Délibérations du comité sénatorial permanent des
Peuples autochtones
Fascicule 22 - Témoignages
OTTAWA, le mardi 11 juin 2002
Le comité se réunit aujourd'hui à 9 h 07 pour examiner l'accessibilité, l'éventail et la prestation des services, les problèmes liés aux politiques et aux compétences, l'emploi et l'éducation, l'accès aux débouchés économiques, la participation et l'autonomisation des jeunes, et d'autres questions connexes.
Le sénateur Thelma J. Chalifoux (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente: Honorables sénateurs, souhaitons la bienvenue à nos témoins. Je vais commencer par une petite leçon d'histoire.
Nous tenons aujourd'hui nos audiences dans la Salle des peuples autochtones. Il y a environ quatre ans, lors d'une cérémonie spéciale, cette salle leur a été dédiée. Il s'agit donc d'un endroit très particulier, surtout pour les Autochtones du Canada. J'ai l'impression que cela contribue à créer une atmosphère propice aux importantes discussions que nous allons tenir.
Le comité a décidé de rédiger un plan d'action pour le changement en ce qui concerne les questions urbaines touchant les Autochtones, et plus particulièrement les jeunes. Les honorables sénateurs sont au courant que les jeunes Autochtones sont la population qui connaît la croissance la plus rapide au Canada. Nous vivons en bordure des centres urbains, et nous devons affronter des problèmes très sérieux.
J'ai toujours dit que les peuples autochtones ont été étudiés à outrance. Nous n'avons pas besoin de nouvelles études, il nous faut un plan d'action pour le changement. C'est d'ailleurs à cela que notre comité va s'employer.
Vous pouvez commencer, monsieur Coon Come.
M. Matthew Coon Come, chef national de l'Assemblée des premières nations: [M. Coon Come s'adresse aux membres du comité dans sa langue traditionnelle]
Honorables sénateurs, je vous ai adressé quelques mots dans la langue crie, afin de souhaiter la bienvenue à tout le monde. J'ai le privilège de m'adresser à vous ce matin en compagnie de Mme Ginger Gosnell et de M. Terry Young. Ces jeunes nous aideront dans nos discussions et nos délibérations. Je vais d'abord faire mon exposé, puis ils prendront la parole.
L'Assemblée des premières nations, ou APN, est un organisme national qui représente tous les peuples des Premières nations du pays. Les Premières nations — ou les «Indiens» — forment un des trois groupes autochtones reconnus à l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. L'article 35 reconnaît également que nos peuples jouissent de droits inhérents ancestraux et issus de traités.
Comme les membres du comité le savent, bon nombre de nos Premières nations ont signé des traités avec la Couronne. Le fait que nous ayons signé ces traités démontre que nous étions et demeurons des nations entretenant une relation de gouvernement à gouvernement avec la Couronne.
Lorsque je suis entré dans cette pièce, madame la présidente, mon attention a été attirée par les oeuvres d'art. En fait, l'une de ces oeuvres a été réalisée par une dame de ma collectivité. Cette dame s'appelle Glenna Matoush. J'ai lu avec beaucoup d'intérêt la description de son travail. Glenna Matoush est reconnue mondialement.
L'APN, comme vous le savez, a toujours maintenu que les citoyens de nos Premières nations ne sont rien de moins: des citoyens de leurs nations. Ils sont citoyens de ces nations, peu importe où ils choisissent de vivre — que ce soit dans le Grand Nord, dans des villages ou dans des villes. J'ai toujours pensé que dans ce pays, quiconque était libre de vivre où bon lui semblait. Malheureusement, nous nous retrouvons dans la situation où nous sommes forcés de nous décrire en faisant référence à une loi ou alors en précisant que nous vivons à l'extérieur de réserves, dans des réserves, en milieu urbain ou dans des zones rurales. On entend même dire qu'un Indien visé par un traité devrait vivre dans une réserve. C'est malheureux. Parce que, en réalité, dans ce pays le droit à la mobilité existe, et nous pouvons vivre où bon nous semble. Évidemment, les membres qui ont choisi de vivre ailleurs que dans une réserve devraient bénéficier, sans subir aucune pénalité, des mêmes services et programmes dont ils pourraient bénéficier dans la réserve.
Lorsque je quitte ma réserve, dans le nord, près de la Baie James, je ne me départis pas de mon statut d'Indien comme si je retirais un manteau. Ma citoyenneté et mes droits me suivent où que j'aille.
En tant que représentant politique, je peux dire que nos dirigeants veulent rendre des comptes à leurs citoyens, où qu'ils vivent. J'ai participé aux travaux entourant l'Entente de Charlottetown. Malheureusement, il a été rejeté, mais nous nous sommes battus pour qu'il soit adopté. Les premiers ministres du Canada, même si le grand public a rejeté l'accord, avaient accepté que les Premières nations puissent avoir l'autorité et la responsabilité en ce qui concerne leurs citoyens vivant à l'extérieur des soi-disant réserves. Il faudrait que l'on relise ces dispositions parce qu'elles sont toujours applicables et qu'elles ont nécessité passablement de travail. Naturellement, nous avons fait plus de progrès que jamais auparavant. En fin de compte, nous nous étions montrés extrêmement intéressés à fournir des services à nos jeunes, à nos aînés et aux femmes qui vivent dans nos collectivités. Certains disaient que les Indiens relèvent de l'autorité du gouvernement fédéral. Par ailleurs, les provinces ont dit qu'elles n'ont aucune responsabilité en ce qui concerne les Indiens qui vivent dans les réserves ou à l'extérieur de ces réserves. Par conséquent, les Indiens se sont retrouvés dans une sorte de vide et on ne leur a offert aucun service. Nous avons voulu reprendre la situation en main. Nous avons essayé d'étendre nos champs d'action afin de régler ces problèmes législatifs. Le seul moyen d'y arriver consistait à modifier la loi, et nous avons amorcé les travaux en vue d'atteindre ce but.
Ce que je dis, c'est que l'APN s'efforce de veiller à ce que les gouvernements des Premières nations puissent défendre les intérêts de tous leurs citoyens. Le gouvernement fédéral doit travailler avec nous pour laisser derrière la Loi sur les Indiens et sa mentalité colonialiste, et nous fournir les outils qu'il faut pour doter nos gouvernements de pouvoirs d'autonomie, conformément à l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. Alors seulement, nous serons en mesure de mettre en place des institutions et des programmes pour que tous nos citoyens disposent des services nécessaires à leur mieux-être. Alors seulement, nous pourrons fournir à nos jeunes les outils dont ils ont besoin pour commencer à forger leur avenir et prendre leur vie en main.
En 1999, l'arrêt Corbiere de la Cour suprême du Canada présentait le même raisonnement. Il se concentrait sur les droits de vote des gens vivant hors réserve, et a fait valoir d'autres points plus importants. D'abord, il a reconnu que les citoyens vivant à l'extérieur des limites des réserves faisaient toujours partie de leur Première nation.
Et précisons un point dès maintenant: Lorsque nous parlons des centres urbains, nous ne faisons pas uniquement référence aux grands centres comme Toronto, Vancouver et Ottawa. Plusieurs de nos jeunes et de nos citoyens s'installent dans des centres urbains plus petits, et même dans des villages de campagne. Aujourd'hui, nos efforts tiennent aussi compte de ces personnes.
De plus, il convient de signaler que les gens ont de bonnes raisons pour quitter les collectivités des Premières nations — ce n'est pas seulement qu'ils ne veulent rien savoir de leur patelin. Ils doivent bien souvent partir pour aller étudier à l'université, pour se trouver de l'emploi ou pour avoir un endroit où se loger. D'autres choisissent de partir en raison des piètres conditions sociales et sanitaires qui règnent dans leur collectivité. Dans un cas comme dans l'autre, c'est encore là le résultat des politiques destructrices d'hier. Le gouvernement doit travailler avec nous pour améliorer les conditions sociales et sanitaires de nos collectivités. La santé de nos citoyens est à l'image de celle de nos collectivités.
À l'APN, nous croyons d'une part que nous devons renforcer nos collectivités pour que ceux qui souhaitent y rester puissent avoir droit à une meilleure qualité de vie. Toutefois, nous voulons également voir à ce que nos citoyens qui partent puissent entretenir un lien avec leur collectivité et avoir droit aux mêmes programmes et services que ceux qui vivent dans la réserve.
Je fais référence à toutes ces questions comme de grandes préoccupations pour tous les citoyens des Premières nations, et il se peut que nos jeunes ne soient pas tous d'accord. J'ai cinq enfants, alors je sais de quoi je parle. Les jeunes ont des problèmes particuliers, par exemple, l'accès à l'éducation, la santé et le logement. Ces questions de nécessité sont leurs principales difficultés et ils vous en parleront plus tard. Ces préoccupations les habitent qu'ils vivent «dans la réserve» ou à l'extérieur.
J'aimerais que vous, les membres du comité, compreniez que leur réalité quotidienne est aujourd'hui leur priorité. Les dirigeants des Premières nations, le gouvernement du Canada et la population canadienne doivent reconnaître leurs besoins et s'y attaquer de sorte qu'ils fassent plus que survivre au jour le jour. Nous devons travailler avec eux pour rectifier cette situation et leur donner l'espoir d'un lendemain meilleur. C'est la raison pour laquelle je suis heureux d'avoir l'occasion de m'adresser aux membres du comité qui prennent le temps de considérer les possibilités qui s'offrent d'adopter un plan d'action visant à élaborer une stratégie nationale de la jeunesse.
Au fil des ans, par contre, le gouvernement a semé la division parmi nos peuples à coups de lois. Non seulement il refuse de prendre la responsabilité de nos citoyens qui doivent quitter leur collectivité, comme le veulent ses obligations, mais il ne veut pas fournir à nos gouvernements les ressources et les programmes dont ils ont besoin pour offrir des services à nos citoyens vivant hors réserve.
Nous travaillons à corriger ce qui, à nos yeux constitue une situation injuste. En fait, je ne serai pas surpris si quelques-uns de nos citoyens intentaient des poursuites fondées sur l'arrêt Corbiere afin d'éliminer la division entre les gens qui vivent «à l'intérieur» des réserves et ceux qui sont établis «à l'extérieur». Mais nous avons aussi l'esprit pratique. Nous cherchons des moyens d'aller de l'avant dès maintenant dans ce dossier.
Au printemps 1999, l'APN a formé un groupe de travail qui s'est rendu dans tous les grands centres urbains du Canada pour rencontrer nos citoyens et déterminer ce qu'ils attendaient de nous et de leurs dirigeants. Ils ont été nombreux à dire qu'ils s'attendaient à ce que nous mettions les mêmes programmes et services offerts aux citoyens des réserves à la portée de ceux qui vivent à l'extérieur des réserves. Je pense que vous avez entre les mains un exemplaire du rapport du groupe de travail sur les questions urbaines intitulé «Aidez-nous à nous en sortir».
Le groupe de travail a rencontré des jeunes, des aînés, des hommes et des femmes des Premières nations. Leurs commentaires et leurs attentes sont vivement exprimés dans le rapport que nous vous avons apporté. Nous vous incitons à le lire et à poursuivre votre important travail en parlant à nos citoyens aux quatre coins du pays afin de déterminer comment vous pouvez mieux apporter aux jeunes des Premières nations l'aide dont ils ont tant besoin.
L'APN travaille également avec l'Association nationale des centres d'amitié pour déterminer comment nous pourrions collaborer sur des dossiers ayant trait à nos citoyens qui vivent hors de leur collectivité. Voilà qui est particulièrement important, puisque les besoins de ces personnes — et les jeunes forment un large pourcentage de ce groupe — ne sont pas tous couverts par les structures actuelles. Nous espérons pouvoir travailler ensemble pour convaincre les gouvernements que de pressants besoins sont ignorés au détriment de la vie et du mieux-être de nos citoyens.
Permettez-moi de vous résumer la création du Conseil national des jeunes. Le Conseil a été mis sur pied à la suite de la deuxième conférence nationale des jeunes, qui se tenait en mars 1999, à Ottawa. Lors de cette rencontre, les jeunes ont adopté deux résolutions. L'une d'elle appelait les chefs et les dirigeants à se faire accompagner de jeunes aux rencontres nationales comme les conférences et les assemblées. La deuxième résolution annonçait la création d'un comité directeur des jeunes qui cernerait la façon dont les jeunes souhaitent participer aux activités de l'APN. Le Comité directeur des jeunes s'est rencontré à l'AGA de l'APN, en juillet 1999, et a présenté une résolution reconnaissant le Comité directeur des jeunes et appuyant sa participation à l'APN. Les jeunes se sont réunis à nouveau en décembre 1999, et ils ont décidé de renommer le Comité directeur des jeunes pour en faire le Conseil national des jeunes.
Parmi ses objectifs, le Conseil national des jeunes voulait se faire reconnaître et inclure dans la charte de l'APN. À l'Assemblée générale annuelle de juillet 2001, le Conseil atteignait cet objectif grâce à une résolution. Le Conseil national des jeunes compte maintenant parmi les principales composantes de l'APN, et sa composition, son rôle et sa fonction sont décrits dans la charte.
Pour chacune des 10 régions administratives de l'APN, le Conseil national des jeunes compte deux représentants (un homme et une femme) qui sont nommés par leur chef régional respectif. Les membres du conseil ont entre 16 et 29 ans. Cela exclut la majorité d'entre nous. À la rencontre de décembre 2001 du Conseil national des jeunes, on a décidé que chaque représentant s'attarderait aux mêmes dossiers que son chef régional. Cela permettrait à chaque membre de travailler directement avec son chef régional et de se tenir au fait des dossiers.
