Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles
Fascicule 11 - Témoignages
OTTAWA, le mercredi 22 mars 2000
Le comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, auquel a été renvoyé le projet de loi S-2, Loi facilitant la prise de décisions médicales légitimes relativement aux traitements de survie et au traitement de la douleur, se réunit aujourd'hui, à 15 h 34, pour en étudier la teneur.
Le sénateur Lorna Milne (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente: Honorables sénateurs, nous allons entendre aujourd'hui le témoignage de l'honorable sénateur Sharon Carstairs, qui connaît ce comité beaucoup mieux que moi, étant donné qu'elle l'a présidé pendant un certain nombre d'années.
L'honorable Sharon Carstairs: Merci beaucoup, madame la présidente.
Honorables sénateurs, la Loi sur la prise de décisions médicales a pour objet de faciliter la prise de décisions médicales par les patients en protégeant les soignants contre les poursuites pénales suite à l'accomplissement d'actes qui sont conformes aux souhaits du patient. Plus précisément, ce texte clarifie le droit en protégeant le soignant qui, à la demande du patient, s'abstient de lui administrer un traitement de survie ou interrompt celui-ci, ou qui lui administre des médicaments pour soulager ses souffrances physiques sans avoir l'intention de causer la mort.
Le projet de loi dispose également que le ministre de la Santé devra établir des lignes directrices nationales et promouvoir l'éducation du public et la formation en matière de traitements de survie, de traitement de la douleur et de soins palliatifs.
Le projet de loi S-2 est le troisième que le Sénat dépose sur ce sujet depuis quelques années.
Le 27 novembre 1996, j'ai déposé le projet de loi S-13, Loi modifiant le Code criminel (protection des soignants). Ce projet de loi est mort au Feuilleton lorsque les élections fédérales ont été déclenchées en mai 1997.
[Français]
Lors de la dernière session parlementaire, le sénateur Thérèse Lavoie-Roux a déposé le projet de loi S-29, qui avait la même teneur que le projet de loi S-13, soit la protection des patients et des soignants.
Le projet de loi S-29 est mort au Feuilleton suite à la prorogation du Parlement en septembre dernier. À mon avis, le projet de loi S-2, Loi facilitant la prise de certaines décisions médicales, intègre les meilleurs éléments des projets de loi S-3 et S-29.
[Traduction]
Cependant, la portée du présent projet de loi est beaucoup plus vaste que le travail réalisé par le sénateur Lavoie-Roux et moi-même. Le projet de loi commence par un préambule. Il est important que je vous en fasse la lecture.
ATTENDU: que le Comité sénatorial spécial sur l'euthanasie et l'aide au suicide, constitué le 23 février 1994, a délibéré sur les actes médicaux comportant l'abstention et l'interruption des traitements de suivi, ainsi que sur ceux qui, visant à soulager la souffrance, risquent de causer l'abrégement de la vie;
QUE, dans son rapport intitulé De la vie et de la mort et daté du 6 juin 1995, le comité a constaté l'existence d'incertitudes au sein du corps médical et du grand public sur les conséquences juridiques de tels actes;
QU'il a recommandé à l'unanimité qu'une modification du Code criminel qui permette aux soignants d'accomplir ces actes dans certains cas sans crainte de responsabilité pénale, de sorte que les souhaits du patient soient respectés;
QU'il a recommandé à l'unanimité que le ministère gouvernemental responsable de la protection et de la promotion de la santé des Canadiens établisse, en collaboration avec les autorités provinciales et les associations des professionnels de la santé, des lignes directrices concernant ces actes médicaux;
QU'il a recommandé à l'unanimité que le grand public soit mieux informé que la formation des professionnels de la santé soit améliorée relativement à ces actes médicaux,
Sa Majesté, sur l'avis et avec le consentement du Sénat et de la Chambre des communes du Canada, édicte:
Ce projet de loi est donc le fruit des travaux du comité sénatorial spécial sur l'euthanasie et l'aide au suicide et de tous les sénateurs et sénateurs qui y ont participé. Bien sûr, le comité sénatorial spécial n'a pas été le premier intervenant à formuler ces recommandations. L'Association médicale canadienne réclame que le droit pénal soit clarifié sur les deux questions depuis 1992. En 1983, la Commission de réforme du droit du Canada a recommandé que le droit pénal soit clarifié sur ces deux questions. Pourquoi ce projet de loi est-il nécessaire?
Le comité sénatorial spécial a reconnu que les tribunaux admettent l'existence en common law du droit du patient de refuser un traitement ou de demander qu'il soit interrompu. Plusieurs décisions ont spécifiquement reconnu ce droit, notamment dans les causes Mallette c. Shulman, Nancy B. c. Hôtel-Dieu de Québec et Rodriguez, bien que l'abstention ou l'interruption d'un traitement de survie signifie la mort. Cependant, des témoins très divers ont affirmé au comité qu'il existe une grande confusion parmi les soignants et dans le grand public au sujet du droit des patients à refuser un traitement ou à demander qu'il soit interrompu.
Le Dr Ted Broadway, directeur de la Politique sanitaire à l'Ontario Medical Association, l'a formulé éloquemment dans son témoignage devant le comité sénatorial spécial sur l'euthanasie et l'aide au suicide:
En réalité cependant, la common law n'est pas suffisamment claire pour être bien comprise par les praticiens ou le grand public, pas plus qu'elle n'est parfaitement généralisable d'un cas à l'autre, ce qui laisse ainsi assez d'ambiguïté dans l'esprit des praticiens pour qu'ils doutent de leurs obligations et de leurs responsabilités pénales éventuelles découlant du fait d'administrer ou de refuser d'administrer un traitement.
En outre, le comité a reconnu que le Code criminel n'interdit pas les soins palliatifs, même si cela doit abréger la vie du patient, à condition qu'ils soient administrés selon la pratique médicale établie. Cependant, divers témoins nous ont dit que de nombreux soignants hésitent à administrer des soins palliatifs et des traitements antidouleur adéquats par crainte de poursuites lorsque ces traitements risquent d'abréger la vie du patient même si l'intention n'est pas de causer la mort. Pour ces raisons, le comité sénatorial spécial estime qu'il est nécessaire de clarifier le droit pénal.
Comment le projet de loi atteint-il son objectif de préciser le Code criminel? L'article 2 du projet de loi édicte que n'est coupable d'aucune infraction prévue par le Code criminel le soignant qui, afin de soulager ou de faire cesser les souffrances physiques d'un patient, lui administre des médicaments en doses susceptibles d'abréger sa vie.
Le comité sénatorial spécial emploie l'expression plus vaste de «soulagement de la souffrance» mais le libellé de l'article 2 en réduit le champ et exclut les cas de médicaments administrés pour soulager des souffrances mentales ou psychologiques.
Cependant, l'article 2 ne saurait être invoqué lorsqu'il y a responsabilité pénale, comme dans le cas de négligence criminelle. En outre, l'article ne s'applique expressément pas aux cas où il y a intention de causer la mort, ce qu'on appelle parfois le meurtre par compassion.
Le paragraphe 3(1) dispose qu'aucun soignant n'est coupable d'une infraction prévue par le Code criminel du seul fait qu'il s'abstient d'administrer ou qu'il interrompt un traitement de survie à la demande d'un patient qui est juridiquement capable.
Le paragraphe 3(2) précise les circonstances dans lesquelles est valable la demande visée au paragraphe 3(1). Des instructions écrites faites à l'avance et conformément aux lois d'une province auront toujours la priorité. À défaut d'instructions écrites préalables faites conformément aux lois d'une province, des instructions écrites informelles ou une demande faite verbalement ou par signes à tout moment seront valables si elles sont faites en présence d'au moins un témoin.
Le paragraphe 3(3) prévoit une demande substitutive faite par un mandataire, un représentant légal ou le conjoint seulement si, pendant qu'il en était capable, le malade n'a pas fait la demande. En vertu du projet de loi S-2, la demande substitutive au nom d'une personne incapable de prendre une décision, sera faite par la personne la plus intimement liée au malade. Cependant, l'essentiel du projet de loi va dans le sens du droit du patient à prendre ses propres décisions en matière de santé, de façon libre et éclairée.
Dans la plupart des provinces du Canada, il existe une loi concernant les directives préalables ou les testaments de vie. En vertu des lois provinciales, la personne capable peut charger un mandataire de prendre en son nom des décisions en matière de soins de santé, au cas où elle deviendrait incapable de décider par elle-même. Ce mandataire est le plus souvent la personne avec laquelle le malade est le plus intimement lié, par exemple son conjoint ou un membre de sa famille, à qui il a fait confiance pour réaliser ses volontés.
Si un patient, avant de devenir incapable, a nommé un mandataire dans un testament de vie ou dans une directive préalable, c'est cette personne qui prendra à sa place les décisions en matière de santé. Si aucun mandataire n'a été nommé par la personne, mais qu'il existe un représentant légal, c'est lui qui prendra la décision. Dans les deux cas, le mandataire ou le représentant légal est presque toujours la personne la plus intimement liée au malade. Dans aucune circonstance, le soignant ne peut faire de demande substitutive. De plus, le projet de loi exige la présence d'un témoin pour toute demande visant l'abstention ou l'interruption d'un traitement de survie.
L'article 6 du projet de loi S-2 est l'exemple le plus évident de la fusion du projet de loi S-13 et du projet de loi S-29 du sénateur Lavoie-Roux. Le projet de loi S-29 prévoyait l'établissement de lignes directrices nationales pour le soulagement de la douleur ainsi que pour l'abstention et l'interruption d'un traitement de survie.
L'article 6 prévoit que le ministre de la Santé établira, en consultation avec les autorités provinciales et les associations, des lignes directrices nationales sur l'abstention et l'interruption des traitements de survie, le traitement de la douleur et les soins palliatifs. Cela est nécessaire parce que notre système de prestation de soins de santé est de responsabilité provinciale et que le gouvernement fédéral ne peut pas prendre des lignes directrices unilatéralement. Il doit travailler de concert avec les provinces.
[Français]
Le projet de loi permet au ministre de la Santé de promouvoir et d'encourager l'éducation du public et la formation des professionnels de la santé en ce qui concerne le traitement de la douleur et les soins palliatifs. Le texte prévoit aussi que le ministre de la Santé s'occupera de comptabiliser le nombre de fois où il y a eu abstention ou interruption d'un traitement de survie, à mener des enquêtes et à faire des recherches à ce sujet.
Le comité sénatorial spécial reconnaît l'importance de lignes directrices nationales dans ces domaines. De nombreux témoins entendus par le comité ont recommandé une meilleure sensibilisation du public et une meilleure formation des soignants en matière de soins palliatifs et de soulagement de la douleur. Presque tous les témoins qui ont comparu devant le comité sénatorial spécial estiment qu'il faut réaliser davantage de recherches dans ces domaines.
