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NFFN - Comité permanent

Finances nationales

 

Délibérations du comité sénatorial permanent
des finances nationales

Fascicule 14 - Témoignages


OTTAWA, le mercredi 31 mai 2000

Le comité sénatorial permanent des finances nationales se réunit aujourd'hui à 18 h 30 pour examiner le Budget principal des dépenses déposé au Parlement pour l'exercice se terminant le 31 mars 2001.

Le sénateur Lowell Murray, c.p., (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Les honorables sénateurs se souviennent que, lors d'une session précédente du Parlement, notre comité, à qui l'on a confié l'étude du Budget principal des dépenses, a décidé de porter son attention sur quelques ministères et organismes du gouvernement, parmi lesquels se trouve l'Agence canadienne de développement international. Je crois que vous aviez alors reçu Mme Huguette Labelle, qui était à ce moment-là présidente de l'ACDI, mais la prorogation avait interrompu votre étude.

Une nouvelle session est en cours, et le comité a décidé de reprendre son examen de l'ACDI et de son budget. L'ACDI a un nouveau président, à qui j'ai le plaisir de souhaiter la bienvenue ce soir. Il s'agit de M. Len Good. Ne vous laissez pas tromper par sa mine de jeune homme. C'est un fonctionnaire qui a une longue carrière derrière lui et qui a occupé des postes de responsabilité élevés dans plusieurs ministères et qui a représenté le Canada à l'étranger au sein d'organismes internationaux tels que la Banque mondiale.

Je ne ferai pas état plus longuement de ses longs et brillants états de service, à moins que l'on n'ait des questions à ce sujet, ce dont je doute.

M. Good a communiqué à notre greffier le texte d'une brève déclaration préliminaire. Je vous invite à la lire vous-mêmes, chers collègues. Il a décidé de ne pas en donner lecture lui-même, mais plutôt de faire une brève allocution liminaire, après quoi nous passerons aux questions.

Monsieur Good, nous vous écoutons.

M. Len Good, président, Agence canadienne de développement international: Monsieur le président, je suis heureux d'être des vôtres. Il est bon de voir que l'on s'intéresse à l'ACDI et à son oeuvre.

Comme vous l'avez dit, monsieur le président, j'ai déposé une déclaration qui fait état du budget récent de l'ACDI et des conséquences qu'il aura. J'y traite également du programme social de notre ministre, lequel nous occupe fort ces jours-ci, et de certaines nouvelles orientations pour cette institution qu'est l'ACDI.

Je vais maintenant vous communiquer quelques réflexions qui, dans un sens, établissent le contexte général du développement.

Le président: Avant d'aller plus loin, monsieur Good, auriez-vous l'obligeance de nous présenter le collaborateur qui vous accompagne?

M. Good: Monsieur le président, j'ai avec moi Brian Emmett, vice-président responsable de la Direction générale des politiques. Il était auparavant commissaire au développement durable et à l'environnement chez le vérificateur général.

Le président: Une bonne acquisition pour votre agence. Veuillez poursuivre, monsieur Good.

M. Good: Je vais faire quatre observations qui situent notre contexte. Je les ai regroupées sous ces rubriques que sont la culpabilité, la politique, les leçons que nous avons retenues et l'intérêt canadien. Vous pourrez partir de là pour poser vos questions.

Parlons d'abord de culpabilité. À mon arrivée à l'agence, ayant déjà travaillé quatre ans à la Banque mondiale, j'ai été frappé par le fait que la réflexion sur le développement a connu un essor incroyable au cours des 50 dernières années. À la fin de la Seconde Guerre mondiale, et lors de la création de la Banque mondiale, les pays du monde développé ne savaient pas ce qu'était le développement. Il en était ainsi parce que la plupart de ces pays étaient d'anciennes colonies, et, dans un sens, le mot qui aurait le mieux décrit leur situation était «exploités», plutôt que «développés». Ainsi, le développement était une idée neuve.

On a alors créé des institutions comme le Fonds monétaire international, ou FMI, et la Banque internationale pour la reconstruction et le développement, ou BIRD. À la fin des années 40 et au début des années 50, la reconstruction primait beaucoup plus le développement parce qu'il s'agissait de financer la reconstruction du Japon, de l'Allemagne, et cetera. Rien de tel ne s'est fait. Puis les États-Unis sont arrivés, avec leur Plan Marshall, et ce sont eux qui ont opéré cette reconstruction. Ainsi, cette institution très importante se cherchait une mission, et elle a alors délaissé le «R» dans BIRD pour se tourner vers le «D» du développement.

Comme je l'ai dit, le développement était encore une idée neuve. Étant donné que la banque avait été témoin de la reconstruction des infrastructures japonaises et allemandes qui avaient été détruites pendant la guerre, on pensait que le développement consistait à bâtir des routes, des ponts, des barrages, et cetera. Ainsi se pratiquait le développement dans les années 50 et 60. On ne songeait nullement au développement social dans des secteurs comme la santé, l'éducation, ou d'autres institutions.

De nombreux pays accédant à l'indépendance dans les années 50, 60 et 70, ceux-ci avaient grandement besoin d'aide. Or la Banque mondiale bâtissait. Le reste du monde essayait d'apporter sa contribution, et l'on comptait alors un grand nombre de bénévoles. Il y a eu le Service universitaire canadien outre-mer, ou SUCO, ainsi que le U.S. Peace Corps. On se précipitait pour contribuer au développement du monde, démarche qui était alors inspirée par un sentiment de culpabilité, lequel est négatif. Dans un sens peut-être plus positif, on dirait qu'il existait aussi un certain altruisme; on se disait qu'il fallait aider ces pauvres pays exploités. Ce sentiment d'altruisme est encore très vivace -- c'était une forte impulsion à l'origine -- et ce sentiment conserve son sens. Cet élément a toujours existé, et il est important, mais ce n'est pas ce sentiment qui a animé le développement dans les années 70 et 80.

Parlons maintenant de politiques. Dans les années 60, 70 et 80, le développement était mû, dans une certaine mesure, par l'altruisme, mais beaucoup plus par la guerre froide. La guerre froide régissait l'aide bilatérale et exerçait une influence considérable sur l'aide multilatérale. Vous avez tous entendu des récits horribles sur la manière dont la guerre froide a miné le développement et les positions de certains pays, en particulier les États-Unis et d'autres. Vous connaissez aussi l'histoire de l'Angola et d'autres pays qui étaient dans une situation semblable. La guerre froide dictait non seulement le montant de l'aide, mais aussi la manière dont on dépensait l'argent réservé à l'aide.

Lorsque la guerre froide a pris fin en 1989-1990, tout à coup la raison d'être primordiale de l'aide et de la coopération pour le développement a disparu. Lorsque c'est arrivé, les gouvernements se sont demandé, sinon consciemment, à tout le moins inconsciemment: «Pourquoi dépensons-nous tout cet argent?» Voyez les chiffres de l'aide au développement officiel des années 90; vous allez constater que ces crédits ont stagné. Ils sont au même niveau qu'ils étaient il y a dix ans. Cela s'explique largement par le fait que la raison d'être primordiale du développement, dans l'esprit des gouvernements du monde entier, a disparu avec la fin de la guerre froide. Ces montants en dollars ayant été gelés, le ratio entre l'APD et le PNB a bien sûr connu une forte baisse. C'est une réalité.

Je reviendrai sur cette question de la raison d'être lorsque je ferai ma quatrième observation plus tard.

Troisièmement, au cours des cinquante dernières années, on a appris énormément de choses au sujet du développement à partir du niveau zéro. Comme je l'ai dit plus tôt, nous pensions alors qu'il s'agissait de bâtir, d'infrastructure. On s'est vite rendu compte que ce n'était pas là le secret d'un développement réussi. Dans les années 80, on a constaté également qu'il ne s'agissait pas seulement de marchés et d'économie, même s'il y avait à l'époque une école dominante qu'on a appelé le Consensus de Washington, qui a épousé à l'origine une approche au développement axée sur le marché. C'est important, mais, comme on l'a vu plus tard, ce n'est pas la seule approche viable.

Les leçons des 50 dernières années peuvent être résumées rapidement. Premièrement, l'approche au développement doit être intégrale. Il est vrai que l'on a besoin d'infrastructures, de routes, d'écoles, et cetera., mais il faut aussi une infrastructure sociale. Il faut se préoccuper de la santé, de l'éducation et de l'édification d'un filet social. Chose encore plus importante, il faut se préoccuper du développement institutionnel. Il faut de bons tribunaux, de bons systèmes judiciaires et une bonne fonction publique. Tels sont les piliers d'une société viable. Il faut accorder autant d'attention à l'édification de la capacité dans ces domaines qu'à la construction de ponts et de barrages.

Nous avons appris également que les donateurs doivent travailler de concert -- pendant plusieurs années, ce n'était pas le cas. Il n'y avait alors aucune coordination. De plus en plus, on voit des donateurs travailler ensemble plus étroitement.

Troisièmement, on a compris que les pays en voie de développement eux-mêmes devaient prendre en charge le développement. Nous avons constaté que dans les situations où ce n'était pas le cas, où le maître d'oeuvre était la Banque mondiale ou les donateurs bilatéraux, l'intérêt et l'enthousiasme fondaient rapidement et les programmes de développement ne débouchaient sur rien. Il ne restait après qu'une dette énorme, qu'il fallait ensuite payer.

Les 50 dernières années nous ont appris beaucoup de choses, et nous commençons à y voir clair. La Banque mondiale et certains grands donateurs bilatéraux, par exemple le Royaume-Uni et les Pays-Bas, donnent l'exemple. Soyons francs; l'ACDI a beaucoup à faire pour actualiser sa réflexion sur le développement. C'est ce que nous faisons en ce moment. Si cela vous intéresse, je peux vous parler de certaines choses que l'ACDI est en train de faire.

Quatrième et dernier point, j'aimerais revenir sur ce que je disais au sujet de la disparition de la raison d'être du développement avec la fin de la guerre froide. Nous avons peut-être beaucoup appris au sujet du développement, et nous savons comment mieux faire les choses maintenant, mais pourquoi? La guerre froide est terminée. Qui se préoccupe du développement maintenant? Sous la surface, il y a toujours cet altruisme qui nous dit que c'est ce que nous devons faire parce que c'est la bonne chose à faire. Le premier ministre l'a dit lui-même à maintes reprises. Cependant, dans un sens, il faut dépasser cela parce que l'altruisme n'est jamais suffisant. Il y a une nouvelle raison d'être au développement.

