Délibérations du comité sénatorial permanent de
l'Énergie, de l'environnement et des ressources naturelles
Fascicule 15 - Témoignages
OTTAWA, le mardi 13 juin 2000
Le comité sénatorial permanent de l'énergie, de l'environnement et des ressources naturelles, auquel a été renvoyé le projet de loi S-20, Loi visant à donner à l'industrie canadienne du tabac le moyen de réaliser son objectif de prévention de la consommation des produits du tabac chez les jeunes au Canada, se réunit ce jour à 18 h 45, dans le cadre de son examen du projet de loi.
Le sénateur Mira Spivak (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente: Nous reprenons aujourd'hui notre discussion et notre examen du projet de loi S-20. Le premier panel de témoins comprend Mary Jane Ashley, de l'Université de Toronto, et Garfield Mahood, de l'Association pour les droits des non-fumeurs.
Allez-y, je vous prie.
Dre Mary Jane Ashley, professeure, Département des sciences de la santé publique, faculté de médecine, Université de Toronto: Merci de m'avoir donné l'occasion de venir vous entretenir du projet de loi S-20. L'on ne saurait trop insister sur l'importance de ce projet de loi. Son adoption marquera un pas critique vers l'établissement d'une approche véritablement exhaustive pour la lutte contre la consommation de produits du tabac au Canada -- approche qui se fait attendre depuis trop longtemps et dont on a urgemment besoin.
D'autres vous ont entretenu des conséquences dévastatrices et très diverses du tabagisme pour la santé. Nombre de ces effets sur la santé sont très largement connus depuis des années, sauf bien sûr par l'industrie du tabac. Or, à quelques exceptions près, la réaction des gouvernements à cette épidémie commerciale a, pour la plupart, été de laisser faire.
L'adoption du projet de loi S-20, ainsi que le projet de loi en matière d'avertissements sur les risques pour la santé, qui en est aux étapes finales de son étude à la Chambre des communes, devrait lancer le signal d'une nouvelle ère de lutte contre le tabagisme au niveau fédéral. Ce sera une ère au cours de laquelle la santé des Canadiens l'emportera sur les intérêts commerciaux des multinationales puissantes et prédatrices dont le principal produit, la cigarette, est toxicomanogène et toxique lorsqu'elle est utilisée tel que prévu par le fabricant et tue la moitié de ses usagers à long terme, dont bon nombre dans la fleur de l'âge.
Je suis médecin et j'ai fait toute ma carrière dans le domaine de la santé publique. Je suis depuis 25 ans professeure à l'Université de Toronto où j'enseigne à des étudiants en médecine et à des étudiants de troisième cycle qui se préparent à différents postes dans le domaine de la santé publique un petit peu partout au Canada. Dans le cadre de mon rôle de professeure, je mène des travaux de recherche et m'occupe depuis deux décennies de recherches sur le tabac et de lutte contre le tabagisme. Je suis à l'heure actuelle chercheur en chef à l'Unité de recherche sur le tabagisme en Ontario.
L'an dernier, j'ai présidé un panel d'experts qui a fait rapport au ministre de la Santé de l'Ontario sur l'approche requise au niveau provincial pour contrer l'épidémie de tabagisme dans la province. Le panel a rapidement conclu que le tabagisme est le problème de santé évitable numéro un de l'Ontario. Le tabagisme tue chaque année 12 000 Ontariens -- soit quatre fois plus que le total combiné des victimes d'accidents de la circulation, de suicide, d'homicide et du SIDA.
Le traitement des maladies causées par le tabagisme exige chaque année plus d'un million de journées-hôpital. Les dépenses de santé imputables au tabac dépassent chaque année plus de 1,1 milliard de dollars. Le tabagisme coûte par ailleurs chaque année à l'économie ontarienne 2,6 milliards de dollars en perte de productivité.
Le tabagisme est responsable de 25 p. 100 de tous les cancers mortels dont souffrent les Ontariens, et est de ce fait l'une des causes de l'actuelle crise en matière d'oncologie dans la province. Le cancer du poumon l'emporte aujourd'hui sur le cancer du sein comme cause première de décès attribuables au cancer chez les Ontariennes. En résumé, l'incidence de l'utilisation de produits de l'industrie du tabac, sur les plans tant économique que sanitaire, n'est rien de moins que catastrophique.
Le panel a également relevé quantité de preuves que les efforts actuels de lutte contre le tabagisme menés en Ontario ne sont pas efficaces. L'incidence du tabagisme chez les jeunes gens continue d'augmenter. Les données des enquêtes bisannuelles permanentes menées dans les écoles par le Centre d'étude de la toxicomanie et de la santé mentale -- autrefois appelé Fondation de recherche sur la toxicomanie -- rapportées dans le numéro du 13 juin 2000 du Journal de l'Association médicale canadienne, montrent qu'en 1999 28 p. 100 des étudiants en Ontario consommaient des produits du tabac, comparativement à 22 p. 100 en 1991. Les taux actuels ressemblent donc fort à ceux enregistrés au début des années 80.
Par ailleurs, très peu de progrès ont été faits dans les années 90 dans la lutte contre le tabagisme chez les adultes. En gros, les taux de tabagisme chez les adultes se sont stabilisés à environ 25 p. 100 de la population adulte totale, et c'est principalement la cigarette que consomment ces adultes. Les taux sont supérieurs chez les jeunes adultes, dont près du tiers fument à l'heure actuelle.
De nombreux Ontariens continuent d'être régulièrement exposés à de la fumée secondaire au travail et dans des lieux publics. Plus de 400 000 enfants sont chaque jour exposés chez eux à de la fumée secondaire.
Le panel a également constaté que nombre des éléments que devrait englober un programme efficace de lutte contre le tabagisme ne sont pas en place. Un élément critique est le coût des cigarettes. Il existe amplement de preuves que le prix a un effet sur la consommation, surtout lorsqu'on parle des jeunes gens. Or, aujourd'hui, la cigarette coûte moins cher en Ontario que n'importe où ailleurs en Amérique du Nord, y compris les États américains producteurs de tabac.
D'autres éléments de politique critiques sont faibles ou manquants. Par exemple, il n'existe aucune loi provinciale efficace visant à protéger les travailleurs de la fumée secondaire au travail. Nous savons aujourd'hui que de telles lois non seulement protègent les non-fumeurs mais sont également une aide importante pour les fumeurs dont la majorité veulent ou cesser de fumer ou en tout cas fumer moins. Il n'est guère étonnant que l'industrie du tabac lutte toujours si fort contre de telles initiatives.
Le budget consacré à la lutte contre le tabagisme en Ontario, bien qu'il ait augmenté de 10 millions par suite du dépôt de notre rapport, est toujours très inférieur à ce qu'il faudrait pour mettre en place des programmes efficaces. Selon le dossier d'autres programmes qui ont réussi, et conformément aux lignes directrices élaborées par les Centers for Disease Control aux États-Unis, les dépenses actuelles consacrées à la lutte contre le tabagisme en Ontario, qui se chiffrent pour l'exercice financier en cours à environ 19 millions de dollars, sont très inférieures aux 90 millions de dollars requis, soit environ 8 dollars par tête d'habitant, pour mener une lutte efficace et exhaustive contre le tabagisme.
Lors de la préparation de notre rapport au ministre, mes collègues et moi-même avons examiné et évalué les preuves scientifiques quant à ce qui constituerait une approche de santé publique efficace de lutte contre le tabagisme. J'espère que vous avez notre rapport devant vous. Il a pour titre «Les actes sont plus éloquents que les mots: Un plan d'attaque au tabagisme en Ontario«. Le rapport existe en anglais et en français.
Le panel a recommandé que le gouvernement prenne des mesures dans neuf rubriques: prix des produits du tabac; éducation publique; commercialisation, y compris emballage, étiquetage et divulgation de renseignements; postes de vente; espaces sans fumée; aides au renoncement au tabac; finances et infrastructure; contrôle et évaluation de la recherche; et poursuites pour récupération de coûts. Il y a en tout 29 recommandations. Celles-ci se trouvent dans le sommaire au début du rapport, aux pages iv et v, et elles sont examinées dans le détail dans le corps du rapport.
Plus important encore, l'examen par le panel des preuves fournies nous a convaincus que seule une approche exhaustive sera efficace pour faire baisser la consommation de produits de l'industrie du tabac en Ontario, contenant ainsi la catastrophe en santé publique à laquelle nous nous trouvons confrontés. L'approche morcelée qui a caractérisé la lutte contre le tabagisme dans la plupart des provinces du Canada ne fonctionnera pas.
Pour en arriver à cette conclusion, nous nous sommes largement appuyés sur les expériences vécues en Californie, dans le Massachusetts et en Oregon, où les preuves montrent clairement que les programmes exhaustifs de lutte contre le tabagisme sont efficaces. Vous entendrez parler ce soir des programmes de la Californie et du Massachusetts. L'expérience de ces deux États montre que des programmes exhaustifs peuvent être mis en place, que ceux-ci feront baisser l'incidence du tabagisme et qu'ils peuvent, avec les efforts et la diligence voulus, être maintenus.
Une lutte efficace et exhaustive contre le tabagisme est possible ici aussi, et il faut, dans l'intérêt de tous les Canadiens, jeunes et moins jeunes, que les mesures nécessaires soient prises. L'adoption du projet de loi S-20 sera la manifestation de la volonté politique au niveau fédéral d'agir maintenant pour assurer une composante importante d'un programme exhaustif. Entre autres choses, l'adoption du projet de loi S-20 ouvrira la voie à la mise en place et au maintien de programmes efficaces mass media pour réduire le tabagisme chez les jeunes. Vous entendrez bientôt parler du succès remarquable qu'a remporté un tel programme en Floride. Cela a donc déjà été fait et peut être fait ici.
C'est avec grand soin que nous avons choisi le titre de notre rapport, «Les actes sont plus éloquents que les mots». En entreprenant notre travail, nous savions que nous n'étions qu'encore un autre joueur dans une série de panels et autres groupes qui, au cours des deux dernières décennies, ont clairement documenté les effets dévastateurs pour la santé et le fardeau économique qu'inflige en Ontario la consommation de produits de l'industrie du tabac. Ces mêmes groupes avaient recommandé des mesures qu'aurait dû prendre le gouvernement provincial. Or, à quelques rares exceptions près, la rhétorique des gouvernements provinciaux qui se sont succédé en ce qui concerne l'importance de la lutte contre le fléau du tabagisme n'a pas été suivie par des actes.
Honorables sénateurs, je vous implore de prendre dès aujourd'hui, dans le cadre de votre rôle au niveau fédéral, les mesures nécessaires pour protéger la santé et la vie des Canadiens. Adoptez le projet de loi S-20.
M. Garfield Mahood, directeur général, Association pour les droits des non-fumeurs: Honorables sénateurs, l'Association pour les droits des non-fumeurs est une organisation sans but lucratif de promotion de la santé qui a des bureaux à Toronto, à Ottawa et à Montréal.
La professeure Ashley a fait état de l'importance de la mise en place d'un plan exhaustif. J'aimerais revenir sur une chose qu'elle a soulignée, soit la nécessité d'éviter une approche morcelée. Avant d'aborder cela plus en détail, il y a deux ou trois plaisanteries que j'aimerais évacuer.
J'aimerais féliciter le Sénat, et le comité en particulier, d'avoir une fois encore remis la question du tabagisme tout en haut de l'ordre du jour politique national. Cela est arrivé avec le projet de loi S-13, et cela arrive une fois de plus avec ce projet de loi-ci. C'est tout à votre honneur que vous ayez mis cette question à la une et que vous ayez ouvert un débat national à son sujet, chose qui n'est pas venue de la Chambre.
Deuxièmement, notre organisation souhaite féliciter un sénateur en particulier pour tout le savoir qu'il a consacré à ce dossier. L'honorable sénateur Colin Kenny est, que nous sachions, le seul législateur dans ce pays à avoir apporté à l'examen de cette question toute son érudition en la matière. Je tenais à faire figurer cela au procès-verbal. Nous vous sommes très reconnaissants du leadership dont vous avez fait montre dans ce dossier.
Enfin, certains de mes collègues m'ont demandé d'examiner les antécédents du dossier du tabac. Nombre des choses que j'ai apprises, je les dois au savoir de Rob Cunningham, de la Société canadienne du cancer.
Tout cela étant dit, il est critique d'avoir un plan exhaustif. J'ai inclus cinq éléments dans ce plan exhaustif. Premièrement, il faut que les enfants restent à l'écart de ce marché. Historiquement, les gouvernements ont mis l'accent sur l'interdiction de fournir les enfants en produits du tabac. Le problème est que si vous n'intervenez pas du côté demande de l'équation, enrayer l'approvisionnement ne donnera rien. Vous pouvez fermer 95 p. 100 des sources du produit, mais les enfants trouveront les 5 p. 100 restants, ou alors obtiendront leurs cigarettes par l'intermédiaire d'amis. Il vous faut donc réduire la demande, et c'est pourquoi le projet de loi dont vous êtes saisis est si important. C'est ainsi que nous aurons la possibilité de couper l'accès de l'industrie du tabac à nos enfants.
La deuxième chose est qu'il faut tendre vers un système de consentement éclairé. Il y a eu par le passé des tentatives visant à améliorer l'information donnée dans le système, mais le problème est qu'en même temps qu'ils faisaient cela, ce qui est tout à fait louable, les gouvernements n'intervenaient pas pour enlever du système les mauvais renseignements. Vous pouvez améliorer les avertissements sur les paquets de cigarettes, et je félicite le gouvernement de son initiative en ce sens, mais l'on voit partout au pays sur des panneaux publicitaires le nom Player's associé à des prouesses athlétiques -- choses tout à fait désirables -- de jeunes hommes en pleine santé. Cela vient annuler l'effet des avertissements. Dans les groupes échantillons, les jeunes nous disent que si le tabagisme est aussi mauvais qu'on le dit, ces panneaux publicitaires ne devraient pas être utilisés partout au pays. Lorsque vous demandez aux jeunes ce que sont ces panneaux publicitaires, ils ne disent pas qu'il s'agit de publicités de commandite ou d'annonces pour des courses. Les jeunes répondent en premier qu'il s'agit d'annonces publicitaires pour des produits du tabac. Lorsque le recherchiste demande si le panneau publicitaire annonce autre chose, les jeunes répondent qu'il annonce peut-être également des courses. Or, la première chose qu'ils voient, ce sont les cigarettes. Nous avons été très négligents en n'enlevant pas du système les mauvais renseignements.
Le troisième élément d'un plan exhaustif est la protection des non-fumeurs de la fumée de tabac environnementale et des incendies causés par la cigarette. Encore un autre élément est la modification du produit. Il est essentiel de réduire les effets nocifs pour les fumeurs grâce à des modifications au produit lui-même. Enfin, l'abandon du tabagisme est critique. Il nous faut aider les gens à sortir de ce marché. Une fois tous ces éléments couverts, vous aurez un plan exhaustif.
Le problème est qu'il y a dans tout plan exhaustif 15 ou 20 différents éléments, et les gouvernements n'en mettent en oeuvre qu'un ou deux à la fois. Il faut cinq ou six ans pour faire le nécessaire. Pour mettre en oeuvre un plan exhaustif complet, il faudrait peut-être compter un demi-siècle avant d'atteindre vos objectifs. Les gens se demandent pourquoi cela ne fonctionne pas. Voilà donc la toile de fond contre laquelle il nous faut examiner les antécédents dans ce dossier.
Je tiens à féliciter le gouvernement pour certaines des choses qu'il a faites, et qui ont été très efficaces, très positives. Entre 1982 et 1992, le gouvernement a augmenté les taxes sur le tabac pour les porter aux niveaux mondiaux. Et, croyez-le ou non, l'on a constaté pendant cette période des baisses de taux de prévalence sans précédent dans le monde entier. Le gouvernement mérite pour cela des remerciements.
L'adoption en 1988 de la Loi réglementant les produits du tabac a été une première mondiale. Cette loi interdisait la publicité pour les produits du tabac et ouvrait la voie à des avertissements nouveaux et plus percutants. Le gouvernement mérite pour cela des louanges.
La Loi sur la santé des non-fumeurs, un projet de loi d'initiative parlementaire, a quant à lui fait date. L'interdiction de fumer à bord d'avions ainsi que dans les sociétés d'État et les banques a établi un précédent et a là encore marqué un tournant.
L'introduction d'un système d'avertissements sur les paquets de cigarettes, même si la publication de ces mises en garde n'est toujours que facultative, a été un précédent mondial à l'époque. La Loi sur les produits du tabac, adoptée suite à l'échec de la Loi réglementant les produits du tabac, était et est toujours une excellente loi, bien qu'elle comporte certains problèmes.
En 1999, il y a eu la poursuite fédérale visant à recouvrer de l'argent pour ce qui est considéré comme l'une des plus grosses fraudes dans l'histoire commerciale canadienne. Nous pensons également que de graves crimes ont été commis. Cette poursuite était très importante car elle a amené les Canadiens à examiner l'industrie du tabac d'un oeil beaucoup plus critique.
Le système de publication d'avertissements sur les paquets de cigarettes, qui vient d'être proposé et qui sera un précédent dans le monde, est extrêmement important. La nouvelle fera le tour du monde, et le gouvernement mérite d'en être félicité.