L'APN a travaillé avec les jeunes dirigeants pour créer le Conseil national des jeunes, puisque tous ont convenu que notre travail devait tenir compte de leur point de vue. La réédification de nos nations constitue une tâche excitante qui exige l'engagement de tous nos peuples ainsi que leurs plus valeureux efforts. Et nous savons que nous avons besoin de gens pour poursuivre ce travail.
Il est particulièrement important, pour les Premières nations, de s'inspirer de l'expertise et des connaissances de nos jeunes. En fait, c'est important pour tout le pays. Plus de la moitié de la population des Premières nations a moins de 25 ans. Le reste du Canada prend de l'âge et se retire de la population active, et les bébés issus de notre explosion démographique arrivent à l'âge adulte. Il s'agit d'une ressource dynamique. D'une certaine façon, c'est une ressource non exploitée dans laquelle les entreprises et le secteur privé commencent à voir les dirigeants de demain. Le gouvernement doit emboîter le pas au secteur privé et tendre la main à ces jeunes. Ces jeunes veulent une éducation et des compétences; ils veulent communiquer avec leurs aînés et apprendre les enseignements traditionnels de façon à tracer leur avenir.
J'aimerais maintenant céder la parole aux représentants de notre Conseil national des jeunes. Ginger Gosnell, de la nation nisga'a, parlera en premier et Terry Young, de la nation malécite, prendra la relève.
Mme Ginger Gosnell, représentante des jeunes, Assemblée des premières nations: Honorables sénateurs, j'aimerais tout d'abord vous lire un extrait de Peace, Power, Righteousness: An Indigenous Manifesto de Taiaiake Alfred.
Prendre au sérieux les traditions autochtones signifie avoir une vision de l'avenir; or, la situation dans laquelle se trouvent les jeunes Autochtones reflète fidèlement l'état général de nos collectivités. Les Autochtones [...] les jeunes sont des êtres humains et, en tant que groupe, ils comptent des besoins et des désirs, de bonnes et de mauvaises caractéristiques, et un mode de pensée collectif qui aura tôt fait de définir la scène politique et sociale des collectivités autochtones [trad].
Dans bon nombre des présentations qui vous ont été faites, vous avez eu droit à des statistiques qui soulignaient la situation déplorable des Autochtones et des Premières nations de tout le pays. Je suis curieuse de connaître la source de ces données. Je vous dis cela, puisque, récemment, j'ai entrepris avec un autre jeune une recherche sur tous les documents publiés depuis 1990 sur les comportements à risque des jeunes Autochtones du Canada. De ces ouvrages, nous avons également relevé les interventions et actions préventives réussies.
Nous avons découvert très peu de données canadiennes pertinentes sur des facteurs de risque élevé. En fait, la plupart des données canadiennes entourant les activités à risque chez les Autochtones avaient trait aux adultes et aux enfants, et non aux jeunes ou adolescents. Bien des données étaient de source américaine et font par conséquent référence à des jeunes qui ne vivent même pas ici. Par ailleurs — et c'est très inquiétant — on cite encore de vieux ouvrages qui remontent aussi loin que les années 60, et sont de toute évidence dépassés. Ces vieilles données sont encore citées aujourd'hui pour illustrer les problèmes et les situations que vivent les jeunes aujourd'hui. On note aussi que quantité de renseignements sont biaisés et orientés afin de vous inciter à croire à quelque chose qui n'a rien à voir avec la réalité.
Je crois que cela reflète clairement l'un des problèmes auquel vous vous butez en tant que comité — et avec lequel nous devons composer en tant que jeunes des Premières nations. Il existe très peu de recherches pertinentes portant particulièrement sur les jeunes et les adolescents. Mais ce qui m'inquiète encore plus, c'est le nombre limité de programmes pour jeunes conçus et exécutés par les jeunes des Premières nations. Je crois personnellement que c'est la plus importante faille de nombreux programmes actuellement axés sur les jeunes. Plusieurs programmes sont conçus à partir de modèles orientés vers les adultes; or, l'échec peut être d'autant plus grand quand on prend un programme taillé pour des adultes et qu'on s'attend à ce qu'il fonctionne de la même manière pour les jeunes.
Je sais que le comité cherche à élaborer un plan de changement pour les jeunes Autochtones du Canada, particulièrement dans les centres urbains. Je vous présente une solution en laquelle je crois fermement, comme bien d'autres «spécialistes» des questions relatives aux jeunes Autochtones. Dans la documentation que nous avons consultée, nous avons trouvé cette solution répétée à plusieurs reprises. Bien des problèmes et des obstacles doivent être éliminés. Pour cela, il faut chercher une solution qui part de la base — un point de départ qui profitera à chacun.
Nous recommandons un inventaire national de tous les projets et programmes pour jeunes Autochtones qui existent, car on n'a aucune idée de ce qui se fait actuellement. Nous ne savons pas si nous sommes à réinventer la roue lorsqu'il est question de projets et de programmes dont les jeunes Autochtones ont besoin. La majorité de ces programmes finissent par tomber à l'eau — mais qui en tire des leçons? Aucun organisme pour jeunes Autochtones n'est là pour permettre à d'autres d'apprendre ou de s'informer. Mais si nous savons ce qui existe — si des programmes fonctionnent ou échouent, s'ils sont conçus pour des jeunes ou des adultes, à qui ils s'adressent (les gens des réserves, des villes, des milieux scolaires ou autres), et depuis combien de temps ils existent.
Nous pouvons apprendre tellement les uns des autres en divulguant et en partageant ce genre d'information. En soulevant ce qui fait défaut, nous serions mieux outillés pour cerner ce dont nous avons besoin, ou ce qui contribue au succès ou à l'échec d'un programme. Ces renseignements constituent un point de départ. Cela n'a pas été fait jusqu'ici. Personne ne peut dire ce qu'il manque vraiment, puisque nous n'avons encore aucun point de repère. Certains pourraient dire qu'un financement accru des programmes serait peut-être utile, et je suis entièrement d'accord, mais il faut d'abord faire autre chose pour que cette mesure réussisse. Une base de données sur les programmes éviterait que l'on gaspille davantage de temps précieux à réinventer une roue cabossée. Grâce à ces renseignements, les programmes pour jeunes Autochtones ne peuvent que s'améliorer et prendre de l'ampleur.
Nous voyons tous le besoin de disposer de programmes qui fonctionnent. Chaque jeune est une ressource qui n'attend qu'à se trouver un but. Alors nous devrions tous essayer très fort d'accéder à ces ressources dans un esprit positif. Sans quoi, nous aurons peut-être entaché notre histoire et notre destinée.
M. Terry Young, représentant des jeunes, Assemblée des premières nations: J'aimerais maintenant faire des commentaires sur la Stratégie nationale pour la jeunesse autochtone. Cette stratégie établit un cadre pour combler les besoins des jeunes Autochtones en matière de santé, d'emploi, de formation, d'éducation et de développement social, et ce en cernant une série d'objectifs et d'approches proposés. Même si la stratégie parvient assez bien à déterminer les buts et les approches suggérés, la possibilité de l'appliquer à toutes les compétences semble assez improbable. Une de nos préoccupations est que sans entente globale pour modifier la façon dont les programmes pour jeunes sont conçus et offerts, et dont les politiques sur les jeunes sont élaborées sur les scènes fédérale, provinciale et territoriale, nous nous retrouverons une fois de plus avec des programmes qui satisfont aux besoins du gouvernement, mais non à ceux des jeunes Autochtones et des Premières nations.
Comme vous le savez, l'APN n'est pas un organisme axé sur l'offre de programmes. Elle est un groupe de pressions politiques qui cherche à faire en sorte que nos droits ancestraux et issus de traités soient respectés et protégés partout au pays. Nous ne sommes donc pas en mesure de relever des réussites retentissantes ou des pratiques exemplaires, comme l'a demandé le comité.
Je crois que vous, les membres du comité, êtes mieux placés pour voyager dans tout le pays, visiter nos collectivités et rencontrer nos jeunes des régions urbaines afin d'entendre ce qu'ils ont à dire. Travaillez avec les jeunes et vous apprendrez de première source ce que sont leurs besoins. Vous serez donc en mesure de présenter leurs recommandations au gouvernement. Vous avez un important rôle à jouer dans ce débat. Nous vous pressons de vous en acquitter au mieux de vos connaissances.
Honorables sénateurs, dans le cadre de l'élaboration de votre plan de changement, nous croyons que le plus important changement que vous pouvez et devriez recommander serait la participation des jeunes à toutes les facettes de la conception et de l'offre des programmes. Nous croyons que les projets qui connaissent actuellement du succès comptent sur la participation des jeunes du début à la fin.
En outre, pour assurer le succès, les jeunes doivent accéder à des ressources, par exemple du financement à plus long terme, un appui constant de la part des adultes, le renforcement des capacités, et l'accès au savoir traditionnel.
La plupart du temps, les programmes pour jeunes ne reçoivent qu'un financement minimal à court terme et ne permettent pas aux jeunes de se concentrer sur des domaines très à risque comme le VIH/sida, l'abus de substances, la violence, l'itinérance et l'exploitation sexuelle. Des fonds doivent être alloués aux programmes de sensibilisation et de prévention ayant trait à ces questions.
Enfin, la réforme scolaire est cruciale pour les jeunes Autochtones et des Premières nations vivant en milieu urbain, de sorte qu'ils puissent atteindre la meilleure qualité de vie possible.
M. Coon Come: Pour conclure, j'aimerais transmettre nos recommandations au Comité sénatorial permanent des peuples autochtones.
Premièrement, à mesure que le comité permanent recueille de l'information sur les pratiques exemplaires et les réussites retentissantes, il devrait les intégrer dans une base de données que pourraient consulter tous ceux qui s'y intéressent. Il existe très peu d'information sur les programmes offerts aux jeunes qui fonctionnent bien, et on comblerait un besoin en aidant les collectivités urbaines à concevoir des programmes.
La base de données ne devrait pas contenir que des renseignements sur des programmes, mais aussi suffisamment de détails pour informer un fournisseur de services intéressé de la façon de concevoir un programme similaire. Je ne crois pas en une formule unique de programme. Au contraire, ces programmes doivent pouvoir s'adapter aux circonstances et aux besoins particuliers. Mais je suis sûr que des modèles seraient très utiles.
La collecte de ces données marquera également un point de départ pour le comité permanent, puisqu'elle le dotera de renseignements sur la façon de procéder. Le comité obtiendrait des réponses à des questions comme: Les programmes actuels qui connaissent du succès comptent-ils sur un financement stable et permanent? Quels autres genres de programmes sont nécessaires? Comment peut-on améliorer ce qui fonctionne déjà bien? Les réponses à ces questions aideraient le comité permanent à élaborer un plan de changement.
Deuxièmement, comme le recommandait le rapport du groupe de travail de l'APN sur les questions urbaines, les jeunes des Premières nations devraient concevoir et offrir leurs propres programmes. Ils sont les mieux placés pour rendre ces programmes pertinents, durables et adaptés à leur culture. Les programmes à l'intention des jeunes doivent être assortis d'un financement à long terme.
Troisièmement, le comité permanent doit parcourir le pays pour visiter à la fois les petites et les grandes villes afin de parler directement aux jeunes Autochtones et des Premières nations, de sorte qu'ils puissent informer de vive voix le comité sur ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas.
Nous vous remercions d'avoir pris la peine de nous écouter, et nous sommes prêts à ouvrir le dialogue.
La présidente: Je vous remercie tous les trois pour cet exposé éclairant, intéressant et instructif. Vous avez très bien exprimé ce que j'entends dire depuis plusieurs années par notre jeunesse.
Le sénateur Gill: Je suis heureux de vous voir ici, monsieur Coon Come. Je ne connais pas les jeunes gens qui vous accompagnent, mais j'imagine que vous devez collaborer très étroitement.
L'une de vos recommandations, monsieur Coon Come, est qu'un programme devrait être élaboré par les jeunes eux- mêmes afin de répondre aux besoins d'une région et des gens qui y vivent. Mais qu'en est-il de la collecte de données? Vous ne dites pas que vous devriez le faire vous-même, mais que cette collecte devrait être effectuée par le comité. En fait, la collecte de renseignements pourrait être effectuée par n'importe qui. Est-ce que je me trompe? J'ai été surpris de vous entendre dire cela.
M. Coon Come: Nous serions ravis de recueillir nous-mêmes ces données, si nous avions de l'argent. Le comité possède les ressources financières et humaines nécessaires. Mais à l'Assemblée des Premières nations, nous n'avons pas les ressources. Si nous les avions, nous serions trop heureux d'entreprendre ce projet ambitieux qui consiste à recueillir toutes ces données et de collaborer étroitement avec le comité sénatorial.
Le sénateur Gill: Pour moi, voilà du nouveau. Peut-être que je me fais vieux, et que c'est la raison pour laquelle je n'ai pas changé ma façon de penser. Je suis très surpris de vous entendre dire que vous ne pouvez pas le faire. Vous arrivez ici et vous dites: «Si nous avions l'argent, nous aimerions le faire.»
Vous devriez dire dans votre recommandation que l'on doit vous fournir les outils nécessaires parce que c'est vous qui devriez le faire. Vous devriez recommander que ce soit vous et personne d'autre qui devriez recueillir ces données, parce que vous voulez obtenir quelque chose qui réponde aux besoins de votre peuple. Personne n'est mieux placé que vous pour le faire.
M. Coon Come: Les jeunes insistent, c'est pour eux une priorité, ils veulent élaborer ce programme eux-mêmes. Ils veulent participer du début à la fin.
