LE POINT SUR LEUROPE :
LES IMPLICATIONS DUNE INTÉGRATION ACCRUE DE LEUROPE POUR LE CANADA
Selon de nombreux témoins, il est essentiel que lUE améliore ses politiques et ses institutions. À cette fin, en mars de cette année, la Commission européenne a officiellement lancé son programme de réforme de la gestion économique de lUE et annoncé ses projets délargissement au tournant du siècle. Nommée à juste titre Agenda 2000, cette stratégie de la Commission est conçue pour a) stimuler la croissance, la compétitivité et lemploi; b) moderniser certaines politiques fondamentales (p. ex., la politique agricole et la politique structurelle une politique de cohésion régionale ayant pour but de réduire les inégalités sociales et économiques entre les membres de lUE par laugmentation du financement du développement régional) et c) procéder à lélargissement de lUE grâce au soutien financier prévu dans la stratégie de préadhésion dAgenda 2000.
Bien que les mesures proposées dans la stratégie Agenda 2000 de lUE soient fort louables, on nous a dit que des réformes plus approfondies simposent, en particulier en ce qui a trait à la Politique agricole commune (PAC), qui absorbe la moitié du budget de lUE. La protection agricole est devenue un important fardeau financier et administratif pour lUE; de même, la PAC impose des coûts restrictifs aux consommateurs, aux contribuables et aux tierces parties comme le Canada.
A. La réforme des politiques de lUE
Quelle est la probabilité que les problèmes que posent la PAC et le budget de lUE trouvent une solution heureuse avec la stratégie Agenda 2000? Si les membres de lUE se sont entendus sur Agenda 2000 au sommet spécial tenu à Bruxelles en mars 1999, et ont notamment convenu de réduire le budget de lUE (p. ex., PAC, budgets structurels) comme condition préalable à lélargissement de lUE, les progrès accomplis sont plutôt limités.
Un des grands défis consistera à limiter les dépenses de lUE pendant la période de référence, soit 2000-2006. Le message que nous avons entendu en Europe est clair : des réformes budgétaires majeures sont absolument nécessaires, en particulier si lUE doit admettre dans ses rangs des pays moins riches et largement agricoles (comme la Pologne) dEurope centrale et dEurope de lEst. En labsence de réformes, lexpansion va entraîner des dépenses additionnelles non négligeables; autrement, les exigences des nouveaux membres ne pourront être satisfaites.
Agenda 2000 contient un cadre financier pour la période en question qui aidera lUE durant la nouvelle série de négociations commerciales multilatérales, et en particulier lors des discussions sur la réforme de la PAC. Comme Mme Smadja la dit au Comité, les nouvelles propositions dAgenda 2000, notamment la réduction du soutien financier dans les secteurs des céréales, du buf et de la production laitière, devraient faire partie de la nouvelle offre présentée à loccasion de la ronde de négociations commerciales multilatérales prévue pour novembre 1999. Le gouvernement canadien suit de près les plans de réforme de la PAC et ses implications pour les exportations canadiennes vers lUE et les pays tiers.
La PAC est un exemple classique de système de subventions gouvernementales qui, une fois établi, est extrêmement difficile à abolir. Elle a empoisonné les relations de lUE avec ses principaux partenaires commerciaux et a fait obstacle aux initiatives multilatérales en faveur de la libéralisation du commerce. La protection des producteurs agricoles demeure très préoccupante pour le Canada. Le PAC a deux effets indésirables : elle restreint laccès de nos produits agricoles au marché européen et fausse le fonctionnement des marchés tiers en raison du subventionnement par lUE de la production et de lexportation de produits agroalimentaires (p. ex., les céréales). Si elles sont adoptées, les modifications proposées à la PAC constitueront certes un pas dans la bonne direction, mais un pas seulement. Il reste encore beaucoup à faire pour réduire la nécessité des subventions agricoles et pour modifier la façon dont elles sont accordées, notamment par la suppression du soutien direct des prix (dissocier le soutien agricole des décisions de production). Mais comme le fait observer M. de Boissieu, cette dissociation se fera vraisemblablement de façon graduelle.
