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AEFA - Comité permanent

Affaires étrangères et commerce international

 

Délibérations du comité sénatorial permanent
des affaires étrangères

Fascicule 11 - Témoignages


OTTAWA, le mardi 27 juin 2000

Le comité sénatorial permanent des affaires étrangères se réunit, aujourd'hui, à 10 h 05 pour étudier le projet de loi C-19, Loi concernant le génocide, les crimes contre l'humanité et les crimes de guerre et visant la mise en oeuvre du statut de Rome de la Cour pénale internationale, et modifiant certaines lois en conséquence.

Le sénateur Peter A. Stollery (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Honorables sénateurs, nous sommes aujourd'hui saisis du projet de loi C-19. Le ministre commencera par faire une déclaration puis il répondra avec ses collaborateurs à nos questions. Après le ministre, il y a un autre témoin qui sera bref et il y a des déclarations d'autres personnes qui veulent être entendues, qui ont toutes été contactées et qui ont accepté la procédure que nous leur avons proposée ce matin. Après le départ du ministre et de ses collaborateurs, nous ferons une pause de 10 minutes puis nous passerons à l'étude article par article.

Ceci dit, monsieur le ministre, soyez le bienvenu. Vous pouvez commencer.

L'honorable Lloyd Axworthy, ministre des Affaires étrangères: Honorables sénateurs, je vous remercie d'avoir modifié votre calendrier de réunions pour moi. Je sais que vous avez tenu de très nombreuses réunions qui se sont souvent prolongées tard le soir. Que vous ayez pu organiser cette réunion ce matin m'arrange énormément. Je vous remercie de m'offrir la possibilité de participer à vos délibérations.

Il est certain que je tiens à ce que ces questions soient examinées dans les formes. J'ai lu les discours de votre président et du sénateur Andreychuk. Ils contenaient un certain nombre de questions importantes auxquelles il nous incombe de répondre.

J'ai le plaisir d'être accompagné aujourd'hui de M. David Sproule, du ministère des Affaires étrangères et de M. Don Piragoff, du ministère de la Justice qui sont les deux pilotes diligents et efficaces du dossier du Statut de Rome. Ils m'aideront à répondre à vos questions si elles sont d'un caractère technique.

Permettez-moi de commencer par une simple question: pourquoi une cour pénale internationale? Comme vous ne l'ignorez pas, le droit humanitaire continue à être violé et de manière choquante. Nous sommes aujourd'hui les témoins de l'horreur de ces violations car les moyens modernes de communication nous les font voir pratiquement tous les soirs sur nos écrans de télévision. Ce qui est peut-être le plus grave c'est que désormais ce sont les civils innocents qui sont devenus la cible principale des conflits comme en Sierra Leone et en Angola où 90 p. 100 des victimes sont des civils. Non seulement sont-ils les victimes, mais souvent l'objet des conflits eux-mêmes. Ce sont eux qui sont tout particulièrement visés ou violentés. Il y a des millions de personnes dont les droits ont été violés par toute une gamme de crimes internationaux.

J'étais en Sierra Leone il y a environ un mois juste quand les combats ont repris. Permettez-moi de vous dire que la visite de certains camps m'a fait comprendre en voyant ces ex-enfants soldats qui avaient été violés et mutilés le niveau que l'inhumanité peut atteindre.

Comme vous le savez, la communauté internationale réagit trop souvent à ces crimes par l'indifférence ou l'inaction. Un certain climat d'impunité croissant ne fait qu'encourager d'autres extrémistes à commettre d'autres violations plus graves encore. Chaque fois qu'un crime de ce genre reste impuni, il y a une émulation inévitable. Il faut remplacer cette culture d'impunité par une culture de responsabilité. Il faut que les coupables répondent de leurs actes.

Instaurer la responsabilité est un impératif moral fondamental qui a l'adhésion des Canadiens. C'est la pierre angulaire de nos propres règles de droit. En plus d'être un impératif moral c'est aussi un impératif pratique. Si la fréquence de crimes contre l'humanité persiste, nous continuerons à subir des répercussions internationales. Ces atrocités massives entraînent des déplacements de population énormes, aggravent les conflits, menacent la stabilité et lèguent une haine, une colère et une inimitié qui finissent par empoisonner et corrompre l'opinion mondiale.

Pour créer un climat de responsabilité, il nous faut examiner les institutions et les outils internationaux à notre disposition pour sanctionner ces crimes. Le plus important de tous ces outils est la prévention. Dans environ une semaine, monsieur le président, je me rendrai à une réunion du G-8 dont le thème principal sera la prévention des conflits. Il y a trois ou quatre ans, nous aurions parlé de commerce et d'investissement; aujourd'hui, nous parlons de prévention des conflits. Nous ne pouvons plus nous permettre d'attendre les catastrophes avant d'agir.

La solution consiste en partie à tenir les violateurs responsables de leurs actes, décourageant ainsi les violations futures et protégeant les victimes potentielles.

La création de tribunaux pour crimes de guerre chargés de traiter les atrocités commises en ex-Yougoslavie et au Rwanda a permis un pas en avant. Cependant, c'est une approche ponctuelle; elle souffre d'inconvénients sérieux au niveau, par exemple, des délais beaucoup trop longs de démarrage. Elle dépend également de décisions du Conseil de sécurité qui sont parfois motivées par des intérêts personnels qui mènent à une justice sélective. Comme tous les avocats ici présents le savent, qui dit justice sélective dit pas de justice du tout.

La création d'une institution permanente et indépendante permettra d'éviter ces problèmes. Son caractère permanent en fera un instrument de dissuasion plus efficace. Il est important de noter que le statut contient des dispositions essentielles sur le sort des femmes et des enfants pendant les conflits armés. C'est le Canada qui tout particulièrement, pendant les réunions de Rome, a insisté pour que soient inclues les violations visant les femmes et les enfants. Encore une fois, c'est la raison pour laquelle un tel soutien a toujours été manifesté pour la création de la CPI et la raison pour laquelle le Canada ne cesse de réclamer une cour internationale digne de ce nom.

Comme vous le savez, notre ambassadeur, Philippe Kirsch, a présidé les dernières négociations au cours desquelles la communauté internationale a adopté le Statut de Rome, en juillet 1998. Le Canada préside actuellement la cinquième commission préparatoire. M. Piragoff, qui vient juste de rentrer hier soir, a participé à la négociation des nombreuses questions techniques et pratiques de mise en place. Au moment de la ratification finale, tout devrait être prêt pour la mise en place.

J'aimerais également féliciter les ONG et les juristes canadiens qui ont travaillé en étroite collaboration avec nos services pour assurer le succès du Statut de Rome et assurer la concrétisation de leurs efforts.

J'aimerais également en profiter pour dire que j'ai le plaisir de nommer un collègue parlementaire et un juriste spécialisé dans le droit humanitaire, le professeur Irwin Cotler, comme conseiller spécial auprès de la Cour pénale internationale. M. Cotler agira au nom du gouvernement, au niveau politique, pour créer de concert avec les autres pays la dynamique menant à la ratification. Son apport à la Cour pénale internationale est énorme et il continuera à piloter la stratégie visant à encourager la signature de ce traité.

Également, à New York, la semaine dernière, le Canada a lancé un modèle d'application du règlement de procédures et de preuves. Ce manuel aidera les pays, tout particulièrement les pays en voie de développement, à ratifier et à appliquer les règles de la CPI.

Monsieur le président, s'agissant du projet de loi dont nous sommes aujourd'hui saisis, j'aimerais signaler que non seulement il donnera au gouvernement le mandat de ratifier le Statut mais qu'en plus nous serons le premier pays à avoir adopté une loi de mise en oeuvre. Ce n'est pas une simple question de ratification; nous serons le premier pays à avoir modifié nos codes et nos statuts pour nous donner le pouvoir de mettre en oeuvre cette loi. Nous espérons que notre exemple sera suivi comme un modèle par beaucoup d'autres pays qui n'ont pas le même degré d'expérience législative ou juridique. Ils pourront se servir de ce projet de loi et l'adapter à leur propre réalité.

Certains pays, tout particulièrement les États-Unis, craignent que la CPI ne devienne une menace pour leur souveraineté nationale. Cela fait des années que nous faisons tout ce que nous pouvons pour dissiper les craintes des Américains. Je me souviens comme si c'était hier, quelques minutes avant le vote, d'une conversation avec la secrétaire d'État, Mme Albright, essayant de la convaincre de ne pas rejoindre le camp de la petite minorité qui voterait contre. Elle ne nous a pas écoutés. Mais nous poursuivons nos efforts. La contribution des États-Unis au Statut est importante.

Par exemple, par respect pour la souveraineté nationale, le Statut de la CPI reconnaît que les États sont les premiers habilités à poursuivre les auteurs de ces crimes. La Cour pénale internationale est une instance de dernier recours. C'est ce qu'oublie souvent ceux qui «se tordent le nez». J'ai entendu certains des discours, pas au Sénat, mais à la Chambre des communes qui semblaient vouloir faire croire à une sorte de prise de contrôle de notre système par cette cour. Ce n'est tout simplement pas vrai. La cour n'interviendra que lorsque les systèmes judiciaires nationaux n'auront pas voulu ou pas pu enquêter sur les crimes en question. C'est une cour de dernier recours.