Même si les données ont déjà été recueillies, il reste que l'avenir de nos jeunes est en jeu. Évidemment, ce serait bien que l'on mette en place un processus parallèle pour recueillir ces données. C'est le travail du comité. Par ailleurs, les jeunes travaillent d'ores et déjà à l'élaboration des programmes destinés à venir à bout des problèmes qu'ils éprouvent au jour le jour et avec lesquels ils doivent vivre. Nous devrions mettre en place un processus parallèle.
Le sénateur Pearson: J'aimerais que vous m'en disiez un peu plus au sujet du Conseil national des jeunes et que vous m'expliquiez comment il fonctionne. Il est relativement nouveau, puisqu'il n'a été mis sur pied qu'en 1999. Pourriez- vous me parler un peu de l'expérience que vous avez vécue? Vous êtes tous les deux membres de ce conseil. Est-ce que vous êtes dans votre deuxième ou dans votre troisième année?
M. Young: Je suis membre du conseil depuis décembre 1999. Je pense que le conseil avait tenu sa première réunion un peu plus tôt au cours de la même année. J'ai participé à la deuxième réunion. Et je fais partie du conseil depuis lors.
Le sénateur Pearson: Comment en êtes-vous arrivé là?
M. Young: Les chefs régionaux, avec l'Assemblée des premières nations, nomment deux jeunes représentants dans chaque région. Il existe au Manitoba un forum où les jeunes peuvent voter pour élire les membres du Conseil national des jeunes de l'APN. Dans les autres régions, les membres sont nommés par nos chefs régionaux.
C'est difficile parfois parce que certains sont incapables de se rendre aux réunions, alors il faut en nommer d'autres. J'ai rencontré Mme Gosnell il y a environ un an lorsqu'elle a été nommée au conseil.
Mme Gosnell: C'était en septembre. Je ne pense pas que M. Young l'ait mentionné, mais le conseil est formé de jeunes qui sont issus de toutes les régions du Canada. À l'heure actuelle, le conseil compte 20 membres.
Le sénateur Pearson: À quelle fréquence vous réunissez-vous?
M. Young: Tout dépend de la situation. Parfois, l'Assemblée des premières nations nous convoque à une confédération ou à une assemblée générale annuelle. La plupart du temps, nous tenons des réunions de collaboration. Nous nous réunissons avez les aînés durant deux jours, puis avec le conseil des jeunes durant deux autres journées. Ces réunions peuvent avoir lieu une fois ou même deux fois par année.
Nous avons créé une page Web afin de pouvoir rester en communication. Tous les membres du conseil des jeunes peuvent y afficher tous les renseignements qu'ils veulent. Par exemple, plus tard, nous y afficherons ce que nous avons fait aujourd'hui et ce que nous vous avons présenté afin que le reste du conseil puisse en prendre connaissance.
Mme Gosnell: Le conseil des jeunes n'a aucun budget, c'est un obstacle de taille qui nous empêche de nous réunir pour trouver des solutions que nous pourrions suggérer à l'APN afin de l'aider à trouver des moyens pour favoriser notre programme et nous aider à atteindre notre objectif.
Le sénateur Pearson: Voilà un point important.
Mme Gosnell: C'est très décourageant.
Le sénateur Pearson: Oui, c'est décourageant. L'Ontario a exigé que chaque conseil scolaire crée au moins un conseil des jeunes. Ces conseils se réunissent maintenant depuis deux ou trois ans. Les conseils scolaires sont mandatés pour leur fournir les fonds nécessaires afin qu'ils puissent se réunir une fois par année au sein d'un conseil où ils se retrouvent entre eux. Ils peuvent inviter qui ils veulent. Ce sont eux d'ailleurs qui organisent ces réunions. Les membres du conseil des jeunes sont les seuls à participer à cette réunion. On assiste déjà, depuis deux ou trois ans, à ces réunions de jeunes qui proviennent de divers milieux — francophones, anglophones, catholiques ou peu importe. Ils se réunissent pour discuter de problèmes communs et ils font des recommandations qu'ils soumettent ensuite aux conseils scolaires.
Je trouve réconfortant que votre conseil des jeunes existe. Je serais très favorable à ce que vous receviez un financement de base qui vous permettrait de communiquer plus souvent, de prendre des résolutions sur certains sujets et d'exercer une certaine influence sur les programmes. J'espère bien avoir l'occasion d'entendre parler de ce que vous faites. Nous travaillons à l'élaboration d'une liste de tout ce qui se passe au sein des jeunes, et nous serons très heureux de vous la communiquer. Bonne chance dans vos projets.
La présidente: Pour compléter la question du sénateur Pearson, dans les centres urbains, on retrouve de jeunes Métis, des Inuits et des Indiens visés par le projet de loi C-31. Est-ce que vous avez des relations avec les membres de ces groupes? Est-ce que vous vous réunissez ensemble en tant que jeunes? Je sais que les Métis ont un conseil des jeunes. Ils ont les mêmes problèmes que vous, avec le financement, et ainsi de suite. Est-ce que vous dialoguez avec eux? Collaborez-vous ensemble?
Je constate que les jeunes des centres urbains proviennent des réserves et également des établissements Métis. Il y a aussi ceux qui y vivent depuis trois, quatre ou même cinq générations, ceux-là ont perdu leur identité. Est-ce que vous faites quelque chose dans ce domaine pour amorcer un dialogue?
M. Young: La Stratégie nationale pour la jeunesse autochtone a tenu une réunion à Edmonton. Les conseils des jeunes des Métis, des Inuits et de l'APN y étaient présents. Les femmes autochtones, le Congrès des peuples autochtones, ou CPA, y avait aussi des représentants. Nous avons participé à des ateliers tous ensemble. Le dialogue s'est établi et il y a eu un échange de communications.
Dans la région de l'Atlantique, d'où je viens, il n'y a pas de population métisse dans les centres urbains, en tant que telle, mais j'entretiens des liens de communication avec des gens des Premières nations ou des Inuits régulièrement. Pour ce qui est des autres régions, je ne suis pas au courant. Je sais par contre que la Stratégie nationale pour la jeunesse autochtone favorise les échanges d'idées et la communication afin d'ouvrir le dialogue et que l'on puisse échanger sur les moyens que nous pourrions utiliser pour aller de l'avant.
Mme Gosnell: En Colombie-Britannique, et plus particulièrement à Vancouver, nous essayons de ne pas mettre de l'avant ce qui nous différencie — «je suis une Nisga'a, tu es un Métis, vous vivez dans un centre urbain; ou alors tu es un Cri et tu n'es pas d'ici». Nous faisons en sorte de ne pas faire ressortir ce qui nous distingue. Nous avons de bonnes relations les uns avec les autres à Vancouver.
En Colombie-Britannique, nous nous efforçons aussi de collaborer avec toutes les organisations et tous les membres des conseils nationaux de jeunes de la province à l'élaboration d'une stratégie pour l'ensemble des jeunes Autochtones. Nous n'avons commencé notre travail qu'il y a quelques mois. Nous n'en sommes vraiment qu'à nos tout premiers pas. Cependant, pour ce qui est de collaborer avec les autres nations, les autres groupes autochtones, nous nous en tirons très bien à Vancouver. Nous refusons vraiment tout ce qui nous sépare.
La présidente: Le comité va se déplacer. Nous n'avons pas un budget énorme, mais nous avons l'intention de visiter quelques centres, et Vancouver en fait partie.
Avez-vous des noms de personnes à suggérer que nous pourrions inviter à venir témoigner devant le comité lorsque nous serons dans votre région? Par ailleurs, auriez-vous des recommandations à faire que nous pourrions mettre dans notre rapport concernant le problème de la séparation entre les nations dans les centres urbains?
Mme Gosnell: Il est difficile d'adopter une approche généralisée sur cette question. Chaque région est différente. Comme le disait M. Young tout à l'heure, on essaie autant que possible de ne pas faire trop de distinction entre les Autochtones ou la population. À Vancouver, nous sommes complètement différents.
Je vous recommanderais d'inviter la Urban Native Youth Association à Vancouver ou encore le Vancouver Aboriginal Council, qui a un programme pour la jeunesse dont les membres se réunissent chaque mois et qui rassemble toutes les organisations et toutes les personnes intéressées pour qu'elles viennent discuter des projets en cours, des projets futurs de financement et de diverses autres questions.
La présidente: Nous avons fait passablement de remue-méninges avec les autres membres du comité. Nous ne voulons pas publier un rapport qui fera état uniquement de nos recommandations à nous. Nous voulons entendre ce que vous avez à dire, vos propres recommandations. Nous voulons que vous nous guidiez sur le contenu de ce rapport. Je pense que c'est très important.
M. Coon Come: À mon avis, il serait important de clarifier le pourcentage de personnes dont nous parlons. D'après les renseignements dont dispose l'APN, 46 p. 100 de la population des 636 Premières nations vivrait à l'extérieur des réserves, ce qui signifie que ces gens vivent dans de petites villes ou dans des centres urbains. Mais de ce chiffre, quel est le pourcentage exact? Je pense que vous avez entendu les membres du Congrès des peuples autochtones parler de 70 p. 100, mais nous contestons ce chiffre.
Selon moi, il est plus important de définir exactement le groupe cible chez les jeunes au sein de cette population. Si nous arrivons à préciser ce nombre, alors nous aurons notre groupe cible.
Aussi, lorsque vous vous rendrez dans les collectivités, j'espère que vous n'oublierez pas d'aller visiter ces endroits dans le Nord qui sont devenus de véritables plaques tournantes pour les Premières nations de tout le pays et qui ont les mêmes problèmes que les grands centres urbains, qu'il s'agisse de Winnipeg, de Saskatoon, de Montréal ou même de Vancouver. Il y a beaucoup de membres des Premières nations dans des villes moyennes comme Val d'Or, Timmins ou Prince Albert. Il est probable qu'une personne sur cinq qui erre dans les rues est un membre des Premières nations.
La Fondation pour la guérison des Autochtones est un organisme qui a travaillé en étroite collaboration avec bon nombre des Premières nations afin d'aider à soulager la douleur et le chagrin réel de notre peuple — VIH, abus de substances, violence, itinérance. Cette fondation possède une excellente base de données. Elle dispose également d'une liste d'organismes avec lesquels elle fait affaire comme les conseils autochtones, les centres d'amitié et tous les organismes sociaux qui travaillent pour les Premières nations et qui sont bien au fait de ces problèmes. Ce sont des groupes que vous pourriez inviter à venir témoigner devant le comité.
Le sénateur Christensen: Vous avez souligné bon nombre des problèmes que nous connaissons déjà et, bien entendu, avec lesquels vous devez vivre au jour le jour. Nous en revenons toujours, qu'il s'agisse des problèmes ou des autres enjeux qui touchent les Autochtones, à la question du financement des programmes et du développement. Il me semble que la première chose que nous devrions faire serait de trouver le moyen d'augmenter ces sources de financement. Mais dans bien des cas, ce n'est pas ce qui se produit.
Lorsque je parle à des gens qui travaillent avec la base, il me semble qu'il y a passablement d'argent injecté dans les programmes-cadres, mais que cet argent arrive difficilement à la base. Je pense que le financement se perd quelque part dans les méandres de la bureaucratie des Premières nations ainsi que des administrations fédérale et provinciale. Notre comité devrait se pencher sur ce problème et s'efforcer de maximiser l'utilisation des crédits, parce qu'il y a des sommes importantes en cause. Comment pourrions-nous faire en sorte de maximiser cet argent?
Je pense que l'Assemblée des Premières nations a produit un rapport rédigé par un groupe de travail sur les questions urbaines. L'une des recommandations de ce rapport était que l'on devrait mettre sur pied un secrétariat aux questions urbaines. Est-ce que cela a été fait?
M. Coon Come: Je vais demander à quelqu'un ayant travaillé à la rédaction de ce rapport de répondre à votre question.
M. Jean Larose, directeur des communications, Assemblée des premières nations: J'ai contribué à la création de ce groupe de travail et j'ai participé à l'organisation de ces réunions dans tout le Canada en 1999.
Après le dépôt du rapport qui a été adopté lors de notre Assemblée générale annuelle en 1999, nous avons demandé au gouvernement fédéral de nous fournir du financement afin de mettre ce secrétariat sur pied et d'aller de l'avant avec diverses recommandations, dont l'établissement de meilleurs canaux de communication avec nos citoyens qui vivent à l'extérieur des réserves et la tenue d'une enquête en bonne et due forme afin de déterminer le nombre de nos citoyens qui vivent à l'extérieur des réserves. Selon que c'est Statistique Canada, AINC ou une autre source qui nous les fournit, ces données sont discordantes. Les chiffres varient selon la source. C'est difficile pour nous de déterminer exactement qui est notre clientèle, qui nous représentons et où ces gens vivent parce que nous n'avons pas accès à ces renseignements.
Malheureusement, on nous a refusé le financement. Pour le moment, en tant qu'organisation, nous avons essayé d'offrir certains services et de l'aide, que ce soit par l'entremise de nos bureaux régionaux ou en collaborant avec des organismes comme les centres d'amitié que nous essayons d'aider du mieux que nous le pouvons. Cependant, il n'y a toujours pas de structure en place au sein de notre organisation, et à notre avis c'est absolument essentiel, pour pouvoir venir en aide à nos citoyens.
Si vous lisez le rapport du groupe de travail, vous verrez que nos citoyens affirment massivement qu'un seul organisme représente les Premières nations, peu importe si les gens vivent dans les réserves ou à l'extérieur des réserves, et cet organisme est l'APN. Les gens disent: «Personne d'autre ne peut jouer le rôle qui vous est dévolu, et personne ne peut mieux nous représenter que vous.» C'est ce que nous essayons de faire depuis le début.
