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LCJC - Comité permanent

Affaires juridiques et constitutionnelles

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles

Fascicule 6 - Témoignages


OTTAWA, le jeudi 9 décembre 1999

Le comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, saisi du projet de loi S-10, Loi modifiant la Loi sur la défense nationale, la Loi sur l'identification par les empreintes génétiques et le Code criminel, se réunit aujourd'hui à 11 h 15 pour examiner ledit projet de loi.

Le sénateur Lorna Milne (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente: Je vois que nous avons le quorum. Avant de commencer, j'aimerais lire, pour les fins du compte rendu, la lettre que j'ai adressée au solliciteur général après notre réunion d'hier soir.

Monsieur le ministre,

Je voudrais tout d'abord vous remercier pour votre lettre du 7 décembre 1999 au sujet des modifications proposées au projet de loi S-10, Loi modifiant la Loi sur la défense nationale, la Loi sur l'identification par les empreintes génétiques et le Code criminel, que le comité est actuellement en train d'examiner, de même que les règlements d'accompagnement proposés. J'ai surtout apprécié vos propos bienveillants au sujet du travail du comité.

Après avoir lu à haute voix votre lettre, pour les fins du compte rendu du comité, il a été constaté qu'il existe une divergence entre les versions française et anglaise de votre texte au deuxième paragraphe. Les membres du comité ont l'impression que la version anglaise traduit bien les arguments qu'ils ont avancés en présence de vos fonctionnaires.

Je vous saurais donc gré de bien vouloir tirer les choses au clair dans les plus brefs délais.

Nous vous remercions pour votre appui et pour l'intérêt que vous continuez à porter au travail du comité.

Nous avons déjà reçu une réponse du solliciteur général. Je vous la lis.

Madame le sénateur,

Comme suite à votre demande, je vous transmets le texte français révisé de ma lettre concernant les motions du gouvernement visant le projet de loi S-10.

Encore une fois, je tiens à vous remercier, vous et les autres membres du comité, de l'excellent travail que vous avez fait en examinant avec promptitude le proje de loi S-10.

Je demanderais au greffier de bien vouloir nous lire le deuxième paragraphe révisé du texte français, car on m'a donné à entendre que maintenant il correspond parfaitement à la version anglaise.

[Français]

M. Michel Patrice, greffier du comité: Dans la version française, au deuxième paragraphe:

Je suis heureux d'accepter la recommandation du comité visant à modifier le projet de règlement afin qu'il précise que le rapport annuel du commissaire de la GRC doit contenir un examen de la jurisprudence des analyses génétiques menées au cours de l'année précédente.

[Traduction]

La présidente: Est-ce que tout le monde en a reçu une copie? J'ai également reçu une lettre du commissaire à la protection de la vie privée du Canada. Plutôt que de la lire maintenant, je vais donner la parole à notre premier témoin.

Le sénateur Joyal: La version française comporte une nuance. En français, le terme «jurisprudence» signifie que la décision est définitive. Autrement dit, quand il n'y a plus de recours possible. Notre préoccupation concerne non seulement ces causes-là, mais celles qui sont en instance. Je préfère donc l'expression anglaise «case law» au terme français «jurisprudence».

En tant que membre du comité, si je devais recevoir la semaine prochaine le rapport du commissaire de la GRC, je voudrais connaître non seulement les décisions des tribunaux supérieurs, le cas échéant, mais aussi celles qui sont en instance. Il faut que les membres soient au courant de toute poursuite judiciaire mettant en cause des principes juridiques importants qui pourraient nous intéresser.

Le sénateur Beaudoin: Le problème, c'est que l'expression «case law» se traduit par «jurisprudence». Mais l'expression anglaise «case law» ne signifie pas que la cause est décidée en définitive.

Le sénateur Moore: Il s'agit simplement d'un ensemble de droit.

Le sénateur Ghitter: Les causes peuvent faire l'objet d'un appel.

Le sénateur Beaudoin: C'est pareil pour «jurisprudence».

[Français]

Le sénateur Joyal: Elle peut être qualifiée comme étant définitive.

[Traduction]

Il y a donc une nuance importante.

La présidente: Peut-être pourrais-je demander aux membres francophones du comité de se réunir plus tard et de déterminer entre eux quel est le meilleur terme à utiliser en français pour traduire le terme anglais «case law». Si nous avons quelque chose à proposer au solliciteur général, je lui en toucherai un mot.

Le sénateur Joyal: Nous allons nous consulter.

La présidente: Nous recevons aujourd'hui M. Patrick McCann, qui est criminaliste.

Vous avez la parole, monsieur McCann.

M. Patrick McCann, avocat en droit criminel, cabinet McCann and Giamberardino: Je n'ai pas préparé de remarques liminaires, car je n'étais pas sûr de savoir quelles questions je devais aborder aujourd'hui, étant donné que le projet de loi C-3 a déjà été adopté et va bientôt recevoir la sanction royale. Toutes les questions d'ordre philosophique que suscite un projet de loi de ce genre ont sans doute déjà été réglées dans le cadre de l'examen du projet de loi C-3.

Je n'avais donc pas l'intention d'entamer une discussion ou de vous présenter mes vues sur les éventuels problèmes liés à la sécurité personnelle, la protection de la vie privée, et des éléments de ce genre, qui constituent les fondements philosophiques de ce projet de loi. Je suis prêt à accepter qu'il s'agit maintenant d'un fait accompli, du moins en ce qui concerne les dispositions du Code criminel et la Loi sur l'identification par les empreintes génétiques -- qui, si elles n'ont pas encore été promulguées, ont tout de même, d'après ce qu'on m'a donné à entendre, passé toutes les différentes étapes législatives. Je me disais en conséquence qu'il serait sans doute plus utile que je vous présente ma perception du projet de loi par rapport à la nécessité d'ajouter aux pouvoirs actuellement prévus dans la législation.

Je comprends, évidemment, la nécessité de prévoir des ordonnances subséquentes à une déclaration de culpabilité pour les fins de l'analyse de données génétiques que conserve la banque de données génétiques dans le cadre du système militaire. S'il doit y avoir un système judiciaire parallèle pour l'armée, il semble logique qu'une fois qu'il y ait eu condamnation, les mêmes dispositions que prévoit actuellement le Code criminel s'appliquent aux condamnations pour des infractions semblables dans le cadre du système judiciaire militaire.

Ce qui me préoccupe un peu, cependant, c'est la question de savoir s'il est vraiment nécessaire d'incorporer dans la Loi sur la défense nationale des dispositions supplémentaires relatives aux mandats. Que je sache, il n'est pas question pour l'instant d'y incorporer les dispositions générales relatives aux mandats et aux empreintes qu'on a ajoutées au Code criminel.

Des pouvoirs limités sont prévus en vertu desquels on peut demander un mandat de perquisition normal au commandant en vue de perquisitionner des lieux précis qui relèvent de la compétence ou de l'autorité du commandant en question ou des forces armées en général. Mais cela ne va pas plus loin. D'ailleurs, on n'a recours à cette possibilité que lorsque les troupes sont à l'étranger; autrement dit, lorsqu'elles sont en mission à l'étranger ou en mer. Je me demande donc s'il est vraiment nécessaire pour l'instant d'y incorporer les dispositions relatives aux mandats.

Ces dispositions présentent d'ailleurs un certain nombre de problèmes d'ordre pratique. Elles obligent l'agent de la paix à s'adresser à un juge militaire pour obtenir un mandat. Le fait est qu'il n'y a que trois juges militaires de première instances pour l'ensemble des forces armées. Par conséquent, si vous recourez à un juge militaire de première instance pour obtenir un mandat, il va sans dire que ce même juge ne pourrait jamais, pour des raisons de conflit d'intérêts, entendre la cause en question, si jamais il devait y avoir un procès. Et si vous deviez obtenir une deuxième mandat parce que le premier n'a pas donné les résultats escomptés, à ce moment-là, il ne resterait plus qu'un seul juge militaire de première instance pour instruire la cause. Je ne suis donc pas convaincu que la nécessité d'incorporer les dispositions relatives à l'obtention d'un mandat dans la loi, du moins pour l'instant.

J'ai également certaines préoccupations au sujet de l'ampleur de certaines infractions désignées et d'autres éléments qui s'y trouvent, mais puisqu'elles sont identiques aux dispositions du Code criminel, nous sommes, je suppose devant un fait accompli.

