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NFFN - Comité permanent

Finances nationales

 

Délibérations du comité sénatorial permanent
des finances nationales

Fascicule 11 - Témoignages


OTTAWA, le mercredi 10 mai 2000

Le comité sénatorial permanent des finances nationales auquel a été renvoyé le projet de loi S-13, Loi visant à favoriser la prévention des conduites répréhensibles dans la fonction publique en établissant un cadre pour l'éducation en ce qui a trait aux pratiques conformes à l'éthique en milieu de travail, le traitement des allégations de conduites répréhensibles et la protection des dénonciateurs, se réunit aujourd'hui à 17 h 53 pour examiner le projet de loi.

Le sénateur Anne C. Cools (présidente suppléante) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente suppléante: L'ordre de renvoi que nous considérons aujourd'hui concerne le projet de loi S-13. Comme vous le savez, honorables sénateurs, il s'agit d'un projet de loi d'initiative parlementaire qui est l'aboutissement d'un travail considérable. Les témoins que nous accueillons aujourd'hui représentent le Secrétariat du Conseil du Trésor.

Mme Joanne Toews, secrétaire adjointe, Planification et analyse stratégiques, Direction des ressources humaines, Secrétariat du Conseil du Trésor: Nous vous remercions de nous avoir invités à parler du projet de loi. Le sujet intéresse vivement le Secrétariat du Conseil du Trésor, et nous sommes heureux d'avoir la possibilité de vous mettre au courant des initiatives que nous avons lancées relativement au dossier des valeurs et de l'éthique dans la fonction publique et par extension, au sujet de la dénonciation.

Premièrement, nous aimerions vous donner une idée du contexte dans lequel opère actuellement la fonction publique. À notre avis, la dénonciation est une question dont on ne peut pas traiter isolément. Il faut tenir compte du contexte et de la culture de la fonction publique fédérale. Vous le savez tous, la fonction publique du Canada, a subi d'importants changements au cours des dix dernières années, une évolution qui a commencé avec l'initiative Fonction publique 2000, laquelle a été suivie par une série de réformes qui ont modifié le climat de la fonction publique.

Cependant, on a toujours reconnu l'importance de préserver des normes professionnelles élevées. De fait, au cours des cinq dernières années les valeurs et l'éthique ont fait l'objet d'une attention toute particulière. Permettez-moi de vous citer plusieurs cas où l'on a souligné effectivement l'importance des valeurs et de l'éthique au cours des cinq dernières années.

La première initiative en ce domaine est le rapport de 1995 du vérificateur général du Canada. On y trouvait un chapitre intitulé «La sensibilisation à l'éthique et à la fraude au gouvernement». Le vérificateur général concluait qu'il existait au sein du gouvernement fédéral une solide base de normes professionnelles, mais que certains domaines étaient vulnérables. Il recommandait également la mise en place d'un cadre d'éthique au gouvernement, qui incluait un certain nombre d'importants éléments comme un énoncé de principes, des précisions sur le rôle du leadership et de chaque fonctionnaire, et qui soulignait la nécessité de la transparence du processus décisionnel, d'une formation en matière d'éthique et d'un mécanisme de discussion et de communication, afin que les employés puissent exprimer leurs préoccupations sans crainte de représailles.

Ainsi, le vérificateur général recommandait l'instauration d'un cadre d'éthique complet au sein du gouvernement. Nous estimons qu'un tel cadre est nécessaire. Tenir compte d'un seul aspect de la question ou lancer des initiatives axées sur quelques éléments isolés ne permettrait pas nécessairement d'obtenir les résultats escomptés.

Une autre étape importante au cours des cinq dernières années a été la publication du rapport du Groupe de travail sur les valeurs et l'éthique dans fonction publique, à la fin de 1996. Ce rapport, intitulé: «De Solides assises», est mieux connu sous le nom de rapport Tait. Vous en connaissez bien la teneur, je crois. Cette initiative a été lancée en 1995, au cours de la retraite annuelle des sous-ministres, lorsqu'on a fait des valeurs et de l'éthique l'un des neuf principaux éléments du programme de changement et de renouveau de la fonction publique.

Dans ce rapport, on classait les valeurs à respecter au sein de l'administration publique en quatre catégories. On y soulignait que la fonction publique devait discuter de ces valeurs, les redécouvrir, s'engager à nouveau à les respecter et poursuivre un dialogue sur les valeurs et l'éthique. Au départ, l'objectif de ce dialogue était de sensibiliser davantage les fonctionnaires aux valeurs en question, de cerner les véritables enjeux et problèmes sur les lieux de travail et de mobiliser les employés pour les régler ou y apporter les correctifs nécessaires.

La troisième étape cruciale a été la publication, en 1996, du document intitulé: «Modernisation de la fonction de contrôleur au gouvernement du Canada». Ce rapport a été rédigé par un groupe de spécialistes des secteurs public et privé. On y proposait une toute nouvelle philosophie et approche de gestion. En 1997, les ministres du Conseil du Trésor ont approuvé les recommandations et en 1998, un projet a été lancé pour les mettre en oeuvre. Cinq des principaux ministères ont participé à ce projet pilote. À l'heure actuelle, 12 ministères participent à la mise en oeuvre de ces recommandations.

Le rapport en question préconisait une méthode de gestion s'appuyant sur quatre principaux éléments: la collecte de données sur le rendement -- faisant le lien entre des informations financières et non financières en mettant davantage l'accent sur la mesure du rendement; un cadre de travail pour la gestion du risque au sein de la fonction publique; un examen du système de contrôle et des processus de responsabilisation au sein du gouvernement; et enfin, les valeurs et l'éthique. L'objet de la réforme de la gestion touchant les valeurs et l'éthique était de s'assurer qu'elles imprègnent les pratiques professionnelles qui sont au coeur du leadership de gestion dans le cadre du processus décisionnel.

Au début de 1999, le greffier du Conseil Privé a encore une fois souligné la nécessité de relancer le dialogue sur les valeurs et l'éthique et a nommé deux sous-ministres pour en faire les champions -- Mme Janice Cochrane, sous-ministre de Citoyenneté et Immigration Canada, et M. Scott Serson, président de la Commission de la fonction publique. À la même époque, le Secrétariat du Conseil du Trésor a établi un nouveau Bureau des valeurs éthiques dans la fonction publique. Ted Marks, mon collègue, est le directeur exécutif de ce bureau qui collabore étroitement avec les deux co-champions pour appuyer le programme du gouvernement sur les valeurs et l'éthique. Il existe également un comité consultatif dont les membres représentent les ministères, les groupes d'intérêts, les syndicats et les régions.

Les deux co-champions, avec l'appui du Bureau des valeurs éthiques, ont fait le bilan des progrès réalisés depuis la parution du rapport Tait. Ils ont découvert que le lancement du dialogue sur les valeurs et l'éthique avait donné des résultats qui variaient beaucoup d'un ministère à l'autre. Dans certains ministères, on avait mis en oeuvre d'excellents programmes d'éthique, et le dialogue sur les valeurs se poursuivait, alors qu'ailleurs, on avait créé des postes de médiateurs pour permettre aux employés d'exprimer leurs préoccupations dans un contexte autre que la structure formelle d'autorité.

Dans le prolongement de ce premier bilan sur les initiatives lancées au sein de la fonction publique, le 13 janvier dernier, les deux co-champions ont présenté aux sous-ministres un programme portant sur les valeurs et l'éthique dans la fonction publique. Ce programme est un plan d'action pour les deux prochaines années qui porte principalement sur la mise en oeuvre, dans la fonction publique, d'un cadre éthique où l'on met l'accent sur la nécessité d'intensifier le dialogue, afin de sensibiliser davantage les fonctionnaires aux valeurs de la fonction publique. Le programme prévoit également l'élaboration d'une politique et l'examen des possibilités qui s'ouvrent en la matière pour faire de la dénonciation un mécanisme interne permettant de divulguer les conduites répréhensibles des fonctionnaires.

Il est important d'expliquer ce contexte parce que toute réforme touchant les valeurs et l'éthique doit se faire dans le cadre actuel de la gestion et de la culture de la fonction publique.

Avant de passer la parole à M. Marks, qui va vous parler du projet de loi, j'aimerais souligner deux choses. Premièrement, je suis d'accord avec vous, il est temps d'examiner la question de la dénonciation. Deuxièmement, nous considérons qu'il s'agit d'une question délicate qui ne peut pas être traitée isolément, mais que l'on doit inscrire dans le contexte de la mise en oeuvre d'un cadre de travail sur l'éthique et les valeurs du gouvernement, dans leur ensemble.

M. Ted Marks, directeur exécutif, Bureau des valeurs éthiques, Direction des ressources humaines, Secrétariat du Conseil du Trésor: Nous avons cerné trois principaux sujets de préoccupation et quelques-uns qui sont plus techniques. Je vais en parler par ordre d'importance.

Tout d'abord, il y a les pouvoirs du commissaire et l'avis à un ministre. La responsabilisation des ministres et des sous-ministres constitue les bases d'une bonne gestion des affaires publiques au sein d'une société démocratique. Il se peut que le projet de loi S-13 mine cette responsabilisation de la manière suivante: les articles 13 et 14 semblent donner au commissaire le pouvoir d'accepter ou de rejeter une allégation, de faire enquête et de préparer un rapport écrit des conclusions et recommandations. Il s'agit donc d'une tierce partie qui supplante un sous-ministre dans l'exercice de ses responsabilités opérationnelles. Il semble que cela soit limité aux recommandations, mais le paragraphe 4(3) permettrait au commissaire d'exercer tout pouvoir dont jouit un commissaire de la fonction publique en vertu de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique. Cela signifie que le commissaire aurait non seulement le pouvoir de recommander, mais également d'approuver les mesures appropriées et, en vertu des articles 7.1 à 7.5 de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique, de mettre ces mesures à exécution lui-même. Il s'agit donc d'une tierce partie qui impose une décision à un ministre et à un sous-ministre.

En permettant de signifier un avis au ministre, la structure proposée entamerait l'autorité et la responsabilité de gestion d'un administrateur général. Le ministre serait obligatoirement impliqué dans la gestion des ressources humaines du ministère. De notre point de vue, les administrateurs généraux sont les mieux placés pour gérer les dénonciations internes et faire le nécessaire et, étant donné l'autorité de gestion qu'ils détiennent, ils sont également idéalement placés pour assurer la protection contre les représailles.

Le deuxième point porte sur la confidentialité. Le projet de loi S-13 serait assujetti aux dispositions de la Loi sur la protection des renseignements personnels, à moins qu'il ne vise à se soustraire à son application au moyen d'une exclusion ou d'une exemption. Cela implique, à notre avis, que l'on ne peut pas garder absolument confidentielle l'identité du délateur, notamment si, dans son allégation, cette personne fait précisément référence à la conduite d'un autre fonctionnaire. L'accusé a le droit de connaître le nom du dénonciateur et la nature de la plainte. Si cela n'est pas déjà fait, nous recommandons des consultations avec le Commissaire à la protection de la vie privée. D'ores et déjà, il faut que les employés soient clairement informés des limites relatives à la confidentialité avant de faire toute dénonciation.