Le gouvernement a travaillé à l'élaboration de la convention-cadre sur la lutte contre le tabagisme. J'ai parlé à des gens un peu partout dans le monde et ils félicitent les Canadiens du leadership dont ils ont fait preuve dans ce dossier. J'ai entendu des louanges en ce sens lors d'une conférence de presse à laquelle j'ai participé avec des collègues américains.
Toutes ces choses sont très bonnes. Cependant, il y a eu un échec massif en ce qui concerne un certain nombre d'autres questions. L'on n'a pas fermé les échappatoires en matière de commandite qui ont créé des problèmes. L'on continue de ne pas intenter de poursuites contre ceux qui ont facilité et encouragé la contrebande et qui en ont tiré des profits. L'on n'a pas intenté de poursuites criminelles tandis que les Américains ont réussi à obtenir des condamnations en cour criminelle pour des activités semblables.
L'introduction puis la révocation de la taxe à l'exportation ont eu un effet décourageant. Les réductions des taxes sur les produits du tabac ont sans doute été le plus gros échec de toute l'histoire de la lutte contre le tabagisme dans ce pays. La récupération de l'argent correspondant à la Stratégie de réduction de la demande de tabac en 1995, lorsque de l'argent a été consenti à la lutte antitabac pour ensuite être retiré, est le genre de choses que le projet de loi pourrait corriger.
L'annulation de l'étude du Laboratoire de lutte contre la maladie est une chose dont nombre d'entre vous n'avez sans doute pas entendu parler. Il devait s'agir d'une évaluation de l'impact des réductions des taxes sur les produits du tabac. En d'autres termes, quelles seraient les statistiques en matière de maladies et de décès si l'on coupait les taxes sur le tabac, si l'on les ramenait aux niveaux américains en vue de stopper la contrebande? Vous n'avez jamais vu ce rapport à l'époque. Il a été étouffé, mais ses auteurs prédisaient que le recul des taxes sur les produits du tabac allait causer plus de 40 000 décès du fait de l'augmentation de l'incidence du tabagisme chez les adolescents de 1994 à 1995. En d'autres termes, cette seule décision aurait eu un effet équivalent à 40 affaires de sang contaminé. Ce n'était pas très agréable.
Le Président de la Chambre a torpillé le projet de loi S-13, et le refus du gouvernement de le remplacer par un autre face à l'épidémie de tabagisme a été un autre grave échec. Bien sûr, nous n'avons toujours pas vu le travail du comité du caucus qu'on nous avait promis et qui devait fournir une solution au problème.
J'aimerais également dire qu'il y a eu un problème de financement de la lutte antitabac. C'est là le problème à la base.
Le gouvernement a essayé d'intégrer les différents services au sein de Santé Canada. Il avait trouvé un endroit où élaborer des politiques avec la direction de la protection de la santé. Il allait mettre tout cela ensemble, ce qui avait été recommandé par d'autres experts. Il n'avait pas assez d'argent pour obtenir les espaces requis. Une fois les espaces choisis, il n'en avait pas les moyens. Il n'en a toujours pas les moyens. Les problèmes financiers sont graves.
Une politique de dénormalisation a été établie, et elle couvre tous les éléments que nous suivons. La dénormalisation est une tentative visant à cibler le comportement de l'industrie et, en définitive, à renverser ce qui a été fait au cours des cinq dernières décennies. Pendant 50 ans, l'industrie du tabac a essayé de conférer une légitimité à ses produits et activités. À chaque étape, elle a tenté de miner les messages en matière de santé en faisant croire aux gens que son comportement et ses produits étaient normaux sur le marché. La dénormalisation vise à renverser le processus des dernières décennies. Cela est critique. Santé Canada a adopté cette politique, mais des fonctionnaires de Santé Canada me disent maintenant en privé qu'ils ne peuvent pas mettre en vigueur la politique.
Voilà encore une autre raison pour laquelle le projet de loi est si important. Il prend ce processus de dénormalisation et l'établit à distance par rapport au gouvernement. D'autres peuvent faire cela, comme vous le verrez plus tard ce soir.
Je vais m'arrêter là, mais j'aimerais dire qu'il y a deux ou trois barrières historiques qui sont mentionnées dans le texte de mes remarques liminaires. S'il y en a parmi vous qui aimeraient me poser des questions au sujet des éléments qui ont érigé ces barrières et causé ces problèmes qui n'ont cessé de se répéter dans le temps, je me ferai un plaisir d'y répondre. En attendant, je tiens à vous dire que je suis honoré d'avoir été autorisé à vous dire ces quelques mots.
Le sénateur Taylor: Docteure Ashley, ma lecture des mémoires a piqué ma curiosité. Vous dites que les provinces devraient interdire la vente de tabac à chiquer et à priser. Il s'agit là principalement de sources de nicotine que privilégient les adultes. Or, ce sont les jeunes que vous voulez sevrer. Je sais que c'est une sale habitude, mais quel est le raisonnement qui sous-tend votre recommandation? Le tabac à chiquer et le tabac à priser sont-ils les pires produits? Je n'arrive pas à m'imaginer quelque chose de pire.
Dre Ashley: Il s'agit d'une très petite partie du marché en Ontario. Cela ne fait pas partie du marché de production local en Ontario. Il n'y aurait là qu'une très faible incidence économique.
Cependant, là n'est pas la principale raison de ma recommandation. La principale raison est que les compagnies de tabac vendent du tabac à priser et du tabac à chiquer parfumés qui visent tout particulièrement le marché des jeunes. La consommation de ces produits pourrait être un tremplin vers la consommation de cigarettes ordinaires. Nous pensions principalement au marché des jeunes et au potentiel d'engendrer chez eux une dépendance.
Le sénateur Taylor: Pour les convertir à la cigarette?
Dre Ashley: Oui. Cela est détaillé dans le corps du rapport, lorsqu'il est question de cette recommandation.
Le sénateur Taylor: Je me souviens d'avoir essayé de mâcher du tabac lorsque j'avais environ 13 ans. C'était horrible, et je n'ai jamais réessayé cela depuis. Je me demandais tout simplement qui vous essayiez de convaincre avec ce message.
Les thérapies de remplacement de la nicotine sont en vente libre dans les pharmacies. J'aime cela. Cela signifie-t-il que vous offririez gratuitement des produits de remplacement de la nicotine? Est-ce là l'une de vos recommandations?
Dre Ashley: J'aimerais que ces thérapies soient disponibles sans ordonnance et qu'elles soient faciles d'accès pour les personnes désireuses de recourir à ce genre d'aides pour arrêter de fumer, et nous savons que cela est efficace.
Le sénateur Taylor: Et ces gens-là continueraient-ils de payer ces traitements?
Dre Ashley: Oui.
Le sénateur Taylor: Pensez-vous que les gens devraient pouvoir obtenir gratuitement de la gomme à la nicotine? Je sais que vous avez dit que vous distribueriez cela gratuitement dans les avions pour empêcher que les gens ne piquent des colères du fait de leur sevrage imposé.
Dre Ashley: Cela a certainement été discuté. Nous avons décidé de ne pas recommander cela à ce stade-ci. Mais c'est peut-être là quelque chose qui pourrait être recommandé en temps et lieu. Je crois que l'Écosse est en train d'étudier un projet de loi en vertu duquel les personnes désireuses d'arrêter de fumer pourraient, pendant une période de temps donnée, avoir accès à ces produits gratuitement.
Le sénateur Taylor: J'aimerais ajouter qu'une personne que je connais qui a décidé d'arrêter de fumer m'a dit que le coût des timbres à nicotine augmente au même rythme que celui des produits du tabac. Il ne semble pas y avoir de lien entre les deux choses, sauf que quelqu'un essaie d'en retirer un maximum de profits. C'est pourquoi je n'interroge quant à la possibilité de distribuer ces produits gratuitement.
Le sénateur Kenny: Monsieur Mahood, pourriez-vous décrire, pour l'édification du comité, ce qui s'est passé avec la récupération de 1995?
M. Mahood: Lorsque les taxes ont été réduites en 1994, l'un des programmes mis en place pour contrecarrer les effets des cigarettes vendues moitié prix dans le gros du Canada a été la Stratégie de réduction de la demande de tabac, et un fonds de 180 millions de dollars, devant être étalé sur trois ans, a été créé en vue de contrecarrer les problèmes causés par ces cigarettes moitié prix institutionnalisées. À mi-parcours dans le programme, le gouvernement a récupéré la moitié de l'argent qui restait et a vidé le programme. Bien sûr, au bout de trois ans, il a été démantelé.
L'une des choses que les témoins ne cessent de répéter -- et c'est certainement l'une des prémisses à la base du projet de loi -- est le fait qu'il faut un montant d'argent adéquat et durable. Vous ne pouvez pas créer un programme et vous attendre à en voir des résultats en l'espace de 18 mois. Comme le dit un rapport confidentiel du gouvernement que j'ai reçu, le personnel n'a littéralement disposé que de quelques heures pour préparer le plan. Après n'avoir disposé que de quelques heures seulement pour mettre au point le programme, il est censé marquer des points et voir des résultats au bout de 18 mois. Cela est tout à fait déraisonnable. C'était une combine pour empocher de l'argent, et la santé publique a encaissé le coup et en a beaucoup souffert.
Le sénateur Kenny: Monsieur Mahood, pourriez-vous décrire au comité l'effet du projet de loi C-42? Pensez-vous qu'il finira par déboucher sur quelque chose d'efficace?
M. Mahood: Je ne vais pas trop me prononcer là-dessus, sauf pour dire que je me pose de sérieuses questions sur son efficacité possible.
Le sénateur Kenny: Lorsque vous dites que vous ne vous prononcerez pas trop là-dessus, est-ce parce que vous pensez que le projet de loi ne sera pas mis en vigueur ou parce que vous estimez qu'il comporte des lacunes?
M. Mahood: Nous nous inquiétons de savoir s'il sera mis en vigueur. Nous continuons de nous en inquiéter.
Le sénateur Kenny: Pourriez-vous décrire, pour la gouverne du comité, les problèmes de financement auxquels sont confrontés les groupes dans la communauté qui tentent d'intervenir relativement aux questions liées au tabagisme?
M. Mahood: Comme ce groupe financé par le gouvernement?
Le sénateur Kenny: Oui, comme ce groupe financé par le gouvernement.
M. Mahood: Lorsque je prononce des discours ailleurs dans le monde, ce que je fais à l'occasion, l'un des compliments que je fais à mon propre pays est le fait qu'il y a eu ici un tel leadership que les groupes de lutte contre le tabagisme reçoivent une aide financière du gouvernement. Les pouvoirs publics savent qu'ils ne réaliseront pas leurs objectifs en matière de politique publique en l'absence d'un vigoureux débat national. Ils savent également qu'il leur faut niveler le terrain de jeu entre une industrie multimilliardaire et la santé publique. C'est pourquoi un financement a été consenti à des organisations susceptibles de mettre la question de la consommation de produits du tabac sur l'ordre du jour national.
Le problème est que, le ministère commençant à manquer d'argent, certains d'entre nous ont littéralement dû attendre trois mois, un certain nombre de demandes de subventions n'ayant pas été traitées du simple fait que l'argent requis n'était pas là. Il y a au ministère de sérieuses pénuries d'argent. Il y a là-bas de bons éléments, qui s'efforcent de faire de leur mieux avec des moyens limités, et, à l'occasion, les gens se font entendre. Il y a de bons projets qui pourraient être financés, des projets qui réduiraient la morbidité et la mortalité, qui garderaient les enfants à l'écart du marché mais qui ne peuvent tout simplement pas être mis en oeuvre faute d'argent.
Le sénateur Kenny: Le ministère a récemment été réorganisé dans le but de mettre davantage l'accent sur le tabagisme. Pourriez-vous nous dire si cette réorganisation donne des résultats?
M. Mahood: Un certain nombre de choses ont été promises dans le cadre de cette réorganisation, notamment la création d'un comité de surveillance. Une autre promesse était la nomination d'un personnel supérieur suffisant pour assurer la mise en oeuvre du programme et, bien sûr, rassembler tous les intérêts en vue de la constitution d'une équipe efficace. L'absence de fonds a empêché cela. J'ignore ce que je pourrais vous en dire plus. L'absence d'un financement adéquat a bloqué les avantages qu'aurait pu produire ce genre d'activité. Il ne sert à rien d'avoir un comité de surveillance s'il n'y a aucun programme à examiner.
Le sénateur Kenny: Pourriez-vous tenter d'expliquer au comité pourquoi nous n'avons pas vu un retour aux niveaux de taxation pré-1994 dans les cinq provinces de l'Est?
M. Mahood: Je serais intéressé de connaître l'avis d'autres personnes, mais je pense que c'est à cause d'un manque de volonté politique. Certains ont adhéré à la croyance que la contrebande reprendrait. Je sais que la question de la contrebande a été soulevée par des porte-parole de l'industrie du tabac. Une évaluation honnête de la situation donnerait peut-être lieu à ceci: quels sont les risques que la contrebande de cigarettes revienne étant donné que les personnes qui ont alimenté ce marché par le passé font aujourd'hui l'objet d'enquêtes criminelles? Comme cela a été rapporté dans la presse, l'enquête criminelle se poursuit; cela est de notoriété publique. Je ne pense pas que ces gens-là, qui sont déjà sous le feu des projecteurs, voudraient se relancer dans cette même activité.
Deuxièmement, bien sûr, les prix des produits du tabac sont en fait plus élevés. Nous avons à l'heure actuelle ici en Ontario les plus bas prix du tabac sur tout le continent. Nous ne partageons pas cet avis, mais l'industrie prétend que ce sont les écarts dans les prix qui alimentent la contrebande. Dans ce cas-ci, l'écart côté prix militerait en faveur d'une augmentation des prix par le Canada.
Enfin, la menace a toujours été qu'ils fabriqueront de toutes façons le produit ou que celui-ci sera fabriqué ailleurs et envoyé au Canada. Cela aurait peut-être fonctionné autrefois, lorsque les compagnies canadiennes en bénéficiaient, mais aujourd'hui, tous les spots étant braqués sur l'industrie, son comportement ayant été exposé et d'énormes poursuites ayant été lancées contre elle, nous croyons qu'elle ne montera pas d'usines à l'extérieur du pays. Quelqu'un d'autre devra le faire. Et si quelqu'un d'autre le fait, alors les entreprises canadiennes n'en profiteront pas. Elles ont une incitation financière à veiller à ce que cela n'arrive pas.
Pour ces trois principales raisons, et il y en a peut-être d'autres, je pense qu'il est à peu près exclu que la contrebande revienne par suite d'une augmentation de 15 dollars du prix du carton de cigarettes, ce qui est le chiffre qui a été mentionné.
Le sénateur Wilson: Docteure Ashley, le projet de loi propose qu'au moins une jeune personne siège au conseil d'administration de la Fondation. D'après ce que j'ai pu constater, dès que l'on nomme un jeune seul quelque part, celui-ci se fait très vite ensevelir. Cela poserait-il un problème de suggérer que deux jeunes y soient nommés?
Dre Ashley: Je n'y vois aucun problème. Je pense que nous pouvons beaucoup apprendre de ce que disent les jeunes de leur perception du problème et de ce qui fonctionne et ne fonctionne pas.
Le sénateur Wilson: Je pense qu'il leur faut une certaine masse critique pour être écoutés.
M. Mahood: Je suis favorable à l'idée qu'il y ait davantage de jeunes gens au conseil d'administration. S'il y avait des jeunes siégeant à un comité consultatif par exemple, vous pourriez en définitive affecter le groupe à un travail plus efficace. S'il y avait un certain nombre de jeunes de différents groupes dans la société travaillant ensemble, vous auriez quelque chose de plus efficace encore.
Dre Ashley: Le ministre Rock a déjà un comité consultatif de jeunes qu'il a convoqué au moins une fois pour le conseiller au sujet de questions liées au tabagisme. D'après ce que j'ai compris, il y a des jeunes de partout au pays qui siègent à ce comité consultatif de jeunes. Les jeunes de toutes les provinces et de tous les territoires y sont représentés. J'ai eu le privilège de discuter avec un jeune homme de l'Ontario qui y siège. Il est étudiant à l'Université de Toronto. Il est très intelligent et s'exprime avec beaucoup d'aisance. Je ne peux pas m'imaginer une situation dans laquelle on irait de l'avant avec des programmes destinés aux jeunes sans demander conseil à des représentants du même groupe d'âge.
Le sénateur Wilson: Je suis favorable à l'idée d'un comité consultatif. J'ai cependant moi-même siégé à un trop grand nombre de conseils du genre, qui n'interviennent pas au niveau décisionnel, pour pouvoir endosser cela en entier. C'est pourquoi je pose la question quant à la possibilité qu'il y ait deux jeunes gens au conseil d'administration, ainsi qu'au comité consultatif, chose que j'appuie.
Docteure Ashley, dans le sommaire de votre rapport, sous la rubrique «Éducation du public», vous dites que le gouvernement de l'Ontario devrait «instaurer des programmes de prévention massifs dans les écoles». Les composantes de tels programmes seraient-elles différentes de celles qui ont été esquissées jusqu'ici?
Dre Ashley: Nous croyons qu'il y a un rôle pour les programmes de prévention dans les écoles, dont l'éducation, mais il importe également d'inclure en milieu scolaire des éléments de politique et de désaccoutumance, qui sont souvent ignorés. Peu importe ce que vous faites, des programmes scolaires ne pourront pas fonctionner seuls, en l'absence de structures d'appui dans le domaine des politiques générales et dans la communauté plus vaste.
