Délibérations du comité sénatorial permanent de
l'Énergie, de l'environnement et des ressources naturelles
Fascicule 9 - Témoignages
OTTAWA, le mardi 9 mai 2000
Le comité sénatorial permanent de l'énergie, de l'environnement et des ressources naturelles se réunit aujourd'hui à 17h05 pour examiner des questions relatives à l'énergie, à l'environnement et aux ressources naturelles en général au Canada.
Le sénateur Mira Spivak (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente: Honorables sénateurs, nous avons le plaisir d'avoir devant nous aujourd'hui des représentants de l'Agence canadienne d'inspection des aliments. C'est un plaisir pour plusieurs raisons. Tout d'abord, parce que nous avons reçu des centaines de lettres du public, de gens qui disent s'inquiéter au sujet de la qualité des aliments et, en particulier, au sujet des organismes génétiquement modifiés.
Comme vous le savez, le comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts a réalisé une étude sur l'hormone de croissance bovine. Nous avions pensé faire le suivi de cette étude, mais le comité de l'agriculture est très occupé. Il a plusieurs choses à faire. Le comité nous a demandé de procéder à une réunion exploratoire. Ses membres ont été invités ici ce soir, mais je ne sais pas si certains d'entre eux pourront venir assister à nos délibérations.
Veuillez commencer.
M. André Gravel, vice-président exécutif, Agence canadienne d'inspection des aliments: Nous sommes heureux d'avoir l'occasion de faire rapport au comité sur le rôle de l'Agence canadienne d'inspection des aliments dans le dossier des évaluations environnementales de produits agricoles issus du génie génétique. En effet, l'ACIA joue un rôle de premier plan dans la gestion responsable de la biotechnologie appliquée à la filière alimentaire canadienne. Étant donné l'avancement de la science, nombre des défis que nous devons relever sont nouveaux. De fait, l'agence elle-même est nouvelle. En outre, le travail que nous accomplissons aujourd'hui est le prolongement d'une tradition de longue date en matière de protection de la santé des Canadiens et de l'environnement.
Les antécédents de l'agence remontent à la Loi sur les insectes destructeurs et les ennemis des plantes de 1910. Cette loi autorisait le ministère de l'Agriculture à mener des évaluations préalables des importations de nouveaux végétaux au Canada, afin d'empêcher l'entrée d'organismes nuisibles au pays. Chaque nouvelle espèce subissait une évaluation environnementale de son incidence sur la flore indigène et l'assise agricole avant que l'information ne soit approuvée. Toutefois, ces dernières années, la portée de telles évaluations a été élargie. L'agence doit maintenant s'adapter aux innovations de la technologie d'amélioration des végétaux et à l'arrivée des nouveaux produits issus de la biotechnologie.
Il y a fort longtemps que l'ACIA s'intéresse à l'évaluation de l'incidence des autres produits agricoles comme les suppléments d'engrais, les aliments du bétail et les produits biologiques vétérinaires sur l'environnement.
En 1993, le gouvernement a approuvé le Cadre fédéral de réglementation qui établissait les principes directeurs en vue de la réglementation de la biotechnologie par tous les ministères et organismes de réglementation, y compris l'ACIA. La structure d'évaluation de la salubrité déjà établie nous a aidés à relever sans tarder les défis que présentaient les nouveaux produits issus de la biotechnologie.
L'Agence canadienne d'inspection des aliments est présente à l'échelle du Canada. Elle gère le régime de réglementation avec un effectif de 4 300 employés qui compte des spécialistes comme des inspecteurs, des chercheurs, des vétérinaires et des agronomes. L'Agence peut compter sur 185 bureaux régionaux et 22 laboratoires qui offrent un soutien scientifique aux programmes portant sur la santé des animaux, la protection des végétaux et les aliments.
L'ACIA a fait fond sur son expérience et son infrastructure et élargi ses compétences afin d'englober les produits de la biotechnologie. L'Agence a consulté de nombreux groupes afin de déterminer comment traiter la biotechnologie agricole. Au Canada, l'ACIA a consulté d'autres ministères et organismes aux niveaux fédéral et provinciaux, des associations de consommateurs et d'environnementalistes et des associations sectorielles ainsi que des chercheurs et des scientifiques.
Nous avons sollicité l'aide des organisations internationales les plus prestigieuses et d'experts reconnus au sein de la collectivité internationale, et notamment l'Organisation mondiale de la santé, la FAO et l'OCDE. À la suite de ces consultations, l'ACIA a élaboré un processus de réglementation qui viendra se greffer à sa solide infrastructure de réglementation qui la sert déjà si bien.
J'aimerais souligner entre autres que nos politiques et notre cadre de réglementation ont été créés avec l'étroite collaboration d'Environnement Canada. En 1997, nous avons modifié les règlements pris en vertu de la Loi sur les semences, de la Loi sur les engrais, de la Loi relative aux aliments du bétail et de la Loi sur la santé des animaux, afin qu'ils contiennent les mêmes définitions de biotechnologie» et de «substance toxique» que la Loi canadienne sur la protection de l'environnement.
Permettez-moi maintenant d'examiner le processus actuel d'évaluation environnementale. L'ACIA gère la réglementation et les lignes directrices dans quatre domaines: les végétaux à caractères nouveaux, les aliments nouveaux du bétail, les suppléments d'engrais nouveaux et les produits biologiques nouveaux comme les vaccins vétérinaires et les trousses d'épreuves vétérinaires.
Tout organisme qui possède des caractères nouveaux réglementés par l'Agence doit subir des évaluations environnementales avant son importation au Canada, son épreuve au champ et sa commercialisation. Permettez-moi de citer comme exemple le processus appliqué aux végétaux à caractère nouveau.
En premier lieu, des cultures sont produites en laboratoire et étudiées dans des chambres de croissance et des serres. Elles sont isolées de l'environnement.
En deuxième lieu, le chercheur demande l'autorisation de mener des essais au champ en milieu confiné ou à petite échelle. Pour ce faire, il doit présenter une demande à l'Agence canadienne d'inspection des aliments qui réglemente les cultures à caractères nouveaux en vertu de la Loi sur les semences. Les scientifiques de l'ACIA chargés de la réglementation effectuent une évaluation des risques avant les essais. Ils imposent ensuite des inspections rigoureuses pour les essais au champ. L'objet de ces restrictions est de confiner les organismes, de limiter leur incidence possible sur l'environnement et d'empêcher leur introduction dans les filières alimentaires des humains et des animaux. Les conditions d'approbation incluent des mesures pour empêcher ce qui suit: la mise en circulation non voulue de l'organisme nouveau à l'étude; le transfert génétique du caractère à l'étude à des végétaux apparentés; l'introduction par mégarde de l'aliment dans les filières alimentaires des humains et des animaux.
En troisième lieu, des essais au champ sont menés pendant un certain nombre d'années. Durant ces essais, les plantes et les interactions sont évaluées. Les inspecteurs de l'ACIA conduisent des inspections sur place afin de faire respecter les restrictions.
En quatrième et dernier lieu, si l'améliorateur ayant créé la culture désire la commercialiser, l'ACIA évalue de nouveau son innocuité pour l'environnement. D'une part, si la culture est destinée à servir d'aliment du bétail, l'ACIA se penche également sur la salubrité de l'aliment pour le bétail. D'autre part, si la culture est destinée à servir d'aliment des humains, c'est Santé Canada qui en évalue la salubrité. Cependant, comme le comité le sait très bien, la biotechnologie est une discipline qui progresse à pas de géant. L'ACIA doit donc veiller à rester à la hauteur de la prochaine génération d'innovations scientifiques.
La croissance de la biotechnologie nous a incités à trouver de nouvelles façons de mener nos affaires, à créer de nouvelles équipes et à acquérir de nouvelles compétences. Permettez-moi de montrer ce que je veux dire en utilisant le plus vaste des quatre domaines: les végétaux à caractères nouveaux.
En 1990, 78 essais au champ ont été entrepris. À cette époque précoce, les améliorateurs de végétaux n'étaient pas encore prêts à mettre des végétaux nouveaux en marché. La mise au point des produits n'était pas suffisamment avancée. Le personnel de l'ACIA a mis à profit les compétences de l'organisation, enrichies de conseils obtenus de l'extérieur, et a établi un comité consultatif d'experts. L'ACIA a de plus créé un poste spécial d'agent de la biotechnologie.
Au fur et à mesure que le nombre de produits augmentait, l'établissement d'une tribune d'experts pour la gestion de cette nouvelle fonction semblait de plus en plus justifié. Par conséquent, nous avons créé le Bureau de la biotechnologie végétale. En 1995, le personnel devait désormais surveiller 664 essais au champ. La même année, la mise en marché des six premiers végétaux à caractères nouveaux était approuvée.
Madame la présidente, permettez-moi d'examiner maintenant la structure de l'Agence et des ressources humaines dont nous disposons pour nous acquitter de nos responsabilités. Il existe une distinction fondamentale au sein de l'Agence entre les évaluateurs et les inspecteurs. Les évaluateurs mènent toutes les évaluations de l'innocuité des produits de biotechnologie pour l'environnement. Ces évaluateurs sont très compétents. La majorité possède des diplômes d'études supérieures, souvent du niveau du doctorat. De surcroît, les nouveaux membres des équipes d'évaluation des produits de la biotechnologie reçoivent une formation et un encadrement intensifs.
Des spécialistes de l'Agence et de l'extérieur contribuent également aux évaluations. L'ACIA a mis sur pied des groupes consultatifs d'experts afin de bénéficier des meilleurs conseils scientifiques possible. Dans le cadre des évaluations, nous consultons des experts d'autres ministères comme Santé Canada ou sollicitons leur participation à l'évaluation. Nous mettons à profit les compétences de nos experts afin de former de nouvelles équipes. Les agents de biotechnologie de la section des aliments du bétail et des engrais travaillent de concert avec le Bureau de la technologie végétale et d'autres experts de l'ACIA. De surcroît, le spécialiste de la Section des aliments du bétail collabore étroitement avec les scientifiques de Santé Canada et échange des renseignements sur les effets possibles des aliments nouveaux du bétail. En outre, la Section des produits biologiques vétérinaires possède une équipe dont les compétences sont diversifiées. Chaque membre de ces sections peut être appelé à évaluer des produits nouveaux.
Madame la présidente, vous me permettrez de résumer la situation en affirmant que l'ACIA s'est adaptée aux demandes croissantes de la biotechnologie en créant de nouveaux liens, en ayant recours aux compétences de nouveaux experts et en mettant sur pied de nouvelles équipes afin d'élargir et d'approfondir les évaluations environnementales.
J'ai parlé des évaluateurs; nos inspecteurs, par ailleurs, ne mènent pas d'évaluations environnementales. Toutefois, ils jouent certainement un rôle important dans le processus d'évaluation environnementale en garantissant le respect de la réglementation ciblant le confinement des organismes nouveaux. Nos inspecteurs sont la première ligne de protection des aliments, des animaux et des végétaux du Canada. Ils inspectent les végétaux pour dépister les maladies, les aliments du bétail pour faire en sorte qu'ils soient salubres, les semences pour en garantir la qualité et la pureté, et les engrais pour voir à ce qu'ils soient de bonne qualité et efficaces. La formation qu'ils ont reçue leur permet de veiller à la conformité aux lois et aux règlements pertinents avec l'aide des laboratoires de l'Agence.
Les employés de l'ACIA ont reçu une formation poussée dans leur domaine de compétences respectif. En outre, l'Agence reconnaît la nature distincte des organismes nouveaux. Par conséquent, nous offrons de la formation additionnelle ciblée à ceux qui possèdent déjà une expérience et des compétences sensibles. La formation que nous offrons englobe des ateliers et cours de formation sur les organismes nouveaux, une formation individuelle personnalisée par l'évaluateur, des vidéos sur la manière d'inspecter les essais au champ et des lignes directrices écrites sur les méthodes d'inspection.
Les inspecteurs travaillent sur les lieux des essais. Ils parcourent les sites d'essai au champ en milieu confiné et recueillent des renseignements sur la culture et son isolement afin de veiller à la conformité aux conditions. Les conditions sont adaptées selon le type de culture.
Le nombre d'inspecteurs qui ont participé aux inspections sur place des essais au champ est indiqué à l'annexe 5 des documents que je vous ai fournis. Ce qui toutefois est encore plus important que le nombre, c'est que l'ACIA est capable de mettre à profit les talents des équipes d'inspecteurs de disciplines connexes au sein de son effectif. L'annexe 6 illustre le budget, le personnel et le soutien de laboratoire dont bénéficient les sections.
L'ACIA fournit la première ligne de défense dans la protection de l'environnement canadien contre les problèmes associés aux produits agricoles issus du génie génétique. Notre personnel continue de perfectionner ses habiletés et ses connaissances pour s'adapter à la technologie.
Comme pour tous les autres domaines de réglementation, nous devons continuer à nous adapter aux besoins changeants. À cette fin, les ministres fédéraux de l'Agriculture et de l'Agroalimentaire, de l'Environnement et de la Santé ont conjointement demandé à la Société royale du Canada d'établir un groupe d'experts chargé d'examiner les innovations scientifiques futures dans le domaine de la biotechnologie alimentaire et de prodiguer des conseils au gouvernement fédéral. Dans le cadre de son examen de la fine pointe de cette technologie, le groupe cernera la possibilité que des enjeux nouveaux ou différents associés à la salubrité des produits de la biotechnologie alimentaire se manifestent. Il exprimera son opinion sur les nouvelles recherches et politiques et la capacité réglementaire, le cas échéant, dont le gouvernement fédéral devra se munir pour maintenir des normes de salubrité aussi élevées pour la prochaine génération d'aliments issus de la biotechnologie que dans le cas des produits approuvés de nos jours.
En février dernier, nos travaux ont été grandement facilités par l'allocation de crédits budgétaires supplémentaires de 90 millions de dollars à la réglementation des organismes nouveaux et de leurs produits. De ces fonds, l'ACIA recevra 30 millions de dollars additionnels au cours des trois prochaines années. L'investissement dans le régime de réglementation de la biotechnologie nous aidera à poursuivre l'évolution et à rehausser ce régime afin de relever les défis que présentent le nombre croissant de ces produits et leur complexité grandissante.
Nous serons en mesure d'embaucher de nouveaux employés dont les compétences de pointe les aideront à évaluer la salubrité des produits nouveaux, ainsi que d'offrir à nos employés actuels de la formation pour mettre leurs habiletés à jour. Nous utiliserons les fonds pour réaliser de la recherche sous-jacente à la réglementation. Nous acquerrons de nouveaux outils et de nouvelles connaissances afin d'évaluer, de gérer et de surveiller le risque.
