelleher: Puis-je m'en remettre à vous sur ce point?

M. Rubin: Oui, mais je ne sais pas si je vais vous être très utile.

La présidente: Avant de donner la parole au sénateur Wilson, j'aimerais vous dire qu'à part ces décisions stratégiques, dont l'une d'entre elles fait l'objet d'un examen judiciaire, nous nous intéressons aux méthodes d'exploitation les plus efficaces dans ce cas-là et à ce que nous pouvons apprendre à leur sujet.

Le sénateur Wilson: Ma première question porte sur les risques de tremblements de terre. Nous avons pensé à un moment donné que cet aspect ne représentait aucun risque. Cependant, on rapporte de plus en plus fréquemment des tremblements de terre de faible ampleur. Avez-vous un commentaire à ce sujet?

L'autre domaine qui m'intéresse est l'importation du combustible MOX, du point de vue de la sécurité; pas d'un point de vue politique, ni parce que les gens ne sont pas d'accord avec les raisons de cette utilisation. Cela représente-t-il un danger pour la sécurité?

M. Rubin: Si vous me le permettez, je vais répondre aux trois questions, en commençant par celle qui a été posée avant vos deux questions.

La question des règles d'exploitation que nous devrions élaborer en ce qui concerne les réacteurs installés à l'étranger est exactement le genre de question à laquelle ni vous ni moi ne devrions répondre. Nous ne sommes pas en mesure d'écrire un manuel d'exploitation, ni de préciser ce qui devrait figurer dans un manuel d'exploitation d'une centrale nucléaire.

Les personnes qui sont le mieux placées pour le faire sont les propriétaires et les exploitants des réacteurs, pourvu que nous sachions que d'un point de vue structurel et motivationnel, ces personnes accordent à la sécurité une priorité plus forte qu'à la production de la centrale, et à l'établissement de records en matière d'exploitation. Si la priorité n'est pas accordée à la sécurité, le manuel sera inutile.

Je ne veux pas que la sécurité des réacteurs nucléaires dépende des corrections que je pourrais apporter aux manuels d'exploitation. Je ne voudrais même pas que l'on me demande de les lire. Je ne pense pas que les honorables sénateurs le souhaiteraient non plus. Ce n'est pas une tâche qu'il convient d'attribuer à un sénateur ou à Enquête énergétique. C'est une tâche qui devrait être confiée aux gens qui ont pour profession d'écrire ce genre de manuel. Il faut toutefois qu'ils sachent qu'ils seront sévèrement punis s'ils se trompent et largement récompensés s'ils font du bon travail. C'est comme cela que les choses se font.

La présidente: Voilà qui constitue une réponse.

M. Rubin: Je vais maintenant passer aux deux questions que m'a posées le sénateur Wilson. Tout d'abord, la question du risque sismique que courent les centrales nucléaires. Lorsque David Torgerson de l'EACL a déclaré qu'en cas d'accident, il se réfugierait dans une centrale CANDU, j'aimerais que quelqu'un l'avertisse qu'il y a un tremblement de terre et secoue sa chaise pour voir dans quelle direction il partirait. Je ne me réfugierais pas près d'un réacteur CANDU.

Le rapport de sûreté des réacteurs CANDU se fonde principalement sur la fiabilité des composantes individuelles en cas de problème interne. Toute la philosophie de la défense renforcée dont on vous a tant parlé aujourd'hui ne vaut, même sur le plan théorique, que si les composantes subissent des contraintes internes et non externes.

La défense renforcée est une notion qui a été adoptée parce que tout le monde sait que lorsque l'on conçoit un thermostat, une valve ou une composante d'un système de sécurité, il y a toujours un certain nombre d'échecs par millier d'utilisations. Il est difficile d'aller au-delà de 99,9 p. 100, au niveau de la fiabilité, quel que soit l'équipement, qu'il s'agisse du démarreur d'une automobile ou du système de sécurité d'un réacteur.

Une protection à 99,9 p. 100 est-elle suffisante à l'égard d'un accident nucléaire? Les premiers concepteurs et autorités de réglementation ont, grâce à Dieu, répondu que non. Ils ont déclaré: «Une possibilité d'accident de 1 sur 1 000 n'est pas acceptable pour ces systèmes. Ces chiffres sont trop inquiétants. Les conséquences sont si graves que cette probabilité est inacceptable.»

Quelle est la réponse? Il est difficile de faire beaucoup mieux que cela en matière de sécurité. La solution retenue consiste à prévoir deux composantes, et l'on part de l'hypothèse, et le mot essentiel ici est le mot «hypothèse», que rien ne va amener les deux composantes à connaître des problèmes en même temps.

Il faut reconnaître que les concepteurs de ces systèmes ont déployé de gros efforts pour concevoir différemment ces composantes; en outre, ils les ont placées dans des salles différentes pour qu'elles puissent être utilisées de façon indépendante. Il y a ainsi un système d'arrêt qui travaille avec des barres de cadmium et un autre qui utilise une injection de nitrate de caladium. Si un obstacle empêche les barres de cadmium d'entrer en action, le nitrate de caladium sera tout de même injecté et le réacteur arrêté. C'est ce que veut dire la notion de défense renforcée. On met en place deux systèmes dont chacun n'a qu'une chance sur 1 000 de ne pas donner le résultat voulu. L'idée est que ces deux systèmes étant complètement indépendants l'un de l'autre, il n'y a qu'une chance sur un million que les deux systèmes ne fonctionnent pas en même temps.

Ce calcul de probabilités repose sur l'hypothèse que la possibilité que le deuxième système ne fonctionne pas lorsque le premier ne fonctionne pas non plus est toujours la même. Il faut que les deux événements soient indépendants l'un de l'autre.

Le sénateur Wilson: Est-ce que cela concerne également les tremblements de terre?

M. Rubin: Oui. Il existe certaines catégories de causes que cette analyse ne peut prendre en compte parce qu'elles sont manifestement susceptibles de faire se produire simultanément «des événements indépendants». Un tremblement de terre est un de ces événements. Ce n'est pas le seul. Le sabotage est un autre type d'événement. Un acte de malveillance, tout comme un tremblement de terre, peut être simultanément à l'origine du problème qui déclenche l'utilisation des systèmes de sécurité et qui pourrait également empêcher ces derniers de fonctionner.

La probabilité que le système d'arrêt numéro 2 ne fonctionne pas au moment où le système d'arrêt numéro 1 ne fonctionne pas et où il faut arrêter le réacteur est très faible, à moins qu'il y ait une cause externe qui soit à l'origine de ces trois possibilités. Ce genre de situation n'est pas du tout impensable. Il ne s'agit pas de multiplier par trois une fois sur 1 000, il faut multiplier par un la probabilité que représente un tremblement de terre.

Pour la plupart de nos centrales nucléaires, le risque sismique est beaucoup plus élevé que nous le pensons. Les données antérieures ne représentent pas une façon fiable de calculer le risque d'un tremblement de terre.

Je vais passer à un autre sujet, celui du combustible MOX, si vous me le permettez.