Le Statut de la CPI contient de nombreuses clauses de sauvegarde qui protègent les intérêts nationaux légitimes. Il y a des dispositions qui empêcheront que la cour ne puisse servir à des enquêtes et à des poursuites frivoles ou à motivation politique. Exemple important, les procureurs devront comparaître devant un panel de juges de la cour avant de lancer toute action, pour en déterminer la légitimité et le fondement. Les procureurs et les juges de la cour devront répondre aux normes professionnelles les plus rigoureuses et être élus par une assemblée des États parties.

La Cour pénale internationale sera établie à La Haye lorsque 16 États auront ratifié le statut. Jusqu'à présent, 97 États ont signé le statut et 12 l'ont ratifié. Si un peu plus tard cette semaine, ce projet de loi est adopté par le Sénat, nous serons probablement le treizième ou le quatorzième, et par conséquent, nous serons dans la première tranche de pays. Les États doivent ensuite apporter les modifications législatives nécessaires pour mettre en oeuvre le statut.

Le projet de loi sur les crimes contre l'humanité et les crimes de guerre témoigne de la norme élevée de législation nationale qui devrait devenir la norme internationale.

Comme vous le savez maintenant, il y a eu de nombreuses audiences à la Chambre où les spécialistes des droits de l'homme et les ONG ont pu présenter leurs arguments. Quelques 18 modifications ont été apportées à l'étape de l'étude en comité et acceptées par le gouvernement. Ce projet de loi a donc été examiné en profondeur par les représentants de la communauté internationale et de la communauté nationale qui s'y intéressaient.

C'est également avec plaisir que je vous signale que les audiences de comité à la Chambre ont été pratiquement dénuées de toute partisanerie ce qui, selon moi, confirme l'importance conférée à ce statut.

Dans le classeur préparé par la Justice et les Affaires étrangères, vous trouverez une analyse article par article. Notez que l'onglet D contient un résumé détaillé des modifications apportées en comité. L'exposé de ces modifications est clair, mais j'aimerais revenir sur certaines des plus importantes.

Au départ, le projet de loi définissait le génocide, le crime contre l'humanité et le crime de guerre en des termes différents, selon que ces crimes étaient commis au Canada ou à l'étranger. De nombreuses ONG et plusieurs spécialistes ont exprimé des préoccupations à ce sujet et, en conséquence, les définitions ont été harmonisées. Les infractions sont maintenant définies conformément au droit international qui existe au moment et au lieu de leur commission. Aucune distinction ne sera faite entre les crimes commis au Canada et à l'étranger.

Le fondement de la compétence extraterritoriale du Canada à l'égard des personnes soupçonnées de crime a aussi été simplifié et renforcé. Le Canada pourra exercer sa compétence sur toute personne soupçonnée de crime de guerre appréhendée au Canada, peu importe le lieu ou les circonstances du crime.

Voilà, pour l'essence du projet de loi. Nous pouvons, bien entendu, vous donner d'autres détails techniques si vous les voulez.

Je crois que l'adoption de ce Statut est un tournant historique. C'est un de ces rares moments où, en tant que législateur, nous avons la possibilité de participer à quelque chose qui -- sans exagérer -- change le cours de l'histoire. C'est la première nouvelle institution internationale du siècle nouveau. C'est une institution qui jouera un rôle précieux au niveau de l'évolution de la pensée internationale sur la question fondamentale de l'impunité.

Depuis l'adoption du Statut de Rome en 1998, nous avons été les témoins de l'inculpation de Pinochet, de la confirmation que les anciens chefs d'État ne jouissent pas d'une immunité pour les crimes internationaux, et de l'inculpation de Milosevic, chef d'État en exercice. Nous avons établi une nouvelle norme qui s'appliquera à tous les détenteurs d'autorité, de responsabilité et de pouvoir.

[Français]

Les décideurs et le grand public insistent pour amener la justice dans les pays du Cambodge, du Timor oriental, au Sierra Leone et aux Balkans. On a assisté à un grand mouvement en faveur de la responsabilité de l'individu. Cela est devenu une priorité pour le gouvernement.

[Traduction]

J'espère que nous ferons notre part pour conforter cette dynamique, ce changement fondamental, et que la ratification du Statut manifestera l'horreur qu'éprouvent les Canadiens pour de tels crimes tout en montrant que nous voulons que justice soit faite partout dans le monde.

Le président: Merci, monsieur le ministre. Vous avez été bref et direct.

Le sénateur Andreychuck: Monsieur le ministre, je suis entièrement d'accord avec vos observations au sujet de la CPI. Nous sommes saisis d'une mesure législative historique. C'est la première fois de toute ma vie que je vois une mesure de ce genre. Je n'ai pas été témoin des procès de Nuremberg. Je dois avouer que j'étais déjà née, mais j'étais trop jeune encore pour comprendre l'importance de ces procès historiques.

Le Canada aurait dû adopter une mesure législative comme celle-ci bien avant, afin de continuer sur l'élan du statut de Rome. Ce statut a été le point culminant d'un très long processus. Nous savions que ce projet de loi nous serait présenté un jour; restait à savoir s'il y avait suffisamment de volonté politique pour cela. J'aurais espéré que ce soit plus tôt.

Ce qui me préoccupe le plus, c'est qu'encore une fois nous devons étudier une mesure législative aussi importante que celle-là durant la dernière semaine de notre session. Nous devons l'examiner dans un esprit collégial pour essayer de l'adopter, mais je dois m'assurer de bien faire mon travail de sénateur. Pour écouter tous les témoins et réfléchir à leurs témoignages, je ne dispose que d'un jour. C'est malheureux, car cela donne une mauvaise impression de la procédure et de son importance, ainsi que du sujet traité. La cour pénale internationale établit un équilibre délicat entre les deux. Je ne sais pas dans quelle mesure cela relève de vos pouvoirs ou plutôt des autres éléments de votre gouvernement. C'est toutefois le seul regret que j'ai à exprimer au sujet de ce processus. Ni les Canadiens ni moi ne voulons donner l'impression que nous entravons la mise sur pied de la Cour pénale internationale. Il aurait toutefois fallu procéder de façon à faciliter cette mise sur pied et à appuyer la CPI.

Les dispositions d'application de la CPI ne posent pas de problèmes. On aurait difficilement pu faire mieux. Sous la direction de M. Piragoff, les règles et les procédures continuent à être rédigées à New York. Il faudra peut-être apporter d'autres modifications lorsque la cour commencera ses travaux. Il s'agit d'un processus très expérimental et très nouveau. Le projet de loi C-19 constitue ce qu'on peut faire de mieux au sujet de la CPI. Je n'ai donc pas l'intention d'en dire davantage à ce sujet.

Ce qui me dérange, c'est qu'on a inclus dans ce projet de loi d'autres amendements au Code criminel. Ces amendements sont bien différents. Ils ne touchent que le Canada. En les incluant, nous empêchons le projet de loi C-19 et la CPI de jouer leur rôle de sensibilisation des Canadiens. Par exemple, Mary Robinson a parlé avec éloquence de la nécessité de faire connaître aux gens le Statut de Rome et de les informer sur ce qu'est la CPI.

Il est positif par contre que le projet de loi n'ait pas d'effets rétroactifs. Nous pouvons dire aux gens que l'histoire n'a pas été tendre pour les civils mais qu'à partir de maintenant, voici les règles qui s'appliquent. Dans notre projet de loi, nous disons quelles sont ces règles, mais il y aussi des dispositions d'application rétroactive. Du point de vue de la sensibilisation, cela peut créer de la confusion. Pourquoi a-t-on joint ensemble ces deux éléments? On aurait pu en faire deux projets de loi distincts. De cette façon, nous aurions eu un projet de loi réservé expressément à la CPI. J'aimerais savoir ce que vous en pensez.

Cette conjugaison des deux éléments me préoccupe particulièrement vu que vous et M. Cotler parlez de modèle canadien pour le restant du monde. Ce modèle est loin d'être clair. Le projet de loi C-19 contient des amendements rédigés expressément pour notre Code criminel. Ces dispositions lui font perdre sa valeur éducative mais aussi sa valeur de modèle.

Je ne crois pas que nous puissions utiliser ce projet de loi comme modèle, parce que chaque pays a ses propres lois. Ce que nous devons faire, c'est offrir aux différents pays une aide technique qui leur permette de surmonter leurs propres obstacles, afin qu'ils puissent résoudre chez eux le manque de volonté politique dû à la mésentente. J'espère que nous consacrerons le gros de nos efforts à aider les pays à identifier leurs propres obstacles plutôt que de leur proposer le Canada comme modèle.

Je reconnais toutefois que ce modèle a une certaine valeur car il permet de montrer que nous avons fait la mise en oeuvre et l'intégration de toutes nos lois en une seule étape et que les autres pays peuvent en faire autant. J'ai travaillé dans le monde entier sur ce dossier et je sais pour ma part qu'il existe dans chaque pays des situations très complexes. Dans ces pays, il faut rassembler toutes les parties et les bureaucrates et leur fournir l'information dont ils ont besoin pour les aider à trouver leurs propres solutions.

