Délibérations du comité sénatorial permanent
des affaires étrangères
Fascicule 8 - Témoignages
OTTAWA, le mardi 17 mai 2000
Le comité sénatorial permanent des affaires étrangères se réunit aujourd'hui à 15 h 50 afin d'examiner, pour en faire rapport, les faits nouveaux en matière de politique, de questions sociales, d'économie et de sécurité en Russie et en Ukraine, en tenant compte des politiques et des intérêts du Canada dans la région, ainsi que d'autres sujets connexes.
Le sénateur Peter A. Stollery (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président: Honorables sénateurs, nous recevons aujourd'hui les fonctionnaires du ministère des Affaires étrangères et du Commerce international.
Le sénateur Bolduc: Monsieur le président, puisque nous avons un autre engagement à 17 heures, j'aimerais savoir si vous comptez siéger jusqu'à 17 h 30.
Le président: Je crois comprendre que le sénateur Corbin doit également partir. Je m'en remets donc à la volonté du comité.
Le sénateur Corbin: Je pense que le comité devrait poursuivre ses délibérations, s'il le juge nécessaire.
Le président: Monsieur Wright, vous avez la parole.
M. James R. Wright, directeur général, Direction générale de l'Europe centrale, de l'Est et du Sud, ministère des Affaires étrangères et du Commerce international: Honorables sénateurs, je suis ravi d'avoir à nouveau l'occasion de comparaître devant le comité, surtout pendant cette période importante de changements et de transition en Europe centrale et occidentale.
Au milieu des changements capitaux entraînés par la dislocation de l'Union soviétique et le discrédit du communisme en tant que puissance politique et économique, le Canada et la Russie ont tous deux entamé les années 90 avec une perception très claire de ce qu'ils attendaient de leurs relations mutuelles. Dans l'ensemble, Moscou recherchait l'appui du Canada aux efforts déployés par la Russie pour adhérer aux institutions mondiales telles que le G-8, et trouver des débouchés sur les marchés occidentaux pour ses produits -- une vaste gamme de produits allant des engrais et de l'aluminium à l'acier et à l'huile. Les Russes espéraient aussi un engagement concret du Canada à l'égard de la réforme économique et du renouveau institutionnel dans leur pays.
Au nombre des objectifs essentiels du Canada comptaient la promotion de la démocratie, l'accélération du désarmement et l'obtention d'une place prépondérante pour les exportations et les investissements canadiens dans la nouvelle économie russe.
Ces objectifs étaient omniprésents lors des quatre visites du président Yeltsin au Canada: deux visites en 1992 en tant que nouveau chef d'État; une en 1993, pour des pourparlers bilatéraux avec notre premier ministre et le président Clinton; et une en 1995, pour le Sommet de Halifax, qui a approfondi le partenariat entre le G-7 et la Russie.
Ils ont également servi de toile de fond à une décennie d'ambitieuses initiatives canadiennes bilatérales avec la Russie: notre vigoureux dialogue sur les questions de politique étrangère et les pourparlers réguliers sur la stabilité stratégique, depuis 1993; une commission économique intergouvernementale créée par les premiers ministres Chrétien et Tchernomyrdin en 1995; un vaste programme de coopération technique de l'ACDI fournissant entraînement et expertise à l'appui de la réforme; un dialogue à facettes multiples sur le fédéralisme et sur l'Arctique et le Nord; et enfin la mobilisation des sociétés, des ministères et des citoyens sur de plus en plus de fronts.
Quel est le bilan de ces efforts aujourd'hui?
[Français]
Nous pouvons certainement être fiers des résultats obtenus au cours de la dernière décennie. Depuis 1992, la Russie a tenu trois séries d'élections législatives et deux séries d'élections présidentielles, avec un ferme appui du Canada sous diverses formes. Elle a renoncé à la planification centrale, libéralisé les prix, créé de véritables marchés et privatisé le plus gros des actifs de l'État. Pour terminer, la Russie s'est rapprochée de ses partenaires occidentaux en adhérant au G-8, en établissant des structures en vue d'un dialogue avec l'OTAN et en offrant sa collaboration sur le terrain en Bosnie, au Kosovo et partout ailleurs. Le Canada et la Russie sont partenaires dans un large éventail d'entreprises fructueuses, de la restauration rapide à Novossibirsk à l'exploitation forestière par hélicoptère sur l'île de Vancouver.
[Traduction]
Mais il y a aussi eu des déceptions. Notre renforcement positif de la transformation nationale de la Russie s'est heurté à un obstacle majeur en Tchétchénie, et la perception russe de cette guerre a mis en doute la notion selon laquelle la nouvelle Russie partage nos valeurs. Notre engagement économique en tant qu'exportateurs d'une gamme de plus en plus large de marchandises et de services, et en tant qu'investisseurs dans des secteurs clés, a marqué un ralentissement depuis la crise financière du mois d'août 1998, et à la suite de la dégradation qui s'en est suivie dans le secteur bancaire russe et de la détérioration du climat de placements. Enfin, notre collaboration dans le domaine de la politique étrangère a achoppé sur d'importantes questions d'actualité, telles que le Kosovo.
Dans le temps qui nous est imparti aujourd'hui, mon objectif, monsieur le président, est de partager avec vous notre vision récente du nouveau leadership de la Russie et des défis auxquels il est confronté -- chez lui, sur le plan de la politique économique et à l'étranger. J'aimerais également souligner les perspectives actuelles pour les relations du Canada avec la Russie -- comme amis, comme acteurs de la politique étrangère, comme partenaires économiques n'ayant pas encore atteint leur pleine capacité, et dans les rôles spéciaux qui nous lient en tant que fédérations, principaux producteurs de ressources et gardiens conjoints de l'Arctique et du Nord.
Le président Poutine est entré en fonctions le 7 mai et forme actuellement son gouvernement. Aujourd'hui, la Douma a confirmé sans équivoque le candidat présenté par Poutine au poste de premier ministre, l'économiste de 42 ans, Mikhail Kasyanov. Malgré ses antécédents liés au KGB et certains profils médiatiques parfois sensationnels, nous connaissons bien les origines et l'orientation du président Poutine. Il a été l'un des principaux acteurs dans les tentatives de réforme de Saint-Pétersbourg au début des années 90 et, grâce à sa loyauté et à son travail acharné dans les structures présidentielles à Moscou après 1996, il a gravi les échelons pour devenir le candidat choisi par le président Yeltsin pour sa succession.
Le premier ministre Kasyanov est un économiste professionnel très direct et qui -- entre autres choses -- a géré les ententes de crédit avec le Canada visant notamment les céréales, au début des années 90. Il est bien connu des autorités canadiennes et des institutions financières internationales.
[Français]
La Tchétchénie a démontré jusqu'à quel point les priorités de Poutine sont nationales: il résistera à toute ingérence extérieure dès lors qu'elle touche aux intérêts de la Russie. Il entre en fonction avec le vigoureux appui des circonscriptions traditionnelles du centre -- les militaires, les organes de sécurité et la bureaucratie gouvernementale --, soutien qui peut réduire sa marge de man<#0139>uvre pour une plus grande libéralisation. Depuis l'automne dernier, il a fait appel de façon convaincante au sentiment nationaliste, promettant un État vigoureux, dans lequel les Russes seront à nouveau fiers de leur appartenance.
[Traduction]
Parmi les nombreux plans et programmes divulgués et faisant l'objet de discussions à Moscou, la nouvelle équipe du président Poutine s'est fixé trois défis fondamentaux: remettre au pas les régions qui, en l'absence de statuts fédéraux, ont souvent légiféré de manières contradictoires, au cours de la dernière décennie, sur des questions clés, tels que les taxes et impôts et les droits de propriété; revitaliser l'économie par la croissance, ainsi que des réformes axées sur l'investissement, des réductions du secteur public, une déréglementation, et une réforme des pensions, pour rehausser le niveau de vie et la compétitivité; et, enfin, s'attaquer à la criminalité et à la corruption qui continuent d'entraver les efforts de perception des recettes de l'État fédéral et d'empoisonner le milieu des affaires dans des secteurs clés, notamment pour les petites et moyennes entreprises.
