LE STRESS DES AGRICULTEURS : DIMENSIONS ÉCONOMIQUES, CONSÉQUENCES HUMAINES
Rapport intérimaire de l'étude spéciale sur la sécurité dans les exploitations agricoles et les problèmes de santé connexes
Du comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts
Président: L'honorable Eric A. Berntson
Vice-president: L'honorable Herbert O. Sparrow
Juin 1993
DIXIÈME RAPPORT |
Le LUNDI 21 juin 1993 |
Votre Comité, autorisé par le Sénat le mardi 22 septembre 1993, à entreprendre une étude spéciale sur la sécurité agricole et les questions de santé liées à l'agriculture, présente un rapport intérimaire sur "Le stress des agriculteurs : dimensions économiques, conséquences humaines."
Respectueusement soumis,
Le président
Eric A. Berntson
LISTE DES MEMBRES
COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DE L'AGRICULTURE ET DES FORÊTS
L'honorable Eric A. Berntson, président
L'honorable Herbert O. Sparrow, vice-président
et
Les honorables sénateurs
Michael J. Forrestall
*Royce Frith (ou Gildas L. Molgat)
Len Gustafson
Daniel Hays
*Lowell Murray (ou John Lynch-Staunton)
H. A. Olson, c.p.
Raymond J. Perrault
Orville H. Phillips
Maurice Riel
Eileen Rossiter
Mira .Spivak
*Membres d'office
Personnel de recherche
De la Bibliothèque du Parlement
Service de recherche
June Dewetering
Nancy Miller-Chenier
Heather Lank
Greffier du Comité
Nous tenons à adresser nos remerciements au sénateur E. W. (Staff) Barootes, ancien président du Comité et au sénateur James W. Ross, qui a quitté le Sénat avant le dépôt du présent rapport provisoire.
ORDRE DE RENVOI
Extrait des Procès-verbaux du Sénat du mardi 22 septembre 1992
L'honorable sénateur Barootes propose, appuyé par l'honorable sénateur Olson, C.P.,
Que le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts soit autorisé à entreprendre une étude spéciale sur la sécurité agricole et les questions de santé liées à l'agriculture.
Après débat,
La motion, mise aux voix, est adoptée.
Le greffier du Sénat
Gordon L. Barnhart
LE STRESS DES AGRICULTEURS: DIMENSIONS ÉCONOMIQUES, CONSÉQUENCES HUMAINES
A. Situation économique défavorable : Nature et étendue du problème
1. Quel est l'état actuel des finances agricoles?
2. Les secteurs connaissant le plus de stressB. Quels facteurs contribuent à la situation économique difficile de l'agriculture?
C. Possibilités de changement : Bureaux d'examen de l'endettement agricole, Programme canadien de réorientation des agriculteurs
1. Bureaux d'examen de l'endettement agricole
2. Programme canadien de réorientation des agriculteurs
A. Le stress dans les familles d'agriculteurs : nature et importance du problème
1. État actuel des connaissances
2. Stress particuliers à certains groupes : handicapés, femmes, et parents n'ayant pas accès à une garderie
a. Agriculteurs handicapés
b. Les agricultrices
c. Les parents n'ayant pas accès à une garderieB. Facteurs contribuant au stress des agriculteurs et leur famille
C. Voie de l'avenir : Solutions actuelles et propositions
1. Sensibilisation
2. Counselling
3. Recherches
4. Soutien du gouvernement fédéral
5. Garde d'enfants
LE STRESS AGRICOLE MÈNE AU STRESS HUMAIN
RAPPORT INTÉRIMAIRE DE L'ÉTUDE SPÉCIALE SUR LA SÉCURITÉ DANS LES EXPLOITATIONS
AGRICOLES ET LES PROBLÈMES DE SANTÉ CONNEXES
"L'exploitation agricole est l'une des activités les plus dangereuses au Canada. Selon le Dr James Dosman, directeur du Centre for Agricultural Medicine, de l'Université de la Saskatchewan, chaque année, il y a plus d'agriculteurs que de mineurs qui meurent; la différence, c'est qu'ils ne meurent pas tous à la même place au même moment.
Le taux d'accidents mortels serait plus élevé dans les fermes que dans les chantiers de construction et, malheureusement, les accidents dans les exploitations agricoles frappent une plus forte proportion de jeunes et de personnes âgées.
Il existe plusieurs dangers dans les fermes qui peuvent provoquer des blessures et même la mort."
(Débats du Sénat, 22 septembre 1992, p. 2097)
À la suite de ces observations, le sénateur Barootes, alors président du Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts, a demandé au Sénat l'autorisation de charger le Comité d'examiner la sécurité dans les exploitations agricoles et les problèmes de santé connexes.
LE STRESS DES AGRICULTEURS: DIMENSIONS ÉCONOMIQUES, CONSÉQUENCES HUMAINES
"L'agriculture durable dont nous parlons n'est souvent durable que du point de vue des produits et de l'économie, et non du point de vue des personnes. J'aimerais attirer l'attention sur le caractère durable du travail des personnes de la communauté agricole." (13:9)
Le Comité reconnaît que dans toute exploitation agricole, les risques sont nombreux et variés. La plupart découlent d'éléments communs à toutes les exploitations agricoles, comme le fonctionnement des machines, la conception des installations agricoles et l'utilisation des produits chimiques. L'exposition à de tels risques peut se traduire par des maladies, des blessures ou la mort pour les personnes qui vivent et travaillent dans le secteur agricole.
Le stress que vivent de nombreux agriculteurs et leur famille est un risque important, quoique souvent oublié. Le stress des agriculteurs provient de plusieurs sources, mais c'est une situation économique instable et défavorable qui, pour la plupart des témoins, en représente la source la plus importante. D'après les témoignages entendus, la situation économique défavorable est non seulement à l'origine du stress, lequel entraîne des ennuis de santé liés à la profession, mais aussi prédispose davantage les agriculteurs à la maladie ou à des blessures occasionnées par d'autres éléments présentant des risques.
Par conséquent, la situation économique défavorable, qu'elle soit isolée ou combinée à d'autres sources de stress, comme les changements du temps, les longues heures de travail, le manque d'information et l'isolement, provoque des symptômes de mauvaise santé mentale et physique. La dépression, l'incapacité à se concentrer, la difficulté de prendre des décisions, les troubles du sommeil, le recours à l'alcool, une baisse de la productivité, de fréquentes disputes avec la famille et les amis font partie des signes psychologiques; les maux de tête et de dos, ainsi que la fatigue, constituent des signes physiques.
En outre, une situation économique défavorable influe sur de nombreux choix en matière de santé et de sécurité des agriculteurs. Par exemple, c'est en fonction de la situation économique que l'agriculteur décidera d'acheter ou non des machines dotées des dispositifs de sécurité les plus récents; c'est donc cet élément qui déterminera le fait que l'exploitant agricole, inattentif en raison de la fatigue, choisira ou non d'utiliser le matériel de façon sécuritaire. La situation économique influe aussi sur la décision d'acheter ou non du matériel de protection individuelle conçu pour le mélange et l'application des produits chimiques, ainsi que sur le degré de concentration que l'agriculteur peut accorder au mélange et à l'utilisation convenable de ces produits pendant qu'il doit surveiller ses enfants dont la garde est mal assurée. La situation économique détermine également le moment où l'agriculteur, décide de réparer ou d'améliorer le système d'aération d'une grange présentant des problèmes en matière de qualité de l'air.
Le présent rapport provisoire résume l'information transmise au Comité par des témoins qui nous ont fait part de leur expérience et de leurs vues sur la situation économique, sur le stress mental et affectif que connaissent de nombreux agriculteurs et leur famille, ainsi que sur les répercussions physiques d'un tel stress. Au cours des audiences, les témoins ont insisté sur le fait qu'il importe de reconnaître que le stress, doit être mis sur le même plan que les risques physiques, chimiques et biologiques plus courants auxquels font face les agriculteurs.
