Aller au contenu
RULE - Comité permanent

Privilèges, Règlement et procédure

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Privilèges, du Règlement et de la procédure

Fascicule 10 - Les quatrième et cinquième rapports du comité


Le jeudi 13 avril 2000

Le comité permanent des privilèges, du Règlement et de la procédure a l'honneur de présenter son

QUATRIÈME RAPPORT

1. Votre comité est heureux de faire le rapport qui suit, en vertu des ordres de renvoi reçus du Sénat les 13 octobre et 24 novembre 1999, sur les questions de privilège soulevées par les honorables sénateurs A. Raynell Andreychuk et Lise Bacon et sur des questions connexes.

2. Le 14 septembre 1999, le sénateur Andreychuk a donné avis écrit, conformément à l'article 43 du Règlement du Sénat, de son intention de soulever la question de privilège au Sénat au sujet d'un article paru dans le National Post du samedi 11 septembre 1999 et intitulé: «Senators want special court for aboriginals -- Scrap Indian Act, report recommends» («Les sénateurs souhaitent la création d'un tribunal spécial pour les Autochtones -- Leur rapport recommande d'abroger la Loi sur les Indiens»). L'article portait sur un projet de rapport auquel travaillait le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones.

3. Après avoir écouté les interventions des sénateurs Charlie Watt, Anne C. Cools, Jack Austin et Joan Fraser, le Président du Sénat a jugé que la question de privilège était à première vue justifiée. Le sénateur Andreychuk a alors présenté une motion proposant de déférer la question de la divulgation non autorisée d'ébauches du rapport au Comité sénatorial permanent des privilèges, du Règlement et de la procédure, motion que le Sénat a adoptée.

4. Or, la première session de la 36e législature a été prorogée le 18 septembre 1999, soit avant que votre comité n'ait eu le temps d'examiner la question. Le sénateur Andreychuk a donc soulevé l'affaire de nouveau le 13 octobre 1999, au début de la deuxième session, et, le Président ayant une seconde fois jugé que la question de privilège était à prime abord justifiée, elle a présenté la motion suivante, que le Sénat a adoptée:

«Que la question de privilège au sujet de la divulgation non autorisée d'ébauches d'un rapport du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones soit renvoyée au Comité permanent des privilèges, du Règlement et de la procédure lorsque celui-ci aura été constitué.»

5. Le 24 novembre 1999, le sénateur Bacon a donné avis d'une question de privilège, qu'elle a plus tard exposée au Sénat, au sujet d'articles parus dans des journaux ce matin-là et selon lesquels le Comité sénatorial permanent des transports et des communications travaillait à une ébauche de rapport sur la restructuration de l'industrie aérienne canadienne. Le sénateur a fait état de deux articles parus l'un, dans le journal Le Soleil (de Québec) et l'autre, dans le journal The Toronto Star. D'autres sénateurs sont intervenus à l'appui du sénateur Bacon, à savoir les sénateurs J. Michael Forrestall, Serge Joyal, Dan Hays, Joan Fraser et Anne C. Cools. Évoquant le précédent soulevé par le sénateur Andreychuck, le Président intérimaire du Sénat a jugé que la question de privilège était à première vue fondée. Le sénateur Bacon a alors présenté la motion suivante, que le Sénat a adoptée :

«Que la question de privilège concernant la fuite de la deuxième ébauche du rapport du Comité sénatorial permanent des transports et des communications, sur la réorganisation de l'industrie aérienne au Canada, dans Le Soleil et The Toronto Star du 24 novembre 1999, soit renvoyée au Comité permanent des privilèges, du Règlement et de la procédure.»

6. Votre comité a examiné les questions de privilège soulevées par le sénateur Andreychuck les mardis 23 et 30 novembre 1999, et par le sénateur Bacon le mercredi 15 décembre 1999, et il les a réétudiées toutes les deux le mercredi 16 février 2000 et le mardi 21 mars 2000.

7. L'article paru dans le National Post du 11 septembre 1999 faisait référence à des «extraits des recommandations du comité dont Southam News [avait] obtenu copie» [traduction libre] et citait un certain nombre de recommandations figurant dans une des ébauches du rapport. Comme le président du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones l'a déclaré au Sénat le 14 septembre 1999, «[...] le rapport [...] a fait l'objet d'une fuite. C'est ce que la description fournie par le National Post nous porte à croire».

