Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles
Fascicule 15 - Témoignages du 17 mai 2000
OTTAWA, le mercredi 17 mai 2000
Le comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, auquel est renvoyé le projet de loi C-23, Loi visant à moderniser le régime d'avantages et d'obligations dans les Lois du Canada, se réunit aujourd'hui à 16 h 04 pour examiner le texte de loi.
Le sénateur Lorna Milne (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente: Honorables sénateurs, nous avons plusieurs témoins à accueillir aujourd'hui. Chacun disposera de cinq minutes pour présenter un exposé. Un signal sera donné à la quatrième minute.
Le premier groupe de témoins comprend Mme Janet Epp Buckingham, M. Derek Rogusky et Mme Diane Watts. Je vous invite à prendre la parole.
Mme Janet Epp Buckingham, directrice par intérim, Centre pour la foi et la vie publique; avocate générale, Alliance évangélique du Canada: Je tiens à remercier le comité de l'occasion qui m'est offerte de faire valoir nos préoccupations concernant le projet de loi C-23. Notre mémoire n'a pas été traduit en français, mais la version anglaise est à votre disposition.
En guise d'introduction, je dois signaler que l'Alliance évangélique du Canada est une association nationale regroupant des chrétiens évangéliques. Parmi les membres, il faut compter 32 confessions religieuses, plus d'une centaine d'organisations religieuses, ainsi qu'un grand nombre d'églises et de membres individuels. Quelque 1,2 million de chrétiens canadiens sont affiliés aux institutions membres de l'AEC. Il y a longtemps que l'AEC se prononce sur des questions d'intérêt public concernant l'orientation sexuelle. Depuis 1986, nous avons présenté au gouvernement un grand nombre de mémoires à ce sujet et sommes intervenus dans plusieurs affaires devant la Cour suprême du Canada.
Nous nous soucions de plusieurs aspects du projet de loi C-23. Premièrement, nous nous soucions du fait qu'il ait été déposé sans qu'il y ait eu un débat public suffisant sur les conséquences juridiques, morales, religieuses et sociétales des prestations pour conjoints de même sexe. La ministre de la Justice a affirmé que le projet de loi C-23 doit être adopté en réponse au jugement de la Cour suprême du Canada dans l'affaire M. c. H. Toutefois, cette affaire portait sur des aspects particuliers de l'accès aux recours en droit privé en cas de rupture. Là où la Cour suprême du Canada a dû se pencher sur des questions liées à l'accès aux prestations gouvernementales, comme dans l'affaire Egan et Nesbit, par exemple, elle a affirmé qu'une définition du terme «conjoint» qui n'englobe pas les couples homosexuels est constitutionnellement justifiable.
Lorsque le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce s'est penché l'an dernier sur la possibilité d'appliquer le terme «conjugal» aux personnes vivant une union homosexuelle, son rapport, publié le 15 juin 1999, recommandait particulièrement que la question soit débattue pleinement:
[...] L'examen par le Parlement pourrait permettre de réfléchir en profondeur aux conséquences juridiques, philosophiques, morales, religieuses et sociales entourant le versement de prestations de ce genre (aux conjoints de même sexe).
Je suis désolée de souligner que cela n'est pas arrivé à la Chambre des communes. Le gouvernement a mis un terme au débat en employant la clôture, suivie d'une mise aux voix avec la participation du whip.
Dans son rapport, le Comité des banques et du commerce a aussi recommandé que le gouvernement fédéral «examine sérieusement la possibilité d'appliquer les prestations aux cas où il existe une dépendance économique». La présidente du Conseil du Trésor, Mme Lucienne Robillard, a promis que le gouvernement débattrait pleinement du sujet et envisagerait des questions globales comme la dépendance économique.
Cela ne s'est pas produit. La question de l'application des prestations de l'État à des nouvelles catégories de relations est très controversée au Canada. Ce n'est pas le genre de mesures qu'il faut adopter en employant la clôture au Parlement.
Au deuxième chef, nous estimons qu'il ne convient pas d'appliquer des droits, obligations et avantages en fonction d'une «relation conjugale». Historiquement, le terme «conjugal» a été défini comme qualifiant les relations entre le mari et sa femme. Dans M. c. H., la Cour suprême du Canada affirme que les couples homosexuels pourraient être considérés comme ayant une relation conjugale au sens d'une union s'apparentant au mariage. Toutefois, elle a adopté une norme flexible qui semble exiger que le tribunal examine toute relation pour déterminer si les critères conjugaux sont réunis. Il ne s'agit donc pas d'un critère qu'il convient d'employer dans le cas des prestations de l'État.
Troisièmement, nous croyons que ce projet de loi est discriminatoire, d'après l'article 15 de la Charte, c'est-à-dire qu'elle omet d'appliquer les avantages aux personnes qui cohabitent légitimement, mais qui n'ont pas de rapports sexuels, par exemple les frères et soeurs, le parent âgé et l'enfant d'âge adulte, ou deux amis interdépendants. Ce projet de loi est d'application restreinte. Il pourrait être considéré comme étant à l'origine d'une discrimination fondée soit sur l'orientation sexuelle, soit sur la situation de famille.
Quatrièmement, nous nous préoccupons du fait que la période de cohabitation choisie n'est que de un an. Non seulement cela ne suffit pas à établir un engagement à long terme, mais en plus, cela est incompatible avec les lois provinciales et les dispositions de la Loi sur le divorce.
Cinquièmement, si le projet de loi est adopté, il n'y aura plus, en droit fédéral canadien, de distinction fonctionnelle entre le mariage et les autres formes d'union. Notre mémoire démontre amplement -- grâce à des données tirées des études de Statistique Canada -- en quoi le mariage représente une assise vitale de la société et se veut dans l'intérêt des enfants. Des mesures spéciales de reconnaissance et de soutien devraient être adoptées pour promouvoir et encourager le mariage. La disposition sur la règle d'interprétation du terme, soit l'article 1.1 du projet de loi C-23, ne suffit pas à cet égard. D'ailleurs, l'article ne prévoit pas forcément une protection juridique quelconque pour cette institution importante.
Nous formulons quatre recommandations, que voici: premièrement, l'AEC recommande que le Sénat rejette ce projet de loi conçu à la hâte et mal inspiré; deuxièmement, que si les droits, avantages et obligations sont désormais appliqués à des relations non conjugales, que cela se fasse en fonction de critères liés à l'interdépendance économique et sociale, plutôt qu'à une forme quelconque de rapport sexuel; troisièmement, que la période de cohabitation soit fixée à trois ans, plutôt que un an; et quatrièmement, que la définition de mariage ajoutée au projet de loi C-23 soit rendue justiciable.
M. Derek Rogusky, recherchiste, Focus on the Family (Canada): Merci de l'occasion qui m'est offerte de présenter nos observations au sujet du projet de loi C-23.
Je vais commencer par citer M. le juge Gonthier, de la Cour suprême, qui a dit au sujet du mariage qu'il s'agit...
du fondement de la famille et de la société, sans quoi il n'y aurait ni civilisation ni progrès.
Le projet de loi C-23 enlèverait au mariage toute signification. Le mariage ne serait plus reconnu comme étant une relation unique et spéciale en droit canadien. Il n'y aurait plus de considérations, de droits ou d'avantages spéciaux destinés exclusivement aux couples mariés, desquels ne pourraient se prévaloir deux personnes cohabitant et ayant pendant un an une relation de nature sexuelle. Avec l'adoption du projet de loi C-23 et du projet de loi C-31 (la Loi sur l'immigration), la Loi sur le divorce sera la seule qui porte exclusivement sur les couples mariés. Quel signal envoie-t-on ainsi aux Canadiens, et surtout aux jeunes, si le gouvernement fait du mariage simplement l'une de plusieurs options possibles pour qui souhaite obtenir les prestations de l'État? De plus, le projet de loi C-23 ne protège pas la définition de mariage contre une future tentative de modification. Nulle part en droit canadien la définition de mariage n'est expressément consignée.
Plutôt, nous nous fions à notre tradition de common law. Nos traditions juridiques nous ont bien servi par le passé, mais les Canadiens ne croient plus que les tribunaux aient la volonté de défendre cette tradition. Déjà, les tribunaux ont redéfini les termes «conjoint» et «conjugal». Qu'est-ce qui les empêcherait de définir autrement le mariage? Comme nous le faisons valoir dans nos observations écrites, la disposition d'interprétation de la ministre de la Justice ne protège pas la définition de mariage contre une tentative future de modification.
Pourquoi est-ce si important de s'assurer que, en droit canadien, le mariage a un statut unique et spécial, par rapport aux autres formes d'union? Pour dire les choses simplement, la société bénéficie de familles fortes édifiées sur un mariage stable. La prépondérance des faits établis par les sciences sociales démontre hors de tout doute que, en moyenne, le mariage est nettement plus avantageux que toute autre forme de relation. Par comparaison aux couples vivant une union de fait, les couples mariés sont plus susceptibles d'avoir une meilleure santé physique et mentale, de même qu'une meilleure espérance de vie. Ils ont tendance à être plus heureux et mieux nantis financièrement, et à avoir une relation plus stable, à connaître moins de violence au sein de la famille et même à avoir une vie sexuelle plus satisfaisante. Leurs enfants ont tendance à avoir une meilleure santé physique et mentale, à présenter une scolarité plus élevée et une situation d'emploi meilleure, à être mieux nantis sur le plan financier, à être moins exposés à la criminalité, à moins courir le risque de mauvais traitements sexuels et à connaître eux-mêmes une union fructueuse.
Le fait d'appliquer aux conjoints de fait, qu'ils soient hétérosexuels ou homosexuels, les mêmes avantages que ceux qui sont consentis aux couples mariés encourage les unions de fait au détriment du mariage. Les facteurs incitatifs comptent bel et bien. Tout de même, la recherche démontre que les unions de fait ne produisent pas la même valeur pour la société que les mariages. Par exemple, selon l'Enquête longitudinale nationale sur les enfants et les jeunes de Statistique Canada, 63,1 p. 100 des enfants nés de parents vivant une union de fait sont témoins d'un éclatement la structure familiale rendus à l'âge de 10 ans. À l'inverse, seulement 13,6 p. 100 des enfants nés de parents mariés n'ayant jamais vécu une union de fait connaissaient la même expérience à l'âge de 10 ans. C'est presque cinq fois moins d'enfants.
Comme je l'ai noté plus haut, la rupture familiale s'accompagne souvent de problèmes pour les enfants aussi bien que les adultes. Une autre étude de Statistique Canada montre que le simple fait de commencer la vie conjugale par une union de fait, que cela mène au mariage ou non, fait presque doubler les probabilités de séparation. Néanmoins, une autre étude de Statistique Canada, celle-là sur la violence familiale, démontre qu'une femme se trouvant dans une union de fait est huit fois plus susceptible de mourir aux mains de son conjoint qu'une femme mariée.
La rupture des familles et les unions de cette nature sont coûteuses pour le contribuable. Si l'expérience de l'Australie et du Royaume-Uni ont quelque valeur comme exemple, on peut établir que les ruptures familiales coûtent probablement plus de 5 millions de dollars par année au contribuable canadien.
Les gouvernements ne devraient pas contrôler les relations des Canadiens. Tout de même, ils ne devraient pas non plus être tenus de soutenir toutes les formes de relation de manière égale. Globalement, le mariage fournit à la société des bienfaits que d'autres relations n'arrivent simplement pas à produire. La licence de mariage s'est révélée être plus qu'un bout de papier. L'institution mérite d'avoir toujours un statut spécial et unique dans notre vie.
En guise de conclusion, je dirais que je suis sûr que le gouvernement ne s'est pas donné pour objectif de miner le mariage, mais c'est exactement ce que fait le projet de loi C-23. Il existe peut-être des raisons valables, du point de vue de la politique gouvernementale, d'appliquer les avantages et obligations aux personnes autres que celles qui vivent une relation de dépendance économique; toutefois, l'approche du tout ou rien incarnée dans le projet de loi C-23, qui ôte au mariage son statut particulier, témoigne d'une politique de courte vue. Nous invitons vivement le comité et tous les membres du Sénat à renvoyer le projet de loi C-23 pour corrections, pour que tous les Canadiens puissent prendre part au débat sur la question.
Tout au moins, nous recommanderions que le législateur ajoute aux 68 lois que vient modifier le projet de loi C-23 une définition du mariage comme étant l'union d'un homme et d'une femme, pour que les futures tentatives de modification de l'institution du mariage puissent être battues en brèche. Merci.
La présidente: Lorsque nous aurons terminé, je vais demander à chacun d'entre vous d'indiquer le nombre de membres que compte son organisation. Et je vous demanderai à vous, monsieur Rogusky, quelle est la source des statistiques que vous citiez.
Mme Diane Watts, présidente nationale, Femmes pour la vie, la foi et la famille: Je vous remercie de nous avoir invités à témoigner devant le comité.
Notre mémoire s'intitule «La doctrine catholique sur la législation qui met le mariage et la famille sur un pied d'égalité avec d'autres formes de cohabitation.»
Le Saint Père a lancé un appel le 13 janvier 2000, en ces termes:
Pour protéger la famille, élément fondamental de la société, nous demandons à ceux qui exercent l'autorité d'éviter de prendre toute initiative qui favoriserait ou sanctionnerait la mise de la famille sur un pied d'égalité avec d'autres formes de cohabitation.
Le message transmis ici, c'est que la famille est unique. Selon la doctrine de l'Église à cet égard, l'objectif premier consiste à protéger la famille. Notre exposé comporte trois déclarations récentes, remontant à 1975, 1986 et 1982, de la Congrégation pour la doctrine de la foi. La première est tirée des documents de Vatican II et explique la doctrine de l'Église. J'ai essayé de simplifier cela et d'en extirper les points principaux. Les déclarations en question traitent de nombreux points -- vous pouvez vous procurer vous-même les documents que j'ai résumés dans mon mémoire. Une des annexes est un résumé de la plus récente déclaration, celle de 1992.
Selon la doctrine de l'Église, comme je le disais, l'Église insiste sur la primauté des parents pour l'éducation des enfants. Le mariage est un sacrement, dont la fin ultime est la procréation et l'éducation des enfants. C'est le lien sacré du mariage que de nombreux Canadiens tiennent justement pour sacré. Ce projet de loi prend pour cible le lien sacré du mariage en le mettant sur un pied d'égalité avec d'autres formes de cohabitation.
Le respect de la doctrine de l'Église n'est pas une impossibilité. L'Église nous enseigne que les êtres humains peuvent suivre sa doctrine. Ce que demande l'Église n'est pas impossible pour l'être humain. L'Église enseigne que les lois doivent être au service de la famille. Traditionnellement, les enseignements de l'Église sur la justice sociale évoquent trois sociétés: la famille, l'État et l'Église. Elle met la famille avant les deux autres -- la famille a la préséance.
L'Église se soucie du bien-être de l'enfant dans les affaires d'adoption, et les déclarations à cet égard se trouvent dans les documents. L'Église souhaite que la personne qui se dit homosexuelle puisse être heureuse, épanouie et libre d'une façon authentique qui concorde avec la sagesse de Dieu. D'où l'appel à la conversion, ce qui est évident dans les documents de l'Église.
La situation n'est pas comparable à celle de la race, de l'origine ethnique ou du sexe, étant donné la dimension morale. Il y a là une dimension morale, et l'Église fait ressortir cela dans ses documents.
L'Église adresse ses déclarations à la société civile dans son ensemble; par conséquent, il n'est pas question de prélats qui se défendraient contre les lois que l'État met en place. Les évêques sont censés aider toute la société civile. Cela se retrouve dans les déclarations.
Enfin, l'Église nous dit que ses enseignements ne peuvent être révisés, même si nombre de lois dans nombre de pays modifient ou contredisent la doctrine catholique.
Les documents de l'Église et ses enseignements passés peuvent parfois paraître durs, insensibles et choquants. Souvent, les chrétiens sont accusés de haine et d'homophobie. Souvent, notre motivation est jugée à la lumière de cela. J'ai réfléchi à cela, et je me suis demandé pourquoi. Il existe de nombreuses situations parallèles. Par exemple, une intervention chirurgicale peut paraître repoussante aux yeux de certaines personnes qui ne peuvent regarder cela -- il y a le sang et tout -- mais, de fait, cela sauve des vies. Il importe de se rappeler que, dans la langue de l'Église, le péché est esclavage et servitude. Le pécheur est dépeint comme étant un agneau pris dans un buisson épineux, agneau qui sera secouru par le bon pasteur et libéré de l'esclavage qu'est le péché. Il y a donc la noirceur et la lumière, l'esclavage et la libération.
Enfin, je citerai saint Thomas d'Aquin:
Aimer, c'est vouloir le bien éternel d'autrui.
L'Église envisage donc le destin éternel et non seulement le destin terrestre. Voilà qui précise ses enseignements.
La présidente: C'est peut-être parce que je suis curieuse que je vous pose la question -- et j'ai tout de même omis de vous le demander au début: quelle est la nature de l'organisation que vous représentez? Je vais commencer par Mme Buckingham. Qui en sont les membres?
Mme Epp Buckingham: L'Alliance évangélique du Canada est une association de chrétiens évangéliques. Nous comptons parmi nos membres 32 confessions, plus d'une centaine d'organisations religieuses, environ 1 000 églises et un grand nombre d'individus. Nous estimons que quelque 1,2 million de chrétiens canadiens sont affiliés aux institutions membres de l'AEC.
M. Rogusky: Focus on the Family (Canada) est un organisme de bienfaisance qui se fonde sur des principes chrétiens visant à soutenir, à encourager et à renforcer la famille canadienne par la voie de l'éducation et de ressources. Nous comptons environ 160 000 familles membres qui nous soutiennent par la voie de dons, et nous avons une émission de radio nationale qui, selon les estimations, rejoint un million d'auditeurs toutes les semaines.
Mme Watts: Femmes pour la vie, la foi et la famille est un organisme qui s'est établi à l'échelle nationale en 1985. Nous sommes représentés dans l'ensemble des provinces et des territoires. Nous agissons localement; nos membres agissent individuellement et collectivement par la voie des associations locales. Notre objectif consiste à défendre et à expliquer les enseignements catholiques au sein de l'Église catholique du Canada et au sein de la société. Le Conseil pontifical pour la famille appuie notre organisation au Canada.
La présidente: Avez-vous idée du nombre de membres qui font partie de votre organisation?
Mme Watts: Nous sommes parvenus à organiser une campagne de signatures contre certaines des questions qui nous préoccupent -- c'est-à-dire de signatures que nous avons transmises au Saint Père. Le nombre de signatures en question s'élevait à 5 000. La campagne faisait appel uniquement aux femmes, mais nous comptons également parmi nos partisans des familles et des hommes, de sorte que nous sommes encore plus nombreux que cela.
