LE CANADA, LA RUSSIE ET L'UKRAINE : ÉTABLIR DE NOUVELLES RELATIONS
Rapport du Comité sénatorial permanent des affaires étrangères
Président: L'honorable Peter Stollery
Vice-présidente: L'honorable Raynell Andreychuk
Seizième rapport
Juin 2002
MEMBRES
L'honorable Peter Stollery, Président
L'honorable Raynell Andreychuk, Vice-présidente
et
Les honorables sénateurs :
Jack Austin, C.P.
Roch Bolduc
Pat Carney, C.P.
*Sharon Carstairs, C.P. (ou Fernand Robichaud, C.P.)
Eymard G. Corbin
Pierre De Bané, C.P.
Ethel Cochrane
Consiglio DiNino
Jerahmiel Grafstein
Alasdair Graham, P.C.
Rose-Marie Losier-Cool
*John Lynch-Staunton (ou Noël Kinsella)
Raymond Setlakwe
* Membres d'office
En plus des sénateurs indiqués ci-dessus, les honorables sénateurs David Angus, Norman Atkins, Joseph Day, Sheila Finestone, C.P., Ross Fitzpatrick, George Furey, James Kelleher, C.P., Colin Kenny, Marie-P. Poulin (Charrette), Marcel Prud'homme, C.P., Douglas Roche, Terry Stratton, James Tunney, Nicholas Taylor et la très révérende Lois Wilson étaient membres du Comité à différents moments au cours de cette étude ou y ont participé au cours de la deuxième Session de la trente-sixième Législature ou de la première Session de la trente-septième Législature.
Personnel de la Direction de la recherche parlementaire de la Bibliothèque du Parlement :
Peter Berg, attaché de recherche
John Wright, attaché de recherche
La greffière du Comité
Line Gravel
ORDRE DE RENVOI
Extrait des Journaux du Sénat, du jeudi 1er mars 2001 :
L'honorable sénateur Stollery propose, appuyé par l'honorable sénateur Taylor,
Que le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères soit autorisé à examiner, pour en faire rapport, les faits nouveaux en matière de politique, de questions sociales, d'économie et de sécurité en Russie et en Ukraine, les politiques et les intérêts du Canada dans la région, ainsi que d'autres sujets connexes;
Que les mémoires reçus et les témoignages entendus sur la question par le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères durant la deuxième Session de la trente-sixième Législature soient déférés au comité;
Que le comité présente son rapport final au plus tard le 28 juin 2002; et que le comité conserve les pouvoirs nécessaires à la diffusion de son étude contenu dans son rapport final et ce jusqu'au 31 juillet 2002; et
Que le Comité soit autorisé, nonobstant les pratiques habituelles, à déposer son rapport auprès du greffier du Sénat, si le Sénat ne siège pas, et que ledit rapport soit réputé avoir été déposé au Sénat.
Après débat,
La motion, mise aux voix, est adoptée.
Le greffier du Sénat,
Paul Bélisle
LA RUSSIE D'AUJOURD'HUI
A. Géographie et population
B. Culture et identité
C. Conditions sociales
D. Transparence
E. Éducation
F. Aide sociale
G. La Tchétchénie dans la politique intérieure russe
LA POLITIQUE ET L'EFFET POUTINE
A. La culture et la démocratie russes
B. L'héritage d'Eltsine
C. La politique et les élections en Russie
D. Les régions
E. Les droits de la personne
L'ÉCONOMIE DE LA RUSSIE : SON ÉVOLUTION ACTUELLE ET LES OBSTACLES À SA RÉFORME
A. La situation économique actuelle
B. La réforme législative et les difficultés de sa mise en œuvre
LA SÉCURITÉ ET LA POLITIQUE ÉTRANGÈRE EN RUSSIE
A. La situation militaire
B. Les politiques militaire et étrangère et la politique sur la sécurité
C. La politique étrangère et l'opinion russe
D. Les mesures générales de la politique étrangère
E. L'OTAN
F. Les relations entre la Russie et les États-Unis et les effets du 11 septembre
L'ENGAGEMENT DU CANADA EN RUSSIE
A. L'aide aux réformes
B. Le renforcement des relations économiques entre le Canada et la Russie
C. Questions liées à la sécurité
D. Le développement du Nord
E. Immigration
LA POLITIQUE EN UKRAINE
A. La culture, l'histoire et la citoyenneté
B. La situation politique actuelle
C. Post-scriptum : Élections de mars 2002 au Verkhovna Rada
L'ÉCONOMIE DE L'UKRAINE : LA SITUATION ACTUELLE ET LA LUTTE POUR LA RÉFORME
A. La situation économique existante
B. La mise en œuvre des réformes : Combattre l'inertie politique
LA POLITIQUE ÉTRANGÈRE ET DE SÉCURITÉ DE L'UKRAINE
A. Les relations entre l'Ukraine et la Russie
B. L'Ukraine et l'Ouest
C. L'autre option de l'Ukraine : Le GUOAM
LES OBJECTIFS DE LA POLITIQUE ÉTRANGÈRE DU CANADA
A. Aider à l'effort de réforme
B. Les liens économiques entre le Canada et l'Ukraine
C. Le Canada et l'Ukraine : Le lien spécial
ANNEXE A : CARTES DE LA RUSSIE ET DE L'UKRAINE
LA RUSSIE
L'UKRAINE
ANNEXE B : ARTICLES DE LA CONSTITUTION RUSSE RELATIFS À LA RÉPARTITION FÉDÉRALE-RÉGIONALE DES POUVOIRS ET AUX POUVOIRS DU PRÉSIDENT RUSSE
ANNEXE C : Russie - résultats des élections parlementaires
ANNEXE D : RUSSIE - STRUCTURE ÉCONOMIQUE - INDICATEURS ANNUELS
ANNEXE E : Ukraine - Structure économique - Indicateurs annuels
ANNEXE F : TÉMOINS
Ce rapport du Sénat est la première étude approfondie sur la Russie et l'Ukraine jamais réalisée par un comité parlementaire canadien.
Le Canada possède en Europe des intérêts de longue date en matière de commerce, d'investissement et de défense. Nous, membres du Comité sénatorial des affaires étrangères, nous y intéressons de près depuis plusieurs années. Nous avons rédigé deux rapports sur les relations en matière de commerce et d'investissement entre le Canada et l'Union européenne. Nous sommes au courant des problèmes liés à l'élargissement de l'UE en direction de l'Est et des conséquences que cela représente pour le Canada.
Le Canada est l'un des membres fondateurs de l'OTAN et, lorsque nous avons été priés d'enquêter sur l'OTAN et le maintien de la paix, sujet sur lequel nous avons fait rapport en avril 2000, nous avons été amenés à nous poser de multiples questions sur ce qui se passait en Russie et en Ukraine. Le présent document est donc le résultat de nombreuses années de travail au cours desquelles nous avons observé les affaires européennes glisser de plus en plus vers l'Est, tandis que nous nous demandions quelles en seraient les retombées sur notre pays.
Le Sénat nous a officiellement confié une étude à ce propos, et nous avons amorcé nos audiences principales en mars 2001, étant entendu que nous irions en Russie en octobre de la même année et que nous terminerions notre rapport au début de 2002. Malheureusement, le désastre du World Trade Centre et les bouleversements qui ont suivi nous ont empêchés de nous rendre en Russie et en Ukraine. Nous comptons combler cette lacune plus tard.
Dans l'intervalle, si nous ne sommes pas allés en Russie, dans un sens, c'est la Russie qui est venue à nous.
Des personnes importantes ont pris le temps de rencontrer soit l'ensemble de nos membres soit, en cas d'impossibilité de faire autrement, un certain nombre d'entre nous. Je dois préciser que l'ambassadeur de Russie, M. Churkin, a déployé beaucoup d'efforts pour que nous puissions rencontrer et interroger, dans la mesure du possible, toutes les personnalités de Moscou qui sont venues à Ottawa. Bien entendu, à mesure que nos connaissances s'étendaient, nos questions devenaient plus pertinentes.
Quelques sénateurs ont pu se réunir en privé avec le président Poutine. Nous avons rencontré l'actuel premier ministre, Mikhail Kasyanov; l'actuel vice-premier ministre, Victor Khristenko; l'ex-premier ministre, Sergueï Kirienko; et l'actuel président de la Douma, Gennady Seleznyov. Nos entretiens ont porté sur de multiples sujets. Dans le cas du président Poutine, lorsque les responsables du protocole lui ont rappelé qu'il avait un autre rendez-vous, il les a repoussés pour pouvoir poursuivre la conversation en cours, en déclarant " On me pose des questions intéressantes, et je veux y répondre correctement ".
Non seulement ces hommes, qui comptent parmi les plus importants de la Russie d'aujourd'hui, sont impressionnants sur le plan intellectuel, mais ils sont fort jeunes: le président de la Douma, M. Seleznyov, le plus âgé, a 54 ans; le président Poutine est âgé de 49 ans, le premier ministre Kasyanov de 44 ans, tout comme le vice-premier ministre M. Khristenko. L'ex-premier ministre Kirienko, qui est actuellement représentant du président auprès de l'importante région de la Volga et président de la Commission russe du désarmement chimique, n'a que 39 ans.
La Russie va de l'avant, c'est indubitable. L'effet le plus immédiat de ce progrès se reflète probablement dans le secteur du pétrole et du gaz. La Russie est aujourd'hui le deuxième exportateur de pétrole après l'Arabie saoudite. Elle est considérée en Europe occidentale comme une réserve sûre de gaz naturel, un peu comme le Canada pour les États-Unis. Comme le souligne notre rapport, la découverte de gaz et de pétrole dans le bassin de la Caspienne a été la plus importante des trente dernières années. La concurrence sera encore plus rude en ce qui concerne le passage des oléoducs. Outre la Russie, l'Azerbaïdjan, l'Iran, le Turkménistan et le Kazakhstan touchent à la mer Caspienne.
Le Canada n'a-t-il pas intérêt à ce que la Russie réussisse? Je pense que oui, car une Russie prospère sera vraisemblablement plus stable, et nous y gagnerons tous. Notre rapport décrit l'héritage plutôt consternant du régime soviétique, mais l'actuel gouvernement démocratiquement élu semble déterminé à améliorer le niveau de vie des Russes.
Dans un monde où abondent les mauvaises nouvelles, je pense que la Russie offre plutôt des raisons de se réjouir.
Je regrette que nous ne soyons pas allés en Ukraine. Des témoins intéressants nous y attendaient. Les Canadiens d'ascendance ukrainienne s'intéressent beaucoup à ce pays. Parmi les chiffres remarquables que j'ai retenus, il y a celui?ci : l'année dernière, l'ambassade d'Ukraine a délivré 50 000 visas à des Canadiens qui voulaient se rendre là?bas. Je vous laisse découvrir notre chapitre sur l'Ukraine, qui parle de lui-même.
Au nom des membres du Comité des affaires étrangères, je tiens à remercier nos très dévoués collaborateurs. Mme Line Gravel, notre greffière, est un modèle d'efficacité. Elle s'est occupée des aspects administratif, budgétaire et logistique de nos activités. Son concours et celui de son collègue, M. Till Heyde, nous ont été très précieux.
Par ailleurs, nous avons pu compter sur un personnel de recherche compétent et diligent. Ce rapport n'aurait pas pu être possible sans le travail de Peter Berg et de John Wright, de la Bibliothèque du Parlement, ainsi que de David Murphy, de mon bureau.
Peter Stollery, Président
Nés de la chute de l’Union soviétique, la Russie et l’Ukraine représentent pour le Canada et les Canadiens des possibilités ainsi qu’un écheveau de problèmes complexe engendrés par les réformes politiques et économiques dans lesquels ces deux pays se sont engagés. L’enquête du Comité ne se voulait pas une étude exhaustive de ces deux États. Le Comité a plutôt choisi d’examiner certains sujets particuliers portant principalement sur la relative nouveauté des relations qui sont en train de s’établir entre le Canada et la Russie et l’Ukraine nouvelles.
Le présent rapport
traite moins des positions adoptées par le Canada à l’égard des dossiers
qui intéressent nos trois pays depuis longtemps, notamment les liens touchant
l’agriculture, le climat, la géographie, la garde du Nord, les liens
familiaux et les sports, et qui devaient souvent le céder aux relations entre
le Canada et le régime soviétique. Il est plutôt axé sur la dynamique
interne qui façonne ou oriente les réformes en Russie et en Ukraine, sur ce
qu’elle pourrait impliquer pour les intérêts canadiens et, finalement, sur
la meilleure façon dont nous pouvons offrir aide et conseils. L’objectif
ultime consiste à instaurer des relations saines et durables avec deux pays qui
pourraient devenir des partenaires importants dans le domaine des affaires
internationales.
Le Comité a entendu
une foule de témoignages. Il a tenu 17 séances consignées au cours desquelles
il a entendu 59 témoins. De plus, des membres ont rencontré quelques-uns
des dignitaires russes les plus importants et les plus hauts placés, y compris
le Président Poutine[1],
l’ancien Premier Ministre Sergei Kirienko aujourd’hui représentant présidentiel,
le Vice-Premier Ministre Viktor Khristenko, et le Coprésident de la Douma russe
Guennadi Seleznev. Le Comité s’est également rendu à Washington pour
entendre les témoignages d’experts canadiens et américains qui travaillent
dans des centres de recherche et des ministères. Ce voyage a donné lieu à six
autres réunions où ont comparu vingt autres témoins. Le présent rapport présente
les réflexions du Comité sur les priorités exprimées par ce vaste éventail
de témoins.
Après avoir réfléchi sur l’information, les observations et les analyses présentées par les divers témoins qui ont comparu devant lui, ainsi que toute la documentation reçue, le Comité est arrivé à quelques recommandations concernant les relations futures entre le Canada et la Russie et l’Ukraine. Nous sommes fermement convaincus que si le Canada les met en œuvre, il pourra jouer un rôle important pour aider les deux pays à bâtir un partenariat solide, sûr et mutuellement avantageux pour l’avenir.
La
politique étrangère de l’Union soviétique et son potentiel militaire ont
toujours inquiété énormément les décisionnaires et analystes du monde
entier. Depuis le démantèlement de l’Union cependant, on discute beaucoup
des effets que ce nouvel état de choses pourrait avoir sur la politique étrangère
du Canada et sur l’échiquier politique international. La question de l’élargissement
de l’OTAN à la suite de l’effondrement de l’Union soviétique a
certainement amené l’Europe de l’Ouest de l’après-guerre – et l’Amérique
du Nord – aux frontières de la Russie. Cette nouvelle donne a incité le
Comité sénatorial permanent des affaires étrangères à entreprendre une étude
sur l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN) et sur la position
du Canada au sein de cette alliance[2].
La
Russie poursuivant sa difficile transformation économique et politique,
l’engagement du Canada en Russie devrait porter sur des dossiers plus
complexes et plus nombreux que les questions traditionnelles de défense et de sécurité.
Pour le Canada et pour le monde entier, la Russie offre un large éventail
d’opportunités mais elle pose aussi de nombreux défis dans des domaines
aussi variés que le commerce, la finance internationale, l’assistance
technique, la coopération dans la lutte contre l’activité criminelle, la sécurité
internationale et certains problèmes locaux graves (p. ex. la propagation de la
tuberculose multirésistante[3]
et le lien entre la croissance économique et la stabilité politique), qui
pourraient se répercuter directement ou indirectement sur les Canadiens.
Au
fil de son étude cependant, le Comité a jugé de plus en plus encourageantes
l’évolution de la Russie et sa contribution dans le monde. Par exemple, la
Russie est un bassin d’entrepreneurs et de travailleurs dynamiques, instruits
et habiles. Elle est un partenaire clé de la station spatiale internationale
parce qu’elle apporte une expérience et des compétences irremplaçables.
C’est aussi un collaborateur potentiel aux efforts de stabilisation des
situations internationales épineuses et sa participation est encore primordiale
pour la gestion des régimes de sécurité multilatéraux. Dernièrement, la
Russie a démontré concrètement combien elle était importante lorsque le Président
Poutine a appuyé la « guerre au terrorisme ». L’occasion
s’offre également de modifier en profondeur les relations eurasiatiques pour
la première fois depuis l’avènement du système des États modernes et de
faire pleinement entrer la Russie dans le giron de ce que Boris Eltsine a appelé
la famille des États civilisés. Il existe désormais, au niveau multilatéral
et bilatéral, des possibilités de travailler avec la Russie dans sa marche
vers une intégration plus complète à la société mondiale contemporaine.
Les
transformations subies par la Russie en 1814, 1917 et 1991 ont chaque fois
changé le monde. Pourtant, elles ne se sont jamais implantées fermement. Dix
ans après l’effondrement de l’Union soviétique, le Comité pose la
question la plus difficile : s’agit-il cette fois-ci de changements
fondamentaux? Le gros du présent rapport se compose donc des observations sur
la nature, l’orientation et l’état de la Russie, surtout sous la direction
du Président Poutine.
Il
est aussi difficile de faire le tour de la politique russe que de faire le tour
du pays même. Le présent rapport n’est pas censé être une encyclopédie.