M. Axworthy: Tout d'abord, je suis d'accord avec votre observation au sujet de l'échéancier. J'aurais préféré que le projet de loi soit le premier déposé à la Chambre des communes, mais il y a toujours d'autres choses parallèlement, dont les budgets. Il faut donc attendre son tour.

Nous avons choisi d'examiner soigneusement les diverses lois qui pourraient être touchées par notre adhésion à la cour. Nous nous sommes assurés qu'il n'y ait pas de conflit entre les corollaires et qu'il y a bien correspondance entre elles.

Nous avons toujours eu pour principe que si nous signons ou ratifions un instrument, c'est bien avec l'intention de respecter nos engagements. Si la mesure législative est aussi copieuse et complète qu'elle l'est, c'est que nous voulions prendre le temps de bien examiner les choses et nous assurer d'apporter tous les raffinements nécessaires. C'est pour cette raison que nous avons pris le temps de préparer un projet de loi plutôt que de simplement rédiger les documents de ratification.

J'apprécie que le Sénat ait pris des dispositions particulières pour examiner ce projet de loi.

Vous avez dit que nous aurions pu présenter deux projets de loi. Il s'agit de crimes de guerre. La définition des crimes de guerre, selon l'énoncé du Statut de Rome, est le fruit de l'évolution des lois coutumières sur les crimes de guerre qui ont commencé à être adoptées à Nuremberg et ailleurs, en regard des conventions habituelles. Il semblait donc logique de réunir toutes ces lois. Dans l'affaire Finta, la cour a pris une décision à laquelle le gouvernement devait réagir. Il semblait normal d'intégrer cette réponse au projet de loi puisqu'il s'agissait du même sujet. En fait, cela nous a donné l'occasion de vérifier que nos propres lois s'alignaient sur cette notion internationale plus générale.

Il était plus logique de réunir ces deux éléments et ainsi, on offre un modèle aux pays qui seraient prêts à adopter la même approche. M. Piragoff pourra vous en parler plus en détail.

Troisièmement, je suis d'accord avec vous sur le fait qu'il faut offrir de l'aide, et c'est exactement ce que nous faisons, sénateur Andreychuk. Nous avons rédigé un manuel qui peut être mis à la disposition des pays en développement. Nous avons beaucoup travaillé à la rédaction de ce manuel. Nous avons soutenu un certain nombre d'ONG qui vont à travers le monde fournir des compétences juridiques dans les pays qui n'ont pas ces mêmes ressources dans leur propre système. Nous parrainons un certain nombre d'ateliers. Par exemple, nous sommes en train de mettre sur pied un atelier pour l'OEA sur la cour et sur les lois connexes.

Pour ce qui est de mon budget en matière de sécurité humaine, nous avons une provision de 500 000 $ pour la ratification. Nous prenons également en compte le fait que les différents pays doivent recevoir l'aide nécessaire à la ratification. Nous sommes donc prêts à offrir une aide juridique et personnelle.

M. Cotler, notre envoyé spécial pour ce dossier, sera en mesure d'identifier les questions juridiques que pourront traiter nos propres fonctionnaires, en complément des activités entreprises.

M. Donald Piragoff, avocat général, Section de la politique en matière de droit pénal, ministère de la Justice: Honorables sénateurs, comme l'a mentionné le sénateur Andreychuk, le projet de loi C-19 a deux objectifs: premièrement, mettre en oeuvre le Statut de Rome et deuxièmement, moderniser les dispositions législatives du Code criminel adoptées par le Parlement en 1987.

Je vais vous expliquer pourquoi ces deux éléments sont conjugués. Le Statut de Rome s'inspire en partie, mais non en totalité, du droit coutumier international. On y trouve ce sur quoi les différents pays ont pu s'entendre quant à ce qu'il fallait inclure dans une loi pour conférer à la cour les pouvoirs dont elle a besoin. Toutefois, le droit international va au-delà de ce que contient le Statut de Rome.

Bon nombre de groupes de défense des droits humains ont exhorté les pays à aller au-delà du Statut de Rome, à intenter des poursuites sous le régime général du droit international. En optant pour une approche globale, ce projet de loi permet au Canada d'entamer des poursuites de droit international. Toute infraction sous le régime du droit coutumier international ou de convention autre que le Statut de Rome peut également donner lieu à des poursuites.

Le Statut de Rome n'est qu'une des définitions du droit international. Notre projet de loi va plus loin. Le projet de loi C-19 permet d'entamer des poursuites à l'égard d'infractions commises sous le régime du Statut de Rome, de la Convention de Genève ou de toute autre convention, de même que sous le régime du droit coutumier international. Dans une certaine mesure, ce projet de loi est plus progressiste que le Statut de Rome. En rédigeant un projet de loi qui aurait eu pour seul objectif d'adopter le Statut de Rome, nous aurions fait savoir aux autres pays qu'il n'est pas nécessaire d'aller au-delà du minimum pour ratifier le Statut de Rome.

Nous voulons encourager les autres pays à ne pas se limiter au Statut de Rome, à entamer des poursuites sous le régime du droit international dans son sens le plus large et à appliquer ce droit plutôt que de s'en tenir simplement au Statut de Rome. Chaque pays devra bien sûr prendre sa propre décision à ce sujet. Ce projet de loi est-il un modèle? Nous ne proposons pas que les autres pays adoptent notre projet de loi et l'appliquent les yeux fermés, puisqu'il est adapté à notre cadre législatif. Il contient toutefois des dispositions et des moyens qui permettent de régler certains problèmes et qui peuvent servir de modèle aux autres pays.

M. Axworthy: Vous en trouverez un bon exemple dans la disposition voulant que le produit de l'activité criminelle internationale soit affecté à un fonds en fiducie pour indemniser les victimes de crimes contre l'humanité, pour aider ces victimes ou dissuader les criminels. Le statut n'a pas cette exigence. C'est une mesure innovatrice canadienne que les autres pays peuvent examiner et trouver logique car elle permet de corriger les abus que certains ont subis.

Le sénateur Andreychuk: Je crois savoir que dans le Statut de Rome, on ne visait pas à établir une norme minimale mais une norme commune. Jusqu'à présent, les poursuites ont toujours été très subjectives et dépendaient beaucoup de l'alternative: modèle sud-africain de réconciliation ou modèle de poursuite.

Là où je ne suis pas d'accord avec vous, et je demanderai au ministre ce qu'il en pense, c'est que nous ne devrions pas considérer le Statut de Rome comme une norme minimale mais plutôt comme une norme commune et universelle. Je suis d'accord, nous pouvons faire davantage que ce que prévoit le Statut de Rome, mais il reste à encourager nombre de pays à atteindre ce simple niveau de norme commune. Mais si nous ne persistons pas à dire qu'il s'agit d'une norme commune qui nous unit tous, cela n'augure rien de bon. Je vous laisse y réfléchir.

Pour ce qui est des modifications découlant de l'affaire Finta, nous n'aurons pas le temps d'entendre les ONG, mais elles, comme d'autres, nous ont conseillé de nous référer à leurs témoignages devant le comité de l'autre endroit.

Les représentants d'Amnistie internationale ont réclamé davantage de changements. Ils craignaient toutefois qu'un retardement cause toutes sortes de problèmes surtout s'il y a des élections. Ils ont décidé d'accepter le projet de loi C-19, avec certaines réserves.

Je m'inquiète encore de ce que les crimes commis au Canada seront traités différemment des crimes commis à l'extérieur du pays. Monsieur Piragoff, vous dites que le projet de loi C-19 harmonise toutes les sanctions prévues pour ces crimes. Cela m'étonne, puisque le projet de loi fait la distinction entre les crimes commis au Canada et ceux commis ailleurs. M. Doody, du cabinet Borden Ladner Gervais semble croire que cela aura des conséquences d'ordre constitutionnel. Qu'en pensez-vous?

M. Axworthy: Vous savez, les législateurs ne sont pas toujours entièrement d'accord avec ce que disent les ONG. Il est toujours important d'écouter leur opinion, mais nous devons légiférer en fonction des intérêts communs généraux, obtenir un consensus général. C'est là notre objectif.

Par exemple, Amnistie internationale souhaitait que le Canada est une supercompétence, c'est-à-dire qu'il ait le droit de poursuivre un accusé même s'il ne réside pas au Canada ou que le Canada n'a aucun rapport avec l'affaire. Si nous pouvions poursuivre n'importe qui, n'importe où, les conséquences pourraient être sinueuses. Cela pourrait servir Amnistie, mais je ne crois pas que cela conviendrait au Canada. Une telle mesure législative saperait les pouvoirs de la cour. Pourquoi avoir besoin d'une cour internationale si chaque pays peut exercer une compétence universelle? Il y a là une contradiction.

Sur la question des dispositions rétroactives, nous avons harmonisé les définitions. En 1988, le gouvernement de M. Mulroney a pris une décision politique en acceptant d'indemniser les prisonniers de guerre japonais. Le gouvernement a déclaré que cela fermerait le dossier. Il a créé une commission des relations raciales et un fonds d'indemnisation. Le gouvernement a dit que cela ne créerait pas de précédents. Dans tous les autres aspects, les définitions sont harmonisées.

Le sénateur Grafstein: Ministre, je sais que vous essayez de résoudre le problème de la politique agricole, qui touche probablement davantage de gens à l'heure actuelle que bien d'autres questions.

