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ENEV - Comité permanent

Énergie, environnement et ressources naturelles

 

Délibérations du comité sénatorial permanent de
l'Énergie, de l'environnement et des
ressources naturelles

Fascicule 11 - Témoignages


OTTAWA, le mardi 30 mai 2000

Le comité sénatorial permanent de l'énergie, de l'environnement et des ressources naturelles se réunit aujourd'hui, à 18 h 15, en vue d'examiner des questions qui pourraient survenir occasionnellement se rapportant à l'énergie, à l'environnement et aux ressources naturelles au Canada (sécurité des réacteurs nucléaires).

Le sénateur Mira Spivak (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente: Je tiens à remercier les témoins d'avoir accepté de comparaître ce soir. Je leur demanderais de commencer tout de suite, car nous sommes un peu pressés par le temps.

Mme Mary-Anne Pietrusiak, épidémiologiste, Département de la santé, Municipalité régionale de Durham: Honorables sénateurs, je vous remercie de nous avoir invités à vous parler de notre étude sur le rayonnement et la santé dans la région de Durham. Comme le sujet est complexe, n'hésitez pas à consulter le résumé et le rapport dans sa version intégrale que nous avons fournis au comité. Je répondrai avec plaisir à toutes les questions à la fin de mon exposé.

Je vais vous entretenir de quatre points importants. Tout d'abord, je vous parlerai un peu de la région de Durham. Ensuite, je décrirai certains des défis que comporte l'étude des éventuels effets sur la santé des centrales nucléaires. Je vous fournirai par la suite un aperçu du cadre que nous avons élaboré au Département de la santé pour étudier ces effets. Enfin, je discuterai brièvement des résultats. En guise de conclusion, je décrirai certaines des étapes à venir.

La région de Durham se trouve juste à l'est de Toronto. Nous sommes bordés à l'ouest par l'ancienne ville de Scarborough qui fait maintenant partie de la région du Grand Toronto. Durham est une municipalité régionale. Nous sommes uniques, en ce sens que nous comptons deux centrales nucléaires sur notre territoire. Dans la partie ouest, il y a la centrale de Pickering qui a ouvert ses portes en 1971. Au sud de Bowmanville se trouve la centrale de Darlington, en exploitation depuis 1989.

Dès le tout début, la région de Durham a joué un rôle relativement à ces centrales sur plusieurs fronts, y compris par exemple sur le plan de la protection civile. En 1995, la région a formé le Durham Nuclear Health Committee (le Comité de la santé dans le domaine nucléaire de Durham) pour trouver réponse aux préoccupations du grand public en matière de radiation. Le comité, présidé par M. Kyle, comprend des membres du grand public. Le Département de la santé a travaillé à plusieurs aspects différents des centrales nucléaires et il fait partie du Durham Nuclear Health Committee.

L'étude des éventuels effets sur la santé des centrales n'est pas facile. Il faut dire au départ qu'il y a du rayonnement partout. Nous sommes tous exposés au rayonnement, la plus grande source étant l'atmosphère. Certaines personnes y sont aussi exposées lors de tests médicaux et dans l'exercice de leur métier.

Je ne puis trop insister sur le fait que le niveau de radiation émanant des centrales nucléaires est très faible. Essentiellement, 1 p. 100 approximativement de tout le rayonnement auquel est exposée la personne qui habite à côté de la centrale et qui consomme des aliments, de l'eau et du lait d'origine locale provient de la centrale. Par conséquent, 99 p. 100 des radiations auxquelles elle est exposée viennent d'autres sources.

Le principal effet sur la santé qui nous intéresse est le cancer qui, manifestement, est une maladie fort complexe. Il existe bien d'autres causes que la radiation. Par exemple, on sait que le cancer du poumon est relié à la radiation, mais le tabagisme est de toute évidence une cause beaucoup plus importante.

Autre défi, le cancer a une très longue période de latence, ce qui signifie que beaucoup de temps s'écoule entre le moment où la personne est exposée à un agent cancérigène et le moment où le cancer se manifeste. Les taux des différents cancers aux alentours de la municipalité régionale de Durham ne nous disent pas si ces personnes vivent là depuis très longtemps. On sait simplement qu'elles vivent là depuis que leur cancer a été diagnostiqué, par exemple, mais elles pourraient tout aussi bien venir tout juste d'emménager et n'avoir pas habité dans la région depuis très longtemps. Le fait revêt une importance particulière pour la région de Durham parce qu'elle a connu une croissance phénoménale de sa population. En fait, dans le secteur d'Ajax-Pickering, la population a augmenté de 50 p. 100 en cinq ans, soit de 1986 à 1991. Cela nous posait un problème particulier pour notre étude.

Ce sont là certains des défis que nous avons eu à relever. Nous avons élaboré, au service de santé, un cadre qui nous permet de surmonter le plus possible ces obstacles. Nous nous sommes servis d'ouvrages scientifiques pour choisir les indicateurs. Nous nous sommes surtout servis des nombreuses études publiées sur les survivants de la bombe atomique. Ces documents fournissent beaucoup de renseignements utiles. Nous avons classé les indicateurs selon leur degré d'association au rayonnement dans la documentation.

Nous avons créé quatre catégories différentes d'indicateurs: important, possible, peu probable et théorique. Les indicateurs les plus significatifs sont ceux qui sont le plus associés à la radiation, ceux qui nous préoccupaient le plus, par exemple la leucémie, le cancer du sein, des os, de la thyroïde -- ce genre d'indicateurs.

Nous nous sommes aussi efforcés de rendre les indicateurs le plus spécifiques possible. Par exemple, on sait qu'un genre de leucémie, la leucémie chronique lymphocytaire, n'est pas causé par la radiation. Nous avons donc retiré cet indicateur quand nous examinions la leucémie. Nous l'avons exclu.

Enfin, nous avons examiné la latence des cancers en fonction de la proximité des centrales nucléaires. Sur cette carte de la région de Durham, Pickering et Ajax se trouvent à gauche. Le grand «P» que vous voyez au bas vous indique l'emplacement approximatif de la centrale de Pickering. À droite, on voit la ville de Clarington. Un «D» vous indique où se trouve la centrale Darlington. Dans le cadre de notre étude des taux de cancer et du taux de certaines anomalies congénitales, nous avons aussi tenu compte du fait qu'Ajax et Pickering sont les deux villes les plus proches de la centrale de Pickering.

Sur le plan de la latence, certains cancers comme la leucémie se manifesteront cinq ans peut-être après que la personne a été exposée à des radiations. Par contre, le cancer de la thyroïde, par exemple, pourrait prendre jusqu'à vingt ans à se manifester. Si l'on en croit les ouvrages scientifiques, nos données ne nous permettront pas de repérer les effets sur la santé des cancers, parce que la centrale de Darlington n'a ouvert ses portes qu'en 1989 et que la période visée par nos données prend fin en 1993.

Les données sur le cancer nous ont été fournies par le registre des cancers de l'Ontario. Nous avons examiné trois périodes entre 1979 et 1983. Nous avons examiné la fréquence et la mortalité, l'incidence étant définie comme les nouveaux cas dénombrés et la mortalité, comme les décès causés par le cancer. Nous avons étudié des populations d'hommes et des populations de femmes. Il y avait une foule de données à examiner.

Les données sur les anomalies congénitales sont venues du Système canadien de surveillance des anomalies congénitales. Nous nous sommes arrêtés à cinq périodes allant de 1978 à 1991. L'étude a été effectuée en 1997. Malheureusement, à ce moment-là, les données les plus récentes que nous pouvions obtenir étaient celles de 1991 parce qu'on était en train de modifier le système. Ce fut un gros désavantage.

L'étude nous a permis de conclure qu'il n'y pas d'ensemble cohérent d'indicateurs de santé qui permettent d'affirmer que les centrales nucléaires affectent la santé de la population de la région de Durham. Cela ne signifie pas que nous n'avons pas relevé de taux élevés ou bas, car nous en avons relevés. Par exemple, de 1984 à 1988, le taux de mortalité des femmes a été beaucoup plus élevé dans le secteur Ajax-Pickering que dans la province d'Ontario, mais les indicateurs ne permettaient pas de dégager une constante, puisque, durant la période suivante, le taux d'Ajax-Pickering était le même que pour la province. De plus, quand nous avons comparé ce taux avec celui de la région de Halton, retenue aux fins de la comparaison et située à l'ouest de Toronto, là où il n'y a pas de centrale nucléaire, on y relevait un fort taux de leucémie chez les femmes. En tenant compte de toutes ces données, nous avons conclu essentiellement qu'il n'y avait pas de lien.

La prochaine étape consiste essentiellement à mettre à jour le cadre que nous avons élaboré à partir des ouvrages scientifiques, à ajouter peut-être de nouveaux indicateurs, si possible, et à examiner toute nouvelle information. Nous examinerons peut-être le tabagisme, par exemple, parce qu'il est si déterminant comme facteur de certains cancers. Manifestement, nous mettrons à jour l'information et nous prévoyons produire un nouveau rapport l'année prochaine, en 2001.

Le sénateur Banks: Les comparaisons que vous avez faites visaient des personnes vivant à côté de la centrale, d'après moi. Je suis de l'Alberta. L'incidence de problèmes de santé que vous avez relevée est-elle comparable à la moyenne nationale?

Mme Pietrusiak: La plupart du temps, les taux du secteur Ajax-Pickering correspondent à ceux de l'Ontario. Les taux ontariens eux-mêmes sont très proches de ceux du Canada, parce que l'Ontario représente une grande partie de la population canadienne. Dans toute région que vous examinez, il y aura toujours des taux plus élevés et plus faibles. C'est vrai, quelle que soit la région choisie, en n'importe quel coin du pays. La plupart du temps, les taux correspondent à ceux de l'Ontario et du Canada.

Le sénateur Banks: Vous sentez-vous personnellement à l'aise avec la méthodologie? Je suppose que oui, puisque vous l'avez inventée. Vous sentez-vous personnellement à l'aise avec le niveau de données passé et actuel? Avez-vous l'assurance que vous obtenez les renseignements dont vous avez besoin sans difficulté?

Mme Pietrusiak: Pour ce qui est des données à notre disposition, nous avons fait de notre mieux. Étant donné le bas niveau de radiations émanant de la centrale, il est très difficile d'avoir une méthodologie plus rigoureuse.

Mme Donna Reynolds, médecin hygiéniste adjointe, Département de la santé, Municipalité régionale de Durham: Quand un épidémiologiste est prié de dire s'il a suffisamment de données, il répond toujours qu'il aimerait en avoir plus sur le cancer et la radiation. Sur le plan stratégique, nous sommes en train d'examiner, de concert avec la Commission de contrôle de l'énergie atomique, l'étude pilote qu'elle a effectuée en vue d'assurer une surveillance plus opportune du cancer. La période visée par nos données se termine en 1993. Il faut maintenant attendre d'avoir plus de données pour la période quinquennale suivante. Notre temps de réaction est donc limité en attendant de nouvelles données. Cette étude pilote portant sur la surveillance du cancer menée de concert avec la CCEA est une excellente occasion d'améliorer la qualité des données.