Le sénateur Christensen: Monsieur Coon Come, je suis d'accord avec vous qu'un membre d'une Première nation ou un Indien conserve son statut d'Indien peu importe s'il vit ou non dans une réserve. Il ne change pas subitement pour devenir quelqu'un d'autre tout comme lorsque nous voyageons à l'étranger, nous ne changeons pas d'identité. Avez- vous des suggestions à faire pour corriger ce problème?
Naturellement, les bandes qui vivent dans des réserves et qui ont leur propre territoire disposent de certains accords, mais ces bandes éprouvent de sérieuses difficultés à répondre aux besoins de la population qui vit dans la collectivité. Étant donné que le territoire est limité, au fur et à mesure que la collectivité grandit, certains doivent la quitter parce qu'il n'y a plus aucune possibilité pour eux. Auriez-vous des suggestions à faire sur la façon de venir en aide à ces gens? Ils sont toujours membres de la bande ou de la collectivité, mais ils ont tout simplement déménagé ailleurs. Comment peuvent-ils bénéficier des services de la collectivité qu'ils ont quittée?
M. Coon Come: Nous abordons la question de l'avenir à long terme ainsi que des moyens que nous pourrions prendre pour répondre aux besoins et comment nos dirigeants essaient d'offrir des programmes à nos membres et à nos citoyens qui ne vivent pas dans notre région.
Pour le moment, je suis d'accord avec vous lorsque vous mentionnez que nous devrions procéder à une réaffectation des fonds et que nous devrions nous efforcer de centraliser et de maximiser le rendement de ce financement. Toutefois, il faut aller au-delà.
À long terme, les membres des Premières nations s'efforceront de mettre en valeur leur potentiel. Nous examinons les recommandations de la Commission royale sur les peuples autochtones, en particulier les recommandations qui parlaient de la redistribution des terres et des ressources. Je pense que c'est au moyen de cette redistribution que nous pourrons générer de nouveaux revenus.
Le gouvernement veut maintenant adopter une loi appelée Initiative relative à la gouvernance des Premières nations. Si le gouvernement tient absolument à adopter une loi, il devrait adopter celle qui avait été recommandée par la Commission royale sur les peuples autochtones afin de mettre en oeuvre les traités. Le gouvernement fédéral pourrait ainsi obtenir un mandat. Ensuite, nous pourrions parler des coutumes et des traditions et de la manière dont nous pourrions partager la richesse dans ce pays.
Au Canada, 80 p. 100 de nos réserves dépendent jusqu'à un certain point des ressources naturelles pour vivre. S'il y avait un changement d'attitude qui nous permettrait de partager ces richesses, nous pourrions générer des revenus. Pour le moment, les fonds que nous obtenons ne servent qu'à administrer notre propre pauvreté. Notre population grandit, mais pas nos budgets. Au contraire, ils vont en diminuant. Comment pouvons-nous offrir des services à notre population? Je parle de ceux et celles qui vivent dans la collectivité, sans parler des gens qui vivent à l'extérieur des réserves.
Naturellement, il y a des problèmes de compétence. Ces problèmes de compétence peuvent être résolus. Nous nous efforçons de soulever cette question. Nous avons réussi à le faire lors de conférences avec des représentants de l'administration fédérale, provinciale, territoriale et des Autochtones avec lesquelles nous nous réunissons trois ou quatre fois par année. La Stratégie pour la jeunesse est à l'ordre du jour. Nous voulons aborder toute la question de la compétence provinciale.
Nos jeunes, qu'ils soient Métis, qu'ils vivent à l'extérieur des réserves ou encore qu'ils fassent partie des Indiens visés par les traités, sont néanmoins des personnes. Ce sont des personnes humaines. Comme l'a souligné Ginger Gosnell en citant un écrit de Taiaiake, nous devons donner aux jeunes le choix et leur permettre de prendre leurs propres décisions. Je sais que c'est difficile.
J'aimerais vous parler de l'exposé qu'a présenté un jeune homme qui s'appelle Mike. Il y a quelques semaines de cela, il a fait une présentation très remarquée devant la Federation of Saskatchewan Indian Nations. J'ai pris la parole tout de suite après lui. Ce jeune homme a grandi dans la rue. Il a parlé des problèmes que doivent affronter les jeunes. Certaines de ses interventions étaient très imagées. Il a dit aux membres de la direction: «Ne nous oubliez pas.» Il nous a mis au défi de régler les problèmes que nous devons affronter. La plupart d'entre nous connaissent bien ces problèmes. Si une jeune fille vit de la prostitution et si elle gagne 1 000 $ par jour, il est difficile de la convaincre de cesser de se prostituer et de s'intégrer à un programme. Nous devons lui dire qu'il lui faudra un mois de travail pour faire autant d'argent que ce qu'elle gagne dans la rue. Les jeunes qui vendent de la drogue et les membres de certains gangs en retirent un certain prestige, de la reconnaissance et de la confiance en eux-mêmes, et cela rend les choses très difficiles pour nous. Ce jeune nous a mis les points sur les i et nous a brossé un portrait très réaliste des problèmes.
J'ai dit aux membres de mon personnel que j'essaierais d'obtenir une copie de son exposé. J'aimerais que le Sénat en prenne connaissance. C'était l'une des meilleures présentations. Elle parlait vraiment des gens de la base, de ceux qui sont dans la rue et ce jeune homme nous a décrit ce qu'il voyait chez la jeunesse et ce qu'il aimerait voir et les problèmes que les jeunes doivent affronter. J'ai été stupéfait. Il apportait même des solutions très différentes de celles que je pourrais faire et même des vôtres. Il m'a vraiment impressionné.
Honorables sénateurs, nous avons des défis à relever. Oui, nous pouvons parler de conflit de compétence lors des réunions que nous tenons à l'échelle fédérale, provinciale, territoriale et avec les Autochtones. Nous pouvons parler aussi des moyens que nous aimerions prendre pour nous attaquer à ces problèmes afin que personne ne soit laissé pour compte en raison de ces problèmes de compétence. Toutes ces discussions sont nécessaires, mais à mon avis en tant que Premières nations, nous sommes en mesure d'offrir ces services. Nous pouvons surmonter les obstacles, mais il nous faut dépasser l'étape actuelle de statu quo et penser aux divers moyens que nous pourrions prendre pour élargir le champ des compétences des Premières nations afin de générer des revenus externes qui nous permettraient d'offrir des services et des programmes. Si nous pouvions compter sur un financement externe, nous ne dépendrions pas de la charité du gouvernement. Nous pourrions alors favoriser certains des programmes dont ce jeune homme parlait dans son exposé.
Vous avez entendu les mots «culture» et «tradition». Chaque nation devrait avoir les moyens de mettre ces valeurs à la disposition de ses citoyens afin qu'ils sachent qui ils sont, qu'ils soient fiers d'eux-mêmes et qu'ils n'aient pas de problèmes d'identité.
Je constate qu'il faut qu'il y ait un virage radical dans ce pays et un changement d'attitude en ce qui concerne notre approche de la question des compétences ainsi que du financement et de l'élargissement des territoires accordés aux Premières nations. Comment pourrait-il y avoir une base économique lorsqu'une réserve ne mesure que trois quarts de milles de largeur? Comme me le confiait l'autre jour un chef de la Colombie-Britannique: «Avec un vent favorable, je peux cracher d'un bord à l'autre de ma réserve.» Voilà quelles sont les dimensions des réserves, et elles n'ont aucune valeur économique.
Le sénateur Christensen: Madame Gosnell, lorsque vous nous avez parlé des statistiques sur les jeunes qui vivent dans les centres urbains, vous sembliez sous-entendre que les problèmes qui leur sont attribués sont peut-être exagérés et que l'on utilise des statistiques qui proviennent d'un autre pays, en l'occurrence des États-Unis, mais également que nos statistiques datent un peu. D'après votre expérience, est-ce qu'elles vous semblent exagérées?
Mme Gosnell: Absolument. Lorsque j'ai parlé de renseignements exagérés, M. Young et moi-même avions eu une bonne discussion concernant un rapport que nous avions lu tous les deux concernant les jeux de hasard qui seraient soi- disant à l'origine de tous les problèmes des jeunes Autochtones. Je ne nommerai pas l'organisme qui a produit ce rapport, mais il décrit ces fameux jeux de hasard comme des jeux vidéo et même un jeu qui amuse beaucoup les petits enfants et que l'on appelle les capsules POG. Le rapport disait que les jeunes s'adonnent à ces jeux de hasard afin de fuir leurs problèmes personnels et que le jeu les incite à consommer des substances et à la violence. Ce n'est qu'un exemple de l'information biaisée et orientée que l'on peut trouver.
Pour ce qui est de définir les statistiques pour les centres urbains, je sais pour ma part, simplement à la suite de ma collaboration avec la Urban Native Youth Association, qu'il est difficile de déterminer le nombre exact de jeunes dans les centres urbains, particulièrement de ceux qui ont besoin d'une aide quelconque. On ne peut pas les suivre. Un jour, un jeune se présente pour demander de l'aide, par exemple, en ce qui concerne l'emploi, l'éducation ou le logement. Tout ce qu'on peut faire, c'est le diriger vers les organismes de services connus, mais on ne le reverra plus avant un an ou peut-être même deux. On ne sait pas ce qui lui arrive dans l'intervalle. Il y a beaucoup de jeunes qui n'ont aucune idée des services qui sont à leur disposition. C'est vraiment un défi que d'essayer de se débrouiller dans une ville lorsque vous venez d'arriver et que vous n'avez aucune idée de la façon dont les choses se passent.
Les jeunes qui vivent dans les centres urbains sont vraiment difficiles à suivre. Ceux que l'on peut rejoindre sont ceux qui s'efforcent chaque jour de faire entendre leur voix. Beaucoup de jeunes sont actifs dans les centres de tout le Canada, de nos jours et particulièrement à Vancouver. Nous nous voyons sans arrêt.
Pour ce qui est de la question que le sénateur a posée un peu plus tôt, et à laquelle on n'a pas encore répondu, en ce qui concerne les crédits qui sont disponibles pour les programmes destinés aux jeunes, eh bien il y a bien des fonds, mais ils ne sont pas prévus pour les utilisations qui nous intéressent. Il n'y a pas de fonds disponibles pour le renforcement des capacités, et pourtant c'est ce genre de crédits que les jeunes et les prestataires de services demandent.
Comment peut-on avoir accès au financement si on est incapable de rédiger une proposition décente ou de tracer un profil des collectivités et si l'organisme pour lequel on travaille a déjà atteint la limite de ses possibilités? Ces organismes sont un peu essoufflés parce qu'on leur demande déjà beaucoup en retour du financement qu'ils reçoivent. Il n'y a pas non plus de fonds disponibles pour régler des problèmes comme ceux du VIH et du sida. Il n'existe aucune statistique concernant les jeunes Autochtones atteints du VIH et du sida. C'est très sérieux. Dans certaines collectivités de la Colombie-Britannique, on trouve des pourcentages énormes de personnes atteintes du VIH et du sida, mais il n'y a aucun moyen de répondre à leurs besoins. Il n'existe toujours pas de programme pour prendre en charge ces questions ou pour les aider à passer à travers ou à trouver de l'aide.
Lorsqu'il y a des fonds disponibles, ils sont affectés à des programmes comme l'aide à la rédaction de curriculum vitae ou encore à des activités de loisirs qui ne durent que le temps d'un été ou alors à des programmes destinés à aider les jeunes à faire leurs devoirs. Il n'y a pas de financement pour régler les grandes questions que les jeunes soulèvent aujourd'hui. Des questions comme l'itinérance et l'exploitation sexuelle dans les centres urbains, nous manquons de fonds pour venir en aide aux jeunes qui viennent tous les jours dans les centres et que nous devons renvoyer faute de moyens. Ils savent très bien ce qu'ils veulent. Ils veulent des solutions. Ils demandent que l'on accorde davantage de fonds afin de trouver des solutions, pour des projets qui selon eux sont importants, mais il n'y a aucun financement mis à leur disposition.
Que faut-il faire? Faut-il détourner des fonds de ressources non exploitées pour les consacrer à des activités que les gens jugent nécessaires, particulièrement pour les problèmes à risque élevé? Ce n'est malheureusement pas ce qui se passe, et particulièrement pour les jeunes. J'ose espérer que ce comité s'attaquera à ce problème pour lequel nous réclamons une solution à grands cris.
Le sénateur Sibbeston: Les sénateurs qui sont présents ici aujourd'hui ont tous entendu parler d'expériences vécues dans nos collectivités. Tous ceux qui sont assis de ce côté de la table et, dans une certaine mesure de l'autre côté aussi, envisagent les problèmes que les gens vivent dans leur collectivité avec une certaine hauteur. J'ai été élu comme député dans les Territoires du Nord-Ouest et j'ai passé une bonne partie de mon existence à essayer de régler des problèmes très concrets.
D'après moi, c'est dans la collectivité que les choses se passent réellement. Même si nous pouvons réfléchir et discuter de ces problèmes du haut de notre importance, en fin de compte, c'est sur le terrain qu'il faut agir, au sein même de la collectivité où les gens vivent. Pour ce qui est des Territoires du Nord-Ouest, je ne peux m'empêcher de penser que nous sommes privilégiés d'avoir une population relativement peu nombreuse. Les Autochtones y représentent toujours pour ainsi dire la majorité. Les Autochtones jouent toujours un rôle actif au sein du gouvernement et dans tous les aspects de la société. Si vous vous rendiez dans les Territoires du Nord-Ouest aujourd'hui, vous verriez que l'économie est très prospère.
