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LCJC - Comité permanent

Affaires juridiques et constitutionnelles

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles

Fascicule 15 - Témoignages du 18 mai 2000


OTTAWA, le jeudi 18 mai 2000

Le comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles se réunit aujourd'hui, à 10 h 51, pour étudier le projet de loi C-23, Loi visant à moderniser le régime d'avantages et d'obligations dans les Lois du Canada.

Le sénateur Lorna Milne (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente: Ce matin, nous entendrons des représentants d'Égalité pour les gais et les lesbiennes (EGALE), de la Coalition gaie et lesbienne du Québec, du Comité canadien d'action sur le statut de la femme et de la Fondation en faveur de l'égalité des familles.

Sur ce, je vous invite à prendre la parole.

Mme Kim Vance, présidente, Égalité pour les gais et les lesbiennes (EGALE): Je lirai quelques passages du mémoire que nous vous avons soumis et j'attirerai votre attention sur certains aspects en particulier.

EGALE est d'accord en général avec le projet de loi C-23, même si nous demeurons opposés à la disposition 1.1, qui limite explicitement le mariage aux seuls couples de sexe opposé. Le projet de loi C-23 traite d'un grand nombre de questions concrètes en assurant l'égalité d'accès à l'impôt sur le revenu, aux prestations de retraite, à l'assurance-emploi et en clarifiant les exigences en matière de conflits d'intérêts. Ce qui importe tout autant, cependant, c'est qu'il affirme concrètement que les couples de même sexe ont droit au même traitement que les couples de sexe opposé, et que la discrimination contre nos communautés n'est plus moralement ou légalement admissible.

Vous trouverez dans notre mémoire une description de notre organisation. Aussi, je ne vais pas trop m'attarder là-dessus.

Un important point de départ pour considérer la portée du projet de loi C-23 consiste à le situer dans son contexte historique. Au fil des ans, de nombreux obstacles ont empêché les lesbiennes, les gais et les bisexuels d'être traités également, ce qui n'est pas conforme à l'attitude généralement positive adoptée au Canada en matière de droits de la personne, dont notre pays est fier. Le projet de loi C-23 contribuera à faire disparaître ces inégalités et à aider le Canada à respecter son engagement en matière de droits de la personne.

À l'heure actuelle, de nombreuses provinces canadiennes ont choisi de reconnaître la nécessité de traiter les couples de même sexe de la même façon que les couples de sexe opposé. Nous accueillons favorablement le projet de loi C-23, car il énonce des normes nationales claires qui vont contribuer à éliminer les divergences entre les lois fédérales et provinciales. D'après ses discussions avec des organismes et des représentants des gouvernements des autres provinces, EGALE prévoit qu'un certain nombre de gouvernements qui n'ont pas encore modifié leur législation vont emboîter le pas au gouvernement fédéral. Ainsi, depuis que ce projet de loi a été déposé, la Nouvelle-Écosse, ma province d'origine, a déjà apporté deux modifications à la Family Benefits Act et à la Pension Benefits Act pour garantir aux couples de même sexe un traitement égal à celui réservé aux conjoints de fait de sexe opposé.

Nous pensons que le Sénat devrait appuyer ce projet de loi, à l'exception de la disposition 1.1. La Cour suprême du Canada a statué unanimement que la Charte des droits garantit le droit à l'égalité des gaies et des lesbiennes, égalité qui s'étend également aux relations gais et lesbiennes. Nous pensons également que l'opinion publique s'est exprimée clairement à ce sujet. En effet, d'après un sondage Angus Reid, les deux tiers des Canadiens seraient d'avis qu'il faudrait accorder aux couples de même sexe des responsabilités et des droits égaux à ceux dont jouissent les autres couples. Les conséquences financières du projet de loi C-23 sont minimales, puisqu'il s'agit d'une mesure législative conciliant avantages et responsabilisé. Les paiements comme les avantages sont prévus dans ce projet de loi.

M. John Fisher, directeur général, Égalité pour les gais et les lesbiennes (EGALE): Comme l'a indiqué Mme Vance, nous souscrivons pleinement à l'esprit de ce projet de loi. C'est un projet de loi qui se fait attendre depuis longtemps. Je voudrais aborder quelques questions d'ordre terminologique.

Comme nous le savons tous, tout au long du projet de loi, on maintient une distinction terminologique entre les couples mariés hétérosexuels, dont la relation est décrite comme «conjugale», et les conjoints de fait, expression que l'on utilise pour décrire les relations entre personnes du même sexe ou entre deux personnes de sexe différent qui ne sont pas mariées. Même si nous reconnaissons que cette distinction crée une certaine hiérarchie dans les relations, ce que nous n'appuyons pas, c'est néanmoins un compromis qui nous semble acceptable. Il est capital pour nous que l'on ne fasse pas de distinction entre les conjoints de fait de sexe opposé et de même sexe. Sur le plan terminologique au moins, nos relations et celles des personnes de sexe opposé sont traitées sur un pied d'égalité.

Nous nous opposons à l'insertion de la disposition 1.1 dans le projet de loi. Quand ce projet de loi a été présenté, nous avons eu l'impression que le gouvernement avait déployé des efforts considérables pour parvenir à un compromis raisonnable. Nous n'étions certainement pas en faveur de maintenir le qualificatif «conjugal» pour définir certains types de relations, mais nous avons néanmoins estimé que c'était un équilibre raisonnable. Mais en rajoutant la disposition 1.1, le gouvernement a pris une mesure de plus pour renforcer l'opinion voulant que nos relations soient considérées comme inférieures, et que, par conséquent, elles ne méritent ni traitement égal, ni respect égal.

Tout au long des débats, le ministre a constamment réaffirmé que ce projet de loi n'a rien à voir avec le mariage. En fait, c'est le cas. De nombreux témoins et d'autres intéressés ont écrit des lettres dans lesquelles ils disaient: «Ce projet de loi mènera à la destruction du mariage et à la destruction de l'unité familiale.» De toute évidence, tel n'est pas le cas. Ce n'est pas non plus l'objectif du projet de loi. Il s'agit simplement d'une solution très pragmatique qui permet de modifier systématiquement 68 lois afin de les rendre conformes à la Charte des droits. Il n'est pas question de redéfinir le mariage, et ce n'est pas ce que nous proposons non plus. Nous ne souscrivons pas à la position du ministre, qui cherche à mettre l'accent sur la défense de l'institution du mariage, alors qu'il n'était pas question de mariage dans le projet de loi.

On a proposé un compromis raisonnable au Comité de la justice de la Chambre des communes. On a notamment proposé de maintenir la règle d'interprétation générale, mais en en supprimant une partie. Voici la teneur de cette règle: «Il demeure entendu que les modifications que la présente loi apporte ne changent pas le sens du terme "mariage", soit l'union légitime d'un homme et d'une femme à l'exclusion de toute autre personne.» À notre avis, la règle devrait s'arrêter au mot «mariage». En d'autres mots, la disposition 1.1 se lirait comme suit: «Il demeure entendu que les modifications que la présente loi apporte ne changent pas le sens du terme "mariage".» Ainsi on aurait pu atteindre les objectifs fixés par le ministre et on aurait pu clairement montrer que ce projet de loi n'a rien à voir avec le mariage. À l'heure actuelle, la disposition 1.1 va un peu plus loin, en ce sens qu'elle renforce l'opinion voulant que seuls les couples de sexe opposé ont le droit de se marier, ce qui nous inquiète.

Certains ont soulevé des inquiétudes durant les audiences du comité quant au sens de certains mots, comme «conjugal». Certains sont même allés jusqu'à dire que cela fait en sorte que le projet de loi porte sur la prestation d'avantages pour des relations sexuelles. Or ce n'est pas vrai et ce n'est pas l'avis des tribunaux non plus. Il ressort clairement du point 8 de notre mémoire que dans l'arrêt M. c. H., la Cour suprême du Canada a approuvé le critère qui sert à définir le mot «conjugal». La Cour suprême a statué que les tribunaux doivent tenir compte de nombreux facteurs pour déterminer si une relation est conjugale ou non. Parmi ces facteurs figurent le partage d'un toit, les rapports personnels et sexuels, les services, les activités sociales, le soutien financier, les enfants et aussi l'image sociétale du couple. Il est clair que si la relation est purement sexuelle, elle ne sera pas considérée comme une relation conjugale. De même, il est évident que si la relation répond à tous les critères, notamment le partage du toit et l'image sociétale du couple, l'existence ou l'absence de rapport sexuel n'est pas une condition pour déterminer si la relation est conjugale ou non. Je peux honnêtement vous dire que je ne sais pas si, après 40 ans de mariage, mes parents ont encore des relations sexuelles. Pourtant, il ne fait aucun doute que leur relation sera considérée comme une relation conjugale, et aucun tribunal ne pourra enquêter sur la nature de leurs relations sexuelles pour arriver à une conclusion.

Dans le cas des couples de sexe opposé qui ne sont pas mariés, les tribunaux ont depuis longtemps établi des critères pour déterminer s'il s'agit d'une relation conjugale donnant lieu à des avantages et à des responsabilités semblables à ceux dont jouissent les conjoints de fait de sexe opposé. Nous ne pensons pas qu'il sera plus facile ni plus difficile d'appliquer ces mêmes principes aux relations entre personnes de même sexe. Je vous remercie.

[Français]

Me Claudine Ouellet, directrice générale, La Coalition gaie et lesbienne du Québec: Madame la présidente, je ne vais pas refaire le débat constitutionnel, ni refaire l'explication de ce que veut dire l'article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés. Je vais simplement insister sur une seule définition que, je pense, depuis 1776, les juristes de tous les pays et de la planète auraient dû comprendre à ce jour.

La notion d'égalité veut dire avoir les mêmes choix. Chaque société démocratique devrait voir à ce que ce choix soit exercé en liberté et sans discrimination fondée sur la race, le sexe, la religion et l'orientation sexuelle. Du moins, c'est un choix de société qui a été fait au nord des États-Unis.

J'ai le bonheur et la fierté de provenir d'une province qui était la première à inclure, dans sa Charte des droits et libertés, le motif de l'orientation sexuelle qui devenait un acte discriminatoire. On ne pouvait plus ni congédier, ni refuser de louer quoi que ce soit sur une base de discrimination fondée sur l'orientation sexuelle.

Pour revenir à la définition d'égalité enchâssée dans notre droit nord-américain depuis 1776, si chaque humain naît, de par sa naissance et de par sa citoyenneté, dans un statut d'égalité, pourquoi les États se sont-ils toujours évertués à faire des distinctions et des catégories?

Le projet de loi C-23 n'est pas à part. Avec tous le respect que j'ai pour mes collègues -- c'est probablement parce que dans mon lieu de naissance on est habitués de faire du «mischief» --, je ne suis pas tout à fait d'accord avec l'articulation du projet de loi C-23 et je trouve qu'il ne va pas assez loin.

