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ENEV - Comité permanent

Énergie, environnement et ressources naturelles

 

Délibérations du comité sénatorial permanent de
l'Énergie, de l'environnement et 
des ressources naturelles

Fascicule 14 - Témoignages


OTTAWA, le jeudi 8 juin 2000

Le comité sénatorial permanent de l'énergie, de l'environnement et des ressources naturelles, auquel a été renvoyé le projet de loi S-20, Loi visant à donner à l'industrie canadienne du tabac le moyen de réaliser son objectif de prévention de la consommation des produits du tabac chez les jeunes au Canada, se réunit aujourd'hui à 9 heures afin d'examiner ce projet de loi.

Le sénateur Mira Spivak (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente: Honorables sénateurs, nous nous réunissons aujourd'hui pour poursuivre notre discussion au sujet du projet de loi S-20. Je souhaite la bienvenue aux journalistes qui sont dans la salle. Ils peuvent s'ils le souhaitent filmer nos délibérations ou prendre des photos. Mais comme la salle est petite, je leur demanderais de faire attention de ne pas déranger les témoins.

Nos premiers témoins sont Mme Cynthia Callard et M. Francis Thompson. J'imagine que vous avez un exposé à nous présenter, un exposé d'au plus 10 minutes, puis les sénateurs vous poseront des questions, j'en suis sûre. Je vous laisse la parole.

Mme Cynthia Callard, directrice exécutive, Des médecins pour un Canada sans fumée: Honorables sénateurs, Des médecins pour un Canada sans fumée est un organisme dont tous les membres et tous les membres du conseil sont médecins. Mais je ne suis pas médecin moi-même.

Merci de m'avoir invitée à comparaître devant vous ce matin. Il y a longtemps que le Sénat n'avait tenu des audiences aussi intéressantes. Ceux qui témoigneront après nous vous fourniront peut-être le témoignage le plus important que recevra le Sénat. Ce sont des hommes d'affaires qui ne rendent généralement de comptes qu'aux investisseurs et aux propriétaires étrangers de leurs entreprises. Ils ne rendent que trop rarement de comptes à la population. Les organismes publics ou notre gouvernement ne leur demandent pas assez souvent de comptes sur les millions de vies auxquelles ils nuisent.

Honorables sénateurs, permettez-moi de vous donner un exemple de la façon dont des audiences comme celles-ci peuvent changer le monde. Vous vous souvenez peut-être d'un événement qui a été un point tournant aux États-Unis. Sept cadres de sociétés américaines qui fabriquent des produits du tabac témoignaient à une audience du Congrès. Tous avaient prêté serment et s'étaient engagés à dire la vérité. On les a interrogés un par un et on leur a demandé s'ils croyaient que la nicotine créait la dépendance. Chacun d'entre eux a répondu que non.

Ces audiences du Congrès ont changé l'opinion publique envers les fabricants des produits du tabac. Ce n'était pas tant parce qu'ils avaient menti sous serment ou qu'ils avaient démontré qu'ils étaient prêts à mentir sous serment. L'élément déterminant, c'est que les leaders politiques avaient démontré qu'ils n'accepteraient plus les mensonges.

Depuis ce moment décisif, les gouvernements, surtout ceux du Canada et des États-Unis, ont changé leur façon de voir le tabac, de même que leur compréhension des moyens à prendre pour remédier aux problèmes causés par le tabac et par les fabricants des produits du tabac.

Les gouvernements ont entrepris de reformuler la question en termes politiques. Il ne s'agit plus de la difficulté qu'éprouve le fumeur qui s'efforce d'arrêter de fumer ou de surmonter une dépendance. Il ne s'agit plus des droits des fumeurs par opposition à ceux des non-fumeurs. Aujourd'hui, c'est la société contre les grandes sociétés qui fabriquent des produits du tabac. Ce dont il est question, c'est de la santé publique, de la justice publique et de la reddition de comptes à la population. La population se joint à ses gouvernements pour protéger les enfants contre ces grandes entreprises.

Les fabricants des produits du tabac ont également changé au cours des six dernières années. Ils n'ont pas eu le choix. Ils ont dû s'adapter. Ils ont également changé leur discours et modifié leur auditoire. Vous constaterez aujourd'hui ces changements. En entendant leurs témoignages, j'espère que vous réfléchirez à ce que nous savons maintenant au sujet de la politique gouvernementale visant les fabricants des produits du tabac grâce aux documents que ces derniers ont récemment rendus publics.

Je participe à la lutte contre le tabac de façon périodique, mais fréquente, depuis 1958. Depuis cinq ans, j'y travaille à plein temps, tous les jours. Depuis 18 mois, depuis que les documents de l'industrie du tabac ont été rendus publics, j'en ai appris davantage que durant toutes les années précédentes mises ensemble.

J'en ai appris davantage parce que, comme tous les citoyens, j'ai pu consulter des millions de pages de documents de l'industrie du tabac. Ces documents ont été colligés en préparation d'une poursuite judiciaire d'un milliard de dollars lancée par l'État du Minnesota contre les sociétés de tabac. Toutefois, le procureur général qui dirigeait cette poursuite, Hubert Humphrey III, savait qu'il ne voulait pas seulement obtenir de l'argent. Il voulait que la vérité éclate au grand jour. Il voulait que toute la population puisse apprendre ce que ses avocats et lui avaient découvert. C'est pourquoi il a insisté pour que les documents puissent être consultés pendant 10 ans, même si généralement, les documents des enquêtes préalables demeurent secrets jusqu'à ce qu'un règlement soit conclu.

N'oublions pas qu'il ne s'agit pas de sociétés canadiennes: au Canada, il n'y a que des sociétés multinationales de tabac. La plupart de ces multinationales étaient partie à la poursuite intentée au Minnesota. La plupart de ces sociétés ont dû mettre à la disposition de chercheurs comme moi les documents de leur siège social. On a découvert les documents de JTI-Macdonald dans des bureaux de son propriétaire précédent, RJR-Reynolds. Bon nombre des documents de Rothmans, Benson & Hedges se trouvaient sur le site Web de Philip Morris, qui possède 40 p. 100 de Rothmans, Benson & Hedges. Les documents d'Imperial Tobacco, qui fabrique 70 p. 100 des cigarettes au Canada, se trouvaient sur le site Web d'une autre filiale de la société mère, la société Brown & Williamson Tobacco, qui se trouve aux États-Unis. Le dépôt de documents les plus intéressants pour les Canadiens se trouve dans un entrepôt situé près de Londres, en Angleterre. Il s'agit du Guildford Depository of British American Tobacco.

Grâce à la poursuite judiciaire du Minnesota, qui elle-même était issue d'un témoignage remontant à 1994, j'ai pu consulter pendant un an les notes de service, les rapports, les études de marché et les analyses scientifiques des sociétés fabriquant des produits du tabac qui nourrissent la dépendance de six millions de fumeurs au Canada. La consultation de ces documents tient de la fouille archéologique. Il faut découvrir les documents, les réunir avec d'autres et les situer dans leur contexte: où les a-t-on trouvés? Quelle est leur provenance? Ce ne sont pas, en soi, des documents canadiens. Il s'agit de collections de documents des sièges sociaux et il faut se demander également si les dossiers sont complets, si les notes de service disent la vérité ou si on y disait ce que le patron à l'étranger voulait entendre.

Je suis la première à reconnaître que nous n'avons qu'un tableau fragmentaire de ce qui s'est fait au Canada depuis 50 ans. Toutefois, je ne crois pas que l'image soit faussée. C'est le tableau le plus fidèle que nous puissions brosser. La semaine dernière, nous avons lancé un site Web qui contient plus de 700 documents pertinents pour le débat d'aujourd'hui, y compris l'analyse scientifique menée dans les laboratoires d'Imperial Tobacco à Montréal et de grandes quantités d'analyses de marché sur les jeunes Canadiens.

J'ai été étonnée par les sentiments qu'ont suscités chez moi les gens dont j'examinais la vie professionnelle. Je fouillais dans leurs tiroirs et je commençais à comprendre qui ils étaient et ce qu'ils pensaient. Je ne m'attendais pas à les aimer. En fait, j'ai commencé à apprécier et à respecter bon nombre des scientifiques dont je lisais les rapports, surtout ceux qui, dans les années 50 et 60, essayaient de trouver des solutions à la catastrophe qui leur avait été confiée. Durant ces décennies, les sociétés permettaient à leurs scientifiques d'échanger librement de l'information entre eux, oralement et par écrit. La correspondance de cette époque relate d'abord leur espoir qu'on trouve un remède contre le cancer, que les cigarettes soient rendues moins nocives, et ensuite leur découragement croissant quant aux limites de leur science et l'orientation de leur gestion.

Je vais parler brièvement de quelques-uns des documents et des illustrations qui se trouvent dans le mémoire que j'ai distribué. Au cours des 40 années de débat public sur le tabac au Canada, j'ai observé que quatre stratégies générales différentes ont été employées.

Au début des années 60, lorsqu'a commencé la lutte publique contre le tabac, les sociétés fabriquant des produits du tabac appliquaient la première stratégie, le déni. Elles savaient dès le début des années 60 qu'elles étaient en difficulté. Pendant cinq ans, elles ont dû faire face à une avalanche de rapports sur les dangers du tabagisme. Leurs clients s'inquiétaient, les médias étaient hostiles et les gouvernements commençaient à poser des questions.

Le monde médical menait l'attaque. Dès 1961, l'Association médicale canadienne déclarait que le tabagisme causait le cancer du poumon. L'année suivante, l'Institut national du cancer du Canada l'affirmait également. En 1962, le British Royal College of Physicians allait plus loin et réclamait des modifications à la politique du gouvernement. Peu après, le Dr Luther Terry, Surgeon General des États-Unis, mettait sur pied un comité consultatif sur le tabagisme et la santé qui a publié son rapport clé en 1964.

Qu'ont fait les sociétés canadiennes? La même chose que toutes les sociétés au monde, exactement ce que leurs administrations centrales leur ont dit de faire: elles ont tout nié. Elles ont nié les conséquences du tabagisme sur la santé devant les médias, la population et le gouvernement. Elles les ont nié férocement lorsqu'elles ont été appelées à comparaître devant le comité permanent de la santé de la Chambre des communes dans le cadre de l'examen «Isabelle», un examen lourd de conséquences, sur les effets du tabagisme sur la santé.

Les effets de ce déni ont été puissants. Je suis né en 1956. Quand j'avais huit ans, en 1964, ma mère a commencé à harceler mon père pour qu'il cesse de fumer. Mon père pouvait encore lui répondre que les méfaits du tabagisme n'étaient pas vraiment prouvés et qu'il ne s'agissait que de statistiques. Mais ce qui n'est pas prouvé n'en est pas moins connu. Comme des millions d'autres fumeurs, comme des centaines de gouvernements, il se réfugiait dans ce déni pour reporter à plus tard la décision inévitable qu'il faudrait prendre.

Ce que nous devons déterminer, c'est si ce déni était un mensonge. Paul Paré et les autres chefs de l'industrie qui ont comparu devant le comité parlementaire en 1969 ont-ils trompé délibérément les parlementaires ou étaient-ils eux aussi victimes d'une illusion collective? Est-il possible qu'ils n'aient pas été au courant? Leur déni était-il plausible?

J'estime pour ma part qu'ils auraient pu, et auraient dû, tenir un discours bien différent devant le Parlement en 1969 -- un discours beaucoup plus honnête. Ils auraient dû parler au Parlement des recherches privées effectuées par le BAT, dans lesquelles on avait pendant 10 ans étendu du goudron de cigarette sur le dos de milliers de souris. On espérait découvrir que le goudron frais, qui était utilisé, n'était pas aussi dangereux que le vieux goudron utilisé par les chercheurs en santé publique. En fait, on a découvert que le goudron frais était plus dangereux et que les souris mouraient plus rapidement. On avait espéré pouvoir modifier le tabac de façon à ce qu'il ne provoque plus de tumeurs mortelles sur le dos des souris. Et pourtant, les souris ont continué de mourir.

En 1969, les sociétés fabricant des produits du tabac ont reconnu entre elles qu'il n'était plus possible de nier que le tabagisme causait des maladies. Pourtant, la même année, elles ont réfuté les preuves devant le comité parlementaire. Les administrateurs savaient-ils ce que pensaient les scientifiques? Tout à fait, ils le savaient.

Chez Imperial Tobacco, les cadres supérieurs étaient tenus au courant des opinions des scientifiques. Ils recevaient des copies de tous les rapports provenant des laboratoires scientifiques. Ils participaient chaque année aux réunions des comités sur le tabagisme et la santé ou aux conseils consultatifs des présidents, au sein desquels se réunissaient les grands PDG du monde entier pour discuter des dernières recherches.

Les sociétés fabricant des produits du tabac ont néanmoins continué de nier publiquement le lien entre le tabagisme et la maladie bien longtemps après qu'elles aient reconnu entre elles que le tabagisme pouvait provoquer le cancer du poumon et d'autres maladies.

Il a fallu près de 20 ans pour que le Parlement entende de nouveau ces sociétés. Il a fallu attendre que le Comité de la santé de la Chambre des communes examine les projets de loi C-204 et C-51 pour que les dirigeants des entreprises comparaissent de nouveau devant le Parlement.

Dans le mémoire que je vous ai remis, vous trouverez un extrait d'une discussion entre Sheila Copps et le directeur d'Imperial Tobacco sur la question de savoir si le tabagisme provoque la maladie. Tous les dirigeants de ces entreprises ont maintenu leur déni. Ils ont persisté à répéter le même message qu'au cours des décennies précédentes: il n'existait pas de preuve que le tabagisme provoquait des maladies; et ils ne voulaient pas que les enfants fument; le tabac était bon pour l'économie; les sociétés de tabac étaient des boucs émissaires des partisans de la prohibition. Nous retrouvons les mêmes arguments aujourd'hui, mais le cadre a quelque peu changé.

La présidente: Pourriez-vous résumer, s'il vous plaît, pour que nous puissions avancer?

Mme Callard: La stratégie suivante consistait à détourner l'attention du tabac: ce n'était pas le tabac qui provoquait la maladie, c'était une différence quelconque chez les fumeurs -- ils possédaient des personnalités de «type A», ils souffraient de stress à cause des pressions dans leur milieu de travail; ce n'était pas la fumée secondaire qui nuisait aux gens dans les immeubles, c'était le syndrome des bâtiments malsains, ou des émanations venant des tapis ou de photocopieuses. Les sociétés ont essayé de détourner l'attention. Ces stratégies étaient très efficaces et la population a cessé de s'en prendre à elles.

L'une des stratégies les plus importantes des sociétés fabricant des produits du tabac consistait à retarder les choses. En 1976, le ministre de la Santé leur a demandé de cesser de faire de la publicité sociétale. En 1988, le Parlement a adopté un projet de loi interdisant la publicité sur le tabac. En 1997, le Sénat a approuvé un projet de loi qui interdisait la publicité sociétale. Et pourtant, nous voyons encore ce genre de publicité aujourd'hui. Ces sociétés ont réussi à retarder de 24 ans la mise en oeuvre d'une interdiction effective de la publicité ou d'autres mesures.

Depuis 10 ans seulement, nous avons constaté l'émergence d'une nouvelle stratégie, et c'est celle que je souhaite le plus porter à votre attention. Cette nouvelle stratégie consiste à désarmer les gens. Les sociétés disent qu'elles sont raisonnables, qu'elles sont prêtes à négocier. Elles sont prêtes à discuter avec les gens et à trouver des solutions. Elles ne veulent pas que les enfants fument. Elles veulent des politiques efficaces et elles comprennent que le tabagisme comporte des dangers.

Enfin, je vous encourage à discuter avec leurs représentants. Je vous encourage à leur demander des déclarations claires, brèves et sans ambiguïté sur leurs produits, leurs méthodes et leurs clients. Je vous encourage à profiter de cette occasion spéciale de demander des comptes à ces hommes qui se sont tous enrichis dans un secteur qui tue la moitié de sa clientèle. Je vous encourage à faire une écoute critique de leurs propos. Dans mon mémoire, j'ai indiqué quelques observations que vous entendrez probablement d'eux, ainsi que d'autres faits que vous ne devez pas oublier.

Pour conclure, permettez-moi de vous parler de ma propre expérience pour ce qui est de cette stratégie de désarmement. Lors de la dernière assemblée annuelle générale d'IMASCO, Brian Levitt, qui était dirigeant à cette époque, a dit qu'il était prêt à discuter, qu'il était prêt à prendre des engagements, mais que les organismes de santé publique refusaient de discuter sérieusement avec lui. Il s'agissait d'une des rares occasions où ces sociétés rendaient des comptes, puisqu'il s'agissait d'assemblées ouvertes à tous. Je lui ai demandé s'il savait combien d'enfants fumaient ses marques de cigarettes, puisque j'avais lu un rapport dans lequel on prétendait -- ou on se vantait, plutôt -- au siège social que 70 p. 100 des jeunes Canadiens les fumaient. Don Brown a déclaré qu'il ne le savait pas. Je leur ai demandé pourquoi il faisait des cigarettes plus élastiques. L'élasticité est l'un des moyens que ces sociétés utilisent pour accroître la teneur en nicotine des cigarettes. Ils ont répondu qu'ils n'avaient jamais entendu parler de cela. Cette année, je leur ai envoyé une lettre pour leur demander s'ils étaient d'accord avec la déclaration de leurs propriétaires britanniques voulant que les parents ne devraient jamais fumer en présence de leurs enfants. Ils n'ont jamais répondu à ma lettre.

Dans toute une série de documents, ils disent qu'ils veulent être plus ouverts, mais en fait, il faut que des gens qui ont des pouvoirs comme les vôtres exercent sur eux des pressions pour que cette ouverture mène à un dialogue sérieux et à une information véritable du public.

[Français]

M. Francis Thompson, analyste des politiques, Association pour les droits des non-fumeurs: Madame la présidente, je m'appelle Francis Thompson et je travaille au bureau d'Ottawa de l'Association pour les droits des non-fumeurs. Comme vous le savez sûrement, l'association existe depuis à peu près un quart de siècle. Elle est connu au Canada et l'autres pays comme étant un leader sur le plan de la santé publique.

[Traduction]

Pour ma part, j'estime que l'un des aspects les plus intéressants et les plus importants du projet de loi S-20 est qu'il mette à l'épreuve la position adoptée publiquement par l'industrie du tabac sur le tabagisme chez les jeunes. Comme vous le savez, les sociétés de tabac ont toujours prétendu -- et c'est une position qui n'a rien de nouveau -- qu'elles s'opposent au tabagisme chez les mineurs, qu'elles ne vendent pas de produits aux enfants et que le tabagisme est un «choix adulte». Les sociétés de tabac ont toujours offert de collaborer avec tous ceux qui veulent réduire l'accès des mineurs aux produits du tabac.

Vous l'aurez sans doute compris déjà, mais dans le secteur de la santé publique, nous accueillons ces déclarations avec un certain scepticisme, car nous avons vu de nombreuses campagnes de publicité qui semblent cibler les enfants et parce que nous avons consulté des documents internes de l'industrie du tabac qui révèlent que les sociétés ont discuté de la perception que les adolescents ont du tabagisme, des raisons pour lesquelles ils commencent ou non à fumer, de leur opinion sur les différentes marques, et cetera. Je ne vais pas vous donner d'exemples précis, car il y a trop de détails et de complications. Je me concentrerai plutôt sur le tableau général: les raisons structurelles pour lesquelles les sociétés de tabac sont amenées à concentrer leurs efforts de commercialisation sur le jeune.

[Français]

Sur le plan des raisons structurelles qui font que les compagnies de tabac ont tendance à cibler les jeunes dans leurs campagnes de marketing, je pense qu'il y a une réalité économique incontournable. Une compagnie de tabac qui n'a pas de succès auprès des enfants et des adolescents, à long terme cette compagnie de tabac va disparaître.

[Traduction]

C'est très simple. Les gens commencent à fumer à un jeune âge. C'est d'ailleurs de plus en plus le cas. Pour cette raison, on qualifie la tabacomanie de maladie pédiatrique. Selon les chiffres que j'ai vus pour 1994, on estimait à l'époque que 80 p. 100 des fumeurs au Canada avaient commencé à fumer avant l'âge de 18 ans. On commence maintenant à fumer à un plus jeune âge. À noter aussi que dans un rapport spécial publié en 1994 sur l'usage du tabac chez les jeunes, le Chirurgien général des États-Unis faisait remarquer: «Ceux qui commencent à fumer à un plus jeune âge ont une dépendance beaucoup plus grande à la nicotine que ceux qui commencent à fumer plus tard».

En d'autres mots, si vous voulez la viabilité à long terme de votre industrie, vos meilleurs clients seront ceux qui prendront l'habitude du tabac à 12 ou 13 ans.

Il est important de noter que la loyauté à une marque de cigarettes apparaît tôt, même si les efforts de commercialisation visent, comme l'a toujours prétendu l'industrie des produits du tabac, essentiellement ceux qu'on veut faire changer de marque. Il peut s'agir de jeunes de plus de 18 ans, mais je me demande comment rendre attrayantes les marques de cigarettes aux jeunes de 18 ans sans le faire pour les jeunes de 17 ans.

Ceux que le sujet intéresse pourront réfléchir à l'affaire de Joe Camel aux États-Unis, très connue, parce qu'on avait eu recours à des caractères de bandes dessinées. Cette campagne a donné lieu à des poursuites. L'affaire Mangini a révélé des documents fascinants. Elle est disponible sur l'Internet. Je vais vous mentionner une citation de la compagnie RJR:

Même lorsque les jeunes fumeurs adultes se désintéressent d'une marque, la consommation accrue des fumeurs plus âgés peut maintenir la performance de cette marque pendant des années, prolongeant ainsi son cycle de vie.

RJR comme les autres compagnies qui fabriquent des produits du tabac, utilise l'euphémisme «jeunes fumeurs adultes» pour qualifier les fumeurs qui n'ont pas l'âge légal de fumer. Le fait est que si vous attirez les fumeurs lorsqu'ils sont jeunes, si vous pouvez les garder intéressés jusqu'à l'âge de 25 ans, ils continueront à fumer et vous continuerez à accumuler les profits pendant des années par la suite.

Avant que quelqu'un mentionne qu'il existe une différence dans les aspects économiques entre le Canada et les États-Unis, j'aimerais signaler brièvement plusieurs documents. À l'annexe A de mon mémoire, on trouve un texte intitulé «Problème». Je vais vous en citer un court extrait:

[...] la croissance des bénéfices a caché le fait que les fumeurs de cigarettes canadiens sont de moins en moins enchantés par l'idée d'être des fumeurs et les tendances sous-jacentes qui laissent entendre clairement que malgré des reprises à court terme [...] de moins en moins de Canadiens fumeront à l'avenir [...] Bien que nous ayons traditionnellement pris des mesures qui ont influé sur la taille de l'industrie tout entière, ces efforts n'ont pas été coordonnés, planifiés et vraiment intégrés dans le cadre de nos activités dites normales. Il faut que cela change!

C'est ainsi, qu'en 1985, Impérial Tobacco annonce: «Écoutez, nous ne pouvons pas mettre l'accent uniquement sur notre part du marché, il faut faire des efforts pour faire prendre de l'expansion au marché.»

Il n'y a que deux façons d'accroître le marché et d'influencer la taille globale de l'industrie des produits du tabac. D'abord, on peut convaincre les fumeurs inquiets de ne pas cesser de fumer et convaincre les anciens fumeurs de recommencer à fumer en produisant par exemple des cigarettes «santé» -- terme inventé par l'industrie -- comme les cigarettes «légères». L'autre possibilité consiste à attirer de nouveaux fumeurs. Les nouveaux fumeurs sont en majorité en deçà de l'âge légal. Les entreprises canadiennes ont essayé et utilisé les deux approches.

Les documents révèlent que Imperial Tobacco a eu beaucoup plus de succès à attirer de nouveaux fumeurs que ses concurrents. Lorsqu'il était le président de la société de portefeuille qui contrôle Imperial Tobacco, Purdy Crawford a déclaré fièrement à ses collègues des autres compagnies BAT de partout au monde:

I.T.L. (Imperial Tobacco Limitée) a toujours concentré ses efforts sur les nouveaux fumeurs parce qu'on croyait que les premières perceptions avaient tendance à durer toute leur vie. Imperial Tobacco domine clairement aujourd'hui le marché des jeunes adultes et s'attend à prospérer au fur et à mesure que ces fumeurs vieilliront et que la compagnie gardera la faveur des jeunes fumeurs.

Oui, en effet, Imperial Tobacco a connu le succès. La compagnie est passée d'un tiers du marché au milieu des années 70 à 70 p. 100 du marché aujourd'hui.

Je ne parlerai pas des consommateurs inconstants sauf pour mentionner que Imperial Tobacco les a redéfinis pour inclure dans ce groupe les non-fumeurs en deçà de l'âge légal qui commencent à fumer.

Comme je l'ai mentionné précédemment, nous avons vu de nombreuses études de commercialisation qui révèlent comment les compagnies canadiennes fabricant des produits du tabac envisagent de vendre leurs produits aux jeunes. Je n'entrerai pas dans les détails, mais je tiens à mentionner que la Cour suprême du Canada a examiné cette question en détail dans un recours au début des années 90 qui portait sur la loi réglementant les produits du tabac. La Cour suprême du Canada, dans une décision majoritaire, a en fait décidé que c'était pure bêtise que de prétendre comme le faisait l'industrie des produits du tabac que le seul objectif de sa publicité visait à encourager les fumeurs à changer de marque. La Cour a déclaré que les documents internes de commercialisation préparés par les fabricants de tabac eux-mêmes démontraient le contraire.

Je vais parler de l'affaire Player's Light. On parle du document suivant, qui date de 1982, depuis plusieurs années. On y lit ceci:

La marque la plus populaire, et celle qui semble être devenue l'insigne habituel chez les jeunes hommes en particulier, mais également souvent aussi chez les jeunes femmes, c'est Player's Light. Le fait que cette marque soit passé depuis son introduction a un statut aussi incroyable en si peu d'années, constitue vraiment un grand succès sur le plan de la commercialisation.

L'industrie des produits du tabac prétend que tout cela a changé, mais je tiens à vous présenter quelques exemples. Remarquez les éléments dans ces images. La première publicité vient du début des documents de commercialisation de Player's. Nous voyons une activité extérieure, un jeune mannequin, l'indépendance, les beaux bleus. L'image suivante est de l'an 2000. Ce sont les mêmes éléments: un jeune mannequin, une activité extérieure, un beau ciel bleu. La seule différence, c'est qu'il n'y a pas de cigarette, parce qu'en théorie, c'est une publicité promotionnelle.

Il n'y a pas qu'Imperial Tobacco qui procède ainsi. J'attire votre attention sur la série de «Extreme Sports» annoncée actuellement par Export A à la télévision, une des premières promotions de cigarettes à la télévision depuis longtemps.

Si ce prédateur a changé de couleur, nous en attendons toujours la preuve.

J'aimerais dire quelques mots au sujet des programmes parrainés par l'industrie qui ciblent les jeunes. Dans de nombreux pays, on entend les compagnies fabricant des produits du tabac dire qu'elles veulent vraiment cesser de vendre aux mineurs et qu'elles vont faire des efforts en ce sens. Je vous renvoie à l'annexe B de mon mémoire qui donne des renseignements qui expliquent pourquoi l'industrie aux États-Unis a mis sur pied un tel programme. C'est une tactique de relations publiques pour empêcher l'imposition de limites sur la publicité. On a utilisé ces programmes aux États-Unis et en Russie.

