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LCJC - Comité permanent

Affaires juridiques et constitutionnelles

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles

Fascicule 16 - Témoignages du 31 mai 2000


OTTAWA, le mercredi 31 mai 2000

Le comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles auquel on a renvoyé le projet de loi C-23, Loi visant à moderniser le régime d'avantages et d'obligations dans les Lois du Canada, se réunit aujourd'hui à 15 h 38 pour étudier le projet de loi.

Le sénateur Lorna Milne (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente: Je déclare ouverte la réunion du comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles chargé de l'étude du projet de loi C-23.

Nous avons devant nous les deux premiers groupes de témoins. À notre gauche, nous avons, de l'Institut professionnel de la fonction publique du Canada, Steve Hindle, président, et Sally Diehl, agente de recherche et analyste de la rémunération. À notre droite, soit au milieu de la table, nous avons, du Congrès du travail du Canada, Nancy Riche, vice-présidente exécutive, et Sue Genge, représentante nationale.

Soyez tous les bienvenus. Nous allons débuter sans délai parce que le comité doit suspendre ses travaux à 16 h 45, par ordre du Sénat. C'est à cette heure que les cloches commenceront à sonner en prévision du vote de 17 heures.

Mme Nancy Riche, vice-présidente exécutive, Congrès du travail du Canada: Comme il s'agit d'un projet de loi relativement simple, nous ne devrions pas avoir besoin d'une heure.

Le sénateur Fraser: Nous sommes tous d'accord.

Mme Riche: D'entrée de jeu, je tiens à préciser que j'ai lu le débat qui a eu lieu au Sénat après la présentation du projet de loi par le sénateur Pépin. J'ai déjà fait part à Mme Genge de la très forte impression que j'en ai gardée. Je songe en particulier aux propos du sénateur Pépin et du sénateur Joyal. Il est certain que j'utiliserai certaines citations dans les discours que je consacrerai à cette question. Ils ont eu de très bons mots. Malheureusement, tous les sénateurs ne sont pas du même avis, d'où la nécessité de la présente discussion.

Le Congrès du travail du Canada compte quelque 2,4 millions de membres répartis dans un certain nombre de syndicats affiliés aux quatre coins du pays. Pour le CTC, la question de l'égalité des gais et lesbiennes n'est pas nouvelle. En fait, notre premier exposé de principe sur la question remonte à 1980.

De toute évidence, nous avons centré notre attention sur la négociation collective. Si nous souhaitions les modifications législatives proposées ici aujourd'hui, rien, à l'époque, ne bougeait dans ce domaine, de sorte que nos affiliés et nous nous sommes concentrés sur la négociation collective. Comme vous le savez, des progrès ont été réalisés dans ce domaine, souvent avec la collaboration pleine et entière de la direction d'entreprises, car, sur ce plan, il est clair que le secteur privé est nettement en avance sur le gouvernement.

Nous avons continué d'exercer des pressions non seulement en faveur de la modification des lois et de règlements négociés, mais aussi de la mise sur pied de campagnes de sensibilisation majeures contre l'homophobie. Comme la quasi-totalité des citoyens le savent, les gais, les lesbiennes, les bisexuels et les transsexuels ont été victimes de beaucoup de discrimination, parfois de la part de leurs soeurs et frères collègues de travail. En fait, les Travailleurs et travailleuses canadien(ne)s de l'automobile ont produit une importante vidéocassette consacrée à cette seule question dans l'espoir de sensibiliser leurs membres à l'homophobie.

Nous avons étudié les arrêts de la Cour suprême, dont certains confirmaient les décisions de cours inférieures, lesquelles ont été contrecarrées par la Loi de l'impôt sur le revenu. Le CTC compte dans ses rangs un groupe de travail composé de gais et de lesbiennes. Il y a deux ans, nous avons organisé notre première conférence de la fierté, et nous organiserons une autre conférence nationale l'année prochaine. Nous avons également tenu une conférence régionale. Il est intéressant -- en même temps que triste et malheureux -- de souligner que, à l'occasion de notre première conférence de la fierté, un certain nombre de délégués se sont assis d'un côté de la salle et que, parce que certains d'entre eux n'avaient pas encore affirmé leur identité, nous avons dû demander que les caméras de télévision et les appareils-photos soient braqués de l'autre côté. Cela s'est passé au Canada, en 1998. Les personnes en question ne pouvaient courir le risque d'être vues à la télévision en raison des conséquences professionnelles possibles. Certains n'avaient encore rien dit aux membres de leur famille. J'ai été profondément marquée.

Nous avons entrepris une campagne d'éducation massive auprès de nos membres parce que nous ne sommes pas naïfs au point de penser que l'homophobie est exclue du mouvement syndical. Nous avons produit une affiche en forme de jeu. Neuf photos y sont reproduites, et on offre un billet de 3 $ à quiconque est en mesure d'identifier une lesbienne ou un gai. Naturellement, toutes les personnes dont la photo figurent sur l'affiche sont homosexuelles. Les affiches sont posées sur les bulletins, et nous espérons que nos membres jouent le jeu.

Nous sommes heureux d'exposer notre point de vue aujourd'hui. Pour l'essentiel, il s'est agi pour nous d'une question relative au milieu de travail, mais nous pensons qu'il s'agit aussi d'un enjeu social plus vaste auquel le mouvement syndical a l'obligation de s'attaquer. À la table de négociation, nous mettons généralement l'accent sur les milieux où nous vivons et travaillons.

Au cours des dernières années, nos syndicats ont pris cette question très au sérieux et sont parvenus à négocier des avantages pour les conjoints de même sexe. Des syndicats comme le Syndicat des postiers du Canada, le Syndicat canadien de la fonction publique, qui représente de nombreux travailleurs de l'industrie aérienne et de la fonction publique, les Métallurgistes unis d'Amérique, le Syndicat national de l'automobile, l'Alliance de la fonction publique du Canada, le Syndicat canadien des communications, de l'énergie et du papier, l'Union internationale des travailleurs et travailleuses unis de l'alimentation et du commerce, les syndicats d'enseignants et les syndicats d'infirmiers et infirmières ont travaillé dur pour faire que la question des avantages au conjoint de même sexe soit abordée à la table de négociation. Dans de nombreux cas, ils y sont parvenus.

Nous avons aussi des antécédents de longue date dans la lutte pour l'égalité par le biais des griefs et des arbitrages. Comme vous le savez, certains dossiers qui ont d'abord fait l'objet de griefs en milieu de travail, avant d'être traités en arbitrage, constituent désormais les affaires judiciaires auxquelles nous nous référons -- je songe en particulier au cas Rosenberg. Naturellement, ce sont les dispositions discriminatoires de la Loi de l'impôt sur le revenu du gouvernement fédéral qui étaient alors en cause.

Nous avons également déposé des griefs pour obtenir l'accès égal aux congés spéciaux accordés à des travailleurs pour veiller sur un conjoint malade, aux prestations médicales et dentaires pour les conjoints homosexuels et les enfants de conjoints de même sexe et aux congés de décès pour les familles de conjoints homosexuels, pour ne citer que quelques exemples. Nous n'avons pas toujours obtenu gain de cause, en raison de l'incapacité de nos lois de reconnaître l'égalité juridique des relations entre partenaires de même sexe. Certes, nous avons obtenu certains résultats dans les conventions collectives, sans pour autant pouvoir aller au-delà des obstacles majeurs que représentent de nombreux textes de lois.

Voici quelques exemples des limites auxquelles nous nous sommes heurtés. En 1986, une travailleuse lesbienne membre du Syndicat des postiers du Canada n'a pas obtenu de congé spécial pour prendre soin de sa partenaire, avec qui elle vivait depuis 16 ans -- avantage dont bénéficiaient partout tous les postiers. Son grief a été rejeté. Même si l'expression «conjoint de fait» englobe les membres de la famille immédiate et que sa définition n'est pas expressément hétérosexuelle, l'arbitre a tout de même décidé que la «signification universelle» de la relation de fait est «hétérosexuelle». À défaut d'un vocabulaire incluant expressément les partenaires de même sexe, les relations de fait ne pouvaient inclure les lesbiennes et les gais.

De même, en 1988, un membre du Syndicat canadien de la fonction publique du nom de Jim Carleton, qui travaillait à l'université Carleton, s'est vu refuser des prestations pour son conjoint au motif que ce dernier n'était pas un conjoint au sens de la loi. Les employés fédéraux avaient le même problème. En 1990, James Watson n'a pas réussi à obtenir un congé de décès pour les obsèques de la soeur de son conjoint, alors que, encore une fois, ce congé est accordé aux autres travailleurs, parce que, malgré les dispositions interdisant la discrimination fondée sur l'orientation sexuelle, cette interdiction ne pouvait l'emporter sur la définition hétérosexuelle du terme «conjoint».

Ces échecs renvoient aux notions discriminatoires entourant ce qui constitue un «conjoint» et une «famille» pour des conjoints de même sexe. Ils montrent bien la nécessité de promulguer des modifications comme celles que renferme le projet de loi. À notre avis, le projet de loi C-23 signifie non seulement que nous pourrons «gagner» nos griefs et nos arbitrages, mais aussi que nous pouvons espérer que ces griefs seront inutiles, au fur et à mesure que les employeurs reconnaîtront que les conjoints de même sexe et de sexe opposé de leurs employés ont droit, aux termes de la loi, aux mêmes avantages, sans exception.

Depuis quelques dizaines d'années, le CTC a joint sa voix à celles de la communauté homosexuelle, qui demandait la modification des lois fédérales, provinciales et territoriales sur les droits de la personne. Nous avons appuyé EGALE et la campagne de la Fondation en faveur de l'égalité des familles en vue de la modification de toutes les lois fédérales discriminatoires, ce qui a eu pour effet l'introduction et l'adoption du projet de loi C-23.

Nous sommes intervenus dans l'affaire Vriend pour appuyer l'inclusion de l'orientation sexuelle dans le code de l'Alberta sur les droits de la personne. Je suis certaine que vous êtes tous au courant de cette affaire qui concerne un enseignant et l'erreur d'omission. On a exercé des pressions sur la province de l'Alberta pour qu'elle inclue l'orientation sexuelle parmi les motifs de discrimination prévus par sa loi sur les droits de la personne.

Outre l'affaire Vriend, le CTC est intervenu auprès de la Cour suprême dans l'affaire Egan c. Nesbitt concernant la question de l'accès aux pensions de retraite, pour exprimer son appui total à l'élargissement des droits aux conjoints de même sexe. Il ne s'agissait donc pas d'une question accessoire aux yeux du Congrès du travail du Canada.

Comme nous l'avons expliqué dans ce cas:

La discrimination envers les homosexuel(le)s se manifeste dans beaucoup de secteurs de l'emploi, notamment dans le refus d'accorder des prestations aux partenaires de même sexe quand ces prestations sont accordées ou négociées pour les employés ayant des relations hétérosexuelles.

Les homosexuel(le)s n'ont pas droit à la couverture prévue normalement pour les partenaires eu égard aux assurances médicales et dentaires, aux prestations de retraite, à l'assurance-invalidité et à l'assurance-vie, aux congés de deuil et autres et à toutes sortes de prestations accordées aux employés.

Leur exclusion de ces prestations n'est pas seulement due au fait que les employeurs leur réservent un traitement discriminatoire, mais aussi au fait que les dispositions législatives refusent souvent l'accès aux prestations aux personnes ayant des relations homosexuelles.

Il s'agit entre autres de la Loi de l'impôt sur le revenu, qui interdit l'inscription, et donc le traitement fiscal favorable, des régimes de pensions et de certains autres régimes d'assurance offrant des prestations aux partenaires de même sexe, même si l'employeur est d'accord pour accorder la protection au conjoint de même sexe.

Nous sommes heureux d'avoir été invités à discuter du projet de loi C-23 et à comparaître aux côtés d'un autre groupe qui y est favorable. Au moment de notre comparution devant le comité de la Chambre des communes, nous avions à nos côtés une représentante de REAL Women et un universitaire de droite. Les esprits se sont échauffés, et la discussion s'est envenimée. Je suis étonnée de constater qu'un projet de loi comme celui-ci, qui a pour but de supprimer la discrimination, génère autant de sentiments haineux et vitrioliques. Je n'y comprends rien.

Nous sommes tout à fait favorables au projet de loi C-23, et nous avons travaillé d'arrache-pied avec les partenaires de notre coalition pour obtenir son dépôt devant la Chambre des communes.

Nous sommes cependant déçus par l'introduction de la modification offensante qui a été proposée, surtout lorsqu'on tient compte du fait qu'elle l'a été après les auditions. En fait, elle l'a été deux jours après notre comparution devant le comité. À nos yeux, il s'agit d'une manoeuvre politique grossière visant à apaiser la droite. J'ignore pourquoi nous n'avons pas encore compris que nous n'y parviendrons jamais.

Par la «droite», je désigne non pas des partis politiques, mais bien plutôt le mouvement d'extrême-droite qui a pris naissance aux États-Unis. Ni le gouvernement ni le Sénat n'ont l'obligation d'apaiser les homophobes favorables à la discrimination que compte notre société. En préparant le projet de loi, nous avons accompli des progrès considérables en ce sens.

Nous prions instamment le Sénat de recommander la suppression de cette modification finale. Elle est superflue. Au départ, les partisans du projet de loi C-23 n'ont jamais jugé nécessaire d'aller dans le sens contraire, c'est-à-dire d'affirmer qu'on devrait utiliser le mot «mariage». Ce n'est qu'après avoir pris connaissance des débats du Sénat que j'ai compris que la notion de «mariage» n'avait pas encore été définie au Canada. Nous ne pensons pas qu'une telle définition soit nécessaire dans le contexte du projet de loi.

Le gouvernement a franchi une étape majeure en introduisant le projet de loi C-23, mais il ne s'agit pas pour autant d'une mesure révolutionnaire. Comme on le mentionne dans le Globe and Mail d'aujourd'hui, les efforts en ce sens bénéficient d'appuis de plus en plus solides au Canada. Bien que les Canadiens soient probablement favorables au mariage, ce n'est pas cette question qui est ici en cause, et nous n'avons pas non plus pour mandat de débattre de la question des liens de dépendance. À nos yeux, il s'agit d'une habile diversion. Le projet de loi à l'étude ne vise qu'à poursuivre les efforts déployés pour éliminer toute forme de discrimination contre les citoyens.

Nous sommes fortement favorables au projet de loi.

La présidente: Je vous remercie beaucoup, madame Riche.

M. Steve Hindle, président, Institut professionnel de la fonction publique du Canada: Sénateurs, l'Institut professionnel de la fonction publique accueille favorablement l'initiative du gouvernement de déposer le projet de loi C-23, projet de loi qui vise à mettre au diapason toutes les lois du Canada, du point de vue des avantages et des obligations. Grâce au projet de loi, le statut de «conjoint de fait» sera reconnu tant aux couples hétérosexuels qu'aux conjoints de même sexe dans toutes les lois fédérales. Comme vous le constaterez à la lecture de notre mémoire, l'Institut appuie les déclarations faites par la ministre de la Justice et procureure générale du Canada.

À l'occasion de sa comparution devant le comité de la justice et des droits de la personne de la Chambre des communes, l'Institut a recommandé l'adoption du projet de loi C-23 sans aucune modification, exception faite des corrections du libellé, le cas échéant, ou de l'inclusion d'autres lois fédérales non visées dans le projet de loi.

Nos seules inquiétudes portaient alors sur les questions soulevées par le débat public dans les journaux, à la Chambre des communes et devant son comité, ce qui aurait pu et pourrait encore mener à des modifications susceptibles d'altérer grandement le but visé par ce projet de loi. Nous vous prions instamment de ne pas tenter d'amoindrir la portée du projet de loi C-23 ni d'en reporter l'adoption aux calendes grecques.

Or, le Comité permanent de la justice et des droits de la personne de la Chambre des communes a, en fait, inséré une disposition d'interprétation qui se lit comme suit:

Il demeure entendu que les modifications que la présente loi apporte ne changent pas le sens du terme «mariage», soit l'union légitime d'un homme et d'une femme à l'exclusion de toute autre personne.

À notre point de vue, cette définition limitative amoindrit le but initial du projet de loi C-23, qui disait assurer aux conjoints de fait de même sexe et de sexe opposé les mêmes droits et responsabilités que ceux que possèdent les couples hétérosexuels mariés. L'Institut professionnel recommande que cette disposition soit abolie et que le projet de loi C-23, dans sa version initiale, soit adopté.

Au moment de l'étude du projet de loi S-2 en 1996, Loi modifiant la Loi canadienne sur les droits de la personne, l'Institut a comparu devant le comité du Sénat afin de recommander que l'orientation sexuelle soit, aux termes de la loi, un motif de distinction illicite. Bien que les modifications proposées dans le projet de loi C-23 ne soient pas directement reliées aux conditions d'emploi des membres de l'Institut, nous sommes d'avis que la dignité et le respect de la vie privée des particuliers s'expriment en milieu de travail par un traitement juste et équitable. L'Institut s'est prononcé en faveur d'une définition non discriminatoire de la notion de «conjoint de fait» dans tous les cas où l'utilisation d'une définition contraire a pour conséquence de nier des avantages en raison de l'orientation sexuelle.

En 1990, l'Institut a réussi à négocier l'abrogation des termes «de sexe opposé» de la définition de conjoints de fait dans la convention collective de l'une de ses unités de négociation, soit celle des greffiers législatifs du Sénat.

Je profite de l'occasion pour souligner que l'Institut, à titre d'employeur, a conclu avec ses employés deux conventions collectives dans lesquelles on retrouve la même définition non discriminatoire de la notion de «conjoint de fait».

Cette importante réalisation a permis aux employés de même sexe de se prévaloir des dispositions législatives relatives aux avantages accordés aux conjoints, comme les droits aux congés de deuil et pour obligations familiales. Il nous aura fallu attendre la décision rendue dans l'affaire Moore et Akerstrom c. Canada pour que soit déclarée discriminatoire la définition de «conjoint de fait» des conventions collectives. Avec réticence, le Conseil du Trésor n'a eu alors d'autre choix que d'abroger ces termes dans toutes les conventions collectives qui le lient à ses employés.

L'Institut professionnel appuie toutes les initiatives qui visent à assurer un traitement juste et équitable de ses membres, et nous comparaissons donc devant vous aujourd'hui pour nous prononcer en faveur des modifications proposées dans le projet de loi C-23.

Le gouvernement du Canada mérite nos félicitations pour avoir déposé ce projet de loi, car il fait un pas de géant en harmonisant les lois fédérales et les décisions rendues par les tribunaux du pays, soit que la discrimination à l'encontre des citoyens gais et lesbiennes qui vivent en couple est inacceptable. Ce projet de loi est l'outil par excellence de reconnaissance de ces relations, car il se fonde sur les mêmes critères que ceux qui sont appliqués aux couples hétérosexuels: une coexistence conjugale d'un an.