8. Dans le cas soulevé par le sénateur Bacon, le sénateur a expliqué, tant au Sénat qu'à votre comité, que le Comité permanent des transports et des communications avait reçu du Sénat, le 14 octobre 1999, un ordre de renvoi lui enjoignant d'étudier la restructuration de l'industrie aérienne au Canada. L'ordre faisait suite aux offres concurrentes présentées par la société Onex et Air Canada et visant à acquérir le contrôle de Lignes aériennes Canadien International et à fusionner avec cette société. Le comité devait présenter son rapport au Sénat avant le 15 décembre 1999.

9. Vers la mi-novembre 1999, après avoir entendu 57 témoins, le comité a commencé à rédiger des projets de son rapport. Ces projets portaient tous la mention «Ébauche de rapport» et «Confidentiel» et ont été étudiés lors de séances à huis clos. Le premier a été distribué à la séance au cours de laquelle il a été examiné, et tous les exemplaires ont été récupérés à la fin de la séance. Le second a été distribué, la veille du jour de la séance où il devait être étudié, aux membres du comité qui avaient indiqué leur intention d'assister à la séance; des exemplaires ont aussi été fournis aux adjoints des sénateurs présents en cours de séance, mais cette fois, ils n'ont pas été récupérés à la fin de la séance. Plus tard ce jour-là, le sénateur Bacon a été avisée par un membre de son comité qu'un journaliste de la Presse canadienne avait en sa possession une copie de la deuxième version du rapport. Le sénateur n'a pas accordé d'entrevue au journaliste. Le lendemain, 24 novembre 1999, les articles cités par le sénateur paraissaient dans Le Soleil et The Toronto Star. Aucun extrait du projet du rapport n'a été cité textuellement, semble-t-il, mais le sénateur Bacon est persuadée que l'information divulguée dans ces articles ne pouvait provenir que de la deuxième version du rapport.

10. La divulgation prématurée et non autorisée de rapports de comités qui n'ont pas encore été présentés au Sénat constitue une atteinte au privilège et un outrage au Sénat. Le commentaire 877(1) de la Sixième édition de Beauchesne est formel sur ce point :

«877.(1) Rien de ce qui s'est déroulé en comité ne doit être divulgué avant que le comité n'ait fait rapport à la Chambre. S'inspirant de ce principe, la Chambre des communes britannique a adopté la règle suivante le 21 avril 1937: «Les témoignages entendus par un comité spécial de la Chambre et les documents soumis au comité, mais dont il n'a pas été fait rapport à la Chambre, ne doivent pas être divulgués par un membre du comité ni par aucune autre personne.» Constitue une atteinte au privilège le fait de publier les délibérations d'un comité tenues à huis clos ou des rapports de comité avant qu'ils n'aient été mis à la disposition des députés.»

11. Outre le droit primordial qu'a le Sénat d'exiger que les rapports de ses comités lui soient présentés et soient mis à la disposition de ses membres avant d'être publiés, votre comité signale que la divulgation prématurée et non autorisée du rapport d'un comité peut nuire au comité dans son travail, voire l'empêcher de travailler. Violer le secret des délibérations à huis clos mine la confiance sans laquelle les sénateurs ne peuvent discuter librement des questions à l'étude et les rend moins aptes à mener à bien les enquêtes que le Sénat leur a confiées.

12. Comme le sénateur Andreychuk l'a fait valoir, tant au Sénat que devant votre comité, la confidentialité est essentielle non seulement pour avoir des délibérations libres et ouvertes, mais aussi pour travailler et dégager le genre de consensus qui caractérise les bons rapports de comité. Comme elle l'a dit au Sénat:

«C'était déconcertant de voir des recommandations, quelle que soit leur pertinence, qu'elles aient été ou pas avalisées par le comité au complet, étalées dans le journal. C'en était fait de ma certitude que mes propos tenus lors des séances de comité ne seraient pas répétés ailleurs. J'aurai du mal dorénavant à me prononcer sur la pertinence de telle ou telle recommandation.»

13. Au cours du même débat, le sénateur Austin a fait valoir que la divulgation non autorisée du rapport mettait dans l'embarras non seulement les sénateurs membres du Comité permanent des affaires autochtones, mais tous les sénateurs.

«Peu importe notre opinion sur ce qui devrait être inclus dans le rapport, ce ne sera pas le rapport qui a fait l'objet d'une fuite aux médias. On nous met dans une position équivoque. Si les médias créent des attentes en annonçant que des recommandations seront faites et que nous ne les faisons pas, on donnera toutes sortes d'interprétations sur nos raisons de ne pas les faire.»