[Traduction]
L'article 4 formule des définitions semblables à celles qui figurent dans le rapport final du comité sénatorial spécial sur l'euthanasie et l'aide au suicide. Ainsi:
«Capable» -- Qui est apte à comprendre la nature et les conséquences de la décision à prendre ainsi qu'à communiquer cette décision.
Cette définition se trouve à la page 14 du rapport «De la vie et de la mort».
«Consentement libre et éclairé» -- Accord volontaire d'une personne qui possède une capacité mentale suffisante, selon l'avis d'un médecin compétent, pour faire un choix rationnel quant aux options d'un traitement. Il suppose que la personne sait ce qu'il adviendra si le traitement est administré ou omis et qu'elle connaît les solutions de rechange possibles. Le consentement ne doit pas être vicié par la coercition, la contrainte ou une erreur.
La définition se trouve à la page 16 du rapport «De la vie et de la mort».
On peut ensuite lire dans le rapport:
Le comité a défini l'abstention de traitement de survie comme étant le fait de ne pas amorcer un traitement susceptible de maintenir le patient en vie, par exemple de ne pas tenter la réanimation cardio-respiratoire (RCR), de ne pas donner une transfusion sanguine, de ne pas administrer d'antibiotiques ou de ne pas assurer l'alimentation et l'hydratation artificielles. L'interruption désigne le fait de cesser un traitement susceptible de maintenir le patient en vie, par exemple débrancher le respirateur ou enlever la sonde gastrique qui assure l'alimentation ou l'hydratation.
Ce passage se trouve à la page 39 du rapport «De la vie et de la mort».
La définition de «soignant» reconnaît que les soins palliatifs et le traitement de la douleur sont souvent administrés par une infirmière ou une autre personne suivant les instructions d'un médecin.
L'objectif du projet de loi S-2 est de mettre en oeuvre les recommandations unanimes du comité sénatorial spécial sur l'euthanasie et l'aide au suicide. Les décisions en matière de soins de santé sont prises actuellement dans un vide législatif, dans tous les hôpitaux et les établissements de soins de longue durée partout au pays. Même aujourd'hui, les gens qui ne sont pas capables de prendre leurs propres décisions en matière de soins de santé se font imposer les décisions prises par d'autres. Cependant, il n'y a actuellement aucune garantie législative ni lignes directrices nationales concernant les questions de soins palliatifs, de soulagement de la douleur ou encore d'abstention ou d'interruption de traitement de survie.
Le projet de loi S-2 met en oeuvre certaines garanties, comme celle d'exiger qu'il y ait un témoin présent, qui ne soit pas le soignant, en plus du soignant et du patient ou d'un décideur substitut, lorsqu'est prise la décision de ne pas entreprendre un traitement médical de survie ou d'y mettre fin. La loi prévoit aussi des recherches et de l'éducation, ainsi que la création de lignes directrices nationales dans les domaines des soins palliatifs, du soulagement de la douleur et de l'abstention ou de l'interruption du traitement de survie.
Si cela n'est pas réalisé par le projet de loi tel que rédigé, il faut l'amender. Toute proposition en ce sens sera la bienvenue. J'espère que le projet de loi à l'étude jette plus de lumière sur certains points flous du système actuel. Si un amendement est proposé en vue de le rendre plus clair, je serai la première à l'appuyer.
Chers collègues, je demeure à votre disposition pour répondre aux questions.
Le sénateur Poy: Sénateur Carstairs, l'article 2 du projet de loi S-2 parle de souffrance physique, mais il exclut les situations où des médicaments pourraient être administrés pour soulager les souffrances émotionnelles ou psychologiques. Pouvez-vous m'en donner la raison, je vous prie?
Le sénateur Carstairs: Quand nous avons rédigé initialement le premier projet de loi -- j'ai eu beaucoup d'aide et je ne l'ai certes pas fait seule --, c'était le point qui donnait lieu au plus grand nombre de préoccupations. Certains estimaient qu'il allait trop loin, qu'il était impossible de définir clairement la souffrance émotionnelle et la souffrance psychologique. J'ai donc jugé plus sage de m'en tenir uniquement à la souffrance physique. J'ai jugé que si nous réglions bien cette question, que le Code criminel était modifié, puis que d'autres pressions étaient exercées en vue d'y inclure la souffrance émotionnelle et psychologique, nous pourrions certes aller de l'avant. J'ai jugé préférable d'y aller étape par étape, et la notion de souffrance physique était la première.
Le sénateur Poy: S'il existe un testament biologique, celui-ci a-t-il préséance sur les dispositions du projet de loi S-2? Si vous avez déjà un testament biologique, vous savez très exactement ce que vous souhaitez; tout est couché sur papier. Le projet de loi S-2 devient à ce moment-là inutile, n'est-ce pas?
Le sénateur Carstairs: Non. Tout d'abord, des lois autorisant les testaments biologiques ne sont pas en vigueur partout au Canada. Actuellement, sept provinces en ont adopté, bien que deux ne les aient pas encore proclamées et que d'autres le feront cette année. Le Nouveau-Brunswick n'a pas encore déposé de projet de loi à cet effet, mais le gouvernement de cette province m'a affirmé qu'il le ferait.
De plus, le testament biologique ou les instructions données par écrit à l'avance vont de pair avec cette loi puisqu'un document dit ce que vous voulez et l'autre décrit la manière de l'obtenir. Bien que le testament biologique fasse état de vos volontés, rien ne garantit que le médecin se sentira suffisamment protégé pour les respecter.
Autre point qui me trouble beaucoup, il n'y a pas de rapport ou de protocole entre le testament biologique fait dans une province et celui d'une autre province. Si, par exemple, j'ai fait un testament biologique au Manitoba, ce que j'ai fait, et que je voyage au Québec, qui a une loi très progressiste en la matière, j'ignore si l'on tiendra compte de mes instructions parce que le fait que le testament biologique n'ait pas été fait au Québec les préoccupera.
Une des autres recommandations du comité sénatorial était l'élaboration d'un protocole. Toutefois, il n'y en a pas actuellement.
Le sénateur Beaudoin: Je me réjouis que l'on souhaite mettre en oeuvre les recommandations que notre comité a faites dans son rapport de 1994-1995. J'ai toujours dit qu'il faudrait donner suite à nos conclusions unanimes, ce qui est de toute évidence la raison d'être du projet de loi à l'étude.
Les deux articles les plus importants sont les articles 2 et 3. En ce sens, pourquoi avez-vous décidé de modifier le Code criminel de manière indirecte plutôt que directe? Dans le projet de loi, on modifie directement soit le Code civil, soit le common law ou le droit pénal. Dans le cas qui nous préoccupe, nous traitons du droit pénal parce qu'il relève de notre compétence. Il existe déjà beaucoup d'autres articles sur le sujet dans le Code criminel, mais vous avez décidé de prendre un moyen indirect pour le modifier. L'approche est peut-être bonne. Tout dépendra de l'interprétation qu'en feront les tribunaux. Vous conférez de nombreux pouvoirs aux tribunaux dans ce sens. Pourquoi avoir fait ce choix plutôt que l'autre, qui est un moyen plus courant?
Le sénateur Carstairs: Certains d'entre vous se trouvaient déjà au Sénat quand j'ai déposé le projet de loi S-13. Vous vous rappellerez peut-être que j'avais opté pour les modifications du Code criminel. Dans le projet de loi ultérieur, j'ai changé de tactique et j'aimerais vous expliquer en détail ce qui m'a motivée. En fait, il y a deux raisons.
La première, c'est que j'estime très important que le projet de loi à l'étude ait un préambule.
Les rédacteurs de lois débattent constamment de la question de savoir s'il faut ou non ajouter un préambule. On en trouve de plus en plus dans les lois. La raison d'être, à mon avis, est de décrire le contexte dans lequel la loi a été changée à l'intention de ceux qui se prononceront plus tard à son sujet.
Malheureusement, si nous avions décidé de modifier le Code criminel, le préambule aurait disparu. Il aurait été littéralement nul et sans effet. Il n'aurait plus été là. C'est en partie pourquoi nous avons décidé de procéder de la manière actuelle. J'estimais extrêmement important d'avoir un préambule et de décrire le contexte.
La seconde raison, naturellement, est l'article 6 du projet de loi pour lequel je me suis inspirée essentiellement du concept et des idées préconisés dans le projet de loi du sénateur Lavoie-Roux. L'article 6 prévoit des lignes directrices nationales. On n'aurait pas pu les exiger en modifiant le Code criminel. Pour que le projet de loi ait un article 6, il fallait trouver un moyen de le rédiger qui permettrait d'y inclure à la fois le préambule et l'article 6. Par conséquent, nous avons examiné d'autres lois, comme la Loi sur les armes à feu, la Loi sur le tabac et la Loi sur les jeunes contrevenants, qui illustrent toutes l'exercice d'un pouvoir conféré par le droit pénal au Canada. Ce sont toutes des lois autonomes qui ne modifient pas le Code criminel, mais qui ont pour effet de modifier le droit pénal.
Dans son ouvrage intitulé Constitutional Law in Canada, Peter W. Hogg confirme la constitutionnalité d'invoquer le pouvoir conféré par le droit pénal pour adopter des lois autonomes. J'ai demandé au conseiller parlementaire du Sénat de communiquer avec James Ryan, rédacteur de loi chevronné, pour lui demander son avis au sujet d'un projet de loi autonome. J'ai sa réponse à la question. Si les sénateurs le souhaitent, je peux la faire distribuer. Je déposerai sa lettre avec plaisir.
Le sénateur Beaudoin: On peut peut-être facilement concilier les deux car, si le Code criminel est modifié indirectement en affirmant quelque chose qui est positif comme tel -- la raison d'être, je crois, des articles 2 et 3 du projet de loi --, c'est tout à fait compatible avec notre régime juridique.
La deuxième question concerne l'article 6. Il est très important. Je me rappelle que le sénateur Lavoie-Roux avait été très impressionnée par le fait qu'il faut respecter les champs de compétence fédéraux et provinciaux. Manifestement, cela ne pose pas de problème en droit pénal, mais c'est une toute autre paire de manches lorsqu'il est question de santé. La loi varie, d'une province à l'autre.
Hier, nous avons entendu des témoins du Barreau du Québec avec lesquels nous avons discuté de la situation dans cette province. Elle n'est pas tout à fait la même que dans les autres, mais elle présente des similitudes. Il faut faire participer les provinces, sans quoi ce serait inconstitutionnel.