Le sénateur Christensen: L'autre jour, nous entendions des représentants de l'industrie du tabac. Nous tentions de vérifier quelles mesures elle avait prises pour ne pas attirer de jeunes avec leurs programmes publicitaires. Les porte-parole de l'industrie nous ont dit qu'ils ne savaient vraiment pas ce qu'ils allaient faire. Ils ont dit que depuis qu'ils ne visaient plus les jeunes, ils ne pensaient pas vraiment qu'ils leur faudrait retirer quoi que ce soit de leurs programmes. Quel est votre impression des annonces publicitaires? Pensez-vous qu'elles contiennent des choses susceptibles d'attirer les jeunes gens?
M. Mahood: Il vous faudrait m'aider un petit peu plus, sénateur, car je ne comprends pas très bien votre question.
Le sénateur Christensen: Que pensez-vous des publicités actuelles?
M. Mahood: Voulez-vous parler de la publicité de commandite?
Le sénateur Christensen: Oui. Pensez-vous qu'elle attire les jeunes?
M. Mahood: Absolument. Il y a eu une étude internationale financée par la Robert Wood Johnson Foundation, et à laquelle a, je pense, participé la Dre Ashley. L'étude a été réalisée par le centre de promotion de la santé de l'Université de Toronto et par l'Université de l'Illinois. Je pense que le rapport de l'étude a été soumis pour publication à l'une des importantes revues. On y interroge des jeunes au sujet de leurs réactions au genre d'annonces auxquelles vous pensez, sénateur. Par exemple, en cachant le nom de Player's, on a montré aux participants à l'étude un ensemble d'annonces de commandite. On leur a demandé ce que visaient les annonces. Les jeunes ont dit, tout d'abord, qu'il s'agissait de publicités pour vendre des produits du tabac. Lors d'une deuxième ronde de questions, les répondants ont dit qu'il s'agissait peut-être de publicités annonçant un événement. Les jeunes y voient de la publicité pour cigarettes, ce qui veut dire qu'ils les perçoivent comme légitimisant les produits de l'industrie du tabac. Ils y voient des jeunes gens modèles engagés dans des activités macho. Nous estimons que ces types d'annonces donnent de meilleurs résultats pour l'industrie que les annonces de marque traditionnelles. Je pense qu'il y a de la recherche à l'appui de ce que je viens d'affirmer.
Dans les annonces traditionnelles de la marque, l'industrie n'utilise pas de vraies personnes engagées dans des activités athlétiques. Avec la publicité de commandite, elle peut faire aujourd'hui ce qu'elle ne pouvait pas faire avec les annonces traditionnelles de la marque dans les années 70 et 80. La volonté du Parlement en 1988 avait été de mettre fin à cette publicité de commandite. Or, voici que 12 ans plus tard, cela se fait toujours. C'est une honte.
Le sénateur Christensen: Pensez-vous que l'adoption du projet de loi S-20 pourrait contrecarrer une partie de cela?
M. Mahood: Oui, absolument. Vous verrez un peu plus tard du travail média formidable réalisé en Californie, dans le Massachusetts et en Floride, travail qui a remporté des prix et qui expose le comportement de l'industrie. Les jeunes n'aiment pas se faire avoir. L'une des raisons pour lesquelles les jeunes fument est que c'est un acte de rébellion. Les parents, les enseignants et les éducateurs en matière de santé disent aux jeunes qu'il ne faut pas fumer. Or, ils se rebellent et fument. Si vous leur dites que c'est l'industrie du tabac qui est l'autorité responsable, alors vous pouvez transférer une partie de leur rébellion. C'est là que peut intervenir une campagne mass media efficace. Mais il ne s'agit là que d'un élément. Si vous expliquez et exposez le comportement de l'industrie aux jeunes, alors vous pourrez certainement contrer certains de ces messages.
Le sénateur Taylor: D'après ce que j'ai compris, le gros de la contrebande continuerait en dépit de ce que vous dites du fait que l'on est autorisé à exporter un très grand nombre de cigarettes chaque année sans devoir payer de taxes. Ces cigarettes traverseraient donc la frontière et reviendraient sans être taxées. Que dites-vous en réponse à l'idée que l'on devrait taxer les cigarettes directement à l'usine de fabrication comme c'est déjà le cas des boissons alcoolisées? De cette façon, aucune cigarette ne pourrait être exportée exempte de taxe.
M. Mahood: Je ne suis pas l'expert de mon organisation en matière de taxation des produits du tabac. Je me ferai cependant un plaisir de demander à Rob Cunningham ou à quelqu'un d'autre de vous revenir avec une réponse.
D'après ce que j'ai compris, la taxe à l'exportation est, bien sûr, critique, lorsqu'il y a un écart de prix qui crée une incitation à faire de la contrebande. Le carton de cigarettes coûtant 15 dollars de plus aux États-Unis à l'heure actuelle, et les taxes dans certaines provinces étant les plus basses sur tout le continent, je ne peux pas croire qu'il y aurait une incitation à faire de la contrebande.
En ce qui concerne la taxe à l'exportation, il y a certainement moyen de faire en sorte que ce soit là une désincitation à faire de la contrebande, mais je demanderai aux gens de mon organisation de communiquer avec le sénateur Taylor et de vous fournir des réponses plus complètes.
Le sénateur Taylor: Je vous en suis reconnaissant. Je constate que la plupart des programmes aux États-Unis relèvent des différents États. Nous avons de la difficulté car chacune des provinces que vous avez énumérées ici a des règles fiscales différentes, des règles différentes en matière de nicotine. Empruntons-nous le mauvais chemin en tentant de mettre en place une loi fédérale au lieu de lois provinciales? Les États s'occupent de cela aux États-Unis. Ici, ce sont les provinces qui appliquent des règles différentes. Est-il légitime d'essayer d'intervenir au niveau national?
Dre Ashley: J'estime pour ma part que le gouvernement fédéral a un rôle très important à jouer au Canada dans différents domaines liés à la santé. Il n'y a aucune raison pour lui de s'effaroucher à l'idée d'intervenir dans le domaine du tabagisme et de s'en remettre entièrement aux provinces.
Je ne suis pas experte en matière de questions constitutionnelles, mais je crois que le gouvernement fédéral peut fixer des normes en matière de programmes et créer différents incitatifs, et cetera. Clairement, les provinces doivent elles aussi mettre en place des programmes, mais il y a ici un rôle pour le gouvernement fédéral et un rôle pour un programme auquel devront avoir accès tous les Canadiens si l'on veut qu'il débouche.
La présidente: Merci à tous les deux d'être venus nous rencontrer. Monsieur Mahood, vous pouvez peut-être rester encore un peu. Si j'ai bien compris, vous connaissez les participants au panel suivant. Vous pourriez peut-être nous fournir quelques explications.
Docteure Ashley, merci beaucoup d'être venue nous rencontrer. Nous lirons le rapport. J'avais des questions à poser, mais je pourrais peut-être m'entretenir en privé avec vous de ce qui va se passer avec ce rapport.
Si nous avons d'autres questions, j'espère que nous pourrons communiquer avec vous et vous inviter à répondre.
Je demanderai aux membres du panel suivant de venir s'installer à la table. Accueillons donc, de l'American Legacy Foundation, Chuck Wolf; de Californie, Greg Oliva; et du Massachusetts Department of Public Health, Greg Connolly. Messieurs, nous vous sommes très reconnaissants d'être venus d'aussi loin. Nous envisageons avec impatience d'entendre ce que vous avez à nous dire. Avant que vous ne commenciez, j'inviterais M. Mahood à dire quelques mots en guise de présentation.
M. Mahood: Merci, sénateurs. J'aimerais vous présenter Greg Oliva. Permettez-moi de dire, en guise de présentation, que M. Oliva s'est occupé de politiques au département des services de santé de l'État de Californie. La Californie a fait oeuvre de pionnier aux États-Unis avec d'importantes campagnes antitabac novatrices.
J'ajouterais un petit témoignage de reconnaissance. La Californie a été d'une immense aide aux Canadiens. Elle nous a continuellement offert ses services pour nous aider à comprendre ce qui se passait là-bas. Elle nous a donné l'annonce primée «Debbie», que vous avez vue, et qui est passée à la télévision. C'est une annonce californienne qui nous a été gracieusement offerte ici au Canada. La Californie a fait beaucoup de merveilleuses choses et c'est un plaisir d'accueillir parmi nous Greg Oliva, qui nous parlera de leur campagne.
M. Gregory P. Oliva, chef, Planification des programmes et élaboration des politiques, Section de lutte contre le tabagisme, Californie: Je suis extrêmement honoré d'avoir été invité à comparaître devant vous ce soir dans le cadre de votre examen du projet de loi S-20. Grâce à la formidable vision du sénateur Kenny, votre grand pays a la possibilité d'élaborer un programme tournant dans la lutte contre le tabagisme, au lieu de tout simplement réunir un programme politiquement opportun.
Je vais, dans la courte période de temps qui m'est accordée ici aujourd'hui, vous entretenir de la recette pour la réussite du programme antitabac californien. Comme c'est le cas de toute recette, celle-ci comporte différents ingrédients. Lorsque la recette est suivie comme il se doit, le plat est formidable. Lorsqu'elle est mal suivie, non seulement vous vous couchez avec la faim dans le ventre, mais vous gaspillez également des ressources qui auraient pu servir à créer un repas fantastique.
Avant d'aller plus loin, j'aimerais apporter une petite précision. Je suis ici aujourd'hui en tant que particulier et non pas en tant que représentant du California Tobacco Control Program. Il n'en demeure pas moins que si je suis très au courant de l'expérience californienne, c'est que je suis présentement chef de la planification des programmes et de l'élaboration des politiques au Tobacco Control Program en Californie.
En 1988, les électeurs californiens ont voté en faveur d'une taxe de 25 cents sur chaque paquet de cigarettes en vue du financement de programmes de soins de santé et de programmes de recherche et d'éducation sur le tabagisme. Vingt-cinq pour cent de l'argent ainsi perçu sont consacrés à des initiatives d'éducation sur le tabagisme en milieu communautaire et scolaire. C'est grâce à ces fonds que notre programme a été créé.
En Californie, nous utilisons une approche axée sur la modification des normes sociales pour influer indirectement sur les attitudes des consommateurs actuels et futurs de produits du tabac en créant un milieu social et un climat juridique tels que le tabagisme devient moins souhaitable, moins acceptable et moins accessible. Cet environnement est le fait de deux forces travaillant en synergie. Tout d'abord, il y a une campagne médiatique bien financée et agressive à l'échelle de l'État et qui a pour rôle de parler de la consommation de produits du tabac, des effets de la fumée secondaire et de la tromperie commise par l'industrie du tabac. Deuxièmement, nous avons des programmes à financement local qui font appel à des organisations communautaires et à des citoyens intéressés pour lancer des initiatives à la base en vue de réduire l'incidence du tabagisme grâce à des campagnes de sensibilisation et d'éducation et à l'élaboration de politiques locales.
La réussite du California Tobacco Control Program est très éloquente. Nous avons dépensé 1 milliard de dollars depuis notre création il y a dix ans, et ce milliard de dollars a été bien dépensé. Nous affichons le deuxième plus bas taux de prévalence et de consommation chez les adultes aux États-Unis. Nous ne sommes dépassés que par l'Utah, qui est un État relativement petit, principalement habité par des Mormons, dont le culte interdit la consommation de tabac. Nous sommes également le seul État américain à pouvoir nous vanter d'une baisse de 50 p. 100 de la consommation de cigarettes, qui est passée de 112,6 paquets en 1989 à 61,3 paquets en 1999.
D'autre part, la lutte contre la prévalence du tabagisme chez les jeunes en Californie a été une belle réussite, surtout tout récemment. Les résultats des sondages menés dans les salles de classe, avec extrapolation pour l'avenir, données qui ont été recueillies par le biais de l'Université du Michigan, montrent que l'incidence du tabagisme chez les jeunes Californiens est en train de reculer plus rapidement que dans le reste des États-Unis. Par ailleurs, les résultats préliminaires du sondage téléphonique sur le tabagisme mené auprès de jeunes en Californie fait ressortir une baisse d'environ 37 p. 100 de la prévalence du tabagisme chez les jeunes de 1998 à 1999. Il s'agit ici de jeunes âgés de 12 à 17 ans.
Enfin, depuis 1995, des millions de Californiens ont été mis à l'abri de fumée secondaire au travail. Aucune autre intervention dans le domaine de la santé publique n'a fait l'objet d'autant de débats et n'a protégé autant de Californiens de la morbidité et de la mortalité causées par la fumée secondaire.
Bien que nous ayons dépensé énormément d'argent, nous en avons en fait économisé. Nous savons que pour chaque dollar dépensé dans le cadre de notre programme, nous économisons dix dollars en coûts médicaux directs et indirects. L'on doit ces chiffres à Dorothy Rice, chercheuse à l'Université de la Californie à San Francisco, qui a maintes fois déclaré en tribune publique que ces estimations sont elles-mêmes très conservatrices et que les économies réalisées sont sans doute bien plus importantes encore.
Où voit-on certaines de ces économies côté coûts? Les taux de mortalité due au cancer du poumon et des bronches dix ans seulement après l'instauration du California Tobacco Control Program ont commencé à reculer et ce plus rapidement que dans le reste des États-Unis. L'incidence d'infarctus et d'accidents cérébrovasculaires est elle aussi à la baisse.
Le programme a apporté des changements révolutionnaires dans la façon dont la consommation du tabac est perçue en Californie ainsi que des changements révolutionnaires dans la santé et le bien-être de littéralement tous les Californiens.
Comment une révolution survient-elle? Revenons à la recette pour la réussite. Quels en sont les ingrédients? Les plus importants sont les suivants: premièrement, des personnes engagées au niveau local et au niveau de l'État; deuxièmement, des interventions agressives donnant lieu à des changements côté normes sociales et politiques; troisièmement, une ingérence politique limitée; et, quatrièmement, un financement important et continu. Ces ingrédients agissent dans le cadre d'une relation dose-effet. Plus on en voit, plus le résultat est bon. Moins on en voit, moins le résultat est bon.
Le premier ingrédient, c'est l'élément humain. L'on ne peut pas mener une révolution sans troupes. En Californie, nous avons eu et avons toujours une armée extraordinaire de soldats anti-tabac. Margaret Mead a dit:
Ne doutez jamais qu'un petit groupe de citoyens réfléchis et engagés puisse changer le monde. En fait, il n'y a jamais eu rien d'autre qui ait jamais changé le monde.
Aucune déclaration ne correspond mieux aux gens qui ont rendu les efforts déployés en Californie si remarquables. Ce qu'a dit Winston Churchill au sujet de la Royal Air Force pendant la Seconde Guerre mondiale convient également: «Jamais n'a-t-on été redevable pour autant de choses à un si petit nombre de personnes».
Le deuxième ingrédient est une intervention agressive. Il vous faut choisir une stratégie et ne pas vous en écarter. En Californie, nous employons une stratégie axée sur la modification des normes sociales, qui nous permet d'influer indirectement sur les consommateurs actuels et futurs de produits du tabac en créant un milieu social et un climat juridique tels que le tabagisme est moins désirable, moins acceptable et moins accessible. La stratégie d'ensemble alimente nos trois volets prioritaires. Premièrement, réduire la disponibilité des produits du tabac pour les jeunes; deuxièmement, réduire l'exposition des gens à la fumée secondaire; et, troisièmement, contrer les influences pro-tabagisme au sein de la communauté.
Chacun de ces volets prioritaires offre au programme la possibilité d'amener des changements de politique aux niveaux et local et de l'État. Le plus bel exemple de changement dans les normes sociales et les politiques est l'instauration de lieux de travail sans fumée. Si vous exigez que les lieux de travail clos soient sans fumée, vous faites plusieurs choses en même temps: premièrement, vous limitez les espaces dans lesquels les fumeurs peuvent fumer; deuxièmement, vous créez des signaux sociaux qui amènent les fumeurs à accepter l'idée d'environnements sans fumée; troisièmement, vous motivez en douceur les fumeurs à envisager de se désaccoutumer; et, quatrièmement, vous protégez la santé de quantité d'autres personnes qui ne fument pas.
Les ramifications sont beaucoup plus vastes que tout simplement choisir de financer certains programmes de désaccoutumance. Comme le laissent entendre les données récentes, les environnements sans fumée en Californie sont en soi d'importants programmes de désaccoutumance. J'ajouterais que notre intention dans tout cela est d'instaurer un milieu favorable aux fumeurs afin qu'ils puissent décrocher et ne pas être traités comme des parias du fait de leur dépendance.
Le troisième ingrédient est l'ingérence politique limitée. Je dois ici encore souligner que je comparais aujourd'hui en tant que simple citoyen et non pas en tant que représentant du California Tobacco Control Program. Cela étant dit, l'ingérence politique est intrinsèque à la mise en oeuvre d'un programme de lutte contre le tabagisme. Que ce soit par le biais du gouvernement ou d'une fondation privée, le système que vous créez doit assurer une protection financière et de programmes suffisante pour vous permettre de tendre vers vos objectifs.