La présidente: Merci beaucoup. Et la source de certaines des statistiques que vous citiez, monsieur Rogusky?
M. Rogusky: Il y en a trois, en particulier, que j'ai quelque peu approfondies. Premièrement, 63 p. 100 des enfants nés d'une union libre voient leurs des parents séparés rendus à l'âge de 10 ans. Cette information provient d'une étude de Statistique Canada intitulée «Grandir avec maman et papa? Les trajectoires familiales complexes des enfants canadiens». Cette publication se trouverait sur la table derrière la présidente. Elle fait partie de l'étude longitudinale nationale sur les enfants et les adolescents qui est en cours à Statistique Canada.
La deuxième étude dont j'ai révélé des résultats est plus récente. Il en a été question dans la revue Tendances sociales canadiennes, publication trimestrielle de Statistique Canada. L'article est intitulé «L'évolution des liens conjugaux». L'étude sur la violence familiale se trouve dans «La violence familiale au Canada: un profil statistique, de 1998», également une publication de Statistique Canada. Je crois que cela a été réalisé par sa division de la statistique juridique.
En règle générale, la situation des couples mariés est nettement meilleure que celle des autres, dans plusieurs catégories. Je tiens ce renseignement de plusieurs études, mais la meilleure, pour résumer la chose, se trouve dans un article de novembre 1995 intitulé «Does mariage matter?» paru dans la revue Demography, revue de sciences sociales. L'auteur est professeur à l'Université de Chicago. Il résume un certain nombre d'études réalisées sur le sujet.
Pour ce qui touche les enfants, certains des renseignements proviennent de ce même article, mais il y a aussi quelqu'un à la Heritage Foundation, aux États-Unis, qui a fait des travaux dans ce domaine. Pour la plus grande part, les recherches ont tendance à être américaines ou britanniques. Malheureusement, il n'y a pas grand-chose qui a été fait au Canada, et c'est probablement un bon sujet pour de futures recherches.
La présidente: Merci.
Le sénateur Beaudoin: Je crois que le projet de loi C-23 devrait être lu dans le contexte de l'affaire soumise à la Cour suprême, intitulée M. et H. L'un d'entre vous a fait allusion à M. le juge Gonthier, mais celui-ci n'adhérait pas à la décision majoritaire de la Cour. La décision du tribunal est considérée par les parlementaires comme étant la loi en la matière -- à moins, bien sûr, de préconiser le retour à la disposition dérogatoire, c'est-à-dire l'article 33 de la Charte.
La solution que vous proposez me pose certaines difficultés. Certaines personnes sont favorables à ce projet de loi; d'autres ne le sont pas. Vous proposez d'autres solutions encore. Je ne suis pas certain de bien comprendre la solution que vous préconisez. J'aimerais en savoir un peu plus.
M. Rogusky: Premièrement, la citation du juge Gonthier ne provient pas de l'arrêt M. et H.; c'est tiré plutôt de l'opinion de la majorité exprimée dans l'affaire Myron c. Trudel. C'est une autre cause.
Le sénateur Beaudoin: Mais il était dissident dans cette affaire-là aussi.
M. Rogusky: C'est vrai. Toutefois, pour l'affaire d'où je tire la citation, il a rédigé la décision majoritaire.
Cela dit, dans l'arrêt M. et H., il est dit essentiellement que les unions de fait entre conjoints de même sexe, comme nous les appelons maintenant, doivent être traitées de la même façon que les unions de fait entre un homme et une femme. Nous disons qu'il n'est pas nécessaire d'accorder aux catégories ainsi décrites tous les mêmes avantages qui sont consentis au mariage. Nous pouvons traiter les unions de fait entre conjoints de même sexe et des unions de fait entre conjoints de sexe opposé de la même manière, sans diluer pour autant le statut spécial et unique qui a été accordé au mariage.
Le tribunal n'a pas dicté de solution particulière au problème de ce qui est qualifié de discrimination. Le gouvernement a choisi la voie de la facilité et décidé d'accorder aux conjoints de fait de même sexe des prestations auxquelles ils n'ont jamais eu droit auparavant. Cela arrivera si le projet de loi C-23 est adopté. Les sciences sociales ont démontré que le mariage est une relation unique et spéciale qui comporte des avantages pour la société. De ce fait, selon nous et selon un grand nombre de Canadiens, le mariage devrait être prisé davantage que ces autres formes de relation.
Le sénateur Beaudoin: En droit constitutionnel, nous avons ce qui est parfois qualifié de moelle et substance d'une loi. La moelle et substance, c'est le but du projet de loi, la raison d'être du projet de loi. Autant que je sache, à bien des égards, il s'agit de l'égalité des prestations. La raison d'être du projet de loi tient à l'égalité. L'égalité est un principe qui, bien sûr, est inscrit dans la Charte des droits. La loi s'applique également à tous. Tous ont droit au même avantage, au même bénéfice de la loi. La jurisprudence acceptée depuis quelques années au niveau de la Cour suprême est assez claire. Le principe que celle-ci a établi dans l'affaire à laquelle je faisais allusion constitue une obligation pour l'appareil législatif, c'est-à-dire le Sénat et la Chambre des communes.
Cela dit, dans certains cas, il est possible d'invoquer la disposition dérogatoire, qui n'est pas très populaire. Personne n'a traité de cette possibilité à la deuxième lecture au Sénat. Je ne l'ai pas invoquée moi non plus, car si la décision est claire, nous allons la respecter -- à moins que vous ne soyez en mesure d'établir une distinction entre ce projet de loi et la décision du tribunal. Je ne suis pas très sûr que nous puissions faire cela. C'est tout ce que je dirais.
La présidente: J'allais vous demander votre question.
Le sénateur Beaudoin: Quelle est, au juste, la solution que vous avez à l'esprit? Est-ce de ne pas tenir compte de ce que dit le tribunal ou encore d'invoquer la disposition dérogatoire?
Mme Epp Buckingham: En tant qu'avocate, j'ai le plus haut respect pour votre connaissance et votre interprétation du droit, sénateur Beaudoin. J'ai étudié vos livres et je suis consciente de votre degré d'expertise.
Je ferais tout de même valoir que l'affaire M. et H. se distingue sous des facettes importantes. Premièrement, il y est question de la possibilité de recours en droit privé pour les couples de même sexe. Je crois que c'est très différent de l'élargissement des prestations de l'État.
Dans les affaires où il a été question d'élargir les prestations de l'État -- et j'ai mentionné durant mon exposé de l'affaire Egan et Nesbit, par exemple -- le tribunal s'y est pris différemment: il a affirmé qu'il existe des situations où il est constitutionnellement justifiable d'accorder diverses prestations à diverses personnes vivant diverses formes de relations. En ce qui concerne ce genre particulier de situation, je suis d'avis qu'il est plus justifiable, sur le plan constitutionnel, d'élargir les prestations de l'État en fonction d'un critère de dépendance économique. Si l'objectif consiste à créer un situation où il y a égalité et où tous ont droit au même bénéfice de la loi, à quoi servent alors les prestations de l'État, si elles ne sont pas au bénéfice de ceux qui vivent une relation économiquement dépendante?
Si vous revenez à la décision rendue dans l'affaire M. et H., le besoin urgent et réel établi par le tribunal concerne la nécessité de subvenir aux besoins des personnes à charge, afin de soulager le fardeau pour le trésor public des personnes qui se trouvent sans ressources parce que la personne dont elles sont dépendantes sur le plan économique meurt. Il existe, au sein de notre société, nombre de relations qui ne sont pas des relations conjugales. Elles ne s'apparentent pas à celles qui existent entre conjoints. Néanmoins, il s'agit de relations où il existe a une dépendance économique. J'affirme qu'elles existent parce que je connais des gens qui se trouvent dans des situations du genre. On peut songer à un frère et à une soeur qui ont travaillé la terre ensemble toute leur vie et qui fonctionnent à la manière d'un couple marié, sauf qu'il s'agit d'un frère et d'une soeur qui couchent dans des chambres différentes. Par contre, sous toutes les facettes possibles, ils sont économiquement et socialement dépendants l'un de l'autre. Si l'un meurt, cette dépendance économique peut donner lieu à des situations où l'autre se trouve privé de ressources.
Il faut dire soit que les prestations devraient être accordées en fonction de ce critère de dépendance économique, soit qu'il faut revenir chaque fois pour examiner la relation dont il est question et se demander: «De quel genre de relation s'agit-il?»
Je m'oppose à l'idée d'accorder des prestations en prenant pour critère le fait que les gens aient eu des rapports sexuels. Songez aux gens qui vivent une relation de dépendance économique depuis 10, 20, 30 ans; ils ne bénéficieront pas du projet de loi C-23. Toutefois, pour prendre un exemple, dans le cas d'une relation où deux personnes habitent la même maison depuis un an et qu'elles ont eu des rapports sexuels une, peut-être deux fois, l'argument en faveur d'une relation dite conjugale est beaucoup plus solide, de sorte qu'elles pourraient se prévaloir des prestations prévues en vertu du projet de loi C-23.
Si l'objectif consiste à créer une formule juste et équitable, il semblerait que le critère de dépendance économique est beaucoup plus juste, équitable, rationnel et objectif pour justifier l'élargissement des prestations que la notion de relation conjugale, qui fait intervenir les rapports sexuels, question qu'il ne convient pas de poser aux gens.
Le sénateur Beaudoin: Il y a une distinction à faire entre ce qui est possible, c'est-à-dire ce que les tribunaux ont affirmé, et ce qui est dit dans le projet de loi. Est-ce là votre raisonnement?
Mme Epp Buckingham: Oui.
La présidente: Lorsque la ministre est venue témoigner, on lui a posé la même question. Elle a répondu qu'elle demanderait à un comité parlementaire mixte d'étudier cette question particulière et d'envisager l'idée d'appliquer les prestations à des partenaires autres que sexuels.
Mme Epp Buckingham: La Commission du droit du Canada serait en train d'approfondir la question.
Le sénateur Fraser: Monsieur Rogusky, les statistiques que vous avez citées m'intéressent. Je suis un peu perturbée par ce qui me semble être, peut-être, une lacune dans votre façon d'interpréter les statistiques et d'établir des corrélations. Il me semble parfaitement possible que, étant donné la nature de la société dans laquelle nous vivons aujourd'hui, qu'il soit dans l'ordre des choses que les enfants nés de personnes n'ayant pas cohabité avant le mariage soient moins susceptibles de vivre l'expérience d'une rupture familiale. Ce n'est pas parce que les parents n'ont pas cohabité, mais parce que, dans la société d'aujourd'hui, il est probable que les personnes choisissant de ne pas cohabiter avant le mariage aient tendance à être des gens qui, pour des raisons liées à leurs convictions religieuses ou culturelles, ne croient pas au divorce. Elles croient au mariage et à l'union de deux personnes jusqu'à ce que la mort les sépare. À ce moment-là, les statistiques citées sont presque à côté de la question, sauf peut-être si on veut faire valoir que, pour le principe qui veut qu'on ne jette pas la première pierre et pour une question de charité chrétienne, nous voulons nous assurer que les enfants nés d'une telle union, qu'il s'agisse d'un mariage ou d'une autre forme, ne fassent pas l'objet de discrimination.
Je me préoccupe de la corrélation que je crois vous avoir vu établir. Je me demande si vous connaissez d'autres études qui indiquent, pour des populations socialement semblables, c'est-à-dire des populations semblables sur le plan social, religieux et culturel, que ce genre de différence tient, selon que les parents aient été mariés ou non.
M. Rogusky: Autant que je sache, personne n'a dénombré les personnes qui sont actives au sein de leur Église ou qui fréquentent l'église régulièrement, par exemple.
Le sénateur Fraser: Il y a d'autres religions qui ne croient pas au divorce.
M. Rogusky: Ce serait en quelque sorte l'indication d'une conviction religieuse. Toutefois, nous avons remarqué chez les jeunes d'aujourd'hui le désir, un désir nettement plus grand que celui manifesté par leurs parents il y a une génération, de se marier, et de se marier pour la vie. Les statistiques le montrent: lorsque nous sondons les jeunes de 18 à 24 ans, la propension au mariage, et au mariage pour la vie, est nettement plus forte chez eux. En même temps, toutefois, les mêmes jeunes entament souvent leur vie conjugale en union de fait. Je suppose que l'on pourrait faire valoir que des facteurs religieux entre en ligne de compte. Toutefois, les faits semblent confirmer que ce que nous montrons à nos enfants, c'est qu'il est correct d'avoir une union de fait et de faire ce genre de choses, mais que cela va conduire à une rupture de l'union conjugale ou de la relation à l'avenir. Cela va toucher non seulement les enfants qu'ils peuvent avoir, mais aussi leur vie. La rupture d'une union de fait ne s'assimile plus simplement à la rupture du «chum» et de la «blonde».
C'est un mauvais signal que nous envoyons à nos jeunes lorsque nous disons que l'union de fait n'est pas différente du mariage.
Les spécialistes des sciences sociales sont nombreux à dire que l'union de fait n'est tout simplement pas la voie à choisir pour entamer une relation conjugale, dans la mesure où nous souhaitons avoir une relation durable.
Le sénateur Fraser: Il me semble que cela revient à dire: la froide saison de l'hiver arrive après que les arbres ont perdu leurs feuilles; par conséquent, c'est parce que les arbres ont perdu leurs feuilles que l'hiver arrive.
M. Rogusky: Si vous me montrez des éléments de preuve contredisant le fait qu'il existe un lien entre l'union de fait et la rupture, qu'il y a un autre facteur quelconque qui entre en jeu, je serais tout à fait heureux de les prendre en considération. Malheureusement, les observations des sciences sociales démontrent que le fait de vivre en union de fait d'abord, même si on finit par se marier, a simplement pour effet d'accroître les probabilités d'une rupture et d'accroître les difficultés dont il est question ici.
Le sénateur Fraser: Vous ne pouvez m'apporter des preuves pour répondre à la question que je soulevais. Vous n'êtes pas au courant d'études portant sur des populations statistiquement semblables.
M. Rogusky: Pas où il y a une ventilation par facteur religieux. Il y a des études qui portent sur des facteurs comme le revenu ou la race.
Le sénateur Fraser: Ce n'est pas de cette variable que je parlais.
M. Rogusky: Il n'y a rien sur la religion.
[Français]
Le sénateur Pépin: Madame Buckingham, vous avez dit que le débat sur le projet de loi C-23 était un débat moral. Je pense que le débat n'est pas un débat moral. La ministre l'a dit clairement, c'est un débat qui concerne l'égalité et la tolérance, c'est un débat contre la discrimination.
Vous dites également qu'il y a un pourcentage très peu élevé de Canadiens qui sont d'accord avec le projet de loi C-23. Nous avons reçu des informations qui indiquent le contraire, à l'effet qu'il y avait un pourcentage très élevé, près de 80 p. 100, qui acceptaient les partenaires de même sexe.
Pourriez-vous nous indiquer sur quelle base vous faites la recommandation que les partenaires devraient vivre ensemble trois ans au lieu d'un an? Pourquoi aimeriez-vous que ce soit reporté de un an à trois ans?
[Traduction]
Mme Epp Buckingham: Je vais essayer de répondre à ces trois questions dans l'ordre.
Premièrement, l'allusion que j'ai faite à un débat moral provient en fait du rapport du Comité sénatorial permanent des banques et du commerce, en date du 15 juin 1999, rapport faisant état de son examen du projet de loi C-78. Le comité en question a recommandé que la Chambre des communes tienne un tel débat, pour examiner les conséquences morales, religieuses et philosophiques que comporte le fait de définir le terme «conjoint» comme incluant les couples de même sexe. Je n'ai pas pris part à ce débat, mais je crois savoir que le projet de loi C-78 aurait renfermé une définition du Conseil du Trésor selon laquelle «conjoint» inclut les partenaires de même sexe et les unions homosexuelles pour certaines fins. Le comité a recommandé que les prestations pour les conjoints de même sexe fassent l'objet de ce genre de débat, qui examinerait les conséquences morales, philosophiques, religieuses et sociétales de l'application des prestations aux conjoints homosexuels. Ce sont donc les mots du comité sénatorial, et non pas les miens, bien que je sois d'accord.
Deuxièmement, je ne crois pas vraiment avoir parlé d'un faible taux d'acceptation. Je n'ai pas parlé du taux d'acceptation à l'égard du projet de loi C-23. J'ai dit, par contre, que c'était très controversé au sein de la société. M'étant entretenu avec plusieurs parlementaires, je crois savoir que ceux-ci ont reçu, en rapport avec ce projet de loi en particulier, un volume plus grand de télécopies et de pièces de correspondance que pour toute autre chose durant leur mandat. Cela donne à penser que c'est très controversé. Je crois savoir que cette correspondance, pour une grande part, était défavorable au projet de loi C-23. Je sais que les parlementaires ont aussi reçu des propos favorables à ce sujet, mais cela ne fait que montrer qu'il s'agit d'un sujet très controversé au sein de notre société.
Le bill C-23 n'est pas l'un de ces projets de loi qui a été précédé d'un document de consultation du gouvernement, avant d'être déposé. Avant qu'il ne soit déposé au Parlement, les choses se sont déroulées sous le couvert du secret. Il n'y a pas grand-chose qui a été fait pour annoncer le projet de loi C-23. Nous savions tous qu'ils rédigeaient quelque chose, mais personne ne savait ce qu'ils rédigeaient ni la façon dont c'était rédigé. Il n'y a pas eu de document de consultation public.
Le sénateur Cools: Madame la présidente, cela est tout à fait indéniable. Ce que dit madame est aisément vérifiable.
Mme Epp Buckingham: Troisièmement, vous m'avez interrogé sur ma recommandation quant à l'adoption d'une période de trois ans, plutôt que de un an. Si je ne m'abuse, selon les lois fédérales actuelles, qui élargissent les droits, avantages et obligations de manière à inclure les conjoints de fait, il s'agit habituellement de douze mois, de un an, mais dans les lois provinciales, la période applicable est différente. Souvent, c'est deux ou trois ans, ou cela tient au fait qu'un enfant est né de l'union. Je faisais ressortir l'anomalie qui existe entre la législation fédérale et la législation provinciale, c'est-à-dire que les périodes applicables y sont différentes.
