Aller au contenu
LCJC - Comité permanent

Affaires juridiques et constitutionnelles

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles

Fascicule 22 - Témoignages du 5 octobre 2000


OTTAWA, le jeudi 5 octobre 2000

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, auquel a été renvoyé le projet de loi C-16, Loi concernant la citoyenneté canadienne, se réunit aujourd'hui à 10 h 07 pour étudier le projet de loi.

Le sénateur Lorna Milne (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente: Nous sommes heureux de vous accueillir à nouveau, madame la ministre Caplan, au Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles. Je ne saurais dire si vous en êtes autant heureuse que nous, mais nous avons hâte de vous entendre. Si je comprends bien, madame la ministre, vous n'avez pas apporté de notes préparées parce que vous voulez surtout dialoguer.

L'honorable Elinor Caplan, ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration: Je suis ravie de me retrouver encore une fois parmi vous. Le projet de loi dont vous êtes saisis est important. J'ai bien aimé venir témoigner ici la dernière fois et je peux comprendre que vous ayez de nombreuses questions. Avant d'y arriver cependant, j'aurais quelques petites mises au point à faire.

Comme vous le savez, nous suivons vos délibérations de près et je voudrais aborder un certain nombre des questions qui ont été soulevées. Je sais bien qu'il y a des dispositions de ce projet de loi qui sont très complexes et j'ose espérer que mes collaborateurs ont su vous les expliquer clairement. J'ai appris par ailleurs que certaines des choses que M. Sabourin a dites n'étaient pas exactes et c'est pourquoi j'aimerais demander à Mme Frith d'apporter d'abord les précisions nécessaires aux fins du compte rendu. On a dit notamment que ce projet de loi s'inspirait de la tradition parlementaire britannique, et c'est juste. Toutefois, on s'est servi de l'exemple de l'Australie, mais on a eu tort de le faire. J'aimerais demander à Mme Frith de nous faire une mise au point.

Mme Rosaline Frith, directrice générale, Intégration, ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration: En gros, M. Sabourin a dit dans son témoignage que dans d'autres pays, par exemple en Australie, pour révoquer la citoyenneté, on doit obtenir d'abord l'avis d'un organisme indépendant. C'est bel et bien le cas, sauf qu'en Australie, on passe par une action en justice pour établir s'il y a eu fraude au moment de la demande de citoyenneté ou de l'immigration. Notre procédure n'est pas la même et s'apparente plutôt à celle du Royaume-Uni ou de l'Irlande, où l'on sollicite une conclusion de fait. Dans les cas du Royaume-Uni et de la Nouvelle-Zélande, on l'obtient par le biais d'un comité constitué par le ministre et, dans notre cas, c'est à la Cour que nous demandons cette conclusion de fait. Voilà la mise au point que nous voulions faire.

Mme Caplan: Je pense qu'il est important que nous sachions tous ce qu'il en ait et j'ai voulu que tout cela soit bien clair pour le comité.

Il y a quatre questions particulières que j'aimerais aborder. Toutefois, avant d'aller plus loin, je veux que vous sachiez que je suis convaincue qu'aux termes de ce projet de loi et dans le cadre de notre système au Canada, chaque citoyen de notre pays est un citoyen à part entière. Tous les citoyens sont égaux devant la loi. Ce projet de loi et notre système traitent tous les citoyens sur un pied d'égalité, quel que soit leur lieu de naissance, au Canada ou ailleurs. Il est important de faire la part des choses. Chaque année, plus de 150 000 personnes reçoivent la citoyenneté, sans compter les nouveaux citoyens qui naissent ici, et les aspects qui retiennent votre attention autour de cette table n'ont en fait d'incidence que dans une poignée de cas.

J'aimerais aborder la question de la révocation. Je sais que nous en avons discuté à fond lorsque j'ai comparu la dernière fois, mais vous avez entendu depuis un certain nombre de témoins et j'aimerais vous aider à y voir plus clair dans toute cette question complexe.

La procédure est essentiellement la même depuis 1947. Il y a eu une modification importante en 1977 et les dispositions du projet de loi C-16 ne changent rien à ce qui a été fait en 1977. Sachez que depuis 1977, nous avons accordé la citoyenneté canadienne à plus de 3 millions de personnes. Pendant cette même période, il y a eu 37 révocations de la citoyenneté. Il n'y en a pas eu plus que ça. Trois millions de personnes ont reçu la citoyenneté et 37 se la sont fait révoquer.

La disposition concernant la révocation de la citoyenneté vise les cas de fausse déclaration ou de fraude. Je vous rappelle que cette disposition est en vigueur depuis 1977. Il faut pouvoir prouver, et c'est là tout un critère, qu'il y a eu dissimulation intentionnelle de faits essentiels qui, si le gouvernement en avait eu connaissance, auraient empêché la personne d'obtenir la citoyenneté parce qu'elle n'y avait pas droit au départ.

Il importe surtout de savoir que cette procédure de révocation a été contestée devant nos tribunaux, jusqu'à la Cour suprême du Canada, et qu'elle a été jugée conforme non seulement à notre Constitution mais aussi à nos obligations définies dans notre Charte des droits et libertés.

Le gouvernement est d'avis qu'il n'y a pas lieu de modifier une disposition qui donne les résultats voulus et qui est manifestement indispensable, et c'est pourquoi nous ne recommandons pas que des modifications soient apportées à la procédure de révocation. Les dispositions en la matière figurant dans le projet de loi C-16 font partie de la loi depuis 1977 et ont été jugées conformes à notre constitution et à notre charte.

J'aimerais vous parler en second lieu de la disposition concernant l'annulation. Celle-ci vise les personnes qui n'avaient pas droit à la citoyenneté canadienne au départ et à l'égard desquelles il existe des preuves formelles, produites dans les cinq ans suivant l'obtention de la citoyenneté, qu'elles ont été déclarées coupables d'une infraction ou qu'elles se sont servies d'une fausse identité. Comme ces personnes n'avaient pas droit à la citoyenneté au départ, l'annulation permet de régler rapidement ces cas lorsque le ministère est en mesure de produire des faits clairs et incontestables pour le démontrer. Dans toutes les affaires de cette nature, la personne se retrouve avec la qualité de résident permanent.

Il s'agit là aussi d'un pouvoir limité parce que l'annulation doit se faire dans les cinq ans qui suivent la date d'attribution de la citoyenneté. Le ministère estime que de tels faits apparaîtraient sans doute assez rapidement, c'est-à-dire au cours de la première ou de la deuxième année. Comme on peut demander un contrôle judiciaire, vous pouvez vous dire que la procédure est surveillée et qu'elle est équitable. De plus, la Loi sur l'immigration prévoit encore une autre procédure s'il est établi que la personne n'avait pas droit au statut de résident permanent.

La disposition concernant l'intérêt public a fait l'objet d'un vif débat à votre comité et plusieurs questions ont été soulevées. J'ai beaucoup réfléchi à cette disposition depuis que j'ai comparu devant votre comité la dernière fois. Je l'avais appelée à cette occasion une «soupape de sûreté». J'aimerais vous décrire encore son importance en insistant sur son aspect de temporisation. Cette disposition sera sans doute utile dans un nombre restreint d'affaires précises portant notamment sur les questions de sécurité publique et d'intégrité. Si nous reconnaissons la valeur de la citoyenneté canadienne -- et je suis sûre que nous le faisons tous --, il nous incombe de veiller à l'intégrité de cette citoyenneté.

Le recours pour les pouvoirs publics à une disposition de protection de l'intérêt public est bien établi dans le droit canadien. La mesure législative proposée n'est pas la première où le droit de l'État d'intervenir pour protéger l'intérêt public est reconnu. L'État a justement un tel rôle. En recommandant qu'une disposition de protection de l'intérêt public fasse partie de cette mesure, le ministère ne fait qu'articuler un principe qui existe depuis les débuts mêmes de la démocratie. Nous allons aux urnes pour choisir des personnes qui sont censées protéger l'intérêt public et lorsque l'on constate qu'il y a des difficultés sur ce plan, il nous incombe de rappeler clairement que les Canadiens veulent que leur gouvernement exerce un tel droit.

Les tribunaux protègent les droits individuels, et il y en a qui prétendent que le pouvoir législatif devrait reposer davantage entre les mains des tribunaux. Je ne suis pas de ceux-là. Selon moi, c'est à ceux qui tiennent les rênes qu'il appartient de protéger l'intérêt public et de rendre compte de leurs décisions. Et c'est au peuple de juger si l'intérêt public a été protégé ou non pendant que le gouvernement tenait ces rênes. Voilà ce que c'est qu'une élection.

On m'a demandé de fournir des exemples, mais il faut savoir que personne ne peut prédire avec certitude les circonstances précises pouvant justifier d'invoquer une disposition de protection de l'intérêt public. Comme je l'ai dit tout à l'heure, il s'agit d'une disposition de temporisation -- une soupape de sûreté. J'ai dit également qu'il fallait penser à la sécurité nationale et à l'intégrité de notre citoyenneté.

Les interdictions que prévoit ce projet de loi visent les personnes qui ont été récemment déclarées coupables d'une infraction ou ont été inculpées pour une infraction commise ici au pays ou à l'étranger. La réalité, c'est qu'il y a des endroits dans le monde où il n'y a pas de régime fonctionnel de justice pénale et ou la primauté du droit a malheureusement disparue. Il y a des endroits où même le meurtre pourrait ne pas être reconnu comme étant un crime, surtout lorsqu'on parle de venger l'honneur de la famille. Ce sont des choses qui font souvent les manchettes. Si une personnalité résidant habituellement au Canada se trouvait à un tel endroit où un meurtre a été commis -- peut-être même en se vantant du crime --, la disposition concernant l'intérêt public, grâce à son rôle de soupape de sûreté ou de moyen de temporisation, nous permettrait de prendre la décision voulue en matière de citoyenneté. La raison présiderait à l'attribution ou au refus de la citoyenneté à cette personne, et le gouvernement aurait à justifier sa décision.

Je tiens à rappeler qu'il s'agit d'un pouvoir extraordinaire auquel on ne recourrait que rarement et où, chaque fois, le gouvernement serait obligé de se justifier. La disposition de temporisation a une durée limite de cinq ans, ce qui permet à la personne de redemander la citoyenneté à la fin de cette période.

Sachez que la personne est réputée ne pas avoir droit à la citoyenneté parce que l'attribution de cette citoyenneté serait contraire à l'intérêt public. Cette personne conserverait le statut de résident permanent, avec les droits et les obligations qui y sont rattachés.

La quatrième disposition que j'aimerais aborder est celle qui concerne le serment. Il ne faut pas s'étonner à ce que le libellé du serment ait suscité toute une diversité d'opinions de la part des témoins que vous avez entendus. Vous qui avez affaire à des rapports et documents de toutes sortes savez tous que les questions de formulation représentent toujours un défi. Si je demande à 20 personnes, ou si vous-même vous demandez à 20 personnes de rédiger un serment, il est peu probable que toutes ces personnes nous présenteraient des recommandations qui se ressemblent.

À un moment donné, il faut se décider, à partir du meilleur consensus que l'on peut obtenir. C'est ce que nous avons fait. À mon avis, le serment figurant dans le projet de loi C-16 est un bon serment car il met le Canada, nos institutions et les valeurs que nous chérissons au premier plan. Je l'appuie sans réserve. Il représente les vues d'une majorité et ce sera un serment que les gens pourront formuler sincèrement à l'occasion des cérémonies de citoyenneté qui auront lieu dans tout le pays.

Mes observations sur le serment m'amènent à un dernier point, madame la présidente. Je veux insister sur les vastes consultations qui ont entourées ce projet de loi. Sachez que le besoin d'actualiser cette mesure législative a été reconnu dès 1987 par le gouvernement antérieur. Notre gouvernement travaille sans relâche à l'adoption de ce projet de loi depuis 1994. Les Canadiens ont pu se faire entendre de bien des manières pour proposer des modifications. Le cheminement législatif du projet de loi C-16 s'est accompagné de nombreuses audiences où de nombreux groupes ont pu intervenir et qui ont permis de recevoir un nombre encore plus grand de mémoires, de lettres et de documents.

J'ai eu l'occasion de rencontrer personnellement les citoyens pour écouter leurs points de vue et j'estime qu'il existe un consensus général -- l'unanimité est impossible, mais il y a un vrai consensus -- sur les dispositions du projet de loi C-16. Nous avons pu nous inspirer considérablement des décisions judiciaires prises au cours de presque 25 ans et nous avons pu compter également sur l'expérience au sein du ministère. Nous voulons que le projet de loi C-16 tienne compte de ce que représente la citoyenneté pour les Canadiens et des voeux de ces derniers dans l'application de leurs lois en la matière. Nous voulons que la législation du Canada en matière de citoyenneté corresponde le plus possible aux valeurs que chérissent les Canadiens. Nous y avons réussi, car le projet de loi est le miroir des sentiments des Canadiens à l'égard de la citoyenneté. Nous voulons que les gens deviennent des citoyens et nous voulons encourager la participation à la société canadienne. Cependant, nous voulons également être en mesure d'opposer un refus catégorique à ceux qui n'ont pas droit à la citoyenneté canadienne. Et nous voulons le faire d'une manière qui est juste et que l'examen judiciaire ne pourra récuser, comme cela a été le cas pendant 25 ans depuis 1977.

J'aimerais vous présenter les fonctionnaires du ministère qui ont travaillé d'arrache-pied à ce projet de loi: M. Michel Dorais, Mme Joan Atkinson, Mme Rosaline Frith et M. Eric Stevens. Ils répondront volontiers à vos questions en espérant que le comité jugera bon d'adopter ce projet de loi en temps opportun.

