Délibérations du comité spécial sur les
Drogues illicites
Fascicule 1 - Témoignages du 16 octobre 2000 (après-midi)
OTTAWA, le lundi 16 octobre 2000
Le comité spécial sur les drogues illicites se réunit aujourd'hui à 15 h 09 pour réexaminer les lois et les politiques antidrogues canadiennes.
Le sénateur Pierre Claude Nolin (président) occupe le fauteuil.
[Français]
Le président: Cet après-midi, nous recevons le docteur Zoccolillo, professeur agrégé de psychiatrie et de pédiatrie à l'Université McGill et à l'Hôpital de Montréal pour enfants. Il est également membre du groupe interuniversitaire de recherche sur la mésadaptation sociale chez les enfants dirigé par M. Richard Tremblay, Ph.D.
M. Zoccolillo est actuellement chercheur principal dans deux projets parrainés par les Instituts de recherche en santé du Canada. Premièrement, l'histoire naturelle et les conséquences de l'usage de l'alcool et de la drogue et de la dépendance à ces substances de l'enfance au début de la vie adulte, dans un échantillon de la population. Deuxièmement, le tabagisme chez les femmes enceintes, les problèmes de comportement de son enfant dans la deuxième année de vie, la modélisation des effets des problèmes de comportement de la mère et du père, la réceptivité de la mère et le retard de la croissance du f<#0139>tus.
Les principaux domaines d'intérêt du docteur Zoccolillo sont le développement d'un comportement antisocial et les problèmes de toxicomanie chez les enfants et les adolescents. Il a reçu sa formation en psychiatrie à l'Université Washington à Saint Louis. Grâce à une bourse du NIMH, il a fait un stage d'études post-doctorales en psychiatrie infantile et génétique avec le professeur Michael Rutter à l'Institut de psychiatrie de Londres. Il s'est adjoint au corps professoral de l'Université McGill en 1992. Il est citoyen des États-Unis et du Canada.
[Traduction]
Bon après-midi, monsieur Zoccolillo. Je vous remercie d'être venu témoigner devant nous cet après-midi.
M. Mark Zoccolillo, professeur agréé de psychiatrie et professeur adjoint de pédiatrie, université McGill et Hôpital pour enfants de Montréal: Je vais résumer une étude que nous avons menée au Québec, qui pourrait avoir une incidence sur la politique antidrogue.
Je commencerai cependant par parler d'une étude effectuée en Ontario, pour faire ressortir certains arguments. Elle vient d'un sondage sur la consommation de drogues par les étudiants de l'Ontario, qui est effectuée annuellement depuis, je dirais, une vingtaine d'années. J'aimerais vous inviter à comparer les données de 1993 avec celles de 1999. Elles portent sur un échantillon d'étudiants de la 7e année à, je crois, la 12e année, en Ontario. Je tiens à vous faire remarquer que le taux de consommation du cannabis, de la marijuana et des hallucinogènes a doublé pendant cette période de six ans. La consommation de cannabis est passée de 12 à 24 ou 26 p. 100, tandis que la consommation d'hallucinogènes a plus que doublé, elle aussi.
Je souligne cet élément en guise d'introduction d'une étude faite au Québec que je vais vous présenter, mais vous constaterez que la situation a évolué très rapidement. Dans votre examen des politiques antidrogues, vous devez tenir compte du fait que nous vivons à une époque où tout change rapidement, et les données d'il y a 10 ans ne reflètent pas forcément la situation actuelle.
L'étude que je vous présente a été menée par moi-même, Frank Vitaro et Richard Tremblay. Elle ne porte pas uniquement sur la consommation de drogues chez les adolescents, mais aussi sur le contexte de leur utilisation.
Le concept de l'étude est relativement simple et direct. Elle porte sur un échantillon représentatif d'adolescents des commissions scolaires francophones de tout le Québec. Les adolescents y ont répondu entre 1995 et 1997. Le tableau 1 indique leur âge et leur niveau scolaire. Comme vous pouvez le voir, la plupart des adolescents avaient 15 ou 16 ans et étaient en secondaire 3 ou 4, soit l'équivalent de la 9e et de la 10e année. Je tiens à souligner qu'il s'agit ici d'élèves de 9e et de 10e année, et non pas d'étudiants du niveau collégial, ni d'élèves du dernier cycle du secondaire. Je présenterai séparément les données sur les garçons de celle des filles. Elles sont recueillies d'un questionnaire de déclaration volontaire. Nous leur avons posé des questions sur leur consommation d'alcool ou de drogues, ainsi que sur la fréquence et les circonstances de cette consommation. Nous mettons l'accent, bien sûr, sur la consommation des drogues illicites.
Comme vous pouvez le voir, la plupart des jeunes consommaient déjà de l'alcool. Un peu plus de la moitié avaient déjà été ivres et 60 p. 100 avaient bu de l'alcool plus de cinq fois.
Plus bas dans le tableau, là où l'on passe aux drogues illégales, environ la moitié des filles et un peu moins de la moitié des garçons avaient essayé des drogues, mais près d'un tiers avaient consommé des drogues plus de cinq fois. C'était la question déterminante sur la consommation, alors nous avons posé des questions détaillées à ceux qui avaient consommé des drogues illégales plus de cinq fois. Bien entendu, tout le monde qui avait touché de la drogue connaissait la marijuana. Environ 20 p. 100 avaient essayé les hallucinogènes à ce moment-là, et un plus petit nombre avaient tenté les amphétamines, les inhalants, la cocaïne et d'autres drogues.
Nous nous sommes concentrés sur la consommation problématique. Nous avons tenté de cerner les comportements des adolescents qui pourraient s'avérer problématiques ou dangereux. Nous n'avons pas tellement insisté sur les questions sur la dépendance, parce que nous nous intéressions plus spécifiquement au contexte d'utilisation de ces drogues. Si vous regardez le tableau 2, en ce qui concerne la consommation problématique d'alcool, on cite la conduite de véhicules motorisés sous l'effet de l'alcool, l'ivresse à l'école, la participation à des bagarres sous l'effet de l'alcool, la participation à des activités sportives -- ce qui comprend la bicyclette ou la planche à roulettes -- sous l'effet de l'alcool, les problèmes avec la police, la consommation de l'alcool dans l'avant-midi, les disputes avec les amis ou avec les parents ou la recherche d'aide pour diminuer la consommation d'alcool. Le facteur important de comparaison sera la consommation de drogues, mais j'aimerais attirer votre attention sur la troisième ligne, qui indique «déjà été saoul(e) à l'école». Près de 10 p. 100 des garçons et 8 p. 100 des filles l'ont été. Voilà pour l'alcool.
Ce tableau montre les proportions de consommation problématique d'alcool sur tout l'échantillon. Il ne s'agit pas uniquement de ceux qui ont déjà consommé des drogues; ces statistiques concernent tout l'ensemble des répondants. Vous pouvez voir les données frappantes sur les jeunes qui vont à l'école gelés. Un adolescent sur quatre avait déjà, au moment du sondage, été à l'école sous l'influence de drogues. Nous avons fait une ventilation, selon que c'était une ou deux fois, à l'occasion ou très souvent. Vous pouvez voir qu'environ 16 p. 100 des élèves avaient déjà, à l'occasion, été gelés à l'école, ou encore plus souvent qu'à l'occasion, soit de nombreuses fois. La différence est très nette avec les données sur l'alcool. Je trouve cette statistique très troublante.
La question suivante visait à savoir, s'ils avaient consommé de l'alcool, quel genre de problèmes ils avaient connus? Les chiffres précédents portaient sur l'ensemble du groupe, qu'ils aient ou non consommé de l'alcool ou des drogues. La comparaison ne se fera pas avec les drogues illégales, mais plutôt sur la manière dont les jeunes consomment les drogues ou l'alcool. J'aimerais mettre l'accent ici, sur la troisième ligne, «déjà été saoul(e) à l'école». La plupart des jeunes qui avaient consommé de l'alcool plus de cinq fois, soit environ 60 p. 100 de l'échantillon, n'avaient jamais été saouls à l'école. Bien qu'ils aient déjà consommé de l'alcool, ils n'allaient pas jusqu'à aller à l'école saouls.
Si on regarde le bas du tableau, on y dresse la liste des problèmes. Il y en a neuf au total. Vous pouvez voir que la plupart des jeunes qui avaient consommé de l'alcool, soit 60 p. 100 des garçons et moins que cela pour les filles, admettaient avoir eu de zéro à un de ces comportements. La plupart des jeunes qui avaient consommé de l'alcool, à part la pratique de sports sous l'effet de l'alcool, n'avaient généralement pas ces autres comportements. Si on regarde à la ligne qui indique «quatre problèmes ou plus», on peut voir que très peu de jeunes qui avaient consommé de l'alcool déclaraient avoir fait la plupart de ces choses.
La situation est tout à fait différente avec les drogues. Le tableau 3 dresse la liste des problèmes de drogues chez les adolescents ayant consommé des drogues plus de cinq fois, mais ils touchent un tiers de tout l'échantillon. Ce n'est pas une mince minorité.
Vous pouvez voir d'énormes différences. La plupart des étudiants qui avaient déclaré avoir consommé des drogues plus de cinq fois avaient été gelés à l'école, la plupart avaient pratiqué des sports sous l'effet de drogues et la plupart avaient consommé des drogues dans l'avant-midi.