En ce qui concerne l'économie, malgré la forte croissance de la production industrielle l'an dernier, et le renforcement de l'ensemble des résultats du PIB, la prochaine étape de la réforme russe -- le programme structurel et microéconomique -- est en réalité bloquée. La Russie reste fortement redevable à la dévaluation, au remplacement des importations et aux prix élevés du pétrole et des autres produits de base pour l'amélioration de ses résultats. Si l'on ne prend pas de mesures rapides pour s'attaquer aux problèmes touchant les taxes, le secteur bancaire, la propriété et les réformes secteur par secteur, de sérieux points vulnérables subsisteront. Jusqu'à maintenant, le nouveau gouvernement a placé la dette et les questions financières internationales en tête de ce programme structurel.
Le premier ministre Kasyanov est le négociateur compétent qui a été chargé de rééchelonner la dette de l'époque soviétique de la Russie en 1995, d'émettre les premières euro-obligations de la Russie en 1997, et de négocier l'étape décisive de l'accord de janvier 2000 avec les créanciers du Club de Londres, qui ont commencé à mettre fin à l'isolement de la Russie par rapport aux marchés financiers qui a suivi la crise russe.
Puisqu'il a maintenant été confirmé dans son poste, on peut s'attendre à ce qu'il cherche à obtenir un rééchelonnement du Club de Paris et à renouer sérieusement le dialogue avec le FMI et d'autres institutions financières internationales. À notre avis, la Russie dispose des ressources dont elle a besoin pour faire face à ses obligations sur le plan national et sur le plan de la dette: le nouveau financement devrait attendre la constatation d'un véritable mouvement dans le programme structurel.
[Français]
Sur le plan des relations bilatérales, les exportations canadiennes à la Russie, comme celle de la plupart de nos partenaires occidentaux, ont baissé de plus de 50 p. 100 par rapport au niveau de 1998, tandis que les importations russes, stimulées par la dévaluation sont restées stables ou ont augmenté. Parmi les principaux obstacles qui se sont opposés au rétablissement de l'équilibre dans les relations commerciales avec la Russie, il y a lieu de mentionner la lenteur de la reprise économique et le manque quasi total de transparence du secteur bancaire russe, qui ont considérablement limité le financement des transactions commerciales avec la Russie.
[Traduction]
Le gouvernement déploie d'importants efforts pour régler les différends relatifs aux investissements, dans les cas où des projets canadiens prometteurs ont été victimes d'expropriations sans contrepartie, de l'ambiguïté de la réglementation ou d'actes criminels flagrants. Malheureusement, nous n'avons pas encore de grands progrès à signaler et plusieurs cas importants qui devaient servir de précédents, surtout dans le secteur des ressources, n'ont fait qu'empirer depuis septembre 1999. Les discussions bilatérales sur ces questions demeurent intenses. En effet quatre ministres russes ont visité ou doivent visiter le Canada dans les six premiers mois de l'année pour discuter entre autres de questions commerciales et d'investissement. De plus, le ministre canadien du Commerce international, Pierre Pettigrew, doit se rendre à Moscou et à Saint-Pétersbourg à la tête d'une importante délégation, à l'occasion de la quatrième session de la Commission économique intergouvernementale Canada-Russie, qui aura lieu vers la fin juin.
Il est absolument essentiel de noter ici que les investissements demeurent le problème décisif de l'économie russe. Le monde des affaires, aujourd'hui composé d'«oligarques» et réputé pour son niveau de contrôle quasi monopolistique et ses relations avec le crime organisé, est extrêmement hostile tant aux changements structurels qu'aux nouveaux investissements. Dans la solution de ces problèmes épineux, nous sommes bien sûr disposés à juger le président Poutine sur ses actes, et pas seulement sur ses paroles.
Sans perdre de vue les lacunes révélées par les crises du Kosovo et de la Tchétchénie, le président Poutine a commencé à tracer la voie de la participation avec ses homologues du G-8, qui atteindra son point culminant au Sommet d'Okinawa.
Étant donné que le président Poutine parle allemand et a pris contact avec l'Europe tôt dans sa carrière, compte tenu aussi des énormes enjeux de l'Union européenne dans l'avenir de la Russie, il n'est que naturel de déceler des penchants européens dans sa perspective.
La ratification rapide du Traité d'interdiction complète des essais nucléaires et de START II constitue une contribution réelle à la stabilité stratégique ainsi qu'au régime de désarmement et de contrôle des armements. Nous espérons que la Russie complétera le «tour du chapeau» en ratifiant le Traité «Ciels ouverts» négocié dans la ville où nous nous trouvons.
Au-delà d'une collaboration fructueuse avec Moscou destinée à prévenir et à régler les conflits régionaux, notre première priorité est de faire participer la Russie à la gestion de la sécurité euro-atlantique. Cela comporte de grands défis liés, premièrement, à la sauvegarde du Traité concernant la limitation des systèmes antimissiles balistiques face au projet américain de Système national de défense antimissiles et, deuxièmement, au renforcement des régimes mondiaux de non-prolifération des armes nucléaires et d'autres armes de destruction massive, de même dans lequel la Russie a un rôle de tout premier plan à jouer.
La politique étrangère russe demeure basée sur une recherche de la parité: parité avec les États-Unis en matière de contrôle des armements et d'autres questions de portée mondiale et parité avec l'OTAN sur les questions de sécurité européenne. C'est dans ce contexte qu'il faut envisager le concept russe de multipolarité: il a permis à Moscou de réagir à l'inquiétude suscitée par l'influence croissante des États-Unis et a mené la Russie à se lancer dans des formes étendues et souvent coûteuses de dialogue en Asie et ailleurs.
Sous la direction du président Poutine, la multipolarité pourrait céder le pas à une approche davantage axée sur les intérêts. Toutefois, quand la politique étrangère russe vise la parité ou les intérêts, sans égard aux droits de la personne et aux valeurs communes, elle risque de limiter les perspectives de coopération entre les deux pays, comme partenaires à part entière.
L'absence de formes appropriées de protection des civils et de dialogue politique tout le long de la campagne militaire russe en Tchétchénie illustre bien ce point.
[Français]
Nous demeurons très conscients des problèmes auxquels la Russie est confrontée tandis qu'elle cherche à asseoir son autorité au sein de la Communauté des États indépendants et à renforcer ses relations avec ses principaux voisins. Le modèle de gouvernement du Bélarus, avec son autoritarisme et son mépris courant des droits fondamentaux de la personne, nécessite de la vigilance et des relations entre Moscou et l'Ukraine, dans lesquelles interviennent d'importantes questions ayant trait à la dette et au contrôle des actifs économiques.
Malgré quelques expériences carrément décevantes et les incertitudes qui planent à l'horizon, le Canada et la Russie continuent à étendre leur coopération dans les domaines où notre partenariat revêt un caractère spécial, comme dans le fédéralisme, l'Arctique et le Grand Nord. La Russie a été un participant clé à la Conférence internationale du Mont-Tremblant sur le fédéralisme. Dans le cadre d'un nouveau projet financé par l'ACDI, l'Association des universités et collèges du Canada s'efforce de faire valoir les principes canadiens, notamment en matière de fédéralisme, dans les conseils centraux du nouveau gouvernement russe. Enfin, un nouveau groupe de travail de CEI sur l'Arctique et le Grand Nord, co-présidé par le ministre Axworthy et le ministre russe du Développement du Nord, développe le travail entre les régions et les entreprises sur les transports aériens et maritimes ainsi que sur les problèmes des collectivités septentrionales.
[Traduction]
En l'an 2000, le Canada et la Russie disposent d'une solide base de connaissances et d'expérience dont ils peuvent tirer parti pour développer leurs relations bilatérales d'une manière sans précédent. Tout en concentrant fermement notre attention sur l'établissement d'une vision commune de la sécurité au XXIe siècle et sur les moyens de favoriser une croissance à long terme durable en Russie, nous espérons poursuivre ces objectifs de concert avec le nouveau gouvernement de la Russie, ainsi qu'avec ses régions, ses entreprises et son peuple.
La décision du comité d'examiner les relations du Canada avec la Russie et l'Ukraine nous semble aussi opportune qu'importante. Le nouveau régime russe a lui-même entrepris une grande refonte de sa politique et de ses programmes, tandis que les principaux partenaires de la Russie, qu'ils soient à Bruxelles, à Washington ou à Paris, réévaluent les moyens que nous avons tous adoptés pour collaborer avec Moscou.