Je vais vous lire une citation qui explique comment Philip Morris a utilisé cette tactique à Moscou:

[...] le gouvernement municipal de Moscou se préparait à lancer une campagne d'affichage très négative pour lutter contre le tabac. Philip Morris avait des représentants à la réunion sur cette question et a offert de participer au programme à condition que le programme ne vise que les jeunes. Par conséquent, ce qui aurait pu être une campagne générale très négative s'est transformé en programme d'affichage positif qui vise les jeunes en disant: «Attendez pour fumer».

C'est tout à fait typique des campagnes de ce genre qui se ressemblent à trois égards. On met l'accent sur les restrictions légales qui interdisent de fumer à un certain âge. On dit: «Ne fumez pas maintenant; vous fumerez plus tard, si vous le souhaitez». Les adolescents ne veulent pas attendre pour se comporter comme des adultes, surtout si ce comportement a été présenté sous son jour le plus séduisant. Ces campagnes n'offrent pas d'information réelle sur l'incidence sur la santé ni les risques de dépendance du tabagisme. Les propres documents de l'industrie révèlent que les jeunes savent que fumer comporte des risques graves, mais ne croient pas qu'ils vont devenir toxicomanes. Ces campagnes ne font jamais ressortir le rôle de l'industrie des produits du tabac qui encourage les jeunes à fumer. Rien de surprenant à cela puisque c'est l'industrie qui paie pour ces campagnes.

Compte tenu de tout cela, vous devriez vous méfier de la collaboration que vous offriront les sociétés fabricant des produits du tabac. Cela ne signifie pas que cette collaboration soit impossible. Toutefois, si on veut vraiment changer le comportement de ces sociétés, il faut d'abord s'assurer qu'elles ne se fassent pas de profits aux dépends des enfants.

À une certaine époque, les Américains avaient envisagé d'imposer à l'industrie des produits du tabac une amende chaque fois qu'un jeune devenait dépendant à la cigarette. Cette amende aurait été d'un montant suffisamment important pour représenter plus de la valeur totale des profits que rapporterait cette jeune personne en fumant tout le reste de sa vie.

Je ne veux pas entrer dans les détails de ce projet. Nous sommes ici pour discuter du projet de loi S-20. Je tiens à féliciter le comité d'examiner cette question du tabagisme chez les jeunes. Ce n'est pas un problème facile à résoudre. Il faut pour cela beaucoup d'efforts et un plan complet. Ce projet de loi en est un élément important. Merci beaucoup.

Le sénateur Cochrane: Dans le projet de loi S-20, on prévoit un examen des meilleures pratiques de lutter contre le tabac dans les autres provinces, états et pays d'Amérique du Nord. Savez-vous s'il existe des programmes de réduction du tabagisme chez les jeunes qui aient donné de bons résultats? Dans l'affirmative, pourriez-vous nous décrire ces programmes?

M. Thompson: Plusieurs États l'emportent sur le Canada -- la Californie et le Massachusetts en sont les exemples les plus souvent cités. Dans ces deux États, on mène des campagnes constantes d'information de la population qui ne visent pas seulement à dire aux jeunes qu'ils ne devraient pas fumer mais qui expliquent plutôt comment l'industrie attire ses clients et les conserve par la dépendance.

Mais le programme californien va bien plus loin, et d'autres vous en parlerons également. Ces programmes ont de vigoureuses composantes axées sur la collectivité et sur la cessation de fumer. Tous ces éléments doivent être mis en oeuvre simultanément. Il n'est pas suffisant d'investir de l'argent à l'occasion, il faut un engagement constant. C'est souvent difficile à moins que, comme dans le cas de la Californie, on ait des sources constantes de revenus sur lesquelles on peut compter.

Mme Callard: Il n'est pas possible à mon avis qu'un programme visant à réduire le tabagisme chez les jeunes soit efficace s'il ne traite pas également du comportement des adultes dans la société. Si les enfants fument, c'est qu'ils voient cela comme un rite de passage vers la vie adulte. Tant que les adultes qui les entourent fumeront et feront fi des risques du tabagisme, tant que les adultes accepteront la publicité sur le tabac comme un élément normal de la vie, les enfants continueront d'aspirer aux valeurs que fixent les adultes. Par conséquent, tous les programmes fructueux de lutte contre le tabagisme chez les jeunes tiennent également compte du rôle du tabac dans la société et du comportement des adultes qui servent de modèles aux enfants.

Le sénateur Cochrane: Pourriez-vous m'en dire davantage au sujet de l'élasticité?

Mme Callard: Au Canada, nous avons mal compris pendant un certain temps les rapports américains au sujet du dopage des cigarettes, de l'ajout de nicotine pour que les cigarettes créent une plus forte dépendance. Les cigarettes canadiennes sont très différentes des cigarettes américaines. Les cigarettes américaines contiennent un mélange de tabac, des additifs et des arômes.

À vrai dire, jusqu'à tout récemment, nous ne savions pas très bien ce que contenaient les cigarettes canadiennes. Leur composition faisait l'objet de rapports à Santé Canada mais n'était pas rendue publique. C'était très difficile de le savoir.

Quand ces documents ont été rendus publics, nous avons constaté que toutes les sociétés qui fabriquent des produits du tabac avaient le même objectif. Elles voulaient que la nicotine se rende au cerveau plus rapidement et pour cela, il fallait utiliser une nicotine à laquelle étaient rattachées moins de molécules de façon à ce qu'elle puisse atteindre les membranes cellulaires plus rapidement. Il fallait provoquer une sensation agréable dans la gorge afin que les fumeurs continuent d'aspirer la fumée jusqu'à ce qu'ils aient une dose suffisante de nicotine.

Parmi les nombreuses techniques que les sociétés ont examinées, il y avait celle de l'élasticité, qui consiste à procurer une dose satisfaisante de nicotine en fonction d'un effort d'aspiration donné. Leur grand problème, c'est que les gens détestaient les cigarettes légères parce qu'ils avaient l'impression de fumer de l'air. Elles devaient s'assurer que les fumeurs obtenaient suffisamment de nicotine sans avoir à fournir un effort trop grand d'inhalation. C'est ce qu'on appelle l'élasticité. Cela signifie qu'il y a davantage de nicotine dans un volume donné d'inhalation.

Le sénateur Cochrane: Obtiennent-ils davantage de nicotine dans les cigarettes légères?

Mme Callard: Le problème, c'est que nous ne savons pas comment les résultats de la recherche ont été mis en oeuvre. Nous avons découvert les rapports de recherche, mais nous n'avons pas découvert les formules que les sociétés utilisent pour fabriquer les cigarettes canadiennes. Les cadres qui comparaîtront devant vous plus tard, seront peut-être plus communicatifs avec vous qu'avec nous.

Le sénateur Christensen: Vous nous avez fourni beaucoup de renseignements au sujet de votre recherche sur l'industrie. Pourriez-vous nous dire en quoi le projet de loi S-20 avantagerait votre organisme et ce faisant, parler un peu de ce dernier?

Mme Callard: Je ne crois pas qu'il soit nécessaire de changer ce que nous faisons. Notre organisme est petit et nous prévoyons qu'il continuera de l'être et de faire le même travail. Toutefois, le projet de loi changerait le milieu dans lequel nous faisons ce travail. Idéalement, le projet de loi S-20 nous priverait de notre raison d'être -- ce qui serait merveilleux, d'après notre conseil d'administration et d'après moi -- en mettant en place un programme sérieux, solide, viable et efficace pour réduire progressivement le tabagisme, durant les années qui nous restent et, surtout, durant les années qu'il reste à nos enfants.

M. Thompson: L'Association pour les droits des non-fumeurs, l'organisation Médecins pour un Canada sans fumée et tous ceux qui ont oeuvré sérieusement dans la lutte contre le tabagisme, ont toujours essayé de modifier le climat social. Nous savons que la création de la dépendance aux cigarettes chez les enfants et leur maintien dans ce marché pendant des décennies, se fondent sur un climat social façonné par des décennies d'efforts méticuleux de commercialisation grâce à d'énormes budgets et à des recherches méthodiques sur la conception des produits.

La seule solution, c'est de modifier le climat social et de l'assainir. C'est ce que nous essayons de faire, de façon modeste, grâce à la promotion de lois améliorées. Évidemment, nous n'avons pas les ressources nécessaires pour lancer une grande campagne de publicité télévisée ou pour d'autres choses de ce genre, mais c'est ce que nous devons viser à long terme. Le projet de loi S-20 fournirait un moyen rapide d'effectuer certaines choses que les ONG ne peuvent faire par manque de ressources et d'autres qu'il ne conviendrait probablement pas aux ONG d'entreprendre.

Le sénateur Kenny: Compte tenu de ce que vous connaissez de l'industrie et de la façon dont elle a réagi aux efforts antérieurs pour l'amener à collaborer, croyez-vous que le projet de loi S-20, dans son libellé actuel, pourrait être efficace? Si oui, pourquoi? Si non, quels changements devrait-on y apporter?

M. Thompson: L'industrie a elle-même avoué n'avoir pas une énorme crédibilité auprès du public, surtout en ce qui a trait au tabagisme chez les jeunes. L'industrie a déclaré par le passé qu'elle aimerait recevoir de l'aide parce qu'elle connaît ce problème de perception. Le projet de loi S-20 offre cette crédibilité à l'industrie en veillant à ce que les programmes soient conçus avec sa participation mais en évitant que l'industrie les contrôle, comme c'est le cas des programmes actuels. C'est la bonne solution. Ce que dit le projet de loi, c'est que si l'industrie fait preuve de bonne foi, il faut lui donner une chance.

M. Callard: Le projet de loi S-20 comblerait le vide honteux qui existe actuellement au Canada en matière de programmes qui communiquent efficacement de l'information à la population. Le tabac est un sujet très délicat. Il fait à ce point partie intégrante de notre régime de réglementation, de l'acceptation sociale et de la vie de six millions de gens qu'il faut pour le combattre un plan complet. Il faut augmenter les prix et réglementer le produit. On ne saurait aujourd'hui mettre en marché du macaroni au fromage sans effectuer des essais. Et pourtant, les sociétés fabriquant des produits du tabac ne sont pas encore régies de cette façon. Il faut que l'industrie rende des comptes lorsqu'elle enfreint les lois. Chaque année, il y a 50 millions de ventes illégales de cigarettes à des enfants. Les gens blâment les détaillants plutôt que les sociétés. Le gouvernement doit prendre toute une gamme de mesures, mais le projet de loi S-20 comble le vide le plus béant, c'est-à-dire l'absence de financement sérieux et de programmes rigoureux pour mettre en place les changements sociaux qui s'imposent.

Le sénateur Kenny: Le projet de loi S-20 prévoit un prélèvement comme moyen de financement. On a choisi le prélèvement tout d'abord pour des raisons constitutionnelles, et deuxièmement, parce que c'est un mécanisme assez stable de financement. Il est possible de prédire ce prélèvement en se fondant sur la consommation de tabac. Il y a évidemment d'autres possibilités telles que les impôts. Avez-vous une opinion sur ce qui serait préférable, un impôt ou un prélèvement?

Mme Callard: Ma mère disait: «Il y a plusieurs façons d'arriver au même résultat.» Je pense que c'est un moyen tout à fait acceptable, parfait. C'est un mécanisme semblable à celui utilisé en Californie et au Massachusetts, où l'on a un système de démocratie directe et les citoyens peuvent demander par écrit certaines mesures précises au cours d'élections. Nous n'avons pas cela au Canada. C'est une façon de parvenir aux mêmes objectifs.

Je pense qu'un impôt, un impôt protégé, un impôt spécialement affecté pourrait y être substitué, mais vraiment le prélèvement est probablement un moyen plus sûr d'obtenir un financement soutenu sur une longue période. On est moins porté à modifier un prélèvement.

Le sénateur Kenny: Avez-vous constaté que le ministère des Finances était en faveur d'un impôt spécialement affecté?

Mme Callard: Pas de mon vivant.

M. Thompson: Si l'on souhaite un plan fructueux de contrôle du tabac il importe, je tiens à le souligner de nouveau, qu'il soit stable sur plusieurs années. Le grand problème a toujours été que les gens s'imaginent qu'il y a un solution rapide pour régler ce genre de problèmes. Il n'y en a pas. Il faut s'y atteler pendant des années, il faut évaluer les procédures en place pour voir si ça fonctionne et il faut réfléchir à ce que l'on fait. Le problème dans le cas du tabac, c'est que les problèmes se présentent soudainement. Par exemple, en 1994, lorsque l'on a annulé l'impôt puis on a investi immédiatement des fonds dans l'aspect éducatif. Ce financement n'était pas stable et cela a donné un effet d'oscillation. Dans tout programme, il est très difficile de poursuivre et de penser au long terme si les responsables doivent consacrer tout leur temps à chercher du financement et à s'assurer de la survie du programme. Il faut pouvoir se concentrer, dans ce cas-ci sur le fait que les jeunes ne commenceront pas à fumer, garantissant que les morts provoquées par le tabac commencent à diminuer.

Le sénateur Kenny: Le projet de loi S-20 envisage une fondation indépendante du gouvernement. Pouvez-vous nous dire si à votre avis, un programme de ce genre devrait se faire à l'interne ou à l'externe?

M. Thompson: Si on regarde ce qui se passe ailleurs, on trouve les deux. Il ne conviendrait pas que nous disions que c'est toujours l'un ou toujours l'autre. Toutefois, pour l'instant, le gouvernement ne dispose pas du genre de financement dont nous parlons et rien ne laisse supposer que cette situation va changer. Dans ce contexte, une fondation autonome représente un pas très important en avant.

Mme Callard: J'ai mentionné au tout début que je n'étais médecin. Mes premières dix années de travail je les ai passées dans le monde des arts où on trouve des organismes sans lien de dépendance, des fondations indépendantes comme le Conseil des arts du Canada. De façon générale, la communauté artistique reconnaît le rôle que jouent des organismes indépendants comme le CRTC, le Conseil des arts du Canada, Téléfilm, et cetera. Il y des problèmes de reddition de comptes dans le cas de ces fondations. On se demande toujours anxieusement si le ministre détient le contrôle. Si le Parlement examinait attentivement la mission dont s'acquittent ces fondations ou exigeait des comptes d'elles, il serait plus facile de surmonter ces problèmes que ceux qui découlent des programmes financés directement par un ministère où il y a lieu de se demander si le programme repose sur une évaluation scientifique de son mérite ou sur une évaluation politique et si le financement du programme justifie son efficacité ou vise à avantager la circonscription de tel ou tel représentant. Il est plus probable que les Canadiens appuieront un programme confié à une fondation indépendante.

M. Thompson: Ce que dit fréquemment l'industrie du tabac au sujet de la fiscalité et du gouvernement, c'est que, dans les faits, le gouvernement est celui qui profite le plus de la vente de produits du tabac. L'industrie a donc essayé de prétendre que le gouvernement est hypocrite lorsqu'il affirme vouloir mettre fin à la consommation de tabac. Je ne souscris pas à ce point de vue, parce que, du point de vue économique, les coûts du tabagisme sont énormes et les recettes fiscales du tabac ne suffisent pas à faire contrepoids. Cela dit, on ne peut pas accuser une fondation indépendante d'être hypocrite à cet égard. Certes, pour ce qui est de cela en particulier, ce serait un grand pas en avant.

Le sénateur Taylor: Dans votre mémoire, madame Callard, je note que vous dites que le gouvernement perçoit plus d'argent en taxes sur les cigarettes que les fabricants de produits du tabac n'en recueillent en recettes. Comme vous le savez, le gouvernement dépense très peu d'argent pour sensibiliser la population aux dangers du tabac ou pour contrecarrer le tabagisme. Vous en prenez-vous également au gouvernement? Il semble être aussi coupable que tous ceux qui participent à ce commerce.

Mme Callard: Si nous critiquons le gouvernement pour ne pas faire ce qu'il doit faire pour contrer le tabagisme? Oui. Ce qui est honteux, c'est la valeur des taxes versées par des fumeurs mineurs, des enfants qui achètent les 50 millions de paquets de cigarettes qu'on leur vend tous les ans. Les recettes fiscales du gouvernement fédéral représentent 80 millions de dollars par année. Or, il en dépense 20 millions par année pour lutter contre le tabagisme. La vente criminelle de tabac aux enfants permet au gouvernement de tirer un profit net de 60 millions de dollars. Je trouve cela profondément troublant.

Le sénateur Taylor: Le gouvernement a donc également trouvé le moyen de faire payer des taxes aux enfants.

Vous avez dit, monsieur Thompson, qu'après l'âge de 25 ans, les fumeurs changent rarement de marque. Le type de tabac que l'on achète est désormais fixé. Y a-t-il des statistiques à ce sujet? Autrement dit, si l'on a une certaine part du marché des gens de 25 ans, est-il possible, par exemple, dans une proportion de 95 p. 100 qu'elle sera la même lorsqu'ils auront atteint l'âge de 55 ans?

M. Thompson: Il faudrait que je vois les chiffres exacts, mais les documents de l'industrie du tabac montrent clairement que la tendance à changer de marque diminue assez rapidement. À l'étape expérimentale, lorsqu'une personne commence à fumer, et environ jusqu'à l'âge de 25 ans, toute une série de choses peuvent intervenir. Après cela, les changements ont tendance à être plutôt lents. Le fumeur peut commencer à s'inquiéter de sa santé et passer à des cigarettes plus légères, mais tout en restant fidèle aux produits de la même marque. Lorsque nous rassemblons les statistiques de divers rapports de marketing -- des archives des fabricants de produits du tabac, nous constatons souvent qu'elles ne nous donnent pas un tableau exact des statistiques les plus récentes.

Le sénateur Taylor: On peut donc supposer que la publicité de l'industrie du tabac visant à faire changer de marque doit cibler les gens de moins de 25 ans?

M. Thompson: Cela ne fait l'ombre d'un doute. Si l'on consulte les archives de BAT, à Guildford, ce qui est vraiment surprenant, étant donné que BAT est une entreprise mondiale et que, dans beaucoup de marchés, elle livre concurrence à Phillip Morris avec sa cigarette Marlboro, c'est la détermination obsessive de BAT d'atteindre le succès de la Marlboro auprès des jeunes. C'est ainsi que s'opère la concurrence dans l'industrie du tabac.

Le sénateur Taylor: Y a-t-il des machines distributrices de cigarettes dans des écoles secondaires de l'Ontario?

M. Thompson: Non. S'il en reste, leur présence enfreint certainement la loi.

Le sénateur Wilson: Vous avez parlé de la stratégie qui consiste à désarmer les consommateurs. Abstraction faite des belles annonces que vous nous avez montrées, avez-vous décelé des stratégies visant à désarmer le public devant les risques du tabagisme?

Mme Callard: Lorsque je parle de désarmer, je parle en fait de désarmer les politiques, les dirigeants politiques.

Ces dernières décennies, il y a eu une campagne visant à désarmer le public. On essaye de donner à la cigarette un air de familiarité bienveillante, en montrant qu'il est normal, par exemple, d'aller à un match de tennis et d'y voir le logo d'une des grandes marques, pour avoir des idées plus positives au sujet de ce produit que celles qu'on aurait si l'on se contentait de voir un de ses parents pris d'incessantes quintes de toux le matin. Une autre façon de vous désarmer, de vous amener à croire qu'il s'agit d'un produit normal, comme le lait, c'est de montrer de la publicité et les produits eux-mêmes dans tous les magasins de détail. Vous allez acheter du lait et vous pouvez acheter des cigarettes au même endroit. Cette façon de désarmer le public ou d'accroître l'acceptabilité sociale du produit correspond à une stratégie délibérée. Auparavant, la réaction de rejet par le public était plus intransigeante. Autrement dit, il y avait une sorte de confrontation, de guerre froide.

Le sénateur Wilson: Comment désarme-t-on les hommes et les femmes politiques?

Mme Callard: On désarme les politiques des autres paliers en ayant recours à l'Opération carte d'identité, qui est un des programmes ACCÈS pour les jeunes, mais les politiques veulent y mettre fin. Les fabricants de produits du tabac déclarent à la GRC et aux autres corps policiers: «Travaillez avec nous à éduquer les détaillants et à corriger les autres problèmes liés à ce programme.» Ce sont ces problèmes auxquels M. Thompson a fait allusion. Les fabricants travaillent avec la GRC et obtiennent de la GRC qu'elle envoie des représentants à des événements commandités par les fabricants. Le sénateur Kenny s'est fait le champion de la lutte contre cette tactique depuis quelques années. Les fabricants de cigarettes désarment les politiques en leur envoyant des billets gratuits pour des événements, en les invitant à des cocktails et en leur offrant d'aller jouer au golf avec le premier ministre. Les fabricants de produits du tabac ont de nombreuses façons de dire «Non, nous sommes une entreprise légitime; nous sommes des gens normaux qui offrent à leur clientèle ce qu'elle souhaite.» C'est un procédé qui leur été très efficace.

Le sénateur Banks: Il y a quelques instants, vous avez dit qu'il était très peu probable que l'on change de marque après l'âge de 25 ans. Il se produit la même chose pour ce qui est de faire changer de marque de soupes ou de céréales, lorsque Kellogg et Campbell s'opposent à leurs concurrents, Post et Lipton. C'est une hypothèse commune lorsque l'on fait du marketing de masse.

Qu'est-ce qui vous donne la certitude absolue que, lorsque les fabricants de produits du tabac disent qu'ils ciblent les jeunes fumeurs adultes, ce sont de ceux-là qu'ils parlent, de ceux qui pourraient changer de marque, y compris des changeurs de marques qui n'ont pas encore fumé? Vous avez dit que c'est ce qui se passait, mais comment pouvez-vous être certain qu'ils parlent de fumeurs mineurs?

M. Thompson: Tout d'abord, parlons de l'utilisation d'euphémismes tels que «Jeunes fumeurs adultes».

Le sénateur Banks: Pourquoi êtes-vous certain qu'il s'agit d'un euphémisme?

M. Thompson: Les tribunaux se sont déjà penchés là-dessus. Aux États-Unis, dans l'affaire portant sur la campagne Joe Camel, c'est la conclusion à laquelle a abouti le procès. Il y a eu une note de service, désormais célèbre, où l'on parlait d'utiliser l'expression «Jeune fumeur adulte». Tout tendait à montrer qu'ils disaient: «Cessons de parler des choses dont nous parlions auparavant», c'est-à-dire des jeunes hommes, des adolescents de sexe masculin, et ainsi de suite. «Parlons plutôt des jeunes fumeurs adultes.» Lorsqu'on examine le tableau pour voir à quel groupe d'âge cela correspond, on constate que la tranche d'âge plus jeune dont on parle est maintenant celle qui a moins de 18 ans. Il s'agit de recourir à des expressions telles que: «Le marché des plus jeunes adultes», en prétendant qu'il s'agit des gens qui se promènent dans les centres commerciaux en Argentine. C'est un procédé qui se reproduit dans le monde entier. Les fabricants ne cessent de rappeler à tout le monde, à satiété, que la politique de leur entreprise est de ne pas faire de commercialisation auprès des personnes de moins de 18 ans. Il ne faut donc pas en parler. Ensuite, vous jeter un coup d'oeil sur leurs enquêtes et leurs données de marketing et, devinez un peu, beaucoup de gens semblent avoir moins de 18 ans.

Cela ne veut pas dire qu'il y a une ligne de démarcation magique. Il est possible de commencer à fumer à l'âge de 18 ans. Si vous êtes le promoteur d'un produit et que vous ciblez les consommateurs en puissance, vous ciblez toutes les personnes susceptibles de commencer à fumer, y compris les convertis tardifs. Toutefois, les valeurs que vous tâchez de transmettre sont celles qui plaisent à des adolescents qui traversent un phase rebelle. Cela correspond à l'identité d'être indépendant: «Je suis quelqu'un. Je peux agir comme un adulte.»

Le sénateur Banks: L'affaire judiciaire dont vous avez parlé est celle qui portait sur la campagne Joe Camel. Exception faite du retentissement de cette affaire, cette campagne n'a pas eu cours au Canada. Y a-t-il une marque canadienne comparable?

Mme Callard: Par nature, ces documents ne sont pas du type qui permet de découvrir des pièces à conviction. On trouve beaucoup de preuves accessoires, mais pas tellement de pièces à conviction.

Pendant des années, j'ai entendu des fabricants de produits du tabac dire qu'ils s'intéressent uniquement aux fumeurs susceptibles de changer de marque. Il y a environ deux mois -- et j'ai téléphoné à M. Thompson 10 minutes après avoir vu cela -- j'ai trouvé, au site de Brown & Williamson, un document tiré d'une étude de 1991 de Imperial Tobacco sur les personnes qui changent de marque. Dans cette étude, on parle de l'importance des jeunes personnes qui changent de marque. Il y a une remarque très importante dans cette étude, où l'on dit «Par «personnes qui changent de marque» nous entendons également celles qui commencent à fumer.» Jusque-là, ils disaient qu'ils ne s'intéressaient qu'aux personnes qui changent de marque mais ils n'avaient jamais dit que la définition incluait les personnes qui commencent à fumer, parce qu'il faut inclure les personnes qui n'avaient pas de marque à laquelle ils étaient fidèles un an plus tôt. Je ne vois pas quelle preuve supplémentaire il vous faut du fait que, lorsqu'ils parlent de personnes qui changent de marque, ils incluent celles qui commencent à fumer. Ils ont déclaré vouloir cibler les plus jeunes personnes susceptibles de changer de marque. Et bien, ce faisant, ils incluaient également les personnes qui commenceraient à fumer.

M. Thompson: C'est aussi à la page 3 de mon mémoire.

[Français]

Le sénateur Nolin: M. Thompson la question du prix à beaucoup d'importance pour nous. Vous parliez tout à l'heure d'élasticité, le prix aussi à une fonction d'élasticité. Nous suggérons par le bais du projet de loi S-20, une augmentation additionnelle de 20 sous par paquet de cigarettes. Le gouvernement aussi suggère une augmentation des taxes sur le tabac. Nous espérons que ces hausses du prix ne créeront pas un effet inverse ou pervert qui favoriserait le marché noir du tabac. Cela irait à l'encontre des objectifs du projet de loi. Cette hausse résulterait à un commerce illicite d'un produit qui est questionnable. Avez-vous des commentaires à ce sujet?

M. Thompson: J'ai un commentaire très précis là-dessus. À cause de nombreux litiges aux États-Unis les prix ont beaucoup augmenté et les cigarettes sont maintenant beaucoup moins chères au Québec et en Ontario. Le risque de contrebande devrait plutôt être dans l'autre sens.

[Traduction]

La présidente Nous allons maintenant entendre les témoins suivants.

Le sénateur Kelly: J'invoque le Règlement. J'ai été assez impressionné par les exposés que nous avons entendus. Toutefois, la question que nous devons examiner aujourd'hui consiste à savoir dans quelle mesure le projet de loi S-20 contribuera à réduire ou non le nombre de mineurs qui fument. Je pense que c'est notre objectif. J'espère que nous pourrons nous concentrer sur cette question, car nous ne voyons pas pour l'instant comment combattre le tabagisme chez les jeunes. Le sénateur Kenny a évoqué une solution qui pourrait donner des résultats. Il est bien certain qu'il vaut la peine d'essayer quelque chose de neuf. Il faut en convenir.