Nous contribuerons également à renforcer la collaboration et l'harmonisation internationale en matière de réglementation. Le Canada est déjà un chef de file reconnu dans les négociations des accords internationaux et des protocoles de normalisation. Par exemple, la U.S. Food and Drug Administration a annoncé la notification obligatoire avant la mise en marché des nouveaux produits issus de la biotechnologie. C'était déjà le cas au Canada. De surcroît, l'Environmental Protection Agency a annoncé des restrictions applicables aux végétaux Bt-modifiés afin de protéger l'efficacité de cet insecticide naturel. Ces mesures avaient été adoptées par le Canada un an auparavant.
L'Agence canadienne d'inspection des aliments a hérité d'un régime dont elle peut être fière et grâce auquel le Canada est réputé avoir l'approvisionnement alimentaire le plus salubre et le plus sain au monde. Nous comptons faire fond sur ce legs. Le gouvernement nous a confié une mission importante de gestion de l'environnement et de l'approvisionnement alimentaire canadiens. La biotechnologie est un nouveau défi qui vient se greffer à cette mission. Nous sommes prêts à relever ce défi. Nous apprécions également l'appui que nous avons reçu dans le dernier budget et l'intérêt continu que le comité manifeste pour notre travail.
Si vous avez des questions, je serai heureux d'y répondre.
La présidente: Au cours de votre exposé, vous ne nous avez pas donné le mandat de votre agence. Je crois savoir qu'elle a pour mandat la promotion et la réglementation. J'ai lu ce mandat. Pourriez-vous nous le répéter?
M. Gravel: L'Agence canadienne d'inspection des aliments a pour mandat d'améliorer l'efficacité et l'efficience du système d'inspection des aliments au Canada.
La présidente: Je ne pense pas que ce soit là ce qui est écrit dans la documentation. Avez-vous les termes exacts? Sinon, vous pouvez nous envoyer une copie du mandat.
M. Gravel: C'est ce que je vais faire.
La présidente: Je sais qu'on y dit quelque part que la promotion est incluse dans votre mandat.
M. Gravel: Je ne le pense pas, madame la présidente. Vous faites probablement allusion à la mission de l'Agence. L'Agence a pour mission de veiller à la sécurité des aliments, à la protection des consommateurs et à l'accès au marché.
Le sénateur Cochrane: Monsieur Gravel, pour procéder à vos évaluations, vous devez vous fier aux données et aux informations fournies par les producteurs, n'est-ce pas?
M. Gravel: C'est l'une des composantes qui nous permet d'examiner les produits soumis à l'approbation. Ce n'est pas une pratique inhabituelle pour tout type de produit soumis pour approbation au gouvernement du Canada. La même situation se produit pour l'approbation des médicaments, par exemple, où ce sont des éléments scientifiques qui sont évalués.
Par contre, pour procéder aux évaluations des éléments scientifiques, nous nous fions à notre propre expertise, mais nous nous fions aussi à la communauté scientifique internationale pour déterminer si les données soumises à l'Agence dans la présentation sont adéquates et permettent une évaluation adéquate.
Dans les cas où les évaluateurs ne sont pas persuadés que les données sont complètes et que les expériences dépeignent réellement la situation, aucune approbation n'est donnée. Dans ce cas, l'Agence demande aux auteurs de la présentation de lui fournir d'autres informations et d'autres données.
Si nous ne sommes pas bien sûrs de pouvoir évaluer les données, nous nous tournons vers des ressources extérieures, que ce soit Santé Canada, Environnement Canada ou des organismes internationaux comme l'OMS.
Le sénateur Cochrane: Une collecte de données indépendante peut-elle être faite? Je sais qu'il serait onéreux de procéder à des tests sur tout cela, mais est-ce qu'on pourrait le faire? Si l'on vous donnait un échantillon de nouveaux produits chaque année à mesure qu'ils arrivent sur le marché, pourrait-on le faire?
M. Gravel: Oui, on pourrait le faire. Dans certains cas, c'est ce qu'on fait.
Le sénateur Cochrane: Pourriez-vous nous donner des détails?
M. Gravel: Pour vous donner un exemple précis, en ce qui concerne le dossier des produits biologiques vétérinaires, des nouveaux vaccins pour animaux, l'Agence procède à une évaluation des données présentées par des sociétés privées; cependant, nous procédons à nos propres analyses pour confirmer que ces produits sont vraiment ce qu'ils sont censés être.
Nous pouvons aussi procéder, après l'approbation, à une surveillance spécifique des produits au champ pour déterminer s'ils sont vraiment ce qu'ils sont censés être.
Le sénateur Cochrane: Vos ressources sont-elles suffisantes? Je sais que vous félicitiez le gouvernement de vous fournir ce dont vous avez besoin, mais vos ressources sont-elles vraiment suffisantes, tant sur le plan de la main-d'oeuvre que sur le plan budgétaire, pour vous permettre de bien évaluer les nouveaux produits?
M. Gravel: Bien sûr, l'Agence ainsi que Santé Canada et Environnement Canada sont très heureux d'avoir reçu des ressources supplémentaires; cela nous permettra de renforcer nos capacités en biotechnologie. Cependant, comme je l'ai mentionné dans mon exposé, l'Agence compte 4 300 employés. Nous avons 22 laboratoires. Nous avons des chercheurs. Nous avons des évaluateurs et des inspecteurs. Compte tenu de la situation actuelle, nous avons suffisamment de ressources pour assumer la charge de travail actuelle.
Je ne dis pas que, dans cinq ans, si la charge de travail augmente, nous serons toujours bien placés pour relever le défi, mais j'estime que nous avons à l'heure actuelle ce qu'il nous faut pour procéder aux évaluations en respectant les règles de l'art.
Le sénateur Cochrane: Y a-t-il eu du retard pour les évaluations récemment ou depuis quelques années?
M. Gravel: À quels produits précis faites-vous allusion?
Le sénateur Cochrane: Je parle des nouveaux produits qui entrent sur le marché.
M. Gravel: L'Agence a connu quelques retards pour l'approbation de produits biologiques vétérinaires, de vaccins pour animaux. Deux raisons expliquent cela: tout d'abord, le nombre de présentations a augmenté de façon très marquée. Ensuite, la complexité de chacune a aussi augmenté de façon spectaculaire. À coup sûr, l'Agence tient à faire une évaluation soigneuse des présentations et à s'assurer qu'elle obtient toutes les données.
L'Agence a récemment investi dans l'embauche de nouveaux évaluateurs afin de réduire l'arriéré et d'assumer la charge de travail actuelle.
Le sénateur Cochrane: Qu'en est-il du nombre de nouveaux produits génétiquement modifiés qui arrivent sur le marché? Nous en entendons parler constamment. Vos ressources vous permettent-elles d'en faire tout le suivi? Pouvez-vous vous assurer qu'il n'y a pas de retard avant qu'ils atteignent le marché?
M. Gravel: Je ne sais pas si vous avez eu l'occasion de lire les documents que l'Agence vous a fournis, mais vous y trouverez un graphique qui illustre les analyses au champ auxquelles procède l'Agence.
Entre 1990 et 1997, on peut voir sur le graphique une augmentation spectaculaire du nombre de produits qui ont fait l'objet d'essais au champ.
Si vous regardez les récentes années, vous constatez que le nombre de produits a plafonné en 1998 et qu'il a lentement commencé à redescendre. À partir de là, il nous est très difficile de déterminer quelle forme prendra la prochaine génération de ces produits.
Si la tendance est à une stabilisation ou à une diminution, je pense que nous allons nous en tirer. Si, soudainement, il se crée une deuxième ou une troisième génération de nouveaux produits, alors il faudra voir.
Comme je l'ai mentionné auparavant, sur le plan des produits biologiques vétérinaires, nous avons connu quelques engorgements que nous sommes en train de régler.
Le sénateur Christensen: Après les évaluations et le processus d'approbation, qu'avez-vous prévu pour le suivi à long terme d'un produit particulier afin de voir s'il satisfait réellement aux spécifications qui ont d'abord été établies pour déterminer si l'utilisation à long terme a provoqué des problèmes? Qu'est-ce que vous avez prévu dans ce cas?
M. Gravel: C'est une bonne question. Je n'ai probablement pas assez insisté là-dessus dans mon exposé.
Toutes les présentations soumises à l'Agence pour de nouveaux produits biotechnologiques sont évalués au cas par cas.
Dans certains cas, l'évaluation est très simple. L'expertise que nous faisons du produit permet de déterminer que l'effet sur l'environnement est minime et, par conséquent, dans ce cas, le suivi que nous ferons après l'approbation est très limité.
Dans d'autres cas, lorsque la présentation proprement dite nous amène à nous poser d'autres questions, nous pouvons approuver un produit pour un nombre d'années limitées et demander une nouvelle présentation et une nouvelle analyse de l'information lorsque la période est terminée.
C'est comme ça que nous évaluons les répercussions à long terme sur l'environnement.
Nous exerçons aussi un suivi constant. L'an dernier, par exemple, nous avons exercé une surveillance sur tous les essais au champ de produits en milieu confiné pour voir s'ils respectaient vraiment les conditions très strictes imposées pour ces essais limités sur le terrain.
Le sénateur Taylor: Ça doit être très stimulant. Ça semble un travail intéressant dans un domaine encore inexploré. Peut-être que ce n'est pas inexploré, mais c'est à coup sûr en plein essor.
J'aimerais vous poser des questions au sujet de la présence de l'Agence sur la scène internationale. J'ai assisté au Codex Alimentarius à Rome et tenté de négocier quelque peu avec le Marché Commun. Il y a quelques semaines, je me suis rendu, en compagnie d'ingénieurs et d'agronomes canadiens, sur les lieux d'un projet expérimental d'irrigation à l'aide d'eaux usées en Jordanie, où l'on utilise des graines génétiquement modifiées, entre autres.
Après avoir lu votre mémoire, je me suis demandé si l'on ne vous demandait pas de jouer à l'agent de police, à qui l'on remettrait une matraque et une loupe en lui disant de faire respecter la loi et de maintenir l'ordre.
De nouveaux produits envahissent littéralement la scène mondiale, surtout grâce aux commandites des grandes entreprises. Est-ce que vous tentez d'établir une certaine forme de coordination avec d'autres pays? Est-ce que vous dites à un pays de surveiller un certain produit génétiquement modifié? Est-ce que vous dites aux Allemands: «Surveillez de nouvelles formes de canola polonais ou argentin» ou autre chose du genre «et nous nous occuperons de notre côté des lentilles»?
En d'autres termes, compte tenu de votre budget, est-ce que vous ne faites pas comme ce jeune garçon hollandais qui tentait de boucher douze trous dans la digue avec seulement dix doigts? Y a-t-il une coordination à l'échelle mondiale? Un produit est transporté si vite partout sur la planète. Avec l'Organisation mondiale du commerce et le libre-échange, il n'y a plus rien qui ressemble à une véritable frontière.
Vous jouez avec quelques béchers et un microscope pour tenter d'analyser le monde. Est-ce que je me trompe? Avez-vous de l'argent? Est-ce que vous coordonnez vos efforts avec d'autres?
M. Gravel: C'est une très bonne question. À vrai dire, nous n'avons que dix doigts, mais nous avons aussi dix orteils.
Le sénateur Taylor: Les politiciens pourraient peut-être se servir aussi de leur tête enflée.
M. Gravel: Ce n'est pas ce que j'ai dit.
C'est une bonne question. C'est un secteur auquel l'Agence participe très activement. Comme vous le savez probablement, le Comité du Codex sur l'étiquetage des denrées alimentaires préemballées tient actuellement une séance au Canada en ce moment même. Le Canada préside ce comité en la personne de la Dre Anne Mackenzie. Le Canada a aussi été chargé de diriger l'élaboration d'un énoncé de principe sur l'étiquetage des aliments génétiquement modifiés. À ce niveau, notre participation est très claire.
Il y a deux mois, je me suis rendu à Vancouver pour une réunion en compagnie de collègues de l'Australie, de la Nouvelle-Zélande et des États-Unis. Nous avons discuté de la façon d'établir une base de données pour les analyses des produits de la biotechnologie. Le Canada a offert de préparer un site Web auquel tous les pays pourraient contribuer.
Comme vous l'avez dit, il s'agit d'un domaine qui évolue rapidement. La science évolue constamment. Nous devons faire le suivi de ce qui se passe. Plutôt que de dédoubler nos efforts, nous devons nous parler. Nous n'allons pas jusqu'à attribuer la responsabilité de produits spécifiques à des pays spécifiques. Il s'agit d'une nouvelle science. Nous sommes en train de nous entendre sur la façon d'évaluer les produits, d'harmoniser les définitions, d'harmoniser les données scientifiques et de procéder à des évaluations des risques. Lorsque nous serons persuadés d'être sur la même longueur d'ondes à ce sujet, nous pourrons commencer à confier une part du travail à d'autres pays. Nous ne pouvons faire cela isolément.
Nous avons effectivement des ressources. Comme je l'ai dit, nous avons 22 laboratoires. L'Agence investit de 90 à 100 millions de dollars par année en soutien aux laboratoires. Un nouveau laboratoire vient tout juste d'ouvrir ses portes à Winnipeg pour s'occuper d'organismes de biosécurité de niveau 4. Notre expertise ne nous laisse pas totalement démunis, mais il est important d'établir des liens avec des partenaires internationaux à ce sujet.
Comme vous l'avez mentionné, ces produits traversent les frontières. Nous devons pouvoir nous faire réciproquement confiance en ce qui touche les systèmes d'examen d'évaluation des produits qui peuvent arriver au Canada.
Le sénateur Taylor: Comment réagiriez-vous à une critique selon laquelle vous réinventez en grande partie la roue? Le travail est déjà fait dans d'autres parties du monde. Nous vous donnons un gros budget et maintenons l'emploi de bien des gens.
M. Gravel: Dans certains cas, nous le faisons. En toute modestie, je dois dire que le Canada a probablement le meilleur système du monde pour ce qui concerne la biotechnologie. Nous nous sommes assurés très tôt d'avoir les éléments scientifiques adéquats ainsi que des mesures de protection réglementaire tout aussi adéquates. À l'heure actuelle, notre confiance n'est probablement pas aussi grande à l'endroit des évaluations effectuées dans tous les autres pays du monde. Bien souvent, nous voulons nous assurer que les produits qui sont sur le marché d'autres pays satisfont aussi à nos normes strictes.
Le sénateur Taylor: Vous avez parlé de végétaux à caractères nouveaux. À la lecture de votre mémoire et de votre documentation, j'ai l'impression que le caractère nouveau concerne les aspects génétiques ou physiques des plantes. Elles peuvent être plus grandes, plus courtes, plus larges ou être difficiles à éradiquer. Tentez-vous d'analyser les résultats indirects?