Pendant les trois années précédant le tournant de 1995, le gouverneur républicain, Pete Wilson, avait détourné des fonds de leur objet légal, soit le California Tobacco Control Program, pour les réaffecter à une fin illégale, soit des programmes de soins de santé, qui étaient sérieusement dans le besoin. Portés par l'énergie du lancement dynamique de notre programme, nous avons malgré tout réalisé les plus bas taux de prévalence chez les adultes en 1995 -- soit environ 16 p. 100.
Cependant, dans le temps qu'il a fallu pour récupérer les fonds détournés, la prévalence chez les adultes avait augmenté pour passer à plus de 18 p. 100, niveau qui s'est maintenu depuis. D'autre part, nous n'avons pu récupérer les fonds que grâce à une poursuite lancée par la communauté antitabac de Californie. La meilleure amie du programme de lutte contre le tabagisme, à défaut de l'absence de toute ingérence politique, est une communauté solide et sans crainte.
Une fois le procès gagné par la communauté, l'administration a sérieusement serré la vis à l'aspect programmes de nos efforts. Le Tobacco Control Program avait gagné la bataille, mais avait par la même occasion perdu de son autonomie. Par ailleurs, même si le programme s'était traditionnellement vu confier suffisamment de fonds pour gérer une campagne de médias efficace, nous sommes entravés par un processus d'approbation par les médias qui ne nous permet pas de mener une campagne agressive.
Cette ingérence administrative sert l'industrie du tabac. Chaque jour que nous ne diffusons pas sur les ondes ou dans la presse des annonces qui frappent dur est une autre journée que l'industrie du tabac peut utiliser pour sa propre campagne de relations publiques. Lorsque nous ne controns pas sa toute nouvelle image de bon citoyen corporatif, ce silence laisse entendre que nous donnons notre assentiment.
Bien que ce ne soit pas une panacée, le projet de loi S-20 permet la mise en place d'un système dans le cadre duquel le chef peut vraiment cuisiner au lieu de discuter des ingrédients, de la température de cuisson, voire même de la question de faire ou non de la cuisine.
Le quatrième ingrédient est une base de financement importante et continue. Lorsqu'on le compare à la situation qui existe dans d'autres États, le budget antitabac de la Californie doit paraître important. Il est important, mais il doit l'être, vu la lutte dans laquelle nous sommes engagés. D'autres programmes de santé luttent contre les infections, les virus et les maladies. Dans notre secteur, l'infection, le virus, la maladie, c'est l'industrie du tabac, et une piqûre, une pilule ne suffira pas pour guérir le mal.
Pour être efficaces contre l'industrie du tabac, il nous faut maintenir une campagne médiatique agressive et continue à l'échelle de l'État. Il nous faut maintenir à l'intérieur de nos départements de santé locaux des programmes gérés par des organisations communautaires et des efforts d'évaluation. Tout ceci à l'intérieur de l'État le plus peuplé du pays, avec ses 33 millions d'habitants. Il s'agit de l'un des plus gros États du pays côté taille, de l'un des endroits de la planète les plus diversifiés sur le plan ethnique et, enfin, d'un État qui se caractérise par un mélange de grosses régions urbaines, de villes de taille moyenne et de toutes petites localités rurales. Rejoindre un si grand nombre de personnes, à l'intérieur d'un si vaste territoire, avec toutes ses cultures et toutes ses différentes sous-unités politiques, exige des dépenses de fonds considérables et continues.
Chaque année, nous demandons ce que nous appelons une autorisation de dépenser pluriannuelle. Étant donné que cet argent provient de l'assiette fiscale, les revenus fluctuent. Si nous réussissons, nous nous attendons en fait à ce que les revenus baissent. Cette autorisation de dépenser pluriannuelle nous accorde la souplesse nécessaire pour composer avec les fluctuations des recettes fiscales et maintenir pour notre programme un niveau de financement constant et sans interruption. Lorsqu'on nous refuse une autorisation de dépenser pluriannuelle, c'est là le signal d'une ingérence dans le déroulement de notre programme.
Parce que nous avons vécu des fluctuations dans les recettes, il nous a, à l'occasion, fallu réduire les fonds consacrés aux programmes existants et ne pas financer de nouvelles agences qui avaient en fait affiché des résultats acceptables dans le cadre de notre processus d'examen par des pairs. Là n'est pas une façon efficace de gérer un programme, lorsque votre ennemi dispose de ressources financières illimitées, n'a pas peur de les utiliser et commercialise son produit presque complètement à l'abri de toute surveillance. Il vous faut maintenir une présence régulière sur les ondes dans les localités si vous voulez réussir dans votre lutte visant à réduire le fardeau du tabagisme.
J'applaudis au projet de loi S-20 qui prévoit une contribution par tête d'habitant à cet effort et qui entérine la recommandation en matière de meilleures pratiques du Centre for Disease Control et selon laquelle le versement devrait être de 12 dollars par personne. Notre chiffre de population est à peu près le même, mais notre programme n'englobe qu'un seul État. Le vôtre sera d'envergure nationale et il sera impératif de mettre en place des programmes et des initiatives d'un bout à l'autre de votre vaste pays si vous espérez amener des changements significatifs.
J'applaudis également au projet de loi C-20 du fait qu'il prévoie non seulement un financement considérable, mais également un financement stable. Vous ne pouvez pas vous attendre à réduire la prévalence du tabagisme ni la consommation de produits du tabac ni à empêcher les jeunes de commencer à fumer si vous n'avez pas une présence continue sur les ondes et dans les collectivités.
En résumé, la Californie a connu sa part de réussite dans sa lutte anti-tabac. Cependant, jusqu'où notre révolution serait-elle allée si nous n'avions pas historiquement eu à contrer l'ingérence politique? Jusqu'où serait allée notre révolution si nous n'avions pas disposé de ressources financières équivalentes à ce que recommande dans ses meilleures pratiques le CDC, pour un État de la taille de la Californie? Jusqu'où serait allée notre révolution si nous n'avions pas disposé de fonds stables, année après année, de sorte qui ne nous a pas fallu couper de programmes ni refuser, faute de moyens, de financer la création de nouvelles agences?
Je vais continuer de travailler pour que le programme californien soit le meilleur possible eu égard aux barrières existantes, car je crois en la cause et le contexte politique contemporain ne me laisse que peu de choix.
Sénateurs, en cette veille du nouveau millénaire, vous avez un choix et vous pouvez répondre à ma question. J'espère que la réponse du Canada prendra la forme du projet de loi C-20 du sénateur Colin Kenny.
J'aimerais maintenant vous montrer quatre annonces publicitaires. Je pense que tout est prêt. Il s'agit d'annonces que nous avons fait passer en Californie et qui ont assez bien réussi. Elles ont toutes été éprouvées auprès de groupes échantillons. Celles que je vais vous montrer concernent la délégitimisation de l'industrie du tabac et les effets néfastes des activités de l'industrie du tabac. Elles abordent également les effets néfastes du tabagisme, avec des images graphiques et des messages qui font appel aux sentiments.
[Présentation audiovisuelle.]
Dr Greg Connolly, directeur, ministère de la Santé du Massachusetts, Programme antitabac: Honorables sénateurs, cela fait plusieurs fois que je viens au Canada. Je suis venu ici il y a 12 ans lorsque le prix des cigarettes était le double de celui pratiqué au Massachusetts. Aujourd'hui, je vois des touristes canadiens à Boston qui achètent des cigarettes.
Je suis venu et j'ai vu une interdiction en matière de publicité qui est devenue l'étalon mondial pour ceux d'entre nous qui travaillons à l'OMS. Hong Kong et la Thaïlande ont copié le Canada. En Pologne, il y a des avertissements qui sont le reflet de ceux du Canada. Je trouve amusant de venir du Massachusetts pour vous dire ce que vous devriez faire. J'ai toujours compté sur le Canada pour son leadership. Je devrais néanmoins vous décrire très brièvement notre campagne et ce que nous avons fait et les raisons pour lesquelles vous devriez investir des sommes considérables dans la lutte contre le tabagisme.
Notre État a l'an dernier consacré 58 millions de dollars à sa lutte anti-tabac auprès d'une population de près de six millions. En dollars canadiens, cela donnerait 15 dollars par personne -- soit plus que ce qui est recommandé ici. Même ce chiffre-là est inférieur à ce que dépensent le Vermont, le Maine et le Mississippi.
Je dirais qu'en ce qui concerne le financement, il importe que les campagnes soient bien financées. Plus vous y mettez de l'argent, plus cela vous rapporte. Les campagnes doivent être maintenues dans le temps. L'on ne peut pas y mettre de l'argent parce qu'on a réduit les taxes pour ensuite retirer l'argent deux ans plus tard, car cela crée énormément de bouleversements.
Les campagnes doivent être exhaustives, abordant les aspects prix, propreté de l'air en milieu fermé, exécution, campagnes mass media agressives, et désaccoutumance.
Que faisons-nous de nos 58 millions de dollars? Nous en consacrons environ 16 millions aux médias. Les médias ne sont pas une solution. Les médias encadrent le débat. Puis nous consacrons 30 millions de dollars aux communautés locales, aux conseils de santé, qui sont responsables de l'exécution et qui veillent à ce que l'on ne vende pas illégalement des produits du tabac aux jeunes.
Nous faisons la promotion de la salubrité de l'air à l'intérieur des bâtiments. De façon générale, il est interdit de fumer dans un restaurant dans le Massachusetts. L'on ne peut pas fumer dans le parc Fenway, au stade Patriot ni dans les centres commerciaux. Cela est plus ou moins passé. Cependant, c'est grâce à la publicité que nous avons changé les normes sociales.
Dans notre État nous offrons à tout fumeur intéressé des services gratuits de counselling en matière de désaccoutumance par le biais d'un réseau d'hôpitaux et de centres de santé, ainsi qu'une thérapie gratuite de remplacement à la nicotine. Dans notre État, nous avons lutté pour veiller à ce que toute femme à risque ait accès à des services de dépistage du cancer du sein. Voilà ce que nous avons fait. Nous offrons maintenant l'équivalent de cela à tout fumeur risquant d'être atteint d'un cancer du poumon. Étant donné les politiques en matière de médicaments en vigueur au Canada, nous aimerions sans doute venir au Canada acheter les thérapies de remplacement de nicotine -- cela économiserait beaucoup d'argent à notre État.
Nous avons dans nos écoles des programmes d'éducation exhaustifs qui rattachent la politique de l'école à ce qui se passe au niveau communautaire. Cette campagne n'est pas douce et attendrissante. Il ne s'agit pas d'une bande de gamins qui collent des affiches dans un gymnase. Il s'agit de services qui sont axés sur la réalité comme le sont les services offerts dans les programmes de maternité, de soins pour enfants, de lutte contre la toxicomanie et de lutte contre les maladies infectieuses. Il s'agit là de solides programmes concrets.
Ces programmes sont extrêmement populaires. Si vous demandez aux résidents de l'État de donner l'exemple d'une chose que le gouvernement fait bien, le programme antitabac sera très haut sur la liste.
Les programmes sont extrêmement efficaces. Ils donnent des résultats. Nous consacrons 10 p. 100 du budget total à l'évaluation, afin de pouvoir montrer aux représentants élus que ces programmes fonctionnent bel et bien et donnent des résultats. Ils couvrent leurs propres coûts et sauvent des vies.
Quelles ont été nos réussites depuis le lancement de la campagne en 1993? Il y a eu une réduction de 35 p. 100 des ventes totales de produits du tabac -- soit quatre fois la moyenne nationale. Cela signifie que le milliard de dollars qui aurait cette année été dépensé par les consommateurs pour acheter des produits du tabac est maintenant utilisé pour acheter des biens et des services, y compris des voyages à Québec, à Halifax, à Toronto et à Montréal.
Du côté des enfants, l'on a enregistré une baisse de 30 p. 100 dans les écoles intermédiaires. Cela a été réussi en l'espace de deux années seulement. L'on a d'autre part réalisé une baisse de 20 p. 100 du côté des étudiants d'écoles secondaires. À l'exception de la Californie et de la Floride, les taux enregistrés chez les jeunes sont ou en train d'augmenter ou stables.
En ce qui concerne les femmes enceintes, la situation démographique du Massachusetts est très semblable à celle des provinces de l'Est. Il va sans dire que nous ressemblons davantage aux provinces de l'Est qu'à la Californie ou à la Floride, mais je ne souhaite aucunement dénigrer les autres États américains. Nous affichons donc des taux semblables de prévalence du tabagisme. Nous avons réduit l'incidence du tabagisme chez les femmes enceintes, ramenant le niveau de 26 à 13 p. 100. Je vais en Nouvelle-Écosse la semaine prochaine, et le taux là-bas continue de tourner autour de 25 p. 100. À Terre-Neuve, il est encore plus élevé. Il en est de même des régions rurales du Nouveau-Brunswick, du Québec et d'autres parties du pays.
Nous savons que si vous financer les programmes éducatifs, vous pouvez faire baisser ces taux. Ce qu'il y a de bien, c'est qu'en ramenant le taux de 26 à 13 p. 100, nous avons ainsi financé la moitié du programme, ce non pas parce que nous avons évité un cas de cancer du poumon devant être traité dans vingt ans, mais parce que nous avons empêché que 400 bébés soient hospitalisés pour des maladies dues au tabagisme de leur mère, et cela nous a fait économiser 18 millions de dollars.
Du côté des fumeurs adultes, leur consommation quotidienne est passée de 20 cigarettes à environ 14. Le taux de prévalence enregistré parmi ce groupe est passé de 22 à 18 p. 100. Cela ne vous paraît peut-être pas important, mais si vous avez un million de fumeurs, cela donne 200 000 personnes qui ne fument pas. N'oubliez pas qu'une personne sur deux parmi ce groupe serait morte 14 ans plus tôt d'une maladie liée au tabagisme. Nous avons donc évité 100 000 morts prématurées.
Si nous avions trouvé un remède pour le cancer du poumon en 1993 et avions inoculé tous les fumeurs, nous n'aurions pas sauvé 100 000 vies. C'est vraiment le remède pour le cancer du poumon.
Notre taux de tabagisme quotidien est de 14 p. 100, soit l'un des plus bas dans le monde développé. La situation est la même en Californie. On y relève des taux extrêmement bas car ces programmes sont efficaces et fonctionnent.
J'aimerais vous montrer quelques-unes de nos annonces. Notre ton est peut-être différent de celui employé en Californie, mais vous verrez qu'il y a tout un mélange de stratégies que l'on peut utiliser.
[Présentation audiovisuelle.]
M. Connolly: Marie donne un visage à la raison pour laquelle nous sommes réunis dans cette salle. Dans notre pays, l'industrie du tabac a dit: «Oui, la cigarette cause le cancer du poumon», mais qu'a-t-elle fait?
Chaque année, je participe en tant que simple citoyen à l'assemblée annuelle de Philip Morris. Philip Morris détient 40 p. 100 de la société Rothmans dans ce pays, ainsi que la Japan Tobacco Inc. Elle dit: «Nous sommes une petite partie de l'Amérique. Nous sommes des gens de la communauté. Nous donnons de l'argent aux arts. Nous nous occupons d'initiatives d'action positive. Nous sommes un dynamo économique. Nous sommes comme toutes les autres entreprise en Amérique». Je me lève et je dis: «Monsieur le président, j'ai dû passer par un détecteur de métal pour entrer ici aujourd'hui. Monsieur le président, lorsqu'ABC News dit que vous manipulez la teneur en nicotine de vos produits, que faites-vous? Vous demandez des dommages de 10 milliards de dollars. Vous prenez de l'argent facilement gagné et vous le distribuez aux politiques afin que les gens du peuple n'aient pas accès à leur démocratie».
Lorsque la FDA a tenté de réglementer les produits du tabac comme s'il s'agissait de drogues -- ou lorsque l'EPA a essayé de faire quelque chose au sujet de la fumée secondaire -- l'industrie a lancé une action. Mais la situation est différente au Canada. Excusez-moi, je ne suis pas aux États-Unis. Je vais peut-être un peu loin. Mais qui a poursuivi la Colombie-Britannique il y a deux ans lorsqu'on a essayé de communiquer la liste des additifs aux résidents de la Colombie-Britannique? Qui a lancé des poursuites lorsque vous avez interdit la publicité? D'où sont venus les avocats? Et qui est pris dans ces affaires de contrebande? Oh, mais le Canada est différent. Votre industrie du tabac est différente. Vous ne la traitez pas de la même façon que nous nous traitons la nôtre aux États-Unis d'Amérique.
Lorsque j'ai commencé mon exposé, j'ai parlé des gens du peuple qui luttaient contre un ennemi haineux. Je blaguais, bien sûr. Mais pour gagner contre les grosses sociétés du tabac, il faut que le peuple s'insurgisse. Nous avons le remède pour le cancer du poumon. Tout ce qu'il faut faire, c'est l'acheter. Il est bon marché comparativement à ce que vous consacrez aux soins de santé dans ce pays.
Aujourd'hui, sur ce continent, 1 500 personnes vont mourir des suites du tabagisme. Elles seront remplacées par 4 500 enfants canadiens et américains. Si vous demandez à Philip Morris: «Est-ce que c'est votre problème?» Il répondra: «Non, ce n'est pas notre problème». Eh bien, ma grand-mère m'a toujours dit: «Fais en sorte que ce soit leur problème».