Les provinces pourront également utiliser le projet de loi comme modèle pratique et uniforme afin de modifier leurs propres lois qui touchent les couples de même sexe. Nous croyons que cette loi servira d'exemple positif à toutes les provinces qui n'ont pas encore apporté les modifications législatives nécessaires afin que tous les avantages offerts aux couples hétérosexuels le soient aussi aux couples de même sexe.

Le Québec, la Colombie-Britannique et l'Ontario ont déjà pris les devants en accordant aux couples de même sexe bon nombre d'avantages offerts aux couples hétérosexuels. Nous félicitons le gouvernement fédéral de ne pas avoir suivi le modèle ontarien, qui fait une distinction pour les couples de même sexe. À notre point de vue, le statut «d'égal mais distinct» est loin de mettre un terme à la discrimination.

L'Institut et ceux de ses membres qui sont gais et lesbiennes, dont la vie est directement touchée par le projet de loi C-23, se réjouissent des dispositions qui mettent fin à l'incertitude économique des couples de même sexe aux prises avec la maladie, la vieillesse et la retraite, situations où la sécurité financière prend toute son importance.

En uniformisant les règles du jeu pour les couples de même sexe quant à l'administration à long terme de leurs ressources financières, le projet de loi mettra également un terme à la culture de l'échec que nos lois actuelles perpétuent, tout en reléguant aux oubliettes le mythe selon lequel il est impossible pour les couples de même sexe d'avoir des relations durables. Le projet de loi suscitera un nouveau respect pour les gais et les lesbiennes en couple. Il mettra également fin à toute une série de poursuites judiciaires dans lesquelles on conteste l'exclusion des conjoints de même sexe à ce niveau, en plus de démontrer de façon claire la fin d'une exclusion sur laquelle la loi a fermé les yeux pendant trop longtemps.

Le projet de loi sur lequel vous vous penchez, adopté à la Chambre des communes le 11 avril dernier, comporte une définition limitative du mariage. L'Institut s'y oppose, car nous croyons que le mariage et sa portée sont des questions bien distinctes du but visé par le projet de loi C-23. On restreint ainsi un projet de loi grâce auquel on voulait faire passer un message sans équivoque, soit que tous les couples qui vivent une relation engagée d'appui mutuel ont les mêmes droits et les mêmes obligations. Le gouvernement aura fait place aux objections verbales de quelques groupes d'intérêt qui cherchent à persévérer dans l'intolérance.

Discutant du projet de loi le 15 février dernier, la ministre de la Justice a souligné que l'importance du mariage et la valeur qu'on lui accorde n'étaient en rien diminuées par la reconnaissance en droit d'autres relations engagées. Le projet de loi C-23 ne transforme pas la notion de mariage; c'est pourquoi l'Institut ne croit pas nécessaire de la définir dans le projet de loi. Le projet de loi C-23 comporte un libellé spécifique en vertu duquel on qualifie de conjugales les relations entre conjoints de même sexe mariés, tout en accordant aux conjoints de fait, qu'ils soient de même sexe ou de sexe opposé, des droits égaux. Même si l'Institut préférerait un libellé qui évite toute distinction, nous appuyons le projet de loi tel que rédigé, car nous croyons qu'il clarifie toute la question du mariage.

Le projet de loi C-31, la nouvelle loi sur l'immigration déposée le 6 avril 2000, étendra la portée des dispositions touchant la famille de la Loi sur l'immigration pour y inclure les relations entre conjoints de même sexe. Par le fait même, le législateur reconnaît une fois de plus que toutes les relations conjugales méritent l'équité et la dignité. Les modifications apportées au projet de loi C-23 s'éloignent d'une telle acceptation et ne peuvent que renforcer l'idée qu'il y a des relations de second ordre.

On s'est interrogé sur la justesse de qualifier les relations de fait de «conjugales», ce qui pourrait alors vouloir dire que les avantages sont accordés en fonction d'une activité sexuelle. Le fait que cette question n'ait pas été soulevée au moment de reconnaître dans la loi les couples hétérosexuels démontre bien que la tolérance et l'acceptation des couples de même sexe constituent le véritable point sensible. Qui plus est, cette réticence fait fi du fait que les relations conjugales dépassent largement le sexe. Comme on le précise dans l'arrêt M. c. H., l'union conjugale comprend le partage d'un toit, les rapports personnels et sexuels, les services, les activités sociales, le soutien financier, les enfants et aussi l'image sociétale du couple. Nous sommes d'avis que les tribunaux ont suffisamment clarifié le terme «conjugal» à l'aide des critères définis par les tribunaux et que sa portée dans le cadre du projet de loi C-23 est claire.

En conclusion, un sondage Angus Reid mené en 1998 à la demande du ministère de la Justice a démontré que les deux tiers des Canadiens s'entendaient pour dire que les couples de même sexe devraient profiter des mêmes avantages et obligations que les couples hétérosexuels. Dans une telle atmosphère d'acceptation publique, le gouvernement est de toute évidence bien avisé d'apporter les changements qui mettront fin à la discrimination. La Cour suprême du Canada et des tribunaux subalternes ont décidé que le refus d'un traitement égal imposé aux couples de même sexe contrevenait à la Charte canadienne des droits et libertés. Certaines compétences ont déjà adapté leurs lois. Grâce au projet de loi C-23, le gouvernement fédéral s'assurera que ses lois reflètent l'état d'esprit des citoyens et la conformité avec la loi.

L'Institut professionnel vous prie instamment d'adopter la version du projet de loi C-23 qui a été déposée initialement.

Le sénateur Beaudoin: Vous avez déjà répondu clairement à la question en affirmant accepter le projet de loi en principe, tout en souhaitant l'abrogation de l'article 1.1.

M. Hindle: Exactement.

Le sénateur Beaudoin: C'est tout ce que je voulais savoir.

[Français]

Le sénateur Pépin: Mon intervention était dans le même sens que celle du sénateur Beaudoin, mais je me permettrai de faire un commentaire pour mes collègues qui sont élus. Comme je l'ai dit lorsque j'ai fait mon discours au Sénat, j'aurais aimé que nous soyons dispensés d'incorporer cet amendement dans la loi.

Toutefois, les députés nous ont dit que cet amendement semble avoir un impact souhaitable pour plusieurs parce qu'ils ont des difficultés dans leurs comtés. Je comprends que c'était difficile pour plusieurs d'entre eux, puisque j'ai déjà appuyé un projet de loi qui m'a coûté une élection. On note avec attention votre recommandation à cet effet et on verra un peu plus tard.

[Traduction]

Le sénateur Fraser: Ma question ne porte pas sur le projet de loi. Je cherche plutôt à approfondir ma compréhension générale.

Monsieur Hindle, vous avez fait allusion à la disposition du projet de loi en vertu de laquelle la notion d'union conjugale est réservée aux couples hétérosexuels, tandis qu'on confère aux conjoints de fait, qu'ils soient de même sexe ou de sexe opposé, des droits égaux. Je crois que vous avez raison. Dans les conventions qui résultent de la négociation collective -- je sais que vous vous êtes tous deux employés à éliminer la discrimination dans le texte des contrats de travail que régissent vos deux organisations --, établit-on habituellement de telles distinctions? Comment les choses se passent-elles en pratique?

M. Hindle: En pratique, on utilise habituellement le mot «conjoint» ou «conjoint de fait».

Le sénateur Fraser: La formulation s'applique aux deux cas, ce qui rend possible l'établissement d'une distinction. Ce qui est interdit, c'est donc la discrimination dans l'application?

M. Hindle: La discrimination était imputable aux définitions données dans des conventions collectives, en vertu desquelles les conjoints de fait devaient être de sexe opposé. Nos efforts ont visé à supprimer la notion selon laquelle les conjoints devaient être «de même sexe». Dans les contrats de travail, on reconnaît toujours la différence entre les personnes mariées et celles qui vivent en union de fait, même si elles sont hétérosexuelles.

Mme Sally Diehl, agente de recherche et analyste de la rémunération, Institut professionnel de la fonction publique du Canada: La difficulté tient plutôt à la façon dont on aborde la question. Dans nos conventions collectives, la notion de «conjoint» n'est pas définie. Par «conjoint de fait», on entend «un conjoint, y compris un conjoint de fait». Ainsi, on n'établit pas de distinction entre les deux. On doit donc comprendre que le même traitement s'applique à tous. Comme M. Hindle l'a indiqué, on parlait auparavant de «conjoint de fait de sexe opposé». La formulation a disparu.

Mme Riche: Ce qui comptait, c'était que les conjoints de fait et les conjoints mariés aient droit aux mêmes avantages.

Le sénateur Fraser: C'est-à-dire que l'application soit la même dans tous les cas. La chose était prévue: voilà à quoi je voulais en venir. Si on remonte à d'autres affaires, on constatera, par exemple, qu'on n'interdit pas aux hommes et aux femmes d'être différents, à condition qu'ils ne soient pas victimes de discrimination dans l'application du contrat.

Mme Riche: C'était la définition de conjoint qui posait problème, n'est-ce pas?

M. Hindle: Oui.

Le sénateur Beaudoin: Certains estiment qu'il s'agit d'une question de principe et que l'article 1.1 devait être supprimé parce que, comme vous l'avez indiqué, il est discriminatoire. D'autres, en revanche, affirment qu'il doit demeurer.

Mme Riche: La disposition les rassure.

Le sénateur Beaudoin: Il s'agit d'une simple définition. Le Parlement fédéral est habilité à légiférer dans le domaine du mariage et du divorce. Au cours des dernières années, il a beaucoup légiféré à propos du divorce et très peu à propos du mariage. Il est possible, vous l'avez dit, que la notion de «conjoint» ne soit pas définie très souvent. Dans les textes de loi, les mentions de «mariage» et de «conjoint» sont presque devenues accessoires. Cependant, il est clair que le Parlement du Canada est habilité à définir la notion de mariage.

Mme Riche: Le projet de loi n'a pas trait au mariage. Il porte plutôt sur les unions de fait de même que sur les modifications nécessaires pour faire en sorte que les unions de fait hétérosexuelles et homosexuelles bénéficient d'un statut égal. Il n'y est pas question du mariage ni du droit de se marier. L'ajout de la disposition sur le mariage n'est pas pertinent. Qu'ajoute-t-il au projet de loi?

M. Hindle: Selon ce que nous croyons comprendre, le projet de loi visait à uniformiser les droits et les obligations des personnes qui vivent dans le cadre d'une union de nature conjugale.

Le sénateur Beaudoin: L'objet du projet de loi est on ne peut plus clair. Il vise l'octroi des mêmes avantages.

Mme Riche: Oui. Par conséquent, l'ajout est superflu. Si le gouvernement tient à déposer un long projet de loi sur le mariage, il aura beau le faire, je suppose, mais la disposition n'est pas pertinente dans le contexte du projet de loi. La question est très simple, et j'ignore comment elle a pu devenir si compliquée. Dans la société, il existe un groupe clairement défini -- les gais, les lesbiennes et les bisexuels -- qui, au vu et au su de tous et de chacun, y compris la Cour suprême, a fait l'objet de discrimination. Conscient du problème, le gouvernement s'y est attaqué et a apporté une solution. La modification proposée, qui précise que la notion de mariage ne s'applique qu'à l'union d'un homme et une femme, n'ajoute rien. Elle plaît à ceux à qui la notion d'union entre personnes de même sexe pose problème, voilà tout.

M. Hindle: Malheureusement, il s'agit d'une solution rapide adoptée par le gouvernement pour contourner la tenue d'un débat avec les Canadiens à propos de ce que le mariage devrait être. En effet, ce ne sont pas tous les Canadiens qui seraient d'accord avec la définition incluse dans le projet de loi. Au pays, il y aurait place pour la tenue d'un débat plus vaste visant à déterminer si la société est prête à accepter une autre forme de mariage entre un homme et une femme. Je ne me prononce pas sur l'issue du débat. Tout ce que je dis, c'est que nous devrions être disposés à débattre ouvertement de cette question, et non sur l'intention du projet de loi C-23.

Mme Riche: Abstraction faite des droits des gais et lesbiennes, certains considèrent la polygamie -- soit l'union d'un homme avec un certain nombre de femmes -- comme une forme acceptable de mariage. Or, on retrouve dans la société des éléments qui s'opposeraient à une telle notion. La question de savoir si les conjoints sont «de même sexe» n'y est pour rien.

Si la disposition figure dans le projet de loi adopté, elle sera contestée par la Cour suprême et annulée.

Sénateur Beaudoin, vous avez affirmé que le mariage et le divorce relèvent de la compétence du gouvernement fédéral. Je croyais que le mariage relevait de la compétence des provinces, et le divorce, de celle du gouvernement fédéral.

Le sénateur Beaudoin: Les deux questions relèvent de la compétence fédérale. C'est une longue histoire. Au Québec, par exemple, le Code civil est entré en vigueur onze mois avant la Confédération. On y retrouve une section complète portant sur le mariage, mais la notion de divorce est exclue. Les couples qui souhaitaient divorcer devaient se rendre à Ottawa et obtenir une autorisation officielle pour donner suite à leur projet.

Mme Riche: Pour divorcer, tous devaient venir à Ottawa.

Le sénateur Beaudoin: Non, seulement les résidents du Québec et de Terre-Neuve.

Mme Riche: Ah bon, je vois. Si je me suis trompée, c'est parce que je suis Terre-Neuvienne.

Le sénateur Beaudoin: Cependant, on a adopté une loi sur le divorce. En ce qui me concerne, la question a, sur le plan juridique, été réglée par un arrêt récent de la Cour suprême. Voilà pourquoi j'ai l'intention de voter en faveur du projet de loi. Je pense que la question est réglée.

Il est tout à fait possible qu'on conteste l'article 1.1. Attendons, et nous verrons bien.

Mme Riche: Aux fins du compte rendu, je tiens à préciser que modifier le projet de loi après l'audition de la plupart des témoins dénote un vice de forme.

La présidente: Sur le plan pratique, cependant, la contestation de la disposition devant la Cour suprême et son annulation éventuelle nous obligeraient à coup sûr à tenir un débat en bonne et due forme sur la signification de la notion de mariage.

Mme Riche: Oui, et tous ceux qui s'opposent au projet de loi, même dans sa forme actuelle, seront très en colère parce que la Cour suprême nous donnera raison. C'est ce qu'on observe partout dans le monde. C'est dans ce sens que les droits démocratiques évoluent.

Le sénateur Joyal: Je tiens à féliciter l'Institut professionnel de la fonction publique du Canada et le Congrès du travail du Canada de la lutte qu'ils ont menée. Sans les syndicats qui soutiennent les citoyens qui ont l'impression que les divers ordres de gouvernement ne reconnaissent pas leurs droits, je crois que, en ce qui concerne bon nombre d'aspects des droits qui émergent au Canada, nous ne pourrions pas nous vanter de constituer une société juste et démocratique qui protège et respecte les droits et les libertés de ses citoyens. À mes yeux, vos organisations peuvent dresser la liste des affaires qu'elles ont soumises aux gouvernements pour faire avancer la société canadienne relativement à ces enjeux, et c'est tout à votre honneur.

J'ai des opinions très fermes sur cette question. J'ai pris la parole à l'occasion du débat en deuxième lecture dont a fait l'objet le projet de loi C-23. La définition de mariage m'inspire les mêmes réserves qu'à vous. À mon avis, on n'aurait pas dû inclure la disposition. C'était superflu. À mon avis, elle va à l'encontre de la décision rendue dans l'arrêt M. c. H.

À mes yeux, l'interprétation faite du paragraphe 15(1) de la Charte dans l'arrêt M. c. H. est on ne peut plus convaincante. Si, en d'autres termes, un motif de discrimination est interdit, la discrimination est interdite, un point c'est tout. On ne peut nuancer l'interdiction en l'appliquant à certains aspects des avantages, mais non à d'autres. La discrimination est interdite, ou elle ne l'est pas.

À ma connaissance, ni les cours ni les dispositions législatives n'ont jamais donné une interprétation différente d'un motif de discrimination en l'appliquant à certains avantages, mais pas à d'autres. À titre d'exemple, je retiendrai la discrimination fondée sur la race ou la couleur. Ainsi, on ne peut affirmer à une personne qu'elle bénéficie en principe d'une protection contre la discrimination et qu'elle peut fréquenter une piscine, une bibliothèque ou un parc, tout en lui refusant le droit d'accéder à une salle de concert.

Si je choisissais de voter contre le projet de loi en raison de l'ajout de la définition de «mariage», que je le modifiais ou que je le renvoyais à la Chambre des communes, le même manège se répéterait, c'est-à-dire que les députés défendraient la plupart du temps la position de leurs commettants, et pas nécessairement les intérêts des droits de la personne. S'ils agissent ainsi, c'est parce qu'ils sont élus et qu'ils ont un travail à faire à titre de représentants du parti et de sa plate-forme. J'appartiens à un parti et j'ai aussi une plate-forme à défendre, mais l'obligation à laquelle je suis tenu n'est pas aussi contraignante. Dans divers dossiers, je dois représenter mon district électoral, mais les citoyens du district ne votent pas pour moi.

J'ignore s'ils seraient favorables ou défavorables au projet de loi, mais je vote toujours selon ma conscience. Je crois devoir voter selon la lecture personnelle que je fais des valeurs de la société canadienne. En 1976, je me suis prononcé contre la peine de mort, même si les électeurs de la circonscription que je représentais y étaient favorables. Je crois que nous avons l'obligation de prendre position. S'il est modifié et renvoyé devant la Chambre des communes, le projet de loi risque d'y rester un certain temps, peut-être en raison du déclenchement d'une élection. Dans ce cas, il mourrait au feuilleton.

Dans ce cas, les personnes dont les droits seraient rétablis par le projet de loi C-23 auraient à subir de la discrimination pendant un certain temps. S'il ne fait rien pour atténuer la valeur de l'argument juridique qui pourra être invoqué pour contester la définition de «mariage», le projet de loi continuera d'être contesté. Vous êtes sans doute au courant de la situation en vigueur à l'hôtel de ville de Toronto concernant la délivrance des licences de mariage. Tôt ou tard, la Cour suprême se penchera sur la question. Si, par ailleurs, nous votons ici en faveur du projet de loi, les personnes qu'il cible, si je puis m'exprimer ainsi, en tireront des avantages immédiats. Rien n'empêchera alors les avocats et les spécialistes et, je l'espère, le Congrès du travail du Canada, de soutenir ces affaires, de façon que nous puissions une fois pour toutes clarifier la question. Le prochain débat sera beaucoup plus «viril» -- pour les parlementaires, cependant. Il pourrait porter sur l'adoption d'un projet de loi omnibus visant à adapter le droit canadien à une définition du mariage différente de la définition de common law qui figure dans le projet de loi à l'étude. Si nous pensons qu'il sera facile de rétablir les motifs de discrimination au sens du paragraphe 15(1), nous n'avons encore rien vu.

La disposition m'apparaît injuste, mais vous comprenez notre position. Je me prononcerai en faveur du projet de loi, malgré les réserves qu'il m'inspire, tout comme le feront bon nombre de mes collègues, notamment le sénateur Beaudoin, le sénateur Pépin, le sénateur Fraser, le sénateur Andreychuk et le sénateur Buchanan.