Vous vous rappellerez que la plupart des étudiants qui ont admis avoir consommé de l'alcool avaient signalé, au mieux, aucun problème ou un problème. Ici, ils sont une minorité. Près de la moitié des garçons ont admis avoir eu quatre ou plus de ces comportements. Chez les filles, environ un tiers ont avoué avoir eu quatre ou plus de ces comportements. La plupart des jeunes ont déclaré avoir eu au moins trois de ces comportements ou plus, et c'est donc qu'il y a une énorme différence entre le mode de consommation de l'alcool et la consommation des drogues chez les jeunes.
L'élément suivant de discussion était que s'ils font ces choses, c'est qu'ils doivent les consommer assez fréquemment. Un énoncé les interrogeait sur la fréquence où ils consommaient des drogues ou de l'alcool. Vous pouvez encore une fois constater des écarts assez importants dans ce tableau, où nous avons comparé la consommation de drogues avec celle d'alcool. Dans la deuxième colonne, celle des garçons -- et la différence n'est pas très grande avec les filles --, vous pouvez voir que 21 p. 100 de ceux qui avaient consommé de l'alcool plus de cinq fois déclaraient en consommer moins d'une fois par semaine, et 50 p. 100 une fois par semaine. La plupart buvaient une fois par semaine ou moins, même en période de consommation maximale. Si vous regardez les chiffres qui se rapportent à la consommation de drogues, c'est tout autre chose. On constate que peu d'entre les jeunes consomment des drogues une fois par semaine ou moins. Si vous regardez les trois derniers rangs du tableau 3, vous verrez que la majorité des garçons et des filles admettaient avoir atteint une fréquence de consommation de trois fois par semaine ou plus.
C'est assez semblable au modèle précédent que nous avons vu, selon lequel les jeunes vont à l'école gelés et pratiquent des sports sous l'influence des drogues. Nous voyons ici qu'une fois que la consommation de drogues a commencé, il y a une progression assez rapide de leur intégration dans les activités quotidiennes des adolescents.
Nous n'avons pas pu ventiler les données et poser des questions distinctes pour chaque drogue, mais nous avons pu faire quelques inférences. Nous avons demandé, bien sûr, quelles étaient toutes les drogues qu'ils avaient déjà consommées, mais nous leur avons aussi demandé d'indiquer les trois drogues qu'ils prenaient au moment où ils en consommaient le plus. Nous avons appris, tout d'abord que, de ce groupe d'adolescents, tous avaient déjà consommé de la marijuana, mais beaucoup avaient aussi essayé autre chose. Même ceux qui affirmaient consommer d'autres drogues déclaraient aussi prendre de la marijuana au moment où ils consommaient le plus de drogues. La marijuana est à l'arrière plan de toutes les autres drogues consommées.
Nous pensions que lorsqu'ils déclaraient consommer fréquemment des drogues et qu'ils allaient à l'école drogués, il s'agissait probablement de marijuana. Nous pensions pouvoir analyser les adolescents qui n'avaient consommé que de la marijuana et aucune autre drogue. Nous avons demandé combien de comportements problématiques ils avaient lorsqu'ils ne consommaient que de la marijuana. La réponse est encore, comme vous pouvez le constater, que la majorité des garçons et près de la majorité des filles ont admis au moins deux problèmes ou plus quand ils ne consommaient que de la marijuana. Il est certain que quand on ajoute d'autres drogues, le nombre de problèmes augmente de façon radicale.
Dans le deuxième groupe en importance, celui des jeunes qui n'avaient consommé que de la marijuana et des hallucinogènes, près de la majorité ont déclaré quatre problèmes ou plus et la plus grande partie avouaient au moins trois problèmes. Lorsqu'on en arrive à ceux qui consommaient plusieurs types de drogues, on voit que les comportements problématiques multiples étaient la norme pour la plupart.
Dans ma première série de conclusions, je constate notamment que la consommation problématique d'alcool et de drogues est relativement commune chez les adolescents du Québec. Ils courent un risque relativement élevé d'être blessés en conduisant des véhicules motorisés ou en participant à des sports comme la bicyclette alors qu'ils sont sous l'influence des drogues. Il est assez courant qu'ils aillent à l'école drogués, puisqu'un étudiant sur quatre l'a déjà fait, et un sur six au cours des six derniers mois. Le modèle de consommation de drogues est très différent de celui qui se rapporte à l'alcool. La consommation d'alcool est plus fréquente, mais semble se limiter aux fins de semaine, la plupart des consommateurs ayant déclaré n'avoir connu aucun problème ou en avoir eu un seul.
Le modèle de consommateur cerné semble être celui qui consomme des drogues plusieurs fois par semaine, va drogué à l'école et passe une bonne part de la journée gelé. La drogue la plus courante est la marijuana. C'est un mythe que de penser que les adolescents prennent le plus souvent de la drogue à titre expérimental et se limitent à la consommation occasionnelle de marijuana à des partys.
Je passe maintenant à des éléments qui relèvent plus de la spéculation pour essayer de situer les choses dans le contexte de votre intérêt pour la politique anti-drogues. Vous vous rappellerez que j'ai commencé mon exposé en disant que la consommation de drogues a plus que doublé depuis six ans. Je reviendrai maintenant sur certains résultats de cette étude menée en Ontario, parce qu'elle posait aussi des questions sur les attitudes à l'égard de la consommation et de la disponibilité des drogues, dans le but d'essayer de comprendre les motifs de cette augmentation et pourquoi les drogues ont pris une place si importante dans le quotidien des adolescents du Québec. Cette étude compare les mêmes étudiants de l'Ontario entre 1991 et 1999 et s'intitule «premières perceptions de torts».
On leur a posé des questions sur le degré de risque que présentait la consommation de marijuana. Vous pouvez voir que le pourcentage d'étudiants admettant un risque élevé a baissé entre 1991 et 1999, de même que le pourcentage d'étudiants admettant qu'il y avait un risque élevé à fumer de la marijuana régulièrement. La désapprobation morale de la consommation a aussi chuté de 1991 à 1999, et la disponibilité perçue des drogues affiche une hausse, passant de 29 à 52 p. 100.
Un autre élément que j'aimerais souligner brièvement est celui des changements du modèle de disponibilité de la marijuana et, en particulier, de la culture et du type de marijuana. D'après les rapports de la GRC et d'autres documents que j'ai lus, environ la moitié de la marijuana consommée actuellement au Québec est cultivée à l'échelle locale, et souvent à l'intérieur. La situation est semblable dans d'autres provinces. C'est autre chose qu'il y a une vingtaine d'années, alors que la marijuana était importée en grandes quantités.
Ensuite, j'aimerais attirer votre attention sur un livre qui a été publié récemment, intitulé The Science of Marijuana, dont l'auteur est Iversen, un personnage qui examine la documentation sur le sujet. Il n'agit dans aucun but intéressé. Il fait remarquer que la nouvelle variété de cannabis qui a été conçue pour la culture intensive en serre de plantes de petite stature et à forte teneur en THC peut modifier le tableau. Ce type de culture donne un cannabis qui contient deux fois plus de THC, l'ingrédient général, que la plante qu'on trouvait généralement jusqu'ici. Il est aussi vrai que ce genre de produit-maison devient une source de plus en plus importante d'approvisionnement.
J'aimerais brièvement passer en revue deux des effets dont la nocivité, je crois, a été relativement bien établie, et quelques autres effets qui font l'objet d'importantes théories. Je recommanderais un autre livre, aussi bon que celui d'Iversen. Il s'agit d'un ouvrage sur l'effet de la marijuana sur la mémoire, que décrit en détail The Scientific Study of Marijuana, par Abel. L'effet de la marijuana qui est, de loin, le plus constant et le plus net est la perturbation de la mémoire à court terme. C'est la mémoire que l'on qualifie généralement de «mémoire de travail». Elle touche le mécanisme du cerveau qui est responsable de la préservation à court terme de l'information nécessaire à l'exécution de tâches complexes qui exigent planification, compréhension et raisonnement. La perturbation relativement grave de la mémoire de travail peut contribuer à expliquer pourquoi les sujets intoxiqués à la marijuana éprouvent de la difficulté à maintenir une chaîne d'idées ou à suivre une conversation. Ils ne peuvent tout simplement pas se rappeler d'où est partie l'idée ou la conversation, ou l'ordre des éléments nécessaires à faire le tri de l'information. Manifestement, c'est un problème pour quelqu'un qui va à l'école drogué.
Cet auteur traite aussi de la dépendance à la marijuana et aux drogues. Il est de plus en plus clair que le cannabis est une drogue dont les consommateurs réguliers deviennent dépendants, et que cela a des effets nocifs sur un grand nombre de gens. La dépendance au cannabis est encore largement non admise, parce qu'on croit encore beaucoup que ce n'est pas une drogue toxicomanogène. Il est vraiment indispensable d'éduquer les consommateurs de cannabis pour diffuser le message qu'ils courent le risque de permettre à la drogue de dominer leur vie. Voilà un autre élément qui s'insère dans le modèle que nous constatons, selon lequel le cannabis devient rapidement partie intégrante du quotidien des adolescents.
