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LCJC - Comité permanent

Affaires juridiques et constitutionnelles

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles

Fascicule 20 - Témoignages du 21 septembre 2000


OTTAWA, le jeudi 21 septembre 2000

Le comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, auquel a été renvoyé le projet de loi C-16, Loi concernant la citoyenneté canadienne, se réunit aujourd'hui à 10 h 51 pour étudier le projet de loi.

Le sénateur Gérald-A. Beaudoin (vice-président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le vice-président: Honorables sénateurs, nous poursuivons notre étude du projet de loi C-16, Loi concernant la citoyenneté canadienne. Nous entendrons ce matin des témoins du Conseil canadien pour les réfugiés et du Comité inter-églises pour les réfugiés. Vous avez la parole.

Mme Janet Dench, directrice générale, Conseil canadien pour les réfugiés: Le Conseil canadien pour les réfugiés est une organisation cadre qui regroupe quelque 160 organisations membres de toutes les régions du pays. Nous sommes une organisation vouée à la protection des droits des réfugiés au Canada et dans le monde et à l'établissement des réfugiés et des immigrants au Canada.

Nous avons eu l'occasion de nous présenter devant la Chambre des communes pour nous prononcer sur le projet de loi qui a précédé le C-16, et nous constatons que, de notre point de vue, un certain nombre d'améliorations ont été apportées. Nous continuons toutefois à avoir de sérieuses réserves au sujet du projet de loi C-16 dans sa version actuelle, si bien que nous sommes très heureux d'avoir l'occasion de discuter avec vous ce matin.

Notre exposé portera sur trois grands sujets de préoccupation: le premier est l'apatridie; le deuxième est l'annulation; et le troisième est le refus de la citoyenneté pour des raisons d'intérêt public. Je dirai quelques mots au sujet de l'apatridie, et mon collègue Nick Summers vous parlera des deux autres sujets.

L'apatridie est un sujet d'inquiétude croissante pour nos membres, qui constatent que de plus en plus de leurs clients ou de gens avec qui ils travaillent sont apatrides et se retrouvent dans des situations difficiles au Canada -- c'est en quelque sorte l'impasse pour eux. Cet état de choses nous a conduits à nous intéresser de plus en plus à l'apatridie et à voir ce que nous pouvions faire pour résoudre ce problème. C'est donc dans cette optique que nous voulons examiner le projet de loi sur la citoyenneté.

Le cadre dans lequel nous abordons ces questions ne se limite pas au Canada, mais s'étend au monde entier. Nous estimons que le Canada doit jouer un rôle de leadership, si bien que l'examen que nous faisons de notre projet de loi sur la citoyenneté vise à en faire un modèle international pour réduire les cas d'apatridie. Vu sous cet angle, le projet de loi nous inspire certaines inquiétudes, notamment du fait qu'il pourrait avoir pour effet de rendre des citoyens canadiens, ou des enfants de citoyens canadiens, apatrides; c'est là quelque chose qui devrait inquiéter les Canadiens et qui préoccupe en tout cas ceux qui veulent réduire les cas d'apatridie.

L'enjeu porte sur la citoyenneté acquise par les Canadiens nés à l'étranger. Le projet de loi a pour objet de réduire la transmission de la citoyenneté canadienne par filiation.

Dans le mémoire que nous vous avons remis, nous recommandons que le Canada fasse le nécessaire pour signer la Convention de 1954 relative au statut des apatrides, deuxième convention sur les cas d'apatridie dont nous ne sommes toujours pas signataires. Nous proposons d'ajouter au projet de loi un articles précisant que la loi est interprétée de façon conforme aux principes de la réduction des cas d'apatridie. Nous formulons aussi une série de recommandations concernant les articles 14 et 11 pour combler certaines lacunes du projet de loi qui pourraient conduire à des cas d'apatridie.

M. Nick Summers, membre du Conseil national, Conseil canadien pour les réfugiés: Je vais vous parler des questions qui découlent des articles 18 à 22 du projet de loi, mais je voudrais tout d'abord aborder brièvement avec vous les articles 16 et 17. Mon collègue, M. Wichert, vous parlera de ces articles, et notre position est la même que la sienne.

Quand on lit l'article 18, on se demande pourquoi il ne donne pas droit au même recours que l'article 16. L'article 16 pose de sérieux problèmes au regard de l'application régulière de la loi, mais nous soutenons que l'article 18 pose des problèmes encore plus sérieux.

Il y a le fait que le ministre soit à la fois juge et partie, en ce sens que c'est lui qui établit le rapport et qui applique ensuite la loi. Le seul recours permis à la personne contre qui un rapport a été fait en vertu de l'article 18 est de présenter une réplique au ministre. Elle n'a pas le droit, comme c'est prévu à l'article 16, de se présenter devant la Cour fédérale pour lui demander d'examiner son cas. Son seul recours est de demander à la Cour fédérale de procéder à un contrôle judiciaire.

Comme le critère est si peu élevé -- il suffit d'être convaincu que les infractions énumérées ont été commises -- on sait bien, étant donné le nombre d'avocats autour de cette table, que les chances d'obtenir un contrôle judiciaire de la décision du ministre sont presque nulles.

Il convient aussi de noter, au regard de l'application régulière de la loi, que la personne assujettie à l'article 18, et qui est toujours citoyenne du Canada à ce stade-là, a droit à une protection moindre que le résident permanent qui risque lui aussi de se voir retirer son statut.

Aux termes de la nouvelle Loi sur l'immigration qui fait son chemin à la Chambre, le résident permanent qui fait l'objet d'une procédure visant à lui retirer son statut a le droit d'en appeler devant la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, la CISR, et a la possibilité de présenter ses arguments et de recevoir une décision motivée. La personne visée par l'article 18 n'a même pas ce droit-là.

Le vice-président: Je n'ai pas entendu ce que vous avez dit.

M. Summers: Je dis que ce droit n'est pas prévu à l'article 18. La personne est citoyenne et devrait avoir à tout le moins les mêmes droits que le résident permanent.

L'interdiction prévue à l'article 22 nous inspire de sérieuses réserves, du fait qu'on peut interdire à quelqu'un l'accès à la citoyenneté en fonction d'un concept aussi vague que celui de «l'intérêt public». On ne trouve nulle part dans le projet de loi de définition de ce terme, si bien que des considérations contingentes qui n'ont rien à voir avec la possibilité que la personne soit un bon citoyen peuvent entrer en ligne de compte.

Prenons l'exemple très général d'un réfugié qui aurait fui un régime totalitaire et qui serait passé par les différentes étapes, qui serait d'abord devenu résident permanent et demanderait ensuite la citoyenneté: le gouvernement pourrait la lui refuser sous prétexte de ne pas vouloir compromettre sa relation commerciale avec le pays d'origine du réfugié ou pour quelque autre raison. Nous ne savons pas du tout comment il faut définir «l'intérêt national».

Nous avons les mêmes préoccupations en ce qui concerne l'application régulière de la loi. Il n'y a aucune possibilité d'en appeler de cette décision.

Le sénateur Grafstein: Vous voulez parler de «l'intérêt public», n'est-ce pas? Il y a une différence.

M. Summers: Excusez-moi, je m'étais trompé de terme.

Le vice-président: Ce n'est pas du tout la même chose.

M. Summers: Vous avez parfaitement raison de dire que «l'intérêt public» et «l'intérêt national» sont différents, mais le terme n'est pas défini ici, si bien que le problème est le même. Que signifie ce terme dans le contexte du projet de loi? Les deux concepts sont différents, mais en l'absence d'une définition, comment pouvons-nous savoir quelle est la différence entre les deux?

M. Tim Wichert, membre du conseil d'administration, Comité inter-églises pour les réfugiés: Je représente le Comité inter-églises pour les réfugiés, en ma qualité de membre du conseil d'administration. Le Comité inter-église pour les réfugiés est une coalition de 10 Églises distinctes. Je représente pour ma part l'Église mennonite.

J'espère que vous avez reçu le mémoire en date du 19 juin 2000. Sinon, je veillerai à ce qu'on vous en envoie des exemplaires.

Ce mémoire a été rédigé en juin à l'intention du comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie parce qu'il était question que nous soyons invités à témoigner à ce moment-là devant ce comité.

Je vais me concentrer sur deux questions. La première est la procédure de révocation de la citoyenneté et le droit limité de demander l'examen d'une décision de révocation, dont M. Summers a parlé. La deuxième est celle de l'apatridie et des répercussions du projet de loi sur le plan des affaires extérieures.

Pour qu'ils puissent bien comprendre le contexte, nous invitons les honorables sénateurs à avoir à portée de la main le rapport très détaillé de la Commission interaméricaine des droits de l'homme, qui vient de vous être remis. Si vous ne connaissez pas le document, je vous invite fortement à le lire et à en prendre connaissance.

Il s'agit du rapport qui a été rédigé par la Commission interaméricaine des droits de l'homme à la suite de la visite qu'elle a effectuée au Canada en octobre 1997. Les représentants de la Commission ont rencontré une foule de personnes, puis sont retournés à leurs bureaux, ont fait leurs recherches et ont produit le rapport que voici en février cette année. Malheureusement, le rapport est arrivé en plein milieu du processus d'examen du projet de loi C-16.

On nous a dit que le comité de la Chambre des communes n'aurait pas le temps de l'examiner, mais nous invitons fortement les honorables sénateurs à tenir compte de certains des points que je vais porter à leur attention.

Dans l'ensemble, le rapport dit des choses importantes, tant pour ce qui est des points forts du droit canadien relatifs aux réfugiés et aux droits de la personne des demandeurs d'asile, mais aussi pour ce qui est de certains sujets de préoccupation et, plus particulièrement, du droit limité à l'examen des décisions défavorables ou préjudiciables aux réfugiés.