Mme Riche: Vous êtes favorable au projet de loi, sénateur Buchanan?

Les sénateur Buchanan: Si vous l'êtes, je le serai aussi.

Le sénateur Joyal: ne causerons-nous pas un préjudice plus grand en renvoyant le projet de loi avec la modification proposée qu'en l'adoptant dans sa forme actuelle? On pourra y voir une démission de ma part, mais laissons aux Canadiens et aux partisans de la justice égalitaire le soin de faire leur travail -- rien de plus -- comme ils l'ont déjà fait, en agissant selon leurs convictions et conformément à l'arrêt de la Cour suprême. Le régime qui en résultera sera sain et conforme à la réalité. En fait, si vous êtes d'avis que nous sommes sur la bonne voie, nous devrions voter en faveur du projet de loi le plus rapidement possible.

Mme Riche: Je dirais que oui.

La présidente: Comme il s'agit d'un point très important, j'aimerais beaucoup entendre votre réaction. Devrions-nous modifier le projet de loi et courir le risque qu'une élection soit déclenchée?

M. Hindle: J'ai beaucoup aimé la façon dont le sénateur a posé le problème auquel le comité et le Sénat sont confrontés. Vous avez défini une approche pragmatique. Au bout du compte, l'adoption des dispositions nécessaires dans les meilleurs délais possibles vaut qu'on mette ses objections en veilleuse et qu'on vote en faveur du projet de loi, même s'il renferme la définition superflue. Comme vous l'avez indiqué, la définition sera contestée devant les tribunaux, et nous pourrons prendre part à un processus. Compte tenu du climat qui prévaut et du déclenchement possible d'une élection dans un avenir rapproché, c'est probablement la chose à faire.

La présidente: Pourquoi ne pas vous poser la question à vous tous?

Mme Riche: Dans ce dossier, le Congrès du travail du Canada suit les recommandations de ses membres gais et lesbiennes et des membres de la communauté homosexuelle avec qui nous travaillons, et ils nous ont dit que le projet de loi devrait être adopté tel quel, même si la modification proposée leur déplaît. À la lumière du dilemme auquel vous êtes confronté, nous préférerions que vous appuyiez le projet de loi. Je crois que vous étiez absent lorsque, au début, j'ai souligné la qualité des propos que vous avez tenus à l'occasion du débat en deuxième lecture. Je pense qu'on aurait intérêt à les diffuser et à faire connaître le sentiment de certains sénateurs sur cette question.

Le Sénat peut-il adopter le projet de loi tout en recommandant fermement à la ministre d'envisager sérieusement la possibilité de supprimer l'article 1.1? Est-ce possible? Avez-vous un tel pouvoir?

La présidente: Nous pouvons aborder ces problèmes avec la ministre à titre individuel. Ce n'est que lorsqu'il propose la modification d'un projet de loi que le comité est vraiment en mesure de donner des orientations. Dans de tels cas, il fournit des explications et des justifications.

Le sénateur Joyal: Je sais que vous souhaitez sonder les témoins. Je vais donc réserver mes commentaires pendant un moment.

La présidente: S'il vous plaît. Madame Diehl?

Mme Diehl: Il est clair que je suis d'accord et je sais que d'autres, y compris nos membres, se prononceraient dans le même sens. Je travaille en collaboration avec nos membres gais et lesbiennes de même qu'avec notre comité des droits de la personne. À leurs yeux, il est très important que le projet de loi soit adopté.

La présidente: Madame Genge?

Mme Sue Genge, représentante nationale, Congrès du travail du Canada: Je suis d'accord.

Le sénateur Joyal: Je tiens à souligner ce qu'a affirmé le sénateur Milne. Il y a quelques mois, la ministre de la Justice a comparu devant nous, et nous lui avons posé des questions sur la façon dont le gouvernement souhaitait aborder cette question -- au cas par cas, c'est-à-dire une loi après l'autre, ou dans le cadre d'un projet de loi omnibus? Nous lui avons également demandé s'il convenait ou non de retenir un lien de dépendance. Mme la présidente se souviendra que, après la rencontre, nous avons fait exactement ce qu'elle avait suggéré. Ceux d'entre nous que la question préoccupait ont écrit une lettre commune à la ministre de la Justice exposant ces préoccupations et nos sentiments. Je crois que la ministre de la Justice a pris ces préoccupations au sérieux.

Je ne fais que souligner ce que la présidente a déclaré. Nous pouvons procéder à titre individuel. Dans le même ordre d'idées, j'ai fait une déclaration -- et bon nombre de mes collègues, le sénateur Beaudoin, le sénateur Fraser et le sénateur Pépin, étaient autour de la table. Il ne fait aucun doute que l'inclusion de la disposition dans le projet de loi nous préoccupe au même titre que vous. Les plus convaincus d'entre nous ont fait des déclarations publiques. D'autres préféreront peut-être s'exprimer dans des lettres. Je ne veux surtout pas minimiser l'efficacité d'un rapport soumis à la ministre, mais il arrive que des convictions couchées par écrit favorisent le changement davantage que si le message est diffusé en public.

Mme Riche: Je crois savoir que la ministre et le premier ministre ont reçu un certain nombre de lettres en ce sens, de notre part et de celle de la communauté gaie, en tout cas. EGALE, la Fondation en faveur de l'égalité des familles et un certain nombre de syndicats se sont déjà prononcés sur ce point. Nous pourrons continuer.

Le sénateur Joyal: Comme vous le savez, le premier ministre a déclaré publiquement que les Canadiens devraient adapter la définition traditionnelle de la famille, qui ne se compose plus uniquement d'un homme et d'une femme. Si je ne m'abuse, il participait à une séance de questions et réponses dans une école secondaire de Calgary.

Mme Riche: À quel autre endroit la question aurait-elle pu être posée?

Le sénateur Joyal: C'était à Calgary.

Le premier ministre s'est avancé jusque-là, il y a deux ou trois ans, je crois. Par conséquent, le gouvernement tient indiscutablement ses promesses à ce propos. La preuve en est le projet de loi que nous étudions aujourd'hui.

Mme Riche: Malheureusement, il y a aussi la modification proposée.

Le sénateur Joyal: Avec le risque que nous avons soulevé. Cependant, l'autre question que je voulais poser a trait à la liste de projets de loi non touchés par le projet de loi que nous a fournie la ministre de la Justice. Avez-vous eu l'occasion d'examiner cette liste? Êtes-vous en mesure de commenter?

Mme Riche: En fait, nous avons cru le gouvernement sur parole. Nous étions au courant du projet de loi sur l'immigration.

La présidente: Je crois savoir que nous avons obtenu la liste du ministère. Au moment où nous nous parlons, un texte de loi est à l'étude à la Chambre des communes ou sur le point d'être transmis au Sénat. En fait, la Conférence sur l'uniformisation des lois au Canada étudie la Loi sur la preuve au Canada. Avant de modifier la loi, on attend les rapports de la Conférence.

Les projets de loi qui nous sont soumis subiront d'autres changements ou modifications. Je ne m'attends pas à ce que la ministre propose une modification unique pour supprimer la disposition dont nous parlons du projet de loi à l'étude. Pour clarifier les observations que j'ai faites un peu plus tôt, je puis cependant ajouter que je pourrai faire un commentaire dans le rapport que le comité soumettra au Sénat à propos du projet de loi.

Mme Riche: J'espère qu'il s'agira d'un commentaire que nous serons en mesure d'appuyer.

Le sénateur Beaudoin: À ce propos, on précise très clairement ici que les modifications proposées dans le projet de loi ne changent pas le sens du terme «mariage», soit l'union légitime d'un homme et d'une femme à l'exclusion de toute autre personne. La disposition aura force de loi. Naturellement, comme vous le savez, toute loi peut-être contestée. La Cour suprême pourra répondre par oui ou par non, ou encore exprimer sa propre opinion sur la question. Une disposition comme l'article 1.1 pourra être contestée en tout temps, et la Cour suprême pourra statuer que les modifications en question modifient de fait la signification du mot «mariage». Une telle affirmation n'est pas éternelle du seul fait qu'elle a force de loi; en effet, elle est toujours assujettie à l'examen de la cour. On pourra la contester devant la cour, et cette dernière en viendra peut-être à une autre conclusion.

Vous nous avez demandé ce que nous pouvons faire dans notre rapport. Nous pouvons répondre par oui ou par non et expliquer nos raisons. Après, cependant, le débat passe dans la sphère du judiciaire. Il ne nous concerne plus. Si la question revient devant nous ou que la cour intervient dans un arrêt, le législateur, bien entendu, aura le loisir de soumettre le nouveau texte à l'étude. Ce que dit le sénateur Joyal, c'est peut-être que, dans les jours et les semaines à venir, de nombreux points risquent de faire l'objet d'un vif débat. Certes, l'article 1.1 contient une affirmation, mais il n'en demeure pas moins assujetti à une révision judiciaire.

Mme Riche: Ce que vous dites soulève cependant une question: pourquoi nous aventurer sur ce terrain, alors qu'il est tout à fait inutile de le faire? Nous savons que le projet de loi ira devant la cour. Nous savons qu'il sera contesté. Pour s'en convaincre, on n'a qu'à penser à la controverse qu'il a déjà soulevée. Nous savons qu'une majorité de Canadiens est fortement en faveur du projet de loi C-23, au même titre que la communauté des gais et des lesbiennes. Et voilà que nous nous retrouvons aux prises avec cette disposition venue de nulle part, ce qui était un peu injuste et, je le dis en toute franchise, un peu mesquin. Nous savons que le projet de loi sera contesté. On ne devrait jamais rédiger une loi tout en sachant qu'elle sera inévitablement contestée. Rédiger une loi, c'est d'abord et avant tout rédiger une loi qui se tient.

Le sénateur Beaudoin: Je suis tout à fait d'accord avec vous.

La présidente: J'interviens à ce moment-ci pour préciser que le Sénat n'a pas pour rôle d'analyser ce qui se passe à l'autre endroit.

Mme Riche: Madame la présidente, c'est le même projet de loi, qu'on soit à l'autre endroit ou ici. Nous devons faire valoir nos objections avec vigueur et demander au Sénat de faire tout ce qui est en son pouvoir pour modifier le projet de loi.

Le sénateur Beaudoin: Dans son histoire, le Sénat a souvent modifié des projets de loi.

Mme Riche: Je sais. Voilà le dilemme, et nous sommes d'accord avec ce qu'a déclaré votre collègue. Nous tentons de convaincre le Sénat de produire à tout le moins une mise en garde précisant que, dans ce cas particulier, la ministre a tort.

Le sénateur Joyal: Dans le même ordre d'idées, je tiens à préciser que nous avons modifié la définition de «conjoint» dans la Loi sur les juges, il y a environ un an. On nous a soumis le projet de loi adopté par l'autre endroit. Or, on y définissait le «conjoint» comme une personne de sexe opposé. Nous avons soulevé la question au moment de la comparution de la ministre devant nous. Je crois que c'est dans ce contexte que nous avons soulevé la question à laquelle j'ai fait référence un peu plus tôt, et nous avons modifié le projet de loi ici. C'est la recommandation que nous avons faite au Sénat, qui l'a adoptée à l'unanimité, si je me rappelle bien, et nous avons renvoyé le projet de loi à la Chambre des communes, qui a agréé à la modification proposée. C'est la formule que l'autre endroit utilise pour signifier qu'il approuve une modification proposée par nous.

Je tiens à vous assurer qu'il ne fait aucun doute que les sénateurs ici présents sont conscients de l'obligation qu'ils ont de préserver l'équilibre. Malgré le malaise que m'inspire la présence de la disposition dans le projet de loi et le fait que je suis tout à fait d'accord avec vous, nous devons l'adopter et donner notre appui moral au groupe de personnes qui tiennent à se battre pour cette cause. Nous allons faire face aux conclusions de la cour de la même façon que nous avons fait face à d'autres conclusions difficiles présentées par le passé. Pour certains, ce n'est pas facile. Nous ne pouvons pas tenir pour acquis que, pour de nombreuses personnes, les décisions sont faciles à accepter du seul fait qu'elles ont été prises par la cour. Sur ce point, nous devons demeurer vigilants. En même temps, nous devons prendre position en tant que législateurs.

Mme Riche: Quoi qu'il en soit, c'est décevant. Nous aurions pu célébrer.

Le sénateur Joyal: Il y a toujours lieu de célébrer.

La présidente: Je vous remercie de votre présence. Je rappelle aux sénateurs que les cloches sonneront à 16 h 45. Nous sommes appelés à voter à 17 h, et nous ne pourrons reprendre nos travaux en soirée qu'une fois l'assentiment royal donné.

Le comité suspend ses travaux.

 


OTTAWA, le mercredi 31 mai 2000

Le comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, auquel on a renvoyé le projet de loi C-23, Loi visant à moderniser le régime d'avantages et d'obligations dans les Lois du Canada, se réunit aujourd'hui à 18 h 43 pour étudier le projet de loi.

Le sénateur Lorna Milne (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente: Je déclare ouverte la réunion du comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles chargé de l'étude du projet de loi C-23, Loi visant à moderniser le régime d'avantages et d'obligations dans les Lois du Canada.

Les témoins du premier groupe appartiennent à l'Association du barreau canadien. Nous accueillons Terry Hancock, membre de la Conférence sur l'orientation et l'identité sexuelles, et Joan Bercovitch, affaires juridiques et gouvernementales, qui est à notre gauche.

Mme Joan Bercovitch, Affaires juridiques et gouvernementales, Association du Barreau canadien: Je ferai quelques remarques préliminaires, après quoi Mme Hancock présentera le reste du mémoire.

[Français]

Comme vous le savez, l'Association du Barreau canadien est une association nationale regroupant des juristes de partout au Canada.

[Traduction]

Parmi les mandats de l'organisation figure l'amélioration du droit et de l'administration de la justice. C'est dans ce contexte que s'inscrivent les mémoires que nous allons vous présenter aujourd'hui.

La position que nous allons vous présenter a été approuvée par l'Association du Barreau canadien, avec la participation de bon nombre de groupes membres. Ces groupes représentent des avocats de pratiques diverses des quatre coins du pays. Les enjeux que nous vous présenterons ont donc bénéficié de multiples éclairages. Mme Hancock présentera le mémoire et répondra à vos questions.

Mme Terry Hancock, membre, Conférence sur l'orientation et l'identité sexuelles, Association du Barreau canadien: C'est avec plaisir que je me prononcerai ce soir en faveur du projet de loi C-23. Je suis très fière de défendre l'adoption du projet de loi au nom de l'Association du Barreau canadien, chef de file dans le domaine de l'égalité des droits des gais, des lesbiennes, des bisexuels et des transsexuels.

L'ABC est la première -- et jusqu'ici la seule -- organisation professionnelle à reconnaître ses membres gais, lesbiennes, bisexuels et transsexuels. L'association a créé une conférence nationale, soit la Conférence sur l'orientation et l'identité sexuelles, dont je fais partie. Elle a soutenu la création de comités provinciaux d'avocats gais, lesbiennes, bisexuels et transsexuels en Alberta, en Colombie-Britannique, au Manitoba, en Ontario, au Nouveau-Brunswick et en Nouvelle-Écosse.

Depuis longtemps, l'association soutient fièrement la réforme législative dans ce domaine. À quatre reprises au cours des six dernières années, le Conseil de l'ABC est intervenu auprès de divers ordres de gouvernements pour leur demander de mettre un terme à la discrimination fondée sur l'orientation sexuelle. L'Association s'est prononcée sur la disposition de la peine dans des cas de crimes haineux de même que sur les modifications de la Loi canadienne sur les droits de la personne. La Division albertaine de l'ABC est intervenue pour soutenir la cause d'un homme congédié du simple fait qu'il était gai.

Cela dit, j'affirme d'entrée de jeu que l'ABC accorde un appui sans équivoque au projet de loi C-23 et presse les membres du comité de l'adopter sans la disposition 1.1, soit la disposition définissant le mariage. Ce soir, j'aurai beaucoup à dire à propos de la disposition en question.

Le projet de loi C-23 affirme que le fait d'exclure les couples de gais et de lesbiennes de toute la gamme des avantages et obligations est intolérable. C'est un affront à la dignité de la communauté et à la perception qu'elle a de sa propre valeur.

Le projet de loi C-23 n'a fait que rattraper la société moderne. Aux termes de la jurisprudence se rapportant à la Charte, la discrimination fondée sur l'orientation sexuelle est interdite. D'autres gouvernements provinciaux et territoriaux comme la Colombie-Britannique, l'Ontario et, dans une certaine mesure, le Yukon ont déjà légiféré à ce propos. Le secteur privé, qui fait figure de chef de file dans ce domaine, reconnaît ses employés gais et lesbiennes depuis de nombreuses années.

Je centrerai mes propos sur les couples de gais et lesbiennes puisque ce sont eux, qui, du point de vue constitutionnel, sont à l'origine du projet de loi. Cependant, je tiens à souligner que l'ABC est également favorable à l'inclusion des couples hétérosexuels qui vivent en union de fait.

Je m'intéresserai à deux questions. Premièrement, je soulignerai l'importance du projet de loi C-23 dans le contexte de la Charte, de la jurisprudence relative aux droits de la personne et de la définition du terme «conjoint». Deuxièmement, je me concentrerai sur le retrait de l'article 1.1, la disposition relative à la définition du mariage.

Dans un premier temps, je dirai un mot des droits de la personne et de la jurisprudence relative à la Charte. Le statut juridique des gais et des lesbiennes du Canada fait l'objet de litiges depuis plus de deux décennies. Cette approche à la pièce a coûté très cher aux parties en cause tout autant qu'aux contribuables.

Comme on le documente aux pages 4 à 7 du mémoire, c'est en 1995 qu'a débuté pour de bon le mouvement en faveur de l'inclusion des couples de gais et de lesbiennes. Il y a eu la cause Rosenberg, qui visait la transformation des caisses de retraite, de façon qu'elles prévoient le versement de prestations de survivant aux conjoints de même sexe, l'arrêt M. c. H., dont les membres du comité ont beaucoup entendu parler au cours des dernières semaines, et l'arrêt Moore et Ackerstrom, qui portait sur le rejet par la Division de première instance de la Cour fédérale de la proposition du gouvernement fédéral de créer une nouvelle catégorie pour les couples de gais et de lesbiennes, en vertu du principe «distinct mais égal». On a alors jugé qu'un tel régime était contraire à la Loi canadienne sur les droits de la personne.

De ces affaires et de nombreuses autres décisions rendues par des tribunaux inférieurs, on peut tirer trois conclusions. Premièrement, la reconnaissance des relations entre gais et lesbiennes représente un impératif constitutionnel. Deuxièmement, les gouvernements doivent donner l'exemple en légiférant en conformité avec la loi. À mon avis, la participation à des litiges à la pièce et ponctuels n'est pas la voie à suivre pour réformer le droit.