Le sénateur Wilson: J'ai un commentaire à faire au sujet du MOX. Je ne veux pas que vous me parliez des motifs politiques qui expliquent son importation. Qu'en est-il de l'aspect sécurité, ou y a-t-il un risque?

M. Rubin: Tout d'abord, les tests de petite envergure que l'on effectue en ce moment ne soulèvent pas de grandes préoccupations sur le plan de la sécurité, ce qui ne serait, par contre, pas le cas avec un programme important de fusion à l'aide du combustible MOX qu'envisagent EACL et le gouvernement fédéral.

Le fonctionnement de ces réacteurs soulève d'autres questions de sécurité. Ce genre de combustible aggrave les problèmes de contrôle des réacteurs. Leur toxicité augmenterait. Pour savoir si c'est là une répercussion grave, il faut comprendre quels sont les niveaux de toxicité. Ce n'est pas en aggravant ceux-ci que l'on va dans la bonne direction. Il y a également des problèmes de transport; je ne me considère pas toutefois comme un spécialiste de ce domaine. Ces problèmes m'apparaissent toutefois réels et ils ont été examinés beaucoup plus sérieusement par les organismes du gouvernement des États-Unis qu'ils ne l'ont été par les organismes publics canadiens.

Le sénateur Taylor: Je note que vous avez cité des probabilités. Je suis ingénieur dans le domaine des hydrocarbures et j'ai également noté que vous avez utilisé le mot «toxique». Il n'y a rien de plus toxique qu'une raffinerie de pétrole, si l'on pense à toutes les substances qui y sont traitées. Le produit final est toxique et il a des effets très divers.

Il faut toujours faire des compromis dans la vie. Par exemple, on peut décider de ne pas manger de boeuf à cause du cholestérol et de ne manger que des légumes pour s'apercevoir ensuite qu'ils sont modifiés génétiquement et qu'ils vont peut-être vous envoyer dans l'autre monde plus rapidement que si vous aviez mangé du boeuf. Il faut toujours faire des compromis.

Vous semblez être quelqu'un qui aime concevoir des modèles mathématiques. Avez-vous essayé d'intégrer le facteur inconnu B dans un modèle; vous en parlez presque comme s'il était connu mais je crois que c'est encore un facteur inconnu, à savoir le pouvoir destructeur d'une catastrophe nucléaire, par rapport à la destruction qu'occasionne l'utilisation des hydrocarbures comme source d'énergie, avec ce que nous faisons à l'air et à l'eau? Comme vous le savez, en Californie, l'on met des additifs dans l'essence pour que l'air soit plus pur mais on constate maintenant que ces additifs se retrouvent dans l'eau et qu'ils nous tuent de cette façon plutôt que par l'air. Il y a également l'oxyde de carbone et l'effet de serre, et cetera.

Avez-vous élaboré un modèle qui indique, que nous soyons d'accord ou non, que l'énergie atomique est le meilleur choix par rapport à la pollution que causent le pétrole et le gaz? Qu'allez-vous choisir si vous avez, d'une part, l'énergie atomique et, d'autre part, des gens comme moi qui disposent de pétrole et de gaz et qui polluent tout ce qu'il est possible de polluer? En d'autres mots, préférez-vous être pendu ou électrocuté? Vous avez le choix, mais vous devez choisir.

M. Rubin: Permettez-moi de présenter une approche au problème qui, selon moi, peut différer de la vôtre. Je ne crois pas que de telles décisions doivent être prises à la soviétique. Je ne crois pas que ces décisions doivent être prises par le Poliburo, qui détermine qui doit conduire une voiture à l'électricité et qui doit conduire une automobile alimentée à l'essence ou au gaz naturel. Je crois plutôt que le pollueur devrait payer, qu'il faudrait intégrer les effets sur l'environnement dans les frais d'exploitation et laisser aux gens la possibilité de faire leurs propres choix. Je ne veux pas subventionner les risques que vous créez en conduisant tel type d'automobile et vous ne souhaitez pas subventionner les risques que je crée en conduisant un type de voiture différent. Chacun devrait assumer ses propres risques et l'industrie devrait supporter ces risques et les refiler aux consommateurs.

Le sénateur Taylor: Pouvez-vous le faire avec l'énergie atomique ou nucléaire?

M. Rubin: Oui, bien sûr. Il suffit que les parties qui créent le risque en portent la responsabilité. Il faut s'assurer, en vertu d'une législation, que ces parties ont les ressources financières suffisantes pour le faire. Cela constitue un bon point de départ. En d'autres mots, il faut faire exactement l'opposé de ce que fait la Loi sur la responsabilité nucléaire. Cela vous rapproche davantage de la notion de la responsabilité. Il y a ensuite le rayonnement de faible activité. Les réacteurs sont conçus pour produire et disperser des déchets radioactifs, mais ils sont basés sur des données scientifiques qui remontent à 20 ans et qui sont largement périmées par rapport aux effets. De plus, le consentement informé des personnes qui y sont exposées constitue un important principe. Je suis de ceux qui estiment que les personnes exposées à des risques ont des droits et qu'il faudrait obtenir ou acheter leur consensus. Voilà ma position.

Dans le cas du dioxyde de carbone et des gaz à effet de serre, il doit y avoir une centralisation du type Poliburo. Ensemble, nous devons déterminer la valeur négative de ces émissions à internaliser et cette valeur devrait être établie par le biais d'un mécanisme comportant par exemple des droits d'émission échangeables ou des permis d'émission échangeables, ou quelque chose du genre. C'est l'équivalent économique d'une taxe sur le carbone. En bout de ligne, les conséquences sont les mêmes, mais l'argent se retrouve ailleurs. C'est la raison pour laquelle cette approche est politiquement très différente. Du point de vue de l'incitatif cependant, cela signifie que les personnes qui veulent s'acheter une plus grosse automobile, consommer davantage d'essence et émettre encore plus d'additifs doivent payer beaucoup plus pour ce privilège. Ceux qui veulent moins polluer paient moins.

J'ai trouvé intéressante l'initiative du gouvernement fédéral de publier un Livre vert sur l'environnement il y a plusieurs années, de fait, plusieurs gouvernements avant l'actuel gouvernement. Cette initiative a permis de discuter d'internalisation et de mécanismes économiques pour la mise en place des incitatifs. Le gouvernement a soutenu qu'il voulait le faire pour envoyer le bon signal, à condition de ne pas modifier le niveau d'activité dans les divers secteurs de notre économie.

Le côté élégant et radical de l'internalisation est le fait qu'elle modifie le niveau d'activité des divers secteurs de notre économie. D'une certaine façon, cela peut sembler un moyen très conservateur de demander aux gens de payer pour les dommages qu'ils causent, mais dans les faits, cela est beaucoup plus radical que tout ce que la plupart des gouvernements envisageraient de faire parce qu'une telle initiative supprimerait certains produits et permettrait d'en créer d'autres. Les produits qui seraient disponibles seraient de meilleure qualité et plus propres et moins dommageables que ceux qui sont actuellement disponibles dans le commerce.