Pour ce qui est du rendement de l'industrie, d'après ce que j'ai entendu, il y a tout lieu d'effectuer, en temps opportun et à l'endroit approprié, une enquête sur toute pratique de l'industrie que l'on pourra juger douteuse. Pour l'instant, toutefois, c'est du projet de loi S-20 que nous traitons. J'espère que nous allons nous concentrer là-dessus.

Avant que la présidence évoque cette question, je me trouve en situation de conflit. Par conséquent, je tiens à rappeler à tout le monde que je parle ici de processus. Je ne me range pas d'un côté ou de l'autre de la question.

Le sénateur Kenny: Je reconnais certainement que le sénateur Kelly a le droit d'invoquer le Règlement. Je demanderais toutefois qu'il fasse état de sa situation de conflit afin que tous ceux que cette question intéresse sachent quels sont ses intérêts et préoccupations.

La présidente Il vient de les dire.

Le sénateur Kelly: Je n'ai toutefois pas fait état de mon association. J'ai des liens avec l'industrie du tabac.

La présidente Merci. Notre but premier ici, sénateur Kelly, est d'examiner le projet de loi S-20. Différents facteurs sont liés au tabagisme chez les adolescents. Il y a un certain degré de latitude, mais c'est le sujet dont nous sommes saisis. En ce qui concerne cette latitude, je ne suis peut-être pas aussi stricte que vous voudriez que je le sois mais je le suis peut-être plus que d'autres le souhaiteraient.

Le sénateur Taylor: Avons-nous reçu des documents de ce groupe?

La présidente Oui. Vous avez la parole. Si vous pouviez vous en tenir chacun à une déclaration de dix minutes, il y a beaucoup de sénateurs qui veulent vous poser des questions et nous voulons nous assurer que ces délibérations se déroulent de façon ordonnée.

M. Robert Bexon, président-directeur général, Imperial Tobacco Canada Ltée: Honorables sénateurs, je vous prie d'être indulgents. J'ai une très mauvaise grippe. Si je perds la voix, n'hésitez pas à m'interrompre.

Je suis président-directeur général d'Imperial Tobacco Canada Ltée. J'occupe ce poste depuis un peu moins d'un an. Je sais que vous voudrez me poser des questions et je serai donc bref.

L'entreprise pour laquelle je travaille est le plus important fabricant de produits du tabac au Canada. Environ 65 p. 100 des fumeurs adultes choisissent des produits du tabac fabriqués par nous. Nous sommes plus de 2 500 employés fiers et dévoués. Nous sommes fiers de nous, de la qualité des produits que nous fabriquons et de notre dossier impeccable de participation philanthropique aux collectivités de notre pays.

Si je suis ici au nom d'Imperial Tobacco, je crois savoir que, grosso modo, mes vues sont partagées par mes collègues, MM. Michel Poirier de JTI-Macdonald Corp. et John Barnett de Rothmans, Benson & Hedges Canada Inc. Mais je suis sûr qu'ils voudront vous faire leurs propres commentaires.

Permettez-moi de commencer en énonçant clairement la position de mon entreprise. Nous ne voulons pas que les jeunes Canadiens fument. Un point, c'est tout. Par conséquent, nous sommes fortement favorables à ce projet de loi. Nous croyons qu'il y a enfin la possibilité d'un réel effort public pour s'attaquer à un vrai problème, qui préoccupe sérieusement tous les Canadiens. Nous voulons contribuer à faire avancer ce projet de loi.

Je dois vous dire que la décision interne d'appuyer ce projet de loi n'a pas été unanime. Devant l'antagonisme brutal suscité entre législateurs et fabricants, surtout au cours des dernières années, il existe entre nos murs une grande méfiance et un grand doute quant aux motifs et aux gestes du gouvernement. Et je sais que vous faites face aux mêmes réticences quand vous parlez de l'industrie.

Je suis nouveau dans ce rôle et il se peut que quelques années de plus me rendent un peu plus suspicieux quant aux motifs d'autrui. Mais je crois que, en nous inspirant du système conflictuel américain plutôt que de la tradition canadienne éprouvée de consultation équitable, nous nuisons sérieusement à notre capacité collective à aller de l'avant sur des questions qui nous préoccupent tous grandement.

Pour vous parler franchement, il y a des gens chez nous qui, même après en avoir débattu, estiment encore qu'accorder notre appui à ce projet de loi équivaut à tisser la corde pour nous pendre. Ils craignent que l'argent qui découlera de ce projet de loi ne tombe simplement entre les mains de personnes qui s'en serviront pour attaquer et dénigrer notre réputation, sans que le taux du tabagisme chez les jeunes n'en soit le moindrement touché.

Cela dit, je ne peux pas nier le fait que, quand je lis le projet de loi avec ouverture d'esprit et que j'accepte dans mon for intérieur qu'il est présenté de bonne foi, je suis obligé, par logique et par instinct, de croire qu'il est vraiment ce qu'il prétend être et je suis forcé de l'appuyer. Je répète donc qu'Imperial Tobacco appuie sans réserve le projet de loi S-20 et le perçoit comme une occasion longtemps attendue d'atteindre d'importants résultats.

Je veux proposer cinq modifications qui pourraient l'améliorer davantage. J'insiste: notre appui n'est pas conditionnel à l'acceptation de ces modifications. Il s'agit tout simplement de bonnes idées.

Je vous invite donc à tenir compte de ce qui suit dans vos délibérations. Premièrement, l'éducation et la connaissance peuvent faire beaucoup. Mais cela ne suffit pas chez des personnes aussi jeunes. Le projet de loi devrait rétablir l'interdiction de posséder et d'utiliser des produits du tabac par les jeunes qui n'ont pas l'âge légal. Les membres de votre comité ne savent peut-être pas que, de 1908 à 1993, et même si elle était rarement appliquée, la loi fédérale interdisait la possession de cigarettes ou de papier à cigarettes par les Canadiens de moins de 16 ans. En 1993, pour une raison quelconque, le Parlement a abrogé cette loi. Elle devrait être rétablie en fixant le seuil à 18 ans.

Nous ne devrions pas emprunter la voie de la criminalisation, mais adopter plutôt des sanctions vigoureuses, appliquées avec constance, notamment la suspension du privilège de conduire, punition particulière appropriée chez ceux qui n'ont pas l'âge de mettre en balance la décision de fumer et les risques connus qu'entraîne une telle décision. Conjugué avec l'éducation implicite dans le projet de loi S-20, cet ajout atténuerait les effets de la pression des camarades, la cause la plus généralement acceptée du tabagisme chez les jeunes, en faisant contrepoids par la perte d'un privilège précieux et désirable.

Deuxièmement, je demande au comité d'ajouter aux activités générales de la fondation les fructueux programmes qu'utilise déjà l'industrie pour s'attaquer au tabagisme chez les jeunes. Je pense à Opération Carte d'Identité, un programme national de sensibilisation et de publicité axé sur les détaillants, visant à ce que ces derniers et leurs employés exigent une pièce d'identité avant de vendre du tabac. Il existe aussi «Opération Carte d'Identité: Zone scolaire», programme communautaire qui ajoute l'influence de groupes communautaires aux efforts des détaillants, programme qui, soit dit en passant, a réussi à obtenir les taux de respect des lois de la part des détaillants, les plus élevés au pays. Le fait que ces programmes aient été lancés par les fabricants des produits du tabac ne devrait pas être considéré comme la preuve qu'ils n'ont aucune valeur.

Troisièmement, la fondation recevra et contrôlera des fonds publics considérable pour s'acquitter de son mandat public, environ 350-400 millions de dollars par an. C'est une telle somme qu'il est peu probable qu'on puisse en investir la totalité en une seule année pour la seule éducation. Le projet de loi devrait donc exiger qu'une partie de ces fonds servent à alléger les budgets déjà soumis à rude épreuve d'application de la loi qui seront nécessaires pour assurer la conformité aux lois de la part des détaillants et sur l'interdiction de possession. Quoiqu'il en soit, il devrait y avoir des procédures appropriées en matière de budgétisation pour justifier l'investissement de 400 millions de dollars par an.

Quatrièmement, d'après moi, le Canada a besoin d'une seule et unique fondation nationale pour ce projet de loi. La Fondation devrait être invitée à former et à financer à même ses revenus des sections provinciales et municipales pour seconder les autorités en matière de santé dans ces territoires.

Cinquièmement, la fondation ne doit pas devenir une autre source de réglementation pour l'industrie. Le projet de loi S-20 doit rendre explicite ce qui y est actuellement implicite. Nous avons déjà bien assez d'aide sur le front de la réglementation.

Voilà, c'est tout. Même sans ces quelques recommandions, nous approuvons ce projet de loi. Avec lesdites recommandations, nous appuyons le projet de loi et nous croyons fermement qu'il aura un impact sur un enjeu sérieux.

Nous savons qu'il y a des problèmes à surmonter. Nous savons qu'il s'agit essentiellement d'une mesure visant à procurer une taxe spécialement affectée et que la Constitution exige que les mesures fiscales soient soumises à des procédures particulières. Nous savons que certains craindront que l'énorme somme d'argent dont il est question ici aille simplement à l'expansion de groupes d'intérêt ou qu'elle soit mal utilisée. Nous sommes disposés à travailler, avec la même bonne foi que manifeste ce projet de loi, à aider la fondation à surmonter ces problèmes.

M. John Barnett, président-directeur général, Rothmans, Benson & Hedges Inc.: Je suis reconnaissant de l'occasion qui m'est donnée de discuter de ce projet de loi et du sujet plus vaste du tabagisme chez les mineurs au Canada.

Madame la présidente, notre société comme notre industrie conviennent que le tabagisme chez les mineurs est un problème de taille. Nous croyons qu'il requiert une réponse exhaustive, coordonnée et solidaire de notre part à tous.

Un des volets du problème est l'accès des mineurs aux produits du tabac. Ces dernières années, notre industrie y a concentré ses efforts, principalement par le biais de deux programmes qui, à notre avis, sont à la fois utiles et efficaces. Nous avons invité les gouvernements et les groupes du secteur de la santé à se joindre à nous pour appuyer et étendre ces programmes. À notre grand regret, certains groupes antitabac ont préféré les dénigrer. Nous croyons que l'Opération Carte d'identité et Zone scolaire devraient faire partie de tout programme complet de lutte contre le tabagisme chez les mineurs au Canada, et nous continuons d'inviter les gouvernements et d'autres organismes à se joindre à nous pour les appuyer.

Le deuxième volet du problème est l'absence actuelle de toute sanction contre la possession de produits du tabac par des mineurs au Canada. Depuis 1993, il est illégal pour les détaillants de vendre des produits du tabac aux mineurs, mais ces mêmes mineurs Canadiens ont tout à fait le droit d'en posséder. Tout effort sérieux visant à lutter contre le tabagisme chez les jeunes doit être soutenu par des lois régissant la possession de produits du tabac par des mineurs. Certes, les détaillants sont obligés de refuser de vendre aux mineurs. Mais franchement, honorables sénateurs, il est grand temps d'aider les quelque 40 000 détaillants à le faire en adoptant des lois régissant la possession de produits du tabac par des mineurs.

Le troisième volet de ce problème, et sur plusieurs points le plus difficile, est de se pencher sur le «pourquoi» du tabagisme chez les mineurs et ce, afin de mieux comprendre pourquoi ces jeunes fument-ils et, au moins, de les persuader de retarder leur décision de fumer ou non jusqu'à ce qu'ils soient des adultes et qu'ils puissent peut-être mieux comprendre les risques associés à leur décision.

On n'a qu'à observer les tendances du tabagisme chez les mineurs -- et du même coup, de la consommation des drogues illicites et de l'alcool -- pour conclure que les programmes gouvernementaux et autres à cet égard ont été largement inefficaces, ce qui, à notre avis, s'explique facilement. Pour des raisons plus politiques que pertinentes, les programmes gouvernementaux et des groupes antitabac se sont appliqués à diaboliser l'industrie et à blâmer ses pratiques publicitaires et de commercialisation. Ainsi, on ne tient pas compte du fait que nous n'avons jamais ciblé notre commercialisation sur les fumeurs mineurs, ni que durant pratiquement toute la dernière décennie, la loi nous a interdit formellement de faire de la publicité pour nos produits à quiconque, et a limité énormément nos activités de commercialisation. De plus, on ignore malheureusement toute la masse de recherches disponibles montrant que le tabagisme chez les mineurs est motivé non pas par la commercialisation de l'industrie, mais par des facteurs socio-démographiques tels que l'influence des parents, la pression des pairs et la curiosité des adolescents.

Ce que nous retenons de la vocation et des objectifs du projet de loi S-20, c'est qu'il cherche à répondre, d'abord et avant tout, à la grande question: qu'est-ce qui motive les jeunes à fumer et comment pourrions-nous les éduquer et communiquer avec eux? Nous partageons ces objectifs et, en principe, nous sommes prêts à appuyer la création de la fondation que propose le projet de loi pour diriger cette démarche. Nous avons toutefois certaines réserves au sujet des dispositions précises du projet de loi S-20, dont deux en particulier.

Comme les membres du Sénat le savent bien, le projet de loi S-20 propose de financer la fondation en imposant une autre taxe aux Canadiens qui choisissent du fumer. Ce que les membres du Sénat savent peut-être moins bien, c'est que depuis février 1994, notre industrie verse 80 millions de dollars par an dans les coffres du gouvernement fédéral en vertu de ce que le premier ministre appelle la «surtaxe à la promotion de la santé». Cette somme, il va s'en dire, s'ajoute aux trois milliards de dollars par an que le même gouvernement fédéral perçoit en taxes et droits d'accise et TPS imposés sur les ventes des produits du tabac au Canada.

Cette surtaxe devait paraît-il servir à financer la promesse du premier ministre de mener ce qui serait la plus grand campagne antitabac jamais vue au pays. Pourtant, six ans plus tard, le gouvernement a recueilli plus de 400 millions de dollars en surtaxes, alors que Santé Canada a consacré simultanément moins de 150 millions de dollars aux mesures de réglementation du tabac, y compris la lutte contre le tabagisme chez les jeunes.

À notre avis, il n'y a aucun besoin, à plus forte raison au stade embryonnaire de la fondation proposée, d'ajouter un nouveau fardeau fiscal sur le dos des fumeurs du Canada. Pour démarrer la fondation, nous aimerions suggérer que le gouvernement passe maintenant de la parole aux actes et consacre les recettes fiscales de la surtaxe au financement de cette nouvelle organisation. Une fois que la fondation est établie, qu'elle a quelques années d'expérience à son actif et qu'elle a eu le temps d'élaborer un plan d'activités efficace, nous serons alors tout à fait disposés à en étudier le financement.

Notre deuxième réserve concerne la structure de régie interne de la fondation que propose le projet de loi S-20. Il s'agit d'une loi dont la vocation avouée est d'aider et d'habiliter notre industrie à réagir au tabagisme chez les jeunes; cependant, elle nous refuse de jouer un rôle quelconque dans le fonctionnement de l'organisation. Nous croyons que cette fondation bénéficierait de notre expérience et de nos connaissances pratiques du marché des produits du tabac. Nous savons, pour en avoir fait la triste expérience avec les autorités gouvernementales de réglementation, que tous les programmes conçus sans ces connaissances pratiques sont voués à un échec aussi frustrant qu'onéreux.

Bien que je ne sache trop jusqu'où le gouvernement fédéral et le Parlement peuvent aller à cet égard, nous espérons aussi que la régie interne de la fondation prévoira la participation des provinces intéressées.

Membres du Sénat, ces dernières années, les relations de notre industrie avec le gouvernement fédéral et le Parlement ont été troublées par la méfiance et les conflits -- le ton a monté entre nous -- et dans de trop nombreux cas, nous nous sommes poursuivis en justice -- quand il existe des problèmes comme le tabagisme chez les mineurs et que nous pouvons nous entendre sur des objectifs à ce sujet et, espérons-le, collaborer à les atteindre. Quant à nous, nous sommes tout disposés à travailler avec vous, le gouvernement et les autres pour créer une fondation qui, espérons-le, pourra constituer une réponse gagnante, crédible et efficace.

M. Michel Poirier, président-directeur général, JTI-Macdonald Corp.: Honorables sénateurs, je suis entré dans l'industrie du tabac il y a un peu plus de deux ans et je suis à ce poste depuis moins de six mois. Je tiens à remercier le comité d'avoir invité notre société à donner son point de vue sur un projet de loi qui représente un effort important de votre part et, je l'espère, une possibilité pour nous d'apporter notre contribution.

Notre secteur est très préoccupé par les questions dont nous discutons aujourd'hui et je vous remercie de donner aux Canadiens la possibilité d'écouter ce que nous avons à dire.

[Français]

JTI-Macdonald est intimement associée à l'histoire économique et sociale de notre pays et, à l'image de celui-ci, ses activités et son rayonnement ont évolué au fil des ans. Notre société, de même que l'ensemble de ses employés et de ses dirigeants, est très ferme sur un point: nous nous opposons à l'usage du tabac chez les mineurs.

J'appuie les propositions de mes collègues telles qu'énoncées par M. Bexon, notamment en ce qui a trait à l'interdiction de l'usage et de la possession du tabac chez les mineurs.

Le climat de méfiance et d'antagonisme qui caractérise les relations entre gouvernements et fabricants limite sévèrement l'efficacité de vos efforts et des nôtres en ce qui a trait à cet objectif.

Je dis cependant reconnaître que le projet de loi S-20, que vous nous invitez à commenter, nous offre l'occasion de viser cet objectif ensemble.

C'est dans ce contexte que nous vous faisons part de nos suggestions aujourd'hui. JTI-Macdonald offre son soutien au projet de loi S-20.

Permettez-moi de vous faire part de quelques suggestions, toutes destinées à faire en sorte que ce projet de loi soit un succès et une référence en la matière.

Nous aimerions d'abord vous suggérer une précision à apporter au projet de loi sur l'utilisation des fonds. Il est important que les fonds éventuellement disponibles -- d'où ils proviennent -- soient voués à la compréhension profonde et objective du problème qui nous préoccupe: les véritables causes du comportement des jeunes, de la rébellion des adolescents, l'influence qu'y jouent les cercles d'amis et les parents. Pour le moment, je suis confronté à une masse contradictoire de données et je suis frappé par le manque de rigueur et la superficialité qui caractérise trop souvent l'analyse d'un problème social pourtant sérieux et complexe, ainsi que par le financement dérisoire des fonds publics à cet effet.

Vous savez comme moi que le Canada se vante d'être à l'avant-garde des initiatives anti-tabac. Nous vous proposons, en dirigeant une partie substantielle du financement de la fondation vers une recherche objective, de situer notre pays à l'avant-garde d'une approche pratique.

Il y a des activités qui réussissent à décourager l'achat de tabac par les mineurs. Kelowna, en Colombie-Britannique, constitue un excellent exemple. Le programme «Opération carte d'identité» a accompli beaucoup dans cette région, en ce qui a trait au comportement des détaillants face à la vente du tabac chez les jeunes. Nul autre que le ministre de la Santé n'a pu s'empêcher de remarquer les succès obtenus dans cette région.

Mon propos est simple. Il est possible, car l'expertise existe, de mesurer de tels efforts, de savoir dans quelle mesure nos programmes fonctionnent. Ce qui me conduit à mon dernier point qui est le rôle de l'industrie.

Nous représentons une industrie légitime, fière, disposant de connaissances certaines à l'égard du sujet qui nous préoccupe. Je suis d'avis que l'implication active de notre compagnie, de notre industrie et de ses représentants au sein de la fondation envisagée augmenterait substantiellement nos chances d'atteindre les objectifs que nous nous fixons. Il serait dommage d'écarter nos compétences et nos actifs strictement pour des raisons partisanes.

C'est pourquoi votre invitation est importante et bienvenue pour JTI-Macdonald.

Il me fera plaisir de répondre à vos questions sur ce projet de loi.

[Traduction]

Le sénateur Finnerty: Merci, messieurs, d'être venus aujourd'hui. Je suis ravie que vous soyez favorable au projet de loi S-20 -- étant grand-mère d'un petit-fils qui arrive à l'adolescence, je dois dire que je suis très inquiète. Je vis à côté d'une école secondaire et j'ai remarqué que, ces dernières années, il y a de plus en plus de jeunes qui fument. Cela m'inquiète.

Est-ce que la réduction du tabagisme chez les jeunes est un objectif pour votre société? Vient-elle avant ou après la réalisation de bénéfices et le maintien de votre place sur le marché?

M. Bexon: Je vais essayer de répondre. Oui, c'est en effet un de nos objectifs. Nous jugeons que c'est une fin souhaitable dans ce marché. Je ne suis toutefois pas certain que cela puisse être un véritable objectif de notre société puisque nous nous ne sommes pas les seuls qui pouvons agir en la matière. Cela nécessite un effort concerté, comme ce projet de loi.

Nos actionnaires, ceux qui signent mon chèque de paie, attachent une grande importance, sachez-le bien, aux bénéfices et aux parts de marché. Ce sont là de réels objectifs pour notre société. Mais c'est un problème auquel nous attachons suffisamment d'importance pour financer des programmes dans lesquels nous pouvons être efficaces, à savoir lorsqu'il s'agit de réduire l'accès des jeunes au tabac.

Le sénateur Finnerty: Imperial Tobacco domine le marché des jeunes ces dernières années. Si je ne m'abuse, votre société a plus de 75 p. 100 de la part du marché des fumeurs de 15 à 19 ans, n'est-ce pas?

M. Bexon: Je ne connais pas le chiffre exact. C'est assez élevé.

Le sénateur Finnerty: Avez-vous fait quoi que ce soit pour réduire cette part dans vos efforts de mise en marché? Êtes-vous troublé par l'augmentation du nombre de fumeurs de 15 à 19 ans?

M. Bexon: Je crois qu'il faut faire la distinction entre le tabagisme chez les jeunes et les jeunes qui fument nos marques. Il serait injuste de dire que parce qu'ils fument nos marques, nous sommes responsables.

Le fait qu'ils fument nous ennuie en effet. Le fait que les jeunes fument avant l'âge légal nous dérange beaucoup. Je regardais les chiffres ce matin. Le fait qu'il y a proportionnellement plus de jeunes qui fument que d'adultes nous dérange aussi.

Il est à mon avis tout à fait ridicule de dire que c'est nécessaire pour entretenir notre chiffre d'affaires. Personnellement, et je sais que c'est également la position de M. Brown, si aucun jeune ne commençait à fumer -- étant donné qu'il y a un moment où cela devient une décision d'adulte -- je crois que cela marcherait tout de même pour nous. Je me battrais contre ces deux gars pour obtenir la clientèle qui a choisi en tant qu'adulte de consommer ce produit.

Le tabagisme chez les jeunes est une des raisons pour lesquelles je crois fermement qu'il faut revenir à des mesures d'interdiction. Je ne pense pas que l'on puisse se contenter d'essayer de convaincre. C'est un véritable problème. C'est quelque chose qui nous a plus inquiétés récemment du fait du projet de loi et, même avant, parce que beaucoup de mes employés ont des enfants qu'ils ne voudraient pas voir fumer. J'ai trois enfants, dont deux fument. Il y a une qui s'est disputée avec sa mère à ce sujet et qui s'est fait mettre à la porte de la maison à cause de cela. Je ne veux pas que mes enfants fument. Je n'y puis pas grand-chose.

Le sénateur Finnerty: Est-ce qu'il y en a parmi vous qui fument, messieurs, ou est-ce que vos enfants fument?

M. Barnett: Oui, je fume. J'ai six enfants; quatre sont de jeunes adultes, dont trois fument et l'un ne fume pas.

Le sénateur Finnerty: Cela vous inquiète-t-il?

M. Barnett: Lorsque les adultes fument, cela ne m'inquiète pas. J'estime qu'ils doivent avoir le droit de choisir de fumer s'ils le veulent et s'ils savent ce qu'ils font. C'est un choix entre le plaisir à court terme et les risques à long terme.

Le sénateur Finnerty: Si vous considérez les recherches effectuées par vos sociétés, quels sont les facteurs qui influencent les gens à décider de ne pas commencer à fumer? Quels sont les facteurs qui influencent les jeunes à décider de ne pas fumer? Parmi ces facteurs, quel est celui qui a le plus de poids auprès des adultes et des jeunes?

M. Poirier: Je n'ai pas de donnée à ce sujet car nous ne faisons pas de recherche sur les gens qui ne fument pas.

M. Barnett: Je ne crois pas que notre société ait étudié les facteurs pour lesquels les gens décident de ne pas fumer. D'après mes observations personnelles, j'estime qu'ils sont au courant des risques que cela présente pour leur santé et qu'ils décident que le plaisir qu'ils pourraient tirer de la cigarette n'est pas suffisant pour compenser ces risques.

Le sénateur Wilson: J'ai un certain nombre de questions à vous poser sur la recherche et le ciblage, en particulier à Imperial Tobacco. J'ai un certain nombre de documents sortis de votre historique que je voudrais mentionner avant de poser mes questions. Il y a un document de recherche en marketing qui date de 1982, par exemple. Cette «évaluation continue du marché» se fait par téléphone. Avant de commencer à poser ces questions, l'interviewer demande de parler à la personne qui a au moins 15 ans dans cette maison et qui consomme des produits du tabac. Il demande ensuite quelle marque, pourquoi, qu'est-ce qui l'a attirée et si elle a changé de marque, comment elle obtient ses cigarettes ou si quelqu'un d'autre les achète, et cetera.

J'ai un autre document intitulé «Monthly Monitor Questionnaire» daté de 1992 et portant l'inscription «Secret. Do not copy.» Il s'agit du relevé des questions-réponses d'entrevues téléphoniques de 200 particuliers de 15 ans et plus. Ce sondage était effectué chaque mois.

Il y en a un autre document intitulé «Overall Market Conditions». On dit dans ce document:

Si nous avons tiré une leçon des dix dernières années c'est que l'industrie est dominée par les compagnies qui répondent de la façon la plus efficace aux besoins des jeunes fumeurs. Ainsi, pour ces marques, nous continuerons à essayer de maintenir leur popularité chez les fumeurs plus jeunes peu importe leur popularité auprès des fumeurs plus âgés.

Le dernier document que j'ai en main est une bibliographie de la recherche de base sur les cigarettes canadiennes, qui remonte à 1953. Il s'agit de votre historique.

La présidente: Peut-être les témoins voudraient-ils avoir des copies de ces documents.

Le sénateur Wilson: Je peux les fournir par la suite, lorsque j'en aurai fini. Je suppose que Imperial Tobacco les a puisqu'il s'agit là de ses documents.

Le sénateur Kinsella: Il existe des copies.

Le sénateur Wilson: D'après les documents que j'ai obtenus, vous commenciez par le passé vos sondages auprès des jeunes à partir de 15 ans. Pourquoi?