M. Mahood: Honorables sénateurs, je suis maintenant très heureux de vous présenter Chuck Wolf. C'est lui la force motrice derrière cette campagne si réussie en Floride. Il vous entretiendra des origines du financement de cette campagne et, plus récemment, de l'American Legacy Foundation, qui a vu le jour par suite d'un règlement marquant entre les procureurs généraux de l'État et l'industrie américaine du tabac. Il a énormément d'expérience dans l'élaboration de ces campagnes publicitaires. Il est également un ami du Canada. Il est déjà venu ici pour faire des ateliers avec Santé Canada, et chaque fois qu'on le lui a demandé, il nous est venu en aide. C'est un réel plaisir pour moi de l'accueillir parmi nous ici aujourd'hui.
M. Chuck Wolf, vice-président exécutif et directeur des opérations, American Legacy Foundation: Honorables sénateurs, j'ai eu l'occasion toute unique de lancer les deux plus récents programmes antitabac aux États-Unis: le programme pour l'État de la Floride et le programme national de l'American Legacy Foundation. Le programme antitabac de la Floride a été créé par suite d'un règlement de litige.
Mes antécédents sont dans les affaires, et non pas au gouvernement. Je travaillais pour le gouverneur de la Floride à l'époque du règlement du litige en Floride. Il m'avait demandé d'élaborer pour lui un programme, ce qui m'avait amené à me rendre en Californie, dans le Massachusetts et ailleurs dans le monde pour me renseigner au sujet des meilleures pratiques -- pour faire précisément ce que vous êtes en train de faire ici aujourd'hui. L'objet était de déterminer, parmi ces politiques et pratiques, ce qu'il nous était possible de faire.
Nous ne connaissions pas à l'époque les meilleures pratiques de CDC. Elles m'auraient épargné beaucoup de travail. Cela ne signifie pas que je n'aurais pas écouté mes collègues, mais j'aurais pu exiger le financement voulu pour construire un bon programme. Deuxièmement, nous aurions économisé beaucoup de temps en n'ayant pas à refaire par nous-mêmes toutes les excellentes choses mises en place ailleurs.
Le programme de la Floride est assez spectaculaire, de par l'effort déployé pour réduire le tabagisme chez les jeunes. Au début, nous nous sommes concentrés sur le tabagisme chez les jeunes. L'American Legacy Foundation a fait la même chose. Comme vous le savez, l'American Legacy Foundation est issue de l'accord de règlement global. Elle reçoit plus de 330 millions de dollars par an pour une campagne antitabac nationale, qui est principalement une campagne médiatique, car les programmes communautaires et d'éducation sont le fait des États individuels.
La présidente: Pourriez-vous nous expliquer ce qu'est l'accord de règlement global?
M. Wolf: Les 50 États ont tous intenté des poursuites contre l'industrie du tabac. Quatre de ces États ont conclu un règlement séparé, dont la Floride. Les 46 autres ont signé un accord de règlement collectif. Il y a donc un accord de règlement global de 46 États avec l'industrie du tabac américaine. Cette dernière comprend les quatre grandes sociétés de tabac, ainsi que de nombreux petits fabricants secondaires. L'accord comprend de nombreuses restrictions. Chaque État reçoit un certain montant, qui va totaliser 246 milliards de dollars sur 25 ans. Une petite partie de cette argent a servi à créer une fondation nationale de lutte contre le tabagisme.
J'ai travaillé dans le programme de la Floride pendant environ 15 mois. Nous avons mis ce programme sur pied, puis je suis passé à l'American Legacy Foundation. Je viens de la quitter, après avoir consacré les 13 premiers mois à structurer et lancer le travail.
Je vais vous donner quelques indications sur la façon de mettre sur pied et gérer ces programmes, comment utiliser à cette fin les meilleures pratiques et comment obtenir un résultat dont on puisse être fier en un laps de temps assez court.
Étant issu des milieux d'affaires, j'ai utilisé des modèles commerciaux pour mettre sur pied ces programmes. Je vais vous donner une idée de la façon dont nous nous y sommes pris. Aucune entreprise ne peut réussir sans une équipe dirigeante solide. Pour que celle-ci puisse travailler, il faut éviter de microgérer. Dans le programme de la Floride, nous avons créé un conseil d'administration. J'ai apprécié la question tout à l'heure sur le nombre de jeunes qu'il faudrait avoir dans le groupe consultatif, car le conseil d'administration du programme de la Floride est entièrement composé de jeunes. Il n'y a pas d'adultes pour décider le thème ou le ton du programme antitabac en Floride. Lorsque vous verrez les résultats, vous comprendrez l'intérêt de cela.
Donc, environ 70 jeunes forment un conseil d'administration et un conseil exécutif de dix membres. Ce sont eux qui ont décidé de la manière de dépenser les 150 millions de dollars. Je suis sûr que vous vous dites: «C'est de la folie. Nous ne ferions jamais une chose comme cela». Effectivement, le gouverneur de l'État a dû déployer énormément de persuasion pour convaincre l'assemblée législative. Encore une fois, lorsque vous verrez les résultats, vous serez surpris de l'efficacité de la solution, je pense.
Le programme de la Floride comporte cinq volets. Je ne vais pas passer beaucoup de temps sur le marketing, car vous avez déjà vu certaines des annonces. Bien que j'adore en parler, je vais consacrer plus de temps aux programmes éducatifs et aux partenariats avec les collectivités locales que nous mettons sur pied. Il s'agissait d'élaborer des programmes de sensibilisation que ces jeunes allaient apprécier, croire et juger efficace. Cela supposait concevoir des messages autres que: «Vos poumons deviendront noirs, vos artères durciront et vous tomberez malade.» La plupart des jeunes de 14 ou 15 ans ne songent guère à leur santé à long terme. Ils veulent être dans le vent, s'amuser et se rebeller. Donc, cette équipe de jeunes a trouvé quelques trucs pour montrer comment l'industrie amène leurs camarades à fumer. Dans les problèmes de mathématiques, ils posent des questions du genre: Combien de paquets faut-il pour devenir accroché? Quel profit réalise l'industrie du tabac? Si vous divisez le profit par tous les actionnaires des sociétés de tabac, combien gagne chaque actionnaire? Si vous divisez cela par la rémunération du PDG de la société, combien d'argent a-t-il gagné pour chaque personne décédée cette année-là à cause du tabac? C'est une manière fascinante de considérer le problème du tabac. En concevant la campagne de cette façon, en dehors des normes, précisément ce que ces jeunes voulaient faire, ils ont connu un succès énorme.
Les partenariats et programmes communautaires signifiaient qu'aucune minorité n'est restée en dehors. Tout le monde était à la table pour décider de l'emploi de cet argent. De fait, dans de nombreux comtés de Floride, les minorités représentaient la majorité des jeunes à la table pour décider quels concerts organiser, comment communiquer les messages et comment organiser des manifestations locales attrayantes pendant les vacances scolaires.
Ce marketing est efficace. Le programme antitabac de la Floride a créé une marque de commerce intitulée «Vérité». C'est sans aucun doute la marque la mieux connue des jeunes aujourd'hui en Floride. En l'espace de six mois, le taux de reconnaissance corrigé a atteint 92 p. 100, soit mieux que ce que Nike, Burger King, McDonald's, Coca-Cola ou Pepsi ont jamais réalisé lors du lancement d'un produit. Il est phénoménal de voir ce que les jeunes peuvent faire lorsqu'on leur laisse la main libre pour concevoir ces messages.
Le modèle dont je parle jouissait d'une forte équipe dirigeante. Cela supposait qu'on laisse cette équipe et le programme s'épanouir. La responsabilisation n'était pas absente, puisqu'il y avait évaluation et recherche, mais sans un contrôle tatillon à chaque pas. Si le conseil d'administration d'une société ne laissait jamais la direction qu'il a mise en place faire le travail, rien ne serait jamais accompli. C'est pourquoi les conseils d'administration ne se réunissent pas tous les jours, mais seulement chaque trimestre ou semestre pour fixer les grandes orientations de la société. Il laisse le personnel faire son travail.
Au niveau de la coordination du travail d'une société, le conseil ne veut pas que la direction gaspille l'argent. Il ne s'agit pas de mettre sur pied un programme qui en concurrence un autre. La clé des programmes antitabac réussis est qu'ils sont intégrés. Vous n'avez pas des équipes rivales. Une fois que vous convenez d'une thème, qu'il s'agisse de la fumée passive, du changement de norme sociale ou de la manipulation de la part de l'industrie, il faut laisser ce thème se développer, y adhérer, s'engager sur cette orientation et laisser la direction de l'organisation faire son travail.
Il faut disposer aussi de ressources suffisantes. Comme toute bonne entreprise, ils ont su convaincre quelqu'un de la qualité de leur plan d'entreprise. Ils disposent de fonds adéquats qui sont reconduits dès lors que les résultats sont là. Il ne faut pas les remettre en question. D'autres ont déjà expliqué qu'un financement non stable signifie qu'ils doivent passer leur temps à quémander des fonds. Si la banque disait à une entreprise tous les mois: «Nous n'aimons pas ce que vous faites ce mois-ci», l'entreprise passerait tout son temps à convaincre la banque au lieu de faire son travail. Un financement instable signifie une interruption de la capacité de réduire le nombre de jeunes fumeurs.
Enfin, tout mon modèle commercial doit reconnaître l'existence de la concurrence et réagir à celle-ci. En l'occurrence, nous savons qui sont nos concurrents. Ils ne se cachent pas et n'hésitent pas à faire la publicité de leurs produits par tous les moyens. Nous savons qui est la concurrence. Il faut être en mesure de rendre coup pour coup et de réagir très rapidement.
Aujourd'hui, la concurrence est très forte dans la catégorie des 18 à 24 ans, l'âge universitaire. Pourquoi cela est-il important si l'on se soucie de la consommation de tabac des moins de 18 ans? Parce que la quasi-totalité des moins de 18 ans s'inspirent du comportement des 18 à 24 ans. Si vous ne pouvez pas agir sur ce modèle de comportement, ou si vous ne pouvez pas agir sur le savoir et l'information des parents, vous ne pouvez pas agir sur le tabagisme des jeunes.
Je vous ai parlé du programme de la Floride et des nombreux efforts qu'il englobe. L'American Legacy Foundation a reproduit nombre de ces efforts pour concevoir la première campagne médiatique nationale antitabac aux États-Unis.
En moins de deux ans, la consommation de tabac chez les élèves du cycle intermédiaire, qui sont âgés de 12, 13 et 14 ans, a diminué de 54 p. 100. Chez les élèves du secondaire âgés de 15 à 18 ans, la baisse a été de 25 p. 100 au cours de la même période. Cela englobe tous les produits de tabac, soit les cigarettes, le tabac à chiquer, la pipe et le tabac à priser. En Floride, 16 p. 100 des consommateurs de tabac avaient déjà commencé à utiliser ces produits avant la sixième année. Le travail important doit se faire auprès des très jeunes. Vous savez déjà que 80 p. 100 de la consommation de tabac dans votre pays commence avant l'âge de 16 ans. L'industrie du tabac le sait bien également. Si vous êtes bon commerçant et homme d'affaires avisé, vous allez vous concentrer sur votre part de marché future. Vous ne parviendrez jamais à vaincre le tabagisme dans votre pays si vous ne vous concentrez pas sur ce groupe d'âge.
Se concentrer sur cette tranche d'âge ne signifie pas qu'il ne s'agit là que d'un programme pour les jeunes. Il faut laisser les jeunes élaborer et transmettre le message, mais il faut intégrer également à cet effort les parents, d'autres adultes et les étudiants universitaires.
J'espère vous avoir inspiré quelques questions sur la façon de donner aux jeunes le pouvoir d'élaborer les programmes et messages. Je vous remets quelques enregistrements et annonces provenant du travail de la Floride. Je sais que vous en avez déjà vu des exemples. Je ne veux pas minimiser les efforts des médias car ils sont également importants et je pense que mes collègues les ont déjà couverts aussi.
Le sénateur Christensen: Comment mettez-vous sur pied votre programme de façon à y faire tenir un aussi grand rôle aux jeunes, puisqu'ils ont littéralement la main libre? Quel est l'âge de ces jeunes?
M. Wolf: Le conseil d'administration en Floride, qui s'appelle Students Working Against Tobacco, sont tous des élèves du secondaire. Ils sont au cycle intermédiaire et secondaire, et ont entre 14 ans et 18 ans.
Le sénateur Christensen: Ils forment le conseil d'administration?
M. Wolf: Oui, et ils ont un conseil exécutif de dix membres, qu'ils choisissent en leur sein, qui se réunit plus régulièrement. Le conseil plénier se réunit deux fois par an. D'ailleurs, il est en réunion en ce moment même. Il y a en Floride un sommet groupant 1 000 jeunes. Il se réunit une fois par an et élit un conseil de 70, qui lui-même choisit dix membres.
Deux conditions sont impératives lorsque l'on veut recruter des jeunes. Premièrement, ils doivent s'auto-choisir. Vous ne pouvez aller voir le directeur de l'école et lui dire: «Donnez-moi vos meilleurs élèves». Il vous faut des consommateurs de tabac et des non-consommateurs. Il ne faut pas exclure un étudiant qui fume. De cette façon, tout le monde se sent englobé et ils exercent réellement l'autorité et le pouvoir.
L'autre condition est de ne pas mettre en question leurs décisions. Vous constaterez qu'il y a une tendance à dire: «Nous vous donnons ce pouvoir, mais si vous prenez une décision que nous n'aimons pas, nous interviendrons». Ce serait la fin de tout. Si vous leur donnez un certain pouvoir, une certaine responsabilité d'acheminer un message et leur dites ensuite: «Vous savez quoi, désolé, mais le gouvernement a maintenant décidé qu'il ne veut pas que vous fassiez cela» ou «C'est trop risqué pour nous», ce sera le baiser de la mort.
L'autre élément très difficile, pour parler franchement, est que les adultes ont du mal à lâcher la bride. L'idée de donner aux jeunes une responsabilité dans une telle campagne signifie, dans l'esprit de nombreux adultes, qu'ils doivent céder cette responsabilité, qu'il s'agisse du pouvoir sur l'argent ou sur la prise de décision. Mais c'est par là qu'il faut commencer, très franchement. Vous devez convaincre les adultes que c'est la bonne chose à faire. Vous pouvez les convaincre en l'inscrivant dans votre loi ou vous pouvez les convaincre en leur disant: «Nous allons vous taper sur la tête jusqu'à ce que vous compreniez.»
De l'une ou l'autre façon, c'est très important. Vous devez amener les adultes à comprendre que le pouvoir des jeunes est la clé de tout, et vous devez ensuite leur donner des responsabilités réelles.
Le sénateur Christensen: Quel personnel de soutien possède la Legacy Foundation?
M. Wolf: À l'heure actuelle, c'est un personnel très minime. Il y a un an, il était de 28. Le nombre va passer à une cinquantaine. La Legacy Foundation est différente en ce sens qu'elle ne dispense pas des programmes sur le terrain, car elle verse des subventions aux États pour cela. Les États, soit les destinataires des subventions, auront la majorité du personnel.
Dans le programme de la Floride, il y avait un personnel central d'environ 30 personnes, mais il y avait un employé dans chaque comté qui traitait avec les groupes de jeunes constitués dans chacun des comtés. La Floride compte 67 comtés, et l'on pourrait dire qu'il y avait 97 membres du personnel, si vous comptez tous les délégués dans les comtés.
Le sénateur Christensen: La Legacy Foundation a-t-elle été érigée par une loi?
M. Wolf: Non, elle a été créée par le règlement global.
Le sénateur Christensen: Est-ce une organisation sans but lucratif?
M. Wolf: Oui.
Le sénateur Christensen: Le fait que des mineurs soient mis en jeu comporte-t-il des implications juridiques?
M. Wolf: La Legacy Foundation compte un mineur dans son conseil, mais elle verse des subventions aux États et exige, dans les conditions d'octroi, que des jeunes soient à la table et dirigent ces efforts. Ces subventions portent le nom de «subventions d'habilitation des jeunes». La première année, les subventions seront de 25 millions à 50 millions de dollars, ou un engagement de versements équivalents. Le conseil de la Legacy Foundation, de par les termes de l'accord, doit comporter deux gouverneurs, deux procureurs généraux et deux membres d'une assemblée législative d'État. Il y a quelques limites statutaires.
Le sénateur Christensen: En sus des jeunes?
M. Wolf: Oui. Le siège des jeunes n'était pas imposé par le règlement. Cela est venu ensuite. En fait, il y a une clause dans l'accord de règlement global prévoyant un siège pour un expert en psychologie de l'enfance et on a décidé de l'attribuer à un étudiant d'université de 19 ans.
Le sénateur Christensen: Qui préside le conseil?
M. Wolf: Le président actuel est M. Chris Gregoir, le procureur général de l'État de Washington. Son mandat arrive à expiration prochainement et il faudra nommer un nouveau président.
Le sénateur Christensen: Est-il possible que l'un des jeunes soit élu?
M. Wolf: C'est possible, si les autres membres du conseil en décidaient ainsi. Le jeune est un membre votant à part entière.
Le sénateur Finnerty: J'ai trouvé votre exposé fascinant. J'espère que nous pourrons vous émuler très bientôt.
Est-ce que les jeunes organisent des groupes témoins? Quelle sorte de formation ont-ils pour faire ce travail?
M. Wolf: Comment prennent-ils leurs décisions?
Le sénateur Finnerty: Oui, de quoi s'inspirent-ils?