La présidente était peut-être avec nous en Angleterre lorsqu'on s'y est plaint d'un canola génétiquement modifié qui pouvait résister aux herbicides et pousser spontanément. Personne n'a jamais pensé qu'il le ferait. Les agriculteurs des environs regardaient avec dépit les superbes herbes jaunes qui venaient du Canada. Et le produit était sûr, tant sur le plan de l'alimentation que sur celui de la plante proprement dite.
Examinez-vous les caractères nouveaux pour voir ce qui se produit si une graine pousse spontanément ou subit une quelconque mutation, qu'elle soit physique ou visuelle? Si du canola poussait spontanément dans votre plate-bande de tulipes, cela vous déplairait. Allez-vous jusque-là?
M. Gravel: Si vous le permettez, je demanderai à Mme Kenny de vous fournir des informations précises sur la façon dont nous procédons à ces évaluations. Mme Kenny est une scientifique; je ne suis qu'un administrateur.
Mme Margaret Kenny, directrice, Bureau de la biotechnologie, Agence canadienne d'inspection des aliments: Honorables sénateurs, nous utilisons le terme «caractères nouveaux» au Canada, mais il est possible que vous n'entendiez pas d'autres pays parler de la réglementation des caractères nouveaux.
Nous n'examinons pas les seuls produits qui ont été créés de façon stricte par la technique du génie génétique. Vous avez donné un exemple de résistance aux herbicides. Si une plante particulière était créée de façon conventionnelle et pouvait résister aux herbicides, nous la réglementerions de la même façon que nous le ferions pour une plante créée par génie génétique. Elle serait assujettie à notre processus. Dans bien des pays, ce n'est pas le cas. Dans bien des pays, seules les plantes génétiquement modifiées sont réglementées. Lorsque nous les soumettons à notre processus d'examen, nous examinons effectivement la méthode réellement utilisée. De quelle façon l'a-t-on créée? Cependant, le facteur qui déclenche l'évaluation réglementaire est ce concept de caractère nouveau ou innovateur.
Quant à savoir ce que nous examinons, il y a un certain nombre d'aspects que nous évaluons en détail. Le premier est l'espèce proprement dite. Par exemple, je crois savoir que le soja pousse en Amérique du Nord probablement depuis le XVIIIe siècle. Que savons-nous du soja? Nous avons recueilli beaucoup d'information sur cette plante. Nous savons maintenant comment elle se reproduit. Nous savons des choses à propos de sa tolérance au froid. Nous pouvons savoir si une plante est susceptible de devenir une mauvaise herbe. Ira-t-elle, dans son état normal, envahir des habitats naturels, par exemple? C'est là une chose que nous examinons.
Nous examinons ensuite le caractère nouveau qui y a été ajouté. La question que nous nous posons alors est la suivante: ce caractère nouveau, la résistance aux herbicides, par exemple, aura-t-il des effets sur une caractéristique de la plante susceptible d'avoir une incidence sur l'environnement? Nous examinons le caractère en question. Nous examinons son lien avec la plante. Nous commençons ensuite à examiner les interactions environnementales. Pour ce faire, nous nous posons diverses questions, par exemple: cette plante pourrait-elle nuire à l'agriculture? Pourrait-elle envahir un habitat naturel, par exemple? Et si l'on se demande si le soja pourra se croiser avec une plante sauvage de la même espèce, ça ne se produira pas. Cependant, ce sont des questions comme ça que nous nous posons. C'est le genre d'enjeu qui est étudié au cours d'une évaluation environnementale.
Le sénateur Taylor: Dans votre évaluation environnementale, vous vous êtes attachés aux aspects physiques et chimiques. Permet-on aux agriculteurs de venir dire que la résistance aux pesticides peut causer certains problèmes, par exemple l'envahissement de mauvaises herbes? Cela leur permet-il d'économiser tant de tonnes d'herbicides par année et tant de gallons de combustible lorsqu'ils retournent et préparent la terre?
Autrement dit, le produit peut me permettre de réduire presque à zéro les travaux au champ, cela permet de maintenir le sol, par conséquent, l'érosion est stoppée, l'utilisation d'herbicides pour d'autres cultures est aussi réduite. Même si cette chose n'est pas une plante parfaite, elle est encore meilleure que ce qui existe déjà. Est-ce que vous effectuez ce genre de pondération? Les résultats que vous obtenez sont-ils toujours absolus?
Mme Kenny: En soi, cela ne fait pas partie de notre système. Nous n'équilibrons pas les choses de cette façon.
Le sénateur Adams: Dans mon secteur, l'Agence canadienne d'inspection des aliments semble fonctionner de façon un peu différente. Les animaux que nous mangeons se nourrissent de graines sauvages; nous ne leur donnons pas de grain ni de foin.
À l'endroit où je vis, nous mangeons surtout des aliments de la campagne. Nous mangeons de la viande sauvage. Il est souvent difficile d'acheter des choses qui viennent du Sud, parce qu'elles coûtent trop cher; par conséquent, nous mangeons de la viande sauvage. Effectuez-vous des études sur les aliments de la campagne et sur la façon dont ils pourraient être touchés?
Je vis dans la région de l'Arctique, où certains des aliments peuvent être affectés par la pollution et des facteurs environnementaux. Jusqu'où s'étend votre sphère de compétence?
M. Gravel: Voilà un point important. Il est certain que l'Agence tient compte des effets environnementaux sur d'autres produits lorsqu'elle approuve un végétal à caractères nouveaux. Qu'elle soit permanente ou temporaire, cette approbation s'assortit de conditions que les agriculteurs et les sociétés de biotechnologie doivent respecter eu égard à la façon dont la nouvelle graine sera utilisée dans l'environnement.
Il y a des précautions associées à l'agronomie fondamentale qu'il faut respecter pour tout type de plante libérée dans l'environnement. Qu'il s'agisse de respecter la pureté du produit, de certaines caractéristiques des graines qui ne procèdent pas de la biotechnologie ou qu'il s'agisse d'un produit de biotechnologie, il y a des mesures de contrôle fondamentales que les agriculteurs et les entreprises proprement dites doivent respecter. L'Agence peut, à un certain point, examiner les livres des entreprises qui mettent en marché ces produits pour veiller à ce qu'elles fassent ce qu'elles sont censés faire.
Je sais que je m'écarte un peu de l'objet de votre question, mais si je vous comprends bien, vous craignez que ces produits aient un effet sur les types de végétaux traditionnels s'ils sont libérés dans l'environnement.
Bien sûr, nous tenons compte des répercussions de ces nouveaux végétaux sur l'habitat et l'environnement eu égard aux espèces de végétaux et d'animaux dont le nombre est restreint.
La présidente: Si nous vous avons demandé de venir ici aujourd'hui, c'est en vérité parce que nous voulons explorer la question. Nous voulions en savoir davantage au sujet de l'Agence et de son mandat. Mes questions concernent le cadre réglementaire et, plus particulièrement, l'évaluation des effets des cultures génétiquement modifiées sur la sécurité environnementale.
Le préambule de la Loi portant création de l'ACIA mentionne que l'Agence doit contribuer à la protection du consommateur tout en favorisant les échanges et le commerce. Le plan d'affaires de l'ACIA témoigne aussi de ce mandat mixte de votre agence parce qu'on peut y lire que vous devez faciliter l'accès au marché ainsi que protéger la sécurité alimentaire et les consommateurs.
Si je comprends bien, l'Agence canadienne d'inspection des aliments a été crée au départ pour qu'on puisse distinguer la réglementation et la promotion au ministère de l'Agriculture. Mais ces deux éléments ne semblent pas avoir été séparés. Est-ce que j'utilise les bons termes? Est-ce qu'on ne dit pas cela dans la loi ou dans le plan d'affaires?
M. Gravel: Je comprends maintenant parfaitement votre question. Merci de l'avoir éclaircie.
N'oubliez pas, madame la présidente, que l'Agence canadienne d'inspection des aliments est mal nommée. En plus de participer à l'inspection des aliments, l'Agence veille à la santé des animaux et des végétaux. Elle ne participe pas à des activités de promotion commerciale. L'Agence participe à des activités d'accès au marché qui concernent des produits comme les embryons, la semence et toutes ces choses pour lesquelles elle négocierait des aspects techniques très spécifiques.
Nul ne peut mettre en marché un produit qui n'est pas sûr. Ce que fait l'Agence, qui a mis sur pied un système d'inspection très crédible, aide à coup sûr les entreprises canadiennes à mettre en marché leurs propres produits à l'échelle internationale. Ces produits sont reconnus comme sûrs, nourrissants et éprouvés. C'est ça que je veux dire. L'Agence ne fait pas de promotion commerciale ni de mission commerciale pour vendre des produits.
La présidente: Je ne parle pas de promotion ni de commerce. Je vous parle de promotion des produits. Vous établissez des règlements, mais vous faites aussi la promotion des produits; par exemple, vous payez pour placer des encarts dans des revues canadiennes. Vous aviez une brochure. Est-ce que vous ne faites pas aussi la promotion des produits que vous réglementez?
M. Gravel: Il ne fait aucun doute dans mon esprit que l'Agence ne fait pas de promotion. L'Agence s'occupe de réglementation. À ce titre, elle a pour mandat d'expliquer au grand public tous les rouages du système réglementaire.
Les articles dont vous parlez concernent des informations factuelles sur le fonctionnement du système canadien d'inspection des aliments et comprend des conseils liés à la sécurité alimentaire et à l'éducation des consommateurs. On n'y trouve aucune promotion d'un type quelconque de technologie.
La présidente: Votre mission ne parle-t-elle pas de faciliter l'accès au marché?
M. Gravel: Je le répète, il vous faut mettre cela en contexte.
La présidente: Je veux savoir si ce que je lis est exact.
M. Gravel: Je ne suis pas sûr de ce que vous lisez.
La présidente: Est-ce que c'est ce que ça dit?
M. Gravel: Si vous parlez du préambule de la loi, oui.
La présidente: Encore une fois, en ce qui concerne le cadre de réglementation, on a affaire à une question complexe. J'ai participé à toutes les étapes d'élaboration de la LCPE et j'ai pu voir de quelle façon les fonctions ont été déléguées à l'Agence canadienne d'inspection des aliments. Tout cela est un peu déroutant.
J'aimerais que vous aidiez notre comité à comprendre quels articles de la loi qui ont trait aux graines, aux moulées, aux fertilisants et à la santé des animaux vous donnent le pouvoir législatif de réglementer l'évaluation environnementale de ces produits. Quels articles vous donnent ce pouvoir?
M. Gravel: Nous pouvons vous fournir cette information, madame la présidente. Je suis désolé, je n'ai pas d'exemplaire de la loi avec moi. Cependant, cette information vous sera transmise dès que possible.
La présidente: Allez-vous nous fournir l'article de votre mandat législatif qui vous permet de procéder à ces évaluations environnementales?
M. Gravel: Certainement.
La présidente: Vous semblez penser que l'historique de la biotechnologie traditionnelle ou de la modification traditionnelle des plantes devait mener automatiquement au nouveau procédé d'insertion des gènes dans les végétaux, c'est-à-dire les opérations transgéniques, ou quelque chose comme ça.
Vous ne voyez pas de différence entre ce qui pourrait être un effet environnemental du croisement traditionnel des végétaux, par exemple, qui se fait depuis des années, et les nouvelles répercussions des modifications génétiques, n'est-ce pas? Vous ne voyez aucune distinction entre les méthodes de croisement traditionnelles et les méthodes de croisement par génie génétique? Je veux savoir s'il y a des effets environnementaux. J'aimerais savoir si les cultures obtenues par croisement traditionnel auraient des conséquences imprévues et si vous traiteriez ces conséquences de la même façon que vous le faites pour ces nouveaux végétaux génétiquement modifiés.
M. Gravel: Voilà une bonne question. Il ne fait aucun doute dans mon esprit que lorsque vous examinez un nouveau produit, qu'il soit un produit de la biotechnologie ou d'un croisement génétique particulier, les paramètres qui doivent être examinés à l'égard d'une évaluation environnementale et des répercussions sur la chaîne alimentaire sont les mêmes. Le produit est un produit différent qui provient d'une nouvelle technologie, mais l'évaluation environnementale et les paramètres qui doivent être mesurés pour ce qui concerne les effets environnementaux sont les mêmes. Vous examinez la possibilité, comme l'a dit Mme Kenny, que la plante devienne une mauvaise herbe, qu'il y ait croisement de cette plante avec d'autres types de plantes, ce qui pourrait déboucher sur des caractéristiques indésirables, et que ces types de plantes pourraient être toxiques pour des insectes particuliers ou d'autres populations. Les paramètres utilisés pour l'évaluation seraient les mêmes.
Pour ce qui touche les produits de la biotechnologie, les éléments scientifiques sous-jacents sont plus complexes. En ce qui concerne les produits qui sont maintenant sur le marché, il s'agit de produits végétaux qui sont soumis au même type d'exposition environnementale que d'autres produits.
La présidente: Cela m'amène au concept d'équivalence substantielle, qui a d'abord été établi pour l'évaluation de l'innocuité des aliments tirés d'organismes génétiquement modifiés plutôt que pour l'évaluation des effets environnementaux des ces organismes.
Sur quels fondements scientifiques repose l'utilisation du concept d'équivalence substantielle pour l'évaluation environnementale au Canada?
Mme Kenny: Je peux peut-être vous fournir des éclaircissements sur ce sujet particulier. Le terme est mal choisi, parce qu'il peut provoquer une certaine confusion.
Dans le contexte dans lequel nous travaillons à l'Agence canadienne d'inspection des aliments, il signifie que nous utilisons comme outil, dans le cadre de notre évaluation, la comparaison du végétal à caractères nouveaux avec celui que nous connaissons déjà.
Encore une fois, si nous reprenons l'exemple du soja, je dirais que nous avons une certaine connaissance de cette plante. Si nous avons un végétal à caractères nouveaux, nous pouvons commencer, dans le cadre du processus d'évaluation, à examiner en quoi il est semblable, après quoi nous nous attacherons à ce qui est différent. Ce n'est pas une fin en soi, et ce n'est pas le processus d'évaluation complet. Ça ne signifie pas qu'un produit est sûr et cela ne vient pas remplacer une évaluation complète, mais cela enchâsse essentiellement le concept de comparaison du végétal à caractères nouveaux avec un autre que nous connaissons bien.
La présidente: Je n'ai pas eu l'occasion d'examiner votre document parce qu'il vient tout juste d'arriver. J'aimerais savoir exactement comment vous procédez aux évaluations environnementales.