Le sénateur Beaudoin: Hier nous avons eu l'occasion de poser des questions à trois témoins différents au sujet des mandats. Tous les trois étaient d'accord pour dire que la situation est la même qu'on parle du système judiciaire militaire, de la GRC ou du système civil de droit pénal. Êtes-vous en mesure de nous le confirmer?

M. McCann: Oui. Hier j'ai passé un certain temps à comparer le Code criminel et ces dispositions-ci. À l'exception de quelques changements mineurs qui sont nécessaires pour tenir compte de la nature précise du système judiciaire militaire, elles sont identiques.

Le sénateur Beaudoin: En vous appuyant sur votre expérience d'avocat de la défense, avez-vous conclu qu'il n'y a rien à changer à cet égard?

M. McCann: En tant qu'avocat de la défense, j'estime que certains changements sont souhaitables. J'aurais d'ailleurs voulu que certains changements soient apportés au projet de loi C-3, ainsi qu'à son prédécesseur -- c'est-à-dire la modification qui a donné lieu aux mandats pour les analyses génétiques; si je ne me trompe pas, elle a été adoptée en 1995.

J'ai certaines inquiétudes relativement à l'ampleur des dispositions touchant certaines infractions -- entre autres, des infractions punissables par voie de déclaration sommaire de culpabilité -- par exemple, une action indécente aux termes de l'article 173. Il s'agit là simplement d'une infraction punissable par voie de déclaration sommaire de culpabilité. La Couronne ne peut procéder par voie de mise en accusation. Cette infraction est passible d'une peine maximale de six mois. À mon avis, cette disposition va un peu trop loin. Mais comme je viens de le dire, cette loi a déjà été adoptée, et il est donc un peu trop tard pour exprimer mes préoccupations à cet égard.

Le sénateur Beaudoin: Nous devons surtout nous assurer que les dispositions de ce projet de loi sont conformes aux principes de la Charte des droits et liberté et à la jurisprudence de la Cour suprême. Si vous estimez que certains éléments ne sont pas conformes aux Articles 7 à 14 de la Charte des droits et libertés, c'est le moment de nous le dire.

M. McCann: Certaines infractions qui font partie de la catégorie des infractions désignées pourraient justement ne pas être conformes à la Charte. Celles relatives aux mandats incorporées dans le Code criminel autorisent ce qu'on pourrait appeler une violation de l'intégrité corporelle d'une personne. Elles vont plus loin que toutes les dispositions auxquelles on a pu recourir jusqu'à présent, à part peut-être celles qui concernent la conduite en état d'ébriété, en vertu desquelles on peut, dans des circonstances très limitées, faire des prélèvements sanguins. Je trouve donc extrêmement préoccupant qu'on inclue dans la liste des infractions pour lesquelles on peut délivrer un mandat relatif aux analyses génétiques des infractions qui sont relativement mineures, et même certaines qui sont extrêmement mineures.

En se prononçant sur la validité de mesures législatives par rapport à la Charte, les tribunaux ont parlé de la nécessité d'établir un équilibre. À partir de quel moment les préoccupations de la société relatives à la protection contre l'activité criminelle l'emportent sur les intérêts individuels d'un accusé ou d'un suspect qui souhaite protéger son droit à la sécurité de la personne et à l'intégrité corporelle?

La différence entre les dispositions relatives aux mandats et les ordonnances subséquentes à une déclaration de culpabilité, c'est que le juge de première instance a le pouvoir de déterminer, à la fin du procès, s'il convient ou non de délivrer une telle ordonnance, selon les circonstances de l'affaire, les antécédents de l'intéressé, etc. Par contre, le juge qui délivre un mandat n'a pas le pouvoir de tenir compte de ces facteurs. Il doit simplement se demander si le fait de délivrer ce mandat va contribuer à trouver l'auteur du crime.

Il me semble qu'en vertu de ce projet de loi, la police pourrait désormais obtenir un mandat pour recourir à des procédés qui constituent une atteinte à la vie privée d'une personne qui aurait commis des infractions mineures, sans que personne ait le pouvoir de dire: «Non, vous n'avez pas le droit de faire ça.»

Le sénateur Ghitter: Recommandez-vous que nous supprimions le projet d'article 196.12 de la Loi sur la défense nationale? Ce projet d'article permet au juge militaire, sur demande ex parte, de délivrer un mandat.

M. McCann: On pourrait l'y laisser, mais il faudrait limiter ce pouvoir aux situations exceptionnelles ou urgentes -- par exemple, où les troupes étaient à l'étranger ou en mer, si bien qu'un juge de cour provinciale civile ne serait pas compétent pour délivrer un tel mandat.

Le sénateur Ghitter: Est-ce le fait de savoir qui va délivrer le mandat qui vous préoccupe, ou plutôt le fait même que ce mandat pourra être délivré?

M. McCann: Si je comprends bien la pratique actuelle de la politique militaire -- et on me corrigera si je me trompe -- si cette dernière a besoin au Canada d'un mandat relatif aux analyses génétiques ou d'un mandat général, ou même d'un mandat de perquisition pour perquisitionner des lieux autres que des locaux militaires, elle va en faire la demande au juge de paix local ou à un juge de la cour provinciale. Ce sont des agents de la paix et, à ce titre, ils peuvent présenter ce genre de demande conformément au Code criminel, tout comme le ferait un agent de police municipal.

Le sénateur Ghitter: Est-ce que vous recommanderiez par conséquent qu'au lieu de parler de juge militaire dans cet article-là, nous y substitutions le terme magistrat ou juge de paix?

M. McCann: Non. Je recommande simplement que ces dispositions soient plus restrictives, c'est-à-dire qu'elles prévoient la délivrance d'un mandat uniquement quand ce mandat est nécessaire pour obtenir certaines substances pendant que l'intérêt est à l'étranger. Autrement dit, si l'intéressé est au Canada, il ne serait pas nécessaire de s'adresser à un juge militaire de première instance. La police pourrait suivre la procédure normale; ce sont des agents de la paix. Ils peuvent, conformément au Code criminel, présenter une demande à un juge de la cour provinciale qui constitue l'autorité compétente dans la région où se trouve l'intéressé.

Le sénateur Fraser: Moi, aussi, je m'intéresse à la question des mandats. On nous a dit hier soir que la police militaire a deux fois demandé des mandats relatifs aux analyses génétiques en vertu du régime actuel, c'est-à-dire en l'absence du projet de loi S-10. Mais je me demande si on ne devrait pas plutôt opter pour une disposition qui ne limite pas les juges militaires.

Vous dites qu'il n'y en a que trois, et c'est un argument fort valable. Mais comme les militaires se déplacent beaucoup, il n'est pas improbable, me semble-t-il, qu'une cour martiale soit établie en Bosnie pour juger une affaire dont le principal intéressé est une personne qui a été renvoyée au Canada. Donc, j'entrevois de nombreux problèmes de compétence.

M. McCann: Si la personne dont vous souhaitez obtenir un échantillon de matériel génétique se trouve au Canada, bien que la présumée infraction ait été commise à l'étranger...

Le sénateur Fraser: Et les poursuites judiciaires ont lieu à l'étranger.

M. McCann: Le fait que les poursuites judiciaires aient lieu à l'étranger ne devrait pas faire de différence. Le fait que la présumée infraction ait été commise au Canada peut cependant être problématique.

Le sénateur Fraser: Ce ne serait pas inhabituel dans le cas du personnel des forces armées.

M. McCann: Cela pourrait poser problèmes, puisqu'un juge provincial pourrait dire que ce n'est pas de son ressort étant donné qu'il est question d'un incident qui aurait eu lieu à l'étranger.

La pratique usuelle au Canada, là où il y a des questions de compétence intéressant plusieurs provinces, veut qu'on obtienne le mandat dans la province ou a lieu l'enquête et qu'on en présente la demande à un juge de la province où sera exécuté le mandat.

Le sénateur Fraser: Mais la situation n'est pas très claire.

M. McCann: À mon avis, c'est précisément dans ce genre de situations que les dispositions en question pourraient s'appliquer.