Comme le font les voyageurs lorsqu’ils n’ont pas beaucoup de temps pour
visiter un pays aussi immense, le Comité a dû se contenter de « survoler »
de vastes secteurs de la Russie, soit en y jetant de loin un bref coup d’œil,
soit en notant simplement leur existence. Il y a de nombreuses facettes de la
Russie que le Comité n’a pas encore aperçues : des aspects qui à eux seuls
vaudraient la peine d’être étudiés. Il manque encore des témoignages sur
la question des nationalités, sur les souches et variétés bien particulières
du nationalisme russe, sur la politique du Nord, sur les peuples indigènes, sur
la Russie et ses proches voisins, sur l’environnement, sur les relations de
travail, sur la problématique homme-femme, sur les arts et les industries
culturelles, pour ne nommer que quelques-uns des sujets importants. Notre
rapport ne peut que représenter une étape sur le chemin de l’entente entre
Russes et Canadiens. Il ne se limite pas aux liens conventionnels et à la compréhension
instaurés pendant l’ère soviétique et après, mais il explore plutôt l’établissement
de relations normalisées entre nous et un nouveau partenaire économique et
politique en pleine émergence.
Le
rapport se concentre sur le principal thème exposé au Comité par les témoins
et sur la grande question dont dépendent toutes les autres en Russie : ce
que la présidence de M. Poutine pourrait impliquer pour la Russie et, partant,
pour le Canada. Le but déclaré du Président russe est de transformer la
Russie en un État libéral et démocratique doté d’une économie de marché
viable et réglementée. L’hypothèse de départ, c’est que le monde a
besoin que la Russie devienne une Russie fonctionnelle, viable, démocratique,
prospère économiquement et la cheville ouvrière d’un monde pacifique et
prospère. Nous y gagnerions tous.
Lorsque le Comité s’est réuni pour faire cette étude, les rappels salutaires de la complexité et des contradictions qu’implique une entreprise aussi ambitieuse que l’étude des affaires russes n’ont pas manqué. La Russie est impressionnante, ne serait-ce que par sa taille. Elle couvre 11 fuseaux horaires depuis la Pologne jusqu’à la Chine et elle s’étend au nord jusqu’aux confins du Canada et au sud, jusqu’à la Turquie.
Pourtant,
décrire ainsi la taille de la Russie en donne une image trompeuse. Si la carte
en était tracée à l’échelle de son économie, la Russie aurait à peu près
la taille des Philippines et l’air minuscule à côté de ses voisins
d’Europe occidentale. Selon les estimations utilisées, l’économie russe ne
représente plus que de 30 p. 100 à 50 p. 100 de son niveau
de 1991[4].
Si sa carte était établie à partir des données démographiques, la Russie
ferait la moitié seulement des États-Unis et une fois et demie l’Allemagne réunifiée,
puisqu’elle a une population de 146 millions d’habitants qui diminue
rapidement.
La
Russie se divise en 89 régions, chacune étant plus ou moins indépendante
du centre. À une extrémité, il y a la Tchétchénie, qui est en conflit
ouvert avec la fédération. À l’autre, il y a Moscou, le centre politique,
mais une ville qui est souvent assimilée à tort à l’ensemble de la Russie.
Pour certaines régions, ce qui se passe à Moscou est aussi lointain
aujourd’hui qu’il y a 100 ou 300 ans.
En
outre, la Russie est officiellement un État multinational. Bien que les Russes
eux-mêmes composent légèrement plus de 80 p. 100 de la population,
le formulaire de recensement russe admet plus de 70 nationalités différentes
dans le pays. En tout, plus d’une centaine de langues y sont parlées.
Officiellement, l’État approuve quatre religions[5],
mais 75 p. 100 de la population se déclare orthodoxe, 19 p. 100
musulmane et 6 p. 100 indique une religion autre.
Les questions de culture et d’identité sont approfondies plus loin dans le rapport. Pour annoncer ces sections, disons tout de suite que, quelle que soit l’image que les Russes ont d’eux-mêmes et de la Russie, ils sont nettement convaincus que la Russie a une culture unique qui n’est ni occidentale ni orientale. L’identité russe a en grande partie été forgée par l’étendue du pays et la férocité de son histoire. Le Comité a appris que les Russes sont intimement convaincus que leur pays devrait assumer le rôle d’une grande puissance, sa sphère d’influence naturelle s’étendant depuis l’Europe de l’Est jusqu’à l’Asie et qu’il devrait exercer une influence sur la scène internationale. Cette conviction pourrait encadrer solidement la politique russe.
Le
Comité a entendu de nombreux témoignages au sujet des pressions qui
s’exercent sur la Russie et sur le système de soins de santé, le niveau de
vie et le filet de sécurité sociale russes.
1. Santé et démographie
Le
Comité a entendu des témoignages indiquant que le moins qu’on puisse dire,
c’est que la condition sociodémographique de la Russie est en crise. En effet,
la baisse de la qualité de vie des soviétiques a contribué à la chute de
l’URSS. Depuis 1991, on n’a pas réussi à freiner ce déclin (quoique la
liberté, elle, ait nettement progressé).
Murray
Feshbach (School of Foreign Service et Center for Political and Strategic
Studies, Georgetown University) a affirmé que, d’ici 2050, la population
russe devrait au mieux avoir diminué du tiers pour se situer à quelque 100 millions
d’habitants. Déjà, selon Larry Black (professeur, Institut des études
russes et européennes, Université Carleton), la Russie est nettement
sous-peuplée proportionnellement au territoire qu’elle doit gérer. De plus,
l’espérance de vie moyenne pour un Russe est aujourd’hui de seulement 58 ans.
Keith Bush (directeur, Programme Russie et Eurasie, Center for Strategic and
International Studies, Washington, D.C.) a appris au Comité que la faiblesse de
l’offre de main-d’œuvre et de la demande des consommateurs, des stimuli
habituellement nécessaires à la croissance économique, pourrait bientôt
constituer un obstacle gigantesque, voire infranchissable, au développement économique
de la Russie.
M. Feshbach a appris au Comité que plusieurs maladies graves étaient courantes en Russie. Par exemple, le sida se propage librement, surtout parmi la population carcérale. Cette épidémie se conjugue souvent à la tuberculose multirésistante. Il est prévu qu’à l’échelle de la Russie, 10 millions d’hommes âgés de 15 à 29 ans mourront de ces deux maladies après 2005. D’autres pathologies inquiètent à cause de leur fréquence, notamment le paludisme, la syphilis et autres maladies transmissibles sexuellement, ainsi que les hépatites C et B.
Retards
de croissance et atrophies sont plus fréquents maintenant chez les enfants.
Selon d’éminents pédiatres russes, de 10 à 15 p. 100 seulement
des jeunes Russes de moins de 15 ans sont en bonne santé. Le chef du
district militaire de Moscou a donné l’alarme lorsqu’il a déclaré que 40 p. 100
des hommes en âge de faire leur service qui étaient à sa disposition n’étaient
pas assez en santé pour servir[6].
Les jeunes femmes dans le groupe d’âge où se concentre traditionnellement la
majorité des naissances en Russie (19 à 29 ans) ont subi une chute
dramatique de leur taux de fertilité à cause de la maladie, de la pauvreté et
des MTS.
Ce
qui est préoccupant pour la Russie et les autres pays, c’est le taux de
transmission de beaucoup de ces maladies, maintenant que l’ouverture de la
Russie aux voyages et à l’émigration a multiplié les contacts avec le monde
extérieur. Le trafic de femmes – pour le commerce du sexe – est particulièrement
inquiétant. Non seulement l’esclavage sexuel est répréhensible en soi, mais
de plus c’est un moyen employé par le crime organisé russe pour s’étendre[7].
Par la même occasion, il propage plusieurs maladies transmissibles sexuellement.
Les
ressources dont dispose la Russie pour résoudre ces problèmes sont restreintes
à bien des égards. Premièrement, elle n’a pas d’argent. L’an dernier,
selon Murray Feshbach, le gouvernement avait les moyens de ne traiter que 1 000
des 500 000 séropositifs. Si l’économie allait mieux et si les méthodes
de perception des impôts étaient meilleures, cela réglerait directement le
problème. L’attention de la communauté internationale, à supposer qu’elle
soit indiquée et souhaitée, serait également utile.
La
seconde contrainte est liée à la prestation des services. La plupart des
facteurs qui contribuent à améliorer la santé (p. ex. soins de santé,
élimination des déchets, infrastructure municipale, éducation) relèvent des
gouvernements locaux. Selon John Young (professeur, University of Northern
British Columbia), il faudrait que certains de ces services soient confiés aux
administrations régionales ou fédérales[8].
D’autres ne posent pas de problème de compétence, mais exigeraient des
ressources supplémentaires. Dans le contexte de la prestation des services, les
organisations municipales sont particulièrement touchées par la pénurie de
ressources.
Troisièmement,
on pourrait remédier à la décroissance démographique par l’immigration.
Cet espoir a été rapporté au Comité lorsque celui-ci a rencontré le
Vice-Premier Ministre Khristenko, qui a indiqué que la Russie devrait avoir
adopté une nouvelle politique d’immigration d’ici un an. Si la Russie réussit
à relancer son économie et son régime politique, il n’est pas irréaliste
de croire à une immigration nette à long terme. On a signalé qu’environ 14 millions
de Russes vivent à l’étranger dans d’anciens États soviétiques et que
beaucoup d’entre eux qui possèdent des compétences fort utiles pourraient
aspirer à rentrer en Russie. Pour l’instant toutefois, l’immigration nette
reste faible.
La migration pourrait aussi soulever d’autres problèmes. Certaines déclarations de la Russie sur l’immigration semblent viser surtout à encourager les Russes à rentrer chez eux. La population non russe du pays grossit contrairement à celle des Russes de souche. Dans l’Extrême-Orient russe, il y a aussi une forte population d’immigrants illégaux venus de Chine.
2. Revenus
Le
PIB par habitant est estimé à 1 700 $US, moins du dixième de ce
qu’il est au Canada. Il y a aujourd’hui une énorme polarisation de la
richesse en Russie. Quelques Russes, appelés les « Nouveaux Russes »,
sont bien plus riches que la plupart des gens (Russes ou Occidentaux), alors que
beaucoup d’autres vivent dans la pauvreté. Selon les chiffres de la Banque
mondiale, environ 30 p. 100 des Russes vivent sous le seuil de la
pauvreté.
Un
autre fait à considérer est que, même si on prévoit un taux de chômage
officiel de 10 p. 100 pour 2001, la proportion réelle de chômeurs
pourrait être cachée et les prestations de chômage sont minimes. Andrea
Chandler (professeure, Institut des études européennes et russes, Université
Carleton) a dit au Comité qu’un Russe qui devient chômeur a énormément de
mal à briser le cycle du chômage. La décroissance et la restructuration de
l’économie n’ont pas les mêmes conséquences pour les Russes que pour la
plupart des Canadiens.
Un fait critique porté à l’attention
du Comité est que la classe moyenne russe représente environ de 10 p. 100
à 15 p. 100 de la population. Selon Stephen Grant (chef, Russia
Ukraine and Commonwealth Branch, Office of Research, U.S. Department of State),
dans un pays occidental, un tel pourcentage ne pourrait pas former un noyau
assez gros pour soutenir une démocratie libérale. Par comparaison, toutes les
élites sociopolitiques confondues représentent de 4 p. 100 à 20 p. 100
de la population, selon la méthode de calcul employée. La plupart des
estimations se retrouvent au bas de la fourchette.
Beaucoup
de Russes espèrent que Vladimir Poutine va régler les problèmes de crime et
de corruption. C’est notamment à ces problèmes qu’ils pensent lorsqu’ils
se plaignent de l’« anarchie » des années Eltsine.
Le
Comité a reçu peu de témoignages sur la fréquence du crime ordinaire. En
effet, les statistiques sur le crime sont difficiles à vérifier en Russie –
comme toutes les statistiques là-bas d’ailleurs –, puisqu’il manque des
ressources pour déclarer et collecter des données uniformisées et qu’il
peut exister bien des incitations à fausser les données déclarées. De plus,
comme les statistiques sociales de la Russie sont très suspectes, il est
doublement difficile de faire des analyses comparées. Néanmoins, il semble évident
que les crimes contre la propriété et les crimes contre les personnes sont
franchement inquiétants.
Des
témoins ont aussi indiqué que la police russe a besoin de plus de ressources
et de formation. Comme pour bien d’autres fonctions fondamentales de l’État,
les mesures les plus importantes qu’ait prises le gouvernement Poutine sont
celles visant à stabiliser et à accroître les revenus (c.-à-d. la réforme
fiscale).
Au
sujet du crime organisé et de la corruption, on a indiqué au Comité que le
vrai crime organisé en provenance de la Russie a établi sa présence dans le
monde entier. Angus Smith (Direction des renseignements criminels, Gendarmerie
royale du Canada) a raconté au Comité que le système des goulags soviétiques
était un vivier de criminels et une bonne école pour un gros réseau ayant une
forte culture criminelle intime. Le crime représente une culture de survie pour
un peuple qui a survécu à Staline, à Hitler et au goulag.
La
nécessité d’enfreindre la loi pour arriver à faire quoi que ce soit dans le
système économique soviétique a augmenté la présence criminelle dans la
société russe. À l’effondrement de l’Union soviétique, ces gangs de
criminels étaient bien placés et extrêmement doués. Selon le témoignage
d’Angus Smith, les forces policières occidentales étaient mal préparées au
début au caractère impitoyable, à la violence et à la rapidité avec
lesquels les gangs russes ont pénétré l’Occident. « Dans sa
manifestation nord-américaine, le crime organisé russe est né de toute pièce.
Ces individus qui étaient des crapules invisibles de la pègre sont devenus de
grands criminels internationaux en moins d’une décennie. Ils ont réussi à
éviter une évolution classique que l’on constate dans le crime organisé –
les Italiens ou les Asiatiques, ou encore les gangs de motards hors-la-loi –
c’est-à-dire l’assimilation graduelle, l’insertion et l’évolution sur
plusieurs générations. Les policiers ont donc dû s’adapter extrêmement
vite à cette nouvelle situation. Nous n’avons pas eu la possibilité de les
observer, de nous adapter à eux, de nous habituer à eux et d’évoluer parallèlement
à eux ».
Parce
qu’ils
ont une culture fermée, il est difficile d’infiltrer les gangs russes. Les
forces policières doivent constamment faire du rattrapage, parfois avec succès.
M. Smith a ensuite décrit comment, grâce à la coopération des autorités
russes et américaines, la GRC avait mené à terme une enquête qui avait
abouti à l’expulsion de Vyacheslav Sliva, un personnage important du crime
organisé russe, qui résidait alors à Toronto.
L’Union
soviétique a laissé une société instruite et cultivée, quoique Murray
Feshbach ait dit au Comité que, d’après son expérience personnelle, les
statistiques soviétiques et russes exagèrent probablement le taux d’alphabétisme.
On a expliqué au Comité les difficultés que cette société si manifestement
érudite et scientifiquement avancée semblait avoir à appliquer ces talents à
la création d’un État libéral et démocratique.
Le
Comité a entendu Piotr Dutkiewicz (directeur, Institut des études d’Europe
de l’Est, Université Carleton) qui a été consultant en éducation auprès
du gouvernement russe. Celui-ci a dit que le système d’éducation russe est
actuellement victime du même problème de ressources qui empoisonne la
situation de toute la Russie : le manque d’argent. Il se pourrait que
jusqu’à 65 p. 100 du budget d’éducation de la Russie soit
accaparé par les frais d’entretien, et bien que les enseignants touchent généralement
leur salaire, de grands arriérés n’ont pas manqué.
En
ce qui concerne le contenu des programmes d’enseignement actuel, le
gouvernement fédéral dicte effectivement le programme d’études par règlement
et par le contrôle des ressources. Les Russes et l’État russe continuent de
considérer l’éducation comme un moyen d’avancement. Toutefois, M. Dutkiewicz
a fait remarquer qu’on s’efforce d’inculquer les « valeurs russes »
(p. ex. les valeurs du collectivisme, la religion orthodoxe et le respect
traditionnel de l’État et de l’autorité) dans le cadre du programme d’études.
Cet objectif semble certes conforme aux sentiments généraux qui ont cours en
Russie, ainsi qu’aux sentiments exprimés par les nombreux fonctionnaires
russes. Le système d’éducation russe semble refléter l’ambivalence de la
société russe face à la transition, puisqu’il fait simultanément la
promotion de l’occidentalisation et de la russification, qui sont (parfois)
contradictoires.
L’État
dispose de mécanismes pour faire pression sur les enseignants; il exige surtout
d’eux qu’ils se soumettent de nouveau à la procédure d’agrément de façon
périodique. La censure déclarée ne semble pas faire autant problème que
pendant l’ère soviétique. Les conditions nécessaires à l’édification
d’une société russe entièrement fonctionnelle semblent plutôt provoquer
une remise en question pénible pour beaucoup de Russes. Il se pourrait donc que
les enseignants cherchent moins à contester l’autorité qu’à atteindre
leurs objectifs pédagogiques.
Enfin, il faut souligner que la majorité
des enseignants œuvrant dans le système sont des produits de l’époque soviétique.
Les plus jeunes qui débutent leur carrière ont une approche pédagogique plus
souple et plus dynamique. Cette tension entre les générations se manifeste par
une lutte entre flexibilité et rigidité dans la pédagogie. Le défi pour la
Russie consiste à écarter les éléments conservateurs du système
d’enseignement qui résistent aux nouvelles techniques et au nouveau matériel.
Le Comité reconnaît que ce problème, ou cette mentalité, n’est pas propre
à la Russie, mais il faut absolument rappeler que tout enseignant ayant plus de
12 ans d’ancienneté a entrepris sa carrière du temps de l’Union soviétique.