Par rapport à la politique canadienne, cet examen est particulièrement précieux dans les domaines suivants: pour faire le bilan de la coopération canado-russe en matière de politique étrangère et des nouvelles perspectives qui s'ouvrent dans ce domaine; pour trouver des stratégies permettant de favoriser le respect de la loi en Russie; pour mesurer la nature et les effets de la criminalité organisée et d'autres problèmes de sécurité en Russie; pour examiner les effets de l'aide accordée par les institutions financières internationales depuis 1992; pour évaluer les tendances à long terme qui se manifestent en Russie dans le domaine des droits de la personne, surtout en Tchétchénie, pour renforcer les initiatives et la coopération technique canado-russes dans l'Arctique et le Grand Nord ainsi qu'en matière de fédéralisme; et enfin, pour déterminer les principales questions sectorielles et structurelles nécessitant une coopération plus étendue.
Je crois comprendre que même si la discussion porte davantage sur la Russie aujourd'hui, nous aurons l'occasion le 7 juin de discuter en détail de la situation en Ukraine. Nous attendons d'ailleurs cette occasion avec impatience.
Le président: Vous m'avez rappelé d'informer les membres du comité que les fonctionnaires qui sont responsables du dossier de l'Ukraine, qui sont d'ailleurs actuellement en voyage, comparaîtront devant le comité le 7 juin.
Le sénateur Carney: Votre résumé de la situation en Russie m'a beaucoup intéressé. Voilà longtemps que nous n'avons pas eu de rapport sur les activités du ministère des Affaires étrangères en Russie. J'ai trois petites questions à vous poser. Vous énumérez les domaines dans lesquels l'examen du comité est à votre avis particulièrement utile, mais cette liste ne comprend ni les affaires et le commerce, ni le développement économique, et je me demandais pourquoi.
Par ailleurs, je crois comprendre qu'il existe à l'heure actuelle un déséquilibre commercial entre nos deux pays. Nos exportations ne progressent pas et les leurs ont été dévaluées. Ma question est donc évidente. Pourquoi vos priorités ne comprennent-elles pas les affaires, les investissements et les débouchés commerciaux?
M. Wright: Vous posez une excellente question, sénateur. Pour nous c'était implicite dans certaines des conditions dont nous avons fait état. Évidemment, nous avons parlé de l'élaboration de stratégies canadiennes visant à favoriser la primauté du droit en Russie. Une amélioration de situation en Russie sur ce plan-là aura pour effet d'améliorer l'accès des entreprises canadiennes au marché russe et de relever le niveau d'investissement des entreprises canadiennes.
Le crime organisé a également posé problème aux compagnies canadiennes. De même, l'aide des institutions financières internationales est liée au climat commercial et économique en Russie.
Tout cela pour dire qu'en ce qui nous concerne, le comité voudra certainement examiner les relations entre le Canada et la Russie relativement au commerce et aux investissements. Nous l'encourageons dans cette voie. Nous sommes à une époque extrêmement importante. Voilà l'une des raisons pour lesquelles, d'ailleurs, le ministre du Commerce international, M. Pettigrew, se rendra à Moscou et à Saint-Pétersbourg en juin de cette année.
Le sénateur Carney: Dois-je donc comprendre que vous ne seriez pas mécontent de nous voir examiner ces questions-là?
M. Wright: Non, bien au contraire.
Le président: Cela fait partie de notre mandat.
Le sénateur Carney: Ces éléments-là n'ont pas été mentionnés quand vous parliez de vos priorités. C'est pour ça que j'ai soulevé la question.
Ma deuxième question concerne le fait que la Russie est un pays tellement vaste. Il s'étend sur 11 fuseaux horaires. Où se trouvent vos consulats et vos missions en Russie? Comment faites-vous pour obtenir de l'information étant donné que vous traitez avec des gens se trouvant dans 11 fuseaux horaires différents? La zone pacifique de la Russie se trouve à seulement cinq heures de Vancouver, mais nous n'en entendons jamais parler. En quoi la situation géographique fait-elle obstacle à votre capacité d'être de bons conseillers en politique étrangère?
M. Wright: Encore une fois, vous posez une question très importante. Jusqu'à présent, nos ressources étaient trop limitées pour nous permettre d'ouvrir des bureaux ailleurs en Russie. À l'heure actuelle, nous avons une ambassade à Moscou et un consul général à Saint-Pétersbourg. Nous envisageons d'ouvrir un consulat honoraire en Extrême-Orient russe, peut-être à Vladivostok. Notre ambassadeur s'occupe activement de ce dossier. Nous avons eu des discussions avec des représentants des entreprises de l'ouest du Canada, qui font pression sur le ministère depuis un moment pour obtenir ce consulat.
Le sénateur Carney: C'est justement pour cela que je vous ai posé la question. Pourquoi n'envisagez-vous pas d'ouvrir un consulat général, comme l'ont fait les Américains?
M. Wright: Eh bien, nous sommes confrontés à certaines réalités à Ottawa qui nous obligent à tenir compte de ce qui est réalisable à l'heure actuelle avec les ressources dont dispose le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international. Nous allons peut-être commencer par ouvrir un consulat honoraire. Nous espérons pouvoir assez rapidement détacher dans l'Extrême-Orient russe un agent commercial qui serait basé au Canada et qui serait chargé de faciliter le règlement de problèmes d'échanges entre l'Extrême-Orient russe et l'Ouest du Canada. C'est d'ailleurs une priorité qui figure dans mon plan d'activités au ministère des Affaires étrangères et du Commerce international depuis trois ans.
Le sénateur Carney: Dans l'ouest du Canada, il semble exister un potentiel de liaison très réel entre les différentes industries primaires -- les secteurs des forêts, des minéraux et de l'énergie -- et l'exportation du savoir et du talent. C'est un élément qui semble souvent négligé dans les plans; or c'est sans doute la région où nous pouvons le plus facilement percer, si ce n'est parce qu'elle est tellement éloignée de Moscou que les autorités ne semblent pas toujours savoir ce qu'ils font là-bas. Vous dites que la priorité du gouvernement de Moscou est de remettre au pas les régions, qui sont parfois bien plus avancées que Moscou.
J'ai une dernière question, et elle porte sur mon sujet favori: Pourquoi accordez-vous la priorité à la sécurité euro-atlantique? Je ne suis pas une experte sur la situation en Russie, mais il y a d'importantes installations militaires dans la région que vous appelez la Russie orientale et que nous appelons la zone pacifique de la Russie. Nous savons que la Chine est inquiète face à la montée du shintoïsme et à la militarisation du Japon, et que le conflit entre la Russie et le Japon au sujet des villes du Nord n'est toujours pas réglé. J'aimerais que vous m'expliquiez pourquoi vous estimez que la sécurité atlantique est plus prioritaire que la sécurité pacifique?
M. Wright: À l'heure actuelle, nous sommes aux prises avec le problème de l'élargissement de l'OTAN et les difficultés que vous connaissez aux Balkans. Il y a aussi l'importante relation entre l'Union européenne et la Russie, et entre les États-Unis, le Canada et la Russie. Nous devons également tenir compte de l'orientation personnelle du nouveau président, qui a consacré une bonne partie de sa carrière à cette question. De plus, l'architecture internationale en matière de contrôle des armements et de désarmement fait actuellement l'objet d'un examen approfondi. Voilà donc quelques-unes des questions qui seront à notre avis des priorités pour le nouveau gouvernement russe en ce qui concerne sa politique étrangère.
Cela dit, vous avez parfaitement raison de dire que la Russie a tout de même certaines intentions relativement au dossier du Pacifique et même son propre dialogue dans ce domaine. Il y a eu d'ailleurs des réunions de haut niveau entre le Japon et la Russie et entre la Chine et la Russie. La Chine a également des intérêts sur le sous-continent, c'est à dire l'Inde et le Pakistan.
Pour toutes les raisons que vous avez évoquées, ces autres questions demeureront prioritaires pour la Russie. Dans votre examen de la politique étrangère russe, il conviendrait que vous vous penchiez sur l'orientation de la politique étrangère russe à l'heure actuelle et ses conséquences pour le Canada.
Le sénateur Taylor: Dans votre graphique en couleurs représentant les exportations vers la Russie et les importations de la Russie, je constate que nous sommes passés de 379 millions de dollars en 1997 à seulement 174 millions de dollars en 1999. Cette information se trouve à la page 2 de votre relevé statistique sur le diagramme à barres en couleur. Ma question est la suivante: Quels produits canadiens les Russes ont-ils cessé d'importer pour que la valeur de nos exportations diminue de moitié? S'agit-il de céréales?