14. Le sénateur Bacon a soutenu le même argument. Elle a signalé que la fuite avait nui au travail que menait alors le Comité sénatorial permanent des transports et des communications. Ainsi qu'elle l'a déclaré au Sénat le 24 novembre 1999:

«Bien que les informations étalées aujourd'hui dans les médias proviennent d'une ébauche d'un rapport qui n'est toujours pas finalisé, elles risquent de teinter fortement la perception qu'aura le public de notre rapport final. Comme je l'ai déjà dit, notre rapport n'est pas terminé. Nous devons encore discuter de plusieurs points. Malheureusement, la fuite et les réactions qu'elle provoquerait pourraient entraver la réflexion sereine et éclairée des membres du comité.»

15. Les propos et les appréhensions des sénateurs Andreychuck et Bacon, et d'autres sénateurs, recoupent une conclusion énoncée par le Comité des privilèges du Sénat australien dans son 74e rapport, intitulé: «Possible Unauthorized Disclosure of Parliamentary Committee Proceedings» («Possibilité de divulgation non autorisée des délibérations des comités parlementaires») [traduction libre] et présenté en décembre 1998. Le comité y fait état de l'intégrité des délibérations de tout comité et des liens qui doivent exister entre ses membres pour qu'il puisse fonctionner de façon constructive et fructueuse. Il dit aussi croire que la divulgation de projets de rapports auxquels les comités travaillent encore, surtout si elle survient tôt dans l'étude de la question par le comité, ne vise qu'un seul but, à savoir influer sur le résultat des délibérations, ce qui compromet leur intégrité. Le comité signale de plus que la divulgation non autorisée des documents de travail internes d'un comité peut détruire le lien de confiance sans lequel ses délibérations ne peuvent être productives et ce, même s'ils sont à première vue inoffensifs ou de nature courante.

16. À la lumière des faits présentés et après examen des ouvrages faisant autorité en la matière, votre comité a déterminé que dans les deux cas, des ébauches de rapports de comités ont été diffusées prématurément et sans autorisation. Le projet de rapport du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones sur l'autonomie gouvernementale des Autochtones ainsi que celui du Comité sénatorial permanent des transports et des communications sur la restructuration de l'industrie aérienne au Canada ont fait l'objet d'une fuite. Au moment de la fuite, les deux comités travaillaient encore à des versions confidentielles de ces rapports et siégeaient à huis clos; ils ne les avaient donc pas encore présentées au Sénat. La divulgation des projets de rapport constitue nettement une atteinte aux privilèges parlementaires du Sénat et des sénateurs et, partant, un outrage au Sénat.

17. Après mûre réflexion, et à la demande du sénateur Andreychuk, votre comité a décidé de ne pas faire d'enquête sur l'origine de la fuite du rapport du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones ou de tenter d'apprécier le degré de culpabilité. Le mal est fait, et l'important est maintenant de faire en sorte que cela ne se reproduise plus. Il faut voir dans cet incident un avertissement et un rappel de l'importance que les sénateurs et le personnel du Sénat doivent attacher à la confidentialité.

18. Le sénateur Andreychuk a informé votre comité que sa principale préoccupation était de mieux sensibiliser les sénateurs et le personnel du Sénat à l'importance et aux implications de la confidentialité. Elle suggère d'informer tous les sénateurs, par écrit, de l'importance de la confidentialité; de renseigner les nouveaux sénateurs, dès leur nomination, sur tous les aspects de la question; d'inclure dans la formation donnée au personnel du Sénat et au personnel qui lui est affecté des précisions sur les implications de la confidentialité; d'expliquer la question de la confidentialité aux personnes retenues par les comités et de l'indiquer dans leur contrat; et de sensibiliser à l'importance de la confidentialité les personnes recrutées ou retenues par contrat par les sénateurs et d'inclure cette clause dans leurs conditions d'emploi ou leur contrat. La question de la confidentialité se pose à propos non seulement des projets de rapports des comités, mais aussi des délibérations et autres documents confidentiels des comités.

19. Votre comité est tout à fait d'accord que les sénateurs, ainsi que tous ceux qui travaillent au Sénat ou pour lui, doivent être plus conscients de l'importance de la confidentialité. Il y aurait lieu de faire en sorte que chacun soit bien informé et sensibilisé quant à l'importance de la confidentialité, et notamment quant aux implications des discussions en séances à huis clos et des documents et témoignages qui y sont présentés.

20. Votre comité a examiné les contrats de travail et les marchés de services en usage au Sénat et a constaté qu'une condition générale du marché-type visant la prestation de services de consultation, par exemple, prévoit ceci:

«Tout renseignement à caractère confidentiel concernant les affaires du Sénat, de ses membres ou de ses employés qui viendrait à la connaissance de l'entrepreneur ou de l'un de ses employés ou représentants en conséquence du travail à exécuter en vertu du présent contrat devrait être traité de façon confidentielle durant et après l'exécution des services.»