"Le stress est largement relié aux difficultés financières..." (11:9)
La situation économique de l'industrie agricole représente une source importante de stress pour les agriculteurs canadiens et leur famille, et concerne presque tous les aspects de la vie à la ferme. Ce stress constant a des effets envahissants sur la santé et la sécurité des agriculteurs. C'est un stress qui atteint la santé mentale, affective et physique des agriculteurs et qui influe sur les décisions dans plusieurs domaines relatifs à la sécurité agricole - y compris l'achat et l'utilisation de matériel de protection individuelle, l'utilisation de produits chimiques, l'achat de machines accompagnées de dispositifs de sécurité améliorés, les changements bénéfiques apportés à la conception des installations agricoles, le nombre d'heures de travail de l'agriculteur et des membres de sa famille et l'intensité de l'effort fourni.
A. Situation économique défavorable : Nature et étendue du problème
La situation économique instable et défavorable de l'industrie agricole n'est pas nouvelle. Depuis plusieurs années, les agriculteurs canadiens connaissent des niveaux élevés de stress économique découlant de plusieurs sources, dont des coûts élevés de facteurs de production, des bénéfices faibles, des marchés incertains et des conditions climatiques défavorables. Ces facteurs ont eu un effet sur le revenu, la dette et les valeurs d'actif dans l'industrie.
1. Quel est l'état actuel des finances agricoles?
Des fonctionnaires du ministère de l'Agriculture ont indiqué au Comité que d'après les résultats du Sondage agricole 1992, la valeur totale des actifs de l'exploitation agricole moyenne a régulièrement décliné entre 1980 et 1987, tombant d'un peu plus de 500 000 $ à 450 000 $ environ; elle a augmenté depuis ce moment-là. Toutefois, bien que les chiffres de 1991 soient légèrement supérieurs à ceux de 1980 en termes nominaux, le niveau atteint en 1991, en termes réels, est inférieur au niveau de 1990 si l'on tient compte de l'inflation. De toute évidence, le déclin des valeurs d'actif provoque du stress pour la plupart des Canadiens, qu'ils habitent en ville ou à la campagne.
Le stress découlant du déclin des valeurs d'actif peut être exacerbé s'il est accompagné d'une augmentation de la dette. Alors que la dette par ferme a augmenté entre 1980 et 1983, elle est restée assez constante depuis ce moment-là, se situant à un peu moins de 100 000 $. En outre, comme la dette a été relativement stable, les caractéristiques de l'avoir net par ferme ont été le reflet de celles des avoirs, passant d'environ 450 000 $ en 1980 à 375 000 $ environ à 1987, avant d'augmenter de nouveau jusqu'au niveau de 1980, pour atteindre près de 450 000 $ en 1991. Là encore toutefois, si l'on tient compte de l'inflation, les chiffres de 1991 étaient inférieurs à ceux de 1980.
Le ratio d'autonomie financière par ferme qui correspond à l'avoir net divisé par le total des actifs, a suivi une courbe semblable à celle de l'avoir net, tombant d'environ 85 p. 100 en 1980 à environ 80 p. 100 en 1987, avant d'augmenter de nouveau à près de 82 p. 100 en 1991.
De toute évidence, la mauvaise situation économique de l'industrie agricole demeure, contribuant à un niveau de stress augmenté chez les agriculteurs qui voient leurs valeurs d'actif et leur avoir net décliner, tandis que leur dette reste au même niveau ou augmente.
Beaucoup de témoins ont dit au Comité qu'ils devaient occuper un emploi non agricole pour subvenir aux besoins de leur famille pendant des périodes économiques difficiles. Mme Nettie Wiebe a remarqué "une chute marquée des prix, surtout dans le secteur des céréales. Nous avons donc été obligés de trouver un revenu d'appoint à la ferme familiale en trouvant du travail à l'extérieur, là où les emplois sont de plus en plus rares. Nous recherchons plus désespérément ces emplois moins nombreux." (13:29)
Les fonctionnaires du ministère de l'Agriculture ont dit au Comité que le revenu non agricole a augmenté de façon importante depuis 1987, ce qui a mené à une augmentation du revenu total de l'exploitation agricole moyenne entre 1987 et 1991. Le revenu non agricole comprend le revenu salarial provenant du travail effectué à l'extérieur de l'exploitation agricole, le revenu découlant d'entreprises n'ayant aucun lien avec l'exploitation agricole, les pensions, les produits de l'intérêt et tout autre revenu.
Pour les 52 p. 100 des exploitations agricoles canadiennes dont le revenu moyen par famille s'élève à moins de 50 000 $, le revenu non agricole est jugé important; par contre, pour les 36 p. 100 d'exploitations dont le revenu moyen par famille s'élève à moins de 25 000 $, il est considéré comme essentiel. Pour beaucoup de ces exploitants, les activités principales peuvent très bien se dérouler à l'extérieur de la ferme. Néanmoins, ces exploitations reçoivent 17 p. 100 des paiements de programme. À l'autre extrême, le revenu marchand net est relativement important pour les 28 p. 100 d'exploitations agricoles dont le revenu moyen en espèces s'élève à au moins 100 000 $.
Le Sondage agricole 1992 a aussi révélé qu'alors que la situation financière de nombreuses exploitations s'était améliorée depuis 1987, tel n'était pas le cas pour d'autres qui avaient carrément fait faillite. Par exemple, tandis que 5 p. 100 des exploitations agricoles avaient en 1987 une marge brute d'autofinancement (après le paiement du service de la dette) de moins de 10 000 $ et un ratio d'autonomie financière de moins de 50 p. 100, ce pourcentage est tombé à 2 p. 100 en 1991; les fonctionnaires pensent que certains de ces fermes ont fait faillite. Le pourcentage des exploitations dont le ratio d'autonomie financière est peu élevé (moins de 50 p. 100) et dont la marge brute d'autofinancement se situe entre 10 000 $ et 20 000 $, a légèrement diminué, passant de 2 p. 100 en 1987 à 1 p. 100 en 1991. Par contre, le pourcentage des exploitations dont la marge brute d'autofinancement dépassait 20 000 $, a légèrement augmenté, passant de 5 p. 100 en 1987 et en 1989 à 6 p. 100 en 1991.
Au fil du temps, il y a de moins en moins d'exploitations agricoles dont la marge brute d'autofinancement est peu élevée (moins de 10 000 $) et moyenne (10 000 $ à 20 000 $) et dont le ratio d'autonomie financière se situe entre 50 et 75 p. 100. Le pourcentage de telles exploitations agricoles est passé de 6 p. 100 en 1987 à 4 p. 100 en 1991, dans le cas des exploitations ayant une marge brute d'autofinancement peu élevée, et de 4 p. 100 en 1987 à 3 p. 100 en 1991, dans le cas des exploitations dont la marge brute d'autofinancement est moyenne. Le pourcentage de celles dont la marge brute d'autofinancement dépasse 20 000 $ a régulièrement augmenté, passant de 10 p. 100 en 1987 à 14 p. 100 en 1991.
Des changements se sont également produits en ce qui concerne des exploitations agricoles dont le ratio d'autonomie financière est élevé (plus que 75 p. 100). En 1987, le ratio d'autonomie financière était élevé et la marge brute d'autofinancement peu élevée dans le cas de 15 p. 100 des exploitations agricoles; ce chiffre a régulièrement baissé pour atteindre 10 p. 100 en 1991.De même, 13 p. 100 des exploitations agricoles dont le ratio d'autonomie financière était élevé affichaient une marge brute d'autofinancement intermédiaire en 1987, mais ce pourcentage a baissé, atteignant 11 p. 100 en 1991. Le pourcentage des exploitations agricoles dont le ratio d'autonomie financière est élevé et dont la marge brute d'autofinancement dépasse 20 000 $ a régulièrement augmenté, passant de 40 p. 100 en 1987 à 46 p. 100 en 1989 et 49 p. 100 en 1991. De toute évidence, les exploitations agricoles dont le ratio d'autonomie financière est élevé et dont la marge brute d'autofinancement est importante se retrouveront dans une situation financière relativement solide.