J'aimerais souligner certaines conclusions tirées sur la consommation de drogues chez les adolescents du Québec. Premièrement, nous avons eu les résultats d'une expérience sur la décriminalisation, la disponibilité accrue et l'acceptation sociale du cannabis. Il est important de comprendre que, aux yeux des adolescents du Québec, la décriminalisation est un fait acquis. Cette perception est fondée sur un discours d'un avocat devant une commission scolaire locale, ou il déclarait que la simple possession est devenue un fait relativement bien accepté et peu susceptible d'entraîner une arrestation.
Les adolescents nous disent savoir risquer bien plus s'ils sont surpris avec une cannette de bière à la main qu'avec un joint de marijuana. Ils savent très bien qu'il y a peu de mesures d'application de répression pour la simple possession ou la consommation de drogues en public.
Deuxièmement, comme je l'ai fait remarquer, il y a sur le marché une importante quantité de cannabis de serre vendu à bas prix, et à mon avis, il est probablement assez efficace.
Troisièmement, une publicité plutôt positive a été faite en faveur de la marijuana. Les enfants ont accès à des documents qui en font la promotion. Les gens peuvent légitimement promouvoir leurs propres points de vue, mais sans que soit exposé le revers de la médaille.
Enfin, nous vivons dans un contexte curieux où il n'y a pas de contrôles sociaux sur le cannabis. Faisons une comparaison avec l'alcool. Les jeunes grandissent dans des familles dont les membres consomment du vin de façon généralement modérée. Une formation ou un contrôle social est assuré relativement à la consommation appropriée de l'alcool. Il n'y a rien de cela à propos du cannabis au Canada. Le cannabis se situe vaguement entre le légal et l'illégal.
La question qu'il faut se poser, c'est: est-ce que cela représente un modèle de dépendance? Nous constatons une progression rapide vers une consommation quotidienne et constante, semblable à celle du tabac. Deuxièmement, le tabac constitue un moyen efficace d'inhalation rapide et fréquente de la drogue. C'est l'un des meilleurs moyens de faire entrer la drogue dans le système rapidement sans qu'elle soit métabolisée par le foie.
Enfin, d'autres études menées aux États-Unis et en Ontario, bien qu'il ne s'agisse pas des nôtres, portent sur la consommation de marijuana chez les adolescents en rapport précis avec des questions de dépendance. Elles confirment des taux élevés de symptômes de dépendance chez ceux qui consomment fréquemment de la marijuana. Ce que nous observons me porte à me demander si la marijuana ne créerait pas une accoutumance.
Étant donné les effets délétères connus de la marijuana sur la mémoire à court terme, le fait que les adolescents aillent à l'école sous son effet fera augmenter les taux de décrochage et baiser les notes. Nous n'en connaissons pas toutes les conséquences parce qu'aucune étude portant sur cette question particulière n'a été faite auprès d'un échantillon.
Qu'arrive-t-il lorsque les consommateurs font du vélo, du patin, de la planche à neige ou qu'ils pratiquent un autre sport? Y a-t-il plus de blessures? À nouveau, nous disposons de très peu de données sur le sujet.
Quels sont les effets sur le développement du cerveau de la consommation fréquente de drogues par un groupe important de la population? Nous n'avons pas d'études portant sur la consommation conséquente à long terme par les adolescents à cette fréquence. Des études plus vieilles, effectuées surtout à l'étranger, ont porté sur les consommateurs de marijuana, mais, en règle générale, ces consommateurs étaient plus âgés. Nous n'avons pas beaucoup de données sur les adolescents de 14, de 15 ou de 16 ans.
Parmi le grand nombre de personnes qui consomment cette substance, peut-être que seulement des sous-groupes auront des problèmes. Le tabagisme ne pose pas de problème à tous les fumeurs. De la même façon, beaucoup de personnes consomment de l'alcool de manière responsable, mais d'autres ne peuvent tout simplement pas en prendre. Étant donné que la consommation du cannabis se répand, observerons-nous des sous-groupes précis qui ne peuvent le tolérer?
Quand nous avons analysé pour la première fois la consommation de marijuana, nous avons été incapables de relever des écarts régionaux. Nous avons pu comparer Montréal à Val d'Or en raison de la façon dont était structurée l'étude et nous n'avons constaté aucune différence. Nous avons examiné le revenu et n'avons pas trouvé de différence entre les consommateurs et ceux qui n'en consomment pas. Nous n'avons également pas relevé d'écart en fonction du sexe.
Comme nos données remontaient aussi loin que la maternelle, nous nous sommes efforcés dans cette étude de déterminer si ces enfants étaient déviants ou s'ils avaient des troubles de comportement depuis longtemps. La réponse est en grande partie négative. Voilà qui est très inquiétant.
Nous avons aussi étudié les adolescents qui consommaient à la fois de l'alcool et de la marijuana afin de voir s'ils réagissaient aux deux de la même façon. Si les adolescents consomment les deux à la fois, la réponse est non. S'ils consomment à la fois de l'alcool et de la marijuana, ils affirment qu'ils ne vont pas ivres à l'école, mais qu'ils sont par contre gelés.
Il faut porter une attention spéciale aux mineurs quand on élabore la politique en matière de drogues. Une politique visant uniquement les adultes aura peut-être de vives conséquences non voulues sur les adolescents. Nous avons une obligation parentale à l'égard des adolescents. Ce ne sont pas des adultes. Il est souvent impossible de traiter les adolescents comme on le ferait des adultes. La loi le reconnaît dans de nombreux domaines. Il y a de l'alcool partout et le gouvernement en vend. Pourtant, nous imposons de rigoureuses restrictions sur sa consommation par les adolescents et les enfants. Il en va de même pour le tabac. Honorables sénateurs, les politiques visant les adolescents doivent être différentes de celles qui visent les adultes.
La plupart du temps, c'est à l'adolescence que l'on consomme pour la première fois de la drogue. Si vous en consommez, vous commencerez à le faire à l'adolescence. Il est rare que quelqu'un commence à se droguer à l'âge adulte. Il faut voir l'adolescence comme une période critique.
À nouveau, je mentionne l'alcool parce qu'il illustre bien la nécessité d'avoir des politiques distinctes pour les adultes et les adolescents. Je vais aussi parler de Loto-Québec pour illustrer le phénomène de la dépendance au jeu. Jusqu'à tout récemment, les enfants pouvaient acheter des billets de loterie au Québec. Un collègue de McGill a observé un taux élevé de dépendance au jeu chez des enfants et des adolescents. Il s'est adressé à un député local de l'Assemblée nationale pour demander certains changements. En février, l'achat par des enfants et des adolescents de billets de loterie a été interdit. Quelques semaines plus tard, Loto-Québec a mis sur le marché un jeu vidéo, ostensiblement destiné aux adultes, qui encourage le jeu. Je le mentionne pour illustrer à quel point il importe de changer sa façon de raisonner lorsqu'il est question d'adolescents.
À la lumière des habitudes rapidement changeantes de la consommation de drogues, il faut éviter de tirer des conclusions à partir de données désuètes. Un exemple est la puissance de la marijuana. La marijuana cultivée dans les champs n'est probablement pas plus puissante; par contre, la marijuana cultivée en serre est très différente. Cette distinction subtile est importante pour bien juger de la situation actuelle.
La marijuana peut être nocive. J'ai mentionné les effets qu'elle a sur la mémoire à court terme et la question de la dépendance. Elle représente clairement la troisième cause la plus courante de l'accoutumance aux drogues, après le tabac et l'alcool, parce qu'elle est d'un usage si répandu. Il existe d'excellentes données sur le sujet dans diverses publications.
J'aimerais également parler avec vous de ses effets nuisibles précis. Il est inutile de comparer le niveau des effets nuisibles de la cocaïne, de la marijuana et de l'alcool. Chaque drogue a son genre particulier d'effets nuisibles. S'il fallait comparer les effets du tabac et de la cocaïne chez les jeunes, vous concluriez que la cocaïne est terrible, mais qu'il n'y a pas lieu de s'inquiéter du tabac parce que les effets nuisibles de celui-ci ne se manifestent que 30 ans plus tard. L'essentiel, c'est qu'il existe différents genres d'effets nuisibles et qu'il est inutile d'en faire la comparaison.
Il faut aussi tenir compte des effets de la dose et de la personne. Quand un jeune se rend à ses cours gelé, on peut se demander s'il apprend quoi que ce soit à l'école secondaire. C'est l'un des effets nuisibles éventuels. La question des dommages au cerveau est différente, et il ne faut pas confondre les deux.
Fumer de la marijuana comporte souvent tous les risques du tabagisme.
La décriminalisation a sa propre série de problèmes. Je n'en parlerai pas, parce que vous allez entendre des experts au sujet des problèmes de la criminalisation et des sentences trop sévères.
Quant à la légalisation, il faut réfléchir à ceux qui vendront le cannabis. Les gouvernements provinciaux le prendront-ils en charge, comme ils le font pour l'alcool? Seront-ce des compagnies de tabac? Quelles conséquences cela aura-t-il?