Le sénateur Banks: La nature des données que vous obtenez et la façon dont vous les obtenez vous conviennent-elles? Estimez-vous disposer des meilleures données à intégrer à votre modèle?

Mme Pietrusiak: Nous traitons les meilleures données connues. Naturellement, nous souhaitons toujours avoir les meilleurs renseignements. Cela ne fait aucun doute.

Le sénateur Banks: Estimez-vous que vous pourriez obtenir de meilleures données que celles dont vous disposez?

Mme Pietrusiak: Oui.

Le sénateur Banks: Comment?

Mme Pietrusiak: Nous pourrions obtenir des données plus opportunes de l'association du cancer, notamment. Elle s'efforce de nous livrer une partie de cette information plus rapidement. Le ministère de la Santé en retarde cependant la diffusion. Nous aimerions obtenir les données plus rapidement. Nous aimerions aussi probablement les obtenir pour une région géographique mieux définie. Je le dis comme ça, à pied levé. Je suis sûre que je pourrais vous dresser une longue liste d'améliorations souhaitables.

Mme Reynolds: Pour certains cancers, il existe diverses phases différentes, ainsi que des types histologiques. Ainsi, quand on examine le cancer du poumon, on regroupe toute une série de types différents de cancer du poumon dans cette catégorie. Certains d'entre eux sont peut-être plus sensibles au tabagisme, d'autres non. Certains sont plus affectés par la radiation. L'information que nous avons est toujours d'ordre assez général. Une meilleure ventilation géographique des données réelles sur le cancer serait utile.

Le sénateur Banks: Qu'est-ce qui vous empêche d'obtenir de meilleurs données de manière à pouvoir construire un meilleur modèle? Est-ce l'intransigeance? L'inertie? Est-ce parce que les systèmes n'existent pas encore? Quelqu'un fait-il obstacle?

Mme Reynolds: Les données sur la santé qui sont réunies de manière systématique, par exemple dans un registre, soulèvent certaines questions.

Le sénateur Banks: Toutefois, l'information qui vous est communiquée est anonyme, je suppose. L'identité des personnes ne vous est pas fournie. Vous n'avez pas besoin de savoir s'il s'agit de M. Untel, n'est-ce pas?

Mme Pietrusiak: C'est juste.

Mme Reynolds: Il existe toutefois d'autres moyens d'identifier les personnes. C'est pour cela que, sur le plan des données sur la santé, on refuse de nous fournir des données mieux définies.

Le sénateur Banks: Ce refus vise-t-il à protéger des renseignements personnels?

Mme Reynolds: Oui.

Mme Pietrusiak: Par exemple, si quelqu'un est atteint d'une forme très rare de cancer et que nous connaissons son âge ainsi que la région où il habite, nous pourrions l'identifier par recoupements, deviner peut-être qui il est.

Nous faisons des macro-analyses, de sorte que nous n'examinons pas ce genre de données personnelles. Nous n'avons pas les noms. Nous ne disposons pas d'une grande quantité de données qui permettraient d'identifier la personne. Toutefois, plus l'information est définie -- le code postal, par exemple --, plus il est possible d'identifier la personne. En fait, si l'incidence ou le nombre de cas de cancer est de moins de cinq, nous supprimons toujours cette information. Nous nous contenterons de préciser qu'il y a eu moins de cinq cas de cancer dans cette région. Nous ne dirons pas s'il s'agit d'un, deux, trois ou quatre cas. C'est ainsi que l'on essaie de protéger le caractère confidentiel des données.

Le sénateur Christensen: À votre avis ou que vous sachiez, y a-t-il eu un changement dans les radiations émanant des centrales depuis le début des années 90?

Mme Pietrusiak: Que je sache, il n'y en a pas eu.

M. Robert Kyle, commissaire et médecin hygiéniste, Département de santé, Municipalité régionale de Durham: Pas que je sache.

Le sénateur Christensen: Êtes-vous satisfait du suivi effectué et des rapports qui vous sont fournis à ce sujet?

M. Kyle: Chaque année, on nous communique les résultats d'un programme de surveillance environnementale exigé par Ontario Power Generation. Nous obtenons un résumé de cette information et une comparaison des données avec les normes de protection contre la radiation. Cette information nous est transmise sur une base trimestrielle et annuelle.

Certes, les données sur les émanations que nous obtenons révèlent qu'elles sont bien en deçà des normes de protection contre les radiations et des limites réglementaires imposées à Ontario Power Generation. Nous n'avons aucune difficulté à obtenir les données. Nous les obtenons depuis que je suis dans la région de Durham, et j'habite là depuis 10 ans environ.

Le sénateur Christensen: Qui fait la collecte de ces données?

M. Kyle: C'est la Commission de contrôle de l'énergie atomique. Je ne souhaite pas parler en son nom; elle vous le dira elle-même. C'est elle qui fixe les normes de protection contre les radiations et les limites d'émanation des centrales nucléaires.

Ontario Power Generation, entreprise qui exploite les centrales nucléaires, est tenue de faire une estimation des émanations de la centrale et de la dose à laquelle est exposée la population en fonction de ces émanations. En tant qu'un des nombreux organismes figurant sur la liste d'envoi, nous recevons une évaluation de la dose à laquelle a été exposée la population et une comparaison de cette dose avec les normes de protection contre les radiations. Elle est très faible et bien en deçà des normes. Je n'ai pas de difficulté à obtenir les rapports à ce sujet. Nous les recevons régulièrement depuis des années.

Le sénateur Taylor: Le docteur Wing de Seattle a fait une étude des travailleurs des dépôts nucléaires de l'État de Washington. Il a constaté que l'incidence de myélomes chez les travailleurs était le double de celle des travailleuses. Il a aussi constaté que l'on diagnostique cinq fois plus de cancers chez les Afro-Américains que le taux normal. Tenez-vous compte du sexe et de l'origine raciale dans le cadre de ces études?

Mme Pietrusiak: Nous tenons certes compte du sexe. C'est l'un des facteurs les plus importants dont nous tenons compte, de même que l'âge. La plupart du temps, au Canada, nous ne nous arrêtons pas à l'ethnicité ou à la race. C'est très courant dans de nombreuses études américaines. Ils ventileront les données par race, mais nous n'avons tout simplement pas à notre disposition ce genre de données et elles seront probablement moins pertinentes ici, parce qu'elles ne sont pas aussi faciles à obtenir.

Le sénateur Taylor: La population d'origine non européenne du Canada augmente constamment. Il sera peut-être sage de commencer à intégrer certaines habitudes américaines dans nos études.

Mme Pietrusiak: Dans la région de Durham, la population est surtout de souche européenne.

Le sénateur Taylor: Cette section de la population est peut-être immunisée ou peut-être s'agit-il de quelque chose que nous puissions transmettre à d'autres.

Mme Pietrusiak: L'immigration est beaucoup plus importante dans la partie ouest de la région de Durham. La population y est d'environ un demi-million, soit dit en passant. Il semble que l'ethnicité soit un élément important que vous vouliez connaître en matière de santé. Cependant, ce n'est pas si facile à déterminer que cela. Les gens sont très compliqués. On pourrait s'enquérir du pays d'origine. Cela aiderait en partie, mais si on veut creuser davantage et demander d'où viennent les ancêtres, cela devient très compliqué. Vous pouvez tous saisir la complexité de la chose et il se peut que cela n'ait aucune incidence sur leur santé.

Le sénateur Taylor: Vous avez parlé d'augmentation des myélomes multiples là où augmente l'exposition aux radiations. Des études font-elles état d'augmentation des myélomes dans les régions où les gens mangent du poisson ou là où il y a des émanations de monoxyde de carbone ou encore là où des pesticides sont manipulés? En d'autres mots, y a-t-il d'autres circonstances où les gens courent un plus grand risque de développer un myélome?

Mme Pietrusiak: Le chercheur John McLaughlin a terminé récemment une étude longitudinale dans laquelle il a établi un lien avec les pesticides. Il analysait encore certains des résultats lorsque je lui en ai parlé. Il s'agit d'un élément sur lequel nous travaillerons en ce qui a trait à la mise à jour du cadre. Nous allons nous pencher sur les études plus récentes afin de voir quelles sont les nouvelles données que nous pouvons intégrer à ces travaux.

Le sénateur Taylor: J'aimerais revenir à la question du sénateur Banks qui vous a demandée si votre étude portait sur un échantillon assez large. Il me semble que s'il ne l'était pas il pourrait arriver que, en qui a trait à l'accroissement des risques de contracter un cancer, vous jetiez le blâme sur quelque chose alors que c'est autre chose qui multiplie les risques deux ou trois plus vite.

Mme Pietrusiak: Tout à fait. C'est un des problèmes que pose une étude de ce genre.

La présidente: À cet égard, les études du Dr Wing portaient sur un échantillonnage de près de 500 personnes. Si j'ai bien compris, la personne moyenne est exposée annuellement à un rayonnement naturel se situant entre un dixième et un tiers de microrem alors que la norme professionnelle actuelle en ce qui a trait à l'exposition annuelle aux radiations est de cinq microrem. L'étude a fait ressortir que les gens qui avaient été davantage exposés aux radiations, même à l'intérieur des limites acceptées, couraient plus de risques d'être atteints de ce cancer et les travailleurs plus âgés risquaient 3,5 fois plus de contracter un myélome. Aux États-Unis, tout juste en janvier dernier, après avoir nié pendant des années les dangers pour la santé, le Département de l'énergie à reconnu publiquement que la radiation avait rendu malade un grand nombre de ces travailleurs.

Êtes-vous convaincue que les limites d'exposition aux radiations dans le cadre d'un emploi et qui sont en vigueur à l'heure actuelle sont pertinentes? Avez-vous examiné cet aspect dans le cadre de votre étude?

Mme Pietrusiak: Nous ne nous sommes pas penchés du tout sur les expositions au rayonnement au travail. C'est le ministère du Travail qui s'en occupe. Ce qui nous préoccupe c'est la population de la région Durham.

La présidente: Mais un grand nombre des résidents travaillent à la centrale.

Mme Pietrusiak: Certains d'entre eux travaillent à la centrale mais ils ne représentent qu'une infime partie des travailleurs de toute la région.

La présidente: Et ce qu'il faut noter, c'est que vous n'avez pas examiné cet aspect dans votre étude?

Mme Pietrusiak: Non, nous ne nous sommes pas penchés sur les expositions professionnelles.