Bien que le Comité ne se soit pas renseigné sur le détail des programmes d’aide sociale, un tableau général s’esquisse déjà. Andrea Chandler a indiqué que la réforme des pensions au Comité est un exemple des difficultés que pose la réforme de l’aide sociale.
Ces
difficultés peuvent se résumer comme suit. Premièrement, très peu d’argent
a été injecté. C’est seulement dernièrement que les arriérés de pension
ont été réglés. L’inflation, aggravée par la soudaine dévaluation du
rouble en 1998, a aussi grignoté les revenus fixes. Les pensions ont été
séparées du budget général en 1991 pour les mettre à l’abri des
problèmes budgétaires généraux. Malheureusement, elles en sont devenues vulnérables
puisqu’on s’attend maintenant à ce que le régime s’autofinance.
Deuxièmement, la réforme de l’aide sociale est extrêmement contestée par les politiciens russes. Plusieurs témoins ont expliqué au Comité que les Russes tiennent à conserver l’État providence qui les prend en charge dès la naissance, même si le régime de l’ère soviétique n’a jamais été parfaitement fonctionnel. De nombreux Russes se méfient des tentatives de réforme du régime qu’ils considèrent comme des mesures imposées par la Banque mondiale et le FMI.
Troisièmement,
alors que le système soviétique constituait un tout intégré aux fins de la
planification et de la prestation des services, les mêmes institutions sont
devenues dysfonctionnelles lorsque l’organe de planification central a été
aboli. Les services sont aujourd’hui répartis entre trois ordres de
gouvernement, ce qui implique certaines variations régionales. La capacité de
concevoir des programmes efficaces et l’obligation d’offrir des services
responsables ont été sérieusement compromises. Bref, l’appareil
administratif gouvernemental se compose de trop d’entités, il exerce un trop
grand nombre de fonctions qui pourraient être transférées au secteur privé,
et ses effectifs sont trop nombreux alors que les employés sont mal rémunérés
et pas disciplinés[9].
G.
La Tchétchénie dans la politique intérieure russe[10]
Les
relations avec les Tchétchènes font partie du tableau politique russe depuis
l’époque de Catherine la Grande. La politique a toujours eu tendance à être
complexe dans le Caucase à cause de l’enchevêtrement des rivalités des
nations. La politique soviétique a aggravé la situation en établissant des
frontières tracées gauchement qui exacerbent l’irrédentisme à l’intérieur
de la Russie et dans tout le Caucase. La Tchétchénie représente un problème
quasi insoluble pour la Russie et pour le Président Poutine.
En
Russie, la Tchétchénie est considérée comme une affaire interne de la Fédération
de Russie. La politique étrangère à l’endroit de la Russie a mis en lumière
des atteintes aux droits de la personne, le manque généralisé de transparence
et l’exclusion des observateurs de la région. Mais la Russie a pour position
déclarée qu’aucun État ne tolérerait l’anarchie ou l’instabilité à
l’intérieur de ses frontières ou de l’autre côté de celles-ci. Le Comité
a été informé que la Russie a invoqué les opérations hors zone de l’OTAN
pour justifier le deuxième conflit tchétchène.
Il
y a aussi la question du pétrole. La Tchétchénie joue un rôle important dans
les projets de la Russie, qui veut exporter le pétrole de la mer Caspienne vers
l’Occident en passant par le territoire russe, parce qu’elle est contiguë
à une section cruciale du pipeline qui se rend jusqu’au port de Novorossisk.
Bohdan Klid (professeur, Institut canadien d’études ukrainiennes, Université
de l’Alberta) a expliqué la situation ainsi au Comité : « Une
des causes de la guerre en Tchétchénie est que les Tchétchènes voulaient
leur part alors que les Russes voulaient tout garder pour eux. Voilà la
situation un peu simplifiée ».
Le
conflit actuel n’est pas réglé. Dans l’intervalle, comme Fiona Hill l’a
dit au Comité, la Tchétchénie nuit à la politique russe. Tout d’abord, le
coût du conflit en Tchétchénie est presque égal ce que la Russie touche, en
monnaies fortes, en vendant des armes.
Deuxièmement, la Tchétchénie a rendu moins clair l’état de la démocratie en Russie et remis en cause la crédibilité de l’État. La mise à contribution des forces de sécurité en Russie et en Tchétchénie est préoccupante, tout comme la façon dont le gouvernement a traité les médias dans le dossier tchétchène. Troisièmement, il y a eu de graves atteintes aux droits de la personne en Tchétchénie, bien que la Russie ait entamé dernièrement quelques procès très médiatisés contre les auteurs présumés de ces abus.
Quatrièmement,
la Tchétchénie a causé des problèmes à l’armée russe. Selon Fiona Hill,
les militaires sont démoralisés et la conscription est difficile, d’autant
plus que les méthodes de recrutement visent de façon disproportionnée
certaines régions russes.
Enfin, le dossier tchétchène pourrait devenir un problème pour Vladimir Poutine. La campagne militaire principale est terminée, mais plus le conflit en Tchétchénie s’éternise, plus la popularité de Poutine risque de diminuer. Or il n’y aura pas de solution politique sans compromis. Toute tentative de modération de la part de Poutine qui donnera l’impression qu’il veut composer avec les séparatistes tchétchènes ou qu’il ternit le prestige de la Russie se répercutera sur les suffrages, soutient Clifford Gaddy.
LA
POLITIQUE ET L’EFFET POUTINE
A.
La culture et la démocratie russes
En apparence, rétablir la politique de l’ordre ou reconquérir l’État, quelle que soit l’expression employée, fait écho au passé de la Russie. Comme le font remarquer les Russes eux-mêmes, la Russie a connu 1 000 ans d’autoritarisme et seulement dix ans de démocratie. Les témoins entendus par le Comité ne s’entendaient pas sur la mesure dans laquelle le patrimoine tsariste ou soviétique a mené la Russie ou les Russes à l’autocratie. Toutefois, la plupart des témoignages reçus par le Comité sur le sujet donnent à penser que l’histoire ancienne et récente ont contribué ensemble à conférer un grand pouvoir à la personne qui occupe le poste de président plutôt qu’à la fonction proprement dite. Ce serait une erreur que de sous-estimer prématurément le rôle et la personnalité du Président de la Russie.
Tous
les témoins ont affirmé, en réponse aux questions, que la culture russe était
quelque peu différente de la culture occidentale et que cette différence
influençait réellement la manière dont les Russes mènent leur vie
quotidienne et envisagent la politique. Toutefois, même les experts avaient du
mal à exprimer clairement ou adéquatement la nature exacte des diverses caractéristiques
de cette différence, ce qui montre combien il faut être prudent lorsqu’on
veut introduire dans l’équation les composantes plus intimes du comportement
culturel. Néanmoins, un tableau culturel sommaire s’est dessiné.
De tout temps, les Russes ont apprécié l’État parce qu’il faisait régner l’ordre. La Russie est située dans « un quartier mal famé », comme l’a dit Sergei Plekhanov (professeur, Centre d’études internationales et sécurité, Université York). Donc, le régime tsariste mettait l’individu en sécurité contre les dangers externes mais ne le protégeait pas contre l’État lui-même. En Russie, tant la sécurité que le développement ont toujours coûté très cher. Selon Sergei Plekhanov, il fallait donc absolument que l’État russe qui en naisse soit extraordinairement fort, surtout au détriment de la société.
De
plus, on a indiqué au Comité que les usages juridiques et sociaux russes sont
venus en partie de l’Église orthodoxe. Les usages chrétiens en Occident et
orthodoxes en Russie se sont développés différemment au cours du dernier millénaire,
et tout particulièrement depuis la Renaissance et la Réforme. D’après M. Magosci,
cette différence s’est répercutée dans la façon de penser et d’agir des
peuples qui pratiquent ces religions. L’Église orthodoxe n’a jamais rivalisé
avec les forces séculières pour le pouvoir politique. Au contraire, elle a été
intégrée à l’État, ce qui a fait disparaître un élément de la société
civile qui existait dans les traditions chrétiennes occidentales. Larry Black a
également souligné que l’un des principaux fondements de notre société est
le droit romain des contrats, qui nous a été transmis par l’Église
catholique, mais que Byzance ne l’a pas transmis en Russie.
Plus
tard dans l’histoire russe, le servage était une réalité connue, tandis que
l’État était une vague entité lointaine et mal définie pour la plupart des
Russes. L’État, quand on y pensait, était personnifié par le Tsar.[11]
Selon Margaret Paxon (chercheure invitée au Kennan Institute for Advanced
Russian Studies et chercheure au Département d’anthropologie, Université de
Montréal), les affaires personnelles et locales étaient réglées (et le sont
peut-être encore aujourd’hui) par le village, la famille et la communauté,
pas par l’État. Par conséquent, les Russes ne se sont jamais vraiment
attendus à ce que l’État s’occupe de leurs affaires personnelles et ils
s’adressent à lui en tant que demandeurs et non en tant que citoyens. Tout le
système est empreint d’un autoritarisme instinctif, selon John Young.
Toutefois,
d’après Blair Ruble (directeur, Kennan Institute for Advanced Russian
Studies), individuellement, les Russes répondent à peu près comme les
Occidentaux aux questions des sondages sur la valeur qu’ils accordent à
certains indicateurs de la démocratie, comme la protection contre l’ingérence
de l’État, la liberté d’expression, et la liberté d’exercer des activités
économiques et d’avoir des loisirs.
Il y a aussi la question de l’héritage soviétique. La période soviétique s’est caractérisée par une modernisation, une urbanisation et une collectivisation intensives. Le Comité a appris de certains témoins que maintes traditions se sont perdues et qu’il y a même eu une rupture très nette avec le passé dans certains cas, puisque presque toutes les préférences et habitudes de travail instinctives des Russes ont été modelées par 70 années passées sous la férule de la bureaucratie politique du Parti communiste de l’Union soviétique.
D’autres témoins divergeaient d’opinion. John Young a déclaré que presque toute la Russie en dehors des grandes villes a conservé des liens avec la vie rurale traditionnelle. Margaret Paxon a dit au Comité que l’une des forces stabilisatrices actuelles de la Russie est le fait que de larges pans de l’économie se situent en marge de la Russie moderne et que presque tout le pays est donc autosuffisant à la fois au sens économique et au sens spirituel collectif. Les vieux usages se perpétuent et demeurent utiles dans la vie de tous les jours. D’autres témoins ont mis en garde contre les classifications simplistes urbains-ruraux et moderne-traditionnel. De nombreux Russes, même dans les grandes villes, ont un pied à la ville et l’autre à la campagne. Le bétail, par exemple, fait souvent partie du paysage urbain.
Joan
Debardeleben (professeure, Institut des études européennes et russes,
Université Carleton), qui a effectué de vastes sondages en Russie, est celle
qui a le mieux réussi à situer ces caractéristiques générales dans leur
contexte politico-culturel. Premièrement, il y a l’idée que l’État
devrait jouer un grand rôle, que ce devrait être un État patrimonial. Deuxièmement,
on valorise le collectivisme plutôt que les réalisations individuelles. Troisièmement,
la vie en Russie se caractérise par une très forte spiritualité qui tempère
les notions de confort matériel et d’enrichissement personnel. Cela donne
aussi aux Russes une autre échelle de valeurs et une capacité de solidarité
et d’endurance extraordinaire. Tout cela rime avec des choix politiques qui
peuvent privilégier l’égalité et la solidarité plutôt qu’une richesse
plus grande et un écart entre les gens[12].
Elle s’est empressée de souligner que cela pourrait changer à mesure que la Russie se transforme. En un sens, il se pourrait que la révolution soit encore à faire.
Une
autre facette de la culture et la démocratie russes, c’est la question de
savoir quel sens les Russes prêtent à la démocratie en pratique. La réponse
a deux volets. Premièrement, de nombreux Russes assimilent la démocratie à
leur situation actuelle; ce n’est pas une notion abstraite. Ils associent donc
la démocratie à une expérience différente de la nôtre. Pour eux, donc, la démocratie
est associée à l’effondrement de l’État et de la société, et aussi à
la pauvreté. Elle est aussi associée au crime, à l’anarchie, à la
corruption, aux riches oligarques et aux puissants chefs régionaux. Les Russes
associent aussi la démocratie à l’effritement des services sociaux et de
l’infrastructure, marqué par le manque de chauffage et une crise du logement,
ainsi qu’à une amélioration scandaleuse de la situation de quelques
individus[13].
Deuxièmement, il se pourrait que des générations différentes ne voient pas
la démocratie du même œil. En effet, il se pourrait que les jeunes aient
moins tendance que leurs aînés à comparer les conditions actuelles à celles
qui existaient sous le régime soviétique et qu’ils s’intéressent
davantage à ce que la politique russe d’aujourd’hui peut offrir. Bref,
rappeler aux Russes que la Russie contemporaine est démocratique n’est peut-être
pas nécessairement la meilleure publicité qui soit pour la démocratie.
Cela
ne veut pas dire, toutefois, que la plupart des Russes souhaitent un retour au
communisme soviétique, bien au contraire, malgré l’existence manifeste
d’une vague nostalgie pour l’ère Brejnev lorsque « on faisait
semblant de travailler et eux faisaient semblant de nous payer ». On a
expliqué au Comité que les Russes tirent de leur histoire et de leur culture
la faculté de ne pas se laisser abattre. Des sondages récents montrent que 50 p. 100
des Russes trouvent que leur famille et eux se sont adaptés aux conditions
actuelles et 53 p. 100 des répondants ont affirmé que la vie était
difficile mais supportable. Par contre, 20 p. 100 disent que la vie
est insupportable. En outre, les Russes envisagent l’avenir avec un optimisme
prudent : la majorité estime que la Russie sera une société « normale »
dans six à dix ans[14].
Devant
le Comité, des témoins n’étaient pas convaincus que l’endurance et le
fatalisme traditionnels des Russes suffiraient à réaliser la démocratie en
cas de crise. Comme nous l’avons déjà dit, Margaret Paxon a informé le
Comité qu’une foule de Russes des régions rurales sont protégés contre les
ratés de la transition parce qu’ils sont en marge de l’économie; ils
vivent dans une « économie naturelle »[15].
C’est sans doute bon pour la stabilité et le bien-être personnel, mais
c’est loin de confirmer de façon retentissante que les Russes participent
activement à la vie politique et économique officielle ou qu’ils y ont des
intérêts.
Ce
qui donne peut-être une indication de la forme éventuelle de la démocratie
russe, c’est le fait que, dans leur description d’une société normale, les
Russes attachent beaucoup plus d’importance à la stabilité économique et au
confort matériel élémentaire qu’aux notions pures de droits démocratiques.
D’après les sondages, les gens devraient pouvoir profiter d’une sécurité
financière après leur retraite, être capables de trouver du travail quand ils
le veulent, ne pas voir l’inflation grignoter leur salaire, pouvoir marcher
dans les rues en toute sécurité. Plus de 70 p. 100 des Russes
estiment que le gouvernement devrait être fort. Seulement 58 p. 100
croient qu’il est important d’être protégé contre le gouvernement ou d’être
traité équitablement par lui[16].
Il y a aussi l’épineuse question de l’« occidentalisation ».
Elle répercute la question séculaire de savoir si les Russes sont des Européens
ou des Occidentaux et comment eux-mêmes se considèrent. Le Comité ne va pas
jouer à Salomon pour trancher, mais il peut se permettre quelques observations
qui ont d’ailleurs été faites par des témoins.
Pour
beaucoup de Russes, la démocratie contemporaine est liée à la politique
occidentale. Emil Payin (directeur, Centre d’études ethnopolitiques et régionales,
Fondation INDEM, Moscou) a expliqué au Comité que pour certains, c’est un
concept occidental, c’est-à-dire étranger. La démocratie est jugée
excessivement dure, chaotique et destructrice pour les idéaux russes. Ce sont
des conseillers économiques occidentaux qui ont aidé à orchestrer la
privatisation. Ce sont des institutions multilatérales occidentales qui ont fixé
les conditions structurelles de la politique monétaire et fiscale de la Russie,
et qui continuent de le faire. Certains Russes croient que ces institutions et
ces politiques cherchent activement à détruire la Russie, à l’affaiblir et
à l’asservir à l’Occident. Selon Joan Debardeleben, c’est une opinion
particulièrement répandue chez les partisans des communistes et du Parti libéral-démocrate
de Russie dirigé par le parti de Vladimir Zhirinovsky (les deux partis de la
coalition dite Rouge-Brun du nationalisme russe).
Cette
question de la démocratie se pose aussi en rapport avec la politique étrangère[17].
L’identité russe est étroitement liée à l’image d’une grande
puissance. Ainsi, le Jour de la Victoire, le 9 mai, qui célèbre la défaite
de l’Allemagne à la Grande guerre patriotique (Deuxième Guerre mondiale),
reste peut-être la fête nationale la plus importante en Russie et il ne
faudrait pas sous-estimer le symbolisme de cette célébration.
Même
si certains Russes font un rapport péjoratif entre démocratie et faiblesse de
la Russie, la majorité est plutôt indifférente à l’endroit de l’Occident.
D’après Stephen Grant, la plupart des Russes ne voient l’Occident ni comme
un ami ni comme un ennemi. Ce serait plutôt un lieu avec lequel on pourrait négocier
les intérêts russes. Il y a possibilité de tisser des liens dans les champs
d’intérêt commun.
