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ENEV - Comité permanent

Énergie, environnement et ressources naturelles

 

Délibérations du comité sénatorial permanent de
l'Énergie, de l'environnement et des ressources naturelles

Fascicule 13 - Témoignages


OTTAWA, le mardi 6 juin 2000

Le comité sénatorial permanent de l'énergie, de l'environnement et des ressources naturelles, auquel a été renvoyé le projet de loi S-20, Loi visant à donner à l'industrie canadienne du tabac le moyen de réaliser son objectif de prévention de la consommation des produits du tabac chez les jeunes au Canada, se réunit aujourd'hui à 17 h 30 pour étudier le projet de loi.

Le sénateur Mira Spivak (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente: Honorables sénateurs, nous avons un quorum. Nous sommes là pour commencer nos audiences sur le projet de loi S-20. Je souhaite la bienvenue aux médias qui sont présents. Nous les invitons certainement à filmer en tout ou en partie le déroulement des audiences, et à prendre des photos à tout instant, mais comme il s'agit d'une pièce assez exiguë, je vous demanderai de veiller à ne pas déranger les témoins qui viendront présenter leur disposition.

Nos premiers témoins sont les parrains du projet de loi. J'invite l'honorable sénateur Kenny et l'honorable sénateur Nolin à prendre la parole.

[Français]

L'honorable Pierre Claude Nolin: Cela me fait plaisir d'être ici avec mon collègue le sénateur Kenny, pour commencer l'étude de cet important projet de loi qui, selon nous, devrait révolutionner notre façon au Canada d'aborder un fléau aussi important et aussi macabre que le tabagisme chez les jeunes.

Comme vous l'avez mentionné tout à l'heure, ce projet de loi a été présenté et a fait l'objet d'une première lecture au Sénat le 5 avril dernier, après quoi un débat à l'étape de la deuxième lecture s'est tenu et le projet de loi S-20 a été référé à votre comité le 9 mai dernier.

Le tabagisme au Canada cause annuellement la mort de 45 000 Canadiens. Malheureusement, cette douloureuse statistique tend à augmenter d'année en année. Récemment, cette statistique se chiffrait à 40 000 personnes et nous pouvons aujourd'hui l'établir à 45 000 personnes.

De plus, il est important de noter que cette cause de décès est évitable. Contrairement à d'autres causes de décès qui elles aussi sont assez énormes -- pensons, entre autres, aux accidents de la route et cela inclut les accidents de la route causés par l'alcool au volant --, la cigarette est dix fois plus macabre et cause de décès que la conduite d'un véhicule automobile qui, elle, cause la mort de 4 000 Canadiens par année.

Les études nous démontrent que 85 p. 100 des usagers du tabac commencent à fumer avant l'âge de 16 ans. Vous voyez donc déjà l'importance du projet de loi que nous déposons devant vous. En 1994, l'État canadien a réduit les taxes sur le tabac. Depuis cette époque, le niveau de tabagisme chez les jeunes entre 15 et 19 ans n'a fait qu'augmenter, si bien qu'aujourd'hui 30 p. 100 des jeunes Canadiens fument.

En comparant cette statistique avec celles que nous retrouvons, entre autres, en Californie, nous constatons qu'il y a au Canada trois fois plus de jeunes de cet âge qui fument qu'en Californie. Tout à l'heure, je laisserai au sénateur Kenny tout le temps nécessaire pour qu'il puisse vous expliquer comment, en Californie entre autres, ils ont réussi à réduire ce fléau. Nous pouvons aujourd'hui affirmer, malheureusement, que cette situation du tabagisme chez les jeunes est en état de crise.

J'ai fait référence à l'État de la Californie; il ne s'agit que d'un état parmi 50 et nous pouvons comparer la population américaine en faisant les proportions, bien évidemment avec le Canada, tant au niveau d'une comparaison sociale qu'économique.

Les Américains ont publié un rapport en août 1999 via le U.S. Department of Health and Human Services, Centers for Disease Control and Prevention. Ils ont établi dans ce rapport qu'un pays comme le Canada devait dépenser entre 9 $ et 24 $ per capita sur des programmes de réduction du tabagisme. Si nous examinons cette proposition américaine en comparaison avec ce qui se fait au Canada, nous avons un déficit énorme, car nous dépensons en ce moment au Canada 66 sous per capita. Le projet de loi que nous vous proposons est une mesure qui vise à combler ce déficit.

Je laisse maintenant la parole au sénateur Kenny qui est, de toute évidence, beaucoup plus informé que moi sur le sujet. Nous serons ensuite disponibles pour répondre à vos questions.

[Traduction]

L'honorable Colin Kenny: Honorables sénateurs, merci de nous écouter aujourd'hui. Il y a une chose que j'aimerais que les membres du comité aient à l'esprit au moment d'entendre les témoignages présentés au sujet du projet de loi dont il est question: il y a actuellement 1,5 millions de jeunes Canadiens âgés entre 10 et 19 ans, et 30 p. 100 d'entre eux deviendront probablement des fumeurs. Ce sont là 45 000 enfants à risque. Le projet de loi a pour but de protéger la santé de ces 45 000 enfants aujourd'hui aussi bien que celle des enfants qui seront là à l'avenir.

Le sénateur Nolin vous a brossé le tableau d'ensemble de la situation au Canada. Il vous a indiqué le pourcentage de fumeurs qui existent au Canada et il a comparé cela aux solutions que nous avons relevées ailleurs. Fondamentalement, le projet de loi vise à mettre en place quelque chose de semblable à ce que nous avons vu dans d'autres pays, pour essayer d'obtenir les mêmes résultats chez les enfants canadiens.

Le projet de loi prévoit un prélèvement de trois quarts de un cent sur le prix d'une cigarette. Cela revient à 19 cents le paquet, ou 1,50 $ la cartouche. Cela donnera des recettes de 360 millions de dollars par année. Ce qui équivaut à 12 $ par habitant. Rappelez-vous l'échelle d'intervention possible que le sénateur Nolin a décrite d'après les résultats donnés dans le document sur les pratiques exemplaires des Atlanta Centers for Disease Control. Ceux-ci recommandaient l'application d'un prélèvement -- en dollars canadiens -- allant de 9 $ à 24 $ la cartouche. Le prélèvement proposé dans le projet de loi, soit 12 $, se situera dans le quartile inférieur. Tout de même, nous croyons qu'il s'agit là d'un progrès important par rapport aux 66 cents dont le sénateur Nolin a parlé plus tôt.

Nous proposons l'établissement d'une fondation indépendante, qui nous paraît importante pour diverses raisons. D'abord et avant tout, les administrations gouvernementales ont leur façon propre de fonctionner, comme toutes les personnes réunies ici le savent. Elles savent bien que les ministres et sous-ministres concluent dès le départ un pacte -- «Si tu me fais bien paraître, je vais te faire bien paraître aussi» -- et connaissent les efforts déployés dans les ministères pour mettre en évidence les bons programmes et camoufler les mauvais. Ce n'est pas le propre du gouvernement en place -- cela vaut pour les gouvernements du monde entier.

La lutte au tabagisme a elle aussi ses caractéristiques propres, et les efforts faits pour rejoindre les adolescents demeurent très imparfaits. Personne ne sait très bien comment les adolescents pensent ou fonctionnent. En jetant un coup d'oeil autour de la table, je vois nombre de parents ou de grands-parents qui ont éprouvé, à un moment donné, de la difficulté avec des enfants au stade de l'adolescence. Fumer fait partie de l'adolescence pour le tiers de nos enfants, et la question est de savoir quelle est la meilleure façon de leur adresser notre message.

En Californie, ils ont une liste d'échecs longue comme le bras -- des programmes qu'ils ont mis à l'essai, mais qui n'ont pas fonctionné. Ils ont aussi une liste, plus courte celle-là, de programmes qu'ils ont mis à l'essai et qui ont fonctionné. À l'heure actuelle, le taux de tabagisme chez les jeunes en Californie se situe autour de 11 p. 100 -- c'est le tiers du nôtre. La raison principale pour laquelle nous proposons la création d'une fondation indépendante dans le projet de loi, c'est pour situer les efforts en dehors du cadre gouvernemental, car il ne peut y avoir là d'échec. Fondamentalement, si vous êtes ministre et que les choses commencent à aller mal à votre ministère, vous finissez par devoir traiter du dossier durant la période de questions, là où il y a des porte-parole -- dans le cas qui nous occupe, il y en a quatre -- qui sont payés pour critiquer tous les programmes que vous appliquez. Si vous respectez les principes de la transparence et de l'évaluation -- et le projet de loi préconise la transparence et l'évaluation systématique des projets -- et qu'il s'agit d'un programme gouvernemental, alors inévitablement, vous aurez un programme de lutte au tabagisme qui est politisé. Nous croyons que le programme devrait être soustrait aux impératifs de l'administration gouvernementale. Cela réduira les probabilités qu'il devienne une affaire politique. À ce moment-là, nous pourrons, en nous fondant sur des critères médicaux, traiter des programmes au fur et à mesure qu'ils se présentent.

Le prélèvement est aussi un mécanisme important. Une des difficultés majeures que rencontrent les groupes de promotion de la santé de nos jours, c'est l'instabilité du financement. Le niveau de financement connaît une hausse importante une année donnée, puis il est en chute libre l'année suivante, ou encore le financement à venir demeure un point d'interrogation à la fin de l'exercice, de sorte que les gens ne savent pas s'ils vont pouvoir continuer à appliquer un programme. En prévoyant un financement qui a pour source un prélèvement lié directement aux ventes de tabac, nous nous assurons que le financement pour les années futures sera relativement prévisible. Par conséquent, les gens pourront planifier avec un certain degré de certitude, le genre de programme qu'ils veulent se donner.

Nous croyons donc que le prélèvement est important, que la fondation indépendante est importante et que le montant du prélèvement est raisonnable, compte tenu des données des Atlanta Centers for Disease Control. Nous pouvons citer également l'exemple d'États, comme le Vermont, qui dépensent 22 $CA par habitant, ou le Mississippi, qui dépense 18,95 $CA par habitant, ou encore le Massachusetts, qui dépense 15 $CA par habitant. Ces États ont tous des programmes en cours actuellement, et il y a cet argent qui leur est consacré en ce moment même.

Le projet de loi que vous avez devant les yeux est relativement simple. Le modèle d'administration est pratiquement identique à celui des IRSC -- les Instituts de recherche en santé du Canada -- que le gouvernement a récemment mis sur pied. La transparence s'impose. Une vérification de la part du vérificateur général s'impose. Un rapport annuel à l'intention du Parlement et un examen quinquennal de la part du Parlement s'imposent. Je crois que ce projet de loi mérite votre appui.

Le sénateur Cochrane: Sénateur Kenny, pourriez-vous donner des précisions sur les programmes fructueux appliqués en Californie? Je vous prie de décrire pour nous ce qu'on a fait pour en arriver là. Il y a eu de nombreux échecs, comme vous l'avez dit, mais pourriez-vous donner des précisions sur les cas fructueux? Comment en est-on arrivé là?

Le sénateur Kenny: Je vais essayer, mais je ne pourrai en parler avec autant d'autorité que le témoin que nous allons accueillir dans une semaine. Venant de Californie, ce témoin nous décrira précisément comment cela fonctionne. Nous allons accueillir dans une semaine un témoin qui pourra parler vraiment avec compétence.

La Californie a ce que je qualifierais de programme global de lutte au tabagisme. Les gens là comprennent qu'une seule mesure ne saurait suffire à la tâche -- dans la lutte au tabagisme, il n'y a pas de solution miracle. Il faut aborder le problème de divers angles, parce que les enfants fument pour toutes sortes de raisons différentes. La Californie a compris, comme nous finirons par le comprendre aussi, que les enfants commencent à fumer à un âge toujours plus jeune. Selon des données récentes publiées par Santé Canada, 80 p. 100 des fumeurs au Canada ont commencé à fumer avant l'âge de 16 ans. Si on avait posé la question il y a un an, la réponse aurait été que 80 p. 100 ont commencé avant l'âge de 18 ans. Les chercheurs découvrent que les enfants commencent à fumer à 10 ans, 11 ans et 12 ans.

En Californie, on a constaté qu'il faut de multiples programmes à l'échelon régional, à l'échelon local et à l'échelon de l'État, et que les programmes combinés ont tendance à produire des résultats. Les gens ont aussi des programmes qui varient selon le groupe ethnique ou la race dont il est question. Par exemple, ils ont découvert que les Noirs ne fument pas pour les mêmes raisons que les asiatiques. En conséquence, chacun des groupes ethniques -- les asiatiques, par exemple -- peuvent être divisés en groupes secondaires dont les membres fument pour des raisons différentes. La nature des messages transmis à un jeune de 10, 11 ou 12 ans ne sera pas du tout la même que dans le cas d'un jeune de 16 ou de 17 ans.

Un des aspects les plus notables de la campagne menée en Californie, c'est un message médiatique très fort. En Californie, les gens ont commencé à appliquer leur programme au moment même où l'industrie du tabac était en pleine campagne. Il n'y avait pas de restriction sur la publicité. De fait, il semble que les dépenses consacrées à la publicité sur le tabac ait augmenté à ce moment-là en Californie. Devant cela, les responsables ont quand même réussi à faire passer leurs messages chez les jeunes, pour les convaincre de ne pas fumer.

Ils ont délimité quatre grands thèmes. La pression des pairs, par exemple. Certaines des annonces figurant dans l'exposé montrent l'attention accordée ainsi à la pression des pairs. Autre thème: l'admiration du héros, c'est-à-dire la vedette de cinéma ou l'athlète qui fume. Cela encourage les gens à fumer. Autre thème encore: les jeunes femmes ont l'impression qu'elles demeureront minces si elles fument, parce que leur métabolisme s'accélérera. Le dernier thème est celui de la rébellion, qui fait partie de l'adolescence -- papa dit de ne pas faire cela, ce qui garantit ou presque que la chose va se faire. Les programmes californiens prévoyaient diverses stratégies prenant en considération les quatre facteurs de motivation ainsi établis.

Le sénateur Cochrane: D'où venait le financement pour toutes ces annonces publicitaires?

Le sénateur Kenny: Je dois dire que l'assemblée législative californienne hésitait beaucoup à adopter quoi que ce soit. En Californie, ils ont un mode de gouvernement qui permet de soumettre à la population certaines initiatives. Ils en ont mis une de l'avant: la proposition 99. Pour décrire cela très brièvement, il s'agit d'une pétition qui doit comporter un certain nombre de signatures. Si le nombre de signatures obtenues est suffisant, la proposition est soumise aux voix. Chacun des citoyens de l'État a le droit de voter pour ou contre la proposition.

La proposition 99 imposait une taxe de 25 cents sur tous les paquets de cigarettes vendus. Une partie des 25 cents en question allait à la lutte au tabagisme.

Le sénateur Cochrane: C'est une loi qui a été adoptée?

Le sénateur Kenny: Non, chacun des citoyens de la Californie est allé voter là-dessus. De fait, au fil du temps, l'assemblée législative a constaté que les rentrées de fonds étaient si grandes qu'elle en a détourné une partie des programmes de lutte au tabagisme pour la consacrer à d'autres programmes. La section californienne de l'American Cancer Society a alors intenté une poursuite: ayant obtenu gain de cause, elle a recouvré les fonds en question. Les fonds ont été remis dans le programme.

Le sénateur Cochrane: Pourriez-vous nous expliquer un peu la nature du prélèvement dont vous parlez? Selon vous, qu'est-ce que cela coûtera pour créer et maintenir en place cette fondation indépendante?

Le sénateur Kenny: Le projet de loi pose comme exigence que le coût total de l'administration ne dépasse jamais 5 p. 100 du total de l'argent dépensé. Nous estimons que le budget se situerait autour de 360 millions de dollars par année. La somme serait obtenue au moyen du prélèvement d'une taxe de 0,75 cents sur chaque cigarette qui est vendue. Cela donne 19 cents le paquet, 1,50 $ la cartouche, ce qui donne enfin 360 millions de dollars par année.

Le projet de loi prévoit également que 10 p. 100 du montant soient mis de côté pour l'évaluation, ce qui est très important. Il est ahurissant de constater le nombre de programmes qui sont adoptés dans le milieu de la santé sans jamais être évalués. Ce projet de loi exige que les programmes soient soumis à une évaluation.

Pour prendre l'exemple de la Californie, les gens là exigent non seulement qu'il y ait une évaluation, mais qu'avant même de demander des fonds, on ait choisi un évaluateur et fait approuver un plan d'évaluation avec les repères qui s'imposent, pour que le public voie si le programme est un succès ou un échec. Cela est prévu dans la démarche dès le départ. Dix pour cent de la somme sont réservés à l'évaluation, ce qui est considéré comme une façon normale de procéder.

Le sénateur Cochrane: Vous avez déjà présenté un projet de loi sur le tabac qui était très semblable à celui-ci. Le Président de la Chambre des communes l'a rejeté. Avez-vous une idée du sort qui sera réservé à celui-ci?

Le sénateur Kenny: Nous espérons qu'il se rendra aux Communes, mais cela dépend des gens ici présents, puis des membres du Sénat.

En fait, je crois que vous me demandez pourquoi ce projet de loi ne sera pas rejeté comme l'autre pour des raisons de procédure. J'attire votre attention sur le préambule, puis sur l'article 3.

Nous avons passé beaucoup de temps à étudier la décision du président à l'autre endroit. Le préambule attire son attention sur divers faits qu'il n'a apparemment pas pris en considération la dernière fois. L'article 3 du projet de loi fait ressortir en quoi cela profiterait à l'industrie, selon nous, ce que le président semble avoir considéré comme assez important au moment d'étudier le projet de loi précédent.

Nous avons soumis le projet de loi à divers experts de la procédure. De fait, nous disposons de cinq avis écrits sur le projet de loi. Chacun des experts en question nous affirme que le projet de loi est irréprochable sur le plan de la procédure. Je dois vous dire que la rédaction du projet de loi a beaucoup tenu compte des observations de M. Parent.

Le sénateur Adams: Bienvenue au comité. Quarante-cinq mille personnes meurent tous les ans des effets du tabagisme. Depuis les modifications apportées au Code criminel en ce qui concerne la conduite en état d'ébriété, selon les statistiques de Transports Canada, 3 000 personnes environ meurent dans des accidents de la route tous les ans.

Le sénateur Kenny: Tout à fait, sénateur. C'est un peu plus de 3 000, y compris le cas des conducteurs en état d'ébriété.

Le sénateur Adams: Si le projet de loi est adopté ici, puis à la Chambre des communes, combien de décès y aura-t-il en moins qui seraient attribuables au tabagisme?

Le sénateur Kenny: Pour être franc, je ne vois pas pourquoi nous ne pourrions égaler ce qui est fait en Californie. Je ne vois pas pourquoi, au fil du temps, notre objectif ne devrait pas consister à égaler, sinon à dépasser ce qu'ils ont fait en Californie, là où le taux de tabagisme est rendu à 11 p. 100.

J'aimerais croire que nous pourrions éliminer tous les cas, mais ce serait trop optimiste de ma part. Pour être franc, si nous pouvions réduire de moitié le nombre de décès, ce serait un gain énorme pour le Canada. Si nous pouvions faire passer le taux à 11 p. 100, ce serait extraordinaire. Toutefois, il n'est pas possible de prédire l'évolution statistique du tabagisme pour un an ou deux. Je dirais que nous verrions probablement une réduction rapide qui finirait par ralentir après un certain temps.

En janvier, je me suis entretenu avec le médecin qui dirige le programme en Californie. Il a un sens de l'humour un peu tordu. Il se plaignait en quelque sorte de ses problèmes de financement: «Colin, les choses sont vraiment terribles ici. J'ai des problèmes de financement terribles.» Je lui ai dit: «Mais comment? Vous avez le meilleur programme de lutte au tabagisme de l'Amérique du Nord?» Il a répondu: «Tu dois comprendre qu'il y a cinq ans, la consommation de cigarettes par habitant en Californie s'élevait à 120 paquets par année. Cette année, la consommation par habitant s'élève à 60 paquets par année.» Bien sûr, son financement est lié directement au nombre de paquets vendus, de sorte qu'il a été réduit en conséquence. En cinq ans, la réduction a été de l'ordre de 50 p. 100 en Californie.

Le sénateur Adams: Je me préoccupe surtout des jeunes. Là où j'habite, les jeunes commencent à fumer à l'âge de 13 ans. On trouve des cigarettes au magasin du coin, à n'importe quel magasin dans le coin. Comment arrêter ces jeunes? Je crois que, en ce moment, l'âge minimum pour acheter des cigarettes est de 18 ans.

Le sénateur Kenny: À mes yeux, sénateur, il ne fait aucun doute que des endroits comme Rankin Inlet devront faire concevoir des programmes spéciaux qui répondent aux besoins culturels de la localité. Ce projet de loi envisage justement cela.

Il y aurait des programmes conçus précisément pour les gens qui vivent dans le Nord. Ces gens-là subissent des pressions différentes. Leur situation est différente. Ils ont une langue différente et une culture différente. Les programmes qui se veulent efficaces seraient sans nul doute différents des programmes qui fonctionneraient à Toronto ou à Hamilton, ou dans le sud de l'Ontario.

Le sénateur Adams: La situation me préoccupe. Il y a des enfants dans les restaurants ou dans la rue -- les plus vieux ont peut-être un paquet de cigarettes, et les jeunes vont toujours leur en demander. Avec ce projet de loi, y a-t-il une façon quelconque d'imposer une amende dans les cas où un mineur est pris en flagrant délit, c'est-à-dire qu'il fume?