Ma quatrième observation a trait à l'intérêt canadien pour cette coopération accrue au développement. Le Canada a sincèrement intérêt à élargir la coopération au développement. Par «intérêt canadien» je n'entends pas cette approche à court terme qui est axée sur les débouchés pour les produits canadiens ou un plus grand nombre d'emplois pour les Canadiens. C'est une interprétation, bien sûr, mais ce n'est pas ce que j'entends. Quand je parle d'intérêt canadien, ce que je veux dire, c'est qu'une coopération accrue au développement tient au fait que les problèmes qui pourraient compromettre l'intérêt canadien au cours des 20 ou 30 prochaines années ne sont pas des problèmes qui peuvent être réglés isolément. Le Canada peut remédier à des problèmes intérieurs comme le chômage, l'inflation, le niveau de vie, la qualité de la vie, la répartition de la richesse et même l'environnement. D'ailleurs, nous nous débrouillons bien pour ce qui est de contrôler les choses que nous pouvons contrôler.

Les problèmes de notre pays trouveront leur origine dans des problèmes de nature mondiale.

Pour ce qui est de l'environnement, les problèmes du Canada dans les 20 ou 30 prochaines années découleront du changement climatique, de l'appauvrissement de la couche d'ozone, du mouvement transfrontalier des produits chimiques, des polluants organiques persistants, des problèmes relatifs à la biodiversité à l'échelle mondiale, des menaces pour la santé qui proviennent des grandes pandémies venues des autres continents, des réfugiés, des stupéfiants, de la criminalité et de toute une série de problèmes qui sont des débordements de situations qui se produisent ailleurs dans le monde.

L'essentiel, c'est de contrer ces problèmes à l'échelle mondiale, et bon nombre d'entre eux sont liés à l'environnement. Il existe déjà divers genres d'accords mondiaux, par exemple le Protocole de Kyoto, qui traitent de l'environnement.

Si l'on veut que ces accords mondiaux soient opérationnels, les pays les moins développés doivent être présents à la table de négociation. Ils doivent nous aider à régler les problèmes dans tous les domaines. Mais ils ne nous aideront que si on les aide à se développer au même moment. Ils nous disent qu'ils sont disposés à nous aider à régler ces problèmes mondiaux, mais ils nous rappellent qu'ils manquent de nourriture, qu'ils manquent d'eau potable, que leurs populations ne peuvent pas lire. Ils nous disent que si nous les aidons à régler ces problèmes, ils nous aideront à leur tour à régler les problèmes qui comptent pour nous.

La nouvelle raison d'être de la coopération au développement dans les années à venir sera largement l'intérêt canadien. L'altruisme demeurera une motivation sous-jacente, mais ce n'est pas la motivation première. Il existe une nouvelle raison d'être à l'accroissement de la coopération. À mon avis, elle est mal connue, et je ne suis pas sûr qu'elle soit bien comprise. Cependant, notre gouvernement, notre agence, doivent articuler plus avant cette nouvelle vision du monde et la communiquer, et nous devons ainsi contribuer à régler un problème qui attend encore une solution.

Le sénateur Bolduc: Vous avez un point de vue gouvernemental ou intergouvernemental. Votre exposé liminaire m'a beaucoup plu, ainsi que ce que j'appellerais les paramètres de vos activités au sein de l'ACDI.

Cela dit, vous n'avez pas refait l'histoire lorsque vous avez expliqué la reconstruction d'après-guerre, la guerre froide, les connaissances récentes sur le développement et, enfin, la nouvelle justification pour le développement. C'était une bonne introduction. C'est la première fois qu'on nous présente les choses ainsi. Nous avons déjà entendu des représentants de l'ACDI, mais, en l'absence d'une telle introduction, nous avons surtout posé des questions sur les divers programmes.

En 1995, il y a eu un examen de la politique étrangère qui comprenait un cadre de travail pour l'ACDI. Est-ce que votre organisation est encore guidée par les principes de cette politique étrangère?

Un comité mixte du Sénat et de la Chambre des communes s'est penché sur la politique étrangère. Ce comité avait pour mandat de décrire les objectifs de la politique étrangère du Canada. Le comité s'est surtout intéressé aux besoins essentiels des habitants des pays sous-développés, à la participation des femmes, aux services d'infrastructure, aux droits de la population, au bon gouvernement, au développement du secteur privé et à la protection de l'environnement. On nous a dit que c'était ces objectifs-là qui vous guidaient dans votre travail. Est-ce encore vrai aujourd'hui?

Je vous pose cette question parce qu'on peut envisager le développement de diverses façons. Cette question est liée à la théorie de la croissance économique. Pendant longtemps, on nous a dit: «Donnons-leur de l'argent; donnons-leur de la nourriture.» Nous savons maintenant que ce n'est pas la solution. Ainsi, nous avons donné des sommes considérables d'argent à l'Afrique et obtenu des résultats médiocres, alors que nous n'avons rien donné à l'Asie du Sud-Est, qui s'est développée très rapidement dans les années 90. Ne croyez-vous pas que l'approche de Peter Bauer en matière de développement est une bonne approche?

M. Good: Vous avez bien décrit les priorités et politiques de l'ACDI. Le problème, c'est que ces priorités sont toutes très importantes et n'excluent à peu près rien. La seule chose que pourrait envisager notre agence de développement et qui ne relève pas de ces six grandes priorités, ce sont les grands projets d'infrastructure. La liste ne parle pas d'«infrastructure»; elle parle de «services d'infrastructure». C'est ce que nous dispensons. Des employés compétents de nos services d'électricité vont dans les pays en développement pour montrer aux habitants comment faire. Nous ne construisons plus de barrages ni de ponts. C'est peut-être davantage pour des raisons financières et budgétaires, mais, outre cette exclusion, honnêtement, tout est permis.

Les priorités que vous avez énoncées reflètent bien nos activités, mais elles ne nous indiquent pas où nous devrions mettre l'accent. Peut-être que, puisqu'il s'agit de priorités et d'un énoncé de politique étrangère, on ne peut entrer dans les détails de l'orientation des activités. Cela vous donne néanmoins une bonne indication des domaines dans lesquels nous oeuvrons.

Le sénateur Bolduc: Vous dites que, dans ce cadre, en fonction de ces priorités, vous pouvez faire fonctionner votre agence. Cela ne fait aucun doute.

Toutefois, ce qui me pose problème à moi, en tant que parlementaire, c'est que ce cadre est trop vaste, pas suffisamment ciblé, et qu'il n'est pas fondé sur des critères qu'on puisse mesurer. J'en ai parlé au Sénat l'autre jour. J'ai déclaré que, en matière d'affaires étrangères, le gouvernement a une telle marge de manoeuvre qu'il peut faire n'importe quoi. Pour moi qui suis parlementaire, c'est troublant.

Il faudrait prévoir des balises pour les programmes gouvernementaux. Par exemple, nous savons que nous donnons parfois de l'argent à des dictatures. À mon avis, on ne devrait pas le faire. Parfois, nous donnons de l'argent à des gouvernements qui consacrent une grande partie de leur budget à l'achat d'équipement militaire. C'est assez embarrassant lorsque cela entraîne, disons, des luttes intertribales en Afrique.

Je crois comprendre que l'ACDI oeuvre dans 110 pays. Il s'agit là d'un nombre considérable, particulièrement lorsqu'on sait que les 25 ou 26 pays les plus pauvres sont considérés comme étant «très» pauvres. Par exemple, nous donnons beaucoup d'argent aux pays d'Amérique centrale. Ce ne sont pas des pays pauvres. Nous donnons même de l'argent à la Tunisie, qui n'est pas un pays pauvre. D'un autre côté, nous disons que nous aidons les plus pauvres. Je comprends qu'il faut avoir une certaine latitude dans le domaine des affaires internationales, mais n'est-il pas possible en même temps d'avoir des paramètres clairs?

M. Good: Il est intéressant de voir que parmi les six priorités dont vous avez parlé, vous n'ayez pas mentionné le lieu géographique, c'est-à-dire là où nous sommes présents. Elles avaient davantage à voir avec la façon dont nous fonctionnons au sein d'un pays. Elles étaient assez détaillées.

Pour faire un bon travail de développement, il faut un modèle de développement détaillé dans les domaines de la santé, de l'éducation, de l'infrastructure et des organismes institutionnels comme les tribunaux et la fonction publique. Cela nous amène au développement d'un marché et du secteur privé.

Le modèle de développement est un modèle détaillé. Lorsqu'on oeuvre dans un pays, il faut choisir de mettre l'accent sur certains éléments du modèle, selon les circonstances. De quoi le pays a-t-il le plus besoin et, pour être réaliste, quelle contribution utile les Canadiens peuvent-ils apporter? Ces deux choses ensemble nous permettent de déterminer sur quels éléments du modèle général de développement il faut mettre l'accent.

Notre ministre a choisi de mettre l'accent sur ce que nous appelons le programme social, c'est-à-dire la santé, l'éducation, le sida et la protection des enfants. Nous devons avoir une certaine latitude, à l'intérieur d'un modèle de développement bien articulé, pour travailler sur les éléments du modèle qui sont pertinents et pour lesquels nous pouvons être utiles.

L'autre aspect de votre question est l'endroit où nous devrions travailler. L'agence a été critiquée à maintes reprises à cet égard, et nous le reconnaissons. Notre ministre l'a reconnu dans les allocutions qu'elle a prononcées. Nous travaillons dans plus de 110 pays. Nous sommes très dispersés. Les frais généraux sont très élevés lorsqu'on travaille dans un aussi grand nombre de pays. On pourrait faire valoir que nous ne tirons pas le maximum de notre budget limité.

En théorie, nous pouvons parler de concentration géographique. En fait, nous avons 30 pays de concentration. Les 70 autres pays et plus sont relativement de petits programmes dont les frais généraux sont élevés. Je dois bien choisir mes mots ici, mais nous sommes devant un dilemme: d'un côté les exigences des considérations purement liées aux répercussions du développement, qui mènent à une concentration géographique, et d'un autre côté les exigences des questions de politique et des questions commerciales et de politique étrangère.

Si un nouveau pays fait des progrès, alors notre politique étrangère sera peut-être de chercher à mettre en place un programme de coopération bilatérale avec ce pays, même petit. Il y a une tendance naturelle à vouloir prendre de l'expansion.

Il y a un autre scénario. Sans vouloir raconter ce qu'on devrait taire, je dirais qu'un député pourrait demander un programme dans un pays qui intéresse considérablement ses commettants.

Vous avez parlé de certains pays que nous devrions peut-être quitter. Les pays d'Amérique centrale sont encore très pauvres. Même dans une concentration géographique, nous nous retrouverions tout de même dans les Honduras et les Nigaragua du monde.