Je ne prétends aucunement que les juges militaires de première instance ne sont pas parfaitement capables de régler ces questions ici. Mais si c'était moi qui administrais ce système, je serais inquiet devant la possibilité que les deux tiers des juges, et peut-être même tous, ne puissent pas instruire une cause pour des raisons de conflit d'intérêts. C'est surtout ça qui me préoccupe.

Le sénateur Poy: Je n'ai pas très bien compris votre inquiétude en ce qui concerne la personne qui délivre le mandat. Pourriez-vous m'expliquer la nature de vos préoccupations relativement à la personne qui devrait délivrer le mandat relatif aux analyses génétiques, selon que l'infraction aurait été commise au Canada ou à l'étranger?

M. McCann: Les policiers militaires sont des agents de la paix. En conséquence, aux termes du Code criminel, ils ont le droit de demander un mandat relatif aux analyses génétiques, même si l'infraction qui fait l'objet de l'enquête est une infraction militaire.

Le sénateur Poy: Au Canada?

M. McCann: Oui, au Canada.

S'ils enquêtent sur une infraction purement militaire, par opposition à une infraction militaire à laquelle s'appliquent les dispositions du Code criminel, la situation pourrait être un peu différente; je laisse cette question de côté pour l'instant.

Supposons que la police fasse enquête sur une agression sexuelle, qui est une infraction aux termes du Code criminel tout en étant inscrite au Code de discipline militaire. Si cette enquête se déroule au Canada et que tous les participants se trouvent au Canada -- c'est-à-dire que l'accusé est au Canada et le présumé incident a eu lieu au Canada -- ils pourront s'adresser à un juge de la cour provinciale, comme le prévoit le Code criminel, pour obtenir un mandat relatif aux analyses génétiques. Je crois d'ailleurs savoir que c'est la procédure qu'ils suivent actuellement.

Le sénateur Poy: Quand vous dites «ils», voulez-vous parler des policiers militaires?

M. McCann: Oui, absolument. Par contre, si ces dispositions-ci s'appliquent, la demande devra être faite à un juge de première instance militaire qui décidera ensuite ou non de délivrer un mandat. C'est là qu'on se heurte au problème du personnel disponible pour instruire des causes dans un contexte judiciaire. Mais le fait est qu'on peut facilement éviter ce problème.

J'ai déjà eu l'occasion de donner mon avis sur le système judiciaire militaire, qui est à mon avis de portée un peu trop large par moments, en ce sens qu'il fait un peu double emploi avec le Code pénal, alors que ce n'est pas vraiment nécessaire. Il faut dire que je n'ai pas eu beaucoup de succès jusqu'à présent pour ce qui est de convaincre les autorités du bien-fondé de mes arguments, mais j'estime néanmoins qu'il s'agit là d'un autre exemple du champ d'application excessif du système judiciaire militaire.

Le sénateur Poy: Vous craignez donc qu'il n'y ait pas suffisamment de juges militaires pour instruire les causes?

M. McCann: Oui. S'ils doivent faire ça tout le temps et si un même dossier donne lieu à plus d'une demande, on peut rapidement manquer de juges.

Le sénateur Joyal: Êtes-vous donc d'avis qu'un juge militaire ne doit pouvoir délivrer un mandat que lorsque la présumée infraction a été commise à l'étranger? Vous dites que normalement ils pourraient en faire la demande à un juge de la cour provinciale, mais dans un contexte ou les présumés incidents se seraient déroulés à l'étranger -- en Somalie, au Kosovo ou dans une autre région du monde où nos forces armées assurent actuellement une présence -- étant donné qu'ils ne peuvent obtenir un mandat en s'adressant à un juge local, il faut bien qu'ils l'obtiennent quelque part. Il me semble que la seule possibilité alors serait de prévoir qu'un juge militaire puisse délivrer le mandat. Voyez-vous une autre solution?

M. McCann: Je suis d'accord. Si le présumé incident s'était déroulé à l'étranger, il est vrai que le juge de paix ou le juge d'une cour provinciale qui serait normalement habilité à délivrer ce mandat ne serait pas compétent pour le faire dans une telle situation.

J'ai discuté de cette question avec certains membres de l'équipe militaire des avocats de la défense. Je crois comprendre qu'à l'heure actuelle, si l'incident est présumé s'être déroulé pendant que les troupes étaient en Allemagne, mettons, c'est aux autorités locales en Allemagne que l'on présente la demande de mandats, mandats qui sont donc délivrés en vertu du droit local. On m'a dit que c'est comme ça qu'on procède actuellement. Cependant, ce n'est pas idéal, à mon avis.

De façon idéale, les dispositions législatives devraient prévoir que toute l'enquête puisse être menée conformément à la Loi sur la défense nationale tant que les troupes sont à l'étranger. Je ne suis pas en désaccord avec cette façon de procéder.

Le sénateur Joyal: Vous avez cité un exemple classique. Parlons plutôt d'une situation où des troupes canadiennes seraient présentes dans une zone de guerre. J'ai parlé tout à l'heure de la Somalie et du Kosovo. Intéressons-nous plutôt aux situations les plus problématiques -- par exemple, une insurrection ou la guerre. Il n'est pas facile de se présenter devant un juge local pour obtenir une autorisation ou un mandat dans de telles circonstances. La situation est toute autre, évidemment, si les Forces canadiennes assurent une présence permanente dans un pays donné, comme c'était le cas précédemment en Allemagne, où elles étaient totalement intégrées.

L'exemple que je soumets à votre examen est évidemment un exemple extrême; par exemple, en Somalie, où il est presque impossible de demander un mandat et d'obtenir une décision rapidement. C'est un cas extrême, mais ce sont justement ces cas-là qui font la une des journaux.

M. McCann: Je suis entièrement d'accord. Vous décrivez une situation classique où l'on doit nécessairement s'adresser à un juge de première instance militaire pour obtenir un mandat. À mon avis, il n'y a pas d'autres solutions.

Pour ma part, j'estime que le projet de loi comporte peut-être certaines restrictions à l'égard de situations comme celles que vous décrivez, et même une situation où nos troupes postées en Allemagne seraient totalement intégrées dans la société locale. D'un point de vue philosophique, je ne suis pas contre l'idée que la Loi sur la défense nationale prévoie que si les poursuites se déroulent dans le cadre du système de justice militaire, toute l'enquête relève du système militaire également.

Le sénateur Ghitter: Et vous êtes d'avis qu'aux termes de la loi, un juge militaire qui délivre un mandat n'aurait pas le droit d'instruire la cause?

M. McCann: Je ne dis pas qu'il n'aurait pas le droit de le faire. Mais le juge se trouverait dans une situation difficile puisque cela créerait peut-être la perception d'un parti pris. Avant de pouvoir délivrer un mandat, le juge aurait nécessairement besoin de beaucoup d'information au sujet du dossier, du déroulement de l'enquête, etc., si bien que ces éléments d'information pourraient être jugés inadmissibles lors du procès.

Devant des tribunaux civils -- et j'espère que c'est pareil pour les tribunaux militaires -- une fois qu'un juge a participé au processus d'enquête en délivrant des mandats ou des autorisations d'écoute électronique, etc., on considère que ce juge ne peut pas instruire la cause.

Le sénateur Ghitter: Oui, dans le contexte d'une demande ex parte qui serait prima facie.

M. McCann: C'est-à-dire qu'à première vue, le juge aurait pu être compromis par la demande ex parte, qui engloberait des éléments d'information qui dépassent normalement ce qui serait considéré comme des preuves admissibles lors d'un procès.

Le sénateur Ghitter: Êtes-vous en train de dire simplement qu'il ne serait pas prudent que ce même juge instruise la cause ou que de par la loi, il ne doit pas instruire cette cause?

M. McCann: De par la loi, le juge en question ne devrait pas le faire. Telle est la position généralement admise par le barreau.

La présidente: J'ai une question à poser relativement à la lettre qui nous a été adressée par le commissaire à la protection de la vie privée. À la page 2, au deuxième paragraphe, il dit ceci:

Un élément du projet de loi me préoccupe quelque peu. Ainsi, en vertu des modifications proposées à la Loi sur la défense nationale, les infractions secondaires [...]

Ce dont vous parliez tout à l'heure, monsieur McCann...