M. Wolf: C'est cela qui est intéressant. Nous disons qu'il faut donner du pouvoir aux jeunes, mais beaucoup de gens craignent qu'ils fassent n'importe quoi. En réalité, ils demandent beaucoup de conseils et de formation et font appel à quantité d'experts, un peu comme les comités législatifs qui invitent des experts pour expliquer un sujet. De la même façon, les jeunes disent: «Nous avons besoin d'experts en publicité dans la salle, des experts en pédagogie pour nous parler de ces programmes de sensibilisation».
Des sociétés comme Scholastic, la grosse maison d'édition de manuels scolaires, ont fourni des experts pour aider les jeunes à élaborer les campagnes et ce genre de choses.
Pour ce qui est des capacités d'organisation des réunions, des interventions publiques, des débats avec les sociétés de tabac, ils ont invité un représentant de Brown & Williamson Tobacco à venir à l'une des réunions. L'émission 60 Minutes a couvert l'échange entre les jeunes et le représentant de Brown & Williamson Tobacco.
Ils ont demandé et obtenu beaucoup de soutien. Les jeunes nous voyaient comme du personnel appelé à faire ce qu'ils demandaient. Lorsqu'ils ont demandé un train pour sillonner tout l'État -- ils l'appelaient le train de la Vérité -- il nous incombait de trouver le train, d'établir l'itinéraire, de peindre le train pour qu'il puisse transmettre leurs messages.
Nous les traitons comme notre conseil d'administration. Nous étions leurs employés. Ils demandaient une formation et ils l'obtenaient, tout comme les membres d'un conseil d'administration demanderaient à être mis au courant des affaires de leur société.
Le sénateur Cochrane: Une chose que je trouve impressionnante ce soir est l'ampleur de la coordination entre notre groupe et le groupe américain. Cela montre à quel point nous poursuivons le même objectif, soit empêcher les jeunes d'acquérir cette mauvaise habitude. Je suis si heureuse que nous échangions l'information; c'est l'un de ces domaines où c'est indispensable. Peut-être devrions-nous échanger davantage d'informations sur d'autres choses encore. Je vous félicite tous et j'espère que cela va continuer.
Voici ma question: comment peut-on empêcher les jeunes de fumer?
M. Connolly: Il n'y a pas de solution magique. Il faut une campagne complète qui touche les jeunes en modifiant -- c'est la stratégie que nous choisissons -- les normes sociales de la société d'ensemble. On majore le prix. On empêche de fumer dans les lieux publics. Les adultes ne fument pas, et ne sont donc pas des modèles de comportement pour les jeunes. On sensibilise dans les écoles, on mène des campagnes médiatiques agressives et on réprime la vente de tabac aux mineurs.
C'est ce que nous appelons les quatre D. On dévalorise le comportement aux yeux des jeunes en interdisant la publicité et en faisant de la contrepublicité. On dénormalise le comportement en imposant des locaux sans fumée. On délégitimise l'industrie du tabac en révélant ses agissements, afin que les jeunes se rebellent contre elle plutôt que contre quelqu'un d'autre. Enfin, on cherche à dénicotiniser le produit au moyen d'un règlement de la FDA. Nous avons perdu sur ce plan dans notre Cour suprême.
Il n'y a pas de solution magique. On s'attaque à la société d'ensemble et on met en oeuvre un programme exhaustif, bien financé et soutenu. On ne peut pas dissuader les jeunes de fumer au moyen de petits programmes ponctuels. Il faut investir de grosses sommes. Il faut prendre des risques. Si une stratégie échoue, il faut avoir assez de ressources pour continuer, pour tirer les leçons des erreurs et mettre en oeuvre d'autres stratégies.
Nous avons eu une excellente conférence l'an dernier, à laquelle le sénateur Kenny a assisté, à Cape Cod, réunissant les provinces de l'Est et les États de la Nouvelle-Angleterre. C'était une expérience très féconde. Beaucoup de gens en Nouvelle-Angleterre ne peuvent pas épeler le mot Parlement. Il a été enrichissant pour eux de voir une approche entièrement différente du contrôle du tabac. Nous avons des populations similaires. Les taux de tabagisme sont similaires entre vos provinces et les États de Nouvelle-Angleterre. Pour nous, cela a été une expérience merveilleuse. Nous nous réunirons de nouveau à Saint John l'an prochain, en 2001, entre États de la Nouvelle-Angleterre et provinces de l'Est.
M. Wolf: Y aura-t-il de la neige alors? Ils peuvent aller à Cape Cod, et moi je dois venir à Ottawa en janvier. Merveilleux.
M. Oliva: Je suis d'accord avec tout ce que M. Connolly a dit. En ce qui concerne les normes sociales, vous constaterez que dans les familles où les adultes fument, la probabilité est beaucoup plus grande que les enfants commencent à fumer. Il est donc très important de s'attaquer au modèle de comportement adulte.
M. Connolly a également mentionné le prix. J'ai indiqué qu'entre 1998 et 1999, nous avons enregistré une baisse de 37 p. 100 des jeunes âgés de 12 à 17 ans qui fumaient. Or, une nouvelle taxe de 50 cents est entrée en vigueur en Californie le 1er janvier 1999, si bien que la consommation de tabac des jeunes est manifestement sensible au prix. Ce facteur a-t-il causé la baisse de 37 p. 100? Je ne peux l'affirmer, mais j'imagine que cela y a contribué.
Le sénateur Cochrane: Étant donné tout ce que nous savons aujourd'hui, de diverses sources, sur les effets du tabac sur la santé, comment le tabagisme chez les jeunes Californiens se compare-t-il au taux dans les autres États, où moins de ressources sont consacrées à ces campagnes et ces annonces?
M. Oliva: Comme je l'ai indiqué, les taux en Californie sont sensiblement inférieurs, à ceux de la plupart des autres États. Comme vous pouvez le voir dans le document, les chiffres actuels et les projections futures montrent non seulement des taux de tabagisme moindres, mais aussi que la baisse est beaucoup plus rapide en Californie que dans les autres États. Le financement continu et stable en Californie permet une présence sur le plan de la perception des jeunes à l'égard du tabac. Cela est essentiel. Beaucoup d'États n'ont pas cette présence, bien que les choses commencent à changer, certains États allouant des fonds à la prévention du tabagisme provenant de l'accord de règlement -- du moins les États assez perspicaces pour allouer les fonds à la lutte antitabac; ce n'est pas le cas de tous.
M. Connolly: Entre 1993 et 1998, au Massachusetts, le tabagisme a baissé de 22 p. 100 chez les jeunes de 12 à 17 ans. Notre voisin, le Rhode Island, n'a rien fait pendant cette période. Son taux a augmenté de 30 p. 100. C'est une merveilleuse expérience grandeur nature. Nous avons deux populations voisines, une où rien ne se passe et l'autre où quelque chose se passe.
Le sénateur Cochrane: Vous avez donc mené des études comparatives.
M. Connolly: Oui. Les populations sont similaires. Les prix sont supérieurs au Massachusetts, avec des campagnes beaucoup plus agressives. En dépensant 15 $CAN per capita, les résultats sont là.
Le sénateur Banks: Je suis désolé d'être arrivé en retard et de ne pas avoir entendu toutes les présentations. La partie que j'ai entendue était impressionnante. Je ne sais pas si nous pourrons inscrire des mécanismes particuliers dans la loi qui résultera de tout cela. Je ne sais pas si nous pourrons inscrire dans la loi elle-même un programme spécifique.
Vous dites que vous n'avez pas demandé aux directeurs d'école de vous envoyer leurs meilleurs élèves. Comment avez-vous recruté, sélectionné les membres de vos groupes de jeunes, et dans quelle mesure sont-ils intervenus directement dans l'aspect créatif des programmes que vous utilisez?
M. Wolf: Nous avons trouvé ces jeunes auprès de diverses sources. Nous allons refaire la même chose dans dix jours. Un sommet national des jeunes contre le tabac se tiendra à Seattle, dans l'État de Washington. Il y aura là 1 000 jeunes, selon un processus similaire à celui que je vais décrire.
Nous utilisons l'Internet. Notre site Web de Floride s'appelle wholetruth.com. Le site Web national a pour nom thetruth.com. Ces sites Web sont très activement visités par les jeunes et leur donnent l'occasion de s'autorecruter s'ils sont intéressés.
Sur le millier de jeunes qui iront à Seattle, environ 40 p. 100 ont été recrutés par les militants antitabagisme de leur État. Il y a plusieurs filières. Soit leurs parents ont été touchés par une maladie liée au tabac, soit ils sont intéressés parce qu'ils fument eux-mêmes. Une centaine ont été choisis parce que, lorsque nous avons initialement lancé Legacy, nous avions trouvé deux jeunes dans chaque État, de tous milieux. Les autres 50 p. 100 ont été choisis en fréquentant des lieux où les jeunes aiment à se tenir. Nous distribuions des casquettes et t-shirts avec le logo Truth et leur offrions de rédiger un script, de regarder des annonces télévisées ou faire de la figuration dans des annonces.
Il y a actuellement une série d'annonces aux États-Unis portant le nom de «Web letters». Ce sont des annonces filmées dans la salle de séjour de gamins, avec une caméra Web montée sur leur ordinateur, qui les filme pendant qu'ils parlent en réponse à des messages sur le tableau d'affichage Internet.
Toutefois, nous sommes très attentifs à ce que nous appelons le clivage digital, c'est-à-dire les familles où il n'y a pas d'accès à l'Internet et dont les enfants ne disposent pas de ces ressources. Nous déployons des efforts particuliers pour aller dans ces collectivités et y rencontrer les jeunes. Par exemple, nous avons des populations autochtones dans certains États où le taux de tabagisme est très élevé. Souvent, cela est dû à des raisons religieuses ou spirituelles et parfois historiques. Mais peu importe, car tous étaient très intéressés par le problème.
Nous avons trouvé un certain nombre de jeunes qui, ayant l'occasion de réellement participer et d'exercer un réel pouvoir, ont sauté sur l'occasion. Ils viennent à Seattle. Dans le cas de la Floride, il s'agissait de traîner sur la plage ou dans les parcs d'attractions nautiques.
Le sénateur Banks: Je veux bien faire ce travail.
M. Wolf: J'adorerais voir qui vous recrutez.
Les possibilités sont immenses de trouver des jeunes gens réellement intéressants lorsque vous sortez dans la rue pour parler à ces gamins avec leurs planches à roulettes, ou dans la forêt où ils chassent ou n'importe quel lieu où ils se trouvent la fin de semaine ou l'après-midi après l'école. Il faut être très ouvert. Il ne faut pas hésiter à parler aux gamins avec les cheveux bizarres. Il faut être très ouvert et les encourager et leur faire savoir qu'ils peuvent jouer un rôle et participer.
La Floride a eu un grand succès à ce niveau. Legacy rencontre un énorme succès. Nous cherchons maintenant à exporter cela à 25 autres États avec ces subventions, pour voir si ces méthodes peuvent être reproduites ailleurs. Il faut se montrer réellement très ouvert envers ces jeunes là où ils se trouvent.
La présidente: Quel est ce concept de Vérité? Comment en avez-vous fait votre marque? Pourquoi cela accroche-t-il tant les jeunes? Pourquoi est-ce si «cool»?
M. Wolf: Je peux répondre à cette question en même temps qu'à la deuxième partie de l'autre, à savoir si les jeunes avaient un rôle créatif original. La réponse est oui, ils ont participé au travail créatif original, et c'est eux qui ont proposé le slogan Vérité. Il y avait déjà eu des campagnes Vérité dans d'autres États, mais franchement nos jeunes n'en étaient pas informés. Ils ont passé en revue des tonnes de noms de marques différents, de «rage» jusqu'à «vérité» jusqu'à «réalité» et cetera. Il y avait de tout. Certains noms étaient réellement amusants et accrocheurs. Ils ont cherché des noms qu'ils aimaient réellement et ont fini avec Vérité. Cela a été une longue discussion, un vif débat et quantité de votes dans tous les sens.
Leur concept était de simplement dire la «vérité», dire la vérité sur ce que fait réellement ce produit, au lieu de la propagande de l'industrie du tabac. L'industrie, aux yeux des jeunes, veut faire croire qu'elle vend un produit cool, sexy et rebelle. Ils voulaient donc dire la vérité sur ce que fait le produit. Il tue un consommateur sur trois. Dans notre pays, 89 p. 100 de tous ceux qui commencent à fumer ont moins de 18 ans. Il contient 100 poisons de plus que du poison à rat. L'industrie du tabac a 15 millions de dollars par jour d'argent de poche à dépenser.
Il y a de tout. Ils ont trouvé toutes sortes d'excellentes façons de diffuser le message, la «Vérité», comme ils l'appellent.
Il y a eu une campagne Vérité au Massachusetts et en Utah, mais la marque déposée a commencé en Floride et ce sont les jeunes qui ont trouvé l'idée, ayant participé au travail dès le tout début.
La présidente: Aujourd'hui, tout le monde assimile la Vérité à la campagne antitabac.
Le sénateur Taylor: Merci de cet exposé très intéressant.
M. Connolly: J'ai témoigné cinq fois en 1996 devant l'autre comité sénatorial et les autres comités à l'appui de ce que l'on appelait alors le projet de loi McCain. C'était une excellente loi, mais les grandes sociétés de tabac en sont venues à bout. J'espère que le témoignage de ce soir aboutira à faire ce que notre Sénat a échoué de faire il y juste trois ans.
Le sénateur Taylor: Les grandes compagnies de tabac étaient là la semaine dernière. Nous avons dû les assigner, mais elles sont venues, et deux des trois ont dit qu'ils appuieraient le projet de loi. Le troisième a exprimé quelques réserves. Un vieux dicton dit qu'il faut se méfier des porteurs de cadeaux, mais nous verrons bien.
M. Oliva a mentionné que 20 p. 100 des fonds recueillis en Californie sont consacrés à l'éducation. Ai-je bien entendu? À quoi servent les 80 autres pour cent?
M. Oliva: Surtout pour les soins médicaux. Il y a une taxe de 25 cents sur chaque paquet de cigarettes. Vingt pour cent de ces 25 cents sont pour notre campagne, le compte de l'éducation sanitaire.
Le sénateur Taylor: Les 80 autres pour cent sont versés aux hôpitaux, pour traiter l'emphysème et ce genre de choses?
M. Oliva: Ils peuvent servir aux programmes de santé maternelle et infantile.
Le sénateur Taylor: Je pensais que c'était peut-être comme chez nous où le gouvernement vole simplement l'argent.
M. Oliva: Non, ce n'est pas arrivé chez nous.
Le sénateur Taylor: La recherche que vous avez mentionnée fait état des maladies cardiaques et pulmonaires causées par le tabac. Existe-t-il des recherches -- ou bien est-ce que je rêve en technicolor -- indiquant que d'autres maladies surviennent lorsque quelqu'un arrête de fumer? Par exemple, fumer empêche de prendre du poids. Est-ce que le taux de diabète augmente chez ceux qui arrêtent de fumer?
M. Oliva: Nous allons tous être malades de quelque chose, mais je ne connais aucune telle recherche.
Le sénateur Taylor: Les jeunes femmes fument souvent comme moyen de contrôler leur poids, n'est-ce pas? Je me demande si celles qui arrêtent trouvent un substitut, ou bien si elles prennent du poids? Avez-vous pu les convaincre qu'elles sont tout aussi belles avec quelques kilos de plus?
M. Oliva: Nous disons toujours qu'arrêter de fumer est ce qu'il y a de mieux pour la santé. S'il est vrai que certaines adolescentes fument pour contrôler leur poids, s'arrêter de fumer, faire de l'exercice et avoir un régime sain sont les meilleures choses pour la santé.
M. Connolly: La nicotine seule peut être thérapeutique dans le cas de la maladie de Parkinson et la perte de mémoire à court terme. Il peut y avoir quelques avantages. Il n'est pas exclu que la nicotine soit utilisée sous forme thérapeutique, sous forme de pilule ou autre, à l'avenir, pour traiter certains troubles. Le problème est que la cigarette est la source de nicotine la plus sale. Pour procurer de la nicotine à l'organisme, il faut consommer 4 000 autres substances chimiques à travers les poumons. La façon la plus stupide d'ingérer de la nicotine est de brûler des feuilles de tabac.
À l'avenir, il pourra être approprié d'employer la nicotine comme thérapie à condition qu'elle soit réglementée comme une drogue. Notre Sénat a essayé de le faire et a perdu. Ce n'est probablement pas fini.
Je ne peux trop souligner que ce que vous faites ici fixe la norme pour les États-Unis. Ce que vous avez fait avec les avertissements est venu à l'attention de certains de nos sénateurs, le sénateur McCain et le sénateur Henry Waxman. Je pense que nous verrons un projet de loi dans notre Sénat l'an prochain, après les élections.
Je n'insisterai jamais assez là-dessus. Nous avons échoué à faire ce que vous faites en ce moment. Notre Sénat a échoué à cause des pressions des grandes compagnies de tabac. Pourtant, elles s'étaient exprimées en faveur du projet de loi d'Earl McCain. À votre place, je me méfierais beaucoup des promesses faites la semaine dernière.