La présidente: Qu'en est-il des rejets de tritium et de l'incidence des cas de leucémie infantile, docteur Kyle? Pourriez-vous nous parler des études effectuées en 1991 par la Commission de l'énergie atomique relativement à cette question et nous dire ce que vous pensez de la conception de ces études, de leur exécution et des conclusions? Êtes-vous convaincu que la conclusion à laquelle en sont arrivés certains des consultants, à savoir que les taux de leucémie qu'ont fait ressortir ces études pourraient être dus au hasard?

M. Kyle: La Commission de contrôle de l'énergie atomique abordera ces questions dans le prochain exposé et je ne veux pas me faire leur porte-parole.

Il y a déjà un bon moment de cela. Si je me souviens bien, les conclusions du rapport étaient satisfaisantes. Votre question n'a rien à voir avec l'étude que nous avons effectuée. Celle-ci portait sur la population en général, les cancers et les déficiences congénitales. Les représentants de la CCEA vous parleront de l'étude qu'ils ont réalisée, et notamment de la question de la leucémie infantile.

Le sénateur Buchanan: J'aurais bien aimé faire partie du groupe qui a visité les installations. J'étais à ce moment-là en Nouvelle-Écosse, où je participais à une étude sur les étangs bitumineux.

Pouvez-vous me dire ce qu'est le «tritium»?

Mme Pietrusiak: Le tritium est assimilé à de l'eau radioactive. Il est produit naturellement, mais à faible dose.

Le sénateur Buchanan: Vous parlez des émissions de tritium provenant de l'eau lourde?

Mme Pietrusiak: Il est relié à l'eau lourde. C'est une sorte de sous-produit des centrales nucléaires qui est rejeté dans l'eau.

Le sénateur Taylor: Est-il rejeté dans l'eau ou dans l'air, sous forme de vapeur d'eau?

Mme Pietrusiak: Les deux.

Le sénateur Buchanan: Est-ce que les émissions de tritium peuvent provenir d'une usine d'eau lourde?

Mme Pietrusiak: Elles proviennent des centrales nucléaires.

Le sénateur Buchanan: Mais qu'en est-il de l'usine d'eau lourde?

Mme Pietrusiak: L'eau lourde est un modérateur utilisé par l'usine. Elle n'est pas, de par sa nature, naturellement radioactive. Toutefois, elle devient radioactive au fur et à mesure qu'elle franchit toutes les étapes du processus.

Le sénateur Buchanan: De quel processus s'agit-il?

Mme Pietrusiak: Du processus qui consiste à créer de l'énergie.

Le sénateur Buchanan: Vous faites allusion à la centrale nucléaire et non à l'usine d'eau lourde? Si je pose cette question, c'est parce que nous avons deux usines d'eau lourde au Cap-Breton qui ont été fermées. Les gens se sont toujours demandé si elles produisaient des rejets radioactifs. Certains en étaient convaincus, d'autres non. Maintenant que je sais en quoi consiste le tritium, je me demande si de telles émissions pourraient provenir d'une usine d'eau lourde.

Mme Pietrusiak: Je ne saurais vous le dire.

La présidente: Comme nous avons un témoin qui va en parler, nous lui poserons la question plus tard.

Le sénateur Christensen: Que pensez-vous de l'évaluation actuellement en cours au sujet de la remise en fonction de la centrale A de Pickering? Il ne s'agit pas d'une évaluation environnementale complète.

M. Kyle: Je ne suis pas un spécialiste de la législation sur les évaluations environnementales. J'ai lu les passages pertinents du projet de rapport sur l'évaluation environnementale de la centrale A de Pickering. Je m'intéresse surtout aux questions touchant la santé. Je pense que le rapport répond assez bien aux préoccupations que j'ai au sujet des risques que présentent pour la santé les radiations et autres types d'émissions plus conventionnelles. La question de savoir s'il faut procéder à un examen préalable, à une évaluation par des experts ou à une évaluation environnementale complète relève davantage du domaine politique que scientifique. Je pense que de nombreux habitants de la région de Durham préféreraient qu'on procède à une évaluation environnementale complète. Je ne suis toutefois pas un spécialiste en la matière.

Le sénateur Christensen: Vous n'avez pas d'inquiétudes sur le plan de la santé?

M. Kyle: J'en ai, mais je pense qu'on y a répondu dans les rapports que j'ai lus jusqu'ici.

La présidente: Il y a des questions que nous n'avons pas eu le temps d'explorer, notamment la convenance des limites d'exposition. Pouvons-nous vous soumettre ces questions, monsieur Kyle, et obtenir une réponse écrite?

M. Kyle: Absolument.

La présidente: Merci d'avoir comparu devant nous aujourd'hui. Nous vous en sommes grés.

Nous allons maintenant entendre Mmes Mary Measures et Suzana Fraser de la Commission de contrôle de l'énergie atomique.

Mme Suzana Fraser, épidémiologiste, Commission de contrôle de l'énergie atomique: Mon exposé comporte plusieurs volets, dont un bref aperçu de la façon dont nous établissons les limites d'exposition et la base scientifique d'estimation des risques de l'exposition au rayonnement ionisant. Je vais vous parler des cas de leucémie infantile qui ont été relevés à proximité des centrales nucléaires. C'est une question qui suscite l'attention du public depuis déjà un bon moment. Je vais vous exposer en détail les données que nous avons recueillies à ce sujet. Je vais ensuite vous parler brièvement d'un projet de programme de surveillance du cancer à proximité des installations nucléaires au Canada.

La présidente: Est-ce que la Commission de contrôle de l'énergie atomique ne prévoit pas réaliser une étude là-dessus?

Mme Fraser: Oui.

La présidente: Allez-vous en parler?

Mme Fraser: Oui.

Pour ce qui est des effets du rayonnement sur la santé, la Commission de contrôle de l'énergie atomique se fonde sur les données scientifiques recueillies par divers organismes internationaux, dont l'UNSCEAR, le Comité scientifique des Nations Unies pour l'étude des effets des rayonnements ionisants, la CIPR, la Commission internationale de protection radiologique, et le BEIR, le Biological Effects of Ionizing Radiation Committee, qui est un sous-comité de l'Académie des sciences des États-Unis. Ces organismes examinent périodiquement les données scientifiques qui ont trait aux effets du rayonnement. La CIPA, par exemple, formule des recommandations sur les normes de radioprotection qu'il convient d'adopter.

L'information qu'utilisent ces organismes provient de diverses sources. De façon plus précise, l'information sur les risques provient surtout des survivants des bombardements d'Hiroshima et de Nagasaki. Ces gens ont fait l'objet d'un suivi, de sorte que nous savons essentiellement ce qu'ils ont vécu au cours de leur existence en terme de risques de cancer, de déficiences génétiques, ainsi de suite. Nous avons également des renseignements de patients soumis à l'irradiation à des fins médicales. Ils ont fait l'objet d'un suivi au fil des ans. S'ils ont développé une maladie, nous sommes en mesure d'en évaluer les risques. Enfin, nous avons des renseignements qui sont souvent utilisés et qui proviennent des travailleurs exposés au rayonnement, comme les travailleurs de centrales nucléaires, de mines d'uranium, ainsi de suite.

Comme nous pouvons compter sur les conseils d'organismes scientifiques réputés, pourquoi s'inquiète-t-on de la possibilité de cancers à proximité des installations nucléaires alors que, selon les grands organismes scientifiques, rien ne l'atteste? Premièrement, le rayonnement est un agent cancérogène connu pour les humains. Deuxièmement, les effets d'une exposition élevée sont clairs. Nous savons quelle est la relation dose-réponse et ce qui se produire. Toutefois, la communauté scientifique ne connaît pas l'ampleur exacte du risque associé à de faibles expositions, comme par exemple dans le milieu ambiant, puisqu'aucune étude n'a été réalisée sur la question.

Troisièmement, d'après certaines études, les cas de cancers, en particulier de leucémie infantile, sont plus nombreux dans le voisinage des installations nucléaires. Quatrièmement, le public considère que le rayonnement pose un risque plus grand que nombre d'autres agents cancérogènes de puissance comparable ou supérieure. Cinquièmement, selon des rapports souvent non corroborés, il y aurait, par exemple, un nombre élevé de cas de cancer du sein à proximité d'une centrale nucléaire de New-York. Cette question fait la une des journaux et nuit au public parce que vous vous trouvez alors avec une population qui s'inquiète de sa santé si elle vit à proximité d'une telle installation. Si ces rapports n'ont pas été publiés dans des revues scientifiques et approuvés par les collègues des auteurs, vous savez qu'il s'agit d'une étude qui a été produite par un groupe qui n'a pas la compétence voulue pour effectuer une telle étude. Voilà pourquoi on s'intéresse tant à la question.

J'aimerais maintenant vous parler des cas de leucémie infantile qui ont été signalés. D'abord, d'où vient cette préoccupation? En 1983, un poste de télévision local signale un nombre élevé de cas de leucémie infantile à Seascale, près de l'usine de retraitement nucléaire de Sellafield. Deux ans après, une seconde concentration de cas de cancers est signalée près de l'usine de traitement nucléaire de Dounray, en Écosse.

Les cas signalés et les questions soulevées par les médias ont abouti à la réalisation de nombreuses études. Dans un premier temps, on a effectué des études à proximité d'installations individuelles en Grande-Bretagne, aux États-Unis, en France, en Israël et en Allemagne. Des études multisites plus approfondies ont par la suite été menées près de telles installations dans de grandes régions ou pays. Il y a eu, au Canada, l'étude John McLaughlin, qui s'est penchée sur les cas de leucémie infantile en Ontario, et sur la question de savoir si les taux de leucémie étaient élevés à proximité des grands complexes nucléaires de la province.

En général, la preuve était toujours négative. Toutefois, on a continué de signaler des concentrations de cas à Sellafield et Dounray, par exemple. Ces concentrations remontent loin dans le passé et existent toujours.

Comme la preuve recueillie auprès de ces deux usines ne pouvait être reproduite, d'autres études ont été menées. Au Royaume-Uni, des chercheurs scientifiques ont analysé les taux de cancer enregistrés à proximité de régions où l'on prévoyait construire des usines. Ils ont relevé, tout comme dans plusieurs autres régions qui comptent des installations nucléaires, un nombre élevé de cas de leucémie.

D'autres études ont donc été menées dans les régions où l'on enregistrait, de façon constante, un nombre élevé de cas de leucémie. Je tiens à préciser que seules quelques installations sur les centaines qui existent ont fait l'objet d'une analyse. Des études ont été menées à La Hague, en France, à Sellafield et à Kruemmel, en Allemagne. Les évaluations radiologiques montrent que le nombre élevé de cancers observé ne pouvait être expliqué par l'exposition au rayonnement.