Ma seule préoccupation avec cet article est de savoir s'il est suffisamment précis pour des lignes directrices. Nous coordonnerons, collaborerons et négocierons des lignes directrices, mais existeront-elles quelque part? La loi les prévoira. Des documents juridiques en feront état et, après avoir collaboré avec toutes les provinces et une fois que toutes les provinces auront participé dans leurs champs de compétence respectifs, par exemple en ce qui concerne les testaments, les mandats et ainsi de suite, il faudra en venir à certaines conclusions.
Que projetez-vous de faire à cet égard? Ajouterons-nous une disposition au projet de loi? Demanderons-nous aux provinces d'adopter des lois dans leur domaine de compétence? Le deuxième choix serait le bon, selon moi. Il faudrait inviter les provinces à agir dans les limites de leur champ de compétence, de sorte que nous ne soyons jamais accusés d'avoir empiété sur les pouvoirs provinciaux.
Le sénateur Carstairs: Bien sûr, vous avez mis le doigt sur le bobo. Le gouvernement fédéral ne peut pas imposer de lignes directrices aux provinces. Ce qu'il peut faire et ce que nous avons tenté de faire dans le projet de loi à l'étude, c'est de donner au ministre de la Santé le mandat de négocier avec les autorités provinciales et les associations et de les consulter de manière à pouvoir mettre en place un cadre national, ce qui n'est pas facile à faire.
L'élaboration de lignes directrices nationales relatives aux soins palliatifs est en cours depuis quelques années. Si j'ai bien compris, nous sommes sur le point d'avoir une entente à ce sujet. Ces lignes directrices sont liées à la question des relations fédérales-provinciales de sorte qu'elles ne sont pas faciles à réaliser.
Nous estimions avoir été aussi loin qu'il était possible de le faire dans cet article du projet de loi en vue de conférer au ministre de la Santé fédéral le pouvoir de négocier et d'essayer de rapprocher les parties. Cependant, si les parties ne souhaitent pas un rapprochement, nous n'aurons bien sûr jamais de lignes directrices nationales. On peut espérer qu'en conférant au ministre le pouvoir législatif de convoquer les réunions et d'amorcer les discussions, on accouchera des lignes directrices. Nous ne pouvons pas faire plus. La santé est de compétence provinciale.
Le sénateur Beaudoin: Il subsistera tout de même des divergences d'opinions. Par exemple, les porte-parole du Barreau du Québec ont fait un bon exposé hier, compte tenu de la refonte du Code civil en 1994. Le Code civil comporte de nombreux articles à cet égard. Dans les autres provinces, on respecte les principes du common law auxquels viennent se greffer des lois. Cela ne changera pas.
Je crois qu'il faudrait faire ce que vous proposez à l'article 6 du projet de loi, mais il n'y a rien de mal à ce qu'il y ait des variations d'une province à l'autre ou d'un régime juridique à l'autre. Nous avons deux régimes juridiques, mais de la façon dont est rédigé le projet de loi, la possibilité existe.
Le sénateur Carstairs: Afin d'être bien comprise par les autres membres du comité, je précise que les porte-parole du Barreau du Québec sont venus témoigner devant notre comité hier, c'est-à-dire devant le sous-comité de mise à jour de «De la vie et de la mort» qui étudie les recommandations unanimes faites par le comité sénatorial spécial sur l'euthanasie et l'aide au suicide. Les témoins du Barreau du Québec ont comparu au sujet expressément du droit québécois en matière de testament biologique.
Je tiens également à ajouter que ce n'est pas là le seul mandat que nous avons confié au ministre de la Santé. Nous lui avons aussi confié un mandat d'éducation et un mandat de recherche, deux mandats qu'il a la capacité et le pouvoir d'exécuter sans entente réciproque avec les provinces. Il peut exécuter des programmes d'éducation nationaux. Il le fait déjà dans plusieurs domaines en rapport avec des questions nationales de santé.
Le sénateur Buchanan: À ses risques et périls, bien souvent.
Le sénateur Fraser: Sénateur Carstairs, je n'ai pas l'avantage d'avoir fait partie du comité initial, de sorte que le sujet à certains aspects très troublants est nouveau pour moi. Je soupçonne que toutes les personnes assises à cette table sont d'accord en principe avec ce que vous tentez de faire dans le projet de loi à l'étude. Toutefois, de toute évidence, nous souhaitons circonscrire le plus possible le champ d'application. Nous ne voudrions pas autoriser l'euthanasie générale.
Le fait que je ne trouve pas dans le projet de loi à l'étude de mesures de protection pour faire en sorte qu'on n'administre pas de doses massives et peut-être mortelles d'un médicament contre la douleur ou qu'on n'interrompt pas un traitement de survie lorsque la personne pourrait se rétablir me préoccupe. Nous pouvons tous concevoir -- nous en avons peut-être même vécu -- des situations où l'état de la personne est si terrible qu'elle souhaite être soulagée le plus vite possible, parfois au risque d'en mourir. Si cela signifie qu'on lui retire tous les tubes, soit. Toutefois, que fait-on si la personne se rétablissait ou qu'il y avait au moins une chance raisonnable qu'elle se rétablisse à la fin de ce traitement si difficile à supporter? Je ne vois rien dans le projet de loi en rapport avec de pareils cas.
Le sénateur Carstairs: La meilleure protection est le risque d'être accusé de meurtre si l'on agit de manière tout à fait injustifiée. Cette option demeure toujours. Si l'on pose un acte injustifié, sans avoir le consentement voulu, de telles accusations peuvent être portées. Cela ne fait aucun doute. Le problème avec l'inclusion de mesures de protection dans la loi, c'est que ce sont les provinces qui doivent les prévoir dans le cadre des lignes directrices. Nous ne pouvons pas adopter des lignes directrices nationales, voire les inclure dans le projet de loi, si nous n'avons pas le consentement unanime des provinces. En effet, la pratique de la médecine, telle qu'elle est pratiquée dans les hôpitaux, dans les maisons de soins prolongés et dans les foyers pour personnes âgées partout au pays, est régie non pas par le gouvernement fédéral, mais par les provinces.
Le sénateur Fraser: J'en suis consciente. Toutefois, nous sommes en train d'adopter des règles précises et détaillées en rapport avec le comportement des divers intervenants. Quand il est question de prévoir des mesures de protection, je ne vois pas pourquoi nous ne pourrions pas également ajouter un article au projet de loi pour exiger du médecin compétent qu'il atteste que l'état de cette personne, à la lumière des connaissances médicales actuelles, est irréversible et que cette personne n'est pas susceptible d'avoir une qualité de vie normale.
Le sénateur Carstairs: Il est question du consentement libre et éclairé dans plusieurs dispositions du projet de loi. Le consentement libre et éclairé est une composante de la loi. Pour donner un consentement libre et éclairé, le patient ou, parfois, la personne désignée par procuration doit disposer des informations voulues pour prendre cette décision.
Pour ce qui est de ce dont vous avez parlé, soit d'exiger que le médecin fasse une attestation, il faudrait que cette exigence soit faite par un collège des médecins et chirurgiens. Soit dit en passant, les exigences de ces collèges sont sans effet juridique. Ils appliquent uniquement un code d'éthique. Ils ne peuvent pas faire respecter l'application de quoi que ce soit parce qu'ils n'en ont pas le pouvoir. La seule autre voie possible serait de passer par les comités d'hôpitaux, comités qui pourraient facilement être établis et qui, avec un peu de chance, le seront. Le fait qu'il n'y en ait pas actuellement me dérange un peu.
Actuellement, au Canada, les malades sont débranchés de respirateurs et d'autres appareils tous les jours. Nous ne savons pas si ces malades ont donné leur consentement libre et éclairé parce qu'aucune mesure législative exige de donner ce consentement. C'est entre autres ce que je veux corriger dans ce projet de loi.
Les sénateurs trouveront dans le cahier que j'ai préparé à leur intention copie des chapitres du rapport «De la vie et de la mort» qui a donné lieu au consentement unanime sur lequel est fondé le projet de loi S-2. Il est important que vous lisiez ces chapitres parce que, sans ces éléments d'information, il est très difficile de comprendre tous les témoignages que le comité a entendus ainsi que les conclusions qu'il a tirées à l'unanimité.
Le sénateur Fraser: Je veux m'assurer de comprendre ce que vous dites, madame le sénateur. Soutenez-vous qu'il serait inconstitutionnel que nous ajoutions une disposition à ce sujet dans le projet de loi?
Le sénateur Carstairs: Je dis que nous ne pouvons pas établir de lignes directrices sur la pratique de la médecine dans une ou l'autre province du Canada. Par «nous», je veux dire les autorités fédérales.
Le sénateur Fraser: Cette attestation ferait-elle partie de la pratique de la médecine?
Le sénateur Carstairs: Oui.
Le sénateur Andreychuk: Le sénateur Fraser parle de protections. Le projet de loi ne vise pas uniquement les personnes en phase terminale, n'est-ce pas? Si j'ai bien compris, il traite également du soulagement des souffrances physiques.
Le sénateur Carstairs: Le projet de loi ne touche pas à cela. Chose intéressante, un groupe qui comparaîtra devant vous m'a envoyé les amendements qu'il propose pour essayer de préciser cette question. C'est un amendement très valable que le comité devrait examiner sérieusement. Il traite des situations qui mettent la vie en danger.
Le sénateur Andreychuk: Le projet de loi traite du soulagement des souffrances et non des situations qui mettent la vie en danger.
Le sénateur Carstairs: Nous n'en avons pas parlé dans notre rapport. Cependant, il y en a des exemples. Je pense entre autres au cas de la sédation complète. Il y a sédation complète quand on administre de grandes quantités d'analgésiques à un malade au point de le rendre inconscient, comateux. On a recours à la sédation complète dans deux situations précises.
Le Dr Keon, par exemple, a confirmé hier qu'il avait recours à cette pratique après une chirurgie cardiaque. Dans ce cas, la sédation complète permet de calmer le malade pour aider le coeur à guérir. Quand les médecins estiment que l'état du patient s'est amélioré, on diminue graduellement les doses de médicaments et le patient, évidemment, reprend conscience.
On a aussi recours à cette pratique quand la douleur est intense au moment de la mort. On laisse alors le malade sombrer dans l'inconscience.
J'aime bien l'amendement qui a été proposé par ce groupe.
Le sénateur Roche: Le sénateur Carstairs se rappellera que j'ai approuvé le projet de loi à l'étape de la deuxième lecture. Il y a toutefois un aspect soulevé par beaucoup de gens qui m'inquiète, et c'est le risque de dérapage. J'admets que le projet de loi prévoit d'améliorer les soins palliatifs, de façon à permettre à un mourant de s'éteindre dans toute la mesure du possible dans le confort et la dignité.