Troisièmement, nous nous inquiétons du champ d'application du projet de loi. Selon l'article 3, l'expression «fonction publique» désigne les secteurs de l'administration publique fédérale auxquels s'applique la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique. Le terme «fonctionnaire» s'entend au sens de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique. Ces deux lois n'ont pas le même champ d'application.

En conséquence, il se pourrait que les gens n'aient pas les mêmes droits en ce qui concerne la formulation d'une dénonciation et la protection que procure ce projet de loi. Par exemple, le projet de loi S-13 assurerait la protection des employés des ministères, mais pas de ceux qui travaillent pour des employeurs ou organismes distincts qui ne sont pas assujettis à la Loi sur l'emploi dans la fonction publique, par exemple, l'Agence des douanes et du revenu du Canada. Une dénonciation faite par un employé de l'agence ne serait pas couverte par la loi. En revanche, une dénonciation faite par un employé d'un ministère, même si elle concerne une situation dans un organisme comme l'agence, entraînerait l'application complète du projet de loi S-13.

En ce qui concerne l'éducation, étant donné les nombreuses initiatives lancées au sein des ministères et la très importante contribution à l'intégration des valeurs et de l'éthique que représentent tous les programmes de développement du leadership et de la gestion mis sur pied par le Centre canadien de gestion, il est difficile de voir comment un commissaire, agissant seul et à temps partiel et disposant de ressources limitées, pourrait intervenir sans que cela entraîne une certaine confusion ni des chevauchements.

En ce qui concerne le principe de l'ancienneté, le paragraphe 19(2) définit «mesure disciplinaire» comme étant toute mesure négative concernant le fonctionnaire ou ses conditions de travail et comprend, sous l'alinéa c), des mesures touchant l'ancienneté. Nous recommandons que la référence à «l'ancienneté» soit supprimée. Cela ne s'applique pas à la fonction publique étant donné que notre système est basé sur le principe du mérite et non de l'ancienneté.

Ma dernière observation porte sur les sanctions. Nous estimons que l'éventualité de sanctions criminelles, comme cela est stipulé dans le projet de loi S-13, serait porteuse de tensions sur les lieux de travail, à l'heure même où nous mettons l'accent sur la confiance, la cohésion et l'acquisition d'un sens poussé des valeurs organisationnelles.

En résumé, nous savons qu'il y a encore du travail à faire sur la question des valeurs et de l'éthique et que nous pouvons faire mieux. Nous savons que nous n'avons pas nécessairement assuré à nos employés qu'ils pouvaient formuler de bonne foi leurs plaintes et leurs préoccupations sans crainte de représailles. Nous reconnaissons que l'absence de paramètres clairs pour encadrer la question n'appuie pas de façon adéquate la réforme et la modernisation de la gestion dont j'ai parlé -- notamment pour ce qui est d'assurer que nous travaillons dans un environnement ouvert, accessible, fondé sur des valeurs et axé sur les résultats. Nous reconnaissons également que la question des valeurs et de l'éthique est complexe et qu'il s'agit d'un élément important pour garantir une fonction publique saine.

Sur la scène internationale, notre pays est considéré comme l'un des meilleurs au monde. Nous occupons le cinquième rang de l'Index des perceptions de la corruption mis au point par la firme Transparency International. Le Canada est également un participant hautement respecté aux discussions sur les valeurs et l'éthique au sein de l'OCDE. Ici, même, plusieurs sondages réalisés ces dernières années indiquent que les Canadiens ont une grande confiance à l'égard de la fonction publique.

Toutefois, nous savons qu'il y a des choses qui pourraient être améliorées. Il faut bien souligner que de nombreuses initiatives sont en cours dans le cadre du plan d'action des deux champions. Nous sommes en train d'élaborer des instruments de travail pour aider les ministères à faire avancer leur processus de dialogue, en collaboration avec le Centre canadien de gestion. Des tables rondes mensuelles sont organisées pour discuter de dilemmes éthiques. Nous sommes en train de réviser les politiques sur les conflits d'intérêts ainsi que le code régissant l'après-mandat dans la fonction publique. Nous organisons des séances de formation et d'apprentissage pour les gestionnaires intermédiaires et tous les nouveaux employés, afin de compléter les cours offerts par le Centre canadien de gestion. Nous collaborons avec les conseils régionaux pour promouvoir une gestion de la fonction publique basée sur les valeurs et l'éthique. Nous travaillons avec le Bureau de la modernisation de la fonction du contrôleur et les ministères afin d'améliorer la mise en oeuvre du volet sur les valeurs et l'éthique de la réforme de la gestion. Au cours des prochains mois, nous ouvrirons un nouveau site Web sur les valeurs et l'éthique qui constituera, pour les fonctionnaires, un centre d'information et de communication permettant d'avoir facilement et rapidement accès aux meilleures pratiques et à l'interprétation des politiques.

Pour conclure, le Secrétariat du Conseil du Trésor préférerait que la question de la dénonciation soit intégrée dans un cadre général relatif aux valeurs et à l'éthique. Nous sommes en train de préparer un tel cadre, comprenant notamment plusieurs options en matière de politique sur la divulgation ou la dénonciation. Nous serions heureux de venir vous présenter une mise à jour une fois que notre travail sera plus avancé.

Le sénateur Bolduc: Êtes-vous pour ou contre le projet de loi? Vous vous êtes montrés diplomates en nous expliquant votre point de vue. Vous nous avez donné le cadre nécessaire, mais j'aimerais savoir quelle est votre position vis-à-vis le projet de loi. Je sais que c'est gênant pour des fonctionnaires d'exprimer des opinions directes sur la politique gouvernementale, mais j'ai l'impression que vous préféreriez voir le projet de loi disparaître. Je dois dire que je suis surpris.

Mme Toews: Ce que nous préférerions, c'est que l'on discute d'un cadre complet relatif aux valeurs et à l'éthique. Dans ce cadre, nous aimerions considérer plusieurs options concernant la politique sur la dénonciation, y compris la possibilité de légiférer à un moment donné.

Le sénateur Bolduc: Vos arguments ne sont pas très forts. Qu'il s'agisse des pouvoirs, de l'avis à un ministre ou du problème de la responsabilité du ministre, les arguments que vous avez présentés ne sont guère solides. Nous ne changeons pas cela. Le projet de loi s'inscrit justement dans ce cadre. Je suis un peu surpris. Je peux comprendre le problème que pose le champ d'application du projet de loi, mais si vous attendez que ce problème soit résolu parce que tous les fonctionnaires seront sensibilisés à la question, nous serons morts avant que l'on en arrive là.

Le sénateur Kinsella: Je remercie les témoins du Conseil du Trésor. Le travail de votre organisation sur ces dossiers est très important. Mes félicitations à tous ceux qui participent à ces travaux.

Premièrement, en ce qui concerne le document qui a été publié en janvier 2000, le plan d'action, pourriez-vous nous en dire un peu plus? Pourrions-nous avoir copie de ce document?

M. Marks: Nous en avons laissé un exemplaire au greffier. Des explications sur les initiatives en cours sont incluses.

Le sénateur Kinsella: Pourriez-vous nous résumer brièvement en quoi cela consiste et comment le problème de la législation sur la dénonciation s'inscrit dans ce cadre?

M. Marks: Le principal objectif du plan d'action est de favoriser l'engagement d'un dialogue dans toute la fonction publique. En particulier, en ce qui concerne les ministères, on encourage la poursuite d'un dialogue qui permettra aux fonctionnaires d'exprimer certaines valeurs et de considérer certains dilemmes éthiques. C'est une expérience éducative. Il s'agit de cerner et de formuler des valeurs qui s'appliquent à divers ministères. Comme nous le savons, les programmes lancés au sein des ministères sont très différents et appuient une hiérarchie de valeurs qui est également différente. Or, le plan d'action représente un engagement concernant toutes les régions et tous les employés, à tous les niveaux. Les co-champions cherchent à appuyer leurs collègues sous-ministres dans toute la fonction publique et à les aider à lancer et à poursuivre ce dialogue.

Un des volets du plan d'action à propos duquel vous demandez des précisions porte précisément sur la divulgation de conduites répréhensibles. La dénonciation interne est un des sujets abordés dans le plan d'action élaboré au printemps dernier et déposé à la réunion des sous-ministres en janvier. Il s'agit des interventions de bonne foi que pourraient faire des employés qui sont préoccupés par certaines choses, et l'on reconnaît qu'il y a une lacune dans le système, comme l'a souligné Mme Toews, étant donné que nous n'avons pas discuté comme il se doit de l'instauration, au sein de la fonction publique, de mécanismes de soutien pour les employés et pour d'autres, et que nous n'avons pas non plus exploré les options en la matière.

Le sénateur Kinsella: Voilà un plan d'action tout à fait méritoire. J'aimerais encourager ceux qui participent à sa mise en oeuvre à poursuivre vos objectifs.

Je suis d'accord avec le principe sur lequel semble reposer le plan d'action. Il est très important de résoudre les problèmes qui se font jour au sein d'une organisation. Autrement dit, les ministères sont les mieux placés pour s'occuper des cas de conscience et des dénonciations. Il devrait y avoir un mécanisme qui implique les ministères. Le projet de loi S-13 et cet objectif partent du même principe. L'éducation du public, la sensibilisation permanente et les diverses méthodes à utiliser pour parvenir à cela au sein de la fonction publique -- pour que les fonctionnaires soient sensibilisés non seulement aux valeurs, aux principes et aux normes, mais qu'ils connaissent également les mécanismes qui permettent de traiter des problèmes pratiques -- tout cela est couvert par le projet de loi.

Je suis en faveur du projet de loi et je cherche une solution pratique et applicable. Nous avons besoin d'un texte législatif sur la dénonciation, et c'est très important pour moi de trouver le modèle qui convient.

Vous avez réfléchi sur cette initiative, mais avez-vous fait des études comparatives sur ce que font d'autres autorités compétentes en la matière à travers le monde? Vous avez fait allusion à certaines études faites à l'étranger, et je suis d'accord avec vous, le Canada peut se féliciter d'avoir une fonction publique de première classe. Existe-t-il dans d'autres juridictions un mécanisme pour traiter ce problème? Peut-on en tirer des leçons?

Mme Toews: Oui. Nous avons examiné certains moyens employés par d'autres pays pour traiter de la question. Je vais demander à M. Marks de parler de l'analyse que nous avons faite à ce sujet.