Je tiens à mentionner brièvement que la décriminalisation a sa propre série de problèmes. Tout d'abord, il y a peu de contrôle social, s'il y en a. Comme la drogue n'est ni illicite ni licite, on n'en parlera pas. Il n'y a pas de contrôle social, comme pour l'alcool et le tabac. De plus, contrairement à l'alcool et au tabac dont les taxes et tout le reste défraient le coût de certains dommages, les montants faramineux en jeu ne reviennent pas au gouvernement, qui pourrait s'en servir pour faire de la prévention.
Une grande partie du produit de la vente de drogues illicites revient au crime organisé, qui l'injecte dans des activités criminelles plus graves.
Il se pourrait que les entreprises licites et plus responsables sur le plan social soient empêchées de pénétrer le marché. J'ai mis un point d'interrogation là, parce que nous avons vécu l'expérience des compagnies de tabac. Toutefois, cela demeure une possibilité.
Enfin, la prévention des problèmes liés à la consommation de drogue n'est pas l'apanage exclusif d'une autorité quelconque, ce dont il faudrait que la politique d'État tienne compte. Il ne s'agit manifestement pas d'un simple problème d'exécution de la loi, et je ne crois pas qu'il soit nécessaire que je vous l'explique. Je tiens également à souligner que le problème ne se limite pas à l'accoutumance. L'exemple du contrôle du tabac est éloquent. Si l'on décide de ne s'inquiéter que de l'accoutumance et de ses conséquences sur la santé, en y incluant la consommation de tabac, on ne se souciera plus d'empêcher la consommation chez les adolescents, on ne financera que le traitement des toxicomanies, des cancers du poumon et d'autres maladies. Comme vous pouvez le voir, ce n'est pas très sensé. Il nous faut tenir compte de toute la gamme des problèmes, y compris de la manière de réduire la consommation ou de la prévenir au départ.
Ce n'est pas seulement une question d'éducation. L'hypothèse selon laquelle, si l'on éduque bien les gens, ils ne consommeront pas de drogue est, de toute évidence, erronée. Certains programmes exécutés dans les établissements d'enseignement ont réussi à faire baisser la consommation de drogues, mais il faut faire beaucoup plus que de la simple éducation.
Enfin, il existe clairement un problème moral également. Nous avons toutes sortes de règles au sujet des circonstances dans lesquelles nous autorisons la consommation de drogues et d'alcool. Nous ne permettons pas que l'on affiche son ivresse en public, et nous limitons énormément la manière et le lieu de consommation d'alcool parce que, dans certaines situations, les autres membres de la société trouvent intolérable d'être en présence de personnes intoxiquées. C'est un problème pour toute la société si les enseignants sont obligés de donner des cours à des étudiants gelés. Cela pourrait en détourner plusieurs de vouloir enseigner plus tard. Ce sont là d'autres aspects de la politique en matière de drogue, et il ne sert à rien de les ignorer.
Enfin, bien que cela puisse sembler intéressé, j'aimerais vraiment que vous envisagiez la possibilité de créer un organe permanente, qui aurait pour mission de réduire les problèmes liés à la consommation de drogues. La consommation de drogues et la consommation excessive de celles-ci varient d'une période à l'autre. Il faut donc prévoir une certaine souplesse de réaction. Elles changent trop rapidement pour que la loi puisse les suivre. Il faut surveiller la consommation de drogues au fil des ans et en publier les résultats. Ce doublement de la consommation n'est pas très bien connu et mal publicisé.
L'organe dont je propose la création favoriserait de toute évidence la recherche sur les problèmes liés à la drogue, mais ce ne serait surtout pas un organisme de recherche. Il élaborerait et appuierait l'exécution de programmes visant à prévenir la consommation de drogue. Enfin, ce ne serait manifestement pas un organe d'exécution de la loi.
Je demeure à votre disposition pour répondre aux questions et recevoir vos commentaires.
Le sénateur Kenny: Monsieur Zoccolillo, pourriez-vous donner au comité quelques détails sur la méthodologie que vous avez utilisée pour mener votre enquête et sur les précautions que vous avez prises pour faire en sorte que l'information récoltée est exacte? Si je posais à mes enfants certaines des questions que vous avez posées, je n'obtiendrais pas de très bonnes réponses. De la même façon, je soupçonne que ce que certains de mes garçons diraient à d'autres au vestiaire ne serait peut-être pas très exact non plus.
Comment arrivez-vous à faire dire la vérité à des enfants au sujet d'une pareille question?
M. Zoccolillo: Tout d'abord, bien qu'ils aient rempli le questionnaire à la maison, ils se trouvaient dans une autre pièce que leurs parents. Ils l'ont donc rempli seuls.
Ensuite, il y a beaucoup de cohérence interne dans les questions. Par exemple, si quelqu'un souhaitait nous jouer un tour et affirmait être héroïnomane même s'il n'avait jamais consommé de drogue, vous obtiendriez des réponses qui ne cadrent pas avec ce que nous savons au sujet des drogues, et nous ne l'avons pas constaté dans les réponses obtenues. D'amples études ont montré que presque tous ceux qui consomment de la cocaïne consomment également de la marijuana. On commence par la marijuana, puis on passe aux hallucinogènes et à d'autres drogues. C'est exactement ce que nous avons constaté. Il faudrait que ces étudiants en sachent beaucoup au sujet de l'épidémiologie de la consommation de drogue pour nous donner des réponses qui cadreraient avec les résultats d'autres études.
De plus, les questions concernant la fréquence de la consommation étaient distinctes de celles en rapport avec la méthode. Nous avons comparé la consommation d'alcool et de drogues et avons constaté que les habitudes sont très différentes.
Par conséquent, je crois que les données sont relativement valables. Elles pourraient fort bien sous-évaluer le problème, mais je ne crois pas qu'elles le surévaluent.
Le sénateur Kenny: Vous avez parlé de la marijuana, vite intégrée au quotidien, et de ses effets nuisibles. Cela a-t-il été confirmé par les données statistiques sur les accidents de la route causés par des conducteurs aux facultés affaiblies ou par une baisse du rendement scolaire? Vous laissez entendre qu'il y a un problème si les enfants sont gelés en classe. C'est facile à dire, mais êtes-vous allé un peu plus loin et avez-vous pu confirmer les baisses du rendement scolaire?
M. Zoccolillo: Nous sommes en train d'étudier le phénomène. Nous assurons un suivi et, au cours des deux ou trois prochaines années, nous referons les entrevues. C'est une question à laquelle nous nous attardons particulièrement. Bien que nous n'ayons pas les données sur le rendement scolaire et tout le reste, il est très difficile de faire une distinction entre les effets de la drogue et les raisons pour lesquelles la drogue a été consommée au départ.
Si vous souhaitiez montrer qu'à l'âge de 15 ans, les enfants qui ont consommé des drogues avaient des notes plus basses que les enfants qui n'en consommaient pas, il faudrait contrôler plusieurs facteurs. Nous assurons un suivi auprès de ces adolescents et nous leur posons des questions compliquées et détaillées au sujet de leur consommation de drogue sur un certain nombre d'années. Nous tentons d'en dégager un modèle statistique pour voir si cette consommation a nui à leur rendement scolaire. Théoriquement, ce n'est pas facile à faire parce qu'il y a trop de variables. L'étudiant qui a décidé de fumer de la marijuana a peut-être décidé aussi qu'il ne voulait plus poursuivre ses études, les deux décisions n'étant pas directement liées. Il existe peut-être des facteurs de risque antérieurs qui vous ont incité à fumer de la marijuana et qui ont aussi nui à votre rendement scolaire. Ces facteurs rendent difficile la tâche d'étudier le phénomène directement. Nous recevons des fonds des IRSC, soit des Instituts de recherche en santé du Canada, à cette fin, et nous espérons pouvoir dégager certaines grandes lignes au cours des trois ou quatre prochaines années.
Je vous ai montré les données sur la mémoire à court terme parce que d'autres études sont arrivées au même résultat, et qu'il semble plutôt clair que la consommation a un effet sur elle.
Vous pourriez répondre que certaines personnes fument et boivent du café avant de se rendre à l'école. Tous les psychotropes ne nuisent pas forcément à votre capacité de penser. Toutefois, il existe suffisamment d'études sur la marijuana pour croire que c'est probablement le cas.
À nouveau, les données solides sur cette question sont limitées, en partie en raison du fait que les études antérieures ne posaient jamais la question. Les grandes études épidémiologiques n'ont porté que sur la consommation et la fréquence.
Le sénateur Kenny: Vous avez parlé des problèmes. Dans les données que vous nous avez fournies, il n'y a pas de comparaison avec les problèmes qu'ont les enfants qui ne consomment pas de drogue avec leurs parents, et les autres difficultés de la vie. Comment le comité est-il censé faire la différence entre les consommateurs de drogue qui éprouvent des problèmes et les adolescents qui ne consomment pas de drogue et qui ont eux aussi des problèmes?
M. Zoccolillo: Les questions que j'ai posées étaient toutes centrées sur la consommation de drogue. Nous avons demandé s'ils éprouvaient des problèmes avec leurs parents en raison des drogues qu'ils consommaient.
Le sénateur Kenny: Vous auriez pu demander à des enfants qui ne consommaient pas de drogue s'ils avaient des problèmes avec leurs parents, et la réponse pourrait fort bien avoir été affirmative.