Cependant, certains estiment que le projet de loi ouvre la porte au suicide assisté et ils craignent qu'à force de répétition le traitement puisse devenir pratique courante même dans les cas où la vie n'est pas mise en danger.
Je vais proposer un amendement à ce sujet dans un moment, mais je crois que, dans certains milieux qui suivent l'évolution de ce projet de loi au Canada, on trouve que le projet de loi ne précise pas assez clairement dans quelles circonstances limitées ce traitement est permis.
Je me demande si le sénateur Carstairs aurait des observations générales à formuler pour rassurer ceux qui sont inquiets de ce qui pourrait arriver et indiquer que la loi imposera des limites suffisantes de façon à ne pas ouvrir la porte au suicide assisté sous prétexte qu'on veut soulager les souffrances des mourants.
Le sénateur Carstairs: Il est certain que c'est très inquiétant. C'était aussi un sujet très inquiétant pour les membres du premier comité parce que nous ne voulions pas que cela arrive. Cependant, un bon nombre de témoins nous ont dit que le risque de dérapage existait déjà étant donné qu'il n'y avait pas de loi à ce sujet et que nous avions besoin d'une loi pour veiller à ce que ce risque n'augmente pas mais, en fait, diminue. Sans une loi claire -- et peut-être que le projet de loi ne l'est pas assez -- le risque d'abus pourrait augmenter rapidement.
Nous avons entendu le témoignage de bien des gens qui nous ont dit, essentiellement, que l'euthanasie et le suicide assisté étaient pratiqués tous les jours dans les hôpitaux du Canada sans lignes directrices ni mesures législatives à ce sujet.
Le sénateur Roche: Merci beaucoup. La présidente du comité verra probablement à accorder toute l'attention nécessaire à cette question.
Selon l'article 2 du projet de loi, un traitement sera offert à la personne qui a besoin d'aide. Madame le sénateur, pensez-vous qu'on pourrait apporter des précisions à tout ce que vous nous avez dit en amendant le projet de loi pour définir qui est cette personne qui a besoin d'aide? Je proposerais -- et j'aimerais savoir ce que vous en pensez -- qu'on précise que cette personne est une personne pour qui la mort est imminente et inévitable. Seriez-vous d'accord pour qu'on ajoute les mots «pour qui la mort est imminente et inévitable» pour préciser de quelle personne il s'agit?
Le sénateur Carstairs: Ce n'est pas à moi de donner mon accord. C'est au comité de le faire.
Le sénateur Roche: Y seriez-vous favorable, alors?
Le sénateur Carstairs: Si on parle du principe de ce que vous proposez, je trouve qu'il s'agit d'un amendement favorable, semblable à celui qui a été proposé par le groupe dont je viens de vous parler. S'il peut clarifier le projet de loi, s'il peut en limiter l'application aux personnes que nous visons avant tout, nous devrions alors faire ce changement.
Le sénateur Roche: Iriez-vous jusqu'à appuyer personnellement cet amendement favorable?
Le sénateur Carstairs: Oui.
Le sénateur Roche: Madame la présidente, combien de temps le comité compte-t-il réserver à l'audition des témoins et quels sont les témoins qu'il prévoit entendre?
La présidente: Le comité a l'intention d'entendre des témoins des milieux les plus divers possible. Le sénateur Carstairs a indiqué qu'elle ne veut pas qu'on continue d'étudier le projet de loi avant que le sous-comité de la mise à jour de «De la vie et de la mort» ait présenté son rapport en juin. À ce moment-là, nous allons penser aux témoins et nous allons sûrement inviter des témoins de différents milieux.
Le sénateur Roche: Avez-vous dressé une liste de témoins?
La présidente: Non.
Le sénateur Cools: À ce sujet, comment fait-on pour en dresser la liste? Comment proposons-nous au comité de constituer la liste des témoins?
La présidente: Je propose que nous fassions des suggestions au greffier du comité et le comité de direction les étudiera.
Le sénateur Carstairs: Je pense que le sénateur Cools a posé une question très importante. Des gens m'ont écrit pour appuyer le projet de loi, et j'ai aussi reçu des lettres de gens qui s'y opposent. J'ai transmis autant les noms des gens qui sont pour que les noms des gens qui sont contre au greffier pour que le comité puisse entendre des points de vue représentatifs sur le projet de loi. Je tiens particulièrement à ce que le comité entende le point de vue des handicapés. Le projet de loi les inquiète beaucoup et je pense qu'il faut tenir compte de leurs préoccupations.
Le sénateur Joyal: J'étais à Paris il y a deux semaines, au moment même où le groupe de travail spécial formé par le gouvernement français en 1983 pour étudier l'éthique de la pratique médicale a rendu public son rapport sur l'euthanasie.
Dans ce rapport, on discute de nombreux principes, et ce dans le contexte européen. Je proposerais -- et je le signale aussi à l'intention du sénateur Carstairs -- de faire traduire ce rapport et de le faire distribuer aux membres du comité parce que les premières observations que je veux faire sont bien expliquées dans ce rapport. Elles ont trait aux principes.
J'aimerais féliciter le sénateur Carstairs, le sénateur Lavoie-Roux et les membres du comité spécial du Sénat qui ont étudié cette délicate question. Il est certain que les grands principes en cause sont la vie et le caractère sacré de la vie.
Les membres du comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles ont, au cours des années, souvent discuté de projets de loi ayant des répercussions sur la protection de la vie dans la société canadienne. Pour moi, il est important que le préambule du projet de loi confirme les principes fondamentaux qui régissent l'application du projet de loi. Nous ne devrions en aucune façon permettre aux gens de croire, quelle que soit leur responsabilité dans l'application du projet de loi, s'il est adopté, que la protection de la vie n'est pas primordiale. Si on transgresse ce principe en permettant de donner un certain traitement médical, ce traitement devrait être donné dans des circonstances très exceptionnelles. Les objectifs devraient être très bien circonscrits et les éléments sur lesquels doit reposer la décision devraient être bien compris par tout le monde. S'il y a des principes ou des valeurs à énoncer, il faudrait qu'ils le soient dans le projet de loi. C'est l'objectif général.
Comme nous allons poursuivre la discussion sur ce projet de loi plus tard au cours de l'année, je demanderais au sénateur Carstairs de réfléchir à la possibilité d'ajouter des «attendus» au préambule pour préciser que, dans notre pays, nous respectons le principe de la protection de la vie. Pour moi, c'est très important. Comme le sénateur Andreychuk l'a dit, nous ne devrions pas faire croire d'une façon ou d'une autre que nous ouvrons la porte à des exceptions trop nombreuses au sujet de l'interprétation de ce principe fondamental.
La présidente: Sénateur Joyal, le rapport que vous aimeriez faire traduire est-il volumineux?
Le sénateur Carstairs: Permettez-moi d'abord de répondre à la question. J'ai déjà demandé qu'on traduise le rapport pour le sous-comité. Je vais m'assurer d'en faire imprimer assez d'exemplaires pour que tous les membres de votre comité, madame la présidente, puissent en avoir un.
La présidente: Nous ferons distribuer un exemplaire du rapport à tous les membres du comité. Nous allons aussi faire distribuer un exemplaire du rapport «De la vie et de la mort» à tous les membres du comité qui pourront en prendre connaissance avant que nous reprenions l'étude de cette question.
Le sénateur Joyal: Le sénateur Carstairs envisagerait-elle d'ajouter des «attendus» pour réaffirmer les principes fondamentaux que doivent respecter tous ceux qui sont visés par l'application du projet de loi quand ils prennent des décisions liées à l'objectif du projet de loi qui est de soulager les souffrances physiques d'un malade en phase terminale?
Le sénateur Carstairs: Oui, tout à fait. C'est une excellente suggestion. Je vais étudier certaines formulations pour voir si je peux vous présenter un amendement et le faire approuver par quelqu'un d'entre vous. C'est une suggestion valable.
[Français]
Le sénateur Joyal: Je vais parler en français, c'est plus facile. Au sujet de la portée du projet de loi...
[Traduction]
Sur quoi porte le projet de loi?
[Français]
En lisant l'article 2, j'ai un peu la même réaction que mes collègues. J'ai l'impression qu'on ratisse très large. Si on part du principe qu'on transgresse un droit fondamental à la vie, il faut circonscrire de façon claire l'application de cette transgression ou son étendue. L'objectif premier que l'on visait était d'alléger la souffrance des personnes en phase terminale et non pas celles de personnes malades qui peuvent souffrir terriblement. Il y a une différence fondamentale entre les deux. Dans un cas, la personne est irrémédiablement condamnée à mourir dans un laps de temps déterminé; dans l'autre cas, la personne est en proie à des souffrances insupportables. Ce n'est pas exactement la même chose.
Il faut bien définir les deux situations que l'on veut régler dans l'article 2. Il y a dans ce débat des principes religieux importants, des groupes religieux qui croient que la souffrance est une voie vers la rédemption. Cet enseignement était prodigué autrefois à ceux qui souffraient énormément et on leur disait que leur souffrance permettrait de garantir leur salut. Je caricature peut-être l'enseignement religieux de cette époque. On a vécu selon ces principes pendant un certain temps. C'est précisément un aspect que ce projet de loi cherche à couvrir. Il faut être conscient des implications religieuses d'un tel projet de loi. Il faut bien comprendre les implications morales de ce projet de loi. Le comité du Sénat qui a étudié l'euthanasie l'a bien compris. Le rapport auquel je fais référence publié par ce comité européen et français il y a deux semaines y fait référence également. Il est important que l'on fasse écho à notre interprétation de ces principes dans l'article 2 dans notre débat et notre compréhension de ce projet de loi.
[Traduction]
C'est fondamental, et les Canadiens devront vivre avec ce projet de loi. Nous espérons qu'il améliorera la situation des Canadiens qui seront tous confrontés à la mort un jour ou l'autre et qui pourraient avoir à endurer des souffrances insupportables. Ils doivent bien comprendre l'objectif de l'article 2. J'aimerais qu'on discute de cette disposition.
La présidente: Les gens ne veulent sûrement pas que ceux qui les ont soignés subissent des torts pour les avoir aidés.
Ce n'est vraiment pas le cas, sénateur Joyal, mais le sénateur Carstairs voudra peut-être vous répondre.