Le sénateur Beaudoin: J'ai écouté très attentivement ce que vous avez dit à propos de l'intérêt public. Je conviens que c'est la branche exécutive de l'État, qui tient les rênes, qui devrait décider. Ce qui m'inquiète, toutefois, c'est la théorie de l'imprécision qui a été échafaudée autour de l'interprétation de la Charte des droits et libertés.

Dans le même sens que nous avons la théorie de l'interprétation pour la division des pouvoirs, la Cour suprême a énoncé certaines théories. Le terme «intérêt public» n'est pas défini, même s'il est souvent utilisé, et la jurisprudence laisse entendre que l'interprétation de cette expression générale peut varier selon les circonstances.

Bien sûr, dans le cas du droit criminel, il faut que l'interprétation soit claire. Toutefois, nous avons affaire ici au droit administratif. Dans l'affaire R. v Nova Scotia Pharmaceutical Society, la Cour se reporte au fait de l'interprétation.

La présidente: La ministre a-t-elle un exemplaire de ce document qui a été préparé par les gens à la Bibliothèque du Parlement? Nous leur avons demandé une recherche au cours du week-end sur les dimensions judiciaires de l'expression «intérêt public».

Le sénateur Beaudoin: Il est dit clairement au troisième paragraphe que cette théorie s'applique non seulement au droit pénal mais aussi au droit administratif. Nous en convenons tous. Il n'y a pas de problème là. Nous savons également que l'exécutif n'est pas soustrait à la Charte des droits -- l'affaire des missiles de croisière est sans ambiguïté.

Ne croyez-vous pas que le terme «intérêt public» ainsi qu'il est évoqué à l'article 21 et au troisième paragraphe de l'article 22 est un peu trop vague? On peut y lire:

Le décret est définitif et, par dérogation à toute autre loi fédérale, non susceptible d'appel ni de contrôle judiciaire.

Il y a de nombreux cas qui n'aboutiront jamais devant un tribunal. Je le reconnais. Il peut y avoir un cas tous les dix ans. Je n'en sais rien. Toutefois, le pouvoir discrétionnaire du ministère est vaste lorsqu'il est question de motifs raisonnables. On le constate très souvent dans les lois. Ce qui est «contraire à l'intérêt public» peut varier selon les circonstances. La Charte des droits s'applique, même aux décisions de l'exécutif.

Ne pensez-vous pas que c'est ici un peu trop vague? Je crains que la disposition sera contestée devant les tribunaux parce qu'elle est rédigée de façon imprécise. Par contre, le paragraphe 22(3), lui, est très clair. «Par dérogation à toute autre loi fédérale», le décret est définitif et non susceptible d'appel ni de contrôle judiciaire.

Nos lois refusent rarement l'accès aux tribunaux. C'est très rare de le voir énoncer dans une loi. Je suis parvenu à la conclusion que si nous ne définissons pas «intérêt public», les tribunaux vont le faire pour nous. N'est-il pas préférable que le Parlement le définisse plus clairement?

Mme Caplan: Sénateur, dans le but d'enrichir notre discussion, permettez-moi de vous faire part de ce que la Cour suprême a dit à propos du concept de l'intérêt public. Ils ont dit que le sens général du terme renvoie à l'ensemble particulier de valeurs qui sont le mieux comprises sous l'aspect du bien collectif et se rapportent aux questions touchant le bien-être de la société.

Le sénateur Beaudoin: Si vous me permettez, de quelle décision parle-t-on?

La présidente: J'aillais justement demander des précisions au ministre à ce sujet.

M. Eric Stevens, conseiller juridique, Services juridiques, ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration: L'observation est celle d'un juge dissident dans l'affaire Morales, où il y a eu décision partagée. Dans ce cas, le juge a passé en revue l'emploi du terme «intérêt public» au fil des ans en vue d'en circonscrire le sens.

Le sénateur Beaudoin: Parle-t-on ici du jugement rendu à la majorité ou de l'opinion dissidente?

M. Stevens: Il y a eu trois opinions dissidentes. C'est le juge dissident qui parle, mais je tiens à souligner que c'est un membre hautement respecté du Barreau. Le juge de la Cour suprême du Canada essaye de résumer comment le concept a été appliqué et compris au fil des ans.

Je voudrais aussi faire remarquer que, bien qu'il soit vrai qu'il a été question de l'imprécision constitutionnelle dans l'affaire Morales, elle a aussi été traitée dans un contexte de droit administratif, ce que je trouve intéressant. Nous, du ministère de la Justice, avons examiné le sujet de près.

Le document parlementaire mentionne aussi d'autres cas et d'autres contextes. Il décrit, à la page 4, l'affaire Daigle. Je comprends que l'intérêt en jeu était différent dans ce cas-là, mais c'est néanmoins un contexte de droit administratif. Le tribunal examinait un droit important, le droit à la vie privée, puis il essayait de trouver un juste milieu entre ce droit et l'intérêt public.

Les ministères, généralement au niveau du sous-ministre, sont appelés à décider s'il convient ou non d'autoriser la divulgation de certains renseignements dans l'intérêt public. Dans ce cas-ci, est-ce que chaque membre de la Cour suprême est prêt à examiner la question de l'intérêt public et à discuter pour déterminer s'il s'agit d'un pouvoir de décision discrétionnaire? Bien sûr. Est-ce un large pouvoir discrétionnaire? Oui. A-t-il des limites? Oui. Tous les juges disent aussi que l'abus du processus ou la négligence des faits pertinents entraînent l'annulation d'une décision. Je trouve donc intéressant qu'en 1997, tous les juges aient semblé intéressés à situer l'intérêt public dans un contexte de droit administratif.

Mme Caplan: D'après ce que j'ai compris du ministère de la Justice, c'est une phrase standard dans une disposition standard de notre loi. Cependant, toutes les lois, comme vous l'avez si justement souligné, sont assujetties à notre Constitution et à notre Charte, et nous nous attendons pleinement à ce que toute nouvelle disposition, si elle doit être appliquée, soit mise à l'épreuve.

L'avis que nous avons reçu du ministère de la Justice est que tout, dans le projet de loi C-16, est conforme à nos obligations et que nous serions en mesure de justifier son application s'il le fallait.

L'épreuve réside toujours dans les motifs liés à chaque cas. Nous l'avons dit, nous nous attendons à ce que ce soit rare.

Il est important, à mon avis, que lorsque le gouvernement devra défendre l'intégrité de la citoyenneté canadienne, il ne soit pas obligé de dire: «Désolé, nous n'y pouvons rien» parce que, techniquement parlant, toutes les dispositions de la loi pourraient avoir été respectées. Le gouvernement n'aurait donc pas la possibilité d'agir dans l'intérêt public. Je crois que ce serait une erreur. Je pense qu'il est absolument essentiel, pour quelque chose d'aussi important que la citoyenneté canadienne, que le gouvernement puisse agir et doive rendre compte des décisions qu'il prend dans ces cas exceptionnels et extraordinaires.

Le sénateur Beaudoin: Le mécanisme ne m'inquiète pas. Je suis d'accord avec vous. Ce n'est pas le gouvernement. Il nous faut un exécutif vigoureux. Je suis parfaitement d'accord avec tout cela.

Mon problème, c'est que le pouvoir donné est quasi-illimité. Qui dira que c'est dans l'intérêt public? C'est dans le projet de loi, mais ce n'est pas précis. Peut-être est-il difficile d'être plus précis. Qui le fera? Les tribunaux. Mais l'accès aux tribunaux est bloqué.

Mme Caplan: Comme vous l'avez souligné, les tribunaux, particulièrement en ce qui concerne la Charte, entendront les causes qu'ils jugent relever d'eux. Par conséquent, leur accès n'est absolument pas bloqué lorsqu'il s'agit de la Charte des droits et libertés ou de la Constitution canadienne. La disposition que contient ce projet de loi est conforme aux dispositions standards d'autres lois.

M. Stevens: Monsieur le sénateur, j'aimerais dire quelque chose au sujet de la clause relative au privilège, au paragraphe 22(3). La Cour suprême du Canada, vous le savez sans doute, l'appelle la clause privative intégrale.

Qu'est-ce que cela signifie? Selon Sopinka, dans l'affaire Pasiechnyk en 1997, si une clause privative intégrale est appliquée, la décision du tribunal ne peut être revue que si elle est manifestement déraisonnable ou si le tribunal a fait une erreur d'interprétation d'une disposition législative limitant ses pouvoirs. Dans ces deux cas, le tribunal aura excédé ses compétences.

Là où je veux en venir c'est que, oui, il y a une clause privative, et je suis tout à fait d'accord que Sopinka dit: «Faites preuve de déférence, tribunal, n'intervenez pas. Laissez le Cabinet décider des questions d'intérêt public», bien que les tribunaux aient encore un rôle à jouer dans l'examen des décisions.

Le sénateur Beaudoin: Je suis d'accord avec cela. Bien sûr, le tribunal peut intervenir.

Mme Caplan: J'ajouterais une dernière chose. C'est une question de principe importante. Dans notre procédure démocratique, et dans la tradition parlementaire britannique, la question de savoir qui décide de l'octroi de la citoyenneté est fondamentale. La première Loi sur la citoyenneté du Canada a été adoptée en 1947, et elle habilitait le gouvernement à accorder la citoyenneté. Nous faisons les lois, et selon ces règles, c'est le gouvernement qui accorde la citoyenneté.

Les tribunaux n'ont jamais été habilités à octroyer la citoyenneté. C'est une prérogative de l'État, du gouvernement. Il est important de préserver ce principe. C'est la raison d'être de cette clause, parce qu'il est important que le gouvernement puisse octroyer la citoyenneté, et il est important qu'il puisse refuser, reporter, révoquer ou annuler la citoyenneté dans certaines circonstances.

La disposition de ce projet de loi, sur la capacité de refuser ou de retarder l'octroi de la citoyenneté dans l'intérêt public, fait ressortir ce principe du droit de l'État, et non des tribunaux, de décider qui peut devenir citoyen canadien.

Le sénateur Andreychuk: Peut-être pourrais-je continuer sur la clause de l'intérêt public, mais d'une perspective de politique gouvernementale. Il me semble que les décisions d'intérêt public, dans tous les cas que j'ai pu trouver, ont été prises dans un certain contexte. Nous avons cerné le domaine et nous avons décrété que, pour tout ce qui concerne ce domaine, l'exécutif a le droit d'exercer son pouvoir dans l'intérêt public.

Ce projet de loi m'apparaît extrêmement troublant. Il renferme toutes les clauses de sécurité nationale permettant à l'exécutif d'exercer un pouvoir discrétionnaire dans l'intérêt national. L'article 23 et ceux qui suivent couvrent tout ce qui touche les menaces, quelles qu'elles soient, au Canada, à la sécurité, à l'intérêt national.

Nous allons même plus loin que cela et ajoutons l'article 28, qui prévoit toute une gamme d'autres motifs d'interdiction dont certains, je présume, sont dans l'intérêt public et d'autres relèvent de la sécurité nationale.

Et puis il y a une nouvelle clause qui vise l'intérêt public. Vous avez déjà dit que le genre de cas qui serait traité dans l'intérêt public porterait sur un problème de sécurité. C'est déjà prévu dans les clauses nationales, les articles 23 et 28, alors je vous demande à quoi diable servira l'article 21?

Vous nous avez donné un motif supplémentaire aujourd'hui. Quelqu'un peut avoir commis un crime abominable dans un pays dont le système judiciaire ne préserve pas la primauté du droit. Allons-nous maintenant nous mettre à analyser le système de justice pénale d'autres pays? Ce n'est pas un test de sécurité. C'est un test sur la façon de nous y prendre pour analyser les systèmes judiciaires d'autres pays. Est-ce que c'est ce que nous voulons? Le cas échéant, pourquoi ne pas le dire ainsi? Si nous pensons que le système d'un pays particulier ne préserve pas la primauté du droit, et si quiconque commet un crime dans ce pays, peut-être pouvons-nous alors dire clairement que cette clause lui interdit l'accès à la citoyenneté canadienne.

Il nous faut un certain contexte pour définir l'intérêt public. Les témoins et les membres des comités ont discuté de cas où les gouvernements ont exercé à juste titre leur droit d'agir dans l'intérêt public selon la conjoncture du moment. Les gouvernements élus par la population et de façon démocratique ont pris des décisions en se fondant sur l'intérêt public, mais le temps nous a bien montré que des injustices ont été commises dans notre propre pays. Il y a eu des actes commis au Canada qui, sur le coup, ont semblé très populaires. Des pressions ont été exercées pour que certaines choses soient faites, et ces actions n'ont pas bien passé le test du temps.

Les tribunaux ne feront qu'analyser après le fait si la loi a été respectée. C'est en fait le Parlement qui donne carte blanche à l'exécutif. Je m'inquiète quand n'importe quel gouvernement se fait donner carte blanche. Je préférerais qu'il y ait un contexte, un cadre de travail. Je veux savoir exactement comment le gouvernement exercera ce pouvoir dans l'intérêt public. À ce que je comprends, c'est la première fois qu'une disposition législative donne le pouvoir général de défendre l'intérêt public sans établir aussi un contexte.

Mme Caplan: Je vais vous donner l'exemple d'une expérience personnelle. Il y a bien des années, j'ai eu le privilège d'être au service du ministre de la Santé de l'Ontario. Il y a eu un projet de loi qui nécessitait une évaluation d'intérêt du public avant qu'un ministre puisse accorder un permis. Il était bien clair que l'évaluation d'intérêt public relevait de l'obligation du ministre. Le processus et les procédures ont bien fonctionné.