M. Bexon: Tous les documents que vous avez cités sont fondés sur des méthodes d'échantillonnage. Il faut assortir avec ce cadre d'échantillonnage ce que votre compagnie fait et ce que vous révèlent les ventilations démographiques de Statistique Canada. Historiquement, Statistique Canada a consulté des jeunes de 15 à 19 ans. Cette catégorie est donc incluse. Le nombre de jeunes de 15 ans rend ces données statistiquement fiables, mais le nombre de jeunes de 15 ans qui sont consultés dans ces sondages ne suffit pas pour permettre de faire quoi que ce soit en ce qui a trait au tabagisme chez les jeunes.

Le sénateur Wilson: Si ce n'est pas utile, pourquoi le faire? Je demande simplement pourquoi?

M. Bexon: Parce que ce sondage porte sur une population de 15 à 90 ans.

Le sénateur Wilson: Non. Je m'excuse, mais dans ces documents les sondages vont de 15 à 34 ans et vous n'êtes plus intéressés par les réponses de ceux qui ont plus de 34 ans.

Le sénateur Taylor: Je m'excuse, mais cela va de moins de 15 ans à 34 ans.

M. Bexon: De quel sondage parlez-vous? Puis-je voir le document?

Le sénateur Wilson: Pour certains documents ce sont des jeunes de moins de 15 ans et pour d'autres c'est 15 ans et plus. Je sais que pour un des sondages les répondants sont âgés de 15 et 34 ans.

M. Bexon: Est-ce qu'il s'agit d'une analyse de quelque chose ou d'une étude?

Le sénateur Wilson: Vous ne posez pas des questions aux autres groupes d'âge. Je vais retrouver ce document.

M. Bexon: Je vous en serais reconnaissant, parce que si cela porte sur ce que nous appelons l'EPM, à ce moment-là on a étudié tout le marché des clients de plus de 15 ans. S'il s'agit du «Monthly Monitor», on y suit tout le marché des fumeurs de plus de 15 ans.

Le sénateur Wilson: Je devrai essayer de retrouver ce document. Je ne l'ai pas à portée de la main.

M. Bexon: Si vous retrouvez le document, j'aimerais que vous me le fassiez parvenir. Je serai prêt à renvoyer au Sénat une explication du document.

La présidente: Pouvez-vous expliquer ce que vous entendez par EPM?

M. Bexon: L'EPM est l'évaluation permanente du marché.

Le sénateur Wilson: C'était le premier document. J'avais remarqué cela parce que je me demandais pourquoi vous arrêtiez de poser ces questions à ceux de plus de 34 ans.

M. Bexon: Vous constaterez que lorsque nous avons commencé à nous intéresser plus vivement à la question et à la perception du public, nous avons cessé de poser des questions bien pointues aux gens de plus de 19 ans. Nous demandions aux gens quelle marque de cigarettes ils fumaient, depuis combien de temps ils fumaient, quelle marque ils fumaient auparavant, mais nous ne leur posions pas des questions sur leur attitude, parce que nous pensions qu'un jour ce serait absolument inapproprié. Nous avons cessé de poser ce genre de questions.

Le sénateur Wilson: Puis-je vous demander quand vous avez changé d'attitude et que vous avez commencé à poser ces questions uniquement à ceux âgés de plus de 19 ans?

M. Bexon: Je crois que c'est en 1997 que nous avons commencé à poser ces questions exclusivement à ceux qui étaient âgés de plus de 19 ans.

Le sénateur Wilson: D'après les recherches de votre compagnie, quel pourcentage d'adolescents fument, et j'aimerais avoir les données pour l'année la plus récente.

M. Bexon: Je crois que c'est environ 30 p. 100.

Le sénateur Wilson: Trente pour cent des adolescents fument.

M. Bexon: Oui, c'est ce que révèle nos sondages. Vous le sauriez mieux que nous parce que désormais nous n'effectuons pas de sondage auprès de jeunes âgés de moins de 16 ans.

Le sénateur Wilson: Ah, vous consultez même les jeunes de 16 ans. Je vois.

M. Bexon: C'est peut-être 18 ans.

Le sénateur Wilson: Est-ce 16 ou 18 ans?

M. Bexon: Je ne sais pas. J'occupe ce poste depuis peu de temps. C'était 16 ans quand je suis parti et je crois qu'il se peut que...

La présidente: Peut-être pourrions-nous obtenir ces renseignements par écrit.

Le sénateur Wilson: Oui, ce serait important.

J'aimerais maintenant passer au ciblage de fumeurs mineurs. J'ai un document, soit le programme médiatique national de 1980 pour Imperial Tobacco, disant que pour certaines marques, le groupe cible le plus important est le groupe des jeunes âgés de 12 à 17 ans. De plus, et c'est encore plus important, ce groupe cible est jugé comme étant plus important que celui représenté par les fumeurs âgés de 18 à 24 ans ou ceux âgés de 25 à 34 ans. C'est justement ce dont je parlais plus tôt. Pour ceux de 35 ans et plus, pour ces marques, on ne les identifie même pas comme groupe cible et ils ne méritent même pas votre attention.

Voici ma question: avez-vous cessé de faire de la publicité ciblant les adolescents comme ceux-là -- les jeunes de 12 à 17 ans? Dans l'affirmative, pourquoi?

M. Bexon: Il s'agit d'un document que d'aucuns disent être récent. En fait, il a fait surface il y a 10 ou 12 ans lors du procès C-51. J'ai pour vous une copie du témoignage présenté lors de ce procès par M. Don Brown, qui était chef du marketing à l'époque. Il explique tout bien clairement et simplement. Je peux vous remettre ce document maintenant, mais ce n'est pas un document récent, et je ne sais pas s'il sera vraiment utile dans le cadre de votre étude de ce projet de loi. Ce document, qui représente son témoignage devant le tribunal, porte justement sur le document dont vous parliez. Voulez-vous que j'essaie de vous l'expliquer?

Le sénateur Wilson: Oui.

M. Bexon: Le PMB, le Print Measurement Bureau, est un mécanisme grâce auquel la majorité des spécialistes du marketing évaluent le nombre de lecteurs des revues et magazines. Il a produit des regroupements d'âge comme ceux de 12 à 17 ans, 18 à 24, et ainsi de suite. Il s'agit simplement de chiffres visant à lui permettre de catégoriser les lecteurs. Ainsi, pour la marque dont nous parlons, notre groupe cible était en fait 16 ans et plus. La seule façon pour la responsable des questions médiatiques de consulter les 16 à 17 ans -- ce qui est un âge pertinent puisque c'était les jeunes de cet âge qui étaient autorisés à fumer -- c'était de prendre tout cet échantillon. On pourrait croire qu'elle ciblait le groupe de 12 à 16 ans mais ce n'était pas le cas, parce qu'elle avait également une liste des publications dont on jugeait le contenu approprié, comme Field & Stream, Chatelaine, Time et j'en passe. Ainsi, l'impact net c'est probablement qu'on a ajouté une annonce dans TV Times. C'est loin de cibler les jeunes quoiqu'on nous a accusé de l'avoir fait.

Je vous remettrai cependant ce document parce que vous y retrouvez une explication beaucoup plus adéquate de la part de M. Brown, qui sait beaucoup mieux s'exprimer sur la question que moi.

Le sénateur Wilson: J'aimerais également signaler que dans le même rapport on a donné une pondération de 1,0 au groupe de 12 à 17 ans. On évaluait l'importance de chaque groupe d'âge. Donc on le jugeait assez important. De plus, le groupe d'âge de 18 à 24 ans a reçu la même cote, soit 1,0, alors que le groupe de 35 ans et plus a reçu 0,0, puis aucun autre groupe n'est mentionné. Pourquoi avez-vous coté ces groupes de cette façon?

M. Bexon: Le groupe cible pour cette marque était les fumeurs de 16 à 24 ans.

Le sénateur Wilson: On dit que le groupe de 12 à 17 ans est celui qui a la cote supérieure.

M. Bexon: Comme j'ai déjà expliqué, c'est parce que les données médiatiques utilisées pour en venir à un plan médiatique étaient présentées par un groupe non ventilé des 12 à 17 ans. Cependant cela était tempéré par le fait que l'on ne ferait pas de publicité dans certaines revues. Par exemple on ne publiera pas d'annonce dans Jack and Jill. Cela aurait peut-être changé en fonction du nombre de jeunes de 12 ans qui lisaient Maclean's. Cependant, la responsable des données médiatiques avait une liste déjà établie bien définie des revues et magazines possibles; il s'agissait de la publicité qu'on y présentait. Mais ce document vous en dira plus long sur la question.

Si vous le permettez, je dois ajouter que nous voulons laisser le passé dernière nous. Une des raisons pour lesquelles j'appuie sans hésitation le projet de loi S-20 c'est que je crois que ressasser le passé -- je suppose qu'un jour il faudra peut-être le faire devant les tribunaux -- sur cette question du tabagisme chez les mineurs n'est pas très utile.

Je pensais que l'essentiel de la discussion portait sur le projet de loi S-20, et je crois que si cette mesure législative est adoptée, elle rendra toutes les autres discussions théoriques. Vous trouverez d'autres documents du genre. Il y a 8 millions de pages représentant quelque 40 années de travaux de la part de notre compagnie. Des dizaines de milliers de gens ont mis la main à la pâte. Vous trouverez des milliers de commentaires gênants et, si vous me donnez le temps, nous pourrons les expliquer et les placer dans leur contexte, mais cela ne fait pas progresser l'étude de ce projet de loi.

Le sénateur Wilson: Monsieur Bexon, sauf le respect que je vous dois, la raison pour laquelle je pose ces questions c'est justement parce que votre crédibilité est en jeu, tout comme la crédibilité du secteur du tabac en raison de ce que vous avez fait par le passé, ce qui est loin d'être exemplaire. C'est pourquoi je parle de ce que vous avez fait par le passé.

Vous dites «nous ne voulons pas que les jeunes Canadiens fument» et vous ajoutez «nous sommes disposés à travailler, avec la même bonne foi que manifeste ce projet de loi, à aider la Fondation à surmonter ces problèmes». Nous vous en félicitons, si vous avez changé. Mais avez-vous changé? À mon avis, c'est aux fruits qu'on juge l'arbre. Pendant toutes ces années lorsque vous disiez en public certaines choses, les dossiers officiels prouvent le contraire, et le public et les politiciens n'ont plus fait confiance à l'industrie du tabac. C'est à vous maintenant qu'il appartient de restaurer votre crédibilité.

Je suis absolument outrée par certains de ces documents et je crois que c'est maintenant à vous qu'il appartient de nous prouver que, en fait, vous allez collaborer de bonne foi, et, évidemment, nous allons vous surveiller.

M. Bexon: En appuyant en mon nom personnel et au nom de ma compagnie le projet de loi S-20, j'espère avoir fait le premier pas pour rétablir cette crédibilité.

Le sénateur Wilson: C'est aux fruits qu'on juge l'arbre.

Le sénateur Kelly: Encore une fois, je comprends parfaitement la position du dernier intervenant, mais j'aimerais rappeler aux honorables sénateurs qu'on parle du présent. Nous parlons d'une nouvelle proposition, soit le projet de loi S-20, qui porte sur un problème qui, nous le savons, existe, et auquel nous n'avons pas encore trouvé de solution. Mme Callard a dit qu'on avait suffisamment de preuves pour justifier une enquête approfondie des pratiques de l'industrie. Très bien. Cependant, nous parlons ici du projet de loi S-20 et nous essayons de régler un problème. J'espère que l'on va revenir à la question que nous sommes ici pour étudier aujourd'hui.

La présidente: Sénateur Kelly, nous sommes ici pour discuter du projet de loi, mais les facteurs entourant le tabagisme chez les jeunes et les motifs qui les inspirent sont très important car ils nous permettront de comprendre quelles mesures nous pouvons prendre en ce qui a trait à ce projet de loi.

Le sénateur Kelly: Madame la présidente, je ne conteste pas le bien-fondé des travaux de ce comité ou de n'importe quel autre comité parlementaire. Je suis au Parlement depuis assez longtemps pour savoir que le Parlement est souverain et que ses comités peuvent faire ce qu'ils veulent. J'interviens simplement pour des raisons d'équité et à mon avis de simple bon sens. C'est tout.

Le sénateur Wilson: Je répéterai simplement que la raison pour laquelle j'ai parlé du passé c'est qu'il s'agit d'une question de crédibilité.

Le sénateur Taylor: Je vous remercie d'être venu aujourd'hui et d'appuyer le projet de loi S-20.

Monsieur Bexon, votre solution semble être un peu draconienne: vous proposez la suspension du permis de conduire et vous voulez qu'on impose une peine pour la possession de cigarettes. Je ne sais pas ce que vous feriez des jeunes de 12, 13 ou 14 ans qui ont en leur possession un paquet de cigarettes. Il me semble que vous devriez plutôt penser à des façons de les dissuader de fumer plutôt que d'idéaliser la possession de cigarettes en imposant la suspension du permis de conduire. Avez-vous pensé au côté positif de l'équation?

Si je ne me trompe, vous vendez les cigarettes Player's?

M. Bexon: C'est exact.

Le sénateur Taylor: Vous avez de la publicité où l'on voit les gens faire de l'alpinisme, du kayak, des activités de ce genre. Cela n'intéresse pas vraiment les personnes âgées. Cependant, les témoignages que nous entendons diffèrent. Un homme qui a six enfants évidemment ne sera pas convaincu que la nicotine a un impact sur sa performance sexuelle.

Je me demande si vous avez des encouragements. Que pourriez-vous mettre, par exemple, sur un paquet de cigarettes pour convaincre les jeunes de 12, 13 ou 14 ans qu'ils ne doivent pas fumer?

M. Bexon: Nous mettons déjà des mises en garde sur nos emballages. Les gens diront qu'on nous force à le faire, mais le fait est que ce paquet de cigarettes dit: «La cigarette cause le cancer». La majorité des gens à qui nous parlons peuvent lire, et il y a toute une série de mises en garde du genre et, comme vous le savez, il y en aura d'autres.

J'aimerais cependant parler de la possession. Je sais qu'une étude a été faite dans une ville de l'Illinois où le taux de tabagisme chez les jeunes a chuté de 70 p. 100 lorsqu'on a non seulement adopté une loi sur la possession mais qu'on a commencé à la mettre en oeuvre.

Le sénateur Taylor: Le taux de tabagisme a chuté de combien?

M. Bexon: De 70 p. 100.

Aujourd'hui, les jeunes que vous voyez dans la cour d'école, seraient peut-être dissuadés si le fait de posséder un parquet de cigarettes était un délit. Je ne crois pas qu'il faut les envoyer en prison. La suspension de votre permis de conduire n'est pas une mesure draconienne; ça ne veut pas dire que vous avez un casier judiciaire et on ne vous coupe pas les mains. Cela veut simplement dire que votre mère doit vous conduire au centre commercial pendant un peu plus longtemps.

Je crois qu'il existe une loi semblable au Texas; si vous êtes en possession d'un paquet de cigarettes avant d'avoir votre permis de conduire, lorsque vous recevez votre permis, vous constaterez qu'il a déjà été suspendu. Je crois que ce n'est pas une solution draconienne, mais de toute façon les jeunes sont conscients des dangers associés au tabagisme. Ils sont convaincus qu'ils n'auront pas de dépendance et que ces dangers sont si éloignés qu'ils n'ont rien à voir à la décision qu'ils prennent aujourd'hui. Je crois que de cette façon vous choisiriez quelque chose qui pour eux est significatif et les touche aujourd'hui. Ne pas pouvoir conduire, si vous avez 16 ans, c'est probablement très important, même si ça ne menace pas votre vie.

Le sénateur Taylor: J'ai souvent entendu dire que les cigarettes qu'on appelait «douces» ou «légères», donnent un coup de nicotine plus élevé que les cigarettes ordinaires et qu'on met l'étiquette «légère» ou «douces» simplement pour que ceux qui commencent à fumer achètent ce type de cigarettes en se disant qu'elles sont moins fortes; cependant elles ont plus de nicotine que les autres types de cigarettes. Est-ce vrai? Pouvez-vous nous en dire un peu plus long là-dessus, monsieur Poirier?

M. Poirier: J'aimerais tout d'abord signaler qu'il n'y a aucune manipulation de la nicotine dans le secteur du tabac. Ce que nous avons fait, en collaboration avec le gouvernement il y a quelques années, c'est d'offrir une solution de rechange aux fumeurs, en offrant une cigarette qui contient moins de goudron, de nicotine et de CO. Le seul changement se produit au niveau de la fabrication de la cigarette, en fait c'est le filtre ou l'on retrouve plus de trous, et cetera. Je ne suis pas un expert.

On l'a fait parce que le gouvernement nous avait demandé de fabriquer ces cigarettes. Vous avez également signalé, sénateur Taylor, que vous croyez que les fumeurs commencent à fumer en utilisant des cigarettes légères. Nous avons cru comprendre que dans le groupe âgé de 19 à 24 ans, où l'on retrouve la majorité des nouveaux fumeurs, à notre connaissance, on fume les cigarettes qui contiennent le plus de goudron, de 12 à 15 milligrammes. Plus tard, au fil des ans, ils passent à des cigarettes qui contiennent moins de goudron.

Le sénateur Taylor: Certains disent que même si vous pouvez avoir une plus faible teneur en nicotine grâce aux trous qui permettent d'aspirer plus d'air, ces filtres sont fabriqués d'une telle façon que si vous couvrez les trous avec vos doigts, l'impact de la nicotine est plus fort.

M. Poirier: C'est faux.

Le sénateur Taylor: Vous ne ciblez pas les gens qui ont de gros doigts?

M. Poirier: Absolument pas. Nous avons entendu ce genre de commentaires auparavant. Les cigarettes sont fabriquées de sorte que si le consommateur veut moins de goudron, de nicotine ou de CO, il choisira les cigarettes légères. Statistique Canada a étudié la question et conclu que des gens compensaient la faible teneur en goudron, nicotine et CO en inspirant plus fort. Nous croyons que cela peut se produire au début, puis le consommateur se fait à une teneur plus faible en goudron, nicotine et CO.

Nous fabriquons des produits simplement pour le goût et parce que le gouvernement nous a demandé de fabriquer ces produits. Nous ne pouvons pas faire de commentaires sur la façon dont le consommateur change son comportement, ou la façon dont il passe à un type de cigarette ou à un autre. Ce n'est l'objectif que nous recherchons.

Le sénateur Banks: Tout comme le sénateur Kelly, je dois dire que je vis un conflit d'intérêts puisque je fume. Je ne sais pas qui d'entre vous fabriquent ces cigarettes -- je suppose que ce n'est pas une bonne nouvelle pour les Canadiens puisqu'il s'agit de Camels.

Fumer les cigarettes légères présente un grave danger parce que vous avez pratiquement une hernie quand vous essayez d'en tirer suffisamment de nicotine.

Je suis très heureux, messieurs, que vous appuyiez ce projet de loi. J'aimerais vous rappeler, cependant, que notre comité étudie le projet de loi, et n'en fait pas nécessairement la promotion. N'empêche que nous sommes heureux d'entendre vos commentaires.

Comme vous l'avez signalé, vous ajoutez des messages sur vos paquets et, pour l'instant, vous n'êtes pas forcés de le faire. Vous n'êtes pas tenus de le faire. Vous le faites de façon volontaire si j'ai bien compris.

L'objet de ce projet de loi, tel qu'énoncé aux alinéas 6a) et c), est de protéger la santé des jeunes au Canada pour leur propre bien. Il me semble que ceux d'entre nous qui sont plus âgés savent toujours ce qui est dans le meilleur intérêt de ceux qui sont plus jeunes. Quelles sont les réactions et positions de vos compagnies en ce qui a trait à ces messages?

Monsieur Bexon, vous avez montré un paquet de cigarettes qui dit «La cigarette cause le cancer». Est-ce que votre compagnie le croit, croit-elle que la cigarette cause le cancer?

M. Bexon: Je crois que nous dirions que compte tenu des preuves qui existent aujourd'hui, nous reconnaissons que le tabagisme cause chez certaines personnes des maladies.

Le sénateur Banks: Le tabagisme pourrait-il, par exemple, causer le cancer chez les jeunes?

M. Bexon: Peut-être. Je n'ai jamais vu de données là-dessus. Si j'ai bien compris -- et je ne suis pas un médecin; j'étais vendeur et pas très bon vendeur d'ailleurs...

Le sénateur Banks: Je suppose que vous étiez peut-être bon vendeur puisque vous êtes maintenant PDG de la compagnie.

M. Bexon: Vous devez être bon vendeur pour occuper ce poste.

Le sénateur Taylor: Il faut se méfier du type qui dit qu'il n'est pas un bon vendeur.

M. Bexon: Les documents que j'ai vus semblent indiquer que le cancer du poumon est une maladie qu'on retrouve surtout chez les personnes plus âgées. Je crois que j'ai vu quelque part, et je ne garantis pas que j'ai le bon chiffre, que c'est en moyenne vers l'âge de 73 ou 74 ans que les gens meurent du cancer du poumon. Ainsi, je crois qu'il est peu probable que le tabagisme cause ce cancer, mais certainement, si vous décidez de fumer, il se pourrait que vous ayez le problème. Je crois que c'est normal.

Le sénateur Banks: Monsieur Poirier, votre compagnie croit-elle que le tabagisme cause le cancer?

M. Poirier: Nous croyons que quiconque décide de fumer augmente les dangers d'avoir des problèmes de santé et d'avoir diverses maladies. Oui.

Le sénateur Banks: Vous parlez de risque plutôt que de cause.

M. Poirier: Je ne suis pas un scientifique. Je constate simplement qu'il y a plusieurs choses qui, réunies, peuvent causer le cancer. Le tabagisme fait partie de ces risques et, on le sait, les accentue. C'est pourquoi il est important que fumer demeure toujours une décision d'adulte, de personnes qui comprennent les risques. C'est pourquoi, si vous me permettez de le signaler, nous avons aussi volontairement mis ces messages sur les paquets.

Le sénateur Banks: Vous ne dites pas sur le paquet qu'il y a une augmentation des risques. Vous dites, volontairement, sur le paquet «La cigarette cause le cancer». Je veux savoir si votre compagnie juge que ce qu'elle imprime sur ses paquets de cigarettes est vrai.

M. Poirier: Ces messages sont proposés par Santé Canada.

Le sénateur Banks: Vous n'êtes pas obligés de l'imprimer.

M. Poirier: C'est vrai.

Le sénateur Banks: Vous l'imprimez. Pourquoi?

M. Poirier: Nous avons décidé en coopération avec le gouvernement que nous ajouterions ces messages, parce que ce sont les messages du gouvernement.

Le sénateur Banks: Que vous acceptez volontairement d'ajouter sur vos paquets.

M. Poirier: C'est exact.

Le sénateur Banks: Monsieur Barnett, est-ce que votre compagnie croit que le tabagisme cause le cancer?

M. Barnett: Nous avons la même position que Imperial et RJR.

Le sénateur Banks Monsieur Barnett, ce paquet dit «La cigarette cause des maladies du coeur». Est-ce que votre compagnie croit que la cigarette cause des maladies du coeur?

M. Barnett: Nous ne sommes pas des scientifiques. Nous ne sommes pas médecins. Nous ne faisons pas de recherche sur la question. Nous nous fions aux personnes compétentes dans le domaine. Comme mes collègues l'ont dit, si Santé Canada veut ce genre de messages sur le paquet, nous sommes heureux de les afficher. Je crois sincèrement que la science n'est pas aussi précise que certaines personnes le voudraient; nous offrons donc une mise en garde au public, et nous laissons ainsi les gens prendre une décision informée.

Le sénateur Banks: Vous n'êtes donc pas convaincu que la cigarette cause des maladies du coeur.

M. Barnett: Personnellement, comme fumeur?

Le sénateur Banks: Non, je parle de votre compagnie.

M. Barnett: La compagnie n'a pas une position sur la question. La position est de se fier aux autorités médicales compétentes, et dans le cas qui nous occupe il s'agit de Santé Canada qui analyse et collecte les données. Nous mettrons sur nos paquets les mises en garde qui sont appropriées d'après Santé Canada.

Le sénateur Banks: Le ferez-vous de façon volontaire?

M. Barnett: Oui, monsieur.

Le sénateur Banks: Croyez-vous, monsieur Bexon, que les cigarettes causent des maladies pulmonaires mortelles?

M. Bexon: Oui, je crois que compte tenu des preuves dont nous disposons aujourd'hui, notre compagnie dirait que chez ceux qui décident de fumer, la cigarette causera des maladies pulmonaires mortelles chez certains.

Nous ne savons pas qui, en passant, et je crois que personne ne sait chez qui cette maladie apparaîtra. Je sais que c'est une discussion qui se déroule actuellement, et que l'on essaie de me faire dire quelque chose que les avocats m'ont dit de ne pas dire. Si nous pouvions ne pas en rester là, c'est un jeu intéressant, mais un de ces jours nous espérons que ces poursuites seront terminées.

Le sénateur Banks: Je pose simplement la question dans le contexte de ce projet de loi et de l'objet qui est visé par cette mesure législative.

M. Bexon: Je crois que nous savons tous qu'il y a des risques importants associés au tabagisme. Je sais qu'il y a des risques importants. Je fume. Je sais que j'assume des risques importants. Vous savez à titre de fumeur qu'il y a des risques importants. Tout le monde sait qu'il y a des risques réels associés au tabagisme.

Ce que j'aime du projet de loi S-20 c'est qu'il reportera la présence de ces risques à un âge où les gens auront la sagesse nécessaire pour prendre une décision éclairée en fonction de ces risques. C'est à mes yeux ce qui compte.

La présidente: Sénateur Banks, je pense que vous avez communiqué votre message. Peut-être pourriez-vous poser le reste de vos questions. Je sais que vous voulez passer à la question des enfants.

Le sénateur Banks: Très bien.

La présidente: Je vais vous donner la chance de poser une ou deux autres questions, parce qu'il y a après tout plusieurs autres sénateurs qui désirent intervenir.

Le sénateur Banks: Je veux simplement avoir une précision parce que, monsieur Barnett, j'ai eu une réponse légèrement différente de M. Bexon qui lui a utilisé le terme «cause» plutôt que «risque». M. Poirier a dit qu'il y avait un risque mais il n'a pas parlé de cause.

Que pensez-vous de la différence entre les termes cause et risque dans toutes les choses que vous imprimez sur les paquets de cigarettes, les cigarettes que vous et moi nous fumons?

M. Barnett: Comme j'ai essayé de le dire, mais je n'ai peut-être pas été assez clair, nous admettons les preuves surabondantes que le tabac accroît le risque.

Le sénateur Banks: N'est-il pas une cause? J'essaie de vous faire dire, si c'est possible, si votre compagnie pense qu'il y a une relation de cause à effet, comme M. Bexon l'a déclaré.

M. Barnett: Vous me demandez d'exprimer la position de notre compagnie; je n'ai pas de position officielle. Je pourrais vous donner une opinion personnelle, à savoir qu'à mon avis il n'y en a pas. Je connais personnellement des gens qui fument depuis des années et qui ne sont pas morts prématurément d'une maladie liée au tabac.

Le sénateur Banks: Sur une des étiquettes qui figurent sur vos paquets de cigarettes, on peut lire: «La fumée du tabac peut être nocive pour vos enfants». Êtes-vous d'accord avec cela?