Je ne soulignerai jamais assez que vous devez adopter cette loi, pas seulement dans l'intérêt des États-Unis, mais aussi de la Thaïlande, de la Pologne, de l'Estonie, de l'Argentine -- le monde entier a les yeux fixé sur ce que fait le Canada en matière de contrôle du tabac. Vous devez réaffirmer votre rôle de chef de file et faire passer ce projet de loi.
Le sénateur Adams: Nous ne sommes pas la Floride. Nous avons un climat totalement différent. J'ai été plusieurs fois en Floride et j'ai apprécié le beau temps. Dans le nord, d'où je viens, il y avait encore de la neige empilée devant la sortie de secours de mon hôtel la fin de semaine dernière. En hiver, nous ne voyons pas la lumière du jour; en ce moment, lorsque nous y allons les fins de semaine, il fait jour 24 heures sur 24. C'est différent.
Je dis toujours au sénateur Kenny que même si son projet de loi est adopté, l'approche des gens du Nord de l'idée que les cigarettes sont mauvaises pour la santé sera différente. Deux fois plus de gens fument dans les localités isolées du Nord que dans le reste du Canada, car il n'y a pas grand-chose à faire. Il n'y a pas la planche à roulettes ou le surf ni rien du genre chez nous. En hiver, il fait très froid et il est très difficile de sortir.
J'aimerais en savoir un peu plus. Vous dites que vous avez des programmes antitabac dans les écoles. Quelles sorte de supervision exercez-vous sur les enseignants et directeurs et leur façon de présenter cela en salle de classe? Comment fonctionne le système?
M. Wolf: Vous demandez comment nous faisons pour aller dans les écoles et quelles sont les règles. En Floride, nous ne pouvons imposer aux écoles d'enseigner un programme éducatif. Nous ne pouvons leur dire: «Vous devez enseigner le tabac».
Nous avons plutôt distribué du matériel pédagogique concernant le tabac en rapport avec les sujets déjà enseignés. Qu'il s'agisse de mathématiques, d'études sociales, de sciences ou de lecture, des matières déjà enseignées, nous leur donnons du matériel pédagogique traitant du tabac. Les enseignants aiment toujours trouver quelque chose de nouveau pour leurs élèves et eux-mêmes, franchement. Si c'est nouveau, c'est plus intéressant à enseigner.
Pour les élèves de première, deuxième et troisième année, nous avons distribué à chacun un livre, The Berenstein Bears Sinister Smoke Ring. Ce livre était utilisé pour enseigner la lecture. En classe de mathématiques, pour les quatrième, cinquième et sixième année, nous fournissions des problèmes de mots. En sciences, nous avions un livre intitulé Science, Tobacco and You, où le tabac devenait un nouveau plan de cours, pour l'enseignement d'autres éléments de cette matière. En études sociales, en classe d'instruction civique, nous avions des livres, brochures et magazines traitant de la façon dont le projet de loi McCain a été bloqué au Congrès américain et des méthodes employées par l'industrie du tabac pour imposer son point de vue.
Voilà donc un moyen d'imprégner les programmes scolaires. Ce n'est pas obligatoire. C'est facultatif pour les enseignants. S'ils veulent utiliser ce matériel pédagogique, ils le font.
L'autre facteur à ne pas perdre de vue est que ces idées ont été élaborées par des jeunes, si bien qu'elles sont adaptées à cet auditoire.
L'autre partie de votre question intéresse un aspect dont nous nous sommes beaucoup inquiétés et auquel nous avons consacré beaucoup de temps en Floride, à savoir les programmes culturellement adaptés et la manière de toucher toutes sortes de collectivités différentes. La Californie est sans doute la plus experte à cet égard, vu la diversité de sa population. En Floride, nous avons mis au point des programmes spécifiques pour la minorité latino-américaine. Cela ne se limitait pas au passage d'annonces en espagnol, il s'agissait de programmes spécifiques complets. En effet, les parents dans la collectivité latino-américaine ont des habitudes de consommation de tabac différentes. La population autochtone est plus réduite en Floride qu'en Californie, mais nous avons néanmoins des Séminoles et d'autres tribus qui emploient le tabac dans des cérémonies religieuses. Il est révéré en tant qu'objet de culte. Cela ne peut que convaincre un jeune qu'il n'y a pas de mal à le fumer, alors que ce n'est pas de cette manière que les tribus en font usage dans les cérémonies religieuses. Dans la collectivité afro-américaine, les taux sont déjà énormément plus faibles qu'ailleurs. Mais lorsque vous distinguez entre différentes sous-catégories de cette collectivité, vous constatez que les Antillais noirs consomment beaucoup plus de tabac que la population afro-américaine traditionnelle. Par ailleurs, la langue d'expression doit également être adaptée à la population caribéenne.
L'essentiel est de les amener tous à la table pour élaborer des programmes qui soient bons pour leur collectivité. Tout comme il faut faire intervenir des jeunes pour concevoir des programmes adaptés à eux, il faut amener ces autres populations à élaborer leurs propres programmes.
M. Connolly: Je vais faire un aveu. Il y a une dizaine d'années, j'ai travaillé sur une émission pour Marketplace de CBC concernant le tabac à chiquer, qui est très populaire chez les Inuits. À cette époque, je travaillais auprès d'une ligue de baseball majeure, conseillant les joueurs de baseball en Floride sur la manière de s'arrêter de fumer. On m'a demandé pendant l'entraînement de printemps si je préférais aller à Yellowknife ou descendre en Floride pour parler avec les Blue Jays?
Au niveau scolaire, il faut songer à des programmes d'ensemble faisant partie d'un enseignement dans les écoles bien financé qui reprend ce que l'on voit à la télévision. Vous avez vu cette jeune femme malade d'emphysème. Nous avons réalisé une émission de 18 minutes sur sa vie et ses tribulations. Nous avons diffusé l'enregistrement dans les écoles. Puis elle a fait une tournée. Les élèves l'ont vue à la télévision et l'ont vue ensuite dans leur école. Ce qu'ils voyaient à la télévision, ils l'entendaient également en salle de classe. Nous avons totalement interdit à quiconque de fumer sur les terrains scolaires dans notre État. Si vous allez assister à un match de football, vous ne pouvez pas fumer, qui que vous soyez. Nous offrons des services de sevrage dans les écoles. Nous avons des infirmières spécialement formées pour cela. Tous ces programmes coûtent cher, exigent des ressources, mais c'est cette approche exhaustive qui donne les meilleurs résultats avec les élèves des écoles. Je suis d'accord avec Mme Ashley lorsqu'elle dit que l'action pédagogique seule, si elle n'est pas reliée à l'environnement plus général, ne sera pas suffisamment efficace.
La consommation de tabac sans fumée est un problème majeur chez nos populations américaines autochtones, tout particulièrement chez les Inuits. J'ai travaillé en collaboration étroite avec un éducateur en santé à Yellowknife. De 30 à 40 p. 100 des gamins y consomment du tabac à chiquer. Pour fabriquer celui-ci on utilise aux États-Unis de la paraffine. Les paquets restent ensuite sur une étagère dans un village isolé pendant trois mois. Pendant tout ce temps, les produits chimiques interagissent avec la paraffine. Nous mesurions des niveaux de nitrosamines -- et ce sont des substances chimiques très dangereuses -- quatre fois supérieurs à ce que l'on voyait à Toronto, où le tabac est très frais. Il faut analyser le produit pour s'en rendre compte.
J'ai travaillé avec des Américains autochtones en Alaska où les grands-mères donnent du tabac à chiquer à leurs petits-enfants dès l'âge de 6 ans. À l'âge de 6 ans ils sont déjà dépendants. Pendant toutes leurs années d'apprentissage, de 6 ans à 12 ans, ils sont dépendants de la nicotine. Dès l'âge de 7, 8 ou 9 ans, ils absorbaient des doses régulières de cette substance rien que pour faire face à l'ennui et au stress de la vie dans un village perdu. Qu'enseigne-t-on à un enfant lorsqu'on administre une drogue psychoactive à un enfant de 7 ans pour affronter la vie quotidienne?
Le sénateur Adams: Je me souviens de gamins de 6 ou 7 ans qui reniflaient des produits chimiques. Même là-haut, dans l'Arctique, nous recevons 100 chaînes de télévision. La plupart des habitants de ma collectivité passent leur temps à regarder des parties de hockey, des courses de voitures et d'autres sports. Faire la course en voiture est plus dangereux qu'ingérer des nitrosamines dans les cigarettes. Sur quelle chaîne faites-vous passer vos annonces? La plupart de nos jeunes, et même de nos anciens, passent leur temps chez eux à regarder la télévision et à fumer. Nous avons appris l'autre jour dans un autre comité qu'une annonce télévisée de dix secondes coûte environ 10 millions de dollars à produire. Une annonce de 30 secondes coûte probablement 30 millions de dollars. Quelle est la meilleure façon de la diffuser? Quelle est la meilleure chaîne de télévision pour cela?
M. Connolly: Comme je l'ai dit au sénateur Kenny, nous allons filmer une joueuse de football canadienne très célèbre à Boston le 3 juillet. Nous allons dépenser de l'argent pour cela, et nous allons également faire appel à un joueur japonais. Ce sera un vidéo international. Comme je l'ai dit au sénateur Kenny, si le Sénat nous attribue les fonds, nous apporterons une contrepartie équivalente pour engager cette très célèbre joueuse de soccer.
Nous savons que le message sur le cancer du poumon ne passe pas. Tout le monde dans ce pays est exposé au risque de cancer du sein. Les femmes savent comment faire un auto-examen et connaissent les facteurs de risque. Tous les hommes exposés au risque de cancer de la prostate se font faire un test de dépistage PSA. Mais lorsque vous parlez de cancer du poumon, le public ne comprend pas. Si vous demandez à un fumeur quel est son risque, il répond: «Un peu plus grand que celui d'un non-fumeur», alors qu'en réalité il est 40 fois plus élevé.
Nous avons réalisé quelques annonces agressives, tapant fort, sur l'énorme risque personnel, afin de causer un choc chez le fumeur. Lorsqu'un ancien qui fume voit ces annonces, il souffre. Cela le fait réfléchir deux fois, l'oblige à penser à la perte et à ce que les enfants vont ressentir s'il quitte la famille. Ils sont obligés de réfléchir à la perte douloureuse. Beaucoup de fumeurs pensent: «Je vais mourir, tant pis. Lorsqu'on est mort, on ne souffre pas». Mais on peut communiquer avec eux et leur dire: «Tu ne vas pas mourir. Tu vas attraper le cancer du poumon et tu devras subir une chimiothérapie. Ton mari t'enlèvera les cheveux et les posera là-bas. Ensuite, on va t'attacher sur une table et on va inonder ta tête de rayons radioactifs.» Nous avons même une annonce qui déclare: «Si vous avez de la chance, vous serez mort dans un an». Il faut communiquer ce genre de message. Il faut faire passer des annonces aux heures de grande écoute, lorsque les gens regardent. Cela ne coûte pas 30 millions de dollars, mais des millions quand même. C'est ce qu'il faut faire. Les gens ont été anesthésiés par la publicité pour les cigarettes et se disent: «Je ne vais jamais attraper le cancer du poumon, ce n'est pas une vraie maladie, ce n'est pas comme le cancer du sein ou de la prostate». Mais il n'y a pas un lobby pour le cancer de la prostate qui loue des cars pour dire: «Faites un test PSA mais n'éliminez pas le cancer de la prostate». Nous n'avons pas un lobby du cancer du sein qui dit: «Ne faites pas l'examen annuel, ne vous inquiétez pas des matières grasses ou de l'oestrogène», mais nous avons un lobby du tabac qui est bien vivant et s'active au Parlement et au Sénat, qui cherche à étouffer des projets de loi comme celui-ci -- peut-être secrètement, tout en faisant semblant de l'appuyer. C'est pourquoi vous avez besoin d'une loi exhaustive, assortie de moyens financiers, comme celle dont vous êtes saisis.
M. Mahood: Dans le cas de «l'annonce conscience» et «l'annonce Debbie», deux des annonces d'une série diffusée au Canada, les moyens financiers ne permettaient que de les faire passer sur des chaînes où les faiseurs d'opinions les verraient. Nous avons appuyé cette décision. Mais la plupart des Canadiens ne les ont pas vus, parce qu'il n'y avait pas assez de fonds pour les diffuser ailleurs. La campagne n'a duré que six semaines et il n'y avait que trois millions de dollars pour les diffuser sur les ondes. L'Ontario -- une seule province -- a dépensé plus de 50 millions de dollars pour une de ses campagnes publicitaires. Pour mettre les choses en perspective, voilà ce que nous avons connu au Canada ces dernières années à cause du manque de ressources.
M. Oliva: M. Wolf a mentionné les différences ethniques et indiqué que la Californie a fait un travail de pionnier à cet égard. J'aimerais dire quelques mots à ce sujet pour la gouverne du sénateur Adams.
L'historique de nos efforts dans ce domaine, en Californie, est intéressant. Lorsque le programme California a été lancé, nous avions des messages prioritaires qui visaient spécifiquement les populations ethniques, mais nous y avons renoncé. Nous voulions nous concentrer davantage sur la stratégie de modification de la norme sociale et les trois domaines prioritaires: réduction de l'accès des jeunes, éliminer l'exposition à la fumée secondaire et contrer les influences pro-tabac. Ce sont-là les pôles sur lesquels nous travaillons depuis de nombreuses années.
Nous n'ignorons pas les minorités ethniques de Californie et nous dépensons en fait beaucoup d'argent pour les sensibiliser. Le montant est probablement insuffisant, mais nous avons des ressources limitées.
Nous finançons quatre réseaux ethniques. Ce sont des projets à l'échelle de l'État qui s'adressent à la collectivité hispanique, la collectivité afro-américaine, la collectivité asiatique et polynésienne et la collectivité amérindienne. Ces projets ont pour objectif d'élaborer des campagnes spécifiques visant ces populations et renforcer la capacité des organisations ethniques de l'État afin qu'elles puissent présenter des demandes de financement dans le cadre de notre mécanisme d'appel d'offres. Elles ont remporté quelques succès à ce niveau.
En ce qui concerne les campagnes médiatiques, nous finançons également une grosse agence publicitaire à l'échelle de l'État. À ce titre, nous finançons trois sous-agences qui couvrent les médias hispaniques, les médias asiatiques-polynésiens et afro-américains. Nous ne couvrons pas les médias amérindiens car il est malheureusement très difficile de joindre cette population.
Voilà quelques-uns des efforts que nous déployons pour toucher les minorités ethniques. Nous voudrions et devrions faire plus. Nous avons passé en revue la liste des organisations que nous finançons et nous constatons qu'au fil du temps nous en perdons certaines qui s'adressent aux populations ethniques.
L'an dernier, nous avons lancé un appel d'offres qui ciblait exclusivement les populations ethniques. Nous avions déjà fait cela au début et y avions renoncé. Nous avons rétabli cette priorité et finançons des demandes de l'ordre de cinq à sept millions de dollars. Nous avons ainsi financé de 10 à 12 nouveaux projets. Il faut continuer dans cette voie.
Lorsqu'on regarde les campagnes publicitaires de l'industrie du tabac, celle pour Virginia Slims, avec le slogan «trouvez votre voix», cible principalement les femmes de couleur.
Le sénateur Sibbeston: Madame la présidente, j'aurais dû partir il y a déjà deux heures, mais j'ai été fasciné par les témoins de ce soir. Leur témoignage est très impressionnant.
S'agit-il simplement de convaincre les gouvernements, comme vous l'avez fait avec nous ce soir, en nous convainquant de la valeur de ces approches et en démontrant les résultats et en donnant des exemples des annonces que vous diffusez? Je suis surpris que les gouvernements ne veuillent pas entreprendre ces programmes, alors que vous pouvez en démontrer l'efficacité.
Vous qui êtes ici, êtes-vous à la pointe du mouvement aux États-Unis? Est-ce là le début d'un mouvement national de lutte contre le tabagisme et ses effets néfastes sur la population?
Au Canada, nous sommes confrontés à une escalade des frais médicaux. Ces frais sont pris en charge par les pouvoirs publics. Nous avons même un débat sur la question de savoir si l'État a encore les moyens de l'assurance médicale actuelle. Étant donné le nombre de maladies causées par le tabac chaque année, ne pensez-vous pas que les pouvoirs publics devraient réagir et admettre qu'ils n'obtiendront pas ces résultats à moins de dégager des ressources? Les pouvoirs publics canadiens sont-ils aveugles ou bien s'agit-il là de quelque chose de tout nouveau qui va finir par se répandre chez nous?
M. Wolf: Ce n'est pas quelque chose de nouveau. Pendant un temps, le Canada était le chef de file de la lutte antitabac. Pendant un temps, c'est l'État du Minnesota qui était en pointe, au milieu des années 80. Ensuite, il y a eu des réaffectations budgétaires.
Comme M. Oliva l'a expliqué, en Californie, le gouvernement a coupé les crédits consacrés au programme et il a fallu le poursuivre en justice pour les faire rétablir. Cette réaffectation ou ce détournement de fonds a causé des effets de dent de scie dans ces programmes, si bien que leur efficacité générationnelle à long terme a été perdue. Le but est qu'une génération après l'autre devienne de moins en moins dépendante du tabac.