Le sénateur Taylor: En internalisant les effets, c'est-à-dire le danger, vous apportez un bon argument en faveur de l'énergie nucléaire. Cela n'est pas possible dans le cas de l'énergie produite avec des hydrocarbures. De fait, nous faisons de notre mieux pour inciter Saddam Hussein à exporter des hydrocarbures parce que les coûts sont beaucoup trop élevés. Tantôt, nous imposons des restrictions à certaines sociétés qui vendent du pétrole sur le marché international et maintenant, nous ne le faisons plus. Mise à part l'entente de Kyoto, qui est pour nous une façon de réduire les émissions CO2 -- et même à cela, l'industrie des hydrocarbures se plaint amèrement -- nous n'internalisons pas les dangers que constituent les hydrocarbures. Pourquoi donc faudrait-il internaliser les dangers du nucléaire? Êtes-vous en train de nous dire que nous avons tort dans les deux cas?

M. Rubin: Comparons des pommes à des pommes: les risques qu'une centrale énergétique alimentée au gaz naturel explose sont entièrement à la charge du propriétaire-exploitant de l'installation.

Le sénateur Taylor: Je parle ici de pollution atmosphérique, qui constitue le danger le plus grave de l'utilisation d'hydrocarbures. Cette pollution est à l'origine de l'asthme et elle cause le smog. L'utilisation d'hydrocarbures tue probablement des centaines de milliers de personnes, et l'effet du charbon est encore pire. J'admets que ces installations n'explosent pas, bien que certaines raffineries aient explosé. La quasi-totalité du risque avec le nucléaire se situe au point d'explosion, tandis que les risques pour les solutions de remplacement sont étalés un peu partout au monde. C'est pourquoi je m'interrogeais au sujet de votre modèle. N'y a-t-il pas une forte probabilité que plusieurs autres personnes meurent à cause de petites doses de smog, de soufre, et cetera, ici et là dans le monde par rapport au risque isolé qu'une centrale nucléaire explose?

M. Rubin: Il est manifeste que les émissions, plus particulièrement celles des centrales énergétiques alimentées au charbon, tuent des gens, et que ces coûts devraient être internalisés. Le gouvernement de l'Ontario, par exemple, a raté une occasion de se montrer très sévère non seulement à l'endroit des centrales qui émettent des composantes du smog, mais aussi des producteurs industriels, à qui on accorde un an ou deux ans de plus pour corriger leur situation. Enquête énergétique a beaucoup travaillé pour qu'on limite et réduise ces émissions. Je ne crois pas qu'il faille parler de double standard ici. De fait, si nous faisons les deux -- si nous faisons en sorte que les producteurs du risque nucléaire absorbent le risque et si nous faisons en sorte que les producteurs d'électricité à partir du charbon supportent le risque du charbon -- nous aurons tiré le meilleur parti des deux solutions. Dans les deux cas, il ne s'agit pas de la meilleure solution de rechange, comme nous le savons maintenant.

La présidente: Nous donnons une grande marge de manoeuvre à tous, mais nous nous intéressons surtout à l'aspect de sûreté et non de savoir s'il faut ou non utiliser l'énergie nucléaire.

Le sénateur Taylor: J'ai soulevé cette question parce que j'estime qu'on laissait entendre que l'énergie nucléaire n'était pas sécuritaire et que toutes les autres formes d'énergie l'étaient. Je voulais faire valoir que nous sommes engagés sur une route sinueuse, peu importe le point de vue.

La présidente: Vous avez tout à fait raison.

M. Rubin: Dans le cas particulier de l'énergie nucléaire, ce sont nos gouvernements qui ont artificiellement créé la notion «d'irresponsabilité». Pour ce qui est des émissions qui s'échappent dans l'atmosphère, il en a toujours été ainsi. Nous exhalons tous et nous ne payons pas pour le faire. Nos plantes et nos voitures émettent des gaz également. Nous devons trouver une solution à ce problème. Toutefois, il faudra être futés, dynamiques et actifs pour y arriver. Pour moi, c'est beaucoup plus choquant de constater que cela semble être une question normale. Si vous construisez une centrale électrique et qu'elle explose et détruise les maisons environnantes ou qu'elle force les gens à se déplacer, on vous enverra une facture. On a changé la règle, et je trouve cela stupide.

La présidente: Nous avons pris bonne note de votre point de vue et nous apprécions votre intervention.

Le sénateur Buchanan: Vous feriez un bon politicien parce que vous êtes capable de débattre de toutes ces choses et de nous convaincre de choses au sujet desquelles nous ne sommes peut-être pas très bien renseignés. Je me demande bien tout ce que vous savez. C'est là l'art des politiciens.

À la première page de votre mémoire, on peut lire ce qui suit:

«Selon bien des gens, la question de la sûreté nucléaire est trop compliquée à comprendre pour les non-initiés. Même si elle comporte de nombreux détails complexes, la question est en fait trop simple à comprendre pour les experts. La clé de sa simplicité réside simplement à courir le risque. Lorsque quelqu'un affirme qu'un risque est faible, négligeable ou acceptable, demandez-vous si l'auteur de cette affirmation court effectivement ce risque. Il est beaucoup trop facile pour quiconque (bon ou méchant) «d'accepter» des risques qui pèsent sur les autres».

Que voulez-vous dire par là?

Permettez-moi d'abord de faire l'observation suivante. Il n'y a pas d'énergie nucléaire en Nouvelle-Écosse. Il y a plusieurs années, j'ai entendu des gens dire que nous allions tous mourir, particulièrement dans l'ouest de la Nouvelle-Écosse, parce que le jour où l'inévitable surviendrait et que Point Lepreau exploserait, toutes les retombées iraient de l'autre côté de la baie de Fundy pour nous tuer tous. Cela ne s'est jamais produit.

La présidente: Sénateur Buchanan, je dois vous informer que la Commission de contrôle de l'énergie atomique précise que la centrale de Point Lepreau est inadéquate.

Le sénateur Buchanan: Non. Elle fonctionne depuis 18 ans et elle n'a présenté aucun problème grave.

Les gens à qui j'ai parlé de centrales nucléaires au fil des ans disent qu'elles sont très sécuritaires et que le risque est négligeable. Vous avez également affirmé que le risque est minime et négligeable. Ce sont ces gens qui supportent le risque. Ce sont les gens qui travaillent et vivent autour de Point Lepreau. D'autres travaillent dans des centrales aux États-Unis. J'ai eu à aborder cette question à plusieurs reprises au Connecticut quand des gouverneurs voulaient qu'un réacteur soit autorisé au New Hampshire et que d'autres voulaient qu'il n'en soit rien. Éventuellement, le réacteur a été autorisé et depuis, il n'y a eu aucun problème. Le seul problème est que l'opposition de certaines personnes a entraîné des coûts beaucoup plus élevés pour les utilisateurs d'énergie que si la délivrance d'un permis avait pu se faire bien avant. Les gens à qui j'ai parlé et les gens qui étaient ici il y a quelques semaines disent que «c'est la raison pour laquelle c'est sécuritaire. Nous n'exploiterions et nous n'autoriserions pas une centrale si elle n'était pas sûre». Ces gens semblaient avoir les qualifications requises pour nous le dire. Ces gens y travaillent. Quelles sont vos qualifications?