21. De même, l'article 5.2 du Code relatif aux conflits d'intérêts du Sénat, auquel doivent se conformer tous les employés du Sénat et contractuels du Sénat, prévoit ce qui suit: «Il est interdit à toute personne régie par le présent Code de communiquer des renseignements obtenus dans l'exercice de ses fonctions auprès du Sénat ou d'un sénateur, et auxquels le public n'a pas accès, à une personne qui n'est pas habilitée à en prendre connaissance.»

22. Votre comité croit que la confidentialité comme condition d'emploi devrait être définie dans une politique distincte du Code relatif aux conflits d'intérêts. Votre comité suggère aussi d'ajouter à tous les contrats de travail et marchés de services une mention indiquant que l'intégrité des délibérations du Sénat est primordiale et que la divulgation de renseignements confidentiels est réputée être une atteinte au privilège et expose le contrevenant aux mesures que le Sénat pourra prendre.

23. Votre comité ne doute pas un instant de l'honnêteté et du dévouement du personnel du Sénat, des sénateurs ou des comités, y compris les interprètes et les attachés de recherche que la Bibliothèque du Parlement y affecte. Quiconque travaille au Sénat depuis un certain temps comprend bien ses besoins et exigences et conçoit que la confidentialité soit nécessaire. Mais il importe d'y sensibiliser les nouveaux employés et le personnel temporaire ou nommé pour une période déterminée, lequel est souvent embauché en vertu de marchés de services. Il faut leur faire prendre pleinement conscience de la lourde responsabilité dont le privilège parlementaire les investit.

24. La question de privilège soulevée par le sénateur Bacon met en lumière d'autres enjeux importants. Premièrement, l'ébauche du rapport du Comité sénatorial permanent des transports et des communications portait sur des sociétés cotées en bourse qui négociaient à ce moment-là une transaction complexe visant une société et des valeurs mobilières, et sa fuite est d'autant plus déplorable qu'elle aurait pu avoir des conséquences graves.

25. La difficulté pour votre comité est de déterminer comment amorcer son enquête dans de telles circonstances. Il a soigneusement examiné les usages et la procédure suivis par d'autres assemblées législatives lorsque des rapports de leurs comités font l'objet de fuites, notamment les procédures de la Chambre des communes du Canada, de la Chambre des communes britannique et du Sénat et de la Chambre des représentants de l'Australie. Ces assemblées ont déterminé que lorsqu'un rapport de comité fait l'objet d'une fuite, le comité concerné doit d'abord enquêter sur la fuite pour savoir qui en est responsable et en évaluer la gravité.

26. Votre comité est d'avis que le Sénat devrait se doter de la procédure ci-après relativement à la divulgation non autorisée de rapports, délibérations ou documents confidentiels émanant d'un comité, et que celle-ci devrait être ajoutée comme annexe au Règlement du Sénat:

a) Lorsqu'un rapport, des délibérations ou d'autres documents confidentiels d'un comité font l'objet d'une fuite, le comité concerné devrait d'abord examiner les circonstances de la fuite. Le comité serait alors tenu de signaler la possibilité d'infraction au Sénat et de l'aviser qu'il ouvre une enquête sur l'affaire.

b) Bien que le comité serait tenu d'enquêter sur les circonstances de la fuite, il serait libre de décider des moyens à prendre et de la nature et de l'étendue de l'enquête. Il est probable que les membres et leur personnel, ainsi que le personnel du comité, seraient interrogés. Le comité chercherait avant tout à connaître les faits, afin de tenter de déterminer l'origine de la fuite. Il devrait aussi se préoccuper de la gravité de la fuite et de ses implications, réelles ou éventuelles. Il serait entendu que le comité entreprendrait son enquête dans les meilleurs délais.

c) La tenue d'une enquête sur la fuite n'empêcherait pas qu'un sénateur puisse soulever une question de privilège au Sénat à son sujet. Mais de façon générale, et hormis des circonstances extraordinaires, le Sénat ne débattrait du fond de la question de privilège qu'après la fin de l'enquête. Ainsi, à supposer que le Président jugerait la question de privilège fondée à première vue, l'étude de toute éventuelle motion consécutive serait reportée jusqu'à ce que le comité ait déposé son rapport.