Si on part du principe que chaque individu naît dans une situation d'égalité, alors pourquoi en restreint-on la portée? Pourquoi, au moment de payer mes impôts et mes taxes, vous considérez la valeur de mon dollar de la même façon que mes collègues hétérosexuels, et que lorsqu'il s'agit d'exercer mes droits, le mien vaut moins cher. Je vous demande ici de me donner une exemption d'impôt à partir de maintenant.

Aussi drôle que cela puisse paraître, le gouvernement tente de donner une réponse politique à une question de droit fondamental. J'ai fait mes devoirs, je sais que la large majorité d'entre vous ont la même formation que la mienne, c'est-à-dire une formation de juriste. Heureusement que vous avez un mélange d'autres professions qui humanisent la nôtre de temps en temps, et on en a besoin.

Le ministère de la Justice a porté l'insulte à la honte en ajoutant l'article 1.1 et en inscrivant une définition du mariage. Si, en 1968, l'État canadien avait décidé qu'il n'avait pas d'affaire dans ma chambre à coucher, que fait-il dans ma relation de couple maintenant? Quel est le gouvernement qui va avoir la compétence pour venir qualifier le genre de relation que j'entretiens avec ma conjointe? Sommes-nous condamnées pour le reste de nos vies à vivre dans «le péché»? La question de savoir comment reconnaître les conjoints de même sexe ne relève pas de la morale, de la politique, mais relève simplement du droit.

Si, en tant que gouvernement d'un État démocratique, vous n'êtes pas capable de faire cela, il y a de sérieuses questions à se poser. Il n'y a pas d'unanimité qui existe concernant les valeurs religieuses; il n'existe qu'une seule unanimité, c'est la volonté de se bâtir un pays démocratique. À vous maintenant de savoir combien d'individus veulent continuer d'adhérer à cette démocratie.Combien d'autres, à l'humeur changeante, selon leurs valeurs du moment, qui généralement vient du sud de la frontière, veulent adhérer à cette démocratie? Est-ce ce genre de démocratie que le Canada veut?

Comme je l'ai dit tantôt, j'ai la chance de venir du Québec. Les frontières ne sont pas imperméables bien sûr, les influences prennent un peu plus de temps. Mais pour une fois, je vous demanderais de retenir une petite leçon du Québec. La Loi 32 adoptée l'an dernier venait consacrer un principe de droit fondamental que chaque citoyen qui habite dans la même juridiction doit être considéré également devant la loi, dans toute son expression et toute la protection que la loi doit procurer.

C'est dans cet esprit que je vous demande de faire un X sur l'article 1.1 du projet de loi du gouvernement actuel et d'inclure dans votre intervention les amendements que la coalition a proposés à la dernière page de notre mémoire.

Ces amendements consistent à traiter les conjoints de même sexe de la même façon qu'on va traiter tous les autres conjoints sans égard à l'orientation sexuelle. Si cela inclut une institution qui est tout à fait désuète et qui mérite peut-être d'être renouvelée des fois, soit! Ce n'est pas la question que les communautés gaie et lesbienne tiennent absolument à se marier, c'est une question de principe, de droit fondamental et on ne doit pas déroger de cet objectif. C'est une question de droit. Essayez d'imaginer si on remplaçait les mots «gai» et «lesbienne» par les mots «juif» ou «musulman», ou simplement par le mot «asiatique». Il y aurait une révolte en moins d'une demi-heure.

Les motifs de distinction et de discrimination qui sont énoncés de façon explicite ou implicite ne comportent pas de priorité, c'est-à-dire que ce n'est pas moins grave de discriminer sur l'âge que cela peut l'être sur le sexe. Tous sont d'une égale valeur. L'orientation sexuelle est incluse là-dedans depuis 1995 au Canada et cela devrait être combattu avec la même force qu'on l'a fait pour le racisme ou la discrimination fondée sur l'âge. On ne doit même pas s'attarder à se poser la question à savoir si un État démocratique doit faire ce pas ou non. Sinon, si le projet de loi est adopté dans son état actuel, ce qui se produira, et c'est une promesse que je vous fais -- et comme je ne suis pas en politique, vous pouvez y compter --, on va tous se retrouver devant le tribunal. Si le projet de loi C-23 n'inclut pas toutes les dispositions qui ont trait à tous les individus qui vivent sous la même juridiction, on va se retrouver devant la cour encore une fois.

Je vous demanderais alors tout simplement d'abolir cette tentative insultante que l'article 1.1 peut apporter; premièrement, modifier les dispositions concernant la propagande haineuse -- je vous avertis, on en aura besoin lors de la prochaine campagne électorale fédérale --; deuxièmement, amender dans le même sens que toutes les autres lois, toutes les dispositions relatives aux définitions de mariage et, troisièmement, enlever la distinction basée sur l'orientation sexuelle; quatrièment, inclure dans le processus, même si cela commence à se faire, la loi sur l'immigration; enfin, traiter dans une loi tout à fait séparée les relations interdépendantes.

À ce sujet, je vous réfère à la façon dont le Vermont a traité des relations interdépendantes et qui en ont fait une autre catégorie.

Pour terminer mon intervention, je ferai miens les propos d'un de vos collègues, le sénateur Joyal, en y apportant quand même une petite distinction. Si on reconnaît le même statut aux conjoints de même sexe qu'aux conjoints hétérosexuels, avec les mêmes choix, il faudra éviter le piège de «séparé, mais égal».

Si je paie les mêmes impôts, si j'ai les mêmes droits et les mêmes obligations, il faudra obligatoirement que j'aie les mêmes choix. Sinon, cela va encore demeurer de la discrimination basée sur l'orientation sexuelle et on se reverra au tribunal encore une fois.

[Traduction]

La présidente: Ce n'est peut-être pas le bon endroit pour parler de discrimination fondée sur l'âge, car vous savez que les sénateurs ne peuvent être nommés avant d'avoir 30 ans et doivent prendre leur retraite à 75 ans. Si ce n'est pas de la discrimination!

Mme Ouellet: Je suis contente d'avoir 47 ans.

Mme Jon Leah Hopkins, présidente, Comité des questions lesbiennes, Comité canadien d'action sur le statut de la femme: Le Comité canadien d'action sur le statut de la femme regroupe 740 organisations féminines à l'échelle du pays, représentant 3 millions de femmes, dont 1 à 10 p. 100 sont des lesbiennes.

Le comité représente tant des femmes hétérosexuelles que des lesbiennes. Il reflète toute la diversité de la société canadienne, et les lesbiennes y sont présentes dans toute leur diversité. Il reconnaît l'importante contribution des lesbiennes au progrès réalisé dans la lutte pour l'égalité de toutes les femmes et cherche à assurer l'égalité pour les lesbiennes et les gais du pays le plus tôt possible.

Nous avions un mémoire à vous soumettre, mais il a malheureusement disparu dans la nature. Je savais au moment où je l'ai mis avec mes bagages que je devais le prendre avec moi dans l'avion. C'est ce que j'aurais dû faire. Quoi qu'il en soit, je ferai en sorte que le greffier en reçoive une copie. En fait, je pourrais lui remettre toute la boîte contenant les mémoires dès que je mettrai la main dessus.

Dans notre mémoire, nous parlons des droits humains des lesbiennes et nous soutenons que celles-ci constituent la seule catégorie de femmes canadiennes qui ne jouissent toujours pas de la protection de la loi ni de l'égalité juridique, et que le projet de loi C-23 est une première étape visant à corriger cette injustice historique.

L'homophobie est un fait bien étayé au Canada. C'est l'une des formes de discrimination les plus communes. L'une après l'autre, les recherches montrent que l'attitude des hétérosexuels envers les lesbiennes et les gais est négative et que cette attitude est jugée acceptable par la société. Le lien entre les stéréotypes et l'orientation sexuelle joue un rôle important dans les préjugés anti-gai.

Les lesbiennes sont particulièrement détestées des gens qui sont attachés au rôle traditionnel des sexes. Selon certaines études, l'attitude des femmes hétérosexuelles envers les lesbiennes serait plus négative que celle des hommes hétérosexuels. En d'autres mots, quand on lit les écrits sur les comportements envers l'homosexualité, il faut reconnaître l'importance du comportement envers les homosexuels.

Les systèmes de croyance dans le rôle des sexes n'est pas le seul déterminant du comportement anti-gai. L'aversion envers l'homosexualité est également liée aux préjugés envers les minorités raciales et d'autres groupes. Le racisme et le sexisme ont une grande corrélation avec le comportement anti-gai, deux comportements qui sont manifestement associés à un courant de droite autoritaire. Ces liens multiples nous portent à croire que le comportement anti-gai s'inscrit dans le cadre d'un paradigme social qui résiste fortement aux changements.

Le Comité canadien d'action sur le statut de la femme estime que le gouvernement canadien a fait preuve de leadership positif dans la lutte contre l'homophobie en proposant le projet de loi C-23. Cependant, comme le savent très bien les femmes, qui dit égalité en vertu de la loi ne dit pas forcément traitement égal.

Le fait que la société refuse de reconnaître la légitimité des couples de lesbiennes et, par conséquent, de leur garantir des avantages juridiques, financiers et psychologiques ne signifie pas du tout que la majorité des lesbiennes vivent des relations à court terme. En réalité, la majorité d'entre nous entretiennent des relations à long terme.

En 1991, un sondage réalisé auprès de couples gais et lesbiens a révélé que la majorité des couples lesbiens, soit 75 p. 100, partagent leur revenu, que 88 p. 100 avaient eu une cérémonie de mariage ou autre, que 91 p. 100 étaient monogames et que 92 p. 100 s'étaient engagés à passer leur vie avec leur partenaire.

Les femmes, qu'elles soient lesbiennes ou hétérosexuelles, sont prêtes à investir davantage dans leurs relations et sont davantage attachées à maintenir ces relations. Cette observation reflète les limites du modèle hétérosexuel de mariage et de famille. Elle explique, en partie, pourquoi les lesbiennes refusent d'une manière générale d'imiter ce modèle et les iniquités qui lui sont propres. Toutefois, si nous voulons avoir un statut égal à celui des couples de sexe opposé, c'est en raison de l'importance primordiale que nous accordons à nos relations et du désir de validation sociale et juridique. Nous voulons être traitées sur un pied d'égalité.

Permettez-moi de vous raconter une histoire. J'ai passé 20 ans au Yukon, où il existe une organisation qui s'appelle «The Yukon Order of Pioneers» (Ordre des pionniers du Yukon.) Cette organisation exclut les femmes. Cela signifie qu'après 20 ans au Yukon, si vous êtes un homme, vous pouvez devenir membre de l'organisation. L'épouse d'un des membres s'est adressée à la Cour suprême afin de déterminer pourquoi, lorsque les femmes passent les mêmes 20 ans au Yukon, elles ne peuvent pas recevoir ce petit morceau de papier qu'elles pourraient fièrement afficher, où il est dit: «Je fais partie de l'Ordre des pionniers du Yukon». Au Yukon, une telle désignation est très importante.

