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SECD - Comité permanent

Sécurité nationale, défense et anciens combattants


Délibérations du comité sénatorial permanent de la
Défense et de la sécurité

Fascicule 3 - Témoignages


OTTAWA, le lundi 1er octobre 2001

Le Comité sénatorial permanent de la défense et de la sécurité se réunit aujourd'hui à 18 heures pour faire une étude préliminaire des principales questions de défense et de sécurité qui touchent le Canada en vue de la préparation d'un plan de travail détaillé pour des études plus poussées.

Le sénateur Colin Kenny (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: J'ai le plaisir de vous accueillir au Comité sénatorial permanent de la défense et de la sécurité, que vous soyez ici même dans la salle, ou que vous suiviez nos travaux à la télévision ou sur Internet. Nous poursuivons ce soir notre étude des principales questions de défense et de sécurité. Je m'appelle Colin Kenny, je suis un sénateur de l'Ontario et je préside le comité.

À ma droite se trouve le sénateur Forrestall, qui vient de la Nouvelle-Écosse et qui est vice-président du comité. Nous avons avec nous aujourd'hui le sénateur Atkins, qui se joindra à nous bientôt, et le sénateur Banks de l'Alberta. Le sénateur LaPierre est de l'Ontario, le sénateur Meighen est également de l'Ontario.

Deux membres du Comité de la défense nationale et des anciens combattants de la Chambre des communes sont des nôtres. Leur président, David Pratt, représente Nepean-Carleton, en Ontario. David Price est le député de Stanstead, au Québec. Je m'attends à ce que d'autres membres du comité se joignent à nous pendant nos travaux.

Notre comité est le premier comité sénatorial permanent qui ait reçu le mandat d'étudier les questions de sécurité et de défense. Aujourd'hui, nous poursuivons notre étude des grandes questions qui touchent le Canada et nous ferons rapport au Sénat à la fin de février.

Les récents événements ont mis en relief l'importance du renseignement, en particulier la façon dont les renseignements sont recueillis, analysés et utilisés. La séance de ce soir nous permettra d'entendre un groupe de spécialistes experts en la matière qui nous feront part de leurs opinions éclairées sur la façon dont le renseignement est recueilli, les différentes manières dont il est analysé, et la façon dont l'information ainsi obtenue est acheminée à ceux qui en ont besoin.

On a demandé à nos témoins de nous dire comment le système actuel fonctionne et quelles mesures peuvent être prises pour l'améliorer.

Nous allons commencer ce soir par entendre deux groupes de témoins, et il y aura ensuite une discussion avec tous les intervenants.

Je voudrais d'abord vous présenter notre premier groupe. M. Norman Inkster a des connaissances approfondies et une longue expérience des affaires de sécurité et du renseignement. Ancien commissaire de la Gendarmerie royale du Canada il est actuellement président du Service des enquêtes et de sécurité de KPMG. Krysta Davies, analyste du renseignement chez KPMG, qui est une spécialiste du contre-terrorisme et notamment de tout ce qui touche les islamistes fondamentalistes iraniens, accompagne M. Inkster.

Je vous souhaite la bienvenue à tous les deux.

L'autre membre du groupe est M. James Corcoran, ancien directeur adjoint des opérations au SCRS. Il a été sous-ministre adjoint chargé de la gestion globale des opérations. Il a plus de 30 ans d'expérience dans le domaine du renseignement et de la sécurité à la GRC et au SCRS.

Nous allons commencer par entendre M. Inkster.

M. Norman D. Inkster, président, KPMG Investigation and Security Inc., ancien commissaire de la GRC: Je veux d'abord dire que c'est un plaisir d'être ici ce soir. Il y a longtemps que je me suis trouvé dans une salle comme celle-ci, devant une aussi auguste assemblée. C'est un plaisir de revenir rendre visite au Sénat. Je vous remercie de m'avoir invité.

Avant de commencer, je voudrais dire que je suis quelque peu embarrassé, en ce sens qu'il s'agit là d'une question qui exige énormément d'étude et une réflexion des plus minutieuses. Je n'ai pas eu le temps d'y consacrer autant de réflexion que je l'aurais voulu, mais j'ai néanmoins préparé des observations dont je voudrais vous faire part. J'espère que la discussion qui suivra et la période des questions permettra d'apporter plus de renseignements.

Avant d'aborder les changements qu'il faut apporter à la communauté canadienne du renseignement, il vaut la peine de jeter un coup d'oeil sur les services déjà en place au Canada.

En matière de renseignement, le Canada n'est pas pris au dépourvu. Nous allons analyser les attentats du 11 septembre et tirer des leçons précieuses qui nous serviront à tous.

Il faudra discuter des services qui rassemblent le renseignement, leur façon de travailler et de le diffuser. Autrement dit, il faudra voir ce qu'ils en font.