2. Les secteurs connaissant le plus de stress
Tous les secteurs de l'industrie agricole ne vivent pas la situation économique défavorable de la même façon. En fait, les différences sont parfois frappantes aux plans du revenu, de la dette et de l'actif moyens.
Les exploitations céréalières sont celles qui ont connu le plus fort stress dans les années 1980. Les résultats du Sondage agricole 1992 indiquent que dans ce secteur, l'actif par exploitation a augmenté entre 1987 et 1989, mais est resté pratiquement le même en 1991 qu'en 1989, se situant à 500 000 $ environ. Le Comité a appris que pour la plupart, les gains ont surtout été réalisés dans l'est du Canada, reflétant l'augmentation du prix des terres. En outre, alors que la dette moyenne baissait légèrement entre 1987 et 1989, elle a de nouveau augmenté, atteignant près de 100 000 $ en 1991. L'avoir net a augmenté entre 1987 et 1989, mais a quelque peu diminué entre 1989 et 1991; au cours de cette année, l'avoir net moyen s'élevait à un peu plus de 400 000 $. Le ratio d'autonomie financière par ferme, s'élevant à près de 80 p. 100 en 1987, a augmenté jusqu'à 83,2 p. 100 en 1989, avant de baisser légèrement pour atteindre presque 82 p. 100 en 1991.
Les valeurs d'actif des exploitations laitières ont, par contre, augmenté de façon conséquente et régulière entre 1980 et 1991, passant d'une moyenne d'environ 470 000 $ à près de 750 000 $. La dette a également augmenté, mais pas dans la même mesure absolue, si bien que l'avoir net a augmenté régulièrement; en 1980, l'avoir net par ferme se situait juste en-dessous de 400 000 $, avant d'atteindre près de 600 000 $ en 1991. Pour ce qui est du ratio d'autonomie financière par ferme, on peut dire que malgré une chute entre 1980 et 1983 - il était passé de près de 82 p. 100 à à peine plus de 78 p. 100 - le ratio s'est maintenu à un niveau relativement constant, soit 78 p. 100 depuis 1989, pourcentage inférieur à celui de toutes les exploitations canadiennes en moyenne. Les exploitations laitières représentant un risque relativement positif, tendent à avoir relativement plus de dettes que les autres.
Depuis 1987, année à partir de laquelle nous disposons de données, les caractéristiques des exploitations avicoles sont semblables à celles des exploitations laitières. Une augmentation régulière des valeurs d'actif, ainsi qu'une augmentation moins importante de la dette, ont contribué à des augmentations importantes de l'avoir net. En 1981, l'exploitation avicole moyenne affichait des actifs d'un peu plus de 1 million de dollars, une dette de près de 200 000 $ et un avoir net d'environ 800 000 $; le ratio d'autonomie financière s'élevait à 79,3 p. 100.
Les exploitations d'élevage bovin, céréalières et de cultures commerciales tendent à obtenir une proportion relativement plus élevée de leur revenu en espèces de sources extérieures à l'exploitation agricole, ce qui reflète, en partie, la demande en matière de main duvre dans les divers secteurs agricoles. Ces genres d'exploitations ne nécessitent pas une attention quotidienne de la part de l'agriculteur et de sa famille de la même façon qu'une exploitation laitière ou d'élevage porcin. Le Comité a également appris qu'en 1991, les exploitations céréalières, laitières et d'élevage porcin ont obtenu une partie considérable de leur revenu sous forme de paiements de programme. Par contre, le revenu marchand net a été important pour les exploitations avicoles et, à un degré moindre, pour les exploitations laitières; il représentait une proportion relativement faible du revenu en espèces des exploitations de cultures commerciales, céréalières et d'élevage bovin. L'importance relative de ces diverses sources de revenu varie en fonction des divers types d'exploitations. Il importe toutefois de reconnaître l'incertitude liée au montant et à l'échelonnement des paiements de programme, la rareté relative des emplois non-agricoles, à l'effet des prix peu élevés des produits et des marchés incertains et à ce que cela signifie en matière de stress pour les agriculteurs et leur famille.
B. Quels facteurs contribuent à la situation économique difficile de l'agriculture?
Les témoins ont cité divers facteurs contribuant à la situation économique défavorable de l'industrie agricole. Il s'agit, entre autres, des prix relativement bas des produits, des coûts élevés des facteurs de production, de l'Accord de libre-échange entre le Canada et les États-Unis, du déclin des marchés et de l'incertitude quant à l'issue des négociations de l'Uruguay. Mme Nikki Gerrard, de la Saskatchewan Mental Health Clinic, a indiqué que "Les facteurs de stress qui créent des problèmes pour les agriculteurs découlent des discussions relatives au GATT, de la migration des populations rurales vers les centres urbains, ainsi que des modifications constantes des programmes de financement et d'appui." (14:16)
Les fonctionnaires du ministère de l'Agriculture ont indiqué au Comité que dans les années 1970 et au début des années 1980, l'avenir de l'industrie agricole semblait des plus prometteurs; pour les gouvernements et les agriculteurs, les marchés semblaient prendre régulièrement de l'ampleur et les perspectives en matière de revenu paraissaient bonnes. Ces attentes ont eu un effet sur les valeurs d'actif et le prix que les gens étaient prêts à payer pour faire partie de cette industrie.
La situation a cependant commencé à changer au milieu et à la fin des années 1980. Les changements possibles et ceux qui ont effectivement été apportés aux accords commerciaux, comme lAccord de libre-échange entre le Canada et les États-Unis et lAccord général sur les tarifs douaniers et le commerce, ont provoqué une certaine incertitude et rendu difficile la planification de l'avenir. Dans certains secteurs, les rendements du marché ont également baissé.
Les programmes de soutien et de stabilisation du revenu des agriculteurs ont également été quelque peu modifiés au cours des années 80 et au début des années 90. Par exemple, des modifications ont été apportées à la Loi de stabilisation concernant le grain de l'Ouest, tandis que le Régime d'assurance du revenu brut et le Compte de stabilisation du revenu net étaient mis sur pied. En outre, on a semblé privilégier des programmes tripartites auxquels participaient, comme dans le cadre du Programme d'assurance-récolte, les agriculteurs, les gouvernements provinciaux et le gouvernement fédéral. Les changements de programmes représentent encore une autre source d'incertitude pour les agriculteurs et leur famille.
Il reste toutefois que, de l'avis des fonctionnaires du ministère de l'Agriculture, la part du gouvernement fédéral dépasse la moitié des dépenses totales affectées à l'industrie agricole, tandis que celle des gouvernements provinciaux au secteur de l'agro-alimentaire change au cours du temps. Ils ont également remarqué un écart entre ce que reçoit l'agriculture par rapport au total des dépenses, et ce qu'elle contribue au produit intérieur brut du Canada. Elle reçoit plus qu'elle ne contribue, bien que cela varie beaucoup d'une province à l'autre. Pour les producteurs toutefois, l'incertitude, le montant et le moment du versement de ces paiements d'appui représentent un véritable problème.
C. Possibilités de changement : Bureaux d'examen de l'endettement agricole, Programme canadien de réorientation des agriculteurs
1. Bureaux d'examen de l'endettement agricole
Grâce à des études qu'il avait déjà faites, le Comité connaissait le processus des bureaux d'examen de l'endettement agricole, créés le 5 août 1986. Ces bureaux visent à aider les exploitations agricoles connaissant des difficultés financières ou faisant face au problème de la forclusion en leur donnant la possibilité d'un examen impartial, ainsi que d'un financement ou d'un éventuel refinancement. Le but premier de ce processus volontaire, offert dans chacune des provinces, consiste à examiner la situation financière de l'agriculteur et à faciliter une entente mutuellement acceptable entre l'agriculteur et ses créanciers. Les parties ne sont pas tenues de parvenir à un accord; cependant, tout accord signé par elles devient un contrat juridique.