Je déplore comme le sénateur Andreychuk que les sénateurs n'aient malheureusement pas eu le temps nécessaire pour examiner les graves questions soulevées, entre autres, par Amnistie internationale et la Coalition of Concerned Congregations. Je me suis demandé comment sortir de ce dilemme, étant persuadé, tout comme vous, de la nécessité pour le Canada de montrer la voie en adoptant cette mesure législative au plus vite.

Permettez-moi de faire une proposition qui pourrait répondre à vos objectifs et à la préoccupation que je partage avec le sénateur Andreychuk. Je signale à ce propos qu'elle et moi ne sommes pas nécessairement d'accord sur la question de la rétroactivité. Il peut y avoir des divergences d'opinions sur cette politique, mais abstraction faite de cela, sur le fond notre position est la même.

Nous avons réglé le problème différemment lorsque la défense a été confrontée au nouveau régime de justice administrative. Seriez-vous prêt à accepter une proposition qui n'entraînerait pas de modification de la loi, à accepter un examen complémentaire après son adoption? Il faudra, bien sûr, réfléchir à la méthode et aux objections possibles.

Nous pourrions peut-être indiquer dans notre rapport, monsieur le président, si le ministre est d'accord, l'éventualité d'un examen ultérieur de cette loi avec possibilité de recommandations de modifications d'ici trois ans. Si je dis trois ans, c'est pour que cela nous laisse le temps de constater les effets de la ratification dans d'autres pays tout en maintenant le statut d'examen prioritaire de cette question. Nous comptons sur le rétablissement d'un comité du Sénat sur les droits de la personne. Ce comité, sinon le nôtre, pourrait poursuivre cet objectif. Cela permettrait de calmer ceux et celles d'entre nous qui s'inquiètent de la vitesse à laquelle nous devons examiner cette question.

Quand vous m'aurez répondu, j'aurai d'autres questions à vous poser. Je tiens à préciser que je ne propose pas un amendement au projet de loi, je souhaite simplement obtenir un engagement du ministre.

M. Axworthy: Une précision, sénateur Grafstein. Proposez-vous que le projet de loi soit examiné dans trois ans?

Le sénateur Grafstein: Oui. Un comité du Sénat serait chargé d'examiner la mise en oeuvre de la loi et certaines questions que nous ne serons pas en mesure de décortiquer maintenant par manque de temps.

M. Axworthy: En principe, je suis d'accord. Je me demande toutefois si nous ne pourrions pas modifier légèrement ce mandat. Comme vous l'avez mentionné, sénateur Grafstein, la commission préparatoire accomplira d'autres travaux au cours des deux prochaines années et d'autres États ratifieront le Statut. J'espère que la Cour sera mise sur pied durant ce temps. Je préférerais toutefois que l'examen que vous proposez porte sur l'avenir plutôt que sur le passé. Je ne voudrais pas qu'on ressasse le passé car il s'agit d'une institution en pleine évolution. Il vaudrait mieux faire le point sur la situation à ce moment-là.

Le sénateur Grafstein: Vous n'avez pas tort. Nous sommes là pour bonifier le projet de loi et pour l'harmoniser davantage avec les valeurs canadiennes. Ce que nous voulons, c'est produire une étude à laquelle vous puissiez donner une réponse officielle. Nous pourrions faire cette étude plus rapidement, mais j'estime qu'un délai de trois ans serait le mieux car il permettrait à toutes les parties, y compris à Amnistie internationale et à d'autres, de jeter un regard neuf sur leurs dossiers.

Cela nous permettrait de résoudre certains de nos doutes graves. Nous entretenons tous des doutes graves au sujet de certaines dispositions, mais nous devons reconnaître la nécessité pour le Canada de jouer un rôle de leader à l'échelle internationale. Je ne le nie pas. Je vous laisse y réfléchir. Vous pourrez peut-être me donner une réponse précise à ce sujet d'ici la fin de la matinée.

Je vais traiter de deux préoccupations précises. À ce propos, je comprends davantage maintenant les objections des Américains à cette mesure législative. J'espère que nous aurons l'occasion de voir comment nous pourrons amener les Américains à participer davantage qu'ils ne le font à présent à cette mesure législative. Vous avez expliqué quel est le principal motif d'opposition des Américains, c'est-à-dire la diminution de leur souveraineté, surtout de la souveraineté de leur congrès. Nous savons que cela les inquiète. Sans être d'accord avec leur critique de ce projet de loi, je reconnais toutefois moi aussi qu'exclure les Américains de cet exercice nuirait à la légitimité de la loi. Cet examen dans trois ans nous permettrait d'examiner cette question de façon plus cohérente. Vous avez peut-être quelques observations à faire à ce sujet.

Je tiens à féliciter de nouveau les ministres et les rédacteurs d'avoir préparé l'amendement Pinochet. La première fois que j'ai examiné le projet de loi, je m'inquiétais de ce qu'elle comporte une lacune flagrante qui exempterait les Pinochet présents et futurs des rigueurs de la loi. Je suis content que vous ayez résolu ce problème dans une grande mesure.

Je voudrais également connaître votre opinion sur une autre question, outre la façon dont nous pouvons amener les Américains à participer davantage. Il s'agit de la question très troublante soulevée par la Coalition of Concerned Congregations -- faire des colonisations en Israël et en Cisjordanie un acte criminel international.

Monsieur le ministre, il y a deux questions: celle soulevée par M. Narvey au nom de la Coalition of Concerned Congregations, et ma propre préoccupation quant à la façon dont on peut amener les Américains à participer pleinement à cette institution très importante.

M. Axworthy: Pour ce qui est de la question relative aux États-Unis, vous pourriez peut-être l'inscrire à l'ordre du jour de la prochaine réunion de l'Association parlementaire Canada-États-Unis.

Le sénateur Grafstein: Je suis entièrement d'accord. Si j'en suis encore coprésident, cela sera inscrit à l'ordre du jour. C'était à l'ordre du jour de la dernière réunion, mais ce sujet sera encore plus important si nous ratifions le statut.

M. Axworthy: J'ai rencontré la semaine dernière la secrétaire Albright et j'ai également discuté de cette question à Washington. La question fondamentale est que cela fait appel au principe de complémentarité. Il ne s'agit pas d'usurpation des pouvoirs aux États-Unis puisque les tribunaux américains, qui sont très au point, et très actifs, comme nous le savons, ont tout pouvoir de poursuivre tous ceux qui commettent des crimes contre l'humanité ou des crimes de guerre. La cour pénale internationale prend une importance particulière dans les États déliquescents ou en voie de déliquescence ou dans ceux où il n'existe pas de système judiciaire indépendant. Il est remarquable de voir que certains des témoignages présentés au comité du congrès faisaient complètement fi de ce principe.

J'estime que le débat qui a lieu au congrès au sujet du statut et des mesures de protection est loin d'être honnête. Nous avons fait des pieds et des mains pour mettre en place une série de mesures de protection à plusieurs niveaux contre l'utilisation du statut à des fins frivoles ou par vengeance contre un pays ou une personne. Tout cela existe déjà.

Voici l'argument que j'ai fait valoir aux États-Unis lors de mes entretiens avec Mme Albright et lorsque j'ai prononcé une allocution devant un certain nombre de sénateurs et de députés au Congrès: si l'on accorde une exemption spéciale à un pays, alors la validité du tribunal s'écroule. On ne peut pas dire qu'un pays devrait jouir d'une exemption spéciale parce qu'il est le plus grand, le plus fort et le plus puissant au monde. Nous ne pouvons pas faire cela.

L'ambassadeur Kirsche, M. Piragoff et d'autres travaillent activement avec les Américains au moment où nous nous parlons. Nous avons proposé la mise sur pied d'un comité spécial afin de trouver un libellé qui conviendrait mieux.

Sénateur Grafstein, nous faisons tout ce qu'il est possible de faire sans faire d'entorse au principe fondamental, car nous ne pourrions faire une telle chose. Comme le sénateur Andreychuk l'a dit, nous serions alors en deçà de la norme minimale. Nous n'aurions pas de tribunal. C'est ça le problème.

Le sénateur Andreychuk: Question supplémentaire: je crois comprendre que la principale préoccupation des Américains -- et j'ai une certaine sympathie pour la position américaine -- c'est que le tribunal militaire a une obligation redditionnelle très complexe. La raison pour laquelle ils craignent de signer ce n'est pas tant la cour pénale, bien qu'ils aient soulevé la question, mais le fait que leur propre cour militaire puisse faire l'objet d'un examen minutieux par des mécanismes civils, ce qui pourrait peut-être mener à une politisation du processus. Je suis désolée de ne pas l'avoir apporté avec moi, mais j'aimerais vous parler d'un article qui vient juste d'être rédigé aux États-Unis sur la façon de surmonter cet obstacle en envisageant de modifier la loi américaine interne, ce qui permettra alors aux Américains de signer sans craindre de nuire à leur processus militaire.

M. Axworthy: Sauf que les militaires américains ont participé aux entretiens depuis le début, d'abord lors de la création du statut de Rome, ensuite au comité préparatoire.

Le sénateur Andreychuk: Je le comprends bien.