M. Zoccolillo: Nous ne pouvons que demander très spécifiquement s'ils ont éprouvé des problèmes en raison de leur consommation de drogue. Nous avons expressément posé cette question. Nous ne pouvons pas contrôler si l'étudiant en a déduit que nous faisions enquête sur tous les problèmes, qu'ils soient causés ou non par la consommation de drogue. Je crois que la question portait expressément sur le fait d'avoir des confrontations avec les parents au sujet de la consommation de drogue.
La question «Êtes-vous allé à l'école sous l'influence de drogues?» est plutôt explicite. J'ai utilisé l'expression «usages problématiques» parce qu'il est difficile de savoir quel vocabulaire utiliser pour décrire le phénomène. Si un étudiant se rend à l'école sous l'influence de drogue, est-ce une dépendance? Nous ne le savons pas. Par contre, ce n'est clairement pas la même chose que de consommer des drogues avec les copains, un samedi soir. C'est une façon abrégée de désigner des façons problématiques de consommer des drogues.
Le sénateur Kenny: Y a-t-il eu corrélation avec la consommation de tabac?
M. Zoccolillo: Bien sûr. Les enfants qui consomment du tabac sont plus susceptibles de consommer d'autres drogues. L'alcool, le tabac et les autres drogues sont tous liés entre eux. Par contre, nous avons observé des cas où des jeunes qui avaient fumé de la marijuana ne fumaient pas la cigarette et où d'autres qui fumaient la cigarette ne consommaient pas de marijuana.
Le sénateur Kenny: Peut-être consomme-t-on l'alcool les week-ends et la marijuana en semaine parce qu'il est plus facile de se cacher des parents et des autres figures d'autorité durant les week-ends. Quelles conclusions en tirez-vous?
M. Zoccolillo: J'en conclus que la consommation ne se fait pas tant les week-ends. Nous avons demandé aux jeunes combien de fois ils consommaient de l'alcool, et la réponse la plus fréquente était moins d'une fois par semaine ou une fois par semaine. Nous leur avons ensuite demandé: «Quand avez-vous consommé de l'alcool ou des drogues le plus fréquemment?» Même dans le cas de la marijuana, ils répondaient qu'ils consommaient les week-ends.
La consommation d'alcool se fait surtout durant les week-ends, lors de fêtes avec les copains, alors que la marijuana est consommée au réveil, avant d'aller à l'école et peut-être après l'école ou durant la pause. On en consomme aussi les week-ends. Par conséquent, la fréquence de consommation est de plusieurs fois par semaine dans la journée.
Le président: Est-il possible de nous fournir le questionnaire qui a servi à faire cette étude?
M. Zoccolillo: Bien sûr. Je ne l'ai pas avec moi, mais je vous l'enverrai.
Le sénateur Carstairs: Votre étude est intéressante, mais j'avoue que je la trouve également quelque peu problématique. J'ai passé 20 ans de ma vie à enseigner à des adolescents. Je sais qu'il pourrait y avoir beaucoup de bravade dans les réponses à un pareil questionnaire. Si vous demandez à un adolescent typique s'il a déjà fumé de la marijuana, il vous répondra par l'affirmative avec jubilation, même s'il n'en a peut-être jamais pris. Comment avez-vous écarté ce genre de réponse de l'étude?
M. Zoccolillo: Eh bien, c'est impossible. Il est difficile de filtrer les réponses, sauf en utilisant de multiples questions et en recherchant la cohérence interne. À nouveau, il est tout simplement difficile de croire que des adolescents en savent assez pour se dire que, s'ils répondent qu'ils consomment de la cocaïne, ils ont tout intérêt à dire qu'ils consomment de la marijuana, parce que la plupart des études ont révélé qu'il était improbable que l'on consomme uniquement de la cocaïne sans avoir également consommé à un moment donné de la marijuana.
Ils ont répondu aux questions sur l'alcool tout à fait différemment. Il est difficile d'expliquer pourquoi ils répondent d'une façon aux questions sur l'alcool et d'une autre aux questions sur la drogue.
Je ne pense pas que la cohérence intrinsèque de l'étude soit le reflet d'une bravade de leur part.
Il ne s'agit pas de données précises, mais plutôt de données collatérales. Je dirige un programme de traitement de jour depuis huit ans, qui n'est pas offert uniquement aux adolescents qui ont un problème de toxicomanie, mais à ceux qui ont des problèmes en général. Il y a huit ans, la consommation de drogues n'était pas un gros problème; maintenant, il est normal de demander: «As-tu déjà fumé de la marijuana? Si oui, à quelle fréquence?» Ces jeunes nous répondent tous de la même manière: «J'ai commencé en 7e année.» «J'ai commencé en 8e année.» «À quelle fréquence?» «Eh bien, j'ai commencé, puis, avant même de m'en apercevoir, je fumais trois à quatre fois par semaine.» «Es-tu déjà allé à l'école alors que tu étais gelé?» «Eh bien, oui, cela m'est déjà arrivé.» C'est tout à fait compatible avec les autres données dont nous disposons.
C'est également compatible avec les autres données de l'enquête faite en Ontario dans laquelle on pose des questions au sujet de la dépendance comme: «As-tu du mal à t'arrêter?» «As-tu déjà eu des problèmes quant à la consommation et n'as-tu pas pu t'arrêter?» La fréquence est très élevée chez les adolescents. Une étude récente effectuée aux États-Unis à partir, là encore, d'une enquête auprès des ménages, a permis de constater, que la consommation est pratiquement quotidienne surtout chez les adolescents qui indiquent consommer de la drogue une fois par mois ou davantage, ce qui se rapproche de nos données; là encore, ce sont des taux assez élevés de dépendance fondés sur les critères diagnostiques. Cela semble cohérent.
Le sénateur Carstairs: Quelle est votre définition de «gelé»?
M. Zoccolillo: Nous avons laissé aux adolescents le soin de définir ce terme. Nous avons dit: «Es-tu déjà allé à l'école alors que tu étais gelé à cause de la marijuana?» Il faudrait que je réexamine le questionnaire pour en être sûr. Nous avons tout fait pour avoir la certitude d'en conclure qu'ils avaient fumé de la marijuana avant d'aller à l'école ou de participer à des sports, et cetera.
Le sénateur Carstairs: La différence est énorme entre des jeunes dans un autobus scolaire qui se passent une cigarette et qui disent qu'ils sont gelés et quelqu'un qui l'est véritablement. Comment faites-vous la différence?
M. Zoccolillo: On ne peut pas être aussi précis dans le contexte d'une aussi vaste enquête. Je peux vous dire que c'est la raison pour laquelle nous avons posé une question au sujet de la fréquence de cet état et pourquoi nous avons posé des questions multiples. Nous avons constaté que le jeune qui déclare: «J'ai déjà été gelé à l'école» est également celui qui dit: «Oui, je fume le matin et oui, je pratique des sports tout en étant gelé». C'est plus grave que d'être gelé dans un autobus scolaire. Ils ont également indiqué avoir augmenté leur consommation et fumer trois à quatre fois par semaine.
Le sénateur Carstairs: J'ai déjà rencontré des jeunes qui étaient gelés et également d'autres qui étaient saouls. A-t-on fait une étude pour savoir si les enseignants savent combien de ces enfants sont gelés ou saouls, et a-t-on établi une corrélation entre cette étude et les données?
M. Zoccolillo: Cela n'aurait pas pu être possible dans notre enquête, car ces jeunes ne sont pas tous au même endroit. Il serait intéressant d'avoir de telles données. Les jeunes devaient répondre à une question partiellement connexe: «Pensez-vous que vos parents sont au courant de votre consommation de drogue?» La plupart ont répondu oui. Ce n'est pas la même chose que de dire que leurs parents savent qu'ils vont à l'école gelés, mais ils pensent certainement que leurs parents sont au courant de leur consommation.
Le sénateur Carstairs: Il y a un point intéressant au sujet de la consommation de cannabis et je ne sais pas si votre groupe l'a analysé: par rapport à la période entre 1993 et 1999, la consommation de cannabis a été très intensive aux alentours de 1978, et maintenant vous avez un taux de croissance de 26 p. 100 alors que l'écart entre les groupes est d'environ 21 ans.
Peut-on en tirer des conclusions? Combien de parents de ces enfants fumaient du cannabis?
M. Zoccolillo: Nous disposons de ces données sur les parents, puisque nous leur avons posé des questions au sujet de leur propre consommation. Elle est beaucoup plus basse que celle que l'on retrouve chez les jeunes. Je ne sais pas trop qu'en conclure. Nous avons posé aux parents pratiquement la même question au sujet de la consommation de drogue cinq fois ou davantage, et la consommation des adultes est beaucoup plus basse que celle des adolescents.
En ce qui concerne les changements cycliques, vous avez raison de dire que la plupart des études sur la consommation de drogue ont commencé à la fin des années 70 et qu'il y a eu un sommet. La consommation des drogues est arrivée à son plus bas niveau vers 1989 -- autant au Canada qu'aux États-Unis -- pour ensuite remonter la pente.
Le président: Lorsque vous parlez de consommation de marijuana par les parents, parlez-vous d'une consommation à l'école?