Il se peut que le processus présente d'autres avantages. Ainsi, l'agriculteur peut se rendre compte qu'il n'est pas le premier ni le seul à avoir des problèmes financiers. Par ailleurs, un représentant du Bureau d'examen de l'endettement agricole fait une évaluation de la situation financière actuelle de l'exploitation, ce qui peut aider l'agriculteur à négocier avec ses créanciers et à évaluer les diverses options qui lui sont offertes pour résoudre ses difficultés financières.
Les fonctionnaires du ministère de l'Agriculture ont informé le Comité des activités passées et actuelles des bureaux d'examen de l'endettement agricole dans chaque province. Entre janvier 1987 et décembre 1992, les bureaux provinciaux ont reçu 19 641 demandes. Le nombre des demandes reçues chaque année varie; en 1987, il y en a eu 3 843, en 1989, 2 905; ce chiffre est monté à 3 664 en 1991, avant de retomber à 2 860 en 1992. En raison des mauvaises récoltes de l'automne de 1992, on s'attend à une légère augmentation en 1993. La Saskatchewan est la province qui régulièrement reçoit le plus grand nombre de demandes, soit presque 60 p. 100 du total; beaucoup de demandes sont également présentées en Ontario, au Manitoba et en Alberta.
Sur les 16 881 demandes remplies entre 1986, date de la mise sur pied du programme, et le 31 décembre 1992, 12 702, soit 75,2 p. 100, ont donné lieu à une entente mutuellement acceptable. Dans le cas de 33,4 p. 100 de ces ententes, la dette a été restructurée, tandis que 26 p. 100 d'entre elles ont donné lieu à un avis de renonciation et à une cession-bail. D'autres ententes ont permis à l'agriculteur de se défaire de certains actifs, se sont traduites par des arrangements satisfaisants de départ, par un rééchelonnement de la dette ou par l'obtention d'un emploi à l'extérieur de l'exploitation. En Saskatchewan, 46,3 p. 100 des cas ont donné lieu à une entente, tandis qu'en Ontario, en Alberta et au Manitoba, le pourcentage de ces ententes s'est élevé à 13 p. 100, 12,8 p. 100 et 12,6 p. 100 respectivement.
Dans 24,8 p. 100 des cas, soit 4 179 cas, il a été impossible à l'agriculteur et à ses créanciers de parvenir à une entente, aucun arrangement n'étant possible, ou encore à cause d'une dette excessive et d'une mauvaise gestion. En Saskatchewan, on a dénombré 55,2 p. 100 de cas n'ayant donné lieu à aucune entente; en Alberta, 14 p. 100.
Le Comité a également appris l'existence de subventions d'assistance de consultation spécialisée, offertes depuis le 1" avril 1988 aux clients des bureaux d'examen de l'endettement agricole souhaitant obtenir des consultations financières, fiscales et juridiques, ainsi qu'une évaluation et des conseils personnels. Ces subventions servent la plupart du temps à des consultations d'ordre financier avant la signature d'un accord avec un créancier; les clients ayant besoin d'évaluations et de conseils personnels ont le plus souvent accès à des services gratuits offerts par les gouvernements, ainsi que par des organismes religieux et d'entraide. Ces subventions sont particulièrement utiles pour les clients qui envisagent d'importants changements ou qui ont besoin de services autres que les services de consultation offerts par les bureaux d'examen de l'endettement agricole, afin de mieux connaître les choix qui s'offrent à eux et les conséquences de ceux-ci.
2. Programme canadien de réorientation des agriculteurs
Dans le cadre d'une étude préliminaire, le Comité s'est penché sur le Programme canadien de réorientation des agriculteurs, mis en vigueur en septembre 1986, dans le but d'aider les agriculteurs dont les difficultés financières les obligent à quitter le secteur agricole, à se réorienter et à trouver un autre emploi et une autre façon de vivre. Ce Programme est offert à tous les agriculteurs, qu'ils aient suivi ou non le processus du Bureau d'examen de l'endettement agricole, bien que les responsables du Programme puissent accepter la demande de l'agriculteur à partir d'une recommandation d'un bureau d'examen de l'endettement agricole, ce qui permet ainsi d'accélérer le processus.
Ce Programme, financé par le ministère de l'Agriculture et géré par le ministère de l'Emploi et de l'Immigration, offre divers types de consultations et d'aide aux agriculteurs et à leur famille qui décident de quitter ce secteur : consultations personnelles et en vue d'un emploi; aide financière pour la réorientation, la formation, le déplacement, la recherche d'emploi, la réinstallation et la création d'une nouvelle entreprise non liée à l'agriculture; par ailleurs, les employeurs peuvent se faire partiellement rembourser le salaire des agriculteurs, cela pour les encourager à embaucher des agriculteurs qui ont de la difficulté à trouver un emploi. Pour une famille agricole moyenne qui choisit de quitter le secteur agricole, le coût moyen du programme s'élève actuellement à environ 8 700 $.
Les fonctionnaires du ministère de l'Agriculture ont indiqué au Comité qu'entre 1988 et 1992, 3 581 demandes ont été reçues. On a toutefois noté une baisse régulière du recours à ce programme, puisque les demandes reçues sont passées de 1 123 en 1988 à 483 en 1992. Depuis 1989, c'est en Alberta et en Saskatchewan que l'on enregistre les plus forts pourcentages de demandes reçues chaque année; ensemble, ces deux provinces représentent au moins 45 p. 100 des demandes reçues. En 1992, l'Alberta et la région de l'Atlantique ont affiché une augmentation du nombre des demandes.
Alors que les témoins ont, en général, eu le sentiment que la sécurité et la santé dans les exploitations agricoles s'amélioreraient si la situation économique de l'industrie agricole était plus satisfaisante, ils n'ont fait aucune proposition particulière sur la façon dont cela devrait se faire.
«...À l'heure actuelle, les programmes axés sur la dimension humaine de l'agriculture constituent le chaînon manquant (11:25).»
Depuis quelque temps, on trouve dans les journaux et les revues, de même qu'à la télévision et à la radio, des articles et des reportages faisant état des menaces qui planent sur la santé mentale et affective des agriculteurs et des membres de leur famille. Beaucoup de témoins ont dit au Comité que la conjoncture économique dans l'industrie agricole n'est pas sans nuire à l'état de santé général de la communauté agricole. D'après eux, il faut absolument désamorcer le stress chez les agriculteurs et leur famille et faire quelque chose pour améliorer leur santé affective et mentale. Il ne suffit pas de soutenir la terre. Afin de réaliser l'agriculture réellement durable il faut une soutenance humaine.
Comme nous l'avons dit plus tôt, les séquelles du stress contribuent elles aussi à rendre les conditions de travail moins sécuritaires. Par exemple, le fermier distrait parce que stressé sera moins prudent lorsqu'il mélangera et appliquera des produits chimiques. Il oubliera de fermer le moteur avant de réparer une machine. Peut-être que toute la famille ressentira les effets de ce stress, ce qui pourra augmenter le risque d'accidents.
A. Le stress dans les familles d'agriculteurs : nature et importance du problème
1. État actuel des connaissances
Malheureusement, c'est surtout par ouï-dire et par les reportages dans les médias qu'on peut se faire une idée de la prévalence des troubles mentaux et émotionnels et de leurs conséquences physiques dans la population agricole canadienne. Il existe peu de données sur la nature et l'envergure du problème. Les chercheurs, les législateurs et les autres parties intéressées doivent se fonder sur les témoignages entendus lorsqu'ils déterminent quelles recherches, quelles lois et quels services sont prioritaires.
Ce qu'on sait cependant donne à penser que beaucoup d'agriculteurs et des membres de leur famille sont stressés, comme en témoignent, en partie, les suicides. Le Dr Gerrard a parlé d'une étude qui indique que l'incidence du suicide chez les agriculteurs de l'Alberta est le double du taux provincial (14:8). Le Comité a aussi appris que les suicides peuvent être «maquillés» en accidents (14:9).
