Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles
Fascicule 21 - Annexe 5900 L1/C-16, 21«1»
Le projet de loi C-16
par David Matas
Mémoire de l'Institut des affaires internationales de B'nai Brith Canada présenté au Comité permanent des affaires juridiques et constitutionnelles du Sénat le 26 septembre 2000.Par suite de la décision de la Cour suprême du Canada dans l'affaire Imre Finta en 1994, le gouvernement révoque la citoyenneté des anciens nazis qui ont commis des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité et les expulse du pays, au lieu de les poursuivre. Au cours des six dernières années, B'nai Brith a suivi de près le recours à la révocation de la citoyenneté et à l'expulsion du pays. Nous avons maintenant de nombreux commentaires à formuler sur le caractère adéquat de l'actuelle Loi sur la citoyenneté et du projet de loi C-16.
B'nai Brith considère tous les recours juridiques disponibles contre ceux qui ont commis des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité en se basant sur deux principes. Nous voulons que chaque recours soit efficace pour que l'accusé ne puisse prolonger l'instance indéfiniment et s'en tirer en définitive.
Nous voulons aussi que chaque instance soit équitable. Une instance judiciaire doit faire apprécier nos valeurs par rapport aux valeurs nazies et traiter les auteurs des crimes avec justice, ce qu'ils ont refusé de faire avec leurs victimes. Après l'Holocauste, nous voulons que notre système de justice exerce un effet de dissuasion, qu'il rappelle le souvenir des victimes de celui-ci en affirmant que des tragédies de ce type ne doivent jamais se reproduire.
Ce n'est pas seulement le défendeur qui doit être traité avec équité au cours de l'instance. Les victimes de l'Holocauste doivent également l'être. Le gouvernement n'a pas gain de cause dans chaque poursuite entamée contre un ancien nazi. Lorsque le gouvernement perd sa cause parce qu'il n'est pas traité avec justice, en fin de compte c'est aux victimes qu'on refuse de rendre justice.
Il est regrettable que ni la Loi sur la citoyenneté ni le projet de loi C-16 n'illustrent les principes de l'efficacité et de l'équité. La révocation de la citoyenneté n'est pas aussi efficace qu'elle pourrait être. Elle n'est pas non plus aussi équitable qu'elle devrait être. De plus, le projet de loi C-16 empire la situation plus qu'il ne l'améliore.
I. La révocation par la Cour fédérale
Aux termes de la Loi actuelle et du projet de loi C-16, le gouverneur en conseil peut révoquer la citoyenneté. La Cour fédérale ne fait que déterminer à l'aide de la preuve factuelle s'il y a eu fraude, fausse déclaration ou dissimulation délibérée de faits essentiels, ce qui a entraîné l'attribution de la citoyenneté.
Dans le cas de Wasily Bogutin, la Cour fédérale a décidé le 20 février 1998 que celui-ci avait obtenu la citoyenneté en commettant une fraude, en faisant une fausse déclaration ou en cachant des faits essentiels. Il est déraisonnable que le Cabinet n'ait pris un décret pour lui retirer sa citoyenneté que le 15 juillet 1998, soit six mois plus tard, même s'il ne s'agissait que d'une simple formalité.
La Section de première instance de la Cour fédérale a rendu sa décision le 29 janvier 1999 contre Vladimir Katriuk, le 7 juin 1999 contre Serge Kisluk et le 28 février 2000 contre Helmut Oberlander. Personne n'a pu savoir si le Cabinet doit décider de révoquer leur citoyenneté.
Nous avons appris que le gouverneur en conseil doit prendre une décision sur le cas de Katriuk qui a fait l'objet d'un jugement de la Cour fédérale il y a un an et demi. Ce délai dans le cas de Katriuk est une parodie de la justice. C'est aussi un délai en fonction duquel le système actuel doit être évalué. S'il faut plus d'un an et demi au gouvernement pour prendre une simple décision après le jugement de la Cour fédérale, comment peut-il soutenir que le système actuel fonctionne raisonnablement bien?
Les criminels de guerre devraient être privés de leur citoyenneté aussitôt qu'ils perdent leur cause devant le tribunal. Toute protection juridique par le gouverneur en conseil à la personne ainsi visée peut également lui être donnée par la Section de première instance de la Cour fédérale.
Il faut reconnaître que le gouverneur en conseil peut permettre à une personne qui a caché sa conduite passée de façon à mettre un terme à des enquêtes sur des crimes de guerre ou des crimes contre l'humanité de demeurer au Canada pour des motifs humanitaires, ce que la Cour fédérale ne peut faire. Mais notre position est qu'aucune personne qui, pour entrer au Canada, a caché sa conduite passée de façon à mettre un terme à des enquêtes sur des crimes de guerre ou des crimes contre l'humanité ne devrait être autorisée à demeurer au Canada pour des motifs humanitaires.
Il ne devrait pas être nécessaire de recourir au gouverneur en conseil, après que la Cour fédérale a décidé qu'une personne a obtenu sa citoyenneté de façon interdite. La Cour fédérale devrait avoir le pouvoir de révoquer elle-même la citoyenneté.
Recommandation: la Section de première instance de la Cour fédérale, et non le gouverneur en conseil, devrait avoir le pouvoir de révoquer la citoyenneté.
Libellé suggéré: amender les paragraphes 16(1) et (2) du projet de loi de façon à remplacer «le gouverneur en conseil» par «la Section de première instance de la Cour fédérale».
II. Les appels
Après que le gouvernement a commencé à dénaturaliser et à expulser les personnes accusées de crimes de guerre, leurs avocats ont présenté de nombreux arguments juridiques qui, si leur bien-fondé est reconnu, empêcheront d'appliquer la législation sur la dénaturalisation et l'expulsion. En réponse à deux de ces arguments, le juge Noël a rendu deux décisions inquiétantes dans l'affaire Johann Dueck1.