Le sénateur Kenny: Les programmes les plus fructueux ont présenté un caractère éducatif et motivateur, présenté de manière positive, par proposition aux programmes comportant des sanctions, traitant avec les gens de manière négative. Les témoins que nous allons accueillir la semaine prochaine nous viendront de Floride, du Massachusetts et de la Californie. Vous allez avoir l'occasion de leur parler de leurs programmes et vous constaterez qu'ils privilégient l'éducation, la persuasion et la motivation, plutôt que la punition ou la criminalisation.

Le sénateur Adams: Je ne sais pas quelle région du Canada applique en ce moment les règles les plus strictes à ce sujet, mais nous n'avons pas encore cette forme d'instruction au Nunavut. La plupart de nos municipalités sont très petites. Elles ne disposent pas des ressources nécessaires pour imposer un règlement sur le tabagisme dans les restaurants et les bars, pour protéger les gens contre la fumée secondaire, mais je sais que de telles politiques existent ailleurs au Canada. Comment nos municipalités vont-elles arriver à appliquer des politiques plus strictes? Les gens veulent fumer et lorsqu'ils achètent des cigarettes, cela nous rapporte de l'argent. Nous devrions utiliser cet argent pour financer l'exécution stricte des règles.

Le sénateur Kenny: Je ne prétends pas être expert sur le Nunavut, sénateur, mais je peux vous dire une chose: pour qu'un programme porte fruit au Nunavut, les habitants du Nunavut et les jeunes du Nunavut doivent aider à le concevoir.

Le rapport des Centers for Disease Control comporte un message clair: tout programme qui ne fait pas participer les jeunes à la conception et à l'exécution est voué à l'échec. Les programmes du Nunavut doivent être conçus par les gens du Nunavut, et particulièrement les jeunes, sinon ils ne fonctionneront pas. Les programmes doivent fonctionner à l'échelon municipal, à l'échelon régional et à l'échelon national.

Le sénateur Adams: Avant que nous puissions faire cela, il nous faut des fonds. Pour que les lois strictes aient un sens, elles doivent être appliquées. En ce moment, les municipalités ne disposent pas des installations nécessaires pour faire respecter leurs lois, qu'il s'agisse de lois criminelles ou de règlements municipaux. S'il faut des inspecteurs, alors un certain financement s'impose. L'argent doit provenir de quelque part, que ce soit du Canada ou de la collectivité.

Le sénateur Kenny: De la façon dont le projet de loi est conçu, le financement doit provenir de la fondation. Ce sont les 360 millions de dollars dont nous parlons qui seraient investis dans la collectivité.

Tout le monde ici a-t-il un exemplaire du résumé du rapport des CDC? Vous verrez, dans le résumé, une ventilation des niveaux de dépenses proposés pour les collectivités. Combien d'argent faut-il dépenser par étudiant? Combien faut-il dépenser sur les campagnes recourant aux communications de masse? Les auteurs proposent des lignes directrices, car les coûts vont varier selon les besoins de chaque collectivité dont il est question. C'est un modèle utile qui permet de voir en quoi une collectivité sera touchée par cela.

Le sénateur Taylor: A-t-on fait des recherches sur les habitudes de consommation du tabac par rapport à la consommation d'alcool? En Colombie-Britannique, les bars ont fait tout un plat à propos des restrictions sur le tabagisme. Ceux qui consomment de l'alcool ont-ils tendance à fumer davantage?

Le sénateur Kenny: Vous me posez une question qui est au-delà de mes compétences. Les médecins qui vont comparaître bientôt en savent beaucoup plus là-dessus. Vous devriez peut-être leur poser la question à eux.

Le sénateur Taylor: La Colombie-Britannique a intenté une action en dommages-intérêts contre les compagnies de tabac. Les autres provinces surveillent probablement la situation. Est-ce qu'il restera quelque chose si les provinces viennent bouffer les compagnies de tabac?

Le sénateur Nolin: La réponse est «oui».

Le sénateur Kenny: Nous n'avons pas mentionné cela au début, mais le gouvernement fédéral reçoit environ 2,4 milliards de dollars par année sous forme de taxe d'accise et de TPS. Songez, par comparaison, aux 20 millions de dollars qui sont actuellement consacrés à la lutte au tabagisme. Il y a encore beaucoup d'argent de l'impôt qui semble être mis généralement dans le Trésor, plutôt que d'être consacré à la lutte au tabagisme.

Si les actions en justice intentées par les provinces dont vous parlez portent fruit, les compagnies de tabac vont probablement en refiler les coûts au consommateur. C'est certainement ce qui s'est fait aux États-Unis. Le règlement intervenu là dans 48 États s'est élevé au total à 247 milliards de dollars. Quelques semaines plus tard, le prix des cigarettes augmentait aux États-Unis. Les prix sont nettement plus élevés aujourd'hui que ce qu'ils sont au Canada.

Le sénateur Taylor: J'imagine que les compagnies, aux États-Unis, se sont vu accorder un délai de cinq ou dix ans pour le paiement des amendes imposées. Ne les a-t-on pas invitées ainsi à se constituer un fonds sur le dos du consommateur au fil du temps, plutôt que de prendre cela dans les profits?

Le sénateur Kenny: Tout à fait. Je ne crois vraiment pas que les sommes consacrées aux amendes proviennent des profits. Je ne suis pas spécialiste de la notion d'élasticité en ce qui concerne les cigarettes, mais, oui, elles disposent d'un certain temps pour payer les amendes.

Le sénateur Wilson: Pourriez-vous nous indiquer, de manière schématique peut-être, en quoi le projet de loi diffère de la politique actuelle du gouvernement? Vous avez déjà dit que vous voulez situer des programmes en dehors du cadre de l'administration gouvernementale. Il y a aussi le prélèvement. Vous avez parlé des mesures positives d'éducation et de motivation, par opposition aux histoires de peur qui consistent à dire que fumer fait pourrir les poumons. Ces trois choses, je les ai cernées. Y a-t-il d'autres thèmes? Je vais surveiller cela au fur et à mesure que les audiences se déroulent.

Le sénateur Kenny: Sénateur Wilson, le groupe de témoins convoqué pour mardi prochain a été réuni par qui sera en mesure d'évaluer l'action du gouvernement canadien. Il passera en revue les mesures prises depuis 20 ans pour ce qui est des lois fédérales. Il pourra exposer cela beaucoup plus à fond.

Il y a des choses précises que j'aimerais porter à votre attention. À titre de parlementaire, j'ai eu beaucoup de difficultés à obtenir des renseignements auprès du ministère de la Santé. Cela prend des semaines et des mois pour obtenir ce qui me semble être des renseignements assez simples. La fondation dont il est question préconisera la transparence. Les réunions du conseil seront publiques. Les subventions seront rendues publiques. Tout le monde saura qui obtient quoi au moment où il l'obtient. C'est là une différence notable qui nous permettra d'évaluer le succès et l'échec avec beaucoup plus de facilité.

En deuxième lieu, le fait de réserver 10 p. 100 pour l'évaluation est un élément fondamental de toute forme d'entreprise médicale. Si nous n'évaluons pas nos programmes, comment allons-nous séparer le bon grain de l'ivraie? En ce moment, l'évaluation se fait au petit bonheur, à l'intérieur d'un ministère. Cela pourrait être le cas de n'importe quel gouvernement. Ce ne sont pas les libéraux qui sont en cause. Cela pourrait être n'importe quelle province. Si vous annoncez qu'il y a un programme qui existe, mais qui ne fonctionne pas bien, vous vous faites démolir à la période des questions deux ou trois semaines plus tard. Nous devons situer cela dans un contexte où la question est traitée avec une plus grande maturité et où les gens acceptent certains échecs, sans conclure forcément que tout le programme est mal avisé. Il est dans la nature de cette démarche de procéder par tâtonnements, jusqu'à ce qu'on en arrive à la bonne solution.

La deuxième grande question que je voulais porter à votre attention est celle de l'évaluation. D'abord, il y a la transparence, et ensuite, l'évaluation. Ces deux principes sont très salutaires et très différents de ce qui caractérise un programme gouvernemental.

La troisième chose qu'il vaut la peine d'étudier, c'est le document sur les pratiques exemplaires des Atlanta Centers for Disease Control, daté d'août 1999. Vous y trouverez un modèle que les gens là ont conçu après avoir étudié les programmes de lutte au tabagisme appliqués dans 50 États américains. Il formule des recommandations et recommande des échelles d'intervention. Tous les chiffres que vous regardez en ce moment sont donnés en dollars US, de sorte que vous devez les convertir en dollars canadiens. Premièrement, le projet de loi préconise la mise sur pied d'une fondation chargée d'examiner les programmes existants de lutte au tabagisme et d'élaborer un modèle canadien. Le modèle des CDC est excellent, mais il nous en faut un qui est propre au Canada et qui énonce pour les Canadiens la politique globale dans le domaine. Le point important qu'il faut se rappeler, c'est qu'aucun élément ne permettra à lui seul de régler ce problème. Il faudra toute une série d'interventions pour que nous puissions modifier le comportement des jeunes.

Le sénateur Christensen: Pendant un certain nombre d'années, j'ai participé à l'élaboration d'une loi visant à créer, pour le territoire du Yukon, une fondation. Ce projet de loi reprend tout ce que nous avons fait, sauf une chose -- et je présume que c'est en raison des prélèvements --, c'est-à-dire que le ministre puisse adopter des mesures par règlement. Nous affirmons vouloir situer cela en dehors du cadre du gouvernement, mais il y a dans le projet de loi une disposition qui permet au ministre d'agir par règlement. Pourriez-vous nous dire ce qu'il en est?

Le sénateur Kenny: Inévitablement, lorsqu'on rédige une loi, on ne saurait envisager toutes les éventualités. Il faut prévoir le cas d'un règlement qui s'imposerait à l'avenir, car je crois que même le législateur qui nourrit les meilleures intentions ne peut concevoir une loi qui sera parfaite à tout jamais. Il faut prévoir une disposition pour permettre un certain rajustement jugé convenable au fil du temps.

Le sénateur Christensen: Le projet de loi permet à la fondation d'établir des règlements administratifs. Cela détermine la façon dont les membres sont nommés, l'organisation des réunions, la transparence, les vérifications, les rapports et ainsi de suite, mais en même temps, le ministre peut adopter des mesures par règlement. Je présume que c'est le prélèvement qui est à l'origine de cela, c'est-à-dire que le ministre doit être investi d'un pouvoir quelconque pour imposer ce genre de prélèvement.

Le sénateur Kenny: Si vous citez l'article en question, je pourrais m'y reporter et peut-être vous donner une meilleure réponse.

Le sénateur Christensen: À l'article 40, il est dit que «Le ministre peut, par règlement...» puis il y a l'article 41. Entre autres, le projet de loi crée la fondation et établit son fondement législatif, et cetera.

Le sénateur Kenny: Dans ce cas, cela touche des règles pour amasser des fonds et seulement pour amasser des fonds. C'est pourquoi la chose se trouve là.

[Français]

La présidente: J'aimerais savoir, sénateur Nolin, si le nombre des jeunes fumeurs peut varier d'une province à l'autre en fonction du coût des taxes, lesquelles sont plus ou moins élevées selon les provinces? Par exemple, au Québec c'est différent du Manitoba.

Le sénateur Nolin: Le taux de propagation du tabagisme, effectivement, fluctue d'une province à l'autre, et vous avez mis le doigt sur la raison qui influence cette situation, la question financière. Vous entendrez des témoins qui expliqueront dans le détail le pourquoi de cette situation et vous verrez comment le projet de loi du sénateur Kenny vise justement à mettre en place des mesures incitatives plutôt que des mesures prohibitives pour réduire la propagation du tabagisme.

Le prix des cigarettes influence grandement la consommation. En 1994, lorsque nous avons assisté à une réduction massive des taxes sur le tabac, automatiquement, nous avons vu une augmentation du tabagisme, pas uniquement chez les jeunes, mais, entre autres chez les jeunes, qui atteint aujourd'hui un taux de 30 p. 100.

[Traduction]

La présidente: Merci beaucoup de nous avoir présenté cette introduction. Nous espérons pouvoir vous rappeler si besoin est. J'espère que vous allez être disponible.

Le sénateur Kenny: Nous allons être dans les parages.

La présidente: Je manquerais à mon devoir si je ne vous félicitais pas tous les deux pour ce que je considère comme une excellente initiative qui est dans l'intérêt public. Nous verrons ce que cela donnera.

Je demanderai à nos prochains témoins de se présenter: la Dre Roberta Ferrence et le Dr Robert Cushman. Je vous demande d'abord de présenter votre exposé. Ensuite, les sénateurs voudront sans doute vous poser des questions. Vous avez la parole.

Dre Roberta Ferrence, directrice, Unité de recherche sur le tabagisme de l'Ontario: Je suis très heureuse de me trouver ici ce soir, et je me sens très privilégiée de m'adresser au comité sénatorial pour appuyer ce projet de loi très important. Je suis chercheur. Je fais de la recherche sur les toxicomanies depuis 30 ans, plus particulièrement des recherches sur le tabagisme depuis 15 ans. J'ai apporté avec moi le fruit d'une part de mes recherches; cela me permettra peut-être de répondre aux questions que vous avez soulevées. J'y ai mis ma carte de visite. Si vous avez besoin de plus amples renseignements, n'hésitez pas à communiquer avec moi.

Les problèmes liés au tabagisme au Canada sont relativement importants en ce moment, et les taux les plus élevés sont observés chez les jeunes de 18 à 22 ans. Je souhaite traiter des effets sur la santé de la consommation du tabac et de l'exposition à la fumée secondaire, et signaler que ces effets sont très graves et que cela est par ailleurs confirmé dans la documentation sur la recherche. Les coûts du tabac pour les Canadiens sont énormes. La consommation du tabac est une chose que l'on peut prévenir, tout comme les coûts qui y sont associés peuvent être évités. Toutefois, nombre de segments de la société, nous-mêmes y compris, sont complices dans ce problème.

La liste des effets du tabagisme sur la santé est une véritable litanie. Je ne vais pas nommer toutes les maladies dont il est question, mais il y a près d'une dizaine de formes de cancer -- et non seulement le cancer du poumon --, de nombreuses formes de cancer du poumon, les ulcères, l'ostéoporose, les cataractes la maladie des gencives, les complications à la suite d'une intervention chirurgicale, les maladies coronariennes et les accidents cérébrovasculaires -- qui sont mortels. Des données nouvelles font aussi croire que le tabagisme peut être une cause du cancer du sein, de la leucémie, du cancer du col utérin, de l'asthme, de la pneumonie, de la maladie de Crohn, du diabète, de la perte d'audition et de plusieurs autres affections. Au fur et à mesure que progressent les recherches, nous allons voir que de plus en plus de ces soupçons sont confirmés.

Les jeunes n'échappent pas aux effets du tabagisme sur la santé, même durant leurs belles années. Le tabagisme est la cause principale de maladies du coeur chez les jeunes. Les jeunes femmes qui prennent la pilule anticonceptionnelle sont 20 fois plus susceptibles d'avoir une maladie du coeur ou un accident cérébrovasculaire, une diminution de la fonction pulmonaire et de la condition physique, un accroissement de la maladie des gencives, une diminution de la fécondité, des complications à la suite d'une grossesse. Récemment, nous avons constaté un accroissement des cas de cancer pulmonaire à petites cellules chez les jeunes fumeurs.

La fumée secondaire, que produit le fait de fumer, a des effets très graves sur les adultes aussi bien que les enfants. De même, il faut inclure parmi les effets majeurs à cet égard le cancer du poumon, les maladies du coeur, les incidents cérébrovasculaires, la mort subite du nourrisson, l'insuffisance pondérale à la naissance, l'asthme et ainsi de suite. Il faut noter aussi d'importants effets sur le plan social. Les fumeurs sont des exemples à suivre pour d'autres fumeurs, et cela perpétue le problème.

Au Canada, en 1999, dans plus de 80 p. 100 des foyers où il y a des enfants et où une personne fume tous les jours, les enfants sont exposés à de la fumée secondaire. Au Canada, globalement, le chiffre se rapproche des 40 p. 100. Par conséquent, l'exposition des enfants à de la fumée secondaire est à l'origine de difficultés majeures. Il y a aussi une exposition importante sur les lieux de travail non seulement pour les adultes, mais aussi pour les jeunes. Un grand nombre de jeunes se trouvent actuellement sur le marché du travail.

Quelqu'un a parlé de 45 000 décès attribuables au tabac. Les divers types de recherche qui ont été réalisés ont produit une estimation différente, qui est elle aussi très élevée, soit plus de 33 000 décès attribuables à la consommation du tabac. Cela représente 17 p. 100 de l'ensemble des décès. À titre de comparaison, moins de 7 000 décès ont pour cause la consommation d'alcool, et un peu plus de 700, la consommation de drogues illicites. C'est de quelques ordres de grandeur qu'il s'agit ici. C'est presque 500 000 années de vie potentielle perdues au Canada. C'est autour de 200 000 hospitalisations et plus de 3 millions de jours-hospitalisation. Ce sont des coûts énormes pour la santé et des coûts énormes pour les êtres humains.

À ce jour, la meilleure estimation des coûts économiques globaux du tabac repose sur des données de 1992, et il n'y a probablement pas eu d'évolution significative depuis. Les coûts directs en soins de santé s'élèvent à 2,7 milliards de dollars, les autres coûts directs à 0,07 milliard de dollars, et les coûts directs, à presque 7 milliards de dollars. Cela est attribuable à la diminution de la productivité attribuable au décès, aux maladies et à la criminalité. Le total pour le Canada s'élève à 6,9 milliards de dollars. Le prélèvement proposé représente en fait une infime fraction de ce que nous débourserons.

Il existe des programmes fructueux. Il a été question plus tôt des lignes directrices des CDC. J'aimerais parler d'une campagne américaine en particulier qui a été réalisée dans quatre localités différentes sur une période de quatre ans. Dans le contexte de la campagne, les localités qui appliquaient uniquement des mesures de prévention à l'école ont été comparées à celles qui comptaient en plus une campagne médiatique d'envergure. Après quatre ans, une différence de 5,5 p. 100 était observée en ce qui concerne le tabac consommé par les jeunes durant la semaine précédente. Les responsables ont mesuré la rentabilité de la mesure et déterminé que le coût par élève s'élevait à 41 $, le coût évité par fumeur s'élevait à 754 $, et le coût par année préservée, à 696 $. À l'échelle nationale, les coûts seraient nettement moins élevés. Les estimations en question: le coût par élève, à l'échelon national, 8 $; et par année de vie préservée: 138 $. Par conséquent, ces programmes présentent un rapport coût-efficacité très élevé, apparemment nettement plus élevé que les conseils du médecin ou d'autres mesures de cessation dont la grande valeur est confirmée.

Deux constatations intéressantes ressortent de la documentation, et les chiffres proviennent de données américaines. Le nombre de cigarettes fumées par jour est étroitement lié à la prévalence réelle du tabagisme. Autrement dit, les gens en ont vraiment pour leur argent. Si vous réduisez la proportion de gens qui fument, ceux qui fument toujours fument moins, de sorte que cela produit un impact très important sur les coûts relatifs à la santé et les coûts sociaux.

L'autre chiffre clé qu'il faut avoir à l'esprit, selon moi, c'est qu'il existe une très forte corrélation entre le tabagisme chez les adultes et le fait de fumer souvent chez les adolescents. Nos interventions et nos intérêts sont souvent centrés sur les jeunes, mais les habitudes constatées chez les jeunes reflètent les habitudes observées chez les adultes. Il est très important de regarder le tableau dans son ensemble.

Pour résumer -- et cela vient de ma propre analyse générale de la situation, que bien d'autres appuieront, je l'espère --, nous devons réduire l'accessibilité du tabac. Les moyens principaux à cet égard sont les taxes, mesure qui se fait attendre depuis longtemps, et la réduction du nombre de postes de vente. Les produits du tabac sont en vente 24 heures par jour à tous les coins de rue et, malgré les nombreux programmes destinés aux détaillants, les enfants peuvent encore acheter ces produits. De même, il est très facile pour un adulte d'acheter du tabac. Nous devons faire en sorte que fumer soit moins visible.

Un des facteurs clés en ce moment, c'est l'interdiction de fumer appliquée dans les restaurants et les bars. Nous avons fait récemment des recherches pour déterminer le contexte des rechutes et les raisons pour lesquelles les gens disent qu'ils se remettent à fumer. Nous avons constaté que, particulièrement chez les jeunes, le fait que d'autres fument autour d'eux et le fait de consommer des boissons alcoolisées étaient les deux raisons principales d'une rechute. Or, ce sont des situations qui surviennent dans les restaurants et les bars, à des fêtes organisées et ainsi de suite.

Il nous faut un message clair et ciblé qui permet de combler les lacunes constatées sur le plan de l'information. Il nous faut un programme méthodique qui est maintenu et qui ne s'arrête pas parce que la source du financement se tarit. Il nous faut réduire l'ambivalence de la société envers le phénomène. C'est un tout autre sujet, mais je dois mentionner tout de même qu'il nous faut renoncer à certaines choses. Il y a quelques jours à peine, j'ai vu que la University of Western Ontario nommait Purdy Crawford, chef d'Imperial Tobacco, homme d'affaires de l'année. Cela n'est pas un bon message. De même, il nous faut de la recherche et de la surveillance pour que nous puissions évaluer ce qui se passe.