Politique
intérieure, politique étrangère, démocratie et identité russe sont donc
inextricablement liées à cause du but déclaré, qui est de transformer la
Russie en un pays libéral-démocrate économiquement fort. Il est vital de
savoir si les Russes gouvernés par Poutine sont capables de se refaire une
identité qui incorporerait l’Occident d’une façon ou d’une autre. Or,
les témoins entendus par le Comité étaient incapables de répondre à la
question. Comme nous l’avons fait remarquer précédemment, quand on compare
les sondages d’opinion aux mesures prises par Poutine, on constate que
celui-ci devance à peine le Russe moyen sur cette voie et qu’il avance très
prudemment.
Il
y a un autre sujet se rapportant à la culture et à l’identité russes dont
les témoins ont fort peu parlé au Comité : le rôle de la diaspora russe.
Pour la première fois dans l’histoire de la Russie, de grandes communautés
russes vivent en dehors du pays. Les Russes dans les anciennes républiques soviétiques
constituent une politie nombreuse et significative. Des collectivités russes de
plus en plus nombreuses existent dans certaines villes canadiennes, comme
Toronto et Ottawa. Brighton Beach, dans l’État de New York, est un point de
convergence bien connu de la diaspora russe. La Russie les ayant appelées,
entre autres, à rentrer au pays, c’est peut-être le signe qu’est en train
de se développer une notion affaiblie de la « russité », en dehors
des frontières de l’État russe et indépendamment du lieu de résidence, un
sentiment que l’État russe essaie d’exploiter. Par exemple, Paul Magosci (Chaire
des études ukrainiennes, Université de Toronto) et David Marples (professeur,
Institut canadien d’études ukrainiennes, Université de l’Alberta) ont
appris au Comité que les Russes de souche établis en Ukraine s’identifient
aux Russes pour l’origine ethnique et aux Ukrainiens pour la citoyenneté.
Boris
Eltsine avait pour principal souci d’empêcher le retour du communisme soviétique
ou la montée de l’autoritarisme de droite. Il a notamment manipulé le système
politique pour empêcher le Parti communiste de reprendre le pouvoir aux élections.
Le pouvoir central a été délégué aux régions, en partie pour trouver des
alliés politiques, mais aussi parce que le centre n’avait pas les moyens de régler
les problèmes régionaux au moment où la fédération se décomposait. Après
avoir dissout l’assemblée législative de force, il a établi une nouvelle
constitution conférant à la présidence l’autorité suprême.
Pour
empêcher le Parti communiste[18],
la plus importante organisation politique de Russie, de reprendre le pouvoir,
Boris Eltsine a créé, coopté et écarté alliés et concurrents à un rythme
accéléré[19]
et ses longues périodes d’incapacité ont montré que l’autorité
personnelle du Président avait une importance capitale pour le bon
fonctionnement de l’État russe. L’économie a été privatisée rapidement
et de manière à favoriser le développement de monopoles oligarchiques plutôt
que d’industries et de secteurs concurrentiels. À l’époque, on a
sous-estimé le rôle que l’État devait jouer dans la transformation de l’économie.
Le cycle de libéralisation et de privatisation de l’économie, enclenché par
Mikhaïl Gorbatchev et terminé par Boris Eltsine, favorisait les apparatchiki
en place, ce qui a permis l’établissement de vastes monopoles sectoriels[20]
et de groupes financiers et industriels, contrôlés par une oligarchie, qui
existent encore dans l’économie russe d’aujourd’hui. Les oligarques ont
fini par se mêler de la politique dans le but de protéger leurs intérêts.
Dans
les années 1990, la vie politique et économique a été dominée par les réseaux
d’influence et de relations, basés sur le mentorat et le favoritisme pratiqués
au Parti communiste de l’Union soviétique. On les appelle familièrement des
« clans », des « tribus » ou même des « mafias »[21].
Les Russes appellent ce réseau de favoritisme krysha
– le toit, probablement parce qu’on peut s’y abriter[22].
Quand on discute avec un fonctionnaire ou un homme d’affaires russe[23],
il peut être plus important de savoir avec qui il est lié que de connaître
son titre officiel ou sa fonction.
Les
seuls vrais legs d’Eltsine à la Russie, ce sont un cadre durable permettant
des élections libres et une relative liberté d’expression. La constitution,
dont les origines ont peut-être une légitimité douteuse, vaut toujours et est
même devenue un recueil de règles auxquelles tous se conforment. Les élections,
même si elles sont structurellement orientées en faveur du gouvernement en lui
facilitant le financement et l’accès aux médias, ont été libres et justes.
Le plus ironique, c’est que la Russie n’a encore jamais changé de
gouvernement à l’issue d’un scrutin. Le jour où cela se produira, la démocratie
aura vraiment fait ses preuves.
Le
Président Eltsine ne s’est nommé un successeur que quand il a été
convaincu de l’impossibilité d’un retour au communisme. Selon des témoins
entendus par le Comité, cette certitude est maintenant manifeste. Pour citer
Patrick Armstrong (Direction de l’analyse stratégique, ministère de la Défense
nationale)[24] :
« Il est impossible de faire rentrer le dentifrice dans le tube ».
Trop de leviers du pouvoir ont disparu de l’État russe pour pouvoir être
reconstitués.
Il
est un fait important pour l’étude du régime Poutine par le Comité, et
c’est que Boris Eltsine a laissé un instrument pour instituer la démocratie
et faire la transition, à savoir une présidence toute puissante et descendante
qui fonctionne autant grâce à l’autorité personnelle qu’au moyen des mécanismes
institutionnels. Vladimir Poutine a la tâche de reconstituer assez de leviers
pour gouverner efficacement tout en préservant et poursuivant les changements
constructifs de l’ère Eltsine. C’est un défi séculaire pour les Russes.
Les
efforts du Président Poutine pour réinvestir l’État russe du pouvoir
central signifient-ils qu’il tente de restaurer l’autoritarisme en Russie ou
qu’il en a la capacité malgré lui? Cette question est au cœur de la première
phase de l’enquête du Comité. Les réponses, si tant est qu’on puisse les
trouver en observant ce qui se passe en ce moment, doivent être distillées des
témoignages livrés au Comité dans les domaines qui suivent.
C.
La politique et les élections en Russie
L’éventail
politique en Russie ressemble davantage à un kaléidoscope qu’à un spectre.
La plupart des partis n’en sont pas au sens occidental. Ils n’ont pas
vraiment de structure permanente ni d’action associée à un parti au niveau
des circonscriptions[25].
Par conséquent, il y a peu de cohésion, pas de corrélation uniforme des problèmes
ni d’établissement de priorités en politique russe, que ce soit chez les électeurs
ou chez les élus. Le visage public de la démocratie russe est extrêmement
changeant et éclaté.
Bien que les efforts déployés par le Président Poutine pour hausser le niveau de vie en Russie semblent porter fruit, le verdict sur ses réformes politiques à long terme n’est pas encore clair. Il est vrai que nombre de ses politiques visent à corriger les problèmes causés par la transformation de la Russie depuis 1991. Par contre, pour certains, ses méthodes et ses outils de prédilection, surtout le fait qu’il table sur les services de sécurité et sur son autorité personnelle, ne font rien pour montrer qu’il comprend que l’État est fondé sur la loi et non le contraire. Son efficacité semble reposer sur son autorité et sa popularité personnelles. Tant que le Président continuera à jouir d’un grand pouvoir discrétionnaire, et qu’il ne semblera pas clair que les usages d’un gouvernement démocratique de droit ont été intégrés, l’avenir des réformes économiques et des valeurs démocratiques restera incertain.
Pour certains observateurs, c’est une analyse troublante. Des témoins ont signalé que, dans le contexte de l’histoire de la Russie, certaines actions récentes du gouvernement russe semblent montrer la démocratisation espérée sous un jour négatif. John Young a déclaré : « Quand on combine ces changements à la guerre que mène le Président Poutine contre les médias, à l’histoire du sous-marin Koursk et à l’imbroglio d’espionnage aux États-Unis, on est en droit de se demander si le Président Poutine n’est pas en train de reforger un système autocratique et si la Russie n’est pas en train d’effectuer un retour en arrière ». Il a cependant ajouté que, dans l’ensemble, il n’en est rien.
1. Élections
libres
La
plupart des témoins s’accordent à dire que, la plupart du temps, les élections
russes sont relativement libres et justes. D’ailleurs, Patrick Armstrong a été
observateur lors d’élections dans les années 1990 et il a dit être tout à
fait convaincu de l’authenticité technique des résultats. Ce qui est moins
évident, a-t-il expliqué, c’est si ces résultats correspondent à
l’interprétation que nous en faisons. Les Russes, a-t-il dit au Comité,
aiment savoir pour qui ils sont censé voter. Une seule élection a donné lieu
à un vote stratégique.
Aux élections régionales et locales, il a semblé évident que les gens savaient pour qui ils étaient censé voter. Par inférence, les Russes aiment une figure forte et autoritaire. Ils aiment aussi voter pour des partis et des gens qui représentent les élites branchées, c’est-à-dire les personnes influentes. Les Russes appellent cette préférence la recherche du « parti du pouvoir ». Cela fait écho à ce que d’autres témoins ont affirmé au Comité au sujet des interprétations culturelles que les Russes font de la démocratie.
2. Appui électoral
au Président Poutine et à la Douma
Vladimir
Poutine est le politicien le plus populaire en Russie[26].
En comparaison du legs de Boris Eltsine, il est considéré par beaucoup de
Russes comme un président qui fait respecter la loi et qui a des « valeurs
morales ». Il a acquis de la notoriété et du pouvoir grâce à la façon
dont il s’est occupé du dossier tchétchène : d’abord comme envoyé
spécial du Président Eltsine dans la région, et plus tard lors d’une
campagne électorale où il promettait de se montrer plus dur envers le
terrorisme tchétchène[27].
Son image incarne un amalgame de discipline personnelle, de valeurs
gouvernementales et de désir de servir l’État. Sur le plan politique, cet
aspect de son image se traduit par des stratégies anti-corruption et la primauté
du droit, une consolidation du potentiel de l’État et l’intégration de
valeurs dans la vie publique.
Toutefois,
comme Clifford Gaddy (chercheur, Economic Studies and Foreign Policy Studies,
Brookings Institution) et Fiona Hill (chercheure, Foreign Policy Studies,
Brookings Institution) l’ont signalé au Comité à propos du dossier de la
Tchétchénie, cette plate-forme restreint le Président Poutine tout en le
soutenant. Chaque fois qu’il a tenté de s’éloigner de son credo politique,
il s’est aperçu que sa marge de manœuvre se réduisait. Fergal O’Reilly (Société
pour l’expansion des exportations) a noté que le Président Poutine avait
fait extrêmement attention à ne pas bouger lorsqu’il risquait de perdre de
la popularité. On ne saurait trop insister sur ces observations :
plusieurs témoins ont dit que l’élaboration des politiques du Président
Poutine vise surtout à maintenir son appui populaire[28].
Comparativement
au Président, les partis et les politiciens qui siègent à la Douma ne sont
pas aussi populaires. Beaucoup de Russes les trouvent sans intérêt et
inefficaces. Près de 40 p. 100 de tous les Russes ne s’identifient
à aucun des partis qui existent. La faction la plus nombreuse à la Douma –
les Communistes – a obtenu 24,3 p. 100 des suffrages aux élections
de 1999. Les deux partis centristes, Unité et Patrie–Toute la Russie,
ont recueilli respectivement 23,3 p. 100 et 13,3 p. 100 des
voix[29].
Ces
résultats sont imputables principalement à l’équilibre institutionnel
qu’il y a entre le Président et la législature. À la suite de l’épreuve
de force armée de 1993 entre le parlement et le Président, Boris Eltsine a rédigé
une constitution conférant des pouvoirs démesurés au Président. La Douma
joue donc plutôt un rôle consultatif. Elle doit approuver le budget et elle
peut faire tomber le gouvernement, bloquer la nomination d’un ministre et
destituer le Président. Mais certaines de ces mesures, si elle les prenait,
provoqueraient sa propre dissolution. La plupart des députés doivent aussi se
demander s’ils tiennent à affronter l’électorat russe dans de telles
circonstances. Enfin, c’est le Président qui nomme le gouvernement et,
jusqu’à présent, le Cabinet et les premiers ministres n’ont jamais représenté
le parti le plus nombreux – le Parti communiste.
Le
système électoral a aussi contribué à une situation politique intérieure un
peu dysfonctionnelle. La moitié des candidats sont choisis à partir d’une
liste de parti et l’autre moitié sont élus individuellement, ce qui a faussé
la représentation. De nombreux partis n’arrivent pas à atteindre le seuil de
5 p. 100 (du vote populaire) obligatoire pour obtenir un siège à la
Douma. Par conséquent, une proportion élevée de l’électorat a vu son vote
réduit à néant. Plusieurs des partis qui ont dépassé ce seuil de 5 p. 100
sont surreprésentés (ou sous-représentés) à cause de la liste. À cause de
cet effet, conjugué à la faiblesse des partis au parlement et à l’arrivée
de beaucoup de politiciens néophytes, la Douma s’est moins préoccupée d’élaborer
des orientations stratégiques qu’elle aurait pu le faire autrement. L’édification
des partis et l’élaboration d’une plate-forme caractérisant la vie
politique à la Douma en ont souffert. Une loi réformant les partis a été
adoptée à l’automne de 2001, mais on ne sait trop quelle incidence elle aura[30].
Le
Comité s’est fait dire que cette Douma affaiblie est importante pour
l’image que les Russes se font de la démocratie. Comme Joan Debardeleben
l’a souligné, les citoyens russes sont désenchantés de la façon dont
fonctionne la démocratie fondée sur les partis actuellement, en partie parce
qu’ils ne voient pas de rapport entre ceux pour lesquels ils votent et le
genre de gouvernement qu’ils obtiennent. Par contre, la présidence de Poutine
est qualifiée d’active, de dynamique et d’efficace.
Le
Comité a également appris que l’association que les Russes font entre la démocratie,
l’Occident et leur situation actuelle aggrave le problème pour les partis
représentés à la Douma. La démocratie et les partis démocratiques ont subi
le contrecoup des échecs du régime Eltsine autant que de leur propre
inefficacité. Bref, comme les études de Mme Debardeleben le
lui ont appris, les conditions de vie actuelles des gens leur laissent bien peu
de patience ou d’appui pour les politiciens qui préconisent une démocratie
occidentale en l’appelant ainsi.
Cependant, d’autres témoins ont dit au Comité que les Russes sont favorables à bien des éléments associés à la démocratie libérale. Ils valorisent la liberté d’expression, par exemple et croient que la disparition de l’économie dirigée est inéluctable. Beaucoup de témoignages indiquent que l’État est incapable de faire marche arrière pour revenir au communisme soviétique et fort peu de témoins sont d’un avis contraire. Les gens se révoltent plutôt contre les apparentes cruautés d’un système basé sur l’enrichissement personnel aux dépens des membres les plus démunis de la société. Les valeurs du collectivisme sont profondément ancrées et semblent de mauvais augure pour l’avenir de ceux qui préconisent des politiques économiques libérales occidentales.
3. Relations entre
le Président et la Douma
On
a également fait savoir au Comité que la coopération naissante entre la présidence
et la Douma est la marque de l’administration Poutine. De nombreux témoins
ont fait remarquer que le Président Poutine obtient une coopération dont le Président
Eltsine n’a jamais bénéficié. Cela a permis au Président Poutine de jeter
tranquillement et efficacement les bases de grandes réformes, dont
l’ambitieux train de mesures législatives (réforme agraire, réforme fiscale,
déréglementation et infrastructure des transports) présentées à la Douma en
mai 2001 et adoptées depuis[31].
Fergal O’Reilly a décrit une période de 18 mois pour préparer le terrain,
suivie de la cristallisation des politiques. Le Comité a aussi appris qu’un
seul de ces projets de loi constituerait normalement la pièce maîtresse d’un
mandat électoral d’un gouvernement.
Cet
esprit de coopération renforcé est attribuable à trois facteurs. Premièrement,
il y a la popularité du Président Poutine combinée à la clarté de son
message général. Deuxièmement, il y a la création, pour la première fois,
d’un véritable parti pro-présidentiel à la Douma – Unité. Troisièmement,
il y a la maturation du jeu des partis. À la plus récente Douma, il y avait
moins de partis et il s’est créé un centre politique formé du parti Unité
et de Patrie–Toute la Russie. À eux deux, ils représentent les principales
factions des personnes alignées sur les élites politiques et économiques de
la Russie et constituent en essence le « parti du pouvoir » que
veulent beaucoup de Russes[32].
Dans l’opposition, les démocrates se sont regroupés en deux factions : Yabloko et l’Union des forces de droite. L’Union des forces de droite est généralement pro-administration, tandis que Yabloko, même s’il conserve son indépendance en tant que parti d’opposition, appuie les mesures de réforme économique et politique à tendance libérale.
Le
Parti communiste de la Fédération de Russie (KPRF) forme encore la faction
simple la plus nombreuse, mais il s’est à l’occasion donné le rôle
d’opposition constructive afin de préserver la viabilité électorale de son
chef, Guennadi Ziouganov. Le Parti Libéral Démocratique de la Russie (LPDR)
demeure le seul représentant, si faible soit-il, de l’extrême-droite russe.