Le sénateur Carstairs: Il y a un élément dans l'article 2 qui est très difficile à comprendre, même pour les médecins. En effet, il est question dans cet article des médicaments administrés au patient «en doses susceptibles d'abréger sa vie». Le comité de 1994-1995 qui a publié le rapport et le comité qui étudie actuellement le rapport ont tous les deux demandé aux témoins de leur dire si on peut avoir la preuve que ces médicaments abrègent effectivement la vie. Les témoins leur ont répondu ne pas le savoir. Ils ne pensent pas que ces médicaments abrègent la vie. Ils croient que le corps des patients à qui on donne des doses progressivement plus grandes d'opiacés s'adapte à la quantité de médicaments qu'on lui fait absorber. Ils ne sont donc pas sûrs de ce qui se passe. Ils sont de moins en moins portés à croire que ces médicaments abrègent la vie. Des témoins peuvent très bien proposer d'éliminer complètement ces mots du projet de loi.
Ils savent bel et bien, toutefois, qu'il existe certaines conditions dans lesquelles les opiacés semblent avoir un plus grand effet: par exemple, pour les patients qui souffrent de problèmes respiratoires. Il semblerait que les opiacés ne conviennent pas très bien dans ces cas étant donné qu'ils risquent de ralentir la respiration. Ralentir la respiration de quelqu'un qui a de très graves problèmes respiratoires risque d'abréger sa vie.
C'est, je dois vous dire, une zone très grise. C'est la raison pour laquelle j'ai insisté pour qu'on conserve l'article dans le projet de loi au moment de la rédaction même si d'aucuns pourraient dire qu'on n'en a plus besoin et qu'on pourrait l'abroger. Je ne veux pas prendre le risque dans cette mesure législative de ne pas penser à tout dans ce cas.
Nous voulons être bien sûrs, toutefois, que tout ce que nous faisons pour amender cet article ne limite pas l'administration d'un traitement adéquat pour alléger la souffrance des gens qui ne sont peut-être pas à l'article de la mort mais qui ont tout de même besoin qu'on allège adéquatement leur douleur.
C'est une question qui n'est vraiment pas facile. Je ne veux pas nier en aucune façon que ce soit vrai.
Le sénateur Buchanan: Le cas le plus récent au Canada en ce qui concerne l'article 2 est l'affaire connue sous le nom de Morrison en Nouvelle-Écosse. Le comité a-t-il fait des recherches en ce qui concerne cette affaire?
Le sénateur Carstairs: Le comité ne l'a pas fait parce que, en toute franchise, il n'avait pas été constitué au moment de l'affaire Morrison. Cependant, un médecin qui dirige le service de médecine familiale à l'Université Dalhousie est venu parler de l'affaire en question aux membres du comité.
Il y a ici une nette différence. Ce que le Dr Morrison a administré à son patient à la toute fin, c'est du chlorure de potassium, un médicament qui a pour effet d'arrêter les battements du coeur. Ce médicament n'est pas visé par cette mesure législative.
Le sénateur Joyal: L'été dernier, j'ai lu un rapport dont il a été fait état, je crois, dans le Globe and Mail. On y disait que le gouvernement hollandais déposait une mesure législative sur l'euthanasie. Il semble que c'est le premier pays occidental à prendre une initiative à cet égard. Dans notre intérêt à tous, il serait important d'examiner cette mesure législative et de voir comment ils en ont circonscrit les éléments. Comme l'a dit le sénateur Nolin, la question du consentement est un élément essentiel. Je ne veux pas gaspiller mon temps à discuter de cette question étant donné que je crois que le sénateur Nolin peut l'aborder. Nos attachés de recherche devraient examiner cette mesure législative afin de voir les diverses mesures prises.
La présidente: Si le sénateur Carstairs n'a pas d'exemplaire de la mesure législative dont vous parlez, sénateur Joyal, nous essayerons de l'obtenir sur un support que nous pouvons tous comprendre.
Le sénateur Carstairs: Je n'ai pas d'exemplaire du projet de loi, madame la présidente. Cependant, il est important que vous sachiez que cette mesure législative est en vigueur en Hollande depuis un certain temps. Les législateurs n'ont pas vraiment modifié leur code criminel mais ils pensent maintenant à le faire.
Dans le cadre de nos travaux de 1994-1995, nous avons eu une longue conférence téléphonique avec des gens en Hollande. Dans le rapport du comité, nous traitons en détail de l'expérience des Hollandais. Les membres du comité voudront peut-être s'y reporter.
Le sénateur Andreychuk: D'après certains rapports provenant de Hollande, l'application de cette mesure législative a posé des problèmes. Si nous décidons de discuter de cette mesure législative, nous devrions obtenir la compilation des résultats de trois années.
Dans votre exposé, sénateur Carstairs, vous avez dit que le comité sénatorial spécial a reconnu que le Code criminel n'interdit pas les soins palliatifs, même si cela doit abréger la vie du patient, à condition qu'ils soient administrés selon la pratique médicale établie. Cependant, divers témoins sont venus dire à votre comité que de nombreux soignants hésitent à administrer des soins palliatifs et des traitements antidouleur adéquats par crainte de poursuites lorsque ces traitements risquent d'abréger la vie du patient, même si l'intention n'est pas de causer la mort. Cela semble être l'élément essentiel du projet de loi, si je ne m'abuse.
Le sénateur Carstairs: Tout à fait.
Le sénateur Andreychuk: Cela dit, le dilemme devant lequel je suis au sujet de l'article 2, c'est qu'il est légal maintenant de poser un tel geste. Le code n'interdit pas les soins palliatifs, même s'ils doivent abréger la vie du patient, à condition qu'ils soient administrés selon la pratique médicale établie.
L'article 2 du projet de loi dit ensuite que le soignant n'est pas coupable d'une infraction prévue par le Code criminel du seul fait qu'il administre au patient, afin de soulager ses souffrances physiques -- et non pour lui causer la mort --, des médicaments en doses susceptibles d'abréger sa vie. À mon avis, c'est là que le bât blesse parce que la définition de ce qui est acceptable est laissée largement ouverte et l'article lui-même peut prêter à interprétation. Si c'est le cas, j'estime alors qu'il revient aux tribunaux de se faire médecins. Je suis d'accord avec votre déclaration, sénateur, mais le projet de loi omet la disposition restrictive acceptée de «la pratique médicale établie». D'autres disent que cela ressemble à l'euthanasie pour laquelle la décision fait appel au jugement personnel et non à un jugement médical.
Le sénateur Carstairs: Les médecins nous ont fait part de leur grande insécurité lorsqu'il s'agit d'administrer à un patient des quantités adéquates de médicament pour soulager la douleur. C'est très intéressant. Les médecins qui travaillent constamment dans des unités de soins palliatifs, comme la docteure Elizabeth Latimer, qui a comparu devant les membres du sous-comité hier, n'ont aucune crainte parce qu'ils le font quotidiennement. La docteure Latimer administre à ses patients des quantités adéquates de médicaments pour soulager la douleur. Elle ne s'en fait pas vraiment au sujet de la responsabilité pénale, du moins si l'on se fie au témoignage qu'elle a livré devant les membres du sous-comité.
Les médecins qui s'inquiètent de la responsabilité pénale éventuelles sont ceux qui ne font pas face à cette situation presque aussi fréquemment. Habituellement, ils n'ont suivi aucune formation en soins palliatifs. Il n'existe à leur intention aucune ligne directrice claire sur ce qu'ils doivent faire et ne pas faire. Ainsi, ils pêchent par excès de prudence en administrant moins de médicaments antidouleur plutôt que des quantités adéquates parce qu'ils craignent des responsabilités pénales. Il y a un net avantage en ce qui a trait à la pratique. Ils savent ce qu'ils peuvent faire, mais ils se retiennent parce qu'ils ne pensent pas que le Code criminel est suffisamment clair en ce qui a trait à cette question.
Honorables sénateurs, nous avons entendu des histoires d'horreur en 1994-1995 au sujet du nombre de Canadiens qui meurent dans des douleurs atroces parce que leur médecin ne leur administre pas des quantités adéquates de médicaments pour soulager leurs douleurs. Nous avons aussi appris alors -- et nous essayons d'aller au fond de la question maintenant -- que peut-être seulement 5 ou 6 p. 100 de Canadiens avaient accès à des soins palliatifs. Ainsi, le reste des gens sont traités par leur médecin de famille et peut-être par leur spécialiste et le spécialiste en question ne se sent pas à l'aise pour administrer des quantités adéquates de médicaments contre la douleur par crainte de responsabilités pénales. Tout cela malgré le fait que le ministre de la Santé, qui a comparu devant notre comité, a dit qu'ils ne devraient pas s'inquiéter à ce sujet-là parce qu'ils peuvent prodiguer ce genre de soins.
De toute évidence, c'est la raison pour laquelle l'AMC réclame ce changement depuis 1992. Lorsque des représentants de l'association ont comparu devant notre comité, ils ont demandé une fois de plus que des modifications soient apportées à la loi. Je ne parle pas de ce projet de loi. Je veux être très claire. Je parle de la nécessité d'éclaircir la loi actuelle.
Le sénateur Andreychuk: Je comprends maintenant pourquoi je reçois tant de lettres. Par rapport à quoi jugez-vous l'article 8? Il n'est pas jugé par rapport à des pratiques médicales acceptées; cela viendra plus tard. Je suppose que les tribunaux et les ministères de la Justice détermineront ce point. Vous signalez de façon très juste dans votre projet de loi, sénateur, que c'est à l'article 6 que pourraient bien être définies toutes ces pratiques médicales acceptées. Cependant, l'article 6 ne me rassure pas parce que ce ne sont que voeux pieux adressés aux provinces. C'est ainsi que je le vois. Par conséquent, l'énigme demeure. À un certain moment, nous voudrons nous pencher là-dessus.
Comme je le vois, ce projet de loi cherche surtout à aider les soignants à faire leur travail. Je suis d'accord avec ça. Ce qui me pose un problème, c'est quelle norme nous appliquons maintenant.
À l'article 2, madame le sénateur, vous vous êtes donné beaucoup de mal pour faire comprendre que cette mesure vise à prévenir les souffrances émotives et mentales. D'après mon expérience, et d'après les nombreux médecins que j'ai entendu témoigner, lorsqu'il y a souffrance émotive et psychologique, il y a pratiquement toujours souffrance physique. Par conséquent, vous n'avez pas atteint l'objectif visé en laissant tomber ces deux éléments.
Le sénateur Carstairs: Nous avons traité le côté physique de leurs souffrances. Ce que je voulais éviter avec cette loi était d'élargir encore plus la portée de cette question. Après tout, qu'est-ce que la souffrance émotive? L'une des choses qui m'a menée à ma conclusion est l'étude réalisée à propos de cette femme en Hollande.
On lui a permis d'être assistée dans son suicide rien qu'à cause de ses souffrances émotives. Elle ne ressentait aucune douleur physique, du moins aucune qui puisse être diagnostiquée, mais on lui a néanmoins permis de se faire assister dans son suicide à cause de la souffrance émotive. Je ne tenais pas à nous embarquer sur cette voie-là, très franchement. C'est pourquoi je me suis limitée à la douleur physique.