Nous voulons que vous compreniez que la question pour les homosexuels et les lesbiennes, c'est que nous voulons être fiers de ce que nous sommes et que nous voulons faire partie de la société.

Le CCASF accueille favorablement le projet de loi C-23 et vous exhorte à l'appuyer, mais nous nous préoccupons des éventuelles conséquences négatives de ce projet de loi pour le bien-être financier et social des lesbiennes et de leurs enfants.

J'ai demandé à un groupe de lesbiennes dimanche, car je savais que je devais venir ici, ce qu'elles voulaient que je dise aux honorables sénateurs sur l'analyse comparative entre les sexes. Elles m'ont répondu qu'il fallait dire que les lesbiennes sont les dernières à être embauchées, les premières à être congédiées, qu'elles gagnent 40 p. 100 de moins comme femmes et comme lesbiennes que les hommes; que lorsque nous vieillissons, nous avons tendance à être plus pauvres lorsque nous sommes malades, nous risquons de le demeurer; et que sur le plan de l'immigration, nous ne pouvons pas parrainer des membres de nos familles pour les faire venir au Canada. Elles voulaient que vous sachiez que ces choses sont importantes, et que, bien que le projet de loi C-23 remédie à de nombreux problèmes, il ne va pas assez loin.

Le CCASF souhaite souligner que si nous voulons que le projet de loi C-23 établisse l'équité, il faut faire des efforts pour créer une situation qui protège vraiment les lesbiennes et les homosexuels dans le respect et la confiance. Nous voulons que la réglementation qui découlera de ce projet de loi comprenne des dispositions qui protègent le droit à la vie privée des lesbiennes et des homosexuels.

Ce qui est encore plus important, nous aimerions mettre l'accent sur l'éducation. Les femmes et les personnes membres de minorités visibles savent que la loi seule ne peut donner l'égalité. À titre d'exemple, comme femme de descendance africaine, je peux vous dire qu'il suffit de regarder ce qui est arrivé à la collectivité afro-américaine aux États-Unis malgré les lois sur l'égalité. Le sexisme, le racisme et l'homophobie sont trop présents, font trop partie de la société. Le projet de loi C-23 est un pas en avant, mais demeure insuffisant.

Nous aimerions que soit recommandée une vaste campagne d'éducation et de sensibilisation dans le cadre de l'application de ce projet de loi. Nous aimerions que l'on cible les fonctionnaires fédéraux qui seront responsables de l'application de la loi. Nous aimerions que l'on cible les lesbiennes et les homosexuels afin de les informer de leurs droits et obligations. Nous aimerions que soient ciblés les employeurs qui traitent de questions de protection de la vie privée, et nous aimerions que soit ciblée la société civile canadienne afin de lutter contre les stéréotypes et l'homophobie.

En conclusion, le CCASF se réjouit de l'introduction et de l'avancement de ce projet de loi, qu'il appuie, et encourage les sénateurs à l'adopter. Nous aimerions souligner que les millions de femmes que nous représentons sont unies dans leur conviction qu'il faut mettre fin, et ce, dès maintenant, à toute discrimination à l'égard des lesbiennes et des homosexuels au Canada.

M. David Corbett, conseiller juridique, Fondation en faveur de l'égalité des familles: Tout d'abord, permettez-moi de dire que je n'ai pas de mémoire écrit. À cause de plusieurs problèmes de communication, ce n'est qu'hier que je me suis rendu compte que je devais comparaître ici aujourd'hui. Mme Douglas, la présidente de la fondation, regrette de ne pouvoir être ici aujourd'hui. Elle n'a pas pu modifier son emploi du temps.

La Fondation en faveur de l'égalité des familles est une organisation communautaire qui oeuvre pour obtenir la reconnaissance juridique des couples homosexuels. Nous avons surtout fait appel aux tribunaux à cette fin. Nous nous intéressons tout particulièrement à ce projet de loi parce que notre fondation a intenté des poursuites contre le gouvernement pour toutes les lois de ce genre il y a quelque deux ans. Les poursuites continuent. Je suis l'avocat dans ce dossier et donc je le connais assez bien. En un mot comme en mille: si vous n'adoptez pas ce projet de loi, nous allons continuer à intenter des poursuites. Toutefois, j'espère vous donner de meilleures raisons d'adopter le projet de loi que cette seule raison-là.

La fondation a participé, soit comme intervenant, soit comme partie, à toutes les principales décisions qui touchent les couples homosexuels en Ontario et devant la Cour suprême du Canada. La décision la plus connue est celle de l'affaire Rosenberg, où la Cour d'appel de l'Ontario a statué que la définition de «conjoint» dans la Loi de l'impôt sur le revenu était discriminatoire parce qu'elle n'incluait pas les couples homosexuels. Le Canada n'en a pas appelé de cette décision. Le principe qui est ressorti de cette affaire régit toutes les lois qui sont à l'étude ici.

La première raison d'adopter ce projet de loi, la raison pour laquelle vous avez le devoir d'adopter ce projet de loi, c'est que la Constitution l'exige. Cela fait partie du droit fondamental de notre pays. Vous avez le devoir de confirmer cette loi et de suivre l'interprétation que la Cour suprême du Canada en a fait. La cour a en partie le rôle d'élaborer nos principes constitutionnels, et le Parlement et le Sénat ont en partie le rôle de réagir aux décisions de la cour sur ce qu'est la loi. Cela fait partie de la primauté du droit et des principes juridiques les plus fondamentaux de notre pays.

Deuxièmement, en guise d'introduction, permettez-moi de vous dire qui je suis. Je suis actuellement l'avocat de la fondation, mais j'ai aussi été administrateur. Je pratique le droit à mon compte à Toronto. Je suis également professeur aux facultés de droit de l'Université de Toronto, d'Osgoode Hall et de l'Université de Western Ontario. Je fais du droit et j'enseigne le droit.

Nous vous exhortons à adopter ce projet de loi pour trois raisons: tout d'abord, la Constitution l'exige; deuxièmement, le projet de loi est conforme à la justice sociale et à l'engagement du Canada sur le plan des droits civils et humains; et, troisièmement, il ne nuit à personne.

Je vais commencer par la fin, parce que c'est l'aspect dont il est le plus souvent question. En fait, c'est une réplique à ceux qui s'opposent au projet de loi. L'argument le plus convaincant semble être que ce projet de loi, d'une certaine façon, s'en prend ou déroge à la notion de famille traditionnelle, quelle qu'elle soit. Par «famille traditionnelle», on entend famille hétérosexuelle. C'est drôle, mais nous n'avons pas constaté une diminution du nombre de naissances ou du nombre de mariages de couple hétérosexuels à cause de la reconnaissance accordée aux couples homosexuels. C'est comme si on supposait que le fait de reconnaître une réalité sociale va couper l'appétit, si on veut, aux hétérosexuels, et les empêcher d'avoir des familles. Ce projet de loi n'enlève rien à la famille hétérosexuelle. La famille n'est pas une situation gagnant-perdant. La reconnaissance accordée aux familles homosexuelles n'aura aucune incidence sur les familles hétérosexuelles et aucune incidence sur le fait que les gens vont continuer à se rencontrer, à devenir amoureux, à avoir des enfants et à élever ces enfants. Il est fallacieux de prétendre qu'en reconnaissant les relations des lesbiennes et des homosexuels on influe le moindrement sur les relations des autres. Cela n'a rien à voir.

Sur le plan de l'engagement à promouvoir la justice sociale, les décisions juridiques de la Cour suprême du Canada et des autres tribunaux du pays reposent sur l'article 15 de la Charte. Or cette disposition vise la protection des minorités. Même si la majorité s'opposait à ce projet de loi, vous auriez quand même le devoir de l'adopter. L'objectif premier de la protection des droits des minorités consiste à protéger les minorités mal aimés contre les majorités indifférentes ou hostiles.

Comme l'a affirmé EGALE dans son mémoire, je reconnais que d'après le sondage Angus Reid la majorité est non pas hostile, mais favorable à cette mesure. Pourtant, peu importe qu'elle soit hostile ou favorable. L'objectif de cette disposition est de protéger les minorités mal aimées. On aurait bien tort de s'opposer à cette disposition par crainte des sentiments hostiles de la majorité.

Mon dernier commentaire concerne l'amendement. La fondation ne partage pas tout à fait le point de vue d'EGALE sur cet amendement. Nous considérons que l'article 1.1 concerne le mariage. Tout d'abord, cette question sera contestée en justice, que ce soit sur la base de l'article 1.1, ou bien de la définition de «mariage» en common law. Malheureusement, nous ne pensons pas que le Parlement prendra l'initiative d'aborder carrément la question d'un point de vue législatif. Comme c'est une question controversée, le Parlement préférera sans doute la confier aux tribunaux. C'est bien malencontreux, et nous le déplorons. En abandonnant la question aux tribunaux, nos représentants élus trahissent un manque de leadership. Les tribunaux vont se faire traiter d'activistes quand ils trancheront la question dont ils auront été saisis, mais c'est bien la réalité politique.

L'article 1.1 est fortuit; il n'ajoute rien au projet de loi. Il va donner lieu à une pléthore de litiges pour les avocats spécialisés en droit de la famille, à cause des insuffisances de la définition de «mariage hétérosexuel». À la limite, cette définition pourrait comprendre l'inceste; elle ne l'exclut pas. Elle risque d'avoir une incidence importante sur le divorce, car elle ne semble pas considérer qu'on puisse mettre un terme à ces relations. L'intention du législateur était différente. Elle visait simplement à adopter une définition en common law de «mariage» et à affirmer que le projet de loi ne changeait rien à cette définition.

Lorsque qu'une question suscite une vive réaction dans la population, il en résulte une disposition mal rédigée qui n'aide en rien l'application du projet de loi. Des difficultés peuvent en résulter par la suite, mais les avocats spécialisés en droit de la famille en feront leurs choux gras en invitant les tribunaux à déterminer ce que l'article 1.1 apporte à la loi. Nous considérons que c'est une mauvaise disposition, qu'elle n'a pas sa place dans le projet de loi, mais il nous semble encore plus important que le projet de loi soit adopté dans les plus brefs délais.

Nous avons signalé au ministère de la Justice qu'il nous indiquait une cible facile et nous invitait à intenter des poursuites sur le thème du mariage. Je suis certain que de telles poursuites seront intentées d'ici 12 à 18 mois. Néanmoins, nous considérons qu'il faut quand même adopter le projet de loi. Soyons pratiques et veillons à le faire adopter le plus tôt possible de façon à l'intégrer à la législation applicable.

Pour autant, on aurait tort de considérer que nous sommes favorables à l'article 1.1. Voilà qui termine mon exposé.