Certains des pays nord-africains se portent très bien, et on pourrait faire valoir que nous ne devrions pas être là-bas. Cela pourrait donner l'impression que nous les punissons pour leur succès. Ils savent qu'ils sont encore très loin d'être conformes à nos normes et souhaitent continuer à profiter de la coopération.

Nos rapports avec les pays vont des pays les plus pauvres en Afrique, où nous répondons clairement à des besoins de développement, jusqu'à un programme spécial de l'ACDI qu'on appelle «Europe centrale et de l'Est» qui existe maintenant depuis cinq ans. Nous travaillons toujours avec la Pologne, la République tchèque et la Slovaquie. Ces pays sont presque nos partenaires égaux sous tous les aspects. C'est ça le continuum. Nous faisons moins de travail auprès des pays européens, mais nous avons avec eux une meilleure coopération technique et un meilleur partage des connaissances. Par exemple, nous avons actuellement un projet en République tchèque sur la lutte contre les inondations. Nous partageons avec eux notre expérience de la rivière Rouge.

On en vient ainsi à se poser la question: à quel moment est-ce qu'un pays peut se passer de l'aide au développement de l'ACDI et devient un homologue à part entière qui interagit avec le ministère des Affaires étrangères? Le dialogue se poursuit.

Notre ministre insiste pour nous donner des devoirs en abondance de façon que le gouvernement ait le loisir de se poser la question de la concentration géographique. Sachez qu'on y a déjà répondu à plusieurs reprises. En dernière analyse, la notion d'impact du développement n'a pas eu le dernier mot par rapport à d'autres considérations du point de vue concentration géographique.

Le sénateur Bolduc: C'est bien embarrassant, car nous sommes un pays commerçant. Nous commerçons avec le monde entier et nous voulons avoir de bonnes relations avec chaque pays, sans pour autant être sélectifs. Par exemple, si 25 p. 100 de l'argent que nous donnons est consacré à des denrées alimentaires, notre action n'est pas décisive pour le développement du pays en question. Je crois que ce n'est pas la bonne façon d'aborder les problèmes.

J'ai lu récemment que le Bangladesh est l'un des pays les plus pauvres du monde. Nous avons imposé des tarifs aux produits importés de ce pays au Canada pour environ 372 millions de dollars. Nous lui avons accordé un peu moins que cela en aide étrangère. Peut-être serait-il préférable de ne pas accorder d'aide, mais de supprimer les tarifs de façon que ce pays puisse exporter librement au Canada.

Le président: L'autre question qui découle de la réponse de M. Good et qui devrait nous préoccuper, c'est de savoir si le budget de l'ACDI est considéré comme un puits financier où les autres ministères ou organismes peuvent venir puiser pour satisfaire leurs objectifs légitimes d'ordre diplomatique, politique ou commercial. Dans une certaine mesure, tout dépend de la nature du contrôle parlementaire sur le budget et de ce que nous approuvons lorsque nous entérinons le budget.

Si vous voulez répondre sur ce point, vous avez la parole. Si vous ne voulez pas, je le comprends parfaitement.

M. Good: En ce qui concerne le rôle des autres ministères, je vous dirais en toute sincérité que malgré toute l'importance des intérêts commerciaux du Canada, nous ne pensons pas que ce soit leur rôle.

En revanche, nous souhaitons obtenir l'engagement des ministères en matière de développement. Nous constatons que la mission de presque tous les ministères comporte désormais une dimension internationale. Que ce soit le ministère de l'Agriculture ou de la Justice ou de l'Énergie, chaque ministère a des connaissances importantes et peut contribuer au développement avec autres choses que des fonds.

Nous nous efforçons plus qu'autrefois de travailler étroitement avec les ministères pour favoriser le développement, mais nous ne souhaitons pas qu'ils s'adressent à nous dans le but d'ouvrir des marchés aux exportateurs canadiens.

J'hésite un peu à dire cela, car ce travail est d'une importance cruciale. Je le reconnais, mais je ne pense pas que ce soit le rôle premier de notre organisme.

En ce qui concerne le commerce, pour en revenir à l'argument du sénateur Bolduc, par opposition aux nouvelles orientations de l'ACDI, nous n'avions pas jusqu'à maintenant prêter un grand intérêt au commerce. Nous mettions l'accent sur nos projets de développement. De plus en plus, nous reconnaissons la réalité dont vous parlez, à savoir qu'il n'y a pas lieu de consacrer 5 millions de dollars à tel ou tel projet de développement dans un pays du tiers monde si, dans le même temps, nous lui interdisons l'accès au marché canadien sur le plan commercial. Nous sommes bien conscients du fait qu'une légère ouverture de l'accès à nos marchés pour les pays du tiers monde favoriserait bien plus leur développement que quelques petits projets comme les nôtres.

Jusqu'à présent, notre agence ne s'est pas réellement penchée sur cette question. Cependant, compte tenu de notre ministère actuel et de l'actuel ministre du Commerce international, qui est lui-même un ancien ministre de l'ACDI, il y a convergence de points de vue, et l'on reconnaît de plus en plus qu'il faut faire coïncider l'action de l'ACDI et l'effet de développement de nos positions commerciales, notamment grâce aux éléments dont j'ai parlé, mais aussi étant donné que nos discussions commerciales -- pensez à ce qui s'est passé à Seattle -- subissent l'effet d'un éventail beaucoup plus vaste d'éléments. Par exemple, les questions de conditions de travail, d'environnement et de développement font désormais partie intégrante des discussions commerciales. C'est inévitable. Nous devons en tenir compte, et nous ne manquerons pas de le faire à l'avenir.

Le sénateur Finestone: Puis-je poser une question supplémentaire à ce sujet?

Monsieur Good, j'ai écouté l'échange concernant Seattle et Washington, et nous parlons maintenant de Windsor. À votre avis, étant donné l'importance du travail que vous effectuez, n'est-il pas nécessaire que les législateurs et les parlementaires aient davantage leur mot à dire? Si la société civile et les ONG doivent être la voix pour exprimer les préoccupations de la société en général, alors les gens qui sont le plus près de ces voix sont les parlementaires élus. Ils représentent des groupes d'intérêts. Ils subissent des pressions énormes de certains groupes, tout comme bon nombre de sénateurs. Je trouve que l'exécutif n'a pas suffisamment son mot à dire, ne demande pas suffisamment d'information et ne comprend peut-être pas suffisamment le rôle que peuvent jouer les parlementaires et les législateurs sur le plan de la liaison et de la participation.

A-t-on déjà examiné ce qui se passe à l'échelle mondiale, notamment à la Banque mondiale, au Fonds monétaire international et dans des institutions de ce genre?

M. Good: D'une part, il semble qu'il y ait un intérêt considérable. Vous avez parlé des réactions publiques à Seattle et à Washington. J'étais moi aussi à Washington, et j'ai vu de mes propres yeux ce qui s'y est passé. Il y a un intérêt énorme. Cependant, d'un autre côté, il est intéressant de souligner qu'au Canada on connaît à peine l'ACDI et le travail qu'elle fait. J'ai été frappé par le résultat des sondages d'opinion publique qui révèlent que la plupart des gens n'ont aucune idée de ce qu'est l'ACDI ou de ce qu'elle fait.

Le sénateur Finestone: Est-ce que cela ne vous envoie pas un message?

M. Good: Exactement. Je reviens sur ce que vous disiez. Toute aide que nous pouvons obtenir pour combler cette lacune est extrêmement importante. Il y a par ailleurs la lacune dont j'ai parlé dans mes observations liminaires.

Le sénateur Finestone: Je suis désolée, mais je ne les ai pas entendues.

M. Good: Le modèle de développement est en train de changer. Par le passé, les domaines du développement, du commerce et de l'environnement étaient des domaines très distincts et compartimentés, et chacun faisait ce qu'il avait à faire. Ces domaines sont de plus en plus en train de se fusionner et de devenir plutôt inséparables. Cela nous oblige à changer la façon dont notre institution fonctionne. C'est une intégration compliquée qui exige des explications.

Pour revenir sur ce que vous disiez, les législateurs ont un rôle crucial à jouer pour expliquer aux gens la réalité de ce modèle très complexe et pourquoi il est dans l'intérêt du Canada d'aider les pays à se développer afin qu'ils puissent à leur tour nous aider à résoudre certains problèmes complexes dans le domaine environnemental, entre autres. De façon contournée, j'appuie ce que vous avez dit.

Le sénateur Cools: J'aimerais souhaiter la bienvenue à M. Good à notre séance d'aujourd'hui. C'est la première fois qu'il comparaît devant notre comité. Je voudrais également souhaiter la bienvenue à M. Emmett.

Je suppose que vous avez eu l'occasion de prendre connaissance du témoignage de votre prédécesseur devant notre comité il y a quelques mois. Je suppose donc que vous êtes au courant de certaines des préoccupations, même si certaines ont été exprimées avec un certain manque d'expérience. Je pars du principe que vous savez que le comité s'intéresse au travail de l'ACDI. Je suis heureuse de constater que vous vous réjouissez de cet intérêt, car vous avez tout à fait raison lorsque vous dites que la plupart des Canadiens ne savent pas ce que fait l'ACDI. On pourrait même dire que la plupart des membres ne savent pas ce que fait l'ACDI. Je me réjouis donc de l'étude qu'entreprend notre comité ici aujourd'hui.

Je devrais peut-être vous donner l'occasion de nous parler de l'intervention de l'ACDI dans ce que j'appellerais les «appareils judiciaires» du monde. Plus particulièrement, j'ai devant moi un document concernant le tribunal constitutionnel de la Fédération de la Russie, qui est votre projet Z011060. Selon la description, ce projet fait intervenir le Bureau du commissaire à la magistrature fédérale. Je crois comprendre que l'ACDI finance toute une série d'activités connexes.

La meilleure façon de procéder serait peut-être que le témoin nous parle de ces projets, notamment en ce qui a trait au financement et au cadre conceptuel.

Le président: Quel est ce document que vous avez devant vous, sénateur?

Le sénateur Cools: Je regardais un exemplaire d'un mémoire d'entente signé avec le Bureau du commissaire à la magistrature fédérale.

Le président: Nous n'avons pas ce document. Si quelqu'un peut nous préciser ce à quoi cela correspond dans le budget, nous pourrions alors demander à M. Good de répondre à la question.

Le sénateur Cools: Si vous voulez bien vous reporter à la Partie III du Budget des dépenses, à la rubrique Bureau du commissaire à la magistrature fédérale. À la page 10, par exemple, il y a une longue explication du travail du commissaire à la magistrature fédérale et de sa participation à l'ACDI. C'est à la Partie III du budget pour l'exercice en cours, 2000-2001.