Le rapport contient également des observations intéressantes au sujet des obligations du Canada à l'extérieur de ses frontières, notamment l'obligation qui nous incombe de nous conformer aux normes internationales et la possibilité que nous avons de donner l'exemple à d'autres États. Je vais revenir à cette question dans le contexte des répercussions du projet de loi sur les affaires extérieures.

Comme nous le signalons dans notre mémoire, l'article XIX de la Déclaration américaine des droits et devoirs de l'homme -- je suis sûr qu'on ne lui donnerait pas ce nom-là aujourd'hui -- dispose que toute personne a droit à la nationalité qui lui revient légalement.

Je veux réfléchir un peu à ce droit. Je me reporte à la page 1, section 1, obligations juridiques et constitutionnelles. Le droit à la nationalité est un droit humain fondamental.

Ma femme et moi avons eu l'occasion de vivre à l'étranger, et je dois reconnaître que j'étais très heureux d'avoir un bon passeport. J'étais heureux d'avoir la citoyenneté canadienne et de pouvoir présenter mon passeport canadien à l'étranger. Nous avons toutefois rencontré bien des malheureux qui n'avaient ni passeport ni nationalité, qui devaient fuir, mais qui n'avaient aucun pays dont ils pouvaient dire: «Ce pays est le mien, il m'appartient, c'est mon nouveau foyer. Ces gens-là m'ont accueilli, et je me sens en sécurité ici». Je dis cela parce que, quand quelqu'un obtient la nationalité dans un nouveau pays, nous devons agir avec beaucoup de circonspection quand il est question de la lui enlever. Le droit à cette nationalité est un droit que nous devons garder jalousement.

C'est pour cette raison que nous sommes préoccupés par les dispositions prévoyant l'annulation et la révocation de la citoyenneté, qui sont contenues dans les articles 16, 17 et 18. Nous sommes d'avis que ces dispositions n'assurent pas une protection suffisante.

J'attire votre attention sur le paragraphe 95 du rapport de la Commission interaméricaine des droits de l'homme. Je vous lis la dernière phrase de ce paragraphe:

[...] Le droit d'accès à la protection judiciaire pour assurer le respect d'un droit garanti par la loi exige de disposer de recours efficaces en cas de violation d'un droit protégé par la Déclaration ou par la Constitution du pays concerné.

Puis, sur la même page, au paragraphe 98, on peut lire ce qui suit:

Ce droit a pour effet d'exiger la fourniture d'un recours à l'échelle nationale qui permette à l'autorité judiciaire compétente de se pencher sur le fond de la plainte et d'ordonner au besoin la prise de mesures de redressement.

À la lumière de cette observation, la procédure fondée sur l'examen judiciaire et le «renvoi» semble insuffisante parce qu'elle ne permet pas à la cour de se pencher sur le fond de la plainte, comme le préconise la Commission interaméricaine des droits de l'homme.

On peut ensuite lire au paragraphe 99:

Bien que les demandeurs n'aient pas nécessairement un droit d'accès illimité aux recours juridiques, les limites imposées à l'exercice de ce droit ne sauraient être déraisonnables ni de nature à priver les demandeurs de l'essence même de ce droit.

Nous vous prions instamment de tenir compte de ces critères ou de ces seuils dans votre examen des dispositions du projet de loi C-16. Nous craignons que des considérations liées au commerce international ne viennent influer sur les décisions du ministre. Nous avons des préoccupations au sujet du contrôle judiciaire par la Cour fédérale. La Commission fait aussi des observations pertinentes relativement à la Cour fédérale et à son efficacité aux paragraphes 100 à 103 de son rapport. Nous sommes inquiets du caractère final de la décision de la Cour fédérale, dont il serait impossible d'interjeter appel. C'est une situation qui est tout simplement inacceptable.

Il convient par ailleurs de souligner que l'article 12 du projet de loi C-16 vise à mettre tous les citoyens, qu'ils soient naturalisés ou nés au Canada, sur un pied d'égalité. Pourtant, les procédures de révocation dont nous venons de parler prévoient des mesures de protection de deuxième ordre pour les citoyens naturalisés. Cela donne à entendre que les citoyens nés au Canada ont des droits supérieurs, alors que l'article 12 laisse entendre que tous les citoyens doivent être égaux.

Les répercussions du projet de loi C-16 sur le plan des affaires extérieures sont bien expliquées dans notre mémoire, et je n'ai pas l'intention de vous les présenter ici de façon détaillée; je me contenterai de vous dire que nous voulons donner l'exemple à d'autres États. Nous voulons être des modèles. Nous ne pouvons pas donner l'impression qu'au Canada, le Conseil des ministres peut à sa discrétion retirer à quelqu'un la nationalité, même si la loi prévoit des mesures de protection limitées.

Nous signalons aussi dans notre mémoire que la Commission interaméricaine des droits de l'homme a indiqué qu'elle offre un service de conseils.

Vous voudrez peut-être lui demander son avis sur la légalité des dispositions concernant l'examen et aussi sur ce deuxième point, à savoir les répercussions sur notre région ainsi que les répercussions éventuelles sur l'apatridie.

Permettez-moi de conclure sur une note personnelle. Les membres de nos Églises se disent de plus en plus préoccupés par certaines de ces dispositions, notamment par les dispositions concernant la révocation et la perte de la citoyenneté. Comme vous pouvez l'imaginer, bon nombre de ces personnes sont des gens qui ont immigré dans les 50 dernières années. Bon nombre de nos églises sont liées à des communautés ethniques, dont les membres ont immigré dans les 5, 10 ou 20 dernières années. Bien entendu, ces personnes sont des citoyens naturalisés. Ces questions nous préoccupent parce que des dispositions de ce genre donnent à entendre que, parce qu'il s'agit de citoyens naturalisés, ces personnes pourraient perdre leur citoyenneté et nous sommes d'avis qu'il n'y a pas suffisamment de mesures pour les protéger contre cette éventualité.

Le vice-président: Merci. Nous allons maintenant passer aux questions.

Le sénateur Maheu: Ma première question s'adresse à M. Summers. Vous avez évoqué la possibilité que la Cour fédérale soit le tribunal de dernière instance dans les cas de révocation de la citoyenneté. Or, n'est-il pas vrai que la Cour fédérale ne pourrait se prononcer que sur des questions de droit? Elle ne pourrait pas tenir compte de considérations humanitaires. La ministre a parlé de cela hier soir. Quand on fait appel à un tribunal, sa compétence est délimitée par la loi. Quand on fait appel au Conseil des ministres, il est possible de faire intervenir des considérations humanitaires de même que les rapports du ministère. Il me semble qu'il y a une grande différence entre ce que peut faire un juge de la cour et ce que peuvent faire 24 personnes siégeant autour d'une table, dont beaucoup ont des électeurs de diverses communautés. Je ne crois pas que les partis pris individuels viendraient en ligne de compte. Quand on a affaire à un juge, par contre, sa conduite lui est dictée par la loi.

M. Summers: Je ne crois pas que nous ayons dit que le mieux serait de faire appel à un juge de la Cour fédérale. Quand j'ai évoqué le projet de loi C-31, c'était pour faire remarquer que, dans la plupart des cas, le résident permanent qui risque de perdre son statut a le droit d'en appeler à la section d'appel de l'immigration de la CISR et que cette Section a le droit, le plus souvent, de tenir compte de considérations humanitaires. Ce serait là une solution préférable. Je suis d'accord pour dire qu'il faut faire intervenir une dimension humanitaire.

Cela dit, ce que j'ai voulu faire comprendre au sujet de l'article 16, c'est qu'il prévoit le droit d'en appeler à la Cour fédérale, alors qu'en comparaison, l'article 18 ne prévoit même pas ce droit-là. L'article 18 porte sur l'annulation de la citoyenneté, laquelle décision est prise, non pas par le Conseil des ministres, mais bien par le ministre lui-même.

Le sénateur Maheu: Je ne suis pas d'accord.

M. Summers: Selon l'article 18, si le ministre est convaincu que l'article s'applique, il peut annuler l'attribution de la citoyenneté.

Le sénateur Maheu: Je vous rappelle un point qui a été soulevé hier soir. Si une personne, pour quelque raison que ce soit -- ces raisons importent peu -- fait une demande d'immigration mensongère et que le ministère plaide sa cause jusqu'au ministre et même jusqu'au Cabinet, ne croyez-vous pas que le Cabinet est une meilleure ressource qu'un juge? Peu importent les preuves qu'on présente au juge, il devra trancher en fonction du fait qu'il y a eu demande mensongère.

M. Summers: C'est vrai, mais nous souhaitons qu'il y ait une procédure, que ce soit devant un juge, un tribunal administratif ou quelqu'un au pouvoir, prévoyant une audition quelconque. La principale lacune du recours au Cabinet, c'est que l'intéressé ne peut que soumettre un document écrit en réponse à l'avis du ministre indiquant qu'il fera l'objet d'un rapport.

Le sénateur Maheu: L'intéressé peut voir le rapport qui le concerne.

M. Summers: En fait, le projet de loi dit simplement que le ministre doit indiquer à l'intéressé qu'un rapport sera présenté. Il ne précise pas si l'intéressé a accès au rapport, en partie ou dans son intégralité, parce que des questions de sécurité pourraient être en jeu, nous ne savons pas.

Une personne est assujettie ici à une procédure très grave pouvant entraîner la perte de l'un des droits les plus importants dont nous jouissions, la citoyenneté, et cette personne n'a même pas le droit d'être entendue. Elle ne peut dire à personne: «Un moment, le ministre n'a pas compris» ou «oui, mais j'ai agi ainsi pour de bonnes raisons».