Vous avez parlé d'outils. Vous avez parlé de saines pratiques de gestion des récoltes et avez dit qu'il s'agissait là d'un des outils auxquels vous avez recours pour atténuer les effets des végétaux à caractères nouveaux. Cependant, les saines pratique de gestion des récoltes ne sont pas définies, et elles ne sont pas une condition préalable à une autorisation. Est-ce que je me trompe? Autrement dit, vous ne définissez pas ce que vous voulez dire par «saine pratique de gestion des récoltes».
Mme Kenny: Peut-être que je peux vous donner un exemple qui découle de celui que vous a donné M. Gravel auparavant. Je vais utiliser l'exemple d'un plant de maïs ou d'une pomme de terre qui résiste aux insectes.
On craint que l'insecte ne devienne immunisé contre ce qui protège le produit. Nous parlons d'un problème d'obsolescence du produit, dans la mesure où la plante ne pourrait plus se défendre contre ce parasite, par exemple.
Dans ce cas particulier, l'une des conditions de l'approbation est que l'entreprise qui reçoit l'approbation soit tenue de prendre des mesures précises. Tout d'abord, elle doit fournir au cultivateur qui achète la semence les documents qui expliquent la façon de réduire la possibilité de résistance au moyen de techniques de gestion agricole. Cela serait un exemple du genre de choses dont nous parlons ici.
Dans certains cas, cela obligerait les agriculteurs à cultiver un certain pourcentage de leurs grains qui ne seraient pas résistants à l'insecte en question. C'est une technique de gestion qui serait utilisée et qui serait précisée dans les conditions dont s'assortit l'approbation.
La présidente: Comment évaluez-vous l'effet des végétaux à caractère nouveau sur la biodiversité au Canada? En signant la Convention sur la biodiversité, le Canada s'est donné la responsabilité de protéger la biodiversité. Que fait votre agence à ce sujet?
Environnement Canada est familiarisée avec la question, et son mandat a été transféré à votre agence.
M. Gravel: Comme je m'attendais à ce que vous me posiez des questions très intelligentes et très réfléchies, j'ai pris la liberté d'emmener avec moi un expert sur cette question. Si vous le permettez, je lui demanderai de venir nous rejoindre.
La présidente: Pourriez-vous nous dire si vous venez d'un autre ministère ou d'une université? Cela nous serait utile.
M. Stephen Yarrow, chef, Bureau de biotechnologie végétale, Section des variétés, Division de la production et de la protection des végétaux, Agence canadienne d'inspection des aliments: J'ai obtenu mon doctorat en Angleterre et j'ai travaillé durant plusieurs années à Toronto pour une entreprise de produits biotechnologiques comme le canola et les pommes de terre, par exemple. Je suis ensuite entré à Agriculture et Agroalimentaire Canada, à la Direction générale de l'inspection des aliments, qui a ensuite été intégrée à l'Agence.
En ce qui concerne la façon dont nous évaluons si un végétal à caractères nouveaux peut avoir des répercussions sur la biodiversité, toute cette activité relève du processus d'évaluation environnementale, grâce auquel nous recevons un ensemble de données qui contient toutes les informations dont nous avons besoin.
La présidente: C'est une entreprise qui vous les envoie?
M. Yarrow: Oui, ce sont des entreprises, une université ou une institution publique.
L'information que nous exigeons est très rigoureuse. Nous avons publié des directives à ce sujet sur notre site Web. Nous pouvons vous fournir sur support papier une idée générale de la liste de renseignements que nous exigeons. La plupart des informations répondent aux questions que vous vous posez au sujet des répercussions de la biodiversité.
Nous avons déjà entendu parler de problèmes, par exemple de cas où une plante devient de la mauvaise herbe ou commence à devenir envahissante à un point tel qu'elle déplace d'autres espèces. Nous exigeons aussi des informations au sujet des effets des végétaux sur d'autres organismes, par exemple des organismes non visés. Par exemple, si une pomme de terre dégage un pesticide, une protéine insecticide, nous voulons savoir si cette protéine affecte d'autres insectes hormis celui qu'elle est censée combattre. Il nous faut cette information, et nous devons être convaincus, avant même de penser à autoriser ce genre de végétal, que les pommes de terre en question, par exemple, n'affectent pas d'autres organismes.
Voilà donc l'ensemble des informations dont nous tenons compte pour votre question concernant la biodiversité.
La présidente: Si je veux obtenir des informations plus précises, je n'aurai qu'à consulter votre site Web pour obtenir tous les détails?
M. Yarrow: Oui.
Le sénateur Christensen: La terminologie que j'utilise peut ne pas être exacte, mais l'ingénierie biologique existe dans la nature depuis le début des temps. Lorsque nous vivions de la chasse et de la cueillette, nous nous en sommes servis pour adapter les espèces aux exigences du changement climatique ou pour faire croître le lest alimentaire, entre autres. Cependant, nous abordons maintenant un tout nouveau secteur, qui n'a pas d'histoire ni d'antécédents. Il n'existe rien qui nous permette de mesurer les effets du génie génétique. Qui établit les normes à cet égard à l'ACIA?
M. Gravel: Les normes de quoi, sénateur?
Le sénateur Christensen: Les normes qui régissent le génie génétique. Qui les établit?
M. Gravel: Si vous voyez que je ne réponds pas à votre question, interrompez-moi et j'essaierai de corriger le tir. En ce qui concerne la santé et l'innocuité, la norme est établie par Santé Canada. C'est lui qui établit les normes auxquelles il faut satisfaire avant qu'un produit soit mis en marché, sur le plan de la santé et de l'innocuité pour l'être humain. C'est lui qui établit les normes, et c'est nous qui les faisons appliquer. Dans ce contexte, l'Agence a pour rôle d'appliquer les normes établies par Santé Canada.
En ce qui concerne la santé des animaux et des végétaux et tous les autres types d'activités, l'Agence établit la norme et la fait respecter. Notre rôle est alors double.
En ce qui concerne l'impact environnemental des nouveaux végétaux ou animaux ou de tout autre type de produit agricole, c'est l'Agence qui en établit la norme.
Lorsque le cadre de réglementation a été établi, le ministère, Environnement Canada, estimait que les pouvoirs de contrôle et de réglementation de l'Agence étaient suffisants pour permettre l'exemption de certains des examens qui auraient dû être faits en vertu de la LCPE. Autrement dit, ils ont dit qu'ils étaient convaincus que le type d'examen environnemental réalisé par l'Agence satisfait aux exigences d'un examen environnemental.
Vous avez dit quelque chose qui est selon moi très intéressant. Vous avez dit que nous «créons» de nouvelles formes de végétaux et d'animaux qui répondent à nos besoins. Vous avez tout à fait raison. Le Canada ne serait pas un des plus importants exportateurs de blé si quelqu'un n'avait pas fait le croisement de variétés de blé pour obtenir un produit qui puisse survivre au froid. Le Canada ne serait pas parmi les meilleurs producteurs de lait si quelqu'un n'avait pas croisé les animaux pour dégager certains caractères qui font augmenter la production de lait de ces animaux. Il en va de même pour les poulets. Aujourd'hui, les poulets prendraient beaucoup plus de temps avant d'atteindre le marché. La biotechnologie est une nouvelle façon d'apporter des changements qui remplace la méthode par tâtonnements utilisée dans le passé. À l'époque, on aurait tenté le croisement d'une race avec une autre, procédé à des essais pendant cinq ans et, si cela ne fonctionnait pas, on aurait procédé par tâtonnements.
La nouvelle science nous donne l'occasion de mieux nous concentrer sur l'identification des gènes responsables de l'expression d'un caractère qui est souhaitable, pour insérer le gène dans un végétal -- et peut-être même dans un animal, quoique nous n'en soyons pas encore là -- pour que la caractéristique souhaitable soit présente dans l'animal ou le végétal.
Le sénateur Christensen: Dans le passé, les espèces devaient être compatibles. Nous commençons maintenant à travailler avec des espèces qui ne sont pas compatibles, des espèces pour lesquelles aucun croisement n'était possible, sauf par la génétique, et il n'y a pas d'antécédents à ce sujet. Comment établissons-nous les normes qui nous permettent d'évaluer ces choses?
M. Gravel: Durant toute l'histoire de notre planète, la vie a évolué, depuis une forme simple à de multiples formes.
La présidente: Oui, mais sur de très nombreuses années.
M. Gravel: Laissez-moi finir. Ce que vous décrivez comme une chose impossible, le croisement entre des espèces, s'est produit dans la nature et est à l'origine de la diversité que nous avons maintenant sur la planète.
Le sénateur Christensen: Et je dirais que, dans certains cas, cela a mené à d'immenses catastrophes.
M. Gravel: Dieu merci, les dinosaures ont disparu.
Le sénateur Christensen: Je ne sais pas si c'est à cause de croisements génétiques.
La présidente: Nous n'avons effleuré la question qu'en surface. Nous n'avons pas bien assimilé tout ce que vous nous avez dit. Nous avons des questions écrites. Si nous vous les envoyons, pourriez-vous nous répondre, de sorte que les sénateurs auraient le temps voulu pour digérer ce que vous nous envoyez?
Merci d'avoir répondu à notre invitation. J'espère que vous consentirez à revenir si nous vous rappelons dans l'avenir.
Nous souhaitons maintenant la bienvenue au témoin suivant. La parole est à vous.
M. Mark Winfield, directeur de la recherche, Institut canadien du droit et de la politique de l'environnement: Honorables sénateurs, notre institut est un organisme indépendant, sans but lucratif, spécialisé dans la recherche et l'éducation relatives au droit et à la politique de l'environnement. Il a été fondé en 1970 sous le nom de Fondation canadienne de recherche du droit de l'environnement.
La réglementation de la biotechnologie a toujours été au coeur du travail de l'institut. Nous avons organisé la première conférence canadienne sur la réglementation environnementale et la biotechnologie il y a 16 ans, en 1984. Nous avons aussi publié un guide du citoyen sur la biotechnologie et de nombreux autres ouvrages.
L'essentiel de mes remarques aujourd'hui est tiré d'un document intitulé «La réglementation de la biotechnologie agricole au Canada», qui a été publié en novembre 1999. Je crois savoir que le document a été distribué aux membres du comité.
Je commencerai par certains commentaires au sujet des sources de préoccupation qui concernent la biotechnologie, après quoi je m'attacherai à des préoccupations plus précises au sujet du régime de réglementation et de certaines des recommandations que nous avons formulées au cours des ans pour le réformer.
La biotechnologie agricole, en particulier, est en voie d'être rapidement commercialisée au Canada. Déjà, le canola, le maïs et le soja résistants aux herbicides, ainsi que les pommes de terre et le maïs résistant aux pesticides ont été commercialisés. On observe aussi une commercialisation rapide du poisson, des animaux et des arbres génétiquement modifiés.
Les préoccupations que nous envisageons au sujet de la biotechnologie et qui sont exprimées par des membres du grand public proviennent de trois sources. La première est de nature morale et éthique. Elle provient de la notion selon laquelle le génie génétique constitue en quelque sorte une violation des lois de Dieu ou de la nature, particulièrement la notion de croisement des espèces. C'est là un phénomène avec lequel bien des gens sont fondamentalement mal à l'aise. Selon nous, il s'agit d'une position théologique et éthique tout à fait valide.
Il y a aussi une préoccupation au sujet des répercussions éthiques relatives au fait que des organismes plus évolués soient de plus en plus la cible du génie génétique, par exemple les animaux de la ferme.
Il y a aussi une préoccupation d'ordre général: en tant que société, avons-nous la sagesse voulue pour utiliser une technologie dont le potentiel est si puissant? Les débats sur la biotechnologie semblent toujours être teintés d'un certain élément d'orgueil. Cela trouble bien des gens.
Ensuite, les préoccupations concernant cette technologie découle des répercussions qu'elle est susceptible d'avoir sur la santé humaine et l'environnement. Dans bien des cas, l'effet d'une modification de la génétique des végétaux et des organismes a été prédit par des écologistes il y a environ une décennie. Au cours des deux ou trois dernières années, les problèmes jusque-là théoriques ont été confirmés par des données empiriques, soit dans des expériences au champ avec des plantes commercialisées, soit en laboratoire. Les problèmes théoriques deviennent donc concrets.
Par exemple, il y a eu de sérieuses préoccupations au sujet de la possibilité que des végétaux génétiquement modifiés transfèrent des gènes à des espèces proches sauvages, particulièrement dans le cas de plantes comme le canola, qui est décrit par les spécialistes comme en quelque sorte porté sur la promiscuité. Nous commençons à constater que cela se produit, par exemple dans le cas des plantes à triple résistance trouvées dans l'Ouest canadien.
Il y a eu de très graves préoccupations au sujet des plantes modifiées pour produire leurs propres pesticides, ce qu'on appelle les espèces Bt. Ces plantes excrètent en grandissant des pesticides et tentent de combattre les parasites de cette façon.
On s'est toujours inquiété des répercussions que pourraient avoir ces types de culture sur les espèces non ciblées, particulièrement les insectes utiles. Bien des gens ont entendu parler des travaux récemment réalisés à l'université Cornell au sujet de l'effet de ces plantes sur les papillons monarques.
On s'inquiète encore des répercussions que peuvent avoir les végétaux pesticides sur les insectes cibles proprement dits. On peut raisonnablement croire que si des populations d'insectes étaient exposées à d'importantes doses de pesticides, des populations résistantes verraient le jour en très peu de temps.
On s'est aussi inquiété des répercussions de ces produits sur la santé humaine, par exemple de la possibilité de réactions allergiques. L'expérience classique à ce sujet révèle que lorsqu'on insère des gènes d'une protéine de la noix du Brésil dans des plants de soja, cela provoque des réactions allergiques chez les humains qui en consomment.
Il y a eu des préoccupations au sujet de l'utilisation immodérée de gènes marqueurs de la résistance aux antibiotiques dans des végétaux génétiquement modifiés et des répercussions que cela peut avoir sur les problèmes plus généraux de résistance aux antibiotiques.
La troisième source de préoccupation au sujet de ces produits, particulièrement dans le domaine agricole, concerne la valeur de cette technologie. Selon mon organisation et bien d'autres, des applications ne semblent pas servir les intérêts des consommateurs ni appuyer une agriculture durable sur le plan environnemental ou social.
Il faut se poser la question suivante: qui profite, par exemple, de la modification des végétaux pour qu'ils deviennent résistants à des marques particulières d'herbicides? On a là un exemple d'une entreprise qui fabrique des produits chimiques agricoles et qui cherche à renforcer son contrôle vertical de la production agricole en enfermant les agriculteurs dans une dépendance au chapitre de l'approvisionnement en graines et herbicides.
