La politique canadienne de contrôle des drogues
aperçu et commentaire
Diane Riley, PhD
Canadian Foundation for Drug Policy
&
International Harm Reduction Association
Préparé pour le Sénat du Canada
Novembre 1998
1. Introduction
2. Lusage des stupéfiants au Canada
3. Les coûts de lusage des stupéfiants
4. La législation relative aux drogues licites et aux drogues illicites au Canada
5. Les conventions internationales et la législation canadienne sur les stupéfiants
6. Lusage des stupéfiants et les droits de la personne
7. Les stupéfiants et le crime
8. Les établissements correctionnels
9. Les options pour réduire les méfaits de la drogue
10. Solutions de rechange au système canadien
11. Conclusions et recommandations
Aperçu de la situation
En cette année qui marque le dixième anniversaire de la Convention de Vienne sur le trafic des stupéfiants et le cinquantième anniversaire de la Déclaration universelle des droits de lhomme, il convient de se pencher sur la situation générale de la lutte mondiale contre les drogues et sur le rôle joué par le Canada dans cette lutte. Tous les dix ans, les Nations Unies adoptent de nouveaux traités internationaux axés sur la criminalisation et la sanction et, ce faisant, elles limitent la capacité des états membres de concevoir des solutions efficaces à leurs problèmes de drogue locaux. En vertu de ces accords, les gouvernements adoptent des mesures de contrôle de la drogue plus strictes et plus coûteuses et les politiciens concourent à des stratégies antidrogue plus rigoureuses qui ne font quallonger la liste déjà longue des violations des droits de la personne. Pourtant, malgré ces efforts, voire en raison de ces efforts, les organismes des Nations Unies estiment que les recettes annuelles générées par le trafic des stupéfiants sélèvent à 400 milliards de dollars américains, soit à peu près léquivalent de 8 p. 100 de lensemble du commerce international. Ce trafic alimente le crime organisé, favorise la corruption des gouvernements et des corps policiers à tous les niveaux, accroît la violence, fausse les marchés économiques et déforme les valeurs sociales. Les problèmes de stupéfiants sont la conséquence, non pas de la consommation des stupéfiants eux-mêmes, mais de dizaines dannées dorientations politiques et de lois antidrogue inefficaces et inadéquates.
Dans de nombreuses régions du monde, y compris au Canada, la politique de prohibition
entrave gravement les mesures de santé publique destinées à freiner la propagation du VIH, de lhépatite et autres pathogènes. Au nom de la "guerre" contre la drogue, on assiste à une violation des droits de la personne, à la dégradation de lenvironnement et à lincarcération en masse de délinquants, dont le seul crime se résume souvent à la simple possession de drogue pour usage personnel. Les efforts pour tenter de réduire le marché de loffre coûtent de plus en plus cher et utilisent des ressources limitées qui seraient mieux utilisées dans la santé, léducation et le développement économique. A des propositions raisonables pour réduire le nombre des crimes, des maladies et des décès dûs à la drogue, on préfère des mesures, aussi inhumaines et irréalistes soient-elles, visant à promouvoir une société sans drogue. La "guerre" contre la drogue est devenue une lutte contre les consommateurs de drogue et contre les fermiers, parmi les plus pauvres du monde, qui cultivent les drogues ou leurs précurseurs. Cette "guerre" ressemble davantage à une croisade et ne mène à aucune victoire, sinon à un faux sentiment de supériorité morale.
En dépit de tout cela le Canada soutient et participe à ces mesures mondiales qui violent les droits de la personne et aliénent les ressources ; il prétend y être tenu par les traités des Nations Unies sur les stupéfiants, mais lexamen de ces traités ne supporte pas cette position. De fait, les obligations du Canada en vertu des lois nationales et internationales sur les droits de la personne devraient plutôt nous inciter à protéger davantage les droits des citoyens, même ceux qui choisissent le « mauvais » type de drogue. Au lieu de faire preuve de la tolérance censée caractériser les sociétés démocratiques, le Canada transforme en criminels des centaines de milliers de citoyens et incarcère nombre dentre eux pour simple possession de drogue illicite. Les coûts des incarcérations inutiles, ajoutés à tous les autres coûts de la justice criminelle, constituent un fardeau financier que léconomie ne peut supporter, et cela sans compter les nombreux autres problèmes quentraîne un recours exagéré (on pourrait dire laccoutumance) à la criminalisation comme « solution » au « problème » de la drogue. Alors même que les vrais « problèmes » de drogue au Canada sont liés à lusage du tabac et de lalcool dans la population en général, ainsi quà la pauvreté et à la perturbation sociale dans les populations à risque élevé, ces questions retiennent peu lattention et sont dotées de minces ressources. On préfère consacrer les ressources dans des proportions exagérées aux mesures d`application des lois sur les drogues illicites. Fait ironique, ces lois créent plus de problèmes que les drogues comme telles.
Nos lois prohibitionnistes ont encouragé les trafiquants à vendre des drogues plus puissantes ; elles ont incité les usagers à consommer ces drogues et à utiliser des méthodes dingestion plus dangereuses, soit pour mieux les dissimuler, soit pour obtenir un effet plus puissant à moindre coût. Les consommateurs nont aucune garantie de la qualité de la drogue vendue illégalement ; certains en meurent (300 morts à Vancouver lannée dernière seulement), tandis que dautres tombent gravement malade après avoir consommé des drogues frelatées ou des drogues dune pureté inconnue. Au lieu de chercher des moyens susceptibles de réduire les effets nocifs de toutes les substances psychotropes, dont lalcool et la cigarette, le Canada a favorisé la création, pour certaines drogues, dun commerce illicite. Des sommes que lon pourrait utiliser à meilleur escient pour régler les vrais problèmes de la drogue et ses causes sont allouées à ceux qui approuvent un système prohibitionniste et toutes les mesures qui lentourent. Les politiques prohibitionnistes de pays comme le Canada et les États-Unis déstabilisent les pays en développement ainsi que les nouveaux états émergents dEurope centrale et dEurope de lEst.
Le fait de se concentrer surtout sur la lutte contre les « mauvaises » drogues a eu pour effet de détourner lattention de lune des conséquences les plus graves de la prohibition, cest à dire la pandémie dinfection par le VIH quentraîne lutilisation de drogue par injection intraveineuse. Plus de 45 p. 100 des nouveaux cas dinfection par le VIH au Canada et aux États-Unis sont liés à linjection de drogues. Ce pourcentage augmente à un rythme inquiétant, au Canada comme partout ailleurs. Vancouver a le taux dincidence dinfection par le VIH le plus élevé parmi les utilisateurs de drogues par injection du monde occidental. À léchelle mondiale, lutilisation de drogues par injection est lune des principales sources de nouveaux cas dinfection par le VIH. Les orientations politiques de type prohibitionniste ont nui à lexpansion de programmes vitaux, comme les échanges de seringues, et favorisé lutilisation partagée de seringues usagées, entraînant ainsi la propagation du VIH et dautres pathogènes mortels, non seulement chez les consommateurs, mais aussi dans la population en général. De telles orientations empêchent louverture dendroits aménagés pour assurer des injections salubres, et où les utilisateurs peuvent recevoir des soins médicaux si besoin est. Sans louverture de tels sites, les morts par surdose risquent daugmenter de 80 p. 100. Cette année, plus de 300 morts par surdose ont été enregistrées à Vancouver, pour un total de plus de 2 000 depuis 1991. Ce genre de décès pourrait être évité, comme cela a été fait à Francfort où dimportants programmes de réduction des méfaits de la drogue ont été mis en place.
Dans cette situation paradoxale où lon parle de dépendance à la drogue comme dune maladie, mais où lon considère comme un crime lutilisation de certaines drogues arbitrairement sélectionnées, le système de justice est maintenant un élément intégré de la lutte contre la drogue. On incarcère les personnes qui font usage de stupéfiants sans toutefois leur donner les moyens de prévenir linfection par le VIH qui découle des niveaux élevés dinjection de drogue dans les prisons. Une des raisons pour lesquelles les préservatifs ont seulement depuis peu été mis à la disposition des prisonniers, est que lon craignait quils soient utilisés pour dissimuler de la drogue. De plus, les autorités continuent à refuser de mettre en place un programme déchange de seringues, ce qui aiderait pourtant à prévenir la propagation du sida et de lhépatite, alors même quil est maintenant reconnu que la consommation de drogue dans les prisons est généralisée. Les taux dinfection par le VIH sont dix fois plus élevés dans les prisons canadiennes que dans la population en général. Dans certains établissements, on estime que 8 p. 100 des détenus sont porteurs du VIH et 50 p. 100 par lhépatite C, une maladie transmissible par injection et qui rend plus vulnérable à linfection par le VIH.
Ainsi, le paradoxe demeure : Dun côté on considère la pharmacodépendance comme une maladie et, de lautre, on continue à traiter comme des criminels et des êtres malfaisants ceux qui choisissent les « mauvaises » drogues. « Pharmacopei », lancien mot grec pour bouc émissaire, signifiait « proscrit » ; étrange coïncidence quà notre époque le McCarthysme pharmacologique nous ramène à la définition du bouc émissaire!
Tandis quun nombre croissant de pays dans le monde entier délaissent la guerre contre les stupéfiants en faveur de mesures plus pacifiques, le Canada insiste encore pour criminaliser la possession de drogue et vient tout juste, lan dernier, dadopter une nouvelle loi antidrogue carrément prohibitionniste. Pourquoi? Cest ce que le reste de cet exposé se propose dexaminer. En bref, bien que certains justifient la position du Canada par le fait quil est un pays signataire des traités internationaux sur les stupéfiants, nous allons voir plus loin que cette raison est insuffisante ; car non seulement ces conventions nexigent pas des sanctions aussi fortes que celles imposées par les lois canadiennes, mais ces dernières sont même en conflit avec les propres lois du Canada garantissant les libertés fondamentales, ainsi quavec les conventions internationales protégeant les droits de la personne.
Quelques définitions
Prohibition : Système qui considère comme un acte criminel le fait de produire, dimporter, de distribuer ou de posséder à des fins non médicales des substances réglementées. La prohibition totale, situation où toutes les infractions sont sévèrement punies, est également appelée « tolérance zéro ». Lapplication de linterdiction totale du cannabis aux Pays-Bas est assujetie à un principe dopportunité des poursuites.
Prohibition partielle : Les adultes seraient autorisés à posséder une quantité précise de certaines drogues et à cultiver un nombre précis de plants. On ne connait pas les répercussions quun tel système pourrait avoir sur le trafic des stupéfiants.
Décriminalisation (interdiction assortie de sanctions au civil) : Sadresse généralement aux
cas de possession non assortis daccusations criminelles pour de petites quantités de certaines drogues. On lappelle souvent décriminalisation de facto, parce quen vertu des traités internationaux en vigueur, bien que la possession soit officiellement un « crime », il nexiste aucune mesure dexécution ni de contrainte. Un tel système peut donner lieu à limposition damendes.
Médicalisation : Lutilisation de drogues illicites peut être levée dinterdit dans le cadre strict du traitement médical de certaines toxicomanies, comme cest le cas de la méthadone pour les opiomanes. Au Canada, les règlements fédéraux permettent lutilisation de drogues dans le traitement des dépendances si la méthode utilisée a des fondements scientifiques solides et est acceptable sur le plan médical.
Dépénalisation : suppression de toute sanction pour la possession de certaines drogues.
Légalisation : système où aucun des actes liés au cycle de la production, de la distribution et de la possession dune substance donnée ne constitue une infraction. On parle souvent de réglementation pour décrire ce système qui sapparente aux commissions de contrôle des alcools. Un autre modèle, moins courant, est celui de la libre entreprise.
Bref historique
Le cadre juridique de lactuel système du contrôle de la drogue au Canada remonte au début du XXe siècle. Cest en 1908 que débute la réglementation de tous les médicaments, ainsi que du tabac et de lalcool. Cette année là, la Loi de lopium instaure la première interdiction dun stupéfiant. En 1911, la Loi sur lopium et les drogues narcotiques frappe les opiacés et la cocaïne, puis le cannabis, en 1923. Les groupes de lutte contre lalcool ont gagné un support considérable au cours de ces années, et pendant la Première Guerre mondiale toutes les provinces adoptent une forme quelconque dinterdiction de lalcool. Quand arrive 1929, toutes les provinces à lexception de lÎle-du-Prince-Édouard ont annulé la prohibition de lalcool et réglementé son commerce. Pendant les quarante années suivantes, la Loi sur lopium et les narcotiques de 1929 va représenter, pour le Canada, la base de ses politiques sur les drogues. La prohibition et la réglementation internationales des stupéfiants décrétées par la Convention unique sur les stupéfiants de 1961 et la Convention sur les substances psychotropes de 1971, et dont le Canada est un des signataires, renforcent encore la division artificielle entre les drogues légales et illégales licites et illicites.
Dans les années 1960 et 1970, on a répondu à laccroîssement de la consommation des drogues illicites par une politique de criminalisation plus sévère, avec ce que cela comporte de coûts sociaux et individuels. En dépit de ces coûts, linterdiction de posséder des substances illicites associée à des peines allant jusquà sept ans demprisonnement, ne semblent pas avoir eu deffet dissuasif sur les niveaux de consommation du cannabis au Canada. Les taux de consommation ont fortement grimpé dans les années 1960 et au début des années 1970, malgré limportance des ressources consacrées à lapplication des lois. La surcharge de travail pour les tribunaux et le nombre croissant de jeunes, autrement respectueux de la loi, condamnés pour des infractions liées à la drogue (en particulier la possession de cannabis) ont fait pression en faveur de la libéralisation des lois canadiennes sur les drogues. La Commission denquête sur lusage des drogues à des fins non médicales (couramment appelée la Commission Le Dain) a été formée en 1969 pour répondre à linquiétude croissante suscitée par la consommation de drogues et envisager les mesures à prendre. La Commission Le Dain a décrit et analysé les coûts sociaux et les conséquences de la politique de criminalisation pour les individus. Les coûts sociaux comprennent les coûts de la répression, les coûts encourus par les tribunaux et les frais dincarcération. Les conséquences pour les individus comprennent les sanctions (amendes ou peines demprisonnement), les répercussions sur les possibilités demploi pour le contrevenant, et les conséquences dun casier judiciaire.
En vertu de la politique sur les drogues illicites, des centaines de milliers de Canadiens condamnés pour possession de drogue illicite en vertu de lancienne Loi sur les stupéfiants et de la nouvelle Loi réglementant certaines drogues et autres substances se sont retrouvés avec un casier judiciaire. Lexpression « casier judiciaire » na pas de définition statutaire, mais elle se rapporte généralement à toute relation officielle des faits lors dun procès ayant abouti à une condamnation. Larrestation dun suspect conduit automatiquement à louverture dun dossier policier. Ce dernier est nourri des nombreuses informations récoltées par tous les agents impliqués dans larrestation et linculpation du prévenu, depuis lagent de police qui a procédé à larrestation jusquaux tribunaux, en passant par le poste de police local, le système dinformation de la Gendarmerie Royale du Canada (GRC) à Ottawa, le procureur et les analystes. Ces renseignements peuvent également être communiqués au bureau de laide juridique, au centre de détention et à divers organismes de renseignements criminels. Lorsque laccusé comparaît en justice, laccusation devient publique et peut être divulguée dans les médias. Il existe aussi des ententes déchange de renseignements avec des services de police étrangers. Même si linculpation est retirée ou si laccusé est acquitté, il na pas légalement le droit dexaminer les renseignements que possède la police ni dexiger que son dossier soit détruit.
Lexistence dun casier judiciaire, après une condamnation, a certaines conséquences si cette personne commet ultérieurement de nouvelles infractions. Cela peut amener la police à déposer une accusation au lieu de simplement émettre un avertissement. Cela peut aussi influencer la décision daccorder ou non la mise en liberté conditionnelle, influer sur la décision dun procureur de procéder par voie de mise en accusation plutôt que par voie de déclaration sommaire de culpabilité, ou encore être invoqué devant les tribunaux pour attaquer la crédibilité de la personne. Cela peut aussi influer sur la détermination de la peine ou loctroi de la libération conditionnelle. Les personnes qui ont un casier judiciaire se voient refuser laccès à de nombreux postes de la Fonction publique fédérale et provinciale, ainsi quà certaines professions réglementées par les lois fédérales.
La Commission Le Dain a également déclaré quun des coûts sociaux de la politique antidrogue sur les stupéfiants était lobligation de doter les services de police de pouvoirs globaux. En vertu des dispositions spéciales de la nouvelle loi et de lancienne loi sur les stupéfiants, un agent de la force publique au Canada a des pouvoirs plus larges dans les affaires de drogue, même dimportance mineure, pour les fouilles, les perquisitions et les saisies quil nen a dans les affaires de meurtre, de viol ou autres affaires criminelles graves. Certaines méthodes dapplication de la loi utilisées dans le cadre denquêtes sur les stupéfiants empiètent sur les droits et libertés acquis. Ainsi, la loi autorise lutilisation découte électronique, dindicateurs de police rétribués, dagents dinfiltration, de chiens policiers, darrestations sans avertissement, de descentes de police et de fouilles à nu, ainsi que loctroi de limmunité à des suspects en échange de renseignements. Ces mesures ont été très critiquées, en particulier par les jeunes, parce quelles portaient atteinte à lintégrité de la police et du système de justice criminelle. La nouvelle loi sur les drogues a encore élargi les pouvoirs de la police en légalisant « la provocation policière » par laquelle un policier peut en toute légalité vendre de la drogue à un acheteur pour ensuite justifier son arrestation. Après avoir mené de vastes études et consultations sur la question, la Commission Le Dain a conclu que la prohibition des stupéfiants coûtait cher pour de maigres résultats. La plupart des commissaires ont recommandé dabandonner graduellement les sanctions criminelles imposées aux consommateurs de drogue et de mettre en oeuvre des solutions moins coercitives et moins coûteuses pour remplacer les modalités punitives de la loi criminelle. La Commission Le Dain a joué le rôle de la plupart des commissions royales : elle a retardé toute action sur une question controversée jusquà ce que la demande dintervention du public se soit essouflée et, peu à peu, la réforme de la politique sur les drogues a soulevé de moins en moins dintérêt. Un changement important apporté à la loi en 1969, la Loi sur les stupéfiants a permis aux procureurs de procéder par voie sommaire dans les cas de possession. Dautres changements au Code criminel au début des années 1970 ont introduit la possibilité dabsolution avec ou sans conditions dans les affaires de possession de drogue. Les efforts pour diminuer les conséquences de la criminalisation des stupéfiants ont connu un succès mitigé. Un projet de loi visant à décriminaliser la possession de cannabis (le projet de loi S-19) a été rejeté en 1975. Au cours des années 70, les condamnations pour possession de cannabis sont passées de moins de 1 000 à plus de 40 000 par année.
Le rapport de la Commission Le Dain a entraîné une restructuration des organismes gouvernementaux responsables des stupéfiants. Il était clair que les mesures prises par le gouvernement précédent nétaient pas adéquates et quelles portaient davantage sur des questions de compétences que des questions de santé. On a alors créé la Direction de lusage non médical des drogues (DUNMD) de Santé et Bien-être social Canada, et cherché des solutions nationales intégrées. Cette nouvelle façon daborder le problème de lutilisation des drogues illicites a créé quelques inquiétudes au début ; une fois ces dernières calmées, la Direction a été réorganisée sous le nom de Direction de la promotion de la santé. Cette restructuration sexpliquait par le fait que bon nombre de comportements ayant un effet néfaste sur la santé ont un fondement commun. Cependant, le mouvement vers la promotion de la santé a eu leffet imprévu de créer encore plus de problèmes de coordination entre les différents paliers de gouvernement. De plus, le personnel chargé dappliquer la loi avait du mal à travailler de concert avec un organisme gouvernemental qui soccupait également dautres questions de santé, comme la condition physique, lalimentation et la santé cardio-vasculaire.
Au milieu des années 1980, on a commencé à admettre que léducation et les mesures coercitives étaient loin de suffire pour faire diminuer le marché de la demande pour les drogues. En 1987, le gouvernement fédéral a annoncé un programme daction contre les drogues, la Stratégie canadienne antidrogue (SCA). Cette stratégie avait pour but de régler le problème de la consommation de drogue à laide de mesures visant à réduire à la fois loffre et la demande. Dans le cadre de cette nouvelle stratégie, 210 millions de dollars en nouveaux fonds ont été consacrés à parts égales à des programmes dapplication de la loi, de traitement et de prévention. Cette décision, qui sinspirait nettement de la plus récente initiative antidrogue des États-Unis, démontrait une prise de conscience, au Canada, de lexistence de problèmes de drogue, licite et illicite. La Stratégie canadienne antidrogue, financée initialement pour une période de cinq ans devant se terminer en avril 1992, a été reconduite jusquen 1997. Le dossier des drogues a ensuite été transféré à celui, plus général, de la santé de la population. La drogue nétant plus considérée par les bureaucrates responsables comme un problème grave, le budget qui y était consacré a été réduit à 40 p. 100 du total précédent. Le budget de la drogue, à la GRC, a été réduit à 60 p. 100 du budget de la période précédente. LUnité de recherche et de politique du Centre canadien sur lalcoolisme et les toxicomanies, qui avait entrepris des recherches sur les solutions de rechange à la prohibition des stupéfiants, a été fermé en 1996 dans le cadre de labandon de la Stratégie canadienne antidrogue. Lexpression « stratégie antidrogue » a été réutilisée plus tard, pour décrire certains efforts faits en 1998 à la demande de la GRC, mais il sagit dune stratégie qui na ni lenvergure, ni le personnel, ni le financement dautrefois.
Malgré les tentatives faites pour arriver à un équilibre à lépoque de la Stratégie antidrogue, la politique dominante en matière de drogues illicites est demeurée une politique prohibitionniste assortie de sanctions criminelles. Avec lavènement, dans les années 1990, dune nouvelle loi sur les stupéfiants, on a pu régler certains des problèmes des lois précédentes et tirer profit de lexpérience dautres pays. Cependant, la nouvelle loi, Loi réglementant certaines drogues et autres substances, est fondamentalement prohibitionniste, et loin de revenir sur la manière repressive daborder le problème de la drogue, elle renforce la prohibition. Les problèmes découlant de la criminalisation des consommateurs de drogue, de ses coûts économiques et sociaux et de la non-diminution de loffre nont pas encore été réglés. Par conséquent, les coûts tant humains que financiers de la consommation de drogues licites demeurent inutilement élevés, tandis que les coûts suscités par la criminalisation de lusage des drogues illicites continuent daugmenter de façon régulière, prévisible et évitable.
2. Lusage des drogues au Canada
Sommaire
Lalcool et le tabac sont les drogues psychotropes les plus consommées au Canada. Ce sont celles qui causent les plus grands méfaits et coûtent le plus cher à la population. La drogue illicite dont lusage est le plus répandu est la marijuana ; elle cause relativement peu de méfaits par rapport à la consommation qui en est faite. Cest dans les populations à risque élevé comme les usagers de drogues par injection, les jeunes de la rue, les pauvres des quartiers déshérités et les Autochtones (de toute évidence, bon nombre de ces groupes se recoupent) que lon retrouve, de loin, le plus grand nombre des méfaits directement attribuables à la consommation de drogues licites et illicites. Les méfaits et les coûts indirects des drogues illicites dépassent largement leurs méfaits directs et sont complètement disproportionnés par rapport au degré de consommation ; ces méfaits et ces coûts indirects sont le résultat des lois et des politiques antidrogue, et non des drogues comme telles.
Nature et habitudes de consommation des drogues
Alcool
Daprès lEnquête canadienne de 1994 sur lalcool et les autres drogues, 72 p. 100 des femmes et des hommes de 15 ans ou plus environ 16,5 millions de Canadiens ont consommé de lalcool au cours des douze mois précédents. Environ le quart de ces répondants en ont bu moins dune fois par mois, tandis que 5 p. 100 en ont consommé chaque jour. Les autres se situent entre ces deux extrêmes. Les jeunes adultes, les hommes et les personnes au revenu élevé boivent plus que les autres Canadiens.
Tabac
Dans lenquête menée en 1994, 27 p. 100 des Canadiens de 15 ans et plus ont dit fumer régulièrement. La majorité des fumeurs (58,6 p. 100) ont dit fumer entre 11 et 25 cigarettes par jour, et 7,3 p. 100 plus de 25. Le pourcentage de fumeurs est élevé dans les groupes plus jeunes (18 à 19 ans, 29 p. 100 ; 20 à 24 ans, 37 p. 100). À 19 ans, 71 p. 100 des jeunes Inuit, 63 p. 100 des jeunes Dénés et Métis et 43 p. 100 des jeunes non-autochtones de lArctique canadien ont dit fumer des cigarettes. Les taux de prévalence du tabac à chiquer et du tabac à priser sont élevés chez les Dénés et les Métis, où des enfants, dès lage de cinq ans, disent fumer régulièrement.
Autres drogues licites et illicites
Il serait sans doute utile de le faire, mais il nest pas possible de séparer totalement la manière de traiter les drogues légales et les drogues illégales. La nature des systèmes de déclaration des drogues et les méfaits des drogues sur les individus et la société rendent cette distinction impossible. Par exemple, les médecins regroupent les classifications diagnostiques des problèmes dus aux drogues licites et aux drogues illicites. De plus, le détournement des drogues licites vers le commerce illégal joue un rôle clé dans les méfaits de la drogue. Contrairement à la consommation dalcool, dont lutilisation et les méfaits sont bien documentés, les méfaits de la plupart des drogues licites et illicites sont moins connus. La vente de médicaments sur ordonnance nest pas contrôlée à léchelle nationale ; linformation sur les drogues illicites se limite aux déclarations sur les saisies de drogue, les mesures dapplication de la loi et les enquêtes ; et cette base de données est limitée, tant sur les plans de la portée que de la qualité.
Drogues licites
Toute linformation sur les médicaments vendus sur ordonnance est disponible auprès dorganismes qui sont au service de lindustrie pharmaceutique et qui lui fournissent, ainsi quaux différentes industries de la santé des renseignements et des analyses de marché. Les enquêtes sont une autre source dinformation limitée, toutefois, car elles ne font pas de distinction entre lutilisation sans risque et lutilisation à risque. Les renseignements sur les drogues licites présentés dans ce document proviennent de cinq sources : LEnquête canadienne sur lalcool et les autres drogues de 1994, des rapports détudes de marché, les statistiques sur le détournement du Bureau de surveillance des drogues, les données des hôpitaux fournies par le Centre canadien dinformation sur la santé et les données de Statistiques Canada sur les causes de décès.
Médicaments
Près de cinq millions de Canadiens (21 p. 100) utilisent un ou plusieurs des médicaments suivants : tranquillisants, somnifères, pilules amaigrissantes/stimulants, antidépresseurs, analgésiques vendus sur ordonnance (codéine/Demerol/morphine). Le pourcentage est plus élevé chez les femmes que chez les hommes (24 p. 100 comparativement à 18 p. 100). Les niveaux dutilisation de ces divers médicaments varient considérablement entre les provinces.
Analgésiques vendus sur ordonnance : Un peu plus de trois millions de Canadiens (13 p. 100) prennent des analgésiques vendus sur ordonnance (des opiacés comme la codéine, la morphine et le Demerol), les femmes (14 p. 100) en plus forte proportion que les hommes (12 p. 100). Lusage est plus grand chez les personnes de 18 et 19 ans (15,5 p. 100) et plus faible chez celles de 55 à 64 ans (11 p. 100). Il est plus grand chez les personnes au revenu moins élevé. Au niveau provincial, il est le plus grand en Colombie-Britannique (21 p. 100) et le plus faible au Québec (7 p. 100).
Somnifères : Lors de lenquête de 1994, environ 4,5 p. 100 des Canadiens ont dit prendre des somnifères. La consommation de ce type de médicament augmente avec lâge : 7,5 p. 100 des personnes de 55 ans et plus et 11,5 p. 100 des personnes de 75 ans et plus en font usage, les femmes (5,5 p. 100) en plus forte proportion que les hommes (3,5 p. 100). Au niveau provincial, lusage est le plus grand à lÎle-du-Prince-Édouard (6 p. 100) et le plus faible à Terre-Neuve (2,5 p. 100).
Tranquillisants : Près dun million de Canadiens (4,5 p. 100) prennent des tranquillisants, les femmes (5,5 p. 100) en plus forte proportion que les hommes (3,5 p. 100). Là encore, la consommation tend à augmenter avec lâge et à diminuer selon le revenu. Au niveau provincial, lusage est le plus grand au Québec (7 p. 100) et le moins grand en Alberta (3 p. 100).
Antidépresseurs : Environ 3 p. 100 des Canadiens prennent des antidépresseurs ; les femmes sont deux fois plus nombreuses que les hommes à en prendre (4 p. 100 et 2 p. 100 respectivement). Les plus grands consommateurs sont les personnes de 45 à 64 ans (4 p. 100). Au niveau provincial, lusage est le plus grand en Nouvelle-Écosse (4 p. 100), et le plus faible en Ontario (2 p. 100).
Pilules amaigrissantes/stimulants : Environ 1 p. 100 des Canadiens prennent des pilules amaigrissantes ou des stimulants. La consommation de ce type de médicament est particulièrement courante dans le groupe des 20 à 24 ans (2 p. 100) et chez les résidants du Nouveau-Brunswick et de lAlberta (1,5 p. 100).
Stéroïdes et solvants
Moins de 0,5 p. 100 des Canadiens ont indiqué avoir déjà pris des stéroïdes. Les solvants, les colles et les substances inhalées sont utilisés par les jeunes et les marginaux des rues qui nentrent pas dans les enquêtes effectuées au niveau national ; moins de 1 p. 100 des répondants à lenquête de 1994 ont dit avoir déjà fait usage de solvants.
Drogues illicites
De nombreux Canadiens ont dit avoir déjà consommé des drogues illicites à un moment ou lautre de leur vie ; 24 p. 100 des Canadiens ont consommé lune ou plusieurs des drogues illégales suivantes : cannabis, cocaïne, LSD, speed/amphétamines, héroïne. Plus dhommes que de femmes ont dit avoir consommé ces drogues (30 p. 100 comparativement à 18 p. 100).
Cannabis (marijuana/haschisch) : Le cannabis est la drogue illégale la plus couramment consommée au Canada. Un peu plus de 23 p. 100 de Canadiens ont dit avoir fait usage de cannabis à un moment quelconque de leur vie. La proportion de ceux qui en prennent actuellement sélève à 7,5 p. 100, comparativement à 6,5 p. 100 en 1989. Deux fois plus dhommes (10 p. 100) que de femmes (5 p. 100) ont dit en avoir pris au cours des 12 derniers mois.
Cocaïne : Un peu moins de 4 p. 100 de Canadiens ont dit avoir déjà pris de la cocaïne ou du crack, ce qui représente un changement minime par rapport à lenquête de 1989 (3,5 p. 100). Le pourcentage actuel des consommateurs (au cours de 12 derniers mois) est descendu à 0,7 p. 100 de la population, par rapport à 1,4 p. 100 en 1989.
LSD, amphétamines (speed) et héroïne : Le pourcentage de Canadiens qui ont dit avoir consommé lune ou lautre des ces drogues au cours des 12 derniers mois est légèrement supérieur à 1 p. 100, une augmentation de 0,4 p. 100 sur 1989. Plus dhommes (1,5 p. 100) que de femmes (0,7 p. 100) consomment ces drogues. La proportion de Canadiens qui ont utilisé ces drogues au moins une fois dans leur vie est passée de 4 p. 100 en 1989 à 6 p. 100 en 1994.