Parce que la preuve n'était pas corroborée -- en ce sens que, oui, il y a des concentrations de cas, mais aucune tendance n'a été observée dans la plupart des régions examinées -- plusieurs hypothèses scientifiques ont été envisagées. Mentionnons d'abord l'exposition du père avant la conception, ce qui pourrait expliquer certaines concentrations de cas. Est-ce que les travailleurs sont exposés aux radiations en milieu de travail, par exemple dans une centrale nucléaire, et est-ce qu'ils transmettent ensuite ce risque à leurs enfants? C'est ce que confirme une étude réalisée dans la région de Sellafield. Cette étude a été suivie de trois autres, et aucune n'a établi l'existence d'un tel lien. Une étude a également été menée en Ontario auprès de pères qui travaillaient dans des centrales nucléaires. Elle a révélé que leurs enfants n'étaient exposés à aucun risque.

La deuxième hypothèse est la suivante: il y a quelque chose dans l'environnement qui est à l'origine du nombre élevé de cas de leucémie. Cette hypothèse n'a pas non plus été étayée. Encore une fois, on part du principe que les doses de rayonnement restent dans l'environnement pendant longtemps. L'explication se trouve peut-être dans d'autres preuves, que je vous exposerai plus tard. La troisième hypothèse concerne les agents infectieux, et j'y reviendrai également plus tard. Enfin, la dernière hypothèse concerne le radon.

Comme je l'ai mentionné, ces hypothèses ne sont pas étayées, sauf celle voulant que des agents infectieux puissent être à l'origine du nombré élevé de cas de leucémie. J'ai fourni au greffier des copies d'études scientifiques récentes qui montrent que les scientifiques commencent à croire que les concentrations de cas de leucémie peuvent, dans une large mesure, être attribuables des agents infectieux.

Compte tenu des preuves scientifiques qui ont été recueillies, la Commission de contrôle de l'énergie atomique conclut que les faits n'étayent pas la position selon laquelle il y aurait, près des centrales nucléaires de Pickering et de Bruce, un nombre élevé de cas de leucémie infantile attribuables à des expositions provenant des activités de ces centrales.

Je vais sauter par-dessus cette diapositive-ci, puisque vous l'avez dans le document qui vous a été distribué. Elle décrit les critères qu'utilisent les épidémiologistes pour évaluer la causalité. Enregistrer un nombre élevé de cas dans un endroit particulier et relier cette maladie à un facteur particulier sont deux choses différentes. Cette diapositive décrit certaines des procédures suivies.

J'aimerais maintenant vous parler du programme que nous comptons mettre en place. D'après la CCEA, la leucémie infantile n'est pas attribuable à des expositions provenant des activités des centrales. Nous prévoyons néanmoins établir un programme de surveillance du cancer à proximité des installations nucléaires. La CCEA reconnaît que le public continue de s'inquiéter des possibilités de cancer à proximité des installations nucléaires, et des études choisies continuent de signaler un nombre élevé de cas dans leur voisinage. En tant qu'organisme de réglementation, nous voulons jouer un rôle proactif dans la poursuite d'études sur la santé pour éviter les surprises dans notre compréhension de la science radiologique ainsi que pour répondre aux préoccupations du public. Ces préoccupations sont toujours aussi vives. En effet, nous avons reçu une lettre d'une personne atteinte de cancer de la peau qui vit à proximité d'une centrale nucléaire et qui soutient que cette maladie est attribuable aux activités de cette installation.

De concert avec le Laboratoire de lutte contre la maladie de Santé Canada, nous prévoyons établir un programme complet de surveillance du cancer. Il ne s'agit pas d'une étude, mais d'un programme de surveillance du cancer à proximité de toutes les grandes installations nucléaires. Au nombre de ces installations figurent les réacteurs de recherche nucléaire, les mines d'uranium, les installations de raffinage et de conversion de l'uranium, les installations de fabrication du combustible et, bien sûr, les centrales nucléaires. Ce programme de surveillance nationale nous permettra de nous assurer que les faits reflètent la réalité.

Comme je l'ai déjà mentionné, nous avons mis sur pied un projet pilote dans la région où se trouve la centrale nucléaire de Pickering, en vue de trouver la meilleure approche à adopter pour ce programme de surveillance. Nous comptons voir si cette approche pourra être appliquée à d'autres installations à l'échelle du pays. Nous sommes conscients du fait que si nous voulons mettre au point un programme efficace qui répond aux préoccupations de la collectivité, il faudra que celle-ci y participe. Dans le cas du projet pilote de la centrale nucléaire de Pickering, nous collaborons avec le service de santé de la municipalité régionale de Durham. Nous tenons compte de leurs préoccupations et de leurs besoins.

Nous avons prévu un calendrier de développement de trois à quatre ans. On ne peut qualifier cette estimation de prudente, car l'étude de ces questions demande souvent plus de temps que prévu.

Je voudrais vous expliquer où en est le programme de surveillance pour l'instant. L'étude des sources de données est achevée, et nous essayons de déterminer quelles sont les plus efficaces. Nous avons étudié les options de méthodologie statistique qui existent. Nous envisageons la possibilité d'utiliser des modèles pour améliorer l'efficacité de la surveillance.

Le sénateur Banks: Je vous remercie d'être venue nous rencontrer. J'ai plusieurs questions précises à vous poser.

Quels sont les agents infectieux auxquels vous faites allusion? Je présume que vous avez une liste précise de ceux-ci. D'où proviennent-ils?

Ce qui me préoccupe avant tout, c'est que vous avez constaté qu'il existe d'autres facteurs qui sont tout aussi susceptibles de causer des problèmes de santé. Vous dites que cette situation est tout à fait normale, parce que ces installations ne sont pas les seules à entraîner des problèmes de santé; d'autres facteurs sont peut-être en cause.

Je blague, bien entendu. Toutefois, la phrase qui m'étonne le plus est celle où vous dites que, à l'exception des taux de leucémie élevés à proximité de plusieurs complexes nucléaires, en général la preuve était toujours négative. Cela ne me rassure guère. N'êtes-vous pas en train de laisser entendre que vous avez décelé un nombre élevé de cas de leucémie à proximité de plusieurs centrales nucléaires?

Mme Fraser: Essentiellement, oui. On a relevé un nombre élevé de cas à proximité de plusieurs centrales, sauf que, comme je l'ai mentionné, il y a probablement des centaines de sites qui ont été examinés. Je ne peux vous donner le chiffre exact, mais sur 100 sites, il y en a peut-être trois, selon toute probabilité, qui font état d'un nombre élevé de cas. Il y a peut-être d'autres facteurs qui expliquent cette situation.

Le sénateur Banks: Mais cette situation ne peut-elle pas également être attribuable aux activités de ces trois centrales nucléaires, à la nature de leurs rejets?

Mme Fraser: Comme leurs activités s'apparentent à celles des autres installations, il est peu probable qu'elles aient des effets distincts sur la population vivant à proximité de celles-ci.

Le sénateur Banks: Sauf qu'il y a beaucoup de personnes vivant à proximité de ces installations qui sont atteintes de cancer.

Mme Fraser: Non. Seuls quelques cas ont été relevés. D'autres études ont été menées pour expliquer leur existence. En fait, ces études montrent que les cas de cancers observés ne peuvent être expliqués par l'exposition à de faibles doses de rayonnement. On ne peut pas non plus expliquer pourquoi cette situation n'a pas été observée ailleurs.

Toutefois, nous savons que la leucémie en particulier peut s'expliquer par la présence d'un agent infectieux. Nous ne connaissons pas la nature de celui-ci, mais cette hypothèse à été retenue dans 20 études différentes réalisées au cours des cinq dernières années. Elles montrent que dans les régions où il y a interaction entre la population locale et les travailleurs qui arrivent dans une nouvelle installation, on constate souvent qu'il y a une concentration de cas de leucémie qui se produit. C'est un phénomène qu'on observe non seulement dans les régions où il y a des centrales nucléaires, mais également là où il y a d'autres types d'installations. D'après la communauté scientifique, ces autres facteurs expliquent la présence des cas observés dans ces trois régions.

J'ajouterais que, dans le cas de la leucémie -- et je ne parle pas d'autres types de cancer -- cette hypothèse a été formulée dès 1960. Le gourou de l'épidémiologie, un des maîtres à penser de notre domaine de spécialisation, et il a aussi été un des premiers à dénoncer les effets néfastes de la cigarette, a rédigé des éditoriaux où il enjoint la communauté scientifique à accepter cette hypothèse. Il s'agit là d'un argument solide.

Le sénateur Banks: Vous êtes convaincue qu'il n'y a pas de relation de cause à effet démontrable.

Mme Fraser: Compte tenu des renseignements que nous avons recueillis jusqu'ici, il est hautement improbable qu'il existe une relation de cause à effet entre le nombre élevé de cas de leucémie infantile observés à proximité de plusieurs centrales nucléaires, et les taux d'atteinte enregistrés à ces endroits. J'en suis convaincue.

Le sénateur Banks: Je m'excuse d'insister là-dessus, mais ce sujet, pour moi, est totalement nouveau. Vous êtes convaincue que ces trois centrales nucléaires sur les 100, si c'est bien le chiffre...

La présidente: C'est bien le chiffre?

Mme Fraser: Oui, c'est essentiellement trois centrales sur 100.

La présidente: Pouvez-vous nous donner le chiffre exact?

Mme Fraser: Ce ne sont même pas des centrales nucléaires. Sellafield est une usine de retraitement nucléaire, tout comme Dounray, en Écosse. La centrale de La Hague est une installation nucléaire.

Le sénateur Banks: Voilà où je veux en venir. Ces installations sont différentes. Elles n'ont pas été construites par le même entrepreneur dans le même genre d'emplacement, et elles ne produisent pas le même genre de rejets. Par conséquent, est-il possible que les activités de ces trois installations diffèrent de celles des 97 autres? Est-ce possible?

Mme Fraser: Non, parce que des études ont été menées auprès de toutes les installations dans de nombreuses régions, comme en France et en Allemagne, pour voir si la tendance était la même d'une région à l'autre. La preuve était négative.

Le sénateur Christensen: Avez-vous examiné les répercussions que la remise en service de la centrale A de Pickering pourrait avoir sur la santé? Avez-vous des préoccupations à ce chapitre?

Mme Fraser: Pas de façon précise.

Le sénateur Christensen: Vous êtes vous penchée là-dessus?

Mme Fraser: Non, et comme Mme Pietrusiak l'a mentionné plus tôt, on ne pourrait pas le faire en raison de la période de latence qui se rattache au cancer. Il faudrait attendre 10 ans avant de pouvoir évaluer l'impact des activités qui ont cours actuellement.

Le sénateur Christensen: Existe-t-il des études antérieures qui ont état de répercussions sur la santé?