Ce désir de contrôle est implicite dans les accords sur l'utilisation de la technologie qu'on demande aux agriculteurs de signer avant de leur permettre d'utiliser la technologie en question. Il est important de signaler, particulièrement pour ce qui touche la résistance aux herbicides, les données de plus en plus nombreuses qui confirment que les caractères nouveaux ne réduisent pas l'utilisation globale des pesticides, qui augmente même dans certains cas.
De façon plus générale, des questions ont été soulevées au sujet de la mesure dans laquelle ces technologies appuient les pratiques agricoles durables. À vrai dire, elles ne sont selon bien des gens qu'une réaction aux problèmes plus graves que vit l'agriculture industrielle. Plutôt que de s'attaquer à la cause du problème, elles ne font qu'en traiter les symptômes.
On s'inquiète aussi particulièrement de la possibilité que les plantes pesticides, les espèces Bt comme les pommes de terre et le maïs, compromettent les pratiques agricoles durables en éliminant à long terme le Bt, qui est un pesticide biologique sûr et efficace. Le Bt est actuellement très utilisé par les cultivateurs de produits organiques, et on craint qu'en amenant des végétaux génétiquement modifiés à produire une toxine Bt, les populations végétales acquerront une résistance à la toxine. Ainsi, cela aura pour effet de nous priver des propriétés biologiques de lutte antiparasitaire du Bt.
En ce qui concerne le cadre de réglementation actuel du Canada, nous avons cerné au cours des années un certain nombre de graves lacunes dans sa structure actuelle. Ces lacunes sont décrites dans notre document.
Le premier problème est la conception institutionnelle du système existant. Comme le faisait remarquer la présidente un peu plus tôt, il y a une possibilité de conflit d'intérêts dans le mandat de l'Agence canadienne d'inspection des aliments, qui est le principal organisme de réglementation au Canada, et dont le mandat consiste clairement à promouvoir la protection des consommateurs, mais aussi les échanges et le commerce.
Vous avez pu voir que ce mandat mixte a été exprimé dans l'ensemble des fonctions de réglementation et de promotion de l'Agence. L'Agence rend des décisions réglementaires et publie en même temps des documents qui font la promotion de la biotechnologie et de ses avantages.
Les concepteurs de cette institution ont oublié les remarques prononcées par le juge Krever à la fin de l'enquête sur la tragédie du sang contaminé. Le juge a déclaré que la relation entre l'organisme de réglementation et l'entité réglementée ne doit jamais prendre une telle tournure que l'organisme de réglementation perde de vue le principe selon lequel il ne réglemente que dans l'intérêt public et non dans l'intérêt de l'entité réglementée.
Nous craignons que l'Agence d'inspection des aliments ait précisément perdu de vue ce principe. À vrai dire, la loi qui porte création de l'Agence ne reflète même pas ce principe.
De plus, nous avons signalé les lacunes d'une assise législative selon laquelle un organisme d'inspection des aliments réglemente les produits biotechnologiques agricoles. Selon nous, les dispositions législatives sur l'agriculture, et plus précisément la Loi sur les semences, la Loi relative aux aliments du bétail et la Loi sur les engrais, par l'entremise desquelles l'Agence réglemente ces produits, ont été selon nous conçues pour prévenir la fraude et non pour protéger la santé humaine, l'environnement ou la diversité biologique.
À vrai dire, si vous examinez la loi, vous pouvez voir qu'on n'y fait aucune allusion à la santé humaine, à l'environnement ou à la diversité biologique. Lorsque nous avons examiné le dossier législatif, nous avons constaté que la version moderne de la Loi sur les semences, par exemple, a été promulguée en 1959. Il est clair que l'objectif qui sous-tend cette loi est la prévention de la fraude et non la protection de la santé humaine ou de l'environnement.
Nous sommes aussi gravement préoccupés par la façon dont l'Agence canadienne d'inspection des aliments a abordé l'évaluation des produits de la biotechnologie. Nous sommes très préoccupés par les principes de l'équivalence substantielle et de la familiarité, qui sont essentielles au processus. Nous sommes préoccupés par l'absence d'une perspective écologique ou systémique des produits. Selon nous, les produits sont évalués séparément des systèmes agro-industriels dont ils font partie.
Une autre chose nous inquiète: le recours total à des données générées par l'industrie et qui servent de point de départ aux évaluations.
Nous sommes également préoccupés par l'absence de recherches indépendantes au Canada sur les répercussions que peuvent avoir ces produits sur l'environnement et la santé. Les scientifiques qui souhaitent entreprendre des recherches de cette nature doivent franchir d'énormes obstacles parce que la quasi-totalité du financement de la recherche agricole au Canada est organisée de telle sorte qu'il vous faut établir des partenariats avec l'industrie pour obtenir un financement de la part des conseils subventionnaires. Il devient donc très difficile de trouver, lorsqu'on examine ce genre de questions, des scientifiques qui ne sont pas en conflit d'intérêts.
Autre source d'inquiétude: l'absence d'un cadre de reddition de comptes adéquat. Aucune disposition ne prévoit la participation du public à la prise de décisions, le public n'a pas accès aux données qui étayent les décisions, et les membres du public ou de groupes plus spécialisés, comme les scientifiques des universités, n'ont plus l'occasion de faire des commentaires sur les décisions proposées ni d'interjeter appel à leur sujet.
Comme l'a concédé l'Agence canadienne d'inspection des aliments plus tôt, il y a aussi eu une absence de suivi des produits approuvés et libérés dans l'environnement.
On observe également de sérieuses lacunes au chapitre du cadre de réglementation existant. Nous avons remarqué, par exemple, que les aspects environnementaux des aliments génétiquement modifiés n'ont pas été réglementés. D'autres produits, comme le poisson et les animaux génétiquement modifiés, qui sont sur le point d'être commercialisés ne sont régis par absolument aucune réglementation.
Nous tenons aussi à souligner que le système n'a pas permis d'offrir aux consommateurs la capacité de faire le choix d'accepter ou non des aliments génétiquement modifiés, parce que la décision du gouvernement n'impose pas l'étiquetage obligatoire de ces produits.
Au cours des ans, nous avons formulé, comme le mentionne le texte publié en novembre, un certain nombre de recommandations sur la réforme du système, à la lumière de ces préoccupations. La plus importante d'entre elles consiste en la nécessité d'établir une distinction claire entre les fonctions de réglementation et de promotion des institutions qui s'occupent de biotechnologie. Un même organisme ne peut faire à la fois de la réglementation et de la promotion. Ce genre de formule conduit tout droit au désastre. Nous avons pu le constater dans plusieurs cas au cours des dernières années au Canada.
De plus, nous croyons qu'il faudrait une nouvelle loi qui établit des critères clairs et précis ainsi qu'un processus d'évaluation et d'approbation des produits biotechnologiques. Cette loi doit tenir compte des effets dangereux directs ou indirects, immédiats ou à long terme, sur la santé ou la vie humaine, l'environnement, ainsi que la conservation et l'utilisation durable de la diversité biologique, dont une évaluation des répercussions écologiques cumulatives d'une utilisation commerciale des produits en question.
Nous pensons aussi que la loi doit exiger que l'on tienne compte de l'accès à des moyens de rechange pour arriver à obtenir l'effet d'un produit, de façon à réduire les risques pour l'environnement, la santé humaine et la diversité biologique.
Selon nous, le processus d'approbation de ces produits doit prévoir un avis public et une période de commentaires avant que les produits puissent être approuvés, l'accès du public aux données sur la santé humaine et la promotion de l'environnement soumises par les promoteurs à l'appui de leur demande, des relevés clairs des décisions, ainsi que des mécanismes d'appel dont pourra se prévaloir le public lorsqu'il n'est pas d'accord avec les décisions prises par le gouvernement pour une évaluation indépendante.
Nous recommandons aussi la création d'un fonds de recherche indépendant qui viendra appuyer le travail de chercheurs universitaires à l'égard des répercussions possibles sur l'environnement et la santé de produits alimentaires et agricoles génétiquement modifiés. Nous constatons que le département américain de l'agriculture, par exemple, réserve 1 p. 100 du budget qu'il consacre à la biotechnologie pour que des scientifiques puissent mener des recherches indépendantes sur les effets environnementaux et sanitaires de ces produits. Même si ce financement est faible, il a permis de produire certaines des connaissances scientifiques les plus importantes sur les répercussions écologiques de ces produits.
Enfin, nous recommandons l'étiquetage obligatoire des aliments génétiquement modifiés. Selon nous, cela procède tout simplement du droit fondamental du consommateur d'exercer un choix en ce qui concerne ces produits.
En conclusion, nous croyons que le système de réglementation actuel des produits biotechnologiques agricoles repose sur un conflit d'intérêts institutionnalisé, des connaissances scientifiques déficientes et une législation inadéquate. Il ne permet tout simplement pas de protéger la santé humaine et l'environnement. Une réforme fondamentale de ce système s'impose.
De façon plus générale, l'agriculture au Canada doit faire certains choix très difficiles concernant le rôle que jouera dans son avenir le génie génétique. Nous devons accepter le fait que nous ne pouvons forcer les marchés d'exportation à accepter des produits qu'ils ne veulent pas, et il est clair que les aliments génétiquement modifiés ne sont pas jugés désirables par nos principaux marchés d'exportation, dont l'Union européenne et les pays en développement.
Nous devrons réagir à cette orientation, que nous soyons d'accord ou pas avec ces décisions. La Commission canadienne du blé a reconnu ce fait l'automne dernier lorsqu'elle a décidé de ne pas passer au blé génétiquement modifié en raison de ses préoccupations sur l'effet que cela aurait pu avoir sur les exportations canadiennes de blé.
Il nous semble que nous devrions réformer l'appareil réglementaire pour le rendre plus crédible, mais nous devrons aussi veiller à séparer les produits génétiquement modifiés de ceux qui ne le sont pas et préserver leur identité. Sinon, nous risquons de perdre la quasi-totalité de nos marchés d'exportation agricole.
De façon plus générale, nous devons réfléchir un peu plus à la façon dont nous pourrions établir un système agricole et alimentaire qui soit durable sur le plan environnemental, social et économique. Les dépenses actuelles du gouvernement fédéral en biotechnologie agricole peuvent être évaluées à quelque 100 millions de dollars par année, et il nous semble que cette dépense ne nous mène pas vers un système plus viable sur le plan environnemental ou social. En ce qui concerne la recherche agricole, nous avons mis tous nos oeufs dans le même panier, celui du génie génétique, et j'estime que nous pourrions constater que nous avons fait une erreur.
Mme Ann Clark, professeure agrégée, Université de Guelph: Je tiens d'abord à dire à quel point j'ai été renversée par le premier exposé que nous avons eu ce soir. Jamais je n'aurais cru qu'il y avait tant de personnes et tant d'argent dans l'ACIA. Je ne savais pas que 4 200 personnes y travaillaient dans 22 laboratoires et que les dépenses de l'organisme s'établissaient à 90 à 100 millions de dollars par année.
La présidente: C'était simplement un ajout à son budget.
Mme Clark: J'avais compris que cela couvrait tout.
Quoi qu'il en soit, deux pensées me sont venues à l'esprit lorsque j'ai entendu cela. Je me suis rappelé un commentaire formulé par le doyen de l'architecture de l'Université de Virginie, selon qui cette réglementation dénote une faille de conception. C'est une formulation lapidaire, mais elle dit beaucoup de choses. Plus nous devons établir de règlements pour nous empêcher de nous entre-tuer trop vite, plus nous devrions examiner le système pour déterminer si nous sommes sur la bonne voie ou si nous devrions chercher une autre façon de procéder qui exigerait une réglementation moins importante. Si la réglementation dénote un échec de conception, alors ce système est un échec.
Avaricieuse comme je suis, j'ai ensuite pensé à ce que je ferais avec tout cet argent et toutes ces ressources si on pouvait les affecter à l'étude des cultures organiques, des systèmes pastoraux, de la lutte intégrée contre les parasites ou de l'une ou l'autre des nombreuses méthodes agricoles qui ne sont pas de marque et qui pourraient faire une différence.
On entend souvent dire que la rapidité avec laquelle les agriculteurs ont adopté la biotechnologie montre bien qu'il s'agit d'une bonne chose. En fait, cela dénote que les agriculteurs n'avaient pas le choix. Les produits chimiques ne fonctionnent pas. La seule option que les chercheurs puissent offrir est la biotechnologie. Ce sont leurs deux seuls choix. Nous devrions leur donner le choix entre des façons de produire des aliments qui ne seront pas dommageables pour l'environnement, qui ne menacent pas la santé des humains ou du bétail et qui leur laisse un peu d'argent dans les poches.
Est-ce que vous saviez à quel point la part que touchent les agriculteurs pour l'exploitation de leur ferme est minuscule?
La présidente: Oui, nous savons ça.
Mme Clark: Soixante-quinze pour cent de la valeur de ce qu'ils vendent vont aux fournisseurs d'intrants. Les seuls qui profitent de cette agriculture à forte concentration de ressources, dont la biotechnologie est un exemple, sont ceux qui vendent les intrants. Et cela ne vaut que pour la ferme, on ne parle pas de ceux qui transforment ou font autre chose.
Nous devons réfléchir à cela et ne pas l'accepter comme un fait accompli, comme une chose courue d'avance. Ça n'a pas besoin d'être une chose courue d'avance.
Je félicite le comité de penser à réévaluer l'ACIA. Voilà une mesure qui tombe à point. Il y a eu beaucoup de progrès, d'améliorations et de changements dans la compréhension des risques associés au génie génétique. Lorsque les protocoles d'évaluation des risques ont été établis en 1994, nous n'avions pas la moindre idée des nombreux phénomènes qui se sont manifestés depuis deux ou trois ans.
Vous trouverez dans mon mémoire un tableau sur des questions comme la répression des gènes, la recombinaison virale et des questions du genre, qui ont été publiées depuis à peine deux ou trois ans. Nous ne savions pas que ces risques existaient lorsque nous avons établi les protocoles relatifs aux risques. Il est temps de reconsidérer la façon dont nous évaluons les risques pour déterminer si nous saurons faire face à ces problèmes. Il est temps de revoir ce que nous pensons de la structure et des fonctions de l'ACIA.
J'ai quatre préoccupations, dont certaines recoupent celles dont a parlé le témoin qui m'a précédée, de sorte que je vais les aborder rapidement.
Ce qui me préoccupe, c'est le pouvoir excessif accordé aux promoteurs, ainsi que l'absence de transparence, le choix des paramètres utilisés, la façon dont la recherche est effectuée par le promoteur et acceptée par l'ACIA, ainsi que le rôle central de l'équivalent substantiel, concept sans aucun fondement scientifique considéré comme une vérité absolue. Si indéfendable que soit ce concept, on en a fait le fondement de l'évaluation du risque au Canada.