Dans lensemble, la consommation de drogues illicites a considérablement augmenté dans tout le pays entre 1993 et 1994. La consommation de cannabis est passée de 4,2 p. 100 à 7,4 p. 100, celle de cocaïne a augmenté de 0,3 p. 100 à 0,7 p. 100, et celle de LSD, damphétamines ou dhéroïne est passée de 0,3 p. 100 en 1993 à un peu plus de 1 p. 100 en 1994. Nous ne disposons daucune donnée récente qui nous permette de savoir si cette tendance sest poursuivie.
Utilisation de drogues par injection
Parmi les répondants de lenquête de 1994 qui ont dit avoir consommé de la cocaïne, du LSD, du speed, de lhéroïne et/ou des stéroïdes, 7,7 p. 100 (132 000) ont dit sêtre injectés des drogues à un moment donné et, sur ce nombre, 41 p. 100 ont dit avoir déjà partagé des seringues. Il sagit clairement de sous-estimations. Comme nous lavons déjà mentionné, ce genre denquête ne rejoint pas la plupart des consommateurs de drogues illicites, et cest particulièrement vrai dans le cas des consommateurs de drogues par injection. De plus, en raison du caractère illégal de cette activité, il est fort possible quune personne interrogée donnera une réponse inexacte par crainte de représailles.
Populations à risque
Les personnes qui risquent le plus de subir les effets néfastes des substances légales ou illégales sont les personnes conduisant un véhicule avec des facultés affaiblies, les jeunes de la rue et les décrocheurs scolaires, les utilisateurs de drogues par injection, les femmes, les personnes âgées, les pauvres, les Métis, les Inuit et les Autochtones qui vivent à lextérieur des réserves. À ce jour, ces populations à risque ont fait lobjet de recherches plus ou moins importantes, dépendant des difficultés rencontrées pour mener à bien ces enquêtes.
Autochtones
Selon la Direction générale des services médicaux (DSN), les blessures et les empoisonnements (y compris les suicides), ainsi que les maladies de lappareil circulatoire sont les principales causes de décès chez les Autochtones et les Inuit, sauf dans les régions de lAtlantique et de lOntario, où cet ordre est inversé. Le risque de mort violente est toujours élévé chez les Autochtones ; il est, dans certain cas, trois à quatre fois plus élevé que la moyenne nationale. Le taux de mort accidentelle est parfois le double du taux de suicide. En Alberta, le risque est de quatre à cinq fois plus élevé chez les Autochtones que le taux national. Cest le même tableau en Saskatchewan et en Colombie-Britannique. Les hommes sont beaucoup plus susceptibles de connaître une mort violente que les femmes. Non pas que les femmes autochtones soient moins portées à consommer de lalcool et dautres drogues, mais parce que la consommation chez les femmes entraîne moins de conséquences fatales. La plupart des Autochtones du Canada fument du tabac (72 p. 100), et la moitié dentre eux fument quotidiennement.
En Colombie-Britannique, lalcool et la drogue représentent les problèmes de santé et les problèmes sociaux les plus importants chez les Autochtones vivant hors des réserves et à Vancouver. Les résultats denquêtes indiquent que 65 p. 100 dentre eux ont des problèmes dalcool et de drogue. Ces résultats nindiquent pas si la consommation abusive dalcool et dautres drogues est à lorigine de ces autres problèmes ou si elle en est le résultat. Les chercheurs ont constaté que 90 p. 100 des Autochtones de la Colombie-Britannique avaient des problèmes de consommation dalcool et dautres drogues. Les organismes dassistance et de services actuels ne répondent pas aux besoins des personnes qui ont des problèmes de consommation de substances psychotropes ou qui souffrent de troubles mentaux. La plupart des enfants dont la mère avait abusé de lalcool durant la grossesse étaient Autochtones.
Des recherches effectuées en Alberta ont révélé que les Autochtones ont beaucoup plus de problèmes dalcool que les autres Canadiens. Selon un rapport publié en 1991, environ 80 p. 100 des Autochtones de lAlberta ont des problèmes dalcool et dautres drogues. Les Autochtones sont incarcérés en nombre disproportionné pour des infractions liées au Liquor Control Act. Dans les établissements correctionnels, en 1990, 21 p. 100 de toutes les peines imposées aux Autochtones découlaient dinfractions à cette loi, contre 6 p. 100 chez les non-autochtones. Une étude réalisée par le médecin-chef de la Commission royale sur les peuples autochtones, a comparé le taux des morts non naturelles chez les Autochtones et dans le reste de la population en Alberta entre 1986 et 1990. En voici les principales conclusions :
- Deux tiers des Autochtones morts de causes non naturelles avaient consommé de lalcool peu avant de mourir, contre moins de la moitié (45 p. 100) dans le reste de la population.
- Les décès attribuables principalement à la consommation abusive dalcool ou dautres drogues étaient cinq fois plus élevés chez les Autochtones que dans la population générale.
- Le taux de suicide chez les Autochtones était deux fois et demie plus élevé que dans le reste de la population ; le taux de mort accidentelle était trois fois plus élevé, et le taux de mort par homicide huit fois plus élevé.
Syndrome dalcoolisme foetal : Le calcul de lincidence et de la prévalence du syndrome dalcoolisme foetal (SAF) dans les collectivités autochtones est très controversé, car il soulève de nombreux problèmes de méthodologie. Daprès la plupart des recherches, lincidence du SAF est plus élevée que la moyenne chez les Autochtones. Selon des estimations prudentes, le taux dincidence du syndrome dalcoolisme foetal ou des effets de lalcool sur le foetus (SAF/EAF) dans la population générale échantillonnée oscille entre un et trois pour 1 000 habitants. Une étude a révélé un taux de SAF/EAF de 25 pour 1 000 enfants (c.-à-d. de huit à 25 fois la norme) dans les populations autochtones du nord-ouest de la Colombie-Britannique et un taux de 46 pour 1000 enfants (c.-à-d. de 15 à 46 fois la norme) chez les Autochtones du Yukon. Une enquête nationale effectuée auprès de femmes autochtones et inuit a révélé que 78 p. 100 dentre elles fumaient avant la grossesse, 76 p. 100 pendant la grossesse, et 75 p. 100 pendant le premier mois après laccouchement.
Enfants : Les taux de consommation de substances psychotropes sont très élevés chez les enfants autochtones de moins de 12 ans. Ces enfants sont plus portés à faire usage de tabac, de cannabis et de solvants que les enfants dans le reste de la population, mais ils sont surtout plus prêts à utiliser dautres substances psychotropes. Une étude effectuée en 1985 auprès denfants autochtones de la Saskatchewan a révélé que le taux de suicide était 27,5 fois plus élevé que chez les enfants canadiens en général et 33,6 fois plus élevé que chez les autres enfants de la Saskatchewan. Les centres dassistance signalent que les enfants consomment de lalcool et inhalent des solvants pendant les heures de classe, après lécole, dans la rue, au foyer et parfois avec leur famille.
Jeunes : Les jeunes autochtones courent de deux à six fois plus de risque davoir des problèmes liés à lalcool que leurs homologues dans le reste de la population. Chez les Autochtones, un jeune sur cinq a déjà fait usage de solvants (environ 10 fois plus que la norme nationale). Le tiers de tous les usagers ont moins de 15 ans, et plus de la moitié ont commencé à utiliser des solvants avant davoir onze ans. Le portrait type dun jeune utilisateur de solvants a été dressé lors dun débat national en 1993 auquel participaient des jeunes autochtones et des organismes dassistance et de service : cest un enfant qui a commencé à se droguer à lâge de neuf ans (parfois dès lâge de cinq ans) ; il vient dune famille ayant des problèmes dalcool ou de drogue chroniques ; il vit dans une collectivité isolée ; cest un décrocheur et il provient d'un milieu caractérisé par le chômage, lanalphabétisme, lhabitat insalubre et les mauvais traitements physiques, psychologiques ou sexuels.
Jeunes de la rue
On appelle jeunes de la rue (ou jeunes sans domicile), des jeunes de 12 à 25 ans qui sabsentent du domicile familial sans lautorisation de leurs parents pendant 24 heures ou plus. On estime que 150 000 jeunes de la rue rue errent dune ville à lautre au Canada chaque année. Daprès certaines études, les adolescents sont à la rue pour échapper à la violence physique, psychologique ou sexuelle dans leur foyer et aussi par manque de soins et dattention. Une fois dans la rue, ils adoptent un grand nombre de comportements à risque élevé, dont lutilisation abusive de drogues licites et illicites et le partage de seringues pour linjection de drogue. Une étude effectuée en 1989 a révélé que deux tiers des jeunes des rues prenaient de lalcool ou dautres drogues ou les deux sur une base quotidienne ou hebdomadaire. Les drogues les plus populaires sont lalcool, le cannabis, le LSD et la cocaïne. Lors de létude faite en 1989, environ 88 p. 100 des répondants ont dit boire de lalcool, et 9 p. 100 dentre eux, quotidiennement. Selon cette même étude, 71 p. 100 disaient avoir consommé du cannabis au cours des 12 derniers mois et 24 p. 100 presque quotidiennement. Environ 31 p. 100 ont pris de la cocaïne au cours de lannée précédente, dont 4 p. 100 sur une base quotidienne ; 44 p. 100 ont pris du LSD, dont 4 p. 100 sur une base quotidienne.
Dans une étude faite à Toronto en 1992, 34 p. 100 des répondants ont dit avoir été arrêtés pour consomation de drogue au cours de lannée précédente ; 27 p. 100 avaient commis des vols par effraction, 43 p. 100 avaient vendu de la drogue, 23 p. 100 avaient commis des vols qualifiés et 22 p. 100 avaient eu des problèmes médicaux. Une étude faite récemment auprès de jeunes des rues à Montréal a révélé que le suicide et les surdoses de drogue étaient si répandus que les enfants interrogés couraient 12 fois plus de risques de mourir que leurs pairs. On estime quil y a au moins 4 000 jeunes de la rue à Montréal. Sur les 517 interrogés par les chercheurs, dix sont morts au cours des trois dernières années. Quatre se sont pendus, trois sont morts dune surdose, un est mort de lhépatite A, un a été frappé par une voiture et un autre est mort de causes inconnues. Huit des jeunes morts prenaient de la drogue, et deux dentre eux étaient porteurs du VIH. Près du quart des jeunes interrogés ont dit quils se prostituaient pour se procurer de la nourriture, de largent ou un toit. Ils ont dit quils se piquaient à la sauvette de crainte dêtre repérés par la police et quils transportaient seulement sur eux un nombre limité de seringues, toujours de crainte dêtre découverts. Dans une autre étude faite à Montréal, on a suivi 500 jeunes sans-abri pendant six mois à partir de 1995. Dans cette étude, le taux de mortalité était de 11,7 pour 100 000, comparativement à 0,86 pour 100 000 chez les Québécois du même âge. Lorsque létude a commencé, 40 p. 100 de ces jeunes se piquaient, pourcentage qui a par la suite augmenté chaque année de 10 p. 100, et 22 p. 100 sétaient prostitués en échange de nourriture, dargent ou dun toit.
Les jeunes des quartiers pauvres : Vancouver
En 1997, un état durgence-santé a été déclaré à cause de laugmentation rapide des cas dinfection par le VIH chez les utilisateurs de drogues par injection intraveineuse dans lest de Vancouver, où les taux de prévalence avaient atteint plus de 20 p. 100, et les taux dincidence, plus de 10 p. 100. En 1998, on estime que les taux de prévalence se situent entre 25 et 35 p. 100. Ces taux placent Vancouver au rang peu enviable de la ville du monde occidental qui a les taux les plus élevés dinfection par le VIH chez les usagers de drogues par injection. En outre, cest à Vancouver quil y a le plus de morts par surdose au Canada, leur nombre sélevant à plus de 300 cette année et à plus de 2 000 depuis 1991. Ces taux élevés dinfection et de toxicomanie sont liés à la pauvreté et à la perturbation sociale dans le centre-ville de Vancouver.
Le VIH/sida et lutilisation de drogue par injection
Quiconque consomme des drogues risque dêtre infecté par le virus dimmunodéficience acquise (VIH) et dautres pathogènes comme lhépatite. Lutilisation de drogues par injection pose un risque direct dinfection par le VIH par suite du partage de matériel contaminé. Lutilisation de drogues non injectées pose un risque indirect dans la mesure où elle peut conduire à des relations sexuelles non protégées et à la consommation de drogues par injection. Dans lensemble, lutilisation de drogues par injection est un important facteur de risque pour la transmission du VIH. Voici, à titre dexemple, certains des taux de prévalence chez les utilisateurs de drogues par injection : Manipur, Inde, 73 p. 100 ; Myanmar, plus de 60 p. 100 ; Thaïlande, 40 p. 100 ; Brésil et Argentine, plus de 50 p. 100 ; Kazakhstan et dautres régions dEurope centrale et dEurope de lEst, plus de 30 p. 100. Dans bon nombre de ces pays, la majorité des cas dinfection par le VIH se retrouvent chez les utilisateurs de drogues par injection. Par exemple, au Kazakhstan, plus de 85 p. 100 des cas dinfection par le VIH se retrouvent chez les drogués qui se piquent et, en Chine, plus de 67 p. 100 de lépidémie galopante est attribuable à lutilisation de drogue par injection. Aux États-Unis, plus de 200 000 personnes ont attrapé le sida après avoir contracté le VIH en utilisant des seringues contaminées. Les taux dincidence du VIH chez les utilisateurs de drogue par injection, peuvent atteindre 50 p. 100 dans les États où les lois contrôlant lachat de seringues et la possession de stupéfiants sont les plus rigoureuses, comme le New Jersey et létat de New York. On trouve dans ces états le plus grand nombre de femmes et de jeunes enfants atteints du sida.
Au Canada, lutilisation de drogue par injection est la deuxième cause dinfection chez les hommes, après les pratiques homosexuelles et bisexuelles. Cest également le seconde cause principale dinfection par le VIH chez les femmes hétérosexuelles. On estime quenviron 100 000 usagers de drogue par injection courent le risque dêtre infectés par le VIH parce quils utilisent des aiguilles usagées. Ces personnes sont pour la plupart concentrées dans les régions métropolitaines de Montréal, de Toronto et de Vancouver, mais il y a des drogués qui se piquent dans la plupart des zones urbaines et rurales du Canada.
Depuis toujours, lhéroïne est la principale drogue utilisée en injection au Canada. Des médicaments comme le Talwin (un dépresseur) et le Ritalin (un stimulant) aussi ont été trés prisés en injection à un moment ou à un autre dans diverses régions du pays ; ils sont encore fréquemment utilisés en Saskatchewan. Au cours des dernières années, linjection de cocaine, seule ou mélangée à de lhéroine est devenue de plus en plus courante. On constate aussi lutilisation de plus en plus grande, à des fins non médicales, de stéroïdes injectables chez les athlètes, les danseurs et la population mâle en général.
Au Canada, comme dans dautres pays, les drogués qui se piquent propagent linfection par le VIH et en favorisent la transmission à la population hétérosexuelle. En effet, linfection par le VIH est transmise par les drogués à leurs partenaires sexuels, et bon nombre dentre eux ont des rapports sexuels avec des personnes qui ne se droguent pas. Même les nourrissons peuvent être infectés par transmission périnatale du virus.
Si on compare des villes comme New York et Milan, où les taux de prévalence du VIH chez les toxicomanes qui se piquent dépassent 50 p. 100, les taux de VIH dans les populations comparables au Canada sont de faibles à modérés dans la plupart des villes. Cependant, les taux de prévalence dans certaines régions du Canada sont très élevés si on les compare à certaines villes dEurope où, très souvent, le taux dinfection est inférieur à 5 p. 100. A Vancouver, par exemple, le taux de prévalence est passé de 4 p. 100 en 1992-1993 à 23 p. 100 en 1996-1997 et à plus de 30 p. 100 en 1998. À Toronto, une enquête sur les drogués qui se piquent effectuée en 1997 a révélé un taux de séropositivité de 9,5 p. 100 contre 4,5 p. 100 en 1991-1992. À Montréal, les taux de prévalence, qui étaient de 5 p. 100 avant 1988, sont passés à 19,5 p. 100 en 1997. À Ottawa, ils sont passés de 10,3 p. 100 en 1992-1993 à 21 p. 100 en 1997. Des données récentes collectées auprès dindividus participant à un programme déchange de seringues dans des petites villes du Québec révèlent que le taux de prévalence du VIH chez les drogués qui se piquent a atteint des niveaux importants, même en dehors des grandes zones urbaines (ville de Québec 9 p. 100, et zones semi-urbaines du Québec, 5,7 p. 100).
Le taux dincidence (nouveaux cas dinfection) du VIH chez les utilisateurs de drogues par injection dans certaines villes du Canada est actuellement très élevé : il est de 10 p. 100 à Vancouver, soit le plus élevé du monde occidental, et de 7 p. 100 à Montréal et à Ottawa. Il est plus élevé encore dans certaines régions du Canada, notamment parmi les Autochtones. En 1996-1997, près de la moitié des 3 000 à 5 000 cas dinfections par le VIH enregistrés au Canada ont été signalés chez des utilisateurs de drogues par injection. En Colombie-Britannique, lutilisation de drogues par injection a été mise en cause dans 43 p. 100 des nouveaux cas dinfection en 1996-1997, comparativement à 38 p. 100 en 1995 et à 8,2 p. 100 avant 1995. Lutilisation de drogues par injection est un facteur de risque plus courant chez les femmes, 19 p. 100 des cas de sida enregistrés chez des femmes adultes étant attribués à lutilisation de drogues par injection contre 3,9 p. 100 des cas chez les hommes. On trouve un nombre disproportionné dautochtones chez les drogués des quartiers pauvres qui se piquent et chez les personnes qui utilisent les services déchange de seringues ou de consultation offerts dans les quartiers pauvres.
De toute évidence, les taux de prévalence et dincidence sont déjà très élevés dans un certain nombre de villes du Canada. LOrganisation mondiale de la Santé estime que, lorsque le taux dinfection chez les utilisateurs de drogues par injection atteint 10 p. 100 dans une région, il y a risque dépidémie généralisée. En 1997, le gouvernement fédéral a publié un plan daction sur le VIH/sida et lusage de drogues par injection ; jusquà maintenant, il na guère eu de suites. Il faudrait mettre en place une stratégie globale de réduction des méfaits du sida et de la toxicomanie pour empêcher le taux dinfection par le VIH daugmenter dans lensemble de la population.
3. Les coûts de lusage des drogues
Alcool
Daprès le General Social Survey de 1993, près dun Canadien adulte sur dix (9,2 p. 100) ont indiqué avoir des problèmes dalcool. La plupart du temps, cela influait sur leur santé physique (5 p. 100) et la situation financière (4,7 p. 100). La majorité des Canadiens (73,4 p. 100) ont dit avoir déjà souffert à un moment quelconque de lalcoolisme dune tierce personne ; 41 p. 100 de tous les Canadiens ont dit en avoir subi les méfaits au cours des 12 mois précédents.
En 1992, on a dénombré 6 700 décès et 86 000 hospitalisations liées à lalcool. Le plus grand nombre de décès liés à lalcool étaient dus à des accidents de véhicules à moteur, tandis que les chutes accidentelles et le syndrome de dépendance alcoolique étaient à lorigine du plus grand nombre dhospitalisations liées à lalcool. La conduite en état débriété est une importante cause de décès ; parmi les conducteurs mortellement blessés, 45 p. 100 avaient de lalcool dans le sang et 38 p. 100 avaient un taux dalcoolémie supérieur à la limite légale de 0,8 p. 100. Environ 20 p. 100 des personnes qui buvaient ont déclaré avoir conduit un véhicule une heure ou moins après avoir bu deux consomations ou plus.
Tabac
On estime à 335 000 le nombre des décès attribuables directement au tabagisme en 1992. Ce nombre provient de la compilation des décès dus à la bronchite chronique, à lasthme et à lemphysèmeà laquelle on ajoute 30 p. 100 de tous les décès causés par un néoplasme, un accident cérébrovasculaire, lhypertension et les maladies cardiaques. Le nombre de décès et dhospitalisations (combinés) liés au tabagisme est le plus élevé en Nouvelle-Écosse et le plus faible en Alberta.
Autres drogues licites
La consommation de drogues licites pose certains problèmes. Il y a par exemple les problèmes dinteraction entre les médicaments ; à mesure que les personnes vieillissent, elles ne peuvent plus métaboliser les médicaments de la même façon quavant et risquent donc davantage dêtre victimes deffets secondaires. On dispose de très peu de données sur les torts causés par les médicaments à léchelle nationale. Le système international de codage quutilisent les hôpitaux du Canada classe les cas selon des catégories de médicaments générales et ne fait pas de distinction entre les drogues illégales et les drogues légales. Daprès lenquête de 1994, près de 16 p. 100 des personnes qui consommaient des médicaments avaient causé des torts à dautres personnes ou en avaient elles-mêmes subi, au moins une fois dans leur vie. 11,5 p. 100 des usagers ont signalé au moins un effet secondaire néfaste dans les 12 derniers mois. Le problème le plus courant dans les 12 derniers mois était les répercussions sur la santé physique (7,5 p. 100), sur la joie de vivre (5,5 p. 100), le travail et les études (4 p. 100), la situation financière (4 p. 100), la situation familiale ou au foyer (4 p. 100) et sur les amis (2,5 p. 100).
Drogues illicites
La consommation de drogues illégales est associée à de nombreux problèmes de santé et de problèmes sociaux, mais certains tiennent davantage au statut juridique de ces drogues quà la nature de la drogue elle-même. Comme dans le cas des drogues licites, les risques sont liés aux doses, à la fréquence de consommation, à la voie dadministration et au profil de lusager. Il est bien difficile didentifier les effets dune drogue lorsquelle nest pas la cause unique dun problème. On peut dire dun problème quil est « lié aux drogues » parce que une drogue est présente dans lurine, le sang ou ailleurs dans le corps. Cependant, on ne connaît pas le rôle réel de la drogue dans le problème. En outre, étant donné que la Classification internationale des maladies nétablit pas de distinction entre les drogues licites et les drogues illicites, les chiffres sur les problèmes et les décès associés aux drogues nindiquent pas la proportion due à lusage des drogues légales.
Le quart environ des personnes qui ont déclaré avoir consommé des drogues, stéroïdes ou solvants illégaux lors de lenquête de 1994 ont indiqué que cette consommation leur avait causé du tort à un moment donné dans leur vie (30 p. 100) ou dans les 12 derniers mois (14 p. 100). Les données variaient de 17,5 p. 100 pour les effets sur la santé physique à 1,5 p. 100 pour les torts causés à leurs enfants. En 1991 et en 1992, plus de la moitié des personnes accusées dhomicide avaient consommé une substance quelconque (y compris de lalcool) au moment de lincident. Par ailleurs, environ 4 p. 100 de toutes les victimes dhomicide étaient sous linfluence de la drogue ; dans un cas sur 10, on a trouvé des traces dalcool et dautres drogues dans leur organisme.
Dans une étude réalisée en 1996 sur les coûts de lalcoolisme et des toxicomanies au Canada, on a calculé le nombre de décès et le nombre dannées de vie perdues imputables à la consommation de drogues illicites. On estime à 732 le nombre des décès causés par la consommation de drogues illicites en 1992 (0,4 p. 100 de la mortalité totale). Le suicide compte pour 42 p. 100 des décès liés aux drogues illicites ; les empoisonnements aux opiacés et à la cocaïne représentaient 14 p. 100 et 9 p. 100 des décès respectivement. Toujours en 1992, on a dénombré 61 décès liés au SIDA parmi les toxicomanes qui sinjectent des drogues (8 p. 100 de tous les décès liés aux drogues illicites) ; ce nombre progresse chaque année, car le nombre des toxicomanes porteurs du VIH saccroit dans tout le Canada (voir la section sur le VIH et la consommation de drogues par injection). La mortalité imputable à la consommation de drogues illicites est relativement faible par rapport à la mortalité résultant de la consommation dalcool et de tabac, mais les décès causés par les drogues illicites frappent les personnes plus jeunes. Les taux de mortalité liés à la consommation de drogues illicites varient grandement selon la province. Le taux le plus élevé de décès par habitant est celui de la Colombie-Britannique (4,7 pour 100 000 habitants en 1992) ; le taux de la Colombie-Britannique demeure le plus élevé ; le nombre moyen annuel de cas de surdoses est de plus de 300. LAlberta (3,1) et le Québec (2,8) affichent aussi des taux supérieurs à la moyenne nationale.
En 1992, on a signalé 7 100 hospitalisations et 58 600 journées dhospitalisation causées par la consommation de drogues illicites. Les psychoses induites par les drogues (17 p. 100), les agressions (17 p. 100) et la consommation de cocaïne (16 p. 100) ont représenté environ 50 p. 100 de toutes les admissions à lhôpital ainsi que la plus forte proportion de journées dhospitalisation causées par la consommation de drogues illicites. Les taux dannées de vie perdues, dhospitalisations et de journées dhospitalisation dans chaque province reflètent les taux de mortalité. Le taux dhospitalisation le plus élevé a été observé en Colombie-Britannique (39 pour 100 000) et le plus faible à Terre-Neuve (15 pour 100 000 habitants).
Aspects économiques
Eric Single et ses collègues ont fait paraître en 1996 une étude des coûts économiques des toxicomanies et de lalcoolisme pour léconomie canadienne. En se servant de lignes directrices internationales sur les estimations de coûts, léquipe a étudié le nombre de décès et dhospitalisations imputables à la consommation dalcool, de tabac et de drogues illicites en 1992. Single et ses collègues se sont ensuite fondés sur ces estimations de la morbidité et de la mortalité pour établir le coût de lalcoolisme et des toxicomanies sur le plan du système de santé et sur celui de la productivité. Les autres coûts comprennent les coûts dadministration des prestations daide sociale liés aux toxicomanies et à lalcoolisme, les coûts de police, les coûts de prévention, les coûts de recherche et autres coûts directs comme les dommages dincendie. (Toutes les données sur les coûts doivent être interprétées avec prudence en raison des grandes variations entre les études.)
En 1992-1993, les Canadiens de 15 ans ou plus ont dépensé en moyenne 462 $ en boissons alcoolisées ; la valeur des ventes dalcool a totalisé plus de 10,4 milliards de dollars. La vente dalcool procurait près de 16 000 emplois en 1993 et de plus de 4,2 milliards de dollars de recettes pour le gouvernement. La réduction des taxes sur le tabac en 1994 a eu des répercussions financières considérables. Les recettes publiques tirées des produits du tabac se sont établies à 4,65 milliards de dollars en 1993-1994, ce qui représente une baisse de 896,5 millions de dollars (16,2 p. 100) par rapport à lannée précédente. Le marché intérieur de lindustrie pharmaceutique, qui emploie plus de 21 000 personnes au Canada, est évalué à 4,3 milliards de dollars.
Selon des estimations, les toxicomanies et lalcoolisme ont coûté plus de 18,4 milliards de dollars au Canada en 1992 (649 $ par habitant), ce qui représente 2,7 p. 100 du produit intérieur brut. Les coûts liés à lalcool sélèvent approximativement à 7,5 milliards de dollars. Les plus importants coûts économiques de lalcool sont de 4,14 milliards de dollars pour les pertes de productivité dues à la morbidité et à la mortalité prématurée, 1,36 milliard de dollars pour la police et 1,30 milliard de dollars en coûts de santé directs. Pour sa part, le tabac justifie de coûts de plus de 9,5 milliards de dollars, et les drogues illicites ont coûté à léconomie 1,4 milliard de dollars. Le principal coût des drogues illicites est la productivité perdue en raison de la morbidité et de la mort prématurée (823 millions de dollars) ; des coûts substantiels (400 millions de dollars) sont associés à la police (y compris le système de justice criminelle). Dans lensemble, le gros des coûts économiques des toxicomanies et de lalcoolisme tiennent à la perte de productivité causée par la morbidité et la mortalité prématurée, aux coûts directs de santé et aux coûts de la répression.
Coûts de police associés aux drogues illicites
La consommation de drogues illicites contribue à plusieurs égards à la criminalité et aux coûts de police. La dépendance aux drogues dures comme lhéroïne, la cocaïne ou les amphétamines contribue aux crimes contre la propriété et la consommation de drogues est associée à des crimes de violence liés notamment à des guerres de territoire.
On trouve un taux élevé de consommation de drogues illicites chez les criminels, et près de 80 p. 100 dentre eux déclarent avoir déjà consommé des drogues illicites. 50 à 75 p. 100 dentre eux ont des traces de drogue (y compris dalcool) dans leur urine au moment de leur arrestation et près de 30 p. 100 sont sous linfluence de lalcool ou dune autre drogue au moment où ils commettent un crime. Il existe un certain nombre dexplications possibles sur les rapports entre les drogues et la criminalité.
Effets pharmacologiques des drogues : Fondée sur le principe que certaines drogues favorisent la violence, cette explication ne tient pas compte du fait quil existe en fait très peu de rapports entre la pharmacologie des drogues illicites et la violence.
La criminalité comme source de revenu : Certains toxicomanes commettent
effectivement des crimes contre la propriété pour financer leur dépendance, mais la
plupart ne le font pas ; la majorité de ceux qui le font commettaient des crimes contre
la propriété avant même de devenir toxicomanes et continuent de le faire même
lorsquils cessent de se droguer.
Les toxicomanes ont un mode de vie déviant : Un certain nombre détudes à
long terme ont montré que la consommation de drogues et la criminalité sont liées à
des facteurs communs comme la pauvreté, le chômage et de faibles valeurs sociales et
sont déterminées par le profil personnel et des raisons sociales.
La criminalité est le résultat de la violence dans le trafic des stupéfiants : de nombreux crimes liés à la drogue résultent des guerres de territoire entre fournisseurs rivaux et des disputes entre acheteurs et revendeurs.
Les drogues sont effectivement présentes dans de nombreux actes criminels, mais leur rôle précis nest pas clair ; ce qui est clair, cest que les usagers doivent se procurer leur drogue sur un marché très cher, violent et hautement criminel.
Létude des coûts économiques effectuée par Single a montré que les coûts de la répression représentent une part prépondérante des coûts économiques associés aux drogues illicites. Les coûts de la répression policière imputables aux toxicomanies et à lalcoolisme englobent les coûts directs des unités de police spécialisées dans la lutte contre la drogue, plus une partie du coût des crimes liés à la drogue. Les fractions du coût de la répression liées aux stupéfiants varient selon le degré dintervention judiciaire. Dans le cas des frais de police, les fractions sont fondées sur la proportion des arrestations pour infractions relatives à lusage et au commerce des drogues. Pour ce qui est des frais judiciaires, il sagit de la proportion des infractions imputables aux drogues illicites. En ce qui concerne les coûts pénitentiaires, les fractions sont fondées sur la proportion des condamnations à la détention pour infractions liées aux drogues. La fraction des crimes violents imputables aux drogues illicites au Canada est estimée en divisant le nombre total des décès par homicide et agression par le nombre de décès par homicide et agression lié à la consommation de drogues illicites ; on estime que 8 p. 100 des crimes avec violence commis au Canada sont liés aux drogues illicites. Une partie des crimes contre la propriété est sans doute aussi liée aux drogues illicites, mais comme on ne la connait pas, elle ne figure pas dans létude, ce qui lui confère une interprétation très prudente.