M. Barnett: À ma connaissance, il y a un vaste corpus de recherches scientifiques sur la question, dont certaines sont contradictoires sur la question des effets néfastes de la fumée de tabac ambiante ou la fumée des autres. D'importantes études ont été réalisées dans le monde entier. Il n'existe pas de preuve scientifique claire de cette affirmation. Encore une fois, à titre de précaution, nous estimons qu'il est prudent de faire figurer cette mise en garde sur les paquets de cigarettes, comme d'autres mises en garde, en attendant d'avoir une certitude scientifique.

Le sénateur Carstairs: Monsieur Bexon, vous avez dit que vous étiez un vendeur, et je présume donc que vous n'êtes pas avocat. J'imagine aussi que vous avez fait vérifier vos déclarations d'aujourd'hui par l'avocat de votre compagnie.

M. Bexon: J'ai eu plus de contacts avec des avocats au cours des trois derniers jours que je ne souhaite en avoir pendant tout le reste de ma vie.

Le sénateur Carstairs: Je vous pose la question car, quand vous suggérez une sanction qui consisterait à empêcher un jeune de conduire, vous invitez notre comité à inclure un amendement qui relèverait de la compétence provinciale et qui pourrait ensuite entraîner l'inconstitutionnalité du projet de loi tout entier. Je m'interroge donc sur votre crédibilité et je me demande ce qui a bien pu vous pousser à faire ce genre de suggestion. Pourquoi vos avocats vous autorisent-ils à faire ce genre de suggestion alors qu'il s'agit après tout de crédibilité?

M. Bexon: Les suggestions que nous faisons sont précisément cela, des suggestions. Vous remarquerez aussi que j'ai dit que notre appui au projet de loi n'était pas conditionnel à l'adoption de ce genre de choses.

Les avocats m'ont dit que toute cette procédure était incorrecte de toute façon, et que vous feriez mieux de ne pas en discuter. Je pense que l'on peut résoudre ces questions. Je vais faire cette suggestion ici. Je la ferai à l'occasion de mes remarques à Vancouver. Je vais m'associer à la commission qui l'a déjà recommandée, je crois, en Saskatchewan.

Je crois qu'en plus de la forte composante pédagogique du projet de loi, si vous voulez vraiment que les gens ne fument pas, vous devriez avoir une interdiction de fumer. Vous ne devriez pas dire: «Je ne veux pas que vous fumiez» et ensuite «Allez-y».

Le sénateur Carstairs: Ceci m'amène à ma question suivante.

M. Bexon: Je conteste que cela remet en question notre crédibilité.

Le sénateur Carstairs: Le comité en jugera.

Vous dites en gros dans vos propositions, et je parle de vous trois, que vous souhaiteriez qu'on impose une interdiction aux enfants. J'aimerais savoir si vous pensez qu'à votre avis le fait de fumer devrait être considéré comme un acte criminel. Si vous ne le pensez pas -- et je ne pense pas que les gouvernements souhaitent le criminaliser, vu la quantité de recettes qu'ils en retirent --, pourquoi voulez-vous criminaliser les enfants?

M. Bexon: Si vous dites que vous voulez faire de la possession un délit ou quelque chose comme ça -- et je ne suis pas avocat -- ou une infraction passible d'une peine chez les jeunes qui n'ont pas l'âge, vous mettez le tabac sur le même plan que l'alcool ou la conduite automobile. Si vous preniez quelqu'un qui conduit à 12 ans, je suis sûr que vous auriez quelque chose à lui dire. Mais vous n'allez pas interdire aux gens de conduire parce que les jeunes de moins de 16 ans n'ont pas le droit de conduire. De la même façon, vous n'interdisez pas l'alcool.

Ma réponse à l'autre question est non, je ne crois pas que le gouvernement canadien doive interdire à qui que ce soit l'usage du tabac. J'aurais du mal à mettre mes enfants à l'école si c'était le cas. En outre, la plupart des adultes qui décident de fumer sont conscients des risques. Ceux qui fument aujourd'hui sont conscients des risques. Ils prennent leur décision en adultes.

Le sénateur Carstairs: La réalité, c'est que si vous prévoyez des sanctions contre les enfants s'ils contreviennent à la loi -- et nous parlons bien d'enfants ici --, vous les criminalisez. Il faut modifier le Code criminel pour y inclure ces sanctions, mais en modifiant le Code criminel de cette manière, on criminalise les enfants. Franchement, je ne comprends pas la théorie de ce raisonnement.

M. Bexon: Si cela marchait, vous le feriez?

La présidente: Vous n'avez pas à répondre à cette question, sénateur Carstairs.

M. Bexon: Moi, j'ai été obligé de répondre à toutes les questions.

Le sénateur Carstairs: J'ai une dernière question.

La présidente: Je comprends que vous soyez frustré, mais notre comité est là pour interroger les témoins.

M. Bexon: Je comprends.

La présidente: Vous aurez peut-être une occasion.

M. Bexon: Nous pourrions essayer dans l'autre sens?

Le sénateur Carstairs: J'ai répondu à une lettre que j'ai reçue dernièrement au sujet du projet de loi S-20 en disant que je l'appuyais. Je souhaite dire officiellement qu'à mon avis le gouvernement a eu tort de ne pas dépenser tout l'argent qu'il a reçu. Je le disais aussi dans ma lettre. Cela ne retire néanmoins rien à mon ferme appui au projet de loi S-20, car on ne guérit pas le mal par le mal.

Ma dernière question concerne les problèmes que vous avez évoqués à propos des raisons qui incitent les gens à fumer, en particulier les jeunes. Il y a par exemple l'influence des camarades, et vous avez mentionné d'autres raisons. Toutefois, il y en a une que vous n'avez pas mentionnée, et je me demande pourquoi. Chez les jeunes qui commencent à fumer, ce sont les jeunes filles qui sont le groupe le plus important. Apparemment, elles se mettent à fumer à cause de l'image corporelle qu'elles associent à ce geste. Autrement dit, elles croient, à tort ou à raison -- à tort à mon avis -- qu'en fumant elles resteront minces et donc plus attrayantes. Pourquoi n'avez-vous pas mentionné ce facteur quand vous avez parlé des raisons qui incitent les jeunes, et particulièrement les jeunes femmes, à fumer?

M. Bexon: Eh bien, je ne le savais pas.

M. Barnett: Si vous le permettez, quand on parle de l'influence des camarades dans le contexte de votre question, si les jeunes femmes croient qu'il vaut mieux être minces et sveltes et qu'en fumant elles pourront rester plus minces et sveltes, je dirais que cela fait partie de l'influence des camarades dont nous parlons.

Le sénateur Cochrane: Merci d'être venus ce matin. Je sais que vous avez un programme chargé. Je suis sûr que nous vous arrachons à d'autres fonctions, mais compte tenu de l'importance de ce projet de loi et de l'importance que vous lui accordez, je vous remercie d'être venus.

Je voudrais vous communiquer une petite information au sujet d'une personne que nous avons entendue hier soir: la Dre Roberta Ferrence, la directrice de l'Unité de recherche sur le tabac en Ontario à l'Université de Toronto. Vous pourriez éventuellement vous mettre en contact avec elle car elle a fait des recherches approfondies. Elle nous a dit qu'elle avait ainsi constaté que le tabac était la principale cause de maladies cardiaques chez les jeunes. C'est très grave. Je n'ai pas besoin de vous dire qu'une fois qu'ils sont accrochés, au bout d'un délai assez court -- car la dépendance s'établit très rapidement --, les jeunes ne peuvent plus s'arrêter de fumer. Il faut faire quelque chose face à l'industrie du tabac. C'est une simple information que je vous donne.

En ce qui concerne le projet de loi S-20, et ce que disait le sénateur Kelly à propos du programme, j'ai l'intention de suivre le programme car, comme dans le cas de n'importe quel projet de loi, nous devons nous assurer d'avoir les bonnes définitions. Quand nous savons que nous entamons quelque chose de nouveau -- c'est-à-dire que nous construisons des fondations --, il faut avant tout bien établir les définitions pour savoir de quoi on parle.

J'aimerais vous renvoyer à des documents internes qui ont été publiés récemment et qui montrent que l'industrie du tabac savait depuis des dizaines d'années que ses produits entraînaient une dépendance. J'entends cette notion de dépendance au même sens que le Sergeon General des États-Unis et le Collège royal des médecins et chirurgiens du Canada. J'imagine que mon interprétation de la notion de dépendance pourrait être différente de celle de quelqu'un d'autre.

Selon ces autorités -- et je parle encore une fois du Collège royal des médecins et chirurgiens du Canada et du U.S. Surgeon General --, c'est une dépendance au même titre que celle qui est entraînée par l'héroïne ou la cocaïne. Je sais ce que c'est que d'être dépendant car j'ai un frère qui fumait et qui a eu énormément de difficulté à s'arrêter. Il avait une profonde dépendance physiologique. Ses nerfs étaient ébranlés, il souffrait énormément, et cetera. Il a fait d'importantes rechutes. Il a essayé de se débarrasser de cette habitude, mais ce n'est pas une habitude, c'est une véritable toxicomanie. Il n'y parvenait pas. Enfin, il a réussi ces cinq dernières années, Dieu merci.

D'après de récentes déclarations de votre industrie, vous reconnaissez maintenant que votre produit entraîne une dépendance. Toutefois, la dépendance dont vous parlez est simplement quelque chose de courant, comme l'habitude de boire des boissons gazeuses ou de manger certains bonbons ou du chocolat. Quand on parle du tabac, ce n'est pas du tout la même chose.

Le projet de loi S-20 vise à créer un fonds pour expliquer en quoi consiste véritablement la dépendance à l'égard du tabac. Pourriez-vous m'aider à comprendre votre position? Reconnaissez-vous que les cigarettes entraînent une dépendance physique semblable à la dépendance entraînée par l'héroïne et la cocaïne?

M. Barnett: Encore une fois, je ne suis ni médecin ni chercheur scientifique.

Le sénateur Cochrane: Mais vous avez six enfants et moi aussi.

M. Barnett: Oui, et ils sont merveilleux.

Le sénateur Cochrane: Les miens aussi.

M. Barnett: Je suis sûr que certaines personnes considèrent que le tabac entraîne une dépendance physique et ont beaucoup de mal à y renoncer.

J'ai commencé à fumer il y a plus de 40 ans. À l'occasion, j'ai arrêté, avec plus ou moins de succès, mais aujourd'hui je me présente ici en tant que fumeur. D'après Statistique Canada, il y a nettement plus de Canadiens qui disent qu'ils étaient fumeurs et qu'ils ont cessé de fumer que de Canadiens qui disent qu'ils fument actuellement. Beaucoup de gens pensent aussi qu'ils devraient faire plus d'exercice. Beaucoup de gens pensent qu'ils devraient perdre du poids. Si les gens décident de faire quelque chose, je crois que la plupart sont capables d'y parvenir, avec ou sans aide extérieure.

Le sénateur Cochrane: C'est votre opinion et je l'accepte, mais je dois vous dire que ce n'est pas toujours le cas. J'en ai fait l'expérience. Mon frère et ma fille maintenant ne peuvent plus s'arrêter de fumer. Ils ont vraiment essayé mais ils n'y parviennent pas. Cela en dit long sur la force de cette dépendance.

M. Poirier: Je suis désolé que votre frère et votre fille aient ces problèmes. Nous savons qu'il y a autant d'anciens fumeurs aujourd'hui qu'il y a de fumeurs, donc tout dépend de la définition que l'on donne au terme dépendance. Cette définition change avec le temps.

On peut faire de la sémantique. Le fait est que certaines personnes ont du mal mais réussissent à cesser de fumer et qu'effectivement beaucoup recommencent ensuite à fumer. Beaucoup de fumeurs veulent essayer d'arrêter mais décident de continuer, alors que d'autres réussissent au contraire à s'arrêter.

Je dois m'inscrire en faux contre la définition que vous donnez. D'après tout ce que nous avons pu voir, le tabac n'entraîne pas la même dépendance que l'héroïne ou la cocaïne. Je crois savoir -- et je ne suis pas un scientifique -- que les toxicomanes ont besoin d'un programme de désintoxication pour abandonner ces drogues, qu'ils ont besoin d'être hospitalisés et très entourés pendant qu'ils subissent toute une transformation physiologique. C'est très différent. Je ne connais pas de fumeur qui ait eu besoin d'être hospitalisé pour se débarrasser de sa dépendance ou ce que vous voulez appeler cette situation. Pour moi, il y a une différence. Je ne suis pas d'accord avec votre définition.

Le sénateur Cochrane: Pourtant on entend les fumeurs utiliser la même expression que les cocaïnomanes ou les héroïnomanes: «Il me faut ma dose.»

M. Poirier: Les gens qui mangent du chocolat le disent aussi.

Le sénateur Cochrane: Une «dose», c'est différent. C'est une fixation sur quelque chose; c'est plus fort.

M. Bexon: Je ne sais pas comment on se sent quand on est drogué à l'héroïne ou à la cocaïne, donc j'ai du mal à répondre à cette question.

Le sénateur Cochrane: Vous en avez entendu parler, monsieur Bexon. Vous avez vu à la télévision des gens qui étaient drogués et vous savez qu'il y en a très peu qui réussissent à s'en sortir.

M. Bexon: Je sais que d'après la définition utilisée actuellement -- et c'est quelque chose qui évolue --, on dira qu'effectivement les cigarettes entraînent une dépendance. La norme a évolué avec le Surgeon General et avec divers rapports. On rajoute certaines choses, on en retire, et c'est une définition scientifique.

Toutefois, l'objectif du projet de loi S-20 est d'éviter aux jeunes qui n'ont pas l'âge légal d'en arriver là avant de pouvoir prendre une décision adulte réfléchie en fonction des risques. Il me semble que le but de ce projet de loi est de régler ce problème. C'est pour cela que j'y suis si favorable. Si un jeune de 18 ans dit qu'il sait que les cigarettes entraînent une dépendance et peuvent provoquer un cancer du poumon ou une maladie cardiaque mais qu'il veut néanmoins fumer, qu'il le fasse. Si quelqu'un le fait à 16 ans, il faut lui retirer son maudit permis de conduire.

Le sénateur Cochrane: C'est un sujet brûlant pour moi. J'ai six enfants et 10 petits-enfants, dont trois sont des adolescents. Je ne veux pas qu'ils fument. Vous savez, j'ai vu ce que cela donnait.

Monsieur Barnett, je vais vous mettre sur la sellette maintenant. À la page 5 de votre mémoire, vous dites:

De plus, on ignore malheureusement toute la masse de recherches disponibles montrant que le tabagisme chez les mineurs est motivé non pas par la commercialisation de l'industrie, mais par des facteurs socio-démographiques tels que l'influence des parents, la pression des camarades et la curiosité des adolescents.

À l'instar du sénateur Carstairs, je dois dire moi aussi que la publicité y est pour quelque chose. Les jeunes en particulier adorent les modèles. Ils adorent les grands athlètes et les grands chanteurs ou les grandes chanteuses. Ils adorent l'image de la fille fantastique, de la femme superbe qu'ils voient à la télévision avec une cigarette à la main. Pour eux, c'est une image.

Allez-vous faire quelque chose contre cela aussi? Est-ce que vous allez inclure cela? Vous dites que vous allez le faire au niveau de la pression des camarades, mais il y a aussi toutes ces annonces publicitaires que l'industrie présente aux jeunes pour les attirer.

M. Barnett: Je n'ai pas le même point de vue que vous sur les effets de la publicité chez les enfants. J'ai passé la plus grande partie de ma carrière dans une autre industrie, celle de la bière. On peut faire des comparaisons entre l'industrie de la bière et celle du tabac. Je suis convaincu, et je n'ai jamais vu de recherches contredisant cette opinion, que la présence d'une publicité ne va en aucune façon inciter quelqu'un à commencer à fumer ou à boire de la bière.

Le sénateur Cochrane: Vraiment?

M. Barnett: Je le crois sincèrement. Prenez un autre exemple: tous les produits de consommation pour lesquels on fait de la publicité, l'essence, les automobiles. La décision d'acheter de l'essence ne dépend pas des publicités de Petro-Canada ou de Shell, encore que cela puisse vous inciter à aller à une station plutôt qu'à une autre. Ce n'est pas la publicité de Ford ou de General Motors qui vous incite à acheter une voiture. Vous commencez par décider d'acheter une voiture, et ensuite vous regardez les marques.

Il en va de même dans l'industrie du tabac, d'après moi. C'est ce qui ressort des données de Statistique Canada concernant les 30 p. 100 de fumeurs qui n'ont pas l'âge légal; l'inverse doit également être vrai. Les 70 p. 100 de non-fumeurs sont également exposés aux mêmes annonces publicitaires et aux mêmes conséquences.

Le sénateur Cochrane: Ce n'est pas pour autant acceptable, monsieur Barnett.

Le sénateur Kenny: Monsieur Bexon, dans votre déclaration, que j'ai écoutée avec intérêt, vous avez dit que vous appuyiez fermement ce projet de loi et que votre appui n'est pas conditionnel à l'acceptation des points que vous énumérez par la suite. Est-ce exact?

M. Bexon: Oui.

Le sénateur Kenny: Monsieur Poirier, pourriez-vous nous dire si vous appuyez également le projet de loi et si cet appui est inconditionnel?

M. Poirier: Absolument.

Le sénateur Kenny: Monsieur Barnett, en va-t-il de même pour vous?

M. Barnett: Non, notre appui n'est pas inconditionnel, sénateur.

Le sénateur Kenny: Pourriez-vous indiquer au comité quelles conditions vous fixez à votre appui?

M. Barnett: J'ai mentionné deux conditions dans mon allocution liminaire. Pour les raisons que j'ai énoncées, l'industrie devrait être représentée à cette fondation. Tout d'abord, nous pouvons apporter quelque chose aux objectifs déclarés. L'industrie et toutes les sociétés poursuivent les mêmes objectifs que ceux qui sont énoncés dans ce projet de loi. Notre connaissance du marché pourra faciliter les choses à cet égard. En second lieu, il n'est pas normal, à mon avis, d'imposer une autre taxe aux fumeurs pour financer un autre programme quand des millions de dollars ont déjà été perçus auprès des fumeurs pour la fin précise énoncée dans votre projet de loi, mais qu'en réalité cet argent ait été dépensé à d'autres fins.

Le sénateur Kenny: Si vous le permettez, je reviendrai à vous dans un instant.

Monsieur Poirier et monsieur Bexon, vous appuyez tous deux le projet de loi et vos deux sociétés appuient ce projet de loi de façon inconditionnelle. Comme vous le savez, un projet de loi semblable a été proposé il y a quelques années et celui-ci est actuellement à l'étude au Sénat. À supposer que notre comité appuie le projet de loi, et qu'il soit approuvé par le Sénat, quelles mesures vos sociétés respectives prendront-elles pour encourager la Chambre des communes à l'adopter également?

M. Poirier: Je ne sais pas ce que nous pouvons faire à ce titre. Si vous avez des idées, j'aimerais les connaître. Je ne sais pas comment les choses se passent ni comment nous pouvons jouer un rôle. Toutefois, si vous avez des suggestions à nous faire, nous sommes prêts à faire tout notre possible.

M. Bexon: Demandez-nous de l'aide et nous vous la donnerons. Je ne connais pas assez bien le processus parlementaire pour savoir ce que nous pouvons faire dans ce but, mais nous le ferons.

Le sénateur Kenny: Il y a un ancien député qui est assis juste à votre droite, et j'ai l'impression qu'il y a parmi vos employés un nombre considérable de gens qui connaissent très bien le système parlementaire, n'est-ce pas?

M. Bexon: Oui.

Le sénateur Kenny: À votre avis, seront-ils en mesure de vous aider à élaborer un programme susceptible de faciliter l'adoption de ce projet de loi?

M. Bexon: Je suppose que oui.

Le sénateur Kenny: Avez-vous l'intention de leur demander de le faire?

M. Bexon: Oui.

Le sénateur Kenny: Vous aussi, monsieur Poirier?

M. Poirier: Oui.

Le sénateur Kenny: Monsieur Barnett, puis-je attirer votre attention sur le préambule du projet de loi, et notamment sur la page 2, ligne 1:

Qu'elle a, à maintes reprises, exprimé aux gouvernements sa volonté de collaborer aux mesures entreprises par eux pour lutter contre le tabagisme chez les jeunes, étant donné qu'elle ne jouit pas de la crédibilité voulue pour prendre l'initiative de telles mesures;

Or, cela fait partie du projet de loi que vous dites appuyer, sous réserve de deux conditions. En outre, le Parlement a entendu le témoignage de M. Parker selon lequel l'industrie n'a pas la crédibilité voulue pour entreprendre des programmes concernant le tabagisme chez les jeunes. Nous avons également entendu des déclarations de M. Brown, dont M. Bexon a parlé plus tôt, lequel parlait au nom de l'industrie en disant que celle-ci n'a pas la crédibilité voulue pour mettre sur pied ce genre de programmes. C'est pourquoi le projet de loi a été conçu de façon à garantir la crédibilité du programme du fait que l'industrie n'y participera pas.

Pourquoi, monsieur, êtes-vous prêt à appuyer le projet de loi à cette condition?

M. Barnett: Si l'on veut faire progresser les choses, je ne crois pas et refuse d'accepter que l'industrie n'a pas la crédibilité voulue pour faire des suggestions utiles quant à la constitution de cette fondation et à son objectif officiel, si l'on part du principe, comme nous l'avons tous dit, que nous voulons réduire considérablement le tabagisme chez les jeunes qui n'ont pas l'âge légal de fumer. Nous l'avons tous dit clairement. C'est l'un des principaux objectifs de ce projet de loi. À ce sujet, je pense que nos objectifs sont compatibles avec ceux des promoteurs de ce projet de loi.

Le sénateur Kenny: En conséquence, vous rejetez cette partie du préambule et ne partagez pas l'avis du porte-parole de l'industrie selon lequel cette dernière n'a pas la crédibilité voulue à sujet.

M. Barnett: C'est exact.

Le sénateur Kenny: Quand le président de votre association a fait ces déclarations, votre société l'a-t-elle réprimandé ou est-elle intervenue en disant que ce n'était pas sa position?

M. Barnett: Je ne sais pas quand M. Parker a fait ces remarques. Vous pourriez peut-être me rafraîchir la mémoire.

Le sénateur Kenny: Bien volontiers. Il les a faites le 1er avril 1997, devant un comité sénatorial.

M. Barnett: Je ne travaillais pas dans le secteur à l'époque et à l'heure actuelle, en juin 2000, je ne partage pas cette opinion.

Le sénateur Kenny: La politique de votre société a-t-elle changé, par conséquent?

M. Barnett: J'aimerais voir s'il nous est possible de faire quelque chose et je pense que cette fondation nous donne tout loisir de le faire et de prouver aux gens -- et je comprends d'après les observations faites par certains sénateurs que notre réputation a peut-être été ternie à cause de certaines initiatives du passé -- que les actes sont plus importants que les paroles. J'ai hâte de voir s'il est possible de prouver que, grâce à notre participation, nous pouvons apporter une contribution à cette fondation.

Le sénateur Kenny: Y a-t-il d'autres parties du préambule que vous n'approuvez pas, monsieur?

M. Barnett: À la page 1, ligne 15:

que l'industrie reconnaît que la préoccupation du public envers les jeunes qui fument est généralisée et fondée et que bon nombre de Canadiens jettent le blâme sur l'industrie [...]

Je n'ai vu aucune preuve de ce que bon nombre de Canadiens tiennent les fabricants de tabac responsables du tabagisme chez les jeunes.

Le sénateur Kenny: Y en a-t-il d'autres?

M. Barnett: À la page 2, ligne 17:

qu'il y a lieu d'édicter ce qui suit [...]

Je ne comprends pas l'intention des rédacteurs ni le caractère d'urgence que laisse supposer cette phrase. C'est peut-être une question cynique.

Le sénateur Kenny: Auriez-vous l'obligeance de nous dire comment vous comptez procéder, monsieur Barnett? Vos deux collègues ont dit que leurs sociétés respectives appuieront le projet de loi et qu'elles donneront l'ordre à leur personnel de l'appuyer. Pouvez-vous nous dire comment vous comptez procéder?

M. Barnett: En prenant position, nous avons fait deux suggestions, une relative au financement et l'autre, à la représentation. Si l'on résout les questions du financement et de la représentation, nous serons prêts à appuyer le projet de loi.

Le sénateur Kenny: Si rien n'est changé à ce sujet, que comptez-vous faire?

M. Barnett: Nous ne l'appuierons pas

Le sénateur Kenny: Est-ce votre réponse définitive?

M. Barnett: Oui.

Le sénateur Christensen: Merci, messieurs. Vous devez vous sentir un peu mal à l'aise de comparaître devant un groupe comme le nôtre. Contrairement aux jeunes qui ne sont pas vraiment conscients des risques, à notre âge, nous savons que nous ne sommes pas immortels et que bon nombre de nos amis et de nos parents qui ont pris ce risque il y a de nombreuses années sont en train de nous quitter. Nous sommes très conscients des problèmes. Personnellement, étant originaire du Yukon, territoire qui compte 30 000 habitants, je constate que selon les statistiques, entre 42 000 et 45 000 personnes nous quittent tous les ans à cause de maladies liées au tabagisme. Le problème me touche donc de très près, puisque tous les ans je perds plus de gens que n'en compte la collectivité où j'habite -- un territoire -- ou dans d'autres régions, une province. Ce sont là des données très concrètes qui sautent aux yeux de bon nombre d'entre nous.

Le projet de loi S-20 renferme une liste d'objectifs en rapport avec la publicité. Pourriez-vous nous dire, messieurs, quelles mesures concrètes vos sociétés respectives prennent pour s'assurer que la publicité que vous faites n'est pas tentante pour les jeunes fumeurs? Vous disposez d'énormément de ressources et de publicitaires très chevronnés. Par conséquent, vous pourriez nous aider, ainsi que ceux qui veulent faire quelque chose, si ce projet de loi est vraiment adopté. Comment peut-on dissuader les jeunes de moins de 18 ans de commencer à fumer?

M. Bexon: Je pourrais peut-être parler au nom d'Imperial. La législation canadienne est parmi les plus sévères au monde et il en est ainsi depuis l'adoption du projet de loi C-51 et de celui qui lui a succédé. À part la Finlande, sans doute, nous avons toujours été assujettis au code de pratiques de commercialisation le plus strict du monde. Je mesure notre succès par le fait que nous n'avons jamais été accusés ou condamnés de quoi que ce soit, au cours de toutes ces années. Le gouvernement fédéral nous impose certaines conditions que nous respectons.

Le sénateur Christensen: Lorsque vous établissez vos statistiques et faites vos enquêtes, qu'essayez-vous d'éviter dans vos annonces pour ne pas inciter les jeunes à fumer?

M. Bexon: Je ne saurais pas quoi y mettre qui puisse inciter les jeunes à fumer. Par conséquent, je ne saurais pas non plus quoi y mettre pour les en dissuader. J'ai trois enfants. Je ne sais pas comment je pourrais les obliger à faire ce que je souhaite. Si j'étais aussi futé, je saurais comment les faire aller à l'église. Je ne sais pas comment vous répondre de façon plus franche. Je ne saurais pas ce qu'il faut mettre dans mon annonce publicitaire pour attirer les jeunes. Tout d'abord, je ne le ferais pas. Même si j'avais un plan à cette fin, je ne saurais pas quoi faire.