Le sénateur Maheu: Dans son exemple, la ministre a aussi parlé de ceux qui incitent à la haine et dont on découvre l'attitude près de cinq ans après l'attribution de la citoyenneté. Est-ce cela le genre de personnes qu'on serait fier d'appeler Canadien? Je pourrais en nommer deux ou trois -- je ne le ferai pas -- au sujet desquelles j'ai dû personnellement prendre des mesures pour qu'elles cessent de s'ingérer dans des réunions publiques qui ne portaient pas nécessairement sur la citoyenneté -- en fait, qui ne portaient pas là-dessus. Il y en a deux ou trois dont j'aurais bien aimé révoquer la citoyenneté canadienne parce que je n'étais pas fière de l'exemple qu'elles donnaient à titre de Canadiens.

M. Summers: Personne ici ne dit que certains ne devraient pas obtenir la citoyenneté canadienne ou que certains, après l'avoir obtenue, ne devraient pas en être dépouillés. Nous disons simplement que le processus proposé par le projet de loi est injuste.

Le sénateur Maheu: Vous préférez le recours plutôt qu'à l'entité politique qui doit rendre des comptes à la population si elle prend une mauvaise décision?

M. Summers: Je préférerais un recours à un organe quelconque qui aurait le pouvoir d'entendre les deux parties et de rendre une décision basée sur les faits. Malheureusement, les ministres sont très occupés. Si un ministre dit à ses collègues: «Je suis convaincu que cette personne satisfait aux critères établis par le projet de loi», il est plus que probable que le Conseil des ministres suive la recommandation de leur collègue car ils n'ont pas vraiment de moyen de nier ces affirmations.

Le vice-président: J'en profite pour signaler que nous allons revenir à la question de l'intérêt public, car c'est une chose de parler de l'attribution de la citoyenneté canadienne, mais n'oublions pas que l'intérêt public n'entre pas en jeu lorsqu'on révoque la citoyenneté. Nous nous entendons là-dessus.

M. Summers: Oui.

Le sénateur Joyal: Je commencerai par une question simple. Le paragraphe 17(3) du projet de loi, au haut de la page 8, se lit comme suit:

La décision de la Section de Première instance est définitive et, par dérogation à toute autre loi fédérale, non susceptible d'appel.

Savez-vous si une disposition si extraordinaire -- qui dénie le droit d'en appeler dans une procédure judiciaire -- figure dans toute autre loi du Parlement?

M. Summers: Je ne sais pas. La seule chose qui me vient à l'esprit, c'est le cas d'un demandeur du statut de réfugié dont la demande a été rejetée et qui demande d'en appeler à la Cour fédérale; en l'occurrence on ne peut interjeter appel du rejet de la demande d'appel.

Je ne connais pas d'autre situation où on refuse au justiciable le droit d'au moins demander l'autorisation d'en appeler à un tribunal supérieur, si tribunal supérieur il y a.

Le sénateur Joyal: Précisément. Selon mon interprétation, on n'a même pas le droit de demander l'autorisation d'en appeler. L'appel peut être rejeté, mais on a au moins le droit de demander d'en appeler.

Ici, si j'interprète bien le paragraphe 17(3), on n'a même pas le droit de demander l'autorisation d'en appeler.

Encore une fois, je vous demande si, à votre connaissance, il y a d'autres lois canadiennes qui privent le justiciable du droit d'appel?

M. Summers: Non, pas à ma connaissance.

Le sénateur Joyal: Cela ne va-t-il pas à l'encontre de la Charte?

M. Summers: C'est bien possible. C'est une question qui se pose aussi à l'égard d'autres dispositions du projet de loi, relativement au droit à l'égalité devant la loi. C'est certainement une question litigieuse, je suis d'accord avec vous. Je ne sais trop ce que je pourrais ajouter.

M. Wichert: Je vous renvoie de nouveau au rapport de la Commission interaméricaine des droits de l'homme qui, au paragraphe 101, traite d'autres domaines du droit canadien où les mécanismes de contrôle sont beaucoup plus larges. Le droit administratif peut être très technique, comme on dit, et peut même faire l'objet de certaines restrictions légitimes, mais lorsque les intérêts en jeu, dans le contexte des réfugiés, par exemple, concernent la sécurité et la vie de l'intéressé, c'est beaucoup plus grave.

On dit ensuite que la Commission comprend que d'autres lois fédérales peuvent prévoir des mécanismes administratifs de contrôle, outre le contrôle judiciaire, se fondant sur le bien-fondé de la cause, de plein droit.

On y cite plus précisément la Loi canadienne sur les droits de la personne, la Loi sur l'emploi dans la fonction publique et le Code canadien du travail.

Il y a d'autres dispositions particulières où les droits sont beaucoup plus vastes. C'est l'envers de votre question. Je vous réponds d'une autre façon. Nous avons fait beaucoup mieux dans d'autres lois; pourquoi cette loi-ci est-elle si restrictive?

Le vice-président: Il y a une autre question. Peut-être pourrions-nous y revenir.

Notre système confère le droit d'accès aux tribunaux. C'est prévu par la Constitution. Que cela soit exprimé dans une loi ou non est secondaire. Le droit d'accéder aux tribunaux fait partie de la règle de droit du Canada. L'existence de ce droit ne fait aucun doute. La question est de savoir si ce principe s'applique aussi au droit d'appel. C'est là votre question.

Le sénateur Joyal: C'est ma question, et elle est fondamentale si on refuse à un citoyen le droit d'interjeter appel. C'est de cela que parle cette disposition. C'est très grave à mes yeux. Il faut des motifs très sérieux pour refuser quelque chose liée au processus judiciaire, à l'application régulière de la loi. Le tribunal peut vous dire que nous n'avez pas le droit d'interjeter appel, mais au moins vous pouvez lui demander d'être entendu. C'est la première chose.

Le sénateur Nolin: Quelle réponse a-t-on donnée au sujet de la Charte? Cela s'applique-t-il ou non?

M. Summers: Je ne suis pas un expert en droit constitutionnel. Je suis avocat spécialisé dans les questions d'immigration et de statut de réfugié. Mais je suis d'accord, je crois qu'il y a des problèmes d'ordre constitutionnel.

Le sénateur Nolin: C'est le coeur même du problème.

M. Summers: À vrai dire, je ne saurais trop me prononcer à ce sujet.

Le vice-président: Même si ce n'est pas inclus dans la Charte, il n'en reste pas moins que la Constitution est la loi fondamentale du pays.

Le sénateur Joyal: Je ne vais pas m'étendre sur ce sujet. Nous entendrons d'autres témoins du ministère de la Justice. Vous verrez quels seront leurs témoignages, j'en suis sûr, et nous pourrons continuer nos discussions sur ce sujet.

Ma deuxième question porte sur la déclaration américaine des droits, dans laquelle on peut lire, à l'article XIX, que toute personne a droit à la nationalité qui lui revient légalement.

Nous en avons discuté hier avec la ministre. Je ne sais pas si vous en avez été mis au courant. Je suis étonné par le libellé actuel du projet de loi puisqu'on n'y reconnaît pas le droit à une nationalité.

À mon avis, toute personne née au Canada a droit à la nationalité canadienne. J'ai demandé à la ministre si quelqu'un né au Canada pouvait être privé de cette nationalité. Elle m'a répondu que non, sauf bien sûr dans des cas rares, par exemple dans le cas des enfants de diplomates. Nous savons cela et c'est généralement codifié dans le droit international.

J'estime que le projet de loi ne définit pas ce terme de «nationalité», du moins dans son préambule. Le projet de loi ne dit absolument rien à ce sujet. Quand j'ai lu le premier article, le préambule du projet de loi, je m'attendais à y trouver une mention de la nationalité. Pour moi, la nationalité est un élément essentiel de la citoyenneté. Ce sont deux notions interreliées.

Qui est lié par la déclaration interaméricaine dont vous avez lu des extraits? Exprime-t-on simplement une opinion générale dans ce document ou s'agit-il d'un document signé et reconnu par des États? Dans quels instruments internationaux a-t-on reconnu le droit à la nationalité? Je crois que ce droit est reconnu dans la Déclaration universelle des droits de l'homme, mais je préférerais connaître votre réponse à vous.

M. Wichert: Vous trouverez la réponse au début du rapport de la Commission interaméricaine. Ce document est issu de l'Organisation des États américains, dont le Canada est membre depuis 1990.

Le vice-président: À ce sujet, on dit à l'article 4:

A la citoyenneté dès la naissance la personne qui, après l'entrée en vigueur du présent article:

a) naît au Canada.

[Français]

Le sénateur Nolin: C'est peut-être l'article qui s'approche le plus de ce que le sénateur Joyal recherche.

[Traduction]

Non, ce n'est pas clair.

Le sénateur Joyal: Voici ma prochaine question. J'aimerais savoir si les Nations Unies ont déjà reconnu le droit à la nationalité dans le cas de personnes apatrides ou d'aubains. Si vous dites que toute personne a droit à la nationalité, il doit bien exister quelque part un instrument international qui l'indique. Pourquoi ne le mentionne-t-on pas dans ce projet de loi?

Le sénateur Nolin: Ce n'est peut-être pas à ce témoin-ci qu'il faut poser cette question.

Le sénateur Joyal: Ne peut-on pas s'attendre à ce que le projet de loi le mentionne, que cela fasse partie du processus, et que la citoyenneté soit issue de ce processus?

Mme Dench: L'apatridie est, d'une certaine façon, la contrepartie de votre argument.

Nous proposons que soient mentionnées nos obligations internationales en matière de réduction de l'apatridie et que soit incluse dans le projet de loi une disposition indiquant que la loi doit être interprétée conformément au principe de réduction de l'apatridie.

Le sénateur Grafstein: Nous n'avons pas signé cette convention.

Mme Dench: Nous avons signé la Convention de 1961 sur la réduction de l'apatridie. Par contre, nous n'avons pas signé la Convention de 1954 relative au statut des apatrides.

Le sénateur Joyal: Pourrions-nous avoir un exemplaire des conventions que nous avons signées?