C'est pourquoi j'ai dit que je connais bien la démarche. Je comprends la responsabilité. Je comprends aussi la nécessité de rendre des comptes, parce que dans ce cas, quiconque à qui était refusé un permis s'en faisait donner les raisons, et c'était au demandeur de décider d'aller en public ou non et de poser des questions pendant la période de questions s'il jugeait la décision injuste. Il incombait au ministre de justifier la décision et de dire pourquoi il n'était pas de l'intérêt public d'octroyer ce permis. Il y avait donc des mesures appropriées de reddition des comptes.

Vous avez parlé de certains moments de notre histoire. Moi aussi, je reviens parfois sur le passé et je pense à nos périodes noires. Tout cela, c'était avant notre Charte. Aujourd'hui, non seulement avons-nous la Loi constitutionnelle, mais nous avons aussi la Charte des droits et libertés et un tribunal activiste. S'il y avait un gouvernement qui osait violer ces droits et libertés, les Canadiens se rallieraient pour protéger et défendre la Charte.

En matière de prise de décisions, avant et depuis l'avènement de la Charte, ce sont deux environnements très différents pour vérifier les déclarations que fait le gouvernement relativement à l'intérêt public.

Le sénateur Andreychuk: En 1947, nous avons adopté une loi qui donnait à l'État le droit d'accorder la citoyenneté. Je ne crois pas que ce comité ait entendu aucun témoin exprimer un désaccord avec cela. En fait, beaucoup ont dit qu'ils sont venus au Canada parce que la primauté du droit leur donnait le sentiment d'être protégés et en sécurité ici.

Comment faites-vous le lien entre cet intérêt public général et le rejet du droit d'un citoyen à la sécurité que représente pour lui la vie au Canada? J'ai trouvé assez hardie la mesure qu'a prise notre gouvernement en 1977, conformément à l'esprit de notre leadership sur ces questions, quand il a dit que la citoyenneté est un droit et que nous ne leur retirerons pas simplement en exerçant des pouvoirs discrétionnaires généraux. Nous ne retirerons pas des droits sans que les gens puissent être entendus et avoir une procédure de recours. J'espérais que ce projet de loi mettrait la barre encore plus haut, de manière à rétrécir plutôt qu'à creuser l'écart entre ceux d'entre nous qui sommes nés ici et ceux qui sont venus vivre ici.

Comment répondez-vous aux gens qui disent: «C'est vrai, je ne suis pas né ici. Oui, je suis venu vivre ici. Oui, je sais quel privilège c'est -- pas un droit, mais un privilège -- que de vivre dans ce pays. Tout ce que je demande c'est que, quoi qu'on me reproche, on me laisse y répondre»? Il doit bien y avoir une procédure de recours quelconque.

Mme Caplan: Ces dispositions sont dans le projet de loi. Il y a une procédure de recours et je veux bien l'examiner avec vous.

Le sénateur Andreychuk: Je parle d'intérêt public.

Mme Caplan: Il y a effectivement une disposition visant une procédure de recours dans l'intérêt public, et c'est que la personne est avertie par lettre. Il lui est possible de se défendre. On lui expose tous les faits et les motifs. L'information qu'elle soumet est ensuite transmise au Cabinet et au gouverneur en conseil. Tout cela, bien entendu, comme je l'ai dit, doit se faire conformément aux dispositions de la Charte. Il est donc, à mon avis, erroné de dire que la clause de délai ne prévoit pas de procédure de recours.

Au sujet d'un autre point que vous avez soulevé -- et je veux réaffirmer ceci -- la disposition relative à l'intérêt public retarde l'accès à la citoyenneté. Nous disons qu'il n'existe pas de droit constitutionnel en matière de citoyenneté. Vous êtes un résident permanent du Canada. S'il y a une raison de croire que vous l'êtes devenu de façon frauduleuse, il existe une autre procédure à suivre. Du simple fait que vous êtes résident permanent, vous ne devriez pas pouvoir obtenir votre citoyenneté en raison d'un détail technique. Nous ne devrions pas être tenu d'accorder à une personne la citoyenneté lorsque nous ne croyons pas que cette personne défendra l'intégrité et les valeurs associées à la citoyenneté canadienne. Les tribunaux ont également déclaré que la citoyenneté n'est pas un droit constitutionnel. J'ai décrit la disposition relative à l'intérêt public comme étant une soupape de sécurité. On s'attend à ce qu'il y ait très peu de causes mais je peux vous assurer que, dans un premier temps, il y a application régulière de la loi et, dans un deuxième temps, obligation de justifier l'utilisation de cette disposition, ce qui est conforme à notre tradition parlementaire.

Le sénateur Andreychuk: Il me semble que vous parlez des dispositions relatives à la procédure de recours dans d'autres articles du projet de loi. Je parle de la disposition relative à l'intérêt public. La personne est informée des raisons pour lesquelles sa citoyenneté canadienne sera refusée, mais un rapport la concernant peut être présenté au cabinet et y faire l'objet de discussions. Comment quelqu'un peut-il alors essayer de présenter ces arguments? Par écrit seulement, je suppose en disant: «Je crois qu'il s'agit là des choses dont vous discutez et voici l'évaluation que j'en fais.»

Cela ne fait assurément pas progresser les choses. Les changements apportés en 1977 ont fait le contraire, je pense très justement. Nous avons alors dit que nous voulions que les personnes qui ne sont pas nées ici aient quelque assurance de ne pas perdre leur citoyenneté et qu'il y aurait une procédure de recours. L'absence d'une définition de l'intérêt public et le refus d'accès aux tribunaux à moins qu'il y ait atteinte à un droit garanti par la Charte empêche les gens de faire valoir leur cause à l'égard d'une accusation dont ils ignorent l'existence.

Mme Caplan: Je suis fondamentalement en désaccord avec vous. Je pense que le gouvernement du Canada a vraiment l'obligation d'assurer les Canadiens qu'une valeur et une intégrité associées à la citoyenneté et d'être responsable devant les personnes auxquelles nous ne sommes pas prêts à accorder la citoyenneté. Elles peuvent toujours continuer à vivre au Canada comme résidents permanents. Personne ne leur enlève cette sécurité, mais nous ne sommes pas disposés à les accueillir dans la famille canadienne dans des circonstances qui pourraient être dévoilées si la personne décidait de les rendre publiques. Elle aurait le droit de le faire. Le gouvernement devrait alors rendre entièrement compte de cette décision. Je crois que c'est le rôle du Parlement. Je crois que c'est le rôle du conseil exécutif. Je ne pense pas que nous devrions laisser le soin aux tribunaux de prendre des décisions qui appartiennent à juste titre, dans un processus démocratique, aux représentants élus démocratiquement.

Je ne partage pas votre crainte. Je pense que cet article serait rarement invoqué. Le besoin a été reconnu. Si vous refusez au gouvernement la possibilité de retarder l'octroi de la citoyenneté, vous dites alors, sénateur: «Venez. Laissez-les entrer. Vous pouvez être quelqu'un que le Canada ne veut pas accepter.» Nous pouvons défendre notre position, mais nous devons dire ensuite: «Je suis désolé, mais techniquement vous respectez toutes les dispositions de la loi. Il se peut que vous n'ayez pas été condamné au criminel, mais vous pourriez être un semeur de haine. Vous pourriez être une personne qui incitera à la haine. Nous n'avons pu vous condamner et parce que vous respectez tous les aspects techniques de la mesure législative, le gouvernement est tenu de vous accorder votre citoyenneté.»

Je ne crois pas que cela soit dans l'intérêt des Canadiens. Je crois que la plupart des Canadiens diraient que le gouvernement doit pouvoir, dans ces rares cas, décider que nous ne sommes pas prêts à accorder la citoyenneté. Il s'agit d'une clause de délai. Nous la reverrons dans cinq ans. Nous en serons responsables. Je crois que c'est ce à quoi s'attendent les Canadiens.

Le sénateur Andreychuk: Je ne crois pas qu'une personne qui est reconnue coupable d'un crime majeur ou une personne qui pose un risque pour la sécurité ou une personne qui ne satisfait pas aux critères établis à l'article 28 en ce qui a trait à l'admissibilité ou une personne qui fait l'objet d'une enquête menée par le Service canadien du renseignement de sécurité ou la Gendarmerie royale du Canada ou une personne qui pose un risque pour la sécurité du Canada devrait être acceptée. Cependant, je...

Mme Caplan: En ce qui concerne la loi actuelle, nous disons qu'il peut arriver qu'une personne passe à travers les mailles du filet et qu'il est donc dans l'intérêt public d'y intégrer une disposition pour remédier à la situation. Ainsi, au moyen d'un mécanisme équitable, vous seriez en mesure d'être responsable devant le public et de déclarer que cette personne n'a pas été reconnue coupable d'un crime mais qu'elle ne mérite pas encore de se voir attribuer la citoyenneté canadienne. Ces personnes passent à travers les mailles du filet, mais il y va de l'intérêt du Canada de faire en sorte que, même s'il se peut que les dispositions de la loi ne soient pas claires quant à leur inadmissibilité, nous ne les accueillions pas dans la famille canadienne. Le gouvernement du jour serait responsable de cette décision. Il s'agit du critère de l'intérêt public et j'estime qu'il est nécessaire pour le gouvernement d'être en mesure d'agir au nom de l'intérêt public.

Nous avons reconnu un problème. Nous croyons qu'il pourra arriver, quoique rarement, où la loi doive nous permettre de refuser la citoyenneté canadienne pendant une certaine période. Cela vise une personne qui passe à travers les mailles du filet et ne satisfait pas aux critères définis dans les autres dispositions. Telle est l'intention.

Le sénateur Andreychuk: Je pense que notre différence d'opinion réside simplement dans le fait que, selon moi, il faudrait définir l'expression «intérêt public» et qu'il ne devrait pas s'agir d'un critère subjectif inconnu du citoyen.

Mme Caplan: Ce n'est pas là la question. Le paragraphe 21(3) parle d'un avis envoyé à la personne. Le ministre est tenu d'informer la personne des raisons et celle-ci peut alors lui faire part de ses observations au ministre.

C'est après qu'on s'adresse au Cabinet pour qu'il rende une décision une fois que la personne a eu la chance de répondre au ministre.

Le sénateur Poy: Avez-vous dit que les personnes qui se voit refuser la citoyenneté pour une raison d'intérêt public peuvent rester au Canada comme résident permanent?

Mme Caplan: Oui, c'est exact.

Le sénateur Poy: Si c'est le cas, comment l'intérêt public serait-il servi si le contrevenant reste ici qu'il soit ou non citoyen canadien?

Mme Caplan: Nous défendons l'intégrité de la citoyenneté canadienne en la refusant à une personne qui, selon nous, ne la mérite pas -- une personne dont l'acceptation dans la famille canadienne nous poserait de véritables problèmes. Les gens viennent ici comme immigrants reçus et ce projet de loi décrit la capacité de présenter une demande de citoyenneté, mais il ne s'agit pas d'un droit constitutionnel. Une personne n'obtient pas automatiquement la citoyenneté. Il y a certaines exigences -- la connaissance du pays et de l'une des langues officielles du Canada et l'attachement au Canada. La mesure législative vise aussi à empêcher une personne -- quelqu'un qui, ailleurs dans le monde, a commis un crime pour lequel il n'a pas été puni faute d'autorité judiciaire -- de porter atteinte à la citoyenneté canadienne. Nous devons être en mesure d'accorder de l'importance à la citoyenneté canadienne en disant que nous ne sommes pas prêts à accorder la citoyenneté à cette personne pour le moment au nom de l'intérêt public. Je pense que les Canadiens s'attendent à ce que nous puissions le faire.

Le sénateur Poy: Si ces personnes sont à ce point indésirables pourquoi leur permet-on de continuer de résider en permanence au Canada?

Mme Caplan: Il existe des critères précis en ce qui a trait au statut de résident permanent et de son maintien. Nous aurons l'occasion, lorsque nous discuterons du projet de loi concernant l'immigration, d'examiner les dispositions relatives à la révocation du statut de résident permanent si une personne a commis un crime grave pour lequel il a été condamné au Canada ou ailleurs. Nous pouvons alors prendre des mesures pour la révocation du statut de résident permanent.

Le projet de loi à l'étude prévoit que la personne redevient résident permanent. Toutefois, dans ce cas particulier, il est question d'une personne qui n'a pas été reconnue coupable. Il est improbable qu'une enquête aurait lieu pour lui retirer son statut de résident permanent. La question à se poser alors est de savoir si nous sommes disposés à l'accueillir dans le giron canadien comme membre de plein droit et égal, c'est-à-dire qu'elle jouirait non seulement des droits et privilèges conférés par la citoyenneté canadienne, mais qu'elle pourrait aussi se dire canadienne, qu'elle pourrait représenter le Canada individuellement ou briguer une charge publique.

Le sénateur Poy: J'aimerais vous soumettre un cas hypothétique. Quelqu'un de l'étranger qui est qualifié de «terroriste» arrive au Canada et demande la citoyenneté canadienne, qui lui est refusée. La personne demeure ensuite au Canada en tant que résident permanent. Entre-temps ou, peut-être, quelques années plus tard, il y a une révolution dans son pays d'origine, et un nouveau gouvernement est formé. Subitement, cette personne est du «bon» camp. Qu'arrive-t-il alors, quand tout est chamboulé? Comment définit-on alors l'«intérêt public» au Canada?