Le sénateur Christensen: Je ne vous ai pas demandé ce que vous feriez pour attirer les jeunes, mais ce que vous faites pour les en dissuader. Que faites-vous pour essayer de supprimer complètement ce marché?

M. Bexon: Bien franchement, je pense que nous ne faisons rien. Nous préparons notre publicité aujourd'hui à l'intention des gens de plus de 18 ans.

Le sénateur Christensen: Vous l'élaborez pour les jeunes adultes.

M. Bexon: Oui, des gens qui ont plus que l'âge légal de fumer.

Le sénateur Christensen: Tous les jeunes dès l'âge de 10 ans ne souhaitent-ils pas devenir de jeunes adultes? Ils sont encore des enfants, mais n'est-ce pas l'objectif vers lequel ils tendent tous?

M. Bexon: Ce n'était pas le cas quand j'avais 10 ans. Je ne sais pas si c'est courant de nos jours. Moi, j'aurais toujours voulu avoir 10 ans.

Le sénateur Christensen: L'un des autres témoins souhaite-t-il répondre à cette question?

M. Poirier: Oui, là encore, nous ne disposons d'aucune donnée sur les jeunes qui n'ont pas l'âge de fumer. Il est donc difficile de comprendre ce qui les attire vraiment. Nous n'en savons pas plus que quiconque ici à ce sujet. Nous savons que nous avons affaire à des agences publicitaires, qui font le lien avec les médias, et cetera. Ces dernières sont assujetties à un mandat très strict et doivent respecter un certain code. Dans des conditions normales, si le code est tout à fait respecté, ce que chacun souhaite, l'annonce ne devrait pas être visible, ou du moins le moins possible, à toute personne de moins de 18 ou 19 ans.

Je tiens également à signaler que, dans notre société, deux experts recrutés par le gouvernement canadien ont passé en revue 20 ans d'histoire de notre société. Dans leur rapport, ils ont dit qu'ils n'avaient trouvé absolument aucune preuve que notre société ait ciblé, au moyen de publicités ou de recherches, des jeunes de moins de 18 ou 19 ans.

M. Barnett: Notre réponse va dans le même sens que celle de mes collègues. Si la société a pour politique de ne faire aucune recherche auprès du groupe dont vous parlez, c'est-à-dire les jeunes n'ayant pas atteint l'âge légal, je ne sais pas comment, si ce n'est en faisant preuve de bon sens lorsqu'on crée une publicité destinée aux adultes, on peut être certain que les annonces produites n'attireront pas ce groupe plus jeune. Nous n'avons aucun moyen de le vérifier, si ce n'est en faisant preuve de bon sens.

Le sénateur Christensen: Je suppose qu'il en va de même lorsqu'on fait de la publicité pour des commandites. Vous avez dit que vous ne savez pas quels éléments il faudrait retirer de la publicité car vous n'êtes pas certain de ce qui plaît aux jeunes. La plupart des commandites sont orientées vers les jeunes. N'est-ce pas exact? Peut-on dire la même chose dans ce cas?

M. Barnett: Oui.

Le sénateur Christensen: Vous avez dit que vous ne disposez pas de statistiques récentes sur les jeunes. Est-ce exact?

M. Barnett: C'est exact.

Le sénateur Adams: Soyez les bienvenus au comité sénatorial. Je siège depuis une vingtaine d'années au comité. Nous avons fait certaines choses au cours de mes années passées à Ottawa. Je vois que vous êtes semblables à tous les représentants des autres sociétés que nous avons interrogés. C'est la même chose que lorsqu'on s'adresse à des concessionnaires automobiles et à des fabricants pour leur parler de la pollution atmosphérique due aux véhicules. C'est un peu différent pour les cigarettes.

C'est dans le Nord, d'où je viens, qu'on trouve la plus forte proportion de fumeurs au Canada. J'appuie le projet de loi S-20.

Les constructeurs d'automobiles s'opposaient aux modifications législatives relatives à l'essence au plomb. Le fait de polluer la terre fait du tort aux gens. À cette époque, les sociétés avaient dit qu'elles perdraient de l'argent si on modifiait la teneur en plomb de l'essence. Aujourd'hui, il existe une nouvelle technologie. Il en va peut-être de même pour votre industrie.

Lorsque j'étais jeune, il y a plus de 50 ans, mon grand-père fumait la pipe. Nous n'avions jamais vu de cigarettes à l'époque. Puis les gens ont commencé à rouler leurs cigarettes. Aujourd'hui, il y a des cigarettes à filtre pour diminuer la nicotine qui va aux poumons.

Certaines sociétés de produits alimentaires nous ont dit qu'elles pouvaient faire du jus de tomates sans utiliser de tomates et que cela aurait exactement le même goût que le vrai jus de tomates. Est-il possible de fabriquer de la nicotine sans utiliser de tabac?

Certaines personnes disent que la nicotine n'aurait peut-être pas un effet aussi nocif si elle était fabriquée. Toutes sortes de maladies à l'heure actuelle sont dues peut-être pas tant aux cigarettes que, selon des médecins qui ont comparu il y a deux jours, à la nicotine. Le cancer des gencives et des poumons est dû à la nicotine.

Avez-vous fait des recherches dans ce domaine? Ainsi, les gens pourraient fumer s'ils le voulaient mais avec moins de risque. Je sais que le sénateur Kelly fumait la pipe. À une époque, j'aimais l'odeur de la fumée de pipe. Je ne supporte pas l'odeur des cigarettes. La plupart des gens aujourd'hui fument la cigarette. Est-il possible de trouver un produit qui soit moins nocif que la nicotine?

M. Barnett: Dans notre société, nous fabriquons un vaste éventail de marques de cigarettes dont certaines ont une teneur élevée en nicotine et d'autres une teneur très faible. Cette gamme de produits est disponible depuis un certain nombre d'années. Les fumeurs ont le choix entre plusieurs marques, et notamment entre des cigarettes contenant très peu de nicotine ou d'autres qui en contiennent beaucoup. Les gens font un choix.

M. Bexon: C'est une question très intéressante que l'on se pose depuis déjà longtemps. S'il y a un problème lié au tabac, pourquoi ne pas le fabriquer à partir d'autre chose? Pourquoi ne pas faire disparaître le problème en cessant d'utiliser du tabac? Cette question m'intrigue.

Cela s'est fait. On y a consacré des milliards de dollars. Je connais certaines raisons, mais je ne sais pas exactement pourquoi il est impossible d'utiliser un produit qui ne comporte pas autant de risques pour la santé. Je sais que nous ne pouvons pas le faire tout seuls. Nous n'avons ni les fonds ni la crédibilité voulus, en l'occurrence. Nous n'avons pas accès aux scientifiques. Toutefois, j'espère sincèrement que nous pourrons collaborer avec le gouvernement un jour ou l'autre. L'industrie du tabac et le gouvernement devraient travailler ensemble pour résoudre le problème. Ce serait la véritable solution.

Le sénateur Adams: Je suis d'accord avec vous. Même lorsque le projet de loi S-20 sera en vigueur, il est prévu de dépenser entre 350 et 400 millions de dollars pour diminuer le tabagisme chez les jeunes. Toutefois, peu importe le prix. Dans la région où j'habite, les prix augmentent tous les deux ans, mais tant que les gens voudront fumer, ils ne se préoccuperont guère du coût. Au Nunavut, un paquet de cigarettes coûte près de 9 $, contre seulement 4 $ environ en Ontario et au Québec. Les gens dans le Nord paient plus de 60 $ les cartouches de cigarettes. Ils continuent quand même à fumer. Il en va de même pour mon collègue le sénateur Sibbeston. Il vient des Territoires du Nord-Ouest. Dans notre région, il y a énormément de gros fumeurs. Ils ne diminuent pas leur consommation même lorsque le prix des cigarettes augmente.

[Français]

Le sénateur Nolin: Je vous remercie pour vos déplacements et de vous être présentés pour comparaître devant nous aujourd'hui. Je ne puis que recevoir vos engagements avec beaucoup d'intérêt. Je suis agréablement surpris de votre prise de position. Toutefois, comme le disait ma collègue tout à l'heure, c'est à l'usage que l'on verra si vos engagements sont sérieux. Certains diront que je suis peut-être naïf, mais j'accepte votre engagement avec beaucoup de bonne foi. Je suis sûr que vous êtes de bonne foi.

Monsieur Poirier, d'où vont venir vos profits? Vous perdez bon an mal an 40 000 à 45 000 usagers ou clients et vous devez en trouver de nouveaux. Les études nous démontrent entre 70 et 80 p. 100, et même j'ai vu 85 p. 100 -- mais disons qu'on ne se chicanera pas sur les chiffres -- mais les trois quarts de vos clients commencent à fumer avant l'âge légal. Vous êtes contre cette pratique, c'est un fait. En appuyant ce fait, vous démontrez définitivement que vous êtes sérieux dans votre approche.

Un de vos collègues suggère même de s'impliquer plus activement, mais on en discutera entre nous, parce que je n'ai pas l'intention d'entrer dans les conditions de M. Barnett. Je comprends sa position mais d'où viendront vos profits? Votre objectif c'est de générer des profits aux actionnaires, n'est-ce-pas?

Alors, comment pouvez-vous perdre 45 000 clients par année et dire: «On hérite des clients, mais dans le fond, on n'en veut pas»? Officiellement, les nouveaux fumeurs ont moins que l'âge légal; «ils fument, mais on ne le veut pas, et on devrait peut-être travailler activement à ne pas les rechercher.»

M. Poirier: Oui.

Le sénateur Nolin: J'appuie totalement vos objectifs. Cependant, venant de trois entreprises importantes au Canada, vous comprendrez que votre crédibilité a beaucoup d'importance. Moi, je veux vous croire, mais essayez de me convaincre de vos objectifs commerciaux dans tout cela.

M. Poirier: D'accord, sénateur Nolin. Encore une fois, si on parle de chiffres, si on parle de dollars, du côté financier, on n'en a pas beaucoup. On n'a pas de chiffres exacts, mais j'ai vu des analyses ou des études aux États-Unis qui disent que les adolescents, les personnes qui ne sont pas d'âge mûr, consomment 2 p. 100 du total des produits du tabac consommés aux États-Unis. J'imagine qu'on doit avoir des chiffres semblables ici au Canada. Je ne suis pas convaincu que je peux vous dire que si on perd 2 p. 100 de notre volume et que moralement on arrête et qu'on fasse la bonne chose côté moral, encore une fois, côté financier, si on peut éviter des poursuites judiciaires, on entre dans notre argent de toute façon.

Le sénateur Nolin: Je comprends le 2 p. 100, mais ne mêlez pas les choses qui sont déjà mêlées. D'après les chiffres, 75 p. 100 des gens qui commencent à fumer le font avant l'âge légal.

M. Poirier: Oui.

Le sénateur Nolin: C'est plus que 2 p. 100 du tabac, cela. J'essaie de comprendre la logique commerciale de votre décision.

M. Poirier: Écoutez, c'est bien évident, et vous avez entièrement raison de dire qu'on a besoin de nouveaux clients. N'importe quelle compagnie ou «business» a besoin de nouveaux clients, qui sont renouvelés sur une base continuelle pour leur survie à long terme. Et pour un produit qui cause plusieurs risques, on veut qu'il soit utilisé par des adultes qui ont choisi d'expérimenter aujourd'hui.

On a beau espérer qu'au point de vue alcool c'est la même chose, si on prend pour acquis qu'il y a plusieurs autres catégories de produits particuliers, et si je prends cette décision d'expérimenter, mais après avoir passé l'âge légal, s'ils ont toutes les données, et assumant aussi qu'ils ont le bon raisonnement à cet âge-là, on espère que les gens vont pouvoir prendre cette décision à ce moment. Y a-t-il un risque? Oui.

Je ne suis pas sûr de vos données. Vous avez sans doute raison mais possiblement que les marchés vont continuer et aussi que les gens vont prendre cette décision d'essayer d'expérimenter lorsqu'ils seront d'âge légal.

Le sénateur Nolin: Notre objectif, vous le savez, est de créer une fondation qui aura des moyens importants, et l'un de vous -- je pense que c'était M. Barnett -- disait que cela représentait beaucoup d'argent. Commençons avec moins et on verra s'il y a un besoin. Il y a déjà des études sur le besoin et notre projet de loi vise un montant qui n'est pas exagéré puisque les études américaines nous démontrent qu'on n'est même pas dans la moyenne. À ce moment, on n'en est pas là. Toutefois, en mettant en place ce que nous suggérons, nous commencerions à être efficaces. Être efficaces, cela veut dire combattre de façon positive vos efforts de marketing. De là, mon questionnement.

M. Poirier: Premièrement, il y a plusieurs points à la réponse. Côté efficacité, il n'est pas nécessaire, s'il y a lieu, en ce qui nous concerne au montant alloué. On dépense plusieurs sommes qui sont beaucoup plus efficaces avec l'opération «Carte d'identité», et donc, ce n'est pas nécessairement une question d'argent.

Si cela prend 340 millions de dollars, c'est ce que cela prend. Ce qui nous importe c'est de savoir si c'est vraiment la bonne tactique, la bonne façon.

On a fait des suggestions. Dans mon discours au début, j'ai mentionné qu'on aimerait beaucoup que le gouvernement prenne le temps d'étudier en détail les conséquences ou les raisons pour lesquelles les adolescents vont essayer le tabac.

D'ailleurs, je lisais un article dans le Globe and Mail de samedi de cette semaine -- et j'en ai une copie ici si vous voulez qu'on le circule -- où l'on parle des adolescents à l'école secondaire, en 10e année. Ces jeunes ont donc 15 ans, 16 ans j'imagine, et ils sont aussi en 8e année. Au cours des quatre ou cinq dernières années, de 1994 à 1998, on a vu une croissance d'abus d'alcool et de drogue de l'ordre de 40 p. 100 pendant ces cinq années.

J'aimerais beaucoup que cette fondation dépense de l'argent pour déterminer pourquoi ces gens prennent ces décisions ou pourquoi ils expérimentent non seulement le tabac mais d'autres substances. Je crois que si on allait pourrait à la source même, on va pouvoir régler plusieurs de ces problèmes en même temps.

Le sénateur Nolin: D'après les pouvoirs de la fondation, définitivement. D'ailleurs, sans cela, ce serait faire de la mise en marché sans savoir quel est leur objectif. Définitivement qu'ils auront ces pouvoirs.

Comment conciliez-vous votre recherche de profits, soit votre raison d'être commerciale, avec les engagements importants que vous venez de prendre ce matin? C'est une journée importante dans toute cette saga sur le tabac. Ma question tentait de concilier ce qui me semble paradoxal, mais c'est à l'usage qu'on verra.

[Traduction]

Le sénateur Cochrane: Cette question fait suite à celle du sénateur Nolin. J'aimerais obtenir une réponse de chacun d'entre vous. Si l'on pouvait prendre des mesures pour réduire le tabagisme, seriez-vous pour même si cela risque de diminuer les bénéfices de vos sociétés respectives?

M. Barnett: Voulez-vous parler du tabagisme chez les jeunes ou en général?

Le sénateur Cochrane: Je pense au tabagisme chez les jeunes, car c'est là que cela commence.

M. Barnett: Oui, nous serions pour.

Le sénateur Cochrane: Ah bon?

M. Barnett: Oui.

Le sénateur Cochrane: Même si cela réduit vos bénéfices.

M. Barnett: Oui.

M. Bexon: Oui, même si j'essaierais d'arracher une telle part de marché à mes concurrents, dans ces conditions, que cela risquerait de compliquer les choses.

M. Poirier: Oui, et nous nous battrons.

Le sénateur Banks: Pour faire suite à la question du sénateur Kenny et pousser les choses un peu plus loin, j'aimerais demander à M. Barnett de supposer que ce projet de loi sera approuvé par notre comité et renvoyé aux Communes sans tenir compte des deux suggestions que vous avez faites. Vous y opposeriez-vous de façon énergique et inciteriez-vous les autres, dans la mesure du possible, à s'opposer énergiquement au projet de loi aux Communes?

M. Barnett: Oui.

Le sénateur Banks: Merci. Monsieur Poirier, quand votre société a-t-elle cessé de faire des recherches sur le groupe des jeunes qui fument avant l'âge légal et de les cibler? À quand remonte cette décision? Nous savons que, par le passé, cela se faisait dans votre secteur d'activité. Quand votre société a-t-elle cessé de le faire?

M. Poirier: J'ai dit plus tôt que dans les documents examinés par les experts recrutés par le gouvernement canadien, documents qui portaient sur 20 ans d'histoire de notre société, il ne se trouvait aucune indication que nous ayons fait des recherches dans ce sens. Je ne sais rien de plus au sujet des activités de notre société au Canada.

Le sénateur Banks: Monsieur Bexon, savez-vous quand vous avez cessé de le faire?

M. Bexon: Pouvez-vous répéter votre question, sénateur?

Le sénateur Banks: À une époque, l'industrie du tabac, et votre société en particulier, faisaient des recherches qui visaient dans une certaine mesure les fumeurs âgés de 12 à 17 ans. Savez-vous depuis combien de temps votre société a cessé ce genre d'activité?

M. Bexon: Nous n'avons jamais ciblé les jeunes, et je tiens à bien insister là-dessus. Je vais vous remettre le document qui en est la preuve. Nous n'avons jamais ciblé les fumeurs n'ayant pas l'âge légal et je tiens à le déclarer publiquement. Le groupe des 15 ans est tombé des colonnes de nos statistiques il y a environ quatre ou cinq ans, mais je n'en connais pas exactement les détails.

Le sénateur Banks: Soit dit entre parenthèses, j'aimerais beaucoup prendre connaissance du démenti dont vous parlez. Vous vendez des Player's?

M. Bexon: Oui.

Le sénateur Banks: Je jette un coup d'oeil au document concernant la vente des Player's Light par votre société il y a longtemps. Je suis convaincu que votre société a changé de pratique depuis lors, mais on peut lire, en face de «groupe cible», les résultats les plus élevés possible pour les jeunes gens de 12 à 17 ans. J'aimerais beaucoup voir le démenti prouvant qu'il ne s'agit pas d'un groupe cible.

M. Bexon: Je vais vous remettre ce document, sénateur.

Le sénateur Banks: Monsieur Barnett, savez-vous quand votre société a mis un terme aux recherches sur le groupe de fumeurs qui n'ont pas l'âge légal?

M. Barnett: Non, je n'en sais rien car je travaille dans ce secteur depuis seulement un an et demi.

Le sénateur Banks: Vous serait-il possible de le trouver?

M. Barnett: Oui, bien volontiers.

Le sénateur Banks: Pourriez-vous en informer le greffier?

M. Barnett: Oui.

Le sénateur Kenny: La question de la décision éclairée a été soulevée, monsieur Bexon, par vous, si je ne m'abuse. C'est un argument qui m'a toujours laissé perplexe. Il semble assez logique de dire qu'un adulte devrait être à même de prendre ses décisions et de choisir de fumer ou non. Là où les choses se compliquent un peu, c'est lorsque Santé Canada nous dit que 80 p. 100 des fumeurs commencent avant l'âge de 16 ans et que, en fait, ils commencent même à l'âge de 10, 11 et 12 ans. Il est évident que ces jeunes ne sont pas en mesure de prendre une décision éclairée. Pourtant, ils prennent l'habitude de fumer dès ce jeune âge et, lorsqu'ils arrivent à l'âge où ils sont à même de prendre une décision éclairée, il est trop tard pour eux car ils sont accrochés.

Pourquoi l'industrie du tabac répète-t-elle que les adultes portent des jugements raisonnables et renseignés lorsqu'elle sait fort bien que l'accoutumance intervient bien avant que les enfants soient en mesure de porter ce genre de jugement?

M. Bexon: J'espère que c'est une des choses auquel le projet de loi S-20 remédiera. C'est une des raisons pour lesquelles je l'appuie. J'ajoute être fermement en faveur aussi de l'interdiction de la possession des cigarettes, mesure qui nous paraît pénible et coûteuse mais indispensable, car il devrait y avoir un seuil -- et je crois qu'il s'agit de l'âge de 18 ans -- au-delà duquel les gens savent dans quoi ils s'embarquent. À cet âge-là, ils prennent une décision d'adulte et vivent avec ses conséquences. C'est à cela que je songeais lorsque j'ai utilisé l'expression «décision éclairée». C'est pour cela que le projet de loi me plaît.

Le sénateur Kenny: Vous m'avez mené à ma deuxième question, monsieur Bexon. Il est généralement reconnu que le tabagisme chez les jeunes tient à quatre causes principales: la rébellion, la pression des camarades, le culte du héros et le désir chez certaines jeunes filles de demeurer minces.

Votre argument relatif à la possession chercherait à réduire la pression des camarades. Cependant, pourquoi ne pas le mettre en rapport avec la rébellion? L'illégalité de quelque chose n'encourage-t-elle pas par le fait même les jeunes qui sont tentés par la rébellion?

M. Bexon: La pression des camarades s'exerce très fortement sur les jeunes. Si j'ai proposé une sanction comme le retrait du permis du conduire, assortie d'une interdiction, c'est parce qu'à mon avis, ce qu'on retire doit être tellement précieux que les jeunes ne céderont pas aux pressions de leurs semblables. Je ne pense pas que l'on puisse vraiment neutraliser cela, mais ils doivent savoir qu'ils n'y ont pas intérêt. Je sais que tous les garçons le font, mais espérons qu'ils ne le feront plus une fois que le projet de loi sera adopté. Ils ne voudront plus fumer si cela risque de les priver de ce qui leur paraît le plus précieux, tout au moins pour bon nombre d'entre eux, leur permis de conduire. Les deux activités ne sont même pas liées, il s'agit simplement de mettre quelque chose d'important du côté des sanctions.

Le sénateur Kenny: Je vois.

M. Bexon: La même chose est pertinente par rapport à la rébellion. Cela fait partie de la stratégie. On essaie simplement d'imposer une sanction qui sans être injuste revêt beaucoup d'importance aux yeux des jeunes.

Le sénateur Kenny: Avez-vous en main des données établissant que la rébellion est une cause moins importante du tabagisme que la pression des camarades?

M. Bexon: Non, je n'en ai pas.

Le sénateur Kenny: Monsieur Barnett, de quels renseignements votre société dispose-t-elle au sujet des jeunes fumeurs et qui justifieraient que vous participiez à la prise de décision au sein de la fondation?

M. Barnett: Ainsi que nous l'avons déjà dit, l'accès est un aspect primordial. Nos effectifs de vente font affaire avec 40 000 détaillants répartis dans tout le Canada. Si on empêche l'achat, si on resserre considérablement le respect de cette interdiction, alors du même coup on fait reculer le problème de façon importante. Si les jeunes ne peuvent acheter les cigarettes, ils ne peuvent les fumer; si vous réduisez la possibilité d'acheter, vous diminuez de façon tangible le problème.

Le sénateur Kenny: Je vous demandais de quels renseignements votre société dispose au sujet des jeunes fumeurs qui justifieraient que vous ou que votre entreprise participent à la prise de décision au sein de la fondation.

M. Barnett: Nous n'avons pas de renseignements sur les jeunes fumeurs.

Le sénateur Kenny: En ce cas, pourquoi auriez-vous le droit de siéger au sein de ce conseil d'administration?

M. Barnett: En tant que fabricant, j'estime que nous avons un rôle important à jouer dans le combat contre un problème qui nous préoccupe tous.

Le sénateur Kenny: Reconnaissez-vous que 45 000 Canadiens meurent à tous les ans de maladies liées au tabagisme?

M. Barnett: Non, je ne le reconnais pas.

Le sénateur Kenny: Quel chiffre reconnaissez-vous?

M. Barnett: Je n'ai pas de chiffre à fournir. Je ne suis ni médecin ni scientifique.

Le sénateur Taylor: Vous parlez comme un procureur.

Le sénateur Kenny: Merci. Vous n'avez pas la moindre idée du nombre de Canadiens qui meurent de maladies liées au tabagisme?

M. Barnett: Non.

Le sénateur Kenny: Reconnaissez-vous que des Canadiens meurent effectivement de maladies causées par le tabagisme?

M. Barnett: C'est bien ce que me dit le sens commun, oui.

Le sénateur Kenny: Puisque vous fabriquez un produit qui tue des Canadiens, comment pouvez-vous croire posséder la crédibilité qu'il faut pour diriger une fondation conçue pour dissuader les Canadiens de consommer votre produit?

M. Barnett: Je n'ai pas demandé que nous dirigions la fondation. J'ai demandé que nous puissions en faire partie. Nous ne pensions pas contrôler ou diriger quoi que ce soit lorsque nous avons demandé de pouvoir participer; nous demandions simplement de participer.

Le sénateur Taylor: En ma qualité de vice-président du comité, je tiens à vous féliciter les trois de votre témoignage. Je n'ai vu aucun de vos avocats bondir et se tenir la tête à deux mains. Vous n'avez probablement pas fait de faux pas.

Ma question est brève. Exportez-vous certaines de vos cigarettes?

M. Barnett: Oui.

Le sénateur Taylor: Dans ce cas, est-ce que l'emballage des cigarettes exportées est différent de celui que vous utilisez au Canada? Autrement dit, les messages imprimés sur les flancs des emballages sont-ils différents de ceux qu'on voit au Canada?

M. Barnett: Je ne sais vraiment pas. Parlez-vous des mises en garde obligatoires?

Le sénateur Taylor: Oui. Selon des preuves que j'ai en main, les produits exportés vers l'Asie, par exemple, sont vendus dans des emballages différents et comportent des messages eux aussi différents. L'emballage est assez petit pour que des enfants d'âge scolaire puissent les acheter. Que répondez-vous à cela? Mes renseignements sont-ils erronés?

M. Barnett: Nous n'exportons pas vers l'Asie. Notre principal marché d'exportation est les États-Unis.

Le sénateur Taylor: Exportez-vous vos produits ailleurs qu'en Amérique du Nord, monsieur Bexon?

M. Bexon: Non. Il fut un temps où nous avions une très petite entreprise en Chine, mais nous avons acheté une entreprise qui s'occupe de cela à notre place.

Le sénateur Taylor: Je vois.

M. Poirier: Il y a eu certains changements. Cependant, je ne peux vous donner de chiffres exacts quant aux produits que nous exportons, ni à leur destination. Je sais que certaines modifications structurelles ont été apportées depuis les changements de propriétaire il y a un an. Les choses sont encore en évolution à cet égard.

Le sénateur Taylor: Pouvez-vous nous fournir une réponse écrite à cette question? Cela vous donnerait l'occasion d'effectuer de la recherche. En outre, cela nous donnerait une idée de votre attitude relative à la commercialisation de votre produit chez les jeunes, pour que nous sachions si vous emballez et commercialisez des paquets de cigarettes destinés aux jeunes dans des pays autres que le Canada.

M. Poirier: Je tiens à préciser que les marques de cigarettes canadiennes sont destinées exclusivement au Canada. Une très faible proportion de ce produit est disponible pour les touristes qui tiennent à acheter nos marques à nous lorsqu'ils sont en visite aux États-Unis.

Il se peut que nous produisons des marques différentes destinées à un autre pays, conformément aux règles en vigueur dans cet autre pays parce que c'est là que le produit sera vendu. En tant qu'entreprise de fabrication, nous avons un rayonnement international, et comptons divers éléments un peu partout.