Beaucoup des membres des Premières nations et des Autochtones font des études dans l'espoir de décrocher un emploi et de revenir chez eux. C'est la situation que je vois dans le Nord. Même si je ne dis pas que tout est parfait, il règne néanmoins dans le Nord un certain optimisme en partie à cause des revendications territoriales. Les revendications territoriales accordent des droits aux populations, des droits qui sont officiels. Les Autochtones qui vivent dans les Territoires du Nord-Ouest ont des terres et des ressources financières qui leur permettent de jouer un rôle dans la société.
Dans les Territoires du Nord-Ouest, nous avons un gouvernement au sein duquel les Autochtones sont très actifs. D'une certaine manière, nous avons une atmosphère où un contexte qui est relativement favorable aux Autochtones. Je me demande si la clé de notre problème pour faciliter les choses aux jeunes ne serait pas justement de créer une atmosphère et des circonstances favorables aux Autochtones qui leur permettraient de participer à tous les aspects de la société et de développer un certain optimisme en voyant des portes s'ouvrir devant eux. J'aimerais entendre vos commentaires monsieur Coon Come, madame Gosnell et monsieur Young à ce sujet. Quelles sont les conditions à réunir pour créer de l'optimisme, de l'espoir et des occasions favorables pour les jeunes? Est-ce que ce n'est pas réellement le coeur du problème?
M. Coon Come: Je vous parle en tant que père de cinq enfants. J'ai un fils de 24 ans qui vient de décrocher son diplôme, une fille de 22 ans et un autre garçon de 16 ans qui sont toujours aux études. J'ai aussi une fille de 14 ans et un autre fils de 11 ans qui est mon petit dernier et qui est plus grand que moi. Je pense que notre société a échoué complètement pour ce qui est du noyau familial. On sent que la famille est attaquée de toutes parts.
Au sein des Premières nations, nous ne savons plus être des parents. Nous ne savons plus la différence entre le bien et le mal. Nous remettons en question la société toute entière et nous contestons les lois qui nous sont annoncées. Il faut s'interroger sérieusement sur la manière dont les parents élèvent leurs enfants. Je pense que les parents en tant que groupe doivent reconnaître qu'ils ont baissé les bras. Nous n'avons peut-être pas encore réalisé que nous avons fui cette responsabilité. Par conséquent, nous nous retrouvons dans la situation où nous blâmons la société. Nous blâmons la police parce qu'elle prend nos enfants. Nous blâmons les éducateurs parce qu'ils n'éduquent pas nos enfants. Nous blâmons les services sociaux. Nous blâmons tout le monde sauf nous-mêmes pour la façon dont nous élevons nos enfants. En tant que parents, nous devons nous tenir debout et reprendre les responsabilités qui nous appartiennent.
Naturellement, la cellule nucléaire familiale n'existe plus. Lorsqu'un jeune se rend dans un centre urbain, il n'a plus accès au réseau familial très étroit qui existe au sein de sa collectivité. Il ne peut pas compter sur un oncle ou une tante pour l'aider. Il ne peut pas venir s'asseoir autour du feu de camp et s'arranger pour que son grand-père ou sa grand- mère lui donne des conseils, parce que tout ce réseau n'est plus à sa portée.
J'aimerais que les conditions changent et qu'elles permettent aux jeunes de développer leur confiance en eux et qu'ils puissent dire que leur héros est leur père. C'est vraiment ce que je veux. Je veux que mes enfants puissent dire: «Mes héros sont mon père et ma mère.» Je ne veux pas que les héros de mes enfants soient Tyson, Jordan ou Gretzky. Ces hommes sont les héros de leurs propres enfants. Je veux que ce soit les parents qui deviennent les héros. En tant que parents, nous devons prendre nos responsabilités. Et tout commence à la maison. C'est ce qui manque. Dans la société, c'est ceux qui font partie du gratin qui profitent de tout. Nous nous fendons en quatre pour leur venir en aide. Mais, est-ce que nous aidons la mère de famille monoparentale qui s'efforce d'élever ses enfants dans le centre-ville de Vancouver? Est-ce que nous venons en aide à la mère qui travaille à temps plein et qui essaie d'élever quatre ou cinq enfants? Nous aidons les dames qui veulent avoir un travail à temps plein en ouvrant des garderies et en leur offrant bien d'autres services parce que ce sont des mères qui travaillent et qu'elles ont des revenus. Pour les mères qui restent à la maison, il n'existe aucun programme particulier. Le coeur du problème est la cellule familiale, et c'est vers elle qu'il faut concentrer nos interventions.
Les Territoires du Nord-Ouest connaissent une période de croissance économique. Les gens ont l'impression qu'il y a des possibilités de trouver du travail. Mais en fin de compte, ceux qui errent dans les rues de Yellowknife, ceux qui hantent les bars et tous ceux qui n'ont pas fait d'études ne participeront pas à cette période de prospérité. Comment pouvons-nous rejoindre ces gens, dont la majorité sont des jeunes?
Certains chefs n'aiment pas tellement cela, mais je prends le temps d'aller dans les bars et de parler aux jeunes, même si je ne bois pas d'alcool. Je me promène dans les rues de Vancouver et de Winnipeg et je parle avec les jeunes prostitués afin de savoir où ils en sont et comment ils en sont arrivés là. Chacun et chacune a une histoire à raconter, et il est important d'écouter ce qu'ils ont à dire. Que pouvons-nous faire pour aider les piliers de bars de Yellowknife et ceux qui n'ont pas terminé leurs études parce qu'ils n'en ont pas eu la possibilité? Quel genre de formation professionnelle pouvons-nous leur offrir? Comment pouvons-nous les inciter à sortir des bars? C'est tout un défi. Si on ne commence pas par admettre que l'on a un problème d'alcool, et bien, personne ne peut nous aider.
Je pense qu'il y a de l'espoir dans notre pays. D'après ce qu'a dit le sénateur Sibbeston, et je me répète, 80 p. 100 des membres des Premières nations vivent sur des terres qui sont prêtes à être exploitées, mais on les met de côté. On pourrait envisager un nouveau partenariat au sein duquel les Premières nations pourraient jouer un rôle afin de stimuler l'économie.
Nous ne sommes pas contre le développement, mais nous voulons participer et avoir notre mot à dire. Nous voulons avoir notre part des revenus et remettre en question le financement existant. Lorsque l'on réaffecte le financement et les ressources, cela revient finalement à demander aux plus pauvres d'entre les pauvres d'établir une priorité dans leurs besoins. Pourquoi ne pas déplacer le logement vers le bas de la liste et mettre le problème des jeunes en tête de liste alors que les ressources sont déjà très limitées? C'est ce qui se passe lorsque les fonds sont réaffectés — les plus pauvres d'entre les pauvres, ceux qui reçoivent un financement déjà limité, se voient forcés de revoir leurs priorités en matière de financement. Voilà le problème: comment pouvons-nous donner la priorité aux jeunes sans recevoir de financement additionnel? Je cherche des moyens d'obtenir de nouveaux crédits. Il existe des possibilités de développement des ressources minières, forestières ou de l'eau dans nos régions et pour pourrions régler des revendications territoriales. Le règlement de ces revendications territoriales nous permettrait d'obtenir des revenus et, avec ces revenus nous pourrions mettre sur pied des programmes. Mais pour cela, il faudrait que l'on commence dès maintenant à changer d'attitude.
M. Young: J'écoutais M. Coon Come et je me suis demandé quelles sont les conditions à réunir pour créer de l'optimisme. J'ai grandi au sein d'une collectivité où ma grand-mère faisait la loi. C'était elle qui prenait toutes les décisions. Elle a élevé plusieurs des nouveaux-nés de ma famille. C'est elle qui cuisinait les repas et qui habillait les enfants. À certains moments, nous étions 10 ou 12 dans la maison de ma grand-mère et elle s'arrangeait pour que nous soyons tous prêts à temps pour l'école ou pour aller à l'église ou pour faire ce qui devait être fait cette journée-là.
Lorsque cette génération a disparu avec le décès de ma grand-mère, bien des valeurs se sont envolées avec elle. Lorsque je parle de «valeurs», je veux dire les valeurs traditionnelles. Ma grand-mère parlait sa langue couramment et elle a enseigné à tous ses enfants à la parler aussi. Sa mère à elle fabriquait des paniers. Elle connaissait les plantes médicinales. Elle savait où trouver certaines plantes. Elle savait quels animaux étaient bons à manger et à quel moment il fallait les chasser. Elle savait tout cela, comme sa mère avant elle.
Lorsqu'elles sont mortes, elles n'avaient pas eu le temps de nous transmettre tout leur savoir. Nous sommes les enfants qui ont eu la malchance de devoir aller à l'école à l'extérieur des réserves, parce qu'on nous disait que c'était préférable d'aller faire les mêmes études que les Blancs. On nous privait de nos traditions et de nos valeurs. On nous enseignait que c'était mal de parler notre propre langue; on nous reprochait la couleur de notre peau, et à cause de cela, je me sentais inférieur aux autres — j'étais inférieur à vos enfants ou à vos petits-enfants. Mes professeurs me l'ont dit carrément lorsque j'étais à l'école et aussi que j'étais un bon à rien. On m'a dit que je ne finirais jamais mes études. Voilà tout ce que l'on m'a dit.
Lorsque je pense à l'optimisme, en dépit de tout cela, je me rappelle que je suis membre du Conseil national des jeunes; je me dis que je fais partie d'un comité consultatif international au sein du parlement des jeunes; que je suis membre d'un caucus autochtone, que je vais participer à un échange dans les Caraïbes en juillet et que j'ai voyagé partout dans le monde. J'ai décroché mon baccalauréat en anthropologie et études autochtones. Je suis devenu quelqu'un.
Tout cela parce que lorsque j'étais à l'école secondaire, j'ai trouvé mon identité. On m'a accordé mon «identité malécite». Je n'avais pas un beau manteau, celui que je portais était vraiment très sale. J'avais un manteau sur lequel on pouvait lire «ivrogne» et aussi «alcoolique» et «drogué». Mais, lorsque j'ai rencontré les Aînés à l'école secondaire, ils m'ont remis un nouveau manteau et sur ce manteau on pouvait lire des mots comme «malécite», «fierté», «fantastique», «brillant» et «futé». Tous ces mots étaient écrits sur mon manteau.
Nous devons revenir à ces manteaux. Oui, il faut de l'argent et des programmes, mais comme vient de nous le dire notre chef national, nos familles sont brisées et détruites. Elles sont de plus en plus réduites en miettes à cause du manque d'argent et aussi d'étiquettes comme Indiens vivant à l'extérieur des réserves, dans les réserves, Métis ou Indien visé par des traités, et cetera.
J'ai quitté ma collectivité il y a sept ans afin de poursuivre mes études et de trouver ma voie. Cependant, j'ai toujours maintenu un lien avec ma collectivité et j'y retourne chaque jour. Je passe du temps avec ma famille. Je peux voir mes oncles et mes tantes qui, comme le disait M. Coon Come, sont là pour m'aider lorsque j'en ai besoin.
Il nous reste à convaincre les jeunes qu'ils ne sont pas seulement des individus; il faut leur dire qu'ils sont aussi les membres de notre nation, de nos collectivités et de nos familles. Honorables sénateurs, lorsque vous aurez la chance de parler à ces jeunes, laissez-les s'exprimer à leur manière.
Ce fut épatant de pouvoir vous lire notre mémoire, mais Mme Gosnell et moi-même avons travaillé très fort pour mettre tout cela par écrit, et j'étais très fier de pouvoir lire le texte que nous avons préparé. Il arrive trop souvent que nous nous présentions devant ces comités et que les gens ne veuillent pas entendre à quel point les choses sont horribles et ils ne veulent pas entendre parler de réalités comme l'exploitation sexuelle à Vancouver ou encore le VIH/sida dans les Maritimes, et cetera.
Il faut donner aux jeunes la possibilité de s'exprimer et de dire qui ils sont réellement et quels sont leurs besoins. L'avenir, comme Mme Gosnell et moi-même l'avons dit, sera le moment où les jeunes d'aujourd'hui qui sont membres des Premières nations atteindront l'âge adulte.
Nous nous préparons à occuper des postes malgré que les portes ont été très lentes à s'ouvrir pour nous, mais nous avons nos diplômes en poche. Nous avons des médecins, des avocats et des physiciens nucléaires. Nous avons notre banque de membres des Premières nations dans tous ces domaines fascinants.
Il ne nous manque qu'une toute petite poussée. Nous n'avons besoin que de la possibilité de réaliser ces rêves et de créer le climat optimiste dont vous avez parlé. Je suis fier d'être un membre des Premières nations et aussi un membre de ma propre nation. C'est véritablement cela qui compte pour les jeunes.
La présidente: Nous devons changer les manteaux.
M. Young: Oui, certainement.
Mme Gosnell: Pour résumer, nous devons renforcer notre autonomie. Et pour y arriver, il faut favoriser la participation des membres et des collectivités des Premières nations, et tout particulièrement les jeunes.
Quels sont les programmes existants auxquels participent les jeunes des Premières nations? La plupart de ces programmes ont été mis sur pied par des adultes non autochtones. Permettez-nous d'acquérir de l'autonomie en nous faisant participer. C'est aussi simple que cela.