[...] (c'est-à-dire, celles pour lesquelles la demande d'échantillons d'ADN est laissée à la discrétion du juge), comprennent les infractions inscrites au Code criminel, ainsi que sept autres infractions qui relèvent de la Loi sur la défense nationale. Au nombre de ces infractions, nous retrouvons: mutinerie avec violence, violence envers un supérieur, violence envers une personne sous la garde de qui on est placé et mauvais traitements à un subalterne. Dans le passé, j'ai mis en doute la nécessité d'exiger des échantillons d'ADN lorsque leur utilité est peu sûre. Selon moi, le prélèvement d'échantillons après la condamnation devrait avoir lieu seulement lors d'infractions violentes où il y a plus qu'un risque minime de récidive et lorsqu'on est en mesure de s'attendre raisonnablement à retrouver une empreinte génétique en cas de récidive. Même si j'estime que le Parlement est allé encore plus loin au moment de modifier le Code criminel, je continue à me questionner.

Puisque cela semble correspondre à certaines des remarques que vous avez faites tout à l'heure, peut-être pourriez-vous réagir à l'opinion du commissaire?

M. McCann: Il s'agit essentiellement de la même position que je défendais tout à l'heure. Vu les dispositions du Code criminel actuel en ce qui concerne les infractions secondaires, et même certaines infractions primaires -- l'agression armée, par exemple, surtout qu'il pourrait s'agir de quelque chose d'aussi mineur que d'avoir lancé une tasse de café ou un livre à quelqu'un. Comme je le disais tout à l'heure, certains des autres éléments qui figurent dans la liste des infractions secondaires, y compris les voies de fait simples -- qui pourraient comprendre, comme vous le savez, le fait de pousser quelqu'un -- correspondent à des infractions extrêmement mineures.

Je suis convaincu, étant donné la structure que prévoit le projet de loi -- ce dernier donne au juge le pouvoir de ne pas délivrer d'ordonnances subséquentes à une déclaration de culpabilité -- le juge pourra et voudra appliquer les bons principes, si bien qu'une jurisprudence sera constituée progressivement, grâce à laquelle les tribunaux inférieurs sauront qu'il ne faut pas autoriser le prélèvement de ces échantillons lorsqu'il s'agit de délits mineurs.

Quand on compare les dispositions du Code criminel aux infractions qu'on y ajoute en vertu de cette disposition-ci, il me semble qu'elles sont comparables. Je suis d'accord avec le Commissaire à la protection de la vie privée pour dire qu'il faudrait à un moment donné examiner toute la question des mandats. Ce n'est pas tellement la question des ordonnances subséquentes à la déclaration de culpabilité qui me préoccupe. Je suis convaincu que les juges finiront par prendre la bonne décision. Par contre la question des mandats me préoccupe -- notamment la possibilité que des mandats soient délivrés pour des infractions très mineures.

La présidente: Monsieur McCann, vous nous avez permis de faire inscrire au compte rendu un certain nombre d'éclaircissements qui me semblaient essentiels.

Je demanderais au prochain témoin de venir s'asseoir. Peut-être pourrions-nous commencer par vous demander, monsieur Roy, de répondre à la préoccupation du sénateur Joyal au sujet de la traduction du terme «case law».

[Français]

M. Yvan Roy, avocat général principal, Section de la politique en matière de droit pénal: Madame la présidente, je pense qu'une formulation qui, je l'espère, satisferait les préoccupations du sénateur Joyal pourrait être offerte à ce comité. Je vous offrirais les mots suivants, le deuxième paragraphe de la lettre se lit somme suit:

[...] que le rapport annuel du commissaire de la GRC doit contenir un examen de la jurisprudence [...]

Nous remplacerions, si vous croyez que c'est approprié les mots, «de la jurisprudence», par les mots suivants:

[...] contenir un examen des décisions judiciaires relatives à la question des analyses génétiques menées au cours de l'année précédente.

[Traduction]

Le sénateur Joyal: Comme le dirait la ministre de la Justice, je suis d'accord étant donné que c'est ce que j'ai devant moi.

La présidente: Puisque nous sommes tous d'accord, je vais modifier le mot que j'entends adresser au solliciteur général. Je suis sûre que nous recevrons une réponse presque immédiatement.

M. Kenneth W. Moreau, adjoint exécutif, Cabinet du sous-solliciteur adjoint principal, Secteur de la police et de la sécurité, Solliciteur général du Canada: Madame la présidente, nous pouvons simplement modifier la lettre que nous avons envoyée ce matin, ce qui vous évitera d'avoir à refaire votre mot.

La présidente: Je vous en serais très reconnaissante.

Je crois savoir qu'il y a un certain nombre d'amendements que vous souhaitez apporter au projet de loi. Peut-être pourriez-vous nous expliquer pour quelles raisons vous les présentez.

M. Moreau: Nous allons demander à M. Roy de vous expliquer les projets d'amendements, qui découlent d'un groupe de travail présidé par le ministère de la Justice.

M. Roy: Le gouvernement propose d'apporter au projet de loi deux amendements qui concernent des situations pratiques. Dans le cadre de nos discussions avec les autorités provinciales -- avec les membres d'un groupe qui sont ce que nous appelons des responsables des poursuites -- il a été proposé que nous modifiions le projet de loi S-10 pour préciser que les autorités policières, lorsqu'elles ont à exécuter un mandat ou à prendre des échantillons d'ADN, devraient également avoir le droit de prendre les empreintes digitales de l'intéressé.

La raison de cette demande est évidente. Il a été proposé que les autorités, au moment de prélever du sang ou des cellules épithéliales par écouvillonnage, aient également le droit de prendre des empreintes digitales. Le fait de pouvoir obtenir un échantillon d'ADN et les empreintes digitales en même temps facilitera le travail des autorités en leur permettant de s'assurer qu'elles ont la bonne personne.

Par conséquent, vous êtes saisis de deux amendements qui ont ce seul objectif.

Pendant nos discussions, certains semblaient croire qu'il suffirait de recourir à la Loi sur l'identification des criminels. Mais après étude, nous sommes arrivés à la conclusion que cette loi ne convient pas. Nous estimons par conséquent qu'une modification mineure et plutôt technique contribuera grandement à garantir l'application efficace des dispositions du projet de loi S-10.

Le sénateur Beaudoin: Vous dites que vous voulez permettre aux autorités de prendre les empreintes digitales pour qu'elles soient en mesure de s'assurer qu'elles ont la bonne personne. Mais si nous avons également un échantillon d'ADN -- et d'après ce qu'on m'a dit, il n'y a pas de possibilité d'erreur du moment qu'il s'agit d'ADN -- il faut supposer que les empreintes digitales ne serviront qu'à confirmer l'identité.

Mais j'ai toujours pensé -- et vous me corrigerez si je me trompe -- qu'avec l'ADN, il n'y a pas de possibilité d'erreur.

M. Roy: Quant à la possibilité d'erreur, je suis convaincu qu'un scientifique vous dirait que l'erreur est impossible dans ce contexte. Et les probabilités sont telles que si vous parlez d'un cas sur 10 millions, vous n'aurez certainement pas d'erreur.

Le problème se pose, en réalité, lorsqu'une personne dont on a obtenu un échantillon d'ADN donne un faux nom. À ce moment-là, il attribue son ADN à quelqu'un d'autre. Par conséquent, si nous avons la possibilité de prendre ses empreintes digitales en même temps, nous pourrons connaître sa vraie identité.

À l'heure actuelle, notre banque de données génétiques est assez limitée, et elle continuera de l'être. Elle prendre progressivement de l'expansion. Notre banque d'empreintes digitales est beaucoup plus importante, et l'analyse des empreintes se fait beaucoup plus rapidement. Par conséquent, nous pourrons comparer les données génétiques, les empreintes digitales et éventuellement le nom de l'intéressé, et éviter ainsi de faire une erreur en ce qui concerne l'identité de la personne qui a donné l'échantillon d'ADN.

Le sénateur Beaudoin: C'est une preuve parfaite.

M. Roy: C'est une preuve qui sera très utile.

M. Moreau: Il ne fait aucune doute qu'elle nous aidera grandement lorsqu'une personne utilise un ou plusieurs faux noms, ce qui arrive très souvent.