Le sénateur Taylor: Nous serions reconnaissants à chacun d'entre vous de nous faire parvenir un document sur vos usages en matière d'exportation vers des régions autres que l'Amérique du Nord.

M. Bexon: Vous songez probablement aux paquets de 20 cigarettes.

Le sénateur Taylor: Il s'agit même parfois de paquets de seulement cinq cigarettes. Je pensais que c'était votre compagnie qui les vendait. La dernière fois que j'ai été en Thaïlande, ces petits paquets se vendaient sur les terrains des écoles. Autrement dit, on s'en servait pour cibler de façon très précise les jeunes fumeurs débutants. J'aimerais en savoir un peu plus là-dessus. Ce genre de pratique n'existe pas au Canada, mais j'en saurais un peu plus sur votre approche en matière de commercialisation.

M. Poirier: Je pourrais peut-être ajouter un élément. Au cas où vous voudriez savoir si notre usine de Montréal fabrique un produit empaqueté dans des emballages de moins de 20 cigarettes, la réponse est non. Cela dit, si vous tenez quand même à obtenir un document écrit, je vous le fournirai.

Le sénateur Taylor: Oui, s'il vous plaît. Des renseignements supplémentaires ne nuiront pas.

Le sénateur Nolin: J'ai une remarque à faire, monsieur Bexon. Vous n'ignorez certainement pas que le Sénat a décidé de lancer une enquête d'envergure sur la consommation des substances illégales. Dans les faits, l'interdiction ne fonctionne pas. Je m'opposerais donc à l'inscription dans le projet de loi S-20 d'une nouvelle interdiction. Je tiens à ce que vous soyez au courant et que vous sachiez aussi que nous allons nous pencher sur les résultats que l'interdiction devait donner, les raisons pour lesquelles cela n'a pas marché et sur ce que nous devrions envisager à la place. Vous devriez le savoir avant que nous examinions vos recommandations.

La présidente: Merci beaucoup messieurs de votre patience et de votre témoignage. Si nous devions compter encore sur votre collaboration, j'espère que vous nous la donnerez volontiers.

Nous allons maintenant accueillir les témoins suivants, qui représentent la Société canadienne du cancer.

M. Rob Cunningham, analyste principal des politiques, Société canadienne du cancer: Vous savez sans doute que la Société canadienne du cancer appuie le projet de loi, et je vais certainement renouveler notre soutien aujourd'hui.

Je vais répondre aux témoignages de ceux qui nous ont précédés à deux principaux égards. Je parlerai d'abord de la crédibilité puis d'une commercialisation qui cible les jeunes.

À mon avis, certaines des déclarations des témoins qui nous ont précédés vont réduire à néant la crédibilité de l'industrie du tabac. Je pense en particulier à celles de M. Barnett, qui représente les compagnies Rothmans, et Benson & Hedges, Inc., car il a refusé de reconnaître le lien de causalité entre le tabagisme et diverses maladies. Il a aussi rejeté l'affirmation selon laquelle la fumée du tabac peut être nocive pour les enfants. Il a donné des réponses du genre, «les résultats scientifiques ne sont pas clairs là-dessus». Il a mentionné le fait qu'il n'est ni médecin, ni scientifique. Il a aussi affirmé que bon nombre de gens fument sans subir de conséquences néfastes.

Il s'agit de réponses semblables à celles que nous avons entendues de la part de l'industrie du tabac pendant des décennies. Face à de telles affirmations, on peut remettre en cause la sincérité et la crédibilité de l'industrie lorsqu'elle affirme ne pas vouloir inciter les jeunes à fumer.

Aucun des présidents n'a reconnu que les cigarettes entraînent tout autant l'accoutumance que l'héroïne et la cocaïne. Le président de la Société JTI-Macdonald, M. Poirier, a comparé l'habitude du tabac au goût pour le chocolat, ce qui à mon avis banalise un très grave problème de santé.

Nous savons que ces représentants sont préoccupés par les effets de leurs témoignages. M. Bexon de la Imperial Tobacco a dit avoir passé les trois dernières journées en compagnie des avocats. S'agit-il là d'une industrie qui tient vraiment à s'ouvrir et à dire la vérité à la population canadienne, ou est-ce qu'elle ne cherche pas plutôt à donner des réponses habiles par le truchement d'avocats?

En l'an 2000, on pourrait dire de cette industrie qu'elle s'accroche à de vieilles faussetés du genre «la terre est plate».

M. Bexon ne voulait pas reconnaître qu'un recul du tabagisme chez les jeunes importe davantage à ces sociétés que les bénéfices. Il n'admettait pas être troublé par le fait que le marché le plus considérable de la Imperial Tobacco se trouve au sein des jeunes.

En même temps, le sénateur Wilson l'a renvoyé à un document relatif à des groupes cibles ayant de 12 à 17 ans. Il n'a pas réprouvé le document, il n'a pas dit qu'une telle chose était inacceptable. Il a nié qu'une campagne de publicité avait directement visé les mineurs. Il a affirmé qu'on ciblait vraiment les jeunes de 16 et de 17 ans, qu'il fallait tout simplement procéder ainsi et qu'à l'époque, de toute façon, l'âge minimum était de 16 ans.

Eh bien, cela est faux. En vertu des lois en vigueur en Ontario et au Nouveau-Brunswick depuis 1890, l'âge minimum était de 18 ans.

En outre, selon le code de déontologie volontairement adopté par l'industrie du tabac elle-même, et d'abord établi en 1964, l'âge minimum était de 18 ans. À l'époque les compagnies disaient publiquement se conformer à ce code de déontologie et affirmaient ne destiner de la publicité qu'aux adultes et seulement pour les encourager à changer de marque. Leurs représentants disaient: «Nous ne faisons pas de publicité auprès des jeunes de moins de 18 ans», et ils l'ont répété à maintes reprises devant ce Parlement et la population canadienne. Or, le fait qu'ils aient admis avoir ciblé des jeunes de 16 et de 17 ans équivaut à avouer qu'ils trompaient le public.

J'aimerais déposer un document à l'intention des membres du comité. Vous y trouverez un exemplaire de la loi ontarienne, un exemplaire du code de conduite volontaire de l'industrie du tabac de l'époque et aussi les dates où diverses provinces ont fait passer l'âge minimum de 18 à 19 ans.

Imperial Tobacco a révélé qu'elle continuait à faire des études de marché sur les jeunes de 15, 16 et 17 ans jusqu'à 1997, inclusivement. Ce n'est qu'après la Loi sur le tabac, l'ancien projet de loi C-71, dont était saisi le Parlement, à moins qu'il l'est déjà adopté, que l'industrie a haussé l'âge cible. Nous ne savons pas exactement quel est le nouvel âge cible puisque M. Bexon a parlé de 19, de 18 et de 16 ans, puis, et dit qu'il ne savait pas. Quelle est l'importance pour Imperial Tobacco de la réduction du tabagisme chez les jeunes, si la compagnie ne sait même pas sur quels âges portent ses études de marché?

M. Barnett, assis à côté de M. Bexon, a affirmé qu'il ne fallait pas faire d'études de marché sur les mineurs. Pourtant, Imperial Tobacco en fait depuis des décennies. M. Bexon ne veut pas revenir sur le passé, mais 1997, c'est assez récent pour ne pas être considéré comme bien loin dans le passé, et c'est le contexte dont il parlait.

J'aimerais dire une chose au sujet de la recommandation faite par M. Barnett et par Rothmans, Benson & Hedges pour modifier le projet de loi de manière à obteni l'appui de la compagnie. Si j'ai bien compris, il propose une modification exigeant que les recettes tirées de la surtaxe actuellement imposée sur les produits du tabac servent au financement de la fondation. Si j'ai bien compris, d'après la Constitution, le Sénat ne peut présenter d'amendement ou de projet de loi qui a pour résultat des dépenses gouvernementales. Il recommande une mesure que le comité et le Sénat ne peuvent pas adopter, constitutionnellement. C'est révélateur.

M. David Sweanor, conseiller juridique principal, Association pour les droits des non-fumeurs: Honorables sénateurs, je vais essayer de mettre ce que vous venez d'entendre dans son contexte. J'espère lui donner le meilleur éclairage possible pour les personnes qui ont témoigné immédiatement avant nous.

Pour commencer, il faut voir les choses dans le contexte de la santé, complètement exclue du témoignage de l'industrie du tabac. Nous parlons d'un produit qui tue plus de 45 000 Canadiens par an. C'est un produit qui est consommé par plus de 6 millions de Canadiens. Environ 70 p. 100 de ceux qui l'utilisent affirment souhaiter cesser d'en faire usage. Environ 40 p. 100 d'entre eux, chaque année, essaient sérieusement de rompre cette habitude. Beaucoup d'entre eux préféreraient vraiment ne pas fumer mais ont une dépendance physique au tabac.

C'est un produit qui entraîne des coûts énormes, non seulement en pertes de vies humaines, en santé perdue, mais aussi du point de vue économique et social, pour le pays.

Nos enfants feront bien des choses contre notre gré. Ils feront des choses dangereuses, mais il est difficile de penser à une autre activité qui augmente autant la probabilité qu'en tant que parents, nous ayons un jour à enterrer nos propres enfants. L'industrie du tabac commercialise ce genre de produits. Les jeunes de 11 ans, 12 ans ou 13 ans qui commencent à fumer maintenant sont ceux qui, à la fin de la trentaine et au début de la quarantaine, risqueront fort de mourir à cause de leur consommation de ces produits. Voilà le contexte de la santé et lorsqu'il s'agit des jeunes, c'est le contexte du consentement éclairé pour faire ce qui est proposé dans le projet de loi S-20.

Les compagnies de tabac s'intéressent certainement au marché des jeunes, puisque c'est à cet âge que les gens commencent à fumer. On a souvent dit que les adultes ne commencent pas à fumer, ils cessent de fumer. Ce sont les jeunes qui deviennent fumeurs.

Considérons cela comme une proposition d'affaires. Si nous faisions partie du conseil d'administration d'une entreprise de produits du tabac et qu'on décidait de quantifier les choses, il ne serait pas difficile d'apprécier la valeur pour l'entreprise, ou pour l'industrie, du début du tabagisme chez les jeunes de 12, 13, et 14 ans. On peut facilement déterminer combien d'entre eux deviendront tabacomanes. Pendant combien de temps fumeront-ils avant de surmonter cette dépendance et d'en mourir? Quel revenu procure chaque paquet? Combien de paquets par jour fumeront-ils probablement? Quel est le taux d'escompte? Peu importe le mode de calcul, chaque enfant qui commence à fumer aujourd'hui est une source de profits futurs qui vaut actuellement des milliers de dollars pour ces entreprises.

Plus de 100 000 jeunes commencent à fumer chaque année; c'est tout un marché. La valeur actuelle des jeunes qui commencent à fumer cette année est probablement de l'ordre de centaines de millions de dollars. On peut en faire commerce, comme on traite des options pétrolières ou des obligations -- on peut leur attribuer un prix. Ce sont des sommes énormes.

Les compagnies de tabac nous disent qu'elles ne veulent pas que les jeunes fument. À mes yeux, c'est comme si un vendeur de parapluies disait: «J'espère bien qu'il ne pleuvra pas.» Pourquoi dirait-il cela? Ce n'est apparemment pas dans leur intérêt. Accordons-leur quand même le bénéfice du doute. Ils ont déclaré -- et M. Bexon l'a répété ici ce matin -- qu'ils étaient prêts à prendre le risque que personne d'autre ne commence à fumer dans l'enfance.

D'autres représentants de l'industrie du tabac ont dit la même chose. Ils estiment plausible que si les jeunes ne font pas partie du marché du tabac, ils pourront très bien y être intégrés comme jeunes adultes, à la fin de l'adolescence ou au début de la vingtaine. Nous savons aussi que les premières expériences de tabagisme mènent à l'accoutumance, pour bien des gens. Même s'ils n'en font l'expérience que lorsqu'ils partent pour leurs études universitaires, ce sont de futurs clients, et pour longtemps.

Les compagnies de tabac savent que bien des gens qui «jouent» avec des cigarettes quelque temps constatent qu'elles leur procurent une forme d'automédication, qu'ils tirent des produits chimiques de la cigarette le traitement de diverses conditions préexistantes comme la schizophrénie, la dépression chronique, les troubles de l'attention et probablement, aussi, l'alcoolisme. Grâce à ces interactions, l'industrie pourrait tout de même être fort rentable, même en se passant d'inciter les jeunes à fumer.

Ce qui est aussi avantageux pour l'industrie, c'est que le fumeur, qui tire sa nicotine de ses cigarettes, ne peut la trouver ailleurs. En effet, pour obtenir de la nicotine de manière soutenue, en des quantités auxquelles s'attendent les fumeurs, il n'y a que les produits du tabac. Dans un article auquel j'ai collaboré, publié dans le Journal of the American Medical Association il y a trois ans, nous avions parlé du «monopole de la nicotine d'entretien». L'industrie a peut-être décidé qu'elle pourra continuer de faire beaucoup d'argent, même sans inciter les jeunes à fumer.

Peut-être aussi a-t-elle décidé que comme il s'agit d'un oligopole, elle peut majorer ses prix de telle sorte qu'avec la moitié du nombre de fumeurs, elle aura encore des profits. Comme l'industrie est assiégée par toutes sortes de procès -- recouvrement des coûts de soins de santé, procès pou contrebande, rumeurs d'inculpation imminentes au criminel --, elle pourrait décider, pour ne pas ternir son image, d'accepter des pertes du côté du marché des jeunes, pour s'occuper d'autres choses. C'est possible.

Les compagnies prétendent qu'elles ont pris des mesures pour éviter que les jeunes commencent à fumer, mais au vu de l'histoire, ces efforts semblent avoir été plutôt inefficaces. Elles ont eu recours à des stratégies dont on avait déjà démontré, ailleurs, l'inefficacité, comme les mesures d'observation par les détaillants, dont on vous a parlé. Elles ont appliqué le programme de manière irrégulière, pendant une quinzaine d'années. Lorsque le programme a été lancé au Canada, suivant le modèle utilisé par l'industrie du tabac en Grande-Bretagne, nous avons communiqué avec des scientifiques de ce pays qui nous ont dit que ce programme ne devait pas être employé, non seulement à cause de son inefficacité, mais aussi parce qu'il était possible qu'il ait des effets contraires au but recherché.

Pourtant, les compagnies de tabac l'ont appliqué. Elles avaient des codes volontaires pour éviter la publicité auprès des jeunes, notamment en s'abstenant de l'affichage près des écoles. J'ai fait mon régal de ce matériel publicitaire, dans les années 80. J'ai vérifié et j'ai trouvé des centaines d'affiches voisines des écoles. On a eu bien du mal à éloigner ce matériel publicitaire des jeunes. Les compagnies de tabac n'ont pas un bon dossier dans ce domaine et n'ont rien compris aux résultats scientifiques. Comment peuvent-elles communiquer des messages aux jeunes lorsqu'elles parlent du sujet comme d'un choix d'adulte?

J'ai entendu quelqu'un dire qu'il avait quatre enfants adultes, dont trois fumaient et que, comme c'était légal, il n'y voyait rien de mal. Si je disais que j'ai quatre enfants adultes qui ont des relations sexuelles non protégées avec des partenaires séropositifs et que, comme c'est légal, je n'y vois pas de mal, je présume que vous m'enverriez à l'asile. C'est aussi comme si je disais que mes cousins prennent une cuite toutes les fins de semaine, mais que je n'y vois pas de mal, puisqu'ils ont plus de 19 ans. Les lois sur la santé publique reposent sur des raisons liées à la santé publique. Si les gens ne comprennent pas les raisons qui justifient la loi et ne voient que la loi, ils ne comprennent rien, ils ne comprennent pas non plus ce qui les justifie, scientifiquement.

L'industrie du tabac n'a pas non plus toujours dit tout ce qu'elle savait. Je suis marié à une psychiatre qui a beaucoup travaillé auprès des enfants ayant des troubles déficitaires de l'attention, et ça me dérange d'apprendre que Philip Morris savait déjà, il y a 25 ans, que pratiquement tous les enfants ayant un déficit d'attention deviennent des fumeurs. On n'a jamais révélé cela à personne -- on a oublié. L'industrie du tabac dispose d'études internes sur la prévalence mais ne nous en fait jamais part.

Elle a de l'information sur la consommation de cigarettes légères, mais n'en parle pas. Elle ne fait pas un très bon travail pour prévenir le tabagisme chez les jeunes ni pour éclairer le débat scientifique.

On voit la même pression concurrentielle que lorsqu'on veut aider d'autres industries. C'est une tragédie commune. Les documents des compagnies de tabac elles-mêmes révèlent que ceux qui accrochent les jeunes décrochent le gros lot, à cause de la loyauté à la marque. Ainsi, s'il y a trois entreprises et que deux d'entre elles décident de se conformer, mais pas la troisième, c'est la troisième qui aura cette part du marché. L'industrie est forcée de s'adapter au plus petit commun dénominateur. Les compagnies ont besoin qu'on les aide en fixant des normes. C'est l'objectif du projet de loi S-20. Il permettrait de remédier à ce grand problème.

Nous avons pu constater encore mieux ce problème avec les présidents des compagnies de tabac. Le projet de loi S-20 leur permettrait d'atteindre les résultats qu'ils prétendent rechercher. La responsabilité serait confiée à un organisme compétent en la matière. Les dirigeants de compagnie de tabac nous ont dit qu'ils n'ont pas la compétence fondamentale. Ils prétendent souhaiter faire quelque chose pour aider, mais lorsqu'on leur demande s'ils ont des résultats de recherche ou des renseignements, ou s'ils ont fait quelque chose pour se pencher sur le cas des jeunes, leur réponse est négative.

Pourtant, bon nombre de Canadiens disposent de nombreux renseignements et ont la compétence nécessaire pour prévenir le tabagisme chez les jeunes. Transférez la responsabilité aux gens compétents et aidez l'industrie à faire ce qu'elle prétend vouloir faire, c'est-à-dire protéger les jeunes.

Les compagnies de tabac ont une compétence fondamentale dans la vente de cigarettes au moyen de tous les outils légaux disponibles, voir même des outils pas tout à fait légaux. Elles n'ont pas de compétences fondamentales dans la prévention du tabagisme chez les jeunes. Elles n'ont pas de compétences dans la communication d'information sur la santé et il n'y a qu'à se rappeler ce qu'elles disent: «Si c'est légal, tant pis.» La santé n'est pas en cause.

Je pourrais donc en déduire que je peux dire à mon fils de 10 ans que s'il est en colère contre quelqu'un, à une partie de soccer, il peut lui mettre son poing au visage, puisque c'est légal, étant donné qu'il n'a pas l'âge de la responsabilité criminelle. Nous communiquons des messages au sujet de ce que nous voulons faire, mais les compagnies de tabac ne semblent pas comprendre les raisons relatives à la santé et à la société pour lesquelles on veut prévenir certains comportements.

Manifestement, l'industrie ne comprend pas que nous voulons protéger nos enfants contre la maladie et l'accoutumance. Il est peu probable que des mesures volontaires permettent d'atteindre nos objectifs; il nous faut donc désespérément quelque chose comme le projet de loi S-20 pour remédier au problème.

Le sénateur Cochrane: Comme vous l'avez dit, il y a un suivi à la séance de ce matin et aux témoignages des PDG que nous avons reçus. M. Barnett a dit qu'il ne voyait pas de corrélation entre la publicité et le tabagisme infantile.

J'aurais voulu lui demander: «Pourquoi faire de la publicité, alors?»

Le sénateur Kenny: Bonne question!

Le sénateur Cochrane: Je n'ai pas eu l'occasion de la lui poser plus tôt.

La présidente: Je suis désolée, on ne peut pas poser toutes les questions.

Le sénateur Cochrane: Avez-vous une idée du montant que ces compagnies dépensent en publicité?

La présidente: Des milliards.

M. Cunningham: D'après les débats sur le projet de loi S-71, au Sénat il y a trois ans, d'après l'information disponible à l'époque, au Canada, c'était environ 200 millions de dollars par an pour toutes les activités de marketing; il s'agit de la publicité, des commandites, des achats de point de vente, des représentants des ventes, des études de marché, et cetera.

L'argument selon lequel la publicité n'a pas d'incidence sur la demande, c'est de la foutaise.

Le sénateur Cochrane: Je le sais, mais ce n'est pas ce qu'ils disaient. Il n'y a qu'à regarder les publicités. Comme je leur ai dit, les enfants veulent adopter l'image qu'ils voient sur les affiches.

Le sénateur Banks: Monsieur Sweanor, étiez-vous ici ce matin?

M. Sweanor: Oui.

Le sénateur Banks: Avez-vous entendu tous les témoignages?

M. Sweanor: Certainement.

Le sénateur Banks: J'invite chacun de vous à me donner son opinion. Elle m'intéresse particulièrement parce que je suis un profane et que vous étudiez la question depuis longtemps. Vous la connaissez très bien et c'est la raison de votre présence ici.

Pourquoi deux des représentants des compagnies de tabac qui étaient ici ce matin ont-ils offert un appui inconditionnel au projet de loi S-20, en s'engageant à en promouvoir l'adoption à la Chambre des communes?

Croyez-vous qu'ils aient des desseins cachés? N'est-ce qu'un coup de chance? Ont-ils compris? Croyez-vous qu'ils soient vraiment convaincus qu'il y a un obstacle constitutionnel à ce projet de loi?

Je pose la question parce qu'il est facile pour nous de leur coller l'étiquette de «gros méchants» comme on le fait depuis toujours. Ils ne font jamais rien de bien. Ce matin, deux des représentants des compagnies de tabac ont offert un appui sans équivoque au projet de loi.

J'aimerais connaître votre opinion personnelle, d'après ce que vous avez observé ce matin, sur les raisons de cet appui.

Je crois que nous n'en attendions pas tant. Je m'attendais à ce qu'ils tournent autour du pot, en disant qu'ils y voyaient des avantages, qu'ils aimaient collaborer, contribuer, mais qu'il faudrait en discuter davantage. Ce n'est pourtant pas ce que nous avons entendu. Il nous ont dit un oui absolu.

M. Sweanor: Les compagnies de tabac aiment bien répéter qu'on les fait passer pour des suppôts du diable et qu'on les attaque souvent. Il serait plus exact de dire, probablement, qu'elles ont décidé elles-mêmes du genre d'entreprises qu'elles voulaient être. On les a simplement reconnues pour ce qu'elles étaient. Si c'est leur coller une étiquette négative, ce n'est pas notre faute. Leurs documents se passent d'explication.

Si elles viennent ici professer un appui inconditionnel au projet de loi, il pourrait bien y avoir anguille sous roche. Qui voudrait d'une mesure qui tue dans l'oeuf une source de profit? C'est fort peu probable. S'attendrait-on à ce que des pétrolières viennent dire au comité qu'elles ne veulent pas trouver de nouveaux gisements? C'est plutôt insensé.

On pourrait leur concéder que cette industrie est attaquée de toutes parts, plus probablement qu'aucune autre industrie auparavant. Dans un moment de candeur, ces gens vous avoueront peut-être qu'ils doivent vivre cachés. Essayez d'aller à un cocktail en vous présentant comme un dirigeant de compagnie de tabac. Ils ne le font pas deux fois. On ne les aime pas. Ils ont du mal à parler à leurs voisins, et c'est pénible. Pour cette industrie, il est difficile de recruter de bonnes personnes.

L'industrie veut changer son image. Mais quant à changer de produits, c'est une autre affaire.

C'est directement relié à ce qui a été mentionné par M. Thompson et Mme Callard, au début de la séance. Les compagnies cherchent des façons de retarder les procédures, pour réduire la probabilité d'être attaqués en justice, et essaient de sembler très raisonnables. C'est ce qu'elles font depuis longtemps. Nous pouvons maintenant, avec le recul, citer les compagnies qui ont déclaré: «Le gouvernement aimerait bien que nous passions à des cigarettes légères». On a entendu des commentaires de ce genre ce matin. Pourtant, leurs propres documents internes montrent qu'elles savaient déjà que le risque ne serait pas réduit. Mais elles ont semblé raisonnables.

D'ailleurs, elles ont semblé raisonnables de bien des façons. On peut se demander si on est prêt à l'accepter? Peut-on leur faire confiance? Probablement pas, à mon avis, mais quelle différence cela fait-il pour le projet de loi? La meilleure chose à faire, c'est de l'adopter, et si la Chambre des communes, pour une raison ou pour une autre essaie de l'éliminer de nouveau, elle devra en répondre devant ceux qui exprimeront la nécessité de faire quelque chose pour la prochaine génération d'enfants.

Rappelez-vous que sur les Canadiens actuellement vivants, le tabagisme tuera un million de personnes d'ici 20 ans, d'après les estimations de l'Organisation mondiale de la santé. C'est comme perdre toute la population du Manitoba. Nous perpétuons ce risque chaque année, avec chaque nouvelle cohorte de fumeurs.

Si les compagnies de tabac veulent appuyer le projet de loi, nous sommes bien obligés de les croire. Elles ont peut-être des raisons d'appuyer le projet de loi, mais nous devons l'adopter et agir pour les enfants.

M. Cunningham: J'ai trouvé intéressant que l'une des trois compagnies s'opposerait activement à ce que le projet de loi soit adopté par la Chambre des communes, dans sa forme actuelle. C'est une grande déception. L'industrie n'est pas unie dans son appui au projet de loi.

Si Imperial Tobacco est sincère, j'exhorte cette compagnie à divulguer toutes ses études de marché sur les jeunes, y compris ceux de 15 à 19 ans, jusqu'à 1997 inclusivement.

Nous constatons que les dépenses de commercialisation du tabac dépassent 150 millions de dollars, par rapport à 200 millions de dollars en 1997. Cette industrie dispose maintenant de nombreuses ressources. Elle peut agir, elle a les ressources pour le faire.

Le sénateur Christensen: Si le projet de loi S-20 est adopté et qu'on réussit à réduire le nombre de jeunes fumeurs, avez-vous une idée de l'ampleur possible de cette réduction? On peut ensuite se demander quel effet cela aurait sur la population de fumeurs au Canada dans 10 ans, par exemple. Pouvez-vous formuler des hypothèse sur ces chiffres?

M. Cunningham: Il est impossible de prédire avec précision l'ampleur de l'effet.

Le sénateur Christensen: Pouvez-vous répondre à ma question à partir de ce qui s'est fait ailleurs, avec des programmes visant les jeunes fumeurs?

M. Cunningham: On voit clairement une réduction du tabagisme chez les jeunes. Cette réduction sera cumulative et fera boule de neige. Je sais que la Californie et le Massachusetts ont connu des résultats nettement supérieurs pour la réduction du tabagisme chez les jeunes que d'autres États. Je crois que vous recevrez des représentants de ces États la semaine prochaine. Ils pourront vous donner des renseignements plus précis.

Le sénateur Christensen: Compte tenu des statistiques des autres pays, quel est le pourcentage des jeunes de plus de 18 ans qui se mettent à fumer pour la première fois lorsqu'ils atteignent l'âge de la majorité?

M. Sweanor: Nous avons peu d'information à ce sujet jusqu'à présent, surtout parce que l'industrie du tabac récolte ses clients pendant qu'ils sont adolescents et préadolescents. D'après des études effectuées récemment dans des collèges américains, il semble que certains commencent à fumer lorsqu'ils arrivent au collège ou à l'université, mais leur nombre est minuscule si on le compare à ce qui se passe ailleurs.