Selon une de ces décisions, il ne suffisait pas que le gouvernement prouvât que quelqu'un avait menti de façon à mettre un terme à des enquêtes2. Il devait prouver le mensonge même dont cette personne était accusée dans l'avis de révocation de sa citoyenneté. Comme le gouvernement avait affirmé que Dueck était un tireur, il devait prouver qu'il l'était ou, à tout le moins, qu'il était membre de la section chargée des exécutions, c'est-à-dire de la police de Selidovka. Le gouvernement ne l'a pas prouvé et en dépit de ses mensonges, Dueck a été acquitté.
D'après moi, la Cour a commis une erreur en statuant que le gouvernement doit prouver les allégations faites dans l'avis de révocation de la citoyenneté à l'égard de ce qui n'a pas été divulgué à l'entrée au pays. D'après moi, c'est une erreur de droit, car ce qui devrait être en cause lors d'une audience de révocation est la fraude, la fausse déclaration ou la dissimulation de faits essentiels.
Les accusations portant sur ce qui n'a pas été divulgué montrent qu'un terme a été mis à des enquêtes parce qu'une fraude a été commise, qu'une fausse déclaration a été faite ou que quelqu'un a caché des faits essentiels et pour aucun autre motif. Il n'est pas nécessaire de montrer que des accusations portant sur ce qui n'a pas été divulgué sont bien fondées pour prouver que des personnes ont obtenu leur citoyenneté en commettant une fraude, en faisant une fausse déclaration ou en cachant des faits essentiels. Or, l'avis de révocation devrait porter sur toute fraude, fausse déclaration ou dissimulation de faits essentiels qui a entraîné l'attribution de la citoyenneté et prouvée lors du procès.
Je crois que ce juge était malavisé, mais cette décision peut être corrigée lors d'autres procès en rédigeant des avis plus précis. Elle peut même être corrigée dans le cas de Dueck en entamant une nouvelle poursuite contre ce dernier et en rédigeant un nouvel avis. Selon un autre jugement encore plus inquiétant du juge Noël, le fait d'avoir menti avant juin 1950 sur sa participation à la perpétration de crimes de guerre pour entrer au Canada n'avait pas d'importance, car avant cette date, un triage sécuritaire était effectué, mais sans qu'une législation n'ait été adoptée à cette fin. Le triage sécuritaire n'avait pas de fondement juridique, selon le juge, et le fait d'avoir menti au cours de ce processus était donc sans importance en ce qui concerne l'entrée au Canada.
Le juge a statué qu'il n'y avait pas de règlement dans la Loi sur l'immigration avant juin 1950 établissant le triage sécuritaire. L'avocat du ministre avait fait valoir que l'on pouvait invoquer la prérogative de la Couronne, sans règlement, pour le triage sécuritaire. La Cour a statué que la prérogative de la Couronne ne pouvait pas constituer un fondement pour le triage sécuritaire parce que la Loi sur l'immigration portait sur ce domaine du fait que cette loi donnait le pouvoir d'adopter des règlements, mais qu'aucun règlement n'a été adopté pour exercer ce pouvoir3.
D'après moi, cette deuxième décision selon laquelle un mensonge commis avant juin 1950 était sans importance en ce qui concerne l'entrée au Canada est également une erreur en droit. Lorsqu'un pouvoir est accordé dans une législation et qu'il est exercé, on considère normalement que cette législation porte sur ce domaine. On ne considère normalement pas qu'une législation a trait à un domaine, lorsqu'un pouvoir de réglementer est créé, mais qu'il n'est pas exercé.
La Loi sur la citoyenneté et le projet de loi C-16 interdisent d'en appeler d'une décision de la Cour fédérale en matière de dénaturalisation. S'il était possible de faire appel, j'estime que les erreurs commises par le juge Noël dans l'affaire Dueck pourraient faire l'objet d'un appel. L'affaire Dueck montre que ce n'est pas seulement la personne visée qui peut tirer avantage du pouvoir de faire appel. Dans certains cas, c'est le gouvernement qui en tire avantage.
D'autres juges de la Section de première instance de la Cour fédérale auraient pu parvenir à des conclusions différentes de celles du juge Noël sur les causes qu'il a entendues. La décision d'un juge de la Section de première instance de la Cour fédérale ne lie pas un autre juge de cette même section. En effet, dans l'affaire Kisluk, le juge Lutfy est parvenu à une conclusion différente de celle du juge Noël dans l'affaire Dueck. Le juge Lutfy a statué qu'en 1948, le triage sécuritaire était effectué en se basant sur des textes législatifs et réglementaires4. De même, il s'est demandé si la législation en place à l'époque remplaçait totalement la prérogative de la Couronne d'interdire l'entrée au pays pour des raisons de sécurité. Mais la situation est insatisfaisante, lorsque des juges différents parviennent à des conclusions différentes sur les règles de droit et que la Cour d'appel fédérale ne peut résoudre le problème de leurs différences d'opinion.
Le système actuel est asymétrique. Dans ce système, une personne qui perd sa cause devant la Cour fédérale dispose d'un deuxième recours en s'adressant au gouverneur en conseil. Mais lorsque le gouvernement perd sa cause en Cour fédérale, il ne dispose d'aucun recours. Le gouvernement ne peut renverser une décision de la Cour fédérale en prenant un décret. Il ne peut rien faire d'autre. La perte d'une cause par le gouvernement est définitive, même s'il en est autrement dans le cas d'un particulier.
Cette asymétrie a pour conséquence que le public est fraudé. Elle viole le principe de l'égalité des moyens. Cela est injuste envers tous ceux qui veulent protéger le Canada de ceux qui ont commis des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité et menti pour entrer au Canada.