De même, il y a une incompatibilité possible avec la Loi sur le divorce. Selon la Loi sur le divorce, les deux personnes doivent avoir vécu séparément pendant un an avant que la procédure en divorce et le partage des biens ne puissent s'enclencher. Selon le projet de loi qui nous occupe aujourd'hui, si, disons, un des deux conjoints déménage, emménage avec quelqu'un d'autre, puis meurt, la situation doit être qu'il y a un mariage existant, aucun partage des biens, mais, selon la modification apportée au Régime de pensions du Canada -- et je vous demande de vous reporter à l'article 44 du projet de loi C-23, disposition qui porte sur le Régime de pensions du Canada --, le conjoint de fait aurait préséance sur le conjoint marié. Dans le cas de la période de un an, il pourrait donc y avoir une situation où une personne est mariée en ayant en même temps un conjoint de fait et où le conjoint de fait aurait préséance pour ce qui touche le Régime de pensions du Canada. Cela créerait un conflit si les biens du mariage n'ont pas encore été partagés. C'est seulement un exemple du genre de conflits qui pourrait survenir.
Le sénateur Cools: Madame la présidente, pourrions-nous savoir à quelle disposition se référait le témoin?
Mme Epp Buckingham: L'article 44.
Le sénateur Cools: Mme Buckingham pourrait peut-être faire inscrire cela au compte rendu.
Le sénateur Pépin: Pourriez-vous attendre votre tour pour parler?
Le sénateur Cools: Je ne parlais pas. Je demandais une précision, ce qui est tout à fait conforme au règlement.
Le sénateur Pépin: Nous n'avons pas suffisamment de temps.
Mme Epp Buckingham: Le paragraphe 44(3) du projet de loi C-23 porte sur des modifications touchant le Régime de pensions du Canada.
Le sénateur Cools: Merci.
[Français]
Le sénateur Pépin: Monsieur Rogusky, je dois avouer que je suis un peu étonnée des statistiques que vous nous avez données au sujet du divorce et des enfants dont les parents vivaient en union de fait, et de la violence dans ces unions. J'ai été très impliquée et je suis encore très impliquée auprès des femmes et de la violence et des refuges pour les femmes violentées. Je peux vous assurer que sur le terrain, lorsque vous visitez ces femmes, il n'y a pas plus de femmes qui vivent en union de fait et qui sont battues que de femmes qui sont mariées. J'aimerais simplement vous rappeler qu'avant les années 80, la majorité des gens étaient mariés, ceux du moins de la province d'où je viens, le Québec, et il y avait des femmes battues et violentées et personne ne le savait. Il n'y avait pas de divorce à l'époque. Le divorce est venu avec les années 70. Je veux bien croire que les femmes vivant en union de fait soient violentées, mais je peux vous assurer qu'il y a des femmes, qui se sont mariées à l'église catholique, et qui sont violentées.
Vous dites également qu'il y a plusieurs femmes qui vivent dans une relation de "common law" et qui meurent des suites de violence. Là encore, je me permets de questionner les statistiques. Je suis d'accord que vous avez des couples qui vivent en «common law», dont un partenaire va mourir d'une façon violente mais si vous visitez nos refuges vous réalisez qu'il y en a autant qui sont mariés légalement et à l'église catholique. Je viens d'une province catholique mais vos statistiques me secouent. Je comprends les sources de ces statistiques, par contre mon expérience sur le terrain me donne une réponse différente.
[Traduction]
M. Rogusky: J'ai juste une observation à faire là-dessus. Encore une fois, j'ai pris cela directement dans les publications de Statistique Canada. À aucun moment je n'ai dit qu'il n'y avait pas de violence familiale dans le cas des couples mariés. Je tiens à préciser cela. Tout de même, j'aimerais citer quelque chose rapidement, en guise de réponse. À la page 29 de l'étude en question, il est dit que le taux d'homicides commis à l'encontre des femmes dans les unions de fait correspond à 25 pour un million d'unions de fait, ce qui est huit fois plus élevé que le taux observé dans le cas des couples mariés.
Cela provient de Statistique Canada.
La présidente: De quelle étude s'agit-il?
M. Rogusky: Encore une fois, c'est l'étude sur la violence familiale au Canada, profil statistique de 1998.
Le sénateur Poy: Madame Watts, j'ai quelques questions brèves à vous poser. Votre exposé portait principalement sur la doctrine de l'Église catholique. Pouvez-vous nous dire le pourcentage de pratiquants catholiques au sein de la population canadienne aujourd'hui?
Mme Watts: Le pourcentage est assez important. Je crois que c'est un peu moins de 50 p. 100. Vous avez demandé ce qu'il en était des catholiques pratiquants. Nous sommes tous des catholiques pratiquants. Nous essayons tous d'atteindre la perfection, et il est très difficile de juger cela. Je crois que tout chercheur qui voudrait essayer de qualifier ou de quantifier la foi d'une personne ou la capacité qu'a une personne de suivre les enseignements de l'Église éprouverait de la difficulté à établir les paramètres. Tout de même, l'Église a des enseignements particuliers, et si les gens suivent ces enseignements, ils vivent en conformité avec la doctrine de l'Église, c'est-à-dire ce que l'Église nous demande de faire. On peut établir toutes sortes de statistiques, mais, malheureusement, celles que j'ai étudiées comportent toutes des lacunes. Cela ne surviendrait pas, mais même s'il y avait un grand nombre de catholiques qui étaient en désaccord avec la doctrine de l'Église, l'Église a dit: «Voici notre doctrine. Nous ne pouvons la changer.» La raison pour laquelle les catholiques ne seraient pas d'accord, dans certains cas, je dirais, c'est qu'ils n'auraient pas été bien renseignés.
Le sénateur Poy: Nous savons que la majorité de la population au Québec est catholique, officiellement catholique. Néanmoins, le Québec présente probablement le taux de naissances le moins élevé du Canada. Est-ce que vous les considéreriez comme des catholiques pratiquants, s'ils n'obéissent pas vraiment à ce que dit le pape?
Mme Watts: Cela ne change rien au fait que le pape leur demande de vivre une vie ouverte à l'éventualité d'une vie nouvelle, une vie qui a de la place pour l'espoir et la confiance qu'une vie nouvelle naisse et d'élargir la vie catholique. L'Église nous demande de vivre cette vie. Si les gens ne répondent pas à cet appel, cela peut être pour diverses raisons. Il se peut qu'ils ne soient pas renseignés. Il se peut qu'on ne leur ait pas bien montré la voie. Il se peut qu'on ne leur ait pas enseigné à prier comme il faut. L'Église fait quand même intervenir la grâce de Dieu; il n'y a pas que l'effort de l'humain qui entre en ligne de compte. Cela se reflète dans la doctrine de l'Église au sujet du soutien de la famille ainsi que dans d'autres documents.
Le sénateur Poy: Lorsque vous dites qu'un peu moins de 50 p. 100 des catholiques au Canada sont pratiquants, avez-vous des preuves? De fait, cela m'amène à ma prochaine question.
Mme Watts: Je crois que les données du recensement vous donneraient le chiffre exact. Pour ce qui est du soutien du mariage et de la famille, et du soutien d'une perspective religieuse sur la vie, il y a des chiffres dans certaines études -- je crois que le groupe Angus Reid en a fait une -- qui peuvent atteindre 85 p. 100. Certaines personnes ne sont peut-être pas pratiquantes, mais elles font des efforts. Elles essaient peut-être plus que la personne qui pratique extrêmement bien et qui a reçu beaucoup d'aide des gens autour d'elle. Il est très difficile de juger cela, et je ne voudrais pas m'embarquer là-dedans. C'est l'appel et l'effort et l'information et l'aide qui ont de l'importance. La législation qui va à l'encontre de la famille, qui attaque la famille -- le pape a parlé d'attaque contre la famille -- n'aidera pas ces gens.
Je me demande simplement jusqu'à quel point cet argument est valable aujourd'hui. À une certaine époque, l'Église catholique contrôlait bel et bien l'État dans diverses régions du monde.
Mme Watts: Je ne dirais pas cela.
Le sénateur Poy: Jusqu'à quel point peut-on dire au Canada, aujourd'hui, que lorsque le gouvernement canadien légifère, il doit se reporter à ce que dit le pape?
Mme Watts: Je n'ai jamais dit que l'État devait se reporter à ce que dit le pape, mais, traditionnellement, la doctrine sociale de l'Église veut qu'il y ait trois sociétés -- la famille, l'État civil et l'Église -- et c'est la famille qu'elle mettait en premier. Ici, lorsque nous disons que vous devriez accorder la priorité et la primauté au mariage et à la famille, et aider le mariage et aider la famille, nous suivons la doctrine sociale de l'Église. L'Église ne s'est pas mise elle-même en premier, et elle n'a pas mis l'État en premier. Dans la doctrine sociale et dans les écrits des papes, l'Église met la famille en premier.
Le sénateur Poy: Je tiens à souligner qu'il existe de nombreuses autres confessions religieuses au Canada.
Mme Watts: J'espère que leurs représentants viendront ici pour présenter leur point de vue. D'après ce que j'en sais, les religions organisées soutiennent le mariage et la famille. Elles considèrent le mariage et la famille comme unique, et souhaitent que le gouvernement légifère en conséquence.
La présidente: Nous allons accueillir les représentants de plusieurs autres groupes religieux.
Mme Watts: J'en suis heureuse. C'est très bien.
Le sénateur Joyal: J'ai deux séries de questions. La première porte sur notre rôle en tant que législateurs. Lorsque nous nous penchons sur ses textes de loi qui, pour certaines Églises ou certaines confessions -- parlons de «confessions», pour prendre un terme large -- touchent au domaine moral, chacun d'entre nous se trouve dans une situation très difficile, chacun ayant ses propres convictions. Parfois, ses convictions concordent avec celles de la majorité; parfois, non. Nous devrons aborder notre responsabilité de manière à respecter la diversité qui existe à l'intérieur de la société canadienne. Je suis certain que tous nos témoins cet après-midi reconnaîtront que la façon dont les gens définissent leur approche de la religion de nos jours diffère certes de ce qui prévalait il y a un certain nombre d'années.
Encore une fois, à l'instar du sénateur Pépin, je suis originaire du Québec, et nous pourrions discuter longuement de la question. Toutefois, il est arrivé nombre de fois par le passé que l'État ou le gouvernement ou le Parlement du Canada légifère sur des questions en rapport avec lesquelles la confession dominante d'une région ou d'une province n'appuyait pas le principe évoqué. Le divorce en est un exemple.
Vous vous rappellerez le fait que, pendant très longtemps, le Sénat était le seul endroit où s'adresser pour le citoyen québécois qui souhaitait obtenir le divorce. Le Sénat y consacrait beaucoup de temps chaque année, ce qui allait à l'encontre des positions de l'Église, surtout au Québec. En même temps, le divorce était possible dans les autres provinces du Canada.
Nous savons que la famille est une unité très importante, mais nous devons reconnaître que le terme «famille» est défini de diverses façons aujourd'hui. Il y a toutes sortes de familles. Il y a les familles unies pour la vie, comme celle de mes parents, qui sont mariés depuis 58 ans, chose devenue très exceptionnelle. Il y a les familles qui restent unies pendant vingt ans, le temps d'élever les enfants, puis se séparent. Il y a toutes sortes de familles recomposées et ainsi de suite. Nous devons reconnaître que cela existe dans la société canadienne. Ce n'est peut-être pas ce que nous souhaitons individuellement, mais c'est la réalité, et lorsque nous légiférons, nous devons respecter les décisions de la cour.
L'interprétation de la cour concernant l'article 15.1, en matière d'orientation sexuelle, nous trace une voie. Le Parlement n'innove pas en la matière. Trois autres provinces -- les plus grandes du Canada: la Colombie-Britannique, l'Ontario et le Québec -- ont déjà légiféré dans le domaine. Nous n'essayons pas de créer une situation nouvelle pour les Canadiens. De fait, les provinces, qui sont plus près du droit de la famille que l'est le Parlement fédéral, ont déjà essayé de refléter la façon dont les règles sont interprétées par la cour, que nous soyons pour ou contre. Certaines doctrines religieuses contredisent les principes tels que la cour les a interprétés, et cela est difficile pour elles, lorsque nous rajustons la législation en conséquence.
Le gouvernement doit relever le défi qui consiste à s'attaquer à la discrimination fondée sur l'orientation sexuelle. Je crois que la question la plus importante est celle qu'a soulevée Mme Epp Buckingham. Vous aimeriez voir fixer une limite à la capacité qu'a l'État d'établir la non-discrimination fondée sur l'orientation sexuelle, pour une question de sa connotation morale. À mes yeux, c'est un élément très important. Nous savons que, tôt ou tard, quelqu'un s'adressera à la Cour suprême pour contester la définition de mariage telle qu'elle est actuellement formulée en common law et en droit civil au Québec.
Avec le peu de temps qui nous reste, pourriez-vous préciser votre pensée là-dessus? Ce serait une limite fixée aux motifs de discrimination actuellement interdits, conformément à l'arrêt M. et H.
Mme Epp Buckingham: Merci de ces observations. Je comprends la difficulté que l'on éprouve à traiter des questions morales au Canada, là où il existe divers points de vue moraux. Je dirais tout de même que l'assemblée législative du Canada a pour rôle de soutenir le bien collectif. Nous faisons valoir l'importance du soutien du mariage dans la société, malgré le fait que nombre de personnes vivent en union de fait. Nous savons que beaucoup de mariages finissent par se dissoudre. Tout de même, nous savons aussi, grâce aux données statistiques et probablement grâce à notre propre coeur, que le mariage est l'assise de familles stables.
Je suis aussi dans la situation privilégiée d'une personne dont les parents ont été mariés pendant 48 ans. Ce sont des parents qui ont procuré une stabilité à leurs enfants, une stabilité que les mariages dissous, les mariages refaits et les autres formes d'union ne procurent simplement pas. Il doit y avoir une façon de reconnaître l'importance de l'égalité et de l'équité dans notre société, tout en reconnaissant qu'il existe dans notre société certaines formes d'unions ou d'institutions qui sont dans l'intérêt public.
Nous nous soucions de l'éventualité que des formes d'unions comme l'union de fait et la reconnaissance de l'équivalence des unions homosexuelles avec les mariages en droit ne viennent dissuader les gens de se marier. Si vous vous mariez, puis voulez mettre un terme à la relation, vous devez passer par les rigueurs de la Loi sur le divorce. Vous ne pouvez tout simplement prendre la porte. Le mariage exige tout de même un certain engagement. Si le projet de loi est adopté, les gens qui sont quelque peu indécis à propos du mariage disent donc qu'il vaut peut-être mieux ne pas se marier, car les résultats sont les mêmes au bout d'une cohabitation de un an. Toutefois, ce n'est pas la stabilité dont une personne a besoin. Si une personne peut simplement prendre la porte, elle le fera peut-être un jour; par ailleurs, si elle doit attendre pendant un an et y réfléchir, elle ne le fera peut-être pas. Nous croyons que, même dans le domaine laïc, même hors de toute question religieuse, le mariage est très important.
Des contestions se préparent. Hier, un activiste gai de Toronto et plusieurs couples gais se sont rendus au registre, à Toronto, pour exiger des licences de mariage. C'est peut-être de début d'une cause qui se rendra jusqu'en Cour suprême. Je ne crois pas que cette personne abandonnera sa cause rapidement.
C'est peut-être une situation où il n'y a que la disposition dérogatoire qui viendra protéger juridiquement le mariage. Comme nous le savons, dans l'état actuel de nos lois, la définition de mariage s'applique aux unions de fait. J'ai des réserves quant au caractère justiciable de l'article 1.1 du projet de loi. Je crois que c'est la raison pour laquelle M. Rogusky et d'autres ont proposé une modification qui consiste à inclure la disposition relative au mariage dans chacune des parties qui vient modifier chacune des lois. De cette façon, cela se trouve dans la législation, plutôt que dans le projet de loi omnibus. Cela ne veut pas forcément dire que la définition de mariage est protégée, mais c'est une protection relative qui est plus forte. La seule autre possibilité serait d'adopter une loi distincte sur le mariage, mais cela échappe aux membres du comité.
Le sénateur Pearson: Je suis mariée depuis 48 ans et j'appuie sans réserve la famille. Toutefois, le projet de loi ne me pose aucun problème, car je n'y vois pas un projet de loi sur la famille. Si les avantages d'un mariage durable sont bien ce que vous avez dit, et je crois que les statistiques que vous avez citées sont justes, les ayant vues moi-même, alors le fait que les avantages et responsabilités soient inclus dans le projet de loi ne change rien. Les gens ne décident pas de se marier en fonction des avantages qu'ils vont recevoir.
C'est une discussion extrêmement intéressante, mais le projet de loi dont il est question fait intervenir la question de l'égalité, si bien que vos arguments ne me paraissent pas pertinents. Les gens ne prennent pas leurs idées dans des textes de loi comme celui-ci. Les motifs qui influent sur les relations sont beaucoup plus profonds que cela.
M. Rogusky: En tant qu'économiste, je crois que les facteurs d'incitation importent bel et bien. Lorsque le gouvernement accorde les mêmes avantages tout à fait aux personnes qui vivent une forme d'union beaucoup plus facile à réaliser, par exemple l'union de fait, les gens vont choisir...
Le sénateur Pearson: Il y a des responsabilités aussi. Les gens peuvent décider de ne pas s'engager dans une union de fait parce qu'ils auraient des obligations financières envers quelqu'un avec qui ils ont habité pendant seulement un an.
M. Rogusky: L'union de fait s'accompagne certainement d'obligations; toutefois, on peut obtenir tout l'ensemble qui va avec le mariage sans faire face à certaines des difficultés qui sont liées au mariage.
Le sénateur Pearson: Vous n'obtiendrez pas les avantages que vous décrivez.
M. Rogusky: Non, mais, par exemple, pourquoi les gens fument-ils? Il y a bien des gens qui fument malgré les dangers que cela entraîne. Les facteurs d'incitation que nous fournissons importent, et ceux que fournit le gouvernement sont importants aussi. C'est un signe pour nos jeunes.
Le sénateur Pearson: Je ne crois pas que la cigarette et les relations entrent dans la même catégorie.
Mme Watts: Je crois qu'un grand nombre de Canadiens estiment que ce projet de loi aura un impact négatif sur notre pays. À preuve l'ampleur des communications avec les parlementaires au moment où le projet de loi était devant la Chambre des communes. On a fait part de graves préoccupations aux députés pour demander que le projet de loi ne soit pas adopté.
Le sénateur Pearson: Cela m'intéresserait si un jeune disait: «Eh bien, quelle différence ce projet de loi fait-il pour ce qui touche mon choix d'union?» C'est une question différente.
M. Rogusky: Au fur et à mesure que nous avons associé des avantages et des obligations à l'union de fait, nous avons été témoins d'une augmentation du nombre d'unions de fait. C'est là la tendance. Il y a peut-être de nombreux autres facteurs qui entrent en ligne de compte, mais voilà la corrélation: plus nous accordons d'avantages aux conjoints de fait, plus les unions de fait sont nombreuses.