Plusieurs
témoins ont fait une mise en garde au sujet de la formulation actuelle de la
politique en Russie. Pour eux, la solution proposée par le Président Poutine
à la Douma, c’est-à-dire le parti Unité, est un autre exemple d’une
gestion descendante. Joan Debardeleben l’a bien fait remarquer au Comité :
« Il se peut que les coalitions d’élites dont vous parlez procurent à
Poutine quelques-uns des outils dont il a besoin pour faire adopter certaines de
ses initiatives, ce qui a du bon, mais ce pouvoir ne traduit peut-être pas la
capacité des citoyens russes de voir dans le Parlement un véhicule quelconque
de représentation. C’est une épée à deux tranchants. »
Après
que le Comité eut fini l’audition des témoins sur cette question, le nombre
de partis politiques a diminué, en janvier 2002, pour que leur structure
et leur documentation soient conformes à la loi « sur les partis ».
Les grands partis axent davantage leurs efforts sur l’établissement d’une
présence dans toutes les régions. Les partis d’opposition se sont dits préoccupés
par un nouveau terme ou une nouvelle notion: « démocratie contrôlée ».
D’après l’opposition, dans une démocratie contrôlée, le gouvernement et
la loi sont au service de l’État, la presse est trop contrôlée, le centre
joue un rôle trop prépondérant dans le choix des candidats et dans les élections
au détriment des régions et trop de pouvoirs sont transférés au Kremlin.
Selon
les témoignages reçus, le Président Poutine a assez bien réussi dans l’immédiat
à atteindre son objectif, qui est de récupérer l’autorité fédérale et de
rebâtir le potentiel de l’État.
1. Relations entre
centre et périphérie : rétablissement du pouvoir du centre
Le Comité a appris que lorsque Vladimir Poutine est devenu Président, on ne peut pas dire que le pouvoir de Moscou, en particulier celui du Kremlin, avait toujours une portée très grande dans le pays. En réalité, dans la Russie postsoviétique, les éléments fondamentaux de la transformation économique et politique étaient entre les mains des autorités régionales et locales. Pour le Russe moyen, la transition pouvait être influencée surtout par la situation locale.
Il
y a 89 « régions » de la Fédération de Russie qui vont des
grandes villes (Moscou et Saint-Pétersbourg) jusqu’aux régions
administratives, dont le territoire est plus étendu que la plupart des pays du
monde, en passant par les régions autonomes basées sur une appartenance
ethnique nominale (voir la carte à l’annexe A). Ces ressorts sont des
vestiges des divisions soviétiques internes, souvent délimitées pour
respecter les critères soviétiques. Ils ont des pouvoirs et des responsabilités
différents. En effet, les républiques et les ressorts autonomes ont en théorie
des pouvoirs (y compris leur propre constitution et leur président) et une indépendance
supérieurs à ceux de la plupart des régions (c.-à-d. les oblasts).
Comme
l’ont dit bien des témoins au Comité, sous la présidence d’Eltsine, les régions
étaient encouragées à assumer autant de pouvoir qu’elles le pouvaient.
Certaines sont d’ailleurs passées sous le contrôle de puissants gouverneurs.
Dans le cas de Primorsky Krai en Extrême-Orient, la corruption et la gabegie
ont pris les proportions d’un scandale national.
Le
plus important, c’est que le fédéralisme russe a été fragmenté, chaque région
usant de son pouvoir (habituellement ses richesses naturelles et son assiette
fiscale) pour négocier des compétences individuelles avec le centre. La
perception des impôts et des droits a été problématique, l’application des
lois fédérales s’est faite au petit bonheur, et l’uniformisation constitue
un problème.
Pour
les investisseurs, cette incertitude est révélatrice. Non seulement il faut
composer avec les autorités centrales, mais en plus il faut traiter
individuellement avec les diverses autorités régionales. M. Ivany (vice-président
exécutif, Kinross Gold) a expliqué combien il était important que
l’entreprise comprenne les rouages locaux (régionaux) si elle voulait réussir.
En fin de compte, presque toute l’assistance sur place est venue des autorités
locales.
C’est
sur cette toile de fond, a-t-on dit et répété au Comité, que le Président
Poutine a tenté de travailler avec les régions en rétablissant la « chaîne
verticale du pouvoir ». Il a créé sept « supergouverneurs »
ou représentants présidentiels, chacun ayant pleine compétence pour appliquer
toutes les lois fédérales dans sa région. Les domaines visés sont tout
particulièrement ceux qui sont essentiels pour donner les moyens politiques et
économiques de renouveler l’État fédéral russe, notamment le contrôle
fiscal, les fonctionnaires du Trésor, les procureurs fédéraux, les forces de
sécurité). Idéalement, ces sept représentants devaient permettre
d’appliquer les mesures de Moscou uniformément dans les régions et de protéger
les finances, l’appareil judiciaire et la sécurité du Kremlin contre les
puissants gouverneurs locaux.
Afin
de discuter de ces questions (et d’autres encore), les membres du Comité ont
rencontré le représentant présidentiel de la région de la Volga et représentant
de la Russie pour la Convention sur les armes chimiques, Sergei Kirienko. M.
Kirienko a dit que sur le plan régional, il avait pour rôle de persuader les
gens, de coordonner les activités et d’assurer la standardisation de la compétence
fédérale dans l’ensemble de la région. Il a rejeté l’idée selon
laquelle les représentants présidentiels sont des plénipotentiaires ou des
« supergouverneurs ».
Les
représentants présidentiels sont de création récente, et les témoins ne
sont pas encore en mesure de dire si le Président Poutine n’a pas créé en
vain un niveau de gouvernement supplémentaire. Pour l’instant, ils semblent
stimuler vigoureusement les relations fédérales-régionales.
Le
Président Poutine a également ordonné que toutes les lois des républiques et
des régions soient rendues compatibles avec les lois fédérales lorsqu’elles
sont réputées inconstitutionnelles. Beaucoup d’entre elles visaient spécifiquement
à nier la présence fédérale dans la région. Par exemple, M. Kirienko nous a
raconté que l’importante région de la Yakoutie (la République de Sakha),
riche en pétrole et en gaz naturel, a adopté une loi faisant du yakoute et de
l’anglais ses deux seules langues officielles.
Cet
effort d’harmonisation est plus soutenu que les essais précédents. Outre son
importance symbolique, cette initiative aide à clarifier le pouvoir et
l’administration de la bureaucratie fédérale, notamment la police, dans tout
le pays. Sur le plan administratif, Poutine a créé un conseil d’État, formé
de tous les gouverneurs, qui se réunit une fois par trimestre. Il a aussi
concentré les revenus au centre alors que, selon John Young, la moitié
d’entre eux devraient être rendus aux régions. Il a aussi obtenu le pouvoir
de destituer les gouverneurs régionaux, même si, en pratique, il serait
politiquement délicat d’agir de la sorte et cela prendrait beaucoup de temps.
Le
Président Poutine a aussi modifié le rôle des gouverneurs régionaux au
gouvernement central. Sous le Président Eltsine, les gouverneurs régionaux
avaient été intégrés au Conseil de la Fédération (la chambre haute du
parlement russe, la chambre basse étant la Douma), afin de renforcer la
position d’Eltsine. Au fil de 2002, les représentants des régions choisis au
niveau régional remplaceront graduellement les gouverneurs. Cette substitution
va neutraliser l’influence que les gouverneurs régionaux pourraient exercer
contre le Kremlin et amoindrir le rôle qu’ils pourraient jouer à l’échelon
national. Elle va aussi remplacer les membres d’office du Conseil, qui sont
peut-être moins efficaces (c.-à-d. les gouverneurs régionaux qui ont peut-être
rarement le temps de venir assister aux réunions), par des représentants à
plein temps.
Des
témoins ont affirmé au Comité qu’une constante se dégage de la manière
dont le Président Poutine procède. Il privilégie des solutions qui
centralisent les problèmes du régime fédéral au lieu d’encourager le type
de rapports de coopération entre gouvernements qui ont tendance à être associés
à un régime fédéral efficace. Sous le Président Poutine, il y a
consultation, mais rien ne garantit qu’un autre dirigeant l’imitera. Comme
l’ont fait remarquer certains témoins, même si on a établi des règles et
mis des mécanismes en place, c’est tout de même le Président Poutine qui détient
l’autorité. Un changement à la présidence pourrait amener les régions à réaffirmer
leur indépendance.
2. Politique
locale : un troisième ordre de gouvernement négligé
On
a toujours accordé peu d’attention à la politique régionale en Russie et
encore moins aux gouvernements locaux. Pourtant, comme ce sont eux qui
fournissent les services de l’État, ils restent fortement en mesure
d’influencer grandement la façon dont la plupart des citoyens russes vivent
la transition. Les déclarations récentes du Président Poutine montrent
qu’il est conscient de la nécessité de mettre vraiment de l’ordre dans les
gouvernements municipaux s’il veut faire avancer les réformes. Au bout du
compte, le bien-être de la société russe dépend jusqu’à un certain point
de la prestation des services par les administrations locales.
Les
gouvernements locaux sont davantage des convoyeurs de services fédéraux que
des gouvernements locaux autonomes du genre de ceux que nous avons au Canada. Des
témoins ont expliqué que le Russe moyen juge les gouvernements locaux inaptes
à fournir même les services les plus simples. C’est pourtant ce palier de
gouvernement qui est censé fournir des services comme le logement, l’éducation,
les soins de santé, l’aide sociale, le transport. Le problème, c’est que
les gouvernements fédéral et régionaux n’ont aucun intérêt à répartir
les fonds différemment pour régler le problème d’équilibre budgétaire.
Par conséquent, le déficit a tendance à osciller entre 30 p. 100 et
40 p. 100. Selon John Young, pour se sortir de l’impasse, il
faudrait retirer plusieurs services (les soins de santé, par exemple) au troisième
ordre de gouvernement pour les confier aux échelons régional ou fédéral.
Le
résultat, c’est que les conditions de vie dans de nombreuses régions rurales
et municipalités peuvent être extrêmement pénibles. Ainsi, Murray Feshbach
estime que la réparation des conduites d’eau, dont un grand nombre sont
faites de tuyaux de plomb sans revêtement intérieur, coûterait à elle seule
des centaines de milliards de dollars. Les routes en dehors des grandes villes
sont souvent impraticables, ainsi qu’on l’a dit au Comité.
Certaines
municipalités ne sont tout simplement pas viables, surtout celles qui sont en
fait des villes de compagnie dont les usines existent contrairement à toute
logique dans une économie de marché. Selon Clifford Gaddy, les villes de
l’Est et du Nord sont des facteurs de production particulièrement négatifs
dans l’économie. Afin de corriger cette situation, le FMI et la Russie ont
lancé un projet pilote de 80 millions de dollars américains pour fermer trois
villes septentrionales, en remettant des bons de logement à ceux qui veulent déménager.
Du
côté positif, d’autres municipalités ont démontré comment elles peuvent
user des pouvoirs qui leur ont été conférés pour attirer les investissements
et favoriser la croissance lorsqu’il y a coopération entre les ordres
secondaire et tertiaire de gouvernement. On a parlé au Comité, par exemple, de
la ville de Novgorod Veliky qui jouit de pouvoirs hiérarchiques clairs et
d’un partage des compétences net. Cette clarté (et cette stabilité) a attiré
bon nombre d’investisseurs dans la ville, surtout de 1994 à 1997. Selon
John Young, une usine de chocolat Cadbury a été construite par le gouvernement
municipal en partenariat avec l’entreprise, avec l’aide financière du
gouvernement régional de l’oblast.
Cela confirme les dires de Hans-Martin Boehmer (coordonnateur
pour la Fédération de Russie, Programme de pays, Banque mondiale) qui a déclaré
catégoriquement que le facteur d’investissement décisif en Russie,
c’est « la transparence et rien d’autre ».
La
vulnérabilité des administrations locales crée parfois des difficultés à
leurs administrateurs et à leurs législateurs Par exemple, le manque de
ressources peut les mettre à la merci des gouverneurs régionaux. John Young a
donné comme exemple la République des Komis : « Le Président de
cette République impose au conseil municipal son choix pour le poste de maire
et les conseillers municipaux ratifient ce choix. Je connais deux cas où les
conseillers municipaux ont manifesté leur désaccord. En représailles, le Président
de la République leur a forcé la main et retenu les revenus jusqu’à ce
qu’ils acceptent sa décision. Dans d’autres cas, l’élite locale est
toujours reliée à l’appareil de la République. En l’occurrence, ce
n’est pas seulement une question de fonds. »
Il faut également noter qu’au Canada, les municipalités financent les services qu’elles offrent grâce à l’impôt foncier dont les recettes sont administrées par des commissions locales et le conseil municipal. Pour arriver à la même chose en Russie, il faudrait commencer par une réforme complète du régime des biens. Quelques lois viennent tout juste d’être adoptées et n’ont pas encore été mises en application. Dans un avenir prévisible, les municipalités russes resteront entièrement tributaires des deux autres ordres de gouvernement.
Vu le manque de ressources, l’incapacité quasi complète de concrétiser la notion d’autonomie locale, l’apathie de l’électorat et les risques de corruption ou de gabegie, la Russie ne réussira pas sa transformation s’il n’y a pas d’abord une réforme des administrations locales. Le succès de villes comme Novgorod Veliky, Samara et Nizhny Novgorod le confirme.
Le Comité a consacré énormément de temps à une série de questions qui relèvent de la grande catégorie de la démocratie et des droits de la personne.
1. Contenir les médias
et les oligarques
Le
Comité a reçu des témoignages indiquant que les journalistes et les journaux
vivent des moments difficiles. Aurel Braun (professeur, Centre des études
russes et de l’Europe de l’Est, Université de Toronto), a dit que ses
journalistes en Russie sentaient une certaine froideur. Un autre témoin, Larry
Black, a parlé d’une autocensure volontaire plutôt que d’une répression
de la liberté de la presse.
Il faut préciser également que le plus néophyte des observateurs serait à même de constater une presse dynamique et irrévérencieuse, représentative d’une société cultivée et politisée. La censure de style soviétique semble être une histoire du passé. Andrea Chandler a dit au Comité : « Il y a eu plusieurs changements spectaculaires. D’après ma propre expérience, ils sont très ouverts aux idées nouvelles. Ce sont d’avides lecteurs et ils sont très critiques de ce qu’ils lisent. Ils ont moins peur de parler de leurs idées politiques. Ils sont probablement beaucoup plus au courant de la politique et des événements dans leur propre pays que de nombreux Canadiens. Ce sont des signes très positifs. Je n’ai observé aucune détérioration. »
Contrairement
à ce qui se passait pendant l’époque soviétique, la liberté d’expression
s’épanouit. Mais une préoccupation importante est souvent revenue sur le
tapis aux audiences du Comité. Sous le Président Poutine, qui n’apprécie guère
le rôle de « loyale opposition » joué par la presse[33],
la Russie est intervenue en force contre certains éléments des médias indépendants.
L’État
conserve des intérêts dans deux grandes chaînes de télévision, soit une
participation minoritaire dans ORT (Télévision publique russe) et une
participation majoritaire dans RTR (Société de radiodiffusion de l’État
russe). Les autres médias russes sont habituellement contrôlés par les
oligarques. En 1999, les tentatives de critiquer le Kremlin à propos de la
Tchétchénie ont amené l’État à dénoncer les médias avec virulence.
Le
cas le plus célèbre est celui de Vladimir Guzinski, propriétaire de
Media-MOST et de sa filiale, NTV. Les bureaux de NTV ont été perquisitionnés
et Guzinski a été arrêté puis remis en liberté sous caution. Il se trouve
maintenant en exil de fait en Espagne et il subira un procès pour corruption si
jamais il rentre en Russie. NTV était censée être cédée à la gigantesque
société gazière fédérale Gazprom, mais un tribunal russe a ordonné sa
liquidation au début de cette année. Boris Berezovski, l’équivalent
oligarque de Guzinski, fait aussi l’objet d’une enquête et s’est exilé
à Londres.
Le
Comité a appris que ces mesures, ainsi que les menaces d’arrestation du
propriétaire de Nordisk, le géant du nickel, et d’autres entreprises, font
partie des manœuvres du Président Poutine visant à saper la position des
oligarques dans l’économie et en politique. C’est à cause de ces événements
que des témoins ont expliqué au Comité que les empires médiatiques
appartenant à des oligarques ne devaient pas nécessairement être considérés
comme des défenseurs de la liberté et de la démocratie, mais qu’il ne
fallait pas croire non plus que la campagne du Président Poutine s’attaque
aux médias. En principe, neutraliser l’influence des oligarques et des
magnats de la presse ayant d’étroits liens personnels ou économiques avec
l’État pourrait être considéré comme une étape vers la normalisation de
l’économie.
Il est encore possible que les oligarques qui travaillent pour le Président et pour ses programmes soient épargnés. Selon Stephen Grant, de nombreux Russes interprètent ainsi la situation se soucient donc peu du sort de la presse. Si ce qui se passe en ce moment dans le monde des médias ne devrait pas être perçu en soi comme une action pour réduire la presse au silence, ce pourrait néanmoins être un effet secondaire de la campagne de Poutine contre les oligarques.
2. Autres
craintes pour la liberté de la presse
Selon
d’autres faits communiqués au Comité, les médias suscitent des craintes
plus ordinaires. Par exemple, les médias russes doivent composer avec les
forces du marché. La presse, en particulier en dehors de Moscou et Saint-Pétersbourg,
a des ennuis financiers. Il n’y a pas beaucoup d’argent pour la publicité
et les réseaux de distribution sont pour le moins inégaux, surtout à la
campagne. De plus, le coût des intrants a augmenté pour refléter les prix du
marché réel et, parfois, les intrants nécessaires comme le papier journal et
l’encre sont difficiles à trouver. Bien des gens n’ont pas les moyens
d’acheter des magazines et des journaux à leur coût réel.