Au point où nous en sommes, malgré des progrès considérables réalisés dans bien des domaines, particulièrement en ce qui touche les restrictions, les avertissements et les autres formes de réglementation, la cigarette est encore offerte partout -- et en Ontario et au Québec, elle est offerte au prix le moins élevé qui se trouve en Amérique du Nord. Les fumeurs demeurent visibles dans la rue dans nombre de lieux publics. Nous n'avons pas de programme médiatique uniforme. Les leaders de l'industrie du tabac sont encore estimés dans de nombreux segments de la société. Nous n'avons pas un bon système de surveillance.

Le projet de loi S-20 nous donnera l'occasion de faire évoluer le comportement des gens au pays et, ce qui est encore plus important, de faire évoluer l'opinion publique. Or, ce sont là deux facteurs critiques pour réduire la consommation de tabac.

Dr Robert Cushman, médecin chef en santé publique, Service de la santé, région d'Ottawa-Carleton: Je suis ravi de me trouver ici aujourd'hui pour traiter de la façon dont nous pourrions lutter contre l'épidémie de tabac. Si je ne m'abuse, c'était hier l'anniversaire du jour J -- et il a fallu pour cela la marine, l'armée, les forces aériennes et les Marines. Pour faire échec à l'épidémie de tabagisme, il vous faut prévention, protection et cessation.

À l'échelon municipal, la protection est un domaine qui nous préoccupe au plus haut point. Nous sommes témoins de règlements municipaux plus stricts en ce qui concerne l'interdiction de fumer sur les lieux de travail et dans les lieux publics. Les règlements du genre en sont en fait à leur deuxième génération, pour ainsi dire. Il y a 10 ou 15 ans, le non-fumeur se souciait d'une fumée directe qui venait l'incommoder. Aujourd'hui, nous savons qu'il s'agit d'une substance très toxique qui, de fait, après l'inhalation de la fumée directe et la consommation d'alcool, vient probablement au troisième rang des poisons qui se trouvent dans notre société. Par conséquent, il y a eu un regain d'intérêt pour la question et les règlements municipaux plus stricts et plus rigoureux deviennent rapidement la norme. Il s'agit souvent d'une responsabilité municipale, mais parfois aussi d'une responsabilité provinciale. Au Canada, cela est variable, et le meilleur exemple est la Colombie-Britannique.

Comme mon collègue l'a mentionné, la protection des non-fumeurs comporte d'autres avantages. Premièrement, cela réduit la consommation de tabac chez les fumeurs. Cela encourage les gens à cesser de fumer et dissuade les jeunes et les non-fumeurs à adopter l'habitude. Le deuxième avantage concerne la cessation du tabagisme. Ne serait-il pas extraordinaire que l'on puisse dire qu'il faut que jeunesse se passe et que les jeunes, une fois devenus adultes, sauront s'en passer? C'est loin d'être le cas pour ce qui touche le tabac. C'est une accoutumance tenace, qui ne lâche pas facilement prise. Les chercheurs du domaine affirment que cela est nettement pire que l'accoutumance à l'alcool, à la cocaïne et à l'héroïne. Comme le produit est plus facilement accessible et plus facilement administré, cela est compréhensible.

Les récits faisant état de l'évolution de la personnalité des gens qui ont essayé nombre de fois de cesser de fumer sont certes dignes d'intérêt dans mon domaine. On y voit comment la vie de la famille est bouleversée durant l'épreuve. Les tentacules de l'accoutumance s'enserrent autour du fumeur. J'ajouterais qu'aucune autre accoutumance n'est contractée à un si jeune âge. Allez donc nommer des toxicomanies qui frappent les gens à l'âge de 16 ans, voire à l'âge de 12 ans. De fait, nous savons que plus la personne fume à un jeune âge, plus grande est sa dépendance à l'égard de la nicotine. Tout de même, nous semblons croire que le fait que des jeunes de 12 et de 14 ans deviennent dépendants à la nicotine n'est pas très grave, car nous ne déclarons pas cela une catastrophe nationale.

La clé réside dans la prévention. C'est la raison pour laquelle nous sommes ici, vous et moi. Cela nous amène au projet de loi S-20. Nous savons que, parmi ceux qui commencent à fumer, moins de la moitié réussiront à abandonner leur habitude s'ils essaient. Le tiers environ de ceux qui n'abandonnent pas la cigarette succomberont à une maladie reliée à la consommation de tabac. À la lumière de ces faits, quel est notre bilan? Nous sommes actuellement aux prises avec une épidémie de tabac chez les jeunes. Nous sommes revenus aux chiffres de 1980. Les 10 dernières années ont été marquées par l'augmentation des taux, essentiellement, par l'échec. C'était à la suite de 10 années où les taux baissaient, 10 années de succès.

J'aimerais parler de cette fiche d'évaluation d'Ottawa-Carleton sur la cigarette et les jeunes, que nous avons publiée la semaine dernière. À la suite d'une enquête réalisée auprès des élèves de la 7e à la 10e année, nous avons constaté que la proportion de ceux qui fument passe de 6 p. 100 en 7e année à 32 p. 100 en 10e année. La proportion d'élèves déclarant faire une consommation quelconque de cigarettes passe de 23 p. 100 en 7e année à 66 p. 100 en 10e année. Trente-huit pour cent des élèves de la catégorie regroupant la 7e à la 10e année affirment avoir pris leur première cigarette avant la 7e année. Au total, 30 p. 100 encore déclarent avoir fumé leur première cigarette en 7e année. Autrement dit, au terme de la 7e année, 68 p. 100 de nos enfants ont fumé des cigarettes.

Le prix des cigarettes dans la région d'Ottawa-Carleton, dans l'ouest du Québec et dans l'est de l'Ontario est moins élevé qu'il l'est dans toutes les provinces canadiennes et tous les États américains avoisinants. Lorsque j'était à Boston il y a quelques mois, j'ai voulu obtenir de la monnaie en échange d'un dollar pour faire un appel téléphonique. La personne devant moi a acheté un paquet de cigarettes. J'ai été ahuri de constater que les cigarettes en question coûtaient 5 $US, le paquet de Camel.

Dans Ottawa-Carleton, 23 p. 100 des élèves de ce groupe d'âge disent fumer quotidiennement. Ces statistiques sont éloquentes. Je vous laisse le rapport dans les deux langues.

Le taux élevé de tabagisme chez les jeunes est le plus important problème de santé de notre époque. Si nous n'essayons pas de l'enrayer, nous condamnons nos enfants à un avenir en mauvaise santé et une à vie abrégée.

Les compagnies de tabac feront valoir que les enfants sont, justement, des enfants et que cela échappe à leur volonté. Pourquoi l'accroissement du taux de tabagisme a-t-il concordé avec la diminution des prix et l'accroissement des annonces publicitaires? Pourquoi le taux de tabagisme varie-t-il tant d'un endroit à l'autre? Oui, il y aura toujours quelques jeunes qui fument. Il y aura toujours un James Dean dans le groupe. Toutefois, 30 p. 100, c'est inacceptable. Cela s'explique très simplement.

Sur le plan pathologique, nous avons observé la diminution des taux de cancer du poumon et de maladies de coeur d'après les travaux réalisés il y a 15 à 30 ans. Ces tendances vont bientôt cesser de diminuer pour se remettre à la hausse. Ce sera un fardeau insupportable pour notre réseau de la santé, qui vit déjà des pressions insoutenables.

Pour ceux qui souhaitent privatiser le réseau de la santé, il vaut la peine de regarder ce qui se passe du côté des compagnies d'assurance-vie. Regardez ce qui se passe dans le domaine de l'assurance-maladie privée. Regardez les différences entre les fumeurs et les non-fumeurs. Je vais vous mettre en garde là-dessus: c'est une pente dangereuse. Cela commencera par le tabac. Ensuite, ce sera le diabète, les maladies héréditaires et ainsi de suite. Ce sera la fin de notre réseau de la santé.

Il y a une meilleure façon de procéder. Le projet de loi S-20 en est un exemple. Le prélèvement fait sur le tabac en fonction du volume en prévision d'une somme à investir dans la prévention, c'est une meilleure façon de procéder. Cela réduirait en même temps les coûts relatifs aux soins de santé.

Il est largement admis que nous vivons actuellement une épidémie de tabac chez les jeunes. Le prix est trop bas. Les compagnies de tabac sont des prédateurs. Le financement des programmes de prévention est inadéquat. Comparez ce que nous dépensons en prévention à ce que dépensent les compagnies de tabac en publicité.

Les grands panneaux publicitaires sont tout juste à côté des écoles. Les parents et enseignants ne savent plus où donner de la tête. Je parlais aujourd'hui au directeur du réseau scolaire francophone pour Ottawa-Carleton. Il a dit que nous devons faire passer le message dans les écoles. Néanmoins, je n'ai à ma disposition que cinq ou six infirmières pour l'ensemble des conseils scolaires et l'ensemble des élèves d'Ottawa-Carleton.

Que dépensons-nous dans la région d'Ottawa-Carleton? Que dépense mon service? Nous dépensons probablement 50 cents par habitant, peut-être un peu plus. Nous dépensons entre 300 000 $ et 500 000 $ pour l'ensemble des activités -- protection, cessation et promotion. En même temps, permettez-moi de vous dire que je suis riche si je me compare aux autres services de la santé. En fait, j'ai pris dans le budget de notre service de la santé des sommes qui n'étaient pas prévues pour la lutte au tabac. Néanmoins, nous n'avons qu'un inspecteur ou deux pour couvrir 1 300 magasins dans notre région. Nous avons une infirmière seulement pour 10 000 élèves environ. Il n'y a rien d'étonnant à savoir que nous n'obtenons pas des résultats probants.

Il est temps pour nous de mettre notre pied à terre et d'établir le principe de la prévention -- ce sont nos enfants ou ce sont les compagnies de tabac. C'est très simple. Le projet de loi S-20 s'attaque au problème, et les gens sont d'accord.

Il y a 45 000 décès par année attribuables à cela. Les compagnies de tabac doivent remplacer leurs clients. Voilà pourquoi le tabagisme est une maladie d'enfant. Personne ne le sait mieux que les compagnies de tabac et les fumeurs, et les ex-fumeurs. Ils savent qu'ils ont adopté l'habitude à un jeune âge, parfois à l'âge de 12 ans.

La guerre menée contre le tabac doit être une guerre totale. J'ai fait allusion au jour J. Les initiatives isolées ont un effet limité; elles ne produisent pas d'effet multiplicateur. Il nous faut une approche méthodique. Le gouvernement fédéral doit s'attaquer au prix, à la réglementation sur le conditionnement et au financement des programmes de prévention en fonction des ventes, ce que permet de faire justement ce projet de loi. Il y a un certain chevauchement avec les administrations provinciales. Ce sont elles qui, bien entendu, déterminent l'âge minimum pour l'achat. Du côté de la médecine, nous devons aller du côté d'une meilleure psychologie et d'une meilleure pharmacologie. Les municipalités doivent envisager des règlements, des mesures d'exécution et des programmes améliorés à l'échelon communautaire, particulièrement dans les écoles. Nous devons immuniser nos enfants contre le tabac comme nous les immunisons contre la rougeole, la rubéole et la méningite dans les écoles. Voilà pourquoi ce projet de loi a tant d'importance. Nous avons besoin de fonds.

Je crois comprendre que le projet de loi répond aux critères définis par les Centers for Disease Control, soit que les dépenses se situent entre 9 $ et 24 $ par habitant. Je lisais plus tôt un document du sénateur Kenny qui disait que le Canada investit 1 $ dans la prévention du tabac pour chaque tranche de 1 000 $ qu'il obtient sous forme de taxes sur le tabac.

Nous avons besoin d'annonces publicitaires nationales, de programmes locaux et d'un organisme indépendant. Les bureaucrates n'ont pas la créativité nécessaire pour y arriver. Sur le plan politique, ils sont coincés. La contre-publicité fonctionne dans le domaine du tabagisme. Allez voir les annonces américaines. Les grandes sociétés de marketing, les plus connues, sont responsables des annonces en question. Attendez que les enfants s'y essaient eux-mêmes. Les enfants vont faire tout un travail si nous leur donnons les moyens, et si nous diffusons leur message à leurs pairs partout au pays.

En dernier lieu, l'évaluation est une chose très importante. Qu'il s'agisse de maladies du coeur, de cancer ou d'autres problèmes de santé, il va sans dire qu'il faut évaluer ce qui est en place. C'est un territoire inexploré; nous voulons apprendre de nos erreurs. Nous voulons également multiplier les victoires.

Le sénateur Kenny est un spécialiste du domaine. Il connaît les pratiques exemplaires et les formules fructueuses. Il a fait le tour des choses. Il sait ce qui fonctionne et ce qui nous fonctionne pas. Ce projet de loi incarne la meilleure mesure anti-tabac que j'aie vu durant ma carrière à Ottawa-Carleton, en Ontario et au Canada. Nous pouvons réduire le taux de tabagisme de 30 à 11 p. 100 comme ils l'ont fait en Californie.

Mesdames et messieurs, la question que vous devez trancher aujourd'hui est simple: comment protéger vos enfants contre les ravages du tabac, l'accoutumance à la nicotine et le comportement prédateur de l'industrie? Le projet de loi S-20 représente de loin la meilleure immunisation qui soit. Appuyez-le et protégez nos enfants. N'oubliez pas: si nous ne faisons pas partie de la solution, nous faisons partie du problème. Merci.

Le sénateur Christensen: Docteure Ferrence, vos études vous ont-elles permis de constater que la vente de tabac est ciblée sur les jeunes?

Dre Ferrence: Diverses recherches ont été faites. Vous êtes probablement au courant de la publication récente de documents provenant du Guildford Depository, selon lesquelles l'industrie cible très clairement les jeunes. Nous avons fait des travaux antérieurs, tout comme d'autres gens.

Durant l'une de nos études, nous avons présenté aux élèves des annonces de commandite où la marque de commerce n'était pas reconnaissable. La plupart des élèves ont reconnu très clairement les annonces comme publicité pour le tabac ou les cigarettes. Ils ne croyaient pas que les annonces faisaient la promotion d'une course d'autos ou d'autre chose. Ils disaient que c'étaient des publicités de cigarettes.

Voilà un seul exemple du genre de recherche qui invite à croire que les enfants reconnaissent qu'ils sont ciblés. Il ne fait aucun doute qu'ils le savent. Il y a aussi une célèbre étude américaine où des enfants, dont certains n'avaient que six ans, ont pu identifier Joe Camel, mais des choses semblables surviennent au Canada.

Le sénateur Kenny: Docteure Ferrence, pourriez-vous parler au comité du changement d'attitude et de l'indifférence? Vous en avez touché un mot et vous avez dit que c'était un tout autre sujet. Cela semble être une question clé dans notre façon d'aborder la lutte au tabagisme. Pourriez-vous dire au comité pourquoi, selon vous, cette question semble susciter l'indifférence chez un si grand nombre de Canadiens?

Dre Ferrence: Il y a plusieurs raisons à cela. Le tabac est acceptable depuis longtemps, du moins depuis un siècle, en Amérique du Nord. Il faut un certain temps avant que les gens ne commencent à envisager une chose acceptée comme étant inacceptable. Les gens subissent les pressions des parents et des amis, et certainement, des médias.

Le tabac est encore vendu comme un produit ordinaire, disons du pain ou du lait. Cela fait dire qu'il n'a rien de particulier. Nous ne vendons pas des armes à feu de cette façon, au magasin du coin. Nous ne vendons pas des médicaments d'ordonnance de cette façon, et ils sont, eux, relativement moins dangereux. Nous ne traitons pas le tabac comme le produit dangereux qu'il est. Ce n'est pas moi qui ai inventé la notion, mais il nous faut certainement «dénormaliser» le tabac, laisser savoir aux gens qu'il s'agit d'une question grave et que ce n'est pas un produit comme un autre.

Les statistiques n'impressionnent pas les gens. La plupart des décès liés au tabac ne sont ni subits, ni violents. Ils prennent un grand nombre d'années à survenir. Les gens ont tendance à périr de maladie liée au tabac à un âge plus avancé. Il y a quelques années, on se souciait davantage du décès de quelques passagers clandestins que du décès de quelque 40 000 Canadiens attribuable au tabagisme. Les gens se préoccupent davantage de la violence et de choses qui échappent à leur volonté. D'une façon ou d'une autre, ils ne considèrent pas le tabac comme une chose qui échappe à leur volonté.

Nous avons l'occasion ici de faire évoluer les attitudes, de dénormaliser la consommation de tabac, de laisser savoir aux gens ce qui se passe vraiment. Le Dr Cushman a parlé des tactiques prédatoires de l'industrie pour renseigner les gens. Les gens ne savent pas à quel point le tabac nuit à la santé, bien qu'ils sachent que c'est une substance qui est néfaste de manière générale. Ils ne sont pas conscients de tous les effets du tabac sur la santé. Ils ne savent pas ce que fait l'industrie. Ils ne savent pas ce que font d'autres segments de la société pour que le tabac continue de se vendre. Le tabac s'obtient encore à bon prix. Pourquoi? Il y a tout un champ d'action là.

Le sénateur Kenny: Pouvez-vous nous donner des précisions sur le rapport coût-efficacité d'un programme comme celui-là. En règle générale, lorsque les gens entendent parler de 360 millions de dollars, ils de demandent ce que va rapporter l'argent en question. Pouvez-vous reprendre cette partie de votre témoignage pour nous?

Dre Ferrence: Nous avons certainement constaté, durant les études réalisées dans les quatre localités, que les programmes médiatiques globaux étaient efficaces et peu coûteux pour convaincre les gens à cesser de fumer et pour réduire les coûts relatifs aux soins de santé. Ce projet de loi permettrait de financer un grand nombre d'interventions et de programmes médiatiques distincts.

Les données des CDC nous poussent fortement à croire qu'il faut des programmes globaux qui s'attaquent à différents secteurs, de sorte qu'il y ait une sorte de synergie. Nous avons de très bonnes données provenant d'États où une diminution notable a été observée, non seulement en Californie, mais aussi dans le Massachusetts, de même qu'en Floride, dans une certaine mesure, et en Arizona, je crois. Ces genres de programmes fonctionnent là et en Colombie-Britannique aussi.

Vous devez faire passer l'idée selon laquelle vous prenez cela tout à fait au sérieux. C'est la même chose que d'être parent, et nombre d'entre vous le sont d'ailleurs. Les enfants savent tout de suite si vous n'êtes pas vraiment sérieux, si vous n'avez pas l'intention de passer à l'acte. À l'intérieur d'une société, c'est la même chose. Tant que nous ne serons pas sérieux et que nous ne voudrons pas faire quelque chose, il n'y aura pas de changement.

Nous devons faire passer des messages clairs avec le prix que nous fixons pour le tabac, avec l'accessibilité, avec les campagnes dans les médias, avec tout ce que nous faisons. Comment traitons-nous l'industrie? Comment traitons-nous les gens liés à l'industrie? Quelles sont les relations sociales et les relations d'affaires avec l'industrie? Il y a là un champ d'action énorme pour qui souhaite faire évoluer les attitudes et les comportements.

Le sénateur Kenny: Docteur Cushman, vous avez à côté de vous le résumé du rapport des CDC. Je vous prie d'aller à la page 3. Vous y verrez une liste des programmes communautaires et constaterez que le financement de base est de 850 000 $ à 1,2 millions de dollars. C'est quelque part entre 70 cents et 2 $ par habitant, tout cela étant exprimé en dollars américains, qui est proposé pour les programmes communautaires. Au point trois, il est question des programmes scolaires, où les dépenses se situeraient entre 4 $ et 6 $ l'étudiant. Au point 4, il est question des dépenses consacrées aux programmes d'exécution de la loi, variant entre 43 cents et 80 cents par habitant. Compte tenu de la taille des chiffres en question, pourriez-vous dire où se situe la région d'Ottawa-Carleton?

Dr Cushman: Ottawa-Carleton compte trois quarts de million d'habitants. Les chiffres que je vous ai donné sont des chiffres globaux. C'est de la petite bière à côté des trois initiatives communautaires exposées dans le rapport. Vous pouvez voir que l'accroissement du financement peut certainement avoir un effet sur les programmes.

Le sénateur Kenny: Imaginons pour un instant que le projet de loi a été adopté et que nous avons en place un programme semblable au modèle conçu par les CDC. Pouvez-vous nous dire en quoi cela serait différent dans le cas de votre collectivité? Que feriez-vous? Comment la vie changerait-elle pour vous, qui êtes médecin chef en santé publique pour cette région?

Dr Cushman: Il va sans dire que le programme scolaire est sous-financé. Les enfants sont là dans les écoles. Les enfants semblent comprendre l'idée de ne pas fumer à un jeune âge, mais il y a quelque chose qui déraille aux niveaux intermédiaires. C'est là qu'il nous faut accroître le financement. Ce serait une augmentation marquée du financement pour nos programmes scolaires. Cela nous permettrait, essentiellement, de faire ce que nous souhaitons faire ici.

J'ai fait allusion au fait que nous disposons de très peu de fonds pour faire respecter les règles. Encore une fois, cela nous permettrait d'avoir une présence. Ce n'est pas seulement le respect des règles de la part des fournisseurs qui importe; c'est aussi le fait que les enfants qui n'ont pas l'âge voulu fument des cigarettes. Voici un chiffre que je ne vous ai pas donné tout à l'heure: 66 p. 100 des élèves de la 7e à la 10e année dans Ottawa-Carleton disent ne pas acheter leurs propres cigarettes. En même temps, 85 p. 100 de nos fournisseurs respectent les règles. Malgré les piètres mesures d'exécution que nous appliquons et grâce à l'éducation publique et à la bonne volonté des fournisseurs, le respect des règles est assez bon. Toutefois, les enfants achètent encore des cigarettes à leurs amis. C'est de ce côté-là que se trouveraient les mesures d'exécution supplémentaires.