Coûts de police : On estime que 2,4 p. 100 de tous les crimes sont imputables aux drogues illicites (cela représente les contraventions aux lois fédérales relatives aux drogues, plus 8 p. 100 des crimes violents, plus le coût de la Division des stupéfiants de la GRC). En 1992, on estimait à 208,3 millions de dollars (dont 168,4 millions de dollars pour lexécution des lois relatives aux drogues) les coûts de police imputables aux drogues illégales.
Coûts judiciaires : Ces coûts comprennent tout le personnel des tribunaux, les juges, laide juridique, les procureurs de la Couronne et les coûts doccupation des édifices. On estime que 5,7 p. 100 de tous les crimes qui ont abouti à une comparution devant les tribunaux en 1992 étaient liés aux drogues illicites, ce qui représente des coûts estimatifs de 59,2 millions de dollars (dont 46,8 millions pour les infractions concernant les lois sur les drogues).
Douanes et Accise : En 1992, on estime que le ministère des Douanes et Accise a dépensé 9 millions de dollars au chapitre de la répression des drogues.
Coûts des services correctionnels : Il sagit des coûts des institutions pénitentiaires, des programmes de probation et de libération conditionnelle, lesquels sont estimés à 123,8 millions de dollars pour 1992 (dont 106,2 millions de dollars pour les contrevenants aux lois sur les drogues).
Coûts totaux pour le système de justice criminelle : Une estimation prudente pour 1992 est de 400 millions de dollars (dont 330 millions de dollars pour les contraventions aux lois sur les drogues), ce qui représente 29 p. 100 du coût financier total des drogues illicites.
Autres coûts économiques : Ils représentent les coûts de santé, les coûts associés au travail, les coûts de prévention, de recherche et de formation directs, les coûts des dommages dincendie et daccidents de la route, ainsi que les pertes de productivité indirectes dues à la maladie et à la mortalité. Le total de cette portion des coûts est évalué à 930 millions de dollars.
Coûts économiques des drogues licites et des drogues illicites : Limpact financier des drogues illicites sur léconomie ne représente que 7,4 p. 100 du coût estimatif total découlant des toxicomanies et de lalcoolisme au Canada. « On pourrait soutenir que les forces policières accordent une importance indue à la répression des drogues illicites car ces substances ne représentent quune petite partie des coûts économiques associés aux toxicomanies et à lalcoolisme au Canada. Les conclusions de létude des coûts estimatifs vont sûrement être utilisées pour montrer que les politiques actuelles concernant les drogues ne sont pas rentables. » Par exemple, la criminalisation du cannabis coûte extrêmement cher mais donne apparemment peu de résultats sur le plan de la dissuasion. Cependant, comme le signale Single, les résultats de létude peuvent aussi servir à démontrer que les drogues licites ont des coûts relativement élevés même lorsque leur source dapprovisionnement est légale.
4. La législation relative aux drogues licites et aux drogues illicites au Canada
Règlements fédéraux concernant lalcool
Le gouvernement fédéral a compétence en matière dimportation et dexportation dalcool, de taxes daccise sur lalcool et de publicité radiodiffusée concernant des produits alcooliques. Par ailleurs, les provinces réglementent le contrôle et la vente de lalcool, la commercialisation et la publicité. Il existe quatre infractions spécifiques concernant la conduite en état débriété dans le Code criminel : conduite dun véhicule à moteur avec facultés affaiblies, conduite dun véhicule à moteur avec facultés affaiblies causant la mort et conduite dun véhicule à moteur avec facultés affaiblies causant des blessures corporelles, conduite dun véhicule à moteur avec un taux dalcoolémie de plus de 0,08 p. 100 et refus de fournir un échantillon dhaleine ou de sang. Les lois provinciales en matière de circulation routière jouent un rôle important au niveau de larrestation des conducteurs en état débriété, des poursuites et des sanctions.
Législation relative au tabac
Le tabac est couvert par des lois fédérales et des lois provinciales. La législation fédérale comprend la Loi sur la vente du tabac aux jeunes, la Loi réglementant les produits du tabac (qui limite les activités de promotion dévénements et de publicité des compagnies de tabac) et la Loi sur la santé des non-fumeurs (qui délimite les zones pour fumeurs). Certaines provinces ont adopté des lois sur le tabagisme au travail et la plupart interdisent la vente de tabac aux jeunes. Depuis les années 80, on remarque une augmentation rapide du nombre de municipalités qui ont passé des règlements municipaux limitant les lieux où la consommation de tabac est autorisée.
Législation fédérale sur les drogues
La plus importante loi fédérale portant sur les drogues illicites est la Loi réglementant certaines drogues et autres substances (LRDS), entrée en vigueur en mai 1997. Cette loi prévoit six infractions : possession, trafic, culture, importation et exportation, et obtention de substances par obtention frauduleuse dordonnances. Daprès le gouvernement fédéral, la LRDS avait simplement un caractère administratif. « La LRDS consolide certains éléments de deux lois antérieures, modernise et améliore la politique canadienne en matière de répression des toxicomanies. Elle remplit par ailleurs les obligations internationales du Canada aux termes de plusieurs protocoles internationaux sur les drogues ». On trouvera ci-dessous une analyse plus détaillée de la LRDS et de celles de ses dispositions qui vont plus loin que de simples mesures administratives. La Loi sur les aliments et drogues, qui contenait des dispositions sur lusage non médical des drogues, porte désormais sur les produits pharmaceutiques, les aliments, les cosmétiques et les appareils médicaux. Outre la LRDS, dautres lois portent sur les drogues illicites. Des modifications apportées au Code criminel font quil est illégal dimporter, dexporter, de fabriquer, de promouvoir ou de vendre en toute connaissance de cause des accessoires servant à la consommation de drogues illicites ou des documents sur les drogues illicites. Un tribunal a récemment déclaré inconstitutionnelles les dispositions concernant toute documentation sur les drogues, statuant que celles-ci constituent une violation injustifiable de la liberté dexpression garantie aux termes du paragraphe 2 b) de la Charte des droits et libertés.
Au Canada, les infractions appartiennent à deux grandes catégories : celles qui donnent lieu à une déclaration sommaire de culpabilité et celles qui donnent lieu à une mise en accusation. Il existe aussi des infractions hybrides où le procureur peut choisir lune ou lautre formule. Aux termes de la LRDS, la possession et lobtention frauduleuse dordonnances sont des infractions hybrides. Si la Couronne décide de procéder par déclaration sommaire de culpabilité, lauteur de linfraction est passible dune peine maximale de six mois demprisonnement et dune amende de 1 000 $ pour la première infraction, et de 12 mois demprisonnement et dune amende de 2 000 $ pour les infractions ultérieures. Si la Couronne choisit la voie de la mise en accusation, la peine maximale pour possession est de sept ans de prison. Toutes les autres infractions aux termes de la Loi donnent lieu à une mise en accusation, sauf dans le cas de certaines quantités de marijuana. La peine maximale pour la culture est de sept ans de prison ; le trafic, la possession en vue de trafic, limportation et lexportation sont toutes des infractions associées à une peine maximale demprisonnement à vie. Le plus important changement juridique figurant dans la LRDS concerne le cannabis. Cette substance nest plus considérée comme un « stupéfiant », et figure maintenant à lannexe II (la cocaïne et lhéroïne figurent à lannexe I). Les peines qui sanctionnent la possession, la distribution et la production de la marijuana sont légèrement différentes de celles qui concernent la cocaïne et lhéroïne. Si la personne est en possession de moins de 30 grammes de cannabis et en a distribué moins de 3 kilos, les peines demprisonnement maximales sont ramenées à six mois et cinq ans respectivement (dans le cas de lhéroïne et de la cocaïne, les peines maximales pour la possession demeurent à sept ans et, pour la distribution, à lemprisonnement à vie). La LRDS porte aussi sur les infractions relatives à la propriété et sur les produits des infractions liées aux drogues (notamment « le blanchiment dargent »).
Une occasion ratée : La Loi sur les drogues et autres substances
La Loi sur les drogues et autres substances a été déposée la première fois en février 1994 par le gouvernement libéral sous le nom de projet de loi C-7. Celui-ci ressemblait beaucoup au projet de loi C-85 déposé par le gouvernement conservateur en juin 1992 et vivement critiqué par les Libéraux. Le projet de loi C-7 était théoriquement un projet de loi sur la santé déposé à la Chambre des communes par le ministre de la Santé. Il provenait officiellement du ministère fédéral de la Santé, mais en fait, son contenu provenait surtout du ministère de la Justice et du bureau du Solliciteur général. Le projet de loi avait été rédigé par un haut fonctionnaire du ministère de la Justice.
Le projet de loi C-7 consolidait une bonne partie des mesures législatives contenues dans la Loi sur les stupéfiants et la Loi sur les aliments et drogues. Il abrogeait la première et certaines parties de la seconde. Il créait un certain nombre de nouvelles infractions et étendait la portée de la loi pour inclure nimporte quelle drogue ayant "un effet stimulant, dépresseur ou hallucinogène". Il octroyait aussi de nouveaux pouvoirs aux policiers en matière de perquisition, de fouille et de saisie. Plusieurs groupes qui ont comparu devant le Sous-comité parlementaire au printemps de 1994, notamment la Canadian Foundation for Drug Policy, la Fondation de recherche sur lalcoolisme et la toxicomanie de lOntario, lAssociation canadienne des policiers et lAssociation du Barreau canadien ont sévèrement critiqué le projet de loi parce quil reposait sur une démarche répressive et en particulier pour ses mesures très rigoureuses à légard de la possession de cannabis. Le projet de loi a donc par la suite été révisé. On a notamment allégé les peines pour possession de cannabis à des fins personnelles de telle façon que la simple possession devienne une infraction punissable par voie sommaire tout en demeurant un acte criminel.
Avec beaucoup de retard, le projet de loi C-7 a été lu pour la troisième fois à la Chambre des communes en octobre 1995. Le 30 octobre, tandis que lattention du pays était tournée vers le référendum québécois et en labsence du Bloc québécois à la Chambre, le projet de loi C-7 passait tranquillement létape de la dernière lecture et montait au Sénat pour approbation. Le Comité sénatorial permanent de la justice et des affaires constitutionnelles a commencé une série daudiences sur le projet de loi en décembre de 1995. Ont comparu notamment des représentants de la Law Union of Ontario, de la Fondation de recherche sur lalcoolisme et les toxicomanies et de la Canadian Foundation for Drug Policy (cette dernière a réclamé un examen indépendant du projet de loi conformément à des promesses faites à la Chambre des communes le 30 octobre 1995 ; cet examen na pas encore été réalisé). Le 2 février 1996, le gouvernement annonçait la fin de la session courante. Comme le projet de loi C-7 navait pas été promulgué, il est mort au Feuilleton. La session suivante, il a été de nouveau déposé en tant que projet de loi C-8 et a été proclamé en mai 1997.
À première vue, la LRDS donne limpression dêtre axée surtout sur la répression des gros trafiquants de drogues dures. En réalité, cependant, la majorité des personnes touchées par la loi seront, comme avant, des gens arrêtés pour possession de petites quantités de cannabis. Plus de 600 000 personnes ont acquis un casier judiciaire pour possession de cannabis aux termes de lancienne et de la nouvelle loi. Étant donné que la LRDS crée plusieurs nouvelles infractions concernant les amphétamines, le kat et les hallucinogènes, elle aura pour résultat daugmenter encore le nombre de personnes, surtout des jeunes, qui se retrouveront avec un casier judiciaire pour simple possession (on le constate déjà dans le cas du kat, spécialement chez les Somaliens qui nont pas été informés de la criminalisation dactivités liées à une substance qui était autrefois une substance légale ; il y a aujourdhui un début de trafic du kat à Toronto et dans plusieurs autre villes).
Certaines personnes ont par ailleurs signalé que le classement des drogues dans les diverses annexes nétait pas toujours très rationnel dans le projet de loi. Il ny a pas de rapport logique entre le degré de tort causé par les drogues et la peine imposée. Par exemple, pour quelle raison la cocaïne figure-t-elle à lannexe I et les amphétamines à lannexe II alors que les effets et les risques des deux substances sont presque identiques? Il est clair que, pour aboutir à une loi juste, le gouvernement doit veiller à ce que lon consulte des experts en pharmacologie, en police, en épidémiologie et autres domaines connexes lors de létablissement des listes des substances relevant de chaque annexe.
On mentionne dans le préambule de la Loi quun de ses objectifs est de répondre aux obligations internationales du Canada en vertu des traités sur les drogues. Or, certains ont affirmé que nos obligations internationales ne nous forcent pas à adopter la nouvelle loi ou des mesures analogues (on trouvera ci-dessous un aperçu des obligations du Canada aux termes des conventions internationales sur les drogues). Dautres encore ont dit que le Canada devrait dabord répondre à ses propres besoins intérieurs plutôt que donner la priorité aux conventions internationales sur les stupéfiants. Ironiquement, bien que la loi revendique la nécessité de se conformer aux conventions internationales, elle ne propose nulle part, comme ces traités en donnent la possibilité, des solutions de rechange à la condamnation et à la sanction. Les conventions des Nations Unies prévoient aussi lélimination des peines criminelles pour la possession de certaines drogues à usage personnel (comme on le verra ci-dessous, certains pays, notamment lAustralie, lItalie, lEspagne et lAllemagne lont fait sans pour autant compromettre leur position à légard de ces traités).
La Loi maintient des mesures spéciales dexécution qui donnent à la police de vastes pouvoirs darrestation, de fouille, de perquisition et de saisie dans les affaires de drogue. La Loi accroît inutilement les pouvoirs de lÉtat et compromet sérieusement les droits fondamentaux de la personne. Sous prétexte de respecter les conventions internationales en matière de répression du trafic des stupéfiants, elle viole les conventions internationales sur les droits de la personne et peut-être même aussi les garanties constitutionnelles du Canada. Dans son exposé au Sous-comité au sujet du projet de loi C-7, lAssociation du Barreau québécois a indiqué que la Loi serait éventuellement contestée aux termes de la Charte canadienne des droits et libertés. Or, ces pouvoirs accrus ne vont pas stopper la consommation des drogues ni même la diminuer. En fait, ces pouvoirs et les autres mesures dapplication du droit criminel ne feront que rendre la consommation de drogue encore plus dangereuse et entraînera indirectement la mort dun plus grand nombre de personnes par suite de lingestion de drogues frelatées ou de pureté inconnue. De même, la Loi ne fait absolument rien au sujet des multiples causes sous-jacentes de la consommation de drogue, comme si la simple répression pouvait à elle seule résoudre un problème aux racines aussi complexes.
Dans lensemble, on na pas bien compris le rôle de la nouvelle loi dans le contexte de la politique sur les drogues. Lors de ladoption de la loi, les membres du Sous-comité ont bien indiqué quil ne sagissait pas dun document dorientation politique mais simplement dun projet de loi dordre administratif destiné exclusivement à consolider les diverses lois existantes et à harmoniser les lois canadiennes avec les conventions internationales sur le trafic des stupéfiants ; ils réitéraient là les arguments des bureaucrates qui avaient rédigé la loi. Cependant, la majorité des témoins ont affirmé que le projet de loi représentait en soi un énoncé de politique sur les stupéfiants, et une bien mauvaise politique par-dessus le marché. « Le projet de loi C-7 perpétue et exacerbe certains des pires excès de la politique canadienne en matière de drogues et ne fera que perpétuer la violence associée au trafic de la drogue. Il ne fera rien pour aider les toxicomanes et ne fera que les transformer, par milliers, en criminels, et parfois les forcera à commettre dautres crimes et à traiter avec de vrais criminels pour satisfaire leur dépendance. Outre ces effets directs du projet de loi, il y a aussi des effets indirects très fâcheux : Étant donné que le tabac et lalcool sont explicitement exemptés de lapplication de la Loi, le projet de loi C-7 détourne lattention des méfaits des drogues licites qui sont beaucoup plus sérieux que ceux causés par les drogues illicites.
La LRDS et les programmes déchange de seringues
Les programme déchange de seringues sont souvent controversés à cause de leurs implications juridiques. Au Canada, les obstacles juridiques que posent, par exemple, les lois sur les accessoires servant à consommer de la drogue et les autres lois antidrogue sont plus théoriques que réels. Par exemple, les seringues propres ne sont pas visées par les dispositions actuelles de la Loi concernant les accessoires qui servent à la consommation de drogue. La LRDS ne devrait pas, en principe, accroître la responsabilité criminelle puisque les mesures législatives sur les accessoires utilisés pour la consommation de drogue demeurent les mêmes ; en réalité, elle complique encore plus une situation déjà confuse. Le projet de loi porte que « la mention dune substance désignée vaut mention... de toute chose contenant, y compris superficiellement, une telle substance et servant ou destinée à servir ou conçue pour servir à la produire ou à lintroduire dans le corps humain » (alinéa 2(2)b). Cela veut dire que les seringues contenant des substances désignées par la loi deviennent elles-mêmes désignées. Certes, il faudrait quune seringue contienne une quantité détectable de la substance désignée pour incriminer un usager, mais la Loi crée néanmoins des inquiétudes quant au transport des seringues usagées pour les échanger. Il y a fort à parier que, une fois informés des nouvelles dispositions législatives, les drogués hésiteront à échanger leurs seringues de crainte de se faire arrêter en possession de seringues contaminées. Ils auront plutôt tendance à jeter leurs seringues, ce qui ne fera quaviver les inquiétudes des groupes de quartier au sujet des drogués et de la présence de programmes déchange de seringues. Une fois de plus, ce seront les mécanismes susceptibles de réduire les méfaits causés par les lois antidrogue qui seront miss en accusation, au lieu des lois elles-mêmes, comme il se devrait.
5. Les conventions internationales et la législation canadienne sur les stupéfiants
Il faudra déterminer, et cest important, si les lois australiennes sur les drogues, qui subissent depuis longtemps une domination et une influence externes et qui ne sont guère adaptées au contexte australien, devraient encore être dictées de lextérieur.
Les conventions internationales relatives aux drogues illicites sappliquent au cannabis, à la cocaïne, à lhéroïne et à de nombreuses autres substances psychotropes. Certaines dentre elles sappliquent également aux précurseurs, cest-à-dire aux substances utilisées dans la fabrication des produits psychotropes. Trois conventions internationales sur les drogues sont utiles aux fins des discussions suivantes : la Convention unique sur les stupéfiants de 1961 (Convention unique de 1961), la Convention de 1971 sur les substances psychotropes et la Convention des Nations Unies contre le trafic illicite de stupéfiants et de substances psychotropes de 1988 (Convention de Vienne). Comme leur titre lindique, ces conventions traitent de questions qui concernent expressément les stupéfiants et les substances psychotropes ainsi que le trafic sy rapportant.
La mise en oeuvre des traités au Canada
Au Canada, le législateur (cest-à-dire le Parlement et les assemblées législatives provinciales) a seul compétence pour établir des normes. Il le fait en adoptant des lois. Il peut également, au moyen dune disposition législative, déléguer le pouvoir détablir les normes à une autorité de réglementation. Les seules limites à ce pouvoir lui sont imposées par la Constitution. Le respect du partage des compétences législatives entre le fédéral et les provinces et le respect de la Charte canadienne des droits et libertés sont des exemples de limitation du pouvoir du législateur. Par contre, des éléments extérieurs à la Constitution peuvent également orienter lexercice du pouvoir législatif. La mise en oeuvre dun traité international en est un exemple. En devenant partie aux trois traités sur les drogues illicites et leur trafic, lÉtat canadien prenait lengagement dadapter sa législation en matière de drogues pour quelle soit conforme aux dispositions des traités. Lensemble des démarches quun État doit entreprendre au niveau interne pour se conformer aux dispositions dun traité international constitue la « mise en oeuvre » du traité. La plus évidente des démarches de mise en oeuvre est ladoption ou la modification de dispositions législatives.
La Convention unique vise essentiellement à limiter la production et le commerce des substances interdites à la quantité requise pour satisfaire aux besoins médicaux et scientifiques dun pays. La Convention stipule que les pays prennent les mesures législatives et réglementaires nécessaires pour létablissement des interdictions et des contrôles requis sur leurs propres territoires. Les questions relatives au commerce ou encore à la production et à la possession des substances doivent être régies par des mesures législatives ou réglementaires ; comme nous le verrons, les autorités nont pas toujours la même conception du terme « détention » (possession) employé dans cette Convention.
Selon Dupras, les mesures prévues par la Convention unique sont les mesures minimales que les États sont tenus dadopter ; rien ne les empêche dadopter des mesures de contrôle plus strictes ou plus rigoureuses. Cependant, les pays qui, comme le Canada, ont adopté des mesures plus rigoureuses dans leurs politiques antidrogue ne sont pas liés par ces mesures, au contraire. Les trois Conventions reconnaissent les particularités des systèmes juridiques et judiciaires nationaux et précisent que les mesures que les États adopteront devront respecter ces particularités. Les termes utilisés sont différents dune convention à lautre, mais lintention semble être la même. Ainsi, larticle 36 de la Convention unique de 1961 emploie les mots : « sous réserve de ses dispositions constitutionnelles... ». Pour sa part, larticle 21 de la Convention sur les substances psychotropes mentionne : « compte dûment tenu de leurs régimes constitutionnel, juridique et administratif... », alors que larticle 3 de la Convention contre le trafic illicite de stupéfiants précise : « sous réserve de ses principes constitutionnels et des concepts fondamentaux de son système juridique ». Au Canada, ces particularités peuvent être identifiées comme lensemble des éléments de droit constitutionnel auxquels sont soumis tous les paliers de gouvernement de la fédération canadienne (le gouvernement fédéral et les provinces) ainsi que chaque organe qui les compose (législatif, exécutif et judiciaire).
Selon Dupras, une mise en oeuvre qui ne respecterait pas ces principes et ces concepts serait nulle ou non avenue au niveau national et à défaut de mise en oeuvre, il ne pourrait y avoir de ratification. Depuis ladoption de la Charte canadienne des droits et libertés en 1982 et sa constitutionnalisation, il ne fait aucun doute que ses dispositions font partie des « concepts fondamentaux du système juridique » du Canada. Le Parlement et les assemblées législatives ne peuvent ignorer la Charte, comme nous le rappellent les nombreux jugements rendus par la Cour suprême. Cela signifie que les droits des Canadiens doivent être protégés et quil faut leur assurer :
- une protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives.
- une protection contre tous traitements ou peines cruels ou inusités.
Le cannabis
Pour des raisons historiques, les Conventions traitent le cannabis, à tort, comme un stupéfiant. Cependant, étant donné que de nombreux pays lont traité fort différemment dautres drogues « plus dures », nous considérerons quil entre dans une catégorie à part, aux fins du présent document. Le cannabis désigne la marijuana et le haschisch, lhuile ou la résine provenant de cette plante ; dans ce document, les mots marijuana et cannabis sont utilisés de façon interchangeable. Un plant de marijuana contient plus de 460 composés connus dont plus de 60 sont des dérivés du cannabis. Le seul de ces composés qui est à la fois très psychotrope et présent en grande quantité est le delta-9-THC (teinture de haschish et de cannabis). La découverte, au cours des dernières années, de récepteurs du cerveau qui sont stimulés par le THC nous porte à croire que le corps sécrète sa propre version de cette substance, un neurotransmetteur entrant dans la régulation de la douleur et des nausées. Cette découverte a aussi donné lieu à la réalisation de recherches sur les propriétés médicinales de la teinture de haschish et de cannabis (THC).
Devant laugmentation de la consommation de marijuana dans les années 1960 et 1970, les gouvernements des États-Unis, du Canada, de Grande-Bretagne, dAustralie et des Pays-Bas ont nommé des commissions quils ont chargées dévaluer les méfaits de cette drogue. En 1969, le rapport Wootten, de Grande-Bretagne, abondait dans le sens de la Commission sur le chanvre indien de 1894 et de la Commission LaGuardia de 1944 et concluait que « la consommation à long terme de cannabis, en quantité modérée, navait pas deffet snocifs ». En 1972, une commission néerlandaise déclarait que « les effets physiologiques de la consommation de cannabis sont relativement peu nocifs ». Au cours de cette même année, la US National Commission on Marihuana and Drug Abuse affirmait que la consommation de marijuana ne représente pas un problème suffisamment grave pour que les personnes qui en fument ou qui en possèdent pour en fumer soient poursuivies en justice. Cependant, les conclusions de ces commissions ont toujours été éclipsées par les hauts cris poussés à propos des dangers de la marijuana ou la suppression dinformation sur les avantages et les méfaits réels de cette drogue. Fait révélateur, un document de travail exhaustif portant sur les politiques de contrôle du cannabis qui avait été produit pour Santé et Bien-être social Canada en 1978 navait pas été publié jusquà ce quune demande daccès à linformation soit présentée, en novembre 1998.
Au cours des trente dernières années, des chercheurs subventionnés par le gouvernement fédéral américain ont examiné limpact de la marijuana sur les consommateurs et la société. Cela a permis de faire ressortir, et de réfuter, un certain nombre de mythes au sujet de la marijuana. En voici certains:
1. Les méfaits de la marijuana ont été prouvés scientifiquement : En fait, la US National Commission on Marihuana and Drug Abuse a conclu, en 1972, que même si la marijuana nétait pas entièrement sûre, ses dangers avaient été largement exagérés. Depuis, des chercheurs ont fait des milliers détudes sur les humains, les animaux et les cultures cellulaires. Aucune na produit de résultats très différents de ceux obtenus par la Commission américaine en 1972. En 1995, sappuyant sur trente années de recherche scientifique, les rédacteurs du journal médical britannique le Lancet ont conclu que « la consommation de cannabis, même à long terme, nest pas néfaste pour la santé ».
2. La marijuana na pas de propriété médicinale : Il a été établi que la marijuana est efficace pour réduire les nausées causées par la chimiothérapie anticancéreuse, pour stimuler lappétit chez les personnes atteintes du sida et pour réduire la pression intra-oculaire chez les personnes souffrant de glaucome. Il a aussi été largement prouvé que la marijuana réduit la spasticité des muscles chez les patients souffrant de troubles neurologiques, quelle est un puissant analgésique et quelle est efficace comme antiépileptique chez les patients qui ne répondent pas à dautres médicaments. Il est possible de se procurer, sur ordonnance, une capsule de THC synthétique mais, pour de nombreux patients, celle-ci na pas autant deffet que de fumer de la marijuana. La THC pure semble également produire plus deffets secondaires psychotropes désagréables que la marijuana inhalée. De nombreuses personnes prennent de la marijuana comme médicament et, dans la plupart des pays, dont le Canada, cela signifie des risques darrestation (voir ci-dessous le contexte juridique au Canada).
3 La marijuana crée une forte dépendance : En fait, la plupart des personnes qui prennent de la marijuana ne le font quoccasionnellement ; une petite minorité (moins de 1 p. 100) en fume quotidiennement ou presque. Une minorité encore plus petite développe une dépendance psychologique à la marijuana. Certaines personnes qui prennent de la marijuana souvent et en grande quantité nont aucun problème à cesser den prendre,dautres ont besoin daide. La marijuana ne cause pas de dépendance physique et les symptômes qui se manifestent chez la personne qui cesse den prendre sont très légers, voire inexistants.
4. La marijuana est une drogue dintroduction : En fait, la marijuana namène pas les gens à consommer des drogues dures. Ce mythe semble tenir au rapport statistique qui est établi entre les drogues courantes et celles qui ne le sont pas, rapport qui change au fil du temps selon que la prévalence des diverses drogues augmente et diminue. De nos jours, la marijuana est la drogue la plus populaire dans la plupart des pays occidentaux. Par conséquent, il est fort possible que les personnes qui ont consommé des drogues moins populaires comme lhéroïne ou la cocaïne laient déjà essayée. Cependant, la plupart des personnes qui ont pris de la marijuana nont jamais essayé dautres drogues illégales. On peut donc affirmer que la marijuana ne mène pas à dautres drogues.
5. La politique de contrôle de la marijuana aux Pays-Bas est un échec : Depuis plus de 20 ans, les Néerlandais de plus de 18 ans sont autorisés à acheter et à consommer du cannabis dans des cafés sous contrôle gouvernemental. Cette politique na pas entraîné une augmentation de la consommation de cannabis. Les taux de consommation y sont beaucoup plus bas quaux États-Unis. Les Néerlandais sont largement en faveur de cette politique de normalisation. Un sondage récemment effectué par le Centre de recherche sur les drogues de lUniversité dAmsterdam a révélé que seulement deux à trois pour cent des Néerlandais de plus de 12 ans avaient pris de la marijuana au cours dune période dun mois. Aux États-Unis, où il est illégal de cultiver, dacheter ou de consommer de la marijuana, une étude effectuée par le gouvernement en 1996 a révélé quenviron 5 p. 100 de la population prenait de la marijuana au moins une fois par mois (les taux de consommation au cours de la dernière année sont de 34 p. 100 aux États-Unis comparativement à 29 p. 100 aux Pays-Bas). Le nombre de consommateurs dhéroïne, le taux de meurtres, le nombre de décès liés à des crimes et le taux dincarcération sont tous beaucoup plus élevés aux États-Unis quaux Pays-Bas.
6. La marijuana détruit les cellules du cerveau : En fait, aucun des tests effectués pour déceler des lésions au cerveau chez les humains na permis de constater des méfaits attribuables à la marijuana, même consommée en grande quantité à long terme.
7. La marijuana cause le syndrome amotivationnel : En fait, les chercheurs nont pas réussi à prouver que la marijuana causait ce syndrome. Les personnes qui sont constamment sous leffet dune substance, quelle quelle soit, risquent fort de ne pas être des membres productifs de la société, mais rien ne prouve que la marijuana en particulier soit à lorigine dune perte de motivation. Lors détudes faites en laboratoire, des sujets auxquels lon avait administré de fortes doses de marijuana pendant plusieurs jours ou plusieurs semaines nont montré aucun signe de diminution de la motivation au travail. Sur le marché du travail, il semblerait que les personnes qui prennent de la marijuana gagnent des salaires plus élevés que celles qui nen prennent pas, tandis que les étudiants qui prennent de la marijuana obtiennent les mêmes notes que ceux qui nen prennent pas.
8. La marijuana cause des pertes de mémoire et une perturbation des fonctions cognitives : La marijuana altère immédiatement et temporairement la pensée, les perceptions et lassimilation dinformation. Rien ne prouve formellement que la consommation de fortes doses de marijuana, à long terme, soit à lorigine de pertes permanentes de mémoire ou dune perturbation permanente dautres fonctions cognitives.
9. La marijuana cause la maladie mentale : En fait, il nexiste pas de preuve scientifique formelle montrant que la marijuana cause des dommages psychologiques ou une maladie mentale chez les adolescents ou les adultes. La marijuana peut provoquer des sentiments de panique et de paranoïa, mais ces effets sont temporaires.
10. La marijuana incite à commettre des actes criminels : En fait, rien ne prouve que la marijuana soit à lorigine de tels actes ; il semblerait plutôt que la marijuana naugmente pas les agressions, mais les diminue.
11. La marijuana est néfaste pour le foetus : Des études faites auprès de nouveau-nés, de nourrissons et denfants ont montré quil ny a pas de déficits de croissance ni de déficits physiques ou cognitifs associés à lexposition à la marijuana avant la naissance.
12. La marijuana affaiblit le système immunitaire : En fait, rien ne prouve que les personnes qui prennent de la marijuana contractent des infections plus facilement que celles qui nen prennent pas. La découverte dun lien entre le tabagisme et les maladies pulmonaires chez les personnes atteintes du sida justifie une recherche plus poussée sur les méfaits possibles de la consommation de marijuana chez les personnes immunodéprimées.