Mme Mary Measures, directrice, Division de la protection radiologique et environnementale, Commission de contrôle de l'énergie atomique: Les doses de rayonnement ne devraient pas être très élevées, si l'on se fonde sur les activités antérieures de la centrale. Elles devraient être très faibles. Les personnes qui habitent dans la région de Pickering sont exposées à de faibles doses.

Le sénateur Adams: Vous avez dit au début que vous aviez des données sur les Japonais qui ont été exposés à des doses de radiation à la suite du bombardement qui est survenu il y a 50 ans ou 60 ans de cela. Combien de personnes ont vécu pendant de longues années? Combien sont mortes du cancer? Y a-t-il encore des survivants? Existe-t-il un lien entre les personnes exposées à des doses de radiation par suite de ce bombardement, et celles qui vivent près des centrales nucléaires?

Mme Fraser: Les survivants du bombardement font l'objet d'un suivi constant. En fait, l'information que nous possédons sur les répercussions qu'entraîne l'exposition aux radiations provient de ce groupe précis. De manière générale, nous avons constaté qu'environ 1 p. 100 des décès survenus jusqu'ici dans ce groupe, et qui étaient surtout dus au cancer et aux maladies héréditaires, peuvent être attribués à l'exposition aux radiations. Les études que nous avons réalisées nous ont permis de déterminer que les radiations ont un impact, notamment, sur la leucémie infantile. Certains types de cancers sont plus sensibles à l'exposition aux radiations. Ces personnes ont fait l'objet d'un suivi approfondi.

Le sénateur Adams: Certains des enfants qui viennent au monde aujourd'hui en subissent toujours les effets.

Mme Fraser: Non.

Le sénateur Adams: Est-ce que seules les personnes qui vivaient à cette époque en ont subi les effets?

Mme Fraser: Oui.

La présidente: Merci beaucoup. Nous vous remercions d'être venues nous rencontrer. Si nous avons d'autres questions, nous vous les soumettrons par écrit, si vous êtes d'accord.

Nous allons maintenant entendre M. Arsalan Mohajer, de l'Université de Toronto.

M. Arsalan Mohajer, professeur agrégé de géophysique, Sciences de l'environnement, Division des sciences physiques, Université de Toronto: Honorables sénateurs, c'est avec grand plaisir que je viens aujourd'hui vous communiquer les résultats de plus de 10 années de recherches actives menées dans le sud de l'Ontario sur la sécurité de la centrale nucléaire de Pickering, du point de vue géologique, géophysique et sémiologique.

Comme vous le savez, l'évaluation des risques est une science incertaine. Malheureusement, elle ne se limite pas au marché boursier car, quand il est question de catastrophes naturelles, nous devons prendre certaines précautions pour éviter d'exposer le grand public à des risques dont ils ne sont pas conscients.

Ai-je les compétences voulues pour aborder ce sujet? Après avoir fait des études en géophysique et en séismologie à l'université Cambridge et au Imperial College, en Angleterre, j'ai passé 25 ans à examiner différentes centrales nucléaires dans diverses régions du monde, y compris aux États-Unis, en Europe et au Moyen-Orient.

Quand je suis arrivé au Canada il y a une quinzaine d'années de cela, j'ai été étonné de voir que le dimensionnement de la centrale nucléaire de Pickering n'affichait qu'une force de gravité de 3 p. 100 comparativement aux autres centrales nucléaires. Par exemple, aux États-Unis, soit du côté sud du lac Ontario, le dimensionnement des centrales est de cinq à six fois plus élevé. Je me suis demandé pourquoi celui-ci était si faible. L'Agence internationale de l'énergie atomique, sous les auspices des Nations Unies, recommande une accélération g d'au moins 10 p. 100 partout dans le monde.

On part du principe que la région de Toronto et le site de Pickering, comparativement à la partie est de l'Amérique du Nord, est une zone sûre parce qu'aucun tremblement de terre majeur n'a été enregistré au cours des quelque 200 dernières années. La plupart des tremblements de terre importants sont survenus le long de la vallée du Saint-Laurent. Nous avons connu cinq grands tremblements de terre, de magnitude 6 à 7, au cours des 250 dernières années, notamment autour de Québec et de Montréal. Il y a ensuite une absence d'activité tellurique et celle-ci reprend ensuite du côté sud et ouest du lac Ontario.

Est-ce que ce portrait est réel? Nous pensons que, parce que nous sommes à l'abri de toute activité tellurique, il n'y aura pas de tremblements de terre à long terme. Mais est-ce bien vrai? Voilà la question qu'on se pose. Personne ne connaît la réponse. Toutefois, les recherches que nous avons effectuées pour Ontario Hydro, au début des années 90, nous ont permis de faire certaines constatations.

En tant que scientifique de l'Université de Toronto, la première conclusion que j'ai tirée, c'est que ce portrait n'est peut-être pas réaliste. Ailleurs dans le monde, les grands tremblements de terre ont tendance à se reproduire tous les deux, trois ou quatre siècles. Il serait étrange qu'on ne vive pas la même chose ici. On évoque, entre autres raisons, le fait que nous sommes un pays jeune. Ce pourrait être une des réponses, mais elle est peu convaincante aux yeux des services d'utilité publique. Voilà pourquoi j'ai décidé de réexaminer toute la question.

Après deux années de recherches actives, on a trouvé une faille dans l'écorce terrestre directement sous une centrale nucléaire. Je ne sais pas si cette découverte était le fruit du hasard ou si on s'était fondé sur des données recueillies en 1987, qui n'étaient pas disponibles dans les années 60 quand on a sélectionné le site, de sorte qu'on ne peut rejeter la responsabilité sur qui que ce soit. Ces données sont fondées sur des renseignements aéromagnétiques et constituent ce que nous appelons la radiographie pulmonaire de la terre, car quand nous survolons la région, nous captons des signaux magnétiques qui diffèrent de part et d'autre de la faille.

J'ai affiché une carte sur le mur. Nous l'avons présentée à la Seismological Society of America, en Californie, qui a été fort impressionnée. Elle s'est demandé pourquoi nous n'avions rien fait avec ces renseignements au cours des 10 dernières années.

Ce que j'essaie de dire, c'est que la découverte d'une faille dans l'écorce terrestre sous une centrale nucléaire est une question brûlante. Il faudrait consacrer toute notre attention et toutes nos ressources à cette question pour vérifier si cette faille est active ou inactive. Même s'il n'y a qu'une chance sur 10 000 qu'elle soit active, il est impossible, comparativement à d'autres risques que prennent les ingénieurs, de construire à cet endroit une installation viable. Si elle est inactive, nous pourrons poursuivre les activités. Malheureusement, au cours des 10 dernières années, nous n'avons pas cherché à savoir si cette faille est active ou non.

Comme c'est la Commission de contrôle de l'énergie atomique qui émet des permis pour la construction des centrales, j'ai discuté de la question avec elle. Après cinq ou six autres années d'étude, nous avons trouvé de plus en plus de preuves faisant état de l'existence d'un problème: non seulement sous la centrale nucléaire, mais également dans la Rivière Rouge, située à quelques kilomètres à l'ouest de Pickering. Nous avons découvert qu'une jeune faille était en train de se former près de la surface.

Il est une autre question que j'ai examinée avec l'aide de collègues de la Commission de contrôle de l'énergie atomique et du milieu universitaire: les grands tremblements de terre ne surviennent pas tous nécessairement en Californie -- ou sur la côte ouest du Canada et des États-Unis. Nous avons eu de grandes surprises dans le passé, dans la partie est de l'Amérique du Nord, le long de la vallée du Mississipi, dans une région appelée New Madrid, au Missouri, qui a été secouée par trois des plus grands tremblements de terre jamais enregistrés en Amérique du Nord, en 1811 et 1812. Ils étaient de magnitude 8.5. Comme ils sont survenus dans le passé et que nous avons la mémoire courte quand il est question de catastrophes de ce genre, nous les avons oubliés. Toutefois, cette menace risque de se répéter dans les années à venir. Nous ne savons pas quand. Ce pourrait être l'année prochaine ou dans 100 ans.

Cette incertitude a calmé les ardeurs de nos voisins américains qui souhaitaient construire 250 réacteurs nucléaires à long terme. Ils ont commencé les travaux dans les années 60 et 70. Ils avaient prévu aménager 250 sites, mais heureusement, ils se sont arrêtés à 110. Ils ne voulaient pas continuer parce que les tremblements de terre constituent l'ennemi numéro un de la sûreté nucléaire. Ils pensaient à l'origine que la Californie était une zone à risque, mais que le reste du pays pouvait accueillir de telles centrales. Or, ils ont fermé 10 réacteurs au fil des ans. Aujourd'hui, seulement 100 installations sur 250 sont en service.

D'après la carte de zonage des États-Unis, cette région désignée en rouge est considérée comme une zone à risque élevé. Elle englobe la partie sud du lac Ontario. Si on jette un coup d'oeil sur la carte de zonage du Canada, le lac Ontario est désigné comme une zone à faible risque. Je ne sais pas si les désastres naturels tiennent compte des frontières politiques. C'est une autre question qui a été soulevée au cours des dernières années.

Une bande dessinée publiée par une des revues scientifiques américaines laisse entendre que, tôt ou tard, nous subirons tous la revanche californienne. En d'autres mots, tous les grands séismes ne frapperont pas qu'en Californie et, à un moment donné, nous ignorons quand au juste, la ville de New York et d'autres grandes régions métropolitaines de l'est de l'Amérique du Nord pourraient un jour vivre pareil cataclysme.

La faille qui traverse le lac Ontario juste en dessous de la centrale nucléaire n'est pas un petit accident qu'on peut ignorer. Malheureusement, nous avons gaspillé beaucoup de temps à ne pas régler cette question le plus vite possible. Toutefois, des collègues des États-Unis ont entendu parler de l'idée de tracer des linéaments en fonction de levés aéromagnétiques et ils l'ont appliquée jusque dans le Midwest américain. Il ne s'agit pas d'un petit accident géologique, mais bien d'une grande formation dont on a beaucoup parlé au cours des 10 dernières années et au sujet de laquelle on a publié de nombreux articles. Malheureusement, notre recherche active est très limitée. Dans le cadre des programmes de l'OPG et, plus récemment, de la CCEA, nous étudions des questions qui n'ont pas de rapport direct avec le sujet. Beaucoup de fonds ont été investis, de même que beaucoup de recherches et de consultations de la part de divers groupes de part et d'autre de la frontière, mais tout porte plus ou moins sur des questions qui accroissent l'incertitude, parce qu'elles ne concernent que la manipulation statistique des données sismiques limitées dont nous disposons pour cette région.