M. Zoccolillo: Je parle de leur consommation en général.
Le sénateur Carstairs: Leur consommation aujourd'hui ou lorsqu'ils avaient l'âge de leurs enfants?
M. Zoccolillo: Nous avons simplement demandé: «Avez-vous consommé de la marijuana cinq fois ou davantage?».
Le président: C'est pourquoi il est important d'avoir le questionnaire et les réponses, votre matière première.
M. Zoccolillo: Certainement.
Le sénateur Rossiter: Sait-on où les enfants trouvent de la marijuana?
M. Zoccolillo: Nous ne l'avons pas demandé dans l'enquête. Nous avons posé la question aux jeunes dans nos divers programmes de traitement. En général, je peux vous dire que l'augmentation est très marquée lorsqu'ils entrent à l'école secondaire. Il n'y a pas de consommation en sixième année. Ces jeunes commencent, en moyenne, à 14 ans, mais la consommation est assez élevée à 13 ans également. Il me semble que l'entrée à l'école secondaire est ce qui fait la différence.
Pour ce qui est des jeunes à qui nous avons posé ces questions, il semble souvent qu'il y ait un adolescent plus âgé dans le groupe, peut-être un frère ou une soeur; c'est quelqu'un à l'école. Très souvent, ils indiquent qu'ils fument avec d'autres jeunes. C'est presque toujours le cas et, au départ, ils peuvent avoir à payer les drogues ou non.
Le sénateur Rossiter: Cela correspond donc probablement à l'entrée dans une nouvelle école?
M. Zoccolillo: Oui, cela semble coïncider avec l'entrée en septième année, ou à l'école secondaire; d'après moi, les jeunes plus âgés fument, ce qui donne l'exemple aux plus jeunes. Il n'est pas rare dans diverses écoles secondaires de Montréal que les jeunes fument de la marijuana avant et après l'école.
Le sénateur Rossiter: Se procurent-ils l'alcool chez leurs parents?
M. Zoccolillo: Je ne suis pas sûr de leur source en ce qui concerne l'alcool; il se peut qu'ils se le procurent chez eux ou qu'ils demandent à une personne plus âgée de l'acheter au magasin du coin.
Le sénateur Wilson: Vous dites dans vos conclusions que d'après vous, il ne s'agit pas seulement d'un problème de respect de la loi, d'un problème médical ou d'un problème d'éducation. Je sais que votre travail consiste à réunir des données, mais connaissez-vous d'autres cas où ces trois éléments ont été pris en compte globalement et peut-être élargis pour viser à la fois les élèves et leurs parents? Serait-ce d'après vous une façon viable de procéder ou est-ce simplement une idée que vous présentez?
M. Zoccolillo: Je l'indique simplement pour souligner qu'il est impossible de régler ce problème en ne prenant qu'une seule mesure.
Le sénateur Wilson: À votre connaissance, a-t-on jamais essayé d'examiner le problème par rapport à ces trois éléments?
M. Zoccolillo: Je suis sûr qu'il existe des programmes et des endroits où cela a déjà été fait. Dans certaines écoles de Montréal, il a été décidé que la consommation de drogue ne serait plus tolérée; des politiques sont en place et sont respectées, car ces écoles bénéficient de la coopération de la police locale, elles ont parlé aux parents et aux élèves si bien que cette politique est très clairement établie. C'est un exemple d'entente coopérative au niveau local.
Le sénateur Wilson: Vous n'avez pas participé à une telle expérience?
M. Zoccolillo: Pas spécialement, non.
[Français]
Le sénateur Pépin: Je suis un peu étonnée de constater que les filles consomment autant sinon plus que les garçons au niveau des drogues dans certains domaines. Vous avez fait un commentaire selon lequel il y a une différence entre la marijuana cultivée en serre à l'intérieur et celle qui est cultivée à l'extérieur.
M. Zoccolillo: Oui, j'ai lu cela dans ce livre de Iversen. C'est un très bon livre qui fait le tour de tout ce qui est écrit à ce sujet. Je ne suis pas vraiment un expert de la culture, mais il a présenté de très bonnes données pour dire que la marijuana cultivée en serre est beaucoup plus puissante.
Le sénateur Pépin: Vous dites également que les adolescents commencent à consommer de la drogue vers l'âge de 15, 16 ans et que cela progresse rapidement vers d'autres drogues. Est-ce que leur consommation va progresser vers une drogue plus dure, comme la cocaïne ou l'héroïne, ou est-ce qu'elle va diminuer avec l'âge ou selon le genre de drogue qu'ils utilisent?
M. Zoccolillo: Je ne sais pas si cela va diminuer. Ils commencent vraiment plus à 13, 14 ou 15 ans. L'adolescent qui choisit de prendre de la cocaïne, c'est souvent différent des autres adolescents, mais il y a un lien entre les hallucinogènes et la marijuana. Les hallucinogènes sont les drogues les plus populaires après la marijuana et elles sont plus dangereuses que la cocaïne si on pense à des drogues telles que le PCP ou l'Ecstasy. Il y a beaucoup de problèmes avec les hallucinogènes et je pense que ces drogues sont plus liées à la marijuana qu'à la cocaïne.
Le président: Quand vous dites «liées», vous vous appuyez sur quoi pour affirmer cela?
M. Zoccolillo: C'est lié parce qu'il y a une croissance de l'utilisation de la marijuana et aussi des hallucinogènes en Ontario ainsi qu'au Québec. De plus, il y a une étude en Hollande qui a trouvé un lien entre le cannabis et les hallucinogènes.
Le président: Vous voulez dire que les consommateurs, les adolescents consommateurs de marijuana vont consommer les deux ensemble? C'est cela le lien que vous faites?
M. Zoccolillo: Oui, c'est un lien. On peut dire aussi que les adolescents qui prennent du cannabis sont plus à risque de prendre aussi des hallucinogènes. De par notre étude, mais aussi suite à des conversations avec des adolescents qui font partie de notre programme de traitement, il appert que les hallucinogènes sont aussi très communs. Il y a une différence entre la cocaïne, l'héroïne, les hallucinogènes et la marijuana. Souvent, les adolescents prennent aussi des hallucinogènes.
Le président: Vous voyez un lien, mais est-ce que c'est le résultat de vos recherches ou est-ce que c'est parce que vous avez personnellement découvert cela en faisant des lectures parallèles à vos recherches? Ce que vous nous dites là vient contrarier beaucoup de lectures et de recherches que nous avons déjà et que le comité est à identifier. C'est pour cela que votre témoignage est important. Il est surtout important que vous nous offriez toutes les données qui vont servir de fondement à votre témoignage. C'est pour cela qu'on va vous poser ces questions.
[Traduction]
Si vous permettez, nous vous enverrons également des questions par écrit, car vous nous donnez matière à réflexion et, bien sûr, l'audience de cette après-midi n'est pas la fin du processus. Nous allons avoir plus de questions à poser et peut-être allons-nous vous demander de revenir.
M. Zoccolillo: Pour ce qui est des hallucinogènes, je peux seulement dire que le livre sur la marijuana dont j'ai parlé examine précisément l'expérience de la Hollande. Si la Hollande a décriminalisé le cannabis, c'est, entre autres choses, pour empêcher le passage aux drogues dures et l'auteur se demande si ce résultat a été atteint. Il cite une étude indiquant que la marijuana a peut-être augmenté la consommation d'hallucinogènes, mais je n'ai pas lu cet article en particulier. D'après l'étude de l'Ontario sur la toxicomanie, la consommation de marijuana et d'hallucinogènes a augmenté parallèlement, tandis que la consommation d'autres drogues n'a pas augmenté. C'est la drogue la plus couramment consommée au Québec après le cannabis. Les adolescents que nous connaissons fument le cannabis et, s'ils ont essayé une autre drogue, c'est un hallucinogène. Enfin, l'autre grande différence entre la cocaïne et l'héroïne, d'une part, et les hallucinogènes et le cannabis, d'autre part, c'est que ces derniers sont cultivés localement, au Québec, par les motards, et cetera. On peut se les procurer localement.
Vous avez raison de dire que plus d'études s'imposent et que l'on assiste de nouveau à une évolution. Il faut d'une part se demander si le cannabis mène à des drogues dures, c'est-à-dire à la cocaïne, et je dirais que ce n'est probablement pas le cas, et si le cannabis mène aux hallucinogènes. Dans la catégorie des hallucinogènes, on retrouve des drogues comme le LSD qui ne sont probablement pas extrêmement dangereuses, et d'autres comme la phencyclidine qui, elles, sont dangereuses, cela ne fait aucun doute. Elles sont dangereuses à court terme. Il suffit d'en prendre pour mourir ou devenir psychotique. Tout ce que je peux dire, c'est que les adolescents semblent consommer assez couramment les hallucinogènes.
[Français]
Le sénateur Pépin: Vous nous disiez que lorsque vous interviewez des adolescents, c'est maintenant routinier de leur demander s'ils utilisent de la drogue parce que cela fait dorénavant partie du quotidien.
M. Zoccolillo: Oui.
Le sénateur Pépin: On peut dire qu'actuellement au Québec, ce n'est peut-être pas normal, mais cela devient ordinaire qu'un adolescent ou une adolescente utilise de la drogue à l'école.