Le sénateur Beaudoin: Après avoir entendu les cinq témoins de ce matin, j'ai l'impression que tout tourne dans une certaine mesure autour de l'article 1.1. Un témoin affirme qu'il faudrait en diminuer la portée; un autre dit qu'il n'a pas sa place dans le projet de loi, tandis qu'un troisième affirme que l'adoption du projet de loi est à ce point essentielle qu'il faut absolument voter pour, avec ou sans l'article 1.1.

N'est-ce pas ce que vous avez dit, monsieur Corbett?

M. Corbett: Oui, avec ou sans. Nous voulons que le projet de loi entre en vigueur le plus vite possible. Nous n'aimons pas cet amendement, mais nous sommes prêts à le contester devant les tribunaux.

Le sénateur Beaudoin: Évidemment, il nous faut tenir compte du fait qu'indépendamment de l'article 1.1 les tribunaux pourront toujours se prononcer sur la constitutionnalité du projet de loi.

[Français]

Je crois comprendre, madame Ouellet, que votre argument est le suivant: rien n'empêche une cour de justice de dire que l'article 1.1 est inconstitutionnel. C'est votre hypothèse. Qu'il soit là ou non, cela ne change rien au pouvoir des cours de justice. Cependant, vous dites que cela écarte le devoir d'aller devant les tribunaux pour le faire déclarer inconstitutionnel. Est-ce bien ce que vous avez affirmé?

Mme Ouellet: Pour résumer, l'inclusion de l'article 1.1 a ajouté l'insulte à tout le reste. Cela fait plusieurs années que nous sommes obligés de se traîner à quatre pattes devant les tribunaux pour les supplier de nous accorder quelque chose qui est évident et gros comme le nez dans le visage. Nous sommes tous, de naissance et de citoyenneté, supposés être traités également devant la loi. Si vous adoptez le projet de loi C-23 tel quel ou autrement, on va tous se retrouver devant le tribunal parce qu'il ne va pas assez loin. On donne une réponse politique à une question de droit fondamental. C'est une erreur au départ. Ce n'est pas un débat politique, ce n'est pas un débat moral, c'est une question de droit fondamental.

Le devoir des législateurs est de conformer toutes les autres lois au désir qu'a exprimé une société en adoptant la Charte canadienne des droits et libertés. On doit retourner à la source de cette volonté en disant que c'est une société démocratique qu'on veut et en expliquant comment on la veut. À l'avenir, tout pacte législatif doit être conforme à cette volonté.

Le sénateur Beaudoin: Oui, mais vous dites: «Amendez-le et cela va sauver une poursuite devant les tribunaux.»

Mme Ouellet: Oui, peut-être en vertu du projet de loi C-23.

[Traduction]

Le sénateur Beaudoin: M. Corbett dit que d'une façon ou d'une autre le projet de loi sera contesté et qu'il faut donc voter son adoption immédiatement, ce qui donnera au moins une base de départ.

Le sénateur Cools: Les contestataires seront déboutés, d'après son témoignage. Il a dit que c'était une cible facile.

Le sénateur Beaudoin: Oui. Après avoir entendu les témoins, je consacrerai ma question exclusivement à l'article 1.1. Le principe n'est pas le même, et en pratique on pourrait en venir à une conclusion différente. Je le comprends bien.

Pour vous, c'est une question de principes fondamentaux. Il faut être juste envers tout le monde.

[Français]

Mme Ouellet: Cela m'a toujours intéressée. Je suis francophone du Québec, lesbienne et avocate. Combien de défauts peut-on avoir dans une seule vie?

Le sénateur Beaudoin: Ce n'est quand même pas un défaut d'être avocat!

Mme Ouellet: Finalement, on dit à peu près la même chose. La seule différence, c'est que si l'article 1.1 reste dans le projet de loi C- 23, c'est comme avoir un gros «Welcome sign». Cela va être encore plus évident. Au Québec, c'est interprété comme une provocation, une chance inouïe que le gouvernement donne aux minorités. Le gouvernement dit qu'il va nous reconnaître du bout des doigts parce qu'il ne nous reconnaît pas vraiment. Il se conforme à un jugement de la Cour suprême. Non seulement il fait cela du bout des doigts avec presque le dédain de certaines personnes, -- parce que j'ai aussi comparu devant le comité des affaires juridiques de la Chambre des communes -- mais en plus, il ajoute une invitation à la poursuite judiciaire. Il y a une contradiction manifeste lorsque le gouvernement dit que l'esprit de la loi est de mettre fin à cette éternelle panoplie de contestations judiciaires de différentes dispositions législatives. D'un autre côté, il fait tout son possible pour mettre quelque chose à l'article 1.1. Pas à la fin, au début. Il dit qu'il veut mettre fin à cela, mais par contre, il nous invite à le poursuivre et à se retrouver devant le tribunal parce qu'il met une exclusion, une discrimination manifeste au tout début de la loi. Comment voulez-vous qu'on comprenne le message?

[Traduction]

Le sénateur Beaudoin: C'est clair, madame la présidente.

Le sénateur Andreychuk: Monsieur Corbett, vous dites que l'on va immanquablement contester l'article 1.1 en invoquant la Charte. La ministre a dit ici que l'article 1.1 est une disposition d'interprétation et qu'elle n'a aucun effet sur les droits individuels dans le cadre du projet de loi, qu'elle est sans rapport avec la question d'ordre général soumise au débat. Partagez-vous le point de vue de la ministre?

M. Corbett: Oui.

Cependant, je ne pense pas qu'il s'agisse d'une disposition d'interprétation, car il n'y a rien d'autre à interpréter dans le projet de loi. Néanmoins, c'est ainsi qu'il a été rédigé. Je ne pense pas que la disposition change quoi que ce soit à la signification des autres dispositions du projet de loi. L'article 1.1 est une affirmation gratuite qui n'est pas conforme à la façon dont les lois sont généralement rédigées. «À propos, nous sommes favorables aux familles.» Il n'est pas courant de rédiger les lois de cette façon. Les lois n'apportent que les mesures nécessaires pour mettre en oeuvre un programme.

«À propos, pour le cas où ce qui suit vous rendrait nerveux, cette disposition n'a rien à voir avec le sujet principal.» Je crois que la ministre a raison de dire que dans cette mesure c'est une disposition d'interprétation.

Le sénateur Andreychuk: On ne peut mélanger les torchons avec les serviettes. Les tribunaux ne vont-ils pas simplement affirmer que cette disposition n'a rien à voir avec la loi?

M. Corbett: C'est peut-être ce qu'ils vont dire. Si le projet de loi C-23 est adopté, nous aurons pour la première fois une définition légale du mariage. Le mariage est une notion de common law. Il y a une Loi sur le divorce, mais il n'y en a pas sur le mariage. Avec ce projet de loi, on aura désormais une loi sur le mariage. La notion de mariage y est définie pour la première fois. Certains avocats vont se fonder sur cette disposition pour définir le mariage. Il y aura contestation de la définition en common law du mariage et de cette disposition en tant qu'affirmation de ce qu'est le mariage. Que l'article 1.1 figure dans la loi ou non, on va contester la définition en common law du mariage. C'est une cible qui vient s'ajouter à la définition en common law. C'est pourquoi nous ne voulons pas que cette disposition figure dans le projet de loi, mais nous ne pensons pas qu'elle déroge aux autres dispositions.

Le sénateur Cools: En réponse aux questions posées de ce côté-ci, vous avez dit avec insistance que l'article 1.1 du projet de loi C-23 est une cible facile. Un sénateur de l'autre côté vous a interrogé sur ce que nous avait dit la ministre. La ministre dit quelque chose de bien différent. Je suis contente que vous ayez soulevé la question, car la ministre dit tout à fait le contraire. Elle dit que la mesure ne représente aucun danger pour le mariage. Et, contrairement à la ministre, vous dites que non seulement il y a un danger, mais que cette disposition, selon vos propres paroles, que j'ai prises en note, constitue aussi «une cible facile». Est-ce que vous pourriez préciser votre pensée?

M. Corbett: Oui, sénateur. Tout d'abord, la notion de mariage sera contestée, que cette disposition soit maintenue ou non. Quelqu'un soumettra la question aux tribunaux. Des poursuites ont déjà été intentées au Québec. Il y en aura d'autres. On en a annoncé l'autre jour à Toronto, qui n'ont pas encore commencé. Mais c'est inévitable. Quelqu'un soumettra la question aux tribunaux, que la disposition soit maintenue ou non.

Ce qui fait de cette disposition une cible facile, c'est avant tout la démarche par laquelle elle a été intégrée au projet de loi. Elle est sans rapport avec l'objet de la loi. En fait, c'est exactement ce qu'affirme cet article: le mariage ne fait pas partie de l'objet de la loi. L'amendement a été présenté en comité après que les groupes invités à se prononcer sur le projet de loi eurent déjà donné leur point de vue, si bien qu'ils n'ont pas eu l'occasion de commenter cette mesure.

Il n'y a pas eu de consultations à ce sujet. C'est une question incendiaire. C'est une question sociale importante et délicate. La ministre l'a rajoutée au projet de loi à la dernière minute, sans consultation et sans débat public. Si le législateur veut s'acquitter de l'obligation qui lui est faite de dégager un vaste consensus pour résoudre un problème social, il lui incombe de consulter.

Pourquoi a-t-on procédé de cette façon pour faire adopter le projet de loi C-23? Il y a eu un combat d'arrière-garde qui visait à satisfaire ceux qui s'opposent aux couples de même sexe. Voilà comment nous qualifierons cette mesure devant les tribunaux. Vous voyez ce qui nous attend. C'est ce qui fait de cette disposition une cible facile. D'un point de vue stratégique, je suis enchanté que les choses se soient passées ainsi, et j'ai l'intention de m'en servir devant la justice.

Le sénateur Cools: Pouvez-vous nous indiquer comment?

M. Corbett: Je vous en ai déjà donné un avant-goût.

Le sénateur Cools: C'est une question très importante, car avec les 1 200 avocats qui travaillent pour elle et les 38 ou 50 millions de dollars d'aide supplémentaire de l'extérieur, la ministre devrait savoir tout cela. Ce que vous nous dites est extrêmement grave. Vous nous dites que nous ne pouvons pas nous fier aux propos de la ministre.

La présidente: Si vous me permettez d'intervenir, je voudrais citer le témoignage de la ministre devant le comité:

La présence de l'article 1.1 dans le projet de loi n'y change rien. L'année dernière, deux poursuites ont été intentées au Québec, où le Code civil définit le mariage. Cette définition est pratiquement identique à celle de l'article 1.1.

L'une des poursuites a été suspendue et l'autre est en instance. Aux fins du Code civil, la question a donc déjà été soumise aux tribunaux. Tout justiciable peut contester un article d'une mesure législative, et n'importe qui peut contester une définition en common law en vertu de la Charte des droits et libertés. La définition en common law du mariage est claire. On le voit à l'article 1.1. Par conséquent, cela ne change rien au paysage juridique ni à la possibilité de contester la définition actuelle du mariage, que ce soit la définition de common law ou celle d'une loi. Il y a au moins une contestation au Québec. Personne ne devrait s'en étonner. On observe des contestations identiques dans la plupart des pays du monde.