En ce qui concerne l'allégation selon laquelle le pouvoir a été cédé aux promoteurs, un document très intéressant à ce sujet a été rédigé par un groupe de philosophes de l'université Leiden, aux Pays-Bas. Ils se sont attachés précisément à la façon dont les OGM ont été évalués dans ce pays. Ils ont formulé un certain nombre de commentaires très critiques au sujet de l'illogisme d'un système où, tout d'abord, les données sont intégralement fournies par les promoteurs et où, ensuite, ce sont les promoteurs qui déterminent selon quels paramètres ils vont fournir les données en question. S'ils peuvent faire cela, c'est parce que les exigences décrites dans le libellé sont tout à fait imprécises. En effet, le libellé ne précise pas ce qui doit être mesuré. Il précise que quelque chose doit être mesuré dans une catégorie générale donnée, de sorte que le choix de ce qui doit être mesuré est laissé aux promoteurs. Il en va de même dans le système canadien.
Le troisième pouvoir accordé aux promoteurs est celui de contrôler le phénomène qui se produit après la libération. C'est ridicule. Dans ce cas, non seulement le renard est-il le gardien du poulailler, mais il en est aussi l'architecte, et c'est lui qui s'occupe aussi du système de sécurité.
Cette réalité devrait vraiment vous intéresser, parce qu'elle place l'ACIA, organisme du gouvernement fédéral, dans une position tout à fait ridicule en la rendant responsable d'un système dominé par des gens qui n'ont qu'un seul intérêt: un résultat positif, une approbation.
Le gouvernement canadien se retrouve alors dans une position dangereuse. Qui doit payer si les choses tournent mal? Je ne connais pas la réponse à cette question. Le gouvernement canadien est-il responsable de la pollution génétique, des dommages que cause au terrain où pousse le maïs une accumulation de Bt ou de la disparation des papillons monarques? Qui va payer? L'industrie ou le gouvernement? Si c'est le gouvernement, je deviens donc responsable, de par ma qualité de contribuable.
Selon moi, cette situation de renard dans le poulailler est spécifiquement attribuable au démantèlement de la structure de réglementation au Canada, aux États-Unis, au Royaume-Uni et dans bien d'autres pays. Le scandale du sang contaminé est un exemple de ce qui peut se produire, et la question qui nous occupe en est un autre. C'est une catastrophe qui se produira tôt ou tard. Je veux que le gouvernement le reconnaisse.
En ce qui concerne l'absence de transparence, si vous voulez que le public canadien adopte cette technologie, qu'il croie réellement qu'elle est à son avantage, vous devez alors établir un processus transparent. Les citoyens doivent croire qu'il ne s'agit pas d'une démarche secrète, qu'ils ne sont pas exclus, qu'ils peuvent voir l'information, participer et interjeter appel s'ils constatent qu'il se produit quelque chose qu'ils n'aiment pas. Ils doivent avoir une façon de participer à l'adoption ou sentir qu'ils ont un rôle à jouer. La structure actuelle va exactement dans le sens contraire. Il s'agit d'un système qui fonctionne dans le plus grand secret. Il fonctionne en grande partie en circuit fermé. Il est extrêmement difficile pour des gens comme moi d'accéder à l'information dont se sont servis l'ACIA ou Santé Canada pour prendre leurs décisions.
Après six mois et une montagne de paperasse, certains de mes amis ont pu recevoir copie d'un mémoire. Ça leur a coûté 500 $. Il y a quarante-trois mémoires sur la même question. Ce n'est pas une façon d'inspirer confiance aux gens. Ils ont l'impression qu'on leur cache quelque chose. Je vous invite à y réfléchir. Qui profite de ce processus secret? Les citoyens du Canada ont-ils quelque chose à tirer d'un système aussi secret? Il est difficile d'imaginer comme ce pourrait être le cas. Alors, s'ils n'en profitent pas, pourquoi cette situation se perpétue-t-elle?
Je m'inquiète aussi de la rigueur de la recherche. Je suis chercheuse et j'ai été étonnée par la piètre qualité des éléments scientifiques qui ressort du seul document que j'ai reçu. C'est incroyable, mais comment pourrait-il en être autrement? Ces documents n'ont jamais été publiés. Ils n'ont jamais été soumis à un comité de lecture. Ils n'ont jamais été soumis à un examen par les pairs. Leurs qualités scientifiques n'ont jamais été étayées par des scientifiques. Ils ont tout simplement reçu le timbre «approuvé» de l'ACIA. Quand vous les examinez, vous savez que jamais ils n'auraient été approuvés.
Pour quiconque est un scientifique, qu'est-ce que ça donne de savoir que de 12 à 15 essais comparatifs ont été effectués pour des végétaux, mais que seulement quatre d'entre eux ont été utilisés? Cela a été fait à de nombreux endroits. Voilà qui n'inspire pas beaucoup confiance.
Quelqu'un a posé plus tôt une question sur la façon dont on évalue les effets sur la biodiversité. Si vous considérerez ce qui est inscrit dans les documents relatifs aux décisions comme une indication selon laquelle le risque pour la biodiversité est nul, vous risquez d'être surpris.
La présidente: On nous a dit que cette information était accessible sur le site Web.
Mme Clark: Elle se trouve sur le site Web, mais on n'y réfère que sous le terme «biodiversité». Je vais vous lire ce qui a été dit au sujet d'un produit qui a été approuvé, le canola tolérant au glufosinate. À la rubrique «effet potentiel sur la biodiversité», on y mentionne que «les gènes introduits ont été considérés comme étant sûrs pour les organismes non ciblés». On ne dit pas comment on en est arrivé à cette conclusion. On ne dit pas qu'on a effectivement mesuré quelque chose. On y dit aussi que cet hybride particulier «n'a aucune caractéristique phénotypique nouvelle qui ferait en sorte que son utilisation s'étende au-delà de son aire géographique actuelle». C'est une indication selon laquelle l'hybride n'affectera pas la biodiversité. L'autre conclusion est que le «transfert de la tolérance aux herbicides n'aura pas d'effet sur les environnements non gérés». Voilà l'intégralité des données fondamentales dont ils ont tenu compte pour conclure qu'il n'y avait pas de risque d'effet sur la biodiversité.
Il y a une relation très ténue et très douteuse entre les paramètres qui sont réputés ne dénoter aucun risque et une prédiction réelle du risque. C'est extraordinaire. Je vous encourage vivement à examiner cela. Chaque décision ne fait que deux ou trois pages et peut être trouvée dans le site Web. L'information sur la façon des les examiner est contenue dans le tableau qui figure dans mon mémoire. Lisez-la par vous-mêmes et voyez si vous la trouvez convaincante. Je vous promets que vous allez être étonnés. Je vous encourage fortement à le faire.
Vous constaterez que la conclusion d'absence de risque ne découle d'absolument aucune mesure. Elle repose complètement sur des hypothèses: le produit n'est pas censé avoir d'effet nuisible, donc il n'en a pas. C'est presque aussi simple que cela. Le raisonnement théorique est présent dans tous les documents relatifs à ces décisions.
Très peu de mesures ont été faites. Les paramètres qu'on a choisi de mesurer ont une relation très faible avec la prédiction de quoi que ce soit, et ce système, dans sa forme actuelle, a totalement échoué à prévoir les effets sur les papillons monarques. On nous dit maintenant qu'on avait prévu les répercussions, mais à partir de l'an dernier, on a consacré 50 000 $ à des études à Guelph sur le papillon monarque. Ce phénomène n'avait absolument pas été prévu. Rien dans le protocole n'aurait permis de détecter les effets sur quoi que ce soit, parce qu'aucune mesure n'a été faite. Certains problèmes sont totalement niés. Pour en avoir la preuve, je pense que vous devriez vous demander pourquoi ils ont dépensé 50 000 $ alors que certains des éléments qu'ils étudiaient étaient connus et documentés dans la littérature scientifique depuis des décennies.
Comme l'a fait ressortir très clairement un exposé présenté plus tôt ce soir, l'hypothèse fondamentale est que la caractéristique désirée sera la seule à se manifester dans les plantes transgéniques. La caractéristique qui est testée, qu'elle soit liée à la tolérance aux herbicides ou à quoi que ce soit d'autre, ne visait pas à faire de la plante une mauvaise herbe, de sorte qu'il est impossible qu'elle en soit une. On ne reconnaît aucunement la réalité des effets secondaires imprévus qui peuvent découler d'une manipulation transgénique. J'ai abordé ce sujet au cours d'une réunion plus tôt aujourd'hui. Je constate que la plupart d'entre vous n'y étiez pas, mais nous avons discuté de cette question durant un certain temps. Certaines données nous portent à croire que, lorsqu'un élément transgénique est inséré, la réaction se fait au hasard. Ce n'est pas une opération qui donne des résultats précis. Vous ne pouvez pas savoir quel chromosome sera affecté ou quelle partie du chromosome le sera, mais l'ordre dans lequel tout cela se fait a une importance. C'est cela qui fait la différence. C'est l'égalité de l'expression du gène qui détermine les conséquences. La stabilité de cette expression sur plusieurs générations a une importance, selon le gène qui est touché, pour la mesure dans laquelle les gènes qu'on ne visait pas, c'est-à-dire les gènes qui n'ont absolument rien à voir avec la caractéristique en question, sont «activités ou désactivés» simplement par le processus d'insertion transgénique, puisque celui-ci se fait au hasard.
Par conséquent, toutes sortes de choses se produisent, et la façon dont le risque est évalué dans les protocoles de l'ACIA ne peuvent en donner le moindre aperçu. Voilà une lacune très importante, qui doit être rectifiée. Je ne blâme pas l'ACIA, parce que, en 1994, lorsque les règles ont été établies, cette information n'était pas accessible. Ce phénomène vient tout juste d'être découvert, mais il est maintenant temps de commencer à reconnaître qu'il existe.
L'un des cinq critères dont ils tiennent compte dans l'évaluation du risque est la possibilité d'envahissement par les mauvaises herbes. Dans l'exemple que j'ai ici sous la main, ils ont mesuré quatre paramètres: la vigueur végétative, c'est-à-dire la mesure dans laquelle la plante croît; les intervalles de floraison, c'est-à-dire la période qui s'écoule entre la floraison et son interruption; le temps de maturation, c'est-à-dire le temps qu'il faut pour que la graine devienne adulte; et la production de graines. Ce sont là les quatre éléments qu'ils ont mesurés pour voir si une plante était susceptible de devenir une mauvaise herbe, si elle susceptible de devenir nuisible et envahissante, par exemple. Ce sont là tous des paramètres utiles, mais ils ne permettent pas de décrire la mesure dans laquelle la plante est susceptible d'envahir les autres plantes sauvages.
Je peux vous parler de l'étude de Purrington et Bergelson, qui sont des généticiens de l'évolution. C'est là un de leur sujet d'étude. En 1995, ils ont proposé 14 paramètres qui, selon eux, devaient être mesurés. Je vous donne dans mon mémoire d'autres exemples d'éléments qui devraient être mesurés pour chacun des cinq. Bien des choses pourraient être mesurées.
Je suis fondamentalement préoccupée par le fait que ce système d'évaluation du risque ne pose pas les bonnes questions. Est-ce qu'on y aborde la pollution génétique? La pollution génétique est une question importante. Je ne sais pas si vous le réalisez, mais ce phénomène aura essentiellement pour fonction d'éliminer toute production de canola dans l'Ouest canadien.
Le canola est un produit canadien. Nous dépensons beaucoup d'argent pour le cultiver. C'est un produit qui nous est propre. Nous ne pourrons plus le cultiver parce que, malgré tout l'argent qu'on aura dépensé sur la question, c'est une plante qui n'est à peu près pas «civilisée». C'est une plante sauvage qu'on prétend avoir «civilisée». Elle conserve nombre de caractéristiques de l'espèce sauvage qui sont tout à fait défavorables sur le plan agricole et qui sont tout à fait néfastes lorsque les OGM entrent en jeu.
Parmi ces caractéristiques, notons le fait que les graines ne maturent pas toutes au même rythme. Certaines maturent tôt et d'autres maturent tard. Si l'agriculteur fait sa récolte et la vend, il doit le faire à un prix réduit en raison des graines qui n'ont pas éclos. Par conséquent, il est très courant qu'on andaine la récolte et qu'on la laisse sécher avant de passer la moissonneuse-batteuse. Les gousses s'ouvrent à la maturation. C'est une autre caractéristique des espèces sauvages. Résultat: bien des graines tombent au sol, et ces graines sont le produit de la pollinisation au cours d'une saison de croissance. Autre caractéristique: la graine peut entrer en dormance pour deux ou trois ans, contrairement au maïs ou au soya, qui a été «civilisé» à l'excès et qui dépend beaucoup de l'intervention humaine. C'est à peu près le temps qu'il vous faudra prévoir avant de revenir au canola dans la rotation des cultures. Cela veut donc dire que vous pourriez avoir du canola doublement ou triplement résistant qui est en dormance dans le sol et qui entreprendra sa croissance lorsque vous sèmerez du canola à nouveau; il sera alors libre de polliniser de sorte que ce pollen doublement ou triplement résistant sera distribué aux autres plants, les pollinisera, et le cycle se poursuivra. Une fois le cycle amorcé, vous ne pouvez plus l'arrêter sauf si vous cessez de cultiver du canola durant une certaine période.
Quelle situation ridicule! Pourtant, rien dans la documentation de l'ACIA ne vous permettrait de la prévoir. La pollution génétique est un gros problème qui a complètement été laissé de côté.
L'injustice fondamentale de tout cela est frappante. C'est un énorme problème pour les agriculteurs. Si je décide de cultiver un OGM, ma voisine devrait-elle être pénalisée? Devrait-elle perdre son accréditation pour la culture organique? Devrait-elle perdre l'avantage que lui donne la culture d'aliments sans OGM? Mon voisin devrait-il perdre ses débouchés agronomiques ou ses options de contrôle des mauvaises herbes? Les deux devraient-ils renoncer à cultiver un produit tout simplement parce que je cultive un OGM? C'est tout à fait inéquitable. Je ne peux faire l'objet de contrôle en raison de la pollution génétique. Le pollen se déplace. Tout le monde possède maintenant ces gènes très coûteux. Nous ne nous posons pas ces questions, mais elles devraient être posées.