Vous demandez comment les pouvoirs publics peuvent ignorer le problème. J'ai entendu des chiffres évaluant jusqu'à 10 milliards de dollars par an le coût des effets du tabac dans ce pays. Le projet de loi prévoit 300 millions de dollars environ pour un tel programme. Dans une entreprise, l'idée que l'on hésiterait à dépenser 300 millions de dollars pour un bénéfice de 10 milliards de dollars serait risible. Il est évident que les entreprises dépenseraient ou investiraient cette somme, elles le font chaque année. Souvent, cela entraîne des licenciements, mais les entreprises paieront volontiers ces 300 millions de dollars à ces employés chaque année de leur vie en échange d'une économie de 10 milliard de dollars. N'importe quelle entreprise consentirait cet investissement.
Pourquoi pas le gouvernement? Vous devez en chercher la raison au cas par cas. Franchement, souvent c'est un manque de leadership. Nous savons que de grosses influences s'exercent. Nous savons que cette industrie est admise comme légitime dans les cercles politiques. L'acceptation de cette légitimité freine les changements. Que ce soit dû à des relations de copinage, ou parce qu'elle contribue aux caisses électorales, nul ne sait. Quoi qu'il en soit, leur immense richesse leur permet d'acheter la légitimité. C'est difficile à surmonter.
Enfin, pourquoi les gouvernements ignorent-ils la situation? Je ne sais pas. Prenez le cas d'un vaccin. Tout médecin connaissant l'existence d'un vaccin et qui ne l'administrerait pas serait poursuivi pour faute professionnelle. Tout médecin qui n'utiliserait pas un moyen thérapeutique disponible serait poursuivi par le patient si celui-ci découvrait que le médecin connaissait l'existence d'un vaccin mais choisissait de ne pas l'utiliser. Vous êtes dans la même situation.
Combien de preuves de plus vous faut-il que la demi-douzaine ou douzaine d'États à côté de vous qui ont démontré que ces campagnes marchent? Ne pas suivre cet exemple et ne pas se soucier des générations nouvelles qui vont être dépendantes du tabac est l'équivalent d'une faute professionnelle de la part d'un médecin.
M. Connolly: La Californie a commencé en 1988, nous en 1993. Il nous a fallu quatre ou cinq ans pour tout organiser et apprendre comment faire. Notre expérience est relativement récente.
Nous pouvons en parler ici, mais il nous a fallu cinq ans pour réunir les données prouvant que cela marche. La Californie et le Massachusetts vous prouvent que l'on ne peut pas lutter contre le tabagisme avec des bouts de ficelle. Il faut être sérieux. Nous parlons de 15 $ per capita. Sinon, ce n'est même pas la peine de commencer.
Le gouvernement s'est toujours dit: «Nous pouvons consacrer quelques dollars au tabac». Or, on déverse l'argent pour le sida, la santé maternelle et la toxicomanie. Nous avons appris qu'il faut dépenser également de l'argent pour la lutte antitabac.
J'ai fait le tour de 26 assemblées législatives l'année dernière, dans les États qui touchent les gros chèques de l'industrie du tabac. Dans l'ensemble, les législateurs disent: «Ces programmes ne marchent pas, ils n'apportent pas grand-chose, c'est une perte de temps, fumer est une décision personnelle, l'État ne devrait pas intervenir dans les familles et dire aux gens comment se comporter, c'est une autre grosse bureaucratie et nous ne voulons plus de bureaucratie, nous avons déjà assez de programmes gouvernementaux».
Mais nous leur répondons: «Attendez un instant, ce sont là des services concrets». Lorsque nous essayons d'empêcher un gamin d'acheter illégalement des cigarettes, cela coûte de l'argent. Lorsque nous offrons des services de sevrage à un fumeur, cela coûte de l'argent. Ce sont des services concrets qui marchent. Nos résultats sont meilleurs que ceux de la campagne contre le sida. Nous faisons mieux. Cela ne signifie pas que le sida n'est pas un fléau, mais nous avons des chiffres qui prouvent que nous épargnons des vies. Avec ces arguments, la plupart des États commencent à engager des ressources sérieuses. Dans certains États, nous ne voyons pas encore de progrès, mais dans l'ensemble les États commencent à bouger.
Les arguments sont irréfutables. Je dis aux législateurs américains: «Voilà pourquoi nous vous payons vos gros salaires, c'est pour prendre ces décisions difficiles». Ils me regardent et répondent: «Vous avez raison».
M. Oliva: C'est une excellente question et je suis heureux que vous l'ayez posée. Presque tout ce que je pourrais dire a déjà été dit, mais ne croyez pas que le fait que la Californie ait un programme en marche depuis 12 ans, localisé au ministère de la Santé de l'État, c'est-à-dire au sein de l'administration gouvernementale, signifie que ce succès soit attribuable au gouvernement. S'il n'y avait pas eu l'initiative des Californiens qui voulaient réduire le fardeau du tabagisme en Californie depuis bien avant 1988, s'il n'y avait pas eu ce référendum d'initiative populaire, nous n'aurions toujours pas de programme de contrôle du tabac aujourd'hui. L'assemblée législative n'aurait pas imposé de taxe. Avant la Proposition 99 en 1988, la taxe sur les cigarettes était de 10 cents le paquet. S'il n'y avait pas eu le référendum initial qui a produit la taxe de 25 cents, nous aurions toujours une taxe de 10 cents sur les cigarettes. Bien que le programme soit maintenant localisé dans l'administration gouvernementale, il a été imposé par l'initiative citoyenne.
M. Mahood: Votre question est excellente, sénateur: pourquoi n'avons-nous pas ces programmes alors qu'ils sont tellement fondés? L'un des fantasmes auxquels les gouvernements fédéraux successifs se livrent depuis quelques décennies est la croyance qu'il serait possible de lutter contre l'épidémie de tabac tout en préservant en même temps l'industrie du tabac. Nous devons faire mieux comprendre que la situation est similaire à celle qu'a connue l'industrie de l'armement à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Lorsqu'une guerre prend fin, on ne passe pas son temps à vouloir préserver l'emploi dans l'industrie de l'armement. On procède aux ajustements et on passe à autre chose.
De la même façon, les travailleurs de l'industrie du tabac ne semblent pas comprendre que l'on ne peut pas indéfiniment mettre en balance l'emploi et la vie des gens. Il y aura des perturbations, mais en fin de compte il y aura davantage d'emplois. Lorsque nous avons mis en place les avertissements, tout a failli échouer parce que certains contrats d'impression partaient aux États-Unis. Il est certain qu'il y aura des perturbations. Mais l'industrie du tabac prélève beaucoup d'argent et crée très peu d'emplois. Lorsque les gens arrêtent de fumer ou s'abstiennent de commencer, l'argent du tabac sera consacré à d'autres achats, qui vont créer davantage d'emplois car il s'agira d'industries à plus forte participation de main-d'oeuvre. Voilà le premier élément.
Le deuxième élément est que nos programmes de contrôle du tabac dans ce pays se heurtent au mur des poursuites judiciaires. Depuis que l'industrie du tabac a entamé ses poursuites en 1988, pratiquement tous nos programmes ont été ralentis et parfois éliminés. Le gouvernement refuse de bouger tant qu'il fait l'objet de poursuites. Or, il faut bien voir que l'industrie du tabac va toujours faire des procès. Nous sommes en procès avec l'industrie du tabac depuis 1988. Ce projet de loi règle le problème car il localise le programme en dehors de l'administration gouvernementale, là où le gouvernement ne peut plus freiner parce qu'il est engagé dans un procès.
Du fait que ce projet de loi crée une fondation autonome, il résoudrait beaucoup de problèmes et lèverait beaucoup de blocages.
Le sénateur Sibbeston: Les témoins relatent leur expérience au niveau des États, là où ils ont fait tout leur travail. Cela m'amène à me demander s'il ne faudrait pas s'attaquer au problème à ce niveau, celui des provinces, qui sont plus proches des collectivités et de la population. Avez-vous une opinion sur ce que nous cherchons à faire au Canada au niveau national? Pensez-vous que nos chances de réussite sont moindres en attaquant le problème sur une base nationale? Ne faudrait-il pas plutôt agir au niveau des provinces?
M. Wolf: On pourrait faire l'analogie avec une chaîne de supermarchés. Une chaîne nationale de supermarchés ne laisserait pas un magasin de Calgary ignorer toutes les décisions d'achat de la chaîne, ignorer toutes les meilleures pratiques et mettre en magasin quoi bon lui semble. Toutefois, on lui permettra de s'adapter à la demande locale, lorsqu'il y a une préférence locale pour certains articles. C'est comme les concessionnaires automobiles. Ford ne dira pas: «Nous allons fabriquer une voiture différente pour la Colombie-Britannique de celle que nous destinons à Ottawa», mais dira: «Nous livrerons davantage de voitures bleues en Colombie-Britannique, car cette couleur y est plus populaire et nous en enverrons davantage de blanches à Ottawa».
Si nous avions le choix, nous opterions pour l'intégration dans un seul grand programme à cause des économies d'échelle, de la possibilité d'acheter l'espace médiatique à l'échelle régionale ou nationale et de produire le matériel pédagogique sur une beaucoup plus grande échelle. Le coût de la publication de matériel pédagogique dans une province ou un État est considérablement plus élevé qu'à l'échelle de tout le pays.
Si nous avons tous travaillé à des programmes au niveau des États, la Legacy Foundation a eu la possibilité d'élaborer un programme national aux États-Unis. Les économies d'échelle pour une campagne médiatique nationale sont bien meilleures que pour un État individuel -- même le plus gros, la Californie -- nous salivons à l'idée d'un programme intégré pour tout le pays comme celui que vous avez la possibilité de mettre en place. C'est une occasion à ne pas manquer.
M. Connolly: Je suis de cet avis. Nous avions un projet de loi dans notre Sénat il y a deux ans, le projet de loi McCain, qui allait consacrer 2,5 milliards de dollars à une campagne nationale, sous forme de subventions données aux États. L'industrie du tabac l'a étouffé. Nous voulions tous cela. Nous ne voulions pas des programmes individuels dans les États. Notre crainte aujourd'hui est que le Massachusetts ait une campagne d'annonces, le Maine une campagne différente et le Vermont encore une autre. Ce sera chaotique et inefficace. Ce ne sera pas une campagne globale. Le Kentucky a un taux de fumeurs double de celui du Massachusetts, pourtant il fait partie du même pays. Il a trois fois le nombre de nouveaux-nés avec déficit pondéral comparé au Massachusetts et il fait partie du même pays.
C'est justement ce que souhaite l'industrie du tabac.
Cela dit, j'aimerais une campagne nationale avec de grosses subventions pour les provinces, afin que toutes les provinces, indépendamment des décisions locales prises, disposent de ressources. Je dis toujours que les campagnes doivent être locales et tonitruantes. C'est le meilleur gage d'efficacité.
Cependant, pour que cela marche bien, il faut faire descendre les ressources nationales au niveau local. Nous préférerions de loin une campagne nationale. Elle serait de bien plus grande qualité que ce que certains États peuvent faire. Elle couvrirait tout le monde. D'une certaine façon, c'est similaire à la campagne pour les droits civils aux États-Unis il y a 30 ou 40 ans. Il y avait une excellente protection des droits civils dans l'État de New York et horrible en Alabama. On voit la même chose avec l'industrie du tabac qui joue les États producteurs de tabac contre les autres.
Le sénateur Banks: Ma question est bassement matérialiste et ennuyante, mais ordinairement une campagne médiatique en Californie coûte à peu près la même chose qu'une campagne à l'échelle du Canada. Je ne sais pas si c'est toujours vrai, mais supposons que oui. Monsieur Oliva, en chiffres absolus, combien dépensez-vous en campagnes médiatiques? Je suppose que vous bénéficiez de certaines annonces de service public. Mais lorsque vous achetez des annonces télévisées aux heures de grande écoute, par exemple, combien cela vous coûte-t-il, si vous connaissez les chiffres par coeur?
M. Oliva: Pour la campagne médiatique à l'échelle de l'État, nous n'utilisons pas les annonces de service public. C'est uniquement de la publicité payante. Nos programmes locaux, qui ont beaucoup moins de moyens, utilisent cette méthode et l'annonce passe à deux heures du matin. Ce n'est pas du tout ce que vise la campagne médiatique à l'échelle de l'État, qui exige une forte présence à la télévision.
Le sénateur Banks: Pourriez-vous nous donner un chiffre approximatif?
M. Oliva: Demandez-vous combien nous dépensons chaque année ou combien nous avons dépensé jusqu'à présent?
Le sénateur Banks: Chaque année. Désolé de poser une question aussi précise. Souhaitez-vous nous donner la réponse par écrit?
M. Oliva: Je pourrais, mais le chiffre se situe entre 10 millions et 15 millions de dollars.
M. Wolf: L'appel d'offres lancé en Californie pour l'année prochaine porte sur 40 millions de dollars, puis 25 millions de dollars chaque année subséquente. C'est une grosse différence. Mais n'oubliez pas qu'il s'agit là uniquement des médias. Il y a beaucoup d'autres dépenses de marketing, en sus.
M. Connolly: Le Massachusetts a une population de 6 millions, mettons un cinquième de la population canadienne. Nous dépensons 16 millions de dollars par an pour toute la publicité, soit à votre échelle environ 90 millions de dollars US. Sur ces 16 millions de dollars, le temps d'antenne télévisé représente environ 8 millions de dollars. Nous obtenons un rabais de 50 p. 100 parce que nous faisons le travail. Si vous allez utiliser nos annonces, nous les offrons à 50 p. 100 de rabais, si bien que le Canada dépenserait 55 millions de dollars rien que pour les médias. Ajoutez encore 90 millions de dollars pour les autres campagnes. Nous avons probablement les annonces que la SRC recommanderait. Elles ne sont pas du niveau de McDonald's, mais proches de celui de Burger King ou de Taco Bell.
Nous avons effectué des études sur les résultats de nos campagnes médiatiques montrant que les enfants qui ont vu les annonces -- nous les avons suivis de 1993 jusqu'à 1998 -- sont moitié moins susceptibles de commencer à fumer. Je parle là des annonces télévisées. La même chose est vraie des affiches ou des imprimés. Nous avons donc prouvé, du moins chez les enfants, que l'exposition de la cohorte aux annonces médiatiques diminue d'environ 50 p. 100 la probabilité de tabagisme.
Le sénateur Cochrane: Avez-vous une idée des montants que l'industrie du tabac consacre à la promotion et à la publicité en Californie?
M. Oliva: C'est 1,5 million de dollars par jour.
M. Connolly: Selon le rapport de la Federal Trade Commission, l'industrie du tabac dépense 5,2 milliards de dollars par an en publicité et promotion. Sur la base du nombre de paquets de cigarettes consommées au Massachusetts, cela fait 129 millions de dollars par an rien que pour notre État. Nous dépensons 16 millions de dollars contre 129 millions de dollars, un rapport de neuf à un. C'est rentable.
Le sénateur Cochrane: Pour six millions d'habitants?
M. Connolly: C'est 129 millions de dollar par an pour 6 millions d'habitants. Le Canada a probablement interdit davantage de formes de publicité que nous, mais ce sont là les chiffres que l'on nous donne. Depuis l'accord global avec l'industrie du tabac, l'affichage publicitaire est interdit parce que nous ne voulons pas que les jeunes soient exposés à la publicité. Que fait l'industrie? Elle prend l'argent des affiches et l'utilise pour des annonces dans les magazines lus par les enfants.
M. Oliva: Je crois que l'industrie dépense environ 500 millions de dollar par an en Californie.
Le sénateur Colin Kenny (président suppléant) occupe le fauteuil.
Le président suppléant: J'aimerais utiliser ma prérogative de président suppléant et poser une question à chacun de vous.
Le comité est saisi d'un projet de loi que vous avez eu l'occasion d'examiner. Dans l'éventualité où nous parviendrions à le faire adopter, pensez-vous qu'il donnera les mêmes résultats ou des résultats similaires à ceux que vous avez obtenus dans vos États?
M. Wolf: Selon ma lecture du projet de loi, vous ferez mieux que nous. Vous aurez l'occasion d'être indépendants, vous pourrez faire un travail intégré tout en ayant une interaction locale. Vous devriez peut-être accroître la participation des jeunes, mais à part cela, je pense que vous réussirez très bien, et peut-être mieux que certains de nos États.
M. Connolly: Étant donné la similitude démographique d'un État comme le Massachusetts et des provinces de l'Est, à tout le moins, il ne fait aucun doute dans mon esprit que vous obtiendrez les mêmes résultats.
M. Oliva: Si vous regardez les populations respectives de la Californie et du Canada, qui sont relativement similaires, vous aurez beaucoup plus de ressources financières que nous et probablement un front beaucoup plus uni. Je pense que vous réussirez très bien, d'autant que vous bénéficierez de l'expérience d'un certain nombre de grands États américains qui ont déjà fait la même chose. Vous avez un canevas solide autour duquel construire un programme fort, ce que nous n'avions pas en Californie. Nous sommes partis de rien, et pourtant regardez à quoi nous sommes arrivés.
Je ne devrais pas dire «partis de rien». Nous avions quelques parcelles de théorie et quelques petites expériences, mais avec ce dont vous disposez comme information sur des campagnes antérieures, vous devriez très bien réussir.
Le président suppléant: Merci. Au nom du comité, je vous remercie, messieurs, d'être venus d'aussi loin et de nous avoir fait part de vos connaissances sur le contrôle du tabac aux États-Unis. Vous êtes un groupe remarquable.
La séance est levée.