Les scientifiques nous disent que, compte tenu du fait que bien des gens ont une prédisposition à l'accoutumance au tabac, et que certains trouvent un sentiment manifeste de bien-être de la nicotine qui se trouve dans les cigarettes, il y a des gens qui commenceront à fumer seulement à 25 ans. Nous ignorons précisément leur nombre, mais il serait bien moins élevé que ce qu'il est à l'heure actuelle.

Si nous ciblions les 70 p. 100 de fumeurs qui prétendent vouloir cesser de fumer, si nous les aidions à cesser de fumer, il y aurait moins de modèles et de points d'accès pour les enfants. Cela aurait certainement des répercussions. Cela ferait boule de neige, avec le temps, à mesure que les diverses initiatives entreraient en vigueur.

Le sénateur Christensen: Ne pourrait-on pas demander à des personnes qui ont cessé de fumer grâce à divers programmes d'aller dans les écoles pour parler aux enfants, dans le cadre de programmes qui seraient mis sur pied grâce à la fondation qu'établira le projet de loi S-20?

M. Sweanor: En Floride, on a constaté qu'il est bon de demander aux enfants de contribuer à la conception des campagnes de publicité.

Le sénateur Adams: J'aimerais en savoir plus sur l'organisation. Il est difficile pour les jeunes de 12 à 16 ans de se joindre à une organisation.

Vous dites aux adolescents qu'ils gâcheront leur vie s'ils commencent à fumer. Y a-t-il, au sein de votre organisation, des membres qui sont adolescents?

M. Cunningham: La Société canadienne du cancer est un organisme de charité bénévole comptant des divisions dans toutes les régions du pays. Nous comptons des bénévoles adolescents. Nous avons des programmes de réduction du tabagisme. Vous avez déjà entendu les témoignages d'un grand nombre des bénévoles de nos organisations.

Le sénateur Adams: Un témoin nous a apporté, l'autre soir, une brochure sur les effets du tabac.

M. Cunningham: Un représentant de la Fondation des maladies du c<#0139>ur?

Le sénateur Adams: Oui. Avez-vous des brochures semblables, sur les effets du tabac, que vous pourriez envoyer dans les foyers canadiens?

M. Cunningham: Oui, dans nos bureaux locaux, les gens peuvent obtenir des dépliants sur la désaccoutumance au tabac. Nous avons aussi un numéro de téléphone sans frais où les gens peuvent appeler pour obtenir un exemplaire de ce livret.

Le sénateur Adams: Le nombre de vos membres augmente-t-il chaque année? Est-ce que, chaque année, d'autres gens se joignent à votre société?

M. Cunningham: Je ne peux vous donner de chiffres précis.

Le sénateur Adams: Les groupes de pression sont parfois très puissants. Où j'habite, nous aimons bien chasser, mais le lobby des droits des animaux est très puissant. Ils disposent de beaucoup d'argent et font du lobby contre la chasse.

J'aimerais savoir si vous disposez de beaucoup d'argent. Puisque 45 000 personnes meurent chaque année de maladies causées par le tabac, il serait sans doute bon de consolider votre organisation. Comment pourrions-nous nous assurer que votre association a suffisamment de fonds pour aider les Canadiens à comprendre combien de gens meurent d'avoir fumé des cigarettes.

Comment pourrions-nous aider votre organisme? L'autre jour, nous avons vu un clip de 30 secondes où on disait que le tabagisme coûte 10 millions de dollars. Cela semble être une évaluation raisonnable.

M. Cunningham: Il est certain que notre organisation aimerait en faire plus. Toutefois, nos ressources sont limitées.

Voilà pourquoi le projet de loi est si important. Il nous permettrait d'avoir les ressources dont nous avons besoin pour nous attaquer à ce problème grave, y compris au Nunavut.

J'étais là lorsque le nouveau territoire a été créé et je me suis entretenu avec le sous-ministre de la Santé. Il m'a décrit les niveaux absolument terribles de tabagisme chez les jeunes filles au Nunavut.

Le sénateur Adams: J'appuie le projet de loi S-20. Toutefois, ce qui m'inquiète, c'est de savoir comment faire comprendre l'ampleur du problème aux gens. Comme je l'ai dit aux représentants des compagnies de tabac, peu importe le prix des cigarettes une fois que les gens ont commencé à fumer. Ce qu'il faut, c'est faire en sorte qu'ils ne commencent jamais à fumer.

Mon fils cadet n'a jamais fumé. Il a maintenant 20 ans. Je l'ai sermonné sur les méfaits du tabac et de l'alcool. Je lui ai dit que s'il voulait avoir une voiture un jour, il ne fallait pas qu'il conduise en état d'ébriété. Je lui ai dit tout cela afin qu'il comprenne bien ma position.

Bien des jeunes de nos jours n'ont pas d'emploi à temps partiel et se contentent d'être ensemble, à ne rien faire. Je veux savoir ce qu'on peut faire pour les empêcher de fumer. Ils se contentent de rester à la maison et de regarder la télé en fumant.

M. Sweanor: Voilà pourquoi le projet de loi S-20 est si important. Nous examinons les divers problèmes de santé auxquels le pays fait face et les mesures qui pourraient être prises.

Il est à noter qu'un économiste de la Banque mondiale a établi le coût de diverses interventions pour chaque année de vie additionnelle. Il a constaté que l'argent consacré à la lutte contre le tabagisme était presque aussi rentable que l'immunisation, et nous savons que l'immunisation est extrêmement rentable.

Il s'agit ici de 20 ou 30 $ de plus par année de vie, si l'argent est dépensé à bon escient. Les mesures antitabac sont bien plus rentables que toute autre intervention médicale, mais nous n'y consacrons pas d'argent.

On a fait la preuve de ce qui marche, de ce qui est efficace, mais rien ne se fait. Du moins, rien ne se fait au Canada. Nous pouvons voir les résultats de certaines de ces initiatives à l'étranger.

Cela nous donne l'occasion de mettre à profit les connaissances qui existent au Canada ainsi que ce que nous avons appris des autres pays pour concevoir des interventions rentables. C'est le moins que nous puissions faire pour nos enfants. Il a été prouvé qu'avec très peu d'argent, on peut prévenir de graves problèmes de santé et des morts prématurées.

Le sénateur Adams: À certains endroits, il y a des services de santé publique, mais ils ne me semblent pas très préoccupés par le tabagisme. Ils veulent surtout mettre sur pied des hôpitaux ou des infirmeries. Ils ne semblent pas s'intéresser aux causes du cancer.

Est-ce que votre organisation pourrait aller à ces endroits pour expliquer aux gens que le tabac et l'alcool ne sont pas bons pour eux? Certaines localités veulent bannir l'alcool. Mais quand il n'y a plus d'alcool, souvent, les gens fument davantage ou consomment davantage de drogues, parce que c'est la solution facile.

Je me demande par où commencer si le projet de loi S-20 est adopté. Je tente de trouver des réponses.

Certains organismes ont des fonds, mais leur tâche est difficile sans financement public.

Le sénateur Kenny: Je tiens à signaler au sénateur Adams, brièvement, que le projet de loi a été conçu précisément pour tenir compte des besoins du Nunavut et de différents groupes au pays. Les programmes américains efficaces que nous avons examinés comprenaient des programmes particuliers pour certains groupes comme le vôtre. Je suis certain qu'avec ce projet de loi, on pourra concevoir un programme parfaitement adapté à votre région du pays.

Nos témoins d'aujourd'hui ont eu la tâche particulièrement difficile, car ils n'ont pu se préparer. On ne doit pas passer de jugement de façon précipitée. Je comprends la préoccupation du sénateur Banks. Je tente encore de comprendre ce qui s'est passé ce matin. Devons-nous croire ce qu'on nous a dit ou a-t-on voulu s'adapter au goût du jour?

J'aimerais savoir ce que vous en pensez. J'aimerais aussi savoir si vous auriez des mises en garde à nous faire. Qu'est-ce qui devrait nous préoccuper à l'avenir? Que devrions-nous surveiller? Comment pourrions-nous vérifier la crédibilité des témoignages de ce matin?

M. Cunningham: On sait que l'industrie du tabac a l'habitude de faire le contraire de ce qu'elle dit. On l'a entendu affirmer qu'elle ne ferait pas de publicité s'adressant aux mineurs. On l'a entendu déclarer qu'elle se conformerait à des codes d'autoréglementation et ainsi de suite.

Je me réjouis de leur soutien. Je suis heureux de voir que deux des trois entreprises ne s'opposeront pas à ce projet de loi. À mon avis, l'industrie ne tient pas sincèrement à voir ce projet de loi adopté. Elles ne veulent pas que les jeunes fument moins parce qu'elles savent l'effet que cela aura sur leurs profits.

Leurs déclarations semblent témoigner d'un progrès, comparativement à d'autres que nous avons entendues par le passé. Elles se sont récemment opposées au projet de loi S-13, une mesure semblable. Il y a donc progrès.

M. Sweanor: Il faut tenir compte de leur intérêt fondamental. J'ai parlé à de nombreux représentants et cadres de l'industrie du tabac qui m'ont dit qu'ils ne veulent pas que les jeunes fument.

Voici ce que je leur réponds habituellement: Si je vous disais que je suis sincèrement opposé à l'exploitation minière à ciel ouvert, mais que je détiens pour 5 millions de dollars d'actions dans une telle mine qui me verse de gros dividendes, ne me suggéreriez-vous pas de balancer ces actions avant d'ouvrir la bouche?

Ils sont d'accord, je leur dis alors que n'importe quel économiste peut établir assez rapidement la valeur que représentent pour leur entreprise ces enfants qui vont commencer à fumer cette année. Je leur dis: Pourquoi ne pas prendre ce montant, le multiplier par trois pour vous assurer que personne ne mette en doute vos motifs, et le donner. Donnez-le à un hôpital pour enfant. Donnez-le au gouvernement. Ou alors jetez-le à la rivière. Faites quelque chose qui montre que vous perdez bel et bien de l'argent chaque fois qu'un enfant commence à fumer. L'on verra alors que vous êtes sincères, et vous serez ainsi plus crédibles.

En fait, je crois qu'au moins un ou deux d'entre eux sont allés parler à leurs comptables. Cette idée est morte de sa belle mort peu après. C'est parce que les jeunes représentent beaucoup trop d'argent pour l'industrie, et c'est aussi parce qu'une entreprise ne peut agir seule de ce côté. Il serait suicidaire pour une entreprise de renoncer au marché des jeunes si ses concurrents n'en font pas autant.

Il y a donc lieu d'être prudents étant donné l'intérêt fondamental de l'industrie. Ses responsables ont avoué sans détour qu'ils avaient passé plusieurs jours à consulter leurs avocats avant de venir vous voir. Ils ont ensuite fait des suggestions qui sont clairement inconstitutionnelles ou impossibles à réaliser pour le Sénat. Le Sénat ne peut pas retirer les permis de conduire provinciaux. Ils ne savent peut-être pas que les permis sont émis par les provinces et non par le gouvernement fédéral.

Ce sont là des dirigeants qui gagnent énormément d'argent et qui ont passé plusieurs jours à écouter les conseils d'experts juridiques grassement payés. Comment se fait-il qu'ils n'ont pas de meilleures suggestions? Moi je serais prudent. Toutefois, il vaut la peine d'aller de l'avant. Vous pouvez les prendre au mot ou déjouer leur ruse, selon ce qu'ils font.

Allez de l'avant avec ce projet de loi. Obligez les entreprises à dire: «Non, nous plaisantions, et nous essayions d'induire le comité en erreur; nous tenons beaucoup à la clientèle des jeunes, et nous ne voulons pas de ce projet de loi.»

Il faut les contraindre à agir. Et ce n'est pas parce que l'on est prudent qu'il faut retarder l'adoption de ce projet de loi.

Le sénateur Kenny: Est-ce que ce serait trop vous demander que de vous inviter à prendre connaissance des déclarations qu'ont faites ces représentants de l'industrie? Un témoin a fait une observation en passant au sujet de la procédure. On nous a encouragés entre autres à imposer une taxe alors qu'ils savent fort bien que c'est impossible. Vous avez mentionné les permis de conduire qui sont de compétence provinciale. Il y a également quelqu'un qui a dit à la fin: «Je ne comprends pas comment ça marche à Ottawa.»

M. Sweanor: Phénomène récent.

Le sénateur Kenny: J'hésite à demander aux lobbyistes de l'industrie du tabac présents dans la salle à lever la main. La moitié des mains se lèveraient.

Auriez-vous tous les deux l'obligeance de communiquer au comité, dans un avenir assez proche, et après avoir pris le temps d'y réfléchir -- la semaine prochaine, peut-être -- une analyse des divers problèmes qui devraient nous préoccuper?

Après une deuxième ou troisième lecture du procès-verbal, quels sont les éléments dont le comité devrait tenir compte dans son étude du projet de loi? Quels sont les éléments qui doivent retenir notre attention? Comment pouvons-nous aider ceux qui appuient ce projet de loi à la Chambre des communes?

M. Cunningham: Oui, monsieur le sénateur, nous serons ravis de vous rendre ce service.

M. Sweanor: Oui.

La présidente: J'ai quelques questions qui ne portent pas directement sur le projet de loi. Le sénateur Kenny est notre grand expert ici, mais j'ai déposé au Sénat le projet de loi sur les produits du tabac. Je connais le processus.

Toute la discussion portait alors sur le fait que le tabac ne relevait pas de la Loi sur les produits dangereux. Je me rappelle avoir pris la parole au Sénat à plusieurs reprises au sujet de cette initiative. Bien sûr, si le tabac relevait de la Loi sur les produits dangereux, le gouvernement serait en mesure de faire un certain nombre de choses, par exemple, éliminer certains poisons.

Croyez-vous que cette question se posera encore une fois que ce projet de loi aura été adopté? Nous menons en ce moment une étude d'envergure sur les drogues. Le tabac est la seule drogue qui, si on la consomme selon l'usage recommandé, tue des gens. Il n'est pas nécessaire d'en abuser, on n'a qu'à la consommer.

Je voulais demander au sénateur Nolin si cette étude porterait aussi sur le tabac. N'est-il pas communément admis que le tabac est une drogue?

M. Sweanor: Le tabac est classé comme substance psychoactive. Chose certaine, la principale raison pour laquelle les gens fument, c'est pour absorber de la nicotine, qui est définitivement une drogue.

La présidente: Donc la nicotine est une drogue.

M. Sweanor: Il se pose également des questions au sujet de l'IMAO et de diverses autres substances dans les cigarettes qui influencent le comportement des fumeurs et qui peuvent expliquer pourquoi l'on continue de fumer.

Toute étude des drogues illicites et toute approche que l'on épouse à leur égard profiteront grandement des études que l'on a faites sur le tabac. Bon nombre des arguments en faveur de la décriminalisation des drogues illicites sont fondés sur l'idée qu'il faut faire ce qu'on a fait avec le tabac. On pourrait avoir alors des produits très réglementés et taxés.

Parlez du tabac avec les gens. Il y a des limites à ce que l'on peut faire. On a déjà vu comment l'industrie se sert activement de filières officieuses pour contourner les règlements gouvernementaux. Il se pose des problèmes sur la manière dont on peut changer un produit, et la vitesse avec laquelle on peut faire cela pour réaliser un bienfait public quelconque dans un milieu juridique où subsiste encore le potentiel d'un marché noir ou «gris». L'exemple du tabac est très utile dans ce plan d'étude.

Pour ce qui est de la réglementation du tabac lui-même, qu'il relève de la Loi sur les produits dangereux ou d'une autre loi, le problème le plus épineux tient au fait que les produits du tabac n'ont pas été réglementés, alors que tout produit qui pourrait entrer en concurrence avec le tabac est réglementé. Par exemple, on pourrait reconnaître qu'il est prouvé scientifiquement que la nicotine dans les produits du tabac est la principale raison pour laquelle les gens fument, qu'il s'agisse d'une dépendance ou d'une automédication ou d'une combinaison des deux, mais que la nicotine n'est pas responsable pour le grand nombre de décès.

La nicotine à cette dose-là n'est pas nuisible. Les gens meurent parce qu'ils s'injectent cette drogue en se servant d'un mode d'absorption horrible. Si le seul moyen qu'on avait d'absorber de la caféine était de l'aspirer par les poumons, on en mourrait aussi. Mais l'on a donné à l'industrie du tabac ce monopole de la consommation de la nicotine. Aucune autre industrie ne peut fournir la nicotine à titre de médicament d'entretien aux personnes qui en ont besoin ou qui en veulent parce qu'il y aurait sûrement une Loi sur les aliments et drogues qui l'interdirait. L'industrie du tabac bénéficie d'une protection étant donné qu'elle n'est pas réglementée comme le serait toute autre industrie concurrente.

La présidente: Il me semble que l'on a expressément soustrait le tabac à l'application de la Loi sur les produits dangereux.

M. Sweanor: Oui.

La présidente: Pourquoi? Je ne peux pas me rappeler pourquoi.

M. Sweanor: Ce n'est pas qu'au Canada que l'industrie du tabac profite d'une exemption en vertu de la Loi sur la consommation des produits. En règle générale, au fur et à mesure que l'on a adopté des lois sur la protection du consommateur à l'échelle mondiale au cours des 100 dernières années, l'industrie du tabac a fait valoir dans divers pays le principe suivant: «Il faut soustraire notre produit à votre Loi sur les produits dangereux, votre loi sur les poisons ou les médicaments ou les aliments et drogues.» Or, la nature même de ce produit vous obligerait à l'interdire étant donné qu'il n'y a pas de niveau de consommation où il n'est pas nuisible. Voilà pourquoi elle a réussi à protéger s on produit alors que tous ses concurrents se seraient faits prendre.

Je trouve toujours étrange qu'il faille une loi spéciale pour contrer un produit en particulier. C'est comme si j'étais avocat et que je disais au tribunal: «Votre Honneur, je reconnais que mon client est coupable de ce qu'on l'accuse. Il a tué tous ces gens et dévalisé toutes ces banques, mais comme vous voyez, c'est un homme tout en muscles qui fait 6 pieds 8 et pèse 400 livres. Il n'y a pas une prison dans notre pays qui pourrait garder ce psychopathe. Alors aussi bien le libérer tout de suite.» Il faut une mesure spéciale pour contrer ce problème.

La présidente: Le principe stratégique de la lutte contre le tabac me fait penser plutôt à Alice au pays des merveilles. On sait tous que l'industrie ne peut pas se passer des jeunes parce que ce serait se condamner à mort. Nous savons tous également qu'il est mauvais pour les adultes de fumer pour un tas de raisons. Il y a un coût financier à cela, sans parler du coût humain. On en reparlera une autre fois.

J'avais une autre question -- et personne n'en parle beaucoup -- au sujet de l'influence du cinéma sur les motivations des jeunes. Qu'en pensez-vous? Il y a quelque temps de cela -- peut-être cinq ou six ans -- le cinéma ne montrait pas de gens qui fumaient. À mon avis, le cinéma, les vidéoclips et autres supports ont un effet incroyable sur les enfants de 8 à 12 ans. Les enfants meurent d'envie de voir toutes sortes de films cool. Dernièrement, on a recommencé à voir de beaux acteurs fumer dans presque tous les films. C'est la raison pour laquelle ma génération a commencé à fumer. Tout cela, c'est la faute à Humphrey Bogart.

Le sénateur Kenny: Et à Lauren Bacall aussi.

La présidente: Il n'y a rien de plus séduisant qu'Humphrey Bogart grillant une cigarette. Cette image a eu un effet incroyable.

Croyez-vous que l'on a conclu un accord secret, tout comme il y en a eu un, par exemple, pour les films de James Bond? Dans ses films, on fait de la publicité pour Coke et toutes sortes d'autres produits. On en fait maintenant la publicité dans les cinémas, ce qui n'était pas le cas auparavant. Pensez-vous qu'il existe un contrat quelque part promettant un gain quelconque? Y a-t-il moyen de le savoir?

M. Sweanor: Vous avez raison, mais ce n'est plus un accord secret. Certains de ces accords ont été révélés.

La présidente: Vraiment? Des contrats avec l'industrie cinématographique?

Le sénateur Kenny: Oui, et avec les acteurs.

La présidente: Je ne le savais pas.

M. Sweanor: Pour certains films, on verse plus d'un million de dollars pour faire la promotion d'un certain produit. Sylvester Stallone a des contrats qui lui rapportent de coquettes sommes tout simplement parce que l'on montre des gens qui fument la cigarette dans les films qu'il produit.

Le sénateur Kenny: Oui, dans ses cinq prochains films.

La présidente: Vous plaisantez? Et où sont toutes ces personnes qui harcèlent l'industrie cinématographique à cause de la violence, de la grossièreté, tout cela? Je ne les ai pas entendues parler de cela.

M. Sweanor: L'industrie du tabac a promis qu'elle ne le referait plus.

La présidente: Quand?

M. Sweanor: Tout de suite après qu'elle a promis que sa publicité ne viserait plus les enfants, je crois.

La présidente: Y a-t-il un mouvement quelconque aux États-Unis ou une initiative législative quelconque qui voit à cela? On sait à quel point l'industrie cinématographique est importante aux États-Unis et à quel point elle est vitale pour les candidats démocrates, de qui l'on attendrait plus de sensibilité. Qu'en est-il de ce représentant de la Californie, M. Waxman? Est-ce qu'il est là-dedans? Qu'en est-il?

M. Sweanor: Dans le cadre de l'entente qui est intervenue avec les procureurs généraux des États américains, l'industrie du tabac s'est engagée à ne plus faire cela. Mais nous restons sceptiques.

Je suis au courant de cela depuis que j'ai fait cette rencontre par hasard à l'aéroport de Tokyo en 1987. J'attendais mon vol pour Vancouver qui était retardé, et je me suis mis à parler à quelqu'un qui attendait son vol pour Los Angeles, qui était également en retard. C'était un producteur cinématographique qui tournait des films intelligents où des hélicoptères se battent contre des canons. C'est tout ce dont je me souviens. Je lui ai dit que j'étais venu à Tokyo assister à une rencontre sur le tabac. Il s'est mis à parler du tabac et il a dit: «Le tabac n'a plus sa place au cinéma.» Il a dit: «Un jour, ces films auront une grande valeur résiduelle. Les gens pourront les voir sur câble, sur disque et sur toutes sortes de supports. Pour conserver la valeur des films, il ne faut pas y mettre par inadvertance des choses que les gens trouveront étranges un jour. Ainsi, on ne montrerait pas dans un film un homme qui battrait sa femme pour rien si l'on sait que la société évolue dans un certain sens, à moins que le film ne l'exige. De la même façon, on ne montrerait pas des gens qui fument la cigarette.» Je lui ai alors demandé: «On ne verra plus de gens qui fument la cigarette dans les films?» Il m'a répondu: «Ah non. Je n'ai pas dit qu'on ne montrerait plus personne qui fume, c'est seulement que l'on peut calculer aujourd'hui ce que serait la valeur résiduelle d'un film si l'on y montrait des gens qui fument. Vous devez seulement calculer combien l'on vous paierait pour montrer une personne qui fume la cigarette dans votre film pour voir si c'est rentable ou non.» C'est quelques années plus tard que j'ai vu le contrat de Stallone et compagnie. J'ai bien vu que ce gars-là savait de quoi il parlait.

La présidente: C'est important pour le Canada étant donné le nombre de films américains qu'on voit chez nous. J'imagine qu'il n'y a pas de lois au Canada qui interdisent de montrer des cigarettes dans un film. Je ne me rappelle pas si j'ai déjà vu des cigarettes dans un film canadien.

M. Cunningham: La Loi sur le tabac interdirait la présence de ce produit dans un film canadien.

M. Sweanor: C'est également la raison pour laquelle les associations pour la santé du Canada ont proposé des mesures comme la banalisation des emballages pour les cigarettes, justement pour que l'on ne puisse plus identifier les marques. Ainsi, si l'on ne peut plus identifier son produit, l'entreprise sera moins tentée de payer le prix fort pour qu'on le montre dans un film.

La présidente: Si l'on crée cette nouvelle fondation, on pourra peut-être trouver un moyen de retrancher ces images des films américains qui paraissent dans nos cinémas. Ce serait un grand pas en avant.

Le sénateur Banks: On blâme souvent l'industrie du tabac. J'aimerais vous lancer quelques chiffres. On affirme communément que si nous trouvons une «flèche magique» quelconque, comme on l'a dit, pour interdire aux mineurs de commencer à fumer ou les en empêcher -- parce que c'est surtout à cet âge-là que l'on commence -- nous allons rétrécir le marché que visent les fabricants de cigarettes parce qu'il y a moins de gens qui commencent à fumer après 18 ou 19 ans. Est-ce exact?

M. Cunningham: Oui.

M. Sweanor: Oui.

Le sénateur Banks: Si vous vous occupez de commercialisation, ça ne tient pas. Si l'on avait cette flèche magique qui empêchait les jeunes de fumer avant 18 ans, cela ne garantirait absolument pas qu'ils ne commenceraient pas à fumer après 18 ou 19 ans.

M. Sweanor: C'est l'objectif qu'il faut viser, c'est-à-dire qu'à tout le moins, l'on protège les jeunes jusqu'à l'âge de 18 ans. Après quoi, l'industrie du tabac aurait affaire à forte concurrence pour les séduire.

Le sénateur Banks: Mais c'est comme donner raison à l'industrie du tabac qui dit que c'est une chose pour adultes, une décision qui s'appuie sur une réflexion mûre et informée.

M. Sweanor: C'est ce qu'elle prétend.

Le sénateur Banks: C'est ce que nous prétendons, n'est-ce pas?

M. Sweanor: Non. Le point de vue de la communauté de la santé est que, bien qu'il y aurait encore des gens qui commenceraient à fumer si personne ne commençait avant l'âge de 18 ans, il y en aurait beaucoup moins. Il y a moins de pression exercée par les pairs, parce qu'à mesure que les gens prennent de la maturité, ils sont moins susceptibles d'être influencés par la publicité. Les gens qui ont une prédisposition à ressentir les avantages de la nicotine, par exemple ceux qui souffrent d'hyperactivité avec déficit de l'attention, peuvent surmonter cela avec le temps, de sorte qu'ils n'obtiennent plus la même stimulation. Il y aurait donc moins de gens qui commenceraient à fumer et un degré moindre de dépendance. Quand l'organisme est en croissance et que le cerveau se développe, et que l'on commence à alimenter les récepteurs de nicotine avec de la nicotine tirée des cigarettes, ces récepteurs réagissent et se renforcent. Ils s'habituent à être sollicités. Un plus grand nombre des gens qui commencent à fumer dans la vingtaine sont probablement capables d'arrêter plus tôt, et il y aurait aussi moins de maladies parce que l'on retarde le début de l'accoutumance. Quand on commence seulement après que l'organisme a atteint la maturité, c'est un avantage énorme pour ce qui est de réduire les carcinogènes et autres toxines. Il y a par ailleurs un délai de 20 à 25 ans entre le moment où les gens commencent à fumer et le début des maladies causées par cette accoutumance. Il y a donc divers avantages à commencer plus tard.

M. Cunningham: Nous vous félicitons pour votre travail.

La séance est levée.


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