En outre, les autres manifestations mentales, Affectives et physiques du stress comprennent ce qui suit: troubles cardio-vasculaires, troubles digestifs, fatigue chronique, céphalée, maux de dos, manque de concentration, oublis, accès de colère, crises émotives, incapacité de se détendre, confusion mentale, dépression, angoisse, insomnie, troubles du sommeil, les problèmes conjugaux et les autres problèmes de relations humaines, la violence familiale et l'abus d'alcool et de drogues. D'après le Dr Gerrard, les médecins ruraux de la Saskatchewan estiment que 80 p. 100 de leurs clients viennent les voir pour des maladies liées au stress (14:7) .
Mme. Raymonde Chartrand, présidente de la Fédération des agricultrices du Québec, a expliqué que les soucis économiques engendrent toutes sortes de troubles de santé chez les agriculteurs. Inquiets à cause de leur situation financière, ils ont peur de ne pas arriver à tout faire. Ils mettent alors les bouchées doubles : «En conséquence, la fatigue se manifeste. Les dangers augmentent eux aussi. Les risques pour la santé et la sécurité se font présents. Les agriculteurs et les agricultrices ne prennent pas toutes les précautions. Étant plus pressés, ils redoutent le moment d'inattention qui peut avoir des conséquences dramatiques. D'autres manifestations apparaissent : l'incapacité de trouver le sommeil malgré la fatigue; la poursuite, la nuit, des activités faites durant le jour; la prise de médicaments pour s'endormir ou pour être capables de faire le travail durant la journée» (13:18).
L'agriculteur distrait, inquiet, moins vigilant ou préoccupé par la douleur est vulnérable aux blessures et aux accidents mortels. Durant les périodes intenses du vêlage, des semailles et de la récolte, les fermiers sont pressés par le temps et il leur arrive de prendre des raccourcis. Comme l'explique M. Carl Palmer du Comité national de direction des agriculteurs handicapés de l'Association Canadienne des paraplégiques: «Au moment de la fenaison, c'est la course contre la montre pour éviter le mauvais temps» (12:17). Pendant cette période, les fermiers et leur famille travaillent de longues heures et engagent parfois des aides qui ont moins d'expérience, ce qui augmente d'autant le risque d'accidents.
Les efforts pour mieux comprendre le stress en milieu agricole sont surtout axés sur les adultes, mais les adolescents et les enfants en bas âge n'échappent pas non plus au stress. Le Dr Gerrard a dit au Comité : «Alors qu'auparavant les adolescentes avaient l'habitude de se réunir et de parler des garçons, elles parlent maintenant du stress que vivent leurs parents sur la ferme» (14:9). Le Dr Gerrard est souvent appelée à traiter des enfants de 11 à 18 ans des écoles rurales après que leurs parents et leurs professeurs ont remarqué qu'ils sont préoccupés par le stress de leurs parents (14:9).
Mme Donna Lunn du Réseau canadien des agricultrices a aussi décrit des situations qui illustrent à quel point cette crise peut être dévastatrice pour les enfants. Voici un exemple «Un agriculteur a amené son fils de 8 ans à la banque parce que sa femme travaillait à l'extérieur de la ferme et qu'il n'avait aucun accès à des services de garderie. Pendant que les adultes discutaient d'un prêt destiné à l'exploitation, on a donné à l'enfant, pour qu'il s'amuse, une feuille et un crayon. [...] Au milieu des noms des membres de la famille, d'un soleil affichant un large sourire et de fleurs, on aperçoit des chiffres. Chez un enfant de 8 ans, on aurait été en droit de s'attendre à des chiffres dans les dizaines, mais, dans ce cas particulier, il s'agissait de nombres dans les milliers. Ce ne sont pas des pommes qu'il comptait, mais bien des dollars. Sur une autre partie de la feuille, il avait inscrit des nombres correspondant à des milliers de dollars, nombres qu'il avait recouverts de X vraisemblablement parce que le banquier disait «non». C'est le type de stress auquel nos enfants font face (13:11).
Une lettre adressée au Père Noël constitue un autre exemple. Voici ce qu'elle dit : «Cher Père Noël, je ne désire rien cette année, sinon la santé et le bonheur, et, s'il vous plaît, Père Noël, ne les laissez pas nous prendre notre ferme» (13:11). Le conditions adverses économiques de l'industrie, le stress mental et affectif des fermiers et de leurs conjoints et les manifestations physiques de ce stress ont des répercussions profondes et inquiétantes sur les enfants de la ferme.
Une autre source d'anxiété est de ne pas trouver en milieu rural les mêmes services qu'en milieu urbain, autant au moment de l'accident qu'après. Le Dr Dosman a dit au Comité que «l'écart s'accentue entre les ruraux et les citadins pour ce qui est des services de santé diagnostiques et préventifs ainsi que des services de soutien à la famille (11:12). Les régions rurales sont moins susceptibles d'être à proximité d'un hôpital important de soins tertiaires, ce qui retarde le traitement d'une blessure et accroît le risque de complications. En outre, les services suivants sont peut-être moins accessibles : réadaptation, ergothérapie, prothèses, soutien, counselling et autres services.
Les représentants du Comité national de direction des agriculteurs handicapés de l'Association canadienne des paraplégiques ont parlé des tensions et des risques subis par les agriculteurs handicapés.
Le Comité national de direction a rappelé que les agriculteurs handicapés peuvent occuper un emploi rémunérateur et satisfaisant dans leur exploitation agricole. D'après l'énoncé de mission du Comité de direction, l'agriculture est «un métier viable et réaliste pour les personnes handicapées et leur famille (12:8). Il reste qu'un handicap pèse davantage lorsque la situation est déjà stressante. En plus du stress mental, affectif et physique éprouvé par tous agriculteurs et leur famille, l'existence d'un handicap influe sur la viabilité économique de l'exploitation agricole parce qu'il entraîne un mode de vie et des modifications au système et au matériel qui coûtent plus cher.
Les périodes d'hospitalisation et de réadaptation prolongées, parfois permanentes, et la dépense physique constante exigée par une incapacité peuvent faire en sorte qu'il soit nécessaire de réduire l'exploitation agricole. Les profits seront moins élevés et il faudra que les membres de la famille trouvent du travail en dehors de la ferme. Il sera aussi plus difficile de financer les modifications au logement et à l'équipement si l'agriculteur handicapé choisit de rester à la ferme.
Au sujet des modifications à apporter à la machinerie et aux installations agricoles, ainsi qu'à la résidence familiale, M. Palmer a dit au Comité que «quelle que soit la nature du handicap, il faut faire un grand nombre de modifications» (12:10). Mme Patricia Harrison du Comité national de direction, a souligné que les modifications de la machinerie peuvent coûter «jusqu'à 18 000 $» (12:8). Il faut aussi équiper la maison de certains accessoires, notamment des accès pour les fauteuils roulants et des commandes manuelles lorsque la personne a perdu l'usage de ses jambes, et remplacer les poignées de porte lorsque la personne a perdu l'usage de ses mains.
La personne handicapée craint aussi de subir une autre blessure. M. Palmer a dit ceci au Comité : «Parce que j'ai continué à travailler dans mon exploitation après avoir perdu mes jambes, d'autres événements se sont enchaînés. Ainsi, j'ai perdu une phalange d'un doigt, je me suis cassé le poignet et j'ai maintenant de l'arthrite à cet endroit. Ce sont des choses qui arrivent lorsque l'on travaille différemment» (12:11). Le vieillissement est une autre inquiétude. Mme Harrison fait remarquer que «les agriculteurs s'aperçoivent qu'il est très difficile, vingt ans après leur accident, d'être aussi forts qu'ils l'étaient jusqu'alors» (12:12). Plus il devient difficile de se livrer aux activités agricoles, plus les agriculteurs handicapés doivent compter sur la technologie, comme l'explique M. Murray Bedel du Comité national de direction : «À mesure que je prends de l'âge, je dois m'en remettre un peu plus à la technique» (12:13).