M. Marks: Nos recherches en la matière sont en cours, et notre analyse n'est pas complète. La législation américaine sur la dénonciation a beaucoup plus tendance à encourager les gens à jouer le rôle de chiens de garde, et elle est utilisée principalement comme recours dans les cas de congédiements injustifiés, plutôt que comme un processus de divulgation en soi. Cette législation s'inscrit dans le cadre d'un environnement qui, aux États-Unis, est hautement réglementé, combatif, antagoniste et procédurier. Nous craignons que la législation complexe du Royaume-Uni ait les mêmes caractéristiques.

Le sénateur Kinsella: Essentiellement, quelle est la différence entre les législations américaine et britannique?

M. Marks: Dans la législation britannique, on prévoit trois niveaux de divulgation. Je sois dire que ne sais pas exactement de quoi il retourne. Je peux vous donner des renseignements de référence, mais je ne peux pas vous résumer de tête les conclusions de cette analyse. Quant à la législation américaine, elle a surtout pour but de promouvoir et de récompenser la divulgation de l'utilisation détournée et abusive des ressources du gouvernement fédéral. Beaucoup d'États n'ont pas adopté de législation semblable, même si certains l'ont fait.

Le sénateur Kinsella: Au Canada, quel genre d'organisation ou d'agent de l'État pourrait servir de modèle? Par exemple, il y a au Canada toute une série de médiateurs. Il y a également des organismes de défense des droits de la personne et d'autres organisations semblables qui protègent les droits des citoyens. Avez-vous examiné certains de ces modèles et exploré l'expérience canadienne en la matière, pour voir si nous pourrions en tirer des leçons pour répondre d'une façon typiquement canadienne à ce besoin?

M. Marks: Oui, nous nous y intéressons. Il existe en Colombie-Britannique un texte législatif en vigueur. En Ontario, la loi a été adoptée, mais jamais promulguée après que le gouvernement a changé il y a quelques années.

Vous avez tout à fait raison; vous connaissez très bien la façon dont fonctionne les organismes de défense des droits de la personne du pays.

Au gouvernement fédéral, il y a des médiateurs, des commissaires, le Commissaire à la protection de la vie privée et le Commissaire aux langues officielles qui sont, en quelque sorte, également des médiateurs. Nous avons entrepris beaucoup de recherches en ce domaine. J'ai des exemples de textes législatifs de diverses provinces.

Comme l'a dit Mme Toews plus tôt, ces travaux sont en cours. Pour nous, l'étude cadre est très importante. Nous voulons absolument ne pas tomber à côté. Nous nous informons en consultant ces textes.

Le sénateur Kinsella: Au niveau fédéral, dans la Loi sur l'environnement adoptée l'an dernier par le Parlement, il y a une disposition concernant la dénonciation et la protection des dénonciateurs. Qu'en pensez-vous? Qu'est-ce que cela peut nous apprendre à l'heure où nous essayons d'élaborer un projet de loi qui s'appliquera dans tout le système? J'ai trouvé intéressant d'inscrire ce projet de loi dans le cadre de l'éthique et des valeurs. Est-ce que l'expérience que nous tirons de ces mécanismes spécifiques, comme celui qui existe dans la Loi sur l'environnement, peut constituer un contexte au plan de l'éthique et des valeurs ou non? Quelles leçons pouvons-nous tirer de notre propre expérience fondée sur les quelques exemples dont nous disposons?

M. Marks: Les modifications apportées récemment à la Loi canadienne sur la protection de l'environnement prévoient un appui pour les gens qui, dans l'intérêt public, signalent des violations à cette loi. Cela couvre les employés des entreprises du secteur public qui peuvent contrevenir à la loi. Par conséquent, l'objet de ce texte est tout à fait différent. Cependant, le principe s'inscrit dans le contexte des valeurs et de l'éthique, étant donné qu'il est étroitement lié à l'intérêt public. C'est la même chose en ce qui concerne les autres exemples que l'on trouve dans la Loi sur la protection des renseignements personnels et la Loi sur le ministère de l'Industrie.

Le sénateur Kinsella: Nous devons faire quelque chose pour que le fonctionnaire qui participe à ces divers dialogues et qui veut que sa conduite respecte toujours les nomes les plus élevées lorsqu'il est confronté à quelque chose de répréhensible ou à quelque chose qu'il considère comme illégal puisse, dans l'intérêt public, signaler cela aux autorités appropriées sans risquer sa carrière. C'est cela qui est crucial. C'est peut-être une question de bon sens pratique -- mais agir selon sa conscience n'est rien d'autre que faire preuve de bon sens pratique, n'est-ce pas? Les gens prennent en compte de nombreux facteurs, et il est bien logique, n'est-ce pas, qu'ils prennent en compte les répercussions que pourrait avoir la dénonciation d'un acte illégal ou immoral sur le déroulement de leur carrière. Ils ne devraient pas avoir à porter ce fardeau.

Mme Toews: Il ya a là une lacune. Parmi les options que nous voulons prendre en considération en ce qui concerne la politique, il y a les mécanismes qui devraient être instaurés dans un ministère de façon à ce que les employés puissent, s'ils sont confrontés à un problème d'éthique, le signaler au sein de leurs propres organisations ou ailleurs en toute sécurité en ce qui concerne leur carrière. C'est définitivement ce que nous cherchons. Nous sommes convaincus, comme vous, qu'il est nécessaire de combler cette lacune.

Le sénateur Kinsella: D'après notre expérience et les informations dont nous disposons, nous savons que les gens qui exercent des représailles appartiennent le plus souvent, pour reprendre l'expression utilisée dans la fonction publique, au ministère concerné. Comment réglez-vous ce problème? J'ai noté vos réserves à propos de l'intervention du commissaire de la fonction publique à titre de tierce partie, mais est-ce que l'idée de l'intervention d'une tierce partie empêche que la responsabilité de trouver une solution au problème reste entre les mains du sous-ministre, comme nous le souhaitons? Pratiquement, la personne qui autorise la mesure disciplinaire est le sous-ministre. Comment contournez-vous ce problème?

Mme Toews: On pourrait mettre en place certains mécanisme au sein des ministères et d'ailleurs, il en existe déjà dans certains d'entre eux où l'on a créé un poste de médiateur. Par le biais des bureaux de vérification et d'évaluation, les employés peuvent déjà, au sein de leur propre organisation, faire une dénonciation sans avoir à passer par une filière hiérarchique ni par des gens qui, selon eux, ont une conduite répréhensible. Il faut officialiser tout cela. Il faut prendre en compte les cas où ces méthodes ne marchent pas au sein d'un ministère et combler cette lacune. Quelle est l'étape suivante? C'est clair, nous savons qu'il existe une lacune dans certains ministères et qu'il faut trouver autre chose si ces mécanismes ne fonctionnent pas.

Le sénateur Finestone: Vous faites face à un dilemme intéressant. Mon problème à moi, c'est le retard incroyable que l'on a mis à s'occuper de cette question. J'ai été ravie lorsque le sénateur Kinsella a déposé ce projet de loi. Il était plus que temps, à une époque où l'on travaille selon la formule du juste à temps et où notre personnel subit beaucoup de stress.

C'est au début des années 90 que l'on a dû commencer à travailler sur un rapport déposé en 1995. Nous sommes maintenant au début d'un nouveau siècle. Ne pensez-vous pas que vous êtes un peu lents et pontifiants? Ce document parle d'engager un dialogue, d'insuffler de nouvelles énergies, de se concentrer sur une déclaration et sur les questions institutionnelles. Vous parlez même d'un lexique.

Si j'étais un employé qui cherche une compensation pour quelque chose qui a perturbé ma vie, qui a probablement perturbé mon sommeil et ma famille, cela ne m'encouragerait pas beaucoup. Je ne me rabattrais pas sur le Prozac, j'espère bien, puisque que les journaux nous disent aujourd'hui que c'est mauvais pour la santé.

Mme Toews: Premièrement, des mécanismes existent déjà au sein des ministères et les employés les utilisent. Ce sont des mécanismes auxquels on a recours depuis de nombreuses années.

Deuxièmement, l'instauration d'un processus officiel a pris un certain temps. La culture, au sein de la fonction publique, a changé. Comme vous l'avez reconnu vous-même, il y a eu un examen approfondi des programmes. Nous travaillons avec des ressources plus rares. De nombreuses organisations ont adopté des modes de prestation de services différents. Parallèlement, nous avons inscrit notre action auprès du public dans l'ouverture et la transparence. La fonction publique est maintenant dotée d'un nouveau processus de reddition de comptes. Les réformes se sont succédé. Les valeurs et l'éthique sont des éléments clés de ces réformes, lesquelles prennent du temps à mettre en oeuvre.

Au cours de l'année écoulée, nous nous sommes rendu compte que nous devions accélérer le rythme, pas seulement au niveau du dialogue, mais pour cerner les lacunes qui existent dans la politique. Oui, nous avons du retard, mais il y a de bonnes raisons à cela. La culture de l'organisation a changé de façon spectaculaire au cours des cinq dernières années, et nous ne travaillons plus du tout de la même façon à l'interne et avec le public.

Le sénateur Finestone: Une des valeurs clés pour les travailleurs canadiens, c'est la diversité. L'analyse des sexospécificités et la diversité culturelle ont un impact sur la vie des hommes et des femmes. N'avons-nous pas énormément tardé à nous mettre au pas? Cela fait déjà un bon bout de temps que le Canada est une société multiculturelle.

Mme Toews: Est-ce que votre question s'inscrit dans le contexte de la dénonciation ou du respect des valeurs et de l'éthique?

Le sénateur Finestone: Je vais vous donner un exemple. Depuis des années, j'entends dans mon bureau des gens qui se plaignent d'être victimes de discrimination, d'avoir un horizon bouché, de ne pas pouvoir saisir les occasions de promotions; et ce ne sont pas seulement des femmes, mais également des membres de minorités visibles dont certains sont ici depuis 25 ans. Ils se plaignent de ne pas avoir de perspectives ni de mobilité au sein de la fonction publique. Je vous le demande: passer de l'action positive à l'équité en matière d'emploi ouvre-t-il des perspectives d'avenir et cela ne se résume-t-il pas à offrir davantage de postes de débutant? Cette situation est la source de plaintes et de dénonciations éventuelles, et il en est ainsi depuis déjà quelque temps. Il y a beaucoup de mécontents dans les rangs.

Mme Toews: Je vois ce que vous voulez dire. La Loi canadienne sur les droits de la personne permet aux gens de déposer une plainte pour discrimination.

Le sénateur Finestone: Cela prend environ cinq à dix ans, et le travail que cela implique est lourd et difficile.

Mme Toews: Je ne suis pas certaine que le projet de loi traite des questions de ce genre. Nous avons adopté une approche proactive dans le dossier de l'équité en matière d'emploi. Il y a un groupe de travail qui examine de près le dossier des minorités visibles et un autre qui étudie comment la fonction publique pourrait être plus intégrante et plus représentative. La législation est en place, mais nous voulons être proactifs.