La présidente: Vous aviez déjà posé une question. Je pense que vous avez demandé à M. Rubin ce que signifiait l'énoncé contenu dans son mémoire, ensuite vous avez posé cette seconde question.

M. Rubin: Les deux questions se tiennent.

Le sénateur Buchanan: Oui, les deux questions sont reliées.

M. Rubin: Je me décris comme un physicien à moitié complet. J'ai obtenu mon diplôme de MIT il y a plusieurs années, et je m'intéresse à ces questions depuis plus de 21 ans. Je ne voudrais certainement pas remplacer M. Victor Snell et ses collèges de l'EACL et commencer à concevoir des réacteurs ou à rédiger les rapports de sûreté, parce que j'estime que je ne ferais pas nécessairement un meilleur travail qu'eux. Je ne prétends pas avoir le même niveau d'expertise. D'une certaine façon, je me présente ici avec une certaine philosophie. Je me suis toujours considéré comme un structuraliste.

Le sénateur Buchanan: C'est bien d'avoir une philosophie, mais qui a-t-il derrière la vôtre? J'ai suivi des cours de science, de génie et de droit et je me considère comme un demi-ingénieur et un demi-avocat parce que je suis en politique depuis 33 ans. Comment étayez-vous votre philosophie avec des connaissances et de l'expertise?

M. Rubin: Un des fondements principaux de la crédibilité d'Enquête énergétique et un des fondements principaux de ma propre crédibilité est le nombre de fois où nous avons eu raison.

Le sénateur Buchanan: J'attendais que vous le disiez.

La présidente: Sénateur Buchanan, je vous prie de laisser M. Rubin répondre à la question et je vous laisserai suffisamment de temps pour la réplique.

Le sénateur Buchanan: Le témoin a raison, mais où y a-t-il eu des explosions de centrale nucléaire au Canada et aux États-Unis? Il n'y a eu que Chernobyl, et tout le monde sait bien que vous ne pouvez citer ce cas en exemple.

M. Rubin: Non. Dieu merci, le Canada n'a eu à rapporté aucun accident nucléaire grave.

Le sénateur Buchanan: Quand donc avez-vous eu raison dans ce cas?

M. Rubin: Je n'ai pas dit que nous devrions avoir eu un accident majeur à l'heure actuelle. Chaque fois que j'ai estimé les risques d'un accident grave, ils ont toujours été de l'ordre de 1 pour 10 000 années-réacteur. Le débat que nous avons avec l'industrie nucléaire est de savoir si nous parlons de 1 sur 5 000 années-réacteur ou de 1 sur un million d'années-réacteur. À l'occasion, il se trouve un cinglé du secteur nucléaire pour dire que le risque est inférieur à 1 cas sur un million d'années-réacteur, mais ce n'est pas très fréquent. Voilà le genre de discussion que nous avons.

Nous sommes dans un domaine où un seul cas est déjà de trop pour le voisinage, où un seul cas est de trop pour le pays et aussi pour l'industrie. En d'autres mots, le risque que je qualifie d'inacceptable ne semble pas être une chose assurée.

Une des choses curieuses au sujet de ce risque et une des raisons pour lesquelles nous avons souvent de mauvaises réponses, c'est que la probabilité d'un accident catastrophique est suffisamment faible pour que tout travailleur dans ce domaine soit raisonnablement convaincu qu'il aura pris sa retraite avant qu'un incident de ce genre ne se produise. Il ne s'agit pas d'un événement auquel nous devrons faire face lundi matin. Le risque n'est pas de cet ordre. En général, les humains sont assez bons pour affronter ce niveau de risque. Par exemple, ils prennent un parapluie les jours de pluie, et ainsi de suite. La question est de savoir comment faire preuve de prudence face à un événement qui peut mettre fin à la vie telle que vous la connaissez dans votre région de la province, s'il se produit. Il peut se produire et les probabilités peuvent être de 1 sur 5 000 ans pour une unité ou il peut être de 1 sur un million d'années pour une unité. Il est très difficile pour les humains de rationaliser ce type de situation. C'est pourquoi il faut, à tout le moins, des règles normales de responsabilité humaine pour que les gens fixent le plafond de leur chambre à coucher le soir et qu'ils éprouvent à la fois un niveau approprié de peur et de prudence.

Le sénateur Buchanan: Il ne fait aucun doute que vos propos sont des plus logiques. Permettez-moi de vous donner un exemple. Je viens d'une province où j'ai défendu -- et je défends toujours, contrairement à plusieurs autres personnes -- l'utilisation du charbon. J'ai grandi au Cap-Breton, où l'on exploite des mines de charbon et où l'on utilise du charbon comme combustible depuis des années. À l'heure actuelle, des centrales énergétiques alimentées au charbon génèrent 1 000 mégawatts d'électricité -- certaines sont équipées de laveurs, d'autres n'en ont pas, certaines ont un lit fluidisé où les niveaux de SO2 sont inférieurs à tout ce que vous trouvez ailleurs sur la côte est de l'Amérique du Nord. Cela étant dit, je suis parfaitement conscient que tout cela se terminera bientôt. On n'ouvrira pas la nouvelle mine Donkin. On en a fermé une et l'autre restera en exploitation pendant peut-être dix autres années.

Quelle est la solution de rechange à l'utilisation du charbon? Quelle est la solution de rechange à l'utilisation de l'énergie nucléaire? On m'a dit qu'il fallait changer les méthodes de production d'électricité et compter davantage sur le soleil et le vent. Nous avons envisagé ces possibilités. En tant que politiciens, nous devons tenir compte des coûts pour le consommateur. Le coût à la consommation de la production d'électricité à partir de l'énergie solaire et de l'énergie éolienne est beaucoup trop élevé. En conséquence, comment faut-il produire de l'électricité? En Nouvelle-Écosse, nous sommes assez chanceux, parce qu'il y a de grandes quantités de gaz naturel au large des côtes. Il se pourrait fort bien que d'ici quelques années nous produisions de l'électricité à partir de gaz naturel parce que le pipeline se rendra jusqu'au Cap-Breton. Sans gaz naturel, comment peut-on générer de l'électricité et le faire d'une manière qui soit accessible pour les consommateurs?

M. Rubin: Il faut le faire d'une manière qui incite les producteurs à prendre un risque. Il ne faut pas les mettre à l'abri de leurs propres responsabilités. Toutefois, si les gens veulent investir dans un parc d'éoliennes, laissez-les faire.

Le sénateur Buchanan: Ils n'investiront pas dans un parc d'éoliennes.

M. Rubin: Je ne pensais pas qu'ils le feraient à Toronto, monsieur le sénateur, mais on le fait. Cela peut très bien se produire. Il est bien possible que nous ayons des batteurs à oeufs éoliens.

Le sénateur Buchanan: Je vois des batteurs à oeuf qui tournent en Californie, mais les coûts à la consommation sont beaucoup plus élevés que si on produisait de l'électricité à partir d'autres types de combustibles.

M. Rubin: Ce sont les consommateurs qui en paient les coûts.

Le sénateur Buchanan: C'est exact.