Qu'est-ce qui prouve que la moulée génétiquement modifiée que vous donnez à votre bétail ne lui nuit pas? Rien ne le prouve. Je n'ai pas vu d'étude là-dessus, et on présume pourtant que ce n'est pas un problème. Il n'y a pas de preuve de risque pour le bétail, mais c'est tout simplement parce qu'on ne s'est pas penché sur la question. Là encore, nous ne nous posons pas la question.
Le Bt qui entre dans les cultures de Bt est différent de celui qui entre dans les pulvérisations foliaires. Il est différent dans la mesure où la substance qui entre dans les organismes du sol existe sous forme de protoxine. Il n'est pas actif. Il ne s'agit pas d'un insecticide et il ne nuit à rien. Pour devenir dangereux, il doit être ingéré par le bon insecte, lequel doit avoir le pH voulu dans ses intestins et doit posséder le bon enzyme pour briser la molécule. Si tout cela arrive, le produit devient insecticide et tue l'insecte. Par conséquent, il est très sélectif. Seulement certains types de créatures en sont affectés. C'est pourquoi il est si utile. Sa durée de vie est aussi très courte parce qu'il s'agit d'un organisme vivant. On peut le vaporiser à la surface des plantes, et il disparaîtra en moins d'une semaine, victime des radiations ultraviolettes.
La même caractéristique est génétiquement incluse dans les cultures, qu'il s'agisse de maïs, de pommes de terre, de coton ou de quoi que ce soit. Cependant, c'est une endotoxine active qui est produite, et non pas une protoxine.
La présidente: J'espère que vous ne m'en voudrez pas si je vous interromps une minute. Est-ce une bonne raison d'évaluer le processus plutôt que le produit?
Mme Clark: Oui. Cela signifie en réalité que, parce que la substance est active dans chaque feuille ou chaque plant de maïs, par exemple, elle aura perdu la sélectivité qu'elle avait. Auparavant, la clé de la sélectivité était que la substance était inactive lorsqu'elle devait être ingérée. À présent, elle est déjà active. Certains documents scientifiques montrent que la sélectivité de cette substance est disparue.
La substance persiste durant longtemps, durant bien des mois dans le sol, parce qu'elle se lie aux particules de glaise dans la terre. Les racines des plants de maïs Bt exsudent cette toxine durant toute la saison de croissance. Elle n'est donc pas uniquement présente lorsque vous l'intégrez au sol à l'automne. Elle est là tout le temps.
Quel effet cela aura-t-il sur les organismes qui vivent dans le sol, compte tenu du fait qu'elle n'est plus sélective, qu'elle est rémanente, qu'elle conserve des propriétés insecticides et qu'elle s'accumule dans le sol? Nulle part dans le protocole de l'ACIA aborde-t-on même superficiellement cette question. Nous ne nous posons pas les bonnes questions.
Nous avons déjà parlé des équivalents substantiels. Je n'entrerai pas encore une fois en détail dans ce sujet. Vous avez la définition d'«équivalence substantielle». Il s'agit d'un concept tout à fait inutilisable. Il est impossible de l'utiliser pour quantifier ou éliminer quoi que ce soit. Ce n'est en réalité qu'une ruse. C'est une ruse habile qui est utilisée pour faciliter l'adoption de cette substance dans le commerce.
Pour vous donner une illustration de cela, je vais vous parler d'une allégation faite par une industrie particulière. Vous pourrez trouver des détails à ce sujet dans votre texte. L'information vient d'un document réel. Cinq rangées de pommes de terre ont été génétiquement modifiées pour pouvoir résister à la chrysomèle de la pomme de terre. Ces cinq rangées pourraient être comparées à la plante mère, et c'est ce qu'on a fait. Il y avait six paramètres de qualité alimentaire à chacun des quatre sites, de sorte qu'il y a eu 24 comparaisons pour chacune des cinq rangées. Combien de plants ont montré une différence significative sur le plan statistique? Cela variait selon les rangées. Dans une rangée, on n'a observé aucune différence pour les 24 éléments de comparaison. Dans une autre rangée, on a obtenu une différence significative sur le plan statistique pour 25 pour 100 des plants. Pourtant, on a jugé qu'il y avait équivalence substantielle pour chacune des cinq rangées.
Ma question est la suivante: à quel point un élément doit-il être différent avant qu'on envisage qu'il n'y a pas d'équivalence substantielle? On ne trouve de réponse à cela nulle part. En fait, la question n'a jamais été soulevée parce que tout a toujours été jugé substantiellement équivalent. À ma connaissance, cela s'applique à chacune des récoltes uniques. C'est là une des questions que j'aimerais poser à l'ACIA. Il ne s'agit pas là d'un élément de sélection; il s'agit d'un élément déterminant, qui garantit l'entrée de ces produits dans le commerce.
Enfin, j'aimerais vous dire que le processus actuel présente selon moi des lacunes aussi critiques que fondamentales. Si nous voulons vraiment continuer dans cette voie -- et je ne considère pas que cela aille de soi -- nous devons reconnaître que le système actuel repose sur des paramètres d'une valeur douteuse pour la prédiction des risques. Ces paramètres n'ont essentiellement aucun lien avec le risque. Ce sont des paramètres agronomiques: le rendement des graines, la croissance, la floraison et autres choses du genre. Les données scientifiques liées aux paramètres sont laissées de côté. On les retrouve dans la documentation. Il ne s'agit pas de principes scientifiques de pointe.
Les promoteurs sont ceux qui obtiennent le plus de pouvoir. Ils dominent le système. Ils fournissent toutes les données, choisissent lesquelles ils vont soumettre, quels rapports ils vont utiliser, ainsi de suite. Ils se fient largement à des hypothèses non étayées ou qui présentent des lacunes fondamentales et qui ne résisteraient jamais à l'analyse. On n'établit pas de normes pour les essais comparatifs, le nombre de sites à étudier, le nombre d'années durant lesquelles l'étude va durer. Ce n'est pas un système qui permet de bien évaluer le risque. C'est tout simplement un système qui facilite l'entrée sur le marché.
Il faut que ça change. Les Canadiens méritent mieux.
La présidente: Merci. Il y a 4 300 personnes qui travaillent pour l'ACIA, dont des scientifiques. Dans notre évaluation de la STbr, qui nous a fait connaître partout au Canada parce que les gens étaient si mécontents, nous avons entendu plusieurs scientifiques nous dire: «Holà, ne faites pas ça!»
Mme Clark: Et pourquoi, selon vous? Comment le gouvernement a-t-il réagi aux commentaires de Shiv Chopra, de Margaret Hayden et des autres qui se sont prononcés? Quel effet cela a-t-il eu sur la volonté d'autres personnes de parler d'autres questions?
La présidente: Êtes-vous en train de me dire que cela a refroidi l'ardeur des scientifiques, qui hésitent maintenant à venir se prononcer?
Mme Clark: Tout à fait.
La présidente: Combien de scientifiques ont écrit au ministre de la Santé?
Mme Clark: Deux cents. Ont-ils écouté?
La présidente: Non, ils n'ont pas écouté, mais ils viennent maintenant me parler de cette question.
Mme Clark: Comme je suis une scientifique, je comprends tout à fait pourquoi ils réagissent comme ça. Combien de gens comme Margaret, ou Shiv, ou ces autres personnes sont assez courageuses pour sacrifier leur carrière pour dire aux gens que quelque chose leur fera du tort?
La présidente: Vous n'êtes sûrement pas la seule personne de la communauté scientifique à signaler ce fait. Il doit y avoir beaucoup de gens qui critiquent. C'est difficile d'attirer l'attention des gens sur cette question qui pourrait mener à un tel désastre pour le Canada. Nous espérons que ce ne sera pas le cas, mais le potentiel est bien là. Comme nous formons le Comité de l'environnement, nous avons invité tout le monde du Comité de l'agriculture à venir témoigner. Personne n'est venu.
Mme Clark: Si vous voulez avoir un aperçu du nombre de scientifiques qui sont préoccupés, vous pourriez lire un autre texte que j'ai écrit, dont je pense avoir un exemplaire avec moi. Il est intitulé «What is Sound Science».
La présidente: Oui, je l'ai vu.
Mme Clark: On y trouve quelque 40 articles examinés qui ont trait à un aspect ou à un autre de ces questions, qu'il s'agisse du mouvement du pollen, de l'innocuité des aliments, par exemple. Il y a beaucoup de gens dans le domaine, mais il faut beaucoup de courage pour se décider à venir parler.
Le sénateur Cochrane: Je dois dire que je suis impressionnée par la somme de connaissances que vous possédez. Quel dommage que votre exposé n'ait pas précédé celui de nos autres témoins!
La présidente: Peut-être qu'on aurait dû entendre un panel de témoins. Je m'excuse de ne pas y avoir pensé. Nous pourrions décider d'entendre de nouveau nos témoins sous forme de panel, parce qu'il est vrai que nous n'avons pas eu l'occasion de poser à nos témoins toutes les questions qui nous sont venues à l'esprit.
Le sénateur Cochrane: Non seulement ne leur avons-nous pas posé toutes les questions, mais je ne suis pas qualifiée pour poser certaines des questions que vous avez soulevées. Je n'ai pas votre capacité ni vos connaissances.
Certains de vos efforts sont-ils consacrés à un lobbyisme auprès des personnes qui transforment les aliments, les produisent et les vendent au détail au sujet des questions que nous étudions, et si c'est le cas, y mettez-vous autant d'enthousiasme que celui que vous avez mis dans l'exposé que vous nous avez présenté?
Mme Clark: Je ne fais plus de lobbyisme. Si quelqu'un m'invite, je viens et je parle. Je suis heureuse de partager mes connaissances. Toutes mes discussions sont différentes. Il n'y a que très peu de répétition. Je transcris toutes ces allocutions sur ma page du site Web de l'Université de Guelph. Tout le monde a accès à cette information. Elle peut être téléchargée gratuitement. Je possède des droits d'auteur à son égard parce que je ne veux pas la perdre, mais les gens sont libres d'utiliser cette information comme bon leur semble.
Je suis une scientifique spécialisée dans les pâturages. Ma journée de travail se passe tout près des vaches dans les champs, alors je fais cela dans mes temps libres. J'ai noué des liens avec d'autres personnes qui pensent comme moi au Canada. Nous sommes un groupe d'environ 40 universitaires et scientifiques du gouvernement qui critiquent les exposés et qui s'entraident.
Lorsque l'un d'entre nous souhaite présenter un exposé comme celui-ci, le groupe l'examine et en discute, et c'est très bénéfique. Il y a beaucoup de gens comme ça dans le monde. Cependant, comme certains d'entre vous le savez, il y a un risque réel à parler. Les répercussions peuvent être affreuses.
Le sénateur Cochrane: Cela vaut probablement la peine.
Mme Clark: On n'a qu'une seule carrière.
Le sénateur Cochrane: Ce que je veux dire, c'est que c'est précieux quand on tient compte des effets que cela peut avoir sur la population générale.
Mme Clark: C'est pourquoi je suis venue ici. Je ne veux pas que mon fils de dix ans vienne me voir dans 20 ans et me demande pourquoi j'ai laissé cela se produire.
Le sénateur Cochrane: Toutefois, vous devez admettre qu'il y a au ministère de bons scientifiques et de bonnes personnes.
La présidente: Ce sont eux qui mènent.
Le sénateur Cochrane: C'est peut-être le cas, sénateur, mais ils ont une conscience et cela doit sûrement compter pour quelque chose.
Mme Clark: Je ne veux pas excuser ces gens, mais ce qui a tendance à se produire, c'est que certains scientifiques sont formés pour examiner une question de façon très étroite. J'apporte un point de vue écologique. Les gens qui ont une orientation écologique voient l'effet, le système, tout ce qui concerne la chose. Nous sommes formés pour examiner l'ensemble de la situation.
La plupart des gens du ministère ou de l'ACIA sont formés pour n'examiner qu'un seul aspect, qu'il s'agisse des microbes, des gènes ou d'autres choses. Ils ne voient pas l'ensemble de la situation. Ce n'est pas qu'ils laissent délibérément de côté de l'information. C'est tout simplement qu'ils ne la voient pas. C'est un problème fondamental de la façon dont nous enseignons aux gens à penser.
Le sénateur Christensen: Quels critères utilise-t-on pour déterminer le degré de risque acceptable? Quels critères utilisez-vous?
M. Winfield: C'est une bonne question pour laquelle il n'y a pas de réponse toute faite. Il faut reconnaître que l'Agence d'inspection des aliments n'a jamais dit «non» à une demande à l'égard d'un végétal à caractères nouveaux. Elle n'a imposé de conditions qu'une seule fois, et c'était après que le végétal eut été amélioré.
Il n'y a pas de processus ni de structure pour répondre à votre question. Votre question est valide parce que, quand on examine les documents qui étayent la décision, on constate que malgré les paramètres inadéquats que décrit le professeur Clark, on a encore fait ressortir des problèmes potentiels. Dans les décisions relatives au canola, ils ont admis que la probabilité de transfert de matériel génétique à des espèces voisines sauvages existait, ce qui ne les a pas empêchés de l'approuver.
On est donc amené à se poser cette question: «Quel est le degré de risque acceptable?» Comme elle ne parle même pas de réglementer sur le plan de la santé ou même de l'environnement, la loi ne fournit aucune orientation. Les documents de principes sont tout simplement muets sur la question.
Par conséquent, le risque tient essentiellement à une décision des évaluateurs de l'ACIA, et l'agence n'est pas transparente. Il n'y a pas de critères clairs. Les membres du public n'ont aucune façon de se prononcer sur ce qu'ils pourraient considérer comme un degré de risque acceptable. Cela explique en partie pourquoi nous considérons que le système est si déficient.
Le sénateur Christensen: Nous avons entendu le terme «végétaux à caractères nouveaux» très souvent. S'agit-il d'un terme scientifique, ou est-ce un terme bureaucratique qui semble atténuer le vrai sens du terme?
Mme Clark: Il y a une chose pour laquelle je suis d'accord avec les personnes qui ont parlé avant moi: le Canada est unique en ce que nous considérons qu'une mutagénèse qui mène à des caractères nouveaux dans une plante est un phénomène naturel. Certains des caractères de résistance aux herbicides se manifestent naturellement. Ces mutations se produisent naturellement, alors qu'ils se mélangent à une culture. C'est ce qu'on appelle un végétal à caractères nouveaux, même s'il n'a pas été créé par génie génétique, où l'on aurait vraiment pris un gène, on l'aurait coupé et inséré. Autant que je sache, le Canada est le seul pays au monde à considérer une telle plante comme un végétal à caractères nouveaux. Ces plantes font l'objet d'une évaluation aussi rigoureuse ou aussi peu rigoureuse que les plantes créées par génie génétique. Autant que je sache, il s'agit d'un terme qui est propre au Canada et il sert ses fins.