13. La marijuana est plus néfaste pour les poumons que le tabac : Une consommation modérée de marijuana semble poser des risques minimes pour les poumons. Il semble que les personnes qui prennent de la marijuana fument moins souvent que les adeptes de la cigarette ; par conséquent, le risque de dommages sérieux aux poumons est moindre. Aucun cas de cancer du poumon lié exclusivement à la marijuana na été signalé ; cependant, on ne saurait écarter la possibilité dun cancer chez les personnes qui en consomment en grande quantité. Contrairement aux gros fumeurs de cigarettes, les gros fumeurs de marijuana nont pas les alvéoles pulmonaires obstruées et ne souffrent donc pas demphysème.
14. La marijuana est une importante cause daccidents de la circulation : En fait, rien ne prouve que la marijuana soit souvent en cause dans les accidents de la circulation et les décès qui sensuivent. Dans le cadre détudes sur la conduite, il a été établi que la marijuana ne nuisait guère, sinon aucunement, à la conduite automobile. Contrairement à lalcool, qui rend la conduite plus dangereuse, la marijuana rendrait plutôt les conducteurs plus prudents. Lorsquon découvre du THC dans le sang des conducteurs ayant subi des blessures mortelles, on décèle presque toujours également la présence dalcool. Un contrôle dhaleine pour le THC a récemment été mis au point.
15. La marijuana est plus puissante aujourdhui quautrefois : Des données sur la puissance de la marijuana, qui ont été conservées du début des années 1980 à nos jours, montrent que sa teneur moyenne en THC na pas augmenté. Même si la puissance de la marijuana devait augmenter, cela ne la rendrait pas nécessairement plus dangereuse étant donné que les personnes en prendraient moins pour obtenir le même effet psychotrope.
En novembre 1998, la revue médicale britannique Lancet a déclaré dans un éditorial que lusage modéré de cannabis avait peu deffet sur la santé et que la décision dinterdire ou de légaliser le cannabis devrait se fonder sur dautres considérations.
Le cannabis et les traités internationaux
Deux traités internationaux sont utiles à la discussion de la politique sur le cannabis : la Convention unique sur les stupéfiants de 1961 telle que modifiée en 1972, et la Convention des Nations Unies contre le trafic illicite de stupéfiants et de substances psychotropes de 1988 (Convention de Vienne). Comme son nom complet lindique, la Convention de Vienne porte avant tout sur le trafic international, tandis que la Convention unique traite des orientations politiques internes des pays signataires. La Convention unique, à laquelle adhèrent le Canada et de nombreux autres pays, est considérée par la plupart des analystes comme le principal obstacle à la modification de la politique nationale sur le cannabis.
Larticle 36 de la Convention unique exige que les pays signataires considèrent comme une infraction punissable le fait de posséder et de consommer du cannabis, « de la résine de cannabis (haschisch) », et des « extraits et teintures de cannabis » (entre autres drogues). Lusage et le commerce des drogues visées par la Convention unique doivent être limités « aux fins scientifiques et médicales ». Les analystes du traité ont tendance à appuyer linterprétation récente qui en a été faite par la Nouvelle-Zélande selon laquelle « même si cette clause précise semble claire et nette, le traité, dans son ensemble, laisse place à des interprétations variées ». Dans un rapport paru en 1979, le ministère de la Justice du Canada déclarait que « le caractère vague délibérément conféré à certaines dispositions critiques du traité et la discrétion laissée à chaque Partie rend possible ladoption de régimes de contrôle du cannabis passablement variés ». Comme un représentant de la Division des stupéfiants des Nations Unies lécrivait récemment, « les traités sont beaucoup plus subtils et beaucoup plus souples que linterprétation quon en fait parfois ».
Comme on peut sy attendre dun document ayant autant dinfluence, la Convention unique est interprétée de diverses manières. Voici ce quécrit Dupras à ce sujet :
« Pour justifier la légalisation autorisant la possession de cannabis, des auteurs ont défendu linterprétation que, suivant lintention des Parties, linterdiction de détention prévue à la Convention unique de 1961 se limitait à la détention en vue du trafic. Selon ces auteurs, la possession simple de cannabis pour consommation personnelle nétait nullement visée. [...] Pour justifier la possession de cannabis en vertu des Conventions, les auteurs qui défendent cette interprétation allèguent que larticle 36 de la Convention unique de 1961, qui crée linfraction pénale de la détention "possession" de cannabis, ne vise que la détention en vue du trafic. Tous les motifs dinfraction auxquels cet article 36 fait référence sont directement liés au trafic illicite des stupéfiants. Il y est également question de culture, de production, de fabrication, dextraction, de préparation, doffre, de mise en vente, de distribution, dachat, de vente, de livraison, de courtage, denvoi, dexpédition, de transport, dimportation et dexportation de stupéfiants non conformes aux dispositions de la Convention ».
Dautres auteurs adoptent la position que la détention de cannabis, comme de tout autre stupéfiant ou substances psychotropes, doit être criminalisée par les Parties aux Conventions. En 1972, la Commission Le Dain a pris la position que le terme « détention » de larticle 36 de la Convention unique de 1961 devait inclure la détention pour consommation. Elle a fait également référence à larticle 33 et sest exprimée ainsi :
« On prête ordinairement au mot « détention » utilisé à larticle 36 le sens implicite de détention en vue de lemploi et de la détention en vue du trafic. Cette définition est implicite dans larticle 4 qui oblige les Parties à limiter « aux fins médicales et scientifiques la production, la fabrication, lexportation, limportation, la distribution, le commerce, lemploi et la détention des stupéfiants ». Larticle 33 stipule en outre que « les Parties ne permettront pas la détention de stupéfiants sans autorisation légale ». [...] Si lon sen tenait à larticle 36, on pourrait vraisemblablement soutenir quil sagit de détention en vue du trafic et non de la consommation, et que les prescriptions de cet article sont respectées si cette détention est traitée comme délit relevant du code criminal. De lavis général, cependant, le sens du mot « détention » à larticle 36 sétend à la détention en vue de consommation ».
Dupras continue : « Les ministres néerlandais de la Santé, du Bien-être et des Sports adoptent également la même position : « une décision unilatérale néerlandaise de légaliser le marché du cannabis et des produits du cannabis [...] serait incompatible avec larticle 2, paragraphes 1 et 5, et les articles 4, 36 et 49 ». En Nouvelle-Zélande, le Drug Policy Forum, qui défend une plus grande libéralisation dans lusage du cannabis, reconnaît que la Convention unique de 1961 et la Convention sur le trafic illicite requièrent ladoption de dispositions législatives interdisant la détention de cannabis pour consommation personnelle. Pour les auteurs néo-zélandais, larticle 33 de la Convention unique de 1961 est clair et ne semble pas laisser place à interprétation.
Il ne faut pas oublier que le paragraphe 3(2) de la Convention sur le trafic illicite reprend lobligation des parties de conférer le caractère dinfraction criminelle à la détention, à lachat et à la culture de stupéfiants destinés à la consommation personnelle en violation de la Convention unique de 1961. Ce rappel, qui figure dans une convention conclue plus de vingt ans après la Convention unique de 1961, ne semble laisser aucun doute sur lintention des Parties.
Larticle 33 de la Convention unique de 1961 semble explicite. La Convention interdit la possession (la détention) de stupéfiants. Il reste à déterminer si une telle interprétation de la convention est justifiée ».
Comme le souligne Dupras, les analystes se demandent si les dispositions de la Convention unique relatives à la possession de cannabis visent la consommation personnelle de petites quantités ou le trafic sur une grande échelle. Lun des principaux auteurs de la Convention de 1961, Adolf Lande, a écrit que « le mot « détention » (possession) employé dans les dispositions pénales de la Convention unique désigne uniquement la possession en vue du trafic illicite. Par conséquent, la détention non autorisée et lachat de stupéfiants, dont le cannabis, à fin de consommation personnelle ne peuvent pas être traités comme des infractions punissables ou des infractions graves ». Selon les Commentaires officiels du Secrétaire général des Nations Unies relativement à la Convention unique sur les stupéfiants de 1961, les réponses à la question de savoir si la consommation de drogues à des fins personnelles doit faire lobjet de sanctions pénales varient selon les pays. Daprès ces commentaires, les pays qui interprètent larticle 36 comme exigeant lapplication de mesures juridiques en cas de consommation personnelle préféreront sûrement ne pas emprisonner les personnes trouvées en possession de drogue mais imposer plutôt des peines mineures comme des amendes ou même la censure étant donné que la possession dune petite quantité de drogues pour consommation personnelle pourrait être considérée comme nétant pas une infraction « grave » aux termes de larticle 36 (p. 112). Noll (un conseiller juridique principal de la Division des stupéfiants des Nations Unies) souligne que « tout le système international de contrôle des drogues prévoit lapplication de dispositions pénales pour le trafic illicite de drogues ; il en est de même pour le protocole de 1972 ».
Les diverses commissions gouvernementales sur le contrôle du cannabis interprètent différemment la Convention unique en ce qui a trait à linterdiction du cannabis pour consommation personnelle. La Commission Le Dain a conclu quelle exige linterdiction, tout comme la Commission royale Williams (1980) dAustralie. Cependant, la Commission Sackville (1979) dAustralie Méridionale a conclu que « la Convention nexige pas que ses signataires considèrent comme des infractions punissables la consommation ou la détention pour consommation personnelle. [...] Cela, parce que le mot « consommation » nest pas expressément visé par larticle 36 et quil est possible dinterpréter le mot « détention » employé dans cet article et ailleurs comme se limitant à la détention en vue den faire le trafic ». En 1972, la US National Commission on Marihuana and Drug Abuse a soutenu que le mot « détention », à larticle 36, renvoyait non pas à la possession pour consommation personnelle mais à la possession en vue dun trafic illicite et quil faudrait, pour respecter les obligations découlant des traités, adopter des mesures comme des programmes déducation et dautres approches semblables destinées à décourager la consommation.
Le rapport présenté en 1994 par lAustralian Institute of Criminology a conclu que les traités internationaux excluent seulement la libre disponibilité, ce qui permet à la fois une interdiction partielle et une approche réglementée. En 1996, le Victorian Premiers Drug Advisory Council a déclaré que les traités permettaient linterdiction partielle, mais quil faudrait examiner davantage la question.
Le paragraphe 28(3) de la Convention unique stipule que « les Parties adopteront les mesures qui peuvent être nécessaires pour empêcher labus des feuilles de la plante de cannabis ou le trafic illicite de celles-ci ». Cet article et larticle 22 ont été rédigés afin que, si un pays décide quun système autre que linterdiction convient mieux pour protéger la santé et le bien-être public et pour décourager le trafic illicite, ce pays ne soit pas tenu, en vertu de la Convention unique, dappliquer une politique dinterdiction. Les auteurs du rapport de la Nouvelle-Zélande ont déclaré que leur interprétation de cette documentation complexe et des traités comme tels les avait amenés à conclure quune politique dinterdiction partielle serait sûrement jugée par la plupart des autorités comme conforme aux traités internationaux ; il semblerait, daprès des interprétations de la Convention unique qui font autorité, que celle-ci permette un système de réglementation et de contrôle. Ils ont indiqué que si la Nouvelle-Zélande devait faire savoir aux Nations Unies que si, par suite dune étude approfondie, elle jugeait nécessaire dinstaurer un système réglementé de contrôle du cannabis pour réduire à la fois les méfaits publics et le trafic illicite, il est peu probable que cette annonce soit mal accueillie (sauf, peut-être, par les États-Unis). Il ne semble pas opportun quun traité international oblige des pays à encourager des marchés clandestins à lintérieur de leurs frontières, spécialement si cela nuit aux populations locales.
De toute évidence, il y aura toujours diverses interprétations des traités. Comme Dupras la écrit, il se pourrait fort que : « La seule façon de trancher définitivement le débat de savoir si la possession de cannabis (ou dun autre stupéfiant) doit être criminalisée en vertu de lune des trois Conventions serait dobtenir une décision de la Cour internationale de justice sur la question. Les articles 48 de la Convention unique de 1961, 31 de la Convention sur les substances psychotropes et 32 de la Convention sur le trafic illicite établissent que tout litige portant sur linterprétation de ces conventions devrait être tranché par entente entre les Parties et à défaut, par la Cour internationale de justice.
Même si la Convention unique de 1961 exige la criminalisation de la possession de cannabis, elle laisse tout de même beaucoup de latitude aux Parties quant à limposition de sanctions ou de peines. Limposition de sanctions doit avoir un effet dissuasif sur le contrevenant ou tout autre individu qui serait tenté de commettre le même délit. La sanction doit être établie en fonction de la gravité de linfraction. Dans des cas moins graves, la sanction peut même être remplacée par des mesures de traitement, déducation, de réadaptation ou de réintégration sociale. Les Conventions reconnaissent, implicitement et explicitement, que limposition de sanctions relève du droit interne des Parties. Chacune delle peut choisir lapproche qui lui semble la plus appropriée pour faire face aux diverses situations qui peuvent se présenter.
Ladministration de la justice sur le territoire dune Partie est de son ressort exclusif. Elle na de compte à rendre à personne. Aucun organisme international na droit de regard sur la façon dont les Parties appliquent les dispositions législatives quelles ont adoptées conformément aux Conventions. Elles nont pas à justifier leurs décisions. À la rigueur, elles pourraient faire lobjet de critiques si leurs comportements portaient atteinte à dautres Parties ou nuisaient à la coopération dont elles doivent faire preuve entre elles. La tolérance dont font preuve les Pays-Bas et la Belgique peut faire lobjet de critiques, mais aucun autre État ou organisme international ne peut intervenir. Les autorités de ces deux pays semblent avoir choisi, pour des raisons qui leur sont propres, de ne pas appliquer leurs législations interdisant la possession et la consommation de cannabis ». [cest nous qui mettons lemphase]
Le contexte juridique actuel au Canada
Au moins deux jugements en Ontario et en Colombie-Britannique (R. c. Clay et R. c. Caine) ont conclu que le cannabis semble être une drogue bien moins dangereuse pour ses consommateurs que lalcool ou le tabac. Les décès attribuables à la consommation dalcool et au tabagisme sont dix fois plus élevés que ceux attribuables à la consommation de cannabis, même en tenant compte des taux relatifs de consommation. Les données les plus récentes de Juristat, qui datent de juillet 1998, indiquent quen 1997, il y a eu 65 000 accusations relatives aux drogues au Canada et que 70 p. 100 de ces accusations étaient liées à la consommation de cannabis. Plus de 60 p. 100 de toutes les accusations liées aux stupéfiants mettent en cause la possession plutôt que la distribution. La lutte contre la drogue, au Canada, demeure donc principalement une lutte contre le cannabis. « Il nest pas surprenant que lon hésite à abandonner cette lutte, aussi hypocrite et futile puisse-t-elle paraître. Les deux parties dans cette lutte la police et les distributeurs de marijuana nont rien à gagner et tout à perdre si le cannabis devient légitime en tant que drogue à usage récréatif ».
Le plus important changement juridique par rapport aux lois sur le cannabis a été ladoption de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances. Pour la première fois, une distinction a été établie entre la marijuana et les autres drogues illégales. Le cannabis, qui nest plus considéré comme un « stupéfiant », figure maintenant parmi les drogues de lannexe II (la cocaïne et lhéroïne sont inscrites à lannexe I). Les peines prévues pour la possession, la distribution et la production de marijuana diffèrent légèrement de celles prévues pour la cocaïne et lhéroïne. Si la quantité de cannabis possédée est inférieure à 30 grammes et que la quantité distribuée est inférieure à trois kilogrammes, les peines demprisonnement maximales sont réduites respectivement à six mois et à cinq ans (dans le cas de lhéroïne et de la cocaïne, la peine maximale pour possession est toujours de sept ans et la peine maximale pour distribution reste lemprisonnement à perpétuité). Malgré ces changements à la législation, on continue de recourir à des peines qui ne correspondent aucunement aux peines normalement imposées par les tribunaux. Bien que la politique sur le cannabis nait pas été grandement modifiée par voie législative, elle a évolué sous linfluence de la police et des tribunaux. En 1975, les amendes et labsolution étaient devenus, pour les tribunaux canadiens les mesures auxquelles ils recouraient le plus dans les cas de possession de marijuana. Les données sur le taux dincarcération pour possession de cannabis ne sont plus disponibles ; les amendes et labsolution demeurent les mesures les plus utilisées par les tribunaux et continuent toutes deux dentraîner louverture dun casier judiciaire. À lheure actuelle, plus de 600 000 Canadiens ont un casier judiciaire pour avoir été condamnés pour possession de marijuana. Parmi les désavantages dun casier judiciaire, mentionnons : un état dinfériorité lors déventuelles poursuites ultérieures, une limitation de leurs déplacements et la non admissibilité à certains emplois. On a tenté à plusieurs reprises de réduire les conséquences des infractions liées aux drogues en recourant à la réhabilitation et à labsolution. Les dispositions sur labsolution, dans le Code criminel, et celles sur la réhabilitation, dans la Loi sur le casier judiciaire, ne font guère de différence. Un contrevenant qui a été absous na pas été condamné, mais il devrait tout de même admettre quil a commis un acte criminel sil était questionné à ce sujet (comme cela se produit aux postes frontières).
Faits nouveaux
En 1997, Christopher Clay, un jeune propriétaire dune boutique de chanvre en Ontario, a mis à lépreuve la loi canadienne relative à la possession, à la culture et à la vente de plants de marijuana. Clay a été reconnu coupable de possession et il a été placé en probation pendant trois ans. Ce quil faut retenir ici, cest que la décision du juge McCart a montré que celui-ci était daccord avec presque tous les arguments avancés par les avocats de la défense et les témoins. Dans sa décision, il a souligné labsence de méfaits associés à la marijuana par opposition aux méfaits bien établis des mesures politiques concernant la marijuana. Il a néanmoins conclu que la modification des politiques sur les drogues était la responsabilité des politiciens et non des tribunaux. Léquipe de la défense en a appelé de la décision concernant la possession. Lappel na pas encore été entendu.
Des progrès importants ont également été faits concernant lutilisation de la marijuana à des fins médicales. Aujourdhui, au Canada, il nest pas permis de prescrire la marijuana à des fins thérapeutiques. Les deux seuls produits manufacturés, dans lesquels entrent les principes actifs du cannabis, actuellement reconnus au Canada, sont le nabilone (Cesamet) et le dronabinol (Marinol). Ils sont utilisés à des fins médicales bien précises, soit pour le traitement des vomissements et des nausées graves découlant de la chimiothérapie. Ils ne sont pas approuvés pour le traitement des autres problèmes de santé. En 1997, Terry Parker, de Toronto, a été traduit en justice pour possession, culture et trafic de marijuana. Parker prenait de la marijuana depuis son adolescence pour traiter son épilepsie. Parce quil avait admis avoir donné de la marijuana à des fins non médicinales, le juge Sheppard la reconnu coupable de trafic et la placé en probation pendant un an. Sheppard a acquitté Parker des deux autres chefs daccusation, soutenant que lancienne loi canadienne sur les drogues (la Loi sur les stupéfiants) et la nouvelle loi en la matière (la Loi réglementant certaines drogues et autres substances) étaient trop générales et inconstitutionnelles et quelles violaient la Charte canadienne sur les droits et libertés. Dans sa décision, le juge Sheppard sest largement inspiré de laffaire Chris Clay, déclarant que la marijuana ne cause pas de méfait physique ou psychologique à la grande majorité de ses utilisateurs. Sheppard a déclaré que le fait de refuser à Parker le droit de prendre de la marijuana équivalait à enfreindre le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité qui lui était garanti par la Charte. Il a ordonné que les trois plants de marijuana qui avaient été saisis lors de la deuxième descente lui soient rendus car il sagissait de médicaments dont il avait besoin et que Parker, qui vit de prestations dinvalidité, ne pouvait pas se permettre dacheter la marijuana dans la rue et quil ne devrait pas avoir à le faire. La Couronne a porté cette décision en appel. Entre-temps, Parker peut librement cultiver et posséder de la marijuana, mais dautres utilisateurs de marijuana à des fins médicales devront se défendre devant les tribunaux jusquà ce quun jugement soit rendu par un tribunal supérieur ou que le Parlement fédéral modifie la loi.
En décembre 1997, un groupe de médecins et davocats ont demandé à Santé Canada lautorisation de permettre à un patient dOttawa atteint du sida, Jean-Charles Pariseau, dutiliser légalement la marijuana comme médicament. Cette demande a été présentée dans le cadre du programme daccès spécial de Santé Canada, programme qui permet aux médecins de demander lapprobation immédiate de médicaments qui ne sont pas autorisés en vertu de la Loi sur les aliments et drogues si le patient est dans une situation durgence. De telles demandes ne sont pas rares et sont généralement approuvées dans la mesure où un médecin peut attester de lutilité du médicament pour le patient. Cest en vertu de ce même programme de Santé Canada que des drogues comme la cocaïne, lhéroïne et la morphine ont été approuvées pour la première fois à des fins médicales. À ce jour, Pariseau na pas encore reçu lautorisation de Santé Canada et il a été arrêté pour avoir cultivé des plants pour sa consommation personnelle. En vertu du programme de Santé Canada, il faut indiquer, dans chaque demande dun nouveau médicament, le nom du « fabricant », et le ministère soutient quil na pas réussi à trouver, pour cette drogue, un fournisseur légal et fiable.
Jim Wakeford est un résidant de Toronto atteint du sida qui prend de la marijuana pour contrôler les nausées causées par ses médicaments et pour stimuler son appétit. Sans ce médicament, Wakeford est convaincu quil serait déjà mort, avis que partage son médecin. Avant son récent procès, Wakeford avait écrit au ministre de la Santé, Allan Rock, pour quil laide à obtenir de la marijuana pour sa consommation personnelle et pour raison médicale.
M. Rock lui a répondu que la marijuana navait pas été approuvée à cette fin, et quavant de lapprouver, il faudrait prouver quelle est sûre et efficace pour cet usage. En février 1998, Wakeford, représenté par Alan Young, entamait une procédure civile devant les tribunaux de lOntario. Dans le jugement quil a rendu en septembre, le juge LaForme a déclaré quil nexistait probablement pas de procédure pour traiter des demandes officielles dexemption. « Cependant, le Parlement a prévu un moyen précis en vertu duquel les particuliers peuvent demander des exemptions et il faut recourir à ce moyen avant de demander lintervention du tribunal ». Le juge a déclaré que, sil est établi quil nexiste pas de processus ou de procédure pour traiter ces demandes, il nhésiterait pas à accorder à M. Wakeford tout le soulagement dont il a besoin. Le juge LaForme a conclu que la criminalisation de la consommation de marijuana par Wakeford empiéterait sur les droits à la liberté et à la sécurité qui lui sont garantis en vertu de larticle 7 de la Charte canadienne des droits et libertés. « Il est très clair que nos tribunaux reconnaissent fermement que le droit à la sécurité de la personne sous-entend son droit de prendre elle-même des décisions concernant son intégrité physique ». Le juge a déclaré que « la phase terminale de la maladie dont souffrait Wakeford, ses effets pénibles et douloureux pour lui à la fois physiquement et psychologiquement et le désir que celui-ci avait manifesté de se soigner lui-même dune manière efficace qui lui procure un soulagement et respecte sa dignité sont des éléments qui entrent sûrement dans les droits garantis par larticle 7 ». Jim Wakeford en a appelé de cette décision et a également présenté une demande officielle au bureau de M. Rock en vertu de larticle 56 de la Loi sur les drogues et les stupéfiants, encourageant les autres personnes vivant une situation semblable à faire de même. Larticle 56 de la Loi stipule que : « S'il estime que des raisons médicales, scientifiques ou d'intérêt public le justifient, le ministre [de la Santé] peut, aux conditions qu'il fixe, soustraire à l'application de tout ou partie de la présente loi ou de ses règlements toute personne ou catégorie de personnes, ou toute substance désignée ou tout précurseur ou toute catégorie de ceux-ci. ».
En 1998, Stanley Czolowski, de Vancouver, accusé par la police de possession et de trafic de trois kilos de marijuana, a reconnu sa culpabilité mais a fait valoir, avec succès, que la marijuana était la seule substance lui permettant de combattre la douleur et les nausées entraînées par son état et les médicaments sur ordonnance quil prenait. Czolowski vendait la marijuana quil cultivait à son domicile au Compassion Club, un groupe de Vancouver qui distribue de la marijuana gratuitement ou à prix raisonnable à des personnes souffrant du sida, dépilepsie et de maladies allant du glaucome au cancer. La juge Jane Godfrey a déclaré quelle reconnaissait que Czolowski avait consommé cette drogue dutilisation restreinte et quil en avait fait le trafic mais que les nombreux problèmes quil endurait à cause de son état constituaient une bonne raison de ne pas interdire la marijuana aux personnes qui sen servaient à des fins médicales. Dans un jugement qui créait un précédent au Canada, elle lui a accordé labsolution. Le Compassion Club de Vancouver continue de fournir de la marijuana à des fins médicales et la police est peu intervenue, jusquà maintenant.
Bien que les organismes canadiens soient lents à appuyer lusage de la marijuana à des fins médicales, beaucoup dorganismes de santé et médicaux américains ont adopté des positions favorables dont lAmerican Medical Association, lAIDS Action Council, lAmerican Academy of Family Physicians, lAmerican Public Health Association, la Lymphoma Foundation of America, la National Association of People With Aids, le Multiple Sclerosis California Action Network, et plusieurs associations nationales dinfirmières. Tous ces groupes sont 1) en faveur de laccès immédiat à la marijuana sur ordonnance au lieu davoir à attendre les résultats dautres recherches et 2) reconnaissent que des sanctions pénales ne conviennent pas aux malades qui prennent de la marijuana à des fins médicales. Au Royaume-Uni, la British Medical Association sest déclarée en faveur de la prescription de marijuana et le collège des pharmaciens a demandé que lon procède à des essais cliniques de la marijuana sur une grande échelle. En novembre 1998, le Comité des sciences et des technologies de la Chambre des lords de Grande-Bretagne a recommandé que le cannabis soit reclassifié comme drogue de lannexe II afin quil puisse être prescrit par des médecins à des malades identifiables et faire lobjet de recherches. Ce rapport demandait que lon procède à des essais cliniques du cannabis pour le traitement de la sclérose en plaques et des douleurs chroniques et recommandait que les médecins soient autorisés à prescrire le cannabis avant que ses avantages soient dûment établis. Ces recommandations faisaient suite à une enquête de huit mois qui avait permis de conclure que, malgré labsence de preuve concluante de la valeur médicale du cannabis, les preuves anecdotiques de ses avantages suffisaient pour justifier la réalisation dessais « sans plus attendre ».
Toujours en novembre 1998, sept États américains ont organisé un référendum sur lusage de la marijuana à des fins médicales (la Californie avait déjà voté en faveur de laccès à cette drogue en 1996). Le "oui" la emporté dans six dentre eux. Les habitants de lAlaska, de lArizona, du Nevada, de lOregon et de lÉtat de Washington ont approuvé des mesures visant à assouplir les règles exagérément strictes concernant lusage du cannabis pour soulager la maladie. Les résidents de lOregon ont également rejeté dans une forte proportion une proposition visant à rétablir les sanctions pénales, que cet État avait levées, pour possession de marijuana. Dans le septième État, Washington DC, le vote na pas été dépouillé en raison de linterdiction fédérale dutiliser des fonds pour une réforme de la politique sur les drogues, mais un sondage auprès des votants a révélé que plus de 60 p. 100 dentre eux étaient en faveur de lutilisation de la marijuana à des fins médicales.
Le rôle des politiques sur la marijuana
Les politiques sur la marijuana servent principalement deux fins : Restreindre au maximum les risques pour la santé et la sécurité et réduire le plus possible les coûts sociaux et les conséquences individuelles néfastes découlant des mesures prises pour en contrôler lusage. Les coûts sociaux associés à la prohibition de la marijuana englobent les coûts dapplication de la loi, lempiétement sur les droits et libertés individuels, les répercussions négatives découlant de lexistence dun casier judiciaire et le poids des amendes et des peines demprisonnement imposées aux consommateurs. Limposition de peines criminelles pour des infractions liées à la possession de marijuana aurait pour avantage, présume-t-on, de décourager la consommation. Or, comme il est mentionné plus haut, il nexiste guère de preuve que les lois interdisant la marijuana aient un effet dissuassif marqué. Au contraire, Single a remarqué que la consommation de marijuana avait sensiblement augmenté aux États-Unis et au Canada, malgré laffectation de ressources considérables à la mise en application de mesures très coercitives.
Voici quelques-unes des principales raisons habituellement invoquées par ceux qui sopposent à la modification des lois régissant lusage de la marijuana :
- La marijuana nest pas une drogue inoffensive.
- La décriminalisation fera augmenter la consommation de drogues illicites dures parce que la consommation de marijuana pousse à expérimenter des drogues plus dures.
- Ladoption dune politique de décriminalisation enverra le message, en particulier aux jeunes, que notre société ne voit rien de répréhensible ni de vraiment dangereux dans la consommation de marijuana, doù une éventuelle augmentation de la consommation.
- Comme en témoigne lexemple de lalcool et du tabac, la légalisation aura pour effet de répandre lusage dans la collectivité et contribuera à lapparition de problèmes de grande ampleur.
- La décriminalisation facilitera le commerce de petites quantités de marijuana et réduira le nombre de poursuites judiciaires pour cette infraction. Ceci pourrait conduire à une augmentation du crime organisé.
- Les personnes ayant un problème de dépendance à la marijuana échapperont désormais à lattention des tribunaux et, par le fait même, seront privées de traitement.
- Le nombre dautomobilistes conduisant sous leffet de la marijuana augmentera.
Les arguments en faveur dune réforme de la loi sur la marijuana sont très
similaires dans tous les pays où des mesures en ce sens ont été adoptées. Voici les
principales raisons invoquées par les partisans dune refonte de la loi régissant
la marijuana en vue de décriminaliser la consommation personnelle et la culture :
Réflexions sur la réforme des politiques relatives au cannabis
La plupart des politiciens canadiens répugnent à modifier la loi relative au cannabis parce quils désirent être perçus comme des ennemis impitoyables du crime. Au Canada, ce sont les forces policières et le système judiciaire, pas les élus, qui ont permis un assouplissement de facto des peines imposées pour possession de cannabis. À linstar des tribunaux, les forces de lordre ont radicalement modifié leur mode dapplication des lois concernant la marijuana depuis les années 70. Les corps policiers traquent maintenant surtout (sans en rien sy limiter) les producteurs et les distributeurs. Malgré cet assouplissement de facto, il nest pas prouvé que la loi actuelle ait un effet dissuassif sur la consommation de cannabis, et cela en dépit de ses coûts dapplication policière et judiciaire élevés et des suites préjudiciables quelle entraîne pour les délinquants. Cette constatation donne à penser quil faudrait tempérer la sévérité de la peine imposée aux personnes accusées de possession de cannabis. Les preuves existantes montrent que si lon soustrayait lemprisonnement du nombre des peines possibles, cela conduirait à des économies considérables sans toutefois stimuler la consommation. La majorité des Canadiens (69 p. 100 ) ne sont pas favorables à limposition de peines demprisonnement pour la simple possession de cannabis. Bien quil soit souhaitable que les délinquants poursuivis pour usage de drogue soient dirigés vers des centres de traitement ou le service communautaire, cette solution ne résoudra pas les difficultés inhérentes à lapplication des lois sur le cannabis. Ainsi, la déjudiciarisation de la possession de marijuana sera de peu dutilité pour réduire le fardeau des tribunaux et naura aucun impact sur lexistence dun casier judiciaire.