M. Rubin: Les contribuables ne subventionnent pas ces coûts. Si vous trouvez des investisseurs et des consommateurs qui sont prêts à payer pour la production et la vente de l'électricité à partir de gerboises qui courent dans des cages, ça ne me pose aucun problème. L'équilibre entre l'offre et la demande viendra des producteurs et des fournisseurs.

En Nouvelle-Écosse, comme vous l'avez dit, la production se fera à partir de gaz naturel et, je crois, d'autres sources plus renouvelables. Le rendement du gaz naturel sera probablement trois fois supérieures à celui du charbon, et à peu près trois fois supérieur à la fission d'uranium par cogénération. C'est la façon la plus économique de produire de l'électricité. C'est merveilleux: parfois l'aspect économique prend le dessus parce que c'est tout simplement la façon la plus efficiente, et, partant, la plus respectueuse de l'environnement. Vous obtenez le produit le plus utile à partir d'un minimum d'intrants et d'un minimum de conséquences à la sortie.

Il s'agit là d'une façon relativement écologique de produire de l'électricité -- pas à 100 p. 100, mais probablement six fois meilleure que la combustion de charbon. Les ressources renouvelables offrent encore de meilleures solutions. Mais le consommateur a le choix. Certains accepteront de payer davantage pour des ressources naturelles plutôt que pour le gaz naturel. Je crois que plusieurs personnes paieront davantage pour de l'électricité produite par une usine de cogénération plutôt qu'à partir de charbon ou d'énergie nucléaire.

Le sénateur Buchanan: Je ne crois pas.

M. Rubin: Eh bien, nous verrons.

Le sénateur Christensen: Vous avez parlé des possibilités de défaillance dans la production d'énergie nucléaire et vous vous êtes demandé aussi qui assume le risque. Bien franchement, je ne me soucie guère de savoir qui assume le risque si je suis près de l'installation et qu'elle explose, ou n'importe où ailleurs dans les circonstances, parce qu'un tel événement affecterait non seulement la région immédiate, mais toute la planète. À votre avis, compte tenu de la technologie d'aujourd'hui, croyez-vous qu'il soit possible de produire de l'énergie nucléaire en toute sûreté?

M. Rubin: Compte tenu de l'intelligence humaine -- et non pas particulièrement de la technologie nucléaire d'aujourd'hui -- il est certainement possible de faire mieux que ce que nous faisons. Il peut être possible, dans un avenir prévisible, de construire des réacteurs de taille appropriée et qui soient sûrs, pourvu qu'on en fasse l'effort. Il existe des réacteurs intrinsèquement sûrs.

Le sénateur Christensen: Vous sentiriez-vous à l'aise de recommander ces «réacteurs intrinsèquement sûrs».

M. Rubin: Oui. On a abondamment cité les propos favorables que j'ai pu tenir au sujet du réacteur SLOWPOKE, par exemple, l'Université de Toronto, qui vient tout juste d'être arrêté. J'ai été invité la veille qui a précédé l'arrêt du réacteur. J'ai dit qu'il s'agissait d'un réacteur intrinsèquement sûr parce que c'est le cas. Je n'ai aucun problème à l'affirmer.

On peut considérer la conception d'un réacteur et se demander quelles seraient les conséquences d'une fuite d'eau du réservoir. Qu'arriverait-il si un malin s'emparait de la barre d'arrêt et l'emmenait chez lui? Nous pourrions formuler ainsi des hypothèses à n'en plus finir. À moins d'apporter sa propre source d'énergie, comme de la dynamite ou quelque chose du genre, il n'y a essentiellement aucune façon pour ce type de réacteur de distribuer son poison à l'intérieur du petit contenant au coeur du réacteur.

Le concepteur de ce réacteur, M. John Hillborn d'EACL, a eu la tâche beaucoup plus facile que les concepteurs du réacteur CANDU parce qu'il s'agit d'un très petit réacteur et que sa production maximale est de l'ordre de 20 kilowatts. Un tout petit réacteur qui, à pleine puissance, ne génère pas beaucoup d'électricité. Toutefois, des humains futés pourraient s'inspirer des principes de conception et des processus pour concevoir des réacteurs nucléaires de plus grande taille qui seraient intrinsèquement sûrs.

En ce qui me concerne, une des plus grandes gaffes d'EACL -- qui regroupe des gens intelligents, je m'empresse de l'ajouter -- a été de laisser ce même personnage intelligent, M. John Hillborn, créer un réacteur de plus grande taille en disant qu'il devrait être installé sous les stationnements des petits centres commerciaux pour éclairer et chauffer les lieux. Il a aussi recommandé que les réacteurs soient installés dans le sous-sol d'immeubles d'appartements pour chauffer les appartements. Il a conçu un réacteur suffisamment gros pour produire de l'énergie. Ce faisant, il a perdu la qualité de sûreté intrinsèque. Il s'est trompé. Tout à coup, le concept ouvrait la porte à une perte d'eau et à la possibilité que des matières se répandent dans l'immeuble d'appartements. Il ne s'est pas arrêté pour réfléchir. Il n'a pas pris conscience de l'importance de sa découverte fortuite initiale, de telle sorte qu'il n'a pas pu tenir compte de la priorité numéro un dans la conception d'un plus gros réacteur. En partie à cause de cela, personne n'a acheté le gros réacteur. On a arrêté le réacteur. Le projet est mort, il n'existe plus. Lui s'est retiré. Fin de partie.

Toutefois, la chose est concevable. On note un certain nombre d'efforts de conception sans enthousiasme un peu partout dans le monde -- je dis sans enthousiasme parce que les gens sont trop intelligents dans le monde industrialisé pour investir dans les centrales nucléaires. J'ai apporté un document sur des réacteurs intrinsèquement sûrs ou plus sûrs. Il y a un certain nombre de projets prometteurs. Si je voulais vraiment accroître le nombre de réacteurs dans le monde, c'est là que je commencerais. J'essayerais d'abord de concevoir des réacteurs à partir du début comme si l'opinion des voisins comptait, comme si nous vivions dans une démocratie et comme si nous étions responsables de nos actes. Quel résultat pourrions-nous obtenir? J'estime que nous pourrions produire des centaines de mégawatts. Il y a des facteurs d'échelle. Avec tout concept, il est possible d'aller trop loin et de perdre le caractère intrinsèque de la sûreté. Toutefois, j'estime que nous pourrions produire des centaines de mégawatts tout en préservant le caractère de sûreté intrinsèque.

Le sénateur Christensen: Si vous alliez dans ce sens et que vous pouviez rendre les réacteurs plus sûrs, parce que vous dites que c'est possible, pourquoi donc n'êtes-vous pas à l'aise d'envisager la production d'énergie nucléaire?

M. Rubin: Je ne suis pas farouchement opposé à l'énergie nucléaire. Je ne sais pas si dans 100 ans ou même dans 50 ans les humains n'auront pas trouvé une façon de résoudre ces problèmes. Les déchets radioactifs et les mines d'uranium posent problèmes. Il ne s'agit pas uniquement de la sûreté des réacteurs. Toutefois, le problème de la sûreté des réacteurs est, en théorie, un problème qui peut être réglé en partie. Aucune solution n'est possible si vous dites aux concepteurs et aux exploitants qu'il n'y a rien à craindre. Aucun problème ne peut être réglé si vous dites à quelqu'un de ne pas le régler. C'est tout simplement de la stupidité.