Mme Caplan: Sénateur, le monde dans lequel nous vivons est plein de conflits. Le ministère compte sur le SCRS, sur la GRC et sur des organismes internationaux pour partager avec lui les renseignements au sujet des personnes inadmissibles. La Loi sur la citoyenneté et l'immigration comporte des dispositions explicites au sujet de l'inadmissibilité -- la non-admissibilité pour des raisons d'ordre criminel ou de sécurité nationale. C'est toujours un défi d'avoir la bonne réaction, parce que les situations évoluent effectivement. Toutefois, une des raisons pour lesquelles la disposition concernant l'intérêt public dans la Loi sur la citoyenneté et l'immigration inclut un délai de cinq ans est justement de pouvoir réagir à ces situations changeantes.

Le sénateur Poy: Le cas peut-il être soumis à un nouvel examen tous les cinq ans?

Mme Caplan: Oui, il le peut.

Le sénateur Cools: Ma question porte sur le serment d'allégeance en rapport avec l'intérêt public. Pouvez-vous nous dire pourquoi l'expression «intérêt public» n'est pas incluse ici? J'ai compris quand vous avez parlé des droits inhérents que la citoyenneté est un privilège. Il s'agit, pour parler en toute franchise, d'une mesure discrétionnaire de Sa Majesté prise en vertu de sa prérogative royale.

Mme Caplan: D'après l'avis juridique donné par le ministère de la Justice, nous pourrions nous retrouver dans l'obligation, si nous ne prévoyons pas le critère de l'intérêt public, de conférer la citoyenneté pour des questions de forme. Je demanderai à M. Stevens de vous donner plus de précisions à cet égard, mais je conviens avec vous qu'il s'agit d'une mesure discrétionnaire.

Le sénateur Cools: On s'attend que le ministre de sa Majesté ou tout ministre d'État n'exercera les prérogatives de la Couronne que dans l'intérêt public. Ce sont là les conditions d'exercice de la prérogative royale.

Mme Caplan: C'est juste.

Le sénateur Cools: Le droit rattaché à la prérogative comporte de nombreuses prescriptions auxquelles doit se conformer le souverain dans l'intérêt public. Je me demande pourquoi l'expression «intérêt public» figure dans le projet de loi. Il me semble qu'on pourrait dire: «Si un ministre est convaincu qu'il existe des motifs raisonnables de croire qu'une personne ne devrait pas avoir la citoyenneté». L'article du projet de loi devrait dire: «Le ministre est convaincu qu'il existe des motifs raisonnables de croire que la personne ne devrait pas avoir la citoyenneté». Pourquoi les rédacteurs ont-ils ajouté l'expression «contraire à l'intérêt public»? Le ministre a déjà reçu l'ordre de Sa Majesté de n'exercer la prérogative que dans l'intérêt public.

Mme Caplan: Pour les mêmes raisons qu'on n'arrive jamais à s'entendre unanimement sur un document qui est produit. Il existe plusieurs façons différentes de dire la même chose. Nous avons choisi la formule de l'intérêt public parce que nous croyons qu'on comprend mieux les responsabilités rattachées à l'intérêt public et la discrétion des mandataires élus du gouvernement. Je vais demander à M. Stevens de vous donner une réponse plus poussée.

Le sénateur Cools: Plus particulièrement, pourquoi ne dit-on pas simplement: «Le ministre peut, s'il est convaincu qu'il existe des motifs raisonnables», puis parler d'interdire l'attribution de la citoyenneté?

M. Stevens: On irait ainsi beaucoup plus loin. Le pouvoir discrétionnaire serait encore plus grand. Des témoins ont déjà dit que ce pouvoir discrétionnaire était trop grand. Nous estimons que l'expression «intérêt public» a une certaine signification dans ce contexte. Comme vous dites, si l'exigence est implicite dans l'exercice de la prérogative, cela ne peut donc pas nuire de l'énoncer explicitement.

Le sénateur Cools: L'introduction de cette expression dans le projet de loi, puis d'un examen judiciaire, entraîne toute une série de problèmes. Je me demande pourquoi l'expression est là. Je ne suis pas convaincue qu'il est particulièrement prudent de l'inclure, mais là n'est pas ma principale préoccupation.

Je vais donc passer au serment d'allégeance. J'ai été frappée par le fait que le projet de loi C-16 -- et vous savez que la question me tracasse depuis un bon bout de temps -- appelle le serment un «serment de citoyenneté». Ce serment de citoyenneté, qui est censé être en réalité un serment d'allégeance, n'exprime ni des valeurs ni des sentiments. En fait, on a beaucoup discuté de ce que devrait dire le serment.

Si j'ai bien compris, le serment d'allégeance est uniquement censé être une déclaration dans laquelle le nouveau citoyen promet son allégeance à l'autorité suprême du pays. En d'autres mots, il reconnaît à sa souveraine le pouvoir de lever des impôts, de l'appeler sous les drapeaux ou de l'incarcérer.

Le sénateur Grafstein: Que proposez-vous, sénateur?

Le sénateur Cools: Je soutiens que le serment d'allégeance original convient parfaitement et qu'il n'y a pas de raison de le modifier.

Pour en revenir à ma proposition originelle, le serment d'allégeance, tel qu'il existe en citoyenneté canadienne depuis plus de 130 ans, est parfaitement convenable. Je reviens toujours là-dessus -- il n'est pas nécessaire de le changer.

J'ai fait ma petite enquête sur ces serments. J'ai découvert que, dans la loi de 1977, on parle d'un «serment solennel», alors qu'il s'agit exactement du même serment que dans la loi de 1946. Toutefois, la loi de 1946 le qualifie de «serment d'allégeance». La loi de 1868, soit la loi du Parlement du Canada concernant les étrangers et la naturalisation, indique clairement, au paragraphe 4(2) concernant la déclaration de résidence, que tout étranger, pour avoir droit aux avantages prévus dans la présente loi, doit aussi faire le serment d'allégeance que voici.

Les versions antérieures de la loi disent clairement que, pour avoir droit aux avantages prévus dans la loi, chaque étranger naturalisé devra faire le serment d'allégeance. La Loi de naturalisation de 1868 parle, à l'article 9, du serment d'allégeance, qui est exactement le même que celui qui est prévu dans la loi de 1977 et dans celle de 1946.

Par conséquent, madame la ministre, je dis que, durant la rédaction du projet de loi, le «serment d'allégeance» s'est transformé en «serment de citoyenneté». Bien des gens ne semblent pas actuellement savoir que le serment de citoyenneté est censé être un serment d'allégeance. Maintenant qu'il s'agit d'un serment de citoyenneté, d'autres mots viennent s'ajouter. Par souci de clarté, de continuité historique et d'unanimité quant à qui les Canadiens doivent l'allégeance, il faudrait peut-être que le serment d'allégeance soit clair, concis et inchangé.

J'ai également suivi l'argument avancé par le sénateur Joyal. La version du serment de citoyenneté prévue dans le projet de loi C-16, serment qui est censé être un serment d'allégeance, comporte une dualité. Il s'agit de deux serments dans un. Je supplie à nouveau la ministre de ne pas toucher au serment d'allégeance.

Mme Caplan: J'en ai parlé dans ma déclaration préliminaire. Nous avons, je crois, dégagé un consensus. Le serment reflète maintenant le besoin de simplifier et d'être concis. Je crois qu'il reflète les valeurs des Canadiens. J'estime qu'il s'agit d'un bon serment.

Je ne crois pas que vous arriverez à faire l'unanimité, sénateur. Je ne crois pas que la version actuelle fait l'unanimité. Sa modification ne fait pas non plus l'unanimité. Nous tenons des consultations à ce sujet depuis de nombreuses années, et je crois que ce que nous proposons est bon. Il importe d'avoir un nouveau serment qui mette en relief le rôle du Canada dans le monde.

Le sénateur Moore: Madame la ministre, à l'article 34 du projet de loi, il est question «des termes» du serment. Pourquoi parle-t-on des termes? Il est question ici du serment. Pourquoi parler des termes? On laisse entendre qu'il pourrait y avoir des changements.

Le serment est un document sur lequel s'appuie le concept de la citoyenneté canadienne. Votre projet de loi propose de le changer maintenant, mais s'il fallait le changer, il faudrait en saisir le Parlement à nouveau. Pourquoi parlons-nous des termes du serment? Pourquoi ne pas simplement dire que son texte se trouve à l'annexe?

Mme Caplan: D'après les fonctionnaires du ministère, il s'agit d'une disposition formelle de rédaction. En anglais, la formule est un peu différente. Il est question de «form of».

C'est rédigé ainsi pour que la version anglaise et la version française correspondent. Ce sont des formules de rédaction qu'on utilise pour contenter les rédacteurs.

Le sénateur Moore: Je n'accepte pas cette explication. J'aimerais connaître la raison. Je peux lire aussi bien que n'importe qui. Ne me dites pas qu'il s'agit d'une question de rédaction.

Mme Caplan: C'est ce qu'on m'a donné comme raison.

Le sénateur Moore: C'est inacceptable. Ce n'est pas une véritable explication.

Mme Caplan: J'aimerais aussi souligner, sénateur, que c'est exactement la même terminologie que dans la loi actuelle.

M. Stevens: C'est l'autre point que j'allais ajouter. Il ne s'agit pas d'une question de fond. Tous pourront comprendre ce qu'est le serment. Il se trouvait dans la version initiale, et les rédacteurs ne voyaient pas le besoin de la modifier.

La présidente: Peut-être est-ce rédigé de cette manière parce que, lorsque Sa Majesté la Reine meurt, le serment comme tel devra être changé. Ne demeurera-t-il pas couché dans les mêmes termes lorsqu'on changera le nom du souverain?

Le sénateur Beaudoin: Aucun accent n'est mis sur le décès d'un roi ou d'une reine.

Mme Caplan: Quand j'ai posé cette question, on m'a répondu que la version était identique à celle de la loi antérieure et qu'il s'agissait d'une disposition de rédaction.

Le sénateur Joyal: J'aimerais ajouter autre chose aux vues qui ont été exprimées jusqu'ici au sujet de «l'intérêt public».

Essentiellement, l'intérêt public est lié aux éléments qui définissent une société, alors que l'intérêt national a rapport aux éléments qui définissent un pays souverain.

La difficulté, c'est que, lorsqu'il faut traiter de questions en rapport avec la société, il devient un peu délicat d'encadrer une certitude juridique pour les citoyens lorsqu'ils demandent la citoyenneté ou lorsqu'ils doivent assumer leur défense si cette citoyenneté est révoquée.

Dans l'affaire Nova Scotia Pharmaceutical Society, le tribunal a statué qu'il faut maintenir un délicat équilibre entre les intérêts de la société et les droits individuels.

C'est essentiellement le coeur de la question. Personnellement, je ne me sens pas tout à fait à l'aise, comme d'autres sénateurs je crois, de faire en sorte que, dans un pays où la règle du droit est un principe fondamental, les gens comprennent le plus possible l'étendue de leurs droits et les répercussions des décisions qu'ils pourraient prendre au-delà de la norme. La «norme» est un élément fluide, mais comment contester des normes qui sont laissées entièrement à la discrétion d'une seule personne? Cette personne est conseillée par l'administration. Vous, en tant que ministre, êtes conseillée par l'administration -- dans le cas présent, par MM. Stevens et Dorais et par Mme Frith. C'est à vous qu'il revient de prendre la décision finale, cependant, de sorte que vous êtes à la fois juge et partie.

Cela laisse planer de l'incertitude quant à la question de l'application régulière de la loi. Il y a un élément d'incertitude. Quelles sont les normes que vous appliqueriez? Quelles normes vous suggèrent vos propres fonctionnaires? C'est vous qui prenez la décision finale.

On a l'impression qu'on s'attend à beaucoup de participation personnelle. Comme à un de mes prédécesseurs, rien ne me déplaît autant que d'avoir à prendre une décision sans critères objectifs et fiables pour me guider.

Je suis d'accord avec vous que de pareils cas sont peut-être très rares et pourraient même ne jamais survenir durant votre mandat comme ministre, mais là n'est pas la question. L'essentiel est de savoir que nous traitons de l'organisation d'une société que nous louangeons parce qu'elle repose sur certains principes fondamentaux.

Même s'il n'y avait qu'un seul cas, l'importance de la décision réside dans l'influence qu'elle aura en tant que précédent. Il faut que la société soit cohérente dans sa façon de conférer des droits à ses membres. C'est pourquoi vos assurances répétées que ces cas sont très rares et que la décision peut être soumise à un examen judiciaire nous mettent si mal à l'aise. Ce n'est pas ainsi que nous souhaitons aborder la définition de nos droits. Il est question de révoquer les droits que confère la citoyenneté. Il faut que l'objectif global du projet de loi corresponde à ces principes fondamentaux.

Mon second point concerne le serment. Je suis conscient qu'on estime qu'il faudrait rendre la monarchie moins visible. C'est ce qui se dit. Je ne crains pas de le dire. Par contre, l'examen des serments de citoyenneté d'autres pays soulève une grave question. Le texte du serment américain se trouve dans la Constitution des États-Unis, de sorte que les termes ne peuvent en être modifiés pour un oui ou pour un non.

On doit retrouver deux éléments essentiels dans un serment. Le citoyen doit promettre de respecter la règle du droit telle que prévue dans la Constitution. Ensuite, il fait le serment de respecter la structure politique inscrite dans la perpétuité de l'État. C'est la raison d'être du serment.

Parce que nous avons essayé de plaire à tous, nous n'avons pas adopté une approche rationnelle pour définir la teneur du serment. Nous avons essayé de le rendre le plus neutre possible pour plaire au plus grand nombre, mais ce n'est pas la bonne façon d'aborder un serment qui est lié à notre Constitution.