Le sénateur Pearson: J'aurais tendance à croire qu'un grand nombre de facteurs expliquent cela.
Le sénateur Cools: Je promets de ne pas vous faire un sermon ni d'essayer de vous convaincre de changer d'idée.
Vous nous avez fait part de certaines des données de Statistique Canada concernant la violence familiale. Ces données, ou les données universelles sur la violence familiale, partout au Canada et aux États-Unis, confirment deux choses. Premièrement, de façon constante, le taux de violence au sein des unions de fait est plus élevé. De façon constante aussi, on observe une réciprocité entre les hommes et les femmes pour ce qui touche la violence envers le conjoint. Pour le compte rendu, je peux vous donner l'exemple d'autorités canadiennes -- des gens comme Mmes Kim Bartholomew et Rena Sommer -- et d'autorités américaines -- MM. Murray Straus et Richard Gelles -- dont je connais bien les écrits.
En outre, la documentation vient confirmer aussi ce que vous avez dit à propos de l'autre élément de la violence familiale, savoir les mauvais traitements infligés aux enfants. De façon constante, encore une fois, la documentation abonde sur les études réalisées sous la direction du Dr Greenlands.
Sénateur, je réagis aux études dont les témoins nous ont fait part et aux questions qu'a posées le sénateur Pépin.
La présidente: Continuez.
Le sénateur Cools: Merci. De façon constante, les études -- les études réalisées par des chercheurs chevronnés -- à propos de la violence faite aux enfants montre que celle-ci augmente au sein des familles monoparentales. On ne peut contester cela. Les honorables sénateurs ne le savent peut-être pas, mais j'ai dirigé la toute première thèse de doctorat qui ait été faite sur le sujet de la violence envers le conjoint au Canada. C'est donc un sujet que je connais intimement. Les facteurs liés aux unions de fait se manifestent encore une fois à l'extrémité déréglée de la violence envers les conjoints, c'est-à-dire l'homicide. Je vous renvoie, par exemple, aux études de M. Peter Chimbos -- étude réalisée il y a un certain nombre d'années. Je fais la distinction entre ce qui est qualifié de «violence ordinaire» et l'homicide, car la plupart des cas de violence conjugale n'aboutissent pas à l'homicide. Votre raisonnement, essentiellement, c'est que les unions de fait, qu'elles soient hétérosexuelles ou homosexuelles, ne devraient pas être assimilées au mariage. Je crois que c'est un point très important et que vous auriez pu contourner ou éviter une bonne part du discours moralisateur auquel nous sommes soumis.
Ma question pour vous est la suivante: je suis originaire d'un autre endroit et j'ai été témoin de certaines de ces questions d'une façon assez différente. Avez-vous pu obtenir, du gouvernement ou de l'un des artisans du projet de loi, une définition de l'expression «relation conjugale»? Je n'ai pu en obtenir une. Il en existe peut-être une, quelque part, mais personne n'a pu me révéler cela.
Je ne trouve une définition nulle part. La question corollaire est la suivante: comment déterminerait-on l'existence d'une relation conjugale? Une police des relations conjugales peut-être?
M. Rogusky: La seule explication qui se rapproche raisonnablement d'une définition nous a été donnée par le Comité de la justice de la Chambre des communes. On nous a renvoyés à la décision rendue dans l'affaire M. et H., un point c'est tout. Les tribunaux ont tranché la question. Je n'ai rien pu trouver à la Chambre des communes ni ailleurs qui puisse définir le terme «conjugal». Chaque fois que nous avons posé la question, on nous a simplement écartés et dit de consulter ce que les tribunaux avaient décidé.
Le sénateur Cools: Si le tribunal a décidé cela, alors comment définit-il le terme?
La présidente: Si vous me permettez de lire un extrait de M. et H., vous verrez qu'il y a là une sorte de définition. Dans l'exposé de la question de l'arrêt M. et H., et à l'article 59, là où il y a la référence à Molodowich c. Pentiinen (1987, 17RFL, (2D) 376), la Cour de district de l'Ontario les caractéristiques généralement admises de la relation conjugale: il s'agit de deux personnes ayant en commun une habitation, un comportement sexuel et personnel, des services, des activités sociales, une forme de soutien économique et des enfants, aussi bien que la perception sociétale du couple.
Le sénateur Cools: Des enfants? Eh bien, je suis heureuse du fait que le sénateur Milne ait invoqué cette affaire. Il en était question dans M. et H., car cette affaire particulière concernait un couple hétérosexuel.
La présidente: On vient de me signaler que c'est le bout important qui suit.
Le sénateur Cools: Je voulais simplement signaler qu'il est faux de dire constamment que M. le juge Cory, ou le tribunal, s'est appuyé sur cette affaire pour définir la relation conjugale, car cette affaire remonte à 1980 et concerne un couple hétérosexuel.
La présidente: Toutefois, il était reconnu que les éléments en question pouvaient être présents à des degrés variables et ils ne devaient pas tous être forcément réunis pour qu'une relation soit considérée comme conjugale. Il est vrai qu'il n'y a peut-être pas de consensus quant à la perception sociétale des couples de même sexe, mais on s'entend pour dire que les couples de même sexe partagent un grand nombre des autres caractéristiques «conjugales». Pour répondre à la définition, ni le couple hétérosexuel ni le couple homosexuel n'est tenu de correspondre rigoureusement au modèle matrimonial traditionnel pour que la relation soit dite conjugale.
Le sénateur Cools: C'est très bien. Je crois que le sénateur Milne a soutenu ma question sans s'en rendre compte.
J'ai posé la question au sujet du projet de loi C-78 et je l'ai posée à nouveau ici. Je veux obtenir une définition de la relation conjugale. Je trouve cela assez étrange qu'un projet de loi puisse traiter de termes si évocateurs que personne ne souhaite ou ne peut définir en même temps. Personne ne le sait. Eh bien, peut-être que nos recherchistes le savent.
La présidente: Je croyais avoir fait porter au compte rendu une assez bonne définition du terme.
Le sénateur Cools: Non, vous ne l'avez pas fait. Vous avez fait porter au compte rendu la définition d'une relation conjugale entre un homme et une femme. C'est ce que vous avez fait porter au compte rendu.
Des voix: Non, non.
La présidente: Des couples de même sexe.
Le sénateur Cools: Ce n'est pas ce qui est dit. Vous ferez mieux de le relire. Je suis désolée. En droit, et il y a des avocats ici présent, M. le juge Cory n'a pas défini le terme. De toute manière, c'est un cas d'obiter dictum -- il n'a pas défini le terme.
La présidente: Il n'y a rien qui permette de croire que les couples homosexuels ne répondent pas à la définition juridique du terme «conjugal».
Le sénateur Cools: Tout est là. Toute la question est là. De toute façon, tout ce que j'ai pu obtenir de l'un de mes dirigeants, c'est que «conjugal» veut dire «sexuel».
Mme Watts: Traditionnellement, le terme «conjugal», selon les dictionnaires de droit canadiens, veut dire «relatif au mariage». Un des soucis de notre organisation, c'est qu'il n'y ait pas une trop grande distance entre l'État et le peuple. Si le peuple estime que «conjugal» renvoie au mariage et que l'État déclare autre chose, voilà qui ne dénote pas des relations harmonieuses pour un pays.
Le sénateur Cools: Merci. Mme Epp Buckingham, vous avez parlé il y a quelques minutes de la contestation éventuelle liée aux questions que vous soulevez. Selon certains, le projet de loi C-23 est l'objet prévu de la prochaine contestation, et les termes vagues en question -- «dans une relation conjugale» -- ne se trouvent pas dans le projet de loi par accident. Cela a été mis dans le projet de loi pour des raisons stratégiques. Avez-vous une opinion là-dessus?
Mme Epp Buckingham: Je crois que le fait de dire qu'il n'y a pas de consensus quant à la perception sociétale de la nature conjugale des couples homosexuels est une déclaration importante: je crois que le projet de loi vise à affirmer que, oui, ce sont des relations conjugales, et les couples homosexuels et hétérosexuels sont pareils selon la définition de conjoint de fait.
Je crois que ce projet de loi appuierait certainement, si ce n'était de l'article d'interprétation, l'idée d'une union de fait, et je pense que c'est pourquoi certains députés se sont opposés à l'inclusion de l'article. Avant que l'article 1.1 n'y soit mis, on croyait vraiment que ce serait un tremplin vers les mariages homosexuels.
Je ne sais pas si l'article 1.1 empêchera cela d'arriver, mais je pense que c'est de là que venait l'opposition à cette disposition particulière concernant le mariage.
La présidente: Je vous remercie d'être venue témoigner.
Le sénateur Fraser: Pour donner suite à un point soulevé par Mme Buckingham, pourrions-nous demander aux recherchistes de nous trouver une description plus complète de l'élément du régime de pensions? En lisant le projet de loi, je ne trouve pas cela: je n'ai pas les autres textes, et je ne connais pas les dispositions de partage des pensions.
La présidente: Nous allons faire cela et nous assurer que chacun des membres du comité en obtient copie.
Le sénateur Fraser: Merci.
La présidente: Le prochain groupe nous provient de diverses églises, de Toronto et d'ailleurs. Bienvenue. Je vous invite à prendre la parole.
M. Ibrahim El-Sayed, président, Toronto District Muslim Education Assembly: Je vous suis reconnaissant, honorables sénateurs, de nous donner l'occasion de comparaître devant un groupe si distingué. Je vous souhaite à tous la paix. Je transmets mes meilleurs voeux à tous.
Notre assemblée regroupe bien au-delà d'une vingtaine d'organisations situées un peu partout dans la ville de Toronto. Cela veut dire près de 300 000 personnes. Même si nous ne sommes que de Toronto, les idées que nous allons faire valoir sont représentatives de celles de près de un million de musulmans situés un peu partout dans ce beau pays que nous avons bâti et que nous avons choisi et il n'y aurait pas parmi nous de divergence d'opinions au sujet de cette question.
Je suis au Canada depuis 26 ans. J'en ai fait mon pays par choix. Je suis venu ici de mon propre gré. J'en suis reconnaissant. Je proviens de régimes et de systèmes qui, en termes relatifs, sont oppresseurs. Je remercie Dieu que nous ayons une démocratie, ici au Canada, que nous ayons la liberté d'expression, que nos droits bénéficient d'une protection légale.
D'après ce que nous voyons en tant que musulmans, ce dont nous sommes les témoins tous les jours au sein de notre collectivité, c'est que nos enfants nous sont ravis systématiquement devant nos propres yeux. Nous les perdons au profit d'un système qui mine à dessein la cellule familiale et le rôle et les responsabilités légitimes que celles-ci comportent. En tant que parents, nous voyons disparaître nos droits concernant les croyances, les valeurs morales, la religion et la culture que nous pouvons avoir, tandis que le système cède à rabais les droits de la famille à des entités non familiales. Par exemple, le réseau d'écoles publiques endoctrine nos enfants et leur empoisonne l'esprit à dessein avec toutes sortes d'attaques perpétrées contre les enseignements de notre confession, nos valeurs morales et notre culture. De même, par l'entremise d'organismes comme la société d'aide à l'enfance, le rôle des parents leur est enlevé, et nos enfants apprennent à se tourner contre leurs parents et à être rebelles, étant donné notre mode de vie en tant que musulmans. L'Islam enseigne l'obéissance et la soumission dans le contexte du processus institutionnalisé. Non seulement les droits de la famille ou des parents, mais aussi les droits des enfants leur sont retirés. Cela n'est pas correct. Nous nous opposons fortement à cela et préconisons que soient restaurés les droits des familles et des parents au Canada.
Je crois que la Charte canadienne des droits et libertés ainsi que le Code des droits de la personne de l'Ontario et la charte internationale, c'est-à-dire la charte des Nations Unies, donnent aux parents le dernier mot sur ce que vont apprendre leurs enfants. Je ne veux pas aller trop loin, mais j'ai affaire au système d'éducation dans la ville de Toronto, où on a instauré des politiques liées à l'orientation sexuelle et d'autres politiques qui minent nos droits.
La présidente: Monsieur El-Sayed, je vous rappelle que l'éducation au Canada est une question provinciale que nous ne sommes pas en train d'étudier en ce moment. Nous nous penchons sur le projet de loi dont il est question ici et nous aimerions connaître votre point de vue sur le projet de loi, et votre raisonnement.
M. El-Sayed: Je comprends. Je vais donner le reste de mon temps à M. Ali, qui fera l'exposé.
M. Mobarak Ali, Toronto District Muslim Education Assembly: Dans l'Islam, comme dans les autres régions, il ne peut y avoir d'union conjugale -- entre un mari et son épouse -- que dans le contexte d'un mariage régulier entre un homme et une femme. Cette union hétérosexuelle est légalement constituée et il n'y a pas d'autre formule légale d'activités conjugales et sexuelles, quels que soient les euphémismes utilisés.
De plus, le mariage entraîne la conclusion d'un contrat moral et juridique qui impose des devoirs importants et de lourdes responsabilités aux deux conjoints et aux membres de leur famille, dans l'intérêt supérieur de la société. Comme dans le cas de ces responsabilités et de ces obligations, des droits, des avantages et des privilèges spéciaux ne sont accordés qu'aux personnes mariées pour renforcer l'institution du mariage et les valeurs permanentes d'une société progressive et stable auxquelles cette dernière attache une grande importance.
Dans l'Islam, les privilèges des parents biologiques -- la mère et le père -- et des membres de la famille ne peuvent être partagés que dans des situations exceptionnelles et pressantes décrites dans la charia, (la loi islamique) elle-même. En aucun cas, quels que soient le droit, les prétextes et les intentions invoqués, ces droits, ces privilèges ou ces avantages ne peuvent être transférés à une autre entité inventée ou artificielle, utilisés à mauvais escient ou enlevés, quels que soient les termes choisis.
Dans toutes les langues du monde, le sens fondamental du terme «conjoint» est soit le mari soit l'épouse dans un mariage constitué régulièrement. Dans le mariage, le terme «mari» fait expressément référence à l'homme et, le terme «épouse», à la femme.
Ce n'est pas une coïncidence si, dans une famille, le terme «mari» fait référence à l'homme uni à son épouse dans un mariage régulier et vice versa dans le cas du terme «épouse». Cette union ne peut exister dans un autre contexte.
En se basant sur sa définition, l'Islam insiste sur le fait que le terme «conjoints» ne peut signifier que le mari -- l'homme -- et l'épouse -- la femme -- dans un mariage légalement constitué. Le terme «conjoint» ne peut être légitimement utilisé dans le cas d'aucun autre groupe, entité ou agent. Les personnes régulièrement mariées sont donc les seuls héritiers légitimes ou les seuls bénéficiaires de tous les droits, avantages ou privilèges que la société leur accorde, parce qu'eux seuls contribuent à préserver et à promouvoir la société en accomplissant leur devoir d'êtres humains civilisés, qui est la procréation légitime, dans l'intérêt supérieur de la société.
Comme il ne peut y avoir de conjoints -- un mari et une épouse -- que dans un mariage régulièrement constitué, il s'ensuit qu'aucun autre groupe ou catégorie n'a le droit d'être désigné par ce terme et ne peut bénéficier de leurs avantages exclusifs.
Ceux qui désirent vivre ensemble en tant que partenaires sexuellement actifs ne peuvent donc être désignés comme des conjoints. Cela serait absurde, de nature à rendre perplexe et créerait une confusion complète non seulement dans l'utilisation de ce terme lui-même, et cela aurait aussi de très graves conséquences pour la société. Cela soulèverait les questions des devoirs et des responsabilités et, plus gravement encore, des droits, des avantages et des privilèges.
La présidente: Monsieur Mobarak Ali, je dois vous interrompre pour signaler que vous avez dépassé les cinq minutes auxquelles je vous avais demandé de vous en tenir. Le comité a entre les mains votre mémoire. La plupart d'entre nous l'ont déjà lu, et nous le lirons à nouveau.
Vous pourriez peut-être passer rapidement à vos recommandations.
M. Mobarak Ali: Je dirai en conclusion que c'est une question très grave et très importante. Si important que soit le temps, il n'y a rien de plus important que cette question. En dernière analyse, celle-ci a une incidence sur la vie de tout les Canadiens, et surtout les familles, et non seulement les musulmans de Toronto. Sauf tout le respect que je vous dois, je crois qu'il faudrait allouer plus de temps. Je n'ai pas présenté la moitié de mon exposé encore.
Tout de même, je vais mettre en relief quelques points, puis passer à la conclusion. Nous espérons que cette question sera prise au sérieux.
Les homosexuels et les lesbiennes nient leur propre existence, ils nient l'existence de la famille, ils nient l'existence de la société et ils nient toute existence humaine et le devoir des membres de la société de procréer. Par leur mode de vie, les homosexuels favorisent la corruption morale, la déchéance et l'annihilation des êtres humains. Le fait d'encourager, de récompenser ou de favoriser d'aucune façon ceux qui ont choisi ce mode de vie est blâmable et inacceptable.
Nous recommandons que le projet de loi soit rejeté parce qu'il ne donne pas le bon message. Il faudrait investir les ressources dont dispose notre pays pour favoriser la mise en oeuvre de politiques dont le but est de renforcer l'institution sacrée du mariage, de préserver le caractère sacré de la famille et de défendre les précieuses traditions de notre société auxquelles nous sommes attachées, et non pas les saper.
La présidente: Merci beaucoup, monsieur Mobarak Ali. Cela me désole vraiment de devoir couper court à votre exposé. Nous avons tout de même averti tout le monde à l'avance: chacun dispose de cinq minutes pour présenter son exposé. De cette façon, nous sommes sûrs que les membres du comité aurons amplement de temps de poser des questions. Il y aura des questions, permettez-moi de vous rassurer là-dessus.
M. William Doyle, coprésident, «Church in Society Co-ordinating Group», Église unie du Canada: Madame la présidente, sénateurs, je représente l'Église unie du Canada, la confession protestante la plus nombreuse au pays. Deux millions et demi de Canadiens affirment faire partie de l'Église unie du Canada. La signification de cela se prête certes à diverses interprétations, comme c'est le cas pour toutes les confessions religieuses.
L'Église unie n'exige pas que les gens qui assistent à ses services ou participent à ses activités soient inscrits comme membres. Cet été, le Conseil général recevra un rapport important sur l'alternative dont il est question: faire partie de l'Église unie ou être un fidèle de l'Église unie. Il y a bien des chiffres officiels sur le nombre de membres, mais je ne les ai pas aujourd'hui.