Le sénateur Joyal: En acceptant cet amendement, nous faisons quelque chose de très important. De nombreux dossiers judiciaires comportent des empruntes digitales. Ainsi nous donnons aux autorités la clés qui va leur permettre de faire le rapprochement entre des empreintes digitales et un échantillon d'ADN. Au moment de commettre un crime, l'auteur du crime peut laisser sur le lieu du crime, non pas des empreintes digitales, mais d'autres substances corporelles, de sorte que la police ne peut pas nécessairement tirer de conclusions définitives.

En adoptant cet amendement, nous permettons donc à la police de vérifier leurs dossiers judiciaires pour déterminer si les empreintes digitales de l'intéressé correspondent à celles d'une personne au sujet de laquelle ils auraient déjà établi un dossier judiciaire. Par conséquent, cet amendement ne va pas simplement nous aider à l'avenir; il va au contraire nous permettre de faire le lien avec les dossiers judiciaires déjà établis. Ai-je raison?

M. Roy: Je suis d'accord avec vous. Je vous signale, cependant, que pour presque toutes les infractions dont il est question ici, lorsqu'une personne qu'on soupçonne d'être l'auteur de l'infraction est arrêtée ou amenée devant un tribunal, à ce moment-là, ses empreintes digitales auront déjà été prises. L'objet de cet amendement n'est pas d'autoriser la prise d'empreintes digitales à ce moment-là. Il s'agit plutôt de s'assurer qu'il ne manque aucun maillon de la chaîne, et qu'on a bel et bien la bonne personne.

Mais vous avez raison, sénateur Joyal; je suis d'accord avec vous.

M. Moreau: Cette mesure permet également de protéger des personnes qui ont le même nom. C'est donc un appui supplémentaire. S'il existe deux Jean Duval, par exemple, ce projet de loi les protégerait également.

M. Roy: Je ne suis que trop conscient de ce problème-là.

La présidente: Cela permettrait également d'éliminer la possibilité qu'il y ait erreur sur la personne, car on nous a cité l'exemple, au début de nos délibérations, d'un monsieur qui a donné un flacon de sang qui n'était pas le sien.

Le sénateur Ghitter: Donc, à quel moment demandez-vous l'autorisation de prendre les empreintes digitales -- au moment de la demande ex parte?

M. Roy: Ce qui est envisagé, c'est que les empreintes digitales soient prises en même temps que l'échantillon d'ADN. Ainsi les autorités obtiendraient en même temps ces deux éléments d'information.

Le sénateur Ghitter: Ainsi l'objet de la demande ex parte serait de prendre non seulement l'échantillon d'ADN mais aussi les empreintes digitales?

M. Roy: Si ces amendements sont acceptés par le comité et éventuellement par le Parlement, du moment que les autorités ont le pouvoir d'obtenir un échantillon de certaines substances corporelles, quelles qu'elles soient, elles auront également le droit de prendre des empreintes digitales en même temps.

Le sénateur Ghitter: Sans mandat?

M. Roy: Sans mandat.

À l'heure actuelle, quand vous arrêtez quelqu'un, vous pouvez prendre ses empreintes digitales sans avoir de mandat.

Le sénateur Ghitter: Nous n'avons encore arrêté personne.

Supposons que vous meniez une enquête. À un moment donné, vous devez vous présenter devant un juge pour avoir l'autorisation de prendre des empreintes digitales et un échantillon d'ADN. En l'absence de ce projet de loi, vous ne pourrez pas le faire, n'est-ce pas? Si ce projet d'amendement n'est pas adopté, vous ne serez pas en mesure de faire ça aux termes de la loi actuelle, n'est-ce pas?

M. Roy: De prendre des empreintes digitales? Non.

Le sénateur Ghitter: Donc, vous essayez de faire quelque chose indirecte par voie législative que vous ne pourriez pas faire autrement?

M. Roy: L'objet de cet amendement est de permettre aux autorités de s'assurer qu'elles ont bel et bien la bonne personne; c'est tout. Je ne crois pas que vous ayez raison de dire que nous cherchons ici à faire indirectement ce que nous ne pouvons faire directement. Tel n'est pas l'objet de l'amendement.

Le sénateur Ghitter: Mais c'est peut-être l'effet de l'amendement.

M. Roy: Je réfléchis à la question pendant même que nous en discutons.

M. Moreau: On pourra toujours me corriger, mais je ne pense pas me tromper en vous disant qu'on prend automatiquement les empreintes digitales d'une personne dont on a la garde légitime. Cet amendement permettra simplement que les empreintes digitales soient prises en même temps que l'échantillon d'ADN.

Le sénateur Ghitter: Nous avons déjà une procédure en bonne et due forme en ce qui concerne les empreintes digitales. Mais maintenant nous passons par la Loi sur l'identification par les empreintes génétiques pour faire quelque chose qui n'est pas vraiment du ressort du projet de loi en question. C'est pour ça que je dis que vous essayez peut-être de faire indirectement quelque chose que vous ne pouvez faire directement.

Je me demande si ce projet de loi convient pour l'usage que vous voulez en faire.

M. Roy: Je suis en train de lire la motion 38a), c'est-à-dire l'amendement au projet d'article 487.06(1) du Code criminel. Cette disposition-là permet d'obtenir des échantillons de substances corporelles de l'intéressé par prélèvement, et ce pour des fins d'analyse après la délivrance d'un mandat.

La motion en question propose d'ajouter un nouveau paragraphe (3), qui donnerait à l'agent de la paix le pouvoir d'obtenir l'échantillon...

Le sénateur Ghitter: Et de prendre des empreintes digitales?

M. Roy: Selon cet amendement, oui.

Le sénateur Ghitter: Ça, c'est tout à fait nouveau. La loi ne permet pas normalement de faire une telle chose. Un agent de police ne peut pas obtenir un mandat pour prendre mes empreintes digitales simplement parce qu'il me trouve suspect. Il ne peut obtenir un mandat qu'après la mise en accusation. Pourquoi l'autoriser ici, alors que les autres dispositions du Code pénal ne le permettent pas?

M. Roy: Vous faites une distinction entre le fait de faire ça après que l'intéressé a été condamné, et la possibilité de le faire non seulement après que l'intéressé a été condamné mais à l'étape de l'enquête.

Le sénateur Moore: Après la mise en accusation.

Le sénateur Nolin: Après la délivrance d'un mandat; c'est tout.

Le sénateur Ghitter: Pour l'instant, nous sommes à l'étape de l'enquête.

M. Roy: C'est exact. Si je comprends bien la logique du sénateur Ghitter, il dit que si l'on demande le mandat pour prendre les empreintes digitales d'un intéressé dans le cadre de notre enquête, nous élargissons le champ d'application de la loi en accordant à l'État des pouvoirs accrus, alors que si nous autorisons cela uniquement après que ce dernier a été condamné, pour les fins que j'ai expliquées tout à l'heure -- c'est-à-dire pour nous assurer que nous avons bel et bien la bonne personne -- à ce moment-là, il y a moins lieu d'être préoccupé par ce pouvoir.

Le sénateur Beaudoin: Si vous proposez un amendement, c'est parce que vous souhaitez accroître vos pouvoirs.

Le sénateur Nolin: Est-il possible que le sénateur Ghitter ait soulevé une préoccupation à laquelle le ministère n'a pas pensé?

M. Roy: C'est exactement ce que je suis en train de me demander.

Le sénateur Nolin: Voulez-vous prendre quelques jours pour y réfléchir et revenir la semaine prochaine?

M. Moreau: C'est une question fort valable. Nous nous engageons donc à transmettre une réponse au comité.

[Français]

Le sénateur Nolin: Je lisais le très bon rapport que M. Zigayer a préparé sur tout le système mis en place en 1995. En le lisant, je me suis rappelé que nous avions demandé aux représentants comment il se faisait qu'on n'oblige pas les autorités policières, lorsqu'elles font la prise de substances, de permettre à la personne dont on prendra une partie de son corps, d'avoir recours aux services d'un avocat. On le fait uniquement dans le cas d'une personne jeune, mais on ne le fait pas dans le cas des autres.

En lisant ce que M. Zigayer a présenté dans son rapport, je comprends que même si la loi ne l'oblige pas, vous le faites quand même. Autrement dit, les instructions données aux différents corps policiers et à ceux qui font les prises de ces substances, avisent, quoiqu'ils n'y sont pas obligés, les personnes qu'elles peuvent avoir recours aux services d'un avocat, même si ce ne sont pas des jeunes.