Certains
ont affirmé que des journalistes et des journaux avaient été pris à parti
par les autorités locales. Des pressions plus subtiles ont aussi été exercées
pour faire taire ceux qui posaient des questions importunes. Les licences, la réglementation
concernant les incendies, les codes du bâtiment et les règlements de zonage
sont tous des instruments dont usent les autorités locales pour perturber le
travail des médias.
Certains
ont aussi affirmé que des journalistes et des journaux avaient été pris à
parti par les autorités locales. Des pressions plus subtiles ont aussi été
exercées pour faire taire ceux qui posaient des questions importunes. Les
licences, la réglementation concernant les incendies, les codes du bâtiment et
les règlements de zonage sont tous des instruments dont usent les autorités
locales pour perturber le travail des médias.
Cumulativement,
tous ces problèmes ont provoqué la disparition des médias locaux, ce qui
donne encore plus d’importance aux affaires suivies par les médias nationaux,
comme l’affaire de Media-Most/NTV. La plupart des Russes s’informent en écoutant
la radio et la télévision nationales qui appartiennent à l’État. Le risque
que ces médias appartenant à l’État influent sur les attitudes des Russes
était évident lors des campagnes de l’OTAN au Kosovo, puisque la couverture
faite par les médias appartenant à l’État russe avait un net parti pris,
les actions de l’OTAN étant dépeintes comme des agressions. Le Comité
reconnaît que les médias sont importants pour le bon fonctionnement de la démocratie
et a manifesté son appréhension au moment où il a entendu le témoignage sur
les médias.
3. Le rôle des
forces de sécurité
Le
Comité a entendu des témoignages qui remettaient en question la taille et le rôle
des forces de sécurité en Russie. Il y a plusieurs agences de sécurité dans
ce pays, la plus préoccupante étant le FSB (Service fédéral de sécurité).
Les
témoins ont exposé deux types généraux de préoccupations. Il y a d’abord
le lien entre Vladimir Poutine, ex-agent du KGB et du FSB, et les forces de sécurité.
Amy Knight (professeure adjointe, Département de sciences politiques, Université
Carleton) a attiré l’attention du Comité sur le cheminement de carrière du
Président Poutine et sur le fait qu’il a tendance à nommer d’anciens collègues
du KGB et du FSB, en lesquels il semble avoir confiance. Cinq des sept représentants
présidentiels régionaux sont d’anciens agents du FSB. Sergei Ivanov, ex-chef
du Conseil de sécurité et actuel ministre de la Défense, a travaillé avec et
pour le Président Poutine au FSB à Saint-Pétersbourg. Mme Knight
dit craindre que la mentalité « sécurité d’abord » ne déteigne
sur les opérations du gouvernement et n’indique un retour à une forme d’État
policier.
Le
second sujet de préoccupation mentionné par les témoins est le recours aux
forces de sécurité pour appliquer les politiques et le fait qu’elles ont
parfois la main un peu lourde. Le cas le plus inquiétant est sans doute celui
d’Igor Soutiaguine, un chercheur à l’Institut des études canadiennes et américaines
de l’Académie des sciences de Russie, qui a été accusé de trahison à
cause de sa coopération avec des collègues canadiens (Université Carleton) et
britanniques. Le FSB s’opposait à ce que Soutiaguine analyse et compare du
matériel provenant d’une source ouverte (c’est-à-dire accessible au
public) sur les relations entre civils et militaires, prétextant que cette
analyse créait des secrets d’État[34].
L’écologiste Alexandre Nikitine a vécu une expérience semblable. Il a
finalement obtenu un non-lieu, mais seulement après avoir subi une longue période
d’incarcération et d’appel.
Les
organisations de la société civile en général sont louches aux yeux de l’État[35].
Les associations de défense des droits de la personne et les autres ONG doivent
s’inscrire auprès du gouvernement pour être autorisées à agir. Celles qui
ne le font pas ou qui agissent sans s’inscrire peuvent être poursuivies
Patrick Armstrong a dit au Comité que ces gestes nuisaient à la réalisation
des objectifs du Président Poutine. À son avis, cela montre que les organismes
de sécurité connaissent mal la loi et la légalité, mais cela ne représente
pas la politique officielle de la Russie.
4. La réforme
judiciaire[36]
La
plupart des témoignages sur la réforme judiciaire présentés au Comité
portaient sur des affaires économiques. Ils seront donc exposés dans la
section sur l’économie russe.
Mais
le Comité a été informé sur des sujets se rapportant aux droits de la
personne et à l’indépendance des tribunaux. Ce qu’il a entendu de plus intéressant,
c’est sans doute que les défendeurs dans les causes de droits de la personne
gagnent généralement le procès. Peter Solomon (professeur, Centre des études
russes et d’Europe de l’Est, Université de Toronto) estime que le taux de réussite
des citoyens face à un fonctionnaire est d’environ 80 p. 100.
Il
a aussi souligné qu’il y avait un décalage entre les impressions du public
et l’affirmation que les procès sont équitables. Ce décalage a mené à ce
qu’on pourrait appeler un recours insuffisant à la justice. Les gens ne font
pas appel aux tribunaux parce qu’ils pensent, à tort bien souvent, que
ceux-ci ne sont pas justes ni efficaces. Il faut admettre l’existence du problème
puis le corriger.
L’ÉCONOMIE
DE LA RUSSIE : SON ÉVOLUTION ACTUELLE ET LES OBSTACLES À SA RÉFORME
Presque
toute la situation économique de la période postsoviétique en Russie peut
être qualifiée de décevante. La production a chuté de 40 p. 100 en
termes réels entre 1989 et 1998, l’inflation a grimpé sensiblement et le
pays a subi plusieurs crises économiques.
Les
indicateurs économiques récents de la Russie ont cependant été beaucoup plus
favorables. En effet, l’économie a connu une vigoureuse croissance sur douze
mois en 2001 (5,2 p. 100), et le gouvernement central s’attend à ce
que le PIB du pays augmente de 4,3 p. 100 en 2002. Bien que la
croissance économique de cette année soit inférieure au taux de
8 p. 100 que le Président russe juge nécessaire sur une période de
15 ans pour que la Russie ait une situation économique semblable à celle que
connaissent actuellement certains pays de l’Union européenne
(p. ex. l’Espagne et le Portugal), elle constitue néanmoins une
amélioration considérable par rapport à la performance économique des
années 1990.
La
Russie est aussi l’un des rares pays où la croissance est soutenue malgré le
ralentissement économique que subit actuellement le monde entier. On pourrait
ajouter à cette réussite qu’il y avait récemment un excédent budgétaire
au niveau national[37],
que la balance commerciale reste excédentaire d’environ 50 milliards
de dollars américains[38],
que les réserves d’or ont atteint des niveaux extrêmement élevés, que le
revenu personnel a maintenant rattrapé les niveaux d’avant 1998 et que
l’inflation a baissé à 18,6 p. 100.
Un
grand nombre des témoins qui ont comparu devant le Comité ont souligné que la
bonne performance de l’économie russe pouvait être directement attribuée à
un certain nombre de facteurs provisoires. D’abord et avant tout, la crise
financière d’août 1998 a mené à une dévaluation draconienne et non
contrôlée du rouble. La valeur de la devise a diminué d’environ
70 p. 100 par rapport au taux de change qui prévalait auparavant, ce
qui a renchéri les importations et donné aux fabricants russes l’occasion de
concurrencer les produits étrangers. La demande intérieure a donc été
relancée aux dépens des importations[39].
Le
deuxième facteur qui a contribué à ces bons résultats est le niveau élevé
du prix des produits de base, surtout le pétrole, l’Organisation des pays
exportateurs de pétrole (OPEP) ayant réussi à restreindre la production. Les
exportations de pétrole et de gaz, qui représentent de 70 p. 100 à
80 p. 100 des exportations, sont une importante source de devises.
Comme l’a déclaré Roger Ebel (directeur de l’énergie, Centre for
Strategic and International Studies, Washington) au Comité, la Russie est un
important fournisseur fiable qui ne joue pas avec le pétrole – la plupart du
temps, elle en vend le plus possible. Elle est le deuxième exportateur mondial
de pétrole, après l’Arabie saoudite, et les gisements de la mer Caspienne
constituent la découverte la plus importante des 30 dernières années.
L’expérience
des économies qui réussissent leur transition montre que les réformes
structurelles sont habituellement le facteur de croissance économique le plus
important. Beaucoup trouvent regrettable que la Russie n’ait pas profité du
répit que lui donnaient la dévaluation et les prix élevés du pétrole pour
implanter plus rapidement les réformes économiques nécessaires. Le
relèvement récent du taux de change réel du rouble et la baisse des prix
mondiaux du pétrole à la suite des événements du 11 septembre ont
déjà ralenti la croissance économique.
Jusqu’à
tout récemment, donc, les analystes mettaient moins la relance économique
actuelle au compte des efforts de réforme structurelle actuellement en cours en
Russie. Pourtant, la relance se fonde maintenant sur des bases plus solides
puisqu’elle a comme moteur la demande intérieure (c.-à-d. la consommation
des ménages) plutôt que la demande étrangère. De plus, les effets positifs
de la réforme fiscale du gouvernement (détente) sur l’économie commencent
à se faire sentir.
L’adhésion
éventuelle de la Russie à l’Organisation mondiale du commerce (OMC) devrait
être un autre facteur positif pour sa croissance économique, ses exportations
et son niveau de vie. Comme la Russie prévoit faire adopter par la Douma,
d’ici l’automne 2002, toutes les lois exigées par l’OMC, elle serait
donc prête à y adhérer en 2003. Après avoir adopté ces nouvelles lois,
elle se concentrera sur leur mise en application. Toute cette étape devrait se
terminer au milieu de 2003, donc en même temps que les tâches du groupe
de travail de l’OMC sur la Russie.
La
principale difficulté de la Russie, c’est que l’OMC l’oblige à réduire
ses tarifs douaniers moyens pour qu’ils ne dépassent pas le seuil acceptable
de 10 p. 100. Le gouvernement russe a demandé à l’OMC une période
de transition de sept ans pour atteindre cet objectif et il soutient qu’il
vise à long terme des tarifs de l’ordre de 3 à 4 p. 100 comme ceux
des États-Unis et de l’Union européenne.
À
un sénateur qui demandait quel était le principal problème entre le Canada et
la Russie, le Vice-Premier Ministre Sergei Kirienko a répondu que c’était
l’adhésion à l’OMC. Il semble que les efforts pour aider son pays dans
cette démarche soient plus soutenus depuis que la Russie coopère à la guerre
actuelle contre le terrorisme. Toutefois, M. Kirienko a souligné que la
Russie ne demande pas un traitement de faveur, qu’elle veut adhérer de la
même manière que les autres pays. Le Comité appuie sans réserve
l’adhésion rapide de la Russie à l’OMC.
La
croissance économique durable de la Russie dépendra probablement en grande
partie des investissements des citoyens dans leur pays (et, jusqu’à un
certain point, des investissements étrangers). Il est vrai que la Russie a
connu une relance de l’investissement à court terme, mais la majeure partie
de cet investissement est venu des bénéfices non répartis des sociétés. Il
dépend donc largement du maintien des bénéfices des sociétés. En réalité,
le pays a connu un ralentissement marqué de l’investissement.
L’amélioration du climat des investissements en Russie demeure un défi
central pour l’économie et les décisionnaires de ce pays.
Il
n’y a vraiment pas lieu de s’étonner que les données sur
l’investissement en Russie ne soient pas optimales, puisqu’il faut pour cela
un climat commercial favorable. Beaucoup de producteurs, de prêteurs et
d’emprunteurs russes n’ont toujours pas assez confiance dans l’économie
et, plus spécialement, dans la protection de leurs placements.
La
vérité, c’est qu’il y a toujours eu trop de règlements en Russie et pas
assez de respect pour la primauté du droit. Peu de Russes se risquaient à
lancer de nouvelles entreprises tant qu’ils devaient traiter avec une
bureaucratie corrompue, que les contrats n’étaient pas exécutoires et que
des restrictions s’appliquaient à la propriété foncière[40].
La fiscalité et l’inefficacité de la bureaucratie ont été d’autres
obstacles pour les investisseurs, bien qu’on s’efforce de supprimer ces
entraves. Le crime et la corruption étaient généralisés[41],
et il arrivait périodiquement que des investisseurs étrangers soient victimes
d’extorsion ou que leurs biens soient saisis. Angus Smith a mentionné des
estimations selon lesquelles jusqu’à 85 p. 100 des banques
commerciales russes et 40 p. 100 des entreprises privées sont
dirigées, directement ou indirectement, par des criminels.
M. Kirienko
a dit au Comité que le niveau d’investissement intérieur ne suffit pas pour
soutenir la croissance économique et que le gouvernement russe apprécie
l’investissement étranger. Il a indiqué plusieurs mesures prises par le
gouvernement pour attirer davantage d’investissements étrangers[42] :
·
rendre les lois
régionales compatibles avec la Constitution;
·
réformer le
régime fiscal intérieur en abaissant les taux d’imposition, ce qui en ferait
le régime fiscal le plus libéral du G8;
·
privatiser la
propriété des terres non agricoles, et
·
entreprendre
une réforme du système judiciaire russe.
Un grand obstacle au développement économique est l’absence de secteur de la petite entreprise d’une ampleur comparable à ce qu’on observe dans les pays qui réussissent mieux. Hans-Martin Boehmer a signalé que les emplois fournis par les petites entreprises en Russie ne représentaient que 20 p. 100, alors que le niveau optimal serait d’environ 50 p. 100. Son évaluation de la croissance du secteur de la petite entreprise n’est pas encourageante.
Autre
symptôme d’un climat d’affaires médiocre, les particuliers et les
sociétés russes exportent les capitaux à un rythme d’environ 2 milliards
de dollars américains par mois. Parmi les causes profondes de cet exode
des capitaux, il y avait le plus souvent un contexte politique instable (ce
n’est plus un facteur maintenant), l’instabilité sur le plan
macroéconomique, des taux d’imposition relativement élevés et inégalement
appliqués (les taux ont été réduits), un système bancaire insolvable et une
piètre protection des droits de propriété. On peut ajouter encore le fait que
les grands monopoles russes du secteur des ressources naturelles et d’autres
grandes sociétés industrielles peuvent imposer leur volonté aux entreprises
plus petites. Comme Angus Smith l’a dit au Comité, il y a aussi un élément
criminel (crime organisé) considérable expliquant cette dispersion de
l’argent. Les sorties de capitaux imposent un lourd tribut à l’économie,
car elles détournent les investissements des utilisations productives en Russie
même.
On
s’entend généralement pour dire qu’il faut mettre un terme à l’exode
des capitaux et inverser la tendance, mais, d’après Keith Bush, il faudra des
années pour y arriver. Les autorités russes ont tenté de limiter cette fuite
de capitaux par un programme de réforme économique et par des contrôles, qui
n’ont cependant pas été efficaces.
Enfin,
la dette du gouvernement est un frein puissant pour l’économie.
Larry Black a signalé au Comité ce qu’on a appelé le problème de
2003. Selon lui, c’est l’année où il faudra rembourser les 17 à 18
milliards de dollars[43]
d’une dette[44]
qui ne pourra plus être rééchelonnée, où poindra une crise démographique[45]
et où la dégradation de l’infrastructure commencera à se faire sentir très
largement. Il estime que le Canada a un rôle important à jouer pour faciliter
le rééchelonnement de la dette de la Russie. Keith Bush a aussi exprimé cette
opinion, signalant que le remboursement de la dette entravait d’importantes
dépenses au plan intérieur, comme la réfection fort nécessaire de
l’infrastructure du pays. Du côté positif, le réchauffement des relations
entre la Russie et les États-Unis, accentué par la coopération de la
sécurité russe à la suite des attaques terroristes du 11 septembre, est
de bon augure pour tout rééchelonnement éventuellement nécessaire de la
dette.
B.
La réforme législative et les difficultés de sa mise en œuvre
Au
fil des ans, la Russie a progressé en ce qui concerne l’élimination du
dirigisme économique pour établir un système de marché, libérant les prix
et privatisant la majeure partie des actifs de l’État. Ce sont là
normalement autant d’éléments importants dans une transition réussie vers
une économie de marché.
Cependant,
d’autres obstacles institutionnels continuent d’entraver le développement.
On a dit au Comité que le pays devra accomplir des progrès importants dans ses
efforts de réforme pour améliorer son système juridique et judiciaire, sa
bureaucratie excessive et étouffante, son agriculture non basée sur
l’économie de marché, son système financier, la régie d’entreprise[46]
et d’autres éléments institutionnels clés. Un regain de détermination a
maintenant réussi à faire passer plusieurs réformes importantes dans les
circuits législatifs. Le gouvernement a produit tout un train de réformes
structurelles, l’effort le plus concentré depuis l’amorce de ce projet
en 1991. À sa session du printemps 2001, la Douma a adopté plus de
150 lois touchant à presque toutes les facettes de la vie quotidienne,
notamment une deuxième réforme fiscale, un code foncier touchant les
propriétaires urbains[47],
des mesures de libéralisation de la monnaie et un certain nombre de mesures
visant à alléger le fardeau réglementaire pour les entreprises et à réduire
la bureaucratie[48].