Les options politiques
Amende seulement : Des mesures pourraient être prises pour que lemprisonnement ne figure plus sur la liste des peines pouvant être imposées pour simple possession ; cependant les effets liés à lexistence dun casier judiciaire demeureraient.
Infraction civile : Autre solution préconisant limposition dune amende seulement, qui est en vigueur dans certaines régions dAustralie (où elle a peu réduit les coûts de lappareil judiciaire) et en Californie (où elle a permis dimportantes économies financières). Au Canada, le choix de linfraction civile renvoie aux propositions visant à retirer du Droit criminel le délit de simple possession de cannabis et den faire une infraction civile passible dune amende, en vertu de la Loi sur les contraventions récemment adoptée par le gouvernement fédéral. Lincapacité dacquitter une amende en vertu de cette loi nest pas passible dune peine demprisonnement, pas plus que le fait de déroger à cette loi nentraîne la création dun casier judiciaire. Cette mesure retirerait la simple possession de la compétence de la justice criminelle. Cette solution pose toutefois un problème car certaines provinces nont pas encore approuvé le protocole dentente avec le gouvernement fédéral au sujet de la Loi sur les contraventions. Le remplacement des peines criminelles par des peines civiles présente aussi linconvénient de ne rien faire pour réduire lampleur et la nocivité du marché clandestin.
Déjudiciarisation : Renvoie aux mesures visant à préciser et à favoriser lutilisation de mécanismes autres que les poursuites judiciaires à lendroit des contrevenants coupables de simple possession. Le projet de loi C-41 (la loi sur les « peines alternatives ») propose un certain nombre doptions, notamment les « peines avec sursis » (en vertu desquelles lapplication de la sentence criminelle est suspendue pendant que le contrevenant se conforme aux conditions de la peine de remplacement comme, par exemple, suivre un traitement. La pertinence et lefficacité du traitement obligatoire sont sérieusement mises en doute dans le cas des auteurs dinfractions liées au cannabis et des consommateurs de drogue occasionnels. Cette solution ne réduit pas la charge de travail des tribunaux, mais, au contraire, laugmente. De plus, toutes les peines avec sursis donnent lieu à une condamnation criminelle et à un casier judiciaire.
Dévolution aux provinces : Le gouvernement fédéral pourrait légiférer pour concéder aux provinces la compétence de réglementer la possession de cannabis et leur laisser le soin dadopter les mécanismes de contrôle nécessaires. Cette mesure permettrait possiblement de trouver des solutions plus acceptables à léchelon local, mais risquerait de compromettre les principes déquité et duniformité de la loi pour lensemble du pays.
La décriminalisation de facto de la possession (interdiction maintenue mais pondérée par le principe dopportunité des poursuites): En 1976, les Pays-Bas ont commencé à permettre la consommation et lachat de marijuana et de ses dérivés dans les « cafés-boutiques ». Cette décision na pas eu de conséquences néfastes, si ce nest quelle a provoqué la colère des États-Unis et de la France (avant lavénement dun gouvernement socialiste). La Belgique a créé des « cafés-boutiques » dans plusieurs villes cette année. Lun des principaux problèmes liés à ladoption dune telle orientation est le « tourisme de la drogue ».
Légalisation/réglementation : La création dune commission de contrôle du cannabis comporterait un certain nombre davantages ; les recettes fiscales pourraient être utilisées pour financer les soins de santé et les programmes de sensibilisation ; ni la consommation ni les effets nocifs sur la santé naugmenteraient, comme le montre lexpérience des Pays-Bas et dautres pays du monde ; la légalisation naccroîtrait pas la consommation ni les conséquences négatives pour la santé ; lÉtat pourrait envoyer un message plus crédible aux jeunes. Par contre, cette solution constituerait un changement trop radical ; les États-Unis sy objecteraient en faisant valoir quil va à lencontre des conventions de lONU et feraient pression sur le Canada. Même si le public canadien approuve la décriminalisation, il est peu probable quil soit prêt à accepter la légalisation.
La principale difficulté consiste à choisir loption législative qui permet à la fois de réduire les méfaits causés par la consommation de cannabis, y compris les conséquences individuelles néfastes découlant de lapplication de la loi, et de contenir les coûts imposés au système de justice criminelle. En 1995-1997, près de la moitié de toutes les infractions liées aux drogues mettaient en cause la simple possession de cannabis (habituellement de petites quantités pour usage personnel). On estime quenviron 2 000 Canadiens sont incarcérés chaque année pour possession de cannabis (à un coût denviron 150 $ par jour). Selon lanalyse du Groupe de travail national sur la politique en matière de drogues, la meilleure option pour le Canada à lheure actuelle semble être la création dune infraction civile pour possession de cannabis en vertu de la Loi sur les contraventions.
Lopinion publique et les politiques sur la marijuana
Selon les résultats dun sondage Angus Reid réalisé en 1997. lopinion publique canadienne concernant la décriminalisation de la marijuana a changé radicalement au cours des dix dernières années. Tout en restant divisés sur lopportunité de définir la possession comme une infraction criminelle, les Canadiens approuvent de plus en plus la décriminalisation (51 p. 100 sont favorables, 45 p. 100 sy opposent et 4 p. 100 nont pas dopinion). Lorsquon les interroge au sujet de son utilisation à des fins médicales, la grande majorité dentre eux appuient la décriminalisation (71 p. 100 pour et 27 p. 100 contre).
Les expériences sur les solutions de rechange à la prohibition criminelle.
Un certain nombre dÉtats ont essayé la dépénalisation pour rationaliser le contrôle du cannabis et le rendre moins coûteux. Dans les années 70, onze états américains ont réduit les sentences pour possession de petites quantités de marijuana en éliminant les peines demprisonnement et en imposant des amendes pouvant aller jusquà 250 $. Des évaluations de suivi de ces mesures ont révélé que leur application avait sensiblement réduit les coûts du système criminel, sans provoquer de hausses notables dans la consommation de cannabis, par rapport aux états qui avaient maintenu leurs mesures de repression. Ces dernières années, un certain nombre de pays européens, dont les Pays-Bas, lAllemagne, lItalie et lEspagne, ont décidé de ne pas poursuivre les personnes arrêtées pour possession de cannabis à des fins personnelles,et ont préféré plutôt axer leurs efforts de répression sur les gros trafiquants. Rien nindique que la consommation de cannabis a augmenté de façon significative dans ces pays.
Au début des années 90, deux territoires australiens ( lAustralie Méridionale et le Territoire de la capitale de lAustralie) ont transformé la simple possession de cannabis en infraction civile grâce à linstauration dun système dexpiation (amende). Les infractions ne font pas lobjet de poursuites au criminel et ne sont pas pénalisées ; elles ne comportent aucune conséquence criminelle et lamende maximale sélève à 150 $. La consommation de cannabis dans les lieux publics demeure cependant une infraction criminelle. Des récentes études nindiquent aucune augmentation apparente des taux de consommation de cannabis dans ces deux territoires par rapport aux autres. Par contre, les mesures de répression prévues en vertu du régime damendes a un impact disproportionné sur les personnes en bas de léchelle socio-économique. À lheure actuelle, environ 45 p. 100 de ceux qui omettent de payer leur amende finissent encore par se retrouver devant les tribunaux. Le bureau du Procureur général a fait savoir que ces mesures étaient conformes aux convention internationales de 1961 et de 1988.
Dans chacun des cas de réforme des lois régissant la marijuana, la décision finale était motivée par le fait que les coûts associés au système existant semblaient trop élevés dans bien des couches de la société et quun trop grand nombre de personnes étaient pénalisées par les lois en vigueur. Dans tous les cas où il y eu décriminalisation de facto de la marijuana, on est parvenu a réduire les coûts financiers et sociaux sans provoquer dans la communauté une augmentation des risques associés à la consommation de drogue en général. Dautres avantages à long terme ont découlé du traitement différent accordé au trafic de la marijuana et à celui des drogues à risque élevé.
Les traités internationaux et les autres drogues
La loi canadienne sur les drogues ninterdit pas systématiquement la possession ou la consommation des drogues illicites. La réglementation de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances permet de prescrire à des fins thérapeutiques des substances qui autrement sont considérées comme illicites. La méthadone prescrite aux toxicomanes en est un exemple. La réglementation autorise aussi de prescrire de lhéroïne, sous réserve de restrictions strictes, à des fins thérapeutiques. Ces dernières années, devant le succès obtenu par le modèle Mersey au Royaume-Uni, un certain nombre de pays ont étudié la possibilité daccorder aux toxicomanes un accès contrôlé à lhéroïne, selon un modèle médical, comme façon de remédier aux lacunes des programmes de traitement à la méthadone (voir la partie ci-dessous traitant des solutions de rechange). À cet égard, la gravité du problème de lhéroïne en Colombie-Britannique a incité le coroner en chef à mener une étude spéciale sur les décès attribuables à une surdose de narcotiques illicites au début des années 90. Le nombre de décès attribuables à la consommation de drogues illicites dans cette province est passé de 39 en 1988 à 331 en 1993, le taux annuel demeurant à peu près stable par la suite. La consommation de drogues illicites est devenue la principale cause de décès chez les hommes et les femmes de 30 à 44 ans en 1993. Au début des années 90, la majorité des décès étaient attribuables à lhéroïne consommée seule ou en combinaison avec de lalcool ou dautres drogues (ces deux dernières années, il y eu un nombre important de décès liés à la cocaïne). Le coroner en chef affirmait que le recours au droit criminel pour lutter contre la consommation dhéroïne avait échoué et il proposait que lon envisage la possibilité de fournir de lhéroïne aux toxicomanes fortement dépendants dans un cadre paramédical. (En 1973, la Commission Le Dain a recommandé de procéder à un un programme dessai contrôlé de prescription dhéroïne pour les toxicomanes qui sont très dépendants.)
Des discussions sont actuellement en cours concernant les programmes dessai de traitement à lhéroïne dans trois grandes villes canadiennes, soit Montréal, Toronto et Vancouver. La légitimité de ces essais en vertu des traités internationaux a été établie par plusieurs pays qui ont amorcé ou ont tenté damorcer leurs propres essais. Voici ce quen dit Dupras: « Bien que cela puisse paraître surprenant, un programme de prescription dhéroïne à un héroïnomane se justifie plus facilement en vertu des trois Conventions que la simple possession de cannabis. La raison en est simple. La prescription dhéroïne est un acte médical et le programme qui lautorise est en fait un traitement visant la réadaptation. Il ne faudrait pas oublier que lencadrement médical ou scientifique serait une condition essentielle (sine qua non) à la légalité du programme en question ».
Cest en Australie quont été préparés les premiers documents dinformation sur la prescription dhéroïne, et les plus complets. En 1991, lAssemblée législative du Territoire de la capitale dAustralie (TCA) a autorisé le Comité sur le VIH, les drogues illégales et la prostitution à présenter un rapport provisoire sur les drogues illégales. Le Comité a abouti à la conclusion que la mise en oeuvre de la politique actuelle de contrôle ou de réduction de la consommation de drogues illégales risquait de navoir aucun effet. Souscrivant aux preuves internationales selon lesquelles les politiques dinterdiction sont impuissantes à diminuer le marché de loffre illégale dopiacés et à réduire le nombre de consommateurs de drogue, le Comité a examiné dautres options stratégiques. Les membres du Comité se sont rendus dans la région de Merseyside en Grande Bretagne et ont été impressionnés par le succès du programme de prescription qui y était mis en oeuvre (voir la partie traitant des solutions de rechange pour de plus amples détails). Il a été décidé de procéder à un essai pour évaluer lincidence dun changement de politique visant à permettre aux personnes déjà dépendantes de bénéficier dun accès contrôlé à lhéroïne.
Le comité a souligné les avantages potentiels de cette expérience :
- Les changements aux politiques sur les drogues doivent être faits de toute urgence et lopinion publique convient dans une large mesure que la prohibition telle quelle est actuellement appliquée nest pas efficace.
- Il ny a pas consensus sur la nature de ces changements. Laugmentation dun accès contrôlé aux opiacés, y compris à lhéroine, a plus de partisans que de détracteurs. Les bénéfices potentiels de ces changements comprennent la diminution des délits, la réduction de la corruption, lamélioration de la santé et de la qualité de vie des toxicomanes, ainsi que la prévention de la propagation du VIH.
Les avantages escomptés dun approvisionnement contrôlé ne sont pas assurés, car ils sappuient sur un tout petit nombre détudes peu concluantes.
Le Comité a également étudié les points suivants :
- Il peut y avoir fuite entre les approvisionnements du gouvernement et le marché clandestin.
- Il est aussi à craindre quun grand nombre de participants conduise à linstauration dun système de distribution dhéroine "à emporter".
- fournir de lhéroïne à des toxicomanes dans un milieu clinique surveillé ne résoud pas le problème de la relation entre lhéroïne et la criminalité dans un contexte réaliste ; bien des héroïnomanes sont dabord des criminels et ensuite des drogués.
- le coût des services sociaux va augmenter.
- Lapprovisionnement légal en héroïne ne résoud pas les problèmes du manque déducation, de faible compétence professionnelle et daptitudes sociales déficientes.
Il est évident quun des objets de létude de faisabilité était de déterminer si un tel projet pilote allait à lencontre des obligations internationales de lAustralie en vertu des Conventions de 1961 et de 1988. Selon lavis donné au comité spécial, lAustralie ne manquait pas à ses obligations en vertu des traités internationaux si elle autorisait un projet pilote daccès contrôlé à des opiacés, notamment de lhéroïne, à des fins médicales ou scientifiques.
En ce qui a trait à la Convention unique de 1961, le rapport indique: « On peut arguer quun projet visant à fournir des opiacés dune manière contrôlée serait conforme aux obligations de lAustralie en vertu de la Convention. Le paragraphe 36(1) de la Convention prévoit que « sous réserve de ses dispositions constitutionnelles » , chaque Partie adoptera les mesures nécessaires pour que les activités comme la fabrication, la détention, la distribution, la vente, le transport, limportation et lexportation de stupéfiants « non conformes aux dispositions de la présente Convention [...] constituent des infractions punissables lorsquelles sont commises intentionnellement [...] » . Les obligations générales imposées aux Parties à la Convention sont énoncées à larticle 4. Celui-ci prévoit que « les Parties prendront les mesures législatives et administratives qui pourront être nécessaires pour :
c) sous réserve des dispositions de la présente Convention, pour limiter exclusivement aux fins médicales et scientifiques la production, la fabrication, lexportation, limportation, la distribution, le commerce, la consommation et la détention de stupéfiants (les italiques sont de nous).
[...] De plus, le paragraphe 2(5) stipule que :
a) Les Parties devront adopter toutes les mesures spéciales de contrôle quelles jugeront nécessaires en raison des propriétés particulièrement dangereuses des stupéfiants visés ; et
b) Les Parties devront, si à leur avis, la situation dans leur pays fait que cest là le moyen le plus approprié de protéger la santé publique, interdire la production, la fabrication, lexportation et limportation, le commerce, la détention ou lutilisation de tels stupéfiants à lexception des quantités qui pourront être nécessaires exclusivement pour la recherche médicale ou scientifique, y compris les essais cliniques avec lesdits stupéfiants, qui devront avoir lieu sous la surveillance et le contrôle directs de ladite Partie ou être subordonnés à cette surveillance et à ce contrôle.»
Les mesures de contrôle supplémentaires énoncées au paragraphe 2(5) ne sont pas obligatoires, mais doivent être adoptées si, de lavis de la Partie concernée, elles savèrent nécessaires. On pourrait aussi faire valoir que les « mesures spéciales de contrôle» évoquées à lalinéa 2(5)b) englobent les mesures prises pour offrir un accès contrôlé à un opioïde, qui supposent une reconnaissance des précautions à prendre avec des substances comme lhéroïne[...]. Pour quun essai visant à offrir un accès contrôlé à des opiacés soit conforme aux obligations de lAustralie en vertu des traités internationaux, il faudrait démontrer que cet essai est réalisé à des fins médicales ou scientifiques. Sil est possible de soutenir que le fait doffrir un accès contrôlé à des opioïdes à des toxicomanes ne constitue pas de la part de lAustralie un manquement à ses obligations en vertu des traités internationaux, lapprovisionnement des consommateurs qui nont pas dépendance est toutefois plus délicat [...] » .
En ce qui a trait à la Convention de 1988, le rapport souligne ce qui suit :
« Pour ce qui est des dispositions de la Convention de 1988, larticle 3 oblige les Parties à adopter les mesures nécessaires pour conférer le caractère dinfractions criminelles à certaines activités, notamment la production, la fabrication, la distribution, la vente, limportation, lexportation et la possession pour usage personnel de stupéfiants et de substances psychotropes en violation des dispositions de la Convention de 1961, de la Convention de 1961 telle que modifiée et de la Convention de 1971 (les italiques sont de nous). (La Convention de 1971 est la Convention sur les substances psychotropes, qui nest pas pertinente aux fins de la présente discussion.)
Comme nous lavons vu, on peut soutenir que la Convention unique ne fait quexiger la limitation de lutilisation de stupéfiants à des fins médicales et scientifiques. Toute restriction ou interdiction supplémentaire des stupéfiants visés au Tableau IV [dont lhéroïne fait partie] est laissée à la discrétion des Parties.
Certains observateurs ont aussi insisté sur le fait que la Convention de 1988 établit une nette distinction entre le trafic et la possession pour usage personnel. Ainsi, lalinéa 3(4)d) prévoit que « des mesures de traitement, déducation, de postcure, de réadaptation et de réinsertion sociale pourront remplacer la condamnation ou la peine prononcée ou sy ajouter, quelle que soit la gravité des infractions reprochées, pour les cas de délit de possession, dachat ou de culture pour usage personnel » .
Le rapport du Comité australien en arrive à la conclusion suivante:
« Si un programme pilote visant à offrir un accès contrôlé à des opiacés peut être considéré comme étant à des fins médicales ou scientifiques, il en découlerait quil ne va pas à lencontre des obligations de lAustralie aux termes des traités internationaux. En fait, il est possible de se reporter aux pratiques en vigueur dans dautres États participants, par exemple, au Royaume-Uni, pour interpréter les traités en question, comme le permet la Convention de Vienne sur linterprétation des traités internationaux[...]. La seule solution qui, de lavis général des observateurs, ne serait pas conforme à la Convention est celle de la légalisation[...].
« La réserve applicable à toutes les options susmentionnées est la suivante : toutes les activités autorisées doivent être menées à des fins médicales ou scientifiques, au sens des obligations générales prévues dans les dispositions de larticle 4 de la Convention unique. Sil est possible à une Partie de recourir à ces solutions lorsque leur utilisation sert un objectif médical ou thérapeutique, à savoir le traitement dune accoutumance ou dune surconsommation, il lui est défendu par contre dy recourir si leur objectif ultime est de permettre la consommation à des fins récréatives plutôt que médicales ou scientifiques » .
Néanmoins, le libellé de ces Conventions namène pas nécessairement à cette conclusion. Par exemple, dans le contexte canadien, on peut se reporter aux observations de la Commission Le Dain sur lusage des drogues à des fins non médicales. Dans son rapport final, la Commission souligne ceci à propos de la Convention unique de 1961 sur les stupéfiants :
[...] en vertu de la Convention unique les Parties sont tenues de prendre les mesures législatives et administratives qui pourront être nécessaires pour « limiter exclusivement aux fins médicales et scientifiques la production, la fabrication, lexportation, limportation, la distribution, le commerce, lusage et la détention des stupéfiants ». Larticle 36, consacré aux dispositions pénales, ne stipule pas explicitement que lusage doit constituer une infraction délictueuse. Il y est question de « détention », mais on pourrait soutenir quil sagit de détention dans le contexte de la distribution ; cest ce quon peut arguer du fait que tous les autres actes spécifiés à larticle 36 se rapportent à la production ou à la distribution. [...] Pourtant lopinion prédominante dans la communauté internationale semble être que la Convention exige des Parties queelles traitent la possession comme une infraction délictueuse. Cest donc en ce sens et par le truchement de leur propre législation que les États ont interprété leurs obligations découlant de larticle 36 ; une lecture au sens strict de la Convention permettrait de limiter le sens de possession à celui de possession ou de détention à des fins de trafic ». (Les caractères gras sont de nous.)
Depuis la publication du rapport Le Dain et de linterprétation qui précède, le Canada a ratifié la Convention des Nations Unies de 1988 contre le trafic illicite de stupéfiants et de substances psychotropes. Le paragraphe 2 de larticle 3 prévoit que « sous réserve de ses principes constitutionnels et des concepts fondamentaux de son système juridique », chaque Partie doit adopter les mesures nécessaires pour conférer le caractère dinfraction pénale à la détention, à lachat ou à la culture de stupéfiants destinés à la consommation personnelle « en violation des dispositions de la Convention de 1961, de la Convention de 1961 telle que modifiée ou de la Convention de 1971 ». Ainsi, lobligation de créer des infractions relativement aux stupéfiants destinés à la consommation personnelle fait lobjet de certaines réserves. La première réserve est que cette mesure doit être conforme aux principes constitutionnels et aux concepts fondamentaux du système juridique de la Partie concernée. Le gouvernement pourrait justifier sa décision de renoncer à appliquer une politique dinterdiction totale en faisant valoir que le maintien de la criminalisation va à lencontre du principe fondamental de modération en matière de recours au droit criminel. Lex-Commission de réforme du droit du Canada considérait ce principe comme fondamental à toute réforme de notre droit criminel. De plus, le ministère de la Justice a adopté ce principe comme fondement de la réforme du droit criminel. La deuxième réserve veut que lobligation de classifier comme infraction la consommation personnelle de stupéfiants sapplique seulement lorsque la possession des stupéfiants en question est effectivement contraire aux dispositions de la Convention unique de 1961. Bref, le libellé actuel de ces Conventions permet de soustraire à lapplication de linterdiction certains cas précis. La législation nationale ne constitue pas elle non plus un obstacle insurmontable à une réforme. Comme il est mentionné précédemment dans la section portant sur lutilisation de la marijuana à des fins médicales, larticle 56 de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances prévoit que le ministre peut soustraire à lapplication de la loi toute personne et toute substance désignée, «sil estime que des raisons médicales, scientifiques ou dintérêt public le justifient »[les caractères gras sont de nous].
Faut-il modifier ou dénoncer les conventions ?
Ces Conventions de 1961 et 1988 permettent aussi aux Parties de chercher à en obtenir la modification ou de sy soustraire par voie de dénonciation. Une telle mesure ne ferait pas entorse aux Conventions en question. Comme le souligne la Commission Le Dain, « la dénonciation ... nirait évidemment pas à lencontre des obligations internationales, étant donné que cest un droit expressément prévu dans la Convention [de 1961] ». À cet 22égard, Dupras note que « tant que les Conventions sur les drogues auront la formulation quelles ont actuellement, les Parties devront maintenir des dispositions législatives qui interdisent la possession de cannabis pour consommation personnelle. Les Parties pourraient choisir de changer cette situation en adoptant des modifications en conséquence aux Conventions. Chacune des trois Conventions renferme des dispositions prévoyant leur modification ».
La modification ou la dénonciation ou non de ces conventions est une question complexe. Par exemple, certains opposants à la politique dinterdiction totale des drogues font valoir que la solution la plus sage consisterait probablement à modifier la Convention unique de 1961 pour créer un nouveau cadre international, qui mettrait laccent sur la réduction des méfaits, et à dénoncer par ailleurs la Convention de 1988 sur le trafic, qui est résolument prohibitionniste. Le Canada peut donc choisir de demander la modification ou de dénoncer ces Conventions, mais cest un choix motivé par dautres considérations et non par les dispositions des Conventions elles-mêmes.
Évolution récente des traités internationaux sur les stupéfiants
Du 8 au 10 juin 1998, une trentaine de chefs dÉtat et 150 délégués venant du monde entier se sont réunis pour une session spéciale de lONU afin de discuter des stratégies de lutte contre loffre et la demande de drogues illicites. Le sommet marquait le dixième anniversaire de la signature de la Convention des Nations Unies contre le trafic illicite de stupéfiants et de substances psychotropes de 1988. La conférence était dirigée par Pino Arlacchi, directeur du Programme des Nations Unies pour le contrôle international des drogues (PNUCID). Les délégués onusiens ont convenu de financer la stratégie décennale de cinq milliards de dollars américains proposée par M.Arlacchi pour éradiquer le pavot à opium et le coca de toute la planète. Les délégués ont aussi promis denrayer le blanchiment dargent, de se pencher laugmentation de la fabrication et de la consommation des drogues synthétiques, daccroître la coopération judiciaire, notamment les mesures dextradition, et de resserrer les contrôles sur les précurseurs chimiques utilisés dans la fabrication des drogues illicites. Le commerce des drogues illicites est évalué à 400 milliards de dollars, soit 8 p. 100 du commerce international total.
La tenue dun sommet sur les stupéfiants avait initialement été proposée par le Mexique en 1995 pour se pencher sur les problèmes liés aux drogues. À lorigine, le sommet devait examiner de façon critique les stratégies actuellement mises en oeuvre et aborder des solutions de rechange, mais cet aspect a été rayé de lordre du jour. Les organismes qui réclament ladoption de politiques de rechange en matière de stupéfiants, comme lInternational Harm Reduction Association, nont pas été officiellement autorisés à participer au sommet même sils ont pu poser des questions aux différents groupes. Le sommet sur les drogues a donné lieu à un débat entre les pays dits consommateurs de drogues et ceux dits producteurs de drogues, sur lutilité dappliquer une politique de réduction de la demande plutôt quune politique de réduction de loffre en guise de stratégie antidrogue. Le président du Mexique, Ernesto Zedillo, a rejeté les critiques des Américains au sujet du peu deffort déployé par le Mexique pour lutter contre le trafic de la drogue : « Ce sont nos concitoyens et concitoyennes qui sont les premiers à mourir pour lutter contre le trafic de la drogue [...] Nos collectivités sont les premières à souffrir de la violence et nos institutions sont les premières à être minées par la corruption ».
Le sommet de lONU sur les stupéfiants a donné lieu à une vague de
protestations dans plusieurs grandes villes du monde et fait lobjet, entre autres,
dune lettre ouverte au Secrétaire général de lONU, Kofi Annan, publiée sur
deux pages dans lédition du 8 juin du New York Times. Au delà de 500
dirigeants du monde entier (y compris lex-Secrétaire général de lONU,
Javier Perez de Cuellar et lex-Secrétaire dÉtat George Shultz) ont exhorté
par lettre lONU à réévaluer sa politique en matière de stupéfiants et à ouvrir
un débat à ce sujet. De nombreux journaux ont publié des articles et des éditoriaux
sur le sommet ; fait significatif, la grande majorité dentre eux (notamment les
éditoriaux du New York Times, du Globe and Mail et du Ottawa Citizen)
souscrivaient au point de vue exprimé dans la lettre adressée à Kofi Annan et
sopposaient à lorientation adoptée par lONU. « LONU a réduit
au silence pratiquement tous les groupes de citoyens et spécialistes désireux de prendre
la parole. Aucune attention na été accordée à certaines idées nouvelles
intéressantes, comme la réduction des méfaits...qui vise à réduire les torts causés
par les drogues. Comme les conférences précédentes de lONU sur les stupéfiants,
celle-ci semble être principalement organisée pour ressasser des promesses irréalistes
et se féliciter de programmes à lefficacité plus que douteuse ».
6. Lusage
des stupéfiants et les droits de la personne
Dans lexercice de ses droits et dans la jouissance de ses libertés, chacun nest soumis quaux limitations établies par la loi exclusivement en vue dassurer la reconnaissance et le respect des droits et libertés dautrui et afin de satisfaire aux justes exigences de la morale, de lordre public et du bien-être général dans une société démocratique.
(Déclaration universelle des droits de lhomme, paragraphe 29, 2).
Labsence quasi totale de débat écrit ou oral sur la consommation de drogue et les droits de la personne. La seule référence explicite à la consommation de drogues dans les conventions et traités internationaux sur les droits de la personne est contenue dans la Convention européenne des droits de lhomme. La première et dailleurs unique mention des droits de la personne dans les traités internationaux se trouve dans la Convention de vienne de 1988, selon laquelle toutes les mesures visant à supprimer la culture et la demande de substances illicites doivent « respecter les droits fondamentaux de lhomme » et tenir compte de « la protection de lenvironnement ». La plupart des conventions internationales et des législations nationales sur les stupéfiants nont pas été examinées sous langle de leur conformité aux chartes des droits de la personne, nationales ou internationales. Lomission est flagrante étant donné que « la consommation de drogues peut donner lieu à tout un éventail de violations des droits de la personne, particulièrement lorsque les droits des consommateurs de drogue ne sont pas considérés dignes de respect en raison des préjugés et de lopprobre dont ils font lobjet ».
Les problèmes occasionnés par la consommation de drogue ne peuvent être séparés du milieu physique, social et politique dans lequel ils surviennent. Cest parce que les mesures destinées à réduire les méfaits de la drogue atteignent leur efficacité maximale dans des milieux favorables quon a été amené à sintéresser davantage à la législation internationale sur la santé publique et les droits de la personne. Dans ce contexte, il est largement admis que les chartes des droits de la persone doivent sappliquer aux politiques contre les stupéfiants au même titre quà toutes les autres politiques dintérêt public. La législation sur la drogue peut être compatible avec le respect des droits de la personne si elle vise les mêmes objectifs, soit :
- latteinte des normes maximales en matière de santé, cest-à-dire le bien-être physique, mental et social ;
- la prévention de la propagation des maladies liées à lusage de la drogue ;
- la protection de la sécurité publique, comme, par exemple la prévention des accidents.
Le fait que la plupart des pays aient déjà adopté des politiques de contrôle ayant un effet adverse sur les droits et libertés des consommateurs de drogue ajoute à la nécessité de porter une attention immédiate à ces aspects. Par exemple :
- les méthodes de détection qui portent atteinte à la vie privée, labsence ou le manque de protection contre la publication de renseignements et de protection contre lauto-incrimination, lobligation de passer un test de dépistage de drogue ou un examen médical, la conservation de renseignements sur les consommateurs dans des registres, démarche incompatible avec le respect des droits de la personne.
- lintégrité des personnes par les écarts aux procédures judiciaires habituelles, les fouilles, saisies, arrestations ou détentions arbitraires, lobligation de suivre un traitement.
- Les procédures spéciales de justice criminelle qui portent atteinte à la présomption dinnocence et aux règles de la preuve, une protection réduite contre lauto-incrimination, le recours à des règles et pratiques spéciales dans le cas dinfractions commises en état dintoxication.
- La détention comportant arrestation ou emprisonnement arbitraire, laccès inexistant ou restreint à laide médicale ou sociale durant la détention, labsence ou une protection insuffisante contre un traitement cruel, inhumain ou dégradant, les politiques et les pratiques arbitraires de la détermination de la peine.
- La santé, dont labsence ou laccès restreint aux soins de santé ou aux traitements, ainsi quà des programme daction préventive comme léchange de seringues, le traitement à la méthadone et léducation ;
- Les politiques et lemploi arbitraires ou discriminatoires de mesures de détection des drogues, la réduction ou labsence de possibilités de travail et de promotion, le congédiement injustifié, linexistance ou le peu daménagements pour les personnes handicapées qui se droguent.