Voilà ce qu'a dit la ministre.

Le sénateur Cools: À cette occasion.

Il faudrait prendre l'ensemble des propos de la ministre dans le cadre de ce débat. La signification essentielle de ses propos, c'est que l'article 1.1 n'a aucun effet sur le mariage. En réalité, c'est pour cela qu'elle l'a inclus dans le projet de loi, pour bien indiquer que le mariage restait intact. En fait, madame la présidente, ce que vous venez de nous lire prouve le bien-fondé de l'argument de M. Corbett.

La présidente: Exactement.

M. Corbett: Je suis d'accord avec tout ce qu'a dit la ministre.

Le sénateur Cools: Ce qui m'inquiète dans vos propos, c'est que l'article 1.1 est une invitation lancée aux plaideurs.

M. Corbett: Il serait sans doute préférable de parler de provocation.

Le sénateur Cools: Très bien. Cela correspond à mon point de vue. C'est la façon dont j'interprète les faits, et il ne fait aucun doute que la ministre doit en être au courant. La ministre ne peut pas le savoir.

M. Corbett: Je pense que cette remarque est juste, sénateur Cools. Je ne me souviens pas si vous étiez ici lorsque j'en ai parlé plus tôt, mais le groupe que je représente ici aujourd'hui est en train de poursuivre le gouvernement concernant la loi qui fait l'objet de ce projet de loi, le soi-disant procès omnibus qui a débouché sur le projet de loi omnibus. Au cours de ce processus, nous avons communiqué avec les avocats de la ministre à cet égard et leur avons indiqué notre point de vue sur l'amendement.

Le sénateur Cools: Vous êtes avocat, et la ministre est l'avocate en chef du pays. Avez-vous une idée de la raison pour laquelle le projet de loi renfermerait une disposition qui est si litigieuse et qui, par sa création et sa formulation mêmes, inviterait les poursuites?

M. Corbett: Je peux émettre des hypothèses à ce sujet, sénateur. Mon hypothèse, c'est que cet article existe pour apaiser ceux qui sont préoccupés par l'intégrité de l'institution du mariage. Il s'agit d'un débat public qui se poursuit. Le projet de loi énonce à nouveau la position du gouvernement. Une déclaration a été faite il y a un an, qui n'était pas incluse dans un projet de loi. Nous considérons qu'une telle déclaration ne doit pas figurer dans un projet de loi, mais que cela n'influera pas sur le fond du projet de loi.

Nous considérons qu'en tant que provocation cela est inévitable. Comme la ministre l'a dit dans ses remarques, citées par la présidente, le Canada est un pays libre, les gens ont accès aux tribunaux, et ceux qui n'aiment pas l'exclusion des couples de même sexe de la définition du mariage intenteront des poursuites. Certains l'ont déjà fait et d'autres leur emboîteront le pas.

Nous croyons qu'un effort concerté en vue de porter cette question devant les tribunaux débutera au cours des 12 à 18 prochains mois, que l'article 1.1 soit inclus dans le projet de loi ou non.

[Français]

Je voudrais dire à Mme Ouellet que je suis aussi du Québec et que le Sénat n'est pas le même type de Chambre que la Chambre des communes.

[Traduction]

Nous ne sommes pas ici pour marquer des points devant un électorat. Nous ne sommes pas élus. Comme nous ne sommes pas élus, nous n'avons pas à répondre à des commettants, à une clientèle ou à des groupes de pression. Nous écoutons tout le monde attentivement et nous tâchons de prendre des décisions en tant que législateurs, de faire un second examen des mesures prises par la Chambre des communes. Nous acceptons, modifions ou refusons des projets de loi. Cela fait partie de notre rôle. Nous ne jouons pas le même jeu politique que l'autre endroit.

[Français]

Il est important de le mentionner, parce qu'il n'y a pas d'hostilité ici autour de la table, mais beaucoup d'intérêt et d'attention sur les points de vue que vous voulez exprimer.

Mme Ouellet: C'est la raison pour laquelle j'ai accepté de venir aujourd'hui.

Le sénateur Joyal: J'aimerais revenir sur un élément que vous avez mentionné dans votre présentation et qui est celui de la Loi 32 du Québec. Vous avez mentionné que cette loi a un avantage sur le projet de loi C-23, car elle énonce le principe d'égalité. Cela un peu de la même manière que l'article 15.1 énonce le principe d'égalité, mais l'effet directe de cette loi est de laisser le travail en plan, un peu comme le projet de loi C-23 par rapport à la définition du mariage, puisque la Loi 32 n'a pas amendé le Code civil au Québec au niveau de la définition du mariage.

Si je comprends bien, au Québec on est dans la même position que dans les provinces de common law à l'égard de l'acceptation par le pouvoir de l'autorité législative constituée, de ne pas reconnaître aux couples de même sexe les avantages et les bénéfices de l'institution du mariage, c'est-à-dire la reconnaissance par l'État de l'engagement que prennent deux personne l'une par rapport à l'autre pour partager les responsabilités quotidiennes de l'existence.

En pratique, la loi du Québec a beau être très progressive, elle n'a pas plus réglé le cas que le projet de loi C-23 l'a fait ou que les provinces de common law l'ont fait jusqu'à présent.

Mme Ouellet: L'inclusion de l'équivalent de «Defense of marriage act», c'est-à-dire que l'ancienne définition du Code civil disait que le mariage représentait deux personnes majeures, point. Qu'il doit être célébré entre un homme et une femme, c'est l'héritage du gouvernement en place au moment de la réforme du Code civil et je crois que c'était sous l'égide de M. Bourassa.

En second lieu, si nous avions le pouvoir au Québec de célébrer tous les mariages que l'on veut, cela ne vaudrait pas le papier sur lequel c'est écrit dessus. Parce que la juridiction concernant la validité du mariage est une juridiction exclusive fédérale. On aurait beau avoir les plus belles réceptions au nord des États-Unis, cela ne vaudrait rien et ne demeureraient que des réceptions.

On s'est donc dit qu'on dépenserait nos énergies où cela en vaut la peine et tout de suite. Cela ne servirait à rien de se doter d'une loi qui permettrait d'avoir de belles cérémonies et de belles réceptions, mais qui ne donnerait rien dans les faits. On a alors plutôt attaqué tout ce qui était notre filet social: le droit administratif québécois.

Je crois que le gouvernement du Québec a été au bout de sa juridiction concernant la reconnaissance des conjoints de même sexe. Il reste maintenant à déterminer, de concert avec les autres conjoints de fait sans égard à l'orientation sexuelle, si on doit par contre modifier le Code civil pour reconnaître les conjoints de fait dans le Code civil. Ce qui donnerait les pouvoirs de mandat, de représentation et tout ce qui trait à aux pouvoirs équivalant au mariage.

Mais je me demande pourquoi on s'évertuerait à faire cela; si on appelle cela l'union libre, c'est parce qu'il y a un facteur de liberté qui fait que les conjoints de fait veulent rester libres.

On ne veut pas s'emmerder avec une structure qui mériterait d'être revue. Par ailleurs, une minorité quand même très importante n'a pas accès aux mêmes choix que les autres conjoints de fait parce que c'est de compétence fédérale. Nous sommes coincés dans un étau, pris dans la chicane. Maintenant c'est au tour de notre minorité de se retrouver entre la possibilité d'avoir de belles cérémonies au Québec et aucune espèce de reconnaissance de la part du gouvernement fédéral.

Légalement si la définition du mariage sur le plan fédéral, qui releve de sa juridiction exclusive, incluait les conjoints de même sexe, pensez-vous qu'on n'aurait pas le droit d'avoir de belles cérémonies aussi au Québec? Ce n'est pas plus compliqué que cela. Je ne crains absolument pas le ministère de la Justice ni même le gouvernement québécois concernant cet amendement.

Pour l'instant, ce serait mettre nos énergies dans un amendement alors qu'il faudrait revoir également d'autres dispositions du Code civil, comme par exemple, à savoir si un conjoint de fait peut donner un consentement à un traitement médical en vertu du Code civil même si c'est possible en vertu de la Loi sur la santé et des services sociaux

J'ai mis deux ans et demi de mon existence, à temps plein, 60 heures semaine, pour qu'aboutisse la Loi 32. Nous étions au moins une quarantaine de personnes à travailler dans des groupes et autres à faire cet effort afin de solutionner les problèmes au fur et a mesure qu'ils se présentaient. Nous avons travaillé ensemble et selon un large consensus.

Nous avons eu l'occasion ici de faire un peu le même exercice, mais sans la partisanerie que l'on retrouve dans l'édifice d'à côté, et je m'en trouve soulagée. La dernière fois que j'y suis allée, c'était humiliant de se retrouver parmi des gens qui pensaient différemment, défenseur des soi-disant valeurs traditionnelles.

Si vous prenez les outils mis à votre disposition, vous pouvez faire une différence qui sera remarquée à l'échelle de la planète. Je serais très heureuse de porter cette nouvelle aux Nations Unies, samedi, parce que je participe au Forum du millénaire sur les droits humains.

Le sénateur Joyal: Si je comprends bien votre raisonnement, vous dites que le mariage est une responsabilité du gouvernement canadien, par conséquent, si on veut essentiellement régler cette question, même si le Code civil reconnaît la célébration du mariage selon les mêmes éléments que ceux de la common law, la vraie solution réside dans l'adoption par le gouvernement canadien d'une définition du mariage. Or, le gouvernement canadien jusqu'à présent n'a jamais adopté une loi définissant ce qu'était le marriage, c'est la common law qui a reconnu, dans ses décisions cumulatives, quelle était la définition du mariage. Quand cette notion a été contestée la dernière fois, à ma connaissance, c'était dans une cause de l'Ontario Leyland et Beaulne c. le Procureur général de l'Ontario et du Canada, le gouvernement canadien a plaidé la cause en vertu du maintien de la définition traditionnelle du mariage.

En 1992, il y a eu une opinion dissidente du juge Greer. Qu'est-ce qui vous fait conclure qu'aujourd'hui, compte tenu des autres décisions qui ont été rendues publiques depuis, la décision Rosenberg et la décision M c. H, que la même question posée devant les tribunaux emporterait une décision différente que celle de 1992? Quels sont les éléments différents de plaidoirie que vous feriez valoir pour faire déclarer la définition traditionnelle du mariage non constitutionnelle?

Mme Ouellet: Il y a peut-être un aspect qui serait important et il se résume en un mot: évolution. Je ne veux pas recommencer le débat de Darwin -- l'homme descend du singe et le singe de l'arbre -- mais il n'en demeure pas moins qu'une société qui se pose des bonnes questions arrive à trouver de bonnes réponses, d'habitude.