M. Chris Alexander, directeur adjoint, Russie, Direction de l'Europe de l'Est, ministère des Affaires étrangères et du Commerce international: Sénateur, toute une gamme de produits a cessé d'être importée -- et ne sont donc pas représentés sur ce graphique -- juste avant, mais surtout après, la crise financière qui s'est déclenchée en Russie le 17 août 1998. La crise a eu deux conséquences importantes: d'abord, une dévaluation dramatique et incontrôlée du rouble; et deuxièmement, le non-paiement d'une bonne partie de la dette intérieure de la Russie -- soit l'équivalent de son marché obligataire intérieur et de sa dette étrangère.
En 1998, à partir de la mi-août environ, les banques n'offraient plus de financer les opérations commerciales visant la Russie.
Le sénateur Taylor: Les banques de qui -- les leurs ou les nôtres?
M. Alexander: Les deux. Par exemple, les banques européennes avaient beaucoup traité avec la Russie jusqu'à ce moment-là. Leurs opérations avec la Russie se déroulaient sans couverture. Les acheteurs russes ont perdu leur pouvoir d'achat à cause de cette dévaluation. Du jour au lendemain, la Russie, qui était le plus important importateur d'Europe -- dans certains cas, du monde -- de certains types de produits transformés -- surtout les produits carnés, mais aussi d'autres produits agroalimentaires à forte valeur ajoutée -- a pratiquement cessé d'importer certains de ces produits.
Les pertes du côté canadien ont surtout touché les viandes transformées, d'autres produits agroalimentaires, et différents types de matériel de télécommunications et d'extraction de ressources primaires que nous vendions en fortes quantités à la Russie tant que le rouble était fort.
Le sénateur Taylor: La Société pour l'expansion des exportations finance-t-elle des exportations vers la Russie, ou cette dernière est-elle considérée comme un mauvais payeur? La Société pour l'expansion des exportations est-elle active dans ce pays?
M. Wright: La SEE est active en Russie. Mais à l'heure actuelle, elle fait plutôt preuve de prudence. Une ligne de crédit a été approuvée par la Société pour l'expansion des exportations pour le financement des exportations agroalimentaires. Elle vise également le secteur de la construction.
Je sais que lorsque le ministre Pettigrew visitera Moscou et Saint-Pétersbourg à la fin juin, des représentants de haut niveau de la SEE participeront certainement à cette visite. D'ici là, la SEE procédera à une étude approfondie de l'économie russe, afin de s'assurer que ses politiques traduisent la réalité actuelle en Russie et de faciliter ainsi les exportations canadiennes vers la Russie.
M. Alexander: La SEE s'intéresse au marché russe. Comme M. Wright vient de vous l'expliquer, elle a un fonds d'assurance renouvelable d'une valeur de 20 millions de dollars pour les exportations de produits agroalimentaires et de matériel de construction. Il s'agissait d'importants secteurs traditionnels pour le Canada avant la crise financière. Mais nous avons actuellement du mal à convaincre la SEE qu'il est temps de travailler avec la Russie et de faciliter les transactions commerciales grâce à ce mécanisme, car lorsque la SEE va en Russie pour établir des relations correspondantes avec une banque russe, afin que ces transactions puissent se réaliser, il n'y a pas suffisamment de transparence. Aucune banque russe n'a encore donné à la SEE le genre d'états financiers qu'elle doit avoir entre les mains avant de procéder à une transaction. Vous voyez donc à quel point la transparence et je dirais même la modernisation du secteur bancaire russe ont souffert depuis la crise financière.
Tant que la Russie n'aura pas réussi à venir aux prises avec ce problème -- et la Banque centrale russe a nécessairement un important rôle à jouer dans ce contexte -- elle aura énormément de mal à se positionner sur les marchés financiers mondiaux. En ce moment, elle se trouve essentiellement à l'écart de ces marchés. Elle n'a aucun programme avec le FMI, aucune entente définitive et officielle avec les créanciers du Club de Londres ou le Club de Paris. La Russie n'a pas accès aux marchés des euro-obligations, et cetera. Dans de telles conditions, il est très difficile de traiter avec la Russie, même pour la SEE et même quand on a le soutien du gouvernement.
Le sénateur Taylor: Je suis allé à Moscou pour affaires à plusieurs reprises dans le courant de l'année et le fait est qu'il m'a été possible de réaliser certaines transactions au fil des ans. La SEE se cache sous le lit, comme tout le monde. Accorder des facilités de crédit à la Russie pose effectivement problème.
Mais qu'est-ce qui empêcherait le Canada et la Russie de décider, en tant que gouvernements, de mettre sur pied une sorte de régime d'assurance qui ne garantirait pas nécessairement des bénéfices mais plutôt un certain rendement de leurs investissements?
À l'heure actuelle, si vous allez à Toronto ou à Calgary pour essayer d'organiser une transaction en Russie touchant les ressources naturelles, avant même que vous leur expliquiez la situation, ils ont déjà cessé de vous écouter. C'est en partie de notre faute. Si nous estimons que le commerce constitue l'un des meilleurs moyens d'assurer un bon échange culturel -- et ça semble être notre attitude vis-à-vis de la Chine et de tous les autres pays du monde -- pourquoi ne sommes-nous pas prêts à encourager de telles activités en collaboration avec la Russie?
Je ne crois pas que l'économie russe ait progressé à un point tel qu'on puisse dire qu'elle a un secteur bancaire libre. Pourquoi ne voudrions-nous pas faire quelque chose, de gouvernement à gouvernement, en vue de garantir ou plutôt d'encourager les investisseurs canadiens à s'implanter en Russie? Les investisseurs canadiens veulent investir là-bas, mais ils se sentent totalement vulnérables là-bas, et le fait est qu'ils le sont.
M. Wright: Le Canada et la Russie ont signé une entente de protection des investissements étrangers qui vise à rassurer les entreprises canadiennes qui voudraient traiter avec la Russie. Cette entente comprend également un mécanisme de règlement des différends.
Bref, pour répondre à votre question, tant qu'une réforme structurelle n'aura pas été amorcée, notamment dans le secteur bancaire, les gens vont continuer d'être prudents. Le Canada n'est pas le seul pays à connaître de tels problèmes en Russie.
M. Alexander: Si je peux me permettre d'offrir un complément de réponse à la question précédente, le gouvernement du Canada est prêt à faire tout ce qu'il peut pour soutenir nos exportateurs et nos investisseurs en Russie.
Je dirais même que nous les aidons beaucoup plus en Russie que sur la plupart des autres marchés étrangers, y compris la Chine. Là je parle d'intervention et de promotion au-delà des outils usuels -- c'est-à-dire la coopération technique, la SEE, et cetera.
Par contre, comme vous l'a dit M. Wright, nous nous heurtons à certains problèmes structurels dans l'économie russe, problèmes que nous ne pouvons régler en tant que gouvernement. Si les autorités russes n'ont pas la volonté de changer les choses, il est évident que les changements tarderont à s'opérer.
Vous devez tous avoir entendu parler de cas semblables à celui-ci. Un Canadien investit 50 millions de dollars. À un moment donné, son partenaire russe essaie par différents moyens -- rupture de contrat et d'autres tactiques -- d'exclure le partenaire canadien de la coentreprise. Le partenaire canadien a gain de cause à plusieurs reprises devant la justice russe. Pourtant, les décisions judiciaires ne sont jamais exécutées. Le partenaire canadien est dans l'impossibilité de faire exécuter les décisions judiciaires par les autorités, qu'il s'agisse d'huissiers, de pouvoirs publics régionaux, ou d'autres autorités. Il demande que le dossier soit renvoyé à l'arbitrage à Stockholm ou au lieu désigné par l'arbitrage international selon le contrat. Encore une fois, le partenaire canadien peut avoir gain de cause, mais la décision n'est pas exécutée.
Nous sommes au courant d'une demi-douzaine au moins de dossiers qui suivent tous ce modèle. C'est à ce moment-là que le gouvernement du Canada intervient, d'abord à un bas niveau en poursuivant l'affaire jusqu'au niveau politique. Le gouvernement russe se rend bien compte que des cas de ce genre nuisent à sa réputation. Il décide donc d'agir. Il émit une ordonnance, mais il ne se passe toujours rien.
C'est là qu'il faut se rappeler les problèmes épineux qui freinent la croissance et l'investissement en Russie. Certains Russes ont des intérêts directs à protéger sur les marchés commerciaux. Ils ont grandement profité de la privatisation, et ils jouissent d'un tel pouvoir et d'une telle influence que les décisions des tribunaux, des gouvernements ou d'autres autorités les laissent complètement indifférents. Ils font obstacle au règlement de ce genre de différends. En fin de compte, leur comportement est extrêmement protectionniste. Souvent le crime organisé y est pour quelque chose. Comme le dit M. Wright, il y a les problèmes structurels mais aucune réforme n'a encore été amorcée, secteur par secteur.