M. Axworthy: C'est plutôt qu'ils veulent une exemption, et cela vient en partie du Congrès. Le sénateur Helms a présenté un projet de loi assez étrange en ce sens qu'il prévoit couper l'aide à tout pays qui ratifie le Statut, sauf aux alliés de l'OTAN. Comme quelqu'un l'a dit, le projet de loi ne s'appliquerait pas là où les intérêts stratégiques sont en jeu.

Ils répondent à cette attitude républicaine typiquement de droite qui ne croit pas aux Nations Unies, aux institutions internationales ou à quoi que ce soit. Nous ne devons pas mâcher nos mots à cet égard. Cependant, l'administration travaille très activement avec nous.

Le sénateur Andreychuk: C'est entre les mains d'un ministère. J'aimerais vous faire part du document provenant des États-Unis dans lequel on décrit certaines préoccupations légitimes et qui contient une stratégie pour aborder les États-Unis. Nous devrions profiter de cette occasion pour prêter notre concours à ces forces aux États-Unis.

M. Axworthy: Absolument. Nous ne saurions être plus d'accord.

Au sujet du point qu'a soulevé le sénateur Grafstein relativement à la position prise par la Coalition of Concerned Congregations, je ne sais pas si on les a mis au courant, mais en fait au cours des dernières réunions préparatoires auxquelles nous avons participé pour discuter des éléments criminels, afin de donner des définitions plus claires, une note en bas de page a été ajoutée à cet article du Statut pour indiquer que le droit international coutumier s'appliquerait au territoire occupé. Je crois que cela répond aux préoccupations soulevées par Israël à cet égard.

Le président: Monsieur le ministre, à mon avis, le tribunal international pour l'ancienne Yougoslavie a permis de faire avancer considérablement la façon dont ces questions sont traitées. Il y a eu des problèmes, mais le principe général a considérablement fait avancer les choses. Si j'ai bien compris, la CPI va encore plus loin. Le fait qu'une personne qui a commis des atrocités puisse se faire arrêter et subir un procès constitue un pas en avant dans les relations humaines.

Je me rappelle très bien du procès de Nuremberg. Je me rappelle ce qui n'allait pas à l'époque. J'ai lu le livre de Telford Taylor à ce sujet. Il a fait valoir que plusieurs des accusés n'étaient pas vraiment coupables.

Je me rappelle également qu'il y a eu toute une série de procès, environ une dizaine de procès à Nuremberg. Il s'agit là d'un grand pas en avant pour lutter contre de tels comportements atroces.

Mes deux questions qui sont très courtes -- et je ne m'attends pas à des réponses complètes car je ne crois pas qu'on puisse y répondre facilement. J'ai lu par ailleurs, dans un rapport du Comité des affaires étrangères de la Chambre à Westminster, une discussion intéressante sur le droit international coutumier. Il y avait trois ou quatre juristes très distingués qui ont dit que le droit international coutumier était quelque chose d'assez aléatoire, de subjectif.

J'imagine que vous et vos hauts fonctionnaires me répondrez, monsieur le ministre, que c'est de cette façon que le droit international est en train de se développer. On utilise le droit international coutumier mais, en fait, le droit international coutumier n'est-il pas une sorte de cible mobile, une définition qui change et qui peut être manipulée?

M. Axworthy: Tout d'abord, monsieur le président, étant donné que nous n'avons pas de fédéralisme mondial ni de gouvernement central, l'application du droit international se fait de façon horizontale. Habituellement, ce sont les tribunaux nationaux intérieurs qui rendent une décision à cet égard et la décision varie selon le cas, sauf là où il existe des tribunaux spéciaux, comme ce fut le cas pour la première fois à Nuremberg, et qui commencent à établir des normes.

Je suppose que tout comme pour la common law, en droit international il y a le principe du respect des décisions des tribunaux supérieurs. La Common Law a évolué en développant des principes et des pratiques. Sans doute qu'au cours de l'histoire de la common law britannique et canadienne, il y a eu quelques jugements que l'on pourrait peut-être remettre en question de temps à autre. Cependant, avec le temps, la common law s'est constituée. En effet, c'est ce qui s'est produit. Le droit international coutumier résulte d'une série de décisions. Le Statut de Rome codifie une bonne partie de ces décisions et les mets sur papier pour former la base d'un consensus d'entente.

D'une façon ou d'une autre, cela va maintenant au-delà du droit coutumier et on est en train de codifier une partie de ce droit.

Par conséquent, on aura des définitions plus claires.

Au fait, les hauts fonctionnaires pourraient vous expliquer qu'on a fait beaucoup de travail au cours des derniers mois sur les éléments criminels, afin de les définir, en prenant le Statut et en donnant des définitions claires des éléments criminels, afin de préciser ce qu'ils signifient, et cetera. Nous allons donc dans la bonne direction.

Pour revenir à cette observation, vous avez raison, les tribunaux ont très bien fonctionné. Cependant, il y a des problèmes. Le tribunal dans les Balkans a très bien fonctionné mais son travail au Rwanda n'a pas été si exemplaire. Il y a des lacunes dans cette application particulière.

Nous constatons des problèmes dans le monde d'aujourd'hui également, au Cambodge, en Sierra Leone, et ailleurs. Par exemple, il s'agit de déterminer le type de système à mettre sur pied pour juger les Khmers Rouges.

Chaque fois, il faut revenir et inventer les applications ou les institutions. La cour internationale serait l'institution devant laquelle serait jugé Foday Sankoh.

Le sénateur Corbin: Tout d'abord, je voudrais me joindre aux autres qui regrettent que nous n'ayons pas suffisamment de temps pour examiner ce projet de loi. Je voulais le dire aux fins du compte rendu, je ne demande pas nécessairement une réponse.

Le sénateur Di Nino: Nous sommes tous d'accord là-dessus.

Le sénateur Corbin: Monsieur le ministre, vous avez nommé un envoyé spécial, M. Irwin Cotler. Je crois que vous aviez également quelqu'un qui avait le même titre, un envoyé spécial, M. David Pratt, pour la situation en Sierra Leone.

Est-ce une tendance, un nouveau développement? Je suppose que c'est quelque chose que vous pouvez faire comme ministre, mais je ne crois pas que l'on ait fait ou tenté de faire une telle chose auparavant. Je ne remets pas en question les qualifications de ces gens. Dans les deux cas, ils ont une expérience considérable dans leur domaine spécifique. Cependant, pouvez-vous nous dire pourquoi vous procédez de cette façon? Vous avez un secrétaire parlementaire.

M. Axworthy: D'abord, il ne s'agit pas d'un envoyé spécial mais plutôt d'un conseiller spécial. Deux sénateurss ont également été nommés: le sénateur Pearson sur les questions intéressant les enfants et le sénateur Wilson sur le processus de paix au Soudan. Il y en a donc deux de part et d'autre.

Le sénateur Corbin: Ce n'est pas vraiment là où je voulais en venir.

M. Axworthy: Il est important de le souligner car je suis fermement convaincu que les législateurs, les parlementaires des deux Chambres, ont un rôle extrêmement important à jouer. Il y a un changement dans l'environnement international; ce n'est plus uniquement les diplomates qui doivent négocier des ententes dans les chancelleries. Comme nous l'avons vu dans le cas de l'entente sur les mines terrestres, les parlementaires des deux Chambres ont joué un rôle extraordinaire pour aider à trouver des appuis partout dans le monde pour cette initiative. Ils apportent à ces questions un certain point de vue politique qui est très important et ils peuvent aller chercher certains appuis politiques du fait qu'ils peuvent expliquer les choses. Il n'y a pas de coercition, c'est tout à fait volontaire, mais on tente ainsi de profiter du fait que l'on a des gens très compétents et très engagés dans les deux Chambres pour apporter un appui additionnel à ces initiatives canadiennes importantes. Plus particulièrement dans le cas du traité sur les mines terrestres, la cour, le protocole optionnel pour les enfants, où le succès dépend considérablement de l'appui des assemblées législatives des autres pays au niveau de la ratification et de l'appui, il est important d'avoir quelqu'un qui a une influence politique pour aider à faire valoir cette cause.

Le sénateur Corbin: Naturellement, vous avez le pouvoir de nommer ces personnes. Demandez-vous d'abord l'autorisation du premier ministre avant de les nommer?

M. Axworthy: Oui.

Le sénateur Corbin: Si je vous ai bien compris, vous avez dit que le Canada était le premier pays à légiférer. Je croyais que la France avait adopté une loi à cet effet il y a un mois ou six semaines.

M. Axworthy: La France a ratifié, mais n'a pas adopté de loi de mise en oeuvre. Elle a adopté un amendement constitutionnel, mais comme vous pouvez le constater avec le projet de loi à l'étude, sénateur Corbin, c'est quelque chose d'extrêmement détaillé. Comme je l'ai souligné précédemment, il y a certaines choses dans le projet de loi qui vont au-delà du Statut de Rome, notamment le fonds de fiducie. Les produits de la criminalité doivent être investis dans un fonds de fiducie destiné aux victimes. On tente ainsi de mettre en place un modèle que d'autres pourraient envisager d'adopter, mais nous sommes le premier pays à adopter une loi de mise en oeuvre.