Le sénateur Finestone: Vous dites -- mais vous ne l'avez encore pas fait -- que vous allez réanimer, recentrer et réactiver un dialogue. Ensuite, vous allez faire un lexique et simplifier le langage utilisé en la matière.

La Constitution canadienne, article 15, définit déjà le système de valeurs. Nous devons représenter la diversité du Canada et de nos caractéristiques démographiques, selon la région de notre vaste pays dans laquelle nous vivons. La discrimination existe. Lorsque je lis ici quelles sont vos intentions, j'ai bien peur qu'il faille une éternité pour mener à bien ce projet. Le projet de loi sur la dénonciation a été déposé, et c'est maintenant que nous en avons besoin. S'il y a des amendements constructifs à y apporter, j'aimerais les connaître. Rejeter ce texte parce que le sous- ministre pourrait s'offusquer de ne pas avoir eu son mot à dire, ce n'est pas une raison.

La présidente suppléante: Sénateur, vous avez fait des adeptes. J'aimerais rappeler le Règlement: c'est un comité du Sénat qui siège ici et, même si je peux comprendre que certaines personnes dans l'auditoire ont des opinions tranchées, nous ne pouvons tolérer les applaudissements. Vous êtes libres d'avoir toutes les convictions que vous voulez.

Le sénateur Finestone: Je suis désolée. Je ne disais pas cela du tout par plaisanterie. Nous faisons traîner en longueur un dossier qui a trait aux droits de la personne. Lorsque vous dites que les employés ont déjà accès à la Commission des droits de la personne, je dois dire que c'est un moyen inefficace pour la plupart de gens. Cela leur demande trop de temps.

Par ailleurs, je ne plaisantais pas non plus tout à l'heure à propos du Prozac. C'est un produit qui a des effets très nocifs sur la façon dont les gens sont capables de faire face aux problèmes. Cela peut avoir des conséquences sur votre famille et vos enfants. Ce n'est pas sain.

Comment pouvons-nous nous y prendre pour modifier ce projet de loi sur la dénonciation de façon à ce que le sous-ministre soit content et que cette importante question soit réglée? Avez-vous, l'un ou l'autre, une réponse à donner, à part dire que l'on devrait rejeter le projet de loi?

M. Marks: Non.

Mme Toews: Je n'ai pas de réponse à vous donner.

Le sénateur Kinsella: Je pense que nous ramons tous dans le même sens. J'accepte ce que nous disent les témoins. C'est reconnaître que le monde a changé, que les entreprises, y compris les entreprises publiques et les organisations du gouvernement du Canada non seulement le reconnaissent, mais souhaitent oeuvrer en ce sens. Nous devons trouver les mécanismes nécessaires. Nous voulons nous assurer que le projet de loi sur lequel travaille le comité est le meilleur projet de loi possible. Nous vous remercions de participer au débat, car cela nous permet de comprendre ce que vous faites. Nous n'avons pas d'idées préconçues. Les membres du comité sont tout à fait disposés à recevoir le genre de conseils que vous leur donnez.

Le sénateur Finestone: Le Conseil du Trésor supervise beaucoup de choses. Il y a le projet de loi C-6, qui vient juste d'obtenir la sanction royale et dont mon collègue a parlé lorsqu'il a mentionné le projet de loi sur l'environnement. J'aimerais attirer votre attention sur les dispositions concernant la dénonciation que l'on trouve dans les projets de loi sur la protection des renseignements personnels et sur l'économie. Pourquoi pouvez-vous faire adopter par le gouvernement un projet de loi qui comporte des dispositions importantes sur la dénonciation, des dispositions qui, manifestement, satisfont le sous-ministre? Qu'est-ce qu'ils ont donc vos sous-ministres?

Le sénateur Kinsella: Ne vous aventurez pas sur ce terrain.

Le sénateur Finestone: Je ne peux pas faire cela; vous avez raison. Je retire cette question. Je n'aurais pas dû la poser.

Quoi qu'il en soit, est-ce que l'on a examiné cela? Savez-vous quelle est la portée de cette disposition sur la dénonciation?

Mme Toews: Nous sommes au courant de ces projets de loi, oui; et nous les avons examinés.

Le sénateur Finestone: Pensez-vous qu'ils pourraient vous servir d'exemples pour déterminer les mesures qui doivent être prises?

M. Marks: La législation des provinces et notre expérience au niveau fédéral nous guident, oui, mais l'étude que nous avons entreprise, l'expérience éducative, vient juste de commencer. Je m'excuse, mais nous progressons aussi vite que possible. Comme l'a dit Mme Toews, nous serions très heureux de comparaître à nouveau devant le comité.

Le sénateur Finestone: Ma dernière question porte sur la protection des délateurs aux États-Unis. J'ai devant moi un discours intéressant d'Elaine Kaplan. Je suis d'accord avec vous, ce texte législatif est principalement ciblé sur la lutte contre la corruption au sein du gouvernement. Le Canada, du moins je l'espère, s'intéresse à autre chose; pas seulement à la corruption. Est-ce là ce que vous vouliez souligner?

M. Marks: C'est exact.

Le sénateur Finestone: C'est de plus large portée et c'est fondé sur l'éthique et les valeurs?

Mme Toews: Oui, tout à fait.

Le sénateur Finestone: Il n'est pas nécessaire de définir l'éthique et les valeurs, n'est-ce pas?

Mme Toews: Nous nous intéressons à l'éthique et aux valeurs. Pour nous, l'un des importants documents dont nous tenons compte dans le cadre de cet exercice, c'est le rapport de John Tait, où l'on décrit en détail quatre séries de valeurs qui doivent imprégner les tâches quotidiennes des fonctionnaires. Notre approche s'inscrit dans le cadre de ces propos. Cela forme la base du dialogue que nous avons engagé. C'est le genre de dialogue que nous souhaitons poursuivre. Pour de nombreux fonctionnaires, John Tait a exprimé de la meilleure manière qui soit ce que nous souhaitons lorsque nous cherchons à définir une façon de travailler ensemble. Même si l'on trouve des définitions de l'éthique et des valeurs dans la loi, la définition que nous utilisons et qui pour nous est fondamentale est celle que nous avons trouvée dans le rapport de John Tait.

Le sénateur Finestone: J'espère que des mesures vont être prises très rapidement en se fondant sur les travaux de John Tait. Je vous souhaite bonne chance.

Mme Toews: C'est aussi ce que nous espérons.

Le sénateur Stratton: Ne pensez-vous pas qu'il est important, en ce qui concerne la population canadienne, qu'il existe un projet de loi sur la délation, comme on dit? La plupart des Canadiens se demandent sans doute pourquoi il existe une législation de ce type dans d'autres pays occidentaux, mais pas chez nous. Qu'est-ce que nous avons donc de si différent qui fait que nous n'en avons pas besoin? Si l'on songe à la façon dont le public perçoit la situation, ne pensez-vous pas que nous devrions en avoir un?

Mme Toews: J'admets que les Canadiens veulent que leur gouvernement et leurs fonctionnaires travaillent selon l'éthique. Que l'on puisse y parvenir en adoptant une loi sur la délation est une question qui mérite réflexion.

Le sénateur Stratton: Il faudra aussi convaincre la population canadienne de cela, parce qu'elle va vouloir être assurée que le projet de loi sur la délation protège complètement ceux qui divulguent des informations et que cela n'a rien de bureaucratique.

Mme Toews: Nous allons essayer de nous assurer que cela est fait d'une façon qui reflète le Canada et la fonction publique canadienne.

La présidente suppléante: Je vous remercie d'avoir comparu devant nous.

Les témoins suivants représentent le Syndicat national des cultivateurs. Bonsoir, et bienvenue. Veuillez faire votre exposé.

Mme Shannon Storey, présidente des femmes, Syndicat national des cultivateurs: Tout d'abord, je tiens à remercier le comité de nous avoir invités à comparaître ici ce soir. Notre exposé va être quelque peu différent du précédent. D'entrée, je dois dire que nous sommes très heureux que le sénateur Kinsella ait décidé de déposer ce projet de loi. Comme plusieurs personnes l'ont déjà dit ce soir, c'est un texte législatif qui fait défaut depuis bien longtemps. Les propositions que nous allons faire ont pour but de le consolider.

Le projet de loi S-13 représente une étape importante dans l'évolution de la législation canadienne. Dans un pays démocratique, les gens comptent énormément sur la conscience professionnelle de leurs fonctionnaires pour préserver la démocratie. Pourtant, jusqu'ici, les fonctionnaires canadiens ont dû risquer de lourdes conséquences s'ils décidaient de dénoncer un collègue ou un supérieur dont les actes étaient contraires aux intérêts de la population.

Les fonctionnaires sont obligés de choisir entre leur carrière et l'intérêt public. Les meilleurs d'entre eux choisissent l'intérêt public. J'ai été heureuse d'entendre le sénateur Stratton dire qu'il s'agissait là d'un grave sujet de préoccupation. Ces gens-là méritent d'être récompensés; or, nombre d'entre eux font face à des sanctions qui peuvent aller jusqu'à détruire leur carrière et avant cela, à un harcèlement plus ou moins poussé. Alors qu'ils ont prouvé à quel point ils pouvaient être utiles à la population du Canada, on les prive de la possibilité de continuer à servir les Canadiens. Cela doit changer.

La décision du Sénat de prendre des mesures pour soutenir des gens aussi dévoués est une très heureuse initiative. Cependant, tel qu'il est énoncé actuellement, le projet de loi S-13 ne met pas en lumière la question clé dans ce débat, c'est-à-dire le fait que le rôle le plus important d'un gouvernement démocratique est d'agir dans l'intérêt de ses citoyens. Le devoir premier de ceux qui sont employés dans la fonction publique est de servir l'intérêt public.

Le Syndicat national des cultivateurs s'est lourdement impliqué dans deux affaires où des fonctionnaires dévoués avaient choisi de faire exactement ce qu'ils devaient faire -- servir l'intérêt public. Dans les deux cas, ils ont été punis, directement ou indirectement, par leurs supérieurs.

Au cours de notre examen du projet de loi, nous nous sommes continuellement posé deux questions: premièrement, a-t-on accordé à l'intérêt public l'importance qu'il mérite? Deuxièmement, est-ce que les gens qui étaient impliqués dans ces deux affaires et qui ont pris des risques seraient protégés? Nous avons découvert que dans plusieurs cas, la réponse n'était pas certaine et que dans d'autres cas, la réponse est toujours non. Il y a de nombreuses dispositions dans ce texte législatif qui représentent un bon point de départ mais qui ont besoin d'être consolidées.

Pour mettre nos recommandations sur la façon d'améliorer le projet de loi en contexte, nous aimerions vous faire part de certaines expériences et de nos observations concernant Santé Canada et la Commission canadienne des grains.