Tous ces éléments sont prioritaires. Et c'est justement là que le comité peut jouer un rôle fort utile en examinant la situation en Russie par rapport aux expériences des entreprises canadiennes. Ces dernières sont intéressées à s'implanter là-bas. Elles y sont déjà présentes. Il n'y a pas de problème d'approvisionnement. Le problème se situe plutôt du côté russe, au niveau des résultats.
Le sénateur Bolduc: Est-ce que la Russie est membre du G-20 présidé par le ministre des Finances et qui étudie la nouvelle architecture financière?
M. Alexander: Oui.
Le sénateur Bolduc: Le problème est donc davantage lié au fait que les autorités russes ne contrôlent plus la situation intérieure du pays; c'est bien ça?
M. Wright: C'est exact.
Le sénateur Bolduc: Après la guerre, nous avons mis en place un système de troc avec certains pays étant donné que la primauté du droit n'était pas bien établie. La seule façon d'avancer était d'échanger des produits. Est-ce ce qui arrive à l'heure actuelle?
M. Alexander: Dans un sens, nous avons repris l'ancien système, mais ce n'est pas un véritable système de troc comme ce serait le cas si nous échangions notre matériel optique contre leurs céréales. Nous échangeons nos produits contre des liquidités. Nous demandons d'ailleurs que les versements soient faits à l'avance, et c'est pour cette raison que les volumes ont baissé. Seulement certaines transactions peuvent supporter des contraintes aussi lourdes.
M. Wright: Le troc continue de constituer un important outil pour le secteur privé russe par rapport à d'autres pays situés dans la même région. Entre les pays de l'Europe centrale et continentale, de l'Asie centrale, et du Caucase, le troc constitue le mécanisme d'échange normal. Les transactions au comptant sont plutôt rares.
Le sénateur Andreychuk: Dans le même ordre d'idées, à la suite de l'effondrement de l'Union soviétique, la stratégie énoncée par le gouvernement à l'époque consistait à réformer les pays concernés, plutôt qu'à les développer. Nous étions très conscients du fait que les techniques, modalités et instruments que nous avions employés pour aider le Tiers monde ne seraient pas acceptables dans l'ex-Union soviétique en raison de son histoire et de sa base de connaissances. Nous étions en quelque sorte en train de réaliser une réforme. Nous nous sommes engagés à leur fournir les outils de la démocratie, à leur apprendre les affaires et l'entrepreneurship, dans le style occidental, dans la conviction qu'ils seraient en mesure de poursuivre l'effort.
Nous avons compris l'importance des attitudes. Le fait est que les vieilles méthodes sont bien installées et n'ont jamais été abandonnées.
Avec l'arrivée de Poutine, procède-t-on actuellement à une réévaluation complète de notre approche vis-à-vis de la Russie? Nous n'avons pas réussi à atteindre nos objectifs, et toutes nos nouvelles techniques semblent avoir simplement aggravé le problème.
M. Wright: Je ne suis pas tout à fait d'accord pour dire que nous avons aggravé le problème. À la suite de l'effondrement de l'Union soviétique et de l'émergence de la Russie, un tout petit groupe de personnes a réussi à prendre le contrôle des grandes entreprises. Ces personnes sont devenues extrêmement riches et puissantes. Elles détiennent non seulement le pouvoir économique en Russie, mais le pouvoir politique, et cette situation pose problème.
Cela dit, nous avons observé des changements assez importants par rapport à d'autres éléments de la société, notamment l'existence de la démocratie parlementaire. Le Canada a joué un rôle de chef de file pour ce qui est d'aider la Douma russe à apprendre à jouer son rôle, à rédiger des projets de loi, et à organiser les partis au Parlement. Par ailleurs, nous avons participé à la formation d'une nouvelle génération de dirigeants dans les secteurs public et privé en les faisant venir au Canada dans le cadre de la Bourse Yeltsin pour la démocratie.
Peut-être arrivons-nous difficilement à changer les attitudes de la vieille génération, mais nous pouvons certainement transmettre nos pratiques exemplaires aux jeunes étudiants qui sortent des facultés de droit et des écoles commerciales. Nous pouvons les faire venir au Canada pour leur apprendre à bien administrer une banque. Nous pouvons leur expliquer en quoi consiste une bonne législation bancaire et ce qu'est la transparence.
Le genre d'aide que nous avons fournie à la Russie -- vous avez raison -- ne correspond pas à la forme traditionnelle d'aide qu'offre habituellement l'ACDI aux pays du Tiers monde. Nous appelons ça de l'assistance technique. Nous avons justement essayé d'en faire profiter la Russie et l'Ukraine, afin de faciliter les réformes politiques et économiques qui sont essentielles à la transformation de leur société.
Il reste que certains membres de la société détiennent toujours énormément de pouvoir. Les personnages politiques évoluent nécessairement. Ainsi nous saurons bientôt dans quelle mesure le président Poutine veut vraiment s'attaquer à la criminalité et à la corruption. Il dit qu'il veut des médias libres, mais nous constatons que certains s'opposent à cette notion en Russie, y compris le ministre russe de l'Information, qui a remis en question certaines émissions diffusées par Radio Liberté.
La semaine dernière, les autorités fiscales ont fait une descente dans les bureaux d'un organisme médiatique. Le gouvernement russe et le président russe doivent donc prouver leur engagement vis-à-vis de la primauté du droit, de la démocratie, d'un système judiciaire adéquat et d'une véritable transparence. Quand tous ces éléments seront en place, les entreprises dans des pays comme le Canada s'intéresseront plus sérieusement aux possibilités d'investissement en Russie.
Beaucoup de compagnies voudraient s'y implanter, mais elle ne le feront pas tant qu'elles n'auront pas la garantie que leurs coentrepreneurs n'essaieront pas de les écarter dès que la coentreprise commence à enregistrer des bénéfices. Le coentrepreneur canadien ne veut pas être mis sur la touche et faire face à toutes sortes de tracasseries administratives.
Le sénateur Andreychuk: Dans certains cas, le mauvais traitement dont ils font l'objet est d'ordre physique, et non purement administratif. Mais nous aurons l'occasion au cours des prochaines semaines d'explorer d'autres questions. Je voudrais parler de la situation en Tchétchénie et de votre séjour à Moscou à titre de représentant du ministère.
Dans quelle mesure l'initiative du Kosovo constitue-t-elle le meilleur moyen de défense contre l'initiative russe en Tchétchénie?
M. Wright: Il ne s'agit pas du tout de ça, à mon avis. Les circonstances sont complètement différentes. Pour ce qui est du Kosovo, un processus de paix international était bien entamé et dans le cadre de ce processus, la communauté internationale, y compris la Russie, s'efforçait avec la Yougoslavie à trouver une solution pacifique. Le texte d'un projet d'accord de paix a été signé par l'une des parties, mais non l'autre. La communauté internationale n'est intervenue que lorsqu'il est devenu clair qu'une crise humanitaire se préparait.
Quant à la Russie, il n'y avait pas de processus de paix. Il n'y avait pas du tout de participation internationale. Les Russes peuvent toujours essayer d'évoquer le Kosovo pour justifier ce qu'ils font en Tchétchénie, mais pour moi, la communauté internationale n'a jamais accepté cette conception de la situation, y compris l'OSCE, l'ONU, le Conseil de l'Europe et l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, qui a vivement critiqué l'action russe. D'ailleurs, la Russie risque d'être exclue de certains des clubs internationaux auxquels elle tient tant.
Dès le départ, nous avons déclaré notre opposition à l'emploi injustifié de la force. Il était clair que les civils étaient en danger, et bon nombre d'entre eux ont effectivement perdu la vie. La guerre a peut-être maintenant atteint une autre étape, mais il reste que cette guerre se déroule dans les collines de la Tchétchénie.
Nous continuons de faire pression sur nos collègues russes pour qu'ils nous révèlent leurs véritables intentions politiques. Quel est le processus politique dans tout cela? Qui sont leurs interlocuteurs tchétchènes? Depuis le tout début de ce conflit, nous avons la conviction que même si cet affrontement comporte certains avantages politiques pour les dirigeants russes, l'animosité qu'il créera entre les peuples tchétchène et russe ne disparaîtra pas avant bien longtemps. Une campagne militaire ne permettra pas aux Russes de remporter la victoire. C'est aussi simple que ça. Ce conflit sera peut-être mis en veilleuse, mais c'est tout.