Le président: Monsieur le ministre, je sais que vous êtes très occupé et je vous remercie d'avoir pris le temps de venir nous rencontrer. Je sais que vous revenez tout juste de Lisbonne et que vous vous apprêtez à partir pour Lima, de sorte qu'avec l'accord du comité, j'aimerais vous laisser poursuivre vos déplacements. Nous ferons de notre mieux avec le projet de loi.

M. Axworthy: Merci, et permettez-moi de remercier les membres du comité d'avoir pris le temps d'examiner le projet de loi. C'est un projet de loi très important pour le pays. Comme vous le savez, le 17 juillet est la date anniversaire et, si le projet de loi était adopté, le Canada se démarquerait par ce geste important comme étant un chef de file.

Le sénateur Grafstein: Je crois comprendre alors que le ministre ne s'oppose pas à l'étude qui a été proposée, et que le libellé pourrait peut-être être rédigé par le comité, de sorte que cela pourrait faire partie de notre rapport.

Le président: Sénateur Grafstein, c'est dans le procès-verbal et nous allons nous en occuper.

Nous allons maintenant entendre M. Kenneth Narvey et nous procéderons ensuite à l'étude article par article.

Bienvenue, monsieur Narvey. Vous avez la parole.

M. Kenneth M. Narvey, Coalition of Concerned Congregations: Monsieur le président, je suis chargé de recherche en droit sur la question du génocide, des crimes contre l'humanité et des crimes de guerre. Je fais ce travail à plein temps depuis 1977 pour moi-même et en association avec diverses organisations juives canadiennes. En 1980-1981, à la demande d'une organisation d'étudiants juifs, j'ai passé 90 jours auprès d'un comité mixte du Sénat et de la Chambre des communes qui préparait la Charte des droits et libertés. M. Corbin, qui est maintenant le sénateur Corbin, a proposé en français un libellé que j'avais rédigé pour ce qui est maintenant le paragraphe 11h) de la Charte sur les déclarations de culpabilité multiple. À l'époque, une personne proposait un libellé en anglais et une autre en proposait un en français.

J'ai par ailleurs comparu devant le juge Deschênes et proposé un libellé qu'il a adopté et qui se trouve maintenant dans le Code criminel et que l'on veut remplacer par le projet de loi à l'étude, le projet de loi C-19.

Il y a trois semaines, j'ai comparu devant le comité de la Chambre des communes qui examinait le projet de loi C-19. J'ai fait un certain nombre de suggestions. En un sens, une de ces suggestions, et dans un autre sens, 50 de mes suggestions se trouvent maintenant dans le projet de loi, car dans la version française, à l'annexe, où on retrouve le libellé du traité, quelqu'un avait oublié que quatre corrections avaient été apportées au traité, au Statut de Rome, par le secrétaire général des Nations Unies. Il y avait environ 50 erreurs à l'annexe. Ces erreurs ont maintenant été corrigées.

Comme je le dis dans mon mémoire, qui est en fait une lettre adressée au ministre Axworthy et que j'ai préparée hier soir, que je viens tout juste de lui remettre -- nous nous connaissons depuis l'époque où nous étions tous les deux universitaires à Winnipeg, il y a une trentaine d'années -- je voudrais approuver, sans réserve, le Statut de Rome et le statut canadien, mais je ne le peux pas. Les deux contiennent des vices de forme, non pas des vices de forme qui ne peuvent pas être corrigés, mais des vices de forme qui peuvent être corrigés. Le sénateur Grafstein a soulevé le problème et M. Axworthy a répondu.

Malheureusement, au fil des ans il y a eu un mouvement chez certaines personnes que l'on décrit comme étant des refusards, en vue de criminaliser le Sionisme, de faire en sorte que le fait d'être Israélien constitue un crime. Dans le traité, au sous-alinéa 8(2)b)viii), on dit que le transfert par une puissance occupante d'une partie de sa population dans le territoire qu'elle occupe constitue un crime de guerre punissable.

Lorsque le statut entrera en vigueur, les choses qu'on y décrit comme étant des crimes seront punissables à La Haye si celui qui commet le crime est ressortissant d'un pays signataire du Statut de Rome ou si l'acte en question est commis sur le territoire d'un État qui est signataire du Statut de Rome. Cela signifie que lorsque le statut entrera en vigueur, le fait d'être un Israélien qui s'établit au Golan ou qui va s'établir au Golan ou le fait d'accorder à quelqu'un un allégement fiscal pour qu'il puisse aller s'établir au Golan sera un crime de guerre punissable. C'est tout simplement le résultat d'un bon lobbying de la part de ceux qui détestent Israël. Cela fait partie d'une longue série de mesures qui, comme un de mes amis me l'a fait remarquer, signifie que tous les organismes internationaux passent la moitié de leur temps à dire qu'Israël est peuplé de démons.

Avant cette mesure, il y a eu le protocole I de 1990, qui déclare que c'est un crime de guerre que d'envoyer des Israéliens s'installer au Golan. Cependant, dans ce cas-ci, ce n'est pas trop sérieux, car ce n'est un crime que si Israël signe le protocole I, ce qu'il n'a pas fait. Vous trouverez les détails dans notre mémoire.

Devons-nous signer quelque chose qui a pour conséquence de sacrifier nos amis? Je dirais qu'il est noble de se sacrifier pour une cause noble, mais de sacrifier ses amis pour une cause noble est un peu moins noble.

Il y a une façon de régler le problème. Comme je l'ai dit, le libellé du Statut de Rome en six langues n'est pas entièrement coulé dans le béton. Il comporte de nombreuses erreurs. À quatre reprises, le secrétaire général a envoyé des avis dépositaires disant: «Je propose de corriger les versions anglaise, chinoise, arabe, espagnole, russe et française de la façon suivante. Quelqu'un a-t-il des objections?» Si personne n'a d'objections dans un délai de 30 jours, il apporte les corrections. Les États-Unis ont dit: «Nous avons en quelque sorte des objections, mais nous ne nous y opposons pas. L'une de vos modifications est une modification de fond, mais nous ne nous y opposons pas», et les modifications ont été apportées. Que vous adoptiez le projet de loi à l'étude aujourd'hui ou non, il y a une chose qu'on pourrait faire. Le Canada peut prendre l'initiative et préparer dans les six langues un libellé adéquat qui stipule: «Le fait de déplacer des gens avec violence constitue un crime, mais le fait de les déplacer tout simplement sans violence ne constitue pas un crime». Nous pouvons prendre l'initiative et rendre parfait, comme il se devrait, le Statut de Rome qui, à l'heure actuelle n'est que presque parfait.

Nous ne sommes pas obligés de porter le libellé de notre propre statut devant les Nations Unies. À l'heure actuelle, le paragraphe 6(4) du projet de loi C-19 dit quelque chose qui est tout à fait erroné et qui met davantage d'Israéliens en danger, et au Canada, que le Statut de Rome comme tel. Le paragraphe 6(4) stipule que les crimes visés dans le Statut de Rome constituent des crimes selon le droit international coutumier à partir de la date de signature du Statut de Rome en 1998. C'est tout à fait faux. Le droit international coutumier ne peut pas être déclaré par un parlement, pas plus que la Common Law. Ce sont les tribunaux qui décident de la Common Law et du droit international coutumier. Cependant, il est vrai que le Statut de Rome constitue le droit international classique pour les États signataires, à partir de la date où ils deviennent signataires. Voilà ce que nous pouvons dire.

Ce qui serait encore mieux, ce serait de modifier ou de changer la loi canadienne aujourd'hui tout simplement en éliminant le paragraphe 6(4), car il n'est plus nécessaire.

Le sénateur Andreychuk a tout à fait raison. Il y a un mouvement en vue d'unifier l'intérieur et l'extérieur -- à l'intérieur du Canada et à l'extérieur du Canada. Auparavant, avant que le comité de la Chambre des communes ne fasse son bon travail, on disait que les articles 6, 7 et le paragraphe 8.2 du Statut de Rome définissaient les crimes à l'intérieur du Canada. Cela a changé. On n'y fait plus référence où que ce soit dans le projet de loi, sauf au paragraphe 6(4) qui pourrait être éliminé. Il y aurait peut-être avantage à éliminer l'annexe.

Je suis allé voir M. Doody hier et je l'ai invité à venir ici aujourd'hui. Il a dit qu'il consulterait ses clients. Je ne le vois pas ici, quoique je voie un représentant de ses clients.

Le comité de la Chambre des communes a fait la moitié de ce qu'il aurait dû faire. C'est très dommage que le comité du Sénat ne puisse faire l'autre moitié. Il a unifié «l'intérieur et l'extérieur du Canada» dans la définition, mais il a oublié de le faire dans le temps. Le ministre a presque semblé laisser entendre que c'était délibéré -- que d'une certaine façon, comme le premier ministre de l'époque, Brian Mulroney, avait signé une entente avec le Japon, il est légal, moral et éthique de dire que nous ferons une rétrospective complète à l'extérieur, ce que nous devons faire si nous voulons prendre des mesures contre les crimes de guerre nazis qui ont été commis à l'extérieur du Canada, mais qu'à l'intérieur du Canada, les mesures ne seront prises que pour les actes à venir. Par conséquent, quiconque a commis un crime de guerre au cours de la Seconde Guerre mondiale à l'intérieur du Canada -- le meurtre d'un prisonnier de guerre allemand, par exemple, ou le fait d'avoir tué les survivants d'un navire torpillé dans le golfe Saint-Laurent -- ne sera pas puni pour son crime. C'est tout à fait inacceptable. Il faut s'entendre tant sur le moment que sur la définition. Il suffirait de biffer les articles 4 et 5 et de rédiger un nouveau libellé pour les articles 6 et 7. J'ai proposé un libellé spécifique au comité de la Chambre, mais je l'ai envoyé trop tard. Aujourd'hui, je ne tenterai pas de le proposer car maintenant, il ne s'agit pas déterminer quels amendements devraient être apportés, mais plutôt comment et quand apporter les amendements nécessaires.