Si on se retrouve devant un tribunal aujourd'hui pour arriver à démontrer la nécessité de reconnaître que le marriage inclus deux conjoints sans égard à l'orientation sexuelle, au risque de me répéter, ce serait basé sur des notions qui ont évoluées depuis 1776. À cette époque, je ne crois pas que les gens de couleur avaient un statut très égalitaire aux États-Unis. Heureusement, cela a évolué, même chose pour le vote des femmes. Souvenons-nous que cela allait révolutionner le système politique et que c'était la débandade assurée si les femmes obtenaient le droit de vote. N'est-ce pas mesdames?

[Traduction]

Le sénateur Cools: Il y a beaucoup de choses avec lesquelles je ne suis pas d'accord.

[Français]

Mme Ouellet: Si on est rendu à un point où on doit encore une autre fois se retrouver devant les tribunaux pour justifier une notion du droit à l'égalité, j'espère que cette fois sera la bonne, parce que de toute façon, peu importe ce que l'État, les gouvernements et les tribuanux vont décider, on ne va pas disparaître. Depuis que l'humanité existe, nous représentons à peu près 10 p. 100 de la population en général. Les gais et lesbiennes représenteront toujours 10 p. 100 de la population en général bien longtemps après que je serai morte. On ne va pas s'en aller. La seule chose qui arrivera, c'est que la démocratie canadienne risque d'en prendre un coup parce que si on continue à discriminer une minorité, comment pourra-t-on par la suite arriver à justifier une telle injustice, même en vertu de l'article 1 de la Charte canadienne des droits et libertés, dans une société libre et démocratique. Si un individu dans un même État n'est pas libre et pas traité également, la démocratie ne vient-elle pas d'en prendre un accroc encore une fois?

[Traduction]

La présidente: Je crois que M. Corbett a quelque chose à ajouter lui aussi.

M. Corbett: Madame la présidente, j'ai simplement quelques commentaires à faire concernant la question du sénateur Joyal à propos de l'affaire Leland de la Cour de secteur de l'Ontario. La raison pour laquelle la décision pourrait être tout à fait différente, c'est d'abord que la décision majoritaire était faible. Le principe qui soutenait la décision majoritaire voulait que le mariage soit défini comme l'union d'un homme et d'une femme. Les lesbiennes et les gais ne font pas l'objet de discrimination, parce qu'ils peuvent se marier -- ils doivent simplement épouser quelqu'un du sexe opposé, et cela ne constitue pas de la discrimination. Si Mme Ouellet est libre plus tard, elle et moi pouvons aller nous marier si nous le voulons. Ils ont raison là-dessus.

Le raisonnement utilisé était qu'étant donné que la définition vous exclut, vous êtes simplement exclu par définition, et par conséquent vous êtes perdant. C'est tautologie. Il existe d'autres arguments qui militent en faveur de la position de la majorité, mais dans ce cas-là la majorité ne les a pas présentés. C'est pourquoi la décision présente des faiblesses. Cela remonte à 1992. Beaucoup de choses se sont produites depuis.

L'argument le plus percutant provient du juge LaForest de la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Egan, qui parle du caractère historique de l'institution du mariage. À son avis, il s'agit de par sa nature même d'une institution hétérosexuelle, et il explique pourquoi. Son argument a été rejeté par quatre voix contre cinq à la Cour suprême du Canada. Les cinq juges qui ont voté contre lui ne se sont pas penchés sur la question du mariage et l'ont expressément exclue. Je pense qu'on ne sait toujours pas comment les tribunaux trancheront cette question. Au lieu d'y donner suite de façon formelle, la Cour suprême du Canada ne dirait pas: «La définition est X; par conséquent, vous êtes perdant.» C'est une tautologie; c'est un raisonnement peu convaincant. On ne sait absolument pas comment ils considéreront la notion de mariage dans le contexte de la contestation dont ils sont saisis. Il importe d'établir une distinction entre la notion de mariage civil, qui est une construction légale qui confère un statut, des droits et des avantages en vertu de la loi, et celle de mariage religieux. Personne ne veut insinuer qu'une loi doit être adoptée pour inciter une Église en particulier à modifier sa doctrine.

Le mariage légal, le mariage civil et le mariage religieux se recoupent, mais ils sont tous différents. Personne ne propose d'y changer quoi que ce soit. Cette distinction doit être clairement établie et ne l'a pas été dans ce cas. Sur le plan juridique, on ignore tout à fait comment les tribunaux trancheront cette question.

Le sénateur Beaudoin: L'article 91(26) de la Constitution, qui traite du mariage et du divorce, est très clair. De toute évidence, le Parlement du Canada peut donner une définition du mariage et du divorce. Cela ne fait aucun doute. En ce qui concerne la célébration du mariage, la Constitution est aussi très claire. La «célébration du mariage» a été interprétée de façon très généreuse. Elle est du ressort des provinces. Cependant, le Parlement n'est jamais obligé de légiférer. C'est toujours la même chose. Nous devons prendre notre responsabilité au sérieux ici. Certains sont d'avis que nous devrions laisser cette responsabilité aux tribunaux. Je pense que nous devrions avoir le courage de légiférer lorsque cela est nécessaire. De toute évidence, il ne faut pas légiférer lorsque c'est inutile. La seule chose sur laquelle on peut se pencher ici, c'est l'article 1.1, en ce qui concerne la définition de «mariage». C'est tout ce que nous avons, si je ne me trompe pas.

M. Fisher: Pour un projet de loi qui, en apparence, prétend n'avoir rien à voir avec le mariage, on semble consacrer beaucoup de temps à la définition de «mariage» et à ce que représente le mariage. Il serait plus juste de dire que ce projet de loi n'avait rien à voir avec la définition de «mariage» jusqu'à ce que la ministre y ait ajouté l'article 1.1. Alors, soudainement, c'est uniquement ce sur quoi porte le débat. Il alimente les préoccupations des témoins qui considèrent que le projet de loi ne concerne que le mariage, étant donné l'existence de cette définition qui alimente nos préoccupations. Si nous voulions énumérer, en annexe au projet de loi, tous les aspects dont il ne traite pas, cette annexe serait longue. Pour une raison quelconque, la ministre a jugé nécessaire d'ajouter l'article 1.1 au projet de loi. Bien qu'il y ait eu peut-être certaines divergences d'opinions dans nos exposés originaux quant aux mesures à prendre au sujet de l'article 1.1 du projet de loi, nous avons tous été unanimes pour dire que l'article 1.1 du projet de loi est un mauvais article et qu'il ne devrait pas figurer dans ce projet de loi. C'est une mauvaise loi. Cependant, quant aux mesures à prendre à cet égard, ce n'est pas notre problème, mais le vôtre.

Devons-nous inclure une disposition qui de toute évidence est mauvaise et n'a rien à voir avec le projet de loi? Cela fait dévier le débat vers une question dont le projet de loi ne devait même pas traiter. Devrions-nous reconnaître que la politique se doit d'être pragmatique et que le renvoi du projet de loi à la Chambre des communes comporte des risques? Si vous envisagez d'apporter d'autres amendements et de renvoyer le projet de loi à la Chambre, alors il faudrait renvoyer cet amendement également.

La présidente: Et s'il n'y a pas d'autres amendements?

M. Fisher: S'il n'y en avait pas, est-ce que nous dirions: «Renvoyez le projet de loi uniquement à cause de cette question?» Par principe, s'il est renvoyé à la Chambre, c'est un risque que nous sommes disposés à prendre. Notre conseil l'a examiné et a déclaré qu'il s'agissait d'une disposition offensante qui n'a pas de raison d'être dans le projet de loi.

Le sénateur Beaudoin: Je croyais que vous aviez dit au tout début que nous pourrions garder l'article 1.1 du projet de loi à condition que nous arrêtions après le mot «mariage». Est-ce exact?

M. Fisher: Oui, c'est exact.

Le sénateur Beaudoin: J'aimerais savoir pourquoi vous arrêtez là.

M. Fisher: Nous considérons fondamentalement que l'article 1.1 n'aurait jamais dû être ajouté à ce projet de loi et que la meilleure solution consiste à le retirer du projet de loi. Nous reconnaissons aussi que les opinions divergent à cet égard. Le compromis que nous avons proposé à la Chambre et dont nous pouvons nous accommoder -- bien que ce ne soit pas la solution que nous préférons -- consiste à terminer la phrase après le mot «mariage».

Le sénateur Beaudoin: C'est une solution que vous accepteriez?

M. Fisher: Oui. On n'aurait pas à débattre pour savoir si ce projet de loi définit le «mariage», parce qu'il ne le définirait pas. On indiquerait simplement: «Le présent projet de loi n'a pas d'incidence sur la définition de «mariage».» Mais en ajoutant le terme «soit», puis en incluant une définition, le projet de loi va plus loin, puisqu'il dit: «Cela ne concerne pas le mariage, mais nous allons vous dire de toute façon ce que l'on entend par mariage.»

Le sénateur Beaudoin: Je comprends votre argument maintenant.

La présidente: Nous ne voulons pas nous éterniser sur ce point en particulier.

Le sénateur Cools: J'ai une question supplémentaire concernant l'argument présenté par M. Corbett. Il sera très intéressant, monsieur Fisher, de voir la réaction de la ministre aux amendements que nous apporterons à son propre amendement. J'en déduis que vous recommandez au Sénat d'amender cette disposition ou de la supprimer.

Monsieur Corbett, dans vos remarques sur la question du «mariage» vous avez mentionné le terme «inceste». Selon vous, la définition de «mariage» prévue par la common law permettrait l'inceste. Vous avez mentionné l'absence d'intervention fédérale dans le domaine du mariage. Pourriez-vous nous donner plus de précisions quant à ce que vous entendez par inceste?

M. Corbett: La définition de «mariage» prévue par la common law est assez complexe et exclut l'inceste.

Le sénateur Cools: Effectivement.

M. Corbett: Différents pays considèrent qu'il y a inceste en fonction de différents degrés de consanguinité. On considère toujours qu'il y a inceste lorsqu'il s'agit de frères et de soeurs, mais pas toujours dans le cas des oncles par alliance. Cela dépend du pays. C'est une fonction de la common law. La définition incluse à l'article 1.1 n'aborde pas toutes les nuances qui se sont développées en common law au sujet de la définition de «mariage». On indique simplement qu'il s'agit de l'union d'un homme et d'une femme. Un frère et une soeur sont un homme et une femme. Où, dans cet article, exclut-on le mariage entre un frère et une soeur?

Le sénateur Pearson: On dit «union légitime», et la loi exclurait les frères et les soeurs.

La présidente: Je crois qu'il existe des dispositions dans le Code criminel et dans la Loi sur le mariage (degrés prohibés).

Le sénateur Cools: C'est une loi qui interdit le mariage entre personnes apparentées.

M. Corbett: Il faudrait alors les lire ensemble. Je n'ai pas dit que la définition de «mariage» prévue par la common law inclut l'inceste. Ce n'est pas ce que j'ai voulu dire.