Troisièmement, on reconnaît en vertu du droit de la Charte que les gais et les lesbiennes sont des conjoints. Comme l'illustre l'arrêt Moore et Ackerstrom, la catégorie «distinct mais égal» a été rejetée. Je fais ici une digression pour souligner que, dans l'affaire Rosenberg -- qui avait trait à la Loi de l'impôt sur le revenu --, la cour a statué que le recours approprié en vertu de l'article 52, qui a trait à la primauté de la Charte, consistait à élargir la définition du mot «conjoint».

En réalité, c'est l'utilisation du mot «conjoint» qui est au coeur du débat. À mon avis, nous ne pouvons faire fi de la jurisprudence. Les affaires Rosenberg, M. c. H. et Moore et Ackerstrom montrent hors de tout doute que les tribunaux ont rangé les gais et les lesbiennes dans la catégorie des «conjoints». Nous pouvons concevoir que le fait de ranger les couples de gais et de lesbiennes sous la rubrique de «conjoint de fait» et non sous celle d'«époux» constitue un compromis politique. L'ABC a mis en garde le comité de la justice de la Chambre des communes contre toute modification de nature à affaiblir les dispositions législatives existantes -- ce qui aurait pour effet d'exacerber le compromis -- ou contre l'utilisation d'une formulation laissant croire à la supériorité des relations entre hétérosexuels.

À l'article 1.1, on retrouve une définition du mot «mariage». Nous n'avons pas eu l'occasion d'aborder cette question devant le comité de la justice de la Chambre des communes, mais j'attire votre attention sur la lettre que nous avons fait parvenir au sénateur Milne en date du 24 mai 2000. J'espère que les membres du comité ont en main une copie de la lettre. Je vais tenter de résumer le plus brièvement possible les motifs qui incitent l'ABC à demander avec insistance l'abrogation de l'article 1.1. Le projet de loi vise à inclure les couples de gais et de lesbiennes. À mon avis, l'article 1.1 est incompatible avec cet objectif. Comme la ministre de la Justice l'a affirmé en public, le projet de loi C-23 porte non pas sur la définition du mariage, mais bien plutôt sur l'équité, la tolérance et l'inclusion. À mes yeux, il est donc superflu et inutile de définir le mariage dans le contexte du projet de loi C-23.

Je vais maintenant m'intéresser au problème de la définition du mot «conjoint» dans le contexte de la Charte des droits et libertés. Comme je l'ai mentionné, le terme «conjoint» a été défini par les tribunaux dans l'affaire M. c. H. et dans d'autres précédents. Nous avons déjà affirmé que la ségrégation dont les gais et les lesbiennes sont victimes ne manqueraient pas d'entraîner, à la lumière de cette jurisprudence, une forme ou une autre de contestation en application de la Charte. À mon avis, la ségrégation qu'induit l'utilisation de l'article 1.1 proposé est contraire à l'idée selon laquelle les gais et les lesbiennes sont tout à fait intégrés au projet de loi. En fait, la définition du mariage exclut explicitement les gais et les lesbiennes. Voilà pourquoi elle ne doit pas figurer dans le projet de loi.

Si l'article 1.1 est ajouté, les litiges vont se poursuivre de plus belle. Je crois comprendre que des affaires sont en instance devant les tribunaux dans l'attente de l'entrée en vigueur de l'article 1.1, qui sera utilisé dans le cadre des requêtes en question. Nous plaidons donc en faveur du retrait de l'article 1.1. La définition du mariage est superflue et incompatible avec l'objectif du projet de loi. Il s'agit de plus d'une invitation à la multiplication des litiges et à la reconduite de la réforme du droit ponctuelle, à la pièce.

En conclusion, l'ABC est favorable à l'adoption du projet de loi C-23 sans l'article 1.1. Le projet de loi C-23 fait la promotion de l'égalité des couples de gais, de lesbiennes et de personnes de sexe opposé, ce qui constitue en soi un objectif louable. Le gouvernement rattrape ainsi le retard qu'il accuse par rapport à d'autres assemblées législatives et au secteur privé. L'ABC défend avec vigueur l'égalité et la dignité des Canadiens gais, lesbiennes, bisexuels ou transsexuels non mariés qui vivent en union de fait.

La présidente: Je vous remercie.

Le sénateur Andreychuk: Certains sénateurs et d'autres personnes ont laissé entendre que le fait de proposer le retrait de l'article 1.1, mesure à laquelle je suis pour ma part favorable, risquerait d'entraîner des retards ou peut-être la mise au rancart pure et simple du projet de loi, qui devrait être retourné à la Chambre des communes. Nous sommes conscients du temps qu'il faut pour qu'un projet de loi passe de nouveau par l'ensemble du processus avant de refaire surface, sans parler des exigences à remplir. Malgré tous ces risques -- notamment celui de perdre le contenu du projet de loi --, restez-vous d'avis que la modification devrait être proposée?

Mme Hancock: Oui, madame la sénatrice, pour deux raisons. Les gais et lesbiennes se tirent mieux d'affaire devant les tribunaux qu'aux yeux de la loi. Si, après avoir été retourné à la Chambre, le projet de loi devait mourir au feuilleton, nous aurions essentiellement intérêt à retourner devant les tribunaux pour leur demander de confirmer ce qu'ils disent à propos de notre statut juridique. À mes yeux, le retard n'est pas déraisonnable. Par ailleurs, je suis convaincue que les enjeux sont très élevés. Quoi qu'il en soit, cette solution est préférable à celle qui a pour effet de faire de nous autre chose que des citoyens à part entière. En particulier, l'idée de nous intégrer à tout, sauf au mariage -- alors que c'est tout à fait inutile dans le contexte du projet de loi --, me donne à penser que la stratégie juridique consiste à laisser le projet de loi mourir de sa belle mort. L'hypothèse ne me plaît pas, mais je pense que la «Chambre de réflexion», qui n'a pas de comptes à rendre à l'électorat démocratique, peut indiquer à la Chambre des communes que nous sommes des membres à part entière et à parts égales de la société qu'on ne doit exclure explicitement d'aucun projet de loi.

Le sénateur Andreychuk: Si on s'adressait à elle, disent certains, la Cour suprême pourrait ou bien confirmer l'article 1.1 ou au contraire le rejeter. À mon avis, la Cour suprême affirmerait que l'article est superflu dans le contexte du projet de loi C-23 et qu'elle le radierait, un point c'est tout, sans se prononcer sur le mariage. Voilà qui, dirons-nous, ne serait pas très utile pour les deux parties. À votre avis, dans quel sens la Cour suprême trancherait-elle?

Mme Hancock: Madame la sénatrice, je ne suis pas en mesure de spéculer sur ce que la Cour suprême pourrait faire.

Le sénateur Andreychuk: Vous avez suivi toutes ces affaires. Vous devez donc avoir une idée.

Mme Hancock: J'ai l'impression que la cour déclarerait l'article superflu et que des motifs juridiques solides plaideraient en faveur de son élimination. La question de savoir si la cour voudra ou non aller dans cette direction reste entière. En fin de compte, il s'agit d'une distinction qui, du point de vue de l'analyse de la Charte, entraîne une application différente du droit. À ce titre, elle pourrait donc être contestée. La question plus générale qui se pose est la suivante: est-ce bien ainsi que, en tant que décideurs, nous voulons agir? Je réponds que non. Retirons la disposition maintenant, laissons le projet tel qu'il est et passons à autre chose.

Le sénateur Joyal: Je m'excuse sincèrement auprès des témoins d'avoir été absent pendant leur exposé. Après avoir entendu votre dernier commentaire, je ne suis pas certain d'être prêt à vous suivre sur cette voie. Sur le plan juridique, je pense qu'on a tout au moins des motifs abstraits d'affirmer que l'ajout d'une définition n'est pas compatible avec une interprétation correcte du paragraphe 15(1), puisque nous avons conclu que cet ajout était à la fois superflu et dangereux pour le projet de loi. En toute logique, le projet de loi devrait être renvoyé à la Chambre des communes tel que modifié par le Sénat, ainsi que vous l'avez proposé.

Comme vous le savez, nous avons débattu de cette idée avec des témoins antérieurs. Ce qui nous préoccupe, en fait, c'est l'obligation que nous avons de faire ce qu'il faut -- quoi que nous fassions, nous aurons toujours tort. Nous pouvons renvoyer le projet de loi à la Chambre, mais ce sera bientôt l'été. Le gouvernement a déjà fixé l'ordre de priorité des projets de loi qu'il souhaite voir adopter. Naturellement, un tel ordre de priorité se justifie parfaitement -- il y a des Canadiens qui attendent les paiements pour la manutention du grain, sans parler de nombreux autres événements qui me semblent raisonnables et rationnels. Nous devons donc reconnaître le droit qu'a le gouvernement de gouverner.

Il est certain que le projet de loi peut demeurer au Feuilleton de la Chambre et être proposé de nouveau avant la session d'automne, mais, dans ce cas, nous serons encore plus proches d'une élection fédérale. Si un nouveau chef de parti fait son entrée à la Chambre, la réalité de la situation aura une incidence sur la question à l'étude.

La présidente: Sénateur Joyal, je vais vous permettre de vous étendre sur la question, mais jusqu'à un certain point seulement. Je me permets de souligner que le sénateur Andreychuk a posé la même question, quoique de façon plus brève.

Le sénateur Joyal: Très bien. Dans ce cas, je vais passer au deuxième point que je voulais soulever, à savoir que des personnes subissent actuellement de la discrimination. Si le projet de loi est adopté rapidement, ces personnes seront dédommagées pour les pensions et les autres avantages qu'elles ont perdus. Je suis certain que toutes les personnes ici réunies souhaitent qu'on mette un terme à cette discrimination.

Devrions-nous risquer d'assujettir des Canadiens à une discrimination que nous réprouvons totalement pour une année de plus, peut-être même davantage, plutôt que d'adopter le projet de loi à l'étude, dont nous approuvons l'objectif? Voilà le dilemme auquel nous sommes confrontés. Cette question me préoccupe bel et bien.

Mme Hancock: Je comprends votre point de vue, sénateur. Je pense que vous avez manqué la première partie de ma réponse au sénateur Andreychuk.

À titre d'avocate, je dirais à mes clients que nous nous sommes mieux tirés d'affaire en nous adressant aux tribunaux et pour revendiquer le statut de «conjoint», parce qu'il n'y avait pas de distinction. La fameuse catégorie «distinct mais égal» n'existait pas. Si nous enchâssons dans un texte de loi le fait que nous ne pouvons nous marier, la distinction perdurera au cours des 10 ou 20 prochaines années de recours devant les tribunaux.

En ce qui concerne l'intérêt de nos clients, nous, en tant qu'avocats, estimons perdre au change dans la mesure où le gouvernement rend exécutoire une forme discriminatoire de catégorisation de nos relations. À mon humble avis, sénateur, une telle situation a des conséquences bien réelles.

Vous me demandez si je tiens à ce que le projet de loi C-23 meure au feuilleton? Non, j'aimerais qu'il soit adopté. Vous me demandez si je souhaite qu'on enchâsse dans le texte de loi une définition du mariage en vertu de laquelle on empêche les gais et les lesbiennes de se marier? Non. Si, dans le pire des scénarios, le projet de loi meurt au feuilleton, les avocats feront la queue à la porte de la cour. Depuis l'amorce de ce processus, il y a des requêtes qui accumulent la poussière, en raison de la bonne foi et des bonnes intentions de la communauté des gais et des lesbiennes, qui souhaite une solution législative. Cependant, ils sont prêts à bouger rapidement pour mettre un terme à la discrimination dont ils sont victimes dans l'application de la loi.

Je comprends les préoccupations que vous inspire la mort du projet de loi au Feuilleton, mais, du point de vue du droit à la liberté que nous revendiquons, ce n'est pas la fin du monde. Je m'inquiète également de savoir où nous serons dans cinq ou dix ans.

Le sénateur Joyal: Je comprends ce que vous voulez dire, mais, en réponse à une question à propos de l'impact de la modification définissant le mariage, un témoin précédent a affirmé que la définition en question n'avait qu'une valeur interprétative et qu'elle ne porterait pas vraiment préjudice aux chances d'obtenir victoire devant les tribunaux, au motif qu'elle est contraire au droit à l'égalité défini par le paragraphe 15(1). En fait, le témoin nous a donné l'impression qu'il préférerait que la disposition reste dans le projet de loi dans la mesure où elle aurait pour effet de l'inciter à se battre encore plus fort. Je paraphrase ses propos.

D'après les journaux, nous savons que des recours ont déjà été intentés devant les tribunaux du Canada et que cette question aboutira tôt ou tard devant la plus haute cour du pays. Déjà, des Canadiens se sont publiquement engagés à mener cette lutte. Il faudra peut-être deux ans, trois ans ou quatre ans, mais nous savons que ce jour viendra.

Si nous rejetons le projet de loi en raison de la définition du mariage qu'il renferme, ne portons-nous pas un préjudice plus grand à ceux qui, pour une période de deux, trois, quatre ou cinq ans, n'auront pas droit au bénéfice de pensions, du projet de loi sur l'immigration, de la citoyenneté et de la Loi sur la preuve au Canada à laquelle la présidente a fait référence cet après-midi?

En d'autres termes, je ne crois pas que nous portions un tort plus grave aux gais et aux lesbiennes, que la loi, au moment où nous parlons, empêche de se marier. Si nous n'adoptons pas le projet de loi, nous allons au contraire causer un préjudice plus grand en refusant des avantages aux conjoints de fait de même sexe, dans l'espoir que, d'ici cinq ans, nous parviendrons à faire du Canada une société parfaite.

À titre d'avocat, j'aimerais que vous me disiez aujourd'hui si, à supposer que la définition demeure dans le projet de loi, vous aurez plus de mal à obtenir de la cour une interprétation favorable à l'octroi d'avantages conjugaux aux couples de même sexe. Si c'est ce que vous croyez, vous allez me faire douter. Est-ce bien ce que vous affirmez aujourd'hui?

Mme Hancock: C'est ce que je dirais si j'étais une avocate de la Couronne mêlée à une affaire portant sur l'article 1.1. J'affirmerais à la cour que le projet de loi a été étudié par le comité de la Chambre des communes, que l'article en question a été étudié par la Chambre des communes, qu'il a fait l'objet d'un vote, que des questions ont été soulevées à propos des gais, des lesbiennes et du mariage et que la Chambre des communes a répondu par la négative. Ensuite, le projet de loi a été étudié par un comité du Sénat, dont les membres, après avoir entendu des arguments à propos du mariage entre gais et lesbiennes, ont répondu par la négative. Ensuite, le projet de loi est revenu devant le Sénat, dont les membres ont débattu du mariage entre gais et lesbiennes, avant de répondre par la négative. Le gouvernement serait ainsi fondé à s'en remettre au projet de loi.

Vous voulez savoir si, en dernière analyse, je pense que l'article 1.1 pourra être abrogé? Je suis peut-être un peu biaisée -- dans les limites du raisonnable --, mais je pense qu'il faudra peut-être des décennies avant qu'on puisse revenir sur le statut distinct réservé aux gais et aux lesbiennes enchâssé dans un texte de loi.

De la même façon, sénateur -- et je suis certaine que vous vous rappellerez l'époque lointaine où la Charte était en cours d'élaboration --, on nous a dit de ne pas nous inquiéter et que l'article 15 s'appliquait aux gais et aux lesbiennes. Il nous a fallu 15 ans de litige, de temps, d'efforts, d'argent et d'arguments pour démêler ce qui était inclus et exclu aussi bien que ce qui avait été omis de propos délibéré. À mon avis, c'est ce qui risque de se produire une fois de plus. C'est ce qui risque de se produire si, à un moment ou à un autre, nous n'affirmons pas que l'article 1.1 n'ajoute rien au projet de loi et qu'il est préjudiciable dans la mesure où il nous range dans une catégorie distincte.

Le sénateur Joyal: Avec votre permission, madame la présidente, j'aimerais ajouter quelques mots à ce sujet, très rapidement.

La présidente: D'accord. Mais très rapidement.

Le sénateur Joyal: À ce propos, vous savez quelle était mon opinion il y a 20 ans parce que je l'ai exprimée publiquement. J'ai voté en faveur de l'inclusion de l'orientation sexuelle comme motif de non-discrimination régi par le paragraphe 15(1), mais, à l'époque, ma proposition a été défaite par le comité. Ce qui m'a rassuré ou réconforté, c'était que la formule introductive était si longue que, tôt ou tard, une cour canadienne en viendrait à cette conclusion. Naturellement, il a fallu 20 ans. Cependant, je puis vous dire que, sur le plan politique très terre-à-terre, les provinces auraient voté contre la Charte si l'orientation sexuelle avait été retenue. Croyez-moi, de nombreuses dispositions de la Charte ont fait l'objet de négociations au niveau provincial. Pas plus tard que cette semaine, certains de nos collègues autochtones nous ont rappelé ce qu'on a fait de leurs droits pendant les échanges qui ont accompagné le processus de négociation. Dans les échanges, on a perdu certains mots. Lorsque le tout revient, il ne ressemble plus à ce à quoi on s'attendait.

Je suis convaincu qu'il arrive parfois que «le mieux soit l'ennemi du bien» comme on dit. Si, sur le plan intellectuel, je suis votre raisonnement et que ma première réaction consiste toujours à opter pour le meilleur...

La présidente: Une question, sénateur Joyal?

Le sénateur Joyal: Devrions-nous vraiment refuser de voter pour le projet de loi tel que libellé?

Mme Hancock: Non, du moins pas à mon avis. Il nous a fallu 15 ans de lutte avant d'obtenir gain de cause devant les tribunaux. Les tribunaux ont affirmé que nous sommes des conjoints. Aujourd'hui, nous sommes des conjoints de fait. Aux yeux de la loi, nous avons fait un pas en arrière. L'inclusion de la définition de «mariage» dans le projet de loi constituerait à mon avis un recul.

Nous allons passer les 15 prochaines années à discuter de la définition du mot «mariage». Personnellement, sénateur, votre idée d'union civile à titre d'enjeu stratégique m'apparaît tout à fait sensée. Nous n'en avons pas discutée à l'ABC, mais on en a discuté activement au sein de la profession juridique. C'est ainsi que nous devrions procéder dans les questions stratégiques. Éviter de créer une institution qui donne à la définition du mariage le sceau de l'approbation démocratique.

Le sénateur Joyal: Vous me plongez dans le malaise.

Le sénateur Fraser: Dans le mémoire que vous avez présenté à la Chambre des communes, vous soulevez deux problèmes techniques. Votre lettre tend à indiquer que la Chambre des communes a rectifié le problème touchant la disposition transitoire concernant les pensions alimentaires. J'interprète votre silence à cet égard comme signifiant qu'on n'a pas donné suite à vos préoccupations concernant la Loi sur la faillite et l'insolvabilité.

Mme Hancock: En fait, nous leur avons demandé d'étudier cette question dans le cadre de la réglementation.