Si le ministre était d'accord, la meilleure chose à faire serait de faire exactement ce que votre comité avait l'intention de faire -- d'étudier le projet de loi à l'automne. Entre temps, toutes les consultations pourraient avoir lieu, on pourrait en arriver à un consensus et on se retrouverait avec un meilleur traité, un meilleur projet de loi.

La deuxième possibilité est quelque chose que j'ai appris à la tribune du Sénat. Le sénateur Tkachuk a décrit ce qui s'est produit à la séance du comité sénatorial au sujet du projet de loi sur le blanchiment de l'argent. Il a dit que c'était une expérience étrange, car le comité sénatorial a proposé une série d'amendements qu'il a approuvés, mais que le ministre a rejetés, en promettant de les proposer dans un autre projet de loi à l'automne. C'est très bien d'avoir un examen à tous les trois ans, mais il serait préférable d'avoir un examen à tous les trois mois, car il ne faudra pas plus de trois mois pour faire de ce projet de loi ce qu'il devrait être.

Aux pages 9 et 10 de mon mémoire, je donne une liste incomplète de petites choses assez simples qui peuvent et qui devraient être faites pour transformer ce projet de loi en ce qu'il devrait être. Permettez-moi de la lire rapidement. À l'article 2, la définition de «droit international conventionnel» est incorrecte. La définition de «Statut de Rome» ne vous dit pas ce que sont ces «procès-verbaux». Je ne fais que paraphraser mes notes. «Intentional killing» est mal traduit par «meurtre intentionnel». Ce devrait être «homicide intentionnel». La définition de «crime contre l'humanité» contient un bon changement qui a été apporté par la Chambre des communes mais certains termes toujours incorrects continueront à poser des problèmes aux tribunaux. Je n'entre pas dans les détails. C'est la même chose pour la définition de «génocide».

La référence à «depuis quand un tel acte était considéré comme un crime contre l'humanité» devrait être «depuis quand les actes contenus dans cette catégorie étaient considérés comme criminels?» Ce n'est pas seulement avant l'accord de Londres et la proclamation de Tokyo mais avant les périodes couvertes par l'accord de Londres, et cetera.

Le président: Votre témoignage est très intéressant mais je crois qu'il y a de meilleures solutions.

M. Narvey: Je suis toujours prêt à entendre les bons conseils.

Le président: J'avais dit qu'il n'y aurait pas de questions mais les sénateurs Grafstein et Andreychuk ont levé la main. Ces problèmes et ces détails peuvent être réglés à un autre moment. Sénateur Grafstein, voudriez-vous être bref?

Le sénateur Grafstein: Oui. Je vous remercie d'avoir porté ce document précis à notre attention. Pour commencer, je crois que ce mémoire devrait être inclus au dossier afin qu'il soit à notre disposition. Deuxièmement, j'espère que la promesse du ministre d'une étude d'ici trois ans est appropriée. Je tiens à faire la différence entre ce qui a été proposé ici et ce qui s'est passé au comité des banques parce que je m'y trouvais. Il y a eu un débat et une longue discussion sur les différentes modifications, et le gouvernement, au dernier moment, a déposé une lettre incorporant certaines des questions chaudement débattues, mais pas toutes, et s'est engagé à les incorporer.

Monsieur le président, ce n'est pas le cas en l'occurrence. Nous n'avons pas eu l'occasion d'entendre le gouvernement, ni personne d'autre, répondre à vos questions. Ce n'est pas que je ne sois pas d'accord avec vous, parce que je crois que je le suis. Cependant, il serait plus opportun que notre comité ait la possibilité d'y répondre. C'est la raison pour laquelle j'ai fait cette suggestion et je suppose que le comité acceptera la recommandation d'une étude sur trois ans. Le ministre l'a acceptée et cela nous permettra de nous livrer à cet exercice sur trois ans.

Cela ne vous empêche pas, monsieur Narvey, ou quiconque d'autre, de procéder par le biais des procès-verbaux, comme vous l'avez indiqué à propos de l'article 2 de votre mémoire, qui permettrait, dans le cadre de négociations permanentes, d'ajouter, comme le ministre l'a suggéré, une note de bas de page à une note de bas de page pour, à toutes fins utiles, améliorer cette disposition douteuse.

Ceci dit, monsieur le président, c'était une déclaration, non pas une question.

Le sénateur Andreychuk: Vous avez parlé des territoires occupés et des conséquences si certains de ces changements n'étaient pas faits.

Est-ce que cela ne concernerait pas d'autres territoires que ceux occupés par Israël? N'y a-t-il pas d'autres situations qui pourraient être concernées où, par conséquent, comme vous l'avez dit, les amis des amis pourraient être aussi concernés? Y avez-vous pensé?

M. Narvey: Bien sûr. Je pense aux îles Kouriles. Je pense à la région centrale des États baltes.

Le sénateur Andreychuk: En d'autres termes, l'application est plus large.

M. Narvey: Oui. D'un certain point de vue, ce texte dit que nous sommes tous des criminels, ou tout du moins certains d'entre nous. Lorsque les Anglais ont envahi le Québec, ils ont commis des crimes tout comme les Français en avaient commis lorsqu'ils s'y sont installés 100 ans plus tôt.

Les déplacements de population ne sont pas en soi un crime.

Je déplore l'absence du professeur Ed Morgan du Congrès juif canadien car il est plus éloquent que moi. Il a dit «une note de bas de page à une note de bas de page». La commission préparatoire est une note de bas de page. Cette note 46 est une note de note et une note extrêmement vague.

La ligne qui dit qu'être un colon israélien est un crime sera interprété conformément au droit humanitaire international existant. Il aurait été bien préférable de dire que déplacer des populations par la force, la violence, les menaces ou l'extorsion est un crime, mais seulement dans ces circonstances.

Le président: Merci, monsieur Narvey. C'était un témoignage intéressant et stimulant.

Le sénateur Corbin: Vous avez fait une erreur historique à propos du Québec et du conquérant anglais. Je suis sûr que vous faisiez allusion à la déportation des Acadiens en 1755.

M. Narvey: Non, mais j'aurais peut-être dû.

Le sénateur Corbin: Dans ce cas, je ne comprends pas.

M. Narvey: Lorsque le général Murray a acheté une seigneurie au Québec et quand ses soldats démobilisés se sont installés au Québec et sont devenus les ancêtres de ceux qui vivent actuellement dans toute la vallée du Saint-Laurent, tous ces gens n'ont pas commis de crimes. Les colons israéliens sur les plateaux du Golan ne commettent pas de crimes. La déportation des Acadiens était un crime. Il faut faire une distinction entre les activités criminelles et les activités non criminelles.

Le président: Honorables sénateurs, le projet de loi C-19 est une proposition de loi concernant le génocide, les crimes contre l'humanité et les crimes de guerre et visant la mise en oeuvre du Statut de Rome de la Cour pénale internationale et modifiant certaines lois en conséquence. Il est proposé par l'honorable sénateur Grafstein que le comité passe à l'étude article par article du projet de loi C-19.

Plaît-il aux honorables sénateurs de réserver le titre?

Des voix: Oui.

Le président: L'article 1 est-il adopté?

Le sénateur Andreychuk: Monsieur le président, de toute évidence, vous avez entendu tous les honorables sénateurs se demander si, dans le but de protéger la Cour pénale internationale et d'assurer ses chances de création, le Canada doit agir avec la plus grande diligence possible. Vous m'avez entendu dire et vous entendu le sénateur Grafstein et d'autres dire que c'est contraire aux principes de bonne gouvernance. Je trouve incroyable que nous parlions partout dans le monde de bonne gouvernance, des principes de démocratie à respecter, et que nous violions toutes ces règles au Canada.

Ceci dit, je crois que nous n'avons pas le choix. Ou bien, comme on dit vulgairement, nous nous bouchons le nez et nous adoptons ce projet de loi, dans l'espoir de pouvoir faire quelque chose plus tard, comme le sénateur Grafstein et moi-même l'avons proposé, ou nous le bloquons. Il est évident que nous allons adopter ce projet de loi sans rien y toucher, et dans ce cas quelle est la terminologie correcte s'appliquant à ce genre d'étude article par article?

Le président: Il y a une procédure que j'aimerais suivre, si vous me le permettez. Je suis d'accord avec vous et avec le sénateur Grafstein. Je ne crois pas que nous soyons en désaccord.