Le sénateur Léger: Je voulais dire cela en privé, mais j'ai décidé de le dire publiquement. J'aimerais remercier le sénateur Chalifoux parce que dans sa présentation, elle a dit «nous». J'ai eu vraiment l'impression qu'elle parlait au nom des participants des deux côtés de la table en faisant cela.
Deuxièmement, monsieur Coon Come, vous avez toujours utilisé le mot «citoyens». Je n'ai pratiquement pas entendu le mot «Autochtones». C'est la bonne façon de faire. Je pense que c'est de cette façon que tous les Canadiens devraient parler.
Troisièmement, Mme Gosnell a souhaité que les jeunes participent davantage. Est-ce qu'ils s'engagent? Est-ce que vous avez de la difficulté à les faire participer? Lorsqu'on est jeune, on est jeune. À l'adolescence, on se préoccupe surtout de soi-même.
M. Young: C'est difficile, parfois, parce que bien des jeunes fréquentent encore l'école. Je vois quelques jeunes qui font partie du conseil provincial. C'est très difficile de se réunir tous ensemble, au Nouveau-Brunswick, par exemple, parce que nos collectivités sont très éloignées. Encore une fois, notre problème c'est le manque d'argent pour arriver à réunir tous ces jeunes ensemble. La province n'a pas d'argent à nous donner. Quant à essayer d'obtenir des fonds du gouvernement fédéral, on a l'impression qu'il faudra attendre 25 ans au moins.
Pour ce qui est d'avoir des échanges, de nombreux groupes communiquent par courrier électronique dans la province. Avec tous les nouveaux sites Web, je n'ai qu'à envoyer un courriel pour communiquer avec quelqu'un. Normalement, à la fin de la journée, j'ai réussi à trouver deux, trois ou même quatre personnes possédant les ressources dont j'ai besoin et je peux discuter avec elles ou alors leur téléphoner et obtenir les renseignements qui me manquent.
Comme je l'ai mentionné auparavant, notre conseil national des jeunes possède son propre site Web, et nous avons également des personnes-ressources que l'on peut joindre par téléphone et par courrier électronique.
Ici en Ontario, il y a une femme qui fait partie de notre conseil des jeunes. Je l'appelle lorsque je viens ici et nous parlons, nous échangeons de l'information et nous nous mettons à jour. Dans les régions, c'est un peu plus difficile de réunir tout le monde. Lorsque je rentrerai chez moi, je vais présenter mon exposé. Je vais le transmettre par télécopieur aux diverses collectivités et je vais également l'envoyer par courrier électronique aux autres conseils des jeunes pour les informer de ce que nous avons fait et de ce qui se passe. Mais il est difficile de penser réunir tout le monde pour discuter d'un exposé.
Le sénateur Léger: Pour ce qui est de l'utilité d'obtenir de nouvelles données, monsieur Coon Come, je pense que vous ne voulez pas obtenir encore une autre étude où d'autres études, est-ce exact?
M. Coon Come: Non, tout cela a été étudié ad nauseam.
Mme Gosnell: Nous ne voulons pas d'une autre étude. Nous demandons seulement la possibilité d'apprendre ou de tirer des leçons de ce qui a déjà été fait. Étant donné le manque de ressources, nous n'avons aucune idée si le projet que nous voulons mettre sur pied dans notre collectivité existe déjà ailleurs au pays. Est-ce que ce projet a des chances de réussir? C'est de ce genre de renseignements que nous avons besoin.
Par contre, il nous faut des études sur le VIH et le sida. Comme je l'ai déjà mentionné, il n'existe aucun programme dans ce domaine. Lorsqu'on décide d'aborder certains problèmes liés à des comportements à risque élevé, oui, nous avons besoin d'études dans ces domaines. Il nous faut des statistiques.
Le sénateur Léger: Est-ce que c'est pour votre région?
Mme Gosnell: Nous avons besoin de statistiques pour tout le pays. Il n'existe aucune statistique sur le VIH. Nous ignorons combien de jeunes sont touchés par ce fléau.
Le sénateur Léger: Oui, Dieu merci, nous assistons à un changement de mentalité. Je me sens tellement privilégiée d'être ici avec vous. J'aimerais que tout le monde puisse entendre ce que vous dites, ce que vous avez dit au sujet de la famille. Je suis persuadée que vous êtes réellement des précurseurs du changement. Peut-être que vous allez nous sauver. Merci.
Le sénateur Johnson: Que peut-on ajouter de plus? Je suis la vice-présidente de ce comité depuis de nombreuses années. Voilà une étude que je ne veux pas voir entreprendre. Comme vous dites, nous voulons de l'action.
Madame Gosnell et monsieur Young, vous me rappelez lorsque j'étais moi-même étudiante et que je participais aux mouvements vers la fin des années 60 et 70, lorsque nous parlions d'autonomisation et de se montrer proactifs, et de la place des femmes au sein des associations étudiantes et des conseils directeurs des universités. Je suis de tout coeur avec vous.
Avec toute l'expérience que j'ai de ce pays, je ne pense pas connaître de groupes de jeunes plus proactifs à cette étape de notre histoire que ceux des Premières nations, des Inuits et de tous les Autochtones. Vous faites un excellent travail et vos recommandations sont très pertinentes. Votre exposé a visé juste à bien des égards. Nous n'entrerons pas dans le sujet de la gouvernance. Ce n'est pas l'objet principal de notre étude, mais ce pourrait devenir un élément fur et à mesure que nous progresserons.
Les vraies questions sont la santé, l'éducation, le logement et le rôle de parent. J'ai été moi-même une mère monoparentale, et je sais exactement ce que vous voulez dire par l'éducation qu'il faut donner à la maison. Je dois dire aussi que je suis d'origine islandaise et que sans les Autochtones, nous n'aurions jamais survécu vers la fin des années 1870.
Je pense qu'il est très important de donner en retour lorsque l'on a beaucoup reçu. J'aimerais me concentrer sur un certain nombre de choses. Mes collègues ont exploré passablement les territoires et ils ont étudié divers aspects. Quant à moi, je m'intéresse à votre conseil des jeunes et à l'éducation. Plus précisément, quels sont les rapports exacts entre le conseil des jeunes et le comité directeur que vous avez mis sur pied avec l'APN? Sur quels projets travaillez-vous ensemble maintenant que vous êtes inscrits dans la charte de l'APN? J'aimerais que vous me parliez un peu plus de cette relation.
Mme Gosnell: M. Young est mieux placé que moi pour vous répondre parce que je ne fais partie du conseil que depuis quelques mois.
Le sénateur Johnson: Je sais que c'est relativement récent, mais j'aimerais savoir comment vous fonctionnez.
M. Young: Comme je l'ai mentionné dans mon exposé, nous avons deux représentants pour chaque région. Nous avons pensé que ce serait bien d'avoir le conseil, mais nous ne sommes pas partis d'un mouvement à proprement parler. Nous étions tout simplement là à nous demander: «De qui allons-nous parler? Qu'allons-nous faire?»
Le sénateur Johnson: Donc vous avez dû cerner les domaines auxquels vous aimeriez vous attaquer.
M. Young: Exactement. Nous avons donc décidé que nous allions nous occuper des portefeuilles des chefs régionaux, comme la culture, la langue, le logement et la santé. Nous avons chargé chacun des représentants de suivre un dossier particulier.
La culture et la langue comptent énormément pour moi. Je suis toujours prêt à monter aux barricades pour les défendre. Par conséquent, on me les a confiées.
Un autre peut s'intéresser davantage à la santé. En attribuant des portefeuilles, on a pu déterminer plus facilement qui devrait assister à telle ou telle réunion. Comme le chef national l'a mentionné dans son exposé, nous assistons parfois à des réunions, nous participons à des ateliers et nous donnons des exposés. Avec ce mode de fonctionnement, c'est facile de trouver qui ira faire un exposé sur tel et tel portefeuille.
Le sénateur Johnson: Ceci m'amène à ma question au sujet de ces portefeuilles. Vous dites dans votre mémoire que vous recevez les portefeuilles de la part de vos chefs régionaux respectifs. C'est de cette façon que l'on vous a intégré à la structure de l'APN.
M. Young: C'est exact. Nous travaillons avec une intervenante auprès des jeunes. Elle nous tient au courant et nous donne de l'information. Chacun d'entre nous a des dossiers à suivre.
Le sénateur Johnson: Sentez-vous que vous avez une certaine liberté d'action?
M. Young: Tout à fait. L'échange auquel je vais participer dans les Caraïbes est un échange culturel. Étant donné que mon dossier porte sur la culture et que je connais bien ma langue et ma culture — les chants et les traditions de mon peuple — j'étais un candidat tout trouvé.
C'est très valorisant de participer à ces réunions, et de savoir que si j'ai besoin de renseignements sur des questions liées aux revendications territoriales ou à la santé, je n'ai qu'à communiquer avec une autre personne du conseil national des jeunes pour qu'elle me mette au courant.
Le sénateur Johnson: Je reviens à l'éducation, qui est tellement importante. Quelle place occupe-t-elle dans votre programme? Trois de nos témoins ont parlé d'un système scolaire séparé pour les Autochtones. Vous êtes-vous déjà penché sur la question?
M. Young: Est-ce qu'il en est question?
Le sénateur Johnson: Est-ce que vous pouvez mettre sur pied ce système scolaire séparé à l'intérieur du système actuel en y intégrant des programmes culturels?
M. Young: C'est une excellente idée. La collectivité où vivait mon père au Cap-Breton, Eskasoni, éprouvait certains problèmes avec les écoles non autochtones de la ville. Certains enseignants avaient abusé des enfants. C'était un contexte très destructeur. Il y avait des bagarres.
La collectivité a construit une école élémentaire, une école secondaire et une école préparatoire de sorte qu'aucun enfant n'a été forcé de quitter la collectivité. Tous ont pu recevoir leur éducation chez eux. Ces écoles fonctionnent suivant leurs propres critères. Je pense qu'elles doivent néanmoins respecter certaines directives de la province. Mais pour la majeure partie des cours, c'est la collectivité qui dirige le programme. Je trouve que c'est une excellente idée.
Dans certaines collectivités, comme celle dans laquelle je vis actuellement, il y a une école, mais elle ne fonctionne pas comme elle le devrait. Elle ne comporte aucun aspect réellement culturel. Cette école n'a pas de programme malécite à temps plein. Tout dépend de la situation dans laquelle on se trouve pour décider de mettre en place un système d'éducation séparé.
C'est mon point de vue, je ne peux pas parler pour toute la région et pour l'APN, mais c'est la façon dont je vois les choses.
M. Coon Come: Pour ce qui est de l'éducation, 10 000 élèves ont été acceptés dans des établissements postsecondaires, mais ils n'ont pas d'argent. Nous avons communiqué ce renseignement au Comité sénatorial permanent des finances nationales ainsi qu'au Comité sénatorial permanent des peuples autochtones. Nous disons que l'éducation est un passeport pour sortir de la pauvreté. Voilà un domaine où nous pourrions venir en aide à nos jeunes. Il n'y a pas de financement pour eux à cet égard.
J'étais l'un des principaux négociateurs lors de la mise en oeuvre de l'article 16 de la Convention de la Baie-James et du Nord québécois. Ayant été moi-même éduqué dans un pensionnat, j'ai pensé que ce serait une bonne idée de rapprocher les écoles de nos lieux de résidence. Pour y arriver, nous avons dû modifier la loi. Nous avons introduit la langue crie au niveau préscolaire ainsi qu'en première, deuxième et troisième année. Maintenant, toutes les matières sont enseignées dans la langue crie. Nous avons dû modifier le calendrier scolaire, mais il y a toujours 180 jours d'école. Nous fermons les écoles à l'automne, durant la chasse à l'oie. Nous avons introduit les études culturelles.
De plus en plus de membres des Premières nations de tout le pays ont décidé de procéder de cette manière. Ils changent le programme et aussi ils ferment les écoles pour permettre aux parents de passer du temps avec leurs enfants et de leur enseigner leur culture et leur mode de vie ancestral.
À Saskatoon, il y a une école entièrement autochtone. Elle n'a pas été créée comme ça au départ, mais elle a fini par le devenir. Les Autochtones représentent la majorité des élèves. Par conséquent, on a commencé à la voir comme une école autochtone. Étant donné que nous représentions la majorité, on a voulu changer le programme et intégrer les Aînés. C'est ainsi que cette école est devenue une école autochtone.
Personnellement, je ne pense pas que ce soit une bonne chose de nous séparer, parce que le monde est une mosaïque. Nous devons apprendre à vivre les uns avec les autres.
Le sénateur Johnson: Nous avons intérêt à mieux adapter nos systèmes d'éducation en fonction des besoins de chacun. Je suis de Winnipeg et je pense qu'un certain nombre d'écoles s'efforcent de fonctionner de cette manière. Je ne sais pas si vous pensez que cette formule a donné de bons résultats dans certaines écoles du centre-ville. Certains ne veulent pas d'école séparée. Pensez-vous que nous pouvons réussir à l'intérieur du système actuel?
M. Coon Come: Nous avons eu un certain succès dans quelques écoles et nous avons obtenu un meilleur taux de diplomation dans tout le pays. Ce sont des jeunes. C'est très difficile pour eux. Le taux de décrochage est d'environ 75 p. 100.
Dans le nord de l'Ontario, il n'y a que 90 inscriptions dans une école. Ce sont des jeunes de 13 et 14 ans qui sont dans des classes jusqu'à la neuvième année. On pourrait les envoyer à l'extérieur de la collectivité dans une autre école, mais ce serait très difficile. Dans cette collectivité, les jeunes sont branchés sur Internet. Il s'agit donc d'une école à distance, et elle fonctionne très bien.