Le Comité na pas étudié en profondeur les mesures daide aux agriculteurs offertes aux termes de la PAC, mais il éprouve néanmoins de vives inquiétudes au sujet de la poursuite du subventionnement des produits agricoles par lUE. Puisque les dépenses prévues en vertu de la PAC continuent malheureusement de dépasser le plafond fixé dans Agenda 2000 et étant donné la lenteur avec laquelle la réforme progresse, nous estimons urgent que les Européens modifient leurs politiques agricoles qui faussent les échanges. Le Canada risque autrement de demeurer dans une situation dangereuse, pris entre les feux croisés dune guerre des subventions funeste entre lUnion européenne et les États-Unis. Le Comité recommande donc :
Recommandation 3 : Que le gouvernement fédéral formule une stratégie politique énergique en vue de la nouvelle ronde de négociations commerciales multilatérales de lOrganisation mondiale du commerce afin de mettre en relief les graves répercussions des subventions actuelles à lagriculture sur léconomie mondiale et dobtenir lappui de la communauté internationale à une vaste opération de lutte contre le maintien des subventions qui faussent les échanges, en visant en particulier les subventions à lexportation. Il importe aussi de renforcer les alliances stratégiques avec des pays animés du même esprit de manière à intensifier les pressions exercées sur les principaux pays qui offrent des subventions pour les convaincre de faire disparaître les disparités entre pays sur le plan des subventions à lagriculture. |
Le financement et les politiques structurels de lUE, qui ont pour but daméliorer linfrastructure et le développement industriel des régions pauvres de lEurope, accaparent un autre tiers du budget global de lUE. Une réforme simpose. La Commission a proposé à cet égard un plan visant à limiter le financement à un plus petit nombre de bénéficiaires et à simplifier le programme. Conformément aux plans de la Commission, pas plus de 0,46 p. 100 du PIB de lUE serait consacré à cette aide au développement régional sur un budget total correspondant à 1,27 p. 100 du PIB de celle-ci.
B. La réforme des institutions de l'UE
Un récent examen de l'Europe dans le numéro du 23 octobre de la revue The Economist témoigne dun déclin considérable de linfluence de la Commission européenne sous la direction de son ancien président, M. Jacques Santer. Le statut de la Commission a pâti aussi de la mise au jour, plus tôt cette année, de scandales et de cas dincompétence à la Commission européenne qui a précipité lUE dans un état de quasi-crise. En mars 1999, les 20 commissaires européens ont démissionné après quun certain nombre dentre eux aient été accusés, par une commission indépendante, de fraude, de favoritisme et de mauvaise gestion.
Le Comité est davis que les récents événements ne doivent pas être pris à la légère et quil faut apporter des changements aux institutions de lUE. Dabord et avant tout, lUnion doit chercher à devenir plus pertinente et plus utile. Lapathie générale des électeurs aux élections parlementaires de juin 1999 donne à penser quils sintéressent moins aux questions européennes, et continuent à se sentir plus proches de leurs élus nationaux et de leur capitale nationale que de Bruxelles. Or, si les Européens ne sont pas convaincus que lUE a une réelle influence sur leur vie quotidienne, le processus dintégration européenne les laissera de plus en plus désillusionnés.
De toute évidence, la nouvelle Commission devra répondre aux critiques sur le fonctionnement de lUE contenues dans le rapport de la commission indépendante. Il faudra mettre fin à la corruption et repenser le fonctionnement de la Commission. La gestion de la Commission devra être améliorée sous le régime de son nouveau chef, M. Romano Prodi, ex-premier ministre italien. Les priorités de M. Prodi sont les suivantes : renforcer les pouvoirs de la Commission et de son président; éliminer la corruption; réformer la Commission et la préparer à lélargissement de lUE; créer une alliance entre la Commission et le Parlement européen pour faire contrepoids aux gouvernements nationaux et faire en sorte que la Commission ait un rôle à jouer dans lapplication dune politique étrangère commune.