L'autre chose importante, c'est les programmes communautaires. Nous constatons que nous n'avons pas les moyens nécessaires pour nous permettre des annonces étincelantes -- ni pour les concevoir, ni pour les diffuser --, mais nous faisons beaucoup de travail en parallèle, ce qui aide les choses. Par exemple, il y a les petits auto-collants dont le message est favorable aux règlements municipaux interdisant de fumer. Je veux qu'il y en ait un dans chacune des boîtes aux lettres de la région d'Ottawa-Carleton, si bien que, lorsque les gens vont au restaurant, ils peuvent apposer l'autocollant sur la facture. Mais devinez quoi? Je n'ai pas l'argent pour faire cela non plus. C'est un autre exemple où les fonds accrus nous permettraient d'agir.

Le sénateur Kenny: Que diriez-vous à quelqu'un qui affirme: «Il y a tant d'argent que vous ne sauriez pas quoi en faire. Le programme est trop riche. Vous ne pouvez composer avec un tel financement»?

Dr Cushman: Compte tenu de l'ampleur du problème auquel nous sommes en butte, ce financement est dans les normes. Vous fixez cela à 12 $ par habitant. Selon les recommandations des CDC, les dépenses devraient se situer entre 9 $ et 24 $ par habitant. Plus vous dépensez, plus cela rapporte. N'oubliez pas que la consommation de tabac ouvre la porte à la consommation d'autres drogues. Souvent, les habiletés qu'il vous faut pour résister sont des habiletés générales, des habiletés pour la réduction des risques, des mécanismes d'adaptation, la capacité de dire «non», de comprendre la publicité et ainsi de suite. Ce sont souvent des habiletés générales qui servent dans la vie de tous les jours. Tout compte fait, nous allons non seulement protéger nos enfants, mais aussi les éduquer autrement, ce qui se révélera bénéfique.

Le sénateur Wilson: Je serais curieuse de savoir ce que vous découvrez lorsque des jeunes prennent en charge eux-mêmes une campagne d'éducation. Comment ciblent-ils leurs pairs soit pour les empêcher de fumer, soit pour les inciter à cesser de fumer? Les garçons et les filles conçoivent-ils le problème différemment? Comment sont-ils vus par leurs pairs? Les autres se moquent-ils d'eux, de sorte que leurs efforts ne mènent à rien?

Dr Cushman: Nous avons organisé à Ottawa des concours du meilleur slogan. J'aurais dû en apporter des exemples avec moi ce soir. C'est très créateur. Il y a beaucoup de talent dans le coin. Les messages sont très vifs.

Souvent, je ris lorsque je pense à tout l'argent que les compagnies de tabac dépensent pour faire passer leur message. Leur message est très vulnérable parce qu'il est faux, parce que ce n'est pas une publicité sur le produit. Lorsque les gens s'emparent de cela, la contre-publicité peut avoir un effet saisissant. Je présume que nombre d'entre vous ont vu certaines des contre-publicités en question, les annonces provenant des États-Unis, par exemple, et certaines des annonces de Santé Canada et des autres provinces. Le problème, c'est qu'il n'y en a pas assez, et que la diffusion et la rediffusion coûtent de l'argent. Les jeunes ont beaucoup de bonnes choses à dire, et une bonne part de cela vaut la peine d'être soulevée. Revendiquer le matériel en question et faire savoir aux jeunes que cela a été conçu par d'autres jeunes se révèle extrêmement utile.

Pour ce qui est de la deuxième partie de votre question, oui, il existe des groupes très différents. Chez les garçons, c'est la pression des pairs qui tend à se manifester. Chez les filles, c'est à la maison que cela se passe pour une bonne part. Les filles se préoccupent de leur image corporelle. Nous devons cibler les messages autrement, cela ne fait aucun doute. C'est pourquoi le message publicitaire qui est diffusé à l'échelle nationale ou auprès du grand public doit être mis au point et adapté à des créneaux, pour les écoles particulières visées. Nous le savons, mais nous n'avons pas les fonds pour le faire. Dans mon département, les gens disent que si les ressources humaines et matérielles étaient plus grandes, ils seraient en mesure de le faire. Je suis convaincu qu'ils pourraient le faire, moi aussi, pour nombre des raisons que j'ai déjà mentionnées. Je crois que les faussetés des messages que véhiculent les compagnies de tabac rendent ceux-ci très vulnérables.

Le sénateur Wilson: Pour donner suite à cela, je dirais que les jeunes se croient éternels, si bien qu'ils n'y verront pas un programme de santé. Est-ce bien le cas? Comment voient-ils la question?

Dr Cushman: Vous avez raison. Nous devons oublier le cancer du poumon et les maladies du coeur. Nous devons parler de l'accoutumance -- dire à quel point il est difficile de se défaire de cette habitude. Voilà tout le message. Depuis 10 ans environ, les messages de la santé publique portent là-dessus. Cela a représenté tout un progrès.

Autre chose à propos des jeunes: l'effet sur eux est plus grand lorsque les questions abordées touchent non seulement l'accoutumance, mais encore les questions bien immédiates. Par exemple, on peut dire qu'embrasser un fumeur, c'est comme embrasser un cendrier. Il y a beaucoup d'idées que nous pourrions mettre à profit. Il y a aussi les pratiques prédatoires de l'industrie. Si vous croyez que votre père vous cause des problèmes, essayez donc d'imaginer quelqu'un comme Rob Parker, que tous les adolescents devraient connaître.

Le sénateur Cochrane: Docteur Cushman, qu'avez-vous fait des dessins reçus à la suite des concours que vous avez tenus dans les écoles?

Dr Cushman: Nous les avons toujours. Nous n'avons pas les moyens de les reproduire et de les distribuer. Il y a un cas qui me vient à l'esprit: le terme «publicité», qui a été raccourci de manière à donner «peut tuer», c'est-à-dire que la publicité tue, avec les trucs de tabac derrière. Il y en a un autre où il y a une cible et une grande cigarette en guise de flèche. Il y a beaucoup de bonnes choses. C'est une sorte de créativité à main levée, pour ainsi dire.

La micro- édition nous a beaucoup aidés ces dernières années, mais nous affrontons les publicitaires les mieux nantis du monde. Nous affrontons les types qui ont fait de Madison Avenue ce qu'elle est. Nous sommes capables de lutter contre eux, mais nous devons avoir 5 cents pour chaque dollar qu'ils dépensent.

Le sénateur Cochrane: Cela me semble triste que des trucs comme ceux-là se trouvent sur une tablette. Cela prendrait peut-être un peu d'argent, mais il serait peut-être un peu plus créatif de faire quelque chose avec. Les jeunes ont leur propre ordinateur. Ils peuvent envoyer ces messages-là sur Internet, les envoyer à leurs amis.

Dr Cushman: Une fois qu'ils auront le matériel en main, ils pourront en faire quelque chose. Nous avons simulé un procès l'an dernier, et l'expérience s'est révélée très populaire. Nous avons beaucoup de documents interactifs qui permettent de garantir que tous les enfants peuvent voir à quoi ressemblent des poumons noircis, et nous encourageons les enfants à y toucher. Tout de même, pour cela il faut de l'argent et plus de personnel. Songez au modèle de l'immunisation. Ce qu'il nous faut, c'est une première injection, puis un certain nombre de rappels. Tout cela devient donc une question d'argent.

Pour revenir à ce que vous disiez, si nous mettons cela entre les mains des enfants, nous allons commencer à voir un effet multiplicateur.

Le sénateur Finnerty: Docteur Cushman, mes enfants ont été élevés dans les années 70 à London. Ce qui les a empêchés de fumer, c'est ce dont vous avez parlé il y a quelques instants. La police allait d'école en école pour montrer ce poumon noirci et la cigarette. Les enfants touchaient au goudron noir qui demeurait, puis ils regardaient les films sur des enfants toxicomanes. C'est la mesure de dissuasion la plus efficace que j'aie jamais vue. À ma connaissance, aucun des enfants qui fréquentaient les écoles en question n'a jamais essayé de fumer ou de prendre de la drogue. Le recours aux bénévoles était très efficace. Est-ce qu'on a déjà fait cela ici, à votre connaissance?

Dr Cushman: Nous faisons cela, mais encore une fois, il est question de pénétration du marché. Mme Spring, qui vient de Thunder Bay, s'est adressée à notre groupe le jour où nous avons publié le bulletin. Nous avons présenté les slogans et publié les bulletins. Elle s'est levée et, couvrant le trou qui est là en raison de sa trachéotomie, s'est adressée aux étudiants. Je lui ai dit par la suite: «Dans un jour ou dans une semaine, la majeure partie de ce qui s'est fait aujourd'hui sera plus ou moins oubliée, mais les jeunes vont se souvenir de vous pendant longtemps.» Les jeunes doivent être exposés à cela, pour que ce ne soit pas 1 000 enfants devant un écran de téléviseur, mais plutôt des jeunes réunis dans une petite salle, comme celle-ci, où ils peuvent vraiment ressentir les choses et avoir leurs sens en éveil.

Le sénateur Adams: Je ne sais pas combien de chaînes de radio ou de télévision acceptent de diffuser les messages sur la santé comme ce que l'on voit sur les paquets de cigarettes, qui vous disent ce qui va se passer si vous fumez. Dans ma famille, tout au moins, on n'écoute pas vraiment les annonces en question. À certains endroits, il peut y avoir plus d'une centaine de chaînes de télévision. Combien de ces chaînes diffusent des annonces concernant le tabagisme? Comment s'assurer que les messages en question passent? Si nous voulons renseigner les jeunes fumeurs, comment se faire entendre avec la musique rock qui joue à tue-tête à la radio et ainsi de suite? Les messages sont nombreux, mais je ne crois pas que le public les entend vraiment.

Dr Cushman: Je sais bien que les gens zappent beaucoup devant le téléviseur. Toutefois, les jeunes aiment la culture publicitaire. Si l'annonce est bonne, ils vont la regarder. Cela dépend beaucoup de la qualité.

Vous avez mentionné autre chose. Certes, les compagnies de tabac, sachant très bien cela, optent maintenant pour la publicité au point de vente. Nous avons besoin de ces annonces, mais il existe d'autres formes de publicité, tout comme nous l'avons mentionné plus tôt. Le feuillet peut se révéler très utile à cet égard. Il permet de bien voir qu'il n'existe pas de solution unique. Il faut que cela soit bon. Il y a un effet multiplicateur si on adopte une approche globale. Je ne crois pas qu'il soit sage, au départ, de mettre tous ses oeufs dans le même panier et d'opter pour une attaque unique ou pour une forme unique de publicité. C'est simplement insuffisant dans le monde complexe qui nous entoure aujourd'hui, et c'est insuffisant pour une question aussi complexe que celle du tabac.

Le sénateur Adams: Vous avez mentionné que les cigarettes coûtent le moins cher en Ontario et au Québec. Je vis moi-même au Nunavut. Tous les ans, les taxes sur les cigarettes augmentent. En ce moment même, à Rankin Inlet, un paquet de cigarettes coûte près de 9 $, une cartouche, plus de 60 $. Les gens en achètent toujours. Quel que soit le prix, les gens vont en acheter. C'est la même chose dans le cas de l'alcool. Les gens sont nombreux à dire qu'il nous faudrait une collectivité abstème, mais d'autres arrivent alors, et il y a les trafiquants d'alcool et ainsi de suite, qui viennent vendre de l'alcool à plus de 100 $ la bouteille. Il est difficile de régler ce problème.

Je crois quand même que l'annonce où la femme parle avec la petite machine est très efficace. J'ai déjà fumé -- j'ai cessé de le faire il y a 30 ans --, mais si je fumais encore, j'arrêterais après avoir vu cela. Le sénateur Kenny a parlé de fonds qui seraient affectés aux messages anti-tabac. Dès qu'une loi est adoptée, toute les collectivités devraient s'y mettre. Une fois un projet de loi adopté, il faut du temps pour s'y habituer. Queen's Park a commencé il y a quelques années à restreindre les zones où on peut fumer, et maintenant, nous voyons que cela se fait ailleurs. Lorsque que je suis arrivé au Sénat en 1977, les gens fumaient encore dans les salles de réunion des comités, alors qu'aujourd'hui, on ne peut fumer nulle part dans un édifice gouvernemental. Encore aujourd'hui, il y a des jeunes qui ont à peine 13 ans qui ont des enfants et qui fument en même temps. Il devrait y avoir plus de publicités comme celles des autocollants. Comment cela fonctionne-t-il?

Dr Cushman: C'est la copie française que j'ai avec moi, mais essentiellement, cela dit: «Voulez-vous faire de votre établissement un lieu sans fumée?» C'est ce que nous distribuons.

Comme j'ai déjà passé un hiver dans le Grand Nord, je sais un peu de quoi vous parlez. C'est un point intéressant, car dans le Grand Nord, c'est presque comme si le tabagisme, ayant commencé plus tard, finira donc plus tard. Cela confirme ce que le sénateur Kenny a dit plus tôt, c'est-à-dire que chaque collectivité doit adapter son approche à ses besoins particuliers.

Le sénateur Cochrane: J'ai appris ce soir des choses sur les maladies attribuables à la cigarette. Je ne savais pas du tout que l'ostéoporose, les cataractes et même le diabète y étaient liés. Comment en êtes-vous arrivés à déterminer que le tabagisme causait le diabète?

Dre Ferrence: Cela ne provient pas de mes recherches à moi. Cela vient des recherches réalisées en Amérique du Nord et dans d'autres pays. Le tabagisme n'est pas la seule cause de ces maladies, mais c'est un facteur dans nombre d'affections, dont le diabète. C'est un facteur probable à cet égard. Nous savons que les diabétiques présentent un taux nettement plus élevé de maladies du coeur et de problèmes de circulation de tous ordres, et que le fait de fumer exacerbe cela et aggrave toutes les affections connexes. Je n'ai pas apporté avec moi ce soir des documents sur toutes ces recherches, mais il existe des données confirmées au moyen de diverses études médicales en rapport avec cela.

Le sénateur Cochrane: Vous disiez que les cigarettes les moins onéreuses se trouvent en Ontario et au Québec. Avez-vous eu l'occasion d'étudier le cas des autres provinces? Est-ce que le nombre d'enfants qui fument augmente parce que les prix sont moins élevés là que dans les autres provinces?

Dre Ferrence: Il n'est pas aussi facile qu'on le croirait de répondre à cette question, parce que les modèles économiques sont très forts. Tout de même, ils posent tous en postulat que les résultats sont valables «toutes choses étant égales par ailleurs». Bien sûr, dans le vrai monde, les choses ne sont pas égales par ailleurs. La contrebande est donc un problème variable d'une province à l'autre. En Ontario, par exemple, la stratégie de lutte au tabac est assez énergique, mais les différences sont nombreuses. Des recherches sont effectuées. Une des difficultés, c'est que nous n'appliquons pas un bon système de surveillance, de manière à établir des données mensuelles qui faciliteraient les mesures.

Le gouvernement fédéral n'a pas effectué d'enquêtes nationales entre 1991 et la période postérieure à la réduction des taxes en 1994. Nous étions vraiment défavorisés à cet égard. Nous effectuons donc diverses études, à partir de méthodologies différentes, pour essayer d'obtenir les données en question. Cela se révèle très difficile. Tout de même, les effets que nous voyons sont clairs. Durant les années 80, au moment où les prix ont augmenté, le tabagisme a diminué de 60 p. 100 chez les jeunes.

Il y a une documentation économique laissant voir les effets indéniables qui remonte à 50 ans.

Un des gros problèmes du tabac, c'est qu'il est trop bon marché. On peut acheter une cigarette pour 35 cents, même au Nunavut. Pouvez-vous imaginer une autre dose que l'on peut obtenir pour 35 cents seulement? On ne peut même pas s'acheter un café à ce prix. Le prix du tabac est beaucoup trop bas. Il faudrait que nous fassions monter le coût de façon très, très importante pour réduire le niveau de tabagisme au taux observé dans les pays où les gens n'ont pas les moyens de se payer des cigarettes. Ces gens-là fument deux ou trois cigarettes par jour parce qu'ils n'ont pas les moyens de s'en offrir plus. Alors qu'au Canada, les gens ont de la difficulté s'ils doivent réduire leur consommation quotidienne de 20 à 15 cigarettes, parce que le prix a augmenté. Nous n'avons pas du tout la bonne perspective.

La présidente: Votre exposé a été très instructif. Je me demande si vous pourriez nous laisser une part du matériel que vous avez apporté avec vous, par exemple les auto-collants. Nous vous en serions reconnaissants.

Nos prochains témoins sont les Drs Esdaile et Kuling.

Dr Peter Kuling, président, Comité directeur anti-tabac, Association médicale canadienne: Honorables sénateurs, je vous remercie de m'avoir invité à témoigner ce soir.

Originaire de la Saskatchewan, où j'ai grandi, j'ai exercé la médecine pendant une vingtaine d'années à Prince Albert, en Saskatchewan. J'ai emménagé récemment dans la région d'Ottawa. J'exerce maintenant la médecine familiale à Orléans, la médecine d'urgence à Perth et à Smith Falls; et je suis professeur adjoint en médecine familiale à l'Université d'Ottawa, où j'enseigne la médecine.

Au nom de l'Association médicale canadienne, je remercie le comité d'avoir invité l'Association à participer aux audiences sur le projet de loi S-20, Loi sur la protection des jeunes contre le tabac.

L'AMC, porte-parole de la profession médicale au Canada, a pour mandat de jouer un rôle de chef de file auprès des médecins et de promouvoir les normes les plus élevées de santé et de soins de santé pour les Canadiens. Pour le compte de ses membres et de la population canadienne, l'AMC exerce toute une gamme de fonctions, notamment favoriser l'élaboration de politiques et de stratégies de promotion de la santé et de prévention des maladies et des accidents.

Je représente devant vous aujourd'hui l'AMC à titre de président de son comité directeur anti-tabac. Je viens toutefois témoigner, ce qui est tout aussi important, à titre de médecin qui traite les victimes des effets de l'asservissement prolongé au tabac. Je vois personnellement les ravages que cette substance extrêmement dangereuse cause chez beaucoup de Canadiens et de membres de leur famille.

Depuis sa première mise en garde publique sur les dangers du tabac, en 1954, l'AMC et les médecins du Canada n'ont cessé de s'opposer à l'usage du tabac, de prévenir la population des dangers du tabac et de recommander diverses mesures législatives et réglementaires. Outre le travail quotidien de nos membres, qui aident leurs patients à cesser de fumer et les conseils à cet égard, l'AMC a participé à des projets destinés à fournir aux médecins des ressources pour les aider à conseiller leurs patients sur les dangers du tabagisme. Son activité a été reprise par les associations médicales provinciales et territoriales.

Depuis 1990, par exemple, le Programme anti-tabac des médecins de la Colombie-Britannique a distribué aux médecins de cette province des documents pour les aider à intervenir auprès de leurs patients qui fument. Les médecins du Manitoba dirigent une campagne visant à adopter un règlement qui interdirait le tabac dans les lieux publics à Winnipeg. L'association médicale des Territoires du Nord-Ouest travaille aussi à une stratégie de santé publique similaire.

En Nouvelle-Écosse, des médecins de famille participent à un projet du millénaire pour inciter les fumeurs à leur parler de leur habitude du tabac. Les médecins de l'Île-du-Prince-Édouard donnent chaque année de leur temps pour éduquer les élèves de 6e année aux dangers du tabac.

Les associations médicales de Terre-Neuve et du Labrador, de l'Ontario, de la Saskatchewan et de l'Alberta participent dans leur province à des coalitions contre le tabac.

Dans ses efforts d'intervention contre le tabagisme, l'AMC a collaboré et continue de collaborer de près avec ses associations provinciales, ainsi qu'avec d'autres associations et groupes des milieux de la médecine, dont certains ont déjà comparu devant le comité. Au fil des ans, l'AMC a aussi collaboré avec certains parlementaires, dont le sénateur Kenny, au sujet de la question du tabagisme.

L'AMC a suivi de près et a appuyé les efforts déployés par le sénateur Kenny pour présenter une mesure législative visant à réduire le tabagisme chez les jeunes du Canada. L'AMC a en fait appuyé la mesure législative que le sénateur a déjà présentée à ce sujet, soit le projet de loi S-13, Loi sur la responsabilité de l'industrie du tabac.

En ce qui concerne le projet de loi S-20, l'AMC appuie cette mesure législative comme moyen nécessaire de mettre en oeuvre des programmes disposant d'un financement soutenu et important afin de réduire le tabagisme, particulièrement chez nos jeunes. L'AMC appuie aussi l'esprit de cette mesure législative qui imposerait à l'industrie du tabac un droit devant servir à financer les programmes anti-tabac. En 1999, l'AMC a aussi recommandé un régime semblable qui aurait affecté 0,6 cents par cigarettes vendues à un fonds destiné à payer le coût de programmes anti-tabac auxquels des médecins du Canada participeraient, comme ceux que j'ai déjà mentionnés.

Pourquoi l'AMC appuie-t-elle une telle mesure et, par conséquent, le projet de loi S-20? C'est parce que des médecins du Canada comme moi constatent tous les jours le fardeau du tabagisme. Je pourrais vous demander de m'accompagner dans les rondes quotidiennes que j'effectue à l'hôpital et, dans toutes les salles, vous montrer des exemples des ravages imputables au tabac. Il suffit d'entrer à l'hôpital et de se rendre à la salle d'urgence.