Le projet de loi C-16 doit prévoir la possibilité de faire appel, pourvu que la Cour ait accordé son autorisation, des décisions de la Cour fédérale en matière de citoyenneté. En exigeant que la Cour accorde son autorisation avant qu'il soit possible de faire appel, cela permet à cette dernière de trier rapidement les tentatives d'appel frivoles. Les cours d'appel devraient pouvoir réviser les décisions de la Section de première instance, lorsqu'une partie est d'avis que des erreurs de droit ont été commises.
Recommandation: une décision de la Section de première instance de la Cour fédérale devrait être susceptible d'appel, pourvu que la Cour d'appel fédérale l'autorise.
Libellé suggéré: remplacer le paragraphe 17(3) par la clause suivante: «La décision de la Section de première instance de la Cour fédérale rendue en vertu du paragraphe (1) est susceptible d'appel pourvu que la Cour d'appel fédérale accorde son autorisation.»
III. Les motifs de révocation
Il est possible de refuser de laisser une personne entrer au Canada lorsqu'il y a des motifs raisonnables de croire qu'elle a commis des crimes de guerre ou des crimes contre l'humanité5. Il est possible de priver une personne du statut de résident permanent lorsqu'il y a des motifs raisonnables de croire qu'elle a commis des crimes de guerre ou des crimes contre l'humanité et qu'on lui a accordé le droit d'établissement après l'entrée en vigueur de l'interdiction d'admettre des personnes qui ont commis des crimes de guerre ou des crimes contre l'humanité. Cette interdiction est entrée en vigueur en 1987. Les ex-nazis qui ont commis des crimes de guerre ou des crimes contre l'humanité et obtenu la résidence permanente au Canada avant cette date ne peuvent être expulsés parce qu'ils ont commis des crimes de guerre ou des crimes contre l'humanité.
Selon notre position, la décision de faire de 1987 une date limite est basée sur un principe erroné. Le gouvernement devrait pouvoir expulser du Canada les anciens nazis qui ont commis des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité à cause de leurs crimes, quelle que soit la date de leur arrivée au pays. Nous sommes heureux que le projet de loi C-31 propose de modifier la Loi sur l'immigration de façon à permettre d'expulser des personnes pour ce motif.
La Loi sur la citoyenneté pose un problème similaire. La Loi sur la citoyenneté actuelle interdit d'attribuer la citoyenneté aux personnes poursuivies pour crimes de guerre ou crimes contre l'humanité ou aux personnes reconnues coupables de tels crimes. Mais elle ne permet pas de révoquer la citoyenneté de ces personnes parce qu'elles ont commis des crimes de guerre ou des crimes contre l'humanité à l'époque où la citoyenneté leur a été attribuée. Si la citoyenneté est attribuée à une personne qui a commis des crimes de guerre ou des crimes contre l'humanité, il n'est possible de la lui retirer qu'en prouvant qu'elle l'a obtenu par la fraude, en faisant une fausse déclaration ou en cachant sciemment des faits essentiels. Il ne suffit pas de prouver que cette personne a commis des crimes de guerre ou des crimes contre l'humanité lorsque la citoyenneté lui a été attribuée.
La Loi devrait être modifiée de façon à pouvoir retirer sa citoyenneté à une personne lorsqu'il y a des motifs raisonnables de croire qu'elle a commis des crimes de guerre ou des crimes contre l'humanité avant de l'acquérir, qu'on lui ait demandé ou non à l'époque si elle avait commis des crimes de guerre ou des crimes contre l'humanité, et qu'elle ait acquis sa citoyenneté avant ou après la modification de la Loi envisagée ici. Cette modification serait analogue à la modification Holtzman aux États-Unis qui fait de la participation à une persécution un motif d'expulsion.
Le cas de Peteris Vitols montre le bien-fondé de cette modification que nous proposons. Le Canada n'a pas conservé les dossiers de l'Immigration qui dataient de la période qui a suivi la guerre. Ces dossiers ont été systématiquement détruits. Il n'est possible de prouver que quelqu'un a menti lors de son admission au Canada qu'en faisant témoigner oralement d'anciens agents de l'Immigration qui ont interrogé les demandeurs immédiatement après la Deuxième Guerre mondiale. Plusieurs de ces agents sont décédés ou incapables de témoigner.
À la fin de l'automne de 1941, Vitols faisait partie des Waffen SS et d'un corps de police en Lettonie au cours de la Deuxième Guerre mondiale. Il a été fait prisonnier de guerre, envoyé dans un camp de personnes déplacées en Allemagne, puis mis en liberté. Après sa mise en liberté, il s'est rendu de nouveau en Allemagne et a présenté une demande en vue de venir au Canada.
Vitols n'a pas dit aux autorités de l'Immigration canadienne qu'il avait participé aux activités des nazis avant de venir au Canada. La question fondamentale au cours des poursuites en matière de dénaturalisation est la suivante : le lui a-t-on demandé? Si quelqu'un le lui a demandé, il a dû mentir au moment de son admission au Canada.
Selon le témoignage de l'ex-agent Keelan de l'Immigration, personne n'a posé cette question à Vitols. Keelan a affirmé qu'il ne demandait pas à ceux qui voulaient immigrer au Canada s'ils avaient collaboré avec les nazis et s'ils résidaient actuellement en territoire occupé dans le passé, car les personnes déplacées ne pouvaient résider en territoire occupé dans le passé, lorsqu'il les interrogeait en Allemagne. En septembre 1989, en se basant sur cette preuve, le juge McKeown de la Cour fédérale a rejeté l'accusation portée par le gouvernement contre Vitols.
Deux autres ex-agents nommés Cliffe and Kelly ont contedit le témoignage de Keelan6. Mais le tribunal a préféré donner crédit au témoignage de Keelan, car c'était le seul témoin qui travaillait sur le terrain en 1950, lorsque Vitols a demandé à immigrer au Canada.