Par contre, si vous essayez de régler le problème comme s'il était important de trouver une solution, j'estime que ce problème là est soluble. Le problème est que la solution risque de ne pas rendre les réacteurs beaucoup meilleur marché. Leur coût est tellement élevé que la solution devient inutile. Il n'y a rien à ajouter. Ils perdent sur toute la ligne. Il faudrait traiter avec la Chine avant de pouvoir trouver un client.

Le sénateur Wilson: Nous avons tout abordé ce soir, ce qui me paraît intéressant. Je tiens à appeler au comité que le point central de votre argumentation est que les créateurs, les propriétaires et le programme de promotion des réacteurs nucléaires n'acceptent pas le risque qui a été créé. Ma question est la suivante: Pourquoi pas? Il est important que le comité se souvienne de cela.

La présidente: Pourriez-vous abréger vos réponses? Il ne nous reste pas beaucoup de temps et d'autres personnes veulent poser des questions.

M. Rubin: Plusieurs des choses dont nous avons parlé pour rendre le monde meilleur sont précisément des choses pour lesquelles les concepteurs, les propriétaires et les exploitants pourraient redoubler d'efforts s'il y avait une incitation à le faire. Nous avons artificiellement enlevé cet incitatif.

Le sénateur Buchanan: Je suis fort aise de vous entendre dire que vous n'êtes pas fondamentalement opposé à l'énergie nucléaire et que vous ne vous y opposeriez pas si on trouvait une solution satisfaisante à vos préoccupations de sûreté. Est-ce exact?

M. Rubin: Il y a d'autres préoccupations, mais il est possible de régler le problème de la sûreté.

Le sénateur Buchanan: Vous dites donc que les gens d'EACL, qui sont ceux qui s'occupent de la délivrance de permis pour les réacteurs nucléaires...

M. Rubin: Les permis sont délivrés par la CCEA. EACL conçoit et vend des réacteurs.

Le sénateur Buchanan: Oui. Ces gens disent qu'ils ne délivreraient pas de permis pour l'exploitation de centrales nucléaires au Canada s'ils n'étaient pas convaincus de la sûreté des installations.

M. Rubin: Oui, une sûreté appropriée, toute chose étant considérée.

Le sénateur Buchanan: Trouvez-vous à redire à ce qu'ils nous affirment?

M. Rubin: Oui. Ils établissent leurs propres compromis et leurs propres options là où ils croient devoir le faire.

Le sénateur Buchanan: Ce sont des spécialistes du domaine.

M. Rubin: Oui, mais ce n'est pas là une question technique au plan fondamental. La question de la sûreté n'est pas une question technique en bout de ligne. La façon d'en arriver à la sûreté est technique. J'établis cette distinction, par exemple, en radioprotection.

Il existe un groupe éloigné d'intellectuels sans responsabilité établi à Genève ou à Vienne, ou quelque part par là, qui s'appelle la Commission internationale de protection radiologique. Ces gens décident du consensus scientifique sur le niveau de rayonnement et sur le niveau de cancer que produit ce rayonnement. Très bien. Ces gens décident également de ce qui constitue une dose acceptable de rayonnement. Je ne suis pas d'accord. Ce n'est pas une question technique. Dans un premier temps, c'est un peu comme si on concentrait les meilleurs aspects scientifiques de toutes les meilleures études du monde. Vous pouvez déterminer de façon assez précise comment le rayonnement cause le cancer. À partir de cela, vous pouvez calculer quels sont mes risques à partir des émissions de la centrale nucléaire Pickering, mais vous ne pouvez me dire si ce risque est acceptable ou non parce que ce n'est pas une question technique. C'est plutôt une question politique, une question humaine.

Le sénateur Buchanan: Il y a des rayonnements dans cette salle, à l'heure actuelle.

M. Rubin: Exactement. Dieu a créé le rayonnement et si nous pouvions nous plaindre et y changer quelque chose, certains d'entre nous le feraient. Par contre, d'autres considèrent qu'il s'agit là d'un bien petit prix à payer pour vivre sur une planète merveilleuse. Je suis plutôt de cet avis. J'aimerais bien qu'il n'y ait pas de rayonnement. Je crois aussi que le nombre de cancers serait moins élevé s'il n'y avait pas le rayonnement, comme l'estime la Commission internationale de protection radiologique.

Le sénateur Buchanan: Toutefois, le rayonnement a toujours existé.

M. Rubin: C'est exact. Et c'est probablement ce qui est à l'origine de certaines mutations qui nous ont permis d'évoluer au stade où nous en sommes maintenant. Je suis fort aise que cela n'entraîne pas de mutation plus rapide chez moi.

De toute façon, il y a une question technique qui concerne la façon de le faire une fois qu'on a décidé de procéder. L'autre question est de décider ce qu'il faut faire.

Le sénateur Buchanan: Je ne suis pas contre le fait que des gens comme M. Rubin soit de cet avis. Je n'y suis pas opposé parce qu'il faut des gens comme M. Rubin dans notre société pour faire contrepoids aux personnes comme moi qui ne croient pas ce que vous dites. Il n'est pas nécessaire de me le prouver.

Le sénateur Finnerty: J'ai une question qui se rapporte à la question du sénateur Wilson concernant les tremblement de terre. Je crois comprendre que la centrale de Pickering est construite sur une faille. Quelle magnitude de séisme et à quelle distance devrait-il se produire de la faille pour entraîner une rupture de l'enveloppe de confinement? Avez-vous fait des études sur cette question?

M. Rubin: Je n'ai pas fait mes propres études parce que je ne suis pas sismologue. Je ne suis pas la personne qui devrait faire l'étude, mais plusieurs études ont déjà été faites. Une des meilleures sur le risque de séisme -- c'est-à-dire le risque d'un important tremblement de terre -- a été faite en réponse à notre poursuite concernant la Loi sur la responsabilité nucléaire, parce que nous insistions sur le risque de tremblement de terre. À la suite de cette étude, le Canada et l'industrie nucléaire au Canada sont allés plus loin qu'ils ne l'avaient fait auparavant pour quantifier le risque à proximité de Pickering et de Darlington. Ainsi, nous avons fait progresser la science. En partie à la suite de cette action, la Commission de contrôle de l'énergie atomique a exigé qu'Ontario Hydro, devenu OPG, fasse une évaluation sismique de la bordure.

Plusieurs des études qui ont été réalisés montrent que la conduite de sûreté, l'espèce de tuyau d'aspirateur qui relie les huit réacteurs au bâtiment sous-vide, est probablement l'élément le plus vulnérable de l'ensemble. Certaines études ont montré que le système pouvait connaître une défaillance dans des conditions de séisme tout à fait concevables. Selon moi, l'évaluation sismique de la bordure a entraîné certains changements de conception, mais elle a surtout donné des résultats rassurants. Je ne les ai pas véritablement approfondis car je ne suis pas la personne toute indiquée pour les examiner. Vous choisissez un tremblement de terre. Quelle magnétique de tremblement de terre voulez-vous examiner? Voilà la première chose à faire. Celle qu'Ontario Hydro a choisi d'examiner est moins importante que ce que plusieurs géologues préoccupés par la faille dans cette région estiment qu'il aurait fallu retenir.