La Cour suprême vous oblige à respecter l'article 10 de la Charte. Les décisions rendues par la Cour suprème vous y obligent. À la lumière de l'amendement que vous nous suggérez ce matin, n'y aurait-il pas lieu d'étendre la protection que l'on accorde aux jeunes à tous ceux qui vont être l'objet d'un de ces mandats?

M. Roy: La protection dont on parle dans la Loi sur les jeunes contrevenants, si ma mémoire ne me trahit pas, provient de mesures législatives qui ont été adoptées bien avant la Charte des droits et libertés. Le Parlement a jugé, sûrement à bon droit, qu'il n'était pas utile de retirer ces textes de la Loi sur les jeunes contrevenants ou des loi subséquentes, parce que cela servait aussi de rappel. De façon générale, l'obligation de l'État de fournir un droit d'avocat est encore plus large que ce qui est prévu par la Constitution. Donc, il y avait deux raisons essentiellement pour le maintenir dans ces textes de loi: cela était déjà indiqué dans le passé et la protection est plus large. En matière d'ADN, je n'ai pas de doute qu'une personne forcée de se soumettre d'une manière ou d'une autre à l'État subit une forme de détention.

La Cour suprême dans l'affaire Therens, il y a déjà près de 15 ans, nous disait que la détention dont on parle à l'article 10, devait être une détention d'ordre psychologique. Lorsque la personne sent qu'elle ne peut aller nulle part, elle est détenue. La Constitution prévoit que dans un cas de détention, vous avez une obligation de fournir le droit à l'avocat. Je crois que ce que nous avons ici dans le Code criminel prévoit déjà, de par l'exercice du droit à l'avocat en vertu de la Constitution, ce droit de façon spécifique. Je me demande s'il est sage, pour le Parlement, de l'indiquer dans une disposition et de ne pas l'indiquer ailleurs, laissant l'impression que le devoir à l'État peut être différent d'un endroit à l'autre. Ma préférence serait de laisser le droit, tel qu'il existe présentement, s'appliquer en ces matières et de ne pas l'écrire au Code criminel pour ne pas donner l'impression à quelqu'un que si on le dit dans le Code criminel, c'est parce qu'ailleurs on n'a pas à le faire. S'il fallait reviser le Code criminel pour l'indiquer à tous ces endroits, je me demande si cela serait utile et si cela n'inviterait pas à le faire pour d'autres types de dispositions. En deux mots, le droit me semble clair à cet égard, l'État sait fort bien qu'il y a cette obligation et si l'État ne le fait pas, il est sanctionné de par la Constitution, sans qu'on l'indique dans un texte de loi. Après tout, c'est la loi suprême et si cela n'est pas connu par l'État, on a un problème. Et ce problème, ultimement, s'il existe, sera sanctionné par le biais de l'article 24.

Le sénateur Nolin: Dans les amendements que nous avons adoptés en 1995, nous avons spécifiquement modifié le Code criminel de sorte que dans le cas d'une jeune personne une obligation est imposée. On ne fait pas juste allusion à la Loi sur les jeunes contrevenants, mais vraiment au Code Criminel. On pourra offrir les services d'un conseiller juridique à la jeune personne qui aura dû subir un prélèvement d'échantillons de substances corporelles.

N'y aurait-il pas lieu, une fois pour toutes, de dire que ce n'est pas juste pour les jeunes mais pour tout le monde, surtout s'il est pour y avoir relevé d'empreintes génétiques en plus?

M. Roy: Je rappelerais simplement qu'à l'article 487.07, ce n'est pas simplement le droit à l'avocat qui est reconnu, mais également le droit aux parents d'être présents. C'est la raison pour laquelle c'est écrit de cette manière. C'est un peu la contrepartie de la Loi sur les jeunes contrevenants.

Le sénateur Nolin: Il faut que cette loi soit efficace, sinon on devra se revoir dans un an pour corriger ce qui aurait dû être fait avant.

[Traduction]

La présidente: Notre attaché de recherche de la Bibliothèque du Parlement vient de me signaler que les articles visés par les amendements en question se trouvent tous dans la partie du projet de loi qui concerne les mesures prises après une déclaration de culpabilité.

M. Moreau: Ils ne sont donc pas en rapport avec le mandat relatif aux analyses génétiques.

La présidente: Non. Ces amendements ne concernent pas la partie du projet de loi qui traite des mandats. Donc, on parle de mesures qui sont prises après la déclaration de culpabilité, et non pendant l'enquête.

Le sénateur Fraser: Quand nous étions tous en train de nous dire qu'on parlait de l'étape de l'enquête, je me disais que le fait de pouvoir recourir aux empreintes digitales pour vérifier l'identité de la personne qui a donné l'échantillon pourrait en réalité lui assurer une bonne protection. Il s'est déjà produit au Canada -- pas très souvent, heureusement, que des agents de police aient créé de toute pièce des éléments de preuve. On peut donc concevoir que la police décide, afin de protéger un de ses agents, de substituer à l'ADN de ce dernier l'ADN d'une personne innocente. Mais le fait d'avoir également accès aux empreintes digitales constitue en réalité une protection supplémentaire pour l'intéressé.

Je me disais aussi que ce qui doit nous intéresser, ce n'est pas tant le fait qu'on ait pris les empreintes digitales d'une personne, mais ce qu'on en fait par la suite, notamment si cette personne n'a pas été arrêtée ou mise en accusation. Si nous permettions aux autorités d'avoir accès aux empreintes digitales à l'étape de l'enquête -- et je sais que je parle ici d'une toute nouvelle possibilité -- est-ce que le fait de préciser dans la loi que ces empreintes digitales ne doivent jamais être versées à un dossier judiciaire permanent permettrait de protéger les citoyens? Convient-il de préciser que ces empreintes digitale doivent être détruites en même temps que l'échantillon d'ADN -- car tous ceux qui ont comparu devant le comité nous ont garanti que les échantillons d'ADN obtenus à des fins d'enquête sont détruits à la fin de l'enquête et du procès.

Je me disais que ce genre de mesure permettrait en réalité de protéger les citoyens.

M. Roy: Dans votre exemple hypothétique, il faudrait aussi prévoir que l'État ne puisse pas utiliser les empreintes digitales pour d'autres fins que l'identification de l'échantillon d'ADN. Certains craignaient que la police utilise cet échantillon à des fins d'enquête; autrement dit, qu'elle consulte le fichier dactyloscopique pour faire une comparaison d'empreintes digitales à d'autres fins, éventuellement.

Le sénateur Ghitter et d'autres voudraient justement que nous y réfléchissions un peu plus.

L'ordonnance dont il est question dans cette motion est une ordonnance délivrée aux termes des articles 487.051 et 487.052 du Code criminel. Dans le cadre du système de justice militaire, ces ordonnances seraient délivrées aux termes des articles 196.14 et 196.15. Si je me fonde sur la dernière intervention du sénateur Ghitter, ces articles semblent concerner exclusivement des ordonnances délivrées à des agents de la paix après la déclaration de culpabilité pour leur permettre d'obtenir ces prélèvements de substances corporelles. C'est bien ça?

M. Moreau: C'est exact. Le texte est très précis. «Lorsqu'elle déclare une personne coupable d'infraction désignée...». Donc, il s'agit uniquement d'une ordonnance subséquente à une déclaration de culpabilité.

Le sénateur Fraser: Uniquement? Ah, bon.

M. Roy: Ce qui m'a un peu décontenancé, c'est qu'il s'agit d'un amendement à l'article 487.06 du Code criminel. C'est moi qui me suis trompé en croyant que cet amendement visait à la fois l'étape de l'enquête et la période subséquente à la déclaration de culpabilité. Ayant eu l'occasion, pendant que nous en discutions, de relire attentivement cet article, je peux vous assurer qu'il vise exclusivement une ordonnance délivrée après la condamnation. Mes excuses.

Le sénateur Pearson: Je m'intéressais à la même possibilité que le sénateur Fraser; d'un autre côté, je ne suis pas sûre qu'il convienne d'ouvrir cette boîte de Pandore.