Dans le cas de Vitols, le témoignage de Keelan contredisait son propre témoignage rendu plus tôt dans le cas de Wasily Bogutin, au sujet de qui le même juge McKeown de la Cour fédérale a conclu en février 1998 qu'il avait menti lorsqu'il est entré au Canada. Lors du procès de Bogutin, Keelan a affirmé qu'il croyait que tous ceux qui avaient collaboré avec les Allemands étaient exclus, quel que soit le lieu de leur résidence7. Entre le procès de Bogutin et celui de Vitols, Keelan avait eu un accident cardiovasculaire. L'avocat du gouvernement a soutenu que le tribunal ne devait pas tenir compte du témoignage de Keelan lors du procès de Vitols, car il était évident que l'état de santé de Keelan n'était pas bon8. Le juge McKeown s'est néanmoins basé sur ce témoignage pour acquitter Vitols.
Arnold Fradkin, un ancien membre du personnel de la Section des crimes de guerre du ministère de la Justice, mort tragiquement et soudainement le 2 janvier 1999, a écrit qu'à défaut des véritables formulaires de l'Immigration, il est capital de disposer du témoignage des ex-agents chargés du triage sécuritaire actifs à l'époque et à l'endroit où les personnes soupçonnées d'être des criminels de guerre nazis ou des collaborateurs des nazis ont présenté une demande en vue d'immigrer au Canada; mais un nombre croissant de ces ex-agents sont morts ou trop malades pour témoigner. Sans leur témoignage, selon Fradkin, il n'existe peut-être pas d'ensemble suffisant de preuves circonstancielles qui établissent que la personne soupçonnée a menti aux autorités de l'Immigration. Actuellement, non seulement les formulaires de l'Immigration n'existent plus, mais souvent les agents qui les ont remplis et pourraient témoigner à leur sujet ne sont pas disponibles non plus. On a peut-être attendu trop tard avant d'offrir de nouveau en 1995 la possibilité d'entamer des poursuites en matière de dénaturalisation9.
Il est difficile de prouver que quelqu'un a commis une fraude, fait une fausse déclaration ou caché des faits essentiels et le gouvernement a besoin d'un moyen de rechange pour entamer des poursuites. Il sera également difficile de prouver qu'il existe des motifs raisonnables de croire qu'une personne a commis un crime de guerre ou un crime contre l'humanité. Mais au moins, le gouvernement disposera d'un choix. Il est possible que dans le cas d'un accusé, il existe des preuves qu'il a commis un crime de guerre ou un crime contre l'humanité, même s'il n'existe pas de preuves qu'il a commis une fraude, fait une fausse déclaration ou caché des faits essentiels lorsqu'il a été admis au Canada. La preuve de sa participation à une persécution devrait être suffisante pour lui retirer sa citoyenneté sans qu'il soit nécessaire de prouver qu'il a commis une fraude, fait une fausse déclaration ou caché des faits essentiels au moment de son entrée au pays.
Recommandation: il devrait être possible de révoquer la citoyenneté d'une personne lorsqu'il existe des motifs raisonnables de croire qu'avant de devenir citoyen canadien, elle a commis un acte ou omis d'accomplir un acte à l'extérieur du Canada, ce qui constituait un crime de guerre ou un crime contre l'humanité.
Libellé suggéré: ajouter l'alinéa 16(1).1 suivant: «La Section de première instance de la Cour fédérale peut rendre une ordonnance de révocation de la citoyenneté d'une personne, s'il y a des motifs raisonnables de croire qu'avant que cette personne ne l'obtienne, elle a commis un acte ou omis d'accomplir un acte à l'extérieur du Canada, ce qui constituait un crime de guerre ou un crime contre l'humanité.»
IV. Les décisions péremptoires en matière de citoyenneté
Il ne devrait pas être nécessaire que le gouvernement porte la même affaire deux fois en justice, premièrement pour révoquer la citoyenneté d'une personne et deuxièmement pour l'expulser du pays. Une décision rendue par la Cour fédérale dans l'instance en révocation devrait être péremptoire en ce qui concerne la poursuite en matière d'immigration.
Jacob Luitjens a perdu sa citoyenneté et fait l'objet d'une ordonnance d'expulsion parce qu'il a fait une fausse déclaration lors de son entrée au Canada. Lors de son audience en matière d'immigration, il a insisté pour qu'on prouve une deuxième fois le bien-fondé de l'accusation portée contre lui lors de l'instance en matière de citoyenneté. Le résultat final de la poursuite en matière d'immigration était évident, étant donné le résultat de la poursuite en matière de citoyenneté. Luitjens a cherché à profiter d'une échappatoire dans le système pour prolonger son séjour au Canada avant que l'inévitable se produise.
À cause du truc utilisé par Luitjens, le Parlement a modifié la Loi sur l'immigration en 1993. Par suite de cette modification de 1993, une ordonnance d'expulsion peut être rendue contre une personne uniquement parce qu'elle a perdu sa citoyenneté après avoir obtenu la résidence permanente au Canada en commettant une fraude, en faisant une fausse déclaration ou en cachant des faits essentiels. Lors d'une poursuite en matière d'expulsion, il n'est pas nécessaire de prouver une deuxième fois qu'une personne a obtenu le statut de résident permanent en commettant une fraude, en faisant une fausse déclaration ou en cachant des faits essentiels. Il suffit de déposer le certificat de révocation, pourvu que la décision sur cette dernière ait été prise parce que la personne qui avait le statut de résident permanent l'a obtenu en commettant une fraude, en faisant une fausse déclaration ou en cachant des faits essentiels10.