Le président: Il s'agit du Bureau du commissaire à la magistrature fédérale. Nous n'avons pas ce document devant nous non plus. Pour la gouverne des sénateurs, je voudrais savoir où cela se trouve dans le Budget principal des dépenses.

Le sénateur Cools: C'est dans le Budget principal des dépenses, sous la rubrique ACDI ou Bureau du commissaire à la magistrature fédérale. Vous y trouverez la description.

Le président: Tenons-nous-en à l'ACDI. Où cela se trouve-t-il, monsieur Good? Le savez-vous? Pouvez-vous nous aider?

M. Good: Je pense que je peux vous aider en ce sens que je ne crois pas que vous trouverez ce chiffre.

Le sénateur Cools: C'est ce que j'essaie de trouver.

M. Good: De façon générale, le type de projets dont le sénateur parle sont des projets qui correspondent à l'une des priorités dont le sénateur Bolduc a parlé précédemment, c'est-à-dire une bonne gestion publique. La bonne gestion publique inclut bon nombre de sujets, notamment tout ce qui concerne les systèmes judiciaires et la réforme du droit pénal.

Ce qui arrive à l'ACDI, c'est que nos différentes directions générales géographiques en Asie, en Afrique, dans les Amériques, en Europe centrale et de l'Est et nos directions générales de partenariat élaborent ce genre de projets relatifs à la saine gestion publique, notamment plus précisément ceux qui concernent la réforme judiciaire. Ces projets font partie de notre portefeuille, mais ils ne sont pas détaillés dans notre Budget des dépenses. Le Budget des dépenses indique tout au plus le montant d'argent qui est alloué à chacune de nos principales directions générales en Afrique, en Asie, et cetera, mais ne donne pas de ventilation pour chaque conglomérat de projets. On ne trouve pas ce genre d'information.

Le président: Pour ne pas nous éloigner du sujet, je pense vous connaissez la nature du programme -- en fait, vous venez tout juste de nous la décrire dans une certaine mesure -- ce dont le sénateur Cools parlait. Plus particulièrement, elle parlait d'un programme avec la Fédération de Russie. Elle a demandé une justification conceptuelle pour ce genre de programme. Voulez-vous tenter de répondre à cette question? Vous l'avez fait dans une certaine mesure dans vos observations liminaires, mais je vous demanderais de poursuivre.

M. Good: J'ai dit dans mes observations liminaires que parmi les leçons que nous avons tirées au cours des 50 dernières années, l'une des plus récentes au cours de la dernière décennie est que le développement institutionnel dans un pays est le fondement crucial de sa capacité de se développer. C'est là une partie du modèle de développement qui n'a pas été prise en compte.

Nous avons fini par reconnaître que les fondements institutionnels, de bons tribunaux, de bons organismes de réglementation et une bonne fonction publique sont des composantes de base qui ont une importance cruciale. Il ne sert à rien de parler du développement des marchés et de laisser les forces du marché agir et de laisser l'investissement direct dans un pays assurer sa croissance dynamique avec le temps si on n'a pas un bon contrat et d'autres types de lois.

Si on a des lois, elles doivent être robustes. Il faut avoir une capacité d'application de la loi, et cette capacité est assurée en partie par les forces policières traditionnelles, mais elle comprend également tout notre système judiciaire et ses juges.

Bon nombre des systèmes judiciaires dans ces économies socialistes et centralement planifiées ont été pendant de nombreuses années tout simplement une division du gouvernement. Ils ne constituaient pas au vrai sens du mot des systèmes judiciaires qui appliquaient un ensemble de lois bien comprises et transparentes.

Si nous établissons des marchés dans ces pays et qu'ils libéralisent leurs secteurs énergétiques, leurs domaines de la santé, leurs marchés, et cetera, nous aurons d'un seul coup affaire à des gens qui occupent des postes où ils sont censés faire certaines choses, mais sans en avoir les moyens.

Les connaissances et l'information que les représentants de notre système judiciaire, entre autres, peuvent leur transmettre pour les aider à bâtir cette capacité essentielle à leur économie représentent une contribution importante, et au Canada nous avons l'expertise voulue pour leur venir en aide. C'est un élément important de ce que nous appelons la saine gestion des affaires publiques.

Je ne peux pas vous citer de chiffre exact, mais je peux vous dire que j'ai sous les yeux une page où l'on énumère une douzaine, voire un peu plus d'une vingtaine de projets qui tombent dans la catégorie générale de la «saine gestion publique». Je suppose que cela représente dans les 20 millions de dollars par an.

Le président: Est-ce le montant pour tout ce poste budgétaire?

M. Good: C'est peut-être plus -- entre 20 et 40 millions de dollars.

Le président: Combien de ces projets sont en rapport avec les systèmes judiciaires, si vous le savez?

M. Good: Si je pouvais vous citer un exemple de titres de projets, cela pourrait vous être utile.

Le président: Cela serait-il utile, sénateur Cools? Je ne veux pas interrompre votre série de questions.

Le sénateur Cools: Non, la liste est assez longue. Ce qui m'intéresse, c'est qu'au début vous avez parlé du programme de développement social, de l'altruisme, et cetera. Tout le monde appuie le principe de l'altruisme international. Toutefois, il y a lieu de se demander, lorsqu'on considère la création de ce que j'appelle les institutions de l'État ou les institutions du corps politique, si cela ne va pas au-delà de l'altruisme pour représenter un véritable engagement dans ce que j'appelle le développement politique ou la politique.

Si par exemple on voit ce qui s'est fait par le passé, le phénomène de la création des tribunaux et de ce que j'appelle l'appareil d'État, il s'agissait sans l'ombre d'un doute d'un rôle politique attribué aux gouvernements coloniaux chargés de créer ces structures dans «les colonies».

Voici ce que j'essaye de comprendre: comment, où et quand l'ACDI commence-t-elle à travailler de concert avec la magistrature canadienne, ou à contribuer à son financement, pour participer à ces prétendues activités internationales?

Ce qui m'échappe, c'est la façon dont la Loi sur les juges ou la loi qui crée le Bureau du commissaire à la magistrature fédérale prévoit un rôle quelconque dans le développement international ou un rôle au niveau international. La magistrature jouit d'un pouvoir jalousement gardé au niveau international. J'essaye de comprendre en vertu de quel principe du jour au lendemain des juges canadiens sont autorisés à participer à des activités internationales.

M. Good: Sénateur, j'ai été mis au courant de l'intérêt que vous portez à cette question et je vais répéter ce que vous savez déjà, d'après ce qu'on m'a dit.

Le sénateur Cools: Je comprends.

M. Good: La Loi sur les juges interdit aux juges de participer à une profession ou activité autre que celles ayant trait aux fonctions judiciaires. Toutefois, d'après mes renseignements, lorsqu'on parle d'une profession ou d'une activité, en l'occurrence il s'agit en réalité de professions ou d'activités pour lesquelles ils sont rémunérés.

Le sénateur Cools: Le concept est donc double.

M. Good: Lorsqu'ils participent aux projets dont nous avons parlé, pour l'ACDI, nous nous contentons de les défrayer de leurs dépenses. Les juges ne touchent aucune rémunération en tant que telle. Par conséquent, nous estimons que cela ne va pas à l'encontre de la Loi sur les juges. À cet égard, nous estimons préserver toute l'intégrité du point de vue juridique.

Le sénateur Cools: Je n'en doute pas. Je cherche à m'informer. Le témoin fait allusion aux articles 54, 55, et 56 de la Loi sur les juges, qui sont minutieusement rédigés de façon à garantir que les juges ne participent à aucune autre activité que celles en rapport avec la fonction judiciaire.

Par exemple, un juge du Canada ne peut tout simplement siéger au conseil d'administration de Dupont International. Lorsque le Canada a été construit, on a accordé une attention toute particulière au traitement de la magistrature et des juges de façon à préserver ce que l'on appelait à l'époque l'«intégrité de la magistrature» contre la corruption. Autrement dit, pour empêcher les juges de chercher ceux qui étaient susceptibles de leur offrir la plus forte rémunération. Je suis sûr que le témoin connaît l'historique de cette question.

Ce que j'essaye de comprendre, c'est le rapport entre l'ACDI et le commissaire à la magistrature fédérale. J'essaie d'établir comment les fonds sont débloqués, en vertu de quel pouvoir et, en outre, à quelles fins on utilise ces fonds.

Le président: Nous lirons le titre de certains projets; c'est une bonne idée.

En général, la demande ou l'idée est-elle présentée par le pays bénéficiaire à l'ACDI, ou est-elle soumise au ministère de la Justice, au commissaire à la magistrature ou à un autre ministère fédéral?

Le sénateur Cools: Nous essayons de comprendre toutes ces questions depuis de nombreuses années. Je tiens à dire au témoin que l'ACDI reste un mystère. L'ACDI et son financement sont un mystère pour la plupart d'entre nous. Nous essayons d'en apprendre plus au sujet de l'agence, surtout depuis que la plupart d'entre nous savent que, 50 ans après sa création, l'agence continue d'être constituée simplement en vertu d'un décret du conseil.

La Loi sur les juges renferme des limites très strictes visant le financement des juges. L'Acte de l'Amérique du Nord britannique est explicite, dans les articles qui portent sur la magistrature, quant à la façon dont les juges doivent être financés. Il y est dit, sauf erreur, selon un montant établi et fourni par le Parlement.

J'essaie de comprendre comment l'ACDI versait cet argent aux juges. La Loi sur les juges crée le Bureau du commissaire à la magistrature fédérale. Comment cette loi confère-t-elle au commissaire le pouvoir de recevoir ces fonds et de les distribuer aux juges?

M. Good: Je ne répondrai pas à votre dernière question. Pour ce qui est des voies de financement, je me reporte à nouveau à mon mémoire. L'ACDI finance le remboursement des frais de déplacement des juges saisis -- et nous ne parlons que d'eux ici -- et les fonds sont distribués par le commissaire à la magistrature fédérale en vertu d'une entente administrative. Les fonds ne sont pas versés directement aux juges.

Il y a aussi d'autres organismes canadiens responsables de la mise en oeuvre des progrès, dont l'Institut de formation des juges du Commonwealth.

Je ne voudrais pas donner l'impression aux personnes qui ne connaissent pas bien la question que tous ces projets sont assurés par des juges saisis à plein temps. La plupart d'entre eux sont des juges à la retraite, surnuméraires ou émérites. Ils travaillent à l'occasion avec d'autres organismes, comme l'Université de Montréal ou l'Université McGill ou l'Institut canadien d'administration de la justice. Il y a aussi la Commission internationale des juristes. Il existe bon nombre d'institutions internationales connexes.