d) Les sénateurs pourraient aussi soulever une question de privilège relativement à la fuite au moment du dépôt du rapport. En d'autres termes, bien que la question de privilège doive normalement être soulevée à la première occasion, aucun sénateur ne serait lésé du fait qu'il doit attendre les résultats de l'enquête. De même, aucune action, défaut d'action ni décision du comité à cet égard ne serait déterminant pour ce qui est de la responsabilité du Président, en vertu du Règlement du Sénat, de déterminer si la question de privilège est fondée à première vue.

e) Dans l'éventualité où un comité déciderait de ne pas enquêter sur la fuite d'un de ses rapports ou documents, tout sénateur pourrait soulever une question de privilège à la première occasion après que le comité aura eu décidé de ne pas donner suite à l'affaire. Pareillement, si le comité n'agit pas dans les meilleurs délais, tout sénateur aurait le droit de soulever une question de privilège relativement à la fuite.

f) Lorsque le comité concerné déposerait son rapport au Sénat, si le rapport conclut qu'une fuite s'est produite et qu'elle a porté préjudice au fonctionnement du comité ou du Sénat dans son ensemble, le Sénat renverrait habituellement l'affaire à votre comité.

27. Votre comité déplore que des documents ou des renseignements confidentiels fassent l'objet de fuites. Dans le cas des rapports de comité, un principe depuis longtemps établi confère au Sénat le droit d'être le premier informé des rapports de ses comités, et le présent rapport n'a pas pour effet de déroger à ce privilège. Certaines fuites sont néanmoins plus graves que d'autres, notamment celles qui compromettent la sécurité nationale ou la tranquillité et la confiance des témoins; celles qui visent à orienter ou entraver la rédaction d'un rapport de comité; ou celles qui pourraient procurer un avantage personnel. Pour que des sanctions puissent être imposées, il faut habituellement que le comité démontre que la fuite dont son rapport fait l'objet est substantielle et préjudiciable. Le comité doit en faire la preuve dans le cadre de son enquête.

28. Il convient de signaler qu'avec la procédure proposée, les questions de privilège parlementaire et d'outrage au Parlement demeureraient du ressort exclusif du Sénat. Le comité dont le rapport a fait l'objet d'une fuite ne se préoccupe que de la recherche des faits. Si le Président juge qu'il existe à première vue matière à question de privilège, il appartiendra au Sénat de décider de la procédure à suivre; habituellement, il renverra l'affaire à votre comité, qui fera une enquête approfondie et formulera des recommandations. Les sanctions continueront d'être imposées par l'ensemble du Sénat uniquement, habituellement sur la recommandation de votre comité.

29. Certes, chaque cas doit être évalué sur le fond, mais votre comité rappelle à tous que le Sénat peut prendre diverses sanctions en cas d'atteinte au privilège ou d'outrage au Parlement. Par exemple, il peut exiger des excuses, réprimander le contrevenant, le censurer, le suspendre ou le faire emprisonner. Votre comité signale, à ce propos, que la Chambre des communes britannique a récemment suspendu des députés qui avaient divulgué des rapports de comités prématurément et sans autorisation. Selon le cas, votre comité étudiera l'opportunité de recommander des sanctions à l'endroit des sénateurs et de toute autre personne ayant porté atteinte aux privilèges du Sénat.

30. Votre comité est d'avis que tous les comités du Sénat devraient se doter d'une politique et d'une procédure nouvelles pour protéger le caractère confidentiel des projets de rapports et des délibérations tenues à huis clos. À cet égard, nous recommandons de prendre sérieusement en considération les mesures suivantes:

a) que tous les projets de rapports et autres documents confidentiels soient numérotés individuellement, le numéro figurant sur chaque page du document;

b) que chaque rapport ou document confidentiel numéroté devrait être confié à une seule personne, toujours la même, et le nom de cette personne devrait être soigneusement noté;

c) que si des sénateurs doivent recevoir des projets de rapports ou d'autres documents confidentiels avant une séance, ou s'ils doivent les emporter avec eux à la fin de la séance, ils doivent être tenus de signer. Certains documents, comme les transcriptions de séances à huis clos, ne devraient pouvoir être consultés qu'au bureau du greffier du comité et avec le consentement du président;

d) que les noms de toutes les personnes présentes lors d'une séance à huis clos où l'on discute du projet d'un rapport -- y compris les adjoints, les attachés de recherche, les interprètes et les sténographes -- doivent être inscrits, de préférence dans le compte rendu officiel; et

e) que les présidents de comité doivent s'assurer que tous les sénateurs et le personnel sont informés du caractère confidentiel des documents et des délibérations à huis clos, l'importance de les protéger et des conséquences d'une divulgation de renseignements confidentiels.