Le sénateur Cools: Je sais que ce n'est pas ce que vous avez dit. Je me demandais simplement si cette définition pourrait être élargie pour inclure l'inceste. Je voulais simplement que vous m'apportiez des précisions à ce sujet.

Le sénateur Joyal: La déclaration faite par M. Fisher me rend perplexe. D'une part, vous dites que ce projet de loi permet de réaliser certains progrès au niveau des avantages et des obligations reconnus et met fin à une situation discriminatoire à laquelle je crois que nous nous opposons tous ici autour de cette table et pour laquelle nous serions prêts à légiférer immédiatement. D'autre part, vous dites que le projet de loi renferme certaines incohérences et certaines contradictions en énonçant de nouveau la définition de «mariage» prévue par la common law et que par conséquent il faudrait renvoyer le projet de loi à la Chambre des communes. Vous dites que vous êtes prêt à prendre le risque qu'il soit rejeté.

Je suis un législateur. C'est la responsabilité que je dois assumer et c'est la raison pour laquelle je suis ici devant vous aujourd'hui. Je ne suis pas sûr de vouloir perpétuer une situation discriminatoire pour des gens qui ont beaucoup souffert et qui continuent de souffrir. Je pense qu'un grand nombre de vos prédécesseurs qui ont comparu ici ont décrit la situation. Vous y avez fait allusion vous aussi. Je ne prendrais pas le risque de maintenir des conditions insoutenables pour un grand nombre de gais et de lesbiennes qui essaient de vivre selon les règles et les lois de notre pays tout en étant privés des mêmes avantages dans la poursuite de l'intérêt supérieur. Même si, comme je l'ai dit publiquement, j'estime que le projet de loi renferme une lacune, je pense qu'il est préférable de mettre fin à la discrimination répandue à l'égard des couples de même sexe et n'aller de l'avant pour combattre les autres problèmes. Je ne crois pas que si nous conservons l'article 1.1 dans le projet de loi, nous compromettrons notre cause devant la Cour suprême. Comme M. Corbett vient de le dire, cela nous aidera à faire valoir notre argument.

Je comprends que vous ayez une position ferme en principe, mais lorsque vous me demandez de courir le risque de voir ce projet de loi rejeté à l'autre endroit, pour quelque raison que ce soit, nous devons y réfléchir à deux fois, ce qui est d'ailleurs notre raison d'être.

Pourriez-vous commenter ma réaction à votre position?

M. Fisher: Je considère qu'il s'agit d'une position raisonnable. Si le projet de loi était adopté dans sa forme actuelle, nous accepterions certainement qu'il s'agit d'un important pas en avant, en regrettant que ce ne soit pas le projet de loi qui aurait pu être adopté.

Si cela comporte des risques, il faudra en imputer la responsabilité directement à la ministre, car c'est elle qui a provoqué cette situation en ajoutant une disposition qui n'aurait pas dû figurer dans le projet de loi et qui par conséquent a obligé des groupes comme EGALE et a obligé le comité à prendre des décisions difficiles. Nous n'avons pas choisi de nous trouver dans cette situation. C'est une situation dans laquelle la ministre nous a placés en ajoutant une définition offensante à un texte de loi qui autrement est bon.

Le rôle du Sénat consiste entre autres à être une chambre de second examen objectif, à examiner les lois pour s'assurer qu'elles sont aussi efficaces que possible. Nous acceptons que le projet de loi avec l'article qui y a été ajouté représente un important pas en avant.

L'autre option dont dispose le Sénat consiste à adopter le projet de loi et à exprimer ses réserves à propos de cet article, ou à faire des déclarations fermes à propos de la façon dont il considère cet article. Cela pourrait fournir une indication claire à la Chambre des communes et à la population canadienne à propos de ce genre de dispositions et de ce genre de manoeuvres politiques qui ont abouti à la situation dans laquelle nous nous trouvons à l'heure actuelle.

Il existe bien sûr des précédents. Je crois que dans son étude de la Loi sur les juges, le comité a éliminé la définition de conjoint de sexe opposé précisément parce qu'il a trouvé qu'il s'agissait d'une disposition offensante. Il s'agit d'une question à examiner sérieusement. Il est difficile d'établir un équilibre, et je ne prétends pas qu'il n'existe qu'une solution.

[Français]

Mme Ouellet: J'aurais probablement eu des reproches si je n'avais pas fait preuve de sincérité et d'honnêteté en vous demandant exactement ce que je devais faire comme travail. C'est mon devoir de vous demander de considérer les choix sociaux qu'on s'est donnés.

Je n'ai pas non plus à vous suggérer une porte de sortie. Si le feu est pris à la Chambre des communes, c'est parce qu'ils l'ont mis. Ce n'est pas moi qui l'ai mis. Je n'ai pas à jouer le pompier non plus. Il doivent être des politiciens et des politiciennes responsables. Comme on dit en anglais:

[Traduction]

Que ceux qui trouvent la situation intenable s'en aillent.

[Français]

Votre travail est de considérer le désir de la population avec le projet de loi qui a été déposé. Avec toute la sympathie que je peux avoir pour votre travail, c'est à vous de prendre les décisions en conséquence. Je ne vous sortirai pas du building en feu. Toutefois, je peux comprendre que pour des raisons de stratégie, vous optiez pour telle position par rapport à une autre.

Je me considère relativement jeune, en bonne santé et j'ai l'intention de vivre très vieille. Tant et aussi longtemps qu'il y aura de la discrimination quelque part, vous allez trouver quelqu'un comme moi -- si ce n'est pas moi -- qui va vous rappeler à l'ordre à chaque fois. Si cela ne suffit pas, on ira devant le tribunal. N'oubliez pas qu'il y a 10 p. 100 de la population qui est d'orientation homosexuelle. Ce sont aussi des avocats, des notaires, des juges, des comptables, des chauffeurs de taxi. Ils se retrouvent dans toutes les couches de la société, dans toutes les professions. On paie des taxes et on vote. Vous n'êtes pas élus, mais de l'autre côté ils le sont. De plus en plus, notre vote aura un poids considérable. La discrimination doit cesser et le plus tôt sera le mieux. Vous pouvez prendre la position que vous voulez. Vous allez faire votre possible, j'en suis convaincue. Cependant, si le travail n'est pas complet, peu importe le temps que cela prendra, on va revenir.

[Traduction]

Mme Vance: Je ne veux pas laisser entendre que cela a été une décision facile pour nous. Cette décision a été très difficile. La réunion du conseil a duré très longtemps. Cependant il s'agit d'une position de principe, et depuis sa création EGALE a toujours souscrit aux principes de l'égalité. Notre organisation ne pouvait pas appuyer un projet de loi qui renferme une disposition qui viole l'égalité de façon fondamentale. Il s'agissait d'une décision philosophique plutôt que d'une façon pratique d'envisager le sort qui pourrait être réservé à ce projet de loi si le Sénat devait le renvoyer.

Cependant, quelle que soit la raison pour laquelle la ministre a jugé nécessaire de présenter cet amendement, je ne suis pas convaincue qu'il a changé la façon dont ont voté les gens de l'autre endroit qui s'opposaient au projet de loi pour commencer. Par conséquent, nous ne considérons pas que l'élimination ou la modification de cette disposition et son renvoi à la Chambre des communes comporteraient le risque qu'il soit rejeté lors d'un vote, parce que le projet de loi a franchi l'étape de la deuxième lecture sans cet amendement. Cet amendement n'a jamais été débattu en comité. Il sera peut-être retardé à cause de certaines considérations d'ordre politique. Je suppose que nous sommes prêts à prendre ce risque, tout en espérant que les élections ne seront pas déclenchées, ce qui entraînerait la mort du projet de loi. Cependant, nous avions un principe à maintenir, et c'est ce que nous avons décidé de faire.

Le sénateur Joyal: Je comprends votre position.

M. Corbett: La Fondation en faveur de l'égalité des familles est d'accord avec tout ce que dit EGALE, mais voit les choses différemment sur le plan pratique. Le projet de loi 167 de l'Ontario visait à régler nombre de ces mêmes questions il y a cinq ou six ans, mais comme il n'était pas parfait, il n'a pas été adopté, et ils ont tout perdu. Le projet de loi 5 a été promulgué l'automne dernier en Ontario. Les groupes de lesbiennes et de gais qui ont été consultés par le gouvernement ont indiqué qu'ils étaient disposés à ne pas manifester contre ce projet de loi même s'il ne leur plaisait pas. Nous avons dit qu'il répondait à 80 p. 100 des attentes même s'il contenait des dispositions encore inadmissibles -- dispositions beaucoup plus inadmissibles, ajouterais-je, que celles qu'il y a dans ce projet de loi-ci dans la mesure où il crée une catégorie distincte de couples de gais, de couples du même sexe.

À notre avis, le risque d'élections cet automne avant que cette question ne soit réglée, entraînant un délai supplémentaire d'une, de deux, voire de trois années, ne vaut pas la peine. C'est simplement une vision différente sur le plan pratique, et non pas au niveau des principes.

Mme Hopkins: Il importe énormément que les sénateurs comprennent le pragmatisme extrême du Comité canadien d'action sur le statut de la femme. Nous représentons toutes les femmes du Canada. Nous ne nous opposerons pas au projet de loi, car il nous donne une partie de ce que nous réclamons, mais nous continuerons à nous battre pour le reste.

Il faut que cela soit absolument clair. Le reste de cette disposition est inadmissible pour les lesbiennes. Elle nie, en effet, la validité de nos relations, de nos engagements et de nos familles. Je tenais à le dire, car je n'en ai pas parlé dans ma déclaration. Vous le trouverez dans notre mémoire.

Le sénateur Pearson: Hier soir, nous avons entendu un exposé fort intéressant d'un avocat représentant l'Église unie. Il a beaucoup aidé ceux et celles d'entre nous qui ne sont pas juristes. Vous réclamez une définition du mariage aussi large que possible. Je comprends votre argument. Cependant, j'aimerais avoir quelques petites précisions. Quelle est la différence aujourd'hui? Je ne parle pas de mariages entre personnes du même sexe. Quelle est aujourd'hui la différence entre l'union de fait et le mariage entre deux personnes de sexe opposé?

M. Corbett: Quand vous vous mariez, les avantages et les obligations vous incombent dès le moment que votre mariage est célébré. En vertu de la loi fédérale et de la loi provinciale, l'attente est de un à trois ans. En vertu de la majorité des lois fédérales et provinciales, il faut qu'il y ait cohabitation. Il n'est pas nécessaire de cohabiter si vous êtes mariés. Dans la sphère fédérale, la majorité des obligations et des avantages sont les mêmes, que vous soyez mariés ou en union de fait mais dans la sphère provinciale ils peuvent être très différents.

Le sénateur Pearson: Pouvez-vous nous donner quelques exemples?