Le sénateur Grafstein: Il y a deux conventions distinctes.

Le sénateur Pearson: L'une est une convention internationale et l'autre une convention de l'OEA. Nous n'avons pas signé la convention relative aux droits de la personne de l'OEA.

Le sénateur Joyal: Nous pourrions peut-être avoir copie de la convention que nous avons signée, monsieur le président.

Le vice-président: Je vais m'en occuper. Continuons.

Le sénateur Andreychuk: Le sénateur Joyal a abordé les questions de recours judiciaire et du droit d'accès aux tribunaux. La ministre semblait dire hier -- et j'espère que je l'ai bien comprise -- que le recours aux tribunaux était considéré par bien des gens comme une mesure excessive qui prenait trop de temps. Dans d'autres cas, d'autres disaient que ce recours était insuffisant et que la Cour fédérale était la seule à laquelle on pouvait avoir recours. On n'y a fait allusion ici. La ministre semble avoir défendu le processus prévu dans le projet de loi en disant que le recours au ministre et au Cabinet est plus souple et offre davantage d'options humanitaires pour éviter que les citoyens soient privés de leur citoyenneté.

Par le passé, qu'il s'agisse de questions de droit pénal ou de questions d'immigration et de citoyenneté, nous avons toujours eu recours au processus judiciaire. Il existait une procédure judiciaire et les questions humanitaires étaient traitées en dernier recours, si l'on veut, par le Cabinet. Une fois que la cour avait déclaré que le demandeur avait été jugé de façon légitime, qu'elle estimait qu'il était dans son tort et qu'il fallait lui retirer sa citoyenneté, il existait un autre mécanisme qui permettait d'en appeler de la décision devant le Cabinet pour des motifs humanitaires ou pour d'autres motifs.

Il me semblait que nous avions le meilleur système judiciaire et le meilleur pouvoir discrétionnaire pour l'exécutif.

Dans ce projet de loi, la ministre semble avoir changé tout cela et il semble maintenant préférable d'avoir recours à l'exécutif. Qu'en pensez-vous, dans votre optique?

M. Summers: Je comprends qu'il faut tenir compte des aspects humanitaires et vous avez raison, les tribunaux ne sont pas toujours en mesure de le faire.

Le problème, c'est que ce processus est très fermé. Le ministre présente un rapport indiquant qu'il faut révoquer ou annuler la citoyenneté d'une personne et ce même ministre, dans le cas d'une annulation, décide si cette personne a présenté des arguments suffisants contre ce rapport. Autrement dit, le ministre est à la fois procureur et juge, ce qui va à l'encontre de tous les principes de justice de notre pays. Les citoyens ont le droit d'être jugés par un arbitre impartial qui écoutera également les deux parties.

Comme je l'ai déjà dit, il est vrai que dans le cas d'une révocation, la décision n'appartient pas au ministre mais au Cabinet. Mais si un ministre, qui est membre du Cabinet, présente un dossier et déclare: «J'ai décidé que la citoyenneté de cette personne doit être révoquée et voilà le document qu'elle a présenté pour prouver que j'ai tort», quelle partie choisira le Cabinet? Il ne s'agit pas davantage d'un processus impartial. Il faut que le processus soit équitable, qu'il soit politique ou juridique. À vrai dire, nous préférons toujours que l'on fasse appel à un groupe d'experts capables de traiter tous les éléments du dossier -- les faits, la loi et les considérations humanitaires.

Mme Dench: Permettez-moi d'ajouter une observation en réponse aux vôtres au sujet de la «tendance». Dans notre organisme, nous constatons que cela se fait dans d'autres domaines, pas seulement dans celui de la citoyenneté. Nous constatons que le ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration s'écarte des procédures judiciaires pour s'orienter vers des procédures administratives sous prétexte que ces dernières sont plus rapides. D'après l'expérience de nos membres sur le terrain, de telles mesures entraînent la possibilité de décisions arbitraires, inéquitables et non uniformes.

M. Wichert: Je suis entièrement d'accord avec ces observations. Dans certains cas, c'est même devenu terrible. Je me souviens qu'en science politique, il y a des années, j'ai étudié les différences entre le système canadien et le système américain et on nous disait que nous pouvions faire confiance aux fonctionnaires de notre gouvernement pour ce qui était de prendre de bonnes décisions. Mais dans le domaine du droit de l'immigration et du statut de réfugié, nous ne pouvons plus leur faire confiance, soit parce qu'ils ont à traiter trop de cas, soit parce qu'ils manquent de formation ou de compréhension, soit parce qu'ils ont une approche que nous jugeons inverse, c'est-à-dire en fonction du nombre de personnes qu'il faut refouler plutôt qu'en fonction du nombre qu'il faut laisser entrer au pays. Il existe un manque total de transparence. Ce n'est pas seulement une question d'impartialité, c'est aussi une question de transparence. En adoptant un tel processus de décision, on entraînera l'écroulement de tout le système.

Le sénateur Andreychuk: Je suis très troublée par cet article qu'on a ajouté au sujet de l'intérêt public. Je remarque que vous en avez parlé.

D'après mon interprétation du projet de loi, toutes les façons dont une personne peut menacer le Canada -- par des actes criminels, de la littérature haineuse, et cetera -- sont traitées ailleurs dans le projet de loi. Je me suis donc demandé en quoi l'intérêt public était différent des diverses catégories qu'on trouve à l'article 28, par exemple. J'ai posé la question à la ministre et le seul exemple qu'elle m'a donné était celui des semeurs de haine. Lorsque nous lui avons dit que c'était de toute façon un délit criminel, un acte interdit qui est nécessairement dans d'autres lois, elle a dit que la disposition visait tous les cas où une personne pourrait déshonorer le Canada.

Pourriez-vous me dire si dans votre travail vous avez connu des cas qui n'étaient pas visés par les anciennes dispositions -- des cas où le SCRS aurait pu faire une surveillance, des cas indéterminés, des cas de trahison, de menace, d'infractions au Code criminel, par exemple? Dans votre travail de tous les jours, quelles sortes de cas pourraient relever de cette disposition de l'intérêt public et n'être visés par aucune autre disposition?

M. Summers: Tout ce qui me vient à l'esprit c'est que la ministre essaie de tenir compte des cas où il n'existe pas de preuve suffisante pour obtenir une condamnation, ou encore les cas des personnes relativement célèbres. Pour prendre un exemple extrême, il pourrait s'agir d'un dictateur qui n'a peut-être jamais été accusé ou condamné de quoi que ce soit dans son propre pays ou à qui on aurait accordé le pardon, lorsqu'il aurait quitté son poste, simplement pour se débarrasser de lui. Nous ne voulons peut-être pas qu'une telle personne vienne s'établir ici. Cette disposition pourrait permettre au gouvernement de refuser cette personne. Je suis sûr que cela peut se définir. Cela vaudrait mieux que de parler simplement de l'intérêt public, car cet énoncé s'applique à trop de gens. Comme mon collègue l'a dit, ce n'est pas transparent. Comment peut-on savoir comment sont prises les décisions de ce genre?

Le sénateur Andreychuk: Vous considérez donc qu'il devrait y avoir un article bien défini qui permette de traiter ces cas avec les autres, avec les mêmes droits d'examen et d'appel?

M. Summers: Ces gens-là devraient certainement avoir eux aussi des droits. D'après la Constitution, tout le monde au Canada a droit à une audience impartiale. S'ils ne sont pas des citoyens -- et on suppose qu'ils n'ont pas de statut à cette étape -- ils n'ont peut-être pas autant de droits, mais ils ont le droit d'être traités équitablement.

Le sénateur Andreychuk: Mais ne parle-t-on pas de gens qui ont déjà la citoyenneté?

M. Summers: Non. L'article 22 vise les personnes qui demandent la citoyenneté. C'est le seul endroit où l'on trouve ce critère de l'«intérêt public».

Le sénateur Andreychuk: Oui, vous avez raison.

Le sénateur Pearson: J'ai deux questions à poser. La première fait suite à celle du sénateur Andreychuk. Je constate qu'il existe au Canada et à l'étranger un climat croissant de colère envers les cas d'impunité. L'affaire Pinochet en est un bon exemple.

Dans certains cas, on a accordé le pardon ou l'immunité à certaines personnes. Mais peu importe que Pinochet ait été amnistié, nous disons que nous ne voulons toujours pas de lui. Heureusement, les autres n'en veulent pas non plus.

Je reviens d'une conférence sur les enfants touchés par la guerre. Des pressions énormes sont maintenant exercées pour qu'on discute de la question de l'impunité. L'impunité, cela signifie que vous n'êtes pas tenu responsable de vos actes.

À mon avis, ce projet de loi essaie de tenir compte des cas de ces gens qui n'ont jamais été accusés de quoi que ce soit. C'est un problème difficile et j'aimerais savoir ce que vous en pensez.

Il y a des gens qui ont gravement bafoué le droit des enfants ou qui les ont recrutés dans les forces armées, bien que cette activité soit encore légale tant que le protocole optionnel n'a pas été signé. Que peut-on faire dans de tels cas?

Mme Dench: Le Conseil canadien pour les réfugiés s'intéresse beaucoup à la question de l'impunité, et encourage le gouvernement du Canada depuis déjà plusieurs années à agir dans ce dossier.

La politique actuelle du gouvernement vise à obtenir l'expulsion de ceux qui ont commis des crimes contre l'humanité ou des crimes de guerre. Cela ne suffit pas, ils doivent être traduits devant les tribunaux. Simplement les expulser du Canada vers un endroit où on ne les traduira peut-être pas en justice ce n'est pas vraiment s'acquitter de nos obligations envers la lutte contre les crimes contre l'humanité.