Notre serment dit que nous promettons allégeance à Sa Majesté la Reine du droit du Canada. Dans la Loi d'interprétation, la mention de Sa Majesté la Reine ou de Sa Majesté le Roi ou de la Couronne désigne le souverain du Royaume-Uni, du Canada, des autres royaumes et territoires et le chef du Commonwealth.

La cérémonie de citoyenneté inclut de toute évidence une promesse d'allégeance au principe de la monarchie constitutionnelle. Il faut que le libellé même du serment en fasse état.

Je suis navré, madame la ministre, de voir que vous riez pendant que je parle, et j'aimerais bien que portiez attention à ce que je dis. J'estime avoir droit à au moins cette marque de respect.

Mme Caplan: Continuez. Je répondrai avec plaisir à votre question.

Le sénateur Joyal: Madame la présidente, je crois savoir que la ministre a déjà pris sa décision et je ne crois pas qu'il soit utile d'aller plus loin.

La présidente: Sénateur Joyal, je vous serais reconnaissante de poursuivre votre question.

Le sénateur Joyal: Je vous remercie, madame la présidente. À votre demande, je vais poursuivre. Quand on fait quelque chose d'aussi important pour la définition de nos droits et le symbolisme du pays, il faudrait que non seulement les nouveaux citoyens, mais tous les Canadiens en comprennent bien les raisons, car cela a un rapport avec le respect porté à l'organisation du pays et avec la connaissance qu'on en a.

Promettre l'allégeance uniquement au Canada est si général que cela pourrait signifier n'importe quoi. Les serments des autres pays font toujours mention de la structure constitutionnelle. Nous faisons le serment d'allégeance à la Constitution du Canada, parce que c'est là que se trouvent énumérés nos droits. Les termes utilisés ne devraient pas être si vagues que l'on ne comprend pas exactement à quoi on promet allégeance.

Il aurait fallu essentiellement que le projet de loi à l'étude comporte un préambule ou une disposition expliquant ce qui est inclus dans la citoyenneté et quels droits et responsabilités en découlent. Il faut bien comprendre qu'il ne s'agit pas d'un projet de loi ordinaire, de règles concernant l'utilisation d'un aéroport ou d'un havre. Le projet de loi à l'étude va au coeur même de notre pays et de la conception que nous en avons.

Mme Caplan: Pour ce qui est du droit individuel à la citoyenneté, je répète que la Constitution n'en prévoit pas. La citoyenneté est un privilège consenti par l'État à ceux qui sont les bienvenus dans le giron canadien. Il existe des exigences auxquelles il faut satisfaire, et ces exigences sont établies dans le projet de loi à l'étude. On craint que certains individus puissent passer à travers les mailles du filet tendu par le projet de loi. Le gouvernement estime qu'il serait contraire à l'intérêt public -- c'est-à-dire à l'intérêt de tous les Canadiens -- d'attribuer la citoyenneté à ces personnes.

Elles seraient avisées de notre intention de ne pas leur accorder la citoyenneté. Le ministère a repéré cette faille, si on peut l'appeler ainsi, de la loi actuelle. Nous estimons, comme l'a dit le sénateur Cools, qu'il est de notre prérogative et privilège de faire en sorte que la citoyenneté canadienne n'est accordée qu'à ceux qui satisfont à toutes les exigences auxquelles s'attendraient les Canadiens. C'est pourquoi nous avons ajouté la disposition prévoyant le critère d'intérêt public. Je crois que la plupart des Canadiens comprendront la raison d'être de cette insertion et qu'ils appuieront le fait que le gouvernement doive rendre des comptes complets sur toute décision prise en vertu de cette disposition.

Je ne crois pas que vous, sénateur, ou tout autre sénateur sérieux, accepteriez que la citoyenneté soit accordée pour des questions de forme parce qu'une personne satisfaisait à toutes les obligations imposées par la loi. Les tribunaux ont clairement statué que la citoyenneté n'est pas un droit constitutionnel. Bien que nous nous soyons efforcés d'être aussi clairs que possible sur qui peut demander la citoyenneté canadienne, nous avons également repéré les circonstances exceptionnelles dans lesquelles nous voudrions pouvoir la refuser à quelqu'un.

Vous avez aussi mentionné les révocations. Il importe de répéter que la citoyenneté ne sera pas et ne peut pas être révoquée à moins que les personnes visées aient sciemment fait de fausses déclarations en vue de l'obtenir et que, si la vérité avait été connue, elles n'auraient pas été admissibles.

Ceux qui parlent de citoyens de second ordre ont tort. Cela n'existe pas au Canada. Quand vous obtenez à bon droit la citoyenneté canadienne, vous êtes l'égal de ceux qui sont nés ici et de ceux qui ont choisi le Canada comme pays. Toutefois, si vous avez menti en vue d'obtenir la citoyenneté canadienne, si vous avez délibérément falsifié des documents, si vous ne nous avez pas dit qui vous étiez, si vous êtes sciemment venu ici pour vous cacher, alors nous, les sénateurs et les collègues, sommes obligés de faire en sorte que la loi nous permette de révoquer la citoyenneté à laquelle vous n'aviez pas droit au départ. Les Canadiens s'attendent que nous le ferons.

Le régime est en place depuis 1977 et a fait ses preuves. Les tribunaux ont jugé qu'il n'était pas contraire à la Constitution et à la Charte des droits et libertés. Le régime est juste. Il existe des voies régulières de droit. Il fonctionne. Le projet de loi à l'étude ne le modifie en rien, et c'est ainsi que cela devrait être selon moi.

Quant au serment, nous sommes simplement en désaccord. Je crois que le serment représente un consensus de l'opinion canadienne. J'ai dit qu'il n'y avait pas d'unanimité. Je respecte votre point de vue. Je ne suis tout simplement pas d'accord avec vous. Je ne crois pas qu'il soit possible de faire l'unanimité au sujet du serment en ce moment et je crois que c'est là quelque chose que nous traînerons constamment comme un boulet, à mesure que se développe le pays. Chacun a une opinion différente de ce que devrait être le serment. Toutefois, le texte du serment proposé dans le projet de loi C-16 a fait l'objet d'un consensus et d'un examen suffisants. Je crois qu'il mérite notre appui et qu'il faudrait l'adopter. J'assiste aux cérémonies de remise des certificats de citoyenneté. Je sais à quel point elles ont de l'importance et à quel point le serment prêté par les nouveaux citoyens canadiens est sérieux.

Le sénateur Grafstein: Je ne fais pas partie du comité, mais je m'intéresse vivement au sujet. Tout d'abord, vos fonctionnaires pourraient peut-être nous fournir une référence écrite en ce qui concerne la traduction du paragraphe 18(1). Nous croyons avoir relevé une erreur de rédaction. Je ne souhaite pas absorber votre précieux temps maintenant en vous demandant des précisions, mais certains d'entre nous estiment que la version française ne correspond pas tout à fait à la version anglaise. Vous pourrez peut-être nous faire part de vos réflexions à ce sujet par écrit.

J'ai une autre question, nouvelle, que j'aimerais aborder avec vous, après quoi je reviendrai à celle de l'intérêt public. La nouvelle question est fort simple. Il s'agit de l'article 14 du projet de loi. J'ai écouté avec soin ce que vous avez dit au sujet des citoyens qui ne perdraient pas leur citoyenneté sans en être avisés, mais l'article 14 du projet de loi prévoit exactement le contraire. On peut perdre la citoyenneté sans même le savoir et sans en être avisé. Cela me semble injuste. Quand vos fonctionnaires ont été interrogés à ce sujet, ils ont dit: «Ils n'ont qu'à se renseigner auprès de nous, et nous le leur dirons». Toutefois, des personnes pourraient découvrir essentiellement, le jour de leur vingt-huitième anniversaire, que, parce qu'elles n'ont pas résidé au Canada pendant trois ans auparavant, selon cette disposition, elles ont perdu leur citoyenneté et elles n'auront aucun moyen de la faire réintégrer, sauf en en faisant la demande particulière à la Couronne. Vous pourriez peut-être régler cette situation, car il n'y a pas d'avis. Le seul avis donné est un document public.

Je tiens à revenir sur la question plus intrigante de l'intérêt public. À nouveau, madame la ministre, vous avez l'avantage sur nous. Nous vous avons demandé, à vous et à vos fonctionnaires, de nous présenter une analyse très poussée de l'intérêt public. Malheureusement, jusqu'ici -- j'avoue que je suis fautif --, je n'ai pas eu l'occasion de lire toutes les causes traitant de l'intérêt public, particulièrement l'affaire McAllister, à laquelle on a fait allusion ce matin. Par conséquent, je suis défavorisé au départ en ce sens que, quoi que je dise, je n'aurai pas examiné toute la législation. Toutefois, cela ne m'a jamais arrêté.

J'ai suivi attentivement l'interprétation que vous ou vos fonctionnaires faites de l'arrêt rendu par la Cour suprême du Canada dans l'affaire Morales. Dans cette décision, la majorité des juges, y compris l'actuel juge en chef McLachlin, estimaient que la définition d'intérêt public était si vague qu'elle entraînait, comme l'ont fait remarquer les sénateurs d'en face, justement la situation qu'on souhaitait éviter. Je suis convaincu que les sénateurs assis à la table ne souhaitent pas conférer à la magistrature le droit intégral de définir ce que nous considérons être l'intérêt public. C'est là le rôle du législateur. En fait, l'ex-juge Lamer l'a bien exprimé. Il a dit:

Ce terme donne aux tribunaux toute latitude pour conclure qu'une situation donnée peut justifier la détention avant le procès,

C'était sur cette question que portait l'affaire.

[...] mais il n'énonce pas de critères permettant de circonscrire ces situations.

En fait, vous n'avez pas consacré de temps à définir, à circonscrire ou à établir ce qu'on entend par là dans le contexte du projet de loi. Le sénateur Joyal a fait une excellente suggestion en proposant l'ajout d'un préambule précis, ce qui serait utile. Même le juge Gonthier était d'accord avec le juge en chef dans cette décision. Il a dit qu'il fallait qu'il y ait un équilibre entre les intérêts de la société et les droits individuels, mais, même dans cette décision, il était d'accord avec la conclusion finale.

Soit dit en passant, je n'ai jamais aimé vous parler en tant que ministre. Je préfère discuter avec les porte-parole du ministère parce que, lorsque cette question reviendra sur le tapis, nous serons peut-être encore là, mais, soyons francs, nous avons vu sept ou huit -- peut-être neuf -- ministres d'État occuper le fauteuil où vous vous trouvez depuis que je suis là. Vos bonnes intentions ne m'intéressent pas tant que cela, bien que je les respecte et que je sache que votre coeur est à la bonne place.

Je ne m'intéresse pas vraiment à vos bonnes intentions ou à votre responsabilité, mais plutôt à ce que la loi dit pour guider votre successeur, qui aura peut-être les mêmes principes que vous, principes que je respecte et que j'admire. Voilà ce qui me préoccupe. J'aimerais éviter de donner au ministère autant de pouvoir discrétionnaire sur qui a droit au plus grand honneur que peut conférer le Canada, soit le droit à la citoyenneté. Il n'y a pas de plus grand honneur.

À nouveau, les tribunaux nous demandent, nous du Parlement, de faire notre travail et de leur donner des lignes directrices, des critères qui leur permettront de se prononcer, de ne pas les laisser pendre dans le vide.

J'ai une ou deux suggestions à faire, car il est facile de critiquer mais beaucoup plus difficile de résumer l'essentiel. Par exemple, le juge Gonthier a dit que souplesse n'était pas synonyme d'imprécision dans ce critère, et c'est pourquoi on parle à la fois d'intérêt public et de nécessité publique. Le mot «nécessité» est peut-être plus normatif. La loi comporte des définitions fort intéressantes du terme «nécessité». On pourrait peut-être inclure le mot «intégrité».

Je suis conscient qu'il est difficile de circonscrire des situations où l'intégrité de la citoyenneté est menacée. Je comprends cela. La ministre Caplan l'a dit fort éloquemment: «L'intérêt public inclura la sécurité, l'intégrité, la nécessité publique et le respect de notre citoyenneté». Je ne voudrais pas être le concitoyen d'un criminel de guerre qui n'a pas subi son procès. Je ne souhaite pas m'asseoir à côté de M. Milosevic, qui n'aura pas subi de procès en cour criminelle. Je ne veux pas de M. Pinochet dans mon pays. Je suis d'accord avec vous, mais nous sommes différents des Milosevic et Pinochet justement parce que nous avons ces règles écrites du droit.

Je vous exhorte, vous en tant que ministre et vos fonctionnaires inventifs, de nous aider dans cette tâche, parce que nous souhaitons tous atteindre le même but. Le problème, c'est que nous sommes un pays où règne la règle du droit, et le Canada est pris dans une tempête d'émotions à ce sujet même depuis quelques jours. J'espère donc que vos fonctionnaires seront de meilleur conseil pour vous aider à régler la question.

Selon les faits, la Cour suprême n'appuie pas actuellement ce que vous dites. Vos fonctionnaires ont même dû vous renvoyer à un jugement minoritaire pour soutenir votre position. Il faut assurément un appui beaucoup plus solide pour un projet de loi d'une pareille importance.