Vous verriez des enfants asthmatiques dont la maladie est aggravée par la fumée secondaire et des personnes atteintes d'une maladie pulmonaire en phase terminale qui éprouvent de la difficulté à respirer. Je pourrais aussi vous faire visiter les salles d'accouchement, où des femmes donnent naissance à des enfants de très petit poids qui ne connaîtront pas un bon départ dans la vie.

Je pourrais aussi vous faire visiter l'unité des soins intensifs, où le patient qui est victime d'un infarctus du myocarde de fraîche date imputable au tabac lutte pour sa vie. Je pourrais enfin vous faire visiter l'étage des salles d'opération, où j'ai affaire à un patient atteint d'un cancer du poumon qui attend une intervention chirurgicale et dont la vie risque d'être interrompue.

Je pourrais poursuivre longtemps. Dans mon travail de tous les jours, je pourrais vous montrer, étape par étape, les effets du tabac, qui sont omniprésents.

Pour certains, les questions de tabagisme sont devenues extrêmement complexes. Cependant, un fait demeure très clair et simple: le tabac tue. En fait, il tue chaque année plus de 45 000 Canadiens. Un fumeur sur deux au Canada meurt prématurément des effets directs de son habitude. Étant donné que beaucoup de personnes atteintes d'une maladie liée au tabac n'en meurent pas, les statistiques sur la mortalité sous-évalue énormément le véritable fardeau des souffrances imputables au tabac au Canada.

La liste des maladies associées au tabac ne cesse de s'allonger. Nous savons depuis presque 50 ans que le tabac est à l'origine du cancer du poumon. Toutefois, nous savons aussi maintenant qu'il y a une association entre le tabac et le cancer de la bouche et des gencives, de la vessie, de la tête et du cou. Les recherches nous indiquent aussi que le tabac est lié au cancer du côlon et du col de l'utérus.

Le tabac est aussi une des principales causes des cardiopathies. C'est un fait établi. Il compte également parmi les principales causes de nombreuses affections respiratoires dont l'emphysème. Les scientifiques découvrent continuellement de nouveaux liens entre le tabac et la maladie. Les études ont permis d'établir un lien entre le tabac et la néphropathie de Berger, terrible maladie qui, chez les hommes jeunes, cause la gangrène et peut entraîner une amputation des doigts et des orteils. Les liens entre le vieillissement prématuré et l'impuissance sont également connus.

On n'a pas à fumer pour souffrir des effets néfastes du tabac. Comme je l'ai déjà dit, les enfants nés de mères qui ont fumé pendant leur grossesse sont plus à risque d'avoir un faible poids à la naissance. On a associé la fumée secondaire à des cardiopathies et à des maladies pulmonaires. Chez les enfants, la fumée secondaire aggrave les risques d'infections respiratoires et d'asthme.

Le tabagisme est aussi responsable -- je le constate à la salle d'urgence -- de 25 p. 100 des décès et d'un nombre incalculable de blessures attribuables à des incendies domestiques. Ce sont des statistiques que nous avons tendance à oublier.

Ce fardeau s'accompagne d'un prix élevé. Selon les estimations, le tabagisme entraîne chaque année au Canada des dépenses directes de 3 milliards de dollars en soins de santé et des dépenses supplémentaires indirectes de 8 milliards de dollars causées par l'invalidité et l'absentéisme.

L'Institut national du cancer du Canada prévoit que le nombre total de nouveaux cas de cancer augmentera de 70 p. 100 d'ici 2015, sollicitant davantage la capacité du système public de santé du Canada déjà menacé.

Plus préoccupant est le fait que, malgré nos efforts à l'échelle nationale, le nombre de jeunes fumeurs augmente. En 1997, 29 p. 100 des adolescents au Canada fumaient, par comparaison à 21 p. 100 en 1990. Cette statistique signifie que des milliers de jeunes Canadiens s'exposent maintenant aux risques d'une maladie grave ou d'un décès prématuré.

C'est pourquoi l'AMC appuie non seulement le projet de loi S-20, mais un éventail complet de mesures visant à décourager le tabagisme au Canada. Ces mesures viseraient aussi à restreindre la publicité sur le tabac et la promotion de ces produits, à interdire la vente des produits du tabac et à réduire le volume des ingrédients toxiques contenus dans le tabac.

L'AMC appuie avec joie de récentes mesures fédérales anti-tabac, notamment les mesures proposées récemment par Santé Canada afin d'imprimer sur les paquets de cigarettes des avertissements percutants sur la santé et de renforcer les exigences relatives aux rapports exigés de l'industrie du tabac, sans oublier les prix élevés du tabac et les taxes importantes qui les frappent. On considère en fait que les prix élevés des cigarettes constituent un moyen puissant de dissuader les jeunes de fumer.

Pour les médecins, le fardeau du tabagisme dépasse les risques et les statistiques. Nous traitons les gens derrière les statistiques. Nous voyons les souffrances physiques et mentales que ces maladies causent aux patients et aux membres de leur famille. Ce sont nous, les médecins du Canada, qui devons faire face aux Canadiens et leur dire qu'ils vont mourir, et non les membres de l'industrie du tabac.

Les médecins et les autres professionnels de la santé jouent un rôle important en aidant les fumeurs à s'affranchir. Les données probantes montrent que même une brève rencontre avec un professionnel de la santé augmente considérablement le taux d'abandon du tabac. De façon générale, les Canadiens consultent leur médecin de famille au moins une fois par année et voient en lui la source la plus crédible d'informations sur la façon de mener une vie saine.

J'ai présenté un bref aperçu de certains des programmes auxquels les médecins participent pour conseiller les fumeurs actuels et éventuels. Le financement affecté à un grand nombre de ces programmes n'est toutefois pas viable, et c'est pourquoi beaucoup de ces programmes qui connaissent un franc succès risquent de disparaître bientôt. L'AMC est d'avis que ce qu'il faut pour assurer la viabilité de ces programmes, c'est un financement généreux et soutenu. L'AMC serait la première à admettre que de tels programmes exigeraient un engagement financier généreux et soutenu.

Les Centers for Disease Control des États-Unis recommandent de consacrer au moins 5 $ US par habitant à des programmes intégrés de lutte contre le tabac, soit 200 millions de dollars par année au Canada. Pour une population comme celle du Canada, on recommande de consacrer entre 9 $ et 24 $ par habitant aux mesures anti-tabac. Le Canada dépense actuellement 0,66 $. Il est clair que nous pouvons faire mieux.

En 1997, le Parti libéral du Canada a promis de doubler le financement affecté aux programmes anti-tabac pour le faire passer de 50 à 100 millions de dollars en cinq ans et d'investir les fonds supplémentaires dans des programmes de prévention du tabagisme et d'abandon du tabac qui s'adresseraient aux jeunes.

L'AMC a déjà affirmé qu'elle souhaitait que le gouvernement s'engage officiellement à investir ce montant, mais nous croyons que des programmes vraiment efficaces de prévention du tabagisme et d'abandon du tabac exigent un engagement financier plus important et plus permanent.

Le droit de 0,75 $ par cigarette que l'on propose de percevoir dans le projet de loi S-20 produira au total 360 millions de dollars par année qui pourraient servir à un éventail complet de programmes visant à détourner les jeunes du tabac. Même si ce montant nous rapproche de la plage recommandée par les CDC, il représente une faible fraction seulement des 3 milliards de dollars que le tabagisme coûte au système de santé.

Les statistiques indiquent que des programmes anti-tabac musclés donnent des résultats. Les États de la Floride, de la Californie et du Massachusetts ont mis en oeuvre des campagnes musclées et dotées d'un financement solide pour prévenir le tabagisme chez les jeunes. Les sondages indiquent que même si les taux de tabagisme chez les adolescents aux États-Unis ont grimpé ou sont demeurés stables au cours des dernières années, ils ont diminué considérablement entre 1998 et 1999 en Floride, qui a enregistré la baisse annuelle la plus importante signalée aux États-Unis depuis 1980. La Californie et le Massachusetts ont enregistré des résultats semblables.

L'AMC aimerait constater une baisse semblable chez les adolescents du Canada et une diminution concomitante des maladies et des décès liés au tabac. Le tabac est la principale cause de maladies et de décès évitables au Canada. L'AMC exhorte le gouvernement du Canada à s'y attaquer avec l'énergie justifiée par le fardeau que le tabagisme impose à la population du pays.

Dr David Esdaile, vice-président, Médecins pour un Canada sans fumée: Je pratique la médecine familiale à Ottawa. Notre groupe a pour seul et unique but de réduire et de prévenir les terribles ravages causés par le tabac, lesquels se mesurent en problèmes de santé et en décès.

Sur le plan plus personnel, je suis père de deux enfants âgés de 14 et 16 ans. Je tiens à faire en sorte qu'ils se tiennent loin du produit dont nous discutons aujourd'hui.

On a fait état ici de chiffres astronomiques. Je tiens à être bref et à limiter le plus possible le nombre de détails: le nombre minimal de décès est probablement de 45 000, dont 17 700 imputables au cancer, 17 500 à des maladies cardiaques ou cardiovasculaires et enfin, un peu moins de 10 000 à des affections pulmonaires.

On vous a dit que, chez les femmes, le nombre de décès causés par le cancer du poumon est aujourd'hui nettement supérieur à celui des décès imputables au cancer du sein. C'est une tragédie dont nous commençons tout juste à mesurer l'ampleur. Chez les hommes, le nombre de décès causés par le cancer du poumon est aujourd'hui supérieur à celui des décès causés par les cancers de la prostate, du côlon, du pancréas et de l'estomac réunis.

À titre de médecin de famille, j'ai le douteux «privilège» de voir ces chiffres traduits par des personnes en chair et en os. Leurs larmes sont réelles. Leurs angoisses sont réelles. Sinon, ce sont des personnes comme vous et moi. Le seul problème qu'ils ont, c'est qu'ils se sont accoutumés au tabac et à la nicotine quand, dans presque tous les cas, ils étaient encore enfant. La plupart d'entre eux sont incapables de renoncer. Certains y sont parvenus, mais, ce qui peut être encore plus triste, il était déjà trop tard.

Je pratique la médecine depuis maintenant 25 ans. Lorsque j'ai commencé à réfléchir à ce problème, j'ai compris que le visage et le nom de ceux qui, au fil des ans, avaient succombé aux ravages du tabac, de maladies cardiaques ou de cancer, s'estompaient dans mon esprit -- et dans le siège de la mémoire, peut-être. Certains souvenirs sont plus douloureux que d'autres -- une maladie plus fulgurante ou une agonie plus particulièrement pénible.

Il existe de nombreux types de cancer -- de la gorge et de la vésicule biliaire et certains types de leucémie. Aujourd'hui, on associe même le cancer du sein à la fumée secondaire. Je ne travaille plus à la salle d'urgence. À l'époque où je le faisais, j'ai traité, la même année, sept victimes d'infarctus âgées de 27 à 37 ans. Deux d'entre elles en étaient à leur deuxième infarctus. Chez la totalité d'entre elles, le tabagisme était le seul facteur de risque. Elles ne fumaient pas plus que les autres; elles fumaient un point c'est tout.

Outre ma pratique générale, j'ai aussi travaillé dans une clinique de dépistage du cancer du sein. Je me souviens bien du cas d'une femme. Elle n'avait que 30 ans lorsque nous avons diagnostiqué un cancer du sein dont le pronostic était, oserais-je le dire, «favorable». La tumeur n'était que de 5 mm, soit moins de 1/4 de pouce. Tout laissait croire à une survie prolongée, avec une probabilité de plus de 95 p. 100.

Pendant que je la suivais, je l'ai pressée de faire une chose, soit cesser de fumer. Elle en a été incapable. Dix ans plus tard, soit à l'âge de 40 ans, elle est morte d'un cancer du poumon, maladie qui n'avait aucun lien avec le cancer du sein diagnostiqué quand elle avait 30 ans.

Nous sommes chaque jour confrontés à ce problème. La moitié des fumeurs mourront des suites de leur accoutumance. Il s'agit d'un chiffre admis par l'Organisation mondiale de la santé. Ce qu'on n'a pas dit, c'est que la moitié d'entre eux mourront à l'âge moyen. La perte d'espérance de vie moyenne par patient est de 23 ans. Or, il ne s'agit que d'une moyenne. Si un patient perd 13 ans d'espérance de vie, un autre perd 33.

Il y a environ un mois, j'ai traité une femme un peu plus âgée, chez qui on avait diagnostiqué un cancer du poumon. Comme bon nombre de personnes atteintes d'un cancer du poumon, elle est inopérable. Il n'y a pas de chirurgie possible. La patiente devra maintenant subir ce que je considère comme les «affres» de la chimiothérapie. Je répugne à utiliser un tel mot, mais il est difficile de faire autrement. Sa maladie l'emportera assez rapidement. L'ironie, dans son cas, c'est qu'elle a cessé de fumer il y a dix ans. Elle souffre malgré tout d'une maladie de fumeurs.

Il faut faire en sorte que le message porte. La dynamique du cancer ne prend pas fin du seul fait que la personne a cessé de fumer. Il arrive souvent que les modifications malignes et génétiques qui sont à l'origine du cancer se poursuivent. Souvent, l'emphysème et les affections pulmonaires chroniques évoluent. On aura beau cesser de fumer, la maladie, une fois établie, ne fera que s'aggraver. Si, en cessant de fumer, on diminue les risques de maladie cardiaque, on est loin de pouvoir annuler à 100 p. 100 les torts subis par le coeur.

Les personnes dont nous parlons doivent rentrer à la maison et annoncer la nouvelle à leur conjoint et aux membres de leur famille. Lorsqu'elles sont atteintes d'un cancer du poumon, en particulier, elles doivent annoncer que leurs jours sont comptés. Elles avaient fait des projets d'avenir, lesquels se sont évanouis. Elles avaient des rêves, lesquels ont été relégués aux oubliettes. Après une vie de dur labeur, elles s'étaient peut-être dit qu'elles allaient enfin avoir le temps de s'amuser. Elles n'en auront pas le loisir.

Ce que nous disons, c'est qu'il s'agit de personnes en chair et en os. Ce sont vos voisins et les miens. Elles font partie de ma famille et, probablement de la vôtre.

Dès 1971, le gouvernement fédéral, étudiait, dans le cadre du projet de loi C-248, la possibilité de restreindre les activités promotionnelles et d'imprimer des avertissements sur les paquets de cigarettes. Comme ça a souvent été le cas dans les questions relatives au tabac, le projet de loi est mort au feuilleton.

Le moment venu d'apporter des modifications aux codes volontaires, l'industrie a eu recours aux mesures dilatoires classiques. Les gouvernements ont changé. Les projets de loi ont fait l'objet de pressions politiques, comme le sénateur Kenny l'a mentionné. Il s'agit, nous devons tous en convenir, d'un enjeu non partisan.

Nous sommes tous d'accord pour dire que les enfants ne devraient pas fumer. Sachant ce que nous savons aujourd'hui, nous devrions tout mettre en oeuvre pour empêcher les enfants de fumer. L'industrie du tabac elle-même a pris publiquement position en ce sens.

Les tentatives du passé -- voilà le message le plus important -- ont avorté ou, dans le meilleur des cas, donné des résultats imparfaits.

Récemment, j'ai lu un magazine dans lequel on affirmait que les mêmes actions produisent invariablement les mêmes résultats. Si les mesures que l'on prend ne donnent pas les résultats escomptés, on doit faire autre chose.

Il est clair et facile à admettre que nos tentatives du passé n'ont pas donné de bon résultats. Nous avons permis à l'histoire de se répéter. De génération en génération, on s'accoutume au tabac. Or, il s'agit d'un produit dangereux, comme le montrent les signaux d'alarme qui nous proviennent depuis de 30 à 40 ans.

Le projet de loi S-20 est précisément l'atout qui nous manquait. Il n'est pas révolutionnaire, en ce sens que bon nombre des mesures qu'il renferme ont fait leurs preuves en Californie. Au Canada, c'est du nouveau. Les dispositions du projet de loi nous donnent la possibilité de faire sortir la question du tabac de la scène de la politique partisane, où on est fondé à affirmer qu'elle n'a rien à voir. Le projet de loi confère aux problèmes du tabagisme l'importance qu'ils méritent de toute urgence dans l'ordre de priorité.

Le projet de loi est extrêmement bien réfléchi et organisé. Il fait sortir le tabac du débat partisan, où il «prospère» depuis 30 ans. Au Canada, l'industrie du tabac fait des affaires d'or. Les limites imposées aux frais administratifs sont excellentes. Les sommes réservées à l'évaluation sont absolument essentielles, et le fait que les rapports seront examinés par le vérificateur général et soumis périodiquement au Parlement est critique.

Compte tenu des garanties mises en place, le projet de loi affecte à la protection des jeunes des ressources dont les niveaux commencent essentiellement à se rapprocher du minimum que recommandent les Centers for Disease Control. Le principal point fort du régime proposé dans le projet de loi est qu'il a été éprouvé en Californie, où il a obtenu un succès retentissant.

Le taux de tabagisme chez les jeunes observé en Californie, soit 10 ou 11 p. 100, compte parmi les plus bas en Amérique du Nord tandis qu'au Canada, il s'établit à environ 29 p. 100. Le Dr Cushman a laissé entendre que les chiffres sont en réalité beaucoup plus alarmants. D'un point de vue médical, je vous prie instamment de donner votre appui au projet de loi.

Le sénateur Kenny: Ma question s'adresse à vous deux. Vous avez décrit votre expérience à titre de médecins, appelés à rencontrer des patients en face à face. Vous nous avez dit qu'il s'agit de la principale cause de maladie évitable et qu'elle touche presque toutes les familles du Canada. Étant donné les traumatismes et la douleur que subissent les personnes atteintes d'une maladie liée au tabac, pourquoi ne réagissent-elles pas davantage? Comment expliquer que les personnes qui viennent devant le Parlement pour parler de ces questions ne soient pas plus nombreuses? Comment expliquer que la question du tabac ne figure pas en meilleure place dans l'ordre de priorité des politiciens?

Dr Esdaile: Je ne sais pas s'il y a une réponse facile à votre question. Celle qui s'impose en premier lieu est que rares sont les personnes qui souhaitent comparaître devant un aréopage aussi auguste.

On a déjà abordé bon nombre de problèmes relatifs au tabac, dont le décalage temporaire distinct qui sépare le début de l'utilisation du tabac et la mort éventuelle du fumeur n'est pas le moindre. Parfois, cette période n'est pas si longue; souvent elle l'est. Comme je l'ai indiqué, il arrive fréquemment que la personne qui meurt ne fume plus. Souvent, on n'est pas en mesure d'imputer aussi clairement le décès au tabac. Il ne fait aucun doute que, à titre de médecins, nous acceptons sans réserves qu'il s'agit d'une maladie et d'une accoutumance pédiatriques. Les enfants s'accoutument au produit et ils y restent accrochés toute leur vie durant. Lorsqu'ils en viennent à l'âge adulte, on ne leur dit pas que leur accoutumance remonte aux jours de leur enfance. On leur dit: «Vos poumons sont dans un état déplorable. Votre circulation sanguine est dans un état déplorable. Pourquoi n'avez-vous pas cessé de fumer?» À la faveur de ce qui se dit autour d'eux et dans les médias, les fumeurs éprouvent un sentiment de culpabilité considérable. Ils doivent fumer à l'extérieur. Ils ont beau savoir qu'il s'agit d'une habitude néfaste, ils continuent de fumer, malgré leurs enfants. Ils se sentent coupables. Les fumeurs qui tombent malades n'ont pas vraiment envie de se mettre à l'avant-plan; ils ont le sentiment d'avoir payé le prix ultime.

Je me souviens d'une personne en chair et en os. Souvent les fumeurs sont entourés de fumeurs. Le sénateur Adams a fait allusion à son peuple. Environ 72 p. 100 des Inuits fument. Les chiffres constituent des enjeux culturels absolument critiques. Il suffit qu'une personne fume pour que l'autre fasse de même. Les sommes par habitant que l'industrie du tabac consacre à la promotion de ses produits sont trois fois plus importantes au Québec que dans les autres provinces. Si, au Québec vous fumez, il y a de bonnes chances pour que vos amis, les membres de votre famille fassent de même. Et ainsi de suite. Si vous êtes médecin et que vous avez 60 ans, il y a peu de chances pour que vous fumiez, et il en va de même pour vos amis.

Peu de temps après mon établissement à Ottawa, j'ai reçu, à un moment où j'étais de garde, un coup de fil de la part d'une femme qui n'était pas ma patiente. Elle devait avoir 65 ans et se mourait d'un cancer du poumon, avec des métastases osseuses. Elle n'était pas à la fête. Elle souffrait horriblement et était branchée à une pompe à morphine. Tard un soir, un des membres de sa famille m'a téléphoné pour me demander si je pouvais faire quelque chose. Je ne la connaissais pas, et je ne connaissais pas les membres de sa famille. Ils n'en ont rien su, mais, à mon entrée, je suis tombé sur les garçons qui, une cigarette à la main, regardaient le hockey à la télévision, pendant que maman, dans sa chambre, agonisait à la suite d'une maladie liée au tabac. Personne n'a fait le lien.

Ce n'est pas en diffusant une chansonnette sur une chaîne spécialisée pour les enfants -- comprenez-moi bien, je ne m'y oppose pas -- qu'on parviendra à toucher ces personnes. Il faut réitérer le message. Inutile de chercher à rejoindre les personnes qui ne fument pas. Ce qu'il faut, c'est toucher celles qui sont difficiles à atteindre. Les personnes qui ont une identité culturelle différente, celles qui ne fréquentent plus l'école, et enfin, celles qui sont sans emploi. Pour les atteindre, on doit miser sur des fonds et des programmes particuliers.