Nous ne pourrons apporter des améliorations que si nous comprenons bien ce que nous faisons actuellement, comment nous rassemblons l'information générale pour la transformer en renseignement de sécurité. Il y a en effet lieu de faire une distinction entre les deux. Je suis certain que mon collègue, M. Corcoran, vous en parlera.

L'information est par définition générale. Le renseignement de sécurité, lui, peut nous donner une idée de ce qui pourra se produire.

Je ne dis pas que les États-Unis doivent nous servir de modèle pour organiser et équiper notre milieu du renseignement. De toute évidence, il y a eu des défaillances aux États-Unis. Il y a des choses qu'ils font très bien. Il faut en tirer des leçons et les appliquer au Canada. Il faut décider du degré de technologie à employer pour rassembler le renseignement.

Nous pouvons déjà tirer certains enseignements. Le premier c'est que l'on a peut-être trop compté sur la technologie.

Elle a certes un rôle important à jouer, mais je sais pour avoir procédé à des enquêtes criminelles qu'elle n'a rien de magique. Ce sont les gens qui vous disent ce qui se passe et qui vous aident dans votre travail. Vous courrez de grands risques si vous abandonnez la rue et si vous ne recevez plus de tuyaux. Même chose si vous n'êtes plus là pour en donner.

Il nous faut une base de données. En effet, le renseignement est rassemblé à l'état brut. Il n'est utile qu'après traitement et analyse. Ce n'est qu'à ce moment-là que nous en découvrons la signification et son utilité pour les autorités. Ce qui nous fait défaut à nous et aux Américains, c'est une base de données dans laquelle l'ensemble de l'information est versée de manière à en tirer parti le plus possible.

Chose tout aussi importante, il faut donner aux organismes appropriés et autorisés accès à cette base de données. Dès lors, l'information peut être compilée, analysée et diffusée avec des recommandations claires sur les mesures à prendre et le suivi à donner pour s'assurer qu'elles ont bien été prises. Même s'il s'agit ici d'une question délicate, il faudra aussi voir comment on pourra donner au secteur privé accès au renseignement de sécurité. Je pense ici tout particulièrement aux compagnies aériennes. Les médias ont dit que le nom de deux pirates de l'air était connu et que l'on avait leurs photos. Ces renseignements n'étaient pas à la disposition des compagnies aériennes car il n'aurait pas été de mise de la leur communiquer à ce moment-là. Pour pouvoir se protéger plus vigoureusement et efficacement, à la suite des horreurs qui sont survenues, nous devons nous demander s'il y a lieu de leur communiquer plus d'informations. Peut-être pas, mais il faut y réfléchir.

Il y a actuellement au moins six organismes qui se chargent de rassembler de l'information, qui n'est pas encore du renseignement tant qu'elle n'est pas analysée et communiquée aux services pertinents. Y participent Douanes et immigration, Affaires étrangères, les Forces armées canadiennes, la GRC, le SCRS et le CST. Le SCRS est évidemment le principal intéressé.

Vu les attentats du 11 septembre, il faut jeter un regard plus attentif sur ces services. Cela ne signifie pas qu'il y a eu des défaillances; il s'agit seulement de voir comment on peut faire mieux. Quand on aura établi les responsabilités de chacun, on pourra examiner les moyens à leur donner pour s'en acquitter.

Je suis convaincu qu'au bout du compte, on déterminera que les attentats du 11 septembre sont le résultat d'une défaillance du renseignement. Il y a des leçons importantes à tirer et des améliorations à apporter qui le sont tout autant. Un élément important de cette discussion consistera, je le répète, à réussir à concilier l'emploi des moyens technologiques et des moyens humains.

Je constate avec intérêt que des arrestations ont été faites aux États-Unis dès les premières 24 ou 36 heures. Cela n'a été possible que si l'on avait des suspects, leur nom et leur adresse. Si l'on disposait d'une partie de ces renseignements, diront d'aucuns, pourquoi n'a-t-on rien fait? Que s'est-il passé? Comment l'information est-elle passée au travers les mailles du filet, si c'est bien ce qui s'est passé?

Tout d'abord, quelques mots à propos du Canada, de l'Agence des douanes et du revenu et de ses besoins. Nous avons 9 000 kilomètres de frontière commune avec les États-Unis. De quoi a besoin l'Agence? De toute évidence, des moyens et de la formation nécessaire pour protéger comme il se doit nos frontières. Il faut comparer cela à la loi actuelle pour voir si l'on doit faire davantage.

Une forte proportion des douaniers sont des étudiants. En été, la plupart d'entre eux n'ont que deux semaines d'instruction de base avant de regagner leur poste. Comme il s'agit de protéger la frontière du pays, s'agit-il là d'un travail d'été pour étudiants? Si la réponse est oui, et il se peut bien que ce soit le cas, il faut leur donner une formation en bonne et due forme pour s'assurer qu'ils disposent de tous les moyens nécessaires pour s'acquitter de leurs tâches. Environ 2 200 étudiants ont été embauchés pour travailler à la frontière cet été.

Si le douanier soupçonne quelqu'un d'