Pour ce qui est du projet de loi actuel sur la citoyenneté, nous ne croyons pas que la meilleure façon de régler le problème est d'établir des catégories discrétionnaires qui permettront d'empêcher certaines personnes de devenir citoyen canadien. La façon de procéder est la suivante: ils ont commis des crimes et ils devraient être traduits devant les tribunaux pour leurs activités criminelles.

Nous sommes au nombre de ceux qui ne veulent absolument pas que ces personnes vivent en paix et en toute tranquillité au Canada; cependant nous nous opposons carrément aux dispositions discrétionnaires parce qu'elles ne permettent pas d'assurer une application régulière de la loi ou la justice. C'est ce que nous recherchons d'abord et avant tout.

M. Wichert: Il faut simplement passer de la parole au geste. Si nous révoquons la citoyenneté accordée dans certains de ces cas, cela veut dire que nous nous déchargeons du problème sur un autre pays et un autre territoire. Puis on se plaindra de l'impunité qu'on accordera peut-être à ces gens.

Il y a deux façons d'aborder la question. Le ministre Axworthy depuis les 24 derniers mois fait beaucoup la promotion de la Cour internationale de justice. C'est une façon de procéder. L'autre serait de traduire ces personnes devant les tribunaux au Canada et créer un modèle et un processus pour faire le procès de ces personnes de façon juste et équitable au Canada.

Les paragraphes f) et g) de l'article 28 du projet de loi font mention du paragraphe 7(3.71) du Code criminel qui porte sur les crimes de guerre et les crimes contre l'humanité. Nous devons cependant sérieusement étudier la possibilité de traduire ces personnes devant les tribunaux au Canada.

[Français]

Le sénateur Nolin: La ministre nous a dit hier qu'il n'y avait pas de différence majeure entre l'ancienne loi et la loi actuelle. Il est certain que nous devons faire une exception quant à l'article 21, au sujet de la question de l'intérêt national. Toutefois, si on oublie la question d'intérêt public et le pouvoir discrétionnaire du Cabinet, quelle est votre réaction face à une telle affirmation de la ministre, c'est-à-dire à l'effet qu'il n'y ait pas une différence majeure entre l'ancienne et la nouvelle loi?

Mme Dench: De notre point de vue, il y a des changements, des modifications majeures qui devraient nous préoccuper. Effectivement, on en parle. Ce sont des changements qui auront un impact où certaines personnes qui auraient pu obtenir la citoyenneté ne l'auront pas. D'autres modifications feront en sorte que des gens qui auraient la citoyenneté se la verraient enlever.

Le sénateur Nolin: Avez-vous une opinion, monsieur Summers?

[Traduction]

M. Summers: Des modifications ont été apportées. Conformément à la loi, les gens ont un meilleur accès à l'examen d'une décision. Je ne peux pas vous citer les articles pertinents. Je n'ai que le projet de loi sous les yeux.

[Français]

Le sénateur Nolin: Je veux revenir à la question de M. Pinochet. Si M. Pinochet avait commis au Canada les actes qu'il a commis au Chili, il aurait été assujetti au Code criminel canadien. Il y a déjà une disposition, dans le projet de loi que nous avons devant nous, qui ferait en sorte que M. Pinochet se verrait refuser son droit à la citoyenneté.

J'attire votre attention à l'article 28c). Cet article serait-il applicable pour une telle situation? Vous êtes plus en mesure que moi de comprendre toutes ces technicalités et toutes ces situations concernant des étrangers qui veulent entrer au Canada ou qui veulent devenir des citoyens canadiens.

Le nom de M. Pinochet a été soulevé. Il n'y a pas de doute qu'un individu qui a commis un acte, et qui serait un acte criminel au Canada, déshonorerait notre pays si on lui accordait la citoyenneté canadienne. Le projet de loi prévoit déjà une solution pour empêcher justement qu'un tel individu obtienne la citoyenneté canadienne.

[Traduction]

Mme Dench: J'aimerais signaler qu'en plus de ce que vous avez mentionné, il ne faut pas oublier la Loi sur l'immigration. Si quelqu'un est venu d'un autre pays, il a émigré au Canada et est devenu résident permanent aux termes de cette loi, qui comprend des dispositions sur l'inadmissibilité. Quelqu'un comme Pinochet ferait partie des catégories non admissibles aux termes de la loi. Si cette personne arrivait d'une façon ou d'une autre à obtenir le statut de résident permanent en attendant trois ans pour recevoir la citoyenneté, le ministère de l'Immigration aurait tout le temps voulu pour agir et le déclarer non admissible et annuler son statut de résident permanent.

Le sénateur Nolin: Nous posons ces questions afin de découvrir pourquoi le gouvernement veut avoir ce pouvoir. C'est là le problème. Nous avons une Charte des droits. Je sais que ce n'est pas toujours facile, mais il nous faut respecter les dispositions de la Charte.

Monsieur Summers, je n'essaie pas de vous poser une question de nature juridique; cependant, compte tenu de votre expérience, vous savez pertinemment que les gens peuvent mentir. On en tient compte. Le Conseil des ministres peut composer avec ce problème et les tribunaux ne sont pas toujours l'endroit idéal pour traiter de ce genre de problèmes.

Cependant, il se pourrait qu'il y ait une personne qui n'a pas menti, qui a respecté toutes les conditions et modalités, et qui peut recevoir la citoyenneté, sauf que nous ne voulons pas de cette personne parce qu'elle fait publiquement des commentaires que nous jugeons indésirables.

Je reviens à la réponse que vous avez donnée un peu plus tôt. Vous avez dit que vous n'êtes pas venus nous dire que tout le monde devrait devenir citoyen canadien. C'est ce que vous avez dit. Je veux que vous vous rappeliez d'une personne en particulier. Je ne veux pas entendre le nom, mais je veux que vous pensiez à une personne qui, à votre avis, n'est pas bienvenue au Canada, peut-être parce que cette personne a dit quelque chose qui va à l'encontre de vos valeurs, de vos principes, de vos croyances. Avant que vous ne répondiez, j'aimerais vous rappeler que, même si vous n'êtes pas un citoyen de ce pays, vous avez le droit de dire ce que vous voulez.

Je vous pose la question suivante: est-ce que vous vous en tenez à votre opinion?

M. Summers: Oui, j'ai toujours la même opinion.

Le sénateur Nolin: Il y a donc des gens dont vous ne souhaitez pas qu'ils deviennent citoyens de ce pays, n'est-ce pas?

M. Summers: Absolument. On peut penser à des cas particuliers ou se placer d'un point de vue théorique, mais il y aura toujours des gens qui ne méritent pas de recevoir la citoyenneté canadienne. Mais je considère que ce n'est pas là le problème. C'est au contraire de savoir si la procédure de refus de la citoyenneté est équitable.

Vous dites que l'alinéa 28c) pourrait couvrir l'exemple de Pinochet qui a été évoqué ici. Ce n'est pas certain. L'individu en question a été accusé en Espagne, et non pas dans son propre pays; on peut donc se demander s'il a véritablement été accusé.

Le Conseil canadien pour les réfugiés est inquiet car de nombreux États se servent malheureusement de leurs procédures pénales à des fins de persécution. Bien des gens qui trouvent refuge ici ont souvent été accusés d'infractions dont ils ne sont pas coupables. On les a accusés pour se débarrasser d'eux.

Les choses ne sont pas aussi tranchées. Il y a des zones d'ombre. À moins d'avoir une procédure intelligible pour les experts et qui leur permette d'éliminer ces zones d'ombre, il ne peut pas y avoir d'équité.

Le sénateur Nolin: Vous prêchez donc en faveur d'une procédure et d'une audience équitable, n'est-ce pas?

M. Summers: Oui.

Le sénateur Pearson: Je voudrais poser une question supplémentaire, qui fera peut-être progresser le débat.

Lors d'une récente réunion d'Interpol, il a été question des pédophiles. Interpol les connaît et sait où ils se trouvent. Leurs mouvements ont été mis au jour, ici comme à l'étranger, mais Interpol a bien du mal à porter des accusations. Peut-être pourra-t-on appréhender les pédophiles grâce à cet article.

Je sais bien qu'il faut des règles de procédure, mais je comprends que le gouvernement veuille nous protéger de certaines catégories d'individus.

Le sénateur Andreychuk: Vous parlez de la procédure d'immigration, et non pas de la citoyenneté.

Le sénateur Pearson: Non, je parle de personnes qui sont au Canada avec le statut d'immigrant reçu. Elles peuvent répondre en toute franchise, puisqu'elles n'ont jamais été accusées, mais Interpol les connaît et nous les signale.

M. Summers: Je voudrais vous signaler l'alinéa 28f), sur les personnes qui font l'objet d'une enquête policière. C'est là une catégorie d'individus auxquels on peut refuser d'accorder la citoyenneté. Leur cas est déjà réglé. S'il est défini ici, il n'est pas régi par la notion d'«intérêt public» évoqué à l'article 22.

Le vice-président: Cet article ne se limite-t-il pas aux individus soupçonnés de crimes de guerre? C'est apparemment le cas.

Le sénateur Joyal: Sur ce point particulier, il faut admettre que la disposition s'applique à une enquête prévue dans le Code criminel du Canada, par conséquent à une infraction grave. Il ne peut s'agir d'un individu recherché par la police parce qu'il n'a pas acquitté une contravention de stationnement. On parle ici d'un crime au sens du Code criminel. La pédophilie est interdite et sanctionnée par le Code criminel. Il s'agit donc d'un motif réel. C'est une restriction bien définie à l'intérieur de limites précises; ce n'est pas n'importe quoi.

La notion d'«intérêt public» est très vague. Il y a 20 ans, on aurait pu invoquer l'intérêt public pour refuser la citoyenneté à des conjoints de même sexe. On ne peut plus le faire aujourd'hui, à cause de la décision rendue l'année dernière par la Cour suprême. Ce qui est interdit aujourd'hui sera peut-être accepté un jour. On ne peut pas mettre dans cette catégorie tout ce qui ne fait pas l'objet d'une protection actuellement.