L'affaire Bogutin nous a montré qu'il est nécessaire de modifier la Loi davantage. Après que sa citoyenneté a été révoquée, Bogutin a revendiqué le statut de réfugié. Une personne ne peut revendiquer le statut de réfugié si la Division de l'arbitrage de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié conclut qu'il y a des motifs raisonnables de croire qu'elle a commis un crime de guerre ou un crime contre l'humanité et que le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration est d'avis qu'il serait contraire à l'intérêt public de statuer sur cette revendication11. Une personne ne peut être définie comme un réfugié, s'il y a des motifs graves de croire qu'elle a commis un crime de guerre ou un crime contre l'humanité12. Bogutin faisait l'objet, avant sa mort, d'une poursuite visant à déterminer qu'il n'était pas admissible au statut de réfugié.
Une personne qui revendique le statut de réfugié, mais dont la revendication est rejetée, peut demeurer au Canada pendant que la Section de première instance de la Cour fédérale examine sa demande d'autorisation, même si sa revendication a été rejetée parce qu'elle a commis des crimes de guerre ou des crimes contre l'humanité13. Si la Division de l'arbitrage de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié conclut qu'il y a des motifs raisonnables de croire qu'une personne a commis un crime de guerre ou un crime contre l'humanité, cette personne ne peut présenter une demande en vue de faire partie de la catégorie des demandeurs non reconnus du statut de réfugié au Canada14. De plus, s'il est décidé qu'une personne ne peut revendiquer le statut de réfugié, le sursis légal d'exécution de l'ordonnance d'expulsion ne dure que sept jours à partir de la date à laquelle l'ordonnance d'expulsion devient exécutoire et non pendant toute la durée de l'examen d'une demande d'autorisation par la Cour fédérale15.
En revendiquant le statut de réfugié, Bogutin a mis en lumière l'existence d'une lacune dans le système que le gouvernement a cherché à combler en modifiant la Loi sur l'immigration en 1993, en réaction à l'utilisation d'une tactique dilatoire similaire par Jacob Luitjens. En revendiquant le statut de réfugié, Bogutin a réussi à obtenir un nouveau procès portant sur des questions qui avaient censément fait l'objet d'une décision au cours de l'instance sur la révocation de sa citoyenneté, ce que le Parlement a cherché à empêcher en adoptant la modification « Luitjens ».
L'ajout du motif de la révocation proposé dans le présent mémoire aurait l'avantage de permettre au Parlement de combler la lacune exploitée par Bogutin. La Loi sur l'immigration actuelle affirme qu'une personne est susceptible de faire l'objet d'une ordonnance d'expulsion si elle a cessé d'être un citoyen canadien en vertu du paragraphe 10(1) de la Loi sur la citoyenneté dans les circonstances décrites au paragraphe 10(2) de cette loi. Le projet de loi C-16 prévoit une modification accessoire de cette disposition qui se lirait comme suit : « perd sa citoyenneté canadienne en vertu de l'article 16 de la Loi sur la citoyenneté dans les circonstances décrites au paragraphe 16(3) de cette loi16 ».
Pour que les personnes dont la citoyenneté est révoquée parce qu'elles ont caché leur passé nazi ne puissent tromper le Parlement, il faut modifier la Loi sur la citoyenneté, comme je l'ai indiqué ci-dessus, pour ajouter un nouveau motif de révocation qui déjà est un motif d'inadmissibilité et d'exclusion au cours de la procédure de détermination du statut de réfugié. De plus, il est nécessaire de modifier accessoirement la Loi sur l'immigration de façon similaire à la modification « Luitjens ».
Recommandation: pourvu que la proposition précédente visant à ajouter un motif de révocation soit acceptée, il est nécessaire d'apporter un amendement accessoire pour qu'une décision basée sur ce motif à l'issue d'une instance en matière de citoyenneté soit péremptoire au cours d'une poursuite en matière d'immigration.
Libellé suggéré: l'article 64 du projet de loi C-16 devrait être amendé de façon à se lire comme suit: «perd sa citoyenneté canadienne en vertu de l'article 16 de la Loi sur la citoyenneté dans les circonstances décrites aux paragraphes 16(1).1, avant que cette personne ne devienne un résident permanent, et 16(3) de cette loi».
V. La jonction avec l'expulsion
Les instances en matière de révocation de la citoyenneté et d'expulsion des ex-nazis qui ont commis des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité doivent être jointes pour éviter des poursuites à répétition. Après que la citoyenneté d'une personne est révoquée, son expulsion devrait s'ensuivre au cours du même processus.
Deux instances distinctes ne fournissent aucun résultat, mais prennent du temps et des ressources. C'est certainement le cas dans une affaire où la fraude, la fausse représentation ou le fait d'avoir caché sciemment des faits essentiels constitue le seul point litigieux à l'étape de la révocation de la citoyenneté et de l'expulsion. Ce serait également le cas si l'existence de motifs raisonnables de croire que la personne a commis un crime de guerre ou un crime contre l'humanité constituait le seul enjeu aux deux étapes.
Les deux instances devraient être jointes pour n'en faire qu'une. En plus d'amender le projet de loi C-16 pour donner à la Section de première instance de la Cour fédérale le pouvoir de révoquer la citoyenneté, le Parlement devrait amender ce projet de loi pour permettre à un juge de la Cour fédérale de rendre une ordonnance d'expulsion du Canada contre une personne qui a commis un crime de guerre ou un crime contre l'humanité, lorsque sa citoyenneté est révoquée.
Recommandation: La Section de première instance de la Cour fédérale devrait avoir le pouvoir de rendre une ordonnance d'expulsion contre une personne dont elle révoque la citoyenneté.
Libellé suggéré: ajouter le paragraphe 16(4) suivant: «La Section de première instance de la Cour fédérale peut rendre une ordonnance d'expulsion contre une personne en même temps qu'elle révoque sa citoyenneté, si cette personne a obtenu le statut de résident permanent au Canada en faisant une fausse déclaration, en commettant une fraude ou en cachant sciemment des faits essentiels et qu'à cause de son admission au Canada, cette personne a obtenu par la suite la citoyenneté ou obtenu de nouveau la citoyenneté.»