Je suis bénévole pour l'Église unie. Le groupe dont je fais partie est responsable de la coordination des travaux pour la justice sociale et les droits de la personne à l'échelle nationale. Il existe d'autres organes qui font un travail semblable à l'échelle régionale.
De neuf à cinq, j'exerce le droit dans un cabinet privé à Winnipeg. Je peux donner certains exemples d'iniquité dont je suis témoin au quotidien, car une bonne part de mon travail concerne la communauté gaie et lesbienne de la ville de Winnipeg.
L'Église unie est structurée de telle sorte que son organe national est le Conseil général, qui se réunit tout les trois ans. C'est ce conseil qui prend les décisions relatives à la vie interne de l'église, mais aussi en ce qui concerne les sujets de politique publique comme celui dont il est question ici.
Depuis le milieu des années 70, les Conseils généraux de l'église soulignent la nécessité d'obtenir, pour les gais et les lesbiennes, les mêmes droits que ceux dont jouissent les autres membres de la société canadienne. Certes, le Conseil général de l'Église unie de Canada a pris un grand nombre de décisions, surtout depuis 1984. La décision prise cette année-là, à Morden, au Manitoba, visait à faire inclure dans la législation sur les droits de la personne la question de l'orientation sexuelle. En 1992, le Conseil général a décidé d'offrir les prestations de santé et de retraite et l'assurance pour les frais dentaires des employés de l'Église aux partenaires homosexuels. En 1997, le Conseil général a adopté une résolution pour appuyer une modification de la Loi de l'impôt sur le revenu visant à redéfinir le «conjoint», de telle sorte que les conjoints homosexuels sont sur le même pied que les conjoints hétérosexuels. Des assemblées régionales représentant diverses conférences ont aussi pris diverses décisions, au fil des ans, à l'égard des provinces en cause.
La première raison pour laquelle l'Église appuie le projet de loi C-23 concerne son engagement envers les droits à l'égalité de tous les êtres humains. Par leurs déclarations à l'appui des droits de la personne, nos conseils généraux successifs ont instamment demandé d'accorder un traitement égal aux gais et aux lesbiennes et de ne pas faire preuve de discrimination contre eux dans «l'emploi, les services et le logement», toutes choses auxquelles tout les Canadiens ont droit sans discrimination, selon la législation canadienne sur les droits de la personne. À titre d'employeur, l'Église unie du Canada veille depuis un certain nombre d'années à ne tenir aucun compte de l'orientation sexuelle dans l'embauche et la rémunération.
Le Conseil général a donc adopté, par exemple, en 1992, des politiques qui ont modifié les régimes de prestations de santé et de retraite et d'assurance dentaire de l'Église. En 1997, il a aussi pris position à l'égard de la façon dont les gais et les lesbiennes sont traités dans la Loi de l'impôt sur le revenu. Le principe de base qu'il évoque à l'appui de ces positions est celui de «l'égalité des avantages découlant de l'emploi» pour tous les employés, quelle que soit leur orientation sexuelle.
L'Église a aussi déterminé qu'il existe diverses questions pratiques auxquelles se trouvent en butte les gais et les lesbiennes qui essaient de se prévaloir des avantages établis au moyen des décisions ainsi prises. La façon habituelle d'accéder aux avantages est de passer par le trésorier de la congrégation locale, mais comme il arrive souvent que l'employé de l'Église n'ait pas déclaré ouvertement son homosexualité à la congrégation et qu'il ne l'a certainement pas déclaré au responsable à qui il s'adresse, nous avons pris des dispositions pour que l'employé puisse s'adresser directement au bureau national à Toronto, si bien qu'il n'a pas à se soucier de l'idée de révéler son choix à la congrégation.
La seconde raison pour laquelle l'Église s'intéresse au projet de loi est qu'elle souhaite que la loi soutienne le désir de permanence et de fidélité chez les couples, quelle que soit leur orientation sexuelle. Autrement dit, l'Église a pour politique d'aider les couples à demeurer monogames et exclusifs toute leur vie. Ces normes d'appliquent aux couples homosexuels autant qu'hétérosexuels. Le projet de loi est donc utile dans la mesure où il crée un cadre juridique dans lequel tous les Canadiens peuvent nouer pour la vie des relations que la société et la loi reconnaissent comme valables.
L'Église unie du Canada appartient au volet de la tradition chrétienne qui ne considère pas le mariage comme un sacrement. Elle n'en prend pas moins très au sérieux les voeux que les époux prononcent devant Dieu et en présence de témoins. Le Conseil général n'a pas voulu employer le terme «mariage» pour désigner l'union entre personnes de même sexe, mais il reconnaît que les fidèles, gais et lesbiennes, de l'Église veulent prendre le même engagement à vie que les couples hétérosexuels et prononcer leurs voeux solennels devant des témoins qui les appuieront dans leur engagement mutuel.
Le 34e Conseil général a donc demandé, en 1992, à la Division de la mission au Canada, dont je fais partie, de produire des ressources liturgiques et pastorales afin d'aider les partenaires de même sexe à rendre leurs relations permanentes en signant des «pactes» entre partenaires de même sexe.
Le troisième motif découlant de sa politique pour lequel l'Église appuie les modifications proposées dans le projet de loi est qu'il équilibre les droits et les responsabilités des deux partenaires dans l'éventualité d'une rupture de leur union. Le Conseil général a reconnu que, parfois, les couples évoluent de telle manière qu'il leur devient impossible de subsister et de durer jusqu'à la mort d'un des partenaires. Nous croyons que, lorsque c'est le cas, nous pouvons compter sur la grâce et la miséricorde de Dieu. L'Église ne condamne pas ceux qui décident que le divorce est la seule solution qui leur reste. Elle exhorte les communautés à aider les couples à éviter d'en arriver là en les aidant à bien préparer leur mariage, dans le cas des couples hétérosexuels, ou leur pacte entre partenaires de même sexe, dans le cas des couples homosexuels. Elle offre aussi des services de consultation et des cours d'enrichissement personnel. Mais au bout du compte, si les membres d'un couple ne peuvent continuer de cheminer ensemble, la grâce de Dieu et l'appui de l'Église leur demeurent acquis.
L'Église a des relations intimes et de la responsabilité mutuelle de leurs membres une haute opinion qui l'amène à insister auprès des couples qui se séparent -- quelle que soit leur orientation sexuelle -- pour que chacun des membres veille au bien-être de l'autre après la séparation. Ayant vécu une certaine interdépendance, ils continuent d'être responsables jusqu'à un certain point du bien-être l'un de l'autre même si leur relation intime prend fin. D'où l'argument de l'Église voulant que les personnes qui nouent des relations homosexuelles portent la même responsabilité que celles qui forment des couples hétérosexuels, notamment en matière de pensions alimentaires pour enfants et de soutien financier du partenaire avec lequel ils ont vécu longtemps une relation intime.
Bien entendu, cette responsabilité relève pour une bonne part des pouvoirs des provinces et de leurs lois concernant le partage des biens et le soutien du conjoint et des enfants. Il faut donc plus de travail à l'échelle provinciale pour que ce but particulier soit atteint.
En guise de conclusion, l'Église recommande d'appuyer le projet de loi et de l'adopter dans les meilleurs délais.
La présidente: Merci, monsieur Doyle.
M. Paul Fairley, directeur, Congregational Life, Metropolitan Community Church of Toronto: Honorables sénateurs, je vous suis reconnaissant de l'occasion qui m'est offerte de comparaître devant vous aujourd'hui en tant qu'homme gai aussi bien que chrétien, pour appuyer le projet de loi C-23. Après avoir entendu parler de tous les avantages que comporte le mariage hétérosexuel, je me prends à souhaiter que nous soyons là pour débattre d'un projet de loi sur ce sujet aujourd'hui, mais ce n'est pas à l'ordre du jour.
La Metropolitan Community Church of Toronto est une Église membre d'un regroupement de 300 Églises chrétiennes dans 17 pays qui comportent un ministère spécial pour les lesbiennes et les gais. Les services de notre Église attirent tous les mois de 1 000 à 1 500 personnes. À titre de membre d'une très petite minorité, je me sens le bienvenu au Sénat aujourd'hui.
MCC Toronto est toutefois la plus importante congrégation chrétienne progressive au Canada, selon nous. La communauté de MCC célèbre avec joie l'amour inconditionnel de Dieu tel qu'il s'est incarné dans la vie et les enseignements de Jésus de Nazareth.
Nous appuyons ce projet de loi parce qu'il défend les valeurs fondamentales que les Canadiens ont en commun -- la tolérance, le respect mutuel, la justice et l'égalité. À partir des principes de l'égalité et de l'équité, et pour l'intérêt public, les familles devraient avoir droit aux avantages prévus dans la Loi de l'impôt sur le revenu et la Loi sur la sécurité de la vieillesse -- nos familles à nous, aussi. Les familles devraient avoir accès aux avantages prévus dans la législation sur l'assurance-emploi -- nos familles à nous, aussi. Les familles devraient bénéficier du soutien de l'État pour un ensemble légalement défini d'obligations et de responsabilités -- nos familles à nous, aussi. Les familles devraient être en mesure de protéger leurs enfants -- nos familles à nous, aussi. Nous reconnaissons que les familles constituent la pierre angulaire de la société civile -- nos familles à nous, aussi.
Ce projet de loi met en application le principe selon lequel la reconnaissance de l'égalité des citoyens lesbiens et gais entraîne l'égalisation de l'accès aux avantages et des obligations définis dans la loi.
L'intolérance dont vous avez été les témoins durant ce débat fait partie de la vie quotidienne des citoyens lesbiens et gais du Canada. Dans le débat sur ce projet de loi, les opposants au projet ont essayé d'obtenir le soutien du Canadien moyen en soulevant des craintes au sujet de choses qui ne sont simplement pas vraies. Ils continuent à perpétuer les mythes et les demi-vérités qui font des Canadiens lesbiens et gais des êtres corrompus, malins, immoraux et maléfiques.
Les adversaires du projet de loi affirment que celui-ci limite la liberté de religion. S'adressant à ses téléspectateurs canadiens à la chaîne Vision TV, Jerry Falwell a déclaré publiquement que ce projet de loi donnerait aux services policiers canadiens l'autorité d'arrêter des ministres du culte qui refusent de marier les couples gais et lesbiens.
Les détracteurs donnent également à entendre que l'union sacrée entre les hétérosexuels mariés est en train d'être abolie, que le véritable mariage du coeur entre l'homme et la femme sera affecté on ne sait trop comment par l'adoption de ce projet de loi. Toutes ces faussetés ne révèlent en rien l'intention du projet de loi ou son effet éventuel.
Honorables sénateurs, ce projet de loi respecte la primauté du droit en défendant les droits fondamentaux des Canadiens lesbiens et gais en tant que citoyens libres et égaux. Il affirme la dignité de nos familles et ouvre les portes de la guérison et de la réconciliation en envoyant un message à nos parents, à nos familles et à nos amis, soit que nos unions sont dignes de respect et méritent d'être acceptées.
Notre Église est un foyer spirituel pour ceux qui ont vécu une vie de honte et de désespoir, non seulement pour qui ils sont, mais aussi pour la façon dont ils ont été caractérisés par d'autres groupes religieux, le plus souvent par d'autres à l'intérieur de leur propre confession religieuse. Le travail de notre communauté confessionnelle est un travail de guérison et de réconciliation, fondé sur les principes de la foi, de l'amour et de l'espoir.
La foi nous montre que Dieu est présent en nous et parmi nous, nous, les gais et lesbiennes du Canada, aussi bien que les gais et lesbiennes qui vivent une forme d'union. L'amour nous montre que nous pouvons vaincre la peur en nous acceptant ouvertement et honnêtement, et en acceptant les autres.
L'espoir nous projette dans l'avenir, un avenir où nous serons acceptés sans réserve dans la grande famille canadienne. Ce projet de loi est un pas important dans la bonne direction. Nous vous demandons donc de défendre les valeurs que constituent la tolérance, le respect mutuel, la justice et l'égalité en adoptant ce projet de loi.
Le sénateur Beaudoin: TRANSLATION MISSING
M. Doyle: TRANSLATION MISSING
Le sénateur Beaudoin: Monsieur Doyle, vous avez souligné qu'une partie de ce projet de loi relèvera peut-être des droits de propriété et droits civils, si je ne m'abuse. Le mariage et le divorce relèvent tous deux de la compétence fédérale. Le partage des biens relève peut-être des provinces pour une grande part, à moins que cela ne soit inscrit dans le projet de loi fédéral lui-même. Qu'entendez-vous par «biens»? Ce n'est là qu'un aspect de votre exposé.
M. Doyle: Je faisais allusion aux affaires de divorce dans lesquelles je suis engagé à titre d'avocat. Certes, la Loi sur le divorce entre en jeu, tout comme le Régime de pensions du Canada. Toutefois, la majeure partie de la législation qui s'applique aux conjoints en cas de séparation est provinciale, concernant le partage des biens, les demandes de pension alimentaire pour le conjoint et l'enfant, et ainsi de suite. Il y a aussi la législation provinciale sur les pensions.
J'entendais par là qu'il est nécessaire pour les provinces de modifier leur législation pour qu'il y ait concordance entre la législation fédérale et la législation provinciale, telle qu'elle se présente, si je ne m'abuse, dans trois provinces à l'heure actuelle.
La présidente: J'aimerais apporter une précision ici, pour tous nos témoins. C'est qu'il y a eu une confusion plus tôt. Apparemment, le terme «conjoint» dans la législation ne désigne que les couples hétérosexuels mariés. C'est le seul usage fait du terme. Il n'est pas question de conjoint de fait, ni de couple homosexuel ou hétérosexuel.
M. Doyle: L'argument que je soulevais ne concernait pas la définition du terme conjoint.
Le sénateur Beaudoin: Je comprends maintenant. Le projet de loi traite de plusieurs questions. Vous ne contestez pas le fait que cela relève de notre compétence, n'est-ce pas?
M. Doyle: Non, pas du tout.
Le sénateur Beaudoin: Vous dites simplement que les provinces, ayant compétence pour ce qui touche les droits de propriété et les droits civils, devraient appliquer l'égalité aux yeux de la loi et ainsi de suite, dans le domaine de la propriété. C'est votre argument sur le plan juridique, n'est-ce pas?
M. Doyle: Tout à fait.
Le sénateur Fraser: J'ai une question à poser à M. Doyle. Je ne suis pas sûre du terme exact qui a été employé, mais vous avez fait allusion à des services pour ce qui touche les pactes entre partenaires de même sexe?
M. Doyle: Oui.
Le sénateur Fraser: Auriez-vous l'obligeance de nous en parler un peu?
M. Doyle: L'Église unie du Canada reconnaît que, parmi ses membres et fidèles, il se trouve des gais et des lesbiennes qui souhaitent s'engager dans une relation permanente. Elle a pris des décisions en prévision du cas où les gens en question viendraient à l'église et voudraient être parties à un pacte.
De ce fait, l'Église a préparé des ressources pour que les gens en question puissent participer à un programme préparatoire s'apparentant à celui que suivent les conjoints hétérosexuels. L'Église unie a produit une série de services et de liturgies, et ainsi de suite, qui s'appliqueraient mieux à des conjoints de même sexe qui s'apprêtent à s'unir au moyen d'un pacte, plutôt que par les liens du mariage.
Le sénateur Fraser: L'église organise-t-elle les cérémonies en question avec toute la reconnaissance ecclésiastique voulue?
M. Doyle: Oui, les cérémonies en question sont organisées par l'église, reconnues par l'Église nationale. Il appartient au conseil de l'église individuelle dont il s'agit de décider si la congrégation organisera ce genre de service.
L'Église unie compte une série de congrégations disséminées dans le pays, les «congrégations affirmatives», pour ainsi dire, qui affirment que les gais et les lesbiennes sont bienvenus parmi eux. Certes, les congrégations en question autoriseraient ce genre de services. D'autres le feraient aussi, même si ce ne sont pas des congrégations affirmatives.
Le sénateur Fraser: Sur le plan pratique, je crois que la vôtre est la première organisation à venir nous voir pour dire qu'elle a constaté qu'il est possible pour un employeur et pour une organisation sociale d'en arriver à traiter également des conjoints de même sexe, des conjoints de fait, des conjoints hétérosexuels sans porter atteinte à l'intégrité du mariage: est-ce que je résume bien la chose?
M. Doyle: Certes, c'est la position de l'Église unie. Les décisions qui ont été prises à l'Église unie ne sont pas perçues comme étant des privilèges accordés à un groupe de personnes. Nous les voyons plutôt comme une question de droits à l'égalité. L'Église unie n'a pu le faire partout, car en ce moment, elle ne peut accorder de droits relatifs à une pension de retraite au partenaire d'un employé gai ou lesbien à cause des restrictions de la législation fédérale.
Le sénateur Fraser: À l'intérieur de son champ d'action, l'Église n'y voit aucune difficulté et n'a pas constaté que, dans les faits, cela affecte le mariage institutionnel?
M. Doyle: Pas du tout.
Le sénateur Joyal: J'aimerais poser une question à M. Mobarak Ali. Si je suis gai et que je suis musulman, quelle est ma position pour ce qui est de vivre avec une autre personne du même sexe?
M. Mobarak Ali: Premièrement, si vous étiez musulman, vous ne seriez pas gai.
La présidente: Veuillez vous assurer que le microphone est ouvert.
M. Mobarak Ali: Si j'ai bien compris votre question, si vous étiez vraiment musulman, vous ne pourriez être homosexuel, car ce serait de s'écarter radicalement des principes de base de la religion.
Le sénateur Joyal: Autrement dit, je ne pourrais être musulman si j'étais gai ou lesbienne?
M. Mobarak Ali: On ne saurait dire qu'on est à la fois musulman et gai. Ce serait comme dire: «je suis musulman, mais je ne crois pas en Dieu ni à la prière.»
Les activités sexuelles comme la fornication et l'adultère sont blâmables et prises au sérieux par l'Islam. Je présume que les autres religions font de même. Les enseignements ne font pas de compromis. Si vous êtes homosexuel, gai, quel que soit le nom que vous choisissez, c'est une transgression fondamentale de la doctrine de la religion. Ce serait une situation impossible. Si vous étiez un vrai musulman, vous ne vous appelleriez pas «gai». Vous ne pourriez vous trouver dans une situation difficile parce qu'à titre de musulman vous ne pourriez l'être. À titre de musulman, je ne consomme pas d'alcool et je ne commets pas l'adultère, je ne pourrais être gai et ainsi de suite. C'est logique.