M. Zoccolillo: C'est ordinaire dans le sens qu'il y en a un sur quatre qui en consomme. Je ne sais pas si cela va devenir plus important. J'ai parlé avec un professeur de cégep qui m'a dit qu'il y a beaucoup de marijuana fumée au cégep, mais je ne sais pas si cela tend à être plus important à 17 ans ou à 18 ans.
Le sénateur Pépin: Vous n'êtes pas rendu à l'université. Est-ce que des adolescents qui utilisent la marijuana vont cesser, dans la vingtaine, d'utiliser des drogues? Serait-ce une partie de l'adolescence où c'est bon d'essayer cela comme essayer autre chose, mais ils ne sont pas plus accrochés que cela et après cette période, ils arrêtent?
M. Zoccolillo: J'espère qu'il y en a beaucoup qui vont cesser. Il y a de vieilles études aux États-Unis qui ont révélé cela. Mais il y a un problème avec ces études, car on doit penser à l'effet produit lorsqu'on consomme du cannabis à 15 ans et qu'on va à l'école. C'est une question différente que de dire qu'à 20 ans il va cesser de fumer. Moi, je me suis intéressé aux effets de fumer du cannabis à 15 ans et 16 ans.
Le sénateur Pépin: Parce que vous ne connaissez pas les effets à long terme actuellement?
M. Zoccolillo: Il y a une différence entre les effets à long terme et les effets à court terme. Je suis étonné, car ces résultats ne sont pas ceux que je croyais obtenir. Lorsque nous avons débuté cette étude, nous croyions que les jeunes fumaient la marijuana dans des parties, le week-end. Ce ne sont pas des résultats que nous avions prédits. Alors si on parle des effets à long terme ou à court terme, on doit penser quel est l'effet de fumer de la marijuana à l'école aujourd'hui. C'est très différent des effets de fumer de la marijuana pendant une période de 10 ans. Ce sont des choses très différentes.
Le président: En tant que psychiatre et témoin de l'activité humaine adolescente, et selon votre expérience clinique, quelle est la raison qui motive les adolescents à consommer de la drogue? C'est une question que plusieurs personnes se posent.
M. Zoccolillo: Dans cette étude, nous avons demandé aux adolescents quelle est la raison.
[Traduction]
Nous leur proposons cinq raisons -- par exemple, pour me sentir mieux, parce que c'est amusant, parce que les autres jeunes le font, et cetera. La raison qui l'emporte c'est parce que c'est amusant. En général, la consommation de drogue se fait avec d'autres jeunes. Ils ne consomment pas de drogue parce qu'ils se sentent angoissés ou malheureux, mais plutôt parce que la drogue est disponible et que c'est amusant.
Le sénateur Pépin: Ils veulent faire partie du groupe.
M. Zoccolillo: Je ne sais pas dans quelle mesure la pression du groupe intervient. Dans l'échantillon clinique -- et il s'agit de jeunes qui sont traités pour des problèmes -- les jeunes indiquent qu'une fois qu'ils ont commencé, ils se sentent vraiment bien. Par contre, lorsqu'ils essayent d'arrêter, ils disent qu'ils se sentent tristes, irritables et énervés, si bien qu'ils continuent à fumer pour se sentir bien.
Le président: La dernière partie de votre réponse se rapporte-t-elle à ceux que vous voyez dans votre clinique, ou à ceux de l'échantillon?
M. Zoccolillo: À ceux de ma clinique.
Le président: Il s'agit de jeunes qui ont un problème de dépendance?
M. Zoccolillo: Pas nécessairement. Le meilleur exemple est celui d'un garçon âgé de 13 ans qui suit notre programme. Il a d'autres problèmes, depuis longtemps, comme des problèmes d'attention. Il ne peut pas réussir à l'école et participe à un programme qui aide les jeunes à retourner à l'école. Nous lui avons demandé s'il buvait et il a répondu que non. Il a essayé la cigarette, mais cela ne lui a pas plu. Nous lui avons alors demandé s'il avait déjà pris de la marijuana. Il nous a répondu: «J'ai commencé en janvier. Au bout de deux mois, j'en consommais trois à quatre fois par semaine. J'allais à l'école gelé. Je fumais le soir pour m'endormir et je l'ai fait pendant plusieurs mois. J'en consommais presque tous les jours et c'est alors que je me suis arrêté.» Nous lui avons demandé: «Pourquoi t'es-tu arrêté?» Il a répondu: «Parce que cela me rendait triste. Je ne réussissais déjà pas bien à l'école et il était inutile d'être gelé, ce qui empirait les choses.» Si on le suivait pendant cinq années, on s'apercevrait peut-être que la marijuana qu'il a fumée n'a laissé aucune trace, mais au cours de cette période de six mois, elle lui avait déjà causé des problèmes. Il avait déjà l'air de quelqu'un qui ne pouvait pas s'en passer, car il en fumait beaucoup et il ne se sentait pas bien. Nous ne sommes pas sûrs qu'il a vraiment arrêté et nous pensons qu'il n'a peut-être pas arrêté. C'est le genre de situation réelle que nous rencontrons.
Le président: Avez-vous des données empiriques qui l'appuient? Ce n'est qu'un seul cas.
M. Zoccolillo: D'après les données empiriques, les adolescents qui fument de la marijuana fréquemment ont des taux élevés de dépendance. C'est ce qu'indiquent les critères diagnostiques de l'American Psychiatric Association -- il ne s'agit pas de notre étude, mais d'autres.
Le sénateur Pépin: Pensez-vous que les parents de ces adolescents savent que leurs enfants fument?
M. Zoccolillo: Nous avons demandé aux adolescents dans le cadre de notre étude: «Pensez-vous que vos parents sont au courant?» La plupart ont dit: «Oui, nous pensons que nos parents savent que nous consommons de la drogue.»
Le sénateur Pépin: Pensez-vous qu'il aurait été utile de les informer lorsqu'ils étaient plus jeunes -- par exemple, à l'école primaire -- au sujet des drogues et des dangers qu'elles représentent, ou bien cela se produit-il parce que c'est le propre de l'adolescence?
M. Zoccolillo: Certains programmes de prévention de la toxicomanie ne marchent pas contrairement à d'autres. Ce ne sont pas tous les programmes qui donnent les résultats escomptés. Je ne crois pas qu'il soit très efficace d'avoir des programmes d'éducation théorique au sujet des drogues. Par ailleurs, il est difficile de dire si les élèves sont informés au sujet des drogues dans les écoles. Je ne crois pas que le fait d'identifier les drogues qui causent des problèmes et d'exposer ces problèmes servent à grand chose. Les jeunes reçoivent toutes sortes d'information au sujet de la marijuana et d'autres drogues par leurs camarades. Les programmes qui sont efficaces sont beaucoup plus sophistiqués que de simples programmes d'éducation.
Le président: Lorsque vous dites que les programmes d'éducation ne marchent pas, parlez-vous des programmes actuels?
M. Zoccolillo: La plupart des programmes actuellement en place ne donnent rien, mais si certains portent fruit, tant mieux. S'ils ne permettent pas d'empêcher quelque chose de pire encore, c'est inquiétant. Ce qui me frappe, c'est l'absence de programmes convenables dans les écoles; il faudrait tout d'abord utiliser des programmes qui ont fait leurs preuves et les financer à long terme; cela nécessite beaucoup d'effort, étant donné qu'ils représentent certainement plus de deux ou trois heures de discours en sixième année.
Le sénateur Carstairs: Ce que vous dites en fait, c'est qu'il est inutile qu'un agent de police vienne leur faire peur, car cela ne marche pas.
M. Zoccolillo: Je ne crois pas qu'un discours donné par un agent de police donne des résultats, car ils savent aussi que lorsqu'une voiture de police les croise alors qu'ils fument de la marijuana, aucun agent ne s'arrête pour leur dire: «Qu'est-ce que vous faites? Arrêtez tout de suite.» Ils savent qu'il n'y aura pas de graves conséquences policières. Des agents anti-drogue de la GRC sont venus parler aux jeunes qui participent à d'autres programmes. Ils semblent retirer bien des choses de ces entretiens, mais c'est à un niveau différent, car ils parlent de la cocaïne, et cetera. À eux seuls, les programmes de ce genre ne marchent pas mais, s'ils faisaient partie d'un programme global de société où il était dit: «Aller à l'école gelé, à 14 ans, n'est pas une bonne idée», ils auraient peut-être plus d'effet, je ne le sais pas.
Le président: Vous parlez de contrôle social, ou d'absence d'un tel contrôle, sur la marijuana. Vos remarques et votre étude semblent indiquer que le contrôle social sur l'alcool fonctionne, n'est-ce pas?
M. Zoccolillo: Je dirais que pour la consommation d'alcool, les jeunes semblent être plus responsables que pour la consommation de marijuana; le message doit donc passer quelque part. J'imagine que le contrôle social est un élément important de l'équation.
Le président: Le contrôle social dont vous parlez au sujet de la marijuana pourrait-il intervenir aussi dans le cas d'autres substances, d'autres drogues illicites? D'après les chiffres que vous donnez, si vous...
[Français]
Le président: Vous faites une affirmation selon laquelle le contrôle social est inexistant sur le cannabis. Est-ce que ce contrôle social est aussi inexistant sur les autres drogues illégales?