VI. L'expulsion
Dans quelle mesure le système actuel est-il efficace? Pour répondre à cette question, il ne suffit pas d'examiner les mesures requises. Il faut également considérer les mesures permises. Les mesures nécessaires pour obtenir la révocation de la citoyenneté sont l'obtention d'un rapport du ministre, une décision de la Section de première instance de la Cour fédérale et une décision du gouverneur en conseil.
Après que la citoyenneté d'une personne est révoquée, le gouvernement doit prendre trois mesures distinctes avant qu'un arbitre de l'Immigration puisse rendre une ordonnance d'expulsion. Le ministère de l'Immigration doit d'abord rendre un rapport sur la violation de la Loi sur l'immigration, deuxièmement, émettre une directive sur la tenue d'une enquête pour déterminer s'il y a eu violation de la Loi sur l'immigration et, troisièmement, un avis sur la date et l'endroit où l'enquête aura lieu. Dans le passé, le Ministère a pris ces trois mesures en série et plusieurs semaines s'écoulaient entre chacune d'elles. Un arbitre de l'Immigration rendait ensuite une ordonnance d'expulsion. Après que l'ordonnance d'expulsion était rendue, la personne visée devait être expulsée aussitôt que cela était raisonnablement possible.
L'ordre prévu dans la loi est plutôt malcommode. De plus, de nombreuses autres mesures ne sont pas requises dans la loi actuelle, mais elle ne les interdit pas non plus.
Ainsi que la ministre elle-même l'a reconnu dans une lettre publiée le 23 mai 2000 dans l'Ottawa Citizen, il est possible de contester de façon distincte devant la Cour fédérale la décision de la ministre de présenter un rapport au gouverneur en conseil selon lequel la citoyenneté a été obtenue en commettant une fraude, en faisant une fausse déclaration ou en cachant sciemment des faits essentiels. Dans le cas de Jacob Fast, une contestation de ce type est actuellement devant la Cour fédérale. La décision de la Section de première instance de la Cour fédérale sur cette contestation est susceptible d'appel de plein droit devant la Cour d'appel fédérale et, si son pourvoi est accueilli, devant la Cour suprême du Canada.
Deuxièmement, ainsi que la ministre l'a également reconnu dans cette lettre, il est possible de contester devant la Section de première instance de la Cour fédérale la décision du gouverneur en conseil de révoquer la citoyenneté. Cette contestation peut, elle aussi, être entendue de plein droit par la Cour fédérale d'appel et, si le pourvoi est accueilli, par la Cour suprême du Canada.
Ces mesures ne sont pas prévues dans la législation et elles ne doivent pas empêcher ou retarder l'expulsion du pays de la personne visée, à moins que et jusqu'à ce que la Cour ne statue à l'encontre du gouvernement. Le gouvernement semble disposé à suspendre ses mesures d'exécution, même si ni la législation ni les tribunaux ne l'obligent à le faire. En principe, l'expulsion des personnes visées ne devrait pas être retardée simplement parce qu'elles ont entamé une poursuite non prévue dans la législation. Il est regrettable qu'il n'y ait pas eu de mesure d'expulsion dans le cas de Fast, dont l'instance est particulièrement lente.
La Loi ne prévoit pas qu'une personne peut en appeler de la décision de la Section de première instance de la Cour fédérale, mais Katriuk a cherché à soutenir qu'un appel de ce type était possible premièrement devant la Cour d'appel fédérale et ensuite devant la Cour suprême du Canada en leur présentant une demande d'autorisation d'interjeter appel. Pendant que Katriul faisait ses démarches juridiques futiles, le gouvernement s'est tourné les pouces en attendant qu'une décision soit rendue et qu'il puisse suivre la procédure prévue dans la Loi.
Ainsi que l'a montré l'affaire Bogutin, une personne peut revendiquer le statut de réfugié après qu'une poursuite a été entamée contre lui en matière d'immigration. Si elle est jugée inadmissible parce qu'elle a commis des crimes de guerre ou des crimes contre l'humanité, cette personne peut être expulsée sept jours à partir de la date à laquelle l'ordonnance d'expulsion devient exécutoire.
B'nai Brith propose que toutes ces étapes soient réduites à une seule devant la Section de première instance de la Cour fédérale. La Section de première instance de la Cour fédérale rendrait l'ordonnance d'expulsion en même temps qu'une décision sur la révocation de la citoyenneté. Si la Loi est modifiée de la façon que nous proposons, une personne pourrait être expulsée sept jours après qu'une ordonnance cumulative de révocation et d'expulsion est rendue. Il n'y aurait pas de sursis légal d'exécution de l'ordonnance d'expulsion par suite d'une demande d'autorisation d'en appeler (que nous proposons d'inclure dans la Loi) à la Cour d'appel fédérale. Seul un sursis ordonné par un tribunal serait possible, pourvu que la personne visée puisse démontrer qu'elle fait appel pour une question grave, que son expulsion lui causerait un dommage irréparable et qu'il y a prépondérance des inconvénients dans son cas.
VII. La transition
Les personnes qui ont déjà fait l'objet d'une décision du gouverneur en conseil ne pourraient avoir recours au système que nous proposons d'établir. Ce système pourrait être utilisé dans le cas de ceux qui ont fait l'objet d'une décision de la Section de première instance de la Cour fédérale et non du gouverneur en conseil. Si le gouverneur en conseil décide de révoquer la citoyenneté d'une personne et met en 9uvre ce système comme nous le recommandons, cette personne ne pourrait se prévaloir de ce changement. Elle pourrait utiliser la procédure prévue dans l'un ou l'autre système, mais non dans les deux.