Lorsque l'hospitalisation est nécessaire, les membres de la famille peuvent être appelés à exécuter des tâches qui ne leur sont pas familières, peut-être avec des machines qu'ils connaissent mal. Ces membres de la famille, qui sont souvent de jeunes adolescents ou des parents plus âgés, courent ainsi plus de risques d'être malades, de se blesser ou même de se tuer. M. Palmer a fait remarquer que «les enfants évaluent mal les vitesses et ne savent pas à quelle distance on peut s'approcher d'un fossé; à partir de quel moment un tracteur va se retourner; jusqu'où on peut s'approcher d'un arbre lorsqu'on travaille avec le matériel et les barres de coupe, etc.» (12:17). Pour l'agriculteur handicapé, les risques additionnels que court sa famille peuvent représenter une tension supplémentaire.
Lorsqu'une incapacité survient, la rencontre avec un autre agriculteur dans la même situation peut être utile et aider le fermier nouvellement handicapé et sa famille à décider en toute connaissance de cause s'ils vont garder l'exploitation agricole et comment. M. Bedel a dit au Comité : «Lorsque j'ai eu mon accident, la première source de tension est venue du fait que je me demandais s'il me faudrait ou non quitter l'agriculture» (12:9).
Le counselling doit être donné à tous les membres de la famille. C'est toute la famille qui doit apprendre à s'adapter à l'incapacité. Cette adaptation doit commencer peu de temps après l'accident et se poursuivre des mois, des années ou même la vie entière. Comme l'explique M. Palmer, «ce n'est pas seulement le jour de l'accident que l'on a mal. C'est une chose qui dure. Après l'accident, la douleur subsiste jusqu'à la fin de la vie» (12:19).
D'après le recensement de 1991, plus de 25 p. 100 des 390 870 exploitants agricoles cette année-là étaient des femmes. Environ 10 p. 100 exploitaient la ferme elles-mêmes à titre individuel, ce qui pour beaucoup est en soi stressant. La contribution des femmes à la communauté agricole est énorme, et il faut reconnaître le stress particulier qui est le leur.
Les femmes subissent les mêmes facteurs de stress que les hommes : facteurs économiques, risques environnementaux, horaires irréguliers, et troubles relationnels, auxquels s'ajoutent d'autres stress relativement uniques qui tiennent à leur rôle dans la famille.
Souvent, les agricultrices ont une charge de travail double ou triple. Mme Nettie Wiebe du Syndicat national des cultivateurs, a dit au Comité que «en moyenne, nous travaillons entre 95 et 103 heures par semaine. Celles d'entre nous qui ont des enfants, donc un volume de travail plus élevé pour ce qui est de faire le ménage et de s'occuper des enfants, en font beaucoup plus» (13:28). Souvent, les agricultrices travaillent à la ferme, en dehors de la ferme et à la maison. La quantité de travail que l'on attend d'elles peut être stressante. Le grand nombre d'heures consacrées au travail réduit le temps de loisirs et accroît la fatigue, ce qui peut exacerber le stress.
Le manque de valorisation des agricultrices, qu'il soit réel ou le fruit de l'imagination, peut être une autre source de stress. Mme Wiebe a fait part au Comité d'une observation faite par une agricultrice endettée : «Nous avons travaillé la terre pendant plusieurs décennies, puis quand les choses ont tourné au vinaigre, c'était sa ferme, notre dette et ma faute (13:32). Les agricultrices doutent souvent du fait qu'elles peuvent exercer de l'influence. Ce manque de confiance se traduira par une tendance à laisser les autres décider, souvent leur conjoint, qui le fera sans les informer ou sans les consulter. Pour nombre d'entre elles, la non-valorisation et la non-reconnaissance de leur participation à l'exploitation agricole de la part des banquiers, de leur conjoint, des vendeurs et de la collectivité, sont génératrices de stress.
Qu'il s'agisse d'agriculteurs ou de citadins, le stress finit par accroître les confrontations familiaux, ce qui peut aboutir à des crises et même à la violence. La violence familiale peut être encore plus problématique pour les femmes qui vivent à la ferme étant donné qu'on ne trouve pas en région rurale de refuge pour les femmes battues et les enfants. Mme Lunn a expliqué au Comité que « notre comté ne compte qu'un seul refuge, qui est situé en ville. [...] Les femmes qui habitent à l'une des limites de notre comté ont accès au refuge situé dans le comté voisin, puisque nous ne pouvons mettre ce genre d'établissement à leur disposition » (13:42). À cause de cette situation, les membres de la famille restent dans un climat violent simplement parce qu'ils croient qu'ils n'ont pas d'autre endroit où aller.
c. Les parents n'ayant pas accès à une garderie
Plusieurs témoins ont parlé du besoin urgent ressenti par beaucoup de parents d'avoir accès à des services de garderie de qualité, à un prix abordable. Bien que les communautés agricoles ne soient pas les seules à avoir besoin de services de garderie, certains aspects propres aux agriculteurs peuvent constituer des risques pour les enfants qui ne sont pas en garderie. L'absence de garderies, non seulement quand les parents travaillent en dehors de la ferme, mais aussi pendant certains travaux saisonniers, est une autre source de stress pour tous les parents, mais surtout pour les femmes. En conséquent, les besoins en milieu rural peuvent différer de ceux en milieu urbain.
Les parents qui n'ont pas accès à une garderie peuvent emmener leurs enfants avec eux pendant qu'ils vaquent à leurs occupations et les laisser jouer près d'eux ou les faire monter sur une machine avec eux. Dans l'un ou l'autre des cas, les enfants sont vulnérables, comme le sont d'ailleurs les parents qui sont peut-être moins attentifs étant donné qu'ils doivent surveiller un ou plusieurs enfants. Il est également possible que les parents laissent les enfants seuls à la maison pendant qu'ils font leur travail, ce qui expose aussi les enfants à des accidents d'une autre nature.
L'enquête sur les familles des milieux ruraux ayant de jeunes enfants, faite par la Fédération des instituts féminins du Canada en 1989, a révélé que là où il n'existait pas de garderies, 40 p. 100 des enfants de moins dix ans étaient laissés dans des «circonstances non satisfaisantes.» Ailleurs, 38 p. 100 des jeunes enfants étaient confiés aux soins de voisins ou de proches parents, une situation où les parents en général estimaient que leurs enfants recevaient de bons, voire d'excellents soins. De plus, même si 18 p. 100 des enfants étaient laissés à l'occasion à un frère ou une soeur plus âgé, 50 p. 100 des parents n'étaient pas satisfaits de cet arrangement. Enfin, les haltes-garderies et les programmes de garde scolaire étaient rares, et moins de 20 p. 100 de la population avait accès à un de ces services.
La distance est un élément primordial pour les parents. Lorsqu'ils arrivent à trouver une garderie acceptable, c'est parfois à des milles de chez eux. La moitié des parents parcouraient plus de 15 kilomètres pour s'y rendre. Ce temps de transport supplémentaire augmente de beaucoup la journée de travail, ce qui crée du stress pour les parents et les enfants étant donné qu'ils se lèvent plus tôt, arrivent plus tard à la maison et passent plus de temps à voyager et donc moins de temps ensemble. Il arrive que les parents se sentent coupables et insatisfaits de l'éducation qu'ils donnent.
Certains parents ont trouvé des solutions innovatrices à leurs problèmes de garde d'enfants. Mme Jacquie Linde de la Fédération des instituts féminins du Canada a raconté l'anecdote suivante : «Une mère en particulier a pensé à un système de communication par sifflet que ses enfants utilisent quand elle est train de labourer ou de s'occuper du bétail. Les enfants signalent grâce au bruit strident d'un sifflet en métal qui s'entend à une distance considérable de la maison. Ce n'est pas parfait, mais c'est plus rassurant, et pour la mère, et pour les enfants, que les périodes prolongées de silence» (13:27).