L'enjeu concerne toutes les failles qui traversent le lac Ontario. L'une d'entre elles, très évidente et qui semble être le reflet de la zone de faille du Saint-Laurent -- que l'on sait être active; nul ne le conteste --, passe en plein centre du lac Ontario, juste ici. D'autres failles s'y trouvent. L'une se trouve à l'endroit où a frappé un gros séisme à Attica, New York, en 1929. Il y a aussi eu deux séismes de magnitude 5 dans la région de Niagara Falls au cours du dernier siècle et il y en a eu deux autres de magnitude 5 également en Ohio, juste au sud du lac Érié, en 1986 et l'an dernier. Deux autres séismes ont été ressentis ici, récemment, un à 15 kilomètres au sud d'Oshawa, le 26 novembre 1999, et un autre, la semaine dernière, soit le 24 mai 2000. Ce dernier mesurait 3 à l'échelle et son épicentre se trouvait à trois kilomètres à l'ouest de Pickering, plus ou moins dans la même zone de faille que celle au sujet de laquelle nous nous interrogeons et émettons des réserves.

Récemment, des stations sismographiques dont l'équipement a été rafraîchi et le nombre accru, observent une série de petites secousses intenses. Elles indiquent une activité sous la croûte terrestre, l'accumulation de contraintes et leur libération sous forme de mouvements de failles. Nous ne la voyons pas habituellement à la surface. Heureusement, ces mouvements ne sont pas suffisamment forts pour détruire quoi que ce soit, mais ils révèlent tout de même que des contraintes s'accumulent dans la croûte terrestre.

Lorsque nos fonds limités se sont taris, nous avons utilisé les données existantes sur les puits d'eau de tout l'Ontario. Heureusement, il y en a 300 000. Nous avons mesuré la profondeur de la croûte jusqu'au socle rocheux dans chacun d'entre eux et nous nous sommes servis de ces données pour dresser certains profils en vue de mesurer à quelle profondeur se trouve le substrat rocheux, sous le terrain meuble. Nous avons découvert que la profondeur du substrat n'est pas la même partout, ce qui signifie que sa surface n'est pas unie, que sa hauteur varie, que ce soit à cause de l'érosion ou du rejet. C'est ce que nous suivons.

Nous utilisons aussi une technique appelée la sismique réflexion. En termes simples, il s'agit de provoquer une explosion. La réflexion des ondes de choc créées par l'explosion nous permet de visualiser en quelque sorte les diverses strates du sol. D'après ces données, nous avons découvert près du Zoo de la communauté urbaine de Toronto un énorme rejet décalé d'environ 15 mètres qui monte à la surface. Nous avons observé quelque quatre mètres de décalage sur la propriété du zoo comme telle. À nouveau, nul n'a porté attention à cette information jusqu'ici.

Pour continuer de démontrer au-delà de tout doute que ces formations ont de l'importance pour OPG et la CCEA, nous avons demandé à la Marine canadienne de nous prêter un submersible pour plonger au fond du lac Ontario afin de voir ce que nous pourrions y observer. Voici des photos du sous-marin et les roches brisées que nous avons trouvées au fond. Habituellement, on trouverait de pareilles roches partout au-dessus du substrat rocheux, mais nous avons observé des roches brisées accumulées comme on le voit sur la photo. Il s'agit d'une sorte de rendu fondé sur les renseignements que nous avons réunis et sur les diapositives et les photos qu'a publiées Canadian Geographic dans un article, il y a deux ans. Ces documents montrent que le fond du lac Ontario a été perturbé, qu'il s'est cassé en morceaux qui se tiennent debout comme des pierres tombales dans certains secteurs près de Pickering et au sud de l'île de Toronto.

Nous avons réuni tous les renseignements que nous avons colligés au sujet de l'emplacement des centrales nucléaires de Pickering et de Darlington, des récents séismes de magnitude 3,8 et 3,1 qui se sont produits tout juste l'an dernier et cette année et au sujet de toutes les lignes de faille que nous soupçonnons être à nouveau actives. Nous ne prétendons pas avoir la certitude absolue qu'elles sont actives, mais comme nul n'en a fait une étude poussée, nous devons supposer qu'elles sont actives jusqu'à preuve du contraire. Suffisamment de preuve reposant sur la fréquence des séismes, sur le rejet de la rivière Rouge dans les terrains meubles qui se trouve près de la surface et qui est assez jeune, conjuguée aux perturbations observées au fond du lac Ontario ainsi qu'aux nombreux autres rejets et déplacements qui y ont été relevés, pour affirmer que tout converge vers une seule conclusion: il est possible qu'une faille qui passe directement sous la centrale nucléaire soit active.

À qui revient le fardeau? Appartient-il aux chercheurs et aux milieux universitaires qui n'ont pas les ressources voulues pour assurer un suivi? Est-ce la responsabilité du service public et des autorités, qui ont accès à toutes ces ressources, d'inviter des membres des deux camps à débattre, à discuter et à régler les questions? Malheureusement, nous n'avons pas constaté l'existence d'une telle volonté ou attitude. On a mené de nombreuses études merveilleuses, fascinantes et coûteuses, mais aucune d'entre elles ne traite de la faille qui se trouve juste sous la centrale nucléaire. Quand on veut lire le journal, on ne sert pas de jumelles. Il faut utiliser les bons outils pour régler la question.

Nous affirmons qu'il y a, sous nos pieds, d'anciennes failles qui datent parfois de milliards d'années et sont inactives. Par contre, le mouvement des plaques du continent nord-américain a provoqué une reprise de l'activité d'autres failles. L'océan Atlantique est en train de s'ouvrir et de tout repousser vers l'Ouest. La plaque de l'Ouest, au fond de l'océan Pacifique, résiste. Des contraintes s'accumulent dans la croûte terrestre. Certaines de ces anciennes failles ont été réactivées et se sont immiscées dans du calcaire plus jeune et, en fin de compte, dans les sédiments laissés par la glace. Les sédiments meubles sont un risque en soi parce qu'ils amplifient les ondes sismiques.

Si les centrales ne sont pas bien conçues, elles pourraient s'effondrer. Il faut aussi se demander si nous sommes prêts à faire face à un séisme -- pas demain, mais dans 10, dans 20 ou dans 100 ans. Sommes-nous préparés? Envisageons-nous cette possibilité?

Nous pouvons prendre toutes ces données que nous avons enregistrées pendant des séismes, petits et grands, et les reproduire sur ce que nous appelons une courbe de récurrence typique afin d'évaluer les chances qu'un séisme d'une magnitude différente se reproduise en fonction de l'activité sismique passée et prévue. C'est ainsi qu'on procède au calcul des probabilités statistiques de séismes futurs. Les ingénieurs adorent observer les habitudes de séismes passés, qu'ils soient petits ou grands. Ils affirment que le plus important dans cette région a atteint une magnitude 5. Leurs graphiques ne vont jamais plus loin. Nous soutenons que, si l'on fait des prévisions, il y a de bonnes chances que cette région connaisse un séisme de plus grande magnitude, et il s'agit là d'un scénario crédible.

Nous pouvons reporter toutes ces données sur une espèce de graphique des probabilités en vogue, bien que je ne fasse pas très confiance à ce genre de document. Il repose sur les données limitées dont on dispose, et nous croyons qu'il faut le combiner à une approche probabiliste et déterministe, ce qui signifie qu'il faut aller sur le terrain et faire des observations fondées sur la géologie et d'autres renseignements, sur des données géophysiques, puis utiliser ces données statistiques. Toutefois, selon cette statistique, nous croyons qu'au cours des 50 prochaines années, il y a plus de 50 p. 100 des chances qu'un séisme de magnitude 5 se produise. Un séisme de magnitude 5 est le séisme hypothétique fondamental à la toute limite des hypothèses de base pour la conception de Pickering. La probabilité d'un séisme de magnitude 6 chute à une fourchette de 6 p. 100 à 10 p. 100 environ, mais il s'agit là d'un risque élevé pour une installation nucléaire, parce que nulle part ailleurs ne tolérerait-on une probabilité de 1 sur 10 000, voire de 1 sur 100 000, pour une centrale nucléaire.

À nouveau, le risque est comparable à celui que l'on court quand on prend les commandes d'un avion. Si la probabilité d'écrasement de l'avion est de 1 sur plus d'un million, nul n'est disposé à en courir le risque. De la même façon, c'est ainsi qu'on décide de la conception d'une centrale nucléaire. Il faut que la probabilité soit de moins de 1 sur 100 000 ou 10 000. Toutefois, à Pickering, la probabilité est de 1 sur 1 000. Cela signifie que nous courrons 10 à 100 fois plus de risques et que nous exposons la population des alentours de Pickering, en rapide croissance, à un risque indu.

L'état actuel de la recherche montre qu'il faut étudier cette question de failles comme un phénomène propre à l'emplacement. On ne peut pas en traiter dans le cadre de la sismicité au Canada ou dans l'est du Canada, ni parler d'une situation au niveau de la croûte très profonde. Il faut concentrer nos efforts dans la région à proximité immédiate de Pickering et sur le sous-sol peu profond pour pouvoir résoudre cette question d'activité ou d'inactivité des failles. Toutes les autres mesures qui ont été prises par OPG et par la CCEA sont sans rapport, elles sont sources de confusion et elles retardent l'acquisition de connaissances sur ce qui se passe.

La présidente: Professeur Mohajer, je vous remercie beaucoup.

Le sénateur Christensen: Vous dites que la centrale de Pickering a été conçue pour résister à un séisme de magnitude 3.

M. Mohajer: Non. J'ai parlé d'un g de 3 p. 100, soit de la force de gravité.

Le sénateur Christensen: Elle est conçue pour résister à quoi?

M. Mohajer: Il est difficile de convertir cela en magnitude, parce qu'un séisme de magnitude 5 dont l'épicentre se trouve à 100 kilomètres de là ne fait pas beaucoup bouger le sol. Si l'épicentre est plus rapproché, il crée plus d'énergie. S'il est juste en dessous de la centrale ou très proche d'elle, il pourrait produire une force g de 3 p. 100. Pour ce qui est des secousses, nous mesurons la force de gravité appliquée à l'horizontale. Si on vous dit que la centrale peut résister à des séismes de magnitude 6 ou 6,5, ce n'est qu'une affirmation. Il faut le prouver en précisant la distance. Si le séisme de magnitude 6 a son épicentre à 100 kilomètres de là, la centrale n'est pas affectée. C'est un piège dangereux que de parler que de la magnitude. Il faut aussi tenir compte de l'accélération des secousses dans le sol sous la centrale, accélération qui est fonction de la distance, naturellement.

Le sénateur Christensen: Y a-t-il des stations dans la région qui mesurent les contraintes qu'exercent ces failles actuellement ou n'a-t-on fait que des travaux sismiques?