Le sénateur Joyal: Autrement dit, la différence majeure entre l'Islam et le catholicisme romain, c'est que le catholicisme romain enseigne, si je ne m'abuse, qu'une personne gaie est considérée comme quelqu'un qui a besoin d'une aide et d'un soutien moraux, et qui serait toujours la bienvenue à l'intérieur de l'Église, même si l'homosexualité est un péché. Toutefois, la personne ne pourrait pas, du seul fait d'être gaie, ne pas être catholique. Si je comprends bien vos enseignements, si j'étais homosexuel, gai ou lesbienne, je ne pourrais dire que je suis musulman.
M. Mobarak Ali: À cette étape de la chose. Toutefois, il est également correct de dire que si vous étiez musulman et que vous deveniez homosexuel, gai ou lesbienne, selon le cas, vous auriez droit à des conseils. On jugerait que vous avez un grand besoin de conseils, de direction, de soutien moral.
Dans l'Islam, vous avez le droit de choisir. Vous auriez fait un choix, dont vous êtes responsable.
Si vous insistez pour être ce que vous souhaitez être et que cela contrevient aux principes de base de la religion, vous ne pouvez jouer sur les deux tableaux. Vous allez devoir être ce que vous êtes, du fait de votre propre choix, mais sans prétendre être musulman. Vous auriez droit à des conseils et à tout le soutien voulu, à toute l'aide nécessaire, pour vous rassurer ou pour vous aider à ne pas faire un choix qui contrevient aux enseignements fondamentaux et au système de croyances fondamentales.
Le sénateur Joyal: Fondamentalement, c'est pourquoi vous nous demandez de rejeter ce projet de loi, chose que les témoins précédents ne nous ont pas demandé de faire. Ils nous ont demandé d'inclure la définition d'un mariage, tel qu'elle se présente actuellement dans la common law, dans les divers articles du projet de loi omnibus.
M. Mobarak Ali: Oui, c'est notre demande, en tant que musulmans. Notre raisonnement ne découle pas de ce que serait le statut d'un musulman gai. Nous croyons que ce projet de loi envoie un mauvais message. Le mariage y perd de la valeur. On peut tirer des avantages de type matrimonial sans se marier au sens où l'Islam et les autres religions l'entendent, c'est-à-dire une union hétérosexuelle; non pas une union de fait hétérosexuelle, et surtout pas une union homosexuelle ou lesbienne, ou quelque autre forme que ce soit de relation sexuelle. Nous croyons que ce projet de loi mine l'institution du mariage et de la famille, et les traditions et valeurs fondamentales de la société. Pour ces raisons, nous affirmons qu'il est blâmable.
Nous croyons que les raisons invoquées pour appuyer ce projet de loi, soit l'équité et les droits de la personne, constituent une farce et qu'elles ne servent qu'à brouiller la question. Elles servent de prétexte.
Il y a peut-être au Canada des centaines de milliers d'immigrants qui ne sont pas citoyens canadiens. Ils ont aidé à bâtir le pays. Ils sont ici et ils vont mourir ici. Pourquoi ne pas leur accorder le passeport et les droits propres au citoyen? Sauf tout le respect que je vous dois, nous savons tous que cela ne se produira pas tant qu'ils n'auront pas décidé de changer leur statut et de devenir citoyens canadiens. Ils ne peuvent bénéficier de la qualité des soins canadiens au moment où ils sont simples immigrants ayant reçu le droit d'établissement, même s'ils vivent ici jusqu'à la mort. En fonction de ce principe, si le projet de loi prend pour critère l'équité, alors ouvrons la porte toute grande.
Et qu'en est-il de la polygamie? Notre religion nous permet d'avoir quatre mariages en bonne et due forme, pas quatre maîtresses. Nos préoccupations sont nombreuses.
Ce projet de loi comporte des lacunes fondamentales. Il ne vise qu'à récompenser et à promouvoir un mode de vie qui nie l'existence des gens, de la famille, de la société, qui nie l'existence humaine. Il ne faut pas promouvoir et récompenser cela en prévoyant des droits familiaux, des privilèges familiaux et des prestations familiales au nom de l'équité, des droits de la personne et du droit. Si nous faisons cela, tous les autres groupes devraient être inclus, même si nous ne prétendons pas qu'ils devraient l'être. De cette façon, il serait plus logique de dire que cela est une question d'équité. Une mère et un fils qui vivent ensemble, deux frères qui vivent ensemble, deux étudiants qui vivent ensemble devraient avoir les mêmes droits. Cela nous met sur la pente glissante qui encouragera toutes sortes de corruption et de confusion dans la société.
Il s'agit ici de miner la famille, les traditions et le mariage lui-même. Le message transmis est condamnable. Pour poursuivre l'analogie, l'immigrant n'aurait pas besoin de se prêter aux formalités nécessaires pour devenir citoyen et obtenir un passeport. Ce serait son droit, puisque ce serait un droit fondamental. C'est une question d'égalité.
Durant mon exposé, j'ai employé de nombreuses analogies pour démontrer que nous ne pouvons prétendre avec une quelconque légitimité que c'est là une question d'égalité, d'équité ou de droits de la personne, car il existe de nombreux groupes qui méritent le même traitement. Nous ne pouvons choisir d'accorder aux seuls homosexuels des privilèges que d'autres groupes méritent aussi.
Le sénateur Joyal: Je ne suis pas d'accord pour dire que les jugements de la Cour suprême du Canada et des divers tribunaux du pays qui ont eu à se pencher sur la question de la reconnaissance de l'égalité des citoyens constituent une farce. Cela m'indigne. Comme vous le savez très bien, il y a eu depuis quinze ans un grand nombre de jugements sur des questions reliées à la non-discrimination envers les gens qui ont décidé de vivre comme ils le veulent, conformément à leurs propres principes et à leurs propres croyances. Vous comprendrez, à écouter les divers témoins que nous avons accueillis aujourd'hui, qu'il n'y a pas une seule et unique façon d'être canadien. Il y a bien des façons, et chacune est égale devant la loi, et tous les Canadiens sont égaux devant la loi. C'est cela qui est le fondement du projet de loi.
Nous vous avons entendu dire, comme des témoins précédents, que ce projet de loi envoie un mauvais message aux Canadiens. J'aimerais savoir ce qu'en pensent MM. Doyle et Fairley.
M. Fairley: Je pense que la loi envoie exactement le message contraire. Je compte dans ma clientèle des gens qui ont été séparés de leur famille parce que leurs parents se sont fait dire qu'ils ne devraient pas accepter que leurs enfants soient des gais ou des lesbiennes. J'ai un ami proche qui est membre de notre confession et qui célèbre des cérémonies d'union pour les couples. Nous célébrons aussi des mariages hétérosexuels. J'ai une amie dont la famille a été divisée parce qu'elle a choisi de vivre ce type de relation; son père n'acceptait pas qu'elle soit lesbienne, mais sa mère, elle, l'acceptait. Eh bien, elle n'a pas été capable de téléphoner à sa mère pour la Fête des Mères parce que son père avait bloqué les appels provenant de son numéro de téléphone.
La voix du Parlement envoie aux Canadiens un message sans équivoque, selon lequel nous formons des relations qu'il est possible de reconnaître et selon lequel la norme qui s'applique à nous sera la même que celle qui s'applique aux couples dont les membres sont de sexe opposé. Elle envoie un très solide message selon lequel notre relation est égale devant la loi.
M. Doyle: En réponse aux Canadiens et aux membres de l'Église unie qui remettraient en question la position de l'Église unie -- et il y a certes des membres qui le feraient -- j'aimerais répéter le commentaire que j'ai fait.
Tout d'abord, vous pouvez ou non comprendre les gais et les lesbiennes et être d'accord avec eux, mais ils existent bel et bien et devraient avoir les mêmes droits que tout le monde. Vous pouvez ne pas comprendre leur relation ou ne pas être d'accord avec elle, mais il vous faut adopter la position de l'Église selon laquelle nous devrions les encourager à vivre une relation monogame et durable. Vous pouvez ou non être d'accord avec leur relation, mais lorsqu'il y a rupture d'une telle relation où il y avait dépendance financière, un conjoint devrait pouvoir obtenir un soutien financier de la part de l'autre conjoint, plutôt que d'être laissé dans la dèche et que le gouvernement doive s'occuper de lui procurer un soutien.
Selon moi, ce sont là trois principes clairs, faciles à comprendre et avec lesquels il est difficile de ne pas être d'accord.
M. Fairley: Cela envoie également un solide message selon lequel le Parlement est prêt à agir de façon à promouvoir l'égalité et la justice dans la société.
J'incite les membres des communautés musulmanes à se prévaloir, s'ils estiment que leurs droits et leur liberté religieuse sont d'une façon ou d'une autre violés, des recours que prévoient les lois en vertu desquelles les arguments sont présentés aujourd'hui. Je leur souhaite de réussir. C'est le message -- nous sommes ici au Parlement, nous sommes ici au Sénat et ce sont eux qui maintiennent les valeurs fondamentales de notre société. J'estime que tous les Canadiens peuvent être heureux de pouvoir compter sur un régime parlementaire qui fonctionne. Nous avons une constitution qui est respectée. Moi aussi je serais heureux de détenir un passeport d'un pays de ce genre.
M. Mobarak Ali: C'est précisément le mauvais message que nous envoyons. Nous ne voulons pas amener nos enfants et la prochaine génération à croire qu'il est normal d'être homosexuel. S'il y a des gens qui vivent une telle relation, ne nous disons pas qu'ils n'en ont pas le droit -- ce devrait aussi être pour vous un message clair de la communauté musulmane -- qu'ils n'ont pas le droit de faire ce choix. Je pense que j'ai laissé entendre cela dans ma réponse à votre première question. Ils doivent assumer les conséquences de leur choix. Ils ne peuvent faire un choix qui contrevient à celui de la majorité bien-pensante -- qui établit les règles -- puis revenir pour obtenir des avantages supplémentaires de la part du système. Si nous nous servons de cet argument, nous pouvons dire que les gens qui ont une dépendance -- qu'il s'agisse de toxicomanes, d'alcooliques ou d'adeptes du tabac -- ont des droits semblables. Plutôt que de leur offrir un counselling pour les amener à changer leurs habitudes, à s'améliorer et à procurer des avantages à la société, nous les récompensons et les poussons à poursuivre dans la même voie. C'est précisément le mauvais message qui est envoyé.
Nous reconnaissons que ces personnes appartiennent à un groupe particulier. Leurs besoins sont uniques. Nous ne disons pas qu'ils ne sont pas libres d'être homosexuels. Par exemple, il y a une différence entre des citoyens et des immigrants. Les deux ont des droits, mais seuls les citoyens peuvent voter et posséder un passeport, comme le prévoit la Constitution canadienne. Je serais fier du Canada si tous les immigrants ici au pays pouvaient voter et avoir un passeport dès maintenant. Alors nous parlerions d'égalité et de justice. Ne parlez pas seulement des problèmes des homosexuels: portez la question devant le Parlement.
La présidente: Monsieur Ali, je ne crois pas qu'il y ait un pays au monde qui permette à des immigrants de fraîche date de devenir immédiatement citoyens. Au Canada, nous croyons beaucoup à la règle de droit, et nous la respectons. À l'heure actuelle, les lois du pays disent que vous pouvez présenter une demande après trois ans et que vous devez être ici depuis cinq ans avant de pouvoir devenir citoyen.
Le sénateur Beaudoin: C'est maintenant trois ans.
Le sénateur Cools: M. Ali donne à entendre que l'homosexualité est un choix, que les gens peuvent choisir de devenir ou non homosexuels. Voilà une question qui n'a pas été abordée par le comité et qui ne le sera probablement pas parce que, comme l'ont mentionné plus tôt certains témoins, nous devons examiner le projet de loi, mais il y a eu remarquablement peu de débats ou d'études qui ont été faits sur l'une ou l'autre de ces questions au Parlement du Canada. J'appartiens au groupe selon qui nombre de ces questions doivent vraiment obtenir un solide soutien.
Monsieur Fairley, vous avez déclaré que ce projet de loi permettra à nombre d'homosexuels de se débarrasser de la honte et du désespoir. Je pense que tout le monde assis ici autour de la table est bien conscient des tensions qui se produisent dans les familles, souvent en raison de l'homosexualité de l'un ou l'autre de leurs membres. Dans l'exemple que vous avez donné -- au sujet de la personne qui ne pouvait parler à sa mère -- il y a bien des gens comme ça. Cela ne fait aucun doute. Dans le cas de cette personne, j'aimerais savoir ce qui suit: en quoi ce projet de loi modifiera-t-il la situation? Je pose cette question parce que, autour de la table et dans toute la discussion, on insiste pour évacuer la moralité du débat et ne s'attacher qu'à la loi. Cependant, d'après ce que vous disiez, la loi et la moralité devraient ne faire qu'un -- et voilà que vous dites l'opposé. Vous nous disiez que ce projet de loi ferait ressortir les valeurs morales du cas que vous avez décrit -- celui de la personne que vous connaissez qui ne pouvait communiquer avec ses parents. Il y a bien des cas comme ceux-là, des dizaines et des dizaines de cas semblables.
J'aimerais que vous nous parliez de cette question de droit et de moralité. Je ne sais pas si le révérend Brent Hawks est toujours à l'église, mais il s'agit d'une question importante. À quoi avons-nous affaire dans ce cas? Parlons-nous de moralité? Est-ce que nous proposons des lois que vous appuyez parce que vous croyez qu'elles établiront une norme morale?
M. Fairley: Je pense que vous m'avez posé trois questions. J'y répondrai dans l'ordre inverse.
Je pense que cette loi établira un ensemble de faits concernant la nature des relations qui existent dans des couples dont les membres sont de sexe opposé et dans d'autres couples où ils sont de même sexe. Ces faits juridiques guideront les gens, comme les parents de mon amie, pour les aider à prendre des décisions d'ordre moral. Ce n'est pas une loi qui découle d'un précepte de moralité; il s'agit plutôt d'une loi qui engendre une situation à partir de laquelle les gens peuvent faire leurs propres choix moraux. Je pense que cela répond à votre deuxième question.
Votre première question était celle-ci: a-t-on le choix ou non de devenir homosexuel? Honnêtement, je ne sais pas. À mes yeux et à ceux de bien des gens à qui je parle, cela ne semble pas être un choix. S'il s'agit bel et bien d'un choix, ce serait selon moi probablement un choix analogue à ceux que doit faire une personne à diverses étapes de sa vie: adopter une religion particulière, se marier ou choisir de devenir membre d'un parti politique. Si c'est le cas, les gais et les lesbiennes du Canada auraient toujours droit aux mêmes mesures de protection prévues dans les lois du Canada en fonction, là encore, de l'état civil, de l'affiliation politique et d'autres choses du genre. Même si c'est mon choix, et d'après mon expérience personnelle, ce n'en est pas un, cela n'élimine pas l'impératif de protection et de garanties que nous accordons à tous les citoyens en vertu de la Charte.
Le sénateur Cools: Il s'agit d'une question pour laquelle il n'y a en grande partie pas encore de réponse. Les droits issus de la Charte sont-ils accordés aux gens parce qu'ils sont des autres humains ou relèvent-ils de la sexualité? Autrement dit, est-ce que les homosexuels ont des droits parce qu'ils sont des êtres humains ou parce qu'ils sont des homosexuels? Il y a une grosse différence.
M. Fairley: Je ne suis pas un avocat de droit constitutionnel.
Le sénateur Cools: Ce qui me trouble dans ce projet de loi, c'est que je ne comprends pas pourquoi le gouvernement ne peut établir de mesures législatives qui satisfont aux intérêts sociaux de notre pays. Je ne comprends pas pourquoi le gouvernement ne peut établir un texte législatif qui fait ce qu'il est censé faire, avec ses intérêts -- ses avantages -- sans, en même temps, provoquer la colère d'autres parties de la collectivité.
M. Doyle: Je vais risquer une réponse, sénateur. Bien sûr, il faut que je trace une mince ligne entre ma position ici au nom de l'Église unie du Canada, pour représenter les décisions qu'a prises l'Église, et mon opinion personnelle, qui ne vaut probablement pas grand-chose pour le Sénat.
Si la question avait trait à la définition de «relation conjugale», il serait facile pour le gouvernement d'en inclure une définition dans la loi. Bien sûr, elle devrait être soumise à l'interprétation des tribunaux, selon les diverses situations qui se produisent avec le temps.
Jusqu'ici, le problème dans tant de situations où une personne prétend avoir été victime de discrimination -- par exemple les gais et les lesbiennes dont nous parlons aujourd'hui -- c'est que, pour obtenir réparation, elles doivent dépenser beaucoup de leur argent personnel pour porter l'affaire devant les tribunaux. Sur le strict plan de la personne, il serait préférable selon moi que le texte soit aussi clair que possible.
Je ne sais pas si le texte législatif pourrait être rédigé d'une façon qui ne déclenche pas la colère et qui satisfasse tout le monde. Je me demande si c'est possible au Canada, pays pluraliste où la diversité est très marquée.
Selon l'expérience de l'Église unie, confession qui accueille les gens les plus divers, cela n'est peut-être pas possible, ce qui ne l'empêche pas de tenter d'y arriver par divers processus décisionnels plutôt que par les processus habituels de prise de décision démocratique qui sont plus féministes et tentent de déboucher sur une décision axée sur la conciliation et de tenir compte de nombreuses opinions différentes plutôt que de recourir à un appel aux voix. Je ne sais pas si c'est ça qui va se produire dans cette situation.
Le sénateur Cools: Monsieur Doyle, de nombreuses opinions et idées ont été exprimées devant la ministre. L'une des questions que je continue de poser est la suivante: comment détermine-t-on l'existence d'une relation conjugale? Lorsqu'il y a le mariage, le certificat de mariage l'établit. Dans le cas qui nous occupe, où une certaine situation est définie de façon très lâche, comment détermine-t-on s'il y a relation conjugale? Si deux personnes vivent ensemble, l'une peut dire: «Nous vivons une relation conjugale», tandis que l'autre peut dire «Non, ce n'est pas le cas.»
Ce n'est pas comme si le projet de loi qui nous occupe avait été rédigé de telle façon qu'on puisse obtenir de la part de ces personnes leur propre déclaration. Je ne sais pas pourquoi la ministre n'a pas choisi les options. Nombre de propositions lui ont été faites, des partenariats familiaux, entre autres. Elle a toute une panoplie de choix. Voilà la solution qu'elle a choisie. C'est celle que je ne peux appuyer -- ce libellé particulier, parce qu'il est si vague.
Qu'est-ce qui arrive, par exemple, dans le cas où une personne peut avoir deux ou trois relations conjugales qu'elle mène de front? Ce que je n'arrive pas à comprendre, et ce que personne ne peut m'expliquer, c'est la nature d'une relation conjugale et comment l'existence d'une telle relation est déterminée. Personne ne peut me dire cela.