Ces jeunes gens se parlent par courrier électronique. C'est un moyen que nous avons trouvé pour aider nos jeunes. Ils n'ont pas peur d'appuyer sur des boutons, vous savez.
Le sénateur Johnson: Nous pourrions continuer comme ça durant des heures. Je vous remercie beaucoup. N'oubliez pas les Jeux autochtones de l'Amérique du Nord à Winnipeg.
M. Coon Come: Nous y serons.
Le sénateur Johnson: Je l'espère, parce que ces jeux seront une vraie réussite.
Pour ce qui est de l'optimisme, je dois vous rappeler les exemples du centre d'accueil de Thunderbird, de la Winnipeg Native Alliance et les initiatives des jeunes Autochtones. Je pense que Winnipeg fait énormément pour les jeunes qui vivent dans les centres urbains, y compris pour les enfants ayant une déficience intellectuelle qui participent aux Jeux olympiques spéciaux.
Beaucoup d'entre nous aiment bien parfois regarder aussi les choses positives. Nous allons traverser le pays. Comme le disait la présidente, les recommandations sont très succinctes. Est-ce que vous aimeriez ajouter autre chose?
La présidente: La Amiskwaciy Academy est une école autochtone d'Edmonton. Elle fait un travail remarquable.
M. Coon Come: Vous avez tout à fait raison. J'ai eu l'occasion de m'adresser aux élèves de cette école.
Le sénateur Cochrane: Je m'excuse pour mon retard. Je suivais l'évolution du projet de Voisey's Bay de Terre-Neuve et Labrador à la télévision. D'après ce que j'ai entendu, il y a de l'espoir pour les jeunes Innus et Inuits pour ce qui est du perfectionnement professionnel. Il y a beaucoup de projets de R-D.
Je suis très impressionnée par les deux jeunes que vous avez emmenés avec vous, monsieur Coon Come. C'est merveilleux de voir le chemin parcouru et que vous ayez trouvé votre voie. Vous avez fait un excellent exposé.
Pourriez-vous nous décrire les services dont vous avez pu bénéficier vous-mêmes? Je m'intéresse plus particulièrement aux services offerts aux élèves autochtones lorsqu'ils quittent leur collectivité pour entreprendre des études post-secondaires. Quels sont les types de services mis à la disposition des étudiants autochtones, et quel impact ces services ont-ils eu ou continuent-ils d'avoir sur vous?
Mme Gosnell: C'est difficile de répondre. J'entends la voix des jeunes me dire tout ce qui manque à l'appel.
À Vancouver, la Urban Native Youth Association a mis sur pied un club de devoirs pour les principales écoles publiques de Vancouver. Les membres de cette association considèrent que les élèves autochtones ont besoin d'aide pour faire leurs devoirs. Ils n'ont personne pour les aider à la maison. Ils n'ont pas d'endroit tranquille pour faire leurs devoirs, pour en venir à bout. Comme vous le savez, il n'y a pas de temps prévu à l'école pour faire ses devoirs; on s'assoit et on écoute. Ensuite, on quitte l'école et on a des devoirs à faire à la maison. C'est très difficile de faire ses devoirs pendant les heures d'école. Donc, ce problème doit être abordé lui aussi.
Il y a également de nombreuses agences spécialisées dans l'emploi dans toute la Colombie-Britannique, et probablement aussi dans le reste du Canada. Il y en a peut-être cinq ou six dans la région de Vancouver qui aident à la rédaction des curriculum vitae. Les responsables de ces agences espèrent trouver des possibilités d'emploi pour les jeunes. Mais nous avons besoin de beaucoup d'autres services. Je vous le répète, c'est très difficile de répondre à cette question. Le fait est que nous avons besoin d'aide.
M. Coon Come a parlé des jeunes mères. Elles ont particulièrement besoin d'être aidées dans les centres urbains. Il n'y a pas assez de garderies. Ces jeunes femmes âgées de 16 ou 17 ans ne reçoivent aucune aide à l'école et on ne les aide pas non plus si elles veulent aller travailler. Il n'y a pas de services à leur intention. Par ailleurs, elles sont mises à l'index parce qu'elles ont donné naissance à un enfant, et pourtant nous adorons les enfants. Alors ce sont des aspects qui mériteraient que l'on s'y attarde.
M. Young: Pendant que j'étais au secondaire, l'école a voulu organiser un projet pilote qui comprenait notamment un cours sur les Premières nations. Il y avait un volet sur l'art autochtone qui pouvait remplacer un cours d'art contemporain. Je pense que ce cours sur les études autochtones comportait également un crédit en sciences sociales. J'ai pris les deux. Ces cours étaient très bien, mais ils étaient un peu improvisés et très désorganisés. L'enseignant se demandait tout le temps si son contrat serait renouvelé d'un mois à l'autre et nous craignions constamment de perdre notre professeur. Donc c'est l'un des services auquel j'ai eu accès.
Lorsque j'étais jeune, nous n'avions pas de club de devoirs à proprement parler. Il y avait des emplois d'été, et habituellement ces emplois découlaient d'accords de pêche ou de revendications qui avaient été conclus entre ma collectivité et des administrations de l'extérieur. J'ai pu bénéficier de ces possibilités d'emploi d'été. À part cela, je ne vois vraiment pas quels autres services.
Le sénateur Cochrane: Est-ce que ces services étaient dispensés dans votre collectivité?
M. Young: Oui, en effet. Lorsque j'ai quitté, je ne pense pas avoir eu accès à quelque autre programme à l'extérieur de ma collectivité. J'ai travaillé pour les douanes pendant deux ou trois ans. C'était pour le gouvernement. Il ne s'agissait pas vraiment d'un programme ou d'un service.
Je ne pense pas avoir eu accès à quelque autre service. Je sais qu'il existe de nombreux programmes à l'intention des jeunes Autochtones avec des ressources humaines, divers programmes de ce genre, mais je n'y ai jamais eu accès.
Le sénateur Cochrane: Vous vous en êtes très bien sorti. Dès que vous avez quitté votre collectivité et que vous êtes arrivé en ville, vous avez dû vous débrouiller tout seul. Et c'est ce que vous continuez à faire aujourd'hui, sans aucune aide.
M. Young: Tout à fait. J'ai dû prendre soin de moi-même.
La clé de mon succès a été de faire confiance à ma culture, à ma foi, à ma façon de faire et d'assister aux cérémonies. J'assiste aux cérémonies depuis près de huit ans. Je n'ai pas consommé d'alcool ni de drogues depuis huit ans. Je ne fréquente pas les bars. Je ne vais pas dans les gros partys. Je ne fais rien de tout cela. Au contraire, je vais plutôt m'asseoir avec les Aînés. Par exemple, j'ai passé les cinq derniers mois avec les Aînés de ma collectivité pour apprendre à faire de la vannerie. Il ne restait plus qu'une personne connaissant l'art de la vannerie. C'était le dernier de ma collectivité qui savait comment fabriquer les paniers, aller dans la forêt et trouver le bois et le préparer en vue de la réalisation de ces paniers. En janvier, j'ai pris l'initiative d'aller voir cet homme. Il a eu 84 ans cette année. Ce savoir est maintenant préservé. J'ai appris presque tout ce qu'il est nécessaire de savoir pour que cet art de la vannerie demeure vivant.
L'intérêt que je porte à ma culture et à mes Aînés, je l'ai développé tout seul. La collectivité n'offre aucun programme donnant des ateliers culturels ou autres du même genre.
Le sénateur Cochrane: Combien de groupes de jeunes ont marché sur vos traces? Jusqu'où sont-ils allés? Ont-ils fait un aussi long bout de chemin que vous?
M. Young: Ils sont allés aussi loin qu'ils avaient besoin d'aller eux-mêmes. Ils ont vécu leurs propres expériences. Certains jeunes que je connais qui font partie du conseil vivent à Winnipeg. Un de mes amis qui a siégé au conseil durant un certain temps devait absolument prendre l'avion pour retourner chez lui parce qu'il n'y avait aucun autre moyen de le faire. Il ne pouvait pas aller chez lui facilement. Finalement, il n'était pas allé chez les siens depuis quelques années.
Pour ce qui est de la culture, des Autochtones ont eu accès à des programmes dans les centres urbains, comme les centres d'amitié ou lors des pow wow ou lors d'autres manifestations autour de chez eux. Ils ont eu accès à ces programmes. Moi, je fais partie des chanceux qui ne vivent qu'à dix minutes de leur collectivité, par conséquent, je n'ai qu'à prendre ma voiture et je peux passer une semaine ou une journée. Il n'en tient qu'à moi.
Le sénateur Cochrane: Madame Gosnell, est-ce la même chose pour vous?
Mme Gosnell: Je me considère plus chanceuse que n'importe qui d'autre dans ma famille n'a pu l'être dans toute son existence.
Le sénateur Cochrane: Et pourquoi cela?
Mme Gosnell: Parce que je suis ici devant vous aujourd'hui. Je ne suis pas toxicomane comme le sont mes cousins. Je sais où m'adresser pour obtenir de l'aide. J'ai de la chance parce que je n'ai pas l'air trop «indienne», ce qui était un problème lorsque j'étais plus jeune parce qu'il y avait beaucoup de racisme au sein du système scolaire. J'ai voulu quitter l'école. J'ai failli en être expulsée. Lorsque je suis arrivée pour la première fois dans un centre urbain, j'étais alcoolique et je consommais de la drogue. Je ne sais pas comment j'ai fait pour m'en sortir. Je pensais seulement que si je pouvais faire en sorte que mes grands-parents soient fiers de moi, que si je pouvais trouver le moyen de faire quelque chose pour qu'ils m'aiment un peu plus, alors j'y arriverais.
Toutefois, je n'avais pas d'amis à cette époque. Tous ceux que je connaissais et qui ont grandi avec moi se retrouvent aujourd'hui au point où j'en étais alors.
M. Young a de quoi être extrêmement fier de lui, et je me considère moi-même comme très privilégiée. J'espère seulement que d'autres jeunes pourront voir aussi ces possibilités s'ouvrir devant eux. Je ne veux pas tout garder pour moi. Je veux travailler pour trouver d'autres possibilités pour les autres jeunes afin qu'ils puissent eux aussi trouver leur voie et devenir plus autonomes. Maintenant je fais partie de la crème, ainsi que mes collègues du Conseil national des jeunes, et mes amis du conseil des jeunes Métis et du CAP et ceux des centres d'amitié. Mais nous sommes l'exception. J'espère que vous ne fonderez pas votre opinion des jeunes Autochtones sur nous, parce que nous n'avons pu vous donner qu'un aperçu de toutes nos histoires.
Le sénateur Cochrane: Ce qui compte vraiment, c'est que vous êtes maintenant des exemples à suivre.
Mme Gosnell: Tout à fait. Je me rappelle lorsque j'avais 16 ans et que je pensais à l'Assemblée des Premières nations. Je regardais les personnes qui apparaissaient sur les affiches qui étaient diffusées dans tout le Canada comme des exemples à suivre pour les jeunes Autochtones. Je me rappelle avoir rencontré une de ces personnes. J'étais tellement impressionnée. Je trouvais qu'il était absolument fantastique. À l'époque, je ne pensais jamais pouvoir moi-même atteindre un tel degré de réussite parce que ma situation n'était pas très reluisante. C'était comme un rêve. C'était pour moi complètement inaccessible. Je ne pouvais même pas m'imaginer pouvoir y arriver un jour. Je ne comprends toujours pas comment j'ai fait pour arriver là où je suis aujourd'hui. Je ne réalise toujours pas ce qui m'arrive.
M. Young: Beaucoup de jeunes verront ceci, et le simple fait d'être assis juste à côté de notre chef national est vraiment un honneur. Je me dis: «C'est sensationnel, je suis assis à côté de Matthew. C'est super, c'est cool et c'est très excitant.» Je vais rentrer à la maison et dire: «Savez-vous ce qui m'est arrivé? Je vais vous raconter.» C'est vraiment extraordinaire.
Comme le disait Mme Gosnell, il faut que tout le monde comprenne que nous sommes vraiment l'exception à la règle. Mon propre frère et moi nous sommes très différents. Pourtant, nous avons grandi dans la même maison, avec les mêmes parents et tout le reste. Il est comme il est, et je suis comme je suis. Nous sommes tout à fait uniques et des personnes très différentes.
J'ai travaillé très fort et j'ai fait beaucoup de sacrifices. Mme Chabot et moi-même nous en parlions encore hier. Elle me disait: «As-tu l'impression d'être passé à côté de quelque chose?» Parfois, oui. Je ne pense pas avoir vraiment profité de mes années d'adolescence. J'étais trop occupé à jeûner, ou à participer à la cérémonie de la suerie ou encore à ramasser du bois, à fendre du bois ou à ramasser des pierres. Je n'avais pas le temps de gâcher ma vie dans cette espèce de grand party qui était la vie.
Comme l'a dit Mme Gosnell, rappelez-vous que si nous sommes assis ici, c'est très bien, mais nous ne sommes pas l'idéal. Plutôt si, nous sommes l'idéal, mais nous vous donnons une idée fausse de ce qui se passe vraiment. Nous ne sommes pas complètement représentatifs de tous nos amis et de tous les membres de nos familles qui vivent des temps difficiles et qui souffrent.
La présidente: En tant que grand-mère, arrière-grand-mère et matriarche d'une famille très nombreuse, je tiens à vous rappeler que vous avez survécu parce que vous avez gardé en mémoire les valeurs que votre grand-mère vous avait transmises lorsque vous étiez tout petits. Il y a une énorme différence d'une famille à l'autre. Je peux le voir dans mes propres enfants, petits-enfants et arrière-petits-enfants. Je vous félicite tous les deux d'avoir survécu et d'être devenus des adultes si positifs.