M. Mohajer: Il y a 10 ans environ, un de nos collègues qui travaillait à la Commission de contrôle de l'énergie atomique a amorcé une étude très poussée visant à mesurer les contraintes selon la direction dans laquelle elles d'exercent et à surveiller les séismes de petite magnitude tout autour de la centrale nucléaire, mais juste comme l'information commençait à rentrer, pour une raison quelconque, il a été mis à la porte, et on a décidé de ne pas poursuivre ce genre d'étude.

Le sénateur Christensen: Donc, de pareilles études ne sont pas en cours?

M. Mohajer: Non. Toutes ces études ont été stoppées. On est en train de dresser un tableau régional plutôt que local. C'est ce qui me préoccupe.

Le sénateur Buchanan: Dans quelles régions du monde y a-t-il eu, au cours des 20 à 30 dernières années, des séismes sous des centrales nucléaires ou à très grande proximité et quels en ont été les conséquences?

M. Mohajer: Celui qui est survenu non loin d'ici, en 1986, s'est produit à la centrale nucléaire Perry, en Ohio. Heureusement, la centrale était en construction, et il n'y avait donc pas de combustible. Ce séisme de faible magnitude, d'intensité 5 seulement à l'échelle Richter, a produit suffisamment d'accélération dans le sol pour excéder les critères de conception de cette centrale. La centrale était en effet conçue pour résister à une accélération de 15 p. 100. Elle a parfois excédé ce seuil et atteint 19 p. 100. Comparez cela à un g de 3 p. 100 à Pickering. L'ouverture de la centrale de Perry a été retardée d'une autre année en vue de l'adapter et de l'améliorer. Voilà un exemple qui n'est pas si loin de nous.

Le sénateur Buchanan: Y a-t-il des exemples de séismes qui se produisent là où il y a une centrale nucléaire? Dans l'affirmative, qu'est-il arrivé à la centrale?

M. Mohajer: À nouveau, je précise qu'en Californie et à certains autres endroits, on a choisi la prudence et qu'au moins 10 centrales nucléaires ont été fermées déjà.

Le sénateur Buchanan: Que vous sachiez, y a-t-il eu des séismes de magnitude 5, 6, 7 ou je ne sais quoi encore directement sous une centrale nucléaire ou à proximité de celle-ci? Y a-t-il eu des séismes qui ont entraîné la destruction d'une centrale ou une fuite? Qu'est-il arrivé là où il y a eu des séismes, s'il y en a eu?

M. Mohajer: Comme je l'ai dit tout à l'heure, les critères de sélection de l'emplacement d'une centrale nucléaire sont tels qu'il faut éviter les zones sismiques, les points de contact de plaques tectoniques et l'emplacement des grandes failles. Naturellement, cette précaution qui était religieusement respectée il y a quelques décennies, lorsque c'était à la mode, permettait d'éviter de construire des centrales nucléaires à des emplacements dangereux.

Le sénateur Buchanan: Que vous sachiez, il n'y a pas eu de séismes à des centrales nucléaires ou à proximité de celles-ci?

M. Mohajer: Ce n'est pas une surprise s'il n'y a pas eu d'accidents importants comme tels, parce qu'il n'est pas censé y en avoir. Ce n'est pas parce que les centrales sont à leur épreuve.

Le sénateur Banks: Étant donné la réponse fournie à la question du sénateur Buchanan, serait-il juste de dire que vous sonnez l'alarme aujourd'hui?

M. Mohajer: L'alarme a été sonnée il y a plus de 10 ans. Jusqu'ici, personne n'en a tenu compte.

Le sénateur Banks: À la lumière de ce qu'a demandé le sénateur Buchanan, de nouveaux renseignements ont-ils vu le jour depuis la construction de ces centrales?

M. Mohajer: Oui.

Le sénateur Banks: Vous avez dit que, par convention, on ne construit pas de centrale là où il y a probabilité d'activité sismique. Maintenant que les centrales sont construites, nous découvrons que cette probabilité existe peut-être.

M. Mohajer: C'était le meilleur emplacement possible dans le sud de l'Ontario lorsqu'on l'a choisi, dans les années 60. Ces nouveaux renseignements datent de la fin des années 80.

Le sénateur Banks: Cela m'a fait sourire d'entendre qu'il y a de la résistance dans l'Ouest non seulement sur le plan politique, mais également au niveau des plaques tectoniques.

Vous avez mentionné qu'il y avait une certaine résistance à régler la question, ce qui laisse entendre qu'il y a moyen de la régler. Je ne puis concevoir quelle serait la solution, si elle existe, sauf peut-être de fermer la centrale, de la détruire et de la reconstruire ailleurs. Y a-t-il quoi que ce soit que l'on puisse faire pour rendre les centrales existantes sûres, de sorte qu'il n'y aurait plus lieu de sonner l'alarme? Avez-vous une idée du coût de telles mesures?

M. Mohajer: Tout d'abord, personne n'a proposé de fermer des centrales ou d'en cesser l'exploitation. Nous avons toujours affirmé que nous aimerions en savoir davantage pour évaluer s'il y a un risque réel, pour en connaître la gravité et pour savoir quoi faire à son sujet.

Nous avons proposé de creuser des tranchées en travers de la faille et d'y faire de la sismique réflexion afin d'avoir une meilleure vue d'ensemble. Nous avons dit qu'il fallait installer plus de stations sismographiques autour de la faille. Les premières étapes ont été retardées et ignorées au cours des 10 dernières années. Par conséquent, nous ne savons pas réellement à quoi nous en tenir. Ce sont là des mesures moins poussées que d'améliorer les centrales ou de prendre d'autres mesures plus coûteuses, mais qui sont tout de même réalisables.

Le sénateur Banks: Je vais maintenant vous poser une question hypothétique. Si l'on creusait des tranchées et si l'on assurait une plus grande surveillance sismique sur une période assez longue pour répondre à cette question, serait-il alors possible de renforcer la structure des centrales pour en garantir la sûreté, indépendamment des risques qui pourraient être découverts?

M. Mohajer: Si les secousses dans le sol sont intenses, il y a certes moyen d'améliorer l'installation et de l'adapter. Certaines composantes sont plus sensibles que l'énorme structure de béton. Je suis sûr que, si les marges sismiques sont si prudentes que la structure de béton ne risque pas de s'effondrer, c'est vrai, sauf que la plate-forme de sûreté qui relie les bâtiments est plus susceptible de s'effondrer. Outre ces structures de béton plus fragiles, il faudrait établir des normes relativement à certaines composantes et à certains systèmes de contrôle à l'intérieur même de la centrale pour s'assurer qu'ils peuvent résister à des secousses sismiques. Toutefois, s'il s'agit d'une faille, d'une faille énorme que l'on sait se déplacer sous la fondation même, il n'y a pas grand chose à faire.

Le sénateur Banks: C'est ce que j'essayais de faire ressortir. Si un séisme de magnitude 7 frappe à côté d'une centrale nucléaire, on peut renforcer la structure tant qu'on veut, rien n'y fera, n'est-ce pas?

M. Mohajer: Si nous parlons uniquement de secousses dans le sol, la centrale peut être conçue pour y résister, bien que cela puisse faire grimper son coût de 10 p. 100 à 15 p. 100. Toutefois, il n'y a rien à faire si le rejet se trouve juste sous la fondation de la centrale.

Le sénateur Banks: Qui devrait entreprendre le creusement des tranchées et l'évaluation sismique?

M. Mohajer: Habituellement, il faudrait que le travail soit fait par un service public qui embaucherait les consultants compétents, quelle que soit sa décision. Il faut que le rapport final soit mis à la disposition de toute la collectivité de sorte que les chercheurs, scientifiques et membres de la CCEA, entre autres, puissent en prendre connaissance, en débattre et en discuter. Jusqu'ici, cette information n'a pas été diffusée et nul n'est autorisé à voir les rapports. Nous pouvons uniquement lire dans les journaux qu'ils ont fait d'autres études pour vérifier que tout va bien. Nous n'avons pas vu ces rapports et nous nous étonnons de voir que le milieu scientifique n'y a pas accès.

La présidente: Il y a des rapports qui n'ont pas été rendus publics. Est-ce bien ce que vous dites?

M. Mohajer: J'ai entendu dire indirectement que d'autres travaux avaient été effectués par OPG et que les rapports de ces travaux n'ont pas encore été mis à la disposition du milieu scientifique ou de personnes aux vues divergentes. Un groupe précis de personnes, triées sur le volet, qui appuient habituellement la position du service public y a accès. Quel est le principal objectif de la sélection de consultants et de travailleurs qui effectuent ce genre d'études et comment les choisit-on? S'il s'agit d'un rapport interne rédigé par le personnel, pourquoi n'est-il pas mis à la disposition de personnes de l'extérieur qui pourraient l'examiner et l'évaluer?

La présidente: Notre comité a tous les pouvoirs voulus, je crois, pour obtenir ce genre d'information. Si vous pouvez en communiquer les détails au greffier, cela nous serait très utile pour obtenir les études.

Le sénateur Banks: C'était ma prochaine question, madame la présidente. Cela nous aiderait à décider si nous pouvons convoquer des témoins et poser des questions directes compte tenu des prérogatives que nous avons, ce qui pourrait être justifié.

Excusez mon ignorance, mais je viens d'une partie du monde où il n'y pas de centrale nucléaire et je suis heureux de le dire. Que veut dire OPG?

M. Mohajer: Ontario Power Generation. C'est le nouveau nom pour Ontario Hydro.

Le sénateur Banks: Est-ce que l'OPG est assujetti des règlements et doit faire rapport à un organisme comme une commission des entreprises de services publics?

M. Mohajer: Oui. La Commission du contrôle de l'énergie atomique devrait, en théorie, lui attribuer des licences à chaque étape du processus.

Le sénateur Banks: L'entreprise est-elle régie par la réglementation et soumise à l'examen d'une commission provinciale?

M. Mohajer: Non.

Le sénateur Banks: Elle ne l'est pas?

M. Mohajer: Non.

Le sénateur Banks: Pourquoi en est-il ainsi?

M. Mohajer: Je ne sais pas. Comme je ne suis pas au courant, je ne peux vous parler du contexte, mais les choses se passent différemment ici par rapport à de nombreuses autres parties du monde, comme j'ai pu le constater.

Le sénateur Adams: Les membres du comité se sont rendus à Pickering en mai dernier, bien que le sénateur Buchanan n'y était pas. La centrale est en exploitation depuis plus de 30 ans. Nous avons appris des choses au sujet du système d'eau lourde, de la centrale électrique et du système de stockage des déchets. Il semble qu'une partie des déchets mettent 10 ans à refroidir. On nous a parlé des réservoirs de stockage en béton qui ont été construits 500 pieds sous terre. Cependant, nous n'avons vu aucun équipement pour faire face aux tremblements de terre. Qu'arriverait-il à ces réservoirs de stockage enterrés s'il y avait un tremblement de terre?