Si le nouveau système dont nous proposons l'établissement entre en vigueur après que la Section de première instance de la Cour fédérale rend une décision contraire à la personne visée, mais avant que le gouverneur en conseil décide de révoquer sa citoyenneté, la nouvelle loi transformerait en révocation la décision rendue par la Cour fédérale. Il serait possible de demander une autorisation d'interjeter appel de cette décision.
VIII. La jonction avec une condamnation au pénal
Des modifications du Code criminel qui visent à rendre de nouveau possible la poursuite des criminels de guerre ont été proposées au Parlement dans le projet de loi C-19. Quelles mesures devraient être prises au sujet du recours en matière de révocation de la citoyenneté et d'expulsion, lorsqu'il sera de nouveau possible d'utiliser ce recours pénal?
Selon notre position, les deux recours devraient être utilisés simultanément et un criminel de guerre établi au Canada devrait être poursuivi, déclaré coupable, dénaturalisé et expulsé. Les recours criminels ne remplacent pas les recours civils.
Si le projet de loi C-16 est amendé comme nous le proposons de façon à prévoir la prise en compte de l'existence de motifs raisonnables de croire qu'une personne a commis un crime de guerre ou un crime contre l'humanité comme motif de révocation, les poursuites en révocation contre une personne soupçonnée d'avoir commis un crime de guerre ou un crime contre l'humanité répéteraient exactement les poursuites pénales. Pour éviter cette répétition, une solution consisterait à faire amender le projet de loi C-16 par le Parlement de façon à permettre que la Cour fédérale dépouille quelqu'un de sa citoyenneté par suite de sa condamnation au pénal pour des crimes de guerre ou des crimes contre l'humanité avant l'attribution de sa citoyenneté, sans qu'il soit nécessaire de prouver la perpétration de ces infractions séparément au cours d'une poursuite en révocation.
Recommandation: La Section de première instance de la Cour fédérale devrait avoir le pouvoir de révoquer la citoyenneté d'une personne lorsque sont déposés devant la Cour des documents relatifs à une condamnation pour crime de guerre ou crime contre l'humanité commis avant l'attribution de la citoyenneté.
IX. L'admissibilité des éléments de preuve
Au cours des poursuites en matière d'immigration, un arbitre n'est pas tenu de suivre des règles sur la présentation de preuves et il peut recevoir une preuve qu'il ou elle considère crédible ou fiable et baser sa décision sur elle17. Mais au cours des poursuites en matière de citoyenneté, les règles de la preuve sont strictes.
Dans le cas des poursuites judiciaires qui ont trait à des crimes de guerre et à des crimes contre l'humanité, les critères d'admissibilité des preuves devraient être similaires, qu'il s'agisse de poursuites en matière de citoyenneté ou d'immigration, et les meilleurs critères sont ceux qui s'appliquent actuellement aux poursuites en matière d'immigration. L'ancienne Loi sur les crimes de guerre, non révisée mais non abrogée, utilisée par le gouvernement du Canada pour poursuivre sept criminels de guerre immédiatement après la guerre, a rendu moins strictes les règles sur l'admissibilité des preuves18. Le Tribunal de Nuremberg a fait de même, tout comme le tribunal qui a jugé Eichmann à Jérusalem19, les tribunaux britanniques chargés de juger les accusés de crimes de guerre20 et les tribunaux américains chargés de juger les accusés de crimes de guerre21.
Des règles comme celles-ci sur l'admissibilité des éléments de preuve sont essentielles au cours des procès pour crimes de guerre, ainsi que nous l'avons appris par expérience en cherchant à ne pas les appliquer. L. C. Green a écrit ce qui suit à ce sujet:
Dans des cas de ce type, la meilleure preuve contre l'accusé consiste souvent en des documents officiels pas toujours signés par lui qui proviennent du quartier général de son pays ou d'autres postes de commandement. Il y a également les déclarations qui impliquent l'accusé ou décrivent les événements au cours desquels ont été censément commises les infractions dont il est accusé, faites par des personnes jugées au cours de procès déjà tenus et peut-être exécutées. En plus des preuves de ce type, il y a les documents occasionnellement trouvés dans les ruines des camps de concentration et des ghettos et ceux-ci, de même que les photographies trouvées sur la personne des soldats allemands, sont souvent les seules preuves de ce qui s'est produit. Le fait d'insister pour que ne soient présentés que des témoignages oraux aurait signifié dans de nombreux cas qu'il n'aurait été possible de présenter aucune preuve. On peut dire qu'il y a maintenant un principe généralement reconnu selon lequel au cours de procès de ce type, toute preuve est admissible, si elle est susceptible d'aider le tribunal à établir la vérité22.
La question des règles d'admissibilité des éléments de preuve a trait non seulement au succès probable des poursuites entamées, mais également au nombre de celles-ci. Il y a un écart considérable entre le nombre estimatif de criminels de guerre nazis entrés au Canada et le nombre de poursuites entamées contre eux. Dans une large mesure, cet écart est attribuable à l'obstruction et à l'inertie du gouvernement au fil des ans. Mais cela est également attribuable aux normes de la preuve imposées par la Couronne et à la pertinence des preuves disponibles. En imposant des normes auxquelles très peu de poursuivants peuvent se conformer, il est inévitable que très peu de poursuites soient entamées.
Les règles différentes sur l'admissibilité des éléments de preuve au cours des poursuites en matière de citoyenneté et d'immigration posent un problème, particulièrement si notre proposition sur la jonction de ces poursuites est acceptée. D'après nous, les règles de la preuve au cours des poursuites en matière d'expulsion et de révocation de la citoyenneté devraient être les mêmes et être celles actuellement appliquées au cours des poursuites en matière d'immigration. Le projet de loi C-16 devrait être amendé de façon à le prévoir explicitement.