Le sénateur Andreychuk: Le conflit avec la Tchétchénie n'est pas nouveau. L'animosité qui caractérise leurs relations est aussi ancienne que celle qui caractérise la situation aux Balkans. Comme nous, les Russes ont décidé d'intervenir face à une situation difficile qui existait depuis fort longtemps.
Le président: Je pense qu'il s'agit là d'une approche qui suscite certainement certaines interrogations chez tous les membres du comité -- du moins, chez moi, en ce sens que pour moi la situation en Tchétchénie est une question interne qui intéresse uniquement les Russes. Chaque fois qu'un pays fera face à un problème interne, quelles seront les conséquences de notre intervention? Peut-être vaudrait-il mieux que je ne pose pas la question.
Le sénateur Corbin: J'ai trois ou quatre questions à poser sur des questions diverses.
Des restrictions visent-elles toujours les exportations canadiennes vers la Russie de produits électroniques, par exemple, pour des raisons d'ordre stratégique, sécuritaire ou autre?
M. Alexander: Oui. Je ne peux pas vous nommer la loi qui prévoit ces restrictions, mais elle est encore en vigueur. Elle régit nos exportations et permet certaines exportations, dans une vaste gamme de secteurs différents, vers des pays tels que la Russie et bon nombre d'autres qui ne sont pas exempts de ce type d'examen.
Le sénateur Corbin: Ces restrictions ont-elles une incidence importante sur la valeur globale de nos échanges avec la Russie?
M. Alexander: Non.
Le sénateur Corbin: Quel est l'état de la coopération relative à l'espace interstellaire entre la Russie et le Canada, du point de vue des autorités canadiennes Dans quelle mesure y participons-nous?
M. Alexander: Il existe un programme actif de coopération entre l'Agence spatiale canadienne et l'agence spatiale russe, qui est actuellement en voie de restructuration. Les astronautes canadiens ont participé à des programmes de formation en Russie. De plus, nous collaborons avec eux au Programme de la station spatiale internationale. Tout le monde, y compris le Canada, continue à reconnaître l'expertise de la Russie dans ce domaine, bien que cette dernière souffre de graves problèmes de financement à l'heure actuelle, ce qui constitue évidemment une contrainte.
Le sénateur Corbin: Est-ce un secteur d'activité en expansion?
M. Alexander: Oui, en légère expansion, étant donné l'échéancier fixé pour la réalisation de l'important projet international qu'est la station spatiale.
Le sénateur Corbin: Ma dernière question concerne notre patrimoine circumpolaire commun. Des experts canadiens participent-ils à la dénucléarisation des sous-marins et des navires en Russie? Je crois comprendre qu'il s'agit d'un problème grave -- une véritable bombe à retardement. Avons-nous pris des initiatives dans ce domaine?
M. Alexander: Voilà plusieurs dizaines d'années que nous travaillons avec les Russes sur le plan scientifique pour surveiller l'environnement nordique. Cela comprend le contrôle des déchets radioactifs et toxiques de tous genres.
Le sénateur Corbin: Ce n'est pas vraiment de ça que je parle.
M. Alexander: Je vais justement aborder la question du démantèlement. Nous participons aux efforts visant à définir le degré de danger immédiat pour les environnements et les collectivités du Nord, mais pour l'instant, que ce soit par le biais de l'assistance technique ou d'autres initiatives, nous ne participons pas à des projets concernant ces réacteurs qui sont à moitié submergés dans les ports de la péninsule de Kola. Les raisons en sont multiples.
D'abord, le gouvernement russe n'a pas cru bon d'autoriser l'accès aux lieux concernés ou de bien accueillir des partenariats internationaux qui pourraient l'aider à régler ces problèmes sur une grande échelle. Les autres grands partenaires occidentaux de la Russie ont fait des offres en ce sens, mais elles n'ont pas été acceptées par les autorités russes.
Deuxièmement, nous avons dû faire des choix quant aux secteurs où nous souhaitions mettre l'accent en matière d'assistance technique. Il va sans dire que nous ne pouvons pas tout faire. Dès le départ, nos efforts dans le secteur nucléaire ont surtout consisté à améliorer la sécurité des réacteurs nucléaires civils en Russie -- étant donné que les Canadiens ont une grande expertise dans le domaine -- plutôt qu'à démanteler ou à enrayer les vestiges de son programme nucléaire militaire.
Enfin, nous avons réussi à faire le lien avec l'affaire du capitaine de marine retraité Aleksandr Nikitin à Saint-Pétersbourg, militant d'ONG qui a justement participé aux efforts déployés pour assurer une certaine surveillance et encourager le gouvernement russe à prendre des mesures dans ce domaine. Il a été incarcéré pendant de longues années à cause de son travail et n'a été acquitté que tout récemment, en partie grâce au soutien des autorités canadiennes. Sa situation illustre bien les problèmes épineux qui surgissent quand on essaie de collaborer au règlement de ces grandes crises en Russie. Du côté russe, il existe encore des obstacles considérables.
M. Wright: Sur la question de la sécurité nucléaire, j'insiste de nouveau sur le fait que le Canada a été bien obligé de faire des choix. Le grand dossier retenu par le Canada a été celui de Tchernobyl, où nous avons fourni une aide très considérable correspondant à une dépense de plusieurs dizaines de millions de dollars. Nous ne pourrions évidemment nous permettre d'entreprendre beaucoup de projets de ce genre. Mais Tchernobyl a été retenu par le gouvernement canadien comme une grande priorité, et l'initiative que nous y avons lancée est toujours considérée prioritaire.
Le président: Nous croyons comprendre que le capitaine Nikitin va peut-être venir au Canada. Le comité voudrait certainement le recevoir, s'il décide de venir.
M. Alexander: Il s'agit d'un capitaine de marine retraité.
Le président: Oui, c'est un capitaine de marine retraité qui a participé directement au différend.
Le sénateur Grafstein: Je voudrais partager mes préoccupations, qui sont d'ailleurs partagées par d'autres, avec la personne responsable de la politique ministérielle en ce qui concerne notre façon d'aborder la Russie.
Le sénateur Carney et le sénateur Taylor ont tous deux exprimé des préoccupations semblables, c'est-à-dire que notre façon de concevoir la Russie manque peut-être d'imagination; notre approche demeure une approche conventionnelle au lieu d'être axée sur les nouvelles réalités auxquelles nous sommes nécessairement confrontées dans cette région du monde. La Russie est un étrange hybride. Elle ne ressemble pas à l'étrange hybride qu'est la Chine, dont l'économie englobe des secteurs en développement, développés et très développés. La recherche fondamentale faite en Russie dans certains domaines est sans égale, mais dans certaines régions de la Russie, ils ne savent toujours pas labourer correctement la terre pour produire un boisseau de maïs.
Je voudrais faire une suggestion qui sera peut-être utile dans notre analyse. À mon avis, nous devons voir la Russie dans un contexte plus décentralisée, comme nous le faisons déjà pour la Chine. Les provinces et régions détiennent plus de pouvoir que les autorités de Beijing. Il n'est plus nécessaire d'aller à Beijing pour travailler avec la Chine. Il en va de même pour la Russie. La Russie est à présent extrêmement décentralisée. Les régions se concurrencent; il a des gens très talentueux et un niveau important d'activité dans certaines régions, mais pas d'autres. La région où se trouve M. Nemtsov en est un bon exemple. Il s'agit d'un excellent penseur et économiste.
M. Alexander: Il est à Nizhny Novgorod.
Le sénateur Grafstein: Une analyse régionalisée de l'activité économique serait très utile non seulement au comité mais au ministère.
Je crois comprendre que pour 1 million de dollars, le Canada pourrait mettre sur pied cinq consulats honoraires dans des régions clés sur l'ensemble du territoire. Selon ma propre analyse de la situation, certaines règles ministérielles limitent sa capacité de réaffecter efficacement ses crédits. Je préférerais avoir cinq consulats honoraires sur l'ensemble du territoire russe que de consacrer 1 million de dollars à un seul grand consulat général dans une seule région.
J'en ai discuté avec le consul général à Saint-Pétersbourg et je suis donc au courant des graves contraintes financières qu'elle connaît actuellement. Je comprends que ces contraintes touchent l'ensemble du ministère. Mais je sais aussi qu'une affectation de 1 million de dollars pour la création de cinq consulats honoraires serait un moyen très efficace de répondre aux préoccupations des sénateurs Taylor et Carney puisque les représentants du ministère seraient présents dans les régions plus actives.