Le sénateur Andreychuk: J'aimerais qu'on parle un peu des mandataires et du personnel non médical. D'après mon expérience, on a intégré les enfants comme témoins dans le système juridique en Amérique du Nord -- et je suis sûre que le sénateur Pearson s'intéresserait à ceci -- pour pouvoir entendre ce que les enfants avaient à dire devant le tribunal. Cependant, nous avons très vite compris que ces gens-là se présentaient avec leur propre vision des besoins des enfants et nous avons très rapidement cessé d'écouter les enfants.
Je crains ici que nous en venions un jour à permettre à d'autres qu'au personnel médical d'être mandataire. Au début, ce pourrait certainement être des gens très compétents et dévoués, mais très rapidement, nous y verrons ce qu'on appelle des semi-professionnels, qui sont toujours disponibles dans les hôpitaux pour donner un coup de main. J'aimerais avoir quelque assurance que nous n'en viendrons pas là.
Le sénateur Carstairs: Comme les provinces ont commencé à formuler des lois sur les directives préalables, il s'y trouve des définitions très claires de ce qu'est un mandataire et qui ce peut être.
Une des raisons pour lesquelles je ne tenais pas à ce que les médecins soient mandataires est qu'ils ont, eux aussi, des intérêts directs. Il est clair que le médecin expliquera au patient les avantages et les inconvénients d'un type particulier de traitement, mais est-ce que ce devrait être aussi la même personne qui agit à titre de mandataire de son patient? À mon avis non, ce doit être quelqu'un d'autre.
On pourrait penser que dans la plupart des cas, lorsque la personne a un parent, c'est ce parent devrait être le mandataire. Nous savons que les sans-abri, par exemple, n'ont pas de parents, mais je ne voudrais tout de même pas que ce soit le médecin seul qui prenne cette décision au nom du patient. Ce doit être quelqu'un d'autre.
Je suis d'accord avec le sénateur Andreychuk. Il pourrait souvent arriver qu'on tombe sur quelqu'un qui a des intérêts directs, mais à défaut d'une meilleure expression, deux têtes valent mieux qu'une.
Le sénateur Nolin: Madame Carstairs, je vous remercie pour votre projet de loi. Cela fait longtemps que nous aurions dû examiner les conclusions de cette étude réalisée en 1994-1995. Le comité avait déjà commencé ses travaux quand je suis arrivé dans cette institution. Un problème se posait à moi à l'époque, et il se pose encore. C'est plus un problème technique que philosophique.
J'ai mené ma propre petite enquête lorsque vous examiniez la question, il y a cinq ou six ans. J'ai parlé à des docteurs et à des patients et j'ai appris que c'est très courant dans le système. Il y a des gens qui vivent ça tous les jours, et nous devons es protéger.
Ce qui me préoccupe, bien entendu, c'est le consentement, et les mesures de protection à appliquer. Le sénateur Fraser est tombée très juste. Nous n'arriverons pas à une conclusion aujourd'hui parce que nous devons entendre d'autres témoins. La seule chose qui vous empêche d'avoir des mesures de protection plus étoffées dans votre projet de loi, madame le sénateur, c'est le problème constitutionnel.
Le sénateur Carstairs: Oui.
Le sénateur Nolin: C'est le sénateur Beaudoin qui m'a renseigné sur cet aspect du droit constitutionnel. J'ai appris que quand l'autorité est clairement établie, elle est assortie de compétences accessoires. Une loi peut sembler aller à l'encontre de l'autorité provinciale ou autre, mais l'autorité globale est assortie de pouvoirs accessoires.
Peut-être les experts nous diront-ils que nous pouvons modifier le projet de loi et y intégrer des mesures de protection. Je parle, surtout, de l'article 3.
Le sénateur Moore: L'article 2 porte sur l'administration de quelque chose. L'autre parle d'abstention ou d'interruption d'un traitement.
Le sénateur Nolin: Le premier article est de nature plus médicale. Le deuxième concerne le droit civil. Êtes-vous d'accord? Dans votre projet de loi, madame le sénateur, vous définissez le consentement «libre et éclairé». C'est une question de droit civil. Que veut dire «libre»? Et «éclairé»? Comment? Nous devons régler cela. Je ne peux pas être d'accord avec une loi qui compte sur les provinces pour combler les lacunes, si lacune il y a dans notre système. Nous ne pouvons pas attendre, pour faire quelque chose, que les provinces comblent les vides. Au lieu de cela, nous pouvons le faire nous-mêmes, parce que nous avons le pouvoir de le faire.
Peut-être avez-vous déjà répondu à cela, mais je voudrais vous demander si vous voyez un inconvénient, ou si vous accepteriez que nous modifiions ce projet de loi en y ajoutant des mesures de protection pour nous assurer que le consentement, le consentement écrit, est encore valide.
Le sénateur Carstairs: Absolument.
Le sénateur Nolin: Nous voulons nous assurer que le patient donne des directives préalables libres et éclairées. Nous voulons veiller à ce qu'il y ait «un délai de carence», et aussi vérifier ces questions de mandataire.
Le sénateur Joyal: Qui donnera le consentement pour les malades mentaux et les personnes abandonnées?
Le sénateur Nolin: Vous ne voyez donc aucun inconvénient à ce que ce comité envisage des modifications au projet de loi pour y intégrer des mesures de protection qui étaient réputées impossibles pour des raisons constitutionnelles?
Le sénateur Carstairs: Très franchement, honorables sénateurs, je n'ai jamais pensé que ce projet de loi était coulé dans le béton. L'un des problèmes que chacun de nous, sénateurs, connaissons, est que nous lançons une idée, ou des idées sont lancées pour nous. Nous nous adressons aux rédacteurs juridiques du Sénat. Ils sont très dévoués et très diligents, mais ils ne sont que deux. Nous leur demandons de recueillir l'avis d'autres personnes, et ils le font.
Puis alors il se présente un obstacle particulier; il faut amender le Code criminel. C'est pourquoi j'ai laissé la question de côté pendant plusieurs années après notre premier rapport. Le ministère de la Justice a des tas de rédacteurs juridiques, et encore plus d'avocats. Très franchement, j'aurais préféré de loin que ce projet de loi soit l'oeuvre du gouvernement, et non pas d'un seul sénateur.
Le sénateur Joyal: Néanmoins un sénateur hors du commun.
Le sénateur Nolin: Si vous voulez votre projet de loi, c'est à vous d'agir.
Le sénateur Carstairs: J'ai proposé le projet de loi S-13 et il est mort au Feuilleton. J'avais espéré qu'il inciterait le gouvernement à réagir, mais cela n'a pas été le cas. Le sénateur Lavoie-Roux a proposé son projet de loi, qui est mort avec le déclenchement des élections. Là encore le gouvernement n'a pas bougé. Alors j'ai pensé que nous devrions aller de l'avant avec ce projet de loi pour voir, encore une fois, s'il pousserait le gouvernement à agir.
Si le gouvernement présentait un projet de loi demain, ou à un moment donné de vos délibérations, je retirerais le mien avec plaisir. Nous pourrions alors faire de son projet de loi le meilleur qui soit.
Je ne me fais pas d'illusion sur le processus. Même si nous réussissons à faire passer le projet de loi au Sénat, il lui restera à franchir d'énormes obstacles à l'autre endroit si, en fait, le ministre de la Justice n'en veut pas.
Le sénateur Nolin: Vous ne voyez pas de problème avec les mesures de protection pour garantir de la validité du consentement et la liberté de prendre cette décision?
Le sénateur Carstairs: Non.
La présidente: Il y a aussi les obstacles que tous les projets de loi de sénateurs affrontent à l'autre endroit.
Le sénateur Cools: Sénateur Carstairs, avez-vous la moindre idée de la raison pour laquelle le gouvernement a tant tardé à répondre aux recommandations? S'il n'aime pas certaines des recommandations, ça peut aller, mais pourquoi s'est-il si peu empressé de réagir à l'étude du comité spécial du Sénat? Pourquoi a-t-il tant tardé à faire ce qu'il faut pour régler les problèmes que vous soulevez?
Le sénateur Carstairs: La position officielle du gouvernement, sénateur Cools, est que ces mesures législatives sont inutiles parce que des soins palliatifs adéquats peuvent être administrés actuellement et que l'abstention ou l'interruption du traitement est possible en ce moment. Il ne trouve pas qu'il soit nécessaire de changer le Code criminel.
Personnellement, je pense que c'est tout simplement une absence de volonté politique. Ils savent que c'est un sujet très controversé -- cela ne fait pas le moindre doute -- et ils préféreraient ne pas avoir à en traiter.
Le sénateur Cools: Le gouvernement pourrait certainement faire beaucoup plus pour fournir, ou du moins essayer de faire en sorte que plus de soins palliatifs soient offerts, et des soins plus adéquats. Si je comprends bien ce qu'on m'a dit, c'est là que se trouve le problème. Comment se fait-il que nous ne pouvons pas persuader le gouvernement de prendre les mesures qu'il faut pour régler le problème, c'est-à-dire, à ce que je comprends, l'administration adéquate de soins palliatifs suffisants pour ceux qui en ont besoin?
Le sénateur Carstairs: Sénateur Cools, c'est ce qui fait qu'il y a deux mouvements en ce moment. Il y a ce projet de loi, mais aussi, le sous-comité des affaires sociales est en train de mettre à jour le rapport «De la vie et de la mort», mais seulement les parties de ce rapport qui font l'unanimité. Les soins palliatifs et l'administration adéquate de soins palliatifs représentent la plus grande partie de ce rapport.
Je ne peux pas parler au nom des autres membres du comité, mais j'aimerais qu'un rapport très ferme soit présenté en juin, où on pose exactement la même question que vous venez de poser -- c'est-à-dire pourquoi ne faisons-nous toujours rien à ce sujet?
Le sénateur Cools: C'est cela que je demandais. Je pense que si le besoin est si impérieux et si généralisé, il faudra agir.
Je voulais vous remercier, madame le sénateur Carstairs, d'avoir fait le jour sur la différence de la situation avec le Dr Morrison. Dans ce cas là, du chlorure de potassium avait été administré par injection. Il ne peut y avoir aucun facteur accidentel ou élément de hasard dans l'administration d'une telle injection mortelle.
Le sénateur Buchanan: Elle a été acquittée.
Le sénateur Carstairs: Il n'y a jamais eu de procès.
Le sénateur Buchanan: L'affaire a été portée devant un juge des plus compétents.