- Laccès nul ou restreint au logement, lexpulsion injustifiée, le statut doccupant non assuré.
- Les possibilités déducation nulles ou réduites ;
- La mobilité réduite par des interdictions arbitraires ou discriminatoires de voyager ou dimmigrer, ou par des perquisitions et des enquêtes injustifiées.
- La faible ou la non-admissibilité à des régimes dassurance sur la vie, la maladie ou linvalidité.
La discrimination injustifiée constitue une autre violation omniprésente des droits de la personne pour les drogués. Elle est liée en grande partie directement à la stigmatisation généralisée. « Lorsque les lois et les politiques sur les drogues ne sont pas suffisamment étudiées quant à leur conformité aux droits de la personne, il faut insister sur lurgence dune telle analyse et étudier ces questions plus avant».
Le fait que la possession de certaines drogues est illégale dans la plupart des sociétés soulève bien des questions sur la vie privée quon néglige souvent dexaminer. La consommation de drogue, les réactions de la société face au problème, ainsi que les lois et les politiques antidrogue influent négativement sur les droits et libertés des toxicomanes. On relève notamment le non-respect de leurs droits, leur vulnérabilité lorsquils sont confrontés à des violations des droits de la personne et leur capacité réduite à exercer ces droits lorsquils sont sous linfluence de la drogue. Il est souvent possible déviter ou de réduire ces méfaits en modifiant les approches négatives du droit et de la politique sur les drogues, approches qui font partie des mesures discriminatoires exercées par la société contre les toxicomanes. Pour réduire ces méfaits, il faudrait :
- reconnaître que lusage de la drogue est une activité privée et limiter lintervention du gouvernement aux situations à risque, comme, par exemple, lorsque la sécurité publique est en jeu.
- Tout faire pour cesser de stéréotyper et de stigmatiser les toxicomanes, ne plus sen servir comme boucs émissaires et mettre un terme à la discrimination ;
- reconnaître que lusage des drogues peut affecter la santé et que leurs effets influent sur la capacité des personnes concernées à exercer leurs droits et libertés ; dans ces circonstances, les consommateurs de drogue doivent être protégés .
- changer les orientations légales et politiques sur les stupéfiants et mettre laccent sur la réduction des méfaits et du marché de la demande.
- veiller à ce quon ne restreigne pas les droits fondamentaux des toxicomanes pendant leur incarcération.
- sassurer que les politiques nationales et internationales ainsi que le droit sont conformes aux engagements pris dans les chartes des droits de la personne.
Ces aspects montrent bien que lusage des stupéfiants nest pas vraiment un question de santé et de justice criminelle, mais une question politique. Les problèmes saccumulent parce quil y a absence de volonté politique alors que les solutions découlent de la mobilisation de cette volonté. Le « problème de la drogue » doit être reformulé et les politiciens doivent comprendre que la consommation de drogue, le maintien en santé et le bien-être des drogués sont soumis à la protection des droits de la personne au même titre que
la prévention des maladies et la conformité aux traités internationaux sur les stupéfiants.
Réorienter la politique en matière de drogues pour mieux contrôler la criminalité exigerait labandon de croyances auxquelles nous sommes très attachée et de pratiques bien établies. Par contre, les avantages pourraient être substantiels.
Le lien entre lusage des drogues et et crime est complexe et très politisé. Si la nature des causes et le fonctionnement de la causalité demeurent inconnus, il reste que la toxicomanie est associée à un mode de vie criminel caractérisé par le désoeuvrement, le repli sur soi et linaptitude à entretenir des relations avec les autres, entre autres choses. Un mode de vie fondé sur le crime a une propension inhérente à la prise de risques et on peut penser que les drogues sont en même temps un grand facteur de criminalité et un moyen de faire face aux conséquences de la criminalité. Lintoxication entraîne limprudence chez les victimes comme chez les criminels, les activités illégales augmentent les chances quune arme à feu soit utilisée et quil y ait violence et, enfin, lattrait lucratif à court terme des marchés clandestins entraîne les jeunes dans la criminalité. Cet enchaînement de circonstances est difficile à rompre. Les drogues, les politiques antidrogue et les crimes sont reliées de plusieurs façons : Lintoxication peut faire tomber les réticences morales à violer la loi et diminuer la peur des conséquences, elle peut rendre les victimes en puissance imprudentes et agressives. Le coût élevé de la drogue et le besoin dargent peuvent pousser quelquun à commettre un crime. Les activités illicites sont susceptibles dengendrer la violence. La pratique dactivités illégales rend plus plausible le port darmes. Lattrait lucratif à court terme du marché clandestin peut détourner les jeunes de leurs études, les pousser vers la criminalité et leur valoir un casier judiciaire.Une fois entré dans ce cercle vicieux, il est très difficile den sortir. Les ressources prévues pour la répression des crimes contre les personnes et des crimes contre la propriété sont détournés vers la lutte antidrogue.
Étant donné que lalcool est la cause dintoxication la plus fréquente et quil peut rendre plus agressif, lalcool est associé à beaucoup plus de crimes commis en état dintoxication que toutes les autres drogues combinées. Les drogues illicites sont associées le plus souvent aux crimes par le besoin dargent et le trafic des stupéfiants. Une diminution éventuelle de ces crimes, si lon modifiait la législation sur les drogues, dépendrait des niveaux de consommation, de la pharmacologie des intoxicants et de leur interaction avec lalcool.
Les crimes liés à lalcool et aux stupéfiants
Lalcool est cité plus que toute autre substance dans les cas de violence conjugale. Daprès lEnquête sur la violence envers les femmes réalisée par Statistique Canada, au moins 29 p. 100 des femmes agressées par un conjoint citent lalcool comme précipitateur alors que seulement 1 p. 100 mentionne dautres drogues. LEnquête révèle que lagression commise en état débriété contre lépouse cause généralement plus de dommages. Plus de la moitié (56 p. 100) des hommes violents qui consommaient de lalcool au moment du délit ont infligé des blessures physiques à leur épouse, blessures qui, dans 47 p. 100 des cas, ont nécessité des soins médicaux. Par comparaison, le tiers des hommes violents qui ne consommaient pas dalcool ont causé des lésions physiques à leur épouse et, de ce groupe, 37 p. 100 ont infligé des blessures nécessitant des soins. En 1991-1992, la consommation dalcool aurait été un facteur dans 66 p. 100 des accusations pour meurtre, suivie par la consommation dun mélange dalcool et dautres drogues (27 p. 100) et dautres drogues seules (7 p. 100). Les détenus dans les institutions correctionnelles fédérales admettent avoir été sous linfluence de lalcool plus que de toute autre drogue au moment de leur crime (selon une enquête effectuée en 1992, 44 p. 100 avaient consommé de lalcool seulement, 29 p. 100 seulement dautres drogues et 27 p. 100 un mélange des deux).
Les crimes liés à la drogue illicite
Les infractions liées aux stupéfiants sont des activités comme la possession et lapprovisionnement impliquant des substances illicites selon la loi. Elles comprennent aussi la violence dans le trafic des stupéfiants et la perpétration de crimes suscités par la dépendance. Finalement, elles incluent ou la promotion ou lavancement du crime et la victimisation. La relation entre la consommation de drogue et la criminalité est fondée sur des données analysées par Juristat. Linterprétation des statistiques sur la criminalité liée à la drogue nest pas chose facile ; la criminalité liée aux stupéfiants nest pas seulement un effet de la consommation de drogue, mais aussi le résultat des procédures de répression et des méthodes de compilation des faits. En 1997, tous les incidents liés à la drogues comprenaient les infractions en vertu de la nouvelle Loi réglementant certaines drogues et autres substances. Les infractions impliquant le cannabis ont compté pour 70 p. 100 des 66 521 incidents signalés en 1997 en matière de drogue. Depuis toujours, la majorité des incidents liés à la drogue ont trait à la possession (62 p. 100 en 1997), et la plupart des cas de possession impliquent le cannabis. Après avoir augmenté trois années de suite, le taux dincidents liés à la drogue est resté à peu près pareil en 1997. De même, malgré une hausse moyenne constante de 6 p. 100 par an depuis 1991, le taux dinfractions impliquant du cannabis na pratiquement pas changé en 1997 et cette stabilité influe sur le taux global des crimes liés aux drogues. Les infractions dans lesquelles intervient la cocaïne sont en baisse depuis 1992 (-1,6 p. 100 en 1997). Après une forte hausse en 1996 (+8 p. 100), le taux dinfractions liées à des drogues comme lhéroïne et les amphétamines a augmenté de seulement 1 p. 100 en 1997. Le nombre des arrestations pour possession a diminué à la fin des années 80, mais cette tendance sest sensiblement renversée ces dernières années.
Le plus haut taux dinfractions liées aux drogues a été relevé au Yukon (763 par 100 000 habitants), suivi des Territoires du Nord-Ouest (595 par 100 000 habitants). Des dix provinces, la Colombie-britannique possède le taux plus haut (445) et lÎle du Prince-Édouard, le plus bas (105). En 1991 et 1992, 51 personnes ont été tuées dans des querelles au sujet des stupéfiants, soit 3 p. 100 des homicides pendant cette période. En 1992, 31 p. 100 des personnes accusées de vol contre les particuliers et 40 p. 100 des personnes accusées de vol contre des biens commerciaux étaient intoxiquées au moment du crime.
En 1992-1993, il y a eu 782 admissions aux établissements correctionnels fédéraux pour adultes par suite dinfractions liées à la drogue, soit 6,8 p. 100 de plus que lannée précédente. Les admissions ayant en rapport avec la drogue représentaient 14 p. 100 de toutes les admissions dans des établissements correctionnels fédéraux. Au niveau provincial, la drogue avait été un facteur dans environ 15 p. 100 des admissions.
La violence liée aux stupéfiants
Comme on la déjà noté, les conflits liés aux stupéfiants, notamment pour des questions de territoire, débouchent sur la violence, voire la mort. Les armes à feu étant moins répandues ici quaux États-Unis, les homicides en rapport avec la drogue sont moins fréquents au Canada. Pourtant, on a noté depuis une dizaine dannées une escalade de la part jouée par les stupéfiants dans les actes de violence et les homicides ayant un rapport avec la drogue ; ceci est particulièrement évident à Vancouver et à Montréal. Au Québec, pour des raisons encore obscures, de nombreux incidents et homicides dus à la guerre des territoires ont été causés par lusage de bombes par les bandes de motards ; plus de 50 personnes sont mortes depuis quatre ans dans la guerre des gangs criminels entre les Hells Angels et le Rock Machine pour le contrôle du trafic lucratif des drogues illégales au Québec.
La flambée de violence a également entraîné laugmentation des dépenses policières et des effectifs de contrôle des stupéfiants. Puisque le Canada, à linstar des États-Unis, permet lutilisation des narcodollars confisqués, la lutte antidrogue pourrait devenir une industrie autosuffisante si elle continue de sappuyer sur des approches répressives. Il convient de noter les commentaires dun représentant de la police néerlandaise, dans les années 70, sur les problèmes causés par le recours presquexclusif à la méthode répressive pour lutter contre la consommation de drogue : « Le service des stupéfiants de la police deviendra une unité policière bien formée et superbement armée, qui devra sans cesse saméliorer et se renforcer pour répondre à lescalade permanente». Les Hollandais ont décidé dadopter une approche de réduction des méfaits et de concentrer leurs efforts sur les trafiquants, ce qui sest révélé très efficace pour diminuer la consommation, les crimes liés aux stupéfiants et la violence.
8. Les établissements correctionnels
Nous avons envers les prisonniers et la collectivité le devoir de protéger les détenus contre les risques dinfection dans les établissements, sans quoi les tribunaux ou une commission denquête pourraient un jour chercher pourquoi on nen a pas fait davantage pour empêcher linfection au VIH dans les prisons, alors que tous en étaient conscients et connaissaient les mesures pour lendiguer.
La consommation de stupéfiants et les services correctionnels
Daprès une enquête menée par Service correctionnel Canada (SCC) en 1989-1990 auprès de 371 détenus, 10 p. 100 dentre eux consommaient de la drogue tous les jours dans les six mois précédant leur incarcération et 17 p. 100 se saoulaient régulièrement. En tout, 64 p. 100 des détenus ont avoué avoir consommé de lalcool ou dautres drogues le jour de leur crime. Des données sur la France, les Pays-Bas, la Suisse, lItalie et lEspagne montrent que, durant les trois mois précédant leur incarcération, 20 à 30 p. 100 des détenus se piquaient au moins une fois par semaine. ce fait à lui seul explique pourquoi les prisonniers risquent fort dêtre séropositifs à leur entrée. Laugmentation du nombres de toxicomanes incarcérés au cours des 20 dernières années montre que lemprisonnement constitue, pour beaucoup de pays, la principale réponse au problème de la drogue. On dépense plus de ressources à faire passer les drogués à travers les rouages du système judiciaire que pour toute autre forme de gestion, médicale ou sociale.
En raison de linterdiction des drogues aux État-Unis, la population carcérale a constamment augmenté au cours des vingrt dernières années et atteignait 1 750 000 détenus en 1997. Cette année là, plus de trois millions de contrevenants se trouvaient sous contrôle correctionnel en vertu dune mesure de probation ou dune libération conditionnelle. Bien que la majorité des toxicomanes soient blancs, la plupart des personnes arrêtées pour consommation sont des noirs. Les Afro-américains représentent seulement 12 p. 100 de la population américaine, mais ils constituent près de 40 p. 100 des détenus du pays. Plus de 30 p. 100 des hommes afro-américains âgés de 20 à 30 ans sont soit en prison ou sous probation soit en libération, une proportion plus importante quil ny en a dans les collèges américains. Environ la moitié de ces incarcérations découlent dinfractions liées à la drogue et 20 à 30 p. 100 impliquent des toxicomanes. Aux États-Unis, lincarcération a été la principale solution adoptée pour répondre au problème de la drogue. (La déinstitutionnalisation des malades psychiatriques aux États-Unis a occasionné des difficultés supplémentaires pour le système de justice criminelle ; on compte aujourdhui dix fois plus de personnes atteintes de troubles mentaux ou de toxicomanes dans les établissements carcéraux que dans les hôpitaux psychiatriques).
Malgré une diminution du taux de criminalité au cours des cinq dernières années, le nombre de détenus dans les établissements correctionnels américains a encore augmenté en 1997. Au total, 1 725 000 Américains étaient détenus en 1998, ce qui veut dire que le taux national dincarcération était de 645 pour 100 000 habitants, soit plus du double du taux de 1985 (313 pour 100 000). Cette divergence croissante entre un taux de criminalité à la baisse et un taux dincarcération en augmentation soulève un certain nombre de questions ; on se demande notamment si les États-Unis ne comptent pas trop sur les peines demprisonnement pour lutter contre les stupéfiants et si laugmentation fulgurante du nombre des détenus nest pas devenue un phénomène auto-générateur. Depuis le début des années 70, les infractions liées à la drogue représentent plus du tiers de la croissance de la population carcérale et, depuis 1980, le taux dincarcération des personnes accusées dinfractions sur les stupéfiants a augmenté de 1 000 p. 100. En fait, le taux dincarcération des seuls délinquants pour des infraction liées à la drogue est aujourdhui denviron 145 pour 100 000 habitants ; ce taux est supérieur au taux moyen dincarcération, toutes infractions confondues, entre les années 20 et le début des années 70, qui était de 110 pour de 100 000 habitants. Parmi les nouveaux détenus dans lÉtat de New York, 25 p. 100 nont à leur actif quune seule infraction en rapport avec la drogue, et aucun autre type de crime.
Le Canada a lhonneur peu enviable de compter le plus grand nombre darrestations au monde par habitant, après les États-Unis, pour une infraction liée à la drogue. Il est dit de la législation et de la répression sur les stupéfiants du Canada quelles « font plus de mal que de bien ». Il y a actuellement quelque 1 200 détenus condamnés pour des infractions liées à la drogue dans les établissements fédéraux (où sont incarcérés les contrevenants purgeant une peine de deux ans ou plus). Toutefois, la majorité des détenus pour infraction aux lois sur les stupéfiants se trouvent dans les institutions provinciales qui accueillent les contrevenants condamnés à moins de deux ans de réclusion ; on trouve plusieurs milliers de détenus purgeant des peines dans des établissements provinciaux pour des infractions liées à la drogue. Avant de nous ennorgueillir de faire mieux que les États-Unis, il est bon de se rappeler quil y a au Canada plus de toxicomanes incarcérés quil ny en a dinscrits à des programmes de traitement. Tout comptes faits, lintensification de la répression a créé une surcharge de travail pour les tribunaux et le surpeuplement dans les cellules. Comme un détenu coûte 50 000 dollars par année, il est évident quon pourrait attribuer les ressources plus efficacement.
La drogue en prison
Daprès les témoignages entendus par le Comité parlementaire sur le SIDA, la population carcérale compterait 50 p. 100 de drogués. Lors dun sondage effectué en 1995, 40 p. 100 des 4 285 détenus sous responsabilité fédérale ont déclaré volontairement avoir consommé de la drogue depuis leur incarcération. Il nest pas surprenant quil y ait une telle consommation et tant de trafic de stupéfiants dans les prisons pour plusieurs raisons :
1. Dans le monde entier, on répond aux problèmes posés par la consommation et le trafic des stupéfiants par la criminalisation et lemprisonnement.
2. Les seuls pays à ne pas avoir de sérieux problèmes de drogue dans leurs prisons imposent la peine capitale tant pour la possession que pour le trafic.
3. La consommation et labus des stupéfiants servent à combattre lennui, lanxiété et le désespoir ; or, très peu de prisons sont en mesure de fournir aux détenus les moyens de se stimuler, de se détendre et despérer.
4. La consommation de drogue en vue daltérer la conscience est un phénomène universel, observé depuis le début des temps. Imaginer quil puisse y avoir des prisons sans drogue équivaut à fermer les yeux sur les réalités de la nature humaine et sur les effets de la drogue.
5. Le trafic des stupéfiants est très lucratif ; il ne nécessite aucun matériel ni formation et les drogues sont faciles à camoufler. Sous un régime de prohibition, le coût élevé des stupéfiants engendre une économie très lucrative et permet dacheter à prix dor la collaboration des gardiens et autres membres du personnel. Il en résulte un système économique fait sur mesure pour le milieu carcéral, dautant plus que beaucoup de ses participants ont déjà trafiqué avant leur incarcération.
Au Canada, la consommation de drogue fait partie du mode de vie de nombreux détenus et dex détenus qui sont sous le régime des libérations conditionnelles. Rien dans les prisons ne décourage réellement lutilisation abusive de produits dintoxication ; létude des dossiers de discipline prend trop de temps et les punitions infligées aux détenus, comme la privation des privilèges, sont largement compensées par les effets de la drogue. En prison, les détenus participent à un trafic actif qui défie tous les obstacles et suscite des conflits impliquant dettes et menaces. La vente des stupéfiants peut être très lucrative et les prix peuvent dépasser de 200 à 500 p. 100 leur valeur sur le marché clandestin. Le trafic est une source de violence majeure dans les établissements fédéraux.
Les contrevenants qui arrivent en prison sans avoir jamais consommé de la drogue deviennent souvent des toximanes pendant leur incarcération. Comme la prise de drogue par injection est courante et quil y a peu de seringues, les détenus utilisent souvent des aiguilles usagées. Daprès eux, lutilisation de drogues par injection intraveineuse et le partage des seringues sont fréquents ; il arrive que 20 personnes utilisent la même aiguille sans la désinfecter. Le personnel de Service correctionnel du Canada (SCC) affirme que les drogues sont une partie inhérente de la culture et de la réalité carcérales, que la consommation de drogue est répandue dans les établissements et quil y a de nombreuses seringues dans les prisons. Il est bien sûr difficile de mesurer létendue de lutilisation de drogues par injection, mais on sait que ceux qui se piquent ne disposent pas daiguilles ni de seringues propres. Une étude réalisée sur la transmission du VIH parmi les utilisateurs de drogues par injection, à Toronto, a révélé que plus de 80 p. 100 dentre eux avaient passé au moins une nuit en prison depuis quils avaient commencé à se piquer, et le quart dentre eux avaient partagé les accessoires dinjection pendant leur lincarcération. Lors dune autre étude, 11 p. 100 des détenus sous responsabilité fédérale ont révélé sêtre piqués depuis leur arrivée à létablissement et, de ce nombre, seulement 57 p. 100 croyaient que le matériel utilisé était propre. Dans un établissement de lOuest canadien, 71 p. 100 ont déclaré sêtre injecté des drogues, dont 12 p. 100 en prison seulement, 20 p. 100 en liberté et 68 p. 100 dans les deux situations. En tout, 89 p. 100 ont déclaré avoir partagé une aiguille au moins une fois.
Les stupéfiants entrent continuellement en prison. Daprès une estimation officielle, les services de sécurité nen arrêtent que 5 p. 100 à la porte. Service Correctionnel Canada vient de recommander que le Code criminel soit modifié pour transformer en infraction criminelle la contrebande dans les pénitenciers. Cette recommandation na pas eu de suite et lon ignore dailleurs comment une telle mesure pourrait être appliquée. On ne sait pas si elle réduirait effectivement les méfaits de la drogue ou si elle en modifierait simplement la nature, ou même lexacerberait.
La séroprévalence de lhépatite et le VIH/SIDA
Il est maintenant prouvé que lhépatite B et lhépatite C se propagent rapidement dans les prisons ; ces virus sont transmis par le sang ou le sperme des porteurs du VIH. Entre janvier et août 1995, 223 nouveaux cas dhépatite C et 22 nouveaux cas dhépatite B ont été signalés dans les pénitenciers, données qui laissent entrevoir un risque de propagation rapide du VIH dans ces lieux. Trois études révèlent que les taux de séroprévalence oscille entre 28 et 40 p. 100 dans les prisons canadiennes. Lhépatite C se transmet ordinairement par la transfusion sanguine ou par le partage daccessoires destinés à la consommation de drogue. La séropositivité de lhépatite signale que ces détenus là se piquent probablement. Considérées dans leur ensemble, ces données indiquent quil faut sattendre à une augmentation marquée de la prévalence du VIH dans les établissements correctionnels au cours des prochaines années.
Les études sur la séroprévalence menées dans les prison fédérales et provinciales ont révélé des taux dinfection du VIH variant de un à 7,7 p. 100. Comme ces études datent déjà de plusieurs années, les taux actuels sont nécessairement supérieurs. Dans les établissements fédéraux, le nombre de détenus séropositifs déclarés a augmenté à un rythme alarmant : en janvier 1991, on en comptait 27 alors quils étaient 159 en mars 1996 (plus de un p. 100 de la population carcérale totale de 14 100 personnes). Les taux de VIH parmi les utilisateurs de drogue par injection dans les établissements correctionnels concordent avec les niveaux dinfection chez les utilisateurs dans la collectivité. Ainsi, dans les prisons du Québec, on trouve que, parmi les détenus qui se piquent, 8 p. 100 des hommes et 13 p. 100 des femmes sont porteurs du VIH. Des études effectuées dans des pénitenciers de la Colombie-Britannique et de lOntario ont révélé quenviron 1 p. 100 des détenus testés étaient porteurs du VIH, un taux plus de dix fois celui prévalent dans le grand public. Les prisonniers ayant des antécédents dinjection de drogue avaient les taux le plus élevés (2,1 p. 100 en Colombie-Britannique et 3,8 p en Ontario). Dans certains établissements, en particulier au Québec, presque 5 p. 100 des détenus sont séropositifs. Globalement, les estimations de prévalence du VIH parmi les prisonniers oscillent entre un et 4 p. 100 chez les hommes et entre un et 10 p. 100 chez les femmes ; dans les deux groupes, linfection est fortement associée à des antécédents de consommation de drogue par injection.
Les taux de séroprévalence de lhépatite C sont encore plus élevés, les études ayant révélé des taux variant de 28 à 40 p. 100. La transmission de lhépatite C a été étudiée dans au moins une prison. Des études réalisées dans des prisons aux État-Unis, en Australie, en Écosse et dans dautres pays prouvent quil y a un risque de contagion du VIH sérieux dans les prisons si des mesures de prévention rigoureuses ne sont pas prises. Bien quaucun cas précis de transmission du VIH nait été constaté dans les prisons canadiennes, on a relevé dans un certain nombre détablissements des partages de seringes parmi des groupes de détenus dont certains sont porteurs du VIH.
Comment on répond aux méfaits de la drogue dans les prisons
Les problèmes associés au VIH/SIDA et à la consommation de drogues dans les prisons ont été abondamment étudiés au Canada. Cest le Comité dexperts sur le SIDA et les prisons (CESP) qui a réalisé lanalyse la plus complète de la question en 1992-1993. Le CESP a interviewé les autorités pénitentiaires, le personnel et les détenus, examiné les politiques et les rapports canadiens et internationaux et envoyé des questionnaires au personnel des établissements ainsi quaux détenus. Le rapport final du Comité, publié en mars 1994, privilégie fortement une stratégie basée sur la santé publique pour affronter les problèmes du VIH/SIDA dans les prisons et une approche de réduction des méfaits pour lutter contre la consommation des stupéfiants. Parmi ses 88 recommandations figurent la fourniture deau de Javel aux détenus et de méthadone aux usagers de drogues par injection. Le rapport en arrive à la conclusion quil faudra fournir en prison du matériel dinjection stérile et il précise que ladoption dune stratégie de réduction des méfaits signifie non pas quon approuve lusage de drogues, mais quon veut décourager les comportements dangereux en matière dinjection. Il termine en disant quil est essentiel de réduire le nombre des consommateurs de drogue incarcérés. Le Canada a lun des plus hauts taux dincarcération par habitant du monde, particulièrement pour les infractions liées aux drogues, et vient immédiatement après les États-Unis. Bon nombre des problèmes créés par le VIH et la consommation de drogues dans les prisons pourraient être réduits sil existait des solutions de rechange à lincarcération, particulièrement dans le contexte des infractions liées aux drogues.
Les solutions des autorités pénitentiaires:
Le Système correctionnel du Canada a accepté de nombreuses recommandations du Comité dexperts sur le SIDA ; en 1996, il a décidé de fournir de leau de Javel dans tous les établissements fédéraux. Par contre, il a déclaré quil ne mettrait pas en place de programmes de traitement par la méthadone ni de programmes déchange de seringues. Au contraire, quelques mois seulement après la publication du rapport, le SCC annonçait une nouvelle stratégie pour combattre la drogue dans les pénitenciers fédéraux qui était, sous bien des aspects, en contradiction avec les recommandations du Comité dexperts. Parmi les mesures préconisées, on relève notamment laugmentation des tests déchantillons durine au hasard, plus de fouilles des visiteurs et lapplication daccusations criminelles contre les visiteurs qui essaient dintroduire de la drogue dans les prisons ; de plus, ces derniers peuvent être ultérieurement privés du droit de visite. Certains reprochent à ces mesures dêtre extrêmement coûteuses, intrusives et, tout compte fait, peut-être inefficaces et même contre-productives. Il faut noter que le SCC sest engagé à faciliter laccès des prisonniers à un programe de traitement.
Le service correctionnel nayant pas mis en oeuvre les recommandations du Comité dexperts sur le sida au sujet de la consommation de la drogue, les particuliers et les organismes consultés au cours de la première phase dun projet sur les questions juridiques et éthiques soulevés par le VIH/SIDA (mené par le Réseau juridique canadien HIV/SIDA et la Société canadienne du SIDA) ont exhorté les deux organisations à continuer de travailler aux problèmes que posent le VIH/SIDA et la consommation de drogues en prison. Ils ont notamment suggéré que le projet conjoint détermine si les gouvernements et les systèmes carcéraux ont lobligation légale de fournir aux détenus les moyens qui leur permettraient de se protéger contre linfection au VIH, et quil examine la question de responsabilité sil advenait une propagation du VIH dans les prisons découlant du refus de fournir des préservatifs, de leau de javel et des seringues propres. En 1996, les responsables du projet ont publié un rapport complet dans lequel ils incitent les systèmes carcéraux fédéral et provinciaux à:
- adopter une approche plus pragmatique à légard de la consommation des stupéfiants, reconnaissant le fait quune prison sans drogue nest pas un objectif plus réaliste quune société sans drogue et que, à cause du VIH/SIDA, la réduction de la consommation ne peut plus être lobjectif premier de la politique sur les drogues des autorités pénitentiaires.
- reconnaître que le fait de mettre à la disposition des détenus de leau de Javel, des seringues stériles et des programmes de traitement à la méthadone néquivaut pas à approuver la consommation des stupéfiants, mais constitue une mesure nécessaire et pragmatique de santé publique.
- éduquer le public canadien et les décideurs sur limportance de mettre en oeuvre des mesures de réduction des méfaits dans les prisons.
Comme le souligne le rapport, le Service correctionnel du Canada a consacré, en 1995-1996, 1,2 million de dollars au programme danalyse durine et un million à dautres volets de la stratégie antidrogue, et seulement 175 000 $ au programme de lutte contre le sida. Les dépenses engagées pour mettre en oeuvre des programmes danalyse durine sont loin de constituer une utilisation judicieuse de nos ressources limitées. De tels programmes coûtent plus cher que des mesures de santé publique plus appropriées en matière de consommation de drogue, cest-à-dire des programmes de réduction de la consommation et des programmes de réadaptation organisés sous contrôle dans toutes les prisons. Qui plus est, ils utilisent des méthodes, comme duriner sur commande et sous les yeux du personnel, qui portent atteinte à lintégrité de la personne. Ils risquent également davoir un impact négatif sur les efforts visant à réduire les méfaits de la consommation de drogue. En théorie, les résultats positifs dune analyse durine entraînent des mesures disciplinaires qui devraient dissuader la consommation de drogue dans les prisons. En réalité, on na aucune certitude quant aux effets à long terme des analyses durine sur les niveaux de consommation. Par contre, limpact à court terme est, daprès la majorité des détenus, inexistant. Même si les programmes de prélèvement entraînaient une diminution de la consommation, il ne faudrait pas en surestimer leffet. La réduction de lusage des drogues est un objectif important, mais celle de la réduction de la propagation du VIH et dautres méfaits lest encore davantage. On craint en particulier que les tests durine, loin de réduire la consommation, nentraînent les détenus à substituer à des drogues relativement inoffensives, mais décelables dans lurine pendant une période allant jusquà un mois, des drogues potentiellement plus dangereuses mais qui ont une plage de détection plus courte. Ainsi, la consommation de drogues par injection risque daugmenter et, partant, la transmission du VIH et dautres méfaits. Des prisonniers canadiens confirment cette hypothèse et affirment assister au remplacement de la marijuana par la cocaïne et lhéroïne. Ce problème a pris une telle ampleur après lintroduction des prélèvements déchantillons durine au hasard dans les prisons britanniques que les tests de dépistage de la marijuana ont été abandonnés un peu plus tôt dans lannée.
Le rapport passe également en revue les lois canadiennes et internationales et maintient que les autorités pénitentiaires ne sacquittent pas de leurs responsabilités légales et morales parce quelles ne font pas tout en leur pouvoir pour protéger la santé des détenus. Des mesures appliquées avec succès à lextérieur des prisons avec lappui et le financement du gouvernement, telles que la fourniture daccessoires stériles et de traitements à la méthadone, nexistent pas dans la grande majorité des prisons. Il a pourtant été prouvé, en Suisse par exemple, quelles pouvaient être mises en place et obtenir lappui des prisonniers, du personnel, de ladministration, des politiciens et du public.