Le sénateur Carney: Mis à part l'attribution d'alcool gratuit, à quoi servirait un consulat honoraire?
Le sénateur Grafstein: Nous pouvons tenir nous-mêmes ce débat.
J'aimerais que vous nous expliquiez les raisons pour lesquelles le gouvernement canadien n'a pas pris part à l'initiative transpacifique à Seattle à laquelle ont participé la Chine et la Russie. Pourquoi Vancouver n'a pas participé à cette initiative? Il serait utile que vous fassiez le point sur les activités qui se déroulent dans le corridor du Nord, activités que les Russes ont cherché très activement à promouvoir, de concert avec l'Alaska.
Il serait également utile que vous nous prépariez une analyse de l'état actuel de l'infrastructure russe -- par exemple, dans quels secteurs le Canada pourrait peut-être faire de l'argent tout en se protégeant contre la corruption, et cetera. Si nous voulons participer à des projets d'infrastructure, nous pourrions nous entendre pour traiter de gouvernement à gouvernement, plutôt que de conserver un modèle mixte où les entreprises privées et le gouvernement traient avec leurs homologues à l'étranger.
Par exemple, dans le domaine de la recherche fondamentale, est-ce que des efforts ont été déployés pour jumeler nos instituts canadiens de recherche fondamentale avec ceux de la Russie? Et quel est l'état de la participation canadienne à des projets exigeant une expertise dans les domaines de la construction et des pipelines? Un excellent pipeline était en voie de construction entre le nord de la Russie et l'Europe, mais il n'y avait aucune présence canadienne étant donné que nous n'avons pas participé à la construction du pipeline du sud de la Russie. Quel est l'état de notre participation dans le secteur de la téléphonie? Nous avons au Canada l'un des plus grands exportateurs du monde. Où en est la participation canadienne à l'amélioration de son infrastructure téléphonique, qui a désespérément besoin de réparations? Où en sommes-nous pour ce qui est des liaisons Internet? Où en sommes-nous sur le plan des relations fédérales-provinciales, pour ce qui est de nos rapports avec les différentes régions? Lesquelles sont dynamiques et lesquelles ne le sont pas?
J'estime, personnellement, que nous devrions nous concentrer sur les régions les plus dynamiques -- et il y en a plusieurs -- plutôt que de consacrer beaucoup de temps et d'énergie aux autres car sinon d'ici le moment où vous aurez réussi à en faire quelque chose, tous les membres du comité auront déjà quitté le Sénat.
Peut-être nos témoins pourraient-ils revenir le 5 juin avec une analyse écrite traitant de chacun de ces éléments. J'aimerais que le ministère nous explique les raisons pour lesquelles, malgré tous les problèmes que connaît la Russie à l'heure actuelle, nous n'avons pas établi de relations suivies avec une banque ou mis sur pied notre propre banque. Je voudrais aussi que les représentants du ministère m'expliquent pourquoi nous n'avons pas permis à nos banques de s'y implanter, malgré tous les problèmes en Russie. Je sais très bien ce qui est arrivé à la Deutschebank et les pertes subies par cette dernière. Je voudrais cependant savoir pourquoi les grandes banques canadiennes ne sont pas en train d'implanter de grandes banques en Russie.
Le président: Le comité se penche sur certaines de ces questions, sénateur Grafstein. L'argument du sénateur Carney au sujet des consulats honoraires n'est pas nouveau. C'est une mesure qui a toujours été jugée inadéquate. La nomination de consuls honoraires n'était pas prévue dans la politique gouvernementale avant Saint-Pierre et Miquelon.
Monsieur Wright, voulez-vous répondre?
M. Wright: Je ne suis pas sûr que les chiffres cités par le sénateur relativement à la différence entre le coût d'une mission et d'un consul honoraire soit tout à fait juste, mais je suis prêt à reconnaître qu'elle est considérable.
L'avantage d'une mission, c'est que vous avez un représentant du pays sur place. Un consul honoraire est un représentant local qui devrait normalement avoir de bons contacts et de bonnes compétences. Je ne crois pas qu'on leur donne de l'alcool gratuit. Il s'agit en réalité d'emplois très mal rémunérés. Si vous avez la chance de trouver la bonne personne, votre investissement vous rapporte gros.
Cela dit, certains aspects du programme sont vraiment axés sur les ressources. Il y a des limites à ce que le ministère peut faire chaque année, mais nous essayons toujours de faire le maximum pour ce qui est d'élargir notre représentation à l'étranger.
Comme je l'ai indiqué au départ, nous voulons rehausser notre réputation dans l'Extrême-Orient russe. Si nous avons la possibilité d'aller plus loin, nous allons sérieusement envisager de le faire. Nous avons pris bonne note des questions du sénateur, et nous fournirons la prochaine fois des renseignements plus détaillés à ce sujet pour que nous puissions en discuter plus en profondeur.
M. Alexander: Comme vous l'a dit M. Wright, en ce qui concerne les consulats généraux, nous sommes tout à fait d'accord pour dire qu'il y aurait lieu de faire davantage. Cependant, même de grands pays comme les États-Unis et l'Allemagne n'ont que quatre missions en Russie. Nous en avons deux, alors que le Canada est beaucoup plus petit.
Nous avons cependant certaines priorités dans l'Extrême-Orient russe, et nous essayons d'y donner suite. Nous cherchons également des moyens non traditionnels d'être représentés dans les régions qui sont les plus dynamiques, comme certains d'entre vous semblent le souhaiter. Nous y arrivons parfois par l'entremise d'une centre commercial Canada-Russie. Il y en a un à Vladivostok. Parfois nous passons par une entreprise canadienne, qui joue pour nous le rôle de secrétariat quand les représentants de l'ambassade y vont en visite.
En Russie, les Canadiens travaillent beaucoup en équipe, et c'est un système qui donne de bons résultats. Dans la région de Magadan, par exemple, qui vient d'être nommée par le président Poutine nouvelle capitale de cette nouvelle superrégion qui sera créée dans l'Extrême-Orient russe, et qui va comprendre huit ou neuf régions qui composent actuellement l'Extrême-Orient russe, le Canada est certainement le plus important intervenant étranger. De nombreuses compagnies canadiennes vendent leurs produits sur ce marché. Il n'y a pas d'autres véritables concurrents. Mais le Canada est là. Malgré l'absence d'un vol d'Air Canada, d'un consulat général du Canada, et d'une succursale de la CIBC au coin de la rue, les Canadiens qui sont présents dans la région y trouvent leur compte.
Les questions soulevées par le sénateur Grafstein sont évidemment très importantes. Nous essayons de trouver des solutions imaginatives aux problèmes spécifiques qui se posent en Russie.
Notre exposé a peut-être davantage insisté sur les mauvaises nouvelles -- les éléments qui pour l'instant semblent bloqués -- plus que sur les bonnes nouvelles. C'est pour ça que nous sommes impatients de voir les résultats. Nous voulons éliminer ces obstacles le plus rapidement possible.
Mais en réalité, il y a beaucoup de bonnes nouvelles. J'ai parlé de la région de Magadan sur la côte pacifique au nord de Vladivostok où le Canada est un intervenant important.
Le président: C'est sur la côte. J'ai visité l'Extrême-Orient russe et j'essaie de me rappeler où c'est.
M. Alexander: C'est une ville d'environ 200 000 habitants, le centre historique des camps de travail.
Il y a de bonnes nouvelles du côté de la recherche.
Le président: Est-elle située sur la péninsule du Kamchatka?
M. Alexander: Un peu à l'ouest.
Nortel finance de la recherche en Russie, recherche qui doit occuper entre 500 et 1 000 chercheurs russes pendant toute l'année. Toutes les grandes entreprises de haute technologie basées à Ottawa et ailleurs ont d'importantes opérations en Russie.
Bon nombre de ces compagnies discutent avec leurs partenaires russes de ce gazoduc entre la Russie et l'Europe occidentale. Le mois prochain, environ 500 Russes du secteur pétrolier et gazier assisteront au Congrès mondial du pétrole qui se tiendra à Calgary. Ils y vont non seulement pour parler avec les Saoudiens et les Américains, mais pour parler avec des Canadiens.
M. Wright: Notre ministre responsable des Sciences et de la Technologie, le Dr Normand, se trouve actuellement à Moscou. Il s'agit de la deuxième visite qu'il effectue depuis six mois pour régler les problèmes soulevés par les sénateurs aujourd'hui. Je ne veux pas prendre tout le temps du comité à vos expliquer en détail ce qui a été fait, mais nous pourrons certainement vous donner un rapport plus détaillé sur la situation à cet égard à un autre moment.