M. Doyle: Je ne suis pas très familiarisé avec le projet de loi, mais en pratique, je crois que si je vis une relation conjugale avec un conjoint et que je déclare cette relation à des fins fiscales, je déclarerais cela sur mon formulaire d'impôt de la même façon que les conjoints de fait de sexe opposé le font aujourd'hui. Les lois différentes d'aujourd'hui ont des exigences différentes. Vous pouvez devoir signer une déclaration solennelle en vertu du Régime de pensions du Canada. Selon moi, cela fonctionnerait de la même façon.
La confusion que vous avez signalée au sujet de la définition de «relation conjugale» existe déjà dans la Loi sur le divorce. En vertu de cette loi, on détermine souvent la date de séparation comme étant celle où l'un des deux conjoints quitte le foyer conjugal. Cependant, il est possible en vertu de la Loi sur le divorce et de décisions antérieures du tribunal de vivre séparément sous un même toit. Par conséquent, les parties peuvent mentionner ce fait, et quelques choses du genre sont alors prises en considération. Comment la collectivité perçoit-elle la relation? La collectivité et les membres de la famille savaient-ils que ces personnes vivaient séparées sous un même toit, ou est-ce du ouï-dire? C'est le même genre de question.
Le sénateur Cools: Votre exemple est intéressant, mais je ne pense pas que nous puissions l'utiliser. M. Trudeau a adopté un projet de loi il y a bien des années et a déclaré que l'État n'a pas d'affaire dans le lit des citoyens.
Selon moi, ce projet de loi fera entrer l'État dans la chambre à coucher des citoyens. En ce sens, je considère que le projet de loi est rétroactif. Je tiens à souligner qu'on n'arrive pas à me faire changer d'idée simplement en m'accusant d'être homophobe, pas moi.
M. Doyle: Je ne comprends pas ce que vous voulez dire par des accusations d'homophobie, mais je ne suis pas d'accord avec vous.
Le sénateur Cools: Très bien. Ce que j'essaie de dire, c'est que le projet de loi devrait être rédigé de telle façon que, comme pour le mariage, ce sont les obligations inhérentes aux relations, autrement dit l'engagement, qui sont légiférées -- un engagement volontaire pris entre partenaires, plutôt que le vice, le sexe ou une activité charnelle. Je ne connais aucune autre loi qui ait été rédigée de la sorte, qui procure des avantages en fonction d'une activité charnelle ou sexuelle. Les avantages devraient découler d'obligations librement accordées.
Peut-être que je suis un peu à côté du sujet. Ce que j'essaie de dire, c'est que l'engagement et l'obligation sont reconnus comme louables par la société, pas l'activité sexuelle.
M. Doyle: Je suis loin d'être en désaccord avec vous. Selon moi, le projet de loi qui nous occupe ne dit pas cela. Le fait que deux personnes qui vivent une relation conjugale aient des relations sexuelles ou pas n'est qu'un seul des facteurs décrits dans la définition à laquelle j'ai fait allusion plus tôt.
Le sénateur Cools: Vous êtes d'accord avec moi. C'est ainsi qu'il devrait se lire.
M. Doyle: Peut-être. À Winnipeg, je connais beaucoup de couples gais dont les membres sont ensemble depuis 15, 20 ou 35 ans. Je ne sais pas s'ils ont des relations sexuelles, et personne ne leur pose la question. Cependant, il n'y a pas de doute dans mon esprit que, selon cette définition, ils vivent dans une relation conjugale.
Le sénateur Cools: Selon moi, c'est là le problème. Cette loi pose cette question. Quelqu'un devra prendre la décision. Voilà le problème que je vois dans ce projet de loi. La seule chose dont je parle à propos de cette loi concerne ces trois ou quatre mots. Il y aurait eu une meilleure façon de faire.
La présidente: Les mêmes objections n'ont-elles pas été soulevées en ce qui concerne l'octroi de prestations aux conjoints de fait de sexe opposé?
Le sénateur Cools: Quelles objections?
La présidente: Celles que vous formulez, sénateur Cools.
Le sénateur Cools: Vous parlez d'il y a trente ans? Je ne comprends pas la question. Pourriez-vous la reformuler?
La présidente: Les objections selon lesquelles l'État n'a pas d'affaire dans la chambre à coucher des citoyens n'ont pas été soulevées lorsque les prestations ont été appliquées aux conjoints de fait de sexe opposé.
Le sénateur Cools: Si nous voulons commencer à parler de cela, il nous faudra aller plus loin. Je n'avais pas la parole à ce sujet.
La présidente: Je devrais poser la question à ces messieurs qui sont devant nous.
Le sénateur Cools: Je suis désolée. Je pensais que vous me posiez la question.
M. Fairley: J'ai des mots pour définir les relations conjugales qui, si je me fie à vos commentaires antérieurs, sénateur, ne vous convaincront pas, de sorte que je ne vais pas les répéter. Cependant, la perception sociale d'un couple est l'un des principaux facteurs de l'existence ou de l'absence d'une relation conjugale.
Nous avons tous des amis que nous reconnaissons comme des colocataires. Nous avons d'autres amis en qui nous voyons manifestement des conjoints. Les obligations sont prévues automatiquement dans le projet de loi, mais pour obtenir un accès égal aux prestations prévues dans ce projet de loi, il faudra une déclaration publique de l'état de la relation, que ce soit par l'entremise d'un employeur ou par l'entremise de formulaires gouvernementaux comme la déclaration de revenu.
Dans bien des endroits partout au pays, M. Doyle a parlé en détail des mesures que l'Église unie du Canada, l'une des églises qui affirme le plus les droits des gais et des lesbiennes, doit encore mettre en place pour protéger l'identité de ses employés qui sont des gais ou des lesbiennes en raison de la discrimination dont ils font l'objet.
Dans de nombreuses administrations de partout au Canada, les gais et les lesbiennes ont peur de déclarer ouvertement qu'ils vivent une relation conjugale. Que ce projet de loi soit ou non adopté, il y aura encore des barrières sociales qui priveront les gais et les lesbiennes d'un accès à des droits civiques égaux.
Le sénateur Cools: C'est là que j'ai commencé.
M. Fairley: Nous parlons de la même chose.
La présidente: S'il n'y a pas d'autres questions, je vais vous remercier, messieurs, d'être venus nous parler.
Honorables sénateurs, nous avons maintenant une délégation de la Nation naskapie de Kawawachikamach. Messieurs, bienvenue. Nous vous écoutons.
M. John Mameamskum, directeur général, Nation naskapie de Kawawachikamach: Madame la présidente, nous savons que vous avez une longue journée devant vous et allons donc abréger notre exposé. Nous espérons que vous lirez intégralement notre mémoire au moment qui vous conviendra.
La Bande naskapie a signé un accord complet sur les revendications territoriales le 31 janvier 1978. C'était le deuxième accord du genre signé au Québec, après la Convention de la baie James et du Nord québécois. Conformément, à l'article 7, le gouvernement fédéral a entrepris d'adopter la loi sur l'autonomie gouvernementale pour la Bande naskapie du Québec. Le mémoire que nous avons présenté à la Chambre des communes et ici au Sénat aborde les droits issus de traités pour lesquels nous nous sommes battus si longtemps.
L'opposition des Naskapis aux modifications proposées n'a rien à voir avec l'objectif déclaré du projet de loi C-23. Les Naskapis estiment que l'article 25 de la Charte accorde expressément la primauté aux droits issus de traités, plutôt qu'aux droits prévus par la Charte, de sorte que les modifications projetées dans le projet de loi C-23 au sujet de la Loi sur les Cris et les Naskapis ne seront pas nécessaires.
De plus, les Naskapis estiment que si le gouvernement souhaite modifier les droits issus de traités des Naskapis en vertu de la Loi sur les Cris et les Naskapis, il devrait tout d'abord consulter les Naskapis et obtenir leur consentement avant de procéder aux modifications. Dans le cas qui nous occupe, le gouvernement n'a nullement tenté de consulter les Naskapis avant de présenter le projet de loi C-23 à la Chambre des communes.
Les modifications de la Loi sur les Cris et les Naskapis (du Québec) prévues dans le projet de loi C-23 contreviendront au droit de résidence des Naskapis. Ces modifications contreviendront aux droits issus de traités des Naskapis en permettant à une nouvelle classe de non-Naskapis d'habiter sur des terres de catégorie [TS1]IA-N sans autorisation de la part des autorités locales naskapies et sans égard aux coutumes des Naskapis. Les Naskapis ne veulent pas se soustraire de façon générale aux dispositions de la Charte. Cependant, les modifications apportées à la Loi sur les Cris et les Naskapis sont injustifiées et inconstitutionnelles parce que l'article 25 de la Charte protège les droits issus de traités lorsqu'ils sont incompatibles avec les dispositions de la Charte.
Les Naskapis n'ont pas été consultés au sujet des modifications de la Loi sur les Cris et les Naskapis avant le dépôt du projet de loi C-23. Voilà qui ne fait pas honneur à la Couronne dans ses relations avec les Naskapis. De plus, une fois que le Parlement a adopté les modifications, le gouvernement utilise manifestement une ruse lorsqu'il prétend qu'une consultation subséquente avec les Naskapis peut avoir un sens, si tant est que les Naskapis acceptent même de participer à la consultation à cette étape.
Nous allons arrêter ici notre exposé. Nous voulions faire valoir notre argument. Nous vous demandons à nouveau de lire intégralement notre mémoire. Nous sommes prêts à toute question que vous pouvez avoir au sujet de notre position.
Le sénateur Fraser: Je suis désolé, je n'ai pas lu votre mémoire et je suis un peu perplexe. D'après ce que je comprends, vous pensez qu'il y a eu, si vous voulez, un empiétement sur vos pouvoirs, mais quelle est la nature de vos problèmes? Quels articles du projet de loi vous préoccupent?
M. Robert Pratt, conseiller juridique, Nation naskapie de Kawawachikamach: Comme nous l'avons dit plus tôt devant le comité de la Chambre, l'opinion sur l'essentiel des modifications est sujette à débat dans la communauté naskapie, et la communauté naskapie aurait consulté ses membres si elle avait été invitée à se prononcer avant le dépôt du projet de loi.
La position des Naskapis n'a rien à voir avec l'essentiel des modifications. Cela n'a rien à voir avec le fait qu'elle soit pour ou contre les homosexuels. Sa position concerne les droits issus de traités, parce que l'une des lois qui vont être modifiées par le projet de loi C-23, la Loi sur les Cris et les Naskapis (du Québec) expose des droits issus de traités. Pourquoi? Parce qu'elle est le fruit d'une chose qui est abordée dans le traité, la Convention du Nord-Est québécois. À l'article 7 de cette Convention, on dit que le Canada et les Naskapis discuteront des dispositions de la législation spéciale sur l'administration locale des Naskapis. Ces discussions ont eu lieu au cours d'une période de quatre ans, et il en est résulté la Loi sur les Cris et les Naskapis (du Québec). Par conséquent, la loi enchâsse de fait les droits issus de traités.
Je vais vous donner un exemple. L'une des modifications proposées dans le projet de loi vise à modifier la définition de «conjoints» de façon qu'elle inclue les conjoints de fait de même sexe ou de sexe différent parce que cette définition n'existe pas dans la loi. Le terme «conjoints» est utilisé dans divers contextes dans la loi. Celui qui nous intéresse concerne les personnes qui peuvent vivre sur les terres naskapies. Évidemment, les Naskapis peuvent vivre sur les terres des Naskapis, peu importe s'ils sont homosexuels et sans égard au type de relations qu'ils entretiennent. Ils peuvent y vivre simplement parce qu'ils sont naskapis. Cependant, en vertu du traité et de la Loi sur les Cris et les Naskapis, certains types de non-Naskapis ont le droit d'y vivre, et ils appartiennent à deux catégories: un conjoint qui a épousé un Naskapi conformément aux lois de la province; ou un conjoint non naskapi et non marié qui vit avec un Naskapi conformément aux coutumes naskapies. Ainsi, en raison de cette modification, des non-Naskapis pourraient vivre sur des terres naskapies sans le consentement des autorités locales naskapies et sans égard aux coutumes locales des Naskapis, tant et aussi longtemps qu'ils vivent ensemble durant un an et sans égard au fait qu'ils soient de même sexe ou d'un sexe différent. C'est un droit issu de traités.
Ainsi, le gouvernement nous dit: «Voilà. Ces gens peuvent désormais vivre sur vos terres et vous n'avez rien à dire». Selon nous, ce n'est pas seulement une question de droit de traités: le gouvernement n'avait même pas le droit de faire cela parce que cela relève de la Charte. En fait, l'article 25 de la Charte mentionne que s'il y a conflit entre un droit issu de traités et un droit garanti par la Charte, c'est le droit issu de traités qui prévaut. Le libellé est très simple.
Le sénateur Fraser: Est-ce que c'est ce que ça dit?
M. Pratt: Oui. Si vous voulez, je vais vous le lire.
La présidente: C'est à la page 6 du mémoire.
M. Pratt: Les Naskapis ne veulent pas être exemptés des dispositions de la charte. Ils disent tout simplement que lorsqu'il y a conflit entre un droit prévu dans la Charte et un droit issu de traités, c'est ce dernier qui l'emporte. Ainsi, tout ce que nous disons au gouvernement, c'est: «Si vous souhaitez modifier ce traité, cette disposition législative, venez d'abord nous en parler. Nous consulterons nos membres. Dans l'intervalle, veuillez rayer ces modifications. Elles ne peuvent figurer dans le projet de loi, parce que vous ne nous avez pas consultés et que vous n'avez pas obtenu notre accord.»
Le gouvernement nous a invités à venir lui parler. Nous sommes allés voir un représentant du ministère de la Justice, et il nous a dit: «N'y pensez pas. Nous ne pouvons modifier cette loi. C'est tout à fait impossible. Si nous la modifions, tout le monde nous tombera dessus.» Alors, nous lui avons répondu: «D'accord. Si vous ne pouvez modifier cette disposition, donnez-nous un engagement de la part de la ministre selon lequel elle n'appliquera jamais cette disposition sans notre consentement.» On nous a répondu: «Désolé, nous ne pouvons pas faire cela non plus.»
La ministre de la Justice est venue témoigner devant votre comité jeudi dernier et elle vous a déclaré que les Naskapis ne contestent pas la substance de cette modification. C'est faux. C'est une observation totalement erronée. Nous avons dit très clairement dans notre mémoire au comité de la Chambre que les Naskapis sont divisés sur cette question, mais qu'ils seraient tout à fait d'accord pour la mettre aux voix et en venir à une entente avec le gouvernement.
Cependant, notre mémoire ne concerne pas l'essentiel de cette question. Il concerne la façon dont cela est fait. C'est en contravention directe du traité. Tout ce que nous vous demandons, c'est de rayer cela. Nous allons en discuter avec vous. On pourra réintroduire la disposition dans un projet de loi subséquent. C'est tout. J'espère que je me suis exprimé clairement.
La présidente: Je citerai ce que la ministre nous a dit, et cela devrait être inscrit dans le compte rendu, parce que vous y faites directement allusion. Ça se lit comme suit:
Dans le cas des deux lois qui touchent les peuples autochtones, la Loi sur les Indiens et la Loi sur les Cris et les Naskapis (du Québec), ces lois ont été incluses parce que les protections prévues à l'article 15 de la Charte s'appliquent aussi aux peuples autochtones.
En même temps, conformément aux engagements pris par le gouvernement dans «Rassembler nos forces», le gouvernement a l'intention de soumettre ces dispositions à une discussion complète qui réunira les représentants de la collectivité autochtone et du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien. Mon collègue, le ministre Nault, s'est engagé à ne pas appliquer ces changements avant que ces discussions n'aient eu lieu.
M. Pratt: Je peux répondre à ça. Tout d'abord, je ne faisais pas allusion à cette citation-là. Je faisais allusion à celle-ci:
Comme vous l'avez probablement entendu au comité, je crois que le comité de la Chambre le sait, il n'y a absolument pas de problème, du moins aux yeux des Cris et des Naskapis, en ce qui concerne l'essentiel de cette disposition législative.
Ce n'est pas le cas. M. Mameanskum a déclaré que, personnellement, cela ne lui posait pas de problème. J'ai demandé à M. Willy Mameanskum ce qu'il en pensait, et il m'a dit que cela ne lui causait pas de problème. Cependant, nous savons que cela pose effectivement des problèmes pour bon nombre des aînés. Ce n'est pas ce dont nous parlons.
La ministre a écrit au chef et a dit qu'on consentirait à discuter de l'essentiel de ces modifications. Les modifications sont contenues dans la loi. On nous a dit qu'il n'y aurait pas de modifications de la loi. C'est une ruse. La ministre déclare innocemment qu'on discutera des modifications alors que son ministère ne peut en changer un iota. Lorsqu'elle a introduit cette nouvelle définition de conjoint, la ministre de la Justice a déclaré qu'elle serait prescrite. Nous sommes pris avec une définition de «conjoints» qui sera présumément modifiée dans un règlement. C'est la latitude dont parle la ministre.
Nous trouvons cela tout à fait inconcevable. Il serait incroyablement compliqué de préciser une définition par réglementation. Nous ne voyons pas comment le gouvernement pourrait le faire, et même s'il consentait à le modifier selon nos directives, il lui serait difficile de réaliser ces modifications en définissant une définition. C'est impossible. Les consultations ne voudront absolument rien dire parce que nous n'avons pas été consultés avant que l'essentiel des modifications soit intégré dans le projet de loi.
La présidente: Je dois vous donner raison sur ce point. Ils ne vous ont pas consultés. Qu'arriverait-il si le gouvernement décidait tout simplement de ne pas promulguer cette disposition particulière?
M. Pratt: Ce serait magnifique. Nous lui avons demandé de le faire, mais il a refusé.
Le sénateur Fraser: J'ai une question qui fait suite à celle-là. Je me rappelle le moment où on a intégré cette disposition à la Charte.
Le sénateur Beaudoin: L'article vingt-cinq?
Le sénateur Fraser: Oui.
Le sénateur Beaudoin: Je pense que nous discutons inutilement de cette question.
Le sénateur Fraser: J'aimerais préciser quelque chose, si cela ne vous dérange pas, sénateur Beaudoin; je serais enchantée d'entendre vos opinions sur la Charte, mais je veux d'abord savoir ce qu'en pensent nos témoins.
Je veux être bien certaine de comprendre ce que vous dites, parce qu'il me semble que vous dites en fait que la Charte ne s'applique pas.
M. Pratt: Non, ce n'est pas ce que nous disons.
Le sénateur Fraser: Si elle s'applique, elle s'applique.