M. Bill Clancy, analyste de politique, Direction générale de la police et de l'application de la loi, Solliciteur général du Canada: En ce qui concerne les empreintes digitales et le mandat relatif aux analyses génétiques, à l'heure actuelle, un agent de la paix pourrait obtenir un échantillon d'ADN mais ne serait pas autorisé à prendre les empreintes digitales de l'intéressé. Cet amendement n'a donc pour effet que de préciser qu'on pourra désormais prendre les empreintes digitales de l'intéressé en même temps qu'on lui prélève un échantillon d'ADN, et ce après la condamnation.

Le sénateur Joyal: Je m'interroge sur la possibilité que nous court-circuitions ainsi la procédure normalement suivie pour recevoir l'autorisation de prendre des empreintes digitales, puisque nous prévoyons par voie législative une nouvelle procédure selon laquelle les autorités pourraient désormais prendre les empreintes digitales d'une personne une fois qu'elles sont reçu le feu vert pour lui prendre un échantillon d'ADN. S'agit-il de deux procédures tout à fait parallèles? N'est-il pas vrai que nous sommes en train de créer une procédure tout à fait différente dans cette circonstance précise que celle qui est normalement suivie quand on prend des empreintes digitales sans qu'il y ait prélèvement d'un échantillon d'ADN?

M. Roy: À l'heure actuelle, du moment qu'une personne est accusée d'un acte criminel, vous lui prenez ses empreintes digitales.

Dans certaines provinces, entre autres le Québec -- une fois qu'un personne a été acquittée d'une infraction, elle peut demander la destruction de ses empreintes digitales. Dans d'autres provinces, et aux États-Unis, une fois que vous avez les empreintes digitales de quelqu'un, c'est terminé; vous pouvez les garder à moins que ne soit présentée une demande très spéciale. Ainsi la situation varie d'une province à l'autre.

La dactyloscopie est prévue par la loi. La Cour suprême a décidé, il y a plus de 10 ans dans l'affaire Higgins et Beare, qu'elle était parfaitement constitutionnelle. Il s'agissait d'une décision de M. le juge La Forest, qui a été l'un des plus grands défenseurs du droit des Canadiens à la protection de la vie privée.

Il est proposé ici que la loi prévoie qu'une fois qu'une personne a été trouvée coupable d'une infraction, si vous êtes autorisé à lui prendre un échantillon d'ADN, vous pourrez en même temps lui prendre ses empreintes digitales. À mon sens, il s'agit d'activités parallèles qui ne sont aucunement en conflit, à moins que d'autres ne soient pas d'accord, ce qui pourrait me faire changer d'avis.

Quand j'ai lu ces motions pour la première fois ce matin, j'avais l'impression qu'elles avaient pour objet simplement d'accroître l'efficacité du processus, sans pour autant enfreindre les droits des citoyens. Dans bon nombre de cas, le fait est que les autorités auront déjà pris les empreintes digitales de l'intéressé au moment de son arrestation ou de la mise en accusation. Il s'agit donc simplement de faire le lien entre l'échantillon d'ADN et les empreintes digitales, pour que les autorités puissent s'assurer d'avoir la bonne personne. C'est une bonne protection pour l'État, pour l'accusé et pour les citoyens ordinaires. Il ne s'agit aucunement d'une violation de leurs droits.

Le sénateur Joyal: Cet amendement n'a pas été soumis à l'examen du commissaire à la protection de la vie privée, n'est-ce pas?

M. Roy: Non, je ne crois pas.

Le sénateur Joyal: Madame la présidente, peut-être devrions-nous justement soumettre ces amendements à l'examen du commissaire à la protection de la vie privée. Nous avons déjà reçu une lettre qu'il nous a adressée au sujet d'un texte en particulier. En toute justice, si nous envisageons d'ajouter une disposition de fond au projet de loi, il convient, semble-t-il, de la soumettre à son examen.

Deuxièmement, au Québec, par exemple, si quelqu'un voulait présenter une demande pour faire détruire ses empreintes digitales, quelle serait la procédure à suivre aux termes de ce projet de loi?

M. Roy: Je parlais surtout de cas où l'intéressé a été acquitté. Par définition, c'est après la condamnation. Si c'est porté en appel et que l'intéressé est acquitté, tout est détruit, y compris les empreintes digitales. Dans un tel cas, c'est très clair: il faudrait que tout soit détruit.

Au Québec, c'est d'abord la Cour supérieure qui a rendu un certain nombre de décisions à cet égard -- entre autres, celle de M. le juge Rothman qui est actuellement devant la Cour d'appel. Au Québec, la jurisprudence est claire. Il s'agit là d'une question de droit et de fait.

Dans d'autres provinces, l'optique est différente, et cette question n'a pas encore été renvoyée devant la Cour suprême du Canada.

Le sénateur Beaudoin: Il y a de nombreuses affaires qui concernent les empreintes digitales. Comme vous l'avez dit vous-même, M. le juge La Forest a rendu d'excellentes décisions dans ce domaine. Mais la Cour suprême a peu statué sur la question de l'ADN. Nous devons nous contenter de l'obiter dictum. Cela m'inquiète un peu, parce que cet amendement concerne les empreintes digitales, au sujet desquelles nous avons déjà une jurisprudence considérable, et l'ADN, qui est un domaine tout nouveau où la jurisprudence commence à peine à se constituer. Je veux surtout m'assurer que nous n'allons pas à l'encontre d'une décision de la Cour suprême sur les empreintes digitales. C'est ça qui m'inquiète.

Je ne prétends pas que nous aurions tort de faire ça. Mais puisque nous traitons de deux éléments en même temps -- l'ADN, qui est un domaine tout nouveau au sujet duquel nous n'avons pour l'instant que l'obiter dictum, et les empreintes digitales, qui fait déjà l'objet d'une jurisprudence considérable, je pense qu'il faut être prudent.

Pourquoi n'avez-vous pas présenté cet amendement précédemment, quand nous étudiions la question des empreintes digitales?

M. Roy: C'est quelque chose qui nous a été proposé dernièrement. C'est vers la fin novembre que les responsables des poursuites ont suggéré que nous prévoyions cette possibilité-là pour être sûr de ne pas faire d'erreurs. Nous avons donc décidé d'explorer cette possibilité, et il nous semblait que l'amendement proposé ne poserait aucunement problème sur le plan constitutionnel. La jurisprudence actuelle relative aux régimes que prévoient depuis un certain temps nos lois est bien admise, en ce sens que c'est considéré comme étant tout à fait constitutionnel. D'ailleurs, la Cour d'appel de l'Ontario est actuellement saisie d'une affaire très importante dans ce domaine, comme M. Zigayer a dû vous le dire.

Le sénateur Beaudoin: Autrement dit, vous êtes sûr que l'amendement que vous nous proposez d'adopter est conforme à la jurisprudence de la Cour suprême?

M. Roy: En ce qui concerne les empreintes digitales, oui, absolument.

Le sénateur Gérald-A. Beaudoin (vice-président) occupe le fauteuil.

Le sénateur Moore: Vous avez fait allusion à une situation où quelqu'un serait accusé d'une infraction mixte, de sorte qu'on lui prenne ses empreintes digitales, mais la Couronne déciderait par la suite de poursuivre l'infraction par voie de déclaration sommaire de culpabilité. Faut-il alors que les empreintes digitales soient détruites?

M. Roy: Dans ce genre de situation, tout dépend de la façon dont les conseillers juridiques interprètes la loi. Dans certaines provinces, les empreintes digitales sont détruites car on estime qu'il ne s'agit plus à ce moment-là d'un acte criminel. Dans d'autres provinces, les autorités estiment qu'une fois qu'ils ont pris des empreintes digitales, elles ont le droit de les garder, et que ce n'est plus la peine d'en parler.

Le sénateur Moore: Si l'infraction est poursuivie par procédure sommaire, pourquoi les autorités auraient-elles le droit de garder les empreintes digitales de quelqu'un?

M. Roy: Au départ, au moment où on lui aurait pris ses empreintes digitales, il était accusé d'un acte criminel, conformément à la Loi sur l'interprétation. Mais la procédure à cet égard n'est pas uniforme d'un bout à l'autre du pays.

Le sénateur Moore: Devrait-elle l'être à votre avis? Il me semble qu'il s'agit là d'un pouvoir assez large. Vous auriez ainsi le droit de déposer des accusations, de prendre les empreintes digitales des accusés, et de décider ensuite de poursuivre l'infraction par voie de déclaration sommaire de culpabilité, tout en gardant les empreintes digitales. Je ne suis pas d'accord.