Ce serait une erreur de conclure de notre exposé que le gouvernement canadien ne fait pas preuve de créativité et d'imagination dans ses rapports avec la Russie. C'est en réalité la seule façon d'avoir l'impact que nous recherchons dans ce pays.
Le sénateur Carney: Pour que ce soit bien clair, je voudrais préciser que je ne cherchais absolument pas à dénigrer le rôle de nos consuls honoraires à l'étranger. Je sais au contraire que bon nombre d'entre eux font un excellent travail, surtout dans les conditions que vous avez décrites; et qui plus est, nous en avons besoin. Je pensais plutôt à certains citoyens canadiens qui jouent le rôle de consuls honoraires pour d'autres pays ici au Canada et dont la contribution aux relations internationales semble se borner à la possibilité d'obtenir de l'alcool hors taxes, d'avoir des plaques d'immatriculation diplomatiques et d'être invités aux fêtes nationales. Ils ne s'activent guère à favoriser les relations commerciales et diplomatiques entre le Canada et le pays qu'ils prétendent représenter. En réalité, c'était plutôt une condamnation de certains citoyens canadiens et non de nos représentants à l'étranger. Si j'avais le choix, je préférerais un consul général à un consul honoraire.
Le sénateur Di Nino: En écoutant la discussion, j'ai été frappé par quelque chose. Ce n'est pas un reproche à M. Wright ou à M. Alexander, mais le fait est que ce dont vous nous parlez n'est pas particulièrement nouveau. Évidemment, les bilans que vous nous faites sont toujours utiles.
En ce qui concerne la situation en Russie à l'heure actuelle, le nouveau président et ses antécédents, je voudrais savoir si vous seriez en mesure d'être plus ouverts avec nous si cette réunion, au lieu d'être publique, se tenait à huis clos?
M. Wright: Lorsque nous comparaissons devant un comité parlementaire, nous essayons toujours d'être aussi ouverts et francs que possible. Du côté de la sécurité du renseignement, il y a sans doute certaines limites à ce qu'on peut vous révéler, mais à part cela, nous essayons toujours d'être aussi ouverts et honnêtes que possible quand il s'agit de donner une évaluation préliminaire d'un nouveau gouvernement. Nous présentons les grandes questions prioritaires, dans notre optique, et les éléments ou domaines d'intérêt qui nous semblent les plus intéressants à vous communiquer.
Nous nous attendions à ce que la réunion de cet après-midi soit une première occasion d'explorer toutes ces questions. Vous nous avez demandé de comparaître en nous donnant un très court préavis. Nous sommes venus vous rencontrer et nous avons préparé un exposé très détaillé. Nous sommes heureux de collaborer avec les membres du comité pour vous présenter notre point de vue sur la question et vous orienter pour que votre examen de l'approche canadienne en Russie et en Ukraine soit aussi fructueux et bien considéré que possible, mais j'avoue que nous ne préparons pas cet exposé depuis quatre mois. Nous avons eu une semaine pour l'élaborer. Vu les circonstances, j'estime que nous vous avons présenté un excellent aperçu général du nouveau régime, tel que nous le voyons. C'est une évaluation honnête de notre degré de participation et de ce que peut faire le comité pour faire progresser ce processus.
Le sénateur Di Nino: Si je vous ai donné l'impression de critiquer ce que vous avez fait, je m'en excuse. Je ne remettais aucunement en question votre réputation. D'ailleurs, votre exposé m'a semblé très bon.
Mais en vous écoutant, je me demandais simplement s'il était possible que certains renseignements ne puissent pas être divulgués dans le cadre d'une réunion publique. Voilà ma question.
M. Wright: Pour ce qui est de parler des problèmes très précis que connaissent certaines entreprises ou citoyens canadiens en Russie, il est fort probable que nous soyons un peu plus francs au sujet de la nature de ces difficultés si, au lieu d'être ici dans ce cadre très formel, nous étions en train de prendre une bière ensemble.
En ce qui concerne notre politique d'ensemble, la situation actuelle en Russie et ce que nous aimerions réaliser par le biais de nos efforts de mobilisation en Russie, mon discours à l'extérieur de cette Chambre ne serait aucunement différent à l'extérieur de cette salle dans un contexte informel qu'il ne l'a été ici.
Le président: Nous avons trouvé votre exposé extrêmement intéressant et nous sommes conscients du fait que vous avez eu très peu de préavis. J'ai d'ailleurs appris des choses que j'ignorais. Je ne savais pas, par exemple, que le président Poutine parlait allemand, même si je savais qu'il avait été en mission à Dresde.
Le sénateur Grafstein: J'espère que les témoins n'ont pas pris mes remarques hors contexte. Nous cherchons simplement à obtenir des renseignements factuels et utiles, par opposition à quelque chose que personne ne lira jamais. Nous voulons des données qui vont nous être utiles tout de suite, et non dans 10 ans. Je suis tout à fait au courant de l'expérience allemande en Russie.
Juste pour vous donner quelques détails intéressants qui pourraient vous aider dans votre analyse, la chambre de commerce allemande a été proactive pour ce qui est d'établir des chambres de commerce et des organismes d'amitié en Russie. Nous n'avons rien fait. Le chef de file dans ce domaine, le Conseil canadien des chefs d'entreprises, n'a pas fait grand-chose en Russie, pour les raisons évoquées par le sénateur Taylor. L'Institut Goethe est actif en Allemagne pour ce qui est d'élargir les liens culturels. Ils ont un programme proactif de jumelage des villes. Ils sont actifs du côté des échanges universitaires. Nous avons pris quelques initiatives dans ce domaine, mais nous sommes loin derrière les Allemands.
Les Allemands ont des rapports directs avec les banques russes par l'entremise de la Deutschebank. Leurs associations d'amitié sont nombreuses. Les Allemands ont vraiment ciblé la Russie. Ils essaient de sauver la Russie. Les États-Unis et d'autres ont perdu la Russie parce qu'ils n'ont pas prêté la même attention aux détails et ne lui ont pas consacré le temps nécessaire.
M. Wright: Mais les Allemands ont perdu 700 millions de dollars et on leur doit actuellement 30 milliards de dollars.
Le sénateur Grafstein: Ils ont effectivement perdu 800 millions de dollars, et s'ils pouvaient recommencer, il le ferait encore. Pour eux, ce n'est pas simplement une question d'échange; c'est une initiative stratégique.
À propos, ils ne vont plus perdre. Ils ont compris. Ils ont payé un programme très coûteux d'études de troisième cycle, mais ils y sont encore et ils y restent. Il le faut.
Une fois que vous aurez lu le compte rendu, vous voudrez peut-être revenir pour nous aider à nous concentrer sur les détails les plus importants. Nous savons que vous avez eu très peu de préavis. Nous vous sommes reconnaissants de votre visite, mais en même temps nous voulons examiner ces questions plus en profondeur. Nous souhaitons trouver des idées utiles et novatrices qui puissent nous aider dans l'immédiat. Le long terme, c'est une autre affaire.
M. Wright: Quand nous reviendrons, nous parlerons également de l'Ukraine, que nous n'avons pas abordée aujourd'hui. Nous réfléchirons à vos remarques, sénateur.
Quant aux autres témoins que vous aimeriez peut-être entendre, je vous encourage vivement à inviter des représentants de banques canadiennes et du Conseil canadien des chefs d'entreprises car même si la participation de ces organismes n'est pas celle que vous souhaiteriez, il ne faut pas en conclure que le gouvernement canadien et plus précisément le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international n'ont déployé aucun effort pour faire en sorte que le CCCE, la CIBC, la Banque Royale et d'autres assurent une présence active en Russie.
Nous avons un certain nombre d'associations commerciales canadiennes sur place qui jouent un rôle fort utile; ces associations sont présentes à Moscou et à Toronto et elles essaient de faire progresser la situation. Nous nous ferons un plaisir de vous donner leurs coordonnées pour que vous puissiez vous mettre en rapport avec les représentants de ces organismes.
Il ne faut surtout pas conclure que le gouvernement canadien n'a fait aucun effort pour encourager ces compagnies à s'y investir activement.
Le président: Merci beaucoup. Vous aurez de nos nouvelles au cours des prochaines semaines au fur et à mesure que nous fixerons des dates pour entendre des témoins.
La séance est levée.