X. L'annulation d'une décision du ministre
Le projet de loi C-16 prévoit que le ministre peut, lorsqu'il est convaincu dans un délai de cinq ans à partir de l'attribution de la citoyenneté, qu'une personne a obtenu celle-ci en usurpant une identité, annuler une décision portant sur la délivrance d'un certificat de citoyenneté. Le processus d'annulation proposé dans le projet de loi C-16 est administratif plutôt que judiciaire. Actuellement, ce n'est qu'à l'issue d'une poursuite judiciaire qu'une personne peut perdre sa citoyenneté parce qu'elle a commis une fraude, fait une fausse déclaration ou caché délibérément des faits essentiels. Le projet de loi propose qu'un bureaucrate promulgue un oukase pour dépouiller une personne de sa citoyenneté parce qu'elle a usurpé une identité.
Cette proposition transférerait une compétence des tribunaux au gouvernement. Ce dernier n'aurait aucun motif de s'adresser aux tribunaux pour qu'une personne soit dépouillée de sa citoyenneté parce qu'elle a commis une fraude, fait une fausse déclaration ou caché délibérément des faits essentiels, s'il peut de sa propre initiative retirer sa citoyenneté à une personne parce qu'elle a usurpé une identité.
La procédure proposée dans le projet de loi fournit moins de protection procédurale à la personne visée qu'une poursuite en révocation devant la Cour fédérale. La procédure proposée prend également moins de temps. La décision initiale du ministre peut être prise rapidement, mais elle peut être suivie d'une demande présentée de plein droit à la Section de première instance de la Cour fédérale en vue d'obtenir une révision judiciaire, suivie d'une demande d'appel présentée de plein droit à la Cour d'appel fédérale et d'une demande d'autorisation de pourvoi à la Cour suprême. Ces trois procédures additionnelles peuvent prendre des années.
La disposition sur le retrait de la citoyenneté obtenue en usurpant une identité rend les poursuites en révocation moins équitables et moins efficaces. Elle devrait être supprimée dans le projet de loi.
Pour récapituler, nous recommandons:
1. Que les personnes qui ont commis des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité perdent leur citoyenneté dès qu'elles ont perdu leur cause devant le tribunal. Le projet de loi C-16 devrait être amendé pour donner à la Section de première instance de la Cour fédérale le pouvoir de révoquer la citoyenneté.
2. Que le projet de loi C-16 soit amendé pour permettre à un juge de la Cour fédérale de rendre une ordonnance d'expulsion du Canada contre une personne reconnue coupable d'un crime de guerre ou d'un crime contre l'humanité, lorsque sa citoyenneté est révoquée.
3. Que le projet de loi C-16 soit amendé pour permettre de dépouiller une personne de sa citoyenneté lorsqu'il y a des motifs raisonnables de croire qu'elle a commis un crime de guerre ou un crime contre l'humanité avant que la citoyenneté lui soit attribuée, sans qu'il soit nécessaire en plus de prouver qu'elle a commis une fraude, fait une fausse déclaration ou caché sciemment des faits essentiels.
4. Que le projet de loi C-16 soit amendé pour permettre de priver une personne de sa citoyenneté parce qu'elle a été reconnue coupable de crimes de guerre ou de crimes contre l'humanité commis avant que la citoyenneté lui soit attribuée, sans qu'il soit nécessaire de prouver la perpétration des infractions au cours de la poursuite en révocation.
5. Que le projet de loi C-16 prévoie la possibilité d'en appeler d'une décision relative à la révocation de la citoyenneté rendue par la Section de première instance de la Cour fédérale, pourvu que la Cour d'appel fédérale autorise l'appel.
6. Que la Loi sur la citoyenneté soit modifiée pour qu'au cours des poursuites pour crimes de guerre ou crimes contre l'humanité, un juge de la Cour fédérale puisse recevoir toute preuve qu'il ou elle considère crédible ou fiable et nécessaire pour qu'il ou elle rende une décision dans cette affaire, et baser sa décision sur celle-ci, en faisant abstraction des règles de la preuve.
7. Que soit supprimée la disposition du projet de loi C-16 qui permet au ministre de priver de sa citoyenneté une personne qui l'a obtenue en usurpant une identité.
David Matas est avocat à Winnipeg. Il est le premier conseiller juridique honoraire de B'nai Brith Canada.
Notes:
1. M.C.I. v. Dueck, T-938-95, 21 décembre 1998.
2. Le paragraphe 135.
3 Le paragraphe 303.
4. M.C.I. v. Kisluk, (1999) 50 Imm. L.R.(2d) 1 (T.D.).
5. Loi sur l'immigration, alinéa 19(1)j).
6 Le paragraphe 156.
7. M.C.I. v. Bogutin, T-1700-96, le 20 février 1998, parapraphe 91.
8. Le paragraphe 159.
9. Canadian Jewish News, le 14 janvier 1999.
10. Loi sur l'immigration, alinéa 27(2)i).
11. Loi sur l'immigration, sous-alinéa 46.01(1)e)(ii) et alinéa 19(1)j).
12. Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, paragraphe 1Fa); annexe de la Loi sur l'immigration.
13. Loi sur l'immigration, sous-alinéa 49(1)c)(i).
14. Règlement 2, « membre de la catégorie des demandeurs non reconnus du statut de réfugié au Canada », a)(vi).
15. L'alinéa 49(1)e).
16. L'article 64.
17. Loi sur l'immigration, paragraphe 80.1(5).
18. Loi sur les crimes de guerre, Lois du Canada de 1946, chapitre 73, règlements 10(1) à 10(6).
19. Voir L. C. Green. « Legal Issues of the Eichmann Trial », Tulane Law Review, 1962-1963, vol. 37, p. 641, à la p. 657.
20. Army Orders, 81/1945, 18 juin 1945, Regulations of the Trial of War Criminals, article 8.
21. Re : Yamashita, 327 U.S. 1 (1945), à la p. 18.
22. Tulane Law Review, vol. 37, p. 641, aux p. 657-658.