Pour répondre à votre question, j'invoquerais donc le temps et la culpabilité. Seulement, les intéressés ne font pas le lien. Même s'ils le faisaient, ils ne prendraient pas la parole. La plupart des maladies du tabac -- l'emphysème chronique excepté -- tuent assez rapidement. Il y a peu de chances pour que les personnes qui subissent un infarctus ou un deuxième infarctus militent vigoureusement contre le tabac, pas plus que celles qui sont atteintes d'un cancer du poumon inopérable.

Dr Kuling: Je suis d'accord avec mon collègue. Les personnes atteintes d'une maladie liée au tabac, ou aux prises avec les ravages qu'elle produit, sombrent dans l'apathie. Il s'agit d'une accoutumance et d'un mode de vie qui remontent à très longtemps, et les personnes qui luttent contre la maladie sont si occupées à le faire qu'elles n'ont pas le temps de militer pour dissuader les jeunes de commencer à fumer.

Sénateur Kenny, votre question est intéressante. Il est clair qu'un plus grand nombre de personnes ayant été témoins de ces maladies et de la dévastation qu'elles ont fait subir à leur famille devraient prendre la parole. Pour une raison ou pour une autre, on sombre dans l'apathie, et on se résigne à l'idée que les proches qui succombent à leur accoutumance ne font qu'éponger la facture. En phase terminale, on essaie simplement de préserver la meilleure qualité de vie possible.

La présidente: Aux États-Unis, c'est une célébrité qui a été atteinte du cancer -- j'ignore si la maladie était imputable au tabagisme -- qui, grâce à sa crédibilité, fait figure de champion auprès des personnes qui renoncent à fumer.

Le sénateur Adams: Qu'importe le nombre de personnes qui meurent ou qui tombent malade, les fumeurs ne semblent pas arriver à se convaincre que la cigarette est nuisible. J'ai déjà fumé, mais pas beaucoup. Je prenais une cigarette quand j'étais à la chasse ou quand je sirotais une tasse de thé chaud. Fumer à l'extérieur et fumer à l'intérieur d'un immeuble sont deux choses tout à fait différentes. Nombreux sont les habitants du Grand Nord qui boivent aussi. Souvent, ils boivent et fument en même temps. Vous êtes-vous intéressés à l'effet de l'alcool sur la nicotine? Certaines personnes ne boivent pas et fument à peine. De nombreuses personnes aiment siroter une bière en regardant un match de hockey à la télévision, tout en fumant.

Quand j'étais jeune, nous nous ennuyions terriblement. Cependant, nous n'avions même pas accès aux cigarettes. Le tabac, il fallait le couper à l'aide de son canif, le ramollir pour pouvoir le rouler et le fumer. Le plus souvent, les gens fumaient la pipe. Aujourd'hui, cependant, on peut partout se procurer des cigarettes. Dans les avions, on a maintenant interdit la cigarette. Je me souviens que, quand je voyageais et que quelqu'un s'allumait une cigarette derrière moi, j'étais irrité par la fumée secondaire que je devais inhaler.

On doit nous rappeler que 45 000 personnes meurent chaque année de maladies liées à la cigarette. Plus tôt, j'ai demandé au Dr Cushman de préciser comment on doit s'y prendre pour faire passer le message. Comment accroître le nombre d'interventions publicitaires de manière à convaincre un plus grand nombre de personnes à renoncer à l'usage du tabac? Dans le temps, les journaux et les magazines diffusaient des publicités de cigarettes. Aujourd'hui, de telles publicités ne sont cependant plus autorisées au Canada.

Dr Esdaile: Vous avez en quelques mots résumé à peu près tous les enjeux qui ont trait au tabac. Vous nous avez dit que vous associez, ou associiez, le tabac avec la chasse ou peut-être avec l'alcool ou encore simplement une sorte d'activité sociale. Naturellement, c'est ainsi que les compagnies de tabac vendent leurs produits. Elles ne peuvent le vendre pour ce qu'il est vraiment, c'est-à-dire une cause d'accoutumance qui sent mauvais. Si vous n'êtes pas accroché, le tabac vous donne la nausée; après, il rend malade, et à long terme, il tue la moitié des utilisateurs. Impossible donc de le vendre tel quel. On doit donc procéder par association. Ce détail n'a pas échappé à l'industrie du tabac. Elle excelle à ce jeu. Ce que ses représentants nous disent, c'est qu'il n'y a plus de publicité et qu'ils se limitent aux commandites. Comme on nous l'a indiqué plus tôt, cependant, les très jeunes enfants reconnaissent les commandites d'aujourd'hui. Ces commandites sont orientées vers le genre d'activités évoqué; la prise de risques, les sports, le mode de vie, la navigation de plaisance. Voilà comment les compagnies de tabac s'y prennent pour vendre leurs produits.

Je ne suis pas un spécialiste de la toxicomanie, mais nous en avons entendu un un peu plus tôt. À ma connaissance, il ne fait aucun doute que les personnes accrochées à un produit sont plus susceptibles de le devenir à un autre. Le principal problème est peut-être dû au fait que les personnes qui renoncent à fumer sont aussi celles qui sont le plus susceptibles de craquer, de perdre leurs inhibitions et de recommencer à fumer.

Quant à savoir comment décourager la prise de risques, je pense qu'on n'y arrivera jamais. C'est en répétant à satiété, en modifiant son approche et en parlant aux enfants dans leur propre langue, et non dans la vôtre, que vous y parviendrez. Cette rengaine, mes pauvres enfants l'entendent tous les jours. Et je ne fais pas que parler, j'exerce mon art sur eux. L'année dernière, mon fils de 14 ans s'est fracturé la colonne vertébrale et le poignet en faisant de la planche à neige, et il s'est démis la cheville en descendant une colline en vélo de montagne. Toutes ces blessures guériront; dans quelques années, il pourra en parler avec courage. Jusqu'ici, il compte encore parmi les non-fumeurs et j'espère qu'il en sera ainsi en permanence; dès qu'il courra ce risque, les conséquences le suivront pendant très longtemps.

Vous avez fait allusion à l'accessibilité du produit. Voilà l'un des principaux problèmes, c'est vraiment trop facile. S'ils ne sont pas en mesure de se procurer des cigarettes, les adolescents s'adresseront à des amis. Il ne fait aucun doute que l'extraordinaire accessibilité des produits du tabac compte parmi les problèmes les plus importants.

Dr Kuling: En vous entendant parler, sénateur Adams, je n'ai pas pu m'empêcher de penser à mes années de pratique à Prince Albert. Pas moins de 60 p. 100 de mes patients étaient autochtones. Les victimes les plus tragiques de l'industrie du tabac sont les enfants. Un peu plus tôt, j'ai fait allusion à un bébé de petit poids né dans une famille autochtone qui vit dans un logement insalubre, où par ailleurs, tout le monde fume. Lorsque ces enfants aboutissent à la salle d'urgence, je dois littéralement les hospitaliser à seule fin de les extraire de leur milieu enfumé et de les aider à guérir leur pneumonie. Déjà, ils souffrent de spasmes bronchiques, premiers signes d'asthme. Nous devons leur administrer de fortes doses de stéroïdes. Je vous parle ici d'enfants qui pèsent 5, 10, 15 livres au total. Vous avez beau les renvoyer à la maison, ils reviendront inévitablement. Il est généralement admis que les Autochtones souffrent déjà d'une prédisposition aux maladies pulmonaires, de sorte que les effets du tabac sur eux sont terribles.

Je me permets de vous souligner que nous avons ici affaire à des victimes de la fumée secondaire. Si vous pensez qu'il ne s'agit que de petits désagréments, détrompez-vous. Les effets sont dévastateurs. Pensez aux petits enfants de 10 ou de 15 livres à qui on doit, par voie intraveineuse, administrer des stéroïdes pour les soulager des spasmes qui secouent leurs voies respiratoires et qui, un masque sur le visage, inhalent le Ventolin qu'on leur administre dans l'espoir d'ouvrir leurs voies respiratoires et d'oxygéner les cellules de leur cerveau. C'est horrible. J'aimerais que les gens puissent faire de visu le constat de telles situations. Ayant pris conscience du problème, ils sentiraient l'obligation de faire quelque chose. Ils devraient devenir des artisans de la lutte contre le tabagisme. Ils devraient adopter une position ferme. C'est probablement une des raisons qui expliquent ma présence parmi vous ce soir.

Le sénateur Adams: Avez-vous en main une brochure contenant des informations sur les effets des différentes maladies? Avez-vous l'impression que le fait d'expédier un tel document dans tous les foyers donnerait des résultats, même modestes? Je reçois souvent de la publicité importune de la part du magasin local, mais je n'ai jamais reçu un dépliant anti-tabac qui serait envoyé dans tous les foyers.

Dr Esdaile: Ne pas montrer aux gens l'usage du tabac, ce serait leur faire une injustice. Voilà à quoi riment les mises en garde graphiques et les avertissements recommandés sur les paquets.

Ce que je crois, c'est que les enfants, dans un premier temps, devraient être dégoûtés, mais, comme c'est souvent le cas, ils passeront par-dessus leur dégoût, particulièrement s'ils sont déjà victimes de leur accoutumance. Voilà qui nous ramène à l'attaque à multiples volets. Il s'agit simplement d'un volet, à la fois appréciable et opportun. On met les gens au courant de la réalité. Pourquoi dit-on que le tabac est cause de cardiomyopathie? Qu'est-ce que ça mange en hiver? Qu'on leur montre la photo. Ne dit-on pas qu'une image vaut mille mots?

Ce qui, en Californie, a donné les résultats et fait la différence, c'est qu'on a procédé à une «dénormalisation», ce qui veut dire qu'on a singularisé l'industrie du tabac et montré qu'elle était néfaste. Certes, on a affaire à des femmes et des hommes d'affaires chevronnés, mais en pleine connaissance de cause, ils font la promotion d'un produit incroyablement dangereux. De façon très habile, on les a pointés du doigt dans des publicités accrocheuses qui ont donné à de nombreuses personnes, y compris les enfants, le sentiment de se faire rouler. S'il y a une chose que les enfants détestent, c'est bien de se faire rouler.

Dr Kuling: Il est certain que les enfants ont besoin d'informations. L'un des programmes les plus efficaces qu'il y ait à l'Île-du-Prince-Édouard est celui en vertu duquel des médecins donnent bénévolement de leur temps pour aller entretenir tous les élèves de la 6e année des dangers du tabac. J'ai moi-même des amis qui exercent la médecine dans cette province, et ils me disent que l'une des mesures qui ont le plus d'impact consiste à montrer des spécimens pathologiques de tissus pulmonaires humains, roses chez les non-fumeurs et noirs chez les fumeurs. La démonstration a eu tant d'effets sur les enfants qu'ils en ont parlé entre eux et ont pris fait et cause pour la lutte anti-tabac.

Voilà le noeud de ce dont nous parlons ce soir. Nous devons rejoindre nos enfants et les éduquer. Ce que le Dr Esdaile a fait avec ses enfants, nous devrions le faire dans toutes les familles du pays. Confions cette responsabilité aux enseignants à l'école ou aux parents à la maison. Voilà comment on peut éradiquer le problème. Voilà pourquoi, à mon avis, le projet de loi déposé par le sénateur Kenny aura l'effet attendu et fera bouger les choses.

La présidente: Vous avez fait allusion aux élèves de la 6e année. À votre avis, s'agit-il de l'âge optimal? À l'approche de l'adolescence, les enfants sont plus nonchalants et cyniques. En revanche, les enfants plus jeunes sont davantage susceptibles, à l'examen des faits, de conclure que ce n'est pas pour eux. Ils tirent une grande satisfaction de l'action. Croyez-vous qu'on aurait intérêt à débuter avant la 6e année?

Dr Kuling: Selon les médecins de l'Île-du-Prince-Édouard, la 6e année était le meilleur endroit où débuter. Je ne sais pas pourquoi ils en sont venus à cette conclusion, mais je suis d'accord avec vous. À mon avis, nous devons abaisser l'âge et «dénormaliser» le tabagisme auprès des enfants, afin qu'ils comprennent qu'il s'agit d'un comportement anormal et inapproprié.

Posons le problème sous un autre angle. Autrefois, on abordait le sujet de la contraception auprès de jeunes appartenant à des groupes d'âge donnés; de nos jours, on intervient de plus en plus tôt. En ce qui concerne le tabagisme, la 6e année ne me semble pas l'âge optimal. Je pense qu'on devrait intervenir beaucoup plus tôt.

La présidente: Nous vous sommes reconnaissants de votre témoignage d'aujourd'ui.

Le prochain groupe de témoins se compose du Dr Bonham, de la Société canadienne du cancer, de M. Tholl, de la Fondation des maladies du coeur du Canada et de M. Lépine, de la Coalition québécoise pour le contrôle du tabac.

Dr Gerry Bonham, consultant dans le domaine de la santé, Société canadienne du cancer: Madame la présidente, membres du comité, c'est pour moi un grand honneur que de participer au présent exercice. Je tiens à vous assurer qu'il s'agit pour moi d'un travail gratuit que j'effectue avec plaisir.

Bon nombre d'éléments importants sont ressortis pendant la période de questions. J'éviterai de les répéter, sauf pour souligner ce qui mérite de l'être. Je me concentrerai pour ma part sur l'organisation de bénévoles -- la Société canadienne du cancer --, dont je fais très activement partie depuis 10 ans. Une fois que le projet de loi S-20 aura permis de disposer de cette question, nous pourrons peut-être, ainsi que j'ai l'intention de le montrer plus tard, nous intéresser à d'autres sujets importants.

Dans le cas présent, nous avons affaire à un coût de renonciation; nous avons à juste titre l'obligation de nous attaquer au problème du tabac même si ce n'est pas la seule cause de cancer. J'y reviendrai peut-être un peu plus tard. D'abord, permettez-moi de vous dire que je m'intéresse depuis toujours à la question du tabac. La première mesure concrète que j'ai prise a consisté, en 1964 -- année du dépôt du célèbre rapport du Directeur du service de santé publique des États-Unis --, à faire de mon milieu de travail, où se retrouvaient 70 personnes, un environnement sans fumée. À ma connaissance, il s'est agi du premier milieu de travail sans fumée du Canada, et je suis très fier de cette réalisation.

Si, toute ma vie durant, je me suis battu contre le tabac, c'est en partie pour disculper mes parents, qui ont tout fait de travers. Ils m'ont élevé dans un milieu enfumé; pendant toute mon enfance, j'ai eu la respiration insuffisante et j'ai dû m'absenter de l'école à répétition. L'expérience n'a pas été des plus agréables. Pour couronner le tout, mes parents, qui vivaient dans la banlieue de Winnipeg, étaient les «trafiquants» du quartier -- en fait, ils avaient une distributrice de cigarettes dans leur salon. À ce propos, mes amis avaient l'habitude de dire: «Pas étonnant que tu te passionnes pour la question du tabac. Tu es gêné par ce que tes parents faisaient à Winnipeg, dans les années 30.» Naturellement, on était en pleine dépression, et des tas de gens allaient sonner de porte en porte pour installer dans les foyers des distributrices automatiques de cigarettes. Je me rappelle qu'elles se vendaient à dix pour 10 sous ou 25 pour 25 sous. J'en garde un souvenir d'enfance très riche.

Pendant ma carrière, j'ai fait office de médecin militaire à Calgary et à Vancouver. À l'Université de Toronto, j'ai participé à la mise sur pied d'une unité d'enseignement en santé publique à East York. J'ai également travaillé à Prince George et sur l'île de Vancouver. Où que je travaille, vers quelque endroit que je me tourne, la question du tabac venait au premier plan. Pour un médecin de santé publique comme moi, elle était inévitable, et j'ai dû m'y attaquer.

Je me souviens d'une époque où, chaque année, je présentais un bilan de santé aux citoyens de Calgary. Dans le bilan, j'énumérais les problèmes de santé par ordre d'importance. Naturellement, les maladies liées au tabac venaient en tête de liste lorsqu'il s'agit de maladies véritables auxquelles chacun devrait porter une attention particulière.

Plus récemment, je me suis intéressé aux règlements municipaux et, en particulier, aux problèmes auxquels la Commission des accidents du travail de la Colombie-Britannique s'est butée dans sa tentative de bannir totalement les produits du tabac des milieux de travail. Sénateur Adams, je vais répondre à la question que vous avez posée un peu plus tôt à propos de l'alcool et du tabac, parce que, sur ce plan, certains faits fascinants se font jour.

La Société canadienne du cancer compte 350 000 bénévoles. Il s'agit du plus important organisme de santé du Canada. À ce titre, la Société fait beaucoup pour soutenir les patients, recueillir des fonds et subventionner les activités de recherche. Tels sont les grands résultats finaux. Il y a quelque temps, la Société canadienne du cancer a créé à Ottawa le Bureau responsable des questions d'intérêt public, distinct du siège social de Toronto. On a effectué une répartition en éventail, et des représentants des provinces ont été dépêchés à ce comité national. Depuis quinze ans, je fais partie de l'exercice, qui a compté pour une grande partie de ce que je faisais. Même après ce qu'on a appelé mon «retrait» du domaine de la santé publique, je n'ai pu que continuer à m'intéresser à cette question, en raison de l'importance qu'elle revêt.

Il suffit de voyager pour constater la qualité du travail effectué par la Société canadien du cancer; je songe en particulier aux efforts déployés pour inciter les gens à éviter les coups de soleil et, ce faisant, à éviter les mélanomes et les cancers qui en découlent. D'autres personnes s'intéressent à la pollution de l'air et au lien qu'elle entretient avec le cancer. Jusqu'ici, on ne s'est pas encore intéressé avec sérieux au lien entre l'alimentation et le cancer. D'une certaine façon, notre organisme a été paralysé par le problème gigantesque et englobant que, avec un peu de chance, le projet de loi S-20 va régler.

Au cours de la séance, plus d'une expérience personnelle m'est revenue en mémoire. L'année dernière, j'ai perdu un ami très cher qui avait commencé à fumer à l'âge de 12 ans. Je l'ai vu mourir à petit feu, mais l'expérience était traumatisante. Ma femme a perdu sa meilleure amie, qui est morte d'un cancer du poumon à l'âge de 40 ans. Dès l'âge de 12 ans, elle était une fumeuse accrochée. Je suis certain que nous avons tous connu une expérience de ce genre. Les médecins qui faisaient partie du dernier groupe de témoins ont fait allusion à l'omniprésence du problème. Il est partout, et il incombe à chacun de nous d'y remédier.

Je tiens à dire un mot à propos de l'épidémiologie du cancer induit par le tabac. Il suffit de réduire les taux d'utilisation du tabac pour noter, 20 ou 30 ans plus tard, une diminution du nombre de cancers du poumon. C'est en Colombie-Britannique qu'on observe le plus bas taux général de prévalence du cancer au Canada de même que le plus faible taux de prévalence du cancer du poumon chez les hommes parce que, il y a de 20 à 30 ans, on s'est attaqué de façon plus efficace au problème.

Le régime de santé publique et les organismes de santé composés de bénévoles se sont attaqués plus vigoureusement au problème, et les résultats ont été à l'avenant. Avec la pénétration du tabac qu'on observe actuellement chez les jeunes, on assistera naturellement au phénomène contraire. Dans 20 ou 30 ans, en effet, nous constaterons une recrudescence.

Nous ne devrions pas nous en étonner. Après la Deuxième Guerre mondiale -- période au cours de laquelle nous devions par patriotisme expédier des cigarettes aux soldats qui se battaient sur le front -- on a, dans les années 60, noté une nette augmentation du nombre de maladies mortelles chez les membres du groupe.

Si le projet de loi S-20 est aujourd'hui important, c'est parce que nous avons perdu du terrain. D'autres en ont parlé. Nous devons regagner le terrain perdu et provoquer une recrudescence dans le sens contraire, un plafonnement dans 20 ou 30 ans. C'est ce décalage qui fait qu'on a du mal à prendre au sérieux la question du tabac.

Un autre problème tient au fait que certaines personnes qui sont davantage préoccupées par les questions relatives au mode de vie ont du mal à admettre qu'elles ont acquis une habitude malsaine. Elles se sentent un peu coupables à ce sujet. Il y a quelque temps, un de mes collègues m'a dit qu'il ne se souciait pas de la façon dont il allait mourir, à condition que ce ne soit pas d'une maladie évitable. C'est un héritage qu'il ne tenait pas à léguer. Il a été très convaincant.

On a dit que le taux de tabagisme des Inuits était de 72 p. 100, contre 56 p. 100 chez les membres des Premières nations. Les 360 millions de dollars prévus dans le projet de loi S-20 risquent de ne pas être suffisants. Comme le Canada compte un gouvernement national, dix assemblées législatives provinciales, trois gouvernements territoriaux, des régions, des centres régionaux, des collectivités locales, des organismes scolaires et de nombreux autres groupes, la tâche qui nous attend ne sera pas de tout repos. Compte tenu du degré de difficulté, la somme de 360 millions de dollars ne risque pas d'être excessive.

Certains de mes collègues de la Société canadienne du cancer et d'autres organismes de santé composés de bénévoles ont affirmé qu'on allait trop loin. Ce n'est pas mon avis. Nous avons désespérément besoin de ces mesures.

Nous devons nous pencher sur l'aspect politique du dossier. Certaines des sommes affectées à la lutte anti-tabac ont été récupérées. Il est inadmissible de reprendre de la main gauche ce qu'on a donné de la main droite. C'est pourtant ce qu'on a fait au cours des dernières années. Des décisions politiques ont été prises au mépris du bon sens.