Le sénateur Cools: Certains aspects de cette question sont tout à fait nouveaux pour quelques sénateurs. Le témoin peut-il décrire le programme?

M. Good: Je vais vous citer des exemples des projets, et je vous expliquerai ensuite comment ils sont mis sur pied.

En Érythrée, l'Institut de formation des juges du Commonwealth applique un programme en vue d'aider le pays à créer un secteur judiciaire. Au Mali, un projet de réforme de la justice est entrepris de concert avec le ministère de la Justice du pays. En Chine, l'ACDI finance un projet en rapport avec la formation des juges, lequel est appliqué grâce à un consortium composé de l'Université de Montréal, de McGill et de l'Institut canadien d'administration de la justice. Il y a en Yougoslavie un projet de l'ACDI visant à financer l'établissement d'un système judiciaire impartial et indépendant sous les auspices de la Commission internationale des juristes.

Les projets peuvent être mis en oeuvre de diverses façons. Il y a parfois des contacts entre notre ministère de la Justice et un pays en développement, éventuellement dans le cadre de la participation à des instances judiciaires internationales.

Voilà comment fonctionne le réseautage. Nous établissons des liens avec un pays en développement, et le ministère de la Justice lui demande comment il peut lui venir en aide. Le ministère et le pays conçoivent ensemble un projet et demandent ensuite à l'ACDI si l'agence est prête à le financer. Nous examinons le cadre des programmes et analysons les besoins du pays. Si le projet renferme un élément de bon gouvernement et va dans le sens de nos objectifs, nous les aidons à le financer.

Nous disons normalement que ce genre de projet est adapté aux besoins, du fait que la requête vient d'ailleurs.

Le président: J'ai fait partie de la délégation qui s'est rendue en Chine il y a quelques années avec les sénateurs Beaudoin, Carstairs et d'autres. Notre rencontre avec des juges éminents nous a beaucoup appris. Les Chinois font certains progrès en matière d'adoption de certains concepts que nous jugeons assez élémentaires, comme celui de la présomption d'innocence.

Je suppose que certains délégués ont fait état de ce qu'ils ont constaté après notre retour. En effet, nos représentants des Affaires étrangères, notre autre voix, font valoir très vigoureusement auprès des Chinois certains comportements souhaitables en matière de droits de la personne. La réponse de M. Good semble cadrer avec cet événement tout au moins.

Le sénateur Cools: Je crois bien que nous appuyons tous les initiatives du gouvernement du Canada sur le plan international. Ce sont les voyages de nos juges qui m'inquiètent, étant donné que cela relève du domaine politique.

Je suis heureuse de constater que les divers ministères effectuent des démarches et viennent en aide à ces pays. C'est là une tout autre chose que le fait pour nos juges de se rendre eux-mêmes à l'étranger, dans le cadre de la Loi sur les juges, pour exercer des tâches qui sont explicitement politiques.

Le président: Nous allons aborder la question avec le ministère de la Justice. Vous voyez tout de même ce que vous pouvez obtenir en interrogeant le président de l'ACDI.

Le sénateur Cools: Monsieur Good, vous avez nommé certains des projets que vous financez. Vous avez parlé d'un projet en Érythrée et de certains autres. Vous pourriez peut-être fournir au comité une liste des projets que vous avez financés par le truchement du Bureau du commissaire à la magistrature fédérale. Les sommes d'argent et les noms des juges canadiens participants pourraient également figurer sur cette liste.

Le président: Les juges saisis, en exercice?

Le sénateur Cools: Oui, les juges en exercice qui ont participé à ces programmes.

M. Good: Je crois bien que la chose est possible, et nous allons le faire. Permettez-moi tout de même une réserve au sujet du dernier aspect, à savoir celui des noms des juges en exercice. Je ne crois pas que cela pose problème, mais, de temps à autre, il arrive que la chose n'est pas possible pour certaines raisons. J'aimerais donc pouvoir examiner cet aspect plus attentivement.

Le président: Veuillez nous fournir le nombre de juges.

M. Good: Certainement. Tout à fait. Je crois pouvoir être en mesure de fournir les noms, mais j'aimerais disposer d'une certaine marge de manoeuvre au cas où les gens du ministère de la Justice ou mes propres avocats m'aviseraient que la chose est contre-indiquée en invoquant la protection des renseignements personnels ou toute autre raison. Cela dit, il n'en reste pas moins que ces personnes sont financées par les fonds publics, et il me semble donc aller de soi que leurs noms puissent être fournis, ainsi que tous les autres renseignements que vous demandez.

Le sénateur Cools: J'ose bien le croire.

J'ai en main un article du journal The Lawyers Weekly daté du 29 août 1997. L'article est écrit par un certain Cristin Schmitz et s'intitule: «Le nouveau rôle du Canada à l'échelle internationale: Juges sans frontières». Le sous-titre est le suivant: «Des juges de partout dans le monde font porter leur attention sur le système judiciaire canadien.» Voici un bref extrait de l'article:

M. Goulard assure la coordination d'un nombre grandissant de projets très réussis en matière de coopération judiciaire; bon nombre d'entre eux sont soutenus financièrement par l'Agence canadienne de développement international (ACDI).

Voici également ce qu'on peut lire à peu près un paragraphe plus loin:

Lorsqu'il parle avec satisfaction du programme dont il est l'initiateur, le juge en chef Antonio Lamer emploie l'appellation «Juges sans frontières».

Divers articles de presse font d'ailleurs état de la satisfaction évidente du juge en chef Antonio Lamer lorsqu'il parle de son enfant chéri et du financement qu'il reçoit de l'ACDI. On a beaucoup écrit à ce sujet dans la presse. Dans l'article que j'ai cité, nous apprenons qu'un projet au moins ou qu'une partie des projets sont attribuables à l'initiative du juge Lamer.

Nous vous serons reconnaissants de tout ce que vous serez en mesure de nous fournir. J'estime qu'il est de notre devoir de protéger le rôle assez distinct et particulier des juges.

[Français]

Le sénateur Ferretti Barth: L'ACDI m'a toujours un peu intriguée. J'ai travaillé par le passé dans le milieu communautaire et social où nous avions à composer avec les problèmes de notre société. Je me demandais comment il pouvait y avoir chez nous un organisme qui aidait beaucoup les autres pays et n'aidait pas les gens de notre pays. J'ai lu les rapports et ce qui m'a vraiment sauté aux yeux ce sont les 435 millions de dollars en plus que vous allouez pour l'aide à ces pays dans votre budget pour l'année 2001-2002 et pour l'année 2002-2003. Quel critère avez-vous utilisé pour arriver à ce chiffre si précis et qui sont les pays qui vont bénéficier de cette nouvelle allocation?

M. Good: De fait, nous n'avons pas décidé de ces sommes. Ce montant nous vient du ministre des Finances et c'est lui et ses collègues qui décident des augmentations des budgets des divers ministères. Donc, nous avons été chanceux de recevoir les 435 millions de dollars de plus pour les trois années. Ce n'est pas notre décision.

Le sénateur Ferretti Barth: Cela m'intrigue beaucoup. Même dans votre rapport, à la page 15, sous la rubrique «Orientations à venir», vous dites, et je cite:

Le Canada se forcera d'élaborer des approches stratégiques mieux ciblées en accordant une importance accrue à la réduction de la pauvreté.

Je me demande si les pays qui sont sur notre liste de paye chaque année, si c'est la fin de leur demande de fonds pour les projets, de projets bien spécifiques, parce qu'ils nous reviennent, en autant qu'on a ouvert la porte, pour demander encore des fonds pour minimiser la pauvreté et les problèmes sociaux. D'autre part, je me demande s'il y a eu, pendant ces 32 années d'existence de l'organisation, d'exercer une surveillance dans certains pays pour voir si les fonds que nous leur avons alloués ont apporté vraiment les résultats pour lesquels le pays demandait ces fonds.

M. Good: En ce qui a trait à l'utilisation des fonds additionnels, je dirai que pour la plupart, en fait presque en totalité, ils vont à ce qu'on appelle maintenant dans notre ministère «l'agenda social».

Notre ministre, Mme Mina, parlera à ce sujet la semaine prochaine. D'ici deux semaines le lancement officiel d'un projet qui s'appelle «l'agenda social» aura lieu. En plus, c'est principalement une décision de l'agence de dépenser plus d'argent dans certains domaines, principalement pour le sida, l'éducation, principalement l'éducation primaire et la protection des enfants et spécialement les enfants impliqués dans les guerres civiles. Donc, c'est dans ces trois domaines que nous allons dépenser beaucoup plus du budget de l'ACDI à l'avenir.

Nous avons présentement des discussions avec la ministre sur les changements de la répartition du budget dans ces domaines pour comparer avec les autres domaines de dépenses. Nous avons pris une décision de dépenser des fonds supplémentaires.

Le sénateur Ferretti Barth:Après qu'on a donné aux pays qui demandent des subventions pour une année ou deux, à la fin du programme ou du projet, existe-t-il un comité de parlementaires ou de personnes indépendantes qui iront sur les lieux pour voir ce qui est arrivé aux fonds des contribuables canadiens, qui eux, ne savent rien de l'organisation ACDI? Vous savez qu'il y a beaucoup de corruption dans certains pays, nous l'avons vu dernièrement dans les médias. L'organisme ne nous dira pas s'il y a des pays qui vont profiter de nos subventions. Est-ce que c'est cela? Vous recevez une demande pour un très beau projet; vous donnez l'argent, et c'est fini?

M. Good: Non.

Le sénateur Ferretti Barth: J'ai demandé, il y a deux ans le rapport d'au moins un de ces dossiers, nous indiquant comment les fonds étaient dépensé et s'il y avait eu des résultats.

M. Good: On a un tel rapport au mois mars.

Le sénateur Ferretti Barth: Mais nous ne l'avons jamais reçu. Ma demande est toujours demeurée sans réponse.

M. Good: Je vais vous envoyer une série de rapports que nous avons. Nous rédigeons toutes sortes de rapports. Peut-être avez-vous vu dans les bulletins de nouvelles, il y a deux ou trois mois, que notre ministre a répondu en Chambre à certaines questions concernant les vérifications internes; c'est ce qu'on appelle en anglais des «internal audits». Nous avons fait des vérifications internes de tous nos programmes et de plusieurs de nos projets. Nous avons examiné après le fait si les programmes se sont bien déroulés ou non, et sinon, nous nous demandons pourquoi. Nous avons effectué des changements au processus. Nous avons même un processus qui pose toutes ces questions que vous avez posées.