[Traduction]
M. Zoccolillo: Je crois -- ce ne sont que des suppositions -- que les jeunes ont vraiment peur de la cocaïne. Les jeunes qui consomment de la marijuana et des hallucinogènes ont peur de la cocaïne. Il y a quelque chose dans la société qui amène les jeunes à croire que la marijuana ne pose pas de problème, contrairement à la cocaïne.
Vous pourriez dire qu'il s'agit également d'une forme de contrôle sociale qui semble d'une manière ou d'une autre faire ses preuves. Cependant, il s'agit vraiment plus d'une spéculation que d'autre chose.
[Français]
Le président: Vous faites des recommandations spécifiques à partir de données de votre étude. La question que je vais vous poser aurait dû être la première à vous être posée. Pouvez-vous conclure que la prohibition des drogues illégales fonctionne?
[Traduction]
M. Zoccolillo: Il n'est pas facile de répondre à la question.
[Français]
Le président: C'est pour cette raison que je vous la pose à la fin de la séance.
[Traduction]
M. Zoccolillo: Il faut être prudent et se demander si on interdit vraiment la marijuana. Si on l'a fait pousser facilement, si elle facile d'accès et que les corps de police n'applique pas vraiment la loi, est-elle vraiment proscrite? C'est la réalité. La consommation augmente au même rythme aux États-Unis où à ce qu'on entend dire les corps policiers assurent davantage le respect de la loi.
Les corps policiers ne peuvent peut-être pas, tout simplement, faire respecter la loi à cet égard. Si la culture de la marijuana est répandue, comme c'est le cas au Québec et ailleurs, et si l'attrait est grand, alors cela peut s'apparenter à l'alcool. Si vous dites: «Nous avons beaucoup de problèmes avec l'alcool. Nous recommanderons de rendre le produit illégal et de l'interdire.» Cela ne marcherait pas. Il en va peut-être de même avec la marijuana. Je ne le sais vraiment pas.
La consommation a augmenté chez les adolescents, pas seulement au Canada, mais aux États-Unis et en Europe, y compris aux Pays-Bas. Peut-être qu'elle augmente aussi chez les adultes. Comme nous n'avons pas mené d'enquête dans ce secteur, je ne saurais dire.
Le président: Comment traitez-vous la dépendance à la marijuana?
M. Zoccolillo: Nous avons peu d'expérience à cet égard. Par suite de cette étude, nous avons décidé de mettre en place, pour la première fois, un programme de lutte contre les drogues à l'hôpital pour enfants. Le peu d'expérience que nous avons indique qu'il faut un peu de motivation pour arrêter, autrement les jeunes ne viennent pas nous consulter. Nous examinons ce qui renforce leur désir de consommer de la marijuana. Nous examinons les raisons pour lesquelles ils ont du mal à arrêter. Nous leur présentons des stratégies. S'ils essaient de cesser d'en prendre et se sentent irritables, nous essayons de les aider à faire face à la situation. Encore une fois, sur une base volontaire et parce qu'ils participent à un programme, nous recourons au dépistage systématique des drogues pour nous aider à confirmer qu'ils en prennent, qu'ils ont cessé d'en prendre ou qu'ils diminuent leur consommation. Le succès des programmes de toxicomanie repose sur un peu de motivation.
Le président: Quelles raisons ceux qui participent au programme donnent-ils pour avoir commencé à consommer de la drogue?
M. Zoccolillo: Voulez-vous dire dans le cadre de notre programme clinique?
Le président: Je m'en tiens à ceux qui consomment de la marijuana, qui en sont dépendants et qui vous demandent de l'aide. Nous sommes dans un groupe plus restreint. Essayez-vous de comprendre les raisons?
M. Zoccolillo: Comme nous n'avons pas beaucoup d'expérience à ce chapitre, la mienne est limitée. Certains des enfants que nous avons traités ont depuis longtemps des problèmes de comportement et celui-ci s'y ajoute simplement. D'autres ont commencé à consommer de la marijuana, se sont sentis tellement bien et ont tellement aimé l'expérience qu'ils continuent à en prendre souvent. Ils se rendent compte tout à coup que leur vie en dépend, qu'ils y consacrent d'innombrables heures et qu'ils se font dire par une amie, par exemple: «Tu es tout le temps gelé. Je n'aime pas te voir dans cet état.» Leurs parents en arrivent à s'inquiéter au point de dire: «Il faut que ça cesse. Nous ne voulons pas de marijuana dans la maison. Nous n'aimons pas ta façon d'agir. Tes travaux scolaires en ont pris un coup.» Les enfants disent alors: «Je ne veux pas continuer de vivre ainsi.» Ils sont fatigués de voir où les a menés la consommation de cannabis.
[Français]
Le sénateur Pépin: On dit toujours qu'il y a une cause à l'effet. Lorsqu'on regarde les adolescents qui utilisent la marijuana parce que leurs copains d'école le font et qu'ils ont du plaisir, cela veut-il nécessairement dire que les enfants qui utilisent la marijuana sont des enfants à problèmes?
M. Zoccolillo: Non.
Le sénateur Pépin: Ils le font parce qu'ils veulent le faire, parce que tout le monde le fait?
M. Zoccolillo: On a constaté qu'il n'y a pas beaucoup de problèmes. C'est vrai. Je pense que c'est peut-être la même chose avec le tabac.
Le sénateur Pépin: Oui.
M. Zoccolillo: Beaucoup de gens utilisent le tabac et beaucoup en deviennent dépendants. Il n'y a pas de relation entre la psychopathologie et d'autres problèmes, mais lorsqu'on commence à en prendre, c'est là que la dépendance commence. Je pense que c'est la même chose avec la marijuana.
Le président: Lorsque vous parlez de dépendance à la marijuana, comment la définissez-vous? Comme la cigarette?
M. Zoccolillo: Selon les critères de l'American Psychiatric Association, cela dépend. La dépendance est définie, je pense, par trois critères.
[Traduction]
Il y a deux types de dépendance. Il y a, dans un premier temps, la tolérance physique et le retrait -- il faut en prendre davantage pour obtenir le même effet.
Dans un deuxième temps, il y a la perte de contrôle -- vous consommez de la marijuana et ne pouvez arrêter même si vous voulez le faire. Vous en fumez au point d'être gelé, vous déboulez les escaliers et vous vous blessez. Cela ne vous sert toutefois pas de leçon. Vous continuez d'en prendre et cela ne cesse de vous apportez des ennuis. Il s'agit des critères de dépendance. Ils sont bien reconnus et bien acceptés par la profession médicale.
Le président: Sur le nombre de personnes qui ont participé à votre étude et en pourcentage, combien de consommateurs de marijuana sont dépendants?
M. Zoccolillo: Nous n'avons pas posé de questions précises sur la dépendance dans le cadre de notre étude. L'étude ontarienne que je vous ai montrée a révélé que 57 p. 100 des adolescents qui ont consommé de la marijuana remplissent au moins un critère définissant la dépendance. Des études menées aux États-Unis sur des personnes qui consomment à la même fréquence indiquent qu'environ 80 p. 100 remplissent au moins un critère relatif à la dépendance et un pourcentage moindre, les trois.
Le sénateur Rossiter: Tous ces enfants ont été choisis dans des écoles différentes au sein de conseils scolaires de langue française de toutes tailles. J'imagine que la plupart d'entre eux viendraient de régions urbaines et un très petit pourcentage de régions rurales?
M. Zoccolillo: L'échantillon représente la population du Québec -- autant que le Québec est urbain ou rural.
Le sénateur Rossiter: Cela s'est donc aussi fait ailleurs.
Le sénateur Pépin: Val d'Or n'est pas une région rurale.
M. Zoccolillo: Nous avons pu comparer Val d'Or à Montréal et nous n'avons pas trouvé de différences. On me dit qu'il n'y a pas de différence dans les régions rurales. Je ne pourrais vous dire si cela varie ou non en fonction de la province. Il faudrait que vous examiniez des études menées dans d'autres provinces.
Le sénateur Rossiter: Est-il plus facile de se procurer de la marijuana dans les régions urbaines?
M. Zoccolillo: Pas nécessairement, parce qu'elle est souvent cultivée à l'extérieur. Vous constaterez peut-être qu'il est facile de s'en procurer dans les collectivités rurales.
[Français]
Le président: Monsieur Zoccolillo, je vous remercie beaucoup de votre témoignage. Comme je vous l'ai mentionné tout à l'heure, des questions nous viendront à l'esprit après avoir examiné les données détaillées de votre étude. Alors nous prendrons la liberté de vous écrire et nous espérons que vous accepterez d'y répondre.
M. Zoccolillo: Oui, merci.
Le président: Votre témoignage est retransmis sur notre site Web. Il y a peut-être des gens qui ont des commentaires et si mes collègues acceptent, je vous enverrai les questions afférentes à ces commentaires.
[Traduction]
Le sénateur Kenny: Monsieur le président, j'ai une petite chose à dire au sujet des travaux du comité. Je veux féliciter quiconque a préparé les résumés. Ils nous ont été très utiles, c'est du moins mon avis. J'espère que nous recevrons d'autres documents de cette qualité.
La séance est levée.