Le sénateur Corbin: À propos du commentaire du sénateur Grafstein et de son interprétation de la réaction du ministre, je ne pense pas que notre comité ait besoin de la permission de quiconque pour examiner une loi quand bon lui semble. Sénateur Grafstein, je dis cela avec tout le respect que je vous dois.

Le sénateur Grafstein: Je ne pourrais être plus d'accord avec le sénateur Corbin. Je tiens à m'assurer, sénateur Corbin, que la proposition que j'ai faite, dans laquelle j'ai noté le soutien du sénateur Andreychuk, ne sera pas jugée inamicale par le ministre. Je préférerais avoir le ministre de notre côté, et il s'est rangé de notre côté, mais il reste que c'est au Sénat qu'appartient la prérogative de cette décision.

Le président: Merci.

Sénateur Andreychuk, la procédure que je préfère suivre est la procédure article par article, si vous me le permettez, car elle est plus correcte.

Je reprends donc. L'article 1 est-il adopté?

Des voix: D'accord.

Le président: L'article 2 est-il adopté?

Des voix: D'accord.

Le président: L'article 3 est-il adopté?

Des voix: D'accord.

Le président: L'article 4 est-il adopté?

Des voix: D'accord.

Le président: L'article 5 est-il adopté?

Des voix: D'accord.

Le président: L'article 6 est-il adopté?

Des voix: D'accord.

Le président: L'article 7 est-il adopté?

Des voix: D'accord.

Le président: L'article 8 est-il adopté?

Des voix: D'accord.

Le président: L'article 9 est-il adopté?

Des voix: D'accord.

Le président: L'article 10 est-il adopté?

Des voix: D'accord.

Le président: L'article 11 est-il adopté?

Des voix: D'accord.

Le président: L'article 12 est-il adopté?

Des voix: D'accord.

Le président: L'article 13 est-il adopté?

Des voix: D'accord.

Le président: L'article 14 est-il adopté?

Des voix: D'accord.

Le sénateur Grafstein: Puis-je proposer que les articles 15 à 77 soient adoptés? Pouvons-nous les adopter inclusivement, monsieur le président?

Le sénateur Bolduc: Je suis d'accord.

Le président: Procédons de cette façon, sénateur Grafstein.

Les articles 15 à 33 sont-ils adoptés?

Des voix: D'accord.

Le président: Les articles 34 à 41 sont-ils adoptés?

Des voix: D'accord.

Le président: Les articles 42 à 46 sont-ils adoptés?

Des voix: D'accord.

Le président: Les articles 47 à 53 sont-ils adoptés?

Des voix: D'accord.

Le président: L'article 54 est-il adopté?

Des voix: D'accord.

Le président: L'article 55 est-il adopté?

Des voix: D'accord.

Le président: Les articles 56 à 69 sont-il adoptés?

Des voix: D'accord.

Le président: L'article 70 est-il adopté?

Des voix: D'accord.

Le président: Les articles 71 à 75 sont-ils adoptés?

Des voix: D'accord.

Le président: L'article 76 est-il adopté?

Des voix: D'accord.

Le président: L'article 76.1 est-il adopté?

Des voix: D'accord.

Le président: L'article 77 est-il adopté?

Des voix: D'accord.

Le président: L'annexe est-elle adoptée?

Des voix: D'accord.

Le président: Le titre est-il adopté?

Des voix: D'accord.

Le président: Le projet de loi est-il adopté?

Des voix: D'accord.

Le président: Puis-je faire rapport du projet de loi C-19 au Sénat sans amendement?

Des voix: D'accord.

Le sénateur Grafstein: Monsieur le président, je pensais qu'on pourrait aussi indiquer, dans votre rapport, que le Sénat, avec l'accord du ministre, est de l'avis qu'il faut procéder de nouveau à un examen de ce projet de loi au cours des trois prochaines années. Je pense qu'il faudrait inclure cela dans le rapport. On pourrait prévoir deux étapes: faire rapport au Sénat pour signaler que nous avons adopté le projet de loi sans amendement, si les sénateurs sont prêts à le faire sans délai, et deuxièmement, dire que nous l'avons fait non pas de façon conditionnelle, mais avec l'engagement de la part du ministre, qui accepte qu'un comité du Sénat examine le projet de loi et les questions soulevées ici et prenne éventuellement des mesures d'ici trois ans. Je crois que cela reflète l'engagement du ministre et j'espère que vous pourrez inclure cet engagement dans le rapport. Je propose que vous le fassiez.

Le sénateur Di Nino: Je pense que nous devrons aussi mentionner que nous avons reçu cette information très tard. Je n'ai eu le temps que d'examiner ce projet de loi de façon superficielle. C'est inacceptable à mon avis et votre rapport devrait refléter cela, monsieur le président.

Le sénateur Andreychuk: Collègues, d'abord, nous devrions dire clairement qu'encore une fois le Sénat et son rôle n'ont pas été respectés, peu importe le libellé que vous choisirez pour l'exprimer. Ensuite, il faut signaler que nous avons adopté ce projet de loi car je pense que le comité est d'accord avec le principe d'une Cour pénale internationale et voulait aller dans ce sens. Je ne veux pas que les Canadiens aient l'impression qu'il est possible de manipuler le Sénat et sa position sur des projets de loi. Nous avons à peser les conséquences d'un retard dans la ratification de la Cour pénale internationale parce que le gouvernement n'a pas fait son travail correctement. Dans le contexte international actuel, à mon avis, nous ne pouvons pas la retarder. C'est la raison pour laquelle il faut terminer cette étude.

Si le sénateur Grafstein n'était pas intervenu, j'aurais dit que j'examinerais le projet de loi de toute façon, en vue de proposer des amendements éventuels à l'automne. Il est maintenant possible de procéder ensemble avec tous les sénateurs, ce qui doit être clairement indiqué dans le rapport. Au lieu de dire que le ministre a donné son accord, nous pourrions dire qu'il travaillera en ce sens avec nous, ou quelque chose du genre.

Il faut le signaler. La tendance à vouloir nous faire adopter des projets de loi à toute vitesse en fin de session existe et se poursuit. On peut bien pousser l'adoption de projets de loi comportant des conséquences budgétaires, etc, car souvent le gouvernement dit qu'il y a des raisons qui l'empêchent d'agir. On a envoyé un signal clair le 17 juillet 1998, indiquant que le Canada était concerné et devait procéder à la ratification, et nous aurions dû la proposer.

Les sénateurs de ce côté continuent à parler «d'étude préliminaire». En effet, j'étudie ce projet de loi depuis trois ans. C'est la raison pour laquelle je suis assez à l'aise avec son contenu pour l'adopter. Sinon j'aurais été dans la même situation que le sénateur Di Nino qui se demande comment il peut faire son travail correctement. Il faut le mentionner, car nous nous retrouverons dans la même situation à la fin de la prochaine session. Ce n'est pas juste pour les groupes qui voulaient se faire entendre par le comité. Nous avons arrondi tous les coins et cette façon de faire n'est pas acceptable.

Le sénateur Corbin: Puis-je suggérer que le recherchiste et la greffière mettent ces préoccupations sur papier et les annexent au rapport, et que vous fassiez adopter le texte final par le comité directeur avant de rapporter le projet de loi au Sénat? Je ne pense pas que c'est trop demander.

Le sénateur Andreychuk: Tout doit être fini cet après-midi. Je suis là, et le bureau du sénateur Corbin est juste l'autre côté du couloir, donc le président pourra facilement nous trouver.

Le président: Honorables sénateurs, je pense à un moyen de satisfaire les membres du comité, car, comme vous le savez, le problème, comme le sait le sénateur Andreychuk, c'est que je n'aime pas les annexes. D'abord, cette pratique n'est pas parlementaire. Si on fait rapport du projet de loi, on le fait, purement et simplement.

Je suis d'accord avec vous pour dire que nous avons adopté ce projet de loi à toute vitesse et que ce n'est pas vraiment ce que nous voulions faire. Nous voulions examiner le projet de loi. Nous avons entendu un témoin, M. Narvey, qui -- et je crois que les sénateurs seront tous d'accord avec moi là-dessus -- a exprimé son point de vue de façon efficace. Cependant, nous préparerons quelque chose qui conviendra à tout le monde avant que je rapporte le projet de loi au Sénat. Je consulterai la greffière et le comité directeur.

Le sénateur Grafstein: Pour vous rassurer, monsieur le président, d'autres comités ont fait la même chose à plusieurs reprises, plus particulièrement le Comité des banques la semaine dernière.

Si cette pratique n'existait pas auparavant, une nouvelle pratique visant à traiter de cette situation se dessine. J'ai constaté qu'un large consensus s'était dégagé et que le ministre ne s'est pas opposé à l'idée d'examiner la situation de nouveau, ce qui nous permettrait de résoudre le problème à la satisfaction de tout le monde.

M. Narvey a fait d'excellents commentaires et je suis d'accord avec certains des arguments qu'il a soulevés.

Le sénateur Corbin: On ne ralentit pas le processus. Il ne s'agit pas d'un amendement, mais tout simplement d'un commentaire.

Le président: Je comprends, honorables sénateurs. Je pense au moyen le plus efficace d'exprimer le consensus qui semble, selon moi, exister chez tous les membres du comité.

Le sénateur Di Nino: À mon avis, votre suggestion est assez bonne.

La séance est levée.


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