Encore une fois, j'estime que la réponse ne doit pas remplacer la responsabilité. Premièrement, il faut tenir ces gens responsables et les laisser dire qu'ils se sentent à l'aise avec le concept. Peut-être choisiront-ils alors de se protéger contre une menace appropriée. Tant qu'ils sont à l'intérieur du bunker, je ne veux pas qu'ils me disent qu'ils ont fait le bon choix pour l'analyse.

La présidente: Monsieur Rubin, j'ai une ou deux questions à vous poser. Puisque nous nous intéressons surtout à la sûreté nucléaire et non à tous les aspects qui ont pu être abordés aujourd'hui, seriez-vous d'accord que nous vous fassions parvenir certaines des questions que nos recherchistes ont préparées? Vous pourriez nous envoyer les réponses par ordinateur ou par la poste, à votre choix. Cela serait-il vous imposer un fardeau trop lourd?

M. Rubin: J'essayerai. Si la tâche est trop lourde, je ne pourrai m'en acquitter. Je ferai de mon mieux.

Le sénateur Buchanan: Lors d'une visite en Californie, il y a quelques années, j'ai été étonné du petit nombre de centrales alimentées au pétrole et de l'absence de centrales alimentées au charbon. Presque toute l'électricité provient de centrales nucléaires et de quelques centrales alimentées au gaz, et une petite quantité est produite à l'aide d'éoliennes. La population ne semble pas craindre les centrales nucléaires et pourtant on me dit que la Californie est probablement la zone de l'Amérique du Nord la plus propice aux séismes.

M. Rubin: Oui, et là-bas aussi ils ont leur version de la Loi sur la responsabilité nucléaire. Je ne suis guère surpris que l'organisme de réglementation interne de l'industrie nucléaire approuve l'établissement de centrales nucléaires sur des failles en Californie.

Si vous prenez la capacité de génération existante, soit au Canada soit en Californie, vous avez un aspect de la situation. Si par ailleurs, vous examinez ce qui a été construit au cours des cinq à dix dernières années, ou ce qui pourrait l'être au cours des cinq à dix prochaines années, vous avez un aspect entièrement différent. Nous sommes en période de transition, nous délaissons progressivement le charbon et le nucléaire et nous nous tournons vers des énergies renouvelables et la cogénération, mais nous n'y sommes pas encore.

Le sénateur Buchanan: Vous serez surpris d'apprendre que pendant plus de 15 ans j'ai été farouchement opposé à l'idée même de construire une centrale nucléaire sur la côte sud de la Nouvelle-Écosse. Je m'y opposerais toujours aujourd'hui parce qu'il n'est pas nécessaire d'en construire une. Ce n'est pas parce que j'en ai peur, c'est plutôt parce que je savais depuis le début qu'il y avait du gaz naturel.

M. Rubin: La centrale de Point Lepreau avait un marché, ce qui a poussé la Société d'énergie du Nouveau-Brunswick à déclarer faillite, sauf pour la Couronne. Aujourd'hui, Énergie Nouveau-Brunswick vaut moins que rien dans ses propres livres, et tout cela à cause de Point Lepreau.

Si vous relisez les témoignages d'EACL et de la CCEA, vous relèverez à plusieurs endroits des discussions sur les risques et les avantages et sur les compromis. Si vous examinez les documents de l'Agence internationale de l'énergie atomique et de la Commission internationale de la protection radiologique, vous constaterez qu'ils ne veulent pas perdre les avantages. Aucun de ces organismes n'a jamais étudié les avantages ni ne disposent de la moindre expertise. Je soutiens que les avantages ont été négatifs jusqu'à maintenant, sans compter les risques d'accident et sans compter la Loi sur la responsabilité nucléaire. Nous avons détruit la richesse au Canada en produisant de l'électricité de cette façon plutôt que d'autres façons.

La présidente: Dans les témoignages rendus par EACL, on nous a dit qu'il en coûterait 1 850 $ le kilowatt pour construire un réacteur CANDU au Canada, ce qui est trois ou quatre fois plus cher que le prix d'une nouvelle turbine au gaz. Êtes-vous d'accord avec cette estimation?

M. Rubin: Elle me semble optimiste.

La présidente: Dans ce même témoignage, on nous a dit qu'au cours des 20 années pendant lesquelles on a construit des réacteurs aux États-Unis, le facteur est devenu beaucoup plus grand, et qu'il est maintenant de 3 000 à 4 000 $ le kilowatt.

Le sénateur Taylor: Le coût par kilowatt pour la construction d'une centrale alimentée au gaz naturel est beaucoup moindre que pour une centrale nucléaire, mais le combustible pour une centrale au gaz coûterait beaucoup plus cher.

M. Rubin: Je dirai deux choses à ce sujet. Premièrement, l'industrie nucléaire est ce que j'appellerais une industrie prometteuse. Elle a toujours fait des promesses. Vers 1990, nous avons eu droit en Ontario à des audiences d'évaluation environnementale qui ont été sans doute les plus coûteuses dans l'histoire du monde, c'est-à-dire des audiences sur le plan d'offre et de demande qui visaient à donner à Ontario Hydro l'autorisation de construire dix autres réacteurs nucléaires. Ces audiences n'ont jamais pris fin mais elles auront permis de dépenser plus de 100 millions de dollars dont plusieurs millions ont été versés à EACL pour subventionner leur magnifique performance.

Pendant ce temps, l'énergie produite à la centrale nucléaire Darlington est devenue la plus coûteuse au Canada. Il était difficile de construire une batterie solaire capable de générer de l'électricité à coûts plus élevés que ceux de la centrale Darlington au cours de sa première année.

Vers la fin des audiences, les cerveaux d'Ontario Hydro, qui nous avaient prévenus que la centrale Darlington ne coûterait pas cher, on produit une étude selon laquelle la centrale Darlington B, la suivante, serait assez bon marché, et ils ont révisé à la baisse leur estimation du coût de la centrale nucléaire théorique suivante. Dans les faits, les coûts augmentaient à tel point que personne ne pouvait se permettre une centrale B, et la théorie faisait des progrès. Théoriquement, la construction d'une centrale nucléaire bon marché n'est guère difficile. La construire s'avère une entreprise beaucoup plus difficile.

Deuxièmement, il paraît à peu près impossible d'obtenir un rendement fiable pendant quelques décennies afin de couvrir l'investissement. M. David Torgerson n'a pas arrêté de vous dire que le problème des éoliennes, est de savoir ce qu'il faut faire lorsque le vent ne souffle pas et que le problème de l'énergie solaire est de savoir ce qu'il faut faire quand le soleil ne brille pas. Il s'agit de faire exactement ce que l'on fait dans le cas de Pickering A et de Bruce A: vous achetez l'énergie ailleurs. Il suffit d'utiliser moins d'énergie que si l'on avait construit une centrale nucléaire.