Mme Caplan: Je vais parler de l'article 14, auquel vous avez fait allusion, concernant la perte de la citoyenneté. Il importe de comprendre exactement ce dont il est question, et je cite:

La personne qui a la citoyenneté du fait de sa naissance à l'étranger d'un père ou d'une mère ayant la qualité de citoyen du fait de leur propre naissance à l'étranger, soit qu'elle ait eu lieu après le 14 février 1977, soit qu'elle ait été enregistrée après cette date en conformité avec la législation antérieure, la perd le jour de son vingt-huitième anniversaire à moins qu'elle n'ait fait une demande au ministre pour la conserver et qu'elle ne justifie de sa résidence au Canada pendant au moins 1 095 jours au cours des six ans qui ont précédé la date de sa demande.

De toute évidence, il est question d'une personne susceptible de n'avoir aucune attache avec le Canada -- elle est née à l'étranger, de parents nés aussi à l'étranger. Elle a hérité du droit de demander et de conserver la citoyenneté canadienne, à condition d'avoir des attaches avec le Canada. On exige que dans les six ans qui précèdent son vingt-huitième anniversaire, elle ait habité au Canada pendant trois ans, c'est-à-dire pendant 1 095 jours. La même règle s'applique à ceux qui immigrent au Canada et demandent la citoyenneté. Nous disons ainsi qu'en raison de la citoyenneté de vos parents, nous vous conférons la citoyenneté jusqu'à l'âge de 28 ans, mais qu'il vous faudra, à la date anniversaire, décider si vous voulez avoir des attaches avec le Canada.

Le sénateur Grafstein: Jusqu'à 22 ans, madame la ministre, puisque, selon l'article du projet de loi, le séjour doit se faire dans les six ans qui précèdent le vingt-huitième anniversaire.

Mme Caplan: Elle présente la demande avant son vingt-huitième anniversaire, de sorte qu'à l'âge de 25 ans au plus tard, il faut qu'elle ait pris sa décision. Il n'est pas nécessaire que les 1 095 jours de séjour soient consécutifs, mais il faut que la personne ait résidé au Canada pendant 1 095 jours au cours des six ans qui précèdent. Par exemple, si une personne vient au Canada à l'âge de 25 ans, qu'elle habite ici pendant trois ans et qu'elle forme un fort attachement au Canada, elle peut conserver sa citoyenneté à perpétuité. Si, par contre, la personne a la possibilité de conserver sa citoyenneté, mais qu'elle n'en profite pas pour se créer des attaches avec le Canada -- en n'entrant jamais en communication avec un consulat, une ambassade ou une haute commission ou en ne s'y inscrivant pas --, quelle obligation avons-nous à son égard?

Selon moi, il faut faire de la publicité pour les informer de leurs obligations s'ils souhaitent garder leur citoyenneté -- c'est ce que nous faisons. Quiconque se rend dans une ambassade, un haut commissariat ou un consulat reçoit l'information voulue, surtout s'il dit: «Je suis l'enfant d'un citoyen canadien et je viens chercher les formulaires nécessaires pour la citoyenneté, car je dois en faire la demande.» On lui fait part de l'exigence relative au maintien de la citoyenneté, soit l'une des valeurs du projet de loi C-16, comme de la loi précédente, c'est-à-dire l'exigence relative à des «liens importants avec le Canada.»

Nous avons dit que nous voulons des gens qui connaissent notre pays, qui ont vécu dans notre pays et qui ont des liens importants avec notre pays. Nous avons prévu une campagne de publicité conjointement avec ce projet de loi et de temps à autre, nous envoyons de l'information pour que les gens connaissent les règles relatives au maintien de la citoyenneté.

Je peux assurer l'honorable sénateur que je me suis rendue dans nos postes consulaires à l'étranger. Quiconque entre dans l'un de nos consulats a la possibilité de s'entretenir avec un fonctionnaire chargé des questions de citoyenneté. Il peut recevoir un certificat de citoyenneté à l'un de nos bureaux à l'étranger. La plupart de nos bureaux délivrent chaque année des centaines de certificats pour les enfants nés à l'étranger. C'est à ce moment-là que l'information au sujet des exigences relatives au maintien de la citoyenneté est transmise.

Il est toujours possible d'améliorer les choses en ce qui concerne les avis et de faire de la publicité. L'objectif visé, c'est d'encourager ces gens à venir vivre au Canada et à former des liens avec notre pays afin qu'ils puissent garder leur citoyenneté. Le Canada est très généreux lorsqu'il s'agit d'octroyer la citoyenneté à la seconde génération de ceux qui sont nés à l'étranger. En retour, nous leurs demandons de créer des liens importants avec le Canada en vivant dans notre pays pendant une période de trois ans. C'est tout à fait raisonnable.

Je trouve difficile d'imaginer que quiconque visé par cette disposition n'entrerait jamais en contact avec une ambassade ou un consulat. Il faut en effet commencer par contacter un agent de la citoyenneté dans une ambassade, un haut commissariat ou un poste consulaire à l'étranger pour se voir octroyer la citoyenneté.

Au ministère, nous sommes tenus de nous assurer qu'une fois le contact établi, ces personnes sont complètement informées, non seulement de leurs droits, mais aussi de leurs responsabilités et obligations.

Il n'y a que 20 cas.

La présidente: Ce seront probablement les cas difficiles.

Mme Caplan: Pour ces cas difficiles, il est prévu que la personne visée pourra présenter des arguments. La citoyenneté pourrait être rétablie à la suite d'une requête présentée au Cabinet.

La présidente: J'ai un point à ajouter à la première partie de la question du sénateur Grafstein, avant que vous ne passiez à la deuxième partie.

Imaginez qu'une personne arrive dans une ambassade du Canada à l'étranger et qu'on l'informe du droit qu'elle a de voir sa citoyenneté rétablie si elle vit au Canada trois années sur six avant d'atteindre l'âge de 28 ans. Imaginez qu'une personne revenait au Canada à l'âge de 25 ans et, qu'à l'âge de 30 ans, elle découvre qu'elle n'est plus citoyen canadien. Ce droit est-il rétroactif? Cette personne pourrait-elle dire: «Je suis ici depuis l'âge de 25 ans, trois années avant d'avoir 28 ans. Aucune publicité n'a été faite au Canada à ce sujet et je n'en savais rien.»

Mme Caplan: Oui. C'est exactement le genre de cas relatif à la reprise de la citoyenneté. Une personne pourrait présenter une requête et plaider sa cause. Le Cabinet en serait saisi et pourrait rétablir la citoyenneté. Les mesures de protection existent bel et bien.

Il est bon de noter également que ceux qui ont perdu leur citoyenneté en vertu de cet article ont une autre voie de recours. Ils pourraient venir au Canada comme résidents permanents et devenir admissibles à la citoyenneté au bout d'une année.

Par conséquent, le projet de loi renferme plusieurs mesures de protection pour que personne ne soit défavorisé de façon inopportune. Les règles sont claires. Des liens importants avec le Canada représentent une valeur implicite et nous nous attendons à ce que les Canadiens aient de tels liens avec leur pays.

La présidente: Pouvez-vous répondre à la deuxième partie de la question du sénateur Grafstein?

Mme Caplan: J'aimerais remercier le sénateur d'avoir posé cette question.

Je suis convaincue de la nécessité de l'article relatif à l'intérêt public. Chaque situation est différente et il est difficile de prévoir ou de comprendre ce qui pourrait se produire.

Il est important pour un ministre de juger de l'opportunité d'un projet de loi afin de pouvoir résister à l'examen public. Je ne peux pas imaginer de cas qui ne serait pas éventuellement abordé à la période de questions. N'importe quel cas pourrait être renvoyé devant un tribunal en vertu de la Charte. Par conséquent, toutes les dispositions que vous avez exposées seraient prises en compte, tandis que celles applicables à un cas particulier dépendraient des circonstances.

Je n'ai donc aucun problème en ce qui concerne cette disposition dont nous avons besoin, car les Canadiens s'attendent à ce que nous soyons en mesure d'agir au nom de l'intérêt public et de retarder l'octroi de la citoyenneté, lorsqu'il le faut. Vous avez utilisé les mots «respect» «intégrité» et «valeurs.»

Personne ne tiendrait à accueillir certaines des personnes que vous avez nommées et j'imagine que ce ne serait pas uniquement en raison de leur identité. Il est probable que leur réputation ne ferait pas honneur au Canada et ne favoriserait pas l'intégrité de la citoyenneté canadienne.

Il faut pouvoir faire preuve de fermeté. Il faut avoir le pouvoir discrétionnaire de retarder l'octroi de la citoyenneté au nom de l'intérêt public. Nous ne voulons pas nous retrouver dans une situation où, à cause d'un détail technique, il faudrait octroyer la citoyenneté à certaines des personnes dont vous avez fait mention.

Le ministère m'indique que c'est un problème. Ce serait l'exception, mais cela reste un problème.

Nous n'assumerions pas nos responsabilités en tant que parlementaires si nous supprimions cet article du projet de loi. Il faut donner au ministère, au ministre et au conseil exécutif la capacité d'avoir recours à ce pouvoir discrétionnaire lorsqu'il le faut, au nom de l'intérêt public.

Le sénateur Moore: Madame la ministre, au paragraphe 21(3), soit l'article du projet de loi relatif à l'intérêt public, il est indiqué que l'avis comporte un résumé des motifs contenus dans le rapport et pourtant, cette même disposition n'est pas prévue au paragraphe 17(2) qui traite de la révocation. Il est indiqué que l'avis doit faire état de la faculté qu'a l'intéressé, dans les 30 jours suivant la date d'expédition, de demander au ministre de saisir la Section de première instance de la Cour fédérale de l'affaire. C'est prévu sans droit d'appel. Pourtant, cet avis ne comporte pas un résumé des motifs. Pourquoi pas?

M. Stevens: Tout d'abord, il s'agit de processus tout à fait différents. Vous avez raison de dire que l'avis de révocation ne comporte pas la description des motifs.

Il existe toute une jurisprudence relative à la révocation et non pour les cas touchant l'intérêt public. À cause de cette jurisprudence, le gouvernement sait qu'il est important de décrire ses motifs dans l'avis. Le tribunal a également indiqué que si on ne le fait pas au départ, il est alors impossible s'y appuyer par la suite.

Le sénateur Moore: Je suis d'accord, toutefois, cette description n'est pas prévue.

Mme Caplan: La réponse, c'est qu'il s'agit de processus différents à cause de la jurisprudence.

Le sénateur Moore: Je le comprends.

M. Stevens: À cause de la jurisprudence dans ce domaine, l'avis renfermerait tous les renseignements nécessaires pour que la révocation aboutisse.

Le sénateur Moore: Je me place du point de vue de la personne qui se retrouve dans cette situation. Il n'y a pas de possibilité d'appel, d'après ce projet de loi. Pourquoi cette personne ne recevrait-elle pas un avis complet des arguments portés contre elle?

Mme Caplan: Elle est avisée, car les formalités de révocation prévues par le projet de loi C-16 sont identiques à celles qui existent depuis 1977. La jurisprudence au sujet de ce processus indique ce qui est exigé ainsi que les mesures à prendre pour que la révocation puisse aboutir.

Tous les tribunaux, y compris la Cour suprême du Canada, ont vérifié ce point et en ont conclu que c'est conforme à la Charte, ainsi qu'à la Constitution. Étant donné que nous n'apportons pas de changements aux modalités de révocation, ce que vous proposez n'est pas nécessaire, car c'est déjà prévu dans la jurisprudence.

La présidente: Il n'y a pas de changement dans cette partie de la loi?

Mme Caplan: Il n'y en a pas.

Le sénateur Moore: Pourquoi l'avez-vous prévu dans la disposition relative à l'intérêt public?

Mme Caplan: Parce qu'il s'agit d'une nouvelle disposition et qu'il n'existe pas de jurisprudence sur ce processus.

Le sénateur Moore: Il n'y en a pas?

Mme Caplan: Non, c'est une nouvelle disposition.

Le sénateur Moore: D'accord. Je ne le comprends pas. Je ne sais pas pourquoi cela ne serait pas prévu, ne serait-ce que pour une question de cohérence et dans les cas où il n'y a pas de possibilité d'appel.

Mme Frith: Au moment de la rédaction du projet de loi, les rédacteurs voulaient être parfaitement clairs. Ils sont donc plus précis dans les cas où il n'y a pas de jurisprudence et c'est la raison pour laquelle ce point apparaît dans un article et pas dans l'autre.

Le sénateur Andreychuk: Je remercie le sénateur Moore d'avoir soulevé ce point, car je voulais aussi l'aborder.

L'explication donnée semble indiquer que ce que renferme l'article 17 existe depuis 1977. Cela a été mis à l'épreuve et a été vérifié au tribunal. Toutefois, pour certains témoins, cela semble en quelque sorte injuste. Vous recevez un avis et vous devez présenter vos arguments, mais ce n'est pas avant d'arriver à la Section de première instance de la Cour que vous savez exactement quels sont les arguments portés contre vous. Est-ce juste au point de vue temps? Cela cadre-t-il avec les perceptions du public? Dans le cas d'affaires criminelles très élémentaires, l'accusé reçoit certainement un avis plus détaillé. Même s'il s'agit ici d'une question administrative, la révocation de la citoyenneté est quelque chose de très important. Beaucoup se demandent pourquoi l'avis n'est pas remis plus tôt. J'aimerais avoir une réponse à cette question.

L'article n'a pas été modifié, mais le problème qui se pose, c'est qu'il n'y a pas possibilité d'appel. Par conséquent, on nous dit que -- et apparemment, la jurisprudence l'appuie -- face à des faits quasiment semblables, un juge prend une décision et un autre, une autre. Prenons l'exemple de la fraude. Il revient au Cabinet, au gouverneur en conseil, de prendre une décision au sujet de la révocation, alors que c'est un juge qui arrive à une conclusion de fait. Des arguments assez solides permettent de se prononcer en faveur d'un appel, pour le gouvernement tout autant que pour l'intéressé, car les juges ne sont pas infaillibles. Or il semble maintenant que l'on choisit en quelque sorte le juge de la Cour fédérale en fonction de son éventuelle conclusion. Pour des raisons de cohérence, la procédure d'appel devrait être autorisée car les faits sont en quelque sorte «décidés» au cours du procès.