Nous savons qu'il y a, par exemple, un organisme canadien, le Canadian Executive Agency. Pour notre projet, nous avons un contrat ou un accord avec eux, avec l'autorisation qui indique clairement leur responsabilité et la nôtre. Nous avons des discussions avec ces organismes sur nos projets. Si un problème survient, habituellement nous le savons après quelques semaines, au maximum quelques mois après le début du projet. Nous essayons par tous les moyens de régler le problème et peut-être de reconfigurer le projet. Si cela s'avère impossible, nous terminons parfois le projet. J'ai vu quelques annulations de projets depuis mon arrivée à l'ACDI, basées sur le déroulement non-satisfaisant d'un projet.

Le sénateur Ferretti Barth: Je comprends que vous allez me faire parvenir quelques copies de dossiers de certains pays où les projets se sont terminés en beauté de même que quelques-uns qui ne se sont pas terminés en beauté, pour faire un certain équilibre.

S'il y a des pays qui ne peuvent pas rembourser leur dette et qui nous demandent de leur prêter des fonds, vous nous dites que vous faites des ententes où vous leur demandez de se consacrer à améliorer l'environnement. Cette information est-elle juste? Comment peuvent-ils s'occuper d'environnement s'ils ne peuvent pas rembourser leur dette?

M. Good: Nous n'autorisons pas de prêts pour ces pays, nous faisons seulement des dons. Nous ne demandons pas maintenant le remboursement de ce que l'on donne à ces pays. Il est exact que dans le passé on a fait des prêts, mais pour la plupart nous avons renoncé au remboursement.

[Traduction]

Nous avons fait des remises de dettes pour pratiquement tous les pays d'Afrique. Nous avons remis pour plus d'un milliard de dollars de dettes en Afrique au cours des dernières années. Vous avez raison de dire que l'on doit encore 1,5 milliard de dollars à l'ACDI, mais il ne s'agit pas des dettes des plus pauvres parmi les pauvres. Essentiellement, cela concerne l'Inde et le Pakistan pour les deux tiers: un peu plus de 500 millions de dollars dans le cas de l'Inde et un peu moins de 500 millions de dollars dans celui du Pakistan. Certains pays, comme l'Indonésie, la Malaisie, les Philippines, la Thaïlande et le Sri Lanka, nous doivent également certaines sommes d'argent.

Cependant, même dans ces cas, si certains pays ont de la difficulté à rembourser, nous allons rééchelonner la dette. En effet, il y a de cela quelques mois, notre ministre a approuvé le rééchelonnement de la dette du Pakistan, compte tenu de la situation économique, et cetera. Nous ne consentons plus de prêts depuis un certain nombre d'années déjà. Nous n'offrons que des subventions, de manière à ne pas laisser des pays dans la situation d'être tenus de nous rembourser.

[Français]

Le sénateur Ferretti Barth: C'est vrai qu'à ce moment, quand ils avaient toutes ces dettes à payer, le Canada leur a dit: «Vous ne pouvez pas nous payer mais donnez-nous la promesse que vous allez améliorer votre situation environnementale.» C'est une information que j'ai. Je me demande comment ils peuvent entreprendre des projets environnementaux s'ils n'ont pas d'argent à remettre au Canada.

M. Good: Le sénateur Bolduc a parlé d'une liste des projets de l'agence y inclus l'environnement. C'est un domaine très important pour l'agence, et nous avons une foule de projets qui traitent d'environnement avec ces pays. Nous travaillons ensemble sur un projet dans un pays et nous sommes d'accord sur ce qu'il faut faire. Nous trouvons un organisme canadien qui peut servir en tant que notre agent. Nous travaillons à toutes sortes de projets dans ce domaine.

Le sénateur Ferretti Barth: J'ai bien compris. Cela me satisfait. Je reviens à ma question: existe-t-il un comité formé de personnes indépendantes ou de parlementaires ou autres à d'autres niveaux qui sont impliqués, même dans votre agence, pour faire la surveillance de ces pays après qu'ils ont reçu leur subvention et quand le programme est terminé? Est-ce que nous avons la préoccupation d'aller voir dans ces pays si le projet à été mené à terme après qu'ils ont demandé de l'argent pour trois hôpitaux, une école, un projet de réseau routier, par exemple?

M. Good: À la fin d'un projet nous faisons un rapport d'analyse pour voir les résultats. Le rapport existe. Suite à ce rapport nous faisons de temps en temps une vérification interne. Cela veut dire une deuxième analyse du projet et des résultats. Toute cette documentation est disponible à tous les Canadiens. Si votre comité veut étudier ces rapports, vous êtes libres de le faire.

Le sénateur Ferretti Barth:Vous savez que nous faisons affaires avec des pays où l'argent Nord-américain est important. Il existe toujours une situation qui n'est pas transparente dans ces pays alors s'ils reçoivent ces sommes, peut-être qu'une partie va au projet pour lequel il était demandé, mais le reste va ailleurs. Nous l'avons vu, d'après les dernières informations reçues, que ces fonds avaient servi à autre chose que le bien-être des gens. Comment se fier à un rapport noir sur blanc? C'est un peu comme Saint Thomas qui doutait.

M. Good: Je comprends. Toutefois, le processus de l'ACDI réduit ces situations de corruption à un niveau absolument minimal. Je vais vous expliquer pourquoi. Nous ne donnons pas d'argent aux gouvernements de ces pays. Nous ne le faisons pas. Nous avons plutôt un accord sur un projet. Disons que nous travaillons, par exemple, à un projet d'éducation et peut-être allons-nous faire de la formation pour les enseignants, nous embauchons alors une agence canadienne, peut-être notre agence qui traite avec l'Association des universités canadiennes, et nous embauchons directement les professeurs pour donner cette formation. Nous donnons donc notre argent à une association canadienne. Ils nous indiquent clairement ce qu'ils ont fait ou ce qu'ils vont faire, et qui va être impliqué dans ce processus et qui sont les gens qu'ils enverront. Les fonds vont directement de l'ACDI à des associations canadiennes. Ces fonds ne sont jamais entre les mains du gouvernement étranger. De notre point de vue, cela réduit énormément les risques de corruption quand nous parlons de construire des écoles, des hôpitaux, et ainsi de suite.

Il est vrai que pour les projets de construction, il y a beaucoup plus de possibilités de ce genre de situation. Comme je l'ai dit au sénateur Bolduc plus tôt, nous ne faisons plus ce genre de projets. Nous avons laissé tomber les projets d'infrastructure. Nous n'avons pas les sommes nécessaires pour le faire.

Le sénateur Ferretti Barth: Depuis combien d'années avez-vous mis de côté ces projets de construction?

M. Good: Je ne sais pas; peut-être une dizaine d'années.

Le sénateur Ferretti Barth: Une dizaine d'années?

M. Good: Oui, je crois que c'est en 1994 que le programme gouvernemental de compressions budgétaires a commencé. Ces compressions budgétaires ont continué pendant cinq ans. Le budget de l'ACDI a diminué de plus de trois milliards de dollars. Il est maintenant de moins de deux milliards de dollars. Nous avons souffert d'une compression budgétaire de 50 p. 100 de notre budget. L'implication de ces compressions était d'éliminer de notre portefeuille les projets d'infrastructure.

[Traduction]

Le président: Sans vouloir vous retenir, de manière à pouvoir passer au sénateur Finestone pour d'autres questions, j'aimerais signaler certains d'aspects au sujet desquels je n'ai pas trouvé d'information. Il serait peut-être intéressant, à un moment donné, -- et je ne crois pas que vous ayez en main les chiffres ce soir -- de connaître la ventilation, tout d'abord, de l'aide bilatérale canadienne destinée à d'autres pays, par opposition aux contributions à des organismes multilatéraux. Pour ce qui est de l'aide bilatérale, j'aimerais savoir quels montants vont directement aux gouvernements et quels montants sont affectés aux organisations non gouvernementales ou aux contrats grâce auxquels des Canadiens effectuent le genre de travail dont vous parliez dans votre réponse au sénateur Ferretti Barth.

En deuxième lieu -- et je ne sais pas si vous êtes en mesure de répondre dès maintenant -- ma curiosité a été piquée par les montants assez considérables d'endettement de l'Inde et du Pakistan à l'égard de l'ACDI. Les sommes sont-elles attribuables à un ou deux grands projets, ou s'agit-il du résultat d'une accumulation au fil des années? Tout particulièrement, je suppose que vous êtes en mesure de m'assurer que l'ACDI n'a pas fait d'avances d'argent à ces pays pour l'achat de centrales nucléaires, et cetera. L'ACDI a-t-elle, par exemple, avancé des fonds à ces pays pour l'achat de réacteurs CANDU?

M. Good: J'en serais fort étonné.

Le président: Moi aussi.

M. Good: Les fonds dont nous disposons sont relativement modestes par rapport à ce qui serait nécessaire, et ils sont répartis sur un grand nombre de projets.

Le président: Ces pays vous doivent environ 500 millions de dollars chacun. Voilà ce qui m'a frappé. N'est-ce pas ce que vous avez dit?

M. Good: En effet, c'est bien ce que j'ai dit.

Le président: C'est ce qui a piqué ma curiosité.

M. Good: Nous allons vous revenir sur ces deux questions.

Le sénateur Finestone: Monsieur Good, j'aimerais approfondir les réponses que vous avez données au sénateur Ferretti Barth. Nous laissez-vous entendre que la corruption, les pots-de-vin et le népotisme n'ont aucune incidence sur nos projets?

M. Good: Compte tenu de la nature de notre processus de planification et d'exécution des projets, les possibilités de corruption sont nettement réduites, comparativement à ce qui est le cas pour d'autres pays qui participent à de grands projets de construction ou planifient d'une autre façon. Notre démarche en matière de programmation consiste essentiellement à nous entendre avec les autorités du pays en développement concernant la nature du projet et d'en confier ensuite l'exécution à un partenaire canadien. Les fonds sont acheminés vers le partenaire canadien, que nous suivons de près par la suite. Certains pays agissent tout autrement. Ils affectent des fonds directement au budget ou au Trésor central du pays en développement et cherchent ensuite à faire garantir que l'argent sera dépensé de telle ou telle façon. Il s'agit d'une façon de faire les choses qui donne bien davantage prise à la corruption.