Nous devons aussi faire face au pouvoir de l'industrie du tabac elle-même. Ses représentants ont recruté des députés, des sénateurs, un ancien premier ministre et même l'épouse d'un ex-premier ministre pour ajouter à leur énorme pouvoir. Ils ont aussi de l'argent pour faire des commandites et s'acheter des amis. Quand je vois une troupe de scouts se présenter à une réunion communautaire dans l'espoir d'obtenir des fonds de la part de l'industrie du tabac pour une activité récréative qu'ils organisent, je bous intérieurement. Le phénomène est omniprésent dans la société, des scouts jusqu'aux plus puissants politiciens du pays.

Nous ne devons autoriser aucune récupération. On ne devrait pas permettre à l'industrie du tabac de mettre l'entreprise à mal.

L'absence de liens de dépendance exigée par le projet de loi S-20 revêt une importance cruciale. En Australie, j'ai visité un centre qui mise sur un organisme indépendant. Les résultats sont probants. On a supprimé toutes les commandites de l'industrie du tabac.

Soit dit en passant, les intéressés estiment avoir fait une bonne affaire parce que la moitié des sommes liées à la commandite des compagnies de tabac va à la promotion du logo. L'argent n'est pas consacré aux manifestations elles-mêmes. D'après ce que j'ai appris, il reste de l'argent dans la caisse des commandites, et on envisage de le dépenser. Ainsi, le processus est dépolitisé.

Il y a quelque temps, j'ai appris que le gouverneur d'un État américain, où il n'y a pas d'indépendance, passait ses soirées à monter des messages télévisés pour les rendre acceptables sur le plan politique. Ce n'est pas ce que nous voulons. Nous ne voulons pas que notre ministre de la Santé occupe ses soirées de la sorte. La seule façon d'éviter ce genre de situation consiste à opter pour l'absence de liens de dépendance.

L'auteur d'un livre intitulé Cancer Wars affirme que l'incapacité de contrôler le cancérogène le plus meurtrier au monde sera un jour considérée comme la plus grave erreur de la politique du XXe siècle en matière de santé. Il avait raison. Ce «un jour» est déjà arrivé. Il avait tout à fait raison. On ne peut lui faire reproche de sa lecture de la situation.

M. William G. Tholl, directeur exécutif, Fondation des maladies du coeur du Canada: C'est un plaisir de témoigner devant un comité et d'entendre le Dr Bonham et d'autres avant lui parler avec enthousiasme des possibilités qui s'offrent à nous. Avec votre permission, je vais lire mon bref mémoire.

Je pense que le greffier a été informé de notre intention de présenter une courte vidéocassette à peu près aux deux tiers de mon exposé, à condition que cela vous agrée.

[Français]

Notre mission consiste à encourager l'étude, la prévention et la réduction des invalidités et des décès dus aux maladies du coeur et aux accidents cérébraux vasculaires. Ceci est accompli par la recherche, l'éducation et la promotion de modes de vie sains.

[Traduction]

Depuis quelques années, la Fondation joue un rôle de chef de file en plaidant en faveur d'une politique de la santé cardiovasculaire. À ce titre, elle joue un rôle important dans la lutte anti-tabac. La Fondation des maladies du coeur du Canada félicite les sénateurs Kenny et Nolin de leur deuxième tentative sur le front de la lutte anti-tabac. Nous sommes confiants que cette fois sera la bonne. Nous sommes très heureux de comparaître devant le comité.

Aujourd'hui, nous savons que le tabac, premier facteur de risque pour les maladies du coeur, n'a pas sa place dans un mode de vie propice à la santé cardiovasculaire. Voilà ce qui explique quelle importance que la Fondation des maladies du coeur du Canada attache au projet de loi S-20.

J'aimerais aborder brièvement trois sujets: l'obligation d'adopter rapidement le projet de loi, l'importance que revêt la consultation du secteur des bénévoles par l'intermédiaire du comité de surveillance proposé et, enfin, l'obligation d'accroître et de soutenir la capacité du secteur des bénévoles d'exécuter des programmes de lutte anti-tabac de première ligne.

Madame la présidente, le comité chargé de la santé cardiovasculaire est d'avis qu'il est essentiel qu'on fasse l'impossible pour réduire le facteur de risque le plus important et le plus évitable pour la santé cardiovasculaire, à savoir le tabagisme. Chaque année, les produits du tabac tuent 45 000 Canadiens. Ils tuent trois fois plus de Canadiens que les accidents de voiture, les suicides, l'alcool, les meurtres et le sida confondus. Les coûts pour la société canadienne se chiffrent à environ 15 milliards de dollars par année.

On sait que le tabagisme entraîne une augmentation significative de la prévalence de toutes les formes de maladies du coeur. Parmi les décès prématurés provoqués par les maladies liées au tabagisme en 1996, au Canada, les maladies cardiovasculaires comptent pour près de 39 p. 100, soit un total de près de 18 000 décès. Cependant, nous savons tous que la santé cardiovasculaire de la personne commence à s'améliorer dès l'instant où elle cesse de fumer, ce qui explique que notre perspective soit à maints égards différente des autres. En fait, une personne voit ses risques de subir un infarctus diminuer dans les 24 heures suivant l'abandon du tabac. En moins d'un an, le risque de maladies cardiaques que courent les personnes qui ont cessé de fumer est réduit de moitié par rapport aux fumeurs.

Madame la présidente, nous savons également que le gouvernement fédéral consacre chaque année 20 millions de dollars pour la lutte anti-tabac. Bien que considérable, cette somme est nettement insuffisante, étant donné la gravité du problème que représente le tabagisme au Canada.

Raison de plus d'appuyer le projet de loi et de partager l'espoir qu'il fait naître au sein de la collectivité.

Nous pensons que le projet de loi S-20 constituera un important instrument pour changer l'attitude des Canadiens vis-à-vis des produits et de l'industrie du tabac. Il s'agit d'un aspect important en ce sens qu'on révélera aux jeunes la véritable nature des initiatives publicitaires et promotionnelles dites axées sur le «mode de vie» menées par l'industrie du tabac. Nous savons qu'il est particulièrement utile de prévenir le tabagisme chez les jeunes étant donné que -- nous le savons aussi-les adolescents qui commencent à fumer le font habituellement pendant au moins 20 ans.

Il est particulièrement urgent d'intervenir lorsqu'on considère que l'usage du tabac chez les adolescents a crû depuis 1990 et que le tabagisme devient une habitude de plus en plus ancrée chez les jeunes. J'étais présent lorsque, plus tôt, on a posé une question sur la réduction ou l'augmentation du taux de tabagisme et d'autres facteurs de risques. Dans le cadre d'une enquête menée auprès des enfants de la génération du «baby boom» il y a quelques années, nous avons effectué certains travaux à ce sujet. Si le temps le permet, je dirai quelques mots à ce sujet plus tard.

De toute évidence, tuée dans l'oeuf, l'habitude du tabac chez les jeunes pourrait entraîner une nette amélioration de la santé publique à long terme au Canada. À cet égard, j'ai eu le plaisir de participer au processus de sélection des membres du Conseil consultatif des jeunes du ministre Rock, ce qui va dans le sens de l'article 18 du projet de loi. Je puis donner à ceux d'entre vous qui s'inquiètent parfois de l'avenir l'assurance que, à la lumière des 120 jeunes adultes que j'ai eu l'occasion de rencontrer et dont j'ai étudié le curriculum vitae, nous sommes entre bonnes mains. Ce sont là de jeunes Canadiens dévoués. J'ai été heureux d'assister à la nomination de 18 d'entre eux au Conseil consultatif des jeunes. Quoi de mieux pour choisir un chauffeur d'autobus compétent que les enfants qui seront conduits par lui?

Nous sommes fortement favorables à cette partie du projet de loi, et nous serons favorables à toute mesure visant à assurer une participation plus active des enfants à la définition des types de programmes susceptibles de donner des résultats.

Il est essentiel de miser sur la participation précoce, soutenue et significative du secteur des bénévoles par la mise au point d'une stratégie anti-tabac pour le Canada. À cette fin, nous attendons avec impatience la déclaration que fera plus tard cette semaine la ministre Robillard concernant les efforts conjoints visant à consolider les liens entre le secteur bénévole et le secteur public. À cet égard, nous pensons qu'il est important que le secteur bénévole soit consulté par le comité de surveillance proposé dans le projet de loi S-20, lequel comité aura pour tâche de contrôler la distribution des fonds alloués au projet. Il s'agit d'un élément tout à fait essentiel à la réussite. Ce n'est qu'en consultant les organismes bénévoles chargés de l'exécution des programmes de première ligne que nous parviendrons à être véritablement efficaces.

Honorables sénateurs, le projet de loi générerait les sommes dont nous avons besoin pour asseoir notre lutte contre le tabac et renforcer ses effets sur les jeunes. Contrairement à ce qu'ont laissé entendre certaines critiques, nous savons comment utiliser ces fonds à bon escient. Au niveau provincial, par exemple, nous tirons une extraordinaire fierté de la campagne anti-tabac que la Fondation des maladies du coeur de l'Ontario a récemment menée, en conjonction et en collaboration avec des collègues de la Société canadienne du cancer, grâce à une subvention du gouvernement de l'Ontario. Cette campagne d'une durée de 16 semaines et d'une valeur de 3,2 millions de dollars vise à transformer la perception de l'utilisation des produits du tabac, décrite comme socialement inacceptable. Elle cible les non-fumeurs ontariens, mais aussi ceux qui sont ou ont été touchés par les produits du tabac -- à savoir les 28 ou 29 p. 100 de «partisans de la liberté» qui continuent de juger acceptable qu'on fume autour d'eux.

Les annonces sont actuellement diffusées à la télévision, à la radio et dans les journaux des quatre coins de la province. Peut-être avez-vous vu récemment certaines de ces publicités à Ottawa. Nous avons reçu de nombreux commentaires positifs de la part du public à propos de la campagne, et, avec votre permission, je vais maintenant vous montrer deux brèves séquences.

[Présentation vidéo]

M. Tholl: Les membres du comité auront compris qu'il s'agit d'une approche nouvelle visant à rejoindre les Canadiens de façon indirecte plutôt que directe. Comme je l'ai indiqué, les réactions ont jusqu'ici été extraordinairement positives.

À ceux qui soutiennent que nous ne saurions pas comment utiliser d'importantes sommes d'argent, je mentionne que le coût annuel de la seule campagne ontarienne sera de plus de 10 millions de dollars. Si les résultats sont probants en Ontario, nous essaieront bien entendu de mettre en place un programme analogue dans l'ensemble du Canada. Le coût d'une telle campagne s'établirait à environ 30 millions de dollars par année. Et il ne s'agit là que d'une approche -- des plus efficaces à nos yeux.

Une fois de plus, j'insiste sur le fait qu'on a là une illustration de la force de la collaboration, c'est-à-dire un gouvernement provincial et deux organismes bénévoles qui travaillent la main dans la main et non dans un esprit de confrontation, en vue de l'atteinte d'un objectif commun. Or, nous avons en réserve d'autres programmes qui, croyons-nous, pourraient donner de bons résultats et qui, faute de fonds, ne sont pas exécutés. Récemment, nous avons une fois de plus collaboré avec un certain nombre d'autres organismes, notamment l'Association médicale du Canada, à une série de modules établis dans 5 000 cabinets de généralistes aux quatre coins du pays. Dans l'un de ces modules qui porte sur la consommation des produits du tabac et les cardiopathies, on trouve des documents faciles d'accès, à jour et conçus par un comité de spécialistes. Dès qu'elle aura été distribuée par ces 5 000 cabinets de médecins, l'information sera mise à jour tous les six mois. On pourra y accéder dans un site Internet interactif.

«Guidez vos passions vers un avenir sans tabac» est un autre exemple de programme analogue -- qui, une fois de plus, passe par les cabinets de médecins et les médecins. La recherche a été traduite dans quatre langues différentes aux fins des programmes d'abandon du tabac. La traduction la plus récente a été faite vers l'espagnol à l'intention du Chili. Une fois de plus, les seuls freins, dans de nombreux cas, sont les coûts des traductions.

Environ le tiers des jeunes nommés au Conseil consultatif des jeunes dont j'ai eu le plaisir d'examiner le CV, avaient suivi ce que nous appelons le «Fly Higher Program», l'un de nos programmes scolaires les plus efficaces qui vise les enfants âgés de 6 à 12 ans.

Voilà certains types de programmes offerts. Une fois de plus, les coûts qu'exige leur mise sur pied dans la collectivité sont loin d'être insignifiants. Nous nous plaisons à penser qu'il existe de nombreuses approches qui ont été éprouvées ou qui ont fait leurs preuves pour rejoindre les collectivités, pour peu qu'on nous fournisse les ressources nécessaires pour ce faire.

Récemment, les réductions budgétaires imposées par le gouvernement ont aggravé le problème. Nous pourrons en parler à une autre occasion, mais il est clair que la neige que le gouvernement fédéral pellette dans l'entrée des gouvernements provinciaux et que les gouvernements provinciaux pellettent dans celle des administrations régionales se retrouve au bout du compte dans celle des organismes de bienfaisance qui oeuvrent dans le domaine de la santé, sur lesquels on compte pour boucher les trous laissés par les gouvernements. Ce phénomène amplifie et exacerbe donc notre incapacité de mettre de tels programmes en application.

Madame la présidente, nous avons tiré des leçons de la Stratégie de réduction de la demande de tabac. Nous devons être efficaces et faire la preuve de l'efficacité de nos interventions. Le tout, c'est de faire bouger les choses. Nous savons que le contrôle et l'évaluation constituent d'importants volets de tout bon programme. Voilà pourquoi nous sommes particulièrement heureux de constater que le projet de loi S-20 prévoit et prescrit que, dans le cadre de tout projet, 10 p. 100 des fonds attribués soient dévolus à l'évaluation.

Avant de conclure, je me permets une digression. Je rentre tout juste d'une Assemblée mondiale de la Santé, où j'ai agi comme membre de la délégation représentant le gouvernement du Canada. Jamais je n'ai été aussi fier qu'au moment où, à Genève, nous avons été témoins de l'approbation d'une résolution visant l'adoption de la Convention-cadre pour la lutte antitabac. Il ne fait aucun doute que le monde voit dans le Canada un chef de file dans le dossier du tabac et de la Stratégie de réduction de la demande de tabac. Le projet de loi S-20 constituerait un ajout incroyable à tout cet arsenal de programmes. Le monde a à l'oeil le projet de loi à l'étude ainsi que d'autres projets de loi et initiatives du Canada. Lorsque le Canada a évoqué la nécessité d'établir une convention internationale sur la lutte anti-tabac, les représentants de 192 pays ont littéralement fait silence.

En conclusion, nous prions instamment le Sénat d'accélérer l'adoption du projet de loi S-20. La Fondation des maladies du coeur du Canada est convaincue que le projet de loi, une fois adopté, se révélera efficace dans le contexte d'une stratégie globale de lutte anti-tabac en permettant de combattre efficacement la pénétration du tabac chez les Canadiens. Nous sommes absolument résolus à continuer de tout mettre en oeuvre pour faire en sorte que l'autre endroit adopte le projet de loi sans délai.

[Français]

M. Gilles Lépine, porte-parole, Coalition québécoise pour le contrôle du tabac, Alliance pour la lutte au tabagisme de Québec et de Chaudière-Appalaches: Cela me fait grandement plaisir d'être ici aujourd'hui. Je tiens à féliciter les sénateur Kenny et Nolin pour leur travail et leur persévérance. Nous les appuyons dans leurs démarches visant la prévention de la consommation des produits du tabac chez les jeunes au Canada.

Je suis le directeur-général du Sport étudiant de la région de Québec et de Chaudière-Appalaches et le porte-parole de l'Alliance pour la lutte au tabagisme pour cette même région. Également, je suis représentant de la Coalition québécoise pour le contrôle du tabac.

Je vous avais préparé une présentation multimédia sur Power Point. Vous retrouverez donc dans vos dossiers une présentation couleur. Vous n'aurez pas le son, mais vous aurez tout de même l'image.

La Coalition québécoise pour le contrôle du tabac, dont je suis le porte-parole aujourd'hui, regroupe plus de 730 organismes, ce qui en fait la deuxième plus grosse coalition au monde, ce qui n'est pas peu dire. La mission de la coalition est de protéger la population de la fumée secondaire, prévenir l'adoption du tabagisme chez les jeunes, contrôler la mise en marché du tabac, favoriser la cessation chez les fumeurs qui le désirent et, enfin, instaurer des mesures d'appui à la loi. Ce sont des choses qui sont monnaie courante pour la coalition dans laquelle les 730 organismes ont tout à fait donné leur appui.

Plusieurs mesures ont été portées bien haut par la coalition. Plusieurs de ces mesures font effectivement allusion à ce que des fonds soient injectés pour la promotion et les recherches sur les causes du tabagisme, donc pour lutter contre le tabagisme.

Je passe à l'autre page qui propose «Une ère sans fumée!» et qui fait référence à cette alliance régionale que nous avons dans la région de Québec et de Chaudière-Appalaches. Elle regroupe plusieurs intervenants provenant du domaine de la santé et aussi du domaine de l'éducation. On n'en fait souvent qu'un problème de santé, mais le tabagisme est aussi un problème d'éducation.

Finalement, Sport étudiant de la région de Québec et de Chaudière-Appalaches, organisme dont je suis le directeur-général, regroupe 340 écoles de niveau primaire, 80 écoles de niveau secondaire, 12 collèges et l'Université Laval, tout cela pour 220 000 étudiants.

Depuis 21 ans, j'oeuvre auprès des jeunes. Depuis six ans, nous avons, dans la région, le dossier sur la lutte au tabagisme. Ma mission est de proposer aux jeunes une vie en santé et de les inciter à faire du sport. Lorsque nous atteignons 35 ou 40 p. 100 de jeunes qui font du sport dans les écoles, nous sommes satisfaits. Malheur pour moi, le loisir le plus populaire dans les écoles, présentement, est le tabagisme avec un taux de 38 p. 100.

Vous avez ici quelques images véhiculées dans les écoles. Entre autres, lorsqu'on dit que la cigarette tue, on parle bel et bien de 12 000 personnes qui meurent chaque année au Québec, 33 par jour, ce qui signifie plus d'une à l'heure. C'est énorme. Depuis qu'on a débuté la discussion aujourd'hui, trois personnes sont décédées au Québec à cause du tabac.

Vous avez un autre tableau <#0107> vous l'avez également en format graphique --, qui indique que le tabac est la cause de plus de décès que la route, le sida, la drogue, les suicides et les homicides. Imaginez la publicité que nous avons seulement sur le sida. Regardez la proportion de décès causés par le sida versus ceux causés par le tabac. Vous l'avez de façon évidente et très claire. À la page suivante, vous avez une image que nous véhiculons beaucoup dans les institutions, et qui illustre bien aux jeunes tous les produits toxiques qui émanent de la fumée du tabac. Cette image vaut 1 000 mots. Elle nous permet de réaliser ce que contient cette fameuse fumée. C'est un produit très nocif, mais c'est malheureusement un produit légal.

L'image suivante représente très bien ces jeunes qui, au coin de la rue, s'allument une cigarette pour paraître plus adultes, pour se donner cette belle image que nous projetons avec tant de fierté sur nos écrans de cinéma ou à la télévision. La nicotine est une drogue plus forte que l'héroïne et provoque le même type de dépendance que la cocaïne. Imaginez comment mes ventes iraient bien si j'ajoutais de la cocaïne dans la fameuse sauce du Big Mac!

Les jeunes fument davantage. Seulement au Québec, on en a beaucoup parlé. Plusieurs fois, suite à la baisse des taxes, le tabagisme chez les jeunes a doublé, donc victoire pour l'industrie du tabac. Ils ont réussi à augmenter leur taux de fumeurs de 18 à 38 p. 100. Bravo pour la mise en marché des industries du tabac! On peut les féliciter pour la façon dont ils l'ont fait mais, au bout de la ligne, il y aura davantage de décès reliés au tabagisme.

Les jeunes fument davantage. Encore une fois, il y a des images qui choquent, mais qui sont présentes. Au Québec, 13 p. 100 des jeunes de 11 et 12 ans fument. On a malheureusement une expression dans la région qui dit que c'est à l'été des 11 ans qu'il faut les avoir et que malheureusement à 13 ans, on les a perdus. Il est trop tard car après 10 cigarettes, les jeunes sont accrochés. Cela, les gens de l'industrie du tabac le savent.

Finalement, j'aborderai les points importants qui sont en relation avec le projet de loi S-20. On parle de l'argent du tabac. Si vous considérez que les jeunes sont des consommateurs -- parce qu'il y a des jeunes qui consomment, on vous l'a dit à plusieurs reprises --, les calculs nous amènent approximativement à 280 millions de dollars de vente par année aux mineurs. Donc les jeunes de 18 ans et moins consomment pour 280 millions de dollars de vente des produits du tabac. Considérez que le gouvernement fédéral met dans ses coffres plus de 80 millions de dollars de taxes de vente illégale, que plus de 50 p. 100 des dépanneurs vendent des cigarettes aux jeunes et que cela est toléré dans notre société. Nous empochons des taxes, comme gouvernement, provenant de jeunes qui n'ont pas le droit d'acheter le produit.

Pour moi, la publicité et la commandite sont les aspects les plus importants du projet de loi S-20. On a transformé dans les dernières années la publicité en commandite. C'est tout aussi fort, sinon meilleur. Les compagnies de tabac s'achètent une image corporative, il s'agit de mise en marché. On retrouve la publicité à gauche et la commandite à droite, c'est donc exactement la même chose. Seulement au Québec, on parle de 90 millions de dollars si on inclut la publicité et la commandite. Ces 90 millions sont saupoudrés sur sept millions de personnes. Il s'agit de 13 $ par habitant au Québec: les jeunes, les bébés naissants, les vieillards.