Des
plans ambitieux de réforme ont été mis sur pied pour la séance de
l’automne de 2001. Ils prévoient un certain nombre de réformes plus
litigieuses, notamment des modifications du système judiciaire, une réforme du
secteur bancaire, une réforme agraire, une réforme des monopoles naturels
(p. ex. énergie et électricité), une politique sur la régie des
sociétés et la concurrence, une refonte des lois sur le partage de la
production pour les investisseurs étrangers[49],
un nouveau régime de pensions et un nouveau code douanier.
En
janvier de cette année, des lois plus libérales sur les licences et la
réduction des inspections et des vérifications d’État sont entrées en
vigueur. Le nouveau code du travail, qui est entré en vigueur en février,
donne plus de latitude aux entreprises qui doivent licencier des employés. Il
accroît également la protection des travailleurs à l’aide des droits de
négociation et a majoré le salaire minimum. Le nouveau code douanier qui vient
d’être adopté devrait lui aussi entrer en vigueur en 2002.
Par
rapport à ces grandes réformes, le programme pour 2002 est plus étroit et
plus technique, mais néanmoins important. Il insistera sur des domaines comme
la loi sur les faillites, la loi sur la normalisation et la certification,
l’imposition des petites entreprises et la réforme du secteur de
l’électricité. Il n’est pas encore vraiment question de réforme de la
fonction publique, encore que le Président Poutine ait établi un groupe de
travail à ce propos.
Ces
réformes pourraient cependant se heurter à une vive opposition et être encore
plus difficiles à implanter que la première série de réformes du Président
Poutine, vu la capacité administrative relativement faible qui est en place.
Comme les lois relatives à de nombreuses réformes ont maintenant été
adoptées, ce qui compte maintenant, c’est leur application. Le problème,
c’est que si la bureaucratie russe ne voit pas à la mise en application de
ces lois, leur adoption n’aura servi strictement à rien. Pour mettre les
réformes en place et les appliquer efficacement, il faut une bureaucratie
capable de s’occuper de l’ambitieux programme du gouvernement. Enfin, le
Comité a demandé à plusieurs témoins si la réforme économique russe
pourrait être avantagée par un gouvernement plus autoritaire qui assurerait la
stabilité. Presque tous ont répondu par la négative. Les Russes refuseraient
de revenir à l’interventionnisme de l’État et toute tentative en ce sens
compromettrait les attentes nationales au sujet des réforme, ainsi que les
attentes de la communauté internationale.
Aurel
Braun a dit au Comité qu’un gouvernement comme celui de Pinochet ne
conviendrait pas à la Russie étant donné les mesures institutionnelles
passées et actuelles prises en Russie. Joan Debardeleben a fait remarquer
que la question ne se pose pas, puisque la Russie n’est pas la Chine et une
fois les réformes enclenchées, on ne peut plus faire marche arrière. Selon
Vladimir Popov, l’important, c’est la force des institutions et non la forme
de gouvernement. Il a fait remarquer qu’on trouve des réussites économiques
relatives tant parmi les anciennes républiques soviétiques aujourd’hui
démocratiques que chez celles qui sont des autocraties, la clé du succès
étant la faculté de réglementer efficacement. John Young a souligné
l’importance d’avoir des règles claires quand on discute d’investissement
au niveau local. Hans-Martin Boehmer a insisté sur l’importance de la
primauté du droit et de la transparence.
1. La réforme du
système juridique
Des témoins ont déclaré au Comité que le système juridique russe est toujours en transition. La liste des difficultés à surmonter est longue : des domaines importants du droit sont incomplets; il faut rationaliser le système juridique et achever l’harmonisation de lois souvent contradictoires entre les divers ordres de gouvernement; le judiciaire n’a pas assez d’indépendance et n’est pas assez spécialisé; et l’État doit protéger les droits de propriété en clarifiant le droit des contrats et en faisant respecter par la loi les contrats commerciaux. D’après Peter Solomon, les tribunaux russes sont dépourvus des mécanismes cruciaux de financement nécessaires pour faire exécuter leurs décisions, ce qui les rend bien moins efficaces qu’ils ne devraient l’être. « Certes, la pleine réalisation de ces projets a été entravée par le sous-financement fédéral des tribunaux, qui a permis aux gouvernements régionaux et locaux, voire à des entreprises du secteur privé, de s’imposer comme des bailleurs de fonds officieux des tribunaux, ce qui pourrait compromettre leur indépendance nouvelle. »
De
plus, comme Aurel Braun l’a appris au Comité, les juges « sont
généralement mal formés, mal payés et ont une piètre stature sociale. Ils
continuent de projeter l’ancienne image soviétique, qui est de fonder les
décisions judiciaires sur les directives et les conseils politiques. Par
conséquent, le grand public a peu de foi dans la probité et l’efficience de
l’appareil judiciaire, et les gens d’affaires encore moins ».
Le
crime organisé demeure peut-être un facteur important dans les affaires en
Russie. Les preuves à cet égard
sont cependant peu rigoureuses. Les histoires d’investisseurs russes ou
occidentaux qui ont été évincés par la violence ou la menace de violence
sont courantes, mais demeurent largement non documentées. Ce qu’on peut dire,
c’est qu’il y a beaucoup de meurtres en Russie, et on remarque parmi les
victimes une proportion inhabituelle de banquiers. Un grand nombre de ces
meurtres seraient attribuables au crime organisé. Cependant, le Comité n’a
recueilli aucun témoignage sur des cas concrets et bien documentés.
Malgré
tout, il faut s’attaquer au crime organisé,
qui a souvent privé de toute signification les droits de propriété. Une
solution consistera à faire assurer par la police une protection contre les
menaces physiques. En l’absence de protection efficace, l’investissement
souffrira, et l’efficacité économique recherchée se fera attendre.
Le
problème de la corruption a souvent été soulevé durant les travaux du
Comité. La notion même de corruption s’intègre mal au contexte russe. Il y
a dix ans, l’économie soviétique se caractérisait par des éléments en
apparence contradictoires. Le capitalisme et l’économie de marché étaient
illégaux et chacun utilisait son accès aux ressources publiques comme monnaie
d’échange. Le « blat », ce qui veut dire à peu près influence,
échange ou faveurs, était important et le demeure encore aujourd’hui. La
démarcation entre ce qui est de la corruption et ce qui ne l’est pas demeure
floue.
Sous
Eltsine, la privatisation (privitatsia)
était appelée prikhvitatsia (« accaparement »).
Les conseillers économiques d’Eltsine, sous la direction d’Anatoly Chubais,
ont encouragé les gestionnaires de l’État et les entrepreneurs (dont
certains sont devenus des oligarques) à s’emparer de tout ce qu’ils
pouvaient. L’idée maîtresse, c’est qu’une privatisation rapide de
l’économie ferait apparaître une classe qui aurait intérêt à maintenir
une économie capitaliste. Cependant, il semble que les nouveaux capitalistes
aient également conservé les liens étroits de l’ère soviétique entre
fonctionnaires de l’État et intérêts économiques, et les trafics
d’influence étaient peut-être plus importants que le commerce des
marchandises. Une fois acquis les actifs les plus précieux de la Russie, les
fuites de capitaux sont devenues plus fréquentes que les investissements et la
croissance, les actifs étant transférés vers les économies occidentales,
plus stables.
Aux
échelons plus bas, la bureaucratisation excessive de l’État, alliée à la
faiblesse de la rémunération et parfois même aux arrérages dans le versement
des salaires, est un terrain fertile pour la corruption et peut même y pousser.
La corruption à ce niveau porte sur des choses modestes, mais elle est
chronique[50].
Une
meilleure rémunération des policiers et d’autres fonctionnaires est un moyen
qui a été préconisé afin de combattre la
corruption dans la bureaucratie. Une autre solution serait que d’autres pays,
comme le Canada, montrent clairement qu’il est impossible de faire des
affaires dans un environnement corrompu. Un membre du Comité a fait remarquer
que les Pays-Bas avaient déjà rendu leur aide à l’étranger conditionnelle
à un faible niveau de corruption dans les pays bénéficiaires. Un haut
fonctionnaire du MAECI a cependant exprimé l’avis que les vrais progrès,
dans la lutte contre la corruption, devraient venir de l’intérieur.
Pour
améliorer le comportement des juges et, plus généralement, renforcer
l’application des lois, le gouvernement russe devra certainement consentir des
investissements considérables. De nombreux témoins qui ont comparu devant le
Comité ont soutenu qu’il est urgent d’établir[51]
et de renforcer la primauté du droit, et de promouvoir ainsi l’élimination
de la corruption.
Peter
Solomon a décrit quelques-unes des mesures prises par la Russie pour établir
un système judiciaire indépendant en Russie. Ainsi, en 1991, les nominations
à la magistrature sont devenues des nominations à vie. Les juges y ont vu une
étape importante vers l’indépendance nécessaire par rapport à l’État
pour que le système judiciaire soit vraiment indépendant. Cependant, beaucoup
de juges ont entamé leur carrière comme fonctionnaires de police ou procureurs,
si bien qu’ils sont conditionnés à considérer les tribunaux comme une
instance où les criminels sont poursuivis plutôt que comme un endroit où les
citoyens sont jugés. En outre, comme dans d’autres domaines en Russie, les
cheminements de carrière et les réseaux politiques relient de nombreux
magistrats à des personnalités politiques, perçues comme d’importantes
sources de soutien. Beaucoup de juges reçoivent une trop grande partie de leur
rémunération sous forme d’avantages indirects ou supplémentaires. Le
gouvernement Poutine s’est également donné pour objectif clé de renforcer
la reddition de comptes chez les juges, même si, comme Peter Solomon l’a
soutenu, « les changements dans la perception publique arrivent longtemps
après les changements dans la réalité ».
Janet
Keeping estime que certains progrès ont réellement été accomplis tant dans
les « changements substantiels d’ordre juridique » que dans
« la réforme de leur judiciaire ». Elle a informé le Comité de
nouveaux faits importants au sujet d’une nouvelle loi sur le partage de la
production visant à créer un cadre législatif spécial, de style occidental,
pour les investisseurs étrangers, dans les secteurs minier, pétrolier et
gazier et dans d’autres industries exigeant de lourds investissements à long
terme. Elle a aussi évoqué le déblocage par le gouvernement russe de fonds et
d’autres ressources pour appuyer et accroître l’indépendance de
l’appareil judiciaire.
Enfin,
le Comité a été informé des problèmes que posent les lois russes
elles-mêmes. Elles prêtent toujours à confusion et sont contradictoires,
surtout dans les cas où des lois fédérales et régionales entrent en conflit.
John Young a cité le cas d’un conflit de compétences entre une municipalité
et le gouverneur au sujet de l’élection ou de la nomination du maire. Le
tribunal a dû conclure que les deux lois étaient valides[52].
Le
professionnalisme et l’interprétation des lois continuent de faire problème.
La police et les forces de sécurité n’ont pas toujours manifesté une bonne
compréhension des lois à faire respecter. Il est à espérer que le grand
nombre de causes perdues finira par favoriser l’application des lois[53].
2. La réforme de
la réglementation et la contraction de l’appareil étatique
En Russie, les affaires sont toujours entravées par des règles et règlements dépassés et souvent inefficaces et contreproductifs. Ainsi, plus de 80 p. 100 des produits et services, au niveau du détail, doivent être certifiés par le gouvernement. Comme Keith Bush l’a signalé au Comité à Washington, il faut toujours obtenir plus d’une centaine de permis pour mener des activités commerciales. Il importe de simplifier les exigences réglementaires. L’allégement du fardeau de la réglementation pourrait aussi aider à lutter contre la criminalité et à atténuer le problème de la corruption dans les bas échelons de la bureaucratie.
L’initiative
gouvernementale actuelle de débureaucratisation vise à réduire
l’intervention de la bureaucratie dans l’économie. On espère que cette
réforme réglementaire et administrative atténuera les risques de corruption
des fonctionnaires et encouragera l’entrepreneuriat, grâce à la suppression
des obstacles administratifs qui empêchent les entreprises russes d’investir
sur le marché russe. L’investissement étranger devrait également
s’accroître, car l’accès au marché russe serait plus simple. Par contre,
l’initiative du gouvernement s’est déjà heurtée à une vive opposition à
la Douma, si bien que l’ensemble des nouvelles mesures prévues au départ
pour diminuer le nombre de permis nécessaires a déjà été édulcoré.
3. La
simplification du régime fiscal
Le Président Poutine a imposé une réforme fiscale qui constitue une amélioration notable par rapport à l’ancien régime. La Russie a pris une mesure audacieuse, adoptant un taux d’impôt uniforme, qui a été établi à 13 p. 100, alors qu’il variait jusque là entre 12 et 30 p. 100. Le taux d’imposition des sociétés a été ramené de 34 à 24 p. 100 et celui des bénéfices à 40 à 24 p. 100. Les autorités envisagent également de réduire la taxe sur la valeur ajoutée (TVA), pour la ramener peut-être de 20 à 17 p. 100. Le but visé par cette mesure et d’autres, visant alléger et simplifier l’impôt, était d’attirer l’investissement, de freiner la fuite des capitaux et de soutenir la croissance économique.
Le
nouveau régime fiscal a également été conçu pour récupérer des millions
de contribuables qui fraudent le fisc, dans l’économie au noir. Par le
passé, le régime fiscal russe a imposé une lourde charge aux entreprises, et
il était affligé de graves distorsions découlant des avantages fiscaux, de la
variation des taux d’imposition et d’une application inégale des lois
fiscales. En se conformant à tous les éléments du régime fiscal, les
entreprises se retrouvaient avec une charge extrêmement lourde. Il ne faut donc
pas s’étonner qu’elles aient cherché à se soustraire au fisc par des
moyens de plus en plus détournés. Beaucoup de petites entreprises ne payaient
pas les impôts exigés et les grandes falsifiaient souvent leurs déclarations.
Enfin,
les textes imprécis des lois fiscales russes, une terminologie mal définie et
le fait que les dispositions fiscales n’étaient pas rendues publiques ont
fait que, avec les années, les inspecteurs du fisc ont acquis une grande
latitude. Le Comité croit que ce pouvoir discrétionnaire doit diminuer si
l’on veut que les Russes aient davantage confiance en leur régime fiscal.
4. La
revitalisation et la restructuration de l’industrie
En
ce qui concerne les gains réels de la productivité et de la production, il est
évident que le secteur manufacturier russe a beaucoup de mal à se transformer
en un producteur capable de soutenir la concurrence. Selon Keith Bush, les
secteurs manufacturiers russes les plus forts comprennent les armes, l’espace
et la science. Beaucoup de problèmes éprouvés par les fabricants trouvent
leur origine au niveau local : freins au changement pour les propriétaires,
les gestionnaires et les travailleurs; difficultés à obtenir les facteurs de
production nécessaires et à maintenir l’approvisionnement; et ingérence des
politiques locaux ou de l’élite locale. Le nouveau code du travail pourrait
atténuer certaines de ces rigidités, notamment en permettant aux gestionnaires
de licencier des travailleurs afin de restructurer l’entreprise.
L’âge moyen des usines et du matériel du secteur manufacturier russe est trois fois plus élevé que la moyenne de l’OCDE, et 70 p. 100 ont plus de dix ans. La modernisation ou le remplacement exigeront des centaines de milliards de dollars. On ne voit pas encore d’où les capitaux nécessaires viendront. Sans une augmentation soutenue du rythme et de l’ampleur des investissements, le taux de croissance récent du PIB ne pourra se maintenir, et il est probable que les exportations diminueront.
Une
importante restructuration des entreprises dominantes, dans le secteur
industriel russe, se fait encore attendre. La réforme des monopoles « naturels »
(électricité, gaz, chemins de fer), éléments clés de l’économie russe,
n’est pas encore chose faite, bien qu’une proposition de restructuration de
Gazprom continue de circuler[54].
La
dégradation des actifs matériels des trois industries est une conséquence
directe de cette incapacité de se restructurer. Il reste des risques
considérables d’abus du pouvoir sur le marché, non seulement dans le secteur
des services publics, mais aussi dans le secteur manufacturier. Cependant, toute
décision de réformer ces monopoles serait politiquement impopulaire, car il
est probable que le coût de services essentiels comme l’électricité
augmenterait considérablement.
5. Le renforcement
du système financier intérieur
Keith Bush a expliqué au Comité que le système bancaire russe avait grand besoin de réforme. Les 1 300 banques du pays ne jouent pas le rôle habituel des banques dans une économie de marché, soit fournir aux entreprises et aux particuliers les liquidités dont ils ont besoin. Comme l’a fait observer Ron Denom (premier vice-président, SNC Lavalin International), l’épargne n’a pas tendance à s’accumuler dans le système bancaire, étant donné que les épargnants ne lui font plus confiance. La plupart des banques russes sont surtout des moyens à la disposition des grandes entreprises pour acheminer l’argent, souvent à l’étranger. Le Comité a appris que, tandis que les grandes banques d’État réussissent mieux à recueillir l’épargne et à accorder des prêts, leurs prêts garantis évincent les banques privées du marché.
Faute
d’un secteur bancaire fiable, beaucoup de Russes continuent de mettre leur
argent dans leur « bas de laine ». Il faut des réformes
structurelles et réglementaires pour gagner la confiance des investisseurs
russes et étrangers.