La présidente: On nous dit qu'il se produit bien des types d'incidents transgéniques. Ma mère me disait toujours: «Si un poisson épouse un oiseau, où vont-ils vivre?» Sommes-nous en train de nier les tendances historiques ou le fondement historique de l'évolution?
Mme Clark: Ce que vous dites est une vérité. Il est important de reconnaître que les gènes sont passés d'organismes d'une espèce à une autre au cours de l'histoire de l'évolution. Mon propre ADN -- et le vôtre aussi, probablement -- contient beaucoup de substances étrangères, et nous sommes pourtant ici pour en parler, alors tout va bien.
La différence est une question d'échelle. Ce qui s'est passé au cours de l'évolution, c'est qu'une créature X a mis un gène Y dans l'ADN de mon ancêtre. Ça s'est produit une fois pour un lien particulier, après quoi il y a eu toute une série de sélections, de sorte que nous ne savons pas ce qui a été retenu ou écarté. Au cours de l'évolution, certains ont été écartés et d'autres ont été conservés, mais cela a commencé quelque part.
Nous parlons maintenant de dizaines de millions d'hectares de terre, où chaque cellule de chaque plante a la même construction aberrante à partir d'éléments étrangers. Il s'agit d'un affront écologique aux proportions sans précédents. C'est d'une audace folle. C'est une menace dirigée contre des organismes uniques, les organismes bénéfiques, tous les autres, c'est du jamais vu.
C'est vrai que cela s'est déjà produit auparavant, mais c'était à partir d'une source ponctuelle, et, sur un grand nombre d'années, l'évolution a opéré une rétention ou un rejet. Aujourd'hui, ça se passe à une échelle différente.
La présidente: Monsieur Winfield, avez-vous des documents concernant l'absence ou la diminution du recours aux pesticides imputable à l'avènement de végétaux génétiquement modifiés? C'est le principal argument qu'on nous présente.
M. Winfield: Je vous renverrai à un court mais excellent texte publié par le Fonds mondial pour la nature Canada il y a environ un mois, sous la plume de Rod McRae. L'auteur fait un examen approfondi de la documentation et s'attache aux niveaux d'utilisation des pesticides et à certaines questions plus générales concernant la relation entre les végétaux génétiquement modifiés et l'agriculture durable.
En ce qui concerne cette question, j'ai remis en doute la valeur et l'utilité de ces produits. La principale conclusion de M. McRae est que la quantité de pesticide utilisée ne diminuera pas. Le principal avantage que l'on a vanté en ce qui concerne la résistance aux herbicides et au Bt était censé être la réduction du recours aux pesticides. Selon les données qu'il possède et qui découlent essentiellement de celles du département américain de l'agriculture, c'est que cela ne se produit tout simplement pas.
On entend des anecdotes au sujet d'agriculteurs qui peuvent avoir, isolément, obtenu une réduction du recours aux pesticides, mais lorsqu'on examine l'ensemble de la situation, on constate que ce n'est simplement pas le cas.
La présidente: On lit toutes sortes de choses. Souvent, elles sont recueillies au hasard et citées comme un fait.
M. Winfield: C'est ce qui rend ce document du Fonds mondial pour la nature Canada si important. Il est bref et précis. Il remet clairement en question l'avantage fondamental cité par les promoteurs de cette technologie. Elle ne procure pas les résultats allégués et qui sont censés être parmi ses principaux avantages.
Mme Clark: Si vous regardez les références du document que je vous ai remis, vous verrez l'adresse du site Web. Vous pouvez examiner la question en le consultant. Vous pouvez obtenir les mêmes tableaux que moi, mais il est primordial de comprendre qu'ils ont choisi la mauvaise culture. S'ils voulaient réduire l'utilisation des pesticides, le maïs parasité par le Bt est un mauvais exemple, parce que le parasite cible du maïs Bt est la pyrale du maïs. Environ 1 à 2 pour 100 seulement des les insecticides appliqués au maïs visent le contrôle de la pyrale du maïs. Même si cela fonctionnait et qu'on réduisait l'infestation à zéro, l'effet serait si menu qu'il passerait inaperçu.
Ce qui se passe dans le cas du coton infesté par le Bt, comme le révèlent les données du département américain de l'agriculture, c'est que l'utilisation d'insecticides est réduite pour qu'on puisse cibler son parasite. Cependant, la quantité d'insecticide utilisée pour lutter contre les autres parasites est augmentée. Cela dénote directement qu'il y a prolifération d'un parasite secondaire, et cela est largement reconnu.
Lorsque nous appliquons des pesticides pour éliminer des parasites, d'autres créatures qui n'étaient jusque-là pas des parasites augmentent en nombre jusqu'à devenir des parasites. Elles deviennent nuisibles, de sorte qu'il faut appliquer encore plus d'insecticides. C'est ce que révèlent les données du département américain de l'agriculture en ce qui concerne le coton.
La présidente: Vous devez avoir vu la même émission de télévision que moi. On y voyait un cultivateur de pommes de terre de l'Île-du-Prince-Édouard qui se plaignait de McCain Foods Ltd. Il disait qu'alors qu'il n'avait auparavant à faire qu'une application d'insecticide ou d'herbicide, il devait désormais en faire sept ou huit. Il disait que cela était nuisible non seulement pour l'environnement, mais aussi pour sa propre santé. Pensez-vous qu'il a été encouragé à faire cette déclaration?
Mme Clark: Non. Si vous saviez de quelle façon nous cultivons la pomme de terre à l'Île-du-Prince-Édouard, vous auriez probablement un choc. C'est d'une horreur incroyable. Le tracteur doit passer 23 fois parce qu'il faut butter les graines pour ensuite vaporiser l'insecticide ou l'herbicide. Je crois savoir que la chrysomèle de la pomme de terre était seulement l'un des insectes que cet agriculteur tentait de combattre. Il lui faut encore appliquer tous les autres insecticides. Je déplore qu'il ne puisse utiliser les pommes de terre Bt pour lutter contre la chrysomèle, qui ne peut plus être maîtrisée avec autre chose en raison de la façon dont nous avons cultivé ces pommes de terre.
La présidente: Je voulais aussi vous poser une question au sujet des cultivateurs de produits organiques. Lorsque j'étais membre du comité de l'agriculture, bien des cultivateurs de produits organiques sont venus nous dire qu'ils allaient faire faillite. Vous avez dit que cela était un énorme problème, mais je n'en ai pas saisi toutes l'ampleur.
Il me semble que, pour diverses raisons, dont l'éducation, les gens sont maintenant plus intéressés par les éléments organiques que jamais auparavant. Est-ce une menace qui pourrait éliminer la culture de produits organiques dans notre pays?
M. Winfield: Pour être bref, je vous dirais oui: à tout le moins, c'est ce que les cultivateurs de produits organiques que je connais m'ont dit. Le problème a de multiples dimensions. Celle qui, selon moi, a suscité les réactions les plus vives était la possibilité de perdre le Bt comme arme antiparasitaire biologique.
La présidente: La pollution est aussi un facteur.
M. Winfield: Oui. L'autre dimension est la crainte de perdre l'accréditation de cultures organiques. Mme Clark appelle cela la «pollution génétique». On commence à découvrir que, même si vous ne plantez pas de canola résistant aux herbicides, par exemple, vous en avez dans votre récolte, ce qui vous fait perdre votre accréditation de culture organique.
L'envers de la médaille de cette histoire ne doit pas échapper à l'attention du comité. Nous avons consenti un investissement plutôt massif en biotechnologie pour cette forme d'agriculture particulière. Pourtant, nous ne dépensons essentiellement rien pour trouver d'autres façons de régler les mêmes problèmes, en particulier pour ce qui concerne l'agriculture organique et la lutte intégrée contre les parasites, qui ont le potentiel d'offrir des solutions égales, sinon meilleures, aux problèmes que nous sommes censés tenter de régler. Si vous êtes un agriculteur et que vous voulez suivre ce chemin, vous êtes pratiquement laissé à vous-même. Vous espérez qu'un de vos voisins l'aura déjà suivi et pourra vous dire quoi faire, parce que ce n'est certainement pas Agriculture Canada, l'ACIA ni Agriculture et Agroalimentaire Ontario qui vont vous aider. Vous aurez des problèmes à obtenir de l'assurance et du financement. Et la liste s'allonge sans cesse.
Par contre, d'autres pays, et en particulier les pays européens, ainsi qu'un certain nombre d'États américains ont déjà très explicitement pris des décisions et consacrent une partie de leur financement de la recherche agricole à l'agriculture organique.
Mme Clark: Ils ont établi des cibles. Ils tentent d'arriver à un certain pourcentage d'ici 2005, par exemple. Il est important de reconnaître que le maïs sucré est la seule chose qui va menacer le maïs Bt pour les cultivateurs de produits organiques. Le maïs sucré est la seule autre culture qui est aussi attaquée par le parasite cible. Dans cette partie du monde, la laitue ou les tomates organiques ne sont pas attaquées par la pyrale du maïs. La seule autre culture qui sera menacée lorsqu'une résistance se manifestera est celle du maïs sucré. De même, la pollution génétique est aussi un problème pour les cultures comme le maïs et le canola. Le problème est beaucoup moins grave -- si tant est qu'il existe -- pour le soya, le haricot et bien d'autres cultures du genre.
Il y a des risques qui pourraient compromettre, peut-être totalement, certaines cultures. Cependant, cela ne signifie pas nécessairement que ces cultures disparaîtront à tout jamais. Selon moi, il s'agit en fait d'une fabuleuse occasion. En raison de l'absence de mention sur l'étiquette, la seule façon dont bien des gens -- et j'en suis -- pourront s'assurer qu'ils n'achètent pas de produits génétiquement modifiés est d'acheter des produits organiques. Je pense que les éléments organiques vont susciter une énorme demande.
La présidente: L'intérêt du public pour cette question est impressionnant. Je le répète, nous avons reçu des centaines de lettres, tout comme les membres du comité de l'agriculture. Nous aimerions rendre service au public à cet égard, mais nous ne savons tout simplement pas comment procéder. Notre comité devrait rajuster ses priorités pour y arriver, parce qu'il s'appelle le comité de l'énergie, de l'environnement et des ressources naturelles. Évidemment, les ressources agricoles pourraient figurer au nombre des ressources naturelles. Je ne pense pas que le Comité de l'agriculture prendra à son compte l'examen de cette question, même si j'avais pensé qu'il le ferait. Une des raisons qui explique cet état de chose est l'état très désespéré de l'économie agricole. Les agriculteurs ne semblent pas avoir l'énergie et la volonté de s'engager dans des questions comme celles-là.
Avez-vous des suggestions sur la façon dont nous pourrions y arriver? Nous ne pourrions probablement pas commencer à nous en occuper tout de suite. Je serais heureuse d'avoir vos suggestions. Il s'agit probablement là de l'un des problèmes les plus graves à se poser aux Canadiens.
Bien des gens qui souhaitent sérieusement améliorer leur santé et celle de leurs enfants veulent pouvoir accéder à des aliments organiques à moindre coût. Lorsque la question de la STbr a surgi, les gens ont été horrifiés de découvrir que des additifs étaient ajoutés au lait. Nous avons reçu des lettres de gens qui n'auraient jamais imaginé écrire un jour au Sénat. Je pense qu'il y a là place à de l'éducation et à une meilleure forme d'agriculture. Cependant, un peu d'aide ne nous serait pas inutile.
M. Winfield: Plus tôt aujourd'hui, avec l'aide du Sierra Legal Defence Fund, une requête a été présentée au vérificateur général en vertu des modifications apportées en 1995 à la Loi sur le vérificateur général; elle émanait de l'Institut canadien du droit et de la politique de l'environnement, du Conseil des Canadiens, du professeur Clark ainsi que du professeur Christie de l'Université de l'Île-du-Prince-Édouard.
Nous avons tenté de réunir ces questions dans le mémoire de façon à poser une série de questions sur le développement durable et la conformité des activités du gouvernement avec le principe du développement durable, les exigences de la Loi canadienne sur la protection de l'environnement et les obligations prises par le Canada en vertu de la Convention des Nations Unies sur la diversité biologique. Autrement dit, nous avons tenté de présenter le problème au regard des engagements environnementaux que le gouvernement a déjà pris ou a déjà faits. De cette façon, nous avons tenté d'en faire une question tout autant environnementale qu'agricole. Cela peut être utile si l'on veut poser une question au comité.
Le comité peut vouloir étudier quelques autres possibilités. La requête dont a été saisi le gouvernement ce matin avait trait au système de réglementation. L'autre question qui exige un examen plus approfondi concerne les dépenses du gouvernement du Canada en biotechnologie. La meilleure estimation que nous pouvons faire est que les dépenses actuelles du fédéral en biotechnologie se situent probablement aux alentours de 350 à 400 millions de dollars par année. Il faut se demander si ces dépenses sont cohérentes, encore une fois à la lumière des principes du développement durable. Cela pourrait ouvrir la porte à diverses questions, par exemple: pourquoi toutes les dépenses en recherche agricole sont-elles consacrées à une seule approche très étroite?
La présidente: Une partie de cet argent est consacré strictement à la promotion, et même pas à la recherche.
M. Winfield: C'est vrai.
La présidente: J'ai vu une partie de cette information.
Mme Clark: Il est important de reconnaître qu'en Europe, où l'on fait intentionnellement la promotion de l'agriculture organique, on établit souvent un lien entre ce type d'agriculture et la bonne intendance de l'environnement. Une bonne part des fonds consacrés aux produits organiques est accessible à tout le monde, mais les cultivateurs de produits organiques sont plus susceptibles d'en obtenir parce qu'ils protègent tellement l'environnement. Cependant, le contexte en est un de bonne intendance de l'environnement. Essentiellement, il s'agit de faire passer le soutien d'une activité qui appuie une denrée à une autre qui appuie la bonne intendance. C'est une question à envisager.
Je tiens également à souligner que même si vous payez les aliments organiques plus cher, cet argent ne va pas aux agriculteurs.
La présidente: Je sais.
Mme Clark: Ce sont les détaillants qui font d'énormes profits.
La présidente: C'est là l'autre question qui concerne l'agriculture. J'ai vu les chiffres et je sais ce qu'obtiennent les producteurs. Nous avons vu le document.
S'il n'y a pas d'autres questions, j'aimerais vous remercier beaucoup d'être venus nous parler ici ce soir. Consentiriez-vous à revenir si nous devions créer un panel à ce sujet? Nous avons appris des choses ici ce soir, et nous pourrions être mieux en mesure de poser d'autres questions plus tard, si les sénateurs le souhaitent. Encore une fois, merci.
La séance est levée.