M. Mohajer: Les secousses sismiques endommagent la superstructure, ce qui signifie que tout ce qui se trouve au-dessus du sol risquerait d'être endommagé. Tout ce qui se trouve dans le sol et bouge avec le sol ne subirait pas autant de dommages. En ce qui a trait au rejet, toutefois, le déplacement part des profondeurs de la croûte pour atteindre la surface. Tout ce qui est enfoui le long de la ligne de propagation de la faille ou du mouvement de la faille pourrait changer de direction et être déplacé. Quant à la secousse elle-même, elle n'endommagerait rien qui est enfoui dans le sol.

Il y a aussi une percolation des eaux souterraines en profondeur. Il faut probablement s'inquiéter de l'écoulement de la nappe souterraine dans le secteur qui a subi des dommages ou où des fuites peuvent se présenter. Un dépôt de déchets pourrait libérer des matières radioactives dans la nappe d'eau souterraine qui monte à la surface à des endroits éloignés.

Le sénateur Adams: Si un tremblement de terre devait se produire sous la centrale nucléaire Pickering, que se passerait-il? Est-ce que toute la centrale s'effondrerait ou serait-elle ébranlée?

M. Mohajer: Il est difficile de prédire ce qui se passerait. Après un tremblement de terre, nous craignons une perte accidentelle de fluide de refroidissement. Si nous perdions le système de refroidissement, le coeur du réacteur pourrait chauffer. Si cette chaleur ne peut être contrôlée, nous pourrions alors faire face à un autre désastre. Un incendie important est normalement associé aux tremblements de terre de forte magnitude en raison de l'effondrement des lignes de transmission, des conduites de gaz de même que des conduites de distribution. Cet effet secondaire de l'incendie pourrait faire plus de dommages que la secousse tellurique elle-même. Il y a toujours des suites à un séisme.

Le sénateur Adams: Je sais que cela est arrivé à deux reprises en Turquie. Est-ce que des centrales nucléaires étaient situées aux environs des villes touchées?

M. Mohajer: La Turquie n'a pas de centrale nucléaire, mais le Canada prépose des appels d'offres pour la construction d'une centrale dans le sud de la Turquie. La construction de centrales dans cette partie du monde peut être assez risquée si des précautions ne sont pas prises et qu'elles ne sont pas mieux conçues. Il faut procéder à des études poussées pour déterminer à quel niveau de secousse sismique doit résister la centrale.

Le sénateur Adams: Doit-on construire la plupart des centrales près des lacs en raison des besoins en eau lourde?

M. Mohajer: Comme le nouveau système de refroidissement nécessite une grande quantité d'eau, la plupart des centrales nucléaires sont construites près des océans ou de plants d'eau.

La présidente: Avez-vous eu la chance de jeter un coup d'oeil à la remise en état de Pickering? Est-ce qu'on y a prévu quelque chose pour faire face à la menace d'un tremblement de terre? Est-ce que l'étude environnementale effectuée à l'heure actuelle s'attache aux questions dont vous discutez?

M. Mohajer: Non, malheureusement pas. Le programme de remise en état est une question tout à fait différente. Aucun examen n'a encore été fait de cette question de la formation de faille sous la centrale nucléaire. Ils disent peut-être qu'ils n'ont pas suffisamment de temps pour y procéder ou, comme je le dis, ils se traînent peut-être les pieds depuis environ 10 ans. Peut-être se sont-ils penchés sur d'autres questions.

L'information la plus récente que j'ai au sujet des nouveaux travaux qui y sont effectués, c'est que des vols ont été effectués au-dessus de la région pour dresser des cartes aéromagnétiques qui pourraient résoudre certains de ces problèmes, mais personne n'a encore vu les résultats. Ils effectuent des travaux de forage dans la Rivière Rouge, près du site, afin d'y déceler un signe de formation de faille mais, une fois de plus, personne n'a vu les données et nous ne savons pas si cela est pertinent à la remise en état.

La présidente: Lorsque vous dites «ils» parlez-vous de l'OPG?

M. Mohajer: Oui.

La présidente: Avez-vous dit que la centrale Darlington est aussi touchée?

M. Mohajer: Darlington est exposée à moins de risque parce qu'elle a été conçue pour des secousses sismiques d'une plus grande magnitude. C'est plus loin à l'est. C'est une centrale nucléaire plus jeune qui a été mieux conçue et pour laquelle de meilleures précautions ont été prises. Nous sommes surtout inquiets au sujet de Pickering parce que la centrale est située dans une région populeuse.

La présidente: S'ils cherchaient à corriger peut-être une inexactitude de la conception originale, serait-il possible, dans le cadre de cette remise à neuf, d'améliorer le plan original pour que la centrale puisse résister à n'importe quel choc de cette nature?

M. Mohajer: Oui.

La présidente: Elles sont toutes liées. Il y en a quatre là-bas.

M. Mohajer: J'ai entendu dire que l'OPG a procédé à une étude interne et est convaincue que, étant donné le conservatisme initial dont on avait preuve au moment de la conception de cette centrale nucléaire dans les années 60, celle-ci pourrait résister à des secousses qui atteignent 6 sur l'échelle de Richter plutôt que 5. Je le répète, toutefois, ils n'ont pas précisé la magnitude 5 à quelle distance. Personne n'a vu ce rapport -- du moins nous n'avons pu le voir.

La présidente: Vous dites que vous pensez qu'un tel rapport existe?

M. Mohajer: Oui.

La présidente: Savez-vous s'il existe un ou croyez-vous qu'il existe un?

M. Mohajer: Nous savons qu'il existe parce qu'ils s'y sont reportés de temps à autres dans des réunions et dans des entrevues. Cependant, personne n'a procédé à une révision ni examiné ces rapports pour s'assurer de la véracité de leur contenu.

La présidente: Vous n'avez pas examiné ce rapport?

M. Mohajer: Non.

La présidente: C'est parce que personne n'a vu le rapport. Si je ne vous fais pas dire ce que vous n'avez pas dit, vous diriez qu'un tel rapport, que des gens comme nous seraient en mesure d'évaluer, devrait être soumis à l'examen de spécialistes du domaine.

M. Mohajer: Tout à fait. Il devrait être évalué par des spécialistes que n'a pas choisis l'OPG. Cela veut dire que ces spécialistes devraient être neutres et représenter diverses écoles de pensée.

La présidente: Vous parlez d'une évaluation par des gens qui n'ont pas produit le rapport. Je pense que cela a du bon sens.

M. Mohajer: Tout à fait. Malheureusement, lorsque j'ai travaillé avec l'OPG ou Ontario Hydro dans les années 80, je me suis alors fait dire par ces gens qu'ils n'étaient pas des spécialistes des activités sismiques, des tremblements de terre ou de la géologie. Ils demandaient donc l'aide de la Commission géologique du Canada, l'agence du gouvernement fédéral, de leur préparer un rapport et de faire des recommandations. Le rapport leur a été livré et ils l'ont transmis à la Commission de contrôle de l'énergie atomique aux fins d'évaluation. La commission a soutenu, elle aussi, qu'elle n'était pas spécialiste dans ce domaine. Elle a donc retourné le rapport à la Commission géologique du Canada aux fins d'évaluation. C'est ainsi que les auteurs du rapport ont fini par en faire eux-mêmes l'évaluation.

La présidente: Vous semblez dire -- même si ce n'est peut-être pas ce que vouliez laisser entendre -- que le degré de diligence en ce qui a trait à l'activité sismique est beaucoup plus haut aux États-Unis qu'au Canada. Ai-je raison de le supposer?

M. Mohajer: Lorsqu'on en vient à la conception des centrales nucléaires et d'autres installations critiques, il y a plus de rigueur.

La présidente: Est-ce en raison du fait qu'ils ont plus d'expérience que nous en matière de tremblements de terre?

M. Mohajer: C'est possible.

La présidente: Est-ce que les normes relatives à la conception aux États-Unis sont plus strictes que les nôtres ou différentes des nôtres? Ils ont l'Association mondiale des exploitants de centrales nucléaires. Disposent-ils de normes à cet égard? Est-ce que nous répondons à ces normes?

M. Mohajer: Il existe un groupe du nom de Electrical Power Research Institute qui a été mis sur pied grâce à l'appui de sociétés de service public aux États-Unis et au Canada. Ontario Hydro a versé des contributions à cet institut. Ils font certaines recommandations à partir de l'étude. Indépendamment de ce groupe, il y a aux États-Unis la Commission de réglementation nucléaire qui a ses propres normes et critères. Par rapport à ces normes -- du moins dans les années 80 lorsque j'ai procédé à cette évaluation -- j'ai cru que notre côté ne respecterait pas ces critères. Si nous avons affaire à une faille et que nous ne connaissons pas le niveau d'activité à l'intérieur de celle-ci, nous ne pouvons exploiter la centrale tant que nous n'en saurons pas davantage au sujet de la faille qui se trouve dans le voisinage immédiat.

La présidente: Des représentants de l'OPG nous ont dit qu'ils considèrent leur entreprise sur un pied d'égalité avec les autres centrales nucléaires. Je ne suis pas sûr que parmi les éléments de ce classement figurent des caractéristiques de construction qui empêcheraient le genre de catastrophe causée par l'absence d'un fluide liquide de refroidissement ou par un incendie. Nous n'avons pas posé de questions à ce sujet. Je ne sais pas si cela figure ou non parmi les éléments. Avez-vous de l'information à cet égard?

M. Mohajer: L'institut de recherche qu'ont mis sur pied les sociétés de service public pour protéger les intérêts s'attache surtout à la nouvelle taille des installations et aux nouvelles installations. Il n'y a rien de clair quant à la façon qu'il traitera l'ancienne centrale dont la vie nominale est déjà terminée lorsqu'ils voudront l'exploiter davantage en prolongeant sa vie de 10 ou 12 ans. Il s'agit d'une nouvelle technologie. C'est la raison pour laquelle l'OPG a invité certains collègues américains à venir ici pour reprendre la centrale. Ils ont renvoyé la direction précédente et ils embauchent des Américains qui ont plus d'expérience de la remise à neuf et de la remise à niveau des installations nucléaires. Cependant, dans les deux ou trois dernières années, nous n'avons rien vu ni entendu parler de rien.

La présidente: Professeur Mohajer, je vous remercie d'être venu ce soir. Si nous avons d'autres questions j'espère que nous pourrons faire appel à vous et que vous pourrez nous aider à y répondre.

M. Mohajer: Je suis à votre entière disposition.

La présidente: Merci beaucoup. Certains renseignements que vous nous avez donnés sont dignes d'intérêt.

La séance est levée.


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