M. Corbett: Le droit d'occuper le foyer conjugal et la division des biens en cas de divorce. En Ontario, il n'y a pas de division des biens pour les couples en union de fait à moins de démontrer l'existence d'une fiducie judiciaire, procédure très lourde et très onéreuse. Si vous êtes mariés, la division est censée se faire moitié-moitié, sauf s'il y a d'autres circonstances d'héritage, et cetera.

Mme Ouellet: Il y a un autre exemple plus dramatique. Si vous vivez en union de fait et que votre partenaire meurt et que vous n'êtes pas protégé par la loi, le lendemain matin vous devez vous présenter au bureau. Essayez d'imaginer la situation.

M. Corbett: La situation n'est pas la même dans toutes les provinces.

Le sénateur Pearson: Ces questions relèvent du provincial.

M. Corbett: C'est analogue aux lois de succession. La compétence fédérale sur le mariage a bien entendu un effet global sur toutes ces choses.

Le sénateur Pearson: J'aimerais deuxièmement savoir pourquoi certaines personnes choisissent délibérément l'union de fait plutôt que le mariage.

M. Corbett: Pour commencer, c'est à eux qu'il faudrait poser la question. L'attribution des obligations et des avantages étant ce qu'elle est, les personnes qui ne veulent pas s'engager ne sont pas du tout pressées de se déclarer comme conjoints. Le marié qu'on traîne de force à l'église ou qui y va à reculons est une icône beaucoup plus mythologique que ceux qui se prétendent être des conjoints sans l'être. Les politiques peuvent influencer ce genre d'attitude. Dans certains pays européens où être un couple est nettement désavantageux sur le plan fiscal, les gens construisent des portes supplémentaires pour entrer dans la maison, une salle de bain supplémentaire afin de pouvoir dire: non, nous ne sommes pas un couple, et ils dorment en cachette ensemble. De leur côté, les inspecteurs des impôts essaient, eux, de leur dire: «Non, non, non, vous êtes un couple: alors payez vos impôts.» D'une manière générale, les gens ne crient pas sur les toits qu'ils vivent avec quelqu'un d'autre quand ce n'est pas vrai.

Le sénateur Pearson: Je peux certainement le comprendre pour ceux qui vivent une relation dite «normale». Qu'arrive-t-il aux enfants -- bien entendu, cela ne concerne pas exclusivement les d'unions de fait mais les cas sont plus fréquents -- en cas de rupture? Le rapport avec ce projet de loi n'est pas forcément évident, mais je crois que c'est une question importante, liée à ce contexte, et qui intéresse tout particulièrement les gens comme moi qui recherchent avant tout à protéger les enfants. Comment encourager les parents à assumer leurs responsabilités envers leurs enfants sur le long terme? Il est affligeant de constater combien d'enfants souffrent de la séparation de leurs parents. Certains enfants s'en sortent fort bien, et je ne dis pas le contraire, mais il reste que c'est une situation conflictuelle. Comment minimiser le conflit entre les partenaires? C'est difficile pour la loi.

Mme Vance: Le projet de loi C-23 confirme les responsabilités envers les enfants. Je tiens à le rappeler. Si le projet de loi C-23 est adopté sans l'amendement, nombre de ses dispositions reconnaissent le statut des conjoints de fait et de leurs enfants. Ce faisant, le gouvernement du Canada reconnaît la valeur que nous attribuons à ces relations et aux enfants associés à ces relations. C'est une manière de valoriser et de valider les familles et les enfants. Si vous vous renseignez, vous constaterez que dans de nombreuses provinces les couples en union de fait ne savent pas qu'ils ne sont pas sur un pied d'égalité avec les couples mariés.

Un exemple personnel: le père de ma partenaire a vécu en union de fait pendant 20 ans avec une conjointe qui vient tout juste de décéder. Devant son lit de mort, il a été informé par sa famille qu'elle avait d'autres intentions concernant son corps et ses biens et qu'il n'avait absolument aucun droit. Il n'en avait aucune idée. Il croyait que le fait d'avoir vécu avec quelqu'un pendant 20 ans lui donnait certains droits et certains privilèges en Nouvelle-Écosse, mais il se trompait.

Le sénateur Pearson: Et ces nouvelles dispositions l'aideraient?

Mme Vance: Elles l'aideraient car les provinces adopteront probablement des lois qui feront, disparaître ces formes de discrimination. Donc, oui, absolument, ce genre d'initiative est très utile.

Mme Ouellet: Une petite précision: 30 p. 100 des couples de lesbiennes au Québec ont des enfants, et le taux de rupture n'est ni plus élevé ni moins élevé.

Le sénateur Pearson: Ce n'est pas du tout ce que je voulais dire.

Mme Ouellet: Comme je l'ai dit, nous vivons des relations qui nous distinguent, car nous sommes des partenaires de même sexe, mais nous avons les mêmes problèmes que vous. Nous avons les mêmes responsabilités. Nous voulons un monde pacifique, un environnement propre, un bon gouvernement et moins d'impôts. Nous avons les mêmes préoccupations. Nous voulons les mêmes choses, peu importe notre orientation sexuelle.

Le sénateur Pearson: Je ne me permettrais pas de le contester.

La présidente: Cela m'incite à poser une autre question. Mme Vance nous a dit que vous n'avez pas le droit de prendre des décisions médicales. Qu'en est-il alors des enfants? S'il y a une décision à prendre à propos de la garde de ces enfants en cas d'urgence médicale ou de rupture du couple, comment ces enfants sont-ils protégés dans de tels cas, ou le sont-ils?

Mme Ouellet: C'est différent. Le Québec fait exception. En fait, même le Code civil ne nous donne pas de pouvoir sur les enfants quand il s'agit de santé et de services sociaux. Je peux donner mon consentement pour ma partenaire, si elle veut que je le fasse, dans un hôpital, non pas en vertu du Code civil, mais en vertu de nos lois administratives. Pour ce qui est de l'éducation, une école ne peut empêcher pour des motifs d'orientation sexuelle la participation de deux parents de sexe féminin à une réunion de parents d'élèves ou à une réunion d'orientation pédagogique. Le seul problème, c'est que les partenaires de fait ne sont pas reconnus de la même manière officielle que les couples mariés. Il faut toujours avoir avec soi toutes sortes de papiers et de documents. Il faut un affidavit. Il faut un mandat pour les cas où on ne vous permet pas de prendre votre propre décision.

J'ai un contrat d'union de fait, mais cela coûte tout un tas d'argent, et nous devons faire beaucoup plus que n'importe qui. Je crois, en vérité, qu'avec les papiers que ma partenaire et moi-même avons signés, nous sommes plus mariés que la majorité des Canadiens. La seule chose qui manque, c'est la noce.

M. Corbett: Ce projet de loi et certains de ses alter ego provinciaux concernent tout autant les obligations que les droits. Lorsqu'on vit une relation conjugale reconnue par la loi, il y a des obligations mutuelles. Cependant, il y a un concept différent et distinct, celui de «parent».

Ce projet de loi ne traite pas du concept de «parent». Il ne l'élargit pas, il ne le réduit pas non plus. Il ne crée pas d'obligations, pas plus qu'il n'en supprime. Cependant, en renforçant les relations et les obligations qui y sont associées, il devrait renforcer les institutions dont dépendent les enfants de couples de même sexe. Comme pour les adoptions par les couples de même sexe, c'est une affaire provinciale. C'est ce qui se fait déjà dans trois ou quatre provinces.

La présidente: Madame Ouellet, vous avez parlé de la Loi 32 du Québec, qui a été promulguée en juin 1999. Je crois que cette loi étend la définition de «conjoint» aux partenaires de même sexe, mais ne modifie pas le Code civil. Le Code civil au Québec continue à ne reconnaître que les couples mariés, n'est-ce pas?

[Français]

Mme Ouellet: Le gouvernement du Québec a inclus, dans la définition des droits administratifs des conjoints de fait, les conjoints de fait de même sexe. C'est ce qui a donné 28 droits et 11 règlements dans le Code civil. À partir du moment où tous les conjoints de fait sont sur le même pied d'égalité, on a collectivement à se poser la question: "Doit-on créer un régime quasi matrimonial d'union de fait? À ce moment-là, personne n'est oublié à la table des négociations. Tout le monde est sur le même pied d'égalité, conjoints de fait de même sexe ou de sexe différent. Concernant les dispositions du droit de la famille, il y a probablement des lois qui ont des trous, mais le Code civil a l'air d'un gruyère concernant les reproductions assistées et la parentalité. Il faudra revoir une définition plus actuelle et plus réaliste de la notion de famille et de la notion de parentalité. C'est n'est plus maintenant papa, maman, cela peut être papa éprouvette, mère porteuse ou différentes combinaisons inimaginables, que ce soit conjoint de fait de sexe opposé ou non. Il faut se poser des questions concernant les nouvelles technologies de reproduction. Au Québec on se plaint de la dénatalité. Heureusement qu'il y a les familles de lesbiennes pour donner un "baby boom" maintenant.

[Traduction]

La présidente: Madame Hopkins, vous avez fait allusion au début de votre exposé à des recherches qui ont été faites sur l'attitude envers les lesbiennes. Pourriez-vous communiquer à notre comité, par l'intermédiaire de sa greffière, l'origine, la source de ces recherches, et certains des chiffres que vous avez mentionnés?

Mme Hopkins: Certainement.

La présidente: Mises à part les implications en matière d'immigration que vous avez signalées dans ce projet de loi, est-ce que les statistiques sont les mêmes pour les lesbiennes et les femmes hétérosexuelles?

Mme Hopkins: Pourriez-vous être plus précise?

La présidente: Vous avez cité le nombre de lesbiennes vivant sous le seuil de pauvreté. Est-ce que ces chiffres sont comparables à ceux concernant les femmes hétérosexuelles? Si vous avez des informations sur cette question, vous pourriez peut-être nous les communiquer, et nous les distribuerons aux membres du comité.

Mme Hopkins: Je vais vérifier. À première vue, je penserais que les chiffres sont plus élevés, mais je préfère ne pas m'avancer. Je prends note de votre demande, et nous essayerons de trouver ces chiffres pour vous.

La présidente: Je tiens à remercier tous nos témoins d'aujourd'hui.

Le sénateur Cools: Madame la présidente, pouvons-nous examiner le calendrier et la liste des témoins suivants pour ce projet de loi?

La présidente: Le comité directeur ne s'est pas encore réuni. Il se réunira avant la prochaine réunion du comité.

Le sénateur Cools: Le comité lui-même peut peut-être se réunir.

La présidente: La liste des témoins pour la prochaine réunion a déjà été fixée.

Le sénateur Cools: Je veux savoir pour combien de temps on en a encore.

La présidente: Nous n'avons pas pris notre décision. La prochaine réunion aura lieu mercredi, le 31 mai. Nous entendrons l'Institut professionnel de la fonction publique du Canada, l'Association du Barreau canadien et la Commission canadienne des droits de la personne.

La séance est levée.

 


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