M. Prodi est ambitieux, mais il reste à voir sil sera possible de redorer le blason de la Commission. La revue The Economist note que le vide laissé par la baisse de statut de la Commission a été comblé par le Conseil de lEurope (chefs des gouvernements nationaux) et le Conseil des ministres (groupes de ministres nationaux). Ce sont les dirigeants et ministres nationaux qui pilotent maintenant lUE et le processus de lintégration européenne, et non la Commission. En outre, les auteurs de larticle se disent en faveur de cette redistribution des rôles, car létablissement du programme par les chefs des gouvernements nationaux a selon eux pour effet dinjecter un important élément de démocratie dans lélaboration de la politique, ce qui remédie dans une certain mesure au « déficit démocratique » dont continue de souffrir lUE. Nous souscrivons tout à fait à ce point de vue.
Il importe aussi de sinterroger sur lavenir du Parlement européen, lequel devait initialement faire contrepoids aux pouvoirs de la Commission, mais na pas rempli son mandat en la matière. Des représentants du Conseil de lEurope ont dit au Comité que cette question était un enjeu important pour lEurope. Il y a eu au sein de lUE un transfert de pouvoirs des pays membres vers lUnion, et les décisions réglementaires de lUE sappliquent maintenant à tous. Cependant, les décisions sont prises par des organes (le Conseil des ministres et la Commission elle-même) qui ne sont pas pleinement démocratiques et certainement pas pleinement tenus de rendre des comptes. Une plus grande responsabilisation serait utile; à cet égard, on pourrait commencer par ouvrir les réunions du Conseil des ministres à lexamen du public.
Il reste à voir comment évolueront les relations entre le nouveau Parlement et les institutions centrales de lUE, compte tenu en particulier du glissement vers la droite dans le nouveau Parlement (contrairement à la nouvelle Commission, qui compte 10 socialistes). Il faut parvenir à un meilleur équilibre entre les représentants de lUE et les parlementaires. Le Traité dAmsterdam, en vigueur depuis mai 1999, prévoit que le Parlement européen aura plus de pouvoirs. Bien que le Parlement soit un organe essentiellement consultatif, il essaie davoir son mot à dire dans les décisions économiques et financières. Par exemple, les décisions touchant un nombre croissant de secteurs doivent être soumises au Parlement européen en vue dune codécision, ce qui couvre maintenant 80 p. 100 des décisions de lUE en matière législative (sont compris notamment lenvironnement, la santé et la sécurité, la protection du consommateur, laide aux régions, les transports, les fonds structurels, mais non la PAC). Julien Priestley (secrétaire général, Parlement européen, Bruxelles) est davis que le Parlement a un rôle à jouer dans les dossiers importants. Il estime toutefois que si le Conseil des ministres doit certes écouter le Parlement, cest quand même à lui que doit revenir la décision finale sur les questions fiscales, par exemple.
Enfin, les institutions de lUE et le processus de décision devront être modifiés durgence afin quils soient en bon état de fonctionnement à larrivée de nouveaux membres. Le Traité dAmsterdam stipule que, pour les décisions, on pourrait se contenter dune majorité qualifiée au lieu dexiger lunanimité. Comme nous la dit Mme Smadja, cette obligation dunanimité a souvent abouti au problème du « plus petit dénominateur commun ». M. de Boissieu craint un « blocage total » si la règle de lunanimité est maintenue. Ladoption possible du vote à la majorité qualifiée fait partie des questions à négocier en lan 2000, au moment où les gouvernements de lUE discuteront dans une conférence intergouvernementale de la façon de réformer les institutions de lUnion.