Le sénateur Cools: Dans vos remarques préliminaires, vous citez le Dr Ted Broadway, le directeur de la Politique sanitaire à l'Ontario Medical Association. C'est à la deuxième page de votre document. Il aurait dit ce qui suit:
En réalité, cependant, la common law n'est pas suffisamment claire pour être bien comprise par les praticiens ou le grand public, pas plus qu'elle n'est parfaitement généralisable d'un cas à l'autre, ce qui laisse ainsi assez d'ambiguïté dans l'esprit des praticiens pour qu'ils doutent de leurs obligations et de leurs responsabilités pénales éventuelles découlant du fait d'administrer ou de refuser d'administrer un traitement.
Sénateur Carstairs, est-ce que quelqu'un a pu dire pourquoi, comment et où il y a ce manque de clarté? Est-il possible d'éclairer les médecins et les praticiens sans avoir à recourir à des mesures législatives exceptionnelles?
Le sénateur Carstairs: En ce qui concerne l'Association médicale -- et le Dr Broadway en était le porte-parole -- il n'y avait pas d'autre moyen que des mesures législatives. Ils ont essayé, par exemple, avec le code de déontologie des médecins praticiens. L'AMC vient seulement de diffuser un nouveau document sur la déontologie, qu'elle attribue au comité permanent du Sénat sur les affaires juridiques et constitutionnelles. Elle dit «vous avez été le stimulant qui nous a poussés à le faire». Cependant, la réalité reste que bien des médecins craignent l'aspect de la responsabilité juridique.
Le sénateur Cools: Le dernier alinéa de l'article 6, soit l'alinéa c), dit -- et je cite:
c) à surveiller le nombre de fois qu'il y a eu abstention ou interruption des traitements de survie et à mener des enquêtes [...] à cet effet.
Sur le plan de la Constitution, comment le ministre de la Santé peut-il être le surveillant général de ce qui, à première vue, relève clairement du Procureur général du Canada? Les questions en rapport avec la suppression de la vie et avec les responsabilités pénales ou les exemptions des responsabilités pénales relèvent de toute évidence de la compétence du Procureur général, non pas du ministre de la Santé.
Le sénateur Carstairs: Nous n'avons pas demandé d'exemption. On ignorait tout de ce qui se passe actuellement au Canada. Nous entendons parler de toutes sortes d'anecdotes qui prouvent qu'on a mis fin au traitement, qu'on s'est abstenu de l'administrer et qu'on ne l'a pas offert. J'ai reçu l'autre jour une lettre d'une femme au sujet des ordonnances de ne pas réanimer. C'était une véritable histoire d'horreur. Ces ordonnances ont un effet très limité et sont censées signifier seulement que, si une personne fait un arrêt cardiaque, il ne faut pas la réanimer. Certains hôpitaux les utilisent, selon elle, pour ne pas soigner du tout. En d'autres mots, s'ils ont, dans leur dossier, une ordonnance de ne pas réanimer, ils cessent de traiter le patient, point final. Ce n'est pas ce qu'est censée faire l'ordonnance de ne pas réanimer. Il est absolument crucial que nous effectuions de la recherche dans ce domaine, non pas pour savoir si des crimes ont été commis, mais pour savoir ce qui se passe. C'est ce que je vise plus particulièrement dans cet alinéa.
Le sénateur Pearson: Je suis entièrement d'accord avec ce que vous tentez de faire dans le projet de loi à l'étude, sénateur Carstairs. Comme tous les autres membres du comité, je me demande s'il y a quoi que ce soit que nous pouvons faire pour que le projet de loi donne les résultats recherchés.
Ma question découle des observations faites par le sénateur Joyal concernant la possibilité d'ajouter quelque chose au préambule pour faire en sorte d'affirmer le caractère sacré de la vie.
Pour ce qui de lois dans ce domaine, il faut se tourner vers l'avenir. Un des enjeux, c'est qu'il deviendra de plus en plus difficile de savoir si la maladie est en phase terminale. Avec l'avènement du clonage des cochons et tout le reste, il est possible que l'on puisse vivre jusqu'à 200 ou 400 ans de plus. Je ne suis pas sûre du nombre d'années. La question pourrait sembler sans rapport actuellement à certains, mais je crois qu'elle a de l'importance. Nous ne voulons pas rendre plus difficile la tâche des personnes qui doivent décider si la maladie est en phase terminale. Il est déjà assez difficile comme cela de le savoir. J'ajouterais que j'ai des amis toujours vivants aujourd'hui, pour leur plus grand plaisir et le mien, qu'on jugeait être sur le point de mourir il y a huit ans.
La mesure législative à l'étude a pour objet de permettre l'administration des bons médicaments et le respect des volontés du patient. Nous ne voulons pas tant nous empêtrer dans les définitions que nous ne saurons plus quoi décider.
Le sénateur Carstairs: Je suis d'accord avec vous. Dans les arrêts Nancy B. et Quinlan, on a autorisé le débranchement des respirateurs. Nancy B. est morte quelques heures plus tard. C'est ce que les médecins croyaient qu'il arriverait à Mme Quinlan. En fait, elle a continué de vivre pendant des années sans être branchée à un respirateur, traitement que la famille refusait. Bien que nous aimions voir la médecine comme une science exacte, elle ne l'est pas. La plupart des médecins reconnaissent qu'elle ne l'est pas.
Le sénateur Moore: Quand j'ai lu le projet de loi, sénateur, j'ai été vraiment frappé par l'article 2. Je me débats avec le point soulevé par le sénateur Andreychuk au sujet des pratiques médicales généralement reconnues. Je suis assis ici à me demander: Qui ou quoi a le pouvoir de fixer les doses maximales de médicament à être administrées par le soignant? Qui prend cette décision? Est-ce le soignant, sur instruction du médecin? J'ignore si l'on peut préciser cela. Est-ce une question qui relève de la pratique de la médecine? Je l'ignore. Je m'interroge.
Je regarde l'article qui prévoit que le soignant n'est pas coupable d'une infraction prévue par le code. Cela n'empêche pourtant pas une poursuite au civil. Si vous voulez offrir de la protection, le projet de loi n'est peut-être pas efficace. Je me suis demandé si cet article était vraiment utile ou nécessaire ou si nous pouvons nous en passer.
Le sénateur Carstairs: Sénateur Moore, nous ne pouvons pas nous en passer à moins que nous ne soyons disposés à laisser des milliers de Canadiens mourir dans des douleurs atroces. D'après les témoignages que nous avons entendus, je suis convaincue qu'il y en a des milliers.
Le sénateur Moore: Et l'article 3, lui?
Le sénateur Carstairs: Vous avez mentionné expressément l'article 2 qui porte sur le soulagement de la douleur.
Le sénateur Moore: Oui.
La présidente: Sénateur Moore, le terme «soignant» est défini à l'article 4. Le projet de loi est très précis quant à ceux qui sont réputés être des soignants.
Le sénateur Carstairs: Il faudrait que vous sachiez, sénateur, qu'il existe jusqu'à un certain point des garde-fous.
Le sénateur Moore: Souvent, les soignants ne sont pas des infirmières.
Le sénateur Carstairs: Je parle du système comme tel.
Le sénateur Nolin: L'article 2 ne pose pas un si gros problème. C'est l'article 3 qui cause des difficultés.
Le sénateur Carstairs: Le sénateur Moore a mentionné particulièrement la question des médicaments. Il importe de comprendre que, si un médicament est administré, il ne peut avoir été prescrit que par le médecin. D'autres peuvent l'administrer, mais seul le médecin peut le prescrire. Les doses à prescrire font l'objet de limites très strictes.
Une des questions au sujet desquelles je voulais en savoir plus concernait le fonctionnement de l'appareil doseur à l'aide duquel le patient s'injecte lui-même la morphine. J'ai découvert qu'en milieu hospitalier, un avertisseur est déclenché dès qu'il commence à s'administrer trop de médicament. À l'extérieur du milieu hospitalier, le malade n'a droit qu'à tant de médicament à la fois. Ces façons de procéder sont là pour protéger le malade.
Il n'existe pas de protection dans une situation qui, malheureusement, n'est peut-être pas si unique qu'on le croit. Je parle du patient qui éprouve des douleurs atroces parce qu'il a décidé de se suicider. Il ne prend pas son médicament lorsque c'est le temps de le prendre et le conserve jusqu'à ce qu'il puisse tout avaler d'un seul coup. Je ne vois pas comment on peut empêcher cela de se produire.
Le sénateur Joyal: Sénateur Carstairs, on a posé une question tout à l'heure au sujet de la pratique en train de s'implanter dans le monde médical voulant que, lorsqu'une personne a atteint un certain âge et qu'elle souffre de telle ou telle maladie ou qu'elle a eu un accident, on s'abstient de la traiter. Je vous en donne un exemple.
Si vous avez 80 ans, que vous vous fracturez la hanche, à votre arrivée à l'hôpital, on vous mettra sur une liste d'attente pour le traitement. En fait, vous serez confiné à votre lit. En raison du nombre limité de places dans les établissements de soins et de la pénurie de personnel soignant, vous finirez par mourir de la hanche fracturée.
Nous savons tous qu'avec le vieillissement de la génération du baby-boom, les services hospitaliers seront débordés. La situation se répétera donc de plus en plus souvent. En avez-vous tenu compte?
Le sénateur Carstairs: Nous n'avons pas étudié la question en détail. Quelques témoins l'ont mentionnée.
Le Royaume-Uni a établi des règles très claires. Là-bas, vous ne pouvez pas, au-delà d'un certain âge, obtenir de transplant. Vous n'avez pas droit à certains autres traitements si vous avez dépassé un certain âge. Le gouvernement ne paie tout simplement pas ces services. Si c'est lui qui voit aux dons d'organes, ce qui est le cas, sous le régime public d'assurance-santé, il ne vous permettrait pas d'en obtenir un.
Quand une décision analogue a été prise ici au sujet d'un enfant handicapé atteint du syndrome de Down, l'affaire s'est retrouvée devant les tribunaux. On ne voulait pas payer à l'enfant une transplantation du foie. Le tribunal a statué que l'enfant y avait droit, que pareille décision n'avait absolument rien à voir avec la capacité intellectuelle de l'enfant.
La limitation des dépenses dans le domaine de la santé est une grande source de préoccupation. Je ne veux pas me lancer dans un débat fédéral-provincial ici, mais il ne fait pas doute que nous avons réduit nos dépenses de santé par tête d'habitant. Pourtant, notre population vieillit de plus en plus. On peut donc prévoir un engorgement. C'est pourquoi le consentement libre et éclairé est si important dans les décisions qui sont prises. Je fais allusion au libre consentement du patient, non pas du régime de santé ou des autorités médicales.