M. Roy: C'est ce que prévoit actuellement la loi. Cette question n'est pas abordée dans le contexte du projet de loi S-10.

Le sénateur Ghitter: J'ai la même préoccupation. Je ne comprends pas pourquoi vous avez besoin de cet amendement. Si nous parlons bel et bien de la période subséquente à la condamnation, la loi vous permet déjà de prendre des empreintes digitales. Le seul élément qui semble susciter des doutes, c'est la situation que décrivait le sénateur Moore -- c'est-à-dire que si c'est un acte criminel au départ et que les autorités décident finalement de poursuivre l'infraction par procédure sommaire, vous aurez toujours les empreintes digitales de l'intéressé, empreintes que vous n'auriez sans doute pas pu avoir autrement.

Plus j'y pense, plus je me dis qu'il s'agit d'une tentative pour vous approprier des pouvoirs plus larges, pouvoirs que vous ne pourriez obtenir par le truchement d'autres lois que vous essayez de vous attribuer indirectement ici. Je ne vois vraiment pas pourquoi vous avez besoin de cet amendement.

M. Roy: Si nous reconnaissons tous que cela ne s'appliquera que lorsqu'une personne a été reconnue coupable...

Le sénateur Moore: D'un acte criminel.

Le sénateur Fraser: D'une infraction primaire ou secondaire.

M. Roy: Si une personne est déclarée coupable d'une infraction, s'il s'agit d'une infraction primaire, il faut que le juge, qui jouit d'un pouvoir discrétionnaire à cet égard, délivre une ordonnance. Pour ce qui est des infractions secondaires, le juge peut délivrer une ordonnance prévoyant le prélèvement d'échantillons. À cette étape-là, le juge, de par l'action de la loi, permet également à l'État de prendre des empreintes digitales. À mon sens, il ne s'agit pas là d'une tentative de la part de l'État pour accroître ses pouvoirs.

L'objet de l'amendement est de permettre aux autorités de s'assurer qu'elles ont bel et bien la bonne personne -- c'est-à-dire que la personne qui dit être Yvan Roy est réellement Yvan Roy. Si nous avons accès aux empreintes digitales, nous pourrons établir ce lien. Voilà l'objet de l'amendement.

Le sénateur Ghitter: Et il s'agirait d'une personne qui a déjà été reconnue coupable d'une infraction?

M. Roy: Oui.

Le sénateur Ghitter: Donc, vous voulez vous assurer, après qu'une personne a déjà été condamnée, qu'on a eu raison de la condamner?

M. Roy: Non, que l'échantillon obtenu vient de la bonne personne.

Le sénateur Joyal: Je crois que la plus importante catégorie d'infractions inscrites au Code criminel est celle des actes criminels, qui sont toujours les plus problématiques. Qu'arriverait-il si la Couronne décidait de procéder par voie de mise en accusation? L'intéressé est condamné, et on interjette appel. Ensuite la décision est cassée en appel. Qu'arrive-t-il si les autorités auraient dû au départ poursuivre l'infraction par voie de déclaration sommaire de culpabilité? Qu'arrive-t-il à vos échantillons d'ADN?

M. Roy: Pourriez-vous répéter ce que vous venez de dire?

Le sénateur Joyal: Selon votre projet d'amendement, la décision serait prise a posteriori. Ce serait limité à un acte criminel ou une série d'infractions qui ont été inscrites dans la Loi sur la défense nationale.

M. Roy: Certaines des infractions énumérées dans la liste des infractions désignées sont mixtes. Les amendements visent la période subséquente à la déclaration de culpabilité, mais le texte ne précise aucunement que l'infraction de l'intéressé doit avoir été poursuivie par voie de mise en accusation ou de déclaration sommaire de culpabilité. Je veux que ce soit clair pour tout le monde.

M. Moreau: Au départ, quand le groupe de travail explorait cette possibilité, on supposait que les autorités pourraient prendre des empreintes digitales conformément à la Loi sur l'identification des criminels. L'une des questions qui ont été soulevées -- et encore une fois, nous parlons toujours de ce qui se fait après la déclaration de culpabilité -- c'est que la loi permet aux autorités de prendre les empreintes digitales d'une personne sous garde légale si elle a été accusée ou reconnue coupable d'un acte criminel. Il y a cependant une nuance dont il faut tenir compte: si l'intéressé n'est pas sous garde légale -- peut-être qu'il purge sa peine dans une maison de transition -- eh bien, il n'existe pas de disposition législative qui concerne précisément cette situation-là. Par conséquent, strictement parlant, il ne serait pas possible de prendre les empreintes digitales de cette personne aux termes de la nouvelle Loi sur l'identification par les empreintes génétiques. Il y a toujours eu une disposition en vertu de laquelle les autorités pouvaient prendre les empreintes digitales d'une personne sous garde légale dont on avait déjà reconnu la culpabilité. On supposait que ce serait possible également dans le cadre du nouveau régime.

Voilà donc un autre problème que nous essayons de régler par l'entremise de cette motion.

Le vice-président: On parle de la période subséquente à la condamnation. N'est-il pas trop tard pour déterminer si nous avons ou non affaire à la bonne personne?

Le sénateur Pearson: L'objet de l'amendement est de nous permettre de nous assurer que nous avons l'ADN de la bonne personne.

M. Roy: Le sénateur Pearson a parfaitement raison. L'idée est de s'assurer que la personne dont on a obtenu un échantillon d'ADN est bel et bien la personne qu'elle prétend être, et ce sont les empreintes digitales qui vont nous permettre de confirmer son identité. C'est un peu comme si on disait: «Nous avons le nom, nous avons les empreintes digitales, nous avons un échantillon d'ADN, et nous savons pertinemment qu'il s'agit bien de la même personne.» Sinon, il doit y avoir un moyen de déterminer si un écart existe. La meilleure façon de le faire est de vérifier les empreintes digitales. Voilà donc l'objet de cet amendement.

Le vice-président: Mais c'est une préoccupation légitime; nous voulons être sûrs.

Le sénateur Joyal: Puisque vous allez vérifier d'autres éléments d'information, pourriez-vous vous renseigner également sur mon interprétation, à savoir que nous pourrons, grâce à cet amendement, faire une vérification en consultant l'ensemble du fichier dactyloscopique. Peut-être pourriez-vous nous dire si j'ai raison de croire que ça marcherait dans les deux sens, c'est-à-dire que ça bénéficierait aux personnes condamnées injustement tout en nous aidant à confirmer l'identité de personnes qui peuvent ne pas avoir été accusées d'une infraction simplement parce qu'il nous manquait un élément d'information qui nous aurait permis de lier cette personne au crime en question.

M. Roy: Je constate que les sénateurs ont plusieurs préoccupations à cet égard. Je pense qu'il serait donc utile que nous revenions pour vous présenter plusieurs scénarios en vous indiquant si l'amendement s'appliquerait ou non dans chaque cas. J'ai lu ces amendements pour la première fois à 9 h 30 ce matin. Je vois comment s'oriente votre réflexion. Il serait donc dans l'intérêt de tout le monde que nous fassions ce genre d'analyse. Nous souhaitons donc revenir pour vous donner des explications qui élimineraient tout éventuel malentendu.

Si nous constatons que ces amendements prévoient des pouvoirs trop larges, le gouvernement voudra peut-être les retirer.

Le sénateur Joyal: Il faudrait aussi les soumettre à l'examen du commissaire à la protection de la vie privée, étant donné qu'ils feront partie intégrante de la loi. Si nous ajoutons des dispositions de fond à la loi, il faut absolument en informer le Commissaire à la protection de la vie privée.

Le vice-président: Je crois comprendre, monsieur Roy, que vous reviendrez mercredi prochain. Si nous arrivons à terminer notre travail, tant mieux, mais d'après ce qu'on m'a dit, rien ne presse. Nous sommes donc d'accord pour que vous reveniez devant le comité mercredi prochain.

M. Roy: Ce sera avec plaisir, monsieur le vice-président.

Le vice-président: Merci pour votre contribution fort intéressante à la discussion de ce matin.

La séance est levée.


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