M. Richard Lloyd, ex-gestionnaire du Bureau de l'Ontario, Syndicat national des cultivateurs: Mesdames et messieurs les sénateurs, je suis heureux d'être parmi vous aujourd'hui. La question qui nous occupe est extrêmement importante. Je remercie le sénateur Kinsella d'en avoir proposé l'étude et le comité d'avoir accepté d'en discuter.

Pour des cultivateurs comme nous, il a fallu parcourir beaucoup de chemin depuis le moment où nous avons découvert que la STbr rendait les vaches malades pour en arriver à discuter d'une législation sur la dénonciation. Nous avons toujours pensé que nous serions impliqués dans ce genre de dossier, mais il est choquant de voir où nous en sommes aujourd'hui.

Je vais vous dire de quelle façon le Syndicat national des cultivateurs et moi-même ont été impliqués dans le dossier de la STbr et de la sécurité alimentaire et dans la discussion de questions connexes depuis plus de 10 ans. Le premier cas implique les responsables de l'évaluation des médicaments de Santé Canada qui travaillent au Bureau des médicaments vétérinaires de la Direction générale de la protection de la santé. Ils affirment que la haute direction de Santé Canada exerce d'intenses pressions pour faire approuver des médicaments dont la sécurité est douteuse. Ils soutiennent que cela est dû à une ingérence indue des géants de l'industrie pharmaceutique. Même si leur carrière est gravement menacée, étant convaincus que l'approbation de ces médicaments menace la sécurité des aliments au Canada, ils ont décidé de résister à toute tentative destinée à les empêcher de faire leur devoir et de défendre la sécurité publique en vertu de la Loi sur les aliments et drogues.

Les scientifiques ont essayé de résoudre ce grave problème par tous les moyens possibles. Les procédures de grief internes ont été sommairement écartées par Santé Canada. Des tentatives pour alerter la population canadienne se sont soldées par des ordonnances imposant le secret et des menaces de renvoi de la part de la direction de Santé Canada. Lors d'audiences officielles de la Commission des relations de travail dans la fonction publique, l'arbitre a rejeté la demande parce que, selon lui, l'affaire était trop technique et n'entrait pas dans le champ de compétence de la commission.

Certains scientifiques ont présenté des témoignages choquants au comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts qui étudiait l'administration aux vaches laitières de l'hormone de croissance synthétique STbr. Cela ne s'est pas fait sans difficulté, puisque Santé Canada a même refusé de transmettre au comité du Sénat un rapport scientifique d'une importance cruciale.

La direction de Santé Canada a à nouveau émis une ordonnance imposant le secret et interdisant toute activité publique. Un scientifique a été suspendu sans traitement pendant cinq jours suite à ce que nous estimons être des accusations inventées de toutes pièces, car en réalité, il s'agissait d'un avertissement adressé à tous de rester bouche cousue. Le comité sénatorial permanent des privilèges, du Règlement et de la procédure a alors organisé des audiences pour déterminer si la suspension résultait d'un témoignage donné précédemment devant un comité du Sénat et, par conséquent, d'un outrage au Parlement.

Les sept responsables de l'évaluation des médicaments du Bureau des médicaments vétérinaires ont présenté des témoignages exhaustifs, sous serment et sous la protection du comité, uniquement pour voir l'enquête éventuellement écourtée de façon prématurée en attendant que le comité puisse entendre le témoignage essentiel de membres de la direction qui jouaient un rôle clé.

Il y a en ce moment en instance devant la Cour fédérale une plainte contre l'ordonnance imposant le secret, dans l'intérêt du droit du public de savoir ce qui se passe à Santé Canada. Le Syndicat national des agriculteurs doit témoigner dans cette affaire.

Aujourd'hui, le comité étudie un projet de loi dont l'objet est de protéger les fonctionnaires qui dénoncent des conduites répréhensibles, et le SNA comparaît comme témoin. Permettez-moi de vous expliquer brièvement ce qui m'a amené ici. Cela fait environ douze ans que le Syndicat national des agriculteurs a commencé à s'impliquer dans ce genre de dossier, lorsque ses membres ont adopté une motion contre la STbr lors de notre congrès national. Tout au long de notre lutte qui a duré dix ans, les principales préoccupations du SNA ont été la santé des vaches laitières du Canada et celle de l'industrie laitière canadienne.

Nous avons obtenu gain de cause, dans une certaine mesure, en 1988 lorsque la population s'est vigoureusement opposée à ce que l'on mélange du lait provenant du cheptel où l'on testait la STbr à l'ensemble de la production laitière. En 1994, le comité permanent de l'agriculture de la Chambre des communes a tenu des audiences sur la STbr, ce qui a abouti à un moratorium d'un an sur l'homologation de ce produit. Le public était massivement contre la STbr. Les gens savaient qu'il s'agissait d'un médicament dont les effets n'avaient pas été démontrés et qui n'était pas nécessaire et que par ailleurs, les risques qu'il présentait faisaient l'objet de discussions intenses.

Malgré cela, Santé Canada semblait décidé à homologuer ce médicament. Nous avons commencé à entendre parler des pressions exercées par l'industrie pharmaceutique sur la direction de Santé Canada pour faire homologuer des médicaments dont l'innocuité pouvait être mise en doute. Le dossier de la STbr a suscité un plus large débat sur la confiance que l'on pouvait avoir dans le régime réglementaire canadien, la sécurité alimentaire et le droit de savoir du public.

Les vaches et l'agriculture ont toujours été notre principal centre d'intérêt, et c'est encore aujourd'hui le domaine où nous sommes le plus compétents, mais nous n'avons pu éviter de nous impliquer dans le plus large débat suscité par ces questions d'intérêt public. De fait, nous travaillons à l'heure actuelle en collaboration avec d'autres groupes et particuliers à travers le monde.

Nous avons entendu dire que d'autres médicaments vétérinaires dont l'innocuité pouvait être mise en question ont obtenu l'approbation de Santé Canada, et nous soupçonnons qu'il y en a beaucoup plus. Les Canadiens ont le droit de savoir ce qui se passe. Le SNA a suivi de près les multiples tentatives des scientifiques qui tous ont suivi les filières prescrites pour tenter d'alerter les Canadiens des risques que l'on fait courir à leur santé. Pourtant, ils sont toujours bâillonnés, et ils ne peuvent nous dire ce qu'ils savent. C'est totalement inacceptable, et l'on doit faire quelque chose dans les meilleurs délais. C'est ce que réclament les Canadiens qui cherchent des moyens efficaces pour s'assurer que ce genre de chose ne puisse pas se reproduire.

Mme Storey: La deuxième affaire à laquelle les agriculteurs s'intéressent de très près à l'heure actuelle est celle de M. Dave Lewicki et de la Commission canadienne des grains. L'article 13 de la Loi sur les grains du Canada, qui régit la CCG, stipule que la commission doit, dans l'intérêt des producteurs de grains, établir et maintenir des normes de qualité pour le grain canadien et la manutention du grain au Canada, afin de garantir que c'est un produit fiable qui est mis sur le marché national et international.

En dépit de cette directive législative claire, certains membres de la haute direction de la CCG cherchent à faire modifier les normes et les procédures d'inspection, ce qui irait très probablement à l'encontre des intérêts des producteurs de grains, c'est-à-dire des agriculteurs qui sont citoyens du Canada, et favoriserait au contraire les intérêts des sociétés céréalières. La seule explication que l'on puisse trouver à plusieurs des changements proposés est que l'on veut privilégier les intérêts des sociétés céréalières. Cela est contraire aux intérêts des agriculteurs canadiens et aussi des consommateurs, des gens qui mangent ces céréales. C'est aussi violer non seulement le mandat de la CCG, mais aussi le principe général voulant que les fonctionnaires canadiens doivent servir l'intérêt public.

M. Lewicki n'a pas pu contrer cette orientation de la politique décidée par ses supérieurs en passant par les filières internes. M. Lewicki, un fonctionnaire dévoué qui est également représentant syndical, s'est senti obligé de faire état de ses préoccupations à des représentants élus des agriculteurs canadiens qui, grâce aux informations données par M. Lewicki, ont pu exercer des pressions; plusieurs modifications dont les effets auraient été néfastes pour les Canadiens ont ainsi pu être bloquées. Pour avoir agi de façon exemplaire dans l'intérêt public, M. Lewicki a été suspendu et on lui a ordonné de ne plus jamais discuter de quelque activité que ce soit de la CCG avec quiconque.

Tel qu'il est énoncé actuellement, le projet de loi S-13 ne protégerait pas M. Lewicki et ne lui permettrait pas de se faire indemniser pour le harcèlement qu'il subit depuis longtemps. Il est d'ailleurs précisé que le projet de loi ne s'appliquera pas aux affaires en cours, ce qui n'est pas juste, à notre avis. Les plus dévoués, parmi les fonctionnaires, sont ceux qui ont déjà décidé d'agir dans l'intérêt public, sachant qu'ils ne bénéficiaient d'aucune réelle protection. Ce sont donc eux qui méritent le plus d'être protégés.

L'autre problème que pose l'affaire Lewicki est que le projet de loi S-13 ne comprend aucun mécanisme permettant à la population de réagir rapidement lorsque des conduites répréhensibles peuvent avoir dans l'immédiat des effets néfastes sur les Canadiens. Si des groupes agissant dans l'intérêt public n'avaient pas pu obtenir des informations sur les problèmes que posait le processus décisionnel de la CCG en temps opportun, les frais des agriculteurs auraient augmenté et la réputation du Canada, qui repose sur l'application de normes élevées pour contrôler la qualité des grains à l'exportation, aurait pu être entamée de façon permanente. Nous nous penchons encore sur les conséquences à long terme de cette situation.

Parfois, la population a besoin de savoir rapidement -- beaucoup plus rapidement que ne le permet un long processus qui passe par l'intermédiaire d'un commissaire. En outre, le projet de loi laisse à la discrétion d'un commissaire unique, qui sera débordé de travail, la décision de rendre publiques les informations qui lui ont été transmises sur des conduites répréhensibles. Cette personne a la charge de décider ce que le public doit ou non savoir. Ce n'est pas acceptable. La population doit toujours savoir si le service public qu'elle finance sert, comme il se doit, l'intérêt public.

Nous avons besoin d'une loi qui assure une réelle protection au Dave Lewickis et au Shiv Chopras de ce pays, des gens qui sont convaincus que les fonctionnaires ont pour mission de servir la population et qui ont le courage de le faire. Plus important encore, nous avons besoin d'une loi où l'intérêt public est primordial. La démarcation entre le gouvernement et l'industrie devient de moins en moins claire, comme ces deux affaires le démontrent. Les priorités de l'industrie sont celles de ses actionnaires et non de la population canadienne en général. Au fur et à mesure que l'industrie gagne de l'influence dans la sphère gouvernementale, ce qui est le cas, malheureusement, il devient de plus en plus nécessaire de protéger effectivement la population.