Le sénateur Buchanan: J'aimerais que vous soyez le porte-parole de la Nouvelle-Écosse, du Nouveau-Brunswick et du gouvernement fédéral qui veulent harnacher l'énergie marémotrice afin de générer de 5 000 à 6 000 mégawatts d'électricité, sans aucun investissement pour le combustible, chaque fois que la marée monte et descend. Il existe, à Annapolis Royal, une usine qui génère de l'électricité à partir de l'énergie marémotrice.

La présidente: Je suis heureux de constater que les grands esprits se rencontrent. Toutefois, vous pourriez peut-être en discuter en privé après nos travaux.

Je voudrais explorer la situation de Pickering, même si je ne le fais pas dans les détails parce qu'il ne nous reste pas beaucoup de temps. Je crois comprendre que les préoccupations de la collectivité sont toujours nombreuses et nous n'avons pas obtenu une position claire de la CCEA quant aux raisons qui ont motivé la tenue d'un examen environnemental plutôt qu'une étude approfondie, qui aurait permis d'examiner des solutions de rechange. Quelles sont vos idées sur le sujet? Je ne comprends pas très bien pourquoi la CCEA n'a pas permis que l'on fasse une étude approfondie. Il semblerait que le dossier n'est pas encore complet, mais nous avons l'impression que la Commission ne procédera pas à cette évaluation environnementale.

M. Rubin: La CCEA a déterminé qu'un examen suffirait. Les responsables peuvent changer d'idée, mais c'est là leur décision. Au plan historique, ce n'est pas le rôle de la Commission de contrôle de l'énergie atomique d'entreprendre des évaluations environnementales lorsqu'il n'était pas nécessaire de le faire. On peut lire dans les procès-verbaux de la Commission de contrôle de l'énergie atomique, avant l'adoption de la Loi canadienne sur l'évaluation environnementale, que les répercussions pour l'environnement et les préoccupations du public étaient telles qu'elles ne justifiaient une audience publique. On se contentait de répéter la même chose pour s'assurer que toute décision qui serait prise ne déclencherait pas une évaluation environnementale.

À une ou deux occasions, la Commission a dit quelque chose à l'effet qu'une évaluation environnementale pourrait être justifiée. Le cas classique est celui du déclassement des mines d'uranium. Toutefois, on a plus ou moins respecté la forme. En autant que je suis concerné, la CCEA était dans son droit et pouvait faire ce qu'elle a fait. Je n'appuie cependant pas ce qui a été fait, mais la CCEA était dans son droit.

Jusqu'à maintenant, la progression de l'évaluation a été plutôt décevante pour ceux et celles qui, comme moi, s'y intéressent. Par exemple, l'ébauche du mandat pour l'examen a été distribuée avec un très court délai de réponse et le personnel de la Commission s'est donné quelque chose comme une semaine pour recevoir les commentaires des intervenants avant de publier le mandat final. Quelles sont les probabilités que l'on s'intéresse sérieusement à nos observations si le document est déjà chez l'imprimeur au moment où nos commentaires leur parviennent? Voilà qui n'inspire guère confiance.

La présidente: Comme vous avez une certaine expérience de ce processus, avez-vous des idées qui permettraient de l'améliorer? Il semble que l'ensemble du processus d'évaluation environnementale au Canada soit plus célèbre par les violations que par les cas de conformité. Je ne crois même pas que la législation ait été mise à l'épreuve dans le cadre de grands projets comme celui-là. Avez-vous des idées à ce sujet? Peut-être ne voulez-vous pas les partager avec nous en ce moment, mais nous aimerions en entendre parler. J'estime que vous serez d'accord pour que l'on considère cela comme un élément de l'ensemble des considérations de sûreté. De fait, il pourrait s'agir d'un élément clé de l'ensemble du processus public et de la perspective que cela donne à l'ensemble de la situation de la sûreté.

M. Rubin: Le principe de l'engagement de la collectivité et le principe selon lequel ceux qui prennent les risques obtiennent le consentement des voisins est magnifique surtout dans une démocratie. Parfois, cela donne des résultats et, en matière d'évaluation environnementale, cela a été utile, mais n'a pas été le processus normal.

Par exemple, il existe certains cas en Ontario où les exploitants d'aires de stockage de résidus ont entendu et écouté les membres de la collectivité vivant dans l'entourage d'une manière qui me paraît à la fois avancée et délicate. Ils ne l'ont pas fait dans le cadre d'une audience d'évaluation environnementale, mais simplement pour éviter qu'une telle audience ait lieu. Chose curieuse, cela donne lieu à une situation de main de fer dans un gant de velours. C'est comme si on voulait un processus onéreux mais que rien ne nous obligeait à le suivre si tout le monde est content. Si vous cherchez à maximiser les profits, à réduire les coûts et que les promoteurs sont sensés, ils se rendront vite compte que le chemin le plus court entre le point A et le point B est de rendre les voisins heureux, d'écouter ce qu'ils ont à dire qui les concerne réellement et de donner suite à ces préoccupations particulières. C'est ce qui s'est produit, mais non dans l'installation nucléaire.

La présidente: Non, pas dans le cas d'aucun grand projet nucléaire. Selon moi, cela ne se produit pas. De toute façon, j'aimerais entendre ce que vous avez d'autre à dire au sujet du processus, particulièrement dans le cas de Pickering, relativement à notre examen de la sûreté nucléaire.

Il y a encore une chose que j'aimerais vous demander. Vous soutenez dans votre mémoire qu'un risque est inacceptable simplement parce qu'on fait référence à des personnes bien informées qui refusent d'accepter ce risque. Pouvez-vous nous donner une liste de ces gens bien informés qui refusent de l'accepter?

M. Rubin: Cela comprend l'ensemble de l'industrie nucléaire au Canada, qui refuse d'accepter les risques financiers des conséquences hors site d'un accident catastrophique qui toucherait un réacteur CANDU. Tous à l'exception d'Hydro-Québec se sont présentés en cour pour le prouver. La menace d'une abrogation de la Loi sur la responsabilité nucléaire à la suite de la décision d'un tribunal les aurait rendus responsables des conséquences de leur action. Cela les aurait forcés à réduire le risque de leurs activités. Tous ces gens le refusent. Ils se sont présentés en force et ont dépensé des millions de dollars pour s'assurer de n'êtres pas obligés d'accepter les risques.

La présidente: Je vois ce que vous dites.

M. Rubin: Parmi les gens qui comprennent cette technologie, les meilleurs l'ont élaborée, conçue, exploitée et analysée. Je m'en remets à leur connaissance.

La présidente: Merci de vous être présenté ici ce soir. Votre participation a été très intéressante. J'espère que vous pourrez répondre aux questions que nous vous soumettrons; plusieurs n'ont pas été soulevées ce soir et nous serions très intéressés de connaître votre point de vue. Nous pourrions même vous demander de revenir plus tard. Je vous remercie à nouveau.

La séance est levée.


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