M. Pratt: Nous disons qu'elle ne s'applique pas lorsqu'elle contrevient à un droit issu de traités. C'est tout.
Le sénateur Fraser: Ce qui revient à dire qu'elle ne s'applique pas.
M. Pratt: Non, parce que, par exemple, John Mameamskum peut vivre en union de fait avec une personne naskapie et que cette personne serait assujettie aux mêmes droits et obligations pour l'impôt sur le revenu que tout autre Canadien ordinaire. Cela n'a rien à voir. En fait, de nombreux aspects de ce projet de loi toucheront les Naskapis et n'ont rien à voir avec les droits issus de traités. La question n'est pas abordée dans la Loi sur les Cris et les Naskapis (du Québec). On y parle cependant des droits de résidence des non-Naskapis, et c'est ce que ce projet de loi affecte directement. C'est un droit issu de traités.
Le sénateur Fraser: La question du droit de résidence de non-membres de la bande n'est pas nouvelle. Je croyais que nous avions déjà réglé cette question en principe il y a quelque temps.
M. Pratt: Il s'agit non pas de la Loi sur les Indiens, mais bien de la Loi sur les Cris et les Naskapis du Québec. Les critères sont tout à fait différents. Le fait d'être Naskapi vous confère un droit, et cela n'a rien à voir avec les critères énoncés dans la Loi sur les Indiens.
Le sénateur Fraser: Et le fait que la Loi sur les Cris et les Naspakis soit discriminatoire n'a rien à voir.
M. Pratt: Discriminatoire contre les Blancs, contre les non-Naskapis? Les Naskapis sont certainement en droit d'exclure les Blancs de leurs terres s'ils le veulent. C'est un droit traditionnel issu de traité. Leur traité prévoit qu'une personne non naskapie qui épouse une personne naskapie a des droits. C'est dans le traité. On l'a négocié. Ils voulaient cela. Cependant, maintenant le gouvernement nous dit que le traité vise une toute nouvelle catégorie de Blancs. Ils sont peut-être bien d'accord. Je ne veux pas détourner votre attention vers cette question. Le problème, c'est qu'il s'agit d'un droit issu de traité. Je décris le droit. La communauté pourrait être essentiellement d'accord, mais on ne peut dire: «Voici ce qui se produira, votre traité a été modifié.» Il n'est pas constitutionnel pour le gouvernement de faire cela.
Le sénateur Beaudoin: Je crois que nous devons commencer au début. L'article 25 prévoit qu'on peut recourir à la Charte, mais que cette dernière ne peut occasionner la perte de droit collectif. C'est le principe fondamental du droit constitutionnel au pays. L'article 35 porte sur les droits des autochtones, mais on ne le retrouve pas dans la Charte.
M. Pratt: C'est vrai.
Le sénateur Beaudoin: Ces droits sont essentiels. La Charte ne peut aller à l'encontre de ces droits. C'est le point de départ. Cela ne m'inquiète pas outre mesure, mais je suis un peu étonné par ce que vous dites. Vous avez raison de qualifier ces droits de collectifs, et vous pouvez faire valoir ces droits en vertu de l'article 35, qui n'est pas dans la Charte. Ils ne figurent pas dans la Charte.
M. Pratt: Effectivement.
Le sénateur Beaudoin: C'est essentiel. Si vous gagnez, vous obtenez ces droits. Le non-respect de ces droits est inconstitutionnel.
Si vous déterminez qu'il s'agit de droits collectifs, bien sûr, on ne peut légiférer sur ces droits collectifs, car il s'agit de droits conférés aux Autochtones en vertu de l'article 35. Cela ne m'inquiète pas, et je vous dirai pourquoi. S'il s'agit de droits collectifs, ils vous appartiennent. Le Parlement fédéral peut les limiter. Il a le droit de le faire, mais il doit le faire convenablement.
M. Pratt: Exactement.
Le sénateur Beaudoin: Pas de cette façon. À mon avis, en ce qui concerne les autochtones, il faut faire la distinction entre les droits collectifs et les droits individuels.
Le sénateur Joyal: Ou les droits prévus dans la Charte.
Le sénateur Beaudoin: La Charte s'applique à tout le monde, mais son application ne peut empiéter sur un droit collectif.
M. Pratt: Elle ne peut empiéter sur un droit collectif.
Le sénateur Beaudoin: Vos droits collectifs sont des droits constitutionnels.
M. Pratt: Exactement.
Le sénateur Beaudoin: D'une façon ou d'une autre, vous êtes protégés. La meilleure chose à faire serait peut-être d'annuler le projet de loi, mais ce n'est pas à notre comité qu'il incombe de le faire. Seul un tribunal pourrait définir vos droits collectifs et avoir la possibilité de dire que vos droits ne devraient pas être énoncés dans la loi. Seul un tribunal pourrait faire cela.
Nous pouvons exprimer une opinion sur le sujet, mais cette opinion n'a aucune valeur. Les tribunaux doivent trancher.
Si vous êtes en mesure de déterminer que le projet de loi C-23 va à l'encontre de quelques droits collectifs de certains autochtones et que vous possédez les preuves exigées, ce sera la fin du débat. Vos droits collectifs seront protégés.
J'ai déjà dit cela au début de la discussion. Vous avez peut-être raison; je ne sais pas. Vous devez établir vos droits collectifs.
M. Pratt: Essentiellement, sénateur, vous nous dites que nous devrions porter la question devant un tribunal.
Le sénateur Cools: C'est ça.
M. Pratt: C'est ce que vous nous dites. C'est pourquoi nous sommes ici.
Le sénateur Beaudoin: C'est vrai, à moins que la ministre de la Justice ne convienne qu'il s'agit de droits collectifs, auquel cas nous modifierons le projet de loi en conséquence.
M. Pratt: C'est ce que nous espérons. C'est pourquoi nous sommes ici.
Le sénateur Beaudoin: Je comprends que vous espériez cela, car vous économiserez beaucoup d'argent.
M. Pratt: Exactement.
M. John Mameamskum: Et beaucoup de maux de tête.
Le sénateur Beaudoin: Peut-être.
Madame la présidente a cité une déclaration de la ministre de la Justice. Pourriez-vous la lire de nouveau?
Le sénateur Cools: Veuillez verser les deux déclarations au dossier, car il y a une différence.
M. Pratt: L'une des déclarations vous a été présentée le 11 mai; elle figure à la page 1237.
Le sénateur Beaudoin: J'aimerais entendre vos commentaires par la suite.
M. Pratt: Elles traitent de choses différentes.
La présidente: Je lirai les deux citations de nouveau. Les deux sont tirées de la séance du 11 mai.
En ce qui concerne les deux lois qui touchent les peuples autochtones, soit la Loi sur les Indiens et la Loi sur les Cris et les Naskapis du Québec, ces lois ont été incluses parce que les protections prévues à l'article 15 de la Charte vise aussi les peuples autochtones.
En même temps, conformément aux engagements énoncés par le gouvernement dans «Rassembler nos forces» le gouvernement a l'intention de tenir des discussions complètes entre la communauté autochtone et le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien sur ces dispositions. Mon collègue, le ministre Nault, s'est engagé à ce que ces changements ne soient apportés qu'après la tenue de telles discussions.
Je passe ensuite à la prochaine citation:
Je crois qu'on a pris un engagement spécifique à tenir des consultations avant de modifier les dispositions de la Convention de la Baie James et du Nord québécois qui touchent les Cris et les Naskapis. Comme les membres de votre comité l'entendront probablement -- comme ceux du comité de la Chambre --, au moins de la part des Cris et des Naskapis, ces derniers ne sont pas foncièrement contre ce projet de loi. Les Cris et les Naskapis, l'APN et d'autres l'ont dit sans détour. Cependant, ils tiennent à ce que nous respections clairement notre obligation de les consulter constamment avant de prendre certaines mesures.
M. Pratt: Nous voulions signaler que cette déclaration déforme complètement ce que nous avons dit.
La présidente: Vous dites que vous ne parlez pas du contenu du projet de loi. Ce n'est pas que vous n'ayez pas de préoccupation sur le contenu du projet de loi.
M. Pratt: Notre mémoire ne se penche pas sur le contenu sur le projet de loi. Lorsque nous avons témoigné devant le comité de la Chambre des communes, nous avons précisé clairement que les membres de la communauté ne s'entendent pas sur la question. En général, les aînés ont plus de difficulté à l'accepter.
Les gens qui sont avec nous à cette table ne sont pas contre, mais il est tout à fait faux d'affirmer que nous n'avons rien à redire au fond de la loi. Ce n'est tout simplement pas vrai. Peut-être y a-t-il un problème concernant le fond? C'est une source de débat dans la communauté.
Pour ce qui est de la consultation, je tiens à souligner de nouveau qu'il ne peut y avoir de consultation valable à cette étape, car les modifications sont là. On ne peut changer la loi. Elle est là. Le règlement d'application de la loi ne peut vraiment changer le fond de la modification. Il ne peut y avoir de consultation.
Le sénateur Beaudoin: Pourquoi?
M. Pratt: Si vous regardiez le texte des modifications, vous comprendriez mon argument. Si vous lisez le mémoire et que vous jetez un coup d'oeil aux dispositions de la loi, vous constaterez qu'il n'y a presque aucune marge de manoeuvre permettant de modifier le sens et le fond des modifications à l'occasion de consultations.
Supposons que nous en venions à une entente avec la ministre et que cette dernière nous dise que, oui, le projet de loi ne devrait vraiment pas permettre aux non-Naskapis de vivre sur vos terres, si vous ne le voulez pas. Cela ne pourrait être effectué grâce à l'introduction d'un règlement après l'adoption du projet de loi. Ce serait impossible.
La présidente: À moins que le gouvernement ne promulgue pas ces articles de la loi.
M. Pratt: Le gouvernement a refusé de s'y engager.
Le sénateur Cools: Pour vérifier, être-vous en train de dire que la seule solution à ce problème serait pour le gouvernement de ne pas promulguer ce projet de loi après qu'il a été adopté et qu'il a obtenu la sanction royale? Sinon, demandez-vous que le Sénat modifie le projet de loi?
M. Pratt: Nous vous demandons l'une des deux.
Le sénateur Cools: Et le choix de la solution vous importe peu?
M. Pratt: Au début, ils nous ont dit qu'ils ne pouvaient modifier le projet de loi, parce que c'était de la dynamite politique. Alors nous les avons suivis.
Le sénateur Beaudoin: Ce n'est pas un argument de nature juridique.
Le sénateur Cools: Nous l'entendons constamment.
M. Pratt: Nous avons demandé à la ministre si elle s'engagerait à ne pas donner force de loi à ces modifications sans notre consentement. Sa réponse était non.
Le sénateur Cools: C'est un dilemme. Vous affirmez avoir présenté deux propositions à la ministre. Sur la question de la modification, elle avait dit non. Sur la question de la promulgation, elle avait non. Le comité ne peut influencer la décision de la ministre quant à la promulgation. Nous pouvons certainement influencer ce qu'elle fait avec la modification.
Essentiellement, vous suggérez que le comité modifie le projet de loi afin d'éliminer le méfait qui, selon vous, existe.
M. Pratt: Ce serait une conclusion logique.
Je voudrais aussi mentionner que, après que les représentants du ministère de la Justice nous ont dit qu'ils ne voulaient pas de modifications, on a apporté la modification afin d'introduire la définition de mariage. Nous avons ensuite écrit à la ministre pour lui dire: «maintenant que vous avez modifié le projet de loi, il serait peut-être indiqué de l'effacer.»
Le sénateur Cools: Peut-être pourriez-vous, à votre départ, nous laisser la documentation dont il est question. Avez-vous des copies de la correspondance et des réponses de la ministre?
M. Pratt: Nous avons des copies de toutes les lettres et les réponses.
La présidente: Pourriez-vous nous les confier?
M. Pratt: Oui, bien sûr.
La présidente: Au nom du comité, et pour votre bien, je compte écrire à la ministre afin d'obtenir des précisions sur ce point.
Le sénateur Cools: Vous faites référence à un échange avec la ministre au cours duquel elle se dit disposée ni à modifier le projet de loi, ni à limiter son pouvoir de promulgation. Ces commentaires ont-ils été effectués oralement ou par écrit?
M. Pratt: La déclaration quant au refus de modifier le projet de loi a été faite par Mme Lisa Hitch [TS2] à l'occasion de notre première rencontre. Je crois qu'elle était la principale avocate responsable du projet de loi.
Le sénateur Cools: Où travaille-elle?
M. Pratt: Elle travaille pour la ministre McLellan.
Pour ce qui est de la demande faite à la ministre de ne pas promulguer, nous avons déclaré que nous n'allions pas témoigner devant le comité de la Chambre si elle prenait cet engagement. Nous avons attendu, et cet engagement n'a jamais été pris.
La présidente: J'aimerais avoir des précisions. S'agit-il d'une correspondance entre le ministre Nault et vous-même ou entre la ministre McLellan et vous-même?
M. Pratt: Il s'agissait d'entretiens verbaux dans les deux cas.
Le sénateur Cools: D'entretiens verbaux entre qui?
M. Pratt: Entre les Naskapis et, je dirais, Mme Lisa Hitch.
Le sénateur Cools: Est-elle avocate pour le compte du ministère de la Justice?
M. Pratt: Oui.
Le sénateur Beaudoin: Par souci d'équité, à ce stade ci, je proposerais qu'aucune modification ne soit apportée sans que la ministre de la Justice ne se présente de nouveau devant notre comité.
Le sénateur Cools: De toute façon, il n'est plus possible de proposer de modifications.
Le sénateur Beaudoin: Nous pourrions aborder cette question dans notre rapport. Nous avons entendu une version des faits. Par souci d'équité, nous devrions inviter la ministre de la Justice à nous donner son opinion. Nous devons éviter le gaspillage, car les litiges sont coûteux. Il me semble évident qu'il s'agit, dans le cas qui nous occupe, d'un droit collectif, et qu'en raison de l'article 25 de la Charte, la Charte ne s'appliquera pas à ces droits collectifs.
La question est claire en droit, mais j'aimerais que la ministre nous rencontre et nous dise si elle a une autre explication ou une autre version. C'est tout.
Je ne m'attendais pas à un tel débat sur le projet de loi C-23. La surprise est totale.
La présidente: J'aimerais maintenant proposer une démarche au comité. Avec votre accord, j'écrirai à la ministre de la Justice pour lui demander des précisions sur ce point.
Il fort possible que nous devions revoir certains des agents et le ministre avant de procéder à l'examen des articles du projet de loi.
M. Pratt: Nous serions ravis de revenir si vous en faites la demande.
La présidente: Je vous remercie beaucoup d'avoir témoigné.
M. John Mameamskum: Juste une dernière chose. Le sénateur Beaudoin semble croire que nous avons un droit collectif, mais il a l'air d'oublier que le gouvernement du Canada a signé une entente qui confère un droit issu de traité.
Le sénateur Beaudoin: C'est vrai. C'est pourquoi j'ai dit: «Il semble que vous ayez un droit.»
M. John Mameamskum: Il est vrai que cette entente nous confère ce droit.
La présidente: Si vous le permettez, j'aimerais savoir s'il y a eu correspondance entre M. Nault et vous-même sur cette question.
M. Pratt: Nous n'avons jamais échangé de correspondance avec la ministre de la Justice.
La présidente: Si vous avez correspondu avec ses agents, peut-être pourriez-vous nous laisser ces documents.
M. Pratt: C'est la seule correspondance que nous ayons.
La présidente: Vos communications avec les agents du ministère de la Justice étaient-elles verbales?
M. Pratt: Oui.
Le sénateur Fraser: Je voudrais seulement savoir si les Cris et les Naskapis se retrouvent dans une telle situation pour la première fois, ou s'il y a eu d'autres affaires analogues où l'évolution des décisions de la Cour suprême sur les droits garantis par la Charte et sur ce que les divers peuples autochtones peuvent réclamer à titre de droits issus de traités a occasionné des conflits.
Y a-t-il des affaires similaires qui pourraient nous aider à comprendre davantage? Je suis certaine que le sénateur Beaudoin les connaît toutes par coeur, mais ce n'est pas notre cas à tous.
M. Pratt: La jurisprudence relative aux conflits entre la Charte et les droits des Autochtones est pauvre. L'avocate du ministère de la Justice le reconnaît. Elle n'était pas certaine que l'article 25 nous protégerait dans le cas qui nous occupe. Cependant, le fait que la jurisprudence soit limitée obscurcit le sens de l'article 25. C'est très clair, comme le dit le sénateur Beaudoin.
Le sénateur Fraser: Au bout du compte, il faut se poser la question suivante: les droits que vous considérez comme issus de traités le sont-ils vraiment?
M. Pratt: Si vous jetez un coup d'oeil aux modifications, vous en constaterez les effets.
Le sénateur Fraser: Je suis en train de les parcourir.
M. Pratt: J'ai surligné la plus importante, celle qui porte sur le droit de résidence. Pour nous, ce droit est manifeste. Le droit de disposer d'un territoire et d'exclure d'autres personnes de ce territoire a toujours été un droit issu de traité.
Les autres questions exigeront un examen plus pointu. Nous aurions été disposés à en parler. Il y a d'autres modifications intéressantes qui découlent des modifications apportées à la Loi sur les Cris et les Naskapis du Québec, mais on les explique pleinement dans le mémoire.
Le sénateur Fraser: À votre avis, les quatre éléments indiqués dans votre tableau sont-ils des éléments fondamentaux de cet enjeu?
M. Pratt: Ce sont les seuls effets des modifications, car le mot «conjoint» n'est utilisé que quatre fois dans le projet de loi.
M. John Mameamskum: Nous avons rencontré plusieurs sénateurs cet après-midi, et nous leur avons dit que notre dernière comparution devant le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles remonte à l'époque où nous demandions au Canada d'adopter la Loi sur les Cris et les Naskapis du Québec. C'est cette même loi que nous protégeons contre les préjudices.
La présidente: Dans ce cas, bienvenue encore une fois parmi nous. Vous êtes conséquent.
M. John Mameamskum: Le sénateur Watt nous a avisé qu'il témoignerait devant le comité pour appuyer nos arguments.
M. Pratt: Il a dit qu'il témoignerait à titre non pas de témoin, mais bien de sénateur.
La présidente: Tout sénateur est le bienvenu devant tout comité, et pour participer pleinement aux procédures sauf au vote. Le sénateur Watt sera le bienvenu.
Le sénateur Cools: Je suis intéressée par le témoignage de Mme Landeau, dont je me suis informée hier.
La présidente: Le comité directeur ne s'est pas encore réuni pour en discuter.
Le sénateur Cools: Très bien. Je m'attends à ce qu'on entende son témoignage.
La présidente: La séance est levée.
La séance est levée.