Nous aimerions attirer votre attention sur les modifications à l'énoncé du projet de loi S-13 que nous proposons. Je ne vais pas les examiner point par point. J'espère que vous avez pu en prendre rapidement connaissance et que vous allez soulever les questions qui vous intéressent plus particulièrement. La plupart des changements que nous suggérons sont motivés par deux questions clés: est-ce que l'intérêt public est primordial? Est-ce que les gens qui ont pris des risques seraient protégés? Dans certains cas, la réponse est non.

Nous proposons tout d'abord de changer le titre abrégé de façon à ce que cette loi s'intitule «Loi sur la dénonciation dans l'intérêt public», parce qu'à notre avis, il faut souligner cela et s'assurer que tout le monde garde cette préoccupation à l'esprit au cours du processus d'examen et d'adoption du projet de loi.

M. Lloyd: Je vais rapidement passer en revue quelques autres idées. Nous avons lu tous les témoignages que vous avez entendus lors de vos deux précédentes audiences. En général, on penche de plus en plus en faveur d'élargir la définition de façon à ce qu'elle englobe non seulement la fonction publique, mais également d'autres organismes. Nous sommes d'accord.

Mme Storey: Environ 30 p. 100 des employés ne seraient pas protégés par ce texte tel qu'il est énoncé, alors qu'ils ont besoin de l'être.

M. Lloyd: Aux pages un et deux, vous trouverez les modifications à l'énoncé que nous proposons. L'autre suggestion importante est celle qui est formulée au milieu de la page deux, là où nous parlons de remplacer le commissaire par un groupe d'experts. Mme Storey vous a expliqué pourquoi. Nous ne pensons pas qu'une seule personne devrait être responsable du genre de décisions qui doivent être prises. Par ailleurs, comme nous l'avons appris en assistant aux audiences de la Commission des relations de travail dans la fonction publique, certains de ces dossiers seront beaucoup trop techniques pour qu'une seule personne puisse en décider, et on aura besoin de faire appel à des gens qui possèdent des compétences plus étendues.

Mme Storey: Il faut également prévoir un mécanisme d'appel si le groupe d'experts décide de ne pas entendre une cause.

Sous le titre «Enquête et rapport», nous soulevons deux questions. Premièrement, il faut que tout rapport qui est effectué soit rendu public, parce que la population doit savoir ce que recouvrent les conduites répréhensibles éventuelles.

Au chapitre «Interdictions», nous rejetons la limite de deux ans, car cela laisse présumer qu'un fonctionnaire peut être puni suite à une dénonciation. Certaines des personnes concernées vont devoir travailler ensemble pendant 20 ans, et c'est pendant ces 20 ans que des sanctions pourraient être imposées. À notre avis, cette limite de deux ans n'est ni juste ni pertinente.

Il y a d'autres circonstances dans lesquelles nous préconisons un appel. Si le groupe d'experts ou le commissaire décide, pour quelque raison que ce soit, que les motifs invoqués ne justifient pas d'entendre le témoignage d'un fonctionnaire sur un abus ou une omission, il faut qu'il y ait un processus d'appel. Nous avons suggéré que la Cour fédérale pourrait être un des organes auprès desquels un tel appel pourrait être logé. Il se peut qu'il y en ait d'autres. Cependant, le processus ne devrait pas s'arrêter juste parce qu'une instance a dit non.

Si le fonctionnaire a signalé au commissaire ou au groupe d'experts un abus ou une omission possible, afin de régler le problème, le fonctionnaire en question peut, de bonne foi, avoir le sentiment qu'il doit alerter les médias ou un autre groupe qui risque d'être affecté. S'il y a eu un préavis et si l'auteur de l'abus sait que le fonctionnaire en question a déposé une plainte auprès d'un groupe d'experts ou du commissaire, il se peut que le dénonciateur ait besoin de franchir une autre étape et d'alerter la population ou les médias ou encore un segment particulier de la société qui va être affecté, car parfois, il faut faire vite.

Enfin, à la toute fin de notre mémoire, nous soulignons que les gens qui ont décidé dans le passé de faire quelque chose doivent être protégés. Nous rejetons l'idée d'exclure les affaires qui sont déjà en cours. Si des gens ont décidé de s'opposer à des abus, ils doivent être protégés par la loi proposée. Peut-être ne sera-t-il pas possible de punir leurs supérieurs ou leurs collègues responsables de ces abus, mais il reste que les gens qui ont déjà pris position et qui ont risqué leur carrière doivent être protégés. C'est l'autre disposition importante que nous voudrions voir incluse dans le projet de loi.

M. Lloyd: À l'avant-dernière page de notre mémoire, sous le titre «Interdictions», nous signalons à propos du paragraphe (2) qu'un dénonciateur peut être puni par des moyens détournés qu'il peut être difficile de prouver. Nous vous renvoyons aux arguments présentés par Steve Hindle, président de l'Institut professionnel de la fonction publique. Je pense qu'il est important de tirer cela au clair dans ce texte sur la dénonciation. Par exemple, même si le mandat qui leur a été confié n'est pas très large, les membres du Comité des privilèges, du règlement et de la procédure ont pu se rendre compte à quel point il est difficile de prouver que quelqu'un est victime de harcèlement. Il faut avoir une certaine largeur de vues pour l'admettre.

La présidente suppléante: Merci. Votre exposé donne à réfléchir, et votre témoignage reprend des sujets de préoccupation que beaucoup d'entre nous, autour de cette table, partagent.

Le sénateur Kinsella: À la page neuf du projet de loi, l'alinéa 19(1)a) est censé permettre à une personne de rendre public le fait qu'elle a signalé le problème au groupe d'experts ou à la commission ou encore au Commissaire, sans s'exposer à des mesures disciplinaires à cause de cela. Ce paragraphe stipule:

Il est interdit à toute personne d'imposer à un fonctionnaire quelque mesure disciplinaire que ce soit du fait que, selon le cas:

a) le fonctionnaire, agissant de bonne foi et pour des motifs raisonnables, a révélé au commissaire ou a fait part de son intention de lui révéler qu'une personne au service de la fonction publique ou au sein du lieu de travail de la fonction publique a commis un abus ou une omission.

Mme Storey: Le problème que nous pose cet alinéa, c'est que l'on n'y parle que du commissaire. Étant donné l'énoncé, il semble que c'est ça. Peut-être qu'il est possible de l'interpréter différemment, mais c'est ce que nous avons pensé.

Le sénateur Kinsella: Vous avez là un bon argument. Nous allons certainement examiner la question. Ne partez-vous pas du principe que l'un des meilleurs moyens de défense, l'une des meilleures mesures de protection, est souvent le fait que la population est au courant?

Mme Storey: Tout à fait.

Le sénateur Kinsella: Je suis tout à fait d'accord avec vous.

M. Lloyd: En lisant les témoignages présentés lors des deux précédentes audiences et en écoutant celui des représentants du Conseil du Trésor aujourd'hui, je me suis dit que, dans tout cela, on cherchait plutôt à rester «entre soi». La fonction publique, le gouvernement et ainsi de suite s'occupent de leurs propres affaires et veulent que dans certains cas, cela soit public et dans d'autres, secret. Il faut protéger ceci ou cela. Or, ce que nous défendons, nous, c'est l'intérêt public.

Le sénateur Kinsella: Oui. C'est la raison pour laquelle j'ai utilisé l'expression «commissaire à l'intérêt public». Je ne pense pas que nous devons nécessairement conserver cette terminologie ou cet organisme. Une des raisons pour lesquelles nous avons mentionné un organisme de coordination qui existe déjà, c'est que nous voulions contourner le problème que pose ce que nous appelons les projets de loi de finances et introduire une législation justifiable. Nous ne pouvons pas le faire par le biais de projets de loi de finances qui impliquent une dépense des fonds publics.

Mme Storey: Nous sommes conscients de cette contrainte imposée au Sénat et au comité. Certes, nous rêvons un peu. C'est ce que nous souhaiterions. Si vous pouviez trouver un moyen de résoudre le problème, nous serions aux anges.

Le sénateur Kinsella: Voilà une observation qui est certainement utile.

Permettez-moi de passer à un autre point important que vous avez soulevé: la rétroactivité. C'est une question qui se pose toujours lorsqu'on examine un texte législatif quel qu'il soit. Certains prétendent qu'adopter une loi qui imposerait une sanction se rapportant à des faits qui ont eu lieu avant que la loi ne soit adoptée est inacceptable. Or, la législation qui est proposée a en fait pour but non d'imposer des sanctions, mais d'assurer des avantages, c'est la distinction qu'il faut faire.

Mme Storey: Exactement. Si quelqu'un est en prison après avoir commis un crime qui tout d'un coup, n'est plus un crime parce que l'on a modifié les dispositions du Code criminel, cette personne est généralement libérée. On suivrait le même principe.

Le sénateur Stratton: Vous vous rappelez sans doute que je siégeais au comité sénatorial de l'agriculture qui a examiné le dossier de la STbr. À mon avis, il a fallu beaucoup de courage à ceux qui sont venus témoigner. Je leur ai dit à l'époque que s'ils étaient harcelés ou victimes d'un mauvais traitement quelconque, ils devaient nous le laisser savoir.

Pour remettre les choses en contexte, la STbr a théoriquement pour objet d'améliorer la production. Vous pouvez produire plus de lait avec moins de vaches. Dans l'industrie laitière, il y a des quotas, comme vous le savez. Par conséquent, on cherche toujours des moyens d'accroître la productivité et en théorie, la STbr permet de produire la même quantité de lait avec moins de vaches. En bout de ligne, c'est le principe de base qui sous-tendait le dossier de la STbr.

Si vous travaillez pendant plusieurs années avec des scientifiques, vous apprenez que, dans bien des cas, les spécialistes ou les chercheurs n'arrivent pas aux mêmes conclusions. C'est toujours la même chose et la question devient très controversée. Il faut qu'il existe au sein d'un organisme un moyen de résoudre calmement ces divergences de vues. Cela arrive tout le temps dans le domaine scientifique.

Je remets en question le processus auquel Santé Canada a eu recours pour résoudre ces désaccords. Selon moi, c'est là le coeur du problème. Si vous désirez résoudre une question controversée qui touche la délivrance d'un brevet, la chose doit rester confidentielle pour protéger les caractéristiques pour lesquelles l'entreprise concernée demande un brevet. D'une façon ou d'une autre, la question doit être résolue. Même si je suis d'accord avec ce que vous avez dit, je pense aussi qu'il doit y avoir un point à partir duquel il faut qu'il existe une procédure établie que l'on doit suivre, afin de protéger à la fois les intérêts de ceux qui ont fait une découverte scientifique et ceux des chercheurs qui sont appelés à se prononcer sur sa valeur. Manifestement, il faut trouver le juste milieu. Ce que je crains, c'est que si nous allons trop loin en cherchant à atteindre notre objectif -- et c'est une chose à laquelle il faut faire attention -- le système ne fonctionnera pas. Je suis convaincu que le système n'a pas fonctionné, étant donné la façon dont les dossiers ont été traités, mais je reste persuadé que l'on peut y apporter des améliorations. Je pense plus précisément au dossier de la STbr, parce que la question a pris beaucoup d'importance et que de nombreux scientifiques se sont exprimés.