Laissons de côté le fait qu'il existe une raison probablement valable à ce que l'exécutif ait le pouvoir de ne pas révoquer la citoyenneté pour des motifs humanitaires. C'est au tribunal qu'il appartient de déterminer de manière technique ce que sont la fraude et la fausse déclaration et ce, à juste titre, mais il faudrait prévoir une procédure d'appel, car les juges ne sont pas infaillibles. Pourquoi ne pas améliorer les choses par rapport à 1977 et faire en sorte que la justice soit mieux perçue?

Mme Caplan: Les tribunaux se sont prononcés au sujet des questions d'impartialité dont vous parlez. Ils ont déclaré, en trois occasions distinctes, que notre système est juste et impartial. Les plus hautes cours ont eu la possibilité de demander des changements au processus de révocation et elles ont choisi de ne pas le faire. Elles ont également, de temps à autre, fait des déclarations sans équivoque au sujet de la nature de ce processus, lequel se conforme à l'impartialité intrinsèque des dispositions de l'actuelle Loi sur la citoyenneté. Ces jugements ont été rendus. Les cours sont déjà en train d'examiner les décisions.

La Cour fédérale d'appel, dans les affaires Luitjens et Katriuk, a statué que le système en place respecte les dispositions de la Charte et, plus particulièrement, les préoccupations en ce qui concerne la procédure de recours. Dans l'affaire Dueck, le juge Noël a déclaré que le processus de révocation ne diminue en rien le droit du répondant à être traité équitablement et conformément aux principes d'impartialité et de loyauté. En outre, les tribunaux ont soutenu qu'il n'y a aucun droit absolu d'appel. Et Luitjens et Katriuk en ont appelé à la Cour suprême du Canada relativement à ces points, et leur demande de pourvoi a été refusée.

Le projet de C-16 respecte davantage la Charte. Le processus a été contesté devant les tribunaux, jusqu'en Cour suprême du Canada, qui a statué qu'il était conforme à la Constitution et à la Charte des droits et libertés. Les dispositions de la Charte sont respectées du fait que la décision de la Section de première instance de la Cour fédérale s'en tient aux faits et n'a aucun effet sur les droits à la citoyenneté en soi.

Lorsqu'on l'examine de façon objective, il est clair que le processus de révocation défini dans le projet de loi C-16 garantit la procédure de recours et offre amplement l'occasion à ceux qui sont touchés de se défendre et de faire examiner leur cause attentivement. Trois organismes distincts doivent examiner l'affaire en vertu du processus actuel: la Cour fédérale doit examiner les faits afin de déterminer s'il y a eu fraude; le ministre et le Cabinet examinent ensuite les circonstances de l'affaire et la politique gouvernementale détermine si la citoyenneté doit être révoquée ou non. Il y a une surveillance judiciaire des principales décisions administratives qui sont prises et le système actuel confère un pouvoir de décision discrétionnaire au Cabinet en faveur d'une personne touchée.

Les tribunaux concentrent leurs décisions sur des questions de droit. L'inclusion d'un appel judiciaire n'améliorerait pas le processus de révocation. Dans le cas d'un appel judiciaire, les tribunaux doivent se concentrer sur des points de droit. Cela limite la perspective par rapport à l'examen qui se fait à l'heure actuelle par le Cabinet. Le gouverneur en conseil examine de près le droit et l'élément humain et peut faire preuve de compassion. Le processus actuel a l'avantage de laisser place à la souplesse et à la discrétion. Le Cabinet, lorsqu'il rend une décision dans un cas particulier de révocation, peut toujours invoquer des motifs humanitaires pour révoquer l'ordonnance.

Tous les ans, la citoyenneté est accordée à des milliers de personnes qui immigrent au Canada et qui sont prêtes à partager entièrement les droits, les obligations et les avantages qu'offre notre société. Pourtant au cours des trois dernières décennies, seules quelques personnes ont vu leur citoyenneté canadienne révoquer -- quelque 37 cas depuis 1977 -- alors que 3 millions de gens ont obtenu la citoyenneté canadienne. Je pense que cela prouve la rareté du geste.

Le processus actuel renforce la protection des Canadiens et la valeur associée à la citoyenneté canadienne. Il a été mis à l'épreuve devant les tribunaux. Le processus a fait ses preuves et le gouvernement a décidé de ne pas y apporter de changement. Les tribunaux ont dit qu'il est juste et qu'il respecte nos obligations en vertu de la Constitution et de la Charte. Ceux qui entrent au Canada le font en s'engageant à respecter les lois canadiennes et à protéger les valeurs de notre société. Nous devons donc disposer d'un processus efficace pour nous occuper des cas de ceux qui entrent au Canada de façon frauduleuse, qui ne respectent pas les règles du jeu et nous trompent intentionnellement. Un tel processus est décrit dans le projet de loi C-16. Il est essentiel d'assurer l'intégrité de la loi et de protéger la valeur que représente la citoyenneté canadienne.

Comme je l'ai dit, les motifs de révocation sont très difficiles à prouver. Le gouvernement doit prouver que quelqu'un a menti intentionnellement. Je le répète, le projet de loi C-16 ne change rien de ce qui existe de ce pays depuis 1977. La validité du processus a été confirmée par nos tribunaux. Il a fait ses preuves. Nous estimons qu'il n'est pas nécessaire d'y apporter des changements, que le processus est équitable, qu'il comporte une procédure de recours et qu'il garantit l'intégrité de la citoyenneté canadienne.

Cela permet au Canada de déclarer qu'il ne servira pas de repaire aux criminels de guerre, à ceux qui ont commis des crimes contre l'humanité, aux terroristes ou à ceux qui y sont venus et ont menti pour y entrer. Ces gens ne peuvent s'attendre à ce que le Canada soit un refuge pour eux, et nous disposons d'un processus nous permettant de révoquer la citoyenneté d'une personne qui l'a obtenue de façon frauduleuse, qui a dissimulé intentionnellement de l'information et qui a fait de fausses déclarations pour entrer au Canada. Les tribunaux ont reconnu la validité du processus. Aucun changement n'est nécessaire.

Le sénateur Andreychuk: Je ne suis pas sûre de la déclaration vous lisiez. En avons-nous un exemplaire?

La présidente: Non, nous ne l'avons pas, mais elle est maintenant consignée au compte rendu.

Le sénateur Andreychuk: J'ai cru comprendre après votre première comparution ici que vous estimez que l'article 17 n'a pas besoin d'être modifié. Le point que j'ai soulevé était qu'un tribunal, un juge, peut rendre une décision permettant à un criminel de guerre ou un terroriste de conserver sa citoyenneté canadienne parce que toutes les preuves n'ont pas été présentées ou en raison d'un point de vue particulier. Si le juge détermine qu'il n'y a pas eu fraude, il n'y a aucun appel et la personne peut rester au Canada.

De même, d'autres ont soutenu qu'un appel est nécessaire en raison des faits établis contre les citoyens en question. Il me semble que la question du refuge sûr pour les criminels de guerre et les terroristes relève davantage de l'immigration que de la citoyenneté.

Une fois de plus, nous ne sommes pas d'accord avec vous lorsque vous dites que ce projet de loi permet d'atteindre les objectifs dont vous parlez.

Mme Caplan: Je dirais une fois de plus que notre expérience avec cette loi remonte à 25 ans. Des affaires sont allées jusqu'en Cour suprême du Canada et la loi est claire. Nous avons en place une procédure de recours qui est considérée équitable. Le droit et les normes sont connus. Le ministère sait très bien qu'il doit défendre sa position devant la Cour fédérale et il connaît les critères qu'il doit respecter. Si on ne peut démontrer le bien fondé d'un point de vue, les choses s'arrêtent là. Dans le cas contraire, la décision peut encore être soumise au Cabinet.

Parce que la personne est avisée, on pourrait dire que l'appel se fait au Cabinet. Je crois que c'est approprié. C'est là que la décision devrait être prise.

Le sénateur Andreychuk: Vous continuez de dire qu'il y a 37 affaires auxquelles cela s'applique. On nous a dit que 3 000 cas ont été soumis au ministère. De ce nombre, 37 ont été jugés par les tribunaux. Est-ce bien ainsi que les choses se sont passées?

Mme Frith: Essentiellement, nous avons fait rapport du nombre d'affaires qui pourraient faire l'objet d'un examen en raison d'appels téléphoniques ou de lettres ou pour d'autres raisons et exigeant un suivi en application de l'article sur les crimes de guerre. Il pourrait arriver qu'on propose l'examen d'autres affaires pour des raisons d'immigration ou parce que des gens ont menti en ce qui a trait à leur résidence. Au bout du compte, il n'y a eu que 37 cas de révocation de la citoyenneté au cours des 23 dernières années.

Le sénateur Andreychuk: Le projet de loi C-31 est à une étape quelconque à la Chambre des communes, si je comprends bien. Il s'agit du projet de loi concernant l'immigration. On a dit qu'il comporte davantage de mesures de protection et un meilleur accès à la procédure de recours que le projet de loi C-16. Qu'avez-vous à dire à cet égard?

Mme Caplan: Je ne suis pas d'accord.

La présidente: Sur ce, nous allons poursuivre.

Le sénateur Joyal: J'ai une question d'ordre juridique pour vous. Le serment se lit en partie comme suit: «Dorénavant, je promets fidélité et allégeance au Canada...»

Monsieur Stevens, quelle est la définition légale de «Canada»? Que veut dire ce mot du point de vue légal? L'article 35 de la Loi d'interprétation, pour plus de certitude, dispose que les eaux intérieures et la mer territoriale du Canada font partie du territoire du «Canada». D'après cette définition, le Canada est davantage une entité géographique ou territoriale qu'une structure politique d'un pays ou de la Constitution.

Du point de vue légal, comment définit-on le Canada? Où puis-je regarder, dans les lois du Canada, pour m'assurer que, lorsque je promets allégeance au Canada, je promets allégeance à quelque chose qui est bien compris et bien défini?

M. Stevens: Le serment de citoyenneté présente certains aspects juridiques et symboliques. La Loi sur l'hymne national se trouve dans les Lois du Canada et renferme l'hymne Ô Canada. Cette loi donne probablement une meilleure image symbolique, comme celle dont nous débattons ici, ainsi que tous les sens du mot «Canada», plutôt que de ne s'en tenir qu'à l'entité géographique qu'il représente.

Le sénateur Grafstein: Pour donner suite à votre dernière réponse, un serment n'est donc pas un serment?

Par ailleurs, pouvez-vous me donner la différence juridique entre mes devoirs et mes obligations en tant que citoyen canadien? Quelle est la signification juridique des mots que vous avez ajoutés -- «et obligations»? Quelle est la différence entre devoirs et obligations?

C'est une question technique de rédaction ou une question juridique. Peut-être vos conseillers veulent-ils répondre.

La présidente: Nous allons libérer la ministre tandis que son personnel peut rester pour nous aider.

Merci beaucoup, madame la ministre, d'avoir comparu devant nous. C'est la deuxième fois que l'on vous pose toutes sortes de questions sur ce projet de loi et nous vous remercions du temps que vous nous avez consacré.

M. Stevens: S'agit-il d'un serment? Je répondrais simplement en disant que lorsque le Parlement décrète qu'un texte particulier est le serment de citoyenneté, il devient le serment en droit. Je dirais que oui, c'est un serment. Je suis certainement prêt à entendre plus de questions pour mieux cerner votre ligne de pensée, au cas où je comprendrais mal cet aspect.

Les devoirs et les responsabilités de la citoyenneté figurent dans la common law. Je suis citoyen de naissance, mais je sais que, d'après la loi, je dois allégeance à la Couronne et que certains devoirs et responsabilités sont liés à cette allégeance.

Dans certains cas, ils sont précisés dans la loi. Je pourrais donner comme exemple la responsabilité de faire partie d'un jury en Ontario.

Le sénateur Grafstein: Il n'est pas fait mention de «responsabilité», mais d'«obligation».

M. Stevens: Ce serait alors une obligation.

Le sénateur Grafstein: Je croyais qu'il s'agissait d'un devoir.

La présidente: Il s'agit des devoirs de juré, de toute façon.

M. Stevens: Devoir ou obligation.

Le sénateur Joyal: J'ai une question de nature technique. Lorsque le serment fait mention de Sa Majesté Elizabeth II, Reine du Canada, et que l'on examine la définition de ces expressions dans la Loi d'interprétation, cette dernière stipule que les expressions «Sa Majesté, la Reine, le Roi ou la Couronne» désignent le souverain du Royaume-Uni, du Canada et de ses autres royaumes et territoires et chef du Commonwealth.» En d'autres termes, il n'est pas fait mention d'héritiers ou de successeurs dans cette définition. C'est ce que l'on a toujours compris, mais si on examine le libellé du serment, il est, pour l'essentiel, lié à la Loi d'interprétation. Si je veux savoir exactement le genre de serment que je prête, je lis la Loi d'interprétation qui ne fait pas mentions des héritiers ou successeurs. Essentiellement, il s'agit du souverain du Royaume-Uni, du Canada et des ses autres royaumes et territoires et chef du Commonwealth. Techniquement parlant, c'est bien ce dont il s'agit, n'est-ce pas?