Nous nous targuons de vivre dans une démocratie libérale, mais qu'advient-il de la démocratie libérale dans cette définition de l'«intérêt public», qui me semble bien mystérieuse.

M. Summers: Et de surcroît, il y a 50 ans, la possibilité d'invoquer l'intérêt public dépendait de la couleur de la peau.

Le vice-président: Il y a deux questions différentes ici: la procédure judiciaire et les conclusions du Cabinet quant à l'intérêt public. Je ne vous ai pas entendu dire si vous étiez pour ou contre ce double recours, si vous me permettez l'expression. Dois-je en conclure que vous acceptez cette structure? Les deux procédures sont bien différentes. Je suis rassuré si l'accès aux tribunaux est garanti en tout temps, car c'est la seule façon d'assurer le respect de la règle de droit et du principe de l'accès à la justice.

Je ne suis pas contre une deuxième possibilité, comme celle fondée sur l'intérêt public, mais il y a un problème, et c'est celui de la définition de cette notion. Si elle n'est pas définie dans la loi, ce sont les tribunaux qui vont la définir.

Le sénateur Joyal: À condition qu'on ait accès aux tribunaux.

Le vice-président: C'est un préalable, évidemment.

Le sénateur Andreychuk: C'est un préalable de taille.

Le sénateur Grafstein: Je voudrais remercier les témoins, qui nous ont ouvert l'esprit de façon très intéressante. Ils nous ont aussi lancé un défi considérable, à nous et à nos collaborateurs.

J'ai regardé une partie de la documentation pendant le débat de ce matin. Malheureusement, nous n'avons pas eu la possibilité de la consulter à l'avance, ce qui nous aurait permis de cerner le sujet de plus près. Je remarque qu'une bonne partie de ces dispositions devraient davantage relever de la Loi sur l'immigration. Vous pourriez peut-être revenir sur votre argumentation pour voir si elle ne s'applique pas plus à l'immigration qu'à la citoyenneté. Nous nous occupons ici de la Loi sur la citoyenneté, qui se situe à un niveau plus élevé de responsabilités.

Je ne prétends pas que vos arguments ne puissent pas s'appliquer dans les deux cas, mais j'ai l'impression qu'on a ici un peu tendance à naviguer de l'un à l'autre. Je ne vous demande pas votre avis là-dessus, mais je vais demander à nos attachés de recherche d'étudier les mémoires et de déterminer les catégories qui relèvent à proprement parler de l'immigration et non pas de la citoyenneté.

M. Summers: En réalité, les deux sont étroitement liées. Peut-être est-ce la faute du gouvernement qui a mis dans le projet de loi des éléments se rapportant à l'immigration.

Au Conseil canadien pour les réfugiés, nous nous occupons de personnes qui viennent chercher refuge ici. Nous veillons à ce qu'elles obtiennent de la protection et à ce qu'elles puissent toujours compter sur de la protection.

Le sénateur Grafstein: Il serait utile de distinguer les deux éléments. Il y a deux processus de sélection. Le premier permet à la personne d'arriver au Canada, tandis que le deuxième accorde la plus haute récompense qui soit, c'est-à-dire la citoyenneté. Il y a des personnes qui sont autorisées à se trouver au Canada mais qui n'ont pas droit à la citoyenneté pour différentes raisons.

Peut-être n'êtes-vous pas d'accord, mais tout le monde a la possibilité de demander la citoyenneté. Il s'agit de savoir qui peut l'obtenir et à qui il convient de la refuser.

Pour l'instant, vous pourriez peut-être y repenser et essayer de démêler les questions, ce qui nous serait très utile. Vous pouvez dire aussi que tout ce que vous avez dit s'applique à la Loi sur la citoyenneté. Je comprends bien le rapport entre les deux éléments.

Mme Dench: Le mémoire du Conseil canadien pour les réfugiés porte exclusivement sur la Loi sur la citoyenneté. Je suis désolée que vous n'ayez pas eu l'occasion de le lire à l'avance. Nous l'avons envoyé mardi dernier. Nous parlons de la loi sur la citoyenneté.

Le sénateur Grafstein: Je l'ai lu. On y parle de l'«intérêt national», et non pas de l'«intérêt public». C'est le document de M. Summers.

M. Summers: Mme Dench et moi faisons partie du même conseil. J'ai fait le même commentaire dans mon exposé.

Le sénateur Grafstein: Il donne à réfléchir. Je vais le relire plus attentivement et j'en tirerai mes propres conclusions. Nous aurons aussi l'avis de nos attachés de recherche.

M. Wichert: En réalité, l'article 16 relie étroitement les deux domaines. Son paragraphe 3 indique comment on devient résident permanent.

Le sénateur Grafstein: C'est une sorte de fusion.

M. Wichert: C'est une deuxième ligne d'attaque pour les autorités de l'immigration, qui peuvent dire: «Cet individu aurait dû être appréhendé dès le départ mais il nous a échappé; nous avons maintenant une deuxième possibilité de l'attraper» ou «si la première décision ne nous plaît pas, il nous faut une deuxième possibilité d'intervention immédiate».

Le sénateur Grafstein: Il y a trois autres sujets. Je vais tenter de les aborder brièvement. Vous nous avez donné beaucoup de matière à réflexion. Je vous remercie beaucoup de ce mémoire.

Vous avez avancé cette idée intéressante que si en fait quelqu'un arrive ici impunément, la politique publique devrait prévoir que nous intentions immédiatement des poursuites, ou encore, que nous nous en remettions à une autre instance compétence, ou encore, nous devrions consulter la Commission interaméricaine des droits de l'homme. Du point de vue de la politique publique, il serait utile que le comité examine toute une gamme d'options. Je vous remercie d'avoir attiré notre attention sur cette question. Du point de vue de la politique publique, nous avons de nombreuses décisions à prendre.

Permettez-moi maintenant de passer à la position de la ministre pour vous demander ce que vous en pensez. Regardons ensemble l'article 44. Cela intéressera aussi le sénateur Maheu. Elle a parlé très éloquemment de la position de la ministre. Au coeur de l'argument de celle-ci se trouve l'idée que la citoyenneté est un privilège accordé, en fait, par le gouvernement, et que par conséquent, c'est la responsabilité de la ministre de retirer ce privilège. C'est une question de politique publique, lourde de conséquences.

Le vice-président: Vous résumez ce qu'a dit la ministre pour les témoins.

Le sénateur Grafstein: Oui, c'est mon interprétation de ce qu'a dit la ministre. Son argumentation repose essentiellement sur le fait qu'un ministre doit rendre des comptes à la population alors que les tribunaux ne sont pas astreints au même niveau de responsabilité.

Dites-moi ce qu'elle entend au paragraphe 44(1). Qu'en pensez-vous?

M. Summers: Elle fait ce que tout ministre fait; elle prend les dispositions nécessaires pour que les fonctionnaires fassent le travail réel.

Le sénateur Grafstein: Rien de plus? Je ne critique pas la ministre. Il s'agit d'une analyse systémique. Il s'agit de reddition de comptes et de gouvernement responsable. La ministre, aux termes du projet de loi, assume la responsabilité et fait valoir qu'elle a des comptes à rendre à la Chambre des communes, à juste titre. Ensuite il faut songer à la procédure et au nombre -- vous avez tous fait allusion au fait qu'il y a de nombreux cas -- or, qui s'en occupe?

On nous a dit hier soir qu'il y a entre 10 000 et 15 000 cas visés par un seul article. Personne ne nous a encore donné une analyse du nombre de personnes touchées par cette procédure. Nous savons que nos tribunaux sont engorgés. Nous le savons. On nous dit qu'un tiers de toutes les affaires devant les tribunaux fédéraux porte sur des revendications autochtones. C'est un nombre énorme. M. Wichert nous dit que la Commission de l'immigration et du statut de réfugiés est engorgée. Les gens n'obtiennent pas les décisions qu'il leur faut. C'est une question de temps, d'énergie et d'attribution des ressources.

À mon avis, nous devons comprendre les procédures avant d'adopter cette loi, qu'elles soient ministérielles ou juridiques. Nous devons comprendre ce que nous mettons en marche ici. Que pouvons-nous faire par voie de droit régulière? Quelles sont les voies de droit régulières -- le droit d'obtenir une décision dans des délais raisonnables?

Quand je regarde ce projet de loi, je me dis que ce n'est pas la ministre, mais un fonctionnaire, qui n'est pas nommé, autorisé par la ministre, par le moyen d'une lettre invisible, qui prendra la décision fondée sur les principes qu'il considère appropriés, fondée sur «l'intérêt public». Alors la ministre donnera son aval parce qu'elle est assise là et a des douzaines de dossiers à signer. Nous savons que comme ministre on est très occupé.

Vous pouvez nous aider sur cette question systémique. J'aimerais votre réaction à ce que j'ai dit. Pouvez-vous nous donner des données statistiques à l'appui de la procédure proposée ici? De quoi s'agit-il au juste, soit aux termes du code actuel ou de cet autre code? J'ai l'impression que les nombres sont énormes. Les commissions sur le statut de réfugié à Toronto disent uniquement qu'elles sont engorgées. Quelles sont les données? Qu'entreprend la ministre? Si nous décidons de charger les tribunaux des voies de droit régulières, qu'est-ce que nous demandons aux tribunaux? Peuvent-ils entreprendre cette tâche sans créer encore une fois une commission distincte? Une de vos idées consiste à créer encore une commission publique pour traiter de ces dossiers.

Mme Dench: En ce qui concerne la reddition de comptes, nous estimons que c'est au gouvernement de rendre des comptes en mettant en place une procédure équitable. Nous ne nous attendons pas à une reddition de comptes de la part de la ministre pour chaque décision, car manifestement, un grand nombre de décisions seront prises par ses délégués. On ne peut s'attendre à ce qu'elle assume personnellement la responsabilité de chaque décision.