Ne pensez-vous pas que vous devriez également tenir compte du contexte? Vous devez examiner ce genre de question parce que, si un scientifique rend ses conclusions publiques -- autrement dit, dénonce ce qui se passe -- vous savez qu'il a effectivement tenté d'utiliser tous les autres moyens à sa disposition et que, selon lui, il n'a pas été traité de façon équitable. Et là, c'est la façon de trouver le juste milieu qui me pose un problème. Avez-vous des observations à faire à ce sujet?

M. Lloyd: Je ne sais pas jusqu'à quand vous voulez remonter et quelle précision vous souhaitez avoir à cet égard, mais les mots qui me sont revenus continuellement à l'esprit en vous entendant parler du juste milieu étaient: «principe de précaution appliqué dans l'intérêt public».

Le sénateur Stratton: Oui.

M. Lloyd: Quand la santé publique est en danger, je ne vois pas comment les droits en matière de brevet ou ceux qui concernent la protection de la vie privée pourraient avoir préséance.

Le sénateur Stratton: Mais la loi exige la confidentialité.

Mme Storey: Vous devez également tenir compte du fait que dans le texte actuel, on parle déjà de «motifs raisonnables» et de «bonne foi». Cela devrait répondre en grande partie à ce qui vous préoccupe. Je crois qu'un fonctionnaire intelligent serait également conscient de bien des questions qui se posent dans les cas où la divulgation de renseignements confidentiels menacerait l'intérêt public.

Je suis agricultrice depuis dix ans, mais je viens d'une famille de fonctionnaires. Mon père a présidé pendant cinq ans le Saskatchewan Government and General Employees' Union et il a également été pendant de nombreuses années président de conseils scolaires. Il était constamment confronté à des questions de ce genre. Que doit-on divulguer? Qu'est-ce qui serait néfaste au système scolaire et à l'éducation? Qu'est-ce qui serait néfaste à vos collègues si on le divulguait? Je crois que quelqu'un qui a des motifs raisonnables et qui agit de bonne foi prendra ces principes en compte et essaiera de déterminer ce qui est véritablement dans l'intérêt public avant de divulguer quoi que ce soit. Les scientifiques impliqués dans l'affaire de la STbr ont dû se plier à de nombreuses procédures pour tenter de résoudre le problème. Quand on prend ce genre de chose en considération, on peut souvent dire si quelqu'un agit ou non de bonne foi.

M. Lloyd: J'ai un autre exemple précis à citer à propos du débat scientifique qu'a suscité la STbr. Même si Santé Canada a prétendu qu'il n'y a jamais eu, au sein de la direction générale concernée, de consensus à propos de la STbr, vous vous rappelez sans doute qu'un rapport extrêmement important où l'on analysait les lacunes du processus a été signé par ses quatre auteurs. Il y avait bel et bien consensus à cette époque, même si Santé Canada a ensuite essayé par tous les moyens de le détruire en faisant intervenir ses comités externes. Quoi qu'il en soit, quand aucune pression ne s'exerçait et avant que l'on ne commence à jouer des petits jeux, quatre scientifiques, deux qui appartenaient au Bureau des médicaments vétérinaires et deux qui venaient de l'extérieur, ont signé le premier rapport sur l'analyse des lacunes.

J'ai assisté à la plupart des audiences du comité sénatorial de l'agriculture et du comité sénatorial des privilèges. C'est la première audience de ce comité-ci à laquelle je participe. J'ai entendu le sous-ministre Dodge témoigner devant le comité sénatorial des privilèges, du Règlement et de la procédure à propos de ce débat scientifique. Il a déclaré que si l'on ne parvenait pas à trouver la réponse, il fallait aller la chercher à l'extérieur et continuer jusqu'à ce qu'on la trouve. Un sénateur l'a regardé et lui a dit: «Oh, je vois, monsieur le sous-ministre, vous allez puiser à différentes sources jusqu'à ce que vous trouviez la réponse qui vous convient». Je ne me souviens plus quel est le sénateur qui a dit cela, mais à mon avis, il avait tout à fait raison. Le débat qu'a suscité la STbr nous a appris qu'il y avait beaucoup de vérité dans une telle remarque.

Le sénateur Finestone: L'influence indue que peut exercer l'industrie en invoquant l'intérêt public m'inquiète. C'est ce qui semble ressortir de ce que vous avez dit. De quelle façon ce projet de loi sur la dénonciation peut-il mettre un terme à cela?

M. Lloyd: Vous savez maintenant que je ne me suis vraiment intéressé de près qu'au dossier de la STbr et de la santé.

Le sénateur Finestone: Il est important d'avoir des renseignements de première main sur une affaire qui a été très éprouvante et très affligeante, et je suis heureuse de voir que nous avons mis un frein à tout ce processus. D'après les conclusions que vous avez pu tirer de cette expérience, pensez-vous qu'il y avait un moyen d'empêcher l'industrie ou les compagnies pharmaceutiques qui s'intéressaient à promouvoir leurs produits d'exercer une influence?

M. Lloyd: Oui, je pense que cette loi sur la dénonciation aurait été extrêmement utile. Le rapport que j'ai mentionné fait état d'une étude entreprise pour déterminer s'il y avait des lacunes dans le processus d'examen de Santé Canada qui précède l'homologation d'un produit. C'est au début des années 90, à peu près, que l'on a pu constater des lacunes dans ce processus, deux semaines après que la première demande ait été transmise, lorsque l'évaluateur chargé de déterminer les effets sur la santé humaine a donné le feu vert. Comment cela a-t-il pu arriver? Un employé de cette direction générale aurait pu dénoncer une pareille démarche, dénoncer l'influence exercée par certains administrateurs du Bureau des médicaments vétérinaires ou même leur nomination. Les employés auraient pu dénoncer le fait qu'on leur demandait d'homologuer des médicaments alors que l'examen était loin d'être terminé. Ils auraient pu dénoncer ce que j'ai appris à considérer comme des menaces, proférées lors de réunions, et cetera. Ils auraient pu dénoncer le fait que le comité qui était chargé de conseiller la direction sur le fonctionnement du Bureau des médicaments vétérinaires comprenait des représentants de groupes qui exerçaient des pressions au nom de l'industrie des médicaments vétérinaires, ainsi que des délégués de l'Institut canadien de la santé animale et de l'Association canadienne des médecins vétérinaires, lesquels ont tous un intérêt direct immense à ce que certains médicaments soient homologués. Or, ces gens-là recommandaient le nom de cadres qu'ils souhaitaient voir intégrer à l'équipe dirigeante.

Si la population canadienne avait été au courant de tout cela et d'autres choses encore, le fort courant de désapprobation suscité par ces médicaments se serait transformé en torrent de protestations.

Le sénateur Finestone: Cela m'amène à la question suivante. Nous parlons du rôle du gouvernement dans la société civile et de la façon dont les députés et les sénateurs devraient faire le lien entre la société civile, les ONG et le pouvoir exécutif. Étant donné l'expérience que vous avez accumulée, à votre avis, que pourrions-nous faire pour assurer que, dans l'intérêt public, ce besoin d'information manifesté par la population aboutisse à ce que vous avez appelé un «torrent de protestations»? Le processus est lent. Quoi que nous fassions, ce processus restera lent. Toutefois, on peut certainement prendre des mesures axées sur le public, comme partager les informations dont nous disposons et sensibiliser davantage la population à ces questions. Ne pensez-vous pas que cela fait également partie du processus? Je crois que l'éducation est un élément important -- non seulement l'éducation au plan des valeurs, mais l'éducation qui est centrée sur la responsabilité de partager les informations.

Mme Storey: M. Lloyd doit justement comparaître devant des comités et écrire toute une série de mémoires sur la question.

Ce projet de loi pourrait permettre la dénonciation plus précoce de tels agissements. À l'heure actuelle, nous dépendons beaucoup de quelques personnes qui non seulement sont dévouées, comme le sont la plupart des fonctionnaires, mais qui en arrivent également au point où elles ont le sentiment qu'elles ne peuvent plus ignorer la voix de leur conscience. Dans la plupart des cas, les gens attendent pour faire des dénonciations que la situation soit vraiment grave. S'il y avait eu un mécanisme permettant aux employés d'être plus à l'aise pour faire connaître plus tôt leurs préoccupations à propos de conflits d'intérêts, d'influence indue, etc., la situation ne se serait pas autant détériorée.

Les torrents de protestations peuvent être utiles, mais nous ne devrions pas en avoir besoin si tout fonctionnait comme il faut. Bien entendu, il y aura toujours des choses qui nous échapperons au point où un torrent de protestations deviendra nécessaire, mais on ne devrait pas à y avoir recours aussi souvent pour remédier à certains des incidents les plus fâcheux qui se sont produits. La situation, en ce qui concerne l'hormone de croissance bovine n'aurait pas dû se détériorer autant avant que l'on fasse dérailler tout le processus et qu'on le réoriente.

Dans le cas qui implique la Commission canadienne des grains, quelqu'un a dû littéralement subir toutes les conséquences d'un processus décisionnel qui aurait pu avoir des retombées extrêmement néfastes sur les agriculteurs. D'autres commissaires adjoints souhaitaient faire un peu la même chose, mais ils n'ont pas pris les risques que la personne qui a été punie a finalement décidé de prendre en leur nom. Nous ne devrions pas demander aux gens de faire ce genre de sacrifice. Nous devrions pouvoir tout arrêter avant que la situation devienne aussi grave. Voilà en quoi ce projet de loi pourrait être utile.

Le sénateur Finestone: Est-ce que les questions que soulèvent les denrées alimentaires génétiquement modifiées entrent dans le même contexte que celui que vous avez évoqué en parlant de la STbr? Disons, en ce qui concerne le bétail, le fourrage et bien sûr, le blé transgénique.

M. Lloyd: C'est dans la même veine que certaines des choses dont nous discutions avant que vous arriviez. Naturellement, on se méfie beaucoup, au sein de la population, d'une approbation trop rapide.

Je vais vous parler dans un instant de ce qui concerne l'agriculture, mais je veux juste mentionner, en passant, l'expression «équivalences en substances», qui est utilisée par l'Agence canadienne d'inspection des aliments pour justifier l'approbation de ces denrées alimentaires. Cela ouvre un tout autre débat: au sein de quel organe devrait être située l'instance chargée de faire respecter les règles de la sécurité alimentaire? Au sein d'Agriculture Canada qui est censé vendre nos produits et ne pas éveiller de soupçons ou à nouveau au sein de Santé Canada, dans le cadre d'un mandat distinct?