M. Stevens: Dans la définition que vous venez de lire on retrouve le mot «souverain.» À mon avis, cela désigne le souverain actuel. C'est implicite. Qu'il s'agisse de la Reine Elizabeth ou de qui que ce soit à l'avenir, c'est le souverain, d'après la Loi d'interprétation.

Par ailleurs, les principes de common law concernant la transmission de la Couronne nous ont porté à croire, au ministère de la Justice, qu'il n'était pas utile que chaque personne dise «à ses héritiers et à ses successeurs» pour que l'effet juridique subsiste.

Lorsque l'on réfléchit à la question, en tant que citoyen canadien, j'ai prêté serment pour devenir fonctionnaire, mais je n'ai jamais prêté le serment de citoyenneté. Pourtant, la loi stipule que je dois allégeance à Sa Majesté la Reine, à ses héritiers et à ses successeurs.

Le sénateur Joyal: En d'autres termes, si je comprends bien l'interprétation, même si le serment précédent renfermait l'expression «à ses héritiers et à ses successeurs,» on ne l'a pas reprise ici, car elle était superflue.

M. Stevens: C'était une décision politique visant à simplifier les choses pour la personne qui se lève pour prêter serment. C'était l'intention. Ce n'était pas censé avoir un effet juridique.

Mme Frith: Peut-être puis-je intervenir. C'est uniquement pour faciliter la lecture du serment que l'on a supprimé l'expression «à ses héritiers et à ses successeurs». Lorsque cette décision a été prise, nous nous sommes reportés à un principe bien établi de la common law, soit l'obligation de loyauté à l'égard du souverain, indépendamment de la personne qui porte la couronne. Par conséquent, il n'était pas nécessaire de préciser «à ses héritiers et à ses successeurs». C'est la raison pour laquelle le serment a été rédigé de cette façon. Cela ne veut absolument pas dire que l'on promet allégeance à la Reine Élisabeth II uniquement.

Le sénateur Joyal: Je conviens avec vous que le serment convient aux citoyens qui auraient promis allégeance à Sa Majesté, la Reine Élisabeth II. Lorsqu'elle est remplacée par un successeur, il ne fait aucun doute que le serment reste valable. Il ne perd pas sa validité uniquement parce que la personne qui porte le titre n'est plus la même. Le titre reste constant.

Il y a un élément de continuité dans la nature intrinsèque de l'expression «à ses héritiers et à ses successeurs» qui n'existe plus ici. Comme je le disais plus tôt, nous sommes une monarchie constitutionnelle; c'est une caractéristique fondamentale du Canada qui distingue notre pays des autres. Le serment de citoyenneté d'autres pays fait clairement état de la constitution. Ainsi, le serment des États-Unis, par exemple, renferme une promesse d'allégeance à la Constitution des États-Unis d'Amérique.

Nous vivons sous deux systèmes politiques en symbiose, ce qui permet de définir notre régime politique fondé en partie sur la constitution et en partie sur le privilège. C'est pourquoi nous sommes une monarchie. Bien sûr, ce privilège a été structuré par le Parlement au fil des années, mais il continue d'exister et c'est la raison pour laquelle nous sommes toujours une monarchie constitutionnelle. J'essaie de comprendre le sens juridique exact du serment ainsi que ses éléments constitutionnels pour m'assurer qu'ils y sont pris en compte. Mis à part la symbiose et la façon dont nous comprenons personnellement le serment, quel est en fait le sens juridique des mots qui sont utilisés ici?

Mme Frith: Des opinions comme les vôtres ont été prises en compte au moment de la rédaction du serment. Nous avons examiné ce que nous ferions juridiquement parlant, ainsi que la manière dont nous pourrions exprimer ce qui compte pour notre pays, de façon brève, concise, facile à lire et à réciter. Nous nous sommes demandé s'il fallait faire mention des Autochtones, des langues et de la diversité culturelle de notre pays. Nous avons dû examiner toutes les questions qui se posent à propos de la façon dont les gens se voient dans notre pays. Nous avons mené de vastes consultations et plusieurs écrivains ont travaillé avec nous. Au cours de tout ce processus, nous avons décidé: «Nous devons respecter le caractère juridique et exprimer très clairement la composante de la monarchie». Les habitants du Canada ont clairement indiqué qu'ils voulaient promettre fidélité au Canada, respecter ses droits et libertés et observer ses lois. Tout cela devait être énoncé sans équivoque dans le nouveau serment.

Comme l'a indiqué la ministre, nous sommes arrivés à un compromis et c'est la meilleure chose que nous puissions faire. Nous sommes convaincus qu'au plan juridique le serment reflète bien notre pays et que dans une perspective plus poétique, nous avons rendu ce que les gens nous ont dit. C'est ce que nous avons pu faire de mieux.

Le sénateur Andreychuk: Monsieur Stevens, un des témoins a indiqué qu'elle avait de la difficulté à comprendre ce que voulait dire le mot «présomption» au paragraphe 16(3). Je l'ai lu et relu. Il est dit que pour l'application du présent article, une personne est réputée avoir obtenu la citoyenneté..., par fraude si elle est en fait venue au Canada par fraude. Que signifie le mot «réputée» dans ce cas? Quelle est la présomption?

M. Stevens: La présomption vise simplement à bien établir dans le projet de loi qu'une fausse déclaration faite dans le cadre du processus d'immigration menant à la citoyenneté justifierait également une révocation.

Le sénateur Andreychuk: Donc, le paragraphe 16(3) est limité au processus d'immigration?

M. Stevens: L'article vise la personne admise au Canada comme résidente permanente -- en somme, le processus d'immigration. Si la personne devient résident permanent par des moyens frauduleux, cet élément a son importance et pourrait servir de motif pour révoquer la citoyenneté. C'est ce que dit la disposition.

La présidente: Des questions ont été posées au sujet de deux articles du projet de loi en rapport avec des erreurs de libellé -- des erreurs de traduction. Je crois qu'il y en avait une au paragraphe 18(1) et une autre dans l'article 30. Êtes-vous disposés à régler les problèmes aujourd'hui ou allez-vous nous envoyer de la documentation?

Mme Frith: Nous sommes disposés à discuter de l'article 30. Par contre, je ne me souviens pas qu'on ait posé des questions au sujet du paragraphe 18(1).

La présidente: Dans la version française du paragraphe 18(1), le mot «nulle» est censé être l'équivalent de «void» en anglais.

Le sénateur Beaudoin: Est-ce au paragraphe 18(1)?

La présidente: Oui.

Le sénateur Beaudoin: Je vais le relire.

Mme Frith: Nous pourrions peut-être discuter de l'expression «material error».

Le sénateur Beaudoin: Quelqu'un a pris note antérieurement de l'erreur matérielle. Êtes-vous sûre que c'est au paragraphe 18(1)?

La présidente: Nous pourrions peut-être examiner d'abord l'article 30, puis revenir au paragraphe 18(1).

Mme Frith: Voici ce que je sais de l'erreur à l'article 30:

[Français]

L'interprétation des termes «material defect» et «erreur importante», c'est ce que le sénateur Joyal avait relevé, n'est-ce pas?

[Traduction]

Je puis vous répondre de différentes façons, mais nous avons consulté nos rédacteurs qui nous ont affirmé que les deux expressions avaient le même sens en anglais et en français.

[Français]

C'est une phrase identique en anglais et en français. À titre d'exemple, certaines lois fédérales utilisent des termes similaires à ceux que nous retrouvons dans l'article 30 du projet de loi, dans les versions française et anglaise. Ils ont le même sens.

[Traduction]

Ainsi, dans la Loi sur la faillite et l'insolvabilité, «material omission» a le même sens qu'«omission importante» en français.

De plus, dans la Loi canadienne sur les sociétés par actions, quand l'erreur ou la déclaration inexacte est qualifiée de «material», en français, on parle de:

[Français]

«d'une erreur ou d'un renseignement inexact à son avis important.»

[Traduction]

Aux termes de la Loi sur les banques, un «statement of material facts» devient en français «un exposé des faits importants».

Dans la Loi établissant la Société Radio-Canada, l'erreur ou l'omission est «material»:

[Français]

[...] «d'une telle erreur ou d'une telle omission importante.»

[Traduction]

En droit, soit à l'article 10 de la Loi actuelle sur la citoyenneté --, il est question, en anglais, de «knowingly concealing material circumstances», ce qui devient en français:

[Français]

[...] «de la dissimulation intentionnelle de faits essentiels.»

[Traduction]

Nous avons reçu des conseils dans un rapport rédigé spécialement pour nous au sujet de l'article 30 du projet de loi et de la façon de l'appliquer. On nous a affirmé que par «material defect», il fallait entendre une erreur très claire dans le dossier qui a beaucoup d'influence sur la décision et fait naître de graves doutes quant à son exactitude.

[Français]

Une erreur importante est une erreur qui ressort clairement du dossier, qui a une influence marquée sur la décision et qui soulève de sérieux doutes quant à son exactitude.

Les exemples suivants illustrent des erreurs importantes. L'application erronnée des exigences ou des critères qui prévoient que la Loi sur la citoyenneté au Canada, en matière de preuve, une erreur fondamentale au sujet de l'application de lois étrangères dans un cas où l'application de cette loi est un élément obligatoire de la décision, une absence complète de preuves à l'appui de la ou des conclusions de fait que le fonctionnaire de la citoyenneté a tiré, la preuve est contraire à la conclusion de fait que le fonctionnaire de la citoyenneté fondé de pouvoir a tiré ou le fonctionnaire de la citoyenneté a omis de prendre en compte des faits pertinents ou a fondé sa conclusion sur des faits qui n'étaient pas pertinents. Les mots «erreur importante» n'incluent pas l'opinion que se forme le fonctionnaire fondé de pouvoir après un examen de la preuve. Surtout lorsqu'une preuve orale a été soumise aux décisionnaires, sauf si la décision est manifestement déraisonnable.

Sera également exclu une erreur alléguée dans les politiques ou les procédures écrites du ministère.

[Traduction]

Je peux continuer ainsi pendant longtemps, si vous le désirez.

La présidente: Ce ne sera pas nécessaire.

Le sénateur Joyal: C'est très important parce que le témoin a mentionné plusieurs lois. Nous pouvons les examiner en fonction du projet de loi à l'étude et voir ce qu'on entend exactement par ces expressions. Cela nous donne des pistes.

[Français]

Le sénateur Beaudoin: J'aime la réponse à votre question parce que c'est une question de génie de la langue. Le mot important c'est «entaché» d'une erreur. En anglais, c'est «material defect in the decision». En français, c'est «la décision est entachée d'une erreur importante.»

Si le mot «material» est souvent traduit par «important» ou «importante», cela me satisfait entièrement. Mais la première réaction que nous avons eue, le sénateur Joyal et moi-même, c'est que «material defect», c'est une erreur matérielle. C'est quelque chose qu'on voit bien. Puis là, vous dites «erreur importante». Mais si vous l'avez fait pour plusieurs autres statuts et que les cours ont déjà eu à se prononcer là-dessus, je n'en demande pas davantage. Cela a commencé il y a quelque temps cette façon de traduire?

Mme Frith: Comme je ne suis pas avocate, je vais céder la parole à mon collègue, M. Stevens.

[Traduction]

Mme Frith: Le fait-on depuis longtemps?

Le sénateur Beaudoin: Si l'expression a souvent été utilisée dans les lois et que les tribunaux se sont prononcés à son sujet, je n'ai rien à redire.

M. Stevens: Incluez-vous les mots «material» et «defect» dans les décisions?

Le sénateur Beaudoin: Le mot «material» est un peu étonnant.

M. Stevens: À ce sujet, il existe des précédents dans le domaine de la révocation -- ou peut-être est-ce en immigration -- qui établissent qu'une déclaration erronée «importante» est une déclaration erronée significative. Par ailleurs, je ne suis pas sûr si, en droit de l'assurance, la compagnie d'assurances est responsable quand vous faites une fausse déclaration importante dans votre demande d'indemnité. J'ai vu quelques décisions dans le domaine de l'assurance, mais je ne suis certes pas un expert. Ce sont là des réactions générales.

[Français]

Mme Frith: Je dois dire que cela existe dans la loi depuis au moins 1977. Alors c'est quelque chose qu'on utilise depuis longtemps.

[Traduction]

Le sénateur Beaudoin: L'expression «of consequence» pourrait se traduire en français par «important». «Quelque chose qui est important». Cela ne me pose pas de problème.

La présidente: Nous allons maintenant revenir sur le paragraphe 18(1). On m'apprend que, d'après la transcription de cette séance particulière, il s'agissait d'une discussion quant au sens de «nulle» en français et de «void» en anglais.

Sénateur Beaudoin, cela vous pose-t-il un problème? Si j'ai bien compris, on se demandait s'il s'agissait d'une erreur plutôt que de l'affirmer?

Le sénateur Beaudoin: Où se trouve le mot «void» en anglais? C'est rendu par «nulle» en français. Cela me semble juste.

La présidente: Le problème est réglé. On dit habituellement «null and void», mais ce n'est pas le cas dans le projet de loi à l'étude.

Je tiens à vous remercier énormément d'être demeurés à notre disposition et de nous avoir aidés à éclaircir ces points. Nous avons terminé.

Je tiens à souligner aux sénateurs que, lors de notre prochaine rencontre, nous ferons l'étude article par article du projet de loi. Je propose que cette étude se fasse lors de notre séance ordinaire, soit la semaine prochaine ou au moment qu'auront fixé nos dirigeants respectifs.

Le comité poursuit ses délibérations à huis clos.


Haut de page