Nous n'avons pas de chiffres à notre disposition. Le ministère pourra probablement vous en fournir. Nous avons l'impression que ce n'est pas tous les jours que l'on révoque la citoyenneté de quelqu'un. Je ne penserais pas que cela représente une partie importante des travaux de la Cour fédérale.

M. Summers: D'après mon expérience, et je pratique le droit de l'immigration depuis 10 ans, ce genre d'affaires ne se présente pas très souvent.

J'aimerais répondre, si vous me le permettez, à ce que vous avez dit à propos de l'établissement d'une nouvelle commission. Ce n'est pas ce que nous avons dit. Nous avons dit qu'il devrait y avoir un groupe d'experts. En fait, il y a déjà plusieurs commissions qui pourraient facilement se charger de ces dossiers si la charge de travail n'est pas lourde. Immédiatement, je songe à la Commission de l'immigration et du statut de réfugié.

Le sénateur Joyal: J'ai été secrétaire d'État responsable de la citoyenneté pendant deux ans et demi. D'après moi, il y avait peut-être quatre ou cinq cas par année. Il ne s'agit pas de milliers de cas.

Le sénateur Grafstein: Il est important de le consigner au compte rendu, car la ministre peut prétendre à juste titre que cela va engorger le système ou pas. Nous n'avons pas encore eu de données à ce sujet.

Permettez-moi de passer au sujet déjà abordé par le sénateur Andreychuk. «L'intérêt public» s'inscrit dans des paramètres très définis. Si nous envisageons ce qui se passe aux États-Unis, la définition de «l'intérêt public» qui s'applique à toute une gamme d'activités, comporte de nombreuses définitions juridiques. Toutefois, ces définitions sont beaucoup plus étroites que celle «d'intérêt national» qui touche différents domaines.

Puisque vous avez soulevé la question, vous pourriez peut-être nous proposer comment définir, à des fins judiciaires, la nature de l'intérêt public de sorte que nous soyons rassurés, jusqu'à un certain point, sachant que nous avons une définition générale ou un critère général. Cela nous serait très utile.

Le vice-président: Cela me plairait aussi, personnellement, mais n'oubliez pas que le ministère de la Justice va aussi comparaître.

Nous devons avoir les deux points de vue, celui du ministère et celui des réfugiés.

Le sénateur Grafstein: J'aimerais beaucoup savoir ce que signifie «l'intérêt public» pour ces témoins, car je pense que nous aurons des versions différentes. Les références sont nombreuses. Il y a de nombreux cas sur cette question aux États-Unis, dans différents contextes. Il y en a moins au Canada.

Cela nous aiderait, ce serait très utile.

Mme Dench: Je ne suis pas convaincue de pouvoir vous aider, car dans nos discussions sur cette question, nous nous sommes surtout concentrés sur l'introduction au départ de l'idée d'intérêt public dans le projet de loi. Ce n'était pas notre suggestion. Nous avons dit au gouvernement que nous n'étions pas heureux de voir cette expression polyvalente dans le projet de loi et d'autant plus qu'elle n'est pas définie.

Je dirais toutefois que si le gouvernement estime cette échappatoire importante et nécessaire, ce critère supplémentaire pour rejeter les demandes, à tout le moins, il doit le définir.

Le sénateur Grafstein: Peut-être pourrions-nous procéder différemment. Si nous obtenons une réponse du ministère, nous pourrions vous donner l'occasion de nous répondre par écrit. En fin de compte, il est très important pour nous de préciser l'objet de ce projet de loi.

Si cela intéresse le gouvernement, voyons ce qu'il entend par «intérêt public». La définition n'est pas aussi vague qu'on pourrait le penser, mais son application est très difficile. Par conséquent, il est très important pour nous de bien en comprendre le sens. Comme l'a suggéré le sénateur Andreychuk, peut-être conclurons-nous qu'il faut inclure une définition de ce qui constitue l'intérêt public, à titre indicatif.

Je suis frappé par l'idée qui ressort des articles 16 et 14; c'est-à-dire qu'on peut croire être citoyen parce qu'on appartient à une deuxième ou troisième génération, et apprendre qu'on a perdu sa citoyenneté sans recours ou avis.

J'ai interrogé la ministre à ce sujet. Je lui ai donné l'exemple d'enfants et de petits-enfants de citoyens canadiens qui travaillent à l'étranger comme missionnaires et qui se considèrent Canadiens. Il y a encore des missionnaires de deuxième et de troisième génération qui travaillent à l'étranger.

Que pensez-vous de cette situation? Le fonctionnaire du ministère nous a dit hier que ces personnes devraient faire connaître leur situation au consul général. Le projet de loi prévoit le recours au ministre afin d'obtenir à nouveau la citoyenneté pour des raisons d'ordre humanitaire, ce qui n'est pas la façon habituelle d'obtenir la citoyenneté. Normalement, si vous l'avez, vous l'avez.

Pouvez-vous nous aider à résoudre cette énigme?

Mme Dench: Je partage vos préoccupations, surtout en ce qui concerne l'information. Souvent on est admissible mais on ne le sait pas. Outre votre exemple, j'ai l'impression que de nombreux Canadiens passent une partie de leur vie à l'étranger, ont peut-être des enfants nés à l'étranger, mais reviennent immédiatement au Canada. D'autres vivent presque toute leur vie ici mais parce qu'au moment de leur naissance, leurs parents étudiaient ou travaillaient à l'étranger, ils sont nés à l'étranger. Leur seul pays est peut-être le Canada.

Il semblerait que l'on puisse perdre sa citoyenneté sans même le savoir. Certains pourraient même vivre ici au Canada sans se donner la peine de présenter une demande parce qu'ils ne se rendent pas compte que leur citoyenneté est menacée. Qui leur dira qu'ils ne sont plus citoyens? Ils pourraient présenter une demande de passeport à l'âge de 50 ans et ce n'est qu'alors qu'ils apprendront que depuis 22 ans, ils n'ont plus la citoyenneté.

Le sénateur Grafstein: Je suis tombé sur le cas d'une femme qui s'est mariée au Canada, a vécu ici 65 ans et a ensuite demandé un passeport pour la première fois. Parce qu'elle n'avait pas présenté de demande de citoyenneté, on a refusé de lui délivrer un passeport et elle a dû attendre trois ans pour obtenir sa citoyenneté et un passeport.

Il y a aussi une question administrative dans ce cas.

Le vice-président: Avant de partir, le sénateur Nolin a dit qu'il nous faudrait évidemment approfondir l'aspect juridique. Plus j'entends les témoignages et plus je suis convaincu qu'il va falloir examiner, d'une façon beaucoup plus détaillée, les aspects juridiques. Par exemple, la question de «l'intérêt public» est absolument fondamentale tout comme le recours à la Cour d'appel. Nous devons mieux connaître le point de vue du ministre et des réfugiés sur cet aspect.

Nous allons probablement discuter de la question d'un examen juridique à la prochaine réunion du comité directeur.

Le sénateur Pearson: Je m'intéresse à la question des enfants apatrides. Je me préoccupe également de la situation des mineurs non accompagnés, des demandeurs d'asile et de divers autres sujets connexes. Je ne suis pas convaincue que certains des enfants qui arrivent non accompagnés sont traités avec équité.

Partagez-vous mon avis?

Mme Dench: Nous sommes très préoccupés par le traitement des mineurs non accompagnés, surtout en Colombie-Britannique, en Ontario et au Québec. En Ontario et au Québec, on a placé ces mineurs sous garde pendant de très longues périodes. Il y a une lacune sur le plan des compétences. Il semble qu'aucun palier de gouvernement n'assume la responsabilité de veiller aux meilleurs intérêts de ces enfants. En fait, à une réunion récente, nous avons convenu que nous allions constituer un groupe de travail pour élaborer des politiques ou des recommandations visant les mineurs non accompagnés.

[Français]

Le vice-président: Dites-vous que la période de détention est plus longue au Québec?

Mme Dench: Au Québec, un groupe de mineurs a été détenu pendant environ six mois. J'ignore si la situation a changé récemment, mais un autre groupe a aussi été détenu pendant au moins six mois en Ontario.

[Traduction]

M. Wichert: C'est là une question en ce qui concerne les enfants et les mineurs non accompagnés, mais il y a un autre énorme sujet de préoccupation. Il découle du paragraphe 16(3). On ne définit pas l'idée de fausse déclaration ou de fraude. Les responsables de l'immigration nous disent qu'ils ne s'y tromperont pas.

Ces enfants sont l'exemple parfait. Qui les aide à remplir les documents lorsqu'ils arrivent ici? Ce n'est pas uniquement une question de langue. Il y a aussi la complexité des questions portant sur le nombre de membres de la famille, le genre d'activités auxquelles ils se sont adonnés, les organisations politiques ou sociales auxquelles ils appartenaient peut-être. Des années plus tard, à cause de certaines réponses, cette disposition pourrait s'appliquer et entraîner la révocation de leur citoyenneté. Cela nous préoccupe.

Le sénateur Maheu: Pouvez-vous nous en dire plus long au sujet de la détention de six mois de jeunes au Québec? Vous pouvez faire parvenir votre réponse par écrit au président, si vous le souhaitez, et il m'en transmettra copie.

J'ai une dernière question sur les fausses déclarations et la révocation de la citoyenneté. J'aimerais que M. Summers nous donne son opinion. Jules Deschênes a identifié 12 ou 13 criminels de guerre dans le cadre de son travail, et ensuite quelqu'un d'autre a fait une autre étude. On y révélait qu'il y avait 200 à 250 criminels de guerre de plus qui, à toutes fins utiles, sont maintenant des citoyens canadiens. Leurs noms se trouvent dans une enveloppe scellée. Je ne sais pas au juste si on a déjà ouvert l'enveloppe ou si on va le faire.