Le sénateur Christensen: Vous êtes des exceptions, mais vous représentez également ce qui est possible.
M. Young: Exactement. C'est ce que je dis aux jeunes, partout où je vais. J'ai voyagé en Australie, dans tout le Canada et aux États-Unis. Ils me disent: «Tu es chanceux.» Je réponds: «Non, j'ai dû travailler très fort, mais vous aussi vous êtes capables de le faire. Il suffit d'être patient et de s'arranger pour rencontrer les bonnes personnes.»
Vous tous qui êtes assis ici en face de nous, vous conserverez notre image dans vos souvenirs. Lorsqu'il y aura un problème et que vous aurez besoin de conseils ou d'une certaine orientation, vous vous rappellerez de nous et de ce que nous vous avons dit. C'est l'impression que je voulais vous laisser aujourd'hui. Nous sommes venus témoigner de ce qui peut être fait pour améliorer la vie des jeunes dans ce pays.
Le sénateur Christensen: Vous êtes les artisans de votre propre réussite.
Mme Gosnell: J'ai mis sur pied un atelier axé sur la santé des jeunes en Colombie-Britannique. Finalement, cet atelier s'est transformé en atelier sur les problèmes des jeunes. Je voyageais dans toute la province et je me rendais dans les collectivités où l'on m'invitait. Je m'asseyais avec les jeunes pour discuter avec eux de leurs problèmes particuliers. Toutefois, si on pense au Cercle d'influences, aux quatre aspects de l'existence, il y a un peu de cette spiritualité, de cette tradition qui font partie du Cercle d'influences dans tout ce que nous faisons. Lorsque l'on interroge les jeunes sur les problèmes qu'ils vivent dans leur collectivité respective, 20 jeunes vous arriveront avec 50 problèmes en l'espace de 20 minutes, des problèmes qui les touchent tous les jours, qu'ils vivent dans une réserve, à l'extérieur d'une, dans une ville ou un petit patelin accessible uniquement avec un avion Beaver. Ces problèmes sont sensiblement les mêmes partout.
J'ai réalisé que personne ne leur parle vraiment. Certains jeunes sont venus me dire que c'était la première fois qu'on leur posait des questions et qu'ils avaient la possibilité de parler de ces problèmes. Je leur ai demandé: «Combien de jeunes vivent ce problème?» Ils m'ont dit que 50 p. 100 ou même peut-être 91 p. 100 d'entre eux vivaient la même chose. Puis je leur ai demandé en quoi c'était un problème. Alors, ils m'ont expliqué. Puis je leur ai demandé quelles étaient les conséquences de ce problème. Ils ont décrit les répercussions sur leur famille, sur eux-mêmes, sur leurs amis et sur la collectivité toute entière. Ensuite, je leur disais: «Qu'est-ce que votre famille peut faire pour vous aider avec ce problème?», et là ils devaient réfléchir un peu. Je leur demandais ce que leur école pouvait faire pour les aider avec ce problème, parce qu'ils passent presque tout leur temps là, enfin on l'espère. Ensuite, je leur demandais ce qu'ils pouvaient faire eux-mêmes en tant que jeunes pour régler ce problème. Et ensuite je leur demandais ce que les adultes pouvaient faire pour les aider. Ils avaient toutes les réponses. C'était la première fois qu'une personne s'asseyait pour parler avec eux et leur dire à quel point leur existence était importante pour la santé de leur collectivité.
Nous nous mettions à rire et à pleurer, et ils ne voulaient plus me laisser partir. Ils me confiaient que leurs chefs ne les écoutaient pas. Ils me disaient que les adultes et leurs parents ne les écoutaient pas. Il faut que vous vous rappeliez de tout cela lorsque vous entreprendrez votre voyage. Si vous leur posez les bonnes questions, vous obtiendrez les bonnes réponses. Ce sera peut-être la première fois que des dirigeants s'adresseront à ces jeunes. Cela n'arrive pas souvent.
Le sénateur Christensen: Je suis tout à fait d'accord avec le chef national sur la question du rôle des parents. Ce problème ne touche pas seulement les Autochtones; c'est un problème national dans bien des cultures. En fait, peut- être que votre culture a un sentiment encore plus profond de la famille étendue que les autres cultures. Dans bien des cas, vos jeunes peuvent sentir la présence de la famille, alors qu'elle est totalement absente dans d'autres cultures.
En ce qui touche le financement, et l'élaboration des programmes, je suis d'accord avec vous en ce qui concerne l'établissement de l'ordre des priorités. On ne demande pas à une mère monoparentale ou même à d'autres personnes qui vivent des situations difficiles d'établir l'ordre de priorité des problèmes. Ce n'est pas à ce niveau que les priorités doivent être établies. En règle générale, lorsque l'on décide d'élaborer un programme, on le fait pour répondre à un besoin. Au moins 90 p. 100 de l'argent consacré à ce programme devrait servir à répondre aux besoins et non à l'administration de ce programme.
Vous avez mentionné les statistiques sur le VIH et le sida, mais nous n'avons pas abordé un autre problème important, celui du syndrome d'alcoolisation foetale.
Le sénateur Pearson: J'aimerais tout d'abord vous exprimer mon appréciation pour cette réunion extrêmement intéressante. Je tiens également à féliciter M. Coon Come parce qu'il y a quelque chose chez lui qui a encouragé ces jeunes à s'exprimer et à créer un climat de dialogue. C'est très important. Si l'on n'arrive pas à créer le climat favorable, les gens ne s'expriment pas. Vous avez abondamment abordé cette question, madame Gosnell.
J'ai apprécié vos commentaires à tous les deux, monsieur Young et madame Gosnell, mais je m'intéresse plus particulièrement à ce qu'a dit Mme Gosnell au sujet de l'autonomisation des jeunes, et je suis tout à fait d'accord avec elle. Le défi qui s'offre à nous consiste a trouver des exemples de pratiques exemplaires. Je voulais vous demander de nous fournir un bon modèle de pratiques exemplaires, mais dans un certain sens, vous venez tout juste de le faire.
Qu'est-ce qui a été fait pour ce groupe de jeunes à Vancouver? Comment avez-vous procédé?
Mme Gosnell: Nous avons fonctionné par l'entremise d'une organisation axée sur les soins de santé aux jeunes qui s'appelle la McCreary Centre Society.
Le sénateur Pearson: Je connais ce centre. Nous devons fournir de l'aide à davantage de projets de ce genre.
Mme Gosnell: Il a été financé par l'entremise du Fonds pour la santé de la population de Santé Canada. Nous avons bénéficié d'une excellente collaboration pendant toute la durée de ce projet.
Le sénateur Pearson: Vous êtes en train de nous dire que bien des jeunes ont l'impression que personne ne les écoute jamais. Si nous réussissons à obtenir leur participation, nous pourrons certainement trouver avec eux des solutions mieux adaptées à leurs problèmes.
Je comprends ce que voulait dire le sénateur Cochrane. Votre présence en tant que modèles d'identification est extrêmement importante. Les jeunes gens avec lesquels j'ai travaillé m'ont confié que lorsque tout semblait s'effondrer dans leur existence, la présence d'un mentor avait joué un rôle décisif. Est-ce que cela a été le cas pour chacun d'entre vous?
Mme Gosnell: Oui.
Le sénateur Pearson: Voici un message à retenir.
Le sénateur Gill: Pour ce qui est des relations, ma présence ici est motivée surtout par la possibilité d'améliorer les relations entre Autochtones et non-Autochtones. Et je ne suis pas le seul à avoir cet objectif en tête.
Monsieur Coon Come, vous avez mentionné les rapports qui existent au sein de la famille. J'aimerais que vous me parliez un peu de la communication et des liens qui existent entre les Autochtones et les Affaires indiennes.
M. Coon Come: Oh non, vous ne voulez pas entendre parler de ça!
Le sénateur Gill: J'aimerais que vous me fassiez certaines suggestions sur la façon d'améliorer ces rapports, s'il y a moyen de faire quelque chose. Pourriez-vous nous en parler juste un peu? À mon avis, c'est essentiel, monsieur Coon Come, pour arriver à réaliser beaucoup de choses dont vous nous avez parlé aujourd'hui.
M. Coon Come: Je l'ai déjà dit et je le répéterai encore: c'est complètement tordu de répéter les mêmes choses encore et encore et de s'attendre à obtenir un résultat différent.
L'approche qui consiste à utiliser l'actuelle Loi sur les Indiens, par exemple, comme moyen de maintenir le colonialisme et l'emprise sur les Premières nations est totalement inacceptable de nos jours et à notre époque. L'Assemblée des premières nations est prête à s'asseoir avec le gouvernement afin d'établir une relation de travail et de les aider à mettre en oeuvre le contenu du discours du Trône. Nous avons mis en oeuvre toutes les initiatives conjointes qui avaient été recommandées par la Commission royale sur les peuples autochtones, de l'éducation, en passant par les anciens combattants, le logement et les services sociaux. Il ne manque plus qu'une chose, c'est qu'un représentant du gouvernement vienne nous dire: «Sommes-nous fous ou quoi?» Vous avez dépensé 58 millions de dollars de l'argent des contribuables sur une période de cinq ans pour faire réaliser des études par les meilleurs spécialistes du monde. Et vous avez obtenu d'excellentes recommandations. Nous essayons de construire quelque chose à partir de ces recommandations et d'évaluer le coût de leur application. Si le gouvernement réagit en disant: «Notre priorité est la Loi sur les Indiens», dans ce cas, nous n'irons nulle part. Cette situation frôle l'aliénation mentale. Le gouvernement a fait la même chose en 1969 avec le livre blanc. Vous avez participé au mouvement d'opposition, sénateur Gill. S'entêter à répéter les mêmes choses n'a rien donné. Il faut changer notre façon de voir les choses et nous attaquer aux vrais problèmes, comme nous sommes en train de le faire en ce moment. Il faut s'attaquer à des questions très terre à terre.
J'aimerais pouvoir vous brosser un tableau optimiste. C'est important. Cependant, nous sommes ici pour cerner les problèmes et pour essayer de trouver des solutions. Il ne servira à rien d'utiliser le passé comme tremplin.
Le sénateur Johnson a fait allusion à certaines questions très importantes sur lesquelles j'aimerais revenir. L'une d'elles pourrait être utile au comité. Je veux parler de l'accord découlant de la Loi sur le développement industriel et régional que nous avons conclu avec Développement des ressources humaines Canada et dont il y a quelques défenseurs à cette table. Dans le cadre de cet accord, nous essayons de déterminer avec l'industrie les secteurs du marché du travail susceptibles d'offrir des possibilités aux jeunes, pas seulement dans le secteur professionnel, mais aussi dans celui des aptitudes non professionnelles qui pourraient être requises afin de leur éviter de s'engager dans une voie qui ne les conduira nulle part. Nous avons déjà beaucoup de secrétaires. Il est inutile d'en former d'autres. Donc ce projet vise à mieux les orienter. Passablement de travaux et d'études ont déjà été réalisés, et je pense qu'ils pourraient vous être utiles.
Pour ce qui est des modèles d'identification, j'ai toujours été un fervent admirateur de John Kim Bell et de ses Prix nationaux d'excellence décernés aux Autochtones. Cet organisme célèbre cette année son dixième anniversaire. Ces prix servent à reconnaître les réalisations de nos jeunes. Nous avons de jeunes athlètes, des universitaires, des activistes et de jeunes entrepreneurs très prometteurs. Les autres jeunes peuvent dire: «Regardez, voilà des chefs de file.» En effet, ces jeunes chefs de file sont une source d'inspiration. Si vous et moi nous tentons de leur communiquer certaines expériences, les jeunes sont tentés de nous mettre une certaine étiquette. Mais si nous faisons appel à des représentants de leur âge, ils peuvent s'identifier plus facilement à eux.
En communiquant avec John Kim Bell et son groupe, vous pourriez obtenir les noms de tous les jeunes qui se sont mérité des prix d'excellence depuis les dix dernières années. Je pense que ce serait une bonne idée que de demander à ces jeunes de venir vous présenter un exposé. Vous êtes à la recherche de solutions. Vous devriez interroger ceux qui ont réussi.
Le sénateur Johnson: C'est intéressant que vous mentionniez cela. Hier, justement, j'ai demandé pourquoi nous n'avions pas invité les récipiendaires des prix nationaux d'excellence décernés aux Autochtones. Je suis membre du comité.
La présidente: Ça s'en vient. J'ai déjà parlé à John.
M. Coon Come: Bravo! Je suis heureux d'entendre cela. Je devrais être un sénateur.
Le sénateur Chalifoux: J'ai eu beaucoup de chance. J'ai compté parmi les 10 premières personnes à se mériter un prix d'excellence national il y a 10 ans.
Je tiens à remercier chacun d'entre vous. Ce fut un exposé remarquable. Vous nous avez fait d'excellentes recommandations, et c'est justement pour cette raison que nous pensons que c'est très important que vous soyez entendus à tous les paliers du gouvernement.
Je vais assister à la conférence des Aînés à Onion Lake. On m'y a invitée. Nous allons y parler de la gouvernance. Je pense que ce sera très intéressant. Peut-être que je vous y verrai, monsieur Coon Come?
Mme Gosnell: Les jeunes de Onion Lake viennent tout juste de terminer une campagne antitabac qui a remporté beaucoup de succès. N'oubliez pas de leur en parler.
La séance est levée.