En dépit de la relative incorruptibilité du processus, nous avons pu constater dans le cas de certains des projets auxquels nous avons participé des pratiques de corruption qui nous ont incités à y mettre fin. J'ai à l'esprit un cas dans un pays d'Afrique où nous avons réussi à retracer le ressortissant du pays qui était chargé de la mise en oeuvre. Il a cependant pu prendre le large avec un certain montant d'argent avant que nous puissions mettre un terme au projet pour de bon. Je crois que nous avons fini par récupérer une bonne partie de l'argent.

Le président: Voilà des choses qui arrivent également ici, monsieur Good.

Le sénateur Finestone: Ce n'était pas là-dessus que portaient mes commentaires de toute matière. J'ai eu l'occasion de voir de près certains projets de l'ACDI dans à peu près 15 ou 20 pays, et j'en ai été fort impressionnée dans chaque cas. Je suis par contre passablement frustrée du manque de collaboration que l'on constate dans divers domaines où nous pourrions faire des choses ensemble, et, à cet égard, je cite le CRDI, par exemple. Je me souviens très bien d'une activité qui se déroulait au Pérou et qui avait trait au fait de capturer l'humidité des nuages au sommet des montagnes pour alimenter les plaines qui s'étendaient à leurs pieds. Certains autres pays souhaitaient participer, mais ne sentaient aucune collaboration. Aucun transfert n'avait lieu. Cette situation a donné lieu à un combat, et nous avons fini par crier victoire. Nous avons fait bouger les choses, et la collaboration a pu donner ses fruits. Pourtant, ce n'est pas là mon idée d'une victoire. À mon avis, nous avons vu là un cas de politique à courte vue dans l'interaction entre des structures, certaines d'entre elles relevant de nous, d'autres étant indépendantes. Or, l'ensemble de ces structures font partie de cette constellation de services que nous sommes en mesure d'offrir comme pays, quel que soit leur mode de financement par nos fonds publics.

Jusqu'à quel point, donc, y a-t-il collaboration entre nos organismes et nos ministères qui participent à nos efforts à l'échelle internationale? Par exemple, je sais que les responsables de Patrimoine Canada et du ministère des Affaires étrangères reconnaissent qu'il importe que leurs représentants comprennent la nature des compétences canadiennes en matière d'arts, qu'il s'agisse d'arts visuels, d'arts de la scène ou d'édition, et qu'ils y soient exposés. Quelle est donc l'importance de la collaboration entre votre organisme, Patrimoine Canada et le ministère des Affaires étrangères dans ce domaine?

Je ne tiens pas à avoir une réponse précise sur cet aspect. Je souhaite simplement vous citer certains exemples de situations que j'ai pu constater et qui m'ont frustrée au plus haut point. J'ai vu au Chili ce qu'il y a de pire en matière d'exposition de livres et d'objets d'art, et nous en étions les responsables. Il s'agissait d'un projet conjoint. Qui donc surveille la qualité des manifestations artistiques que nous présentons à l'étranger? J'ai à l'esprit notamment un spectacle de pantomime. Nous aurions pu plutôt former des gens à monter des décors ou leur permettre de se perfectionner dans d'autres domaines utiles. Ainsi, dans le domaine des arts notamment, nous devons éviter de faire des choses qui ne sont pas nécessaires. Dans le cas des activités d'affaires, nous sommes en mesure de transférer des compétences de façon beaucoup plus créatrice.

Comment mesurez-vous donc les intrants et les extrants?

L'ACDI a-t-elle fait le point récemment sur la ventilation des fonds qu'elle affecte et sur le nombre de projets dans les diverses régions géographiques?

Pour ce qui est du sida et du VIH, jusqu'où allons-nous avant de reconnaître nos limites face à ce virus particulièrement virulent? Serait-il plus souhaitable pour nous de financer des initiatives en matière d'éducation et de mise au point de vaccins? Ou encore, face aux terribles pénuries d'eau qui, d'après ce que j'ai lu, peuvent affecter jusqu'à 300 millions de personnes, serait-il préférable de redoubler d'efforts pour dessaler l'eau de mer ou l'eau saumâtre de manière à rendre disponible l'eau nécessaire au développement agricole?

J'espère avoir tort, mais si nous sommes là pour fournir des soins de santé de base, compte tenu de la virulence avec laquelle le sida s'acharne sur les pays africains, je me demande quelle est la meilleure marche à suivre. Devrions-nous financer la recherche et la mise au point de vaccins?

M. Good: La question du sida en est une qui tient beaucoup à coeur à notre ministre. Nous y consacrons des efforts considérables. La ministre amorce demain une conférence de deux jours portant sur le sida. Les spécialistes qui vont se réunir feront le point sur ce qu'ils ont appris jusqu'à maintenant. La ministre s'apprête également à lancer un plan d'action sur le sida.

Le sénateur Finestone: Votre ministre a beaucoup d'envergure. Elle possède mieux son dossier que pratiquement tous ceux avec qui j'ai pu avoir affaire au cours des 16 dernières années. Elle a une longueur d'avance sur bien des gens en matière de compassion et de préparation pour faire ce qu'elle fait. Je suis convaincue que M. Good va examiner à fond les dépenses de l'ACDI comme cela aurait dû être fait depuis bien longtemps déjà. Cependant, ce n'est pas là-dessus que portait ma question. J'attends votre réponse.

M. Good: Vous avez demandé à quoi nous devrions dépenser notre argent. Nous finançons la recherche sur un vaccin antisida en appuyant l'Institut international d'immunisation contre le sida. Cette semaine, la ministre va annoncer l'octroi d'un autre montant de 5 millions de dollars à une institution internationale qui joue un rôle clé dans la recherche d'un vaccin contre le sida.

Nous accordons également un soutien monétaire considérable aux efforts des Nations Unies de lutte contre le sida. L'organisme des Nations Unies joue un rôle crucial de coordination sur le terrain un peu partout dans le monde, notamment en Afrique. Nous exécutons nous-mêmes au moins 20 projets de lutte contre le sida un peu partout dans le monde. Nous sommes donc très présents à cet égard. Ainsi me fera-t-il grand plaisir de transmettre au comité un exemplaire de notre nouveau plan d'action contre le sida, dont nous sommes très fiers.

Le sénateur Finestone: Vous avez mis sur pied un programme intéressant dans trois domaines distincts d'activité, mais avez-vous élaboré les instruments voulus pour mesurer vos résultats?

M. Good: La question des objectifs est loin d'être simple. Notre pays est relativement petit parmi les pays donateurs, et nous faisons face à une pandémie. Il serait présomptueux de prétendre réduire de façon tangible le taux d'infection par le sida grâce à notre seul apport. Ce ne serait pas réaliste.

Nous avons tendance à nous aligner sur la dizaine d'objectifs proposés il y a quatre ans par l'OCDE dans un document intitulé «Le rôle de la coopération pour le développement à l'aube du XXIe siècle». Les échéances retenues vont de 2005 à 2015. Dans des domaines comme la santé, les responsables de l'OCDE ont proposé certains objectifs généraux.

Nous cherchons à favoriser la réalisation des objectifs proposés, mais, en règle générale, nous ne tentons pas de chiffrer les objectifs que nous nous proposons dans ces grands domaines tout simplement parce qu'il ne serait pas facile de les expliquer.

Le sénateur Finestone: Voilà qui est fort bien, monsieur Good, mais travaillez-vous en collaboration avec d'autres pays comme la Norvège, la Suède et les Pays-Bas? L'Union interparlementaire achève tout juste de produire, en collaboration avec la Croix-Rouge internationale, un excellent document portant sur la lutte contre le sida et les mesures de sensibilisation en matière de prévention. Beaucoup d'efforts sont consentis dans ce domaine, mais y a-t-il collaboration? Qui donc participe avec vous à cet effort énorme? Je ne m'attends pas à vous voir dénombrer le nombre de vies de parents ou d'enfants que vous avez sauvées.

Je vous ai interrogé au sujet des résultats. Comme intervenant, nous sommes de petite taille. Cependant, nous sommes très appréciés et extrêmement respectés. Obtenons-nous les meilleurs résultats possible, compte tenu des ressources financières et humaines que nous déployons? Tout aussi merveilleux que soit le travail que nous faisons, ne serait-il pas trop dispersé? Il ne semble pas y avoir suffisamment de concentration.

Je dois vous dire franchement que j'ai été plutôt déçue du financement reçu par l'ACDI et de l'augmentation minime de 1,5 p. 100, comparativement aux 5,7 p. 100 pour le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international. La Société pour l'expansion des exportations a reçu 7 p. 100 et le CRDI a reçu 6,7 p. 100.

Selon mes calculs et ceux du sénateur Bolduc, pour un PIB d'un billion de dollars, votre 0,7 p. 100 correspondrait à à peu près 5 milliards de dollars. Votre manque à gagner est donc très considérable. Vous devriez chercher des moyens de convaincre Paul Martin de vous confier ces 5 milliards de dollars.

Le sénateur Bolduc: L'ACDI a reçu environ un tiers de 1 p. 100 du PIB. Voilà qui nous place au sixième ou au septième rang à l'échelle mondiale. La Suède et quelques autres pays donnent davantage. J'ai les données statistiques devant moi.

Le président: Certains pays ont une drôle de façon de comptabiliser l'aide à l'étranger.

Le sénateur Bolduc: J'imagine que les pays scandinaves sont de compétence égale à la nôtre en matière de budget.

Le sénateur Finestone: Vous ne savez pas si leurs bérets bleus font partie du total. J'ai fait allusion à cet aspect dans ma question. Comment arrive-t-on donc à ces chiffres? Quelle partie du fonds de fiducie de la Banque mondiale pour les pays pauvres endettés correspond au budget de l'ACDI plutôt qu'à celui des Affaires étrangères ou du Commerce international, et quelle partie des fonds du FMI relève d'eux plutôt que de nous?

M. Good: Les fonds dont vous parlez se trouvent dans le budget du ministère des Finances. Comme ils correspondent à notre participation à la Banque mondiale, ces contributions sont donc versées directement.

Le sénateur Finestone: Si nous ajoutions ce que nous injectons dans ce fonds de fiducie, c'est-à-dire ce que nous attribuons à la réduction de la dette et ce que nous attribuons au FMI, pensez-vous que l'on pourrait atteindre 0,3 ou 0,4 p. 100?

M. Good: Mais nous avons déjà tout inclus, et le total est de 0,29 p. 100. Même si ces sommes sont réparties dans les différents budgets des autres ministères, elles représentent toujours l'aide publique au développement et font partie de notre ratio.

Le compte des différents montants d'aide publique au développement versés dans les divers pays est fait de façon assez stricte, puisque c'est l'OCDE qui reçoit officiellement les chiffres. Or, l'OCDE suit de façon assez disciplinée les montants d'APD légitimes en les distinguant de ceux qui ne sont pas légitimes, puisque les définitions sont relativement strictes. Les montants se comparent raisonnablement d'un pays à l'autre.