Après avoir évoqué aux fins du compte rendu certaines de ces questions plus générales dont on parle peu, je vais passer aux nombreux sujets qui touchent plus particulièrement les agriculteurs. Est-ce que l'utilisation d'organismes génétiquement modifiés permet d'accroître le rendement d'une culture? Nous commençons à découvrir que ce n'est pas le cas, notamment deux ou trois ans plus tard. Étant originaire de l'Ouest, Mme Storey en sait plus que moi sur le canola. Trois ans après que l'on ait utilisé du canola génétiquement modifié dans cette région, la pollinisation croisée qui a eu lieu est en passe de nous faire perdre le marché du canola biologique.

Il y a des ramifications à cela à tous les niveaux. L'Europe et d'autres grands marchés exigent des produits non génétiquement modifiés. De nombreux agriculteurs tirent de bons profits de la culture biologique, mais la pollinisation croisée crée des problèmes. Bientôt se posera également la question des plantes nuisibles qui résistent à l'herbicide Roundup. On va bientôt voir apparaître dans les champs de pomme de terre et de maïs, censés être protégés par un gène qui tue la pyralide du maïs, des espèces résistantes. C'est une boîte de Pandore. Nous ne savons pas ce à quoi nous allons devoir faire face. Nous pouvons déjà prévoir de nombreux problèmes.

Le sénateur Finestone: Je dois dire que je suis une fille de la ville. Je ne connais pas grand chose à l'agriculture, mais si une plante peut tuer une pyralide du maïs, elle ne peut pas être très bonne pour nos estomacs.

Mme Storey: Ce n'est certainement pas bon pour les papillons Monarque. L'hiver dernier, on a constaté que leur nombre avait diminué au Mexique, et l'on se pose des questions sur la cause de ce phénomène.

Les consommateurs commencent à se rebeller contre les OGM. Quand on examine plus attentivement le moteur de la recherche sur les organismes génétiquement modifiés et le marché de ces produits, on peut voir apparaître le nom des mêmes sociétés que celles qui ont été au coeur du débat sur la STbr. La population avait déjà des raisons de soupçonner ces sociétés à cause du processus d'homologation de la STbr. Ce sont les mêmes sociétés qui ont poussé à la roue pour que l'on approuve rapidement les OGM et par conséquent, les gens se méfient plus qu'ils ne le devraient des OGM et des éventuels problèmes de santé qu'ils pourraient causer. Si le processus de recherche avait été plus lent et si l'on avait effectué des tests appropriés pendant une période plus longue, les consommateurs auraient moins eu tendance à se méfier des OGM, tout simplement parce que ces sociétés auxquelles ils ne font pas confiance auraient subi des contrôles adéquats.

Le sénateur Finestone: Nous sommes allés l'an dernier en Mongolie dans le cadre d'une mission commerciale. Ils voulaient du blé canadien. Comme je l'ai dit, je ne sais pas grand chose là dessus, mais ils m'ont montré la différence entre leur propre blé, les semences russes et le produit que l'on peut acheter au Canada. La semence canadienne est beaucoup plus grosse et permet d'obtenir du blé dont la teneur en protéine est plus élevée et qui résiste mieux à l'hiver. Le climat et le sol de la Mongolie sont comparables aux nôtres. Notre semence convenait donc mieux à la Mongolie, mais ce pays se préoccupait beaucoup de la présence d'OGM.

Mme Storey: La culture commerciale de blé génétiquement modifié n'a pas été approuvée au Canada. Des recherches sont effectuées sur certaines variétés. Ce que l'on a montré là-bas était presque certainement une variété développée grâce à un processus d'hybridation normal et traditionnel.

Vous avez vu la réaction que provoque éventuellement le manque de confiance dans les sociétés concernées. Les recherches à long terme sur la sécurité du produit n'ont pas été effectuées. Les gens s'inquiètent beaucoup. On aurait pu éviter cette méfiance si le processus avait été plus transparent. C'est dans des cas comme celui-ci que la Loi sur la délation peut s'avérer utile.

Le sénateur Finestone: Merci.

La présidente suppléante: Plus j'en apprends, plus je suis profondément convaincue de la nécessité de prendre des mesures correctives.

Le sénateur Kinsella: M. Lloyd a mentionné le rapport au comité permanent des privilèges, du Règlement et de la procédure. Ce comité du Sénat a examiné une question de privilège parlementaire que j'ai soulevée. Le rapport en question a été déposé au Sénat, mais il n'a pas encore été discuté. Je m'attends à ce que le débat soit lancé demain et à ce qu'il se prolonge pendant quelque temps. Il s'agit d'un rapport très important qui touche à un certain nombre de questions diverses.

Pour reprendre la discussion là où l'a laissée le sénateur Stratton, ce rapport indique clairement que les comités parlementaires ont fermement l'intention de protéger leurs témoins. Le message qui a été transmis, notamment au sein de l'administration, est on ne peut plus clair: on ne tolérera pas quelque manipulation que ce soit des témoins qui comparaissent devant les comités du Sénat. Le Sénat est là pour quelque temps encore, et manifestement, nous prenons la chose très au sérieux.

La question que j'ai soulevée portait sur mes propres privilèges et non sur ceux de quelque témoin important. Certains rapports sont erronés parce qu'ils laissent croire que les témoins ont approuvé quelque chose. Nous avons soulevé la question du privilège, et le rapport du comité souligne que ne pas respecter le privilège parlementaire est une affaire grave qui requiert les preuves les plus indubitables.

Le rapport du comité souligne également sans ambages que l'on pouvait craindre qu'il existe à Santé Canada un climat de travail empoisonné. Je suis sûr que cela suscitera beaucoup de commentaires et peut-être même des mesures de la part du Sénat.

L'autre point sur lequel le comité s'est concentré en préparant ce rapport est la question qui nous occupe aujourd'hui, c'est-à-dire la délation et la nécessité d'instaurer un certain cadre pour traiter de la question. En outre, dans ce rapport, le comité attire l'attention sur le genre de discussion que vous venez d'avoir avec le sénateur Finestone: je veux parler des moyens grâce auxquels nous pouvons nous assurer, dans l'intérêt de la population canadienne, que le recours au génie génétique, aux organismes génétiquement modifiés, et cetera. se fait en toute sécurité. Il s'agit là d'une question tout à fait contemporaine.

La présidente suppléante: Il est extrêmement utile d'enregistrer cela aux fins du compte rendu. Je me rappelle fort bien avoir appuyé le sénateur Kinsella lorsqu'il a soulevé cette question de privilège dans la salle du Sénat. Maintenant que le Sénat se penche sur le rapport, il serait utile que les gens suivent l'affaire de très près. Nous pourrions faire enregistrer au Sénat, aux fins du compte rendu, certains de ces témoignages.

Il faut féliciter des gens comme vous, et je tiens à le faire. Le Canadien ordinaire se fie à son gouvernement pour assurer sa sécurité. Ce type d'étude nous rappelle à quel point les gens sont vulnérables et ont besoin de protection.

M. Lloyd: Pour reprendre certaines des choses qu'a dites le sénateur Kinsella, je ne pense pas que le Comité des privilèges ait clos le dossier. Récemment, j'ai lu dans le Ottawa Citizen une excellente lettre signée Helen Forsey sur ce qui s'est passé. Ayant écarté tout ce qui dans le dossier suscitait les passions, elle déclarait qu'à son avis, si le comité était allé au fond des choses, il est très probable qu'il en aurait conclu qu'il y avait eu outrage au Parlement.

J'ai assisté à la dernière séance et j'ai été très heureux d'entendre les derniers mots prononcés par le président, selon qui il était évident, d'après les témoignages, qu'il fallait entendre le Dr Lachance parce qu'il s'agissait d'un témoin clé. Par la suite, lorsque j'ai lu le communiqué de presse sur le rapport final, je n'en ai pas cru mes yeux, car selon moi, les travaux ne faisaient que commencer.

Vous avez souligné au début de cette audience combien il était difficile de faire la preuve qu'un employé subit des sanctions, ce qui est tout aussi difficile en vertu de certaines dispositions du projet de loi comme nous l'avons laissé entendre. Il faut considérer la question dans un très large contexte. Je comprends pourquoi la question soulevée par le Sénat est limitée, mais comme l'a dit Mme Forsey, je pense, rien n'est encore réglé. Nous espérons que le rapport ne sera pas approuvé et que le comité reprendra ses travaux.

J'ai une dernière observation de première importance à faire: lorsque vous vous penchez sur des dossiers, l'expression «principe de précaution» devrait vous guider en toute chose.

La présidente suppléante: Merci. Sénateur Kinsella, d'après ce que dit M. Lloyd, je crois comprendre que le rapport déposé au Sénat présente des lacunes et que certaines questions doivent être étudiées plus à fond.

Le sénateur Finestone: Et vous allez le dire dans la salle du Sénat.

La présidente suppléante: Maintenant que M. Lloyd l'a dit, nous devrions faire diligence et exprimer cette opinion au Sénat. Je n'ai pas encore lu le rapport, je le confesse, et je n'étais pas membre du comité qui l'a étudié. J'ai joué un rôle mineur dans son renvoi au comité, mais je n'en étais pas membre. Je vais très certainement m'assurer que votre point de vue est entendu.

M. Lloyd: Je le répète, cela est exprimé très éloquemment par Mme Forsey dans sa lettre publiée par le Ottawa Citizen.

Le sénateur Finestone: Quand?

La présidente suppléante: Peut-être devrions-nous enregistrer cela au compte rendu. Avez-vous une copie de cette lettre avec vous?

M. Lloyd: Non, mais le sénateur Kinsella hoche la tête. Peut-être en a-t-il une.

La présidente suppléante: Y a-t-il quelqu'un ici qui sait à quelle date cette lettre a été publiée?

Le sénateur Finestone: Nous en obtiendrons copie auprès du sénateur Kinsella au cours du débat.

La présidente suppléante: J'essayais de l'enregistrer au compte rendu ici.

Quoi qu'il en soit, d'après ce que vous avez dit, il s'agit d'une lettre adressée à la rédaction du Ottawa Citizen. Avez-vous la moindre idée de la date à laquelle elle a été publiée?

M. Lloyd: La semaine dernière.

La présidente suppléante: Comment s'épelle le nom de la personne qui l'a signée?

M. Lloyd: Comme le nom de l'ancien sénateur Eugene Forsey.

Le sénateur Finestone: Mme Forsey est-elle de la même famille?

Mme Storey: C'est la fille du sénateur.

La présidente suppléante: Le recherchiste du comité va nous trouver cette lettre demain.

Je remercie les témoins de nous avoir présenté un témoignage des plus réfléchis.

La séance est levée.


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