On a également parlé des montants investis ailleurs, par habitant, en comparaison des 65 sous investis au Canada, par habitant, pour lutter contre le tabagisme. On a le succès qu'on a bien voulu se donner. Si on a investi 65 cents par habitant, il est normal qu'on récolte ce que nous avons semé, surtout au Québec où 38 p. 100 des jeunes fument.

J'aime beaucoup cette image de Jacques Villeneuve. Vous m'emmenez à la guerre parce que je dois lutter quotidiennement contre le tabac, mais vous m'y emmenez avec un tire-pois contre un bazooka. Vous me donnez l'équivalent de 70 $ par école, soit 20 sous par jeune pour que la société s'achète une conscience et les gens de l'industrie du tabac, eux, y vont à coup de 13 $ par personne. Ils ont 1 300 sous, j'ai 20 sous et vous voulez qu'on s'achète une conscience avec cela? C'est cela le projet de loi S-20! Combattre le feu par le feu! Ou nous attaquons comme une firme de marketing, en professionnels, ou nous continuons avec de belles intentions de prédicateurs et là, c'est zéro.

À titre d'exemple, on a fait une étude auprès de 3 995 jeunes de niveau primaire de 10 à 12 ans.

On leur a demandé dans quelle discipline jouait leur vedette sportive favorite. Le hockey, bien évidemment, est mentionné en premier. Le hockey est une religion au Canada et au Québec. Le basket-ball occupait la troisième place avec pour vedette Michael Jordan, que tout le monde connaît. Les écoles ont toutes des équipes de basket-ball et on en retrouve à toutes les rues.

En deuxième position, avant Michael Jordan, c'est la course automobile. Je peux vous dire qu'en 21 ans de gestion sportive, je n'ai jamais organisé de ligue de Formule 1. Aucun modèle, aucun voisin ne fait de la course automobile. C'est un média extrêmement fort qui pénètre tous les foyers du Canada. Jacques Villeneuve est un véritable aimant agissant sur les jeunes. Sur son casque on peut lire «Fumer c'est bon, c'est Rothman».

Pour contrer le tabagisme, certaines actions ont déjà été entreprises. Personnellement, et parce que je suis du côté des sportifs, j'aime bien ce que les Australiens on fait. Ils ont renversé le gant en mettant sur pied le programme Quit qui, à mon avis, est fort intéressant. Imaginez Jacques Villeneuve en train de dire: «Boire du lait c'est meilleur» ou «Boire du lait, c'est bon», cela serait déjà un grand pas en avant. Au surplus, si vous me donnez un peu d'argent pour convaincre Céline Dion de dire qu'il faut arrêter de fumer, je ferai déjà passablement concurrence à Jacques Villeneuve.

Vous avez d'autres exemples d'actions à entreprendre. J'aime bien la publicité «in your face» parce qu'elle frappe avec éclat, elle renverse l'image de «Joe Camel» et attaque directement les dirigeants des compagnies de tabac.

La parodie est un élément extrêmement puissant. Avec un investissement minime, je peux détruire l'image de Joe Camel et, en l'occurrence, détruire l'image des compagnies qui investissent des millions dans la vente des produits du tabac.

Dans votre pochette, vous trouverez une image qui ressemble étrangement à une carte Pokémon. On a tout simplement copié le phénomène Pokémon en distribuant 250 000 de ces cartes dans la région et elles ont pris la place des cartes Pokémon. Au même titre que Nintendo, Pokémon est un phénomène. Des millions de dollars sont investis dans du marketing croisé. Il s'agit d'une technique de vente omniprésente.

Par exemple, je fabrique des cartes, je crée des bandes dessinées, je produis un film pour la télévision, j'affiche dans les journaux, je développe des programmes vidéo. Bref, je fais tout pour plaire à la cible: les enfants. On a payé des sociologues et des psychologues à coups de millions pour savoir ce qui faisait vraiment plaisir aux jeunes, ce qui les accrochait.

C'est ce que les gens de l'industrie du tabac font présentement. De son côté, le message des éducateurs et des médecins est trop sympathique, trop axé sur la santé. Il n'accroche donc pas autant le jeune. Des millions de cartes Pokémon sont vendues, non pas parce qu'elles véhiculent un message éducationnel, mais bien parce qu'elles ont su cibler la sensibilité et les goûts des jeunes.

Il faut s'attaquer à la vente du tabac de façon professionnelle et cesser d'agir en amateur. On a besoin d'argent pour le faire. Nous avons monté un spectacle multimédia qui a été présenté par de jeunes universitaires, alliant la musique rock et le théâtre. On a fait des présentations auprès de 2 000 jeunes et le spectacle avait pour thème le développement du cancer dans le poumon d'une fumeuse, le tout sur une musique très entraînante. Dans bien des cas, le message a porté fruit et bien des professeurs se sont embrigadés dans la lutte contre le tabac.

On a des faiblesses mais on a des forces. Notre force, entre autres, c'est la permission qu'on a d'aller dans les écoles. Règle générale, les enseignants et les médecins sont de notre côté. Il est donc possible de véhiculer des messages directement aux jeunes, ce que nous envient de faire les compagnies de tabac. À peu de frais, nous pouvons entrer dans les institutions et passer un message efficace.

En plus du programme australien Quit, nous avons le programme Truth en Floride. Nous avons présentement sous nos planches à dessin le programme Libre. Peu importe le nom du programme ou sa provenance, il est primordial d'avoir une marque de commerce canadienne qui nous permettra de s'accrocher et de se rallier à cette marque de commerce et de frapper une fois pour toutes.

Nous avons fait beaucoup d'images, nous avons utilisé l'humour. Les Québécois en sont très friands. Règle générale, l'idée porte fruit mais, encore une fois, j'utilise mon tire-pois.

Je vous laisse sur cette phrase que j'ai beaucoup aimée, entendue lors d'un congrès international. On a déclaré avec justesse que le tabagisme est la seule épidémie, la seule maladie commanditée. N'oubliez pas, des gens s'enrichissent. Ils ont intérêt à ce que le tabac se répande et qu'on soit malade.

[Traduction]

Le sénateur Kenny: Ma première question s'adresse à M. Lépine. Pouvez-vous dire aux membres du comité ce que les événements qui suivent ont en commun et l'effet qu'ils ont sur vous: le festival Juste pour rire, les tournois de tennis, un championnat de golf, les courses de Formule 1, le Festival du jazz et le concours des feux d'artifice?

[Français]

M. Lépine: Ces événements permettent aux compagnies de tabac de normaliser leur produit, d'accroître leur visibilité. Qu'ont en commun les compagnies de tabac? Elles frappent l'imagination, elles dénormalisent, donnent du prestige à la cigarette. Ce n'est pas pour rien qu'elles investissent 90 millions de dollars. Elles ont des spécialistes en communication qui les conseillent. Ces éléments, bien qu'ils soient jugés adultes, frappent de plein fouet l'imagination des enfants.

[Traduction]

Le sénateur Kenny: Toutes ces manifestations se déroulent à Montréal, de juin à septembre?

[Français]

M. Lépine: Oui, tout à fait. On associe les vacances avec le bonheur.

[Traduction]

Le sénateur Kenny: Quelle influence ces manifestations donnent-elles aux compagnies de tabac dans la province de Québec?

[Français]

M. Lépine: Comme je l'ai mentionné plus tôt, cela leur permet de se donner une image corporative saine. Ils ont l'apparence de bienfaiteurs, de gens qui nous aident à nous amuser, à rendre notre vie plus belle. Ils associent le sport, la culture et l'humour avec leur produit, le tabac. On a donc tendance à croire que ce sont des personnes qui nous aident à égayer la ville. Finalement, tout ce qu'ils veulent, c'est passer leur message. Vous regardez le feu d'artifice Benson & Hedges, mais tout ce dont vous vous souvenez, c'est de la marque de cigarette. Ils achètent une image corporative et ils le font très bien.

[Traduction]

Le sénateur Kenny: À votre avis, ces manifestations ont-elles un impact politique?

[Français]

M. Lépine: Certainement. Lorsqu'on a voulu toucher à la publicité du Grand Prix du Canada, il y a eu un tollé de protestations au Québec. En disant: «Ne touchez pas à la commandite, le Grand Prix risque de se retirer», les fabricants de tabac avaient un atout dans leur jeu. Leurs menaces ont eu énormément de poids sur l'événement car il n'est pas tombé.

[Traduction]

Le sénateur Kenny: Docteur Bonham, pourriez-vous décrire à l'intention des membres du comité l'effet que l'adoption du projet de loi S-20 aurait sur les bénévoles et la Société canadienne du cancer?

Dr Bonham: J'y ai fait allusion de façon plutôt générale. Comme nous n'avions pas la possibilité de nous attaquer à d'autres grands domaines liés à la prévention du cancer, notre Comité national des questions d'intérêt public a été en proie à bon nombre de ce qu'on pourrait qualifier de tiraillements internes. Si le projet de loi S-20 est adopté, nous collaborerions, à titre de bénévoles, à la mise au point de programmes avec les organismes qui s'occupent des maladies cardiovasculaires et pulmonaires, au niveau des services, cependant. Je fais allusion à la défense des intérêts. Si, au moyen de diverses mesures, nous parvenions à nos fins, nous pourrions porter toute l'attention voulue à d'autres questions touchant la défense des intérêts, lesquelles sont à mon avis terriblement importantes. Cependant, nous sommes freinés dans nos ardeurs par l'énormité de la question du tabac, ce qui est bien compréhensible. Cette question est accablante. On ne peut la reléguer aux oubliettes en disant: «Nous nous en sommes occupés pendant deux ou trois ans; passons maintenant à autre chose.» C'est impossible.

Nous bénéficierions d'un meilleur financement si, au niveau des programmes, nous collaborions des multiples façons qui ont été décrites aujourd'hui. À titre d'organisme ayant peut-être officialisé un peu plus que les autres la fonction de défense des intérêts, nous pensons qu'il s'agit d'un aspect qu'il est très important de soutenir. Le problème, c'est simplement que nous n'avons pas la possibilité de nous attaquer à tous les autres importants enjeux.

Le sénateur Kenny: En ce qui concerne la Fondation des maladies du coeur, monsieur Tholl, vous avez évoqué d'autres sources de financement, en particulier la subvention que vous avez reçue de la province de l'Ontario pour la campagne publicitaire. Au profit des membres du comité, pourriez-vous revenir sur ce que la Fondation canadienne des maladies du coeur serait en mesure de faire si elle bénéficiait d'un financement adéquat?

M. Tholl: Comme l'a déclaré le Dr Bonham, l'urgent l'emporte sans cesse sur ce qui est important. Au moment même où nous nous apprêtons à nous intéresser à d'autres facteurs importants pour la santé cardiovasculaire, notamment la nutrition -- et la Société canadienne du cancer vient tout juste de collaborer avec la Fondation des maladies du coeur à une campagne de cinq à dix jours qui nous a valu des récompenses --, nous jetons un coup d'oeil par-dessus notre épaule et nous sommes confrontés à des statistiques alarmantes. De 1991 à aujourd'hui, par exemple, le nombre d'adolescents qui fument a augmenté de 33,3 p. 100. Lorsqu'on aura jugulé le problème, on pourra commencer à s'intéresser à la modification des facteurs de risque individuels -- tabagisme, nutrition, mode de vie et stress -- de même qu'à l'interaction de ces facteurs. C'est là que réside la réponse à long terme.

Le Dr Marks de l'université Queen's et d'autres accumulent les recherches, laissant entendre que nous avons tous un seuil interne de risque maximal. Le phénomène s'explique en partie par le fait qu'on choisit ses parents avec soin. Les maladies cardiovasculaires s'expliquent toujours dans une proportion d'environ 50 p. 100 par le matériel génétique. Pour expliquer les 50 p. 100 qui restent, on doit procéder à un calcul de risque complexe, qui tient compte des expériences que nous avons vécues, par exemple le fait que nos amis soient morts plus tôt qu'ils l'auraient dû. D'une façon ou d'une autre, une telle expérience a une incidence sur le calcul de risque propre à une personne. Lorsque, par conséquent, on réduit les risques liés à un facteur -- le tabac, par exemple --, c'est comme si on avait affaire à des vases communicants: la pression se répercute à d'autres endroits, ce qui se traduit par exemple par un stress accru ou par la prise de poids corporel.

En quoi ce projet de loi nous aide-t-il? Il nous aide à mieux comprendre comment modifier les facteurs de risque individuels. Il permet également de tourner notre attention vers la réduction des facteurs de risque multiples, question complexe mais importante sur laquelle nous devons nous pencher.

Dr Bonham: En ce qui concerne la question des risques soulevée par le Dr Esdaile, je me rends en France environ tous les deux ans. Je dois dire qu'on y a converti un risque élevé en un risque faible, en un mouvement vers la sécurité absolue, en transformant toutes les distributrices automatiques de machines en distributrices de condoms.

Le sénateur Wilson: La dimension internationale à laquelle vous avez fait allusion, monsieur Tholl, a piqué ma curiosité. Vous avez mentionné qu'on envisageait l'adoption d'une Convention-cadre pour la lutte anti-tabac, qui en est probablement au stade embryonnaire. Pourriez-vous nous fournir plus de détails à ce sujet?

M. Tholl: Comme je l'ai indiqué, le Canada a fait office de chef de file. C'est nous qui avons proposé la résolution, qui a été appuyée par la Norvège. De nombreux préparatifs avaient été effectués. En vertu d'une résolution consensuelle, nous allons confier à une équipe de négociateurs le mandat d'élaborer une convention qui, sur la scène internationale, régirait des questions comme les avertissements qui figurent sur les paquets de cigarettes, et cetera.

Ce qui nous a quelque peu surpris, c'est que, malgré les progrès accomplis, certains se montrent réticents à l'idée d'associer des organisations et des organismes non gouvernementaux à de telles entreprises. Lorsqu'on demande aux opposants de préciser pourquoi on devrait refuser d'admettre à la table une ONG, par exemple une association ou une fédération mondiale des maladies du coeur ou encore un organisme-cadre, on obtient de curieuses réponses: «Si de tels organismes sont admis à la table de négociation, notre voix s'en trouvera réduite, affirment les États-Unis, parce que, malgré tout l'argent que nous dépensons, nous n'exerçons jamais qu'un vote.»

Ce sont donc là certains obstacles intéressants. Voilà pourquoi, dans notre mémoire, j'ai insisté sur la nécessité d'intervenir de façon précoce, soutenue et significative. Ne pas associer au processus les ONG et leurs 250 000 membres, c'est un peu comme détacher la tête des mains et des jambes. Voilà ce dont nous avons tenté de convaincre les Américains à Genève.

Une autre préoccupation légitime tient au fait que certains organismes -- mais pas la Fondation des maladies du coeur du Canada ni la plupart des organismes avec qui nous entretenons des relations -- continuent d'accepter des fonds de l'industrie du tabac, sous prétexte qu'ils les utiliseront dans le cadre de la lutte antitabac. Voilà qui montre bien qu'il arrive parfois que les membres d'organismes désespérés qui ne disposent plus des ressources nécessaires pour s'acquitter de leur mission se résignent à prendre des mesures désespérées.

Le sénateur Wilson: Les travaux s'effectuent sous les auspices de l'Organisation mondiale de la santé?

M. Tholl: Oui. Le siège de l'organisme se trouve à Genève.

Le sénateur Wilson: Procédera-t-on comme dans le cas des autres conventions, c'est-à-dire que les pays la ratifieront après l'avoir signée?

M. Tholl: Exactement. C'est de cette façon qu'on a procédé dans le cadre de la Convention sur les mines antipersonnel.

Le sénateur Wilson: C'est ce qui explique qu'on a peur des ONG.

Le sénateur Adams: Docteur Bonham, vous avez déclaré qu'environ 72 p. 100 des Inuits fument la cigarette. À quel âge commencent-ils à fumer? J'ai plus de 65 ans, et je ne fume plus.

Dr Bonham: Sénateurs, nous n'en sommes pas tout à fait certains. J'avais l'intention de remonter jusqu'à la source de cette information pour tenter d'en clarifier la signification. Il ne peut s'agir d'un pourcentage de la population totale parce qu'il y a des enfants qui ne sont pas en âge de fumer. Le chiffre de 72 p. 100 laisse croire qu'il s'agit d'un phénomène universel, ce qui, à mon avis, n'est pas conforme à la réalité.

Quelqu'un a fait allusion aux différences culturelles. Dans le cadre de divers programmes, nous nous sommes assez souvent butés à la réalité selon laquelle la consommation des produits du tabac constitue un phénomène principalement masculin: dans certaines sociétés, jusqu'à 90 p. 100 des hommes fument. Or, le phénomène se transmet au Canada par la voie de l'immigration. Au Canada, il existe certains groupes à l'intérieur desquels on observe le même ordre de grandeur. Il y a quelque temps, j'ai visité la Chine. Le taux de tabagisme chez les femmes y est de 10 p. 100, contre 90 p. 100 chez les hommes. Chez ceux qui ont immigré au Canada, l'écart serait également très marqué.

Le sénateur Adams: Je suppose qu'on devra consacrer de nouvelles études à nos collectivités. Bon nombre de jeunes n'ont strictement rien à faire. La durée du jour a peut-être aussi une incidence sur les chiffres. Au moment où nous nous parlons, il fait clair 24 heures par jour; l'hiver, en revanche, nous ne bénéficions que de trois ou quatre heures de lumière du jour. Ce phénomène peut-il avoir une incidence sur le taux de tabagisme? Les gens restent à la maison et regardent la télé. Ils restent à la maison, sans rien à faire. Ils n'ont d'autre choix que de fumer.

Dr Bonham: J'ai effectué un congé d'études en Finlande, pays passablement nordique. Or, la Finlande s'enorgueillit du taux de tabagisme chez les enfants le plus bas que je connaisse. Pendant que j'y étais, je n'ai jamais vu un enfant une cigarette à la main. Je ne suis pas allé jusque dans le grand nord de la Finlande. Cependant, il est clair que les résidents doivent être confrontés, selon les saisons, au même phénomène des très longs jours et des très longues nuits.

Le sénateur Adams: Je suis certain que c'est à peu près la même chose que dans l'Arctique.

Dr Bonham: Votre premier commentaire m'apparaît plus vérifiable. L'organisation d'activités destinées aux enfants compte pour beaucoup. On dispose de données des plus intrigantes à propos des programmes d'activités physiques, qui sont associés à des taux de tabagisme nettement plus bas de même qu'à des taux de réussite scolaire plus élevés.

L'activité physique ne fait que des gagnants.

Lorsque j'étais à Prince George, on fermait l'école deux après-midis par semaine. Une équipe d'enseignants et de parents amenait les enfants faire du ski de fond ou d'autres activités. Ces deux demi-journées ne leur manquaient pas du tout.

Le sénateur Adams: Chaque fois que je vais dans le Nord, soit environ toutes les deux semaines, j'écoute le bingo radiophonique organisé tous les deux soirs. Chacun souhaite remporter 3 000 $. On dit: «Tiens, prends une cigarette.» La situation est différente de celle qu'on retrouve dans le reste du Canada. Là-bas, les fumeurs sont beaucoup plus nombreux. J'ignore comment expliquer le phénomène. J'espère que nous allons adopter le projet de loi S-20 et qu'il nous aidera à mettre le doigt sur les causes.

Entre-temps, vous avez pendant votre intervention fait allusion à des coûts publicitaires de l'ordre de 10 millions de dollars?

M. Tholl: C'est exact, sénateur. Les coûts s'élèveraient à environ 10 millions de dollars par année. Pour mettre le programme en oeuvre dans l'ensemble du pays, il en coûterait à peu près 30 millions de dollars par année.

Le sénateur Adams: Comment procède-t-on? À quelle fréquence la publicité est-elle présentée toutes les heures? Pendant les émissions habituelles, certains commerciaux sont répétés. Comment le système auquel vous avez fait allusion fonctionne-t-il?

M. Tholl: Les messages sont présentés suivant une rotation. D'un mois à l'autre, ils sont présentés tour à tour par la Fondation des maladies du coeur et la Société canadienne du cancer. Il y a deux ou trois types de messages semblables, et ils sont présentés suivant une rotation.

Le sénateur Adams: Y a-t-il une limite au nombre de publicités que vous pouvez diffuser chaque année? J'aimerais comprendre le fonctionnement du programme. Dans le Nord, nous avons des stations locales.

M. Tholl: Il s'agit d'un programme d'une durée de six mois qui n'est appliqué qu'en Ontario. On l'évaluera pour déterminer s'il a produit l'effet voulu. Le cas échéant, nous allons étudier la possibilité de l'élargir en Ontario. Nous allons également tenter de déterminer si on pourrait s'en inspirer pour créer un programme analogue qui serait mis en application dans l'ensemble du Canada. À l'heure actuelle, il s'agit d'un projet pilote en Ontario.

Le sénateur Adams: Monsieur Lépine, vous avez présenté un exposé très intéressant. Je ne parle pas très bien français. Pourrions-nous avoir une version anglaise de votre mémoire?

La présidente: Oui, vous l'aurez sous peu.

[Français]

La présidente: Monsieur Lépine, je vous remercie beaucoup de votre présence parmi nous ce soir. J'ai été très impressionné par votre présentation.

[Traduction]

Je vous remercie tous de votre présence. Vos témoignages nous ont été d'un très grand secours. Nous vous sommes reconnaissants à tous.

La séance est levée.


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