Le sénateur Fraser: Avez-vous obtenu une réponse? Est-ce un problème qui touchera de nombreuses personnes? Je ne connais rien à la faillite. Je ne suis donc pas en mesure d'évaluer si ce problème devrait nous préoccuper au plus haut point ou si, au contraire, il s'agit d'un point de détail sur lequel nous pouvons attirer l'attention de la ministre.

Mme Hancock: Le problème de réglementation avait trait à la définition des points de détail. Les passages antérieurs concernaient le libellé proprement dit des dispositions. Je ne suis pas au courant de la portée du problème. J'ignore pourquoi le comité de la Chambre des communes n'en a pas traité.

Le sénateur Fraser: Vous n'êtes pas, par exemple, en mesure de nous dire que des personnes ont été désavantagées dans 17 cas de faillite en raison de certaines de ces dispositions?

Mme Hancock: J'ai communiqué avec l'expert en faillite de l'ABC. À sa connaissance, le problème ne s'est jamais posé. Si je comprends bien, il ne s'agit pour le moment que d'une possibilité théorique.

La présidente: Notre témoin suivant est Mme Michelle Falardeau-Ramsay, présidente de la Commission canadienne des droits de la personne. M. J. Hucker, secrétaire général, l'accompagne.

Mme Michelle Falardeau-Ramsay, c.r., présidente, Commission canadienne des droits de la personne: D'abord, je voudrais vous remercier de m'avoir donné cette occasion de présenter le point de vue de la Commission canadienne des droits de la personne sur le projet de loi C-23.

Honorables sénateurs, il importe de considérer le projet de loi dans le contexte de la législation sur les droits de la personne au pays. Même s'il y a eu des progrès importants dans la promotion d'une culture des droits de la personne au Canada, il est clair qu'il reste encore beaucoup d'efforts à faire en ce sens. Certains des arrêts rendus récemment par la Cour suprême du Canada aident toutefois à déblayer le terrain. Les décisions rendues dans les affaires Meiorin, Grismer et Mercier et, plus récemment, dans l'affaire Granovsky ont eu à la fois pour effet de reconnaître le besoin d'une approche systémique et de mieux définir les limites des droits de la personne. C'est dans ce contexte que je vous parlerai du projet de loi C-23.

Depuis que je me suis adressée le 21 mars au comité permanent de la justice et des droits de la personne, certaines modifications ont été apportées à ce projet de loi, notamment à l'article 1.1, dans lequel le mariage est désigné comme «l'union légitime d'un homme et d'une femme à l'exclusion de toute autre personne». À l'occasion de ma présentation devant le comité, j'ai déclaré publiquement qu'à mon avis, aucune définition du mariage ne devrait figurer dans ce projet. Il me semble en effet que cette définition n'est pas pertinente à ce projet de loi, qui garantit des droits déjà établis judiciairement, mais dont l'exécution ne pourrait être assurée.

Hormis cette réserve, la Commission accueille favorablement l'initiative de la ministre de la Justice et procureur générale du Canada, Anne McLellan, de présenter un projet de loi omnibus prévoyant la modification de lois fédérales de manière à étendre des avantages et obligations aux couples de même sexe. La ministre a affirmé, à juste titre, que les changements législatifs proposés s'appuyaient sur une volonté d'équité, de manière que toutes les situations d'union de fait soient considérées sur un même plan, quelle que soit l'orientation sexuelle des conjoints.

D'autres ministres, qui ont aussi parrainé le dépôt de cette législation, soit le ministres des Finances, Paul Martin, la présidente du Conseil du Trésor, Lucienne Robillard, la ministre du Développement des ressources humaines, Jane Stewart, et la ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, Elinor Caplan, méritent aussi nos félicitations.

En vertu du projet de loi C-23, 68 lois seraient modifiées pour étendre les avantages et les obligations à tous les couples qui vivent en union de fait depuis au moins un an, y compris, comme nous l'avons mentionné, les couples de même sexe. On souhaite ainsi refléter les valeurs de tolérance, de respect et d'égalité qu'exprime la Charte canadienne des droits et libertés. Ce projet de loi s'inscrit dans la continuité de l'arrêt rendu par la Cour suprême dans la fameuse cause M. c. H., où celle-ci statuait que le refus de reconnaître aux couples de même sexe les mêmes droits et responsabilités que ceux des couples hétérosexuels vivant en union de fait contrevenait à la Charte.

La cour a statué que les couples de même sexe doivent jouir des mêmes droits et responsabilités que ceux reconnus aux couples hétérosexuels vivant en union de fait. Cela constitue un grand pas en avant dans la marche vers l'égalité des gais et lesbiennes au Canada.

[Français]

Depuis longtemps, la commission travaille à promouvoir la protection des droits de la personne et à contrer la discrimination basée sur l'orientation sexuelle. Depuis longtemps aussi, elle considère juste d'étendre les avantages et les obligations découlant de ces droits aux conjoints de même sexe. C'est là un principe tout à fait conforme à la Loi canadienne sur les droits de la personne, de même qu'à la jurisprudence dans ce domaine. Le projet de loi omnibus nous paraît pertinent, non seulement sur un plan strictement juridique, mais aussi parce qu'il correspond aux valeurs que la commission préconise chaque année dans son rapport annuel depuis 1979.

À notre avis, ces modifications ont une dimension à la fois pratique et symbolique. Sur le plan pratique d'abord, le projet de loi énonce clairement qu'il serait illégal d'exercer de la discrimination contre une personne parce qu'elle vit en union de fait avec un conjoint de même sexe. Une fois adopté, le projet de loi C-23 comportera un large éventail de retombées bien tangibles, depuis le régime d'imposition à la Loi sur l'assurance-emploi, en passant par les exigences reliées aux conflits d'intérêt et aux visites conjugales en milieu carcéral.

Il ne s'agit pas ici d'un nouveau concept, puisque la Colombie-Britannique, le Québec et l'Ontario ont déjà modifié de nombreuses lois pour répandre la définition de conjoint de fait, de manière à y inclure les couples de même sexe. Un impact positif du projet de loi sera de diminuer le nombre de plaintes de discrimination fondées sur l'orientation sexuelle que la commission reçoit et de faciliter le règlement d'un nombre de plaintes qui sont en voie d'enquête ou de conciliation.

Cependant, quelque soit l'effet de l'adoption du projet de loi sur le nombre ou la nature des plaintes que nous recevrons, l'extension de la définition du terme «conjoint de fait» dans la loi aura une importante signification symbolique. Quand des Canadiennes et des Canadiens dénoncent à la commission la discrimination dont ils sont victimes, ils témoignent de leur foi à l'égard des lois canadiennes et de leur capacité de redresser les iniquités. J'aimerais rappeler que les gouvernements précédents ont été réticents à agir en ce sens, considérant l'extension des droits aux conjoints de même sexe comme une question délicate.

En adoptant le projet de loi C-23, le gouvernement canadien se montrerait à la hauteur des attentes de la population canadienne quand il s'agit de lutter contre toutes les formes de discrimination, qu'elles se fondent sur l'orientation sexuelle ou tout autre motif illicite.

En effet, le projet de loi C-23 met en évidence l'idée que les différences de situation de vie de couple sont autant une source d'inégalités dans notre société que la race ou la déficience, et qu'il faut se donner les moyens, collectivement et individuellement, d'éviter de telles inégalités. S'il est vrai que les lois ne peuvent pas seules changer les attitudes, elles influent quand même sur la définition de ce qui constitue l'égalité véritable entre les personnes de différentes orientations sexuelles dans une société donnée. L'inclusion des conjoints de même sexe dans la définition de conjoint de fait dans les lois canadiennes, indiquerait clairement aux Canadiennes et aux Canadiens que le préjudice contre les gais et lesbiennes est aussi inacceptable dans notre société que le préjudice contre les Noirs, les autochtones, les personnes handicapées ou les femmes.

De nombreux employeurs privés et publics ont volontairement choisi d'étendre les avantages aux conjoints de même sexe sans que cela n'entraîne des coûts importants. Le ministre Martin abonde dans le même sens, soutenant que l'incidence financière du projet de loi C-23 serait minime sinon nulle.

Le sondate d'opinion publique effectué par Angus Reid en juin 1999, à la demande du Globe and Mail et de CTV, révèle que la reconnaissance des couples de même sexe suscite l'appui d'une majorité de Canadiens. Cela nous conforte dans l'idée que l'élimination dans les lois canadiennes des dispositions qui constituent une discrimination sur l'orientation sexuelle est un objectif auquel tous les Canadiennes et les Canadiens purraient souscrie.

[Traduction]

Pour conclure, j'aimerais dire que nous espérons que le projet de loi C-23 sera adopté, car il met en place des mécanismes nouveaux pour garantir le respect des droits de la personne, y compris ceux des couples de même sexe. Le moment est venu pour le Canada de reconnaître l'égalité des couples de même sexe, non pas seulement de manière abstraite ou théorique, mais de manière concrète, dans l'application concrète de nos lois.

Je serai heureuse de répondre à toute question que vous voudrez bien me poser.

Le sénateur Andreychuk: Votre exposé portait sur les questions générales relatives à cette affaire, et elles sont certainement claires. La controverse semble entourer l'article 1.1 qui a été ajouté à l'autre endroit. Pourriez-vous nous dire si cet ajout nous paraît nécessaire, ou s'il s'agit d'une mesure rétrograde ou positive selon vous?

Mme Falardeau-Ramsay: Je suis très heureuse de répondre à cette question. J'ai eu la chance d'être là au moment où le sénateur Joyal a posé cette même question au témoin précédent.

Je suis une personne pratico-pratique et, je crois qu'il importe que ce projet de loi soit adopté, car, comme je crois que le sénateur Joyal l'a dit, nombre de gens vont en bénéficier. Je sais que l'article 1.1 posera peut-être des difficultés et que, si nous vivions dans un monde idéal, il ne devrait certainement pas faire partie du projet de loi. Toute de même, vous devez établir des priorités, et si cela permet que le projet de loi soit adopté rapidement, je crois qu'il vaut la peine de laisser l'article là. Il y a, paraît-il, des causes qui sont presque en voie d'être portées devant les tribunaux sur cette question particulière.

Le sénateur Andreychuk: Pourriez-vous nous dire, vous qui travaillez à la Commission canadienne des droits de la personne, si l'article 1.1 favorise le respect des droits de la personne au Canada?

Mme Falardeau-Ramsay: Je ne crois pas qu'il s'agisse d'une question de droits de la personne. Ce le sera peut-être un jour, mais pour l'instant, la question des droits de la personne consiste à savoir si certains avantages sont accordés aussi aux conjoints de fait de même sexe. Si le projet de loi est adopté tel quel, nous verrons alors si le concept de mariage devient une question relevant des droits de la personne.

Le sénateur Andreychuk: Vous croyez que ce n'est pas le cas en ce moment?

Mme Falardeau-Ramsay: Elle ne l'est pas, dans ce projet de loi particulier.

Le sénateur Andreychuk: L'article 1.1 ne devient pas une partie de ce projet de loi?

Mme Falardeau-Ramsay: Je crois bien être d'accord avec le témoin du ministère de la Justice, qui a dit qu'il s'agit d'une question d'interprétation. On ne saurait établir une règle juridique de fond par la voie d'une modification apportée à ce type de projet de loi. Autant que je sache, il n'existe nulle part en common law un texte législatif, une loi qui dit: «ceci est le mariage». La Loi sur le mariage précise, d'une façon très limitée, les liens qui empêcheraient qu'un mariage ait lieu, mais je n'ai vu nulle part de définition du mariage. Comme il s'agit, au niveau fédéral, de questions de common law, je ne crois pas que la modification particulière qui est proposée ici aurait pour effet de régler la question en tout ou en partie. Le débat public se poursuivra.

Le sénateur Buchanan: Le mariage est défini dans des lois provinciales.

Mme Falardeau-Ramsay: Oui, mais il est question ici d'une loi fédérale.

Le sénateur Joyal: J'ai lu votre mémoire et, bien sûr, j'ai écouté attentivement votre exposé.

[Français]

J'essayais de lire entre les lignes.

Mme Falardeau-Ramsay: Il faut toujours essayer de lire entre les lignes.

Le sénateur Joyal: Je suis avocat, je dois le confesser ici autour de la table. Vous dites à la page 3 que ce qui est important, c'est l'égalité véritable entre les personnes de différentes orientations sexuelles. Est-ce que ce même principe d'égalité véritable, tel qu'il a été établi dans les causes auxquelles vous référez dans votre mémoire, s'appliquerait le jour où la cour aurait à définir ce qu'est le mariage au sens de la loi?

Mme Falardeau-Ramsay: Je peux difficilement décider pour la Cour suprême et je n'ai pas de boule de cristal, mais si nous nous fions à la façon dont la cour a abordé les questions de droit social et l'interprétation de l'article 15, par rapport à l'article 1, j'ai l'impression que la possibilité est assez forte.

Le sénateur Joyal: Dans ce contexte, toujours à la page 3, vous écrivez:

...le préjudice contre les gais et lesbiennes est tout aussi inacceptable dans notre société que le préjudice contre les Noirs, les Autochtones, les personnes handicapées ou les femmes.

D'une part, selon mon interprétation, lorsqu'un motif de non-discrimination est reconnu par les tribunaux, ce motif a une valeur absolue. Je vous suis très bien sur le sentier que vous ouvrez dans votre mémoire, à savoir qu'on ne peut plus pratiquer aucune discrimination envers les Noirs.

D'autre part, des jugements sur les droits des personnes handicapées ont été difficiles à rendre. Par exemple, il est un cas où on a plaidé la discrimination aux motifs sanctionnés par les chartes, parce qu'une personne souffrant de déficience mentale demandait à être admise dans une commission scolaire. La cause a été portée devant les tribunaux. Les tribunaux ont rendu des décisions très particulières sur des cas similaires.

En ce qui a trait au mariage, la cour pourrait-elle être amenée à reconnaître une limite à l'accès aux bénéfices du mariage sur la base de l'article 1?

Mme Falardeau-Ramsay: C'est une question à laquelle il est très difficile de répondre. Elle est peu académique. Je ne suis pas dans les souliers des juges de la Cour suprême, je peux donc difficilement répondre pour eux. La question suscite des arguments intéressants en ce sens, que certains groupes aimeraient peut-être soulever, mais il y a aussi des arguments forts allant dans l'autre sens. C'est difficile de répondre à votre question, parce qu'elle est loin d'être claire et définie.

[Traduction]

Je ne veux pas vous mettre dans le pétrin. Je sais qu'il ya des limites à ce que la Commission et vous-même, à titre de présidente, pouvez affirmer. Je souhaite simplement porter à votre attention une affaire que, j'en suis sûr, les membres de votre conseil et les gens de la Commission ont étudiée très attentivement. C'est la décision rendue par la Cour divisionnaire de l'Ontario dans l'affaire Layland et Beaulne c. Le ministre ontarien de la Consommation et du Commerce, le Procureur général du Canada et autres. La décision a été rendue en 1992, par deux voix contre une en faveur de l'ancienne interprétation de la loi. Le juge dissident, de fait, était d'accord avec les arguments confirmés dans l'arrêt M. c .H. Si vous lisez le raisonnement du juge dissident dans l'affaire Layland et Beaulne, et en même temps le raisonnement suivi dans M. c .H., vous remarquez une superposition d'arguments qui conduisent aux conclusions tirées. Tout avocat qui serait appelé à plaider l'affaire aujourd'hui se servirait des arguments énoncés dans M. c .H., que le juge Greer a suivis pour conclure que la définition de mariage devrait être revue dans le contexte du paragraphe 15(1).

Pour cette raison, à la lecture de votre mémoire, je voulais savoir si vous croyez que la discrimination fondée sur l'orientation sexuelle constitue un motif absolu au même titre que les autres motifs de discrimination. Sinon, selon vous, si cela comporte des limites.

Mme Falardeau-Ramsay: Je peux vous dire quelle serait la position de la commission. Elle alléguerait devant un tribunal qu'il n'y a aucune limite.

Le sénateur Joyal: J'ai une dernière question à poser. Êtes-vous d'accord avec l'avis énoncé par la ministre de la Justice et son conseiller juridique durant leur déposition? Son adjoint parlementaire a déposé le paragraphe 1(1) à l'autre endroit. Elle n'y était pas elle-même, si je me rappelle bien ce que j'ai lu dans la transcription. Ils sont d'avis que le paragraphe 1(1) proposé, tel que modifié, a seulement une nature interprétative. Ce ne serait pas une modification de fond qui vient définir le mariage?

Mme Falardeau-Ramsay: Disons que j'espère que c'est le cas. Tout de même, comme je l'ai dit plus tôt, je crois qu'il importe que ce projet de loi soit adopté. Il y a toujours la possibilité de mener le prochain combat devant les tribunaux.

La présidente: Y a-t-il d'autres questions? Sinon, je vous remercie.

Le sénateur Buchanan: Je tiens à m'excuser auprès de nos témoins; je suis arrivé en retard et j'ai mangé pendant que vous parliez. J'ai entendu tout ce que vous avez dit. Étant un pauvre néo-écossais, je dois manger lorsque j'en ai l'occasion. J'ai été absent de la réunion parce que je me trouvais à la réception organisée pour la Marche des dix sous.

La présidente: Merci beaucoup d'être venu témoigner devant nous.

Nous allons maintenant accueillir notre prochain témoin, qui provient de l'organisation REAL Women of Canada.

Madame Landolt, nous avons votre mémoire, qui circule actuellement autour de la table.

Mme Gwendolyn Landolt, vice-présidente nationale, REAL Women of Canada: Madame la présidente, je vous présente ma collègue, Sophie Joannou, qui m'aidera à présenter cet exposé. Elle siège au conseil d'administration national de REAL Women of Canada.

Notre organisation tient à affirmer que nous nourrissons des inquiétudes quant à la façon dont ce projet de loi est né, ainsi qu'au fond du texte. Comme nous le savons tous, le gouvernement l'a fait passer au Parlement à toute vapeur. Et a employé la clôture. Le temps de parole a été limité à la première, à la deuxième et à la troisième lecture, et très peu de témoins ont obtenu la permission de comparaître.

Nous tenons à remercier la présidente d'avoir l'obligeance de nous permettre de comparaître ici. Je sais que le temps court, mais cela nous inquiète énormément qu'un projet de loi qui comporte des conséquences proprement révolutionnaires soit passé en revue à toute vapeur, sans l'examen qui s'impose.

À cet égard, la ministre de la Justice, Anne McLellan, a affirmé qu'elle souhaiterait qu'il y ait des délibérations considérables sur les conséquences politiques, sociales et économiques de la chose. Cela ne s'est pas produit. Plutôt, le projet de loi a été passé à toute vapeur, et malheureusement, les Canadiens en savent peu de chose et disposent de peu de temps pour réagir. Les députés de la Chambre des communes me disent qu'ils ont reçu, en rapport avec le projet de loi C-23, des lettres, des messages de courriel et des appels téléphoniques plus nombreux que pour tout autre projet de loi qui a été déposé à la Chambre. Ils affirment que la réaction a été encore plus grande même que celle qu'avait suscitée le fameux projet de loi sur l'enregistrement des armes à feu, qui a certainement attisé les passions des Canadiens.

Ils disent n'avoir jamais vu un projet de loi causer une telle réaction dans le public, même s'il n'y a pas eu de publicité à son sujet. Plus de 90 p. 100 des gens qui répondent soulèvent des objections à l'égard du projet C-23; cela nous inquiète donc beaucoup qu'il passe par la filière si rapidement. Des gens ont soulevé des objections; il doit donc s'agir de questions graves.

Selon la ministre de la Justice, le projet de loi aurait été rédigé en réaction à des décisions récentes des tribunaux. Par contre, l'étude des affaires en question se révèle fort intéressante. Elle indique que le projet de loi, qui vient modifier 68 lois fédérales, repose non pas tant sur les décisions judiciaires en question, mais plutôt, et cela est incroyable -- avec tout le respect que je vous dois -- sur une interprétation erronée des décisions en question.

On fait valoir que le projet de loi vise à instaurer une certaine équité pour les relations homosexuelles et lesbiennes, compte tenu des décisions rendues par les tribunaux. Il est tout à fait révélateur, tout de même, pour tous les avocats qui se trouvent ici, que le tribunal n'ait pas prévu de recours particulier dans les décisions en question. La ministre de la Justice a entrepris d'adopter le projet de loi le plus large possible. La ministre de la Justice disposait de nombreuses options différentes, que je passerai en revue avec vous plus tard, si vous le souhaitez, mais elle a plutôt déposé le projet de loi C-23, qui transforme complètement la situation au Canada. Elle disposait d'autres options, moins radicales, moins révolutionnaires.

De même, il est très révélateur que dans toutes les affaires judiciaires précédentes où il a été question de cela, aucun élément de preuve n'a jamais été déposé pour démontrer qu'il y a effectivement discrimination à l'endroit des homosexuels et des lesbiennes. L'arrêt fondamental MacKay c. Le Manitoba a établi que, fondamentalement, pour modifier le droit canadien, il faut faire reposer ces arguments sur une preuve substantielle. Toutefois, dans l'arrêt Haig et Birch, décision de la Cour d'appel de l'Ontario rendue en 1992, et dans Rosenberg, décision de la Cour d'appel de l'Ontario rendue en 1998, aucun élément de preuve n'a été déposé pour démontrer que les homosexuels subissaient de la discrimination. De fait, dans l'affaire Rosenberg, il est très intéressant de constater que la preuve déposée devant le tribunal démontrait tout à fait l'inverse. Il n'y avait eu aucune discrimination envers les homosexuels sous le régime de la loi visée -- la Loi de l'impôt sur le revenu. De fait, les gens vivant une union homosexuelle avaient droit, selon la loi visée, aux mêmes avantages que les personnes mariées.

À un échelon inférieur, dans la très célèbre affaire Vriend c. l'Alberta, Mme la juge Anne Russell a réalisé qu'aucun élément de preuve ne venait démontrer que les homosexuels faisaient effectivement l'objet d'une discrimination; elle a donc décidé d'appliquer le principe de la «connaissance d'office» pour établir qu'il y avait discrimination. Bien sûr, il s'agir d'une application abusive de la notion de connaissance d'office telle qu'elle est établie dans le livre de l'ancien juge de la Cour suprême Sopinka. Toutefois, cela ne s'appliquait pas, car le principe de la connaissance d'office ne pourrait être utilisée dans ce cas-là. Dans chacune des affaires citées plus haut, de même que dans la décision récente rendue par la Cour suprême du Canada, la Procureure générale fédérale a fait fi de l'important manque de preuves de discrimination en admettant simplement qu'il y avait eu discrimination, sans jamais invoquer l'article 15 de la Charte à propos de l'égalité. Plutôt, elle n'a invoqué que l'article premier. Le tribunal n'a eu droit qu'à un argument très limité. Tout de même, la Cour suprême du Canada, dans l'affaire M. c. H. voit cette concession de la part de la Procureure générale sous un très mauvais jour. M. le juge Gonthier souligne que le tribunal voit d'un oeil défavorable les situations où des concessions sont faites, alors qu'il y aurait dû y avoir une argumentation complète. En bref, il semble que les décisions des tribunaux à propos des cas allégués de discrimination à l'endroit des homosexuels ne reposent pas sur des faits bruts.

Nous sommes conscientes du fait que les activistes homosexuels prétendent subir de la discrimination. Ils nous parlent toujours du taux de suicide plus élevé chez les homosexuels. Dans les faits, les études scientifiques ne confirment pas cela. C'est tout le contraire, et, encore une fois, je vous reporte aux études dont il est question à la page 4. Par ailleurs, les meilleures études réalisées sur la discrimination au Canada proviennent des services le lutte aux crimes haineux à Ottawa, à Toronto et à Winnipeg. Ceux-ci constatent que la plupart des crimes haineux commis au Canada ont pour motivation l'antisémitisme et le racisme. Il existe très peu de cas de crimes commis à l'endroit des homosexuels ou de discrimination fondée sur l'orientation sexuelle. Dans la région métropolitaine de Toronto, qui présente la population homosexuelle la plus élevée qui soit au Canada, le nombre de personnes prétendant avoir subi une discrimination fondée sur l'orientation sexuelle s'élevait à 16. Selon le service de lutte aux crimes haineux à Toronto, le nombre est passé à 10, à 9, puis continue de baisser.

Comme on le voit à la page 5, il y a un nombre étonnamment faible de crimes haineux qui ont donné lieu à des accusations dans la plus grande ville du Canada. Bon, chacune de ces affaires nous préoccupe évidemment tous, mais c'est vraiment très minime si on envisage le nombre global d'infractions -- les vols par effraction, par exemple, et le reste.

Ce qui nous préoccupe d'abord, ce n'est pas que les tribunaux aient agi de manière arbitraire, sans fonder leur décision sur des éléments de preuve, mais qu'ils ont apporté une modification fondamentale au sein de la société. Le projet de loi C-23 prétend résoudre un problème à partir de décisions judiciaires qui, simplement, ne reposent sur aucune preuve.

Si ce projet de loi est adopté, toute distinction qui existe entre l'homme et la femme mariés devant la loi et d'autres disparaît, de sorte que plus rien ne protège la famille traditionnelle. Le Canada a toujours eu pour politique sociale d'encourager les gens à se marier devant la loi. C'est une politique sociale que nous avons eue parce que les couples mariés -- et Statistique Canada le démontre certainement, tout comme un grand nombre d'autres études -- élèvent les enfants dans un contexte plus sûr. C'est pourquoi la politique sociale du gouvernement a toujours prévu des avantages spéciaux pour les gens mariés devant la loi, de sorte que les enfants puissent être protégés. C'est seulement d'un homme et d'une femme mariés devant la loi ou encore d'un homme et d'une femme vivant une union de fait -- les conjoints de sexe opposé -- que naissent des enfants. Sinon, il n'y a simplement pas d'avenir pour notre pays. Nous avons besoin que plus d'enfants naissent, si bien que nos politiques sociales, depuis des temps immémoriaux, essaient de favoriser la naissance du plus grand nombre d'enfants en accordant des avantages spéciaux aux couples mariés devant la loi. Les enfants ont alors une plus grande sécurité.

Les couples de même sexe, de par leur nature même, ne peuvent toutefois pas apporter une telle contribution. Pourquoi ont-ils droit à des avantages alors qu'ils n'apportent pas cette contribution tout à fait vitale?

Nous faisons valoir que la société et les relations entre humains n'ont pas le même rôle. Le couple marié a un rôle. Il lui appartient de déterminer s'il veut des enfants ou non, mais il a tout de même la capacité de contracter un mariage. C'est pourquoi le mariage devant la loi a une telle importance pour la société, et c'est pourquoi il est régi par un double contrat -- une entente contractée devant l'État. La seule rupture qui puisse être confirmée passe par l'intervention d'un tribunal, par la voie du divorce, le mariage étant considéré comme une responsabilité importante pour la société.

De fait, le mariage devant la loi est un engagement public. C'est une contribution au bien public alors que d'autres unions, qu'il s'agisse de gais ou de lesbiennes, relèvent du domaine privé et ne peuvent apporter cette contribution. Certains homosexuels ont bien des enfants, mais il est important et révélateur de savoir que les enfants en question ne peuvent provenir de leur union. L'union homosexuelle ne peut produire d'enfants et, si enfant il y a, celui-ci provient d'un autre couple en dehors de l'union en question.

En termes simples, les associations ou groupes différents servent des fins différentes au sein de la société. La famille traditionnelle a un rôle unique et important à jouer -- rôle qui est bon pour les enfants et bon pour la société. Ce rôle est tout à fait différent de celui des unions entre personnes de même sexe et d'autres formes d'union. À cet égard, il est indispensable de noter que la Cour suprême du Canada, dans l'arrêt Egan et Nesbit, a confirmé en 1995 le rôle spécial et unique du mariage et affirmé qu'il n'est pas discriminatoire de prévoir des avantages spéciaux pour le couple hétérosexuel qui est marié devant la loi, car son union constitue la cellule sociale fondamentale dans la société.

La Cour suprême du Canada a aussi déclaré que non seulement le couple hétérosexuel marié a la capacité de procréer et d'élever des enfants, mais qu'il est le pivot d'autres relations sociales et d'autres aspects de la société. Selon la décision rendue majoritairement par la Cour et rédigée par M. le juge Gérard La Forest:

... Qu'il suffise de dire que le mariage est depuis des temps immémoriaux fermement enraciné dans notre tradition juridique.

Qui plus est, cette position reflète une tradition de longue date en droit anglais et canadien, aussi bien qu'en droit européen. Toutes les grandes religions du monde admettent que le concept de mariage traditionnel entraîne seulement l'union d'un homme avec une femme. C'est un précepte de base de toutes les grandes confessions religieuses qui composent l'héritage multiculturel du Canada. Néanmoins, le projet de loi C-23 omet cette distinction et, de fait, contredit directement la décision de la Cour suprême du Canada dans l'affaire Egan et Nesbit.

Par ailleurs, la ministre de la Justice a affirmé expressément -- et c'est assez intéressant -- que c'est sur l'arrêt M. c. H. qu'elle s'est fondée pour établir le projet de loi C-23. Toutefois, et c'est un fait extrêmement révélateur, encore une fois, l'arrêt M. c. H. traite de personnes financièrement interdépendantes, c'est-à-dire de simples particuliers, et d'un accord de financement qui les lie. Ce n'est pas le cas du projet de loi C-23. Le projet de loi C-23 est tout à fait différent, car il affirme que l'argent du contribuable ira à des personnes qui, auparavant, ne recevaient pas de tels fonds. De fait, le projet de loi C-23 est censé modifier la Loi sur la sécurité de la vieillesse, soit l'objet même de l'affaire Egan qui s'est retrouvée à la Cour suprême où le tribunal a déclaré qu'il n'était pas discriminatoire de prévoir des fonds spéciaux pour des couples dûment mariés.

La Cour a établi sans équivoque que la situation dont il était question dans l'affaire Egan, qui portait sur un cas de deniers publics versés à des gens, comme ce sera le cas pour le projet de loi C-23, est tout à fait différente de celle de l'affaire M. c. H. qui traite d'une question privée intervenant entre deux particuliers.

Autre difficulté que pose le projet de loi C-23: il ne définit pas le terme «relations conjugales». Le projet de loi C-23 applique les avantages propres au mariage à n'importe quel couple dont les membres ont vécu ensemble pendant un an dans une relation conjugale. Toutefois, il ne définit aucunement le terme «conjugal», élément central, élément clé du texte de loi proposé.

Comme la question de la relation conjugale est au coeur même du projet de loi C-23, elle devrait être déterminée par le Parlement, dont le devoir consiste à représenter le public, à l'inverse des tribunaux, qui se composent de juges non élus, qui ne représentent pas le peuple et qui ne sont pas responsables envers ce dernier.

Nous savons tous qu'il ne se trouve aucune définition de l'expression «relations conjugales» dans ce projet de loi. Cela veut dire que les tribunaux, en dernière analyse, seront tenus de définir cela. De ce point de vue, contrairement aux affirmations de certains selon lesquelles le tribunal, dans l'affaire M. c. H. a déjà réglé la question des relations conjugales, une lecture attentive de l'arrêt en question donne à penser autre chose. Le juge Corey est le seul à avoir traité en profondeur la question des relations conjugales dans l'affaire M. c H. Les autres juges, c'est-à-dire MM. les juges Iacobucci et Major, ont appuyé ses conclusions, sans toutefois s'étendre sur la question.

Fait intéressant, M. le juge Corey a donné pour référence une décision de la Cour du district de l'Ontario remontant à 1980 et ne portant que sur les couples hétérosexuels. Il a tenté d'extrapoler à partir d'une décision rendue bien des années avant, au sujet d'unions hétérosexuelles, et d'appliquer cela à la question en litige. Il n'a cité aucune autre affaire, car il n'y en a simplement pas d'autres qui traitent du terme «relations conjugales» en droit canadien.

Notons toutefois que la décision rendue par M. le juge Corey dans M. c. H. à propos des relations conjugales bénéficiait des appuis de Mme la juge L'Heureux-Dubé, de Mme la juge McLachlin, de M. le juge Iacobucci et de M. le juge Binnie, même si la décision ne se fondait pas sur la signification du terme. Ce n'était pas là la question. La décision rendue majoritairement était fondée non pas sur le fait de savoir si les couples homosexuels vivent une relation conjugale, mais plutôt, uniquement, sur l'interprétation faite de l'objet de l'article 29 de la Loi sur le droit de la famille de l'Ontario. La majorité a conclu que le but de cet article consistait à faire en sorte que les gens cessent de dépendre de l'aide sociale. Le fait que M. le juge Corey ait mentionné les relations conjugales en passant est ce que l'on appelle en droit obiter dictum, c'est-à-dire que c'est une remarque incidente.

Encore une fois, nous avons vérifié le terme «conjugal» dans le dictionnaire, nous avons regardé dans le dictionnaire de droit Black. Dans tous les cas, le mariage suppose des relations sexuelles. Il y a là connotation de sexualité. Par conséquent, si deux homosexuels et deux lesbiennes vivent ensemble et ont des rapports sexuels pendant un an, ils ont droit aux avantages prévus. La question qu'il faut se poser, toutefois, est la suivante: les rapports sexuels ont-ils quoi que ce soit de pertinent dans cette affaire? Ce n'est pas cela la question. La question, c'est de savoir s'il faut accorder des avantages pour encourager les gens à contracter mariage; on n'accorde pas d'avantages en fonction des rapports sexuels, comme le ferait le projet de loi C-23.

Nous voudrions aussi souligner que le projet de loi C-23 est extraordinairement discriminatoire au sens où il fait fi totalement des autres types d'union économiquement dépendantes. Les unions non sexuelles dont il est question ici supposent également engagement et amour. Toutefois, les gens en question n'ont pas droit à des avantages. Pourquoi? C'est parce qu'ils n'entretiennent pas de rapports sexuels?

Qu'est-ce que le sexe a à voir avec tout cela? Une mère et son fils peuvent vivre ensemble pendant nombre d'années, un petit-enfant peut s'occuper d'un grand-parent, deux frères et deux amis peuvent bien vivre ensemble. Je connais moi-même des soeurs qui vivent ensemble depuis 40 ans et qui sont entièrement dépendantes l'une de l'autre, mais elles n'ont droit à aucun avantage dans l'application de ce projet de loi. Le fait d'avoir des relations sexuelles pendant un an permet aux gais ou aux lesbiennes d'avoir des avantages complets.

Ce projet de loi nous semble profondément troublant. Tout de même, de plus, selon le gouvernement fédéral, il n'existe pas de dénombrement exact des couples de même sexe qui vivent ensemble. On ne sait pas non plus combien d'entre eux vont demander des avantages en vertu du projet de loi C-23. Il est donc difficile de comprendre que le ministère de la Justice et M. Martin puissent affirmer que le projet de loi ne coûtera rien aux contribuables. Le fait est que le gouvernement n'a pas d'estimation du nombre de couples qui auront droit aux avantages, et par conséquent, ne peut estimer la somme qui sera exigée du contribuable. Il est tout à fait inacceptable que le gouvernement mette de l'avant un projet de loi sans d'abord procéder à une analyse financière des conséquences qu'il comporte.

Par ailleurs, on se préoccupe du fait que les avantages proposés dans le projet de loi C-23 soient administrés par le ministère du Développement des ressources humaines, ce qui est de nature à troubler n'importe qui, compte tenu de ce qui se passe au sein de cette organisation. Nous devrions être préoccupés aussi par le fait que les sommes en jeu restent indéterminées. Nous ne savons même pas combien de gens présenteront une demande.

Comme le gouvernement ne peut épier les gens dans les chambres à coucher pour savoir qui couche avec qui, cela veut dire que deux personnes quelconques, à condition qu'elles vivent ensemble, pourront demander des avantages et il n'y a aucune façon de savoir si elles respectent le projet de loi C-23 ou non. C'est ce qui est si troublant. Combien de gens vont affirmer qu'ils sont homosexuels ou lesbiennes pour avoir droit à cette superbe brochette d'avantages? C'est une chose très simple, personne ne viendra vérifier. Ce n'est pas de cette façon qu'il faut faire les choses. Il me semble donc que nous mettons le contribuable devant un grand gouffre financier.

De même, je crois qu'il importe de noter que l'article 2 du projet de loi C-23 contredit l'avis du public, et je me reporte à un sondage réalisé par le ministère de la Justice en juin 1999, selon lequel 67 p. 100 des Canadiens sont en faveur de l'idée d'appliquer désormais des avantages non pas à des unions de fait, mais plutôt à des unions fondées sur une dépendance économique. Toutefois, ils affirment que si les avantages en question sont consentis à des couples de même sexe, alors il est très important que la définition de mariage -- l'union entre un homme et une femme -- soit préservée. Bien sûr, c'est le point de vue du Parlement en date du 8 juin 1999: que le mariage est défini comme étant l'union entre un homme et une femme.

Je remarque que les témoins précédents ont demandé si l'introduction de l'article 1.1 aurait un effet quelconque sur le mariage. En tant qu'avocate, je dirais: absolument aucun. L'article 1.1 n'est qu'un accommodement cosmétique, c'est-à-dire qu'il ne s'applique pas au mariage dûment contracté. Je crois savoir qu'on l'a mis là pour obtenir les appuis des députés libéraux de l'arrière-ban à l'égard du projet de loi, les gens étant inquiets que cela touche le mariage. Je suis d'accord pour dire que l'article 1.1 a peu de mérite sur le plan juridique, et je ne suis pas la seule à le dire. Je sais que la très importante étude de Stikeman et Elliott, de Toronto, a affirmé elle aussi que cet article n'avait aucune signification juridique.

Le projet de loi C-23, dans son essence même -- et c'est ce qui nous préoccupe au plus haut point -- servira non pas à protéger, mais plutôt à détruire le mariage traditionnel, car il prévoit que tous les avantages propres au mariage seront désormais consentis à d'autres formes d'union. Le mariage et la famille perdent donc tout leur sens dans la politique publique qu'énonce ce projet de loi. De fait, cela prépare la voie à la légalisation des mariages entre homosexuels, et il ne peut y avoir aucun doute que c'est là l'objectif des activistes homosexuels qui ont milité en faveur de ce projet de loi. Dans l'édition du 18 février 2000 du journal XTRA, nous apprenons que le groupe de pression EGALE, d'Ottawa, et la Fondation en Faveur de l'Égalité des Familles ont promis de poursuivre le combat en faveur du droit au mariage, ce que reprend le député du NPD, Svend Robinson, dans le même journal.

J'aimerais mentionner le fait que, au moment où notre organisation a comparu devant le Comité permanent de la justice de la Chambre des communes concernant le projet de loi C-23, M. Robinson, membre du comité en question, a confirmé sans équivoque que le projet de loi C-23 visait tout à fait à ouvrir la voie au mariage dûment légal des homosexuels. Une des personnes qui figuraient dans notre groupe de témoins, la représentante de la Fédération des femmes du Québec, a souligné le même objectif: spontanément, elle a affirmé que le projet de loi les aiderait à réaliser cela.

Et encore, si vous vous le rappelez, un de vos témoins, M. David Corbett, conseiller juridique pour la Fondation en faveur de l'Égalité des Familles, a affirmé durant son témoignage devant le comité, le 18 mai:

Comme c'est une question controversée (la définition du mariage au sens légal), le Parlement préférera sans doute la confier aux tribunaux.

Nous avons signalé au ministère de la Justice qu'il nous indiquait une cible facile et nous invitait à intenter des poursuites sur le thème du mariage. Je suis certain que de telles poursuites seront intentées d'ici 12 à 18 mois.

Il avait tort à ce sujet. Les contestations judiciaires sont déjà en voie d'être organisées en Ontario.

Mme McLellan proteste et affirme que c'est le contraire. Dans la loi qui est proposée, elle abandonne la définition traditionnelle de mariage au sens juridique. Le projet de loi C-23 élimine, à toutes fins utiles, la signification traditionnelle du mariage. L'attribution du droit au mariage aux couples d'homosexuels et de lesbiennes demeure une simple formalité pour les tribunaux. C'est la conséquence malheureuse de cela.

En guise de conclusion, nous dirions que le projet de loi C-23 est très discriminatoire. Il ne concorde pas avec les idées de la majorité des Canadiens. Il semble exister uniquement en réponse à un petit groupe d'intérêts, soutenus par le ministère de la Justice et, bien sûr, le gouvernement en place. Le projet de loi C-23 élimine effectivement la signification traditionnelle du mariage. Or, cette signification est appuyée par toutes les religions du Canada -- l'islam, l'hindouisme, toutes. De même, le projet de loi ouvre la voie à ce qui a déjà clairement commencé -- l'ultime contestation judiciaire qui permettra aux couples d'homosexuels et de lesbiennes de se marier et en toute légalité. Comme nous le disons, les homosexuels et les lesbiennes peuvent faire ce qu'ils veulent. Leur union est une affaire privée. Toutefois, le mariage légal est une union publique. Il est ouvert et il est public en raison de l'engagement pris envers les générations passées, présentes et futures, et envers la société, soit de produire des enfants qui sont l'avenir du pays. C'est là notre souci, qui imprègne tout ce que nous voyons ici.

Nous craignons que le projet de loi C-23 ne soit pas simplement un beau petit projet de loi sans malice qui accorde égalité et équité aux homosexuels. Je souhaiterais qu'il le soit. C'est beaucoup plus complexe et beaucoup plus révolutionnaire que les gens l'admettent. Merci beaucoup.

Le sénateur Joyal: J'aimerais revenir à votre conclusion, que le projet de loi ne semble exister qu'en réponse aux exigences d'un petit groupe d'intérêts soutenus par le ministère de la Justice et le Parti libéral actuellement au pouvoir. La même initiative a été prise par l'assemblée législative de l'Ontario, avec à sa tête un gouvernement conservateur; par l'assemblée législative de la Colombie-Britannique, avec à sa tête un gouvernement du NPD; et par l'assemblée du Québec, avec à sa tête un gouvernement péquiste. Croyez-vous qu'elles ont toutes cédé aux pressions d'un petit groupe d'intérêts appuyé par leur ministère de la Justice et ainsi de suite? C'est une conclusion énorme. Si le Parlement fédéral édicte ce projet de loi, il ne constituera pas la première assemblée législative à le faire au Canada. De fait, nous sommes en retard. Nous ne montrons pas la voie.

Mme Landolt: L'Ontario a fait quelque chose de très différent. L'Ontario a créé une catégorie spéciale d'union homosexuelle. Ce projet de loi est tout à fait différent, parce qu'il dit que tout cela est la même chose -- l'union de fait, l'union entre personnes hétérosexuelles et ainsi de suite. L'Ontario n'a pas fait cela. L'Ontario affirme que, dans certains cas, dans certaines lois, les avantages consentis aux couples mariés légalement et aux couples hétérosexuels qui sont conjoints de fait s'appliquent aussi aux couples de même sexe. La différence est énorme. De fait, les activistes homosexuels en ont appelé de cette décision.

Quant à la Colombie-Britannique, le gouvernement en place est celui du NPD; je ne veux même pas en parler. On ne sait jamais ce que ces gens-là vont faire.

Le Québec, encore une fois, est quelque peu différent, mais les sept autres provinces n'ont pas emboîté le pas. Je crois que cela est révélateur aussi. Je présume qu'il y aura d'autres contestations judiciaires, mais ils sont certainement demeurés immobiles. Comme vous le savez, le premier ministre de l'Ontario, M. Harris, a affirmé sans équivoque qu'il ne veut pas aller dans cette voie. Il n'a pas aimé cela, mais comme l'arrêt M. c. H. dit qu'il doit accorder des avantages aux homosexuels et aux lesbiennes, il le fait avec réticence, et d'une façon très différente de ce qui est évoqué dans ce projet de loi.

Le sénateur Joyal: Je comprends. Tout de même, la question de la non-discrimination n'est pas une chose que vous devez aimer ou ne pas aimer. Vous n'aimez peut-être pas les personnes handicapées ou les gens de couleur ou ceux qui adhèrent à telle ou telle confession religieuse ou constitution politique. Les distinctions dans notre société sont nombreuses. Le fait de reconnaître ce qui semble être acceptable aux yeux de la majorité ne veut pas dire que les personnes dans un tel État n'ont pas besoin d'être protégées. Comme vous le savez, la Charte n'existe pas pour refléter le sentiment de la majorité. Elle est là pour protéger ceux qui se trouvent dans une situation minoritaire.

Vous soulevez certainement des points auxquels il vaut la peine de réfléchir. Par contre, lorsqu'on conçoit un projet de loi en se fiant à un jugement rendu par la plus haute cour du pays et que cela s'applique aux administrations tant provinciales que fédérales, on ne s'attend pas à ce que tout le Canada aime cela. Tout de même, tout le monde devra se rajuster pour ne pas pratiquer de discrimination. Cela ne veut pas dire que, si les couples homosexuels peuvent vivre une union de fait, vous allez vouloir vivre une union de fait avec une personne du même sexe. Chacun est libre de choisir la façon dont il souhaite organiser sa vie familiale. Pour moi, c'est là la nature essentielle d'un jugement fondé sur les droits de la personne. Un jugement fondé sur les droits de la personne n'empêche pas d'autres personnes de choisir la façon dont ils souhaitent organiser leur vie; mais les gens doivent s'assurer que cela ne porte pas atteinte à la liberté qu'ont les autres de vivre la vie qu'ils souhaitent vivre, en accord avec leurs droits. C'est la distinction essentielle qui, selon moi, mérite d'être faite ici.

Mme Landolt: Sénateur Joyal, la différence, c'est que la Cour suprême du Canada a affirmé, dans l'arrêt Egan de 1995, qu'il n'était pas discriminatoire d'accorder des avantages spéciaux à un couple marié aux yeux de la loi, car ceux-ci jouent un rôle différent à l'intérieur de la société. Voilà la différence cruciale.

Personne ne se soucie vraiment des dispositions familiales privées de Mme Brossard et de M. Tremblay. Ce n'est pas de leurs affaires. Si deux hommes ou deux femmes veulent vivre ensemble, ce n'est l'affaire de personne d'autre. Mais le projet de loi C-23 accomplit quelque chose d'autre encore. Il accorde une reconnaissance juridique et sociale, et un soutien financier énorme, aux couples de même sexe. Si la discrimination nous préoccupe, qu'en est-il de tous les autres qui n'ont pas droit à ces avantages, par exemple la mère et le fils qui habitent ensemble? Ça, c'est de la discrimination.

Le sénateur Joyal: J'y viendrai. Lorsque vous dites que le pays accorde des avantages énormes aux conjoints de même sexe, j'en conclus pour moi-même que les conjoints de même sexe paient des impôts, tout comme les autres Canadiens. Ils contribuent à divers régimes comme le régime de pensions. Ils ont exactement le même genre d'obligations envers leurs employeurs que les autres citoyens. Lorsqu'il y a redistribution des avantages, il y a obligation. Je crois que lorsque nous insistons uniquement sur les avantages, nous oublions dans l'analyse qu'il existe des obligations aussi. Cela veut dire, par exemple, que si nous reconnaissons que les couples de même sexe vivent une union de fait, il faut penser aussi aux prestations de pension. Toutefois, ils ont actuellement l'obligation de signaler dans leur déclaration d'impôt sur le revenu un revenu conjoint, sur lequel ils seront imposés. Ils ne sont pas imposés en ce moment. Selon les conclusions du ministère des Finances -- et je crois que cela repose sur de bonnes statistiques --, le projet de loi n'entraînera pas de coûts. Les avantages financiers compensent le coût des obligations accrues avec l'adoption du projet de loi.

Je reconnais bien qu'il existe des avantages financiers, mais nous devons aussi reconnaître qu'il existe des obligations financières. Cela semble créer un certain équilibre. De fait, les gens en question ne savent pas très bien si, en dernière analyse, ce ne sera pas positif -- autrement dit, si cela ne rapportera pas plus d'argent au gouvernement.

Mme Landolt: Le gouvernement n'a vraiment pas de statistiques dans ce domaine. C'est pourquoi tout cela est si inacceptable. Il ne sait pas vraiment combien de couples de même sexe vivent ensemble. La chose la plus révélatrice, c'est qu'ils ne savent pas combien de gens vont présenter une demande, sans vivre une union de fait, uniquement pour obtenir les avantages. Je pense au cas de trois ou quatre soeurs, d'amis de sexe opposé -- ou de même sexe -- qui vivent ensemble depuis 40 ans. Nous ne savons pas ces choses-là.

Le sénateur Joyal: Je crois que vous avez raison, vous et les nombreux autres témoins qui l'ont souligné, de dire que les frères et soeurs, la mère et le fils, les parents qui se soutiennent mutuellement, tout cela représente une réalité sociale importante. De fait, je crois qu'une politique sociale viable pour le Canada devrait reconnaître cela, car les gouvernements souhaitent de plus en plus que les citoyens se prennent en charge eux-mêmes et ne comptent pas sur des institutions. Comme vous le savez, le trésor public n'est pas suffisamment grand pour permettre à un grand nombre d'autres grandes institutions publiques de recevoir et d'accueillir des citoyens.

Je crois que c'est là un très bon objectif pour une politique sociale. La ministre de la Justice a annoncé la création d'un comité devant faire rapport au Parlement à ce sujet. De cette façon, la question se réglera. Nous connaîtrons les coûts précis de cela pour les mêmes raisons tout à fait que ce que vous nous proposez -- il y aura un coût et le gouvernement devra faire des choix, parce que le trésor public est constitué de ressources limitées.

La ministre de la Justice se penche sur la préoccupation que vous avez exprimée. Elle l'a affirmé publiquement. Elle a invité plusieurs autres ministères à participer à l'étude en question.

Mme Landolt: Une question très importante se pose: pourquoi n'a-t-elle pas procédé à une étude? Elle a annoncé qu'il s'agissait d'un problème très grave et qu'elle ferait faire une étude avant de proposer le projet de loi C-23. Or, elle n'a pas fait cela. Elle a déposé tout à coup ce projet de loi, sans examen préalable. Et elle dit quand même aujourd'hui: «Je vais me pencher là-dessus avec la ministre des Ressources humaines.» Il me semble que l'équilibre voulu pour que les choses soient équitables fait défaut ici.

Le sénateur Joyal: Je comprends les soucis que vous avez en tant que contribuable. Je comprends cela tout à fait. La distinction fondamentale entre les deux situations c'est que l'une est prévue dans l'interprétation faite de la Charte des droits, et l'autre, dans la politique sociale. Il y a tout un monde entre les deux sur le plan juridique, comme vous le savez très bien. La ministre de la Justice a déposé un projet de loi omnibus. L'Ontario et le Québec ont déposé des projets de loi semblables. Toutefois, comme vous l'avez dit, celui de l'Ontario fait l'objet d'une contestation et finira peut-être par être modifié. Lorsque les gouvernements proposent des modifications importantes qui soulèvent la controverse chez de nombreux citoyens, parce qu'elles concernent des valeurs morales et la façon dont chacun d'entre nous voit sa situation personnelle, alors nous nous sentons personnellement touchés et nous réagissons. Je crois que c'est là une représentation juste de la situation, et il existe des façons de s'exprimer.

La présidente: Et votre question, sénateur Joyal?

Le sénateur Joyal: Oui, j'y arrive. Les fondements sont tout à fait différents, et il nous faut le reconnaître. Nous devons faire des pressions en faveur de la politique sociale, qui est viable, tout autant que nous travaillons en faveur de celle qui est proposée autrement.

Mme Landolt: Sénateur, je voudrais réitérer ce que j'ai dit dans mon mémoire. Il semble qu'il ne soit pas légalement nécessaire pour la ministre de la Justice de faire adopter à toute vapeur ce projet de loi global. Il existe d'autres options. Je peux les passer en revue si vous voulez. Elle n'a pas fait ça. Elle a opté pour le changement le plus important, celui dont les conséquences sont les plus larges -- le changement révolutionnaire. Elle aurait pu faire des choses qui ont un impact minimal sur nos valeurs sociales et sur le mariage traditionnel. Toutefois, elle a choisi ce changement massif, révolutionnaire, qu'elle n'avait pas forcément à choisir, en le fondant sur une interprétation juridique de la Charte des droits.

La présidente: J'aimerais ajouter deux choses pour le comité, et pour vous peut-être aussi, madame Landolt. Apparemment, la Commission du droit du Canada a publié aujourd'hui un document de travail sur les relations interdépendantes entre adultes.

Cela nous intéressera tous. Vous avez parlé de la décision rendue en 1995 dans l'affaire Egan c. Nesbit. Vous avez dit que la définition de conjoint représentait une forme de discrimination fondée sur l'orientation sexuelle.

De fait, à cinq voix contre quatre, le tribunal a établi majoritairement que la définition de conjoint est bel et bien une forme de discrimination fondée sur l'orientation sexuelle, mais, et c'est là la conclusion déterminante, une autre majorité au tribunal, encore une fois à cinq voix contre quatre, a établi que c'était une discrimination justifiée. Il y a là une légère nuance.

Mme Landolt: Ils ont dit que c'était justifié en raison de l'importance du mariage traditionnel. C'est M. le juge Sopinka qui a dit que c'est un vote qui est venu renverser la décision. L'élément clé de la décision en question, c'est que la majorité des juges a affirmé qu'il n'était pas discriminatoire d'accorder, sous le régime de la Loi sur la sécurité de la vieillesse, des avantages spéciaux aux couples dûment mariés, mais non pas aux couples de même sexe. Néanmoins, voici que la ministre de la Justice fait justement cela, contredisant ainsi ce que le tribunal lui avait dit dans Egan c. Nesbit.

La présidente: Je voulais faire à ce sujet une correction, pour le compte rendu.

Le sénateur Cools: Cela m'intéresse de savoir ce qui a poussé le tribunal à faire volte-face par rapport à la décision dans Egan c. Nesbit, pour adopter plutôt les idées de M c. H. Avant que nous n'abordions cette question particulière, vous pourriez peut-être donner des précisions sur une déclaration que vous faites à la page 2 de votre mémoire:

De même, il est très révélateur que, dans chacune de ces affaires récentes portées devant les tribunaux à propos des droits des homosexuels et des lesbiennes, aucun élément de preuve n'a été déposé pour démontrer qu'il existe bel et bien une forme de discrimination à l'endroit des homosexuels et des lesbiennes.

Pourriez-vous réfléchir à la question que vous avez soulignée ici -- vous dites qu'aucun élément de preuve n'a été déposé devant le tribunal? Avant que vous ne répondiez à cette question, j'en ai une autre à vous poser.

Le Sénat n'a reçu aucune preuve quant à la volonté qu'auraient les gens vivant une union homosexuelle d'assumer les obligations des personnes mariées. Les gens qui font partie de certaines organisations d'homosexuels nous en ont parlé, mais aucune étude d'a été proposée au Parlement. La seule étude que j'ai pu trouver sur les sujet provient de l'Australie, et elle disait que la plupart des homosexuels veulent mettre fin à la discrimination, mais qu'ils ne veulent pas forcément assumer des obligations s'apparentant à celles du mariage.

Quelle que soit la façon d'aborder la question, il existe une différence entre les opinions de ce que l'on pourrait appeler les groupes «organisés», qui ne sont pas nombreux, et celles des masses. Malheureusement, les masses ne parlent jamais. C'est un problème dans l'ensemble de la communauté. Par exemple, nous savons qu'une personne sur deux, au moins, dans l'affaire M c. H., a fait valoir qu'elle n'avait jamais l'intention de donner ni de recevoir les obligations propres à un conjoint. C'est la nature de l'affaire M c. H. C'est pourquoi il y a eu M c. H. Une personne a avancé que des obligations avaient été assumées et conférées, alors que l'autre a fait valoir que non. Cela m'amène à mon argument principal.

Une des choses qui me déçoivent à propos de ce projet de loi, c'est que je crois sincèrement que l'État n'a pas de place dans les chambres à coucher du pays. J'en suis convaincue. Ce que des particuliers consentants font dans l'intimité ne devrait pas être une affaire qui intéresse «l'État». Ce qui me préoccupe à propos de ce projet de loi, c'est qu'il va dans le sens inverse. C'est-à-dire que le projet de loi redonne à l'État son droit de regard sur les chambres à coucher du pays. Il y a bien des dizaines de façons dont ce projet de loi aurait pu être rédigé, par exemple, pour atteindre le même résultat, sans adopter la méthode ou la structure de rédaction qui s'y trouve. Comme vous l'avez lu dans le témoignage que j'ai présenté la semaine dernière -- et je crois que vous m'avez citée --, ces paroles sont une provocation qui va donner lieu à la prochaine action en justice.

Cela dit, pourriez-vous d'abord nous parler du fait que, selon ce que vous dites ici, il n'y a pas de preuves de discrimination à cet égard? C'est-à-dire que le présent comité n'a pas reçu d'éléments de preuve quant à la volonté réelle ou à des études sur la volonté réelle des homosexuels à l'égard de telles obligations. Ensuite, pourriez-vous traiter de la deuxième question que j'ai soulevée, soit la présence de l'État dans les chambres à coucher du pays?

Mme Landolt: Dans M c. H, M. le juge Cory a affirmé qu'il n'y avait pas d'idée commune sur ce que veut la communauté homosexuelle au Canada, que c'est comme la communauté musulmane ou la communauté ukrainienne et ainsi de suite. Les gens en question ont diverses valeurs et divers points de vue. Il a parlé du fait que ce ne sont plus tous les homosexuels qui veulent de ce projet de loi, car ils ne veulent pas contracter cet engagement et ils ne souhaitent pas avoir ces avantages. Ils ont une vie différente, ce qui est leur affaire à eux et à personne d'autre. C'est tout à fait vrai.

Il y a au Canada trois organisations d'homosexuels qui sont très actives, mais qui ne reflètent pas les idées de la communauté entière. J'ai parlé à un grand nombre d'homosexuels qui sont tout à fait outrés devant le projet de loi C-23: ils croient que cela les contraint à une certaine façon de vivre, et nombre d'entre eux n'aiment pas le mariage lui-même et n'aiment pas les familles parce que ce n'est pas dans leur nature. Un d'entre eux m'a dit: «Pourquoi est-ce qu'on s'engagerait dans cette forme perverse d'union? Qu'est-ce qu'ils essaient de nous faire?» Certains extrémistes au sein de la communauté homosexuelle font des pressions, et il y a une grande controverse à ce sujet au sein de la communauté. Je lis XTRA, le magazine des homosexuels, chaque fois que je peux, et je lis également The Toronto. Je suis assez au courant, et je constate qu'il y a les opinions les plus diverses à ce sujet. Néanmoins, cela reflète le travail des activistes d'EGALE et de la Fondation en faveur de l'Égalité des Familles, l'autre organisation ontarienne qui est située à Toronto. Ce ne sont pas tous les homosexuels qui veulent forcément de ce genre de projet de loi. La question est donc la suivante: pourquoi fait-on des pressions en ce sens? Le tribunal n'a pas dit à Mme McLellan de faire adopter ce projet de loi d'envergure. Elle n'était pas obligée de faire cela. La communauté homosexuelle elle-même dit qu'elle n'en veut pas vraiment, et le grand public, selon le sondage réalisé par le ministère de la Justice lui-même en juin 1999, dit qu'il n'en veut pas non plus, ou «nous voulons que les avantages pour les conjoints de même sexe soient accordés seulement si le mariage traditionnel est préservé». Or, le projet de loi C-23 n'atteint pas ce but. Il ne fait que préparer la voie à la prochaine contestation devant les tribunaux. À titre de conseiller juridique de la Fondation en faveur de l'Égalité des Familles, M. Corbett a dit aux membres du comité ici présents: «cela s'en vient». Ce projet de loi sera la dernière étape d'une démarche qui aura servi à préparer cela.

Le sénateur Cools: Pourriez-vous également préciser ce dont vous parliez, au sujet des affaires récentes portées devant les tribunaux, soit qu'aucun élément de preuve n'a été déposé en cour pour démontrer qu'il y a discrimination?

Mme Landolt: C'est la chose la plus intéressante que j'aie vue -- à titre d'avocate, sans aucun doute. Durant toutes mes années dans ce domaine, je n'ai jamais vu une décision d'un tribunal qui ne repose sur aucune preuve. Dans l'arrêt Rosenberg, en 1998, Mme la juge Abella n'a pas précisé les raisons pour lesquelles, selon elle, les homosexuels devraient être des conjoints. Elle a dit simplement: «Je suis juge. J'ai le droit de faire cela.» Elle n'a donné aucun raisonnement juridique, n'a cité aucun précédent, et elle a fait ça simplement en se fondant sur son idée personnelle. Je n'ai jamais auparavant vu de cas où une décision judiciaire est rendue, et ce, jusqu'à la cour la plus élevée, sans être liée à une preuve reposant sur des faits.

Dans l'affaire de M c. H, le juge de la Cour d'appel a justement soulevé cette question. Il a affirmé qu'il est très difficile de croire que ces décisions sont rendues en l'absence d'éléments de preuve. Cela le troublait profondément de savoir qu'aucune preuve n'avait été présentée au tribunal. Autrement dit, cela peut paraître conforme à la rectitude politique et à certains sentiments, mais ce n'est pas le fruit d'une réflexion approfondie, ce n'est pas bien construit, ni fondé sur des éléments de preuve, ni fondé sur un bon jugement.

Le sénateur Cools: Je soulève la question parce que je me demande souvent pourquoi les rédacteurs législatifs et les gouvernements abordent certaines de ces questions avec tant d'enthousiasme. Par exemple, il y a quelques années, nous avons étudié le projet de loi C-33, qui modifiait la Loi sur les droits de la personne, si je ne m'abuse, de manière à y faire inclure le terme «orientation sexuelle». Je me souviens que nombre des membres de notre groupe parlementaire affirmaient qu'il ne convient pas d'utiliser un terme vague comme «orientation sexuelle». Ils proposaient que nous parlions simplement de «discrimination envers les homosexuels». Ils voulaient que cela soit clair et net.

Si l'objectif consiste à mettre fin à la discrimination envers un groupe donné, nous devrions nommer le groupe, plutôt que de définir un terme. Avec les termes «préférence» et «orientation», nous ne faisons que tourner en rond. À l'époque, on se préoccupait beaucoup de la possibilité que le terme «orientation sexuelle» désigne non plus seulement les relations homosexuelles à long terme, mais aussi l'inceste. En même temps, il y a eu tout un débat au groupe parlementaire à propos de l'idée de nommer les gens que nous voulions protéger, en disant qu'il ne doit pas y avoir de discrimination envers les homosexuels. Cette option a été rejetée. Le ministre de la Justice de l'époque a écarté ça du revers de la main.

Je n'arrive pas à comprendre pourquoi nous ne disons pas ce que nous pensons dans les textes de loi, ni pourquoi nous ne pensons pas vraiment ce que nous disons. Il y a toujours une sorte d'activité souterraine qui fait que, au bout du compte, la question se retrouve devant les tribunaux. Les choses sont alors redéfinies. Avec une redéfinition constante des choses, le résultat est très différent de ce qui était entendu à l'origine. C'est comme une rivière qui part d'un endroit et qui abouti à un autre.

Je ne comprends pourquoi nous ne disons pas ce que nous pensons.

Mme Landolt: La modification de 1996 visant la Loi fédérale sur les droits de la personne, dont l'idée était de protéger les gens contre la discrimination fondée sur l'orientation sexuelle, est très inquiétante parce que le terme «orientation sexuelle» n'est pas défini. Nous savons tous que les gens ont diverses orientations sexuelles. Il y a les hétérosexuels, les homosexuels, ceux dont l'orientation les porte vers enfants ou les animaux. Est-ce que nous les protégeons tous?

Nous voulons dire qu'il faut protéger les homosexuels, mais nous ne le disons pas. Nous utilisons un terme vague: «orientation sexuelle». Qu'est-ce qui arrivera? Est-ce qu'il y aura un jour un pédophile qui dira, devant les tribunaux: «Je suis protégé parce que c'est là mon orientation sexuelle».

Ce raisonnement a été avancé à maintes reprises. Il est très inquiétant de constater que le législateur n'a pas employé un langage précis. Vous avez raison.

Le sénateur Cools: La présidente vient juste de dire que ce projet de loi est très différent. Tout de même, à mes yeux, le projet de loi reprend cette même imprécision, c'est-à-dire, encore une fois, que le terme «orientation sexuelle» est utilisé, mais n'est jamais défini. Il n'y a pas de définition, ce qui veut dire que c'est ouvert aux interprétations et aux définitions nouvelles qui viendront avec le temps. Le terme «homosexuels» aurait été beaucoup plus clair. Quant à moi, je crois que cela aurait été beaucoup plus précis.

Le projet de loi parle de relations conjugales. Le projet de loi précédent parlait de relations de nature conjugale. Encore une fois, qui définit ce qu'est une «relation conjugale»? Qui détermine quand et comment une relation conjugale peut exister? Le législateur aurait peut-être pu dire qu'une déclaration signée par deux personnes permet de définir la relation. Dans un tel cas, le droit pourrait servir à appuyer une obligation ainsi assumée. Par contre, avec les termes vagues que nous employons, il faut savoir: qui fera des recherches pour déterminer s'il y a, s'il y a jamais eu ou s'il y aura jamais une relation conjugale entre deux personnes?

Mme Landolt: C'est la question que j'ai soulevée. Qu'entendez-vous par relation conjugale? Qui prouvera cela? Le Webster, l'Oxford et le dictionnaire de droit Blacks nous disent qu'une relation conjugale est de nature sexuelle. Nous savons quand même qu'il faut qu'il y ait des rapports sexuels pour qu'une relation soit conjugale. Qui prouvera cela?

Qu'en est-il des gens qui n'ont pas de rapports sexuels, mais qui habitent ensemble depuis longtemps? Combien d'entre eux demanderont d'avoir accès à cette grande brochette d'avantages? Qui pourra dire que ce n'est pas vrai? Personne ne le sait.

Le sénateur Cools: Justement. Si les tribunaux étaient saisis d'une cause ou d'une action, comme ce sera sûrement le cas, comment fera-t-on pour déterminer l'existence d'une relation conjugale? C'est une question très importante. Quant à moi, je crois que la preuve d'un engagement librement consenti serait nettement plus utile. Comme je l'ai dit, j'ai de la difficulté avec cela.

Mme Landolt: Tout à fait.

Le sénateur Cools: Le législateur emploie des euphémismes, mais les gens ne semblent pas se soucier de ce que je crains, pour une grande part. Très peu de gens ont suivi le débat devant les tribunaux. Lorsque quelqu'un affirme que nombre de ces affaires ont été décidées sans que des éléments de preuve ne soient déposés, cela fait réfléchir. J'ai lu certains des arrêts dans cette affaire, et les voies employées pour tirer certaines des conclusions sont assez radicales. Je pense à l'affaire de M c. H. Je crois que c'est au tribunal inférieur que Mme la Juge Epstein a fait des déclarations assez bizarres, en toute franchise, soit qu'essentiellement, si le Parlement ne le fait pas, les juges doivent le faire.

Mme Landolt: Mme la juge Abella a dit la même chose, mais il n'y a pas de fondement pour cela en droit ou dans les faits. Il n'y a pas de preuve, mais ces gens ont fait cela parce que ce sont des juges et, par conséquent, ils estiment avoir le droit d'agir ainsi.

Le sénateur Cools: C'est rendre un très mauvais service aux gens. Si la ministre a l'intention d'accorder des avantages aux homosexuels, elle peut certainement le faire, de la façon la plus bénéfique qui soit. Il n'est pas nécessaire d'utiliser un vocabulaire vague sur lequel personne n'arrive à s'entendre au départ. Les gens n'avancent pas en ayant une idée claire de ce que peuvent signifier ces termes aujourd'hui et demain. Cette façon de rédiger les lois me semble très mal avisée. Tout de même, cela semble être la tendance, et je crois que cela ira en s'amplifiant.

La présidente: Je demande toujours aux sénateurs de poser des questions. Je le fais à nouveau.

Le sénateur Cools: Je viens de le faire. Mme Landolt se trouve dans une position tout à fait unique. C'est l'une des seules personnes au pays qui aient étudié systématiquement les cas dont il est question et qui a vu les choses sur le terrain pour ainsi dire. C'est une des personnes qui connaît le mieux l'évolution de la jurisprudence en la matière.

La présidente: Sénateur Cools, c'est une des raisons pour lesquelles nous avons invité Mme Landolt au départ. Elle ne pouvait pas assister à la séance. Nous l'avons donc invitée à nouveau.

J'ai déjà cité cet arrêt, mais je le ferai à nouveau. Dans Malodowich c. Pentiinen, en 1980, le tribunal a établi les caractéristiques généralement admises d'une relation conjugale. Il y a notamment le fait de vivre au même endroit, les rapports sexuels et personnels, les services, les activités sociales, le soutien économique et les enfants, de même que la perception qu'a la société du couple. Le tribunal a tout de même reconnu que ces éléments peuvent se présenter à des degrés variables et qu'ils n'ont pas tous à exister pour qu'une relation soit réputée conjugale.

Mme Landolt: Oui, cela s'appliquait aux hétérosexuels, en 1980.

Le sénateur Cools: C'était une affaire d'hétérosexuels.

Le sénateur Buchanan: Si je comprends bien, le projet de loi C-23 est fondé sur la décision rendue dans l'affaire M. c. H.

Mme Landolt: Oui. La ministre l'a dit.

Le sénateur Buchanan: En lisant le projet de loi, et je ne l'ai pas lu en entier, je vois que cela repose sur des modifications touchant l'ensemble des lois fédérales. Combien y en a-t-il, 70?

Mme Landolt: Il y en a 68.

Le sénateur Buchanan: C'est très simple si on lit l'article se rapportant à chacun des modifications: le conjoint de fait, par rapport à l'individu, c'est la personne qui cohabite avec une autre personne avec laquelle elle a une relation conjugale, et avec laquelle elle cohabite depuis un an au moins.

C'est bien le fondement du projet de loi? Il s'ensuit que tout le raisonnement sous-jacent correspond à une décision de la Cour suprême du Canada qui a réglé la question, à trois voix contre deux, de savoir ce qu'est-une relation conjugale.

Mme Landolt: Sauf le respect que je vous dois, ce n'est pas tout à fait cela. Dans l'arrêt M c. H, la Cour suprême du Canada a affirmé que les couples hétérosexuels devraient profiter des mêmes avantages que les couples en union libre. Elle n'a pas dit qu'il fallait leur donner ces avantages. Mme McLellan aurait pu dire simplement: «Bon, nous pouvons cesser d'accorder tous les avantages aux couples en union libre». Sinon, elle aurait pu proposer une loi sur les partenaires ménagers, ou encore elle aurait pu modifier simplement les dispositions législatives existantes. Elle disposait de nombreuses options. Elle n'a pas été contrainte de faire ce qu'elle a fait, puisque le tribunal n'a pas proposé ce qu'il fallait faire. Aucun recours n'était mis de l'avant. Le tribunal n'a pas dit qu'elle devait concevoir 68 modifications, sinon les choses iraient mal. Le tribunal n'a jamais proposé cela; plutôt, il a dit que nous devrions reconnaître d'une manière ou d'une autre que les couples en union libre, les couples hétérosexuels et les couples homosexuels sont semblables. Elle n'était pas obligée de faire ce qu'elle a fait, sénateur Buchanan.

Le sénateur Buchanan: Je comprends cela, mais maintenant qu'elle l'a fait et que ça se trouve dans le projet de loi, le terme «relation conjugale» peut laisser supposer une relation entre homosexuels, si c'est ce qu'a dit la Cour suprême.

Mme Landolt: Le seul juge qui en ait parlé est le juge Cory.

Le sénateur Buchanan: D'autres juges n'étaient-ils pas d'accord avec lui?

Mme Landolt: Deux d'entre eux étaient d'accord avec lui. Si vous vous rappelez, il y avait neuf juges qui siégeaient. Par conséquent, cela n'a pas vraiment été réglé. De fait, M. le juge Gonthier a affirmé très clairement qu'il ne s'agit pas d'une relation conjugale. Il a dit pourquoi les relations homosexuelles sont différentes des relations hétérosexuelles.

Le sénateur Buchanan: J'avais mal compris.

La présidente: Je dois signaler que la décision a été rendue à huit voix contre une dans cette affaire.

Le sénateur Joyal: Comme vous le savez, d'autres pays ont légiféré dans ce domaine. Certains sont allés encore plus loin que nous, c'est-à-dire qu'ils ont reconnu la nature juridique et exécutoire du mariage entre les couples de même sexe. C'est le cas des Pays-Bas, de la France et de certains pays scandinaves. L'État du Vermont a fait cela aussi. Êtes-vous au courant d'études provenant des pays qui ont légiféré dans le domaine qui viendraient confirmer vos conclusions ou vos craintes -- c'est-à-dire qu'il y avait une diminution importante du respect et de l'appréciation à l'égard du mariage traditionnel?

Mme Landolt: Les pays scandinaves ont simplement une loi sur les partenaires ménagers.

Le sénateur Joyal: Cela aurait le même impact. Si la loi est comparable, l'impact devrait être ce que vous craignez.

Mme Landolt: Si je ne m'abuse, au Danemark et en Norvège, la loi en question porte sur les partenariats ménagers, et seulement d'une façon limitée. Les gens ne pourraient se prévaloir de tous les avantages prévus dans le projet de loi C-23. Ce n'est pas vraiment comparable. Le mariage demeure une chose très différente qui produit beaucoup plus d'avantages que le partenariat ménager. Cela ne s'applique qu'à certaines dispositions législatives précises.

Les Pays-Bas viennent tout juste de déposer un projet de loi, comme vous le savez. Je ne sais pas s'il a été adopté.

La France est le seul pays, à ma connaissance, qui a adopté une telle loi, et cela ne fait qu'un an que la loi existe. Par conséquent, personne ne connaît vraiment les conséquences de la chose. Autant que je sache, il n'y a que la France jusqu'à maintenant. Et encore, je ne sais pas si la France a établi que le mariage contracté devant la loi est comparable aux unions entre homosexuels et lesbiennes.

La présidente: Madame Landolt, je trouve cela assez intéressant. Savez-vous si ce genre de loi a eu une incidence quelconque sur le nombre de mariages dans les pays scandinaves?

Mme Landolt: Non, je ne le sais pas. Je ne sais pas quelles en sont les conséquences. La loi en question est relativement récente. Je n'ai jamais vu d'étude là-dessus.

Le sénateur Fraser: J'aimerais faire une observation, rapidement. Je crois que cela dépend presque entièrement de la formulation particulière des droits et des obligations dans chacun des textes de loi. Je peux parler, par exemple, du régime matrimonial du Québec, qui a été modifié il y a quelques années. La modification en question a soulevé beaucoup de critiques à l'époque. Certains observateurs près de la chose font valoir qu'elle est responsable en partie du déclin du taux de droits et d'obligations chez les hétérosexuels, et du mariage chez les hétérosexuels. Selon tous les couples mariés que je connais, c'est une loi terrible. Je connais au moins trois couples qui ont décidé de ne pas se marier en raison de cette loi. Cela n'a rien à voir avec les droits des gais et les droits des autres -- il est question des affaires financières des gens. Je crois qu'il y a des limites assez nettes aux parallèles qu'on peut faire avec les lois d'autres pays.

La présidente: Merci beaucoup, madame Landolt.

La séance est levée.


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