Le président: Les États-Unis avaient l'habitude d'inclure dans leur montant global tout l'argent dépensé au Moyen-Orient au titre de l'aide pour Israël, puis de l'aide à l'Égypte, et aujourd'hui de l'aide à d'autres pays encore. Je ne sais pas s'ils continuent à le faire ou si l'OCDE le leur a interdit.

M. Good: L'OCDE est stricte, comme il se doit, puisque les États-Unis ont un des ratios APD-PNB les plus faibles du monde. Nous avons beau nous inquiéter de n'atteindre que 0,29 p. 100, mais les États-Unis atteignent à peine 0.1 p. 100.

Le sénateur Finestone: Et vous pensez que cela suffit?

M. Good: Non, ce n'est pas ce que j'ai dit. J'ai dit que nous faisons mieux que les États-Unis.

Le sénateur Finestone: Pouvez-vous répondre aux autres questions que j'ai soulevées?

M. Good: Vous avez parlé longuement d'un examen de la répartition géographique, ce que l'ACDI n'a pas fait depuis plusieurs années déjà. Or, à peine hier, la ministre m'a dit qu'elle entendait de plus en plus fréquemment des commentaires allant dans le sens de ce que vous avez dit. Dans les prochains mois, elle a l'intention d'en parler à ses collègues et de demander si le gouvernement ne serait pas disposé à ouvrir le dossier de la concentration géographique.

Comme nous l'avons déjà dit, ne serait-ce qu'en termes d'impact et de coordination du développement, la concentration pourrait sembler bénéfique pour toutes sortes de raisons; toutefois, elle doit tenir compte aussi de plusieurs autres facteurs, comme la politique étrangère, la politique en général, les voyages des ministres et les visites au Canada de délégations étrangères. Ces différents facteurs peuvent vous pousser à ouvrir aujourd'hui le dialogue avec tel ou tel pays. La difficulté, c'est de refuser ceux qui ne font pas partie du groupe, ce qui est dur. Mais la décision revient aux ministres et au gouvernement, et elle n'est pas facile à prendre. On s'est déjà posé la question à plusieurs reprises, mais la décision de concentrer l'aide n'a jamais été prise.

Le sénateur Finestone: Les six points que sont les besoins humains fondamentaux, l'égalité homme-femme, les services d'infrastructure, les droits de la personne, la démocratie et le bon gouvernement, la mise en valeur du secteur privé et l'environnement dans une problématique homme-femme, sont des domaines prioritaires, mais ils n'ont pas été revus, évalués ou reclassés, n'est-ce pas?

M. Good: Il y a deux types de concentration, mais il semble évident que celle qui vous intéresse, c'est la concentration dans les secteurs dans lesquels nous oeuvrons. La discussion a surtout porté sur les pays dans lesquels nous intervenons.

Le sénateur Finestone: Ce qui m'intéresse, c'est la possibilité que l'on examine les secteurs.

M. Good: La ministre prend justement des décisions lorsqu'elle déclare, comme elle le fera prochainement, que nous allons augmenter considérablement la part du budget de l'ACDI qui est consacrée aux programmes sociaux -- c'est-à-dire à la santé, à l'éducation et à la protection des enfants. Au cours des prochaines semaines, elle parlera d'augmenter la part de notre budget qui sera consacrée à ces différents secteurs au cours des prochaines années. Autrement dit, elle est en train d'expliquer sur quoi portera la concentration. Elle commence à s'intéresser de très près à la question de la concentration sectorielle.

La concentration géographique est une question qui relève aussi de plusieurs autres ministres, dont évidemment le ministre des Affaires étrangères. La ministre devra donc s'adresser au Cabinet et au gouvernement, car la problématique dépasse la simple concentration sectorielle.

Le sénateur Finestone: J'ai vécu une expérience en Mongolie qui m'a prouvé qu'il était temps de combiner l'évaluation géographique et l'évaluation sectorielle. Lorsque j'étais enfant, la Mongolie me semblait être au bout du monde, et lorsque je me suis rendue là-bas, je m'attendais à voir Gengis Khan galopant dans les steppes et à travers le désert de Gobi. Une poignée d'entre nous ont assisté à une réunion internationale en Mongolie, et j'ai découvert que ce pays, qui m'avait déjà semblé gigantesque, était beaucoup plus petit et était coincé entre deux géants, la Russie et la Chine. La Mongolie essaie donc de développer sa propre personnalité et son indépendance. Elle avait à l'époque besoin de blé en provenance du Canada à cause l'une des composantes de protéine que l'on trouve dans notre blé rustique.

Je voudrais savoir pourquoi il nous est impossible d'aider ce petit pays, qui en aurait pourtant bien besoin, car il est en train de définir ses propres droits démocratiques. En effet, c'est une nouvelle démocratie qui émerge là-bas. Or, j'ai constaté que la Mongolie n'avait signé aucun protocole avec nous et que ce pays n'était pas sur notre liste de priorités, alors que nous devrions y être particulièrement présents.

Cette réunion remonte à il y a deux ans maintenant, et depuis nous nous sommes intéressés de façon très active à ce pays, et j'en suis reconnaissante à la ministre. J'aimerais également remercier le ministre des Affaires étrangères et la présidente très tenace du CRDI. Mes remerciements s'adressent même à celle qui vous a précédé, monsieur Good.

Pourquoi a-t-il fallu que le sénateur Jack Austin et moi-même nous nous fâchions du fait qu'il n'y avait pas de protocole de signé avec ce pays pour que les choses bougent enfin? Comment faisiez-vous pour mesurer la qualité et la quantité d'efforts déployés et les travaux entrepris? Votre mesure dépendait-elle de la quantité d'échanges commerciaux que nous avions avec ce pays? Est-ce parce qu'il n'y avait pas suffisamment d'échanges commerciaux avec la Mongolie? Comment la Mongolie pouvait-elle négocier avec nous, alors qu'elle en était encore à ses premiers balbutiements comme démocratie et comme pays indépendant? Comment pouvons-nous savoir ce qui se passe dans un pays si nous n'avons aucun contact avec lui? Ce pays n'a même pas suffisamment d'argent pour ouvrir une ambassade ici, même s'il est à la veille de le faire, soit dit en passant.

En deux ans, le Canada est devenu extrêmement intéressé par ce pays et a pris une part active dans le développement des soins hospitaliers et des soins de santé. Le Canada a envoyé des gens en Mongolie pour aider les enfants de la rue et pour aider la population lorsqu'un gel inhabituel a fait mourir les animaux. Nous avons également enseigné aux membres du personnel gouvernemental des principes démocratiques. C'est merveilleux de voir comment une simple réunion a pu faire avancer les choses.

Comment faites-vous pour mettre au point vos critères? Pourquoi a-t-il fallu que deux personnes en particulier visitent ce pays et voient de leurs propres yeux les besoins de la population pour que les choses bougent enfin? Je suis sûre que nous pourrions agir pour encourager nos collègues législateurs et parlementaires à prendre part à des projets à l'étranger. On ne cesse de demander de l'aide aux parlementaires. Quand allez-vous vous décider à leur demander d'intervenir? Avez-vous jamais consulté un groupe de parlementaires? L'ACDI existe depuis longtemps, mais avez-vous jamais invité les parlementaires à venir causer avec vous lorsqu'ils revenaient d'un voyage à l'étranger? Ne pourraient-ils pas porter à votre attention certains faits intéressants lorsqu'ils sont de retour de voyage? Si vous montriez quelque intérêt que ce soit envers leurs avis, vous pourriez sans doute susciter leur intérêt. Cela ne veut pas dire que vous devriez appliquer à la lettre ce qu'ils vous recommandent; il vous suffit de les écouter.

Monsieur Good, à nouveau maître, nouvelle loi. Songez-y.

M. Good: Sénateur, vous apprendrez avec plaisir que nos relations avec le CRDI deviennent de plus en plus étroites. J'ai d'ailleurs rencontré longuement Maureen O'Neil hier, et nous allons travailler de concert sur les grandes questions qui ne semblent pas aboutir dans les pays en voie de développement; d'ailleurs, nous sommes à mettre sur pied une équipe conjointe dans ce but. Je conviens avec vous que le CRDI est une institution extrêmement forte, et nous allons travailler en étroite collaboration avec elle.

Nous avons un bon portefeuille de projets en cours à l'égard de la Mongolie. Nous devons entreprendre dès cet été dans ce pays un important projet sur la biodiversité.

Le sénateur Finestone: La Mongolie a aussi besoin d'aide en matière de réforme du droit et de réglementation. Cela devrait faire partie du projet.

M. Good: Si nous avons été un peu plus réticents qu'avant à mettre en oeuvre de nouveaux projets, au cours des deux ou trois dernières années, c'est en partie parce que notre budget total a diminué de 3 milliards de dollars à moins de 2 milliards. Nous avons donc subi une compression budgétaire de 50 p. 100. Il est difficile d'accroître le nombre de pays dans lesquels nous sommes présents lorsqu'on est confronté à une telle réduction budgétaire. C'est pourquoi vous avez constaté un peu plus de réticence que dans une situation normale.

Quant à vos remarques au sujet des parlementaires, je suis totalement d'accord avec vous. Nous devrions profiter de l'expérience des gens à l'étranger. Il faudrait toutefois que ce soit le cabinet de notre ministre qui organise ce genre d'événement.

Le président: Monsieur Good, comme vous avez pu le constater, les membres du comité s'intéressent de près aux activités de l'agence. Vous avez dû sans doute constater aussi que le centre d'intérêt pour des régions précises varie selon le sénateur ou le sénateur qui pose les questions.

Néanmoins, j'espère que, tout comme moi, vous estimez que notre réunion vous a permis de nous donner un bon aperçu des activités de l'ACDI et des objectifs que vous essayez d'atteindre, ce pourquoi tous les membres du comité et moi-même vous remercions chaleureusement.

M. Good: Merci, monsieur le président. Même s'il y a bon nombre de messages précis, je pars d'ici en ayant l'impression de pouvoir compter sur un appui ferme de votre part.

Le président: Vous disposez d'un appui ferme au Sénat.

M. Good: Nous vous en savons gré, car nous en avons besoin.

Le président: Je ne sais pas si, dans le cours de notre étude de l'ACDI, nous souhaiterons inviter d'autres personnes, et notamment la ministre, dont le leadership a été mentionné à plusieurs reprises ce soir. Avant de terminer notre étude, nous pourrons peut-être l'inviter également à comparaître.

La séance est levée.


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