Lintervention juridique
Déjà en 1989, un tribunal canadien décrétait que les centres de détention de Toronto ne répondaient pas adéquatement au problème posé par lincarcération de personnes porteuses du VIH/SIDA car ils ne fournissaient ni traitements aux détenus ni programmes éducatifs au personnel. Ce cas et dautres décisions semblables rendues depuis montrent que les tribunaux canadiens sont disposés à examiner minutieusement les actes ou linaction des autorités pénitentiaires concernant le VIH/SIDA. Ainsi, en 1996, une femme séropositive a intenté une poursuite contre des autorités pénitentiaires provinciales pour avoir négligé de lui fournir de la méthadone. À son entrée en prison, cette femme navait pas été autorisée à poursuivre son traitement à la méthadone. Elle a présenté aux tribunaux une requête pour dédommagement, exigeant une ordonnance dhabeas corpus, alléguant que, dans les circonstances, sa détention était illégale. En réponse à sa requête, les tribunaux ont ordonné quon lui fournisse de la méthadone pendant son incarcération. Depuis, la politique dans les prisons provinciales a été modifiée pour permettre le traitement des détenus à la méthadone. Dans une autre affaire, toujours en 1996, un héroïnomane québécois a été condamné à une peine demprisonnement, avec une stipulation précise quil puisse être traité à la méthadone.
Étant donné ces précédents, où les tribunaux se montrent disposés à décréter que la non-prestation de soins adéquats à des personnes déjà infectées constitue une violation de leurs droits constitutionnels, on peut espérer que les magistrats canadiens voudront bien reconnaître quil est également inconstitutionnel de refuser à des détenus la possibilité de prévenir linfection. Il semble de plus en plus accepté que le droit (droit constitutionnel, droit de la responsabilité civile et droit criminel) puisse être invoqué pour forcer les autorités carcérales à adopter les mesures tant attendues de réduction des méfaits ou encore pour les tenir responsables de labsence de mesures dans les prisons et de la contagion du VIH qui sensuit.
Les recommandations de lOrganisation mondiale de la santé sur le contrôle du sida stipulent que les détenus doivent recevoir les mêmes soins de santé que lensemble de la population. La situation dans les prisons, où il reste tant à faire, doit faire réfléchir ceux dentre nous qui croient que lon a progressé dans la mise en place de stratégies de réduction des méfaits acceptables dans nos pays. Pour réduire les méfaits de la drogue dans les sociétés, il faut les réduire aussi dans les prisons. Or, à cet égard, nous avons lamentablement échoué.
Les prisons passent souvent pour un monde à part, mais cest tout le contraire : On y connait les mêmes problèmes quà lextérieur, même si on a aussi des problèmes uniques au monde carcéral et il y a un roulement continu entre la population carcérale et la population générale. Pour essayer de mettre en place un programme exhaustif de réduction des méfaits, il nous faut reconnaître que la situation ne découle pas seulement du mauvais usage des stupéfiants, mais aussi des mesures de contrôle utilisées. Ce dont nous avons le plus besoin en ce moment, cest dun débat ouvert et franc sur la façon de réduire les méfaits de la drogue sous toutes leurs formes. Cela comprendrait notamment la restructuration du système de justice criminelle, la reformulation de la stratégie antidrogue, la réévaluation de nos politiques sociales et lélargissement des programmes communautaires pour remplacer un taux dincarcération excessif. Tout ceci signifie que nous devons élaborer de nouvelles approches pour affronter le problème des stupéfiants et inventer une politique sociale qui fait intervenir de nombreux organismes oeuvrant de concert pour réduire les méfaits causés par les drogues aux individus, à la communauté et à la société en général. Il est évident que, pour être vraiment efficace, tout tentative pour réduire les méfaits de la drogue dans les prisons doit faire partie dune approche globale de réduction des méfaits dans toute la société. Cette approche doit comprendre une évaluation des effets de la consommation, du trafic et de la prohibition des stupéfiants.
Dabord, ne pas faire de mal
(Le serment dHippocrate)
La stratégie de réduction des méfaits est une orientation sociale relativement nouvelle dans le domaine de la lutte antidrogue. Elle a été adoptée dans plusieurs pays ces dernières années, notamment en Australie, en Grande-Bretagne, en Allemagne et aux Pays-Bas, et cela en réaction à la propagation du syndrôme dimmunodéficience acquise (sida) chez les drogués qui se piquent par injection intraveineuse. Le concept de réduction des méfaits peut sappliquer à toutes les drogues, y compris lalcool, mais il sadresse surtout aux drogués qui se piquent étant donné les dangers immédiats que pose cette façon de se droguer.
La réduction des méfaits a comme objet premier la réduction des conséquences négatives de la lutte contre la toxicomanie. Cette stratégie soppose à labstentionnisme, une politique dominante en Amérique du Nord, qui vise à réduire la prévalence de la toxicomanie. Selon le concept de la réduction des méfaits, une stratégie qui se limite à réduire la consommation des stupéfiants ne peut que favoriser certains maux liés aux drogues. Les deux approches insistent donc sur des aspects différents. La stratégie de réduction des méfaits tente datténuer les problèmes liés à la consommation de drogue et reconnaît que labstinence nest peut être pas un objectif réaliste ou même désirable pour certains, en particulier à court terme. Cela ne veut pas dire que la réduction des méfaits et labstinence sont contradictoires, mais bien que labstinence nest pas le seul objectif acceptable ou important. La réduction des méfaits suppose linstauration dobjectifs hiérarchisés aboutissant à la consommation sans risque ou, éventuellement, à labstinence et devant être atteints par étapes successives, en commençant par les premières et les plus réalistes. Cette approche est donc éminemment pragmatique.
Le succès du concept de réduction des méfaits a été catalysé par propagation du sida et, surtout en Amérique du Nord, il a retenu lattention à cause des effets pervers causés par les politiques de prohibition. En effet, la violence, les guerres des gangs, le surpeuplement dans les prisons et la corruption policière associés à la prohibition ont atteint un niveau tel que les décideurs, les médecins et le public ont cherché des solutions de remplacement à linterdiction totale. La stratégie de réduction des méfaits tente de repérer, de mesurer et datténuer les conséquences négatives de la toxicomanie aux niveaux individuel, communautaire et societal.
La réduction des méfaits, telle quon la conçoit aujourdhui, est née en Grande-Bretagne, aux Pays-Bas et en Amérique du Nord. Durant les années 80, trois grands facteurs ont mené à létablissement du modèle Mersey de réduction des méfaits en Grande-Bretagne : La possibilité pour les médecins de prescrire des stupéfiants ( y compris lhéroïne), linstauration rapide de programmes déchange de seringues et la coopération de la police locale. Toutes les données concernant les infections par le VIH parmi les toxicomanes qui se piquent à Merseyside donnent à penser que la stratégie de prévention y est très efficace. En effet, le taux de séroposivité est très faible chez toximanes par intraveineuse et le nombre des infractions liées à lacquisition de stupéfiants a baissé dans toute la région, alors quil est en hausse à léchelle nationale.
Dans les années 1980, la municipalité dAmsterdam a reconnu que la toxicomanie est un comportement complexe et récurrent, et que la stratégie de réduction des méfaits permet de dispenser des soins médicaux et sociaux et déviter ainsi certaines conséquences graves de linjection de drogue par intraveineuse. Le programme déchange de seringues date de 1984 et, depuis, de nombreuses villes néerlandaises ont adopté sur les stupéfiants une approche pragmatique et non moralisatrice qui a débouché sur un système polyvalent offrant divers programmes de réduction des méfaits. Aux Pays-Bas, la police vise avant tout les trafiquants et non les consommateurs de drogue.
Les programmes de traitement des opiomanes à la méthadone ont débuté à la fin des années 50 au Canada et au début des années 60 aux États-Unis. La propagation du sida chez les toxicomanes a conduit plusieurs pays, avec de bons résultats, à développer rapidement ce type de programmes et à libéraliser la fourniture de méthadone, mais dautres, comme le Canada et les États-Unis prennent plus de temps à réagir.
Plusieurs pays ou régions ont adopté le principe de la réduction des méfaits et lont mis en pratique. Ainsi, le Advisory Council on the Misuse of Drugs de Grande-Bretagne affirme : « nous concluons sans hésitation que la propagation du VIH est un plus grand danger pour la santé de lindividu et la santé publique que la toxicomanie. Par conséquent, les services qui visent à réduire par tous les moyens les comportements propices à la contagion par le VIH devraient avoir la primeur dans les plans de développement ». LOrganisation mondiale de la santé exprime un avis semblable, affirmant que les politiques destinées à réduire la consommation de drogue ne devraient pas compromettre les mesures de lutte contre la propagation du sida.
Caractéristiques de la stratégie de réduction des méfaits
Les principales caractéristiques de la stratégie de réduction des méfaits sont :
Le pragmatisme : La réduction des méfaits accepte comme inévitable un certain usage des substances psychotropes et comme normal un certain niveau de consommation de stupéfiants dans la société.
Lhumanisme : La décision de lutilisateur de prendre des drogues est un fait accepté et cest son choix. On ne porte aucun jugement moral pour condamner ou favoriser lusage des drogues, quel que soit le niveau de consommation ou le mode dabsorption. On respecte la dignité et les droits du toxicomane.
Linsistance sur les méfaits : Le niveau de consommation de drogue, chez une personne, est secondaire par rapport aux méfaits que suscite son usage.
La hiérarchie des objectifs : La plupart des programmes de réduction des méfaits présentent des objectifs hiérarchisés, les premiers étant de répondre aux besoins les plus pressants.
Définition
La réduction des méfaits peut se définir comme un objectif et comme une stratégie. Dans les deux cas, la consommation de drogue chez la personne est un fait accepté. Cela ne veut pas dire que la réduction des méfaits exclut labstinence, mais elle reconnaît plutôt quil existe plusieurs approches et stratégies valables pour traiter les problèmes de toxicomanie (au nombres desquelles on trouve la réduction des méfaits et labstinence). Une approche de réduction des méfaits à court terme, chez une personne, nexclut pas labstinence par la suite, et vice versa. Le Groupe de travail sur la politique en matière de drogues a suggéré de définir ainsi la stratégie de réduction des méfaits : Une politique ou un programme visant la diminution des conséquences négatives de lusage des drogues sur la santé, la vie sociale et la vie économique, sans exiger pour autant labstinence.
Les mesures de réduction des méfaits comprennent :
- léchange et la disponibilité des seringues,
- le traitement à la méthadone,
- la prescription dautres drogues que la méthadone, y compris des stimulants,
- la mise en oeuvre de programmes déducation et dinformation explicites et honnêtes,
- la mise en application de mesures juridiques et de politique criminelle,
- linstauration de zones de tolérance, lieux dinjection salubres surveillés par du personnel médical et lieux de vente sécuritaires surveillés par la police,
- la mise en place de mesures contre lalcoolisme favorisant la consommation modérée, étiquettes standardisées, intervention des serveurs, etc.,
- ladoption de mesures sur le tabac régissant lusage du tabac dans les lieux publics, favorisant lusage de la gomme, des timbres et des inhalateurs de nicotine, des cigarettes sans fumée, etc.,
- ladoption de mesures sur le cannabis, comme la décriminalisation de facto pour possession de petites quantités.
Lappui grandissant que reçoit la Conférence internationale sur la réduction des méfaits liés aux drogues, qui est maintenant dans sa neuvième année, et la formation récente de lAssociation internationale pour la réduction des méfaits témoignent de la popularité de cette stratégie à léchelle internationale. Les travailleurs sur le terrain approuvent de plus en plus cette stratégie, mais de nombreux organismes de santé et de lutte contre la toxicomanie, en Amérique du Nord et ailleurs, demeurent ambivalents sur son bien fondé tant pour lalcoolisme que la toxicomanie. Cette stratégie soulève, certes, des problèmes difficiles, mais il est clair quil vaut mieux en débattre ouvertement plutôt que de les passer sous silence comme ce fut le cas trop souvent dans le passé. Il faut que les programmes de réduction des méfaits tiennent compte des réalités culturelles. Ils représentent une stratégie polyvalente et non une simple intervention. Certaines conséquences de lusage des stupéfiants, comme le sida par exemple, imposent un plan à long terme. La réduction des méfaits est une démarche sociale, ce nest pas une stratégie que les responsables de la santé publique peuvent imposer de façon autoritaire. Un bon programme de réduction des méfaits doit offrir toute une gamme de moyens pour changer les comportements et doit être mené à long terme.
En dernière analyse, la réduction des méfaits se préoccupe de garantir la qualité et lintégrité de la vie humaine dans sa merveilleuse et terrifiante complexité. La réduction des méfaits nest pas manichéiste. Elle voit les problèmes tels quils sont, dans un juste milieu entre deux extrêmes. Cette approche tient compte du continuum de la toxicomanie et de la diversité des drogues ainsi que des besoins humains. À ce titre, elle ne donne pas de réponses rapides ni de solutions toutes faites. La réduction des méfaits est pragmatique, tolérante et fondée sur la diversité. En somme cest à la fois un produit et une mesure de notre humanité. La stratégie de réduction des méfaits prend en compte les droits de la personne et respecte lhumain chez lhomme.
10. Solutions de rechange au système canadien
Les leçons de lEurope et de lAustralie sont probantes. Les politiques en matière de drogues doivent chercher à réduire le nombre des crimes, des maladies et des décès causés par la drogue, et non le nombre des consommateurs occasionnels
États-Unis
Les États-Unis sont un des pays qui appliquent la prohibition la plus rigoureuse contre les stupéfiants. Même si la possession de la marijuana est décriminalisée de facto dans certains États et si lusage médical du cannabis est approuvé de plus en plus (voir plus haut), la plupart des politiques américaines sont de nature strictement prohibitive. Il existe peu de programmes déchange de seringues car certains États ont encore des lois interdisant la vente de seringues sans ordonnance ou léchange de seringues. Le dépistage antidrogue est répandu sur les lieux de travail et en milieu scolaire. Les peines sont très lourdes pour toutes les infractions touchant les stupéfiants avec des minima prescrits stricts. Les résultats de cette stratégie: une prévalence très forte du VIH et dautres pathogènes, en particulier chez les toxicomanes (parmi les plus élevées en occident), et une importante expansion du système pénitentiaire. Bien que les dépenses fédérales pour réduire lapprovisionnement aient été multipliées par cinq depuis 1996, la cocaïne coûte moins cher aujourdhui quil y a 10 ans et lhéroïne est pure à plus de 60 % contre 30 % en 1990.
En octobre, Amnistie Internationale a publié un rapport accablant sur le respect des droits de lhomme aux États-Unis. Lorganisme accuse les États-Unis de faire deux poids deux mesures et de créer un climat propice à la violation des droits de la personne. Le rapport fustige les États-Unis pour ce quil qualifie de violations persistantes et répandues des droits de la personne. Les autorités fédérales, celles des États, la police, les services dimmigration et les autorités pénitencières sont critiqués par le rapport qui documente des cas généralisés de violence gratuite, dagressions sexuelle et de cruauté. Bon nombre des infractions relevées par Amnistie concernent lappliction des lois antidrogue. Plus de 50 % des cas de détention aux États-Unis sont liées aux drogues. Le rapport critique particulièrement les conditions dincarcération dans les prisons américaines. La population carcérale a triplé aux États-Unis depuis 1980 et atteint plus de 1,7 million de personnes, et on se sert couramment de chaînes et de fers pour contraindre les détenus, bien que le droit international interdise cette pratique. Amnistie signale également que près dun tiers de tous les jeunes noirs des États-Unis sont en prison, en régime de libération conditionnelle ou sous caution. « Nous trouvons ironique que le pays le plus puissant du monde fasse appel aux lois internationales sur les droits dhomme pour critiquer les autres, mais napplique pas les mêmes normes chez lui ».
Malgré les efforts des Américains à létranger, la production mondiale dopium et de cocaïne a doublé depuis dix ans. Le nombre de pays producteurs a également doublé. Les efforts pour arrêter la production dans un pays ne servent quà la faire augmenter ailleurs. Comme un terrain de 35 km2 suffit pour produire suffisamment dopium pour la consommation américaine, les chances que les États-Unis parviennent à en enrayer la production sont bien minces. En outre, les frontières sont plutôt difficiles à protéger quand on sait quun seul DC-3 peut transporter un chargement dhéroïne suffisant pour un an de consommation et que 12 remorques suffisent à un an de consommation de cocaïne.
En 1980, le budget fédéral de lutte contre les stupéfiants était denviron un milliard de dollars américains et les budgets locaux et ceux des États étaient de deux à trois fois plus lourds. En 1997, le budget fédéral pour le contrôle des stupéfiants atteignait 16 milliards, dont les deux tiers était destinés aux organismes de répression ; le financement des localités et des États avait augmenté dans les mêmes proportions. « Voilà le résultat dune politique antidrogue trop dépendante des "solutions" judiciaires qui limitent le traitement à la seule abstinence pour des raisons idéologiques et qui ne sont pas tenues à des analyses de coûts et de rendements ».
Grande-Bretagne
En Grande-Bretagne, la loi autorise les médecins à prescrire à leurs patients nimporte quelle drogue sauf lopium. Cette pratique remonte au comité présidé par Sir Humphrey Rolleston durant les années 20. Le comité Rolleston était un groupe de médecins faisant autorité dans le traitement des toxicomanes. Une des conclusions principales du comité était la suivante : Lorsquon a fait, en vain, tous les efforts possibles pour briser la dépendance à la drogue dun patient, il est parfois justifié de prescrire régulièrement la dose minimale qui se révèle nécessaire pour éviter les symptômes de sevrage graves et maintenir le patient dans un état qui lui permette de mener une vie utile.
Le système britannique a connu une évolution importante causée par le changement de nature de la population toxicomane et le renforcement des contrôles exercés sur les médecins ; mais, à bien des égards, le rapport Rolleston sert encore de modèle. Ceci est particulièrement vrai dans la région de Mersey où les différents services suivent le principe voulant quà défaut de pouvoir « guérir » la dépendance, on peut encore traiter les toxicomanes en fournissant des injections dopiacés et dautres drogues à des usagers enregistrés auprès des autorités de santé. La police locale contribue beaucoup au succès de cette approche en ne mettant pas sous surveillance les services qui dispensent les drogues et en y référant les toxicomanes quelle arrête. La majorité des clients se voient prescrire de la méthadone par voie orale, mais certains recoivent des injections de méthadone ou dhéroine et un petit nombre reçoit des amphétamines, de la cocaïne ou dautres drogues. Ces stupéfiants sont dispensés par les pharmacies locales. Dans certaines régions de Grande Bretagne, on prescrit aussi aux toxicomanes des drogues que lon peut fumer (les toxicomanes prêts à abandonner le mode dabsorbtion par injection intraveineuse se trouvent souvent incapables de passer directement à la voie orale qui ne produit pas le même effet immédiat (rush) quune injection de drogue, mais que linhalation, elle, produit aussi).
Le conseil consultatif du gouvernement britannique sur le mauvais usage des drogues (ACMD) a affirmé en 1988 que le sida est une plus grande menace pour la santé publique que la toxicomanie et recommandé que les services de stupéfiants modifient leurs politiques pour pouvoir entrer en contact avec le plus grand nombre de toxicomanes possible et les aider à changer leur comportement, même lorsquils consomment encore des drogues. LACMD affirme que les services de stupéfiants devraient suivre des objectifs hiérarchisés pour changer les comportements des drogués en les déshabituant dabord à partager le matériel dinjection, puis à les arrêter de se faire des injections intraveineuses, ensuite à leur faire réduire leur consommation et arriver finalement à labstinence totale.
La région de Mersey est la deuxième en importance, en Grande-Bretagne, pour la concentration de toxicomanes inscrits auprès des autorités médicales régionales. Le taux de VIH parmi les drogués par intraveineuse dans cette région est très faible, environ 1 %. On y a constaté une diminution importante des infractions relatives à la propriété, des vols de pharmacies et des vols par effraction. Comme aucune étude contrôlée ni projet pilote na eu lieu dans la région, les autres pays considèrent ces données trop peu fiables pour étayer la formulation de leurs politiques. Le modèle de Mersey a été suivi avec succès dans la plupart des régions de Grande-Bretagne et la moyenne nationale de séroposivité au VIH nest que de 1 % chez les toximanes qui se piquent. Les politiques de la police de donner seulement des avertissements lorsquil sagit de petites quantités de drogue à des fins personnelles ont été étendues à toutes les drogues et se pratique dans tout le pays.
Suisse
Dans le passé, les problèmes de toxicomanie en Suisse existaient uniquement dans les villes. À Zurich, un parc, considéré comme « zone franche » pour la consommation des stupéfiants, a fini par causer un problème municipal majeur en raison de lafflux de toxicomanes provenant en bonne partie de lextérieur de la ville, et même du pays, qui entraînait une augmentation des méfaits liés aux drogues. Lendroit, surnommé le « Parc des seringues », a été fermé lorsque les mauvaises conditions dhygiène, les surdoses et les plaintes sont venus à bout des resources de la ville. Afin déviter les erreurs du parc aux seringues, le gouvernement suisse a convenu en 1992 de réassumer une part des responsabilités en matière de stupéfiants.
En janvier 1994, le gouvernement suisse a lancé une expérience scientifique pluriannuelle dans plusieurs villes consistant à fournir des stupéfiants aux toxicomanes dépendants afin dévaluer les effets sur leur santé, leur intégration sociale et leur comportement. Le programme a dabord touché 700 toxicomanes dans huit villes, puis sest étendu à 1 146 malades dans 18 centres de traitement répartis dans sept villes. Moyennant un prix de participation modique dune vingtaine de dollars canadiens par jour le programme fournissait :
- laccès médical à de lhéroïne, à de la morphine, à de la méthadone et, dans certaines conditions, à de la cocaïne, sous forme injectable, orale ou même sous forme de cigarette. Deux programmes permettaient aux clients de rapporter chaque soir avec eux quelques doses dhéroïne,
- le logement, de laide à la recherche demploi, un traitement pour les maladies et les problèmes psychologiques, des seringues propres et du counselling,
- la possibilité, pour les responsables de santé publique des villes participantes, de fournir de la cocaïne aux toxicomanes dépendants dans le but détudier lapparition de la psychose due à la cocaïne au sein dune population autrement pourvue de soins. Pour les grands cocaïnomanes, lopinion quant à lopportunité du traitement était divisée,
- de la drogue sans limite de quantité mais des directives étaient fournies sur ce qui constitue une dose type,
- de lhéroïne dans une prison à huit détenus, avec, à date, de bons résultats.
Les taux de rétention ont été importants pour les périodes expérimentales de six et de 18 mois. Il y a eu amélioration de létat physique, de la santé mentale et de la vie sociale des patients, de même quune réduction des nouveaux cas de VIH. Le rapport final a été publié le 10 juillet 1997 par le Bureau fédéral suisse de la santé publique. Le programme de traitement à lhéroïne a été déclaré un succès, les infractions ont diminué de 60 % et le chômage de 50 %, et on a économisé des fonds publics au chapitre de lapplication de la loi, de lincarcération et du traitement médical. Devant ce succès, le gouvernement suisse a décidé de prolonger lexpérience avec lhéroïne.
Une des méthodes de réduction novatrices pratiquées par la Suisse, les Pays-Bas et lAllemagne, est de tolérer le fonctionnement dendroits appelés « salles dinjection », « salles de santé », « centres de contact », etc. Il sagit de lieux où les toxicomanes peuvent se réunir et obtenir des seringues propres, des préservatifs, des conseils, des soins médicaux, etc. La majorité de ces lieux protègent lanonymat. Certains prévoient un espace où les toxicomanes, incluant ceux qui se font des piqures intraveineuses, peuvent prendre de la drogue dans un milieu relativement sûr. On considère que cela vaut mieux que linjection de stupéfiants dans des lieux publics ou des endroits où les toxicomanes se retrouvent de façon clandestine, où lhygiène est généralement déplorable et qui sont contrôlés par les trafiquants de drogue. En Suisse, les premières salles dinjection ont été créées par des organismes privés à Berne et à Bâle à la fin des années 80. À la fin de 1993, il y avait huit endroits de ce genre, exploités, pour la plupart, par les municipalités. Plusieurs autres villes de la Suisse germanophone ont ouvert des salles de ce genre en 1994. Lévaluation de trois de ces lieux, après un an dexploitation, montre quils ont favorisé la diminution de la transmission du VIH et le risque de surdose.
Une diminution de lincidence et de la prévalence de linfection au VIH, à lhépatite B et à lhépatite C a été remarquée parmi les toxicomanes de Genève qui suivent le traitement à la méthadone depuis huit ans, ce qui indique que les toxicomanes ont modifié leur comportement à risque en ce qui concerne le VIH à la suite des campagnes de prévention. La prévalence du VIH parmi les sujets qui ont entrepris le traitement avant 1988 était de 38 % comparativement à 4,5 % parmi ceux qui ont commencé le traitement après 1993. En outre, la prévalence des hépatites B et C est descendue respectivement de 80,5 % à 20,1 % et de 91.6 % à 29.8 % durant la même période. Outre les campagnes nationales dinformation sur le VIH entreprises après 1986, plusieurs autres mesures de prévention ont été instaurées à Genève. En 1987, les seringues sont devenues disponibles en pharmacie et, en 1991, on a instauré un programme national déchange et de fourniture de seringues, avec machines distributrices. Ce programme comprend maintenant léchange de seringues dans toutes les prisons et la distribution dhéroïne dans lune delles. On a également élargi laccès au traitement à la méthadone pendant cette période. Grâce à cette démarche globale, la Suisse fournit un exemple de lefficacité et de la rentabilité des solutions pragmatiques en matière de stupéfiants.
Pays-Bas
La politique néerlandaise sur les stupéfiants a pour objectif premier de réduire les dangers de la toxicomanie pour les utilisateurs eux-mêmes, leur environnement immédiat et la société dans son ensemble. Ici, par tradition, on cherche des solutions pragmatiques à des problèmes concrets. Certes, on considère que la loi est utile, mais on attache une grande valeur au contrôle social organisé. Tout en tenant compte des risques pour la société, le gouvernement des Pays-Bas a tenté de sassurer que les poursuites et lincarcération ne fassent pas plus de mal aux toxicomanes que la consommation de drogues elle-même. Le code criminel hollandais invoque le principe de lopportunité qui autorise le ministère de la Justice à ne pas intenter de poursuites criminelles sil y va de lintérêt public « pour des raisons découlant du bien commun ». On a établi des directives pour dépister et poursuivre des infractions à la Loi sur lopium. La police ne prend aucune mesure spéciale pour détecter la possession de drogue à des fins personnelles, ni la vente ou la possession dune quantité allant jusquà 30 g de cannabis. Les modifications apportées par la Loi sur lopium et la politique de non répression partielle exercée par la police ont donc décriminalisé de facto lutilisation de la marijuana et des autres produits du cannabis dans ce pays. Ces changements ont entraîné une diminution des peines pour la culture de petites quantités et la consommation de marijuana, ainsi quune augmentation des peines pour les gros trafiquants et le trafic international.
Un commentateur explique comment la Hollande répond à ses obligations internationales :
« La Convention unique et les obligations de la Convention sur le trafic illicite de 1988 exigent la criminalisation de la possession, du trafic, de la vente, de la culture et de la production des drogues douces autant que des drogues dures. Les Pays-Bas répondent à cette obligation par la promulgation en Hollande dune Loi sur lopium. Cependant, il nexiste dans les conventions pertinentes des Nations Unies sur les stupéfiants aucune disposition concernant lapplication de cette loi. La Convention unique reconnaît explicitement aux États le pouvoir de restreindre lapplication de leurs lois en partant du principe quelles représentent un élément fondamental de leur souveraineté. Cette disposition donne aux Néerlandais la latitude quils utilisent dans lapplication de leurs lois sur les stupéfiants. En interprétant le principe légal de lopportunité des poursuites comme principe fondamental de souveraineté, ils ont été en mesure détablir une politique de non-répression (partielle) des infractions à leur Loi sur lopium ».
La Commission internationale de contrôle des stupéfiants a déclaré que la décriminalisation de facto pratiquée par les Pays-Bas contrevenait à la politique des Nations Unies. En retour, les détracteurs de la prohibition néerlandais affirment que la commission se fonde sur une interprétation trop littérale des mesures punitives énoncées dans les traités. Ils affirment que ces traités permettent aux États de réglementer la production de cannabis sils estiment quil sagit de la façon la plus appropriée de protéger la santé et le bien publics. Ils disent notamment :
« Linterprétation logique des articles 22 et 28 de la Convention unique sur les stupéfiants de 1961 est quil revient à chaque pays de décider pour lui-même quelles mesures conviennent le mieux pour protéger la santé et le bien-être du public et pour décourager le trafic illicite. Si un pays est convaincu que linterdiction de la culture du cannabis, par exemple, ne constitue pas une mesure appropriée, alors le pays nest pas obligé par la convention dappliquer linterdiction de cette culture, à condition que lÉtat établisse un organisme réglementant et contrôlant cette culture. Dans ce cas, lÉtat ne contrevient pas à larticle 3 du traité concernant le trafic illicite des stupéfiants et des substances psychotropes (Vienne, 20 décembre 1988)».
Dans plusieurs villes néerlandaises, la vente de marijuana se pratique au grand jour dans certains « cafés » où la consommation dalcool et de drogues dures est interdite. Les autorités contrôlent ces cafés et les centres pour jeunes où on vend de la marijuana afin de sassurer quil ne sen vende pas de grandes quantités, quon ny vende pas dautres drogues, quon ny fasse ni publicité ni incitation à la consommation et que la vente ne soit pas destinée à des mineurs. Lobjectif de cette politique est de dissocier les marchés des drogues dures de celui des drogues douces, afin que ceux qui consomment ces dernières ne soient pas marginalisés. La consommation de marijuana a dune certaine façon été normalisée en ce sens que certaines personnes en font un usage récréatif et que sa consommation est acceptée dans les lieux publics. Ces changements aux lois néerlandaises sur les stupéfiants nont pas donné lieu à une augmentation de la consommation des produits du cannabis. En fait, en tenant la vente du cannabis à lécart du marché des drogues dures et en sattaquant honnêtement aux mythes entourant sa consommation, cette drogue semble être devenue moins attirante pour les jeunes.
Les Pays-Bas sont un des berceaux de la stratégie de réduction des méfaits : Les organismes ont commencé les programmes de prescription de méthadone dans les années 70, les ont étendus et libéralisés dans les années 80 afin daffronter la montée de lhépatite, du VIH, des crimes liés à la drogue et autres méfaits (programmes tolérants). La recherche révèle une corrélation positive entre les programmes rigides et les taux de criminalité, la consommation dautres drogues et lexposition à linfection. Les programmes tolérants ne visent pas à traiter la dépendance mais plutôt à prendre contact avec les héroïnomanes et à stabiliser leur consommation en prévenant les symptômes de sevrage. Parmi les innovations, il faut noter la création de cliniques ambulantes à Amsterdam et à Rotterdam qui parcourent tous les jours les rues de ces villes en fournissant de la méthadone. La méthadone liquide est consommée sur place et on peut sapprovisionner également en seringues propres et en préservatifs. Le service de santé municipal dAmsterdam dispense également à un petit nombre de personnes des injections de méthadone ou de morphine. Une des raisons du succès du programme de traitement à la méthadone est quil noblige pas à fournir un échantillon durine ni à parler à un conseiller. Depuis lapparition des cliniques ambulantes et des programmes déchange de seringues au début des années 80 le nombre des participants aux traitements de désintoxication et au programme de resocialisation a plus que doublé à Amsterdam. Comme la méthode anglaise, la méthode néerlandaise de réduction des méfaits est devenue un modèle pour dautres pays à cause de son pragmatisme, de son aspect humanitaire et de ses résultats. En juillet de cette année, un projet pilote de trois mois consistant à fournir de lhéroine pharmaceutique aux héroinomanes a été entrepris à Amsterdam et à Rotterdam. Lexpérience vise 25 toxicomanes dépendants dans les deux villes ; si elle réussit, elle sera élargie à 750 héroïnomanes dans tout le pays.