31. Dans une lettre datée du 8 décembre 1999, le sénateur Landon Pearson a soulevé plusieurs questions concernant les délibérations à huis clos des comités qui présentent un intérêt pour les questions examinées dans le présent rapport. La sixième édition de Beauchesne énonce: «Les comités devraient se prononcer clairement sur le statut et le niveau de diffusion de leurs ébauches de rapport et de leurs témoignages, ainsi que sur la publication de leurs procès-verbaux.» (comment. 851, p. 245). Votre comité est d'accord. Diverses questions sont effectivement soulevées lors des séances à huis clos, et chaque situation doit être évaluée individuellement. Les comités et les présidents de comité sont les mieux placés pour décider des mesures à prendre concernant les délibérations et les documents des séances à huis clos, mais ils devraient l'indiquer clairement aux intéressés. Votre comité pense qu'il vaut mieux que chaque comité s'occupe lui-même de ses questions, mais au besoin, ou si on lui en fait la demande, il est disposé à réexaminer la question et à proposer un ensemble de règles concernant les séances à huis clos.

32. Votre comité espère que le malheureux incident auquel les rapports du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones et du Comité sénatorial permanent des transports et des communications ont donné lieu rappellera à tous la nécessité de ne jamais prendre la confidentialité à la légère. La confiance et l'intégrité sont essentielles au bon fonctionnement du Sénat et de ses comités. Le problème de la confidentialité est complexe, et il faut l'aborder de plusieurs façons. Mieux y sensibiliser les intéressés et prévoir des conditions dans les contrats de travail et les marchés de services font partie des moyens de préserver la confidentialité. D'autres mesures, notamment des moyens de nature administrative, comme des mesures de sécurité pour protéger le secret des projets des rapports et des délibérations à huis clos, devraient aussi aider. Votre comité reconnaît que certaines des mesures précitées risquent d'occasionner des désagréments, mais les événements récents mis en lumière par les questions de privilège des sénateurs Andreychuk et Bacon nous amènent à conclure qu'elles sont nécessaires pour assurer l'intégrité des délibérations des comités sénatoriaux et prévenir d'autres fuites.

33. Votre comité ne saurait trop insister sur la gravité que la divulgation de renseignements confidentiels revêt à ses yeux. En effet, la divulgation prématurée et non autorisée des rapports des comités mine et compromet le travail du Sénat, de ses comités et des sénateurs. Le Sénat ne peut fonctionner comme institution que si la confidentialité est respectée.

Respectueusement soumis,

 


Le jeudi 13 avril 2000

Le comité permanent des privilèges, du Règlement et de la procédure a l'honneur de présenter son

CINQUIÈME RAPPORT

1. Votre comité est heureux de faire le rapport qui suit, en vertu de l'ordre de renvoi reçu du Sénat le 13 octobre 1999.

2. Le 7 septembre 1999, le sénateur Noël Kinsella a donné avis d'une question de privilège qu'il voulait poser au Sénat concernant le harcèlement et l'intimidation d'un témoin ayant comparu devant un comité sénatorial. Cette question de privilège a été débattue au Sénat le 8 septembre 1999. Le Président a pris la question en délibéré et déclaré, le 9 septembre 1999, qu'elle était fondée à première vue. Le sénateur Kinsella a alors proposé que la question soit renvoyée à votre Comité, pour qu'il l'examine et en fasse rapport.

3. La première session de la 36e législature a ensuite été prorogée, le 18 septembre 1999. Le 13 octobre 1999, le sénateur Kinsella a réitéré sa question de privilège, et le Président a de nouveau déclaré qu'elle était fondée à première vue. Le sénateur Kinsella a alors présenté la motion suivante, qui a été adoptée par le Sénat :

Que la question de privilège concernant un témoin qui a comparu devant le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts soit renvoyée au Comité permanent des privilèges, du Règlement et de la procédure, lorsqu'il aura été constitué, pour étude et rapport.

4. En rapport avec cette question de privilège, votre comité a entendu les témoins suivants: le sénateur Kinsella et le Dr Shiv Chopra, le 7 décembre 1999; le Dr Margaret S. Haydon, le Dr Rajinder M. Sharma, et le Dr Gerard Lambert, le 22 février 2000; le Dr Sidarshan S. Malik, le Dr Cris Bastudde et le Dr Arnost Vilim, le 23 février 2000; ainsi que M. David A. Dodge et M. George D. Hunter, le 29 février 2000. Votre Comité sait gré à tous ces témoins de leur franchise et de leur aide.