Toutes les provinces ont des garderies autorisées, mais celles-ci ne répondent pas toujours aux besoins des familles rurales. Même lorsque des places sont disponibles, certaines familles trouvent que le coût est prohibitif, ou que la distance à parcourir est trop longue. De plus, beaucoup de familles ont besoin de services seulement à certaines périodes, ce que les garderies ne peuvent pas ou ne veulent pas accepter.
Mme Raymonde Chartrand, de la Fédération des agricultrices du Québec, a dit qu'il était important de voir à ce que les agriculteurs n'aient pas à amener leurs enfants là où ils travaillent, que ce soit dans la grange ou aux champs, tout comme les parents qui habitent à la ville. Elle a déclaré au Comité : "Je ne pense pas qu'un médecin qui va faire une opération dans un hôpital tolérera que son fils de deux ans le tienne par la jambe pendant qu'il opère." (13:45, 46) Pour assurer la sécurité des enfants des agriculteurs, ainsi que la sécurité et la tranquilité d'esprit de leurs parents, des services de garde d'enfants abordables, accessibles et souples sont considérés comme un urgent besoin dans les régions rurales.
B. Facteurs contribuant au stress des agriculteurs et leur famille
Comme on l'a dit plus tôt, de nombreux facteurs contribuent à accentuer les problèmes de santé mentale et affective des agriculteurs canadiens et de leur famille. Le plus grand stress est causé par des facteurs impossibles à contrôler ou qui couvrent de très longues périodes.
De nombreux facteurs de stress mental et affectif sont considérés comme incontrôlables, par exemple, les conditions atmosphériques, la maladie ou les insectes nuisibles, le prix des produits, les coûts des intrants, les pannes de matériel, l'image de l'industrie agricole véhiculée par les médias, les politiques gouvernementales et le manque de services de garde d'enfants adéquats, abordables et accessibles.
Les agriculteurs et leur famille n'ont qu'un contrôle limité sur d'autres causes de stress : l'exode rural, les décisions à prendre sur les cultures à produire, les réunions avec les créanciers et les heures de travail. Les agriculteurs ressentent souvent une grande anxiété à l'idée d'événements inattendus qui risquent de les empêcher de contrôler leur travail. Comme l'a fait remarquer Mme. Chartrand : "...les agriculteurs craignent l'arrêt de travail, l'incapacité d'accomplir leurs tâches. Compte tenu de l'ampleur des tâches à accomplir sur la ferme, de la somme de travail qu'ils accomplissent et des connaissances multiples nécessaires au fonctionnement qui rendent les agriculteurs quasi irremplaçables, l'arrêt de travail est perçu comme étant catastrophique." (13:19)
Enfin, un accès inadéquat aux services de santé peut également contribuer à accentuer le stress mental et affectif. Les familles d'agriculteurs sont parfois éloignées non seulement des établissements médicaux qui fournissent des services d'urgence, mais également de ceux qui fournissent des services de santé préventifs. L'incapacité de pouvoir recourir aux services nécessaires a une incidence sur la santé physique et mentale de tous. Le Dr Dosman a parlé au Comité de l'étude réalisé par son organisme sur le stress chez les agriculteurs, laquelle ...a permis de mieux prendre conscience du problème, mais sans (...) vraiment trouver des moyens d'aider les nombreuses familles disséminées dans un très vaste secteur géographique." (11:10)
C. Voie de l'avenir : Solutions actuelles et propositions
De nombreux témoins ont proposé au Comité des mesures qui pourraient être prises à l'avenir pour limiter les effets du stress mental et émotionnel. Si la prévention est considérée comme la meilleure solution, l'élimination totale de nombreuses causes de stress est jugée impossible en raison de leur nature incontrôlable. Comme le faisait remarquer le Dr Gerrard : "...le stress que subissent les agriculteurs et les symptômes et les effets dont il s'assortit, notamment les accidents, les dépenses consacrées aux soins de santé et le gaspillage de vie, physique et morale. Nous n'éliminerons jamais le stress en milieu agricole; toutefois, nous pouvons traiter quelques-uns de ses symptômes." (14:17)
Des programmes de sensibilisation efficaces constituent un moyen de réduire l'intensité du stress et de ses effets sur les familles d'agriculteurs. Il faudrait fournir de l'information sur le stress aux exploitants agricoles, à leurs épouses, à leurs enfants et à tous les autres intervenants de l'industrie agricole. Il est jugé capital d'informer la population sur les effets négatifs du stress sur la santé en général et les liens qui existent entre le stress et d'autres dangers de la vie à la ferme. Si de telles initiatives ont peu de chance d'améliorer la situation économique des agriculteurs, elles pourraient du moins inciter ces derniers à se montrer plus prudents dans l'utilisation de la machinerie agricole, dans l'utilisation des produits chimiques et dans la conception des installations agricoles.
Plus les agriculteurs et leurs familles seront renseignés sur la manière de traiter avec le stress, plus ils seront en mesure de faire face à certains problèmes de santé accentués par la précarité de leur situation économique. De plus, la sensibilisation et la formation peuvent inciter les agriculteurs à exécuter certaines tâches agricoles avec plus de soin. Lorsqu'un agriculteur est moins attentif, les habiletés acquises grâce à une bonne éducation et à une bonne formation peuvent lui permettre d'éviter les accidents et d'éviter la maladie ou la mort.
Les enfants, les épouses d'agriculteurs ou encore les agriculteurs handicapés sont des groupes qui, dans la collectivité agricole, profitent de programmes éducatifs ciblés. En ce qui concerne les enfants, Mme Harrison a fait remarquer que "ce sont eux qui, bien souvent, rappellent à leur mère ou à leur père qu'il leur faut faire attention... Si l'on insiste dans ce sens, on peut espérer qu'ils deviendront par la suite des adultes prudents lorsqu'ils travailleront dans une exploitation agricole." (12:18) En Saskatchewan, des cours sont offerts aux femmes d'agriculteurs, pour leur montrer, entre autres, à faire fonctionner la machinerie; ainsi, en cas d'accident, elles sauront comment arrêter une machine agricole. Pour les agriculteurs handicapés, les programmes de sensibilisation constituent un moyen de prévenir d'autres accidents ou d'autres maladies.
Les témoins ont fait mention de divers projets éducatifs et ont fait remarquer que le manque de fonds menaçait la survie des initiatives actuelles et potentielles. L'Agricultural Health and Safety Network, en Saskatchewan, a été cité en exemple pour les efforts qu'il a déployés en vue d'offrir aux agriculteurs de l'information et des programmes de prévention.
La Semaine nationale de la sécurité à la ferme, qui a lieu chaque année en juillet, a également été jugée utile. M. Palmer a fait remarquer qu'il est "dommage qu'on ne le fasse qu'une fois par année.» (12:17) Il a souligné la nécessité de diffuser toute l'année de l'information sur la sécurité dans les exploitations agricoles, grâce à une variété de moyens de diffusion comme les documentaires, les articles de journaux, les émissions radiophoniques et les brochures. Il a proposé que Country Canada, une émission sur l'agriculture regardée par de nombreux agriculteurs, consacre quelques instants, au début, au milieu ou à la fin de l'émission, à la sécurité dans les exploitations agricoles. (12:17,18)
Les témoins ont reconnu que pour contrôler ou limiter le stress et ses effets, il ne suffisait pas d'offrir des programmes de sensibilisation. La possibilité de parler avec des membres de la famille, des amis ou des voisins qui vivent des expériences semblables est également considérée comme un outil précieux. Grâce aux groupes de discussion ou d'entraide, aux réunions avec d'autres vivant la même situation, les agriculteurs prennent conscience du fait qu'ils ne sont pas seuls à connaître un problème ou une préoccupation particulière; quand l'individu se rend compte que ses difficultés sont partagées, son niveau d'anxiété peut diminuer, car il voit que ses problèmes sont en quelque sorte «normaux».