Un assez grand nombre de pays souhaitent adhérer à lUE. Selon Mme Smadja, il ny a là rien de surprenant puisque lintégration européenne a assuré la sécurité et la paix en Europe en plus de faire progresser la démocratie. En mars 1998, lUE a officiellement entrepris des négociations sur loctroi du statut de membre à part entière de lUE avec six pays : Pologne, Hongrie, République tchèque, Slovénie, Estonie et Chypre. Les demandes de six autres pays Bulgarie, Lettonie, Lituanie, Roumanie, Slovaquie, Turquie sont actuellement étudiées dans le cadre dune « stratégie de préadhésion ». Les demandes en question feront vraisemblablement lobjet dune décision à la fin de 1999 concernant lamorce dune nouvelle ronde de négociations sur laccession. Les candidats à ladhésion ne pourront se joindre à lUE que lorsquils pourront convaincre la Commission européenne quils sont en mesure dappliquer dans leur propre pays ce quon appelle lacquis communautaire lensemble de la législation de lUE à laquelle il faut adapter la législation nationale pour pouvoir devenir membre de lUE. M. de Boissieu soutient que léchéancier actuel pour lélargissement de lUE nest pas réaliste, et que lan 2005 est un délai beaucoup plus convenable.
Selon toute probabilité, lélargissement de lUE aura une profonde influence sur lUE elle-même et sur ses principaux partenaires commerciaux. Les représentants du ministère des Affaires étrangères et du Commerce international ont souligné que ladhésion des six pays en lice entraînera des réformes politiques majeures au sein de lUE. Lélargissement sera un coup dur pour la PAC : lUE na pas les moyens de subventionner les agriculteurs dEurope de lEst qui représentent un plus fort pourcentage de la population active que dans lOuest de la même façon quelle subventionne ceux de lOuest. Les responsables, ainsi que plusieurs témoins européens, soulignent que limportance du secteur agricole polonais et la perspective de ladhésion de la Pologne à lUE suffiraient presque à elles seules à accélérer la réforme de la PAC. De même, lénorme fossé qui sépare les 15 membres actuels des six nouveaux au chapitre du développement économique précipitera la révision du financement structurel (c.-à-d. les subventions régionales) et des politiques de lUE en la matière. Enfin, il faudra modifier la forme des institutions de lUnion avant quune expansion puisse avoir lieu.
Le Comité sinquiète de ce que jusquici, chaque expansion de lUE a eu pour effet de réduire laccès des produits canadiens dans certains secteurs. Si le Canada doit perdre certains de ses marchés traditionnels dans les pays agricoles dEurope de lEst, il devrait sattendre à ce que lUE accepte de réformer la PAC et de réduire les subventions à lexportation et les contingents tarifaires. Comme lont signalé au Comité les représentants du MAECI, les tarifs douaniers imposés en République tchèque, en Hongrie et en Pologne sont, à certaines exceptions près, généralement beaucoup plus élevés que ceux en vigueur dans les pays de lUE. Ladhésion de ces pays à lUE devrait entraîner une réduction des tarifs douanier sur les exportations canadiennes.
Le gouvernement canadien devrait voir à ce que tout nouvel élargissement de lUE nentraîne pas une diminution de laccès global des produits canadiens au marché européen. Il est absolument essentiel que lélargissement de lUnion européenne ne signifie pas un repli sur soi préjudiciable aux intérêts des partenaires internationaux de lUnion. Le Comité recommande donc :
Recommandation 4 : Que le gouvernement du Canada effectue une analyse dimpact détaillée afin dessayer de prévoir les répercussions de lélargissement de lUE sur les liens du Canada avec lEurope sur les plans du commerce et de linvestissement. Le gouvernement devrait en outre faire tout ce qui est en son pouvoir pour éviter que ladhésion de nouveaux membres à lUE nuise aux intérêts économiques du Canada. Le cas échéant, le gouvernement devrait demander à lUnion européenne de lindemniser en conséquence. |