5. Le sénateur Kinsella a expliqué au Sénat et à votre Comité que cette question a été portée à son attention le 15 août 1999, lorsqu'il coprésidait une table ronde sur la participation des citoyens aux affaires municipales. Le Dr Shiv Chopra, un scientifique à l'emploi de Santé Canada, lui avait alors indiqué qu'il avait été suspendu pendant cinq jours sans rémunération parce qu'il avait comparu devant le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts. Après avoir obtenu plus de détails, le sénateur Kinsella s'est empressé d'écrire au sous-ministre de Santé Canada et a informé de la situation le sénateur Sharon Carstairs, alors leader adjointe du gouvernement au Sénat. À la première occasion, soit le 7 septembre 1999, il a soulevé la question au Sénat.

6. Les faits entourant cette affaire sont relativement complexes. Voici une brève récapitulation de ceux qu'il convient de connaître.

7. Le Dr Chopra travaille à titre d'évaluateur de médicaments au Bureau des médicaments vétérinaires de Santé Canada. Il participait à l'évaluation des demandes d'homologation de l'hormone de croissance bovine recombinante (STbr). Ce médicament a suscité beaucoup de controverse et, en juin 1998, le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts a entrepris une étude de la STbr et de ses effets sur la santé humaine et animale. Dans le cadre de cette étude, cinq scientifiques de Santé Canada, dont le Dr Chopra, ont comparu devant le Comité le 22 octobre 1998. Comme plusieurs des scientifiques s'étaient inquiétés des répercussions possibles de leur comparution, le Comité avait demandé au ministre et à d'autres fonctionnaires de Santé Canada de lui garantir que les scientifiques témoignant devant lui seraient protégés et qu'ils ne subiraient pas de représailles. Il avait obtenu cette garantie. Le Comité a déposé son rapport provisoire sur la STbr le 11 mars 1999, mais le Dr Chopra a comparu devant lui à deux autres reprises: le 26 avril 1999, en tant que membre du «Groupe d'experts en sécurité publique», et le 3 mai 1999, en compagnie de trois autres scientifiques et du président de son syndicat, l'Institut professionnel de la fonction publique du Canada (IPFPC).

8. Entre-temps, le 26 mars 1999, le Dr Chopra participait à une conférence sur l'équité en matière d'emploi organisée par le ministère du Patrimoine canadien. Par la suite, en août 1999, il se voyait suspendu de ses fonctions pendant cinq jours, sans rémunération, à cause de déclarations qu'il avait faites à cette conférence. Cette suspension a fait l'objet d'un grief que le Dr Chopra et son syndicat ont déposé auprès de la Commission des relations de travail dans la fonction publique. Le Dr Chopra soutient que cette suspension constitue, en fait, une mesure de représailles à son endroit parce qu'il a comparu devant le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts; d'autres scientifiques de Santé Canada partagent cet avis. Par ailleurs, M. Dodge, sous-ministre de Santé Canada, a déclaré que ce sont les propos que le Dr Chopra a tenus lors de cette conférence publique -- il a traité un autre employé du Ministère de menteur -- qui lui ont valu cette mesure disciplinaire.

9. Les scientifiques de Santé Canada qui ont comparu devant votre Comité ont fourni de nombreuses pièces justificatives concernant le travail au Bureau des médicaments vétérinaires et l'ambiance qui y règne. Le mandat que votre Comité a reçu du Sénat et l'objet de notre enquête se limitent toutefois aux questions de privilège parlementaire.

10. La définition classique du privilège parlementaire figure dans l'ouvrage Treatise on the Law, Privileges, Proceedings and Usage of Parliament d'Erskine May:

Le privilège parlementaire est la somme des droits particuliers à chaque Chambre, collectivement, [...] et aux membres de chaque Chambre individuellement, faute desquels il leur serait impossible de s'acquitter de leurs fonctions. Ces droits dépassent ceux dont sont investis d'autres organismes ou particuliers. On est donc fondé à affirmer que, bien qu'il s'insère dans l'ensemble des lois, le privilège n'en constitue pas moins, en quelque sorte, une dérogation au droit commun. (22e édition, p. 65)

11. La protection conférée par le privilège s'étend aux personnes qui participent aux délibérations parlementaires, en particulier aux témoins. En 1993, le Comité permanent de la gestion de la Chambre des communes réaffirmait en ces termes les principes du privilège parlementaire et la protection que ce privilège accorde aux témoins:

La protection des témoins est un élément fondamental du privilège qui s'étend aux délibérations parlementaires et aux personnes qui y participent. Il est bien établi, au Parlement du Canada comme au Parlement britannique, que les témoins entendus en comité jouissent d'une immunité et d'une liberté de parole égales à celles des députés. [...] La protection des témoins s'étend aux menaces proférées contre eux et aux tentatives d'intimidation exercées sur eux relativement à leur exposé devant quelque comité parlementaire que ce soit. (Soixante-cinquième rapport, le 18 février 1993)

12. Comme le dit clairement la 22e édition d'Erskine May, s'ingérer auprès de témoins ou chercher à leur nuire a de graves répercussions:

Tout comportement visant à dissuader d'éventuels témoins de comparaître devant une Chambre ou un comité constitue un outrage. [...] De même, importuner des personnes qui ont témoigné devant une Chambre ou un comité ou proférer des menaces à leur endroit sera considéré par la Chambre comme un outrage. (pp. 126-127)

13. Le Sénat, et tous les sénateurs, traitent avec beaucoup de sérieux les allégations de représailles ou de harcèlement d'un témoin ou d'un éventuel témoin d'un comité sénatorial. Pour que le Sénat s'acquitte adéquatement de ses fonctions et de ses devoirs, il doit pouvoir convoquer des témoins et les entendre sans que ceux-ci fassent l'objet de menaces ou ne craignent des répercussions. Toute ingérence auprès d'une personne qui a témoigné devant un comité sénatorial ou qui a l'intention de le faire constitue une ingérence auprès du Sénat proprement dit et ne saurait être tolérée.

14. Il incombe à tous les sénateurs de faire valoir les privilèges du Sénat. Le sénateur Kinsella, en donnant suite à cette question dès qu'elle a été portée à son attention et en la soulevant au Sénat à la première occasion, mérite des félicitations. Tous les sénateurs devraient suivre son exemple.

15. Dans le cas du Dr Chopra, votre Comité est confronté à une difficulté de base. Rien ne prouve directement que la suspension de cinq jours sans salaire imposée au Dr Chopra est liée à ses comparutions devant le comité sénatorial. Ce que votre Comité doit faire, c'est examiner le cadre temporel, les raisons apparentes, ainsi que toutes les circonstances connexes et utiles afin d'en arriver à une conclusion concernant la vraie raison de la mesure disciplinaire prise à l'endroit du Dr Chopra. La sanction lui a apparemment été imposée à cause de propos qu'il a tenus à la conférence de Patrimoine canadien, mais n'est-ce là qu'un simple prétexte pour s'en prendre à lui parce qu'il a mis le Ministère dans l'embarras en comparaissant devant le comité sénatorial et en livrant un témoignage qui n'a pas plu au Ministère? La suspension est-elle attribuable à d'autres facteurs non liés au témoignage du Dr Chopra devant le Sénat? La tâche de votre Comité est d'autant plus complexe en raison du climat malsain qui existe au Bureau des médicaments vétérinaires et du contexte compliqué ayant entouré cette situation. Votre Comité est aussi conscient de l'existence de poursuites en Cour fédérale et d'une série de griefs en suspens. Bien qu'il soit déterminé à faire tout ce qui s'impose pour faire valoir les privilèges du Sénat et des sénateurs, il doit user de prudence.

16. Après un examen attentif de tous les faits, votre comité est incapable de conclure qu'il y a eu outrage au Parlement. Votre Comité n'est pas aussi convaincu qu'il devrait l'être pour rendre un tel verdict. Il n'a pas réussi à établir la preuve requise pour déclarer qu'il y a effectivement eu outrage au Parlement. Cependant, cela ne signifie pas qu'il n'y a aucun élément de preuve. Les membres de votre Comité considèrent qu'il n'y a pas suffisamment de preuves étayant les allégations.

17. Les faits montrent clairement que le milieu de travail au Bureau des médicaments vétérinaires de Santé Canada est des plus insatisfaisants, étant chargé de soupçon et de méfiance. Par conséquent, on ne peut pas ignorer totalement des allégations de cette nature. Votre Comité trouve la situation déplorable et exhorte le ministre et le sous-ministre de la Santé à prendre des mesures pour y remédier sans tarder.

18. Votre comité tient à souligner que les allégations d'ingérence ou d'intervention auprès des témoins ou d'éventuels témoins de comités parlementaires sont extrêmement graves et qu'elles seront examinées avec diligence et en profondeur. Même si tous les sénateurs s'engagent à protéger les témoins qui comparaissent devant des comités sénatoriaux, les faits doivent être clairs avant que l'on puisse conclure à un outrage au Sénat.

Respectueusement soumis,

Le président,

JACK AUSTIN


Haut de page