Les agriculteurs répugnent à reconnaître publiquement qu'ils ont besoin d'aide ou qu'ils éprouvent des difficultés. Ils ne veulent pas admettre leurs faiblesses ou leur vulnérabilité personnelles. Comme l'a fait remarquer le Dr Gerrard, «les agriculteurs font beaucoup de dénégation. Une famille d'agriculteurs ira même jusqu'à vendre son bétail pour déménager à Hawaï, simplement pour que ses voisins ne puissent pas soupçonner qu'elle éprouve des difficultés. Les gens sont pratiquement prêts à tout pour ne pas perdre la face.» (14:18) Les agriculteurs doivent apprendre, lorsque les choses vont mal ou qu'ils éprouvent des difficultés financières, à ne pas considérer cela comme un échec personnel; en ces temps difficiles, ils ne sont certainement pas seuls.
Les échanges avec les autres sont fondés sur le principe selon lequel plusieurs têtes valent mieux qu'une seule lorsqu'il s'agit de trouver une solution à un problème particulier. Les agriculteurs ont besoin d'établir des rapports avec d'autres agriculteurs qui partagent leurs expériences quotidiennes. Comme le disait Mme Lunn : L'expression «le printemps arrive» a une connotation bien différente pour un agriculteur et pour un citadin.» (13:42) Pour le citadin, c'est le signal de l'été qui approche, alors que pour l'agriculteur cela signifie des problèmes de liquidités, les cultures à choisir ou des rencontres avec le banquier. On a souligné que : «collectivement, les productrices et les producteurs agricoles sont à même de trouver des solutions originales pour les aider à affronter le stress intense qu'ils et qu'elles doivent vivre quotidiennement.» (13:23)
Pour les groupes de la collectivité agricole qui ont des besoins spéciaux, les échanges sont tout particulièrement importants. Les agriculteurs handicapés et leur famille ont besoin d'une structure leur permettant d'échanger des idées sur le matériel et les modifications à apporter aux installations, ainsi que de s'apporter mutuellement appui et encouragement. Les parents qui ont des enfants à charge ont besoin d'aide et doivent pouvoir comparer leurs expériences quant à la recherche de services et confier leur sentiment du culpabilité et de ne pas être à la hauteur. Quant aux productrices agricoles, elles doivent s'entendre dire qu'elles participent à part entière à la collectivité agricole.
Les témoins ont préconisé la création de services faisant appel aux ressources de la collectivité. L'idée est de fournir aux familles d'agriculteurs un accès aux réseaux de soutien qui existent dans leur collectivité, plutôt que de leur faire parcourir de longues distances pour se rendre dans un environnement clinique traditionnel susceptible de les mettre mal à l'aise. Le Dr Gerrard a fait observer que, «en partie à cause des grandes distances, nous devons concevoir un programme qui soit moins axé sur la prestation de services individuels que sur des services que les collectivités peuvent se fournir de façon autonome.» (14:10)
Le programme de la qualité de vie en région rurale, qui est un programme de santé mentale mis en place en Saskatchewan, s'attaque aux causes et aux symptômes du stress en s'appuyant sur les ressources de la collectivité, c'est-à-dire en encourageant les membres à s'organiser et à se prendre en main. Selon le Dr Gerrard, le but est de «fournir aux gens les compétences qui leur permettront de se nourrir toute leur vie durant plutôt que d'intervenir pour les nourrir pendant une journée.» (14:10)
Les quatre principaux objectifs ou composantes du programme sont la sensibilisation sur place (ateliers, cours et exposés), l'animation de groupes (groupes d'entraide et groupes de discussion, etc. dans la collectivité), l'organisation de la collectivité (établissement d'associations, création de groupes d'entraide, de lignes-secours et de foyers de transition, etc.) ainsi que la création d'un centre de ressources (bandes vidéo et audio, brochures et manuels, service téléphonique pour appuyer les bénévoles travaillant sur le terrain).
L'expérience montre que ce type de programme est utile, car le nombre de visites chez le médecin et auprès d'autres spécialistes de la santé mentale a diminué.
Selon certains témoins, il faudrait, à l'avenir, accorder la priorité à la recherche. Par exemple, on a déterminé qu'il serait nécessaire d'effectuer des recherches sur les rapports entre le stress et les accidents qui se produisent dans les exploitations agricoles, ainsi que sur le stress que provoquent les changements que connaît l'agriculture au Canada. Il faut également approfondir nos connaissances des divers programmes relatifs au stress des agriculteurs et la mesure de leur efficacité, ainsi qu'effectuer des travaux de recherche sur le stress propre aux hommes et aux femmes. Le Centre for Agricultural Medicine de l'Université de la Saskatchewan a été cité par certains témoins comme l'organisme idéal pour coordonner de tels travaux.
4. Soutien du gouvernement fédéral
Les témoins ont également recommandé un appui accru du gouvernement fédéral. Cet appui pourrait prendre la forme d'un service spécialisé au sein d'organismes comme la Société du crédit agricole; ce service serait chargé de répondre aux besoins des clients et du personnel en ce qui concerne le stress des agriculteurs. Cette initiative pourrait profiter tant aux clients de ces organismes qu'à leurs employés, lesquels contribuent souvent à accroître le niveau de stress des agriculteurs. Le service pourrait offrir de l'information et de la formation aux agents qui travaillent auprès des agriculteurs dans des domaines comme les communications, l'évaluation de situations de crise, l'intervention et la gestion du stress.
Le gouvernement fédéral pourrait également soutenir un bureau central qui, au sein d'Agriculture Canada, offrirait des programmes ainsi que des services de recherche et d'appui, en ce qui concerne le stress des agriculteurs.
L'existence de services de garde d'enfants contribuerait à réduire le stress que subissent les familles d'agriculteurs. L'enquête de 1989 sur les services de garde en milieu rural, menée par la Fédération des Instituts féminins du Canada, a montré que l'absence de garderies était une préoccupation majeure pour les femmes des régions rurales, qu'elles travaillent à la ferme, à l'extérieur ou au foyer.
Étant donné la longueur des heures et la nature saisonnière du travail agricole, des garderies centralisées à horaires fixes ne répondent pas aux besoins des parents de jeunes enfants. Les personnes qui ont répondu à l'enquête ont recommandé l'établissement de concepts novateurs, comme la tenue de répertoires centraux de gardiens et gardiennes d'enfants ainsi que la création d'installations démontables. Elles ont aussi proposé le versement d'une indemnité aux parents qui désirent rester à la maison avec leurs jeunes enfants. Plus de 60 p. 100 des répondants ont indiqué qu'ils préféreraient demeurer à la maison et prendre soin de leurs enfants s'ils en avaient les moyens.
LE STRESS AGRICOLE MÈNE AU STRESS HUMAIN
Le Comité estime que la notion de développement durable appliquée aux agriculteurs eux-mêmes est très importante. La personne humaine est la pierre angulaire de tout développement durable dans le domaine de l'agriculture et il importe par conséquent de préserver sa santé. Actuellement, les niveaux de stress signalés par les collectivités agricoles sont jugés inacceptables. Quand on sait que le stress est la cause d'ennuis de santé, de blessures et d'accidents mortels, on est davantage porté à le considérer comme un grave problème revêtant une importance nationale.
Afin de réduire le stress des agriculteurs, il faut faire appel à de nombreux secteurs de la société canadienne. Quant aux agriculteurs et à leurs familles, ils doivent être les premiers à admettre l'existence du stress et à en exposer clairement ses effets. Les éducateurs, les chercheurs, les fournisseurs de services et les législateurs peuvent axer la politique gouvernementale sur les domaines névralgiques de manière à trouver des solutions au problème du stress. La prospérité de nos exploitations agricoles et la santé de nos agriculteurs
sont étroitement liées et méritent notre appui.