6. La réforme de
l’agriculture
Patrick Armstrong a décrit la situation actuelle de l’agriculture en Russie en disant au Comité que « rien n’a été fait en agriculture depuis dix ans. Personne ne sait quoi faire. Malheureusement, l’agriculture russe est dans un tel état qu’il n’y a pas de solution au problème ». Tout aussi éloquente a été la déclaration du sénateur Jim Tunney, qui a indiqué que la Russie a 39 millions de vaches laitières alors que nous n’en avons que trois quarts de million, mais sa production laitière est inférieure de moitié à la nôtre. Le sénateur a également dit au Comité que le gouvernement russe ne s’intéressait aucunement à l’agriculture. Fait plus positif, le Comité a appris que la capacité de la Russie et de l’Ukraine de « nourrir le monde » est énorme, même si elle n’est pas exploitée.
Comment
la Russie pourrait-elle renforcer son secteur agricole? À en croire le
sénateur Tunney, il est évident qu’il faut d’importants investissements
dans le secteur pour le moderniser. Mais, encore là, le gouvernement central
s’intéresse-t-il à la question? Une autre possibilité est d’établir la
propriété foncière privée, même si Patrick Armstrong a exprimé des doutes
au sujet de l’opportunité d’une politique de privatisation. Un bon code
foncier rural, précisant tout, depuis les règles hypothécaires jusqu’à la
réglementation de l’utilisation des terres, n’a pas encore été mis en
application, et il se heurte à d’importants intérêts acquis[55].
7. La
modernisation de l’infrastructure russe
Après
une décennie ou presque de libre entreprise et de démocratie, la Russie est
toujours entravée par une infrastructure économique qui continue de se
dégrader. D’après John Young, l’infrastructure, surtout les routes et
les chemins de fer, est « dans un état lamentable dans toute la Russie ».
Larry Black s’est fait encore plus précis, signalant l’indigence des
investissements publics dans les routes, le matériel roulant et les aiguillages
des chemins de fer, les ponts, le logement, le réseau de distribution
d’électricité, les oléoducs et les gazoducs[56],
l’approvisionnement en eau, les services de santé et le matériel agricole.
Il a dit au Comité que seulement de 5 à 8 p. 100 des entreprises
russes possédaient ce que nous considérons comme de la technologie moderne et
que, d’après le ministre russe des Urgences, la Russie risque d’être aux
prises avec une série de catastrophes de nature technologique. Le sénateur
Tunney a décrit l’état de l’infrastructure dans le secteur pétrolier et
gazier comme bien inférieur aux normes, signalant que « leurs raffineries
ne fonctionnent pas, leur carburant est mal raffiné, les oléoducs sont brisés
et quelquefois ils pompent du pétrole brut avec un tuyau de six pouces ».
Enfin, Ron Denom s’est appuyé sur des données du FMI pour dire que la Russie
avait besoin d’investissements de plus de 2 billions de dollars au cours des
20 prochaines années pour moderniser ses installations de production et son
infrastructure et mettre sa main-d’œuvre à la page.
8. Autres
réformes
En passant, on a parlé au Comité d’autres changements qui pourraient aider la Russie à opérer sa transformation. Ils comprennent la réforme des régimes des brevets; l’abaissement des barrières commerciales; l’établissement d’un registre central des entreprises et des titres fonciers.
[1]
Cette séance a été tenue à huis clos.
[2]
La « nouvelle » OTAN et l’évolution du maintien de la
paix : conséquences pour le Canada,
Septième rapport du Comité sénatorial permanent des affaires étrangères,
deuxième Session de la 36e Législature, avril 2000.
[3]
La tuberculose s’impose à nouveau comme un problème de santé
publique au Canada. Voir,
par exemple, « Efforts Against Tuberculosis Is Not Good Enough », Globe
and Mail, 24 avril 2002.
[4]
Le PIB de la Russie s’élevait à 310 milliards de dollars
américains en 2001.
[5]
Ce sont la religion chrétienne orthodoxe, l’islamisme, le bouddhisme
et le judaïsme.
[6]
Cette statistique indique peut-être que la santé des Russes dépend
de leur classe sociale. Au moins la moitié des Moscovites en âge de faire
leur service étudient à l’université et sont exemptés de la
conscription. Autrement dit, 80 p. 100 de ceux qui restent sont
inaptes au service militaire.
[7]
Voir la section Crime et corruption pour en savoir plus long sur la
nature du crime organisé russe.
[8]
Voir la section Gouvernement local pour connaître le contexte de ces
observations.
[9]
« Memorandum
of the President of the International Bank for Reconstruction and Development
and the International Finance Corporation to the Executive Directors on a
Country Assistance Strategy of the World Bank Group for the Russian
Federation » (http://www.worldbank.org.ru/eng/group/strategy/strategy5.htm).
[10]
Le présent rapport traite surtout de la question tchétchène dans la
perspective de ses implications en politique intérieure. Pour connaître son
impact sur les relations de la Russie avec l’Occident, voir les sections
portant sur la politique étrangère russe et sur la période postérieure au
11 septembre.
[11]
Boris Eltsine a fait écho à cette notion lorsqu’il a pris le
pouvoir en 1991. Il a refusé l’offre des factions démocratiques qui
voulaient l’avoir comme chef, en proclamant que le Président devait se
situer au-dessus de la politique pour faire l’unité de la Russie. En
réalité, sa décision a éloigné davantage la présidence du jeu des partis,
affaiblissant ainsi les démocrates et amenuisant la possibilité de former
des alliances et des coalitions à l’assemblée législative. Tout cela a
abouti à la confrontation armée de 1993. On peut dire que
l’édification des partis en Russie subit encore le contrecoup de cet
événement.
[12]
Il vaut la peine de rapporter textuellement les propos de la
professeure Debardeleben :
Premièrement,
il y a l’idée que l’État devrait jouer un grand rôle, ce que Richard
Pipes appelle « l’État patrimonial », l’État étant à la
fois propriétaire et gouverneur. (…) Le concept du néo-libéralisme qui
consiste à tout privatiser est étranger à la mentalité russe.
Deuxièmement,
les Russes n’accordent pas la même importance aux réalisations
individuelles, à l’action et aux profits, et il y a une identification
collective beaucoup plus forte qui va à l’encontre de l’idée de marché
qui est de faire des gains économiques personnels le but premier de sa vie.
Ce collectivisme est très fort, même chez les plus jeunes Russes, bien
qu’il soit en train de s’affaiblir, surtout chez les plus jeunes qui sont
économiquement favorisés.
Troisièmement,
la vie en Russie est caractérisée par une très forte spiritualité; il y a
vraiment une âme russe. (…) L’amour de la poésie, de l’art, de la
culture est relié à la spiritualité… (…) Cela va de pair avec le
collectivisme, mais est en quelque sorte contraire à la notion de
l’individu comme agent économique rationnel. Je ne pense pas que les Russes
se voient ainsi, que ce soit leur principale motivation dans la vie. Ils
aiment vivre confortablement, mais les gains économiques personnels ne sont
pas leur but principal dans la vie. (…) Ils peuvent s’accommoder d’un
tas de choses parce que la vie a un sens différent pour eux; ils ont un
sentiment de solidarité humaine qui les aide à endurer un tas de souffrances.
C’est
plus ou moins ce que j’essayais de dire. Il y a un élément dans la culture
russe qui va un peu à l’encontre de tout cela. Il y a d’autres valeurs
liées à la solidarité et à l’identification collective qui entrent en
jeu. Si on posait la question classique à un Russe, si on lui demandait
s’il préfère que son voisin et lui-même soient pauvres ou que les deux
aient une meilleure vie, mais que son voisin soit beaucoup plus riche que lui,
il aurait tendance à choisir l’égalité et la solidarité plutôt que de
grands écarts, même si les deux y gagnaient au change. La prédisposition
culturelle est différente et on ne pense pas en termes d’agent économique
rationnel.
[13] Le fait que nombre de ces problèmes soient devenus chroniques dans les dernières années de l’Union soviétique et qu’ils aient motivé Gorbatchev à tenter une réforme est moins pertinent pour les Russes que ce qui s’est passé ces dix dernières années.
[14]
New Russian Barometer, VIII,
January19-29, 2000, Russia Votes (www.russiavotes.org).
[15] Dernièrement encore, de nombreux Russes ne faisaient pas pleinement confiance à l’économie monétaire officielle (c.-à-d. l’échange d’argent).
[16]
New Russian Barometer, VIII,
January19-29, 2000.
[17]
Voir aussi la section Politique étrangère.
[18] Le Parti communiste de la Fédération de Russie (KPRF), dirigé par Guennadi Ziouganov, a succédé au Parti communiste de l’Union soviétique. Il y a aussi plusieurs petites factions communistes alignées sur le KPRF. Le KPRF obtient régulièrement environ 25 p. 100 du vote populaire. Son noyau de partisans est solide, mais sa capacité de croissance pourrait être limitée. Eltsine a déployé des efforts considérables pour être certain de se retrouver seul face à Ziouganov aux élections présidentielles : comme les partisans communistes allaient voter pour Ziouganov, c’était certain que l’adversaire du chef du Parti communiste serait élu. Eltsine avait donc peur d’affronter un candidat non communiste capable de former une coalition – peut-être de nationalistes russes – pour rallier des partisans communistes et non communistes.
[19] Par exemple, Boris Eltsine a eu comme Premier Ministre Victor Tchernomyrdine (1993-1997), Sergei Kirienko (1997-1998), Yegor Primakov (1998-1999), Sergei Stepashin (1999) et Vladimir Poutine (1999-2000). D’autres politiciens connus, comme Anatoly Chubais, Yegor Gaidar et le général Alexandre Lebed, ont fait un petit tour dans le cabinet de Eltsine ou au Kremlin.
[20] Gazprom et Lukoil dans le secteur énergétique en sont deux exemples.
[21] À ne pas confondre avec la « vraie » mafia du crime organisé russe. (Voir la section sur le crime organisé.)
[22] Aux élections de 1995 à la Douma, on a fait circuler une affiche montrant le Premier Ministre d’alors, Victor Tchernomyrdine, en pleine réflexion, les mains jointes en forme de triangle devant lui. Que cela ait été intentionnel ou non, la plupart des Russes y ont vu le symbole du « toit », montrant qu’il détenait sous son toit le vrai pouvoir et l’autorité.
[23] Sauf de très rares exceptions, les élites politiques et économiques russes se composent presque exclusivement d’hommes.
[24] Patrick Armstrong a comparu à titre personnel et non à titre de représentant du ministère.
[25] Le Parti communiste de la Fédération russe (KPRF), qui a hérité du gros de l’actif du Parti communiste de l’Union soviétique (CPSU), ferait exception. Une autre exception, c’est Yabloko, le parti démocratique libéral de Gregory Yavlinky. Se reporter à l’annexe C pour une liste des partis politiques russes et de leurs représentants à la Douma.
[26] Depuis l’élection du Président Poutine en 1999, sa popularité a toujours dépassé les 70 p. 100 dans les sondages. Sa cote de confiance est de 75 p. 100 selon le sondage le plus récent de VCIOM rapporté par Russia Votes (www.russiavotes.org).
[27] Son ascension s’est produite dans le sillage des attentats à la bombe qui ont eu lieu à Moscou en 1999 et que les autorités russes ont attribués aux groupes rebelles tchétchènes.
[28] Cette réalité a des implications sur le soutien que Poutine a apporté aux États-Unis à la suite de la destruction du World Trade Center le 11 septembre dernier. Voir la section sur les effets du 11 septembre.
[29] Russia Votes.
[30] Le Président Poutine a réglé depuis la question de l’édification des partis dans son train de réformes. Ainsi, une nouvelle loi sur les partis va effectivement éliminer les plus petites organisations politiques.
[31] Pour en savoir plus sur ces questions, voir la section sur l’économie de la Russie.
[32] Cette faction forme maintenant le parti Russie unie.
[33] Durant sa campagne électorale, Poutine a refusé de rendre public son programme électoral, sous prétexte que la presse la critiquerait.
[34] Le 21 mars 2002, la Cour suprême de Russie a rejeté l’appel interjeté pour obtenir la remise en liberté d’Igor Soutiaguine pendant qu’il attend une réouverture de l’enquête du FSB sur lui. L’avocat de Soutiaguine prévoit porter plainte devant la Cour européenne des droits de l’homme.
[35] Le Président Poutine a dit en public que les ONG écologistes sont des agents des services du renseignement étrangers.
[36] Depuis 1991, le Canada a joué le rôle d’un chef de file dans la défense de la réforme judiciaire en Russie - voir le chapitre sur l’engagement du Canada en Russie.
[37] Les facteurs qui ont joué comprennent des cours pétroliers plus élevés et les recettes de l’impôt sur le revenu des sociétés.
[38] L’excédent commercial devrait descendre à 40 milliards de dollars américains en 2001, étant donné des prix pétroliers un peu plus faibles, la croissance des importations et les effets du ralentissement économique mondial actuel sur la demande des exportations.
[39] M. Vladimir Popov (professeur à l’Institut des études européennes et russes, Université Carleton) s’est interrogé sur l’utilité de cette orientation vers le remplacement des importations, préférant une politique de stimulation des exportations.
[40] La question de la propriété foncière privée et urbaine a été réglée récemment par l’adoption d’une loi.
[41] Des fonctionnaires du MAECI ont dit au Comité que la Russie ne se classait qu’au 83e rang, sur 91 pays, selon l’indice de corruption de Transparency International (indice pour l’année 2000). Selon l’indice pour 2001, elle se classe maintenant au 79e rang.
[42]
Pour en savoir plus, voir la section sur la réforme législative et
les difficultés de sa mise en œuvre.
[43] Selon Viktor Khristenko, le premier Vice-Premier Ministre, le montant pourrait même atteindre les 19 milliards de dollars. Toutefois, selon le MAECI, le fardeau de la dette pour 2003 a sans doute été réduit (de 3 à 5 milliards de dollars environ) par le rachat de créances du ministère des Finances et du FMI par le gouvernement russe.
[44] Un certain nombre de prêts importants du FMI viennent à échéance.
[45] On prévoit que les travailleurs russes ne seront pas assez nombreux pour faire vivre les retraités du pays.
[46] D’après James Gillies (professeur à la Schulich School of Business, Université York), à cause du manque de gestion fiable des sociétés en Russie, les investisseurs « hésitent à consentir de l’argent aux entreprises russes ou à se lancer dans des coentreprises avec elles ». De plus, « la primauté du droit est évidemment essentielle à toute forme de gouvernance, et certainement à la régie d’entreprise. Tant que le système judiciaire ne sera pas bien en place, il sera difficile d’instaurer une bonne gouvernance dans les entreprises russes ». Un problème courant est le manque de respect pour les actionnaires minoritaires.
[47] Le code n’est applicable qu’à 3 p. 100 du territoire du pays, mais cela représente en fait 75 p. 100 de la production industrielle.
[48] Cette mesure a déjà contribué à réduire le nombre de permis ou licences que les entreprises sont obligées de se procurer, mais la réforme ne doit pas s’arrêter là.
[49] Dans ce contexte, il faut signaler le lancement du projet d’investissement de 12 milliards de dollars Sakhalin-1, que vient d’annoncer officiellement ExxonMobil, dont le siège est aux États-Unis; c’est l’investissement étranger le plus considérable en Russie.
[50] Avant les réformes instaurées par Poutine en 2001 et qui ont été décrites ci-dessus, il y avait plus d’un millier de permis exigés des petites entreprises. Il était presque inévitable d’être en infraction à un sujet ou l’autre.
[51] Comme Janet Keeping (directrice des programmes relatifs à la Russie, Institut canadien du droit des ressources, Université de Calgary) l’a dit au Comité, il n’y a pas en Russie de tradition de primauté du droit qui accorde de l’importance à l’individu. On y a plutôt mis l’accent sur le collectif.
[52] John Young a également signalé que cette décision n’était pas aussi « stupide » qu’elle semblait l’être de prime abord. Le tribunal a renvoyé l’affaire aux autorités politiques, de qui elle relevait.
[53] Voir les observations de Peter Solomon dans la section consacrée à la réforme judiciaire.
[54] Une nouvelle équipe de gestion a pris Gazprom en main en novembre 2001, avec Alexei Miller comme chef de la direction. Selon RFE/RL : « Jusqu’à présent, Poutine et Miller n’ont pas changé grand-chose, par rapport à leurs prédécesseurs, dans les relations entre Gazprom et le gouvernement… », et la capacité de résistance de Gazprom à l’érosion de son pouvoir demeure « un mystère ». L’entreprise est peut-être tout simplement trop grande ou trop puissante. « New Hope for Gazprom Reform? », Michael Lelyveld, RFE/RL, 21 février 2002.
[55]
Le nouveau code foncier ne s’applique qu’aux terres urbaines et
commerciales.
[56] Gazprom ne peut accumuler de capital pour faire ce travail, car la Russie maintient le prix intérieur du gaz naturel à un niveau inférieur aux cours mondiaux.
Le Rapport du comité est disponible en format PDF (Portable Document Format). Les documents électroniques conservent ainsi leur présentation d'origine -- texte, graphiques, photos et couleurs -- et ils peuvent être visualisés sur divers systèmes (DOS, UNIX, WINDOWS, MAC, etc. ).
Les utilisateurs de Windows, Macintosh, DOS et UNIX ont accès sans frais au lecteur Acrobat pour visualiser, parcourir et imprimer les documents de type PDF.
Si vous avez besoin d'un lecteur, vous pouvez accéder à Adobe Systems Incorporated.