Outre les salles de consommation de drogue et les « cafés », Rotterdam dispose également dune politique en vertu de laquelle on tolère la vente de drogue dans certaines zones comme, par exemple, dans un appartement. Selon cette politique, la police et les procureurs sabstiennent darrêter et de poursuivre les revendeurs de drogue qui vivent en appartement, à condition quils ne dérangent pas leurs voisins. Cette approche fait partie dun plan de « quartiers sécuritaires » en vertu duquel la population locale et la police travaillent de concert à garder les lieux propres, sécuritaires et sans problème.
Allemagne
LAllemagne a ratifié la Convention unique sur les stupéfiants et la Convention de 1971 sur les substances psychotropes, ainsi que la Convention de 1988 sur le trafic des drogues. La jurisprudence a cependant modifié la législation. En ce qui concerne la consommation de cannabis, la cour constitutionnelle fédérale, dans un jugement de 1994, exige que la possibilité statutaire de sabstenir de poursuivre une personne en possession dune quantité insignifiante de cannabis devienne une règle dans le cas dune consommation personnelle occasionnelle ne mettant pas autrui en danger.
Au niveau local, les grandes villes allemandes suivent une politique de réduction des méfaits. En effet, plusieurs grandes villes européennes, dont Francfort, Amsterdam, Hambourg et Zurich, ont signé la Résolution de Francfort. Ce document conclut que la tentative déliminer la consommation de stupéfiants dans la société a échoué, que la poursuite criminelle devrait plutôt cibler le trafic des drogues et quil convient de poursuivre des politiques de réduction des méfaits afin de permettre aux toxicomanes de vivre dans la dignité. Ainsi, la municipalité de Hambourg a adopté une politique qui décriminalise de facto la possession de petites quantités de cannabis (jusquà 30 g), de cocaïne (jusquà cinq g) et dhéroïne (jusquà un g).
Le traitement à la méthadone, quels que soient ses objectifs, était interdit en Allemagne jusquen 1987. À cette date, on a lancé un projet pilote dans cinq villes (étendu depuis à huit). Après cinq ans, lévaluation des projets pilotes révèle, entre autres choses, une chute radicale de la consommation dhéroïne (plus de 90 % des patients ont complètement abandonné la consommation de stupéfiants) et lamélioration de la santé générale des patients. Dans les villes, on signale une réduction de la consommation des stupéfiants et des activités criminelles comme la prostitution, une diminution des décès et une amélioration de la santé grâce au traitement à la méthadone. Le traitement à la méthadone sest beaucoup développé et atteint 5 000 clients. Près de 2 000 médecins en Allemagne ont reçu lautorisation den prescrire.
Francfort constitue un bon exemple dune approche de réduction des méfaits globale pour confronter les problèmes de drogue dans une grande ville. La municipalité a créé un réseau de services facilement accessibles aux toxicomanes, avec lieux de repos ouverts jour et nuit, programmes déchange de seringues, « salles dinjection hygiénique » ou « salles de santé » où les héroïnomanes peuvent sinjecter des drogues dans un environnement propre et non stressant. La police a travaillé avec un groupe se réunissant chaque semaine (le groupe du lundi), composé délus et dadministrateurs municipaux, de médecins et de représentants de la police. Elle a maintenu sa politique darrestation des revendeurs mais elle a entrepris de tolérer un lieu déchange ouvert dans un secteur bien délimité dun parc de la ville. Cette politique a mené à une diminution significative du nombre des toxicomanes sans abri, des délits et des décès reliés aux drogues dans cette ville. Bien que tous les problèmes naient pas été réglés, les crimes, la violence et les décès par surdose ont diminué de 80 %. Les responsables de la santé publique et les travailleurs sociaux trouvent quil est plus facile de fournir des services lorsque les lieux de vente de la drogue sont facilement accessibles et relativement permanents. Plusieurs villes allemandes se préparent à lancer leur projet pilote de prescription dhéroïne aux toxicomanes. Ces essais ont le support de la majorité des chefs de police du pays.
Australie
Jusquau milieu des années 1980, les politiques et les programmes de lAustralie sur les stupéfiants ressemblaient beaucoup à ceux du Canada, cet autre membre du Commonwealth. Contrairement au Canada cependant, la réaction de lAustralie à la menace du sida a été rapide et pragmatique. Des comités consultatifs nationaux de lÉtat fédéral et des Territoires sur le sida et la toxicomanie ont été établis très tôt et la plupart ont accompli beaucoup de travail, avec pour résultat quen Australie, aujourdhui, peu de toxicomanes sont porteurs du VIH et que linfection se propage peu dans ce segment de la population. Les mesures anti-sida, en Australie, comprennent des programmes déchange de seringues et un développement notable du traitement à la méthadone. LAustralie a également assoupli les critères dadmission à ces programmes et tolère de nombreux sites où les drogués peu enclins à changer leur comportement peuvent recevoir de la drogue. Ces modifications des programmes antidrogue relèvent des nouvelles priorités accordées par lÉtat fédéral et les Territoires à larrêt de la propagation de lVIH et des autres méfaits causés par les stupéfiants. Depuis le changement de gouvernement il y a quatre ans, on est revenu à une application plus stricte de la prohibition, comme en témoigne la décision du gouvernement fédéral de ne pas entreprendre un essai de distribution dhéroïne.
Lassemblée législative du Territoire de la capitale australienne a créé un comité restreint sur le VIH, les drogues et la prostitution en septembre 1989. En 1991, lassemblée a autorisé le comité à présenter un rapport provisoire sur les stupéfiants. Daprès lui, la mise en oeuvre de la politique courante en matière de lutte antidrogue (contrôle, réduction, prohibition) nétait probablement plus efficace. Le comité a accepté les résultats des expériences internationales prouvant que les politiques de prohibition nont pas réduit lapprovisionnement illégal dopiacées ni le nombre des drogués. Les politiques de prohibition, en particulier aux États-Unis, vont à lencontre des politiques sanitaires visant à restreindre la propagation du sida. En Australie, tous les grands rapports parlementaires et judiciaires sur les stupéfiants depuis 1971 insistent sur le besoin daccroître la recherche et tendent à sécarter dune philosophie dabstinence stricte. Le comité a envisagé dautres options, ses membres ont visité Merseyside et ont été impressionnés par le succès de son programme de prescription de drogue. Cela a donné lieu à la préparation dun projet pilote de prescription dhéroine, largement approuvé par les politiciens, les travailleurs de la santé et la collectivité.
Le comité a souligné les avantages potentiels de cette expérience :
- Les changements aux politiques sur les drogues doivent être faits de toute urgence et lopinion publique convient largement que la prohibition telle quelle est actuellement appliquée nest pas efficace.
- Il ny a pas consensus sur la nature de ces changements. Laugmentation dun accès contrôlé aux opiacés, y compris à lhéroine, a plus de partisans que de détracteurs. Les bénéfices potentiels de ces changements comprennent la diminution des délits, la réduction de la corruption, lamélioration de la santé et de la qualité de vie des toxicomanes, ainsi que la prévention de la propagation du VIH.
Les avantages escomptés dun approvisionnement contrôlé ne sont pas assurés, car ils sappuient sur un tout petit nombre détudes peu concluantes.
Le Comité a également étudié les points suivants :
- Il peut y avoir fuite entre les approvisionnements du gouvernement et le marché clandestin,
- Il est à craindre quun trop grand nombre de participants conduise à linstauration dun système de distribution dhéroine "à emporter",
- fournir de lhéroïne à des toxicomanes dans un milieu clinique surveillé ne résoud pas le problème de la relation entre lhéroïne et la criminalité dans un contexte réaliste ; bien des héroïnomanes sont dabord des criminels et ensuite des drogués,
- le coût des services sociaux va augmenter,
- Lapprovisionnement légal en héroïne ne résoud pas les problèmes des toxicomanes dus à leur manque déducation, à leur peu de compétence professionnelle et à leurs aptitudes sociales déficientes.
En conclusion, le comité indique quil est possible de réduire les risques et que, dailleurs, ils sont largement compensés par les avantages offerts par le programme de prescription dhéroine. On estime le coût de ce programme à environ 10 000 $ australiens par personne par année. Le Conseil ministériel sur la stratégie en matière de drogue a approuvé le projet le 31 juillet 1997. Avant que lexpérience puisse commencer, elle doit être approuvée par le Bureau de contrôle international des stupéfiants des Nations Unies. Le projet, bien quapprouvé par le gouvernement australien, a été critiqué par des représentants du Secrétariat dÉtat américain et un magnat de la presse australienne a suscité beaucoup de pression sur le nouveau premier ministre. En août 1997, le Cabinet fédéral australien a décidé de ne pas adopter la loi nécessaire à limportation dhéroïne pour ce projet expérimental et à ne pas autoriser son financement. Michael Moore, député indépendant à lassemblée de la capitale australienne, a affirmé que cette décision était due à lignorance et reposait sur la peur.
Au début des années 1990, lAustralie du Sud et le Territoire de la capitale australienne ont transformé la possession simple de cannabis en infraction civile, assortie dune amende.Ces infractions ne sont pas poursuivies ou pénalisées au criminel, il ny a pas de conséquences criminelles et la peine maximale est une amende de 150 $. La consommation de cannabis dans les lieux publics est encore une infraction criminelle. Des études récentes ne révèlent aucune augmentation de la consommation du cannabis dans ces deux entités administratives par rapport aux autres États. Cependant, les amendes semblent pénaliser de façon disproportionnée les drogués des milieux défavorisés. À lheure actuelle, environ 45 % des condamnés ne sont pas en mesure de payer lamende et doivent comparaître devant les tribunaux, de sorte que la formule actuelle nentraîne pas de diminution des coûts du système judiciaire. Des révisions à la formule sont en cours de préparation et lAustralie envisage un programme national de réforme de la politique du cannabis.
LAustralie, qui a répondu de façon rapide et pragmatique au problème du VIH et qui est prête à envisager des solutions de remplacement à la prohibition offre lexemple dune fédération encline à utiliser la stratégie de réduction des méfaits des stupéfiants aux niveaux national et régional. Un élément important de cette volonté de réforme provient de la Fondation sur la réforme du droit australien en matière de drogue, composée de parlementaires, de professionnels et de personnes du milieu qui sinquiètent du tort causé par les drogues et les politiques en matière de drogues.
11. Conclusions et recommandations
Il est temps de reconsidérer le problème. Il y a eu pendant des dizaines dannées un débat futile sur la question de savoir si la toxicomanie était un problème criminel ou médical. Jespère quil est désormais clair quil sagit en fait dun problème politique.
Les problèmes liés aux drogues, licites et illicites, sont déjà très importants dans certaines régions du Canada et augmentent rapidement dans dautres. Les ravages de la toxicomanie ne sont pas attribuables seulement à lusage des drogues, mais, souvent, à une stratégie antidrogue inefficace et mal à propos. La Loi réglementant certaines drogues et autres substances, promulguée récemment, était loccasion rêvée de débattre dune réforme de cette stratégie. Elle na pas été saisie. Il aurait été opportun de réévaluer les lois canadiennes réglementant les drogues et den rédiger de nouvelles fondées sur la santé publique et surtout sur la réduction des méfaits, puisque la stratégie antidrogue canadienne déjà en vigueur au moment de ladoption de la nouvelle loi énonçait expressément que son objet était de réduire les méfaits. Au cours des audiences menées à la Chambre des communes sur le projet de loi en question, le gouvernement libéral a déclaré quil demanderait un examen complet et indépendant de la politique en matière de stupéfiants dans lannée qui suivrait la promulgation de la loi. La Loi réglementant certaines drogues et autres substances (LRDS) a été promulguée en mai 1997 et rien nindique que cet examen si nécessaire aura lieu.
La législation canadienne en matière de stupéfiants est irrationnelle et prête souvent à confusion. La LRDS ne va quexacerber les problèmes de lancienne législation et ajouter à la confusion plutôt que clarifier les choses. Le gouvernement continuera, pour modifier la législation, à sappuyer sur les incohérences crées par loctroi de pouvoirs discrétionnaires aux autorités policières, aux procureurs de la couronne et aux juges pour modifier la législation. Par conséquent, la mauvaise utilisation des ressources, la criminalisation des toxicomanes et la contamination, voire le décès, de nombreux Canadiens continueront alors quils pourraient être évités. La LRDS ferme les yeux sur les questions suivantes:
- la dissuasion de la toxicomanie par des moyens pénaux est inefficace,
- il faut trouver des solutions de rechange axées sur la santé publique,
- les politiques fondées sur la criminalisation ont un coût élevé du point de vue social, individuel et financier,
- il importe de sinspirer des expériences de pays autres que les États-Unis pour formuler nos politiques en la matière,
- les gouvernements canadiens gaspilleront des centaines de millions de dollars chaque année pour livrer une guerre avec des armes inopérantes, et ces sommes ne seront pas consacrées à des programmes essentiels,
- le Canada sera perçu comme une société régressive et répressive, alors que bien dautres pays commencent à abandonner lusage excessif du droit criminel pour régler la question,
- il faut constater que lexpérience ratée de la prohibition de lalcool dans les années 1920 et le fiasco de la criminalisation des problèmes de drogue aux États-Unis semblent ne nous avoir rien appris.
La revue The Economist a souvent critiqué le fait que les pays occidentaux sappuient toujours sur la prohibition. On a pu y lire : « linterdiction légale dune activité, et son échec inévitable, criminalise davantage cette activité, la rend plus rentable et plus dangereuse pour ses adeptes quelle ne le serait autrement. Si linterdiction était levée et remplacée par une réglementation détaillée, davantage de personnes tenteraient certes des expériences dangereuses avec les drogues... Mais léchec de la prohibition est encore plus dangereux, à la fois pour les toxicomanes eux-mêmes et pour les sociétés qui sont corrompues, subverties et terrorisées par les bandes de trafiquants. Le trafic est interdit par les lois nationales et les conventions internationales. Abrogez-les et essayez plutôt de contrôler, de taxer et de décourager lusage des stupéfiants. Tant que cela ne sera pas fait, le carnage aux États-Unis et la destruction en Colombie continueront. LEurope est la prochaine sur la liste. »
La drogue et certaines politiques sociales ont certainement servi de catalyseur à la propagation du sida et à dautres méfaits dans le monde. Les lois canadiennes actuelles en matière de stupéfiants contribueront au décès de milliers de gens dans les années à venir dû à la propagation du VIH et dautres infections liées à la toxicomanie, aux surdoses et à la violence. La Loi réglementant certaines drogues et autres substances ne fera quexacerber ces méfaits pour les raisons suivantes :
- Le droit criminel donne lieu à un marché clandestin très rentable et cette rentabilité encourage fortement le trafic de drogue. Les sanctions criminelles ont peu deffet sur ce comportement.
- Les toxicomanes doivent acheter leur drogue sur le marché clandestin et donc recourir au vol ou au trafic pour pouvoir sadonner à une habitude qui peut devenir très onéreuse.
- La rentabilité du trafic des stupéfiants conduit à la corruption et à la violence parmi les nombreux intervenants. Les passants sont souvent dinnocentes victimes. La société dans son ensemble souffre de la corruption et de la violence constantes.
- Le droit criminel augmente les probabilités que des toxicomanes, leurs partenaires sexuels et leurs enfants contractent le VIH et dautres agents pathogènes, parce que les lois actuelles encouragent les usagers à sinjecter les drogues. Les lois interdisant lusage de drogues telles que la cocaïne et lhéroïne encouragent les usagers à trouver des modes dutilisation plus efficaces, comme souvent linjection. En effet, les toxicomanes ne peuvent se permettre de gaspiller ces drogues, compte tenu de leur prix élevé, et se les injectent plutôt que de les fumer, ce qui est moins rentable. Parce que les stupéfiants sont illégaux, les toxicomanes conservent aussi peu de drogue possible sur eux pour ne pas attirer les soupçons ou limiter la peine quils encourront sils sont arrêtés. Ils doivent donc trouver des moyens de se droguer qui nécessitent des quantités de stupéfiants plus petites tout en provoquant le même effet. De plus, la LRDS interdit aussi les substituts qui, eux, peuvent se prendre par voie orale et sont donc moins dangereux.
- En raison du prix élevé des drogues illicites, certains toxicomanes sont conduits à se prostituer en échange dargent ou de stupéfiants, augmentant ainsi le risque de propager le VIH et dautres maladies.
- Lactuelle législation encourage dans le public une attitude hostile vis-à-vis des toxicomanes et de la drogue. Cette criminalisation de la toxicomanie a pour effet de marginaliser les toxicomanes, de les mettre à lécart de la société et des réseaux dassistance traditionnels. En raison de cette marginalisation et de leur méfiance à légard des autorités, il est difficile de communiquer aux drogués les informations sur la façon de réduire les méfaits de la drogue, sur les modes dinjection salubres et sur la désintoxication.
- En raison des politiques sappliquant aux alcooliques et aux toxicomanes, il arrive souvent que les femmes enceintes ou les mères de famille toxicomanes ne cherchent pas à obtenir de laide, de peur quon leur enlève leurs enfants. Lorsquelles le font, elles ont rarement accès à des services de garde denfants ou à dautres services qui leur permettraient de se faire soigner tout en remplissant leur rôle de parent. Les renseignements fournis aux femmes concernant labus de stupéfiants et dalcool sont souvent inexacts ou alarmistes, car ils sont fondés sur des principes prohibitionnistes et puritains plutôt que sur des faits scientifiques. Les femmes droguées porteuses du VIH et, si elles sont enceintes, les enfants quelles portent, courent des risques particuliers quand elles ne croient pas pouvoir obtenir daide.
- Par suite de ladoption de la législation en matière de drogues, certains milieux se sont fortement opposés aux programmes déchange de seringues qui sont perçus comme encourageant la toxicomanie. La LRDS est si floue en ce qui concerne la légalité des seringues quelle va sans doute aggraver les difficultés que rencontrent les programmes déchange de seringues au Canada.
- Les toxicomanes ont accès à des drogues frelatées dont ils ignorent le degré de pureté. En 1998, plus de 300 personnes sont mortes en Colombie-Britannique de surdoses dhéroïne et de cocaïne de très grande pureté ; il y a eu plus de 2 000 décès de ce type dans cette province depuis 1991, dont la plupart auraient pu être évités si on avait mis en place des mesures comme la réglementation des stupéfiants et la création détablissements où les toxicomanes peuvent se piquer en toute sécurité.
- Les toxicomanes qui craignent de se faire arrêter pour possession de stupéfiants évitent de transporter sur eux leur propre drogue et leur seringue. Faute de lieux où ils peuvent se piquer sans danger, ils se rendent dans des endroits clandestins où ils retrouvent dautres drogués et où ils partagent leurs seringues.
- Lorsquun toxicomane est arrêté, il reçoit rarement un traitement approprié. Les toxicomanes sont souvent placés dans des organismes correctionnels (où ils coûtent 50 000 dollars par an) où nombre dentre eux continuent de se droguer et où rares sont ceux qui reçoivent un traitement approprié.
- Nos politiques sociales stigmatisent et marginalisent les prostitué(e)s qui, par conséquent, travaillent souvent dans des conditions malsaines et dangereuses. Ce mode de vie encourage lusage des stupéfiants. Les politiques actuelles sont telles que les prostitué(e)s qui se droguent ont des contacts fréquents avec les autorités policières et finissent souvent en prison.
- Le surpeuplement des prisons est dû aux détenus accusés dinfractions sur les stupéfiants qui prennent la place des individus accusées de crimes réels, comme les délinquants violents. Leur détention favorise la propagation du sida et de lhépatite ; un certain nombre de prisonniers ont déclaré sêtre drogués et piqués pour la première fois de leur vie en prison.
Les dépenses engagées au Canada pour lutter contre les drogues illicites le sont essentiellement au titre des services policiers et de lappareil judiciaire criminel. Pourtant, de nombreuses études ont prouvé que la prévention et le traitement médical sont beaucoup plus efficaces que les approches punitives. Le recours à la méthadone et à dautres formes de traitement peuvent permettre de réduire à la fois les montants consacrés à lachat de drogues illégales et le nombre de délits commis pour obtenir des drogues. La baisse de lusage de la drogue et de lalcool induite par un traitement peut également faire diminuer les autres types de comportement criminel. Les vols et, donc, les pertes matérielles, ainsi que les dépenses demprisonnement et les frais de justice reculent alors. Le traitement de la toxicomanie est plus rentable au niveau des coûts que linternement, puisque le premier présente les deux tiers des avantages et le dixième des frais du second. Il faut néanmoins pour quil soit efficace que le toxicomane persévère et que le traitement continue dagir, deux conditions qui sont fonction de la nature du traitement administré. Les traitements adaptables, où chaque patient a le choix entre diverses possibilités, semblent les meilleurs pour tenir le patient éloigné du milieu des drogues illégales et maintenir son intérêt pour le traitement.
Selon une étude récente menée aux États-Unis par une équipe bipartite de chercheurs en santé publique, le traitement médical de la toxicomanie est aussi efficace que celui du diabète ou dautres maladies chroniques, il réduit de façon notable la criminalité et coûte bien moins cher que lemprisonnement. Létude concluait que chaque dollar consacré au traitement de la toxicomanie permet déconomiser sept dollars en frais sociaux et médicaux. Ces résultats confirment ceux détudes antérieures établissant des comparaisons entre les diverses approches en matière délimination de la dépendance.
Au Canada, la majorité des toxicomanes ne peuvent obtenir de traitement lorsquils en ont besoin. Lorsque cela est possible, le traitement est fondé essentiellement sur labstinence, une approche que lon estime ne peut fonctionner que pour une faible proportion des personnes ayant besoin de traitement ou de services de soutien. Labsence de services et de traitements appropriés est particulièrement notable pour les consommateurs de cocaïne et de crack. Il faut de toute urgence étudier et adopter de nouvelles approches en matière de substances psychotropes. Certains pays suivent avec succès dautres stratégies consistant à prescrire la drogue même qui a créé la dépendance ou bien des substituts, notamment des teintures ou des extraits de feuilles de coca, qui permettent de stabiliser puis de désintoxiquer le patient.
Les solutions aux problèmes complexes ne sont jamais simples ni unidimensionnelles. Elles sont encore plus difficiles à trouver lorsque le problème est mal posé. Ce que lon appelle « le problème de la drogue » nest en fait quun symptôme des problèmes fondamentaux de la société moderne. Bruce Alexander écrit à ce propos : « La raison pour laquelle les interventions traditionnelles sont peu efficaces et que les nouvelles approches sont peu prometteuses est évidente pour bien des gens. Les toxicomanes autodestructeurs réagissent de façon tragique, mais compréhensible, face à une vie qui était déjà désespérément et cruellement perturbée. Les psychologues savent que, de tout temps, la perturbation prolongée dindividus... ou de groupes...donne systématiquement lieu à des tentatives désespérées et obsessionnelles de trouver une certaine forme dintégration et une identité...Faute de possibilités saines et réalisables, cette quête se traduit par ladoption de modes de vie axés sur le vice, la violence et les excès, qui aboutissent souvent à la toxicomanie. Le problème que lon voit dans les rues de Vancouver nest donc pas véritablement un problème de drogue, puisque la drogue nest quune facette dun comportement réactif global à la perturbation prolongée ». Il nest donc pas surprenant que les auteurs détudes sur les méfaits de la toxicomanie menées dans divers pays aient conclu que la réduction des méfaits relève autant des politique sociales que de la législation en matière de drogues. Une réforme de la politique antidrogue sans réforme en profondeur de la politique sociale fera certes avancer les choses, mais pas suffisamment pour atténuer les méfaits de la toxicomanie.
Ce nest pas un hasard que les méfaits de la drogue soient les plus importants dans les segments de la société canadienne les plus touchés par laugmentation de la pauvreté et la diminution des services sociaux. Le Canada dégringole dans léchelle internationale de notation du développement lorsque la pauvreté entre en ligne de compte. Les Nations-Unies ont appris récemment à lune de leurs réunions que le Canada avait failli à ses obligations en vertu du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels. Ces violations des droits de la personne et dautres droits influent sur les niveaux de toxicomanie et sur les toxicomanes eux-mêmes directement et indirectement. Parce que le Canada ne se penche pas sur ces problèmes fondamentaux, la population est plus susceptible de connaître ce type dexcès et son cortège de problèmes. Les gouvernements canadiens prêtent ainsi davantage le flanc à la critique des défenseurs des droits de la personne et sexpose à dinnombrables batailles juridiques. Cela est particulièrement vrai de la situation dans les établissements correctionnels.
Plutôt que denvisager dautres options et de se tourner vers les solutions choisies par lEurope, nous copions les États-Unis. Pourtant nos voisins du Sud ont connu les plus cuisants échecs dans leurs politiques sociales en général et leurs politiques de répression des stupéfiants en particulier. Washington compte parmi les villes où il se commet le plus grand nombre de crimes au monde et les prisons américaines débordent de personnes condamnées pour des infractions liées aux drogues. Malgré les sommes considérables dépensées pour remédier au problème, surtout au cours des dernières années, les drogues sont très largement accessibles, leur pureté a augmenté et le prix de nombre dentre elles est demeuré constant ou a chuté.
Alors pourquoi fait-on toujours de la répression et pourquoi les autres solutions sont-elles rejetées par les autorités policières et de nombreux politiciens? Selon Gil Puder, membre de la police de Vancouver, qui a son franc parler : « En fait, le projet générateur demplois de la lutte contre la drogue a tellement bien marché que la société ne peut plus se permettre de payer pour la vague de criminalité quil a entraîné... ». Pour ce qui est de la relation entre la prohibition, les armes et lapplication de la loi, Puder écrit que « la violence de la prohibition est tout simplement bonne pour les affaires ». Il conclut : « Il y a simplement trop de gens qui se sont forgé un système de valeurs autour dun principe, principe qui a finalement mis en lumière la misère sociale et est passé outre à notre système de justice. Certains détracteurs pourront se demander pourquoi les partisans de la répression reprochent aux autres les conséquences catastrophiques de la lutte contre la drogue. Il y a à cela une raison fort simple, qui va bien au-delà du gain personnel et de lélargissement des fiefs. La caractéristique principale de la lutte contre la drogue est quelle permet aux gens de juger la chose en se basant non sur leurs valeurs morales propres mais en dénigrant celles des autres ».
Le Canada doit mettre en place un dialogue honnête sur les méfaits (et les bienfaits) de toutes les drogues. Nous devons commencer à parler franchement et ouvertement des drogues et des options autres que la prohibition, même sil est plus facile et politiquement plus sûr daccepter le statu quo. Certains pourront prétendre que les conventions internationales en matière de lutte contre les stupéfiants entravent les réformes, mais ils oublient le large éventail doptions quoffrent les traités, surtout en ce qui concerne les lois et les pratiques nationales. Tous les partisans dune réforme, quelle quelle soit, retournent à linterprétation du terme « détention » (possession) contenu dans la Convention unique sur les stupéfiants. Il ne fait aucun doute que les analystes vont continuer à débattre longtemps de la question, mais il ne faut pas oublier que, pendant ce temps, les toxicomanes continuent dêtre traités comme des criminels, dêtre marginalisés, de tomber malades et de mourir. Les termes « souffrances » et « décès » ne sont pas ambigus. Les discussions de sémantique ne devraient pas empêcher la mise en place de politiques et de programmes de réduction des souffrances conformes à la Constitution et au droit canadiens.
Nombreux sont ceux qui saccordent à dire que la lutte mondiale contre les stupéfiants fait plus de ravages que la toxicomanie elle-même. La poursuite de nos politiques actuelles ne fait quaccroître lusage des drogues, augmenter le pouvoir des trafiquants et des criminels et causer davantage de maladies et de souffrances. Le moment est venu dentamer un débat sur les politiques de contrôle stupéfiants tant à léchelle nationale quinternationale afin de trouver les moyens de réduire les méfaits de la politique antidrogue et la toxicomanie. Un tel débat nous permettra, pour commencer, de régler les causes profondes des problèmes liés à lusage des stupéfiants et, ensuite, daller au-delà des solutions du type emplâtre sur une jambe de bois. Il faut reprendre la législation canadienne en la matière et étudier avec honnêteté et ouverture desprit dautre moyens de réduire les méfaits de la toxicomanie dans la société. La consommation de stupéfiants devrait être considérée comme un problème médical, social et politique plutôt que criminel. Il faut constituer un comité indépendant à même délaborer dautres politiques et programmes en la matière de façon éclairée, humaine et efficace.
Recommandations
Voici nos recommandations :
- Il faudrait ouvrir une enquête sur la politique sur les stupéfiants suivie au Canada et sur ses interactions avec le droit national et international, notamment en ce qui concerne les dispositions sur les droits de la personne. Il faudrait, dans le cadre de cette enquête, analyser les politiques et les programmes correspondants des autres pays.
- La stratégie canadienne en matière de sida devrait être coordonnée avec une nouvelle stratégie sur les stupéfiants entièrement financée par lÉtat.
- Les gouvernements fédéral et provinciaux et leurs organismes respectifs devraient considérer la toxicomanie comme un problème médical et social et non comme un problème criminel.
- Un financement égal devrait être consacré à lapplication de la loi, à léducation et au traitement.
- Les gouvernements devraient mettre sur pied des programmes efficaces de sensibilisation à la drogue destinés aux collectivités et aux écoles, bénéficiant dun financement adéquat et fondés sur des données scientifiques que dispenseraient des professionnels de lenseignement ou de la santé.
- Il faut accroître considérablement les services de soutien destinés aux toxicomanes et aux personnes qui risquent de le devenir.
- Il faut augmenter largement les possibilités de traitement (réduction des méfaits et abstinence) destinés aux toxicomanes, de manière à répondre à la demande et porter une attention particulière aux besoins des groupes plus vulnérables comme les femmes enceintes, les mères de famille, les autochtones, les jeunes de la rue et les porteurs du VIH.
- Il faut tester et évaluer toute une gamme de traitements possibles, notamment la prescription dhéroïne et de stimulants.
- Il faut accroître les programmes déchange de seringues pour répondre à la demande et créer des lieux où les drogués peuvent se piquer sans danger.
- Il faut décriminaliser lusage personnel des drogues illicites.
- Il faut envisager de réglementer et de taxer la production et la vente commerciales du cannabis.
- Il faut adopter un éventail de peines autres que lemprisonnement, comme la désintoxication, les conseils professionnels et le travail communautaire obligatoire, pour les personnes reconnues coupables dinfractions mineures liées aux drogues.
- Il faut prendre immédiatement des mesures pour réduire les méfaits de la drogue dans les prisons, comme larrêt des tests durine (surtout pour la marijuana) et la mise en place de programmes déchange de seringues, et faciliter laccès au traitement, notamment à la méthadone.
- Le Canada doit adopter une approche globale de réduction des méfaits de la drogue dans lintérêt de tous les membres de la société.