Le sénateur Joyal: En ce qui concerne le consentement libre et éclairé, il existe bien sûr des personnes, au sein de notre société, qui n'ont pas de proches ou de famille, notamment ceux qui sont atteints d'une maladie mentale et qui ont été abandonnés par leur famille dans des établissements, de même que les sans-abri, qui vivent dans des refuges et qui n'ont personne pour s'occuper d'eux. S'il faut tenir compte de la question du consentement libre et éclairé de ces personnes, ne faudrait-il pas que le projet de loi permette à une personne bienveillante de donner le consentement à la place des proches ou du patient visé?
Le sénateur Carstairs: C'est pourquoi nous avons mentionné le mandataire, nommé conformément aux lois d'une province.
Oui, il existe effectivement des personnes vulnérables, soit les sans-abri et les déficients intellectuels. Les handicapés physiques également ou, comme se plaît à les appeler un de mes amis, les personnes aux prises avec des difficultés physiques -- je préfère nettement cette expression --, dont bon nombre ont été abandonnées par ceux qui en prendraient soin habituellement.
C'est pourquoi nous appuyons les associations qui sont parfois nommées par mandat, les associations pour l'intégration communautaire par exemple, pour représenter ces personnes.
Nous ne pouvons que faire de notre mieux.
Selon moi, sénateur Joyal, malheureusement, il n'existe pas actuellement de garantie du consentement libre éclairé.
Le sénateur Beaudoin: Jusque dans une certaine mesure, nous avons certaines lignes directrices à l'article 4 du projet de loi. Par exemple, on définit le «consentement libre et éclairé», le «soignant» et le «traitement de survie». Rien dans les lois ne nous empêche d'utiliser certains termes ou certaines définitions.
Mon expérience au sein du premier comité m'a appris que le plus important au départ est d'avoir un lexique. On peut débattre pour l'éternité de ce qu'on entend par l'abstention, le retrait, l'administration de sédatif et ainsi de suite, mais si l'on ne s'entend pas au départ sur les principes ou les définitions, le débat est stérile. S'il y a un domaine où c'est essentiel, c'est bien celui dont nous débattons actuellement.
J'ai eu de nombreuses discussions avec bien des gens qui disent qu'il n'y pas de différence entre l'euthanasie et le retrait d'un traitement à la demande d'une personne capable. Des personnes très intelligentes l'affirment, et je suis scandalisé chaque fois. Je leur remets une copie du rapport et leur demande de la lire. Parfois, elles le font, mais elles ne sont pas d'accord avec les définitions. Par conséquent, on ne peut pas aller très loin.
Il faudrait probablement modifier le projet de loi à l'étude pour y ajouter beaucoup plus de définitions que les quatre qui figurent à l'article 4. L'une d'entre elles serait bien sûr le «retrait d'appareils», qui est très importante en rapport avec l'article 3, et l'autre, l'«abstention du traitement». Nous y trouvons déjà le «traitement de survie».
En réponse à la question de mon collègue, le sénateur Nolin, j'estime qu'il n'est pas impossible d'avoir des lignes directrices dans un projet de loi. C'est difficile parce qu'il faut éviter d'envahir le champ de compétence provinciale, mais avec un peu d'imagination, on pourrait faire quelque chose à cet égard.
La Cour suprême l'a affirmé dans l'affaire Sue Rodriguez. Les juges se sont prononcés à cinq contre quatre. Au sein de notre comité, nous étions cinq contre deux en faveur de l'euthanasie et quatre contre trois, pour l'aide au suicide. Le vote a été très serré. La situation a évolué depuis lors.
J'ai l'impression qu'il nous faut plus de lignes directrices, plus de définitions et, peut-être, un lexique quelconque au début d'un projet de loi de cette nature.
Je suis d'accord avec le sénateur Joyal qu'il faudrait avoir un alinéa affirmant le caractère sacré de la vie et ainsi de suite. Le projet de loi est très intéressant mais, comme toute autre chose, il peut être amélioré. Il faut réfléchir davantage à la question. C'est pourquoi ce comité a été formé pour étudier le rapport de 1994-1995. Je crois savoir que nous reprendrons nos travaux sur le projet de loi seulement lorsque le sous-comité aura présenté son rapport. Si c'est bien le cas, je crois que nous sommes dans la bonne voie.
Le sénateur Carstairs: Si vous me permettez, sénateur Beaudoin, j'aimerais ajouter que toutes les définitions données ici découlent de l'étude spéciale sur l'euthanasie et l'aide au suicide. Nous n'avons inclus que les définitions que nous estimions avoir un rapport avec le projet de loi. Si le projet de loi est modifié, il faudra effectivement ajouter des définitions. Je recommanderais qu'on utilise le lexique qui a servi à faire l'étude spéciale.
Le sénateur Joyal: En rapport avec le point soulevé par le sénateur Beaudoin et avec celui que j'ai moi-même soulevé auparavant, ne serait-il pas possible, dans le préambule, de réaffirmer la responsabilité qu'a le personnel médical de ne pas limiter les services médicaux offerts aux personnes âgées ou aux personnes dont la condition physique est telle qu'il pourrait être tenté de s'abstenir de les traiter? Le point est important. Si jamais il y avait une loi au Canada traitant de cette question, il faudrait bien préciser que nous ne souhaitons pas ouvrir la porte à cette pratique.
Le sénateur Carstairs: Je suis ouverte à toutes les suggestions et à toutes les modifications. Je tiens toutefois à vous rappeler que la pratique de la médecine n'est pas régie par le gouvernement fédéral, mais bien par les gouvernements provinciaux. Ne l'oubliez pas lorsque vous voudrez proposer des changements ou des ajouts au projet de loi.
Le sénateur Poy: Sénateur Carstairs, je suis en train de réfléchir à la situation d'une personne qui se meurt et qui est frappée d'incapacité mentale. Dans pareils cas, la décision serait-elle prise par un membre de la famille, même si la famille ne souhaite peut-être pas que la personne soit maintenue en vie? Un tribunal pourrait-il nommer un mandataire?
Le sénateur Carstairs: Bien souvent, lorsque les personnes sont frappées d'incapacité mentale, elles sont représentées par un curateur public parce que la famille s'est retirée de leur vie bien avant que pareille décision n'ait à être prise.
Cela n'évite pas forcément la controverse. Ainsi, il y a tout juste un an et demi, il y a eu l'affaire Sawatsky au Manitoba, dans laquelle le curateur public a imposé une ordonnance de ne pas réanimer et l'épouse a demandé aux tribunaux d'invalider l'ordonnance.
Si vous cherchez un moyen de prévenir la controverse, il n'y en a pas. Tout ce que nous pouvons faire, c'est d'essayer d'énoncer le plus clairement possible les règles. Souvent, un membre de la famille qui est intimement associé à la vie de la personne est selon moi la personne tout indiquée pour prendre la décision. Si le malade est capable, je recommande vivement qu'il fasse un testament biologique. J'en ai un, et c'est justement pourquoi j'en ai un. D'une part, j'aime prendre les décisions moi-même et, d'autre part, j'aimerais éviter à mon époux et à mes enfants d'avoir à prendre de pareilles décisions. C'est là, selon moi, l'avantage du testament biologique -- j'évite de les placer dans une situation difficile.
J'ai eu à prendre ces décisions pour mon père et pour ma mère. Je ne le souhaite à personne. Il n'est pas facile de décider de faire débrancher l'appareil.
Le sénateur Nolin: J'ai une question qui s'adresse au sénateur Beaudoin. Est-il d'accord pour dire que nous pouvons insérer, dans une loi fédérale, des dispositions relevant de la compétence provinciale?
Le sénateur Moore: Je n'en suis pas certain.
Le sénateur Beaudoin: Nous ne pouvons pas le faire directement.
Le sénateur Nolin: Étant donné l'autorité et la compétence qui nous reviennent clairement en matière pénale, nous pourrions inclure des dispositions visant à offrir de la protection. Vous soulevez un point valable, parce que la compétence provinciale couvre déjà ce que nous faisons de quelqu'un qui est prié de donner un consentement et qui est incapable de bien le faire. Voici donc la question: cette compétence s'étend-elle à la suppression de la vie? Voilà pourquoi j'estime que nous avons l'autorité pour le faire. C'est la raison pour laquelle je pose la question.
Le sénateur Beaudoin: En matière de vie et de mort, de toute évidence, le pouvoir fédéral a toujours été très généreux. La jurisprudence a toujours eu tendance à favoriser le Parlement, lorsqu'il est question de mort.
Le sénateur Nolin: C'est pourquoi il faudra creuser une tranchée beaucoup plus grande autour du consentement et au sujet de qui dit quoi et de qui a le pouvoir de dire quoi.
Supposons que ma mère ait signé une procuration me nommant son mandataire. De tels mandats existent déjà au Québec. Quelqu'un pourrait mettre en doute la validité de cette procuration générale. Il faut voir à cette éventualité. Nous sommes pleins de bonnes intentions, mais il faudra revoir le droit civil à cet égard pour bien faire les choses. Il faut que nous le fassions bien. C'est pourquoi j'ai demandé au sénateur Carstairs si c'était ce qu'elle souhaitait.
La présidente: Sénateur Carstairs, je vous remercie. Vous nous avez donné beaucoup de matière à réflexion.
Le sénateur Carstairs: C'est moi qui vous remercie tous. Manifestement, c'est une question qui soulève ma passion. Je suppose que, comme tous les autres, j'arrive ici avec un bagage personnel. Pour parler franchement, le rapport que nous avons signé en juin 1995 fait partie de ce bagage.
Mon autre expérience remonte à mai 1980, quand je me suis rendu compte que mon père avait sombré dans un coma. J'étais à Winnipeg et j'ai demandé aux médecins s'il était temps pour moi de rentrer. On m'a répondu qu'effectivement, je devais rentrer. Je me suis arrêtée à l'hôpital pour voir mon père, puis je suis allée rendre visite à ma mère, qui était également très gravement malade et qui est morte plus tard, la même année. Elle m'a dit: «Sharon, va à l'hôpital et fais ce qu'il faut.» C'est le seul conseil qu'on m'a donné.
Comme le sait le sénateur Buchanan, je suis la quatrième de six enfants. Je ne sais pas au juste pourquoi c'est à moi qu'est revenue cette décision particulière, mais c'est ainsi.
Le sénateur Buchanan: C'est parce que votre mère savait que vous prendriez la bonne décision.
Le sénateur Carstairs: Je crois que c'est à moi qu'est revenue cette décision parce que j'étais, de tous les enfants, celle qui était la plus proche de mon père. Ma mère s'est donc dit que je ferais le bon choix pour mon père.
La présidente: Sénateur, à nouveau, je vous remercie.
La séance est levée.