Ces gens sont peut-être ici depuis 40 ou 45 ans. À mon avis, ces personnes devraient perdre leur citoyenneté ou tout au moins faire face à cette possibilité.

M. Summers: La question c'est justement que c'est une possibilité. Nous ne savons pas nécessairement quelles sont les preuves contre chacune de ces personnes. Nous ne savons même pas qui elles sont. Leurs noms sont dans enveloppe scellée.

Le sénateur Maheu: Parlez-vous des 13 autres qui ont été identifiées comme criminels de guerre?

M. Summers: Nous n'aurions peut-être pas dû leur accorder la citoyenneté parce qu'ils nous ont menti et qu'ils ont dissimulé les faits. Maintenant ce sont des citoyens canadiens et nous devons traiter tous les citoyens canadiens équitablement et justement. Il se peut qu'en dernière analyse, nous révoquions la citoyenneté de ces personnes. Toutefois, si nous commençons à faire des exceptions à la règle de droit où nous retrouverons-nous? S'en tient-on à ces 13 cas, ou est-ce qu'on va loin? Nous prétendons qu'il doit y avoir une procédure équitable pour tous.

Le sénateur Joyal: J'aimerais poser ma question au témoin qui a mentionné la Déclaration américaine des droits et la question de nationalité. Dans une fédération, les questions de nationalité et de citoyenneté peuvent être problématiques. Par exemple, en Suisse, on est citoyen suisse mais également résident d'un canton. À ce titre, on jouit d'un genre de statut particulier qui entraîne un certain nombre de droits. Au Canada, nous ne faisons pas de distinction entre la nationalité et la citoyenneté. Dans votre évaluation des droits qui découlent de la nationalité, ne pensez-vous pas qu'il faut reconnaître que toute personne qui détient la nationalité canadienne détient aussi la citoyenneté canadienne?

M. Wichert: Je ne sais pas au juste si je ferais cette distinction. Je présume que le droit à la nationalité donne accès à la citoyenneté. Cela une seule et la même chose.

Je ne vais pas aborder l'autre aspect qui consiste à permettre aux provinces d'accorder la citoyenneté, comme c'est le cas des cantons en Suisse.

Je ne suis pas convaincu que cela réponde à la question, mais j'estime que les deux, la citoyenneté et la nationalité sont interreliées, si ce n'est une seule et même chose.

Le sénateur Joyal: J'essaie d'obtenir des précisions. Je pense qu'il faut comprendre de quoi il est question. Si la distinction n'existe pas au Canada, il faut en tenir compte dans la façon dont nous traiterons la citoyenneté. Il faut l'inclure dans la définition.

[Français]

Si l'un emporte l'autre, il faut reconnaître les implications du concept et des conséquences à tirer.

[Traduction]

Ce débat n'a jamais eu lieu au Canada parce que c'est un domaine où nous estimons que nous sommes dans ce que j'appellerais une région insondable de la nature de notre pays. Il nous est difficile de saisir les répercussions réelles de ce que nous faisons dans ce projet de loi et ce que ce projet de loi sous-entend, ce qu'il ne dit pas. Jusqu'à quel point le projet de loi doit-il refléter ces idées? Après tout, la citoyenneté est l'expression de la souveraineté d'une nation. Lorsque vous avez un passeport, cela signifie que lorsque vous voyagez à l'extérieur de votre pays, vous avez la nationalité qui figure sur ce passeport. Lorsque vous êtes au pays, lorsque vous restez au pays, vous ne mettez pas la chose en doute. Toutefois, ce droit entre en jeu lorsque vous vous présentez dans un autre pays. C'est pourquoi nous disons toujours: «Tout le monde a droit à une patrie». Voilà ce qu'on revendique en tant qu'être humain. Chacun a besoin d'une patrie. Chacun doit se retrouver quelque part. Je pense qu'il est très important de se rappeler, lorsque l'on discute des répercussions pour ceux qui ont la citoyenneté de naissance et ceux qui l'ont obtenue, qu'il s'agit d'une distinction sur le plan administratif. Toutefois, nous ne définissons pas essentiellement ce que cela signifie, ce que cela est. Voilà pourquoi ce projet de loi me laisse sur mon faim, parce que j'ai l'impression qu'à certains égards, une approche cohérente fait défaut. Je vous demande donc: comment pouvez-vous nous aider à définir cela?

M. Wichert: Comme vous l'avez vous-même mentionné plus tôt, peut-être devrions-nous prévoir un préambule énonçant que le droit à la nationalité est un droit fondamental qui n'émane pas seulement des lois canadiennes, mais de la Déclaration universelle des droits de la personne ou de la Déclaration américaine des droits et devoirs de l'homme. Le droit à la nationalité repose sur d'autres concepts. Il faudrait sans doute définir ces concepts pour pouvoir fonder toute la discussion portant sur le reste du projet de loi.

Le sénateur Finestone: Pouvez-vous nous fournir une définition établissant une distinction entre nationalité et citoyenneté?

M. Wichert: Ai-je une définition? Je ne peux pas vous donner de définition à brûle-pourpoint.

Le vice-président: Dans certains pays, on parle de nationalité et dans d'autres, de citoyenneté. Je pense qu'il vaudrait la peine d'étudier la distinction qu'on fait entre ces deux concepts. Si les deux termes signifient la même chose, nous le saurons et nous saurons aussi pourquoi. Si je ne m'abuse, on ne parle jamais de «citoyenneté» dans les pays francophones. On en parlait à l'époque de la Révolution française, mais aujourd'hui, on parle plutôt de «nationalité». Dans des pays comme le Canada, les États-Unis et la Grande-Bretagne, on utilise le mot «citoyenneté».

Le sénateur Pearson: Dans l'ancienne Union soviétique, on était citoyen de l'URSS, mais on avait aussi la nationalité arménienne, par exemple.

Le vice-président: Ce n'est pas le cas dans notre pays. J'aimerais entendre le point de vue d'un spécialiste sur le sujet.

Le sénateur Grafstein: Nous avons eu ce débat au sujet du serment de citoyenneté. J'ai toujours été d'avis que la citoyenneté est le plus grand bienfait qu'un pays puisse accorder aux gens qui résident à l'intérieur de ses frontières. Voilà pourquoi ce droit doit être protégé.

Pouvez-vous nous définir ce que constitue la citoyenneté au Canada? Vous nous avez dit que si quelqu'un est privé de ce droit, il faut procéder de façon équitable. Vous avez aussi dit que nous devrions essayer d'accorder la citoyenneté à ceux qui ne l'ont pas. Je ne trouve rien à redire à cela. C'est notre politique. La question est cependant de savoir ce que nous essayons de préserver. C'est ce que fait valoir le sénateur Joyal. Qu'est-ce qui est si important que vous pensez qu'on ne devrait pas en priver qui que ce soit? Définissez pour nous, si vous le pouvez, le caractère de la citoyenneté.

C'est une question qu'il est permis de se poser étant donné que chacun d'entre vous a travaillé dans le domaine que ce soit avec des réfugiés, des immigrants et de nouveaux citoyens, et il serait très intéressant que nous connaissions votre conception des droits et des devoirs d'un citoyen. Peut-être pouvez-vous nous expliquer tout cela brièvement.

Mme Dench: Dans l'optique des réfugiés, l'État est censé protéger les droits civils de ses citoyens. Les réfugiés sont des gens qui ont été persécutés dans leur pays d'origine et dont les droits de la personne n'ont pas été protégés.

Les réfugiés qui viennent au Canada ont souvent des sentiments ambivalents au sujet de la citoyenneté. De nombreux réfugiés veulent devenir citoyens canadiens le plus rapidement possible parce qu'ils ont ainsi l'impression que le Canada les protégera de façon permanente. Ils y tiennent beaucoup en raison de ce qu'ils ont vécu.

Par ailleurs, de nombreux autres réfugiés hésitent à devenir citoyens canadiens parce qu'il ne s'agit pas d'un choix de leur part. Ils ont été contraints de quitter leur pays, auquel ils étaient très attachés, et ils sont venus au Canada pour fuir la persécution. Ils ont été forcés de fuir leur pays. Par conséquent, le fait de devenir citoyen canadien signifie pour eux qu'ils rompent avec leur passé et ils ont l'impression d'avoir tout et d'être forcés de commencer une nouvelle vie qu'ils n'ont pas choisie.

Le sénateur Grafstein: Sauf le respect que je vous dois, j'aimerais que nous revenions à la question de la citoyenneté. Il nous serait très utile de savoir quelle est votre conception de la citoyenneté.

Pourriez-nous nous définir les droits et devoirs d'un citoyen en vertu du droit international.

Le sénateur Andreychuk: C'est injuste.

Le sénateur Grafstein: Ce ne l'est pas. C'est exactement ce que vise le projet de loi. Il vise à priver les gens d'un droit par des moyens juridiques ou discrétionnaires. J'aimerais savoir de quels droits on va priver ces personnes.

Le sénateur Finestone: Le droit à la double citoyenneté est maintenu. Pourquoi dites-vous qu'on va priver les gens de ce droit?

Le sénateur Grafstein: Je ne parle pas de la dualité. Je parle de la citoyenneté. C'est une question distincte.

Le vice-président: Nous devons nous souvenir que les réfugiés ont certains droits. La Charte des droits ne s'applique pas seulement aux citoyens canadiens. Les tribunaux ont confirmé à maintes reprises que ceux qui ne sont pas citoyens canadiens jouissent tout de même de droits fondamentaux. Je me dois de leur rappeler.

J'aimerais vous remercier beaucoup d'avoir comparu devant le comité. À mon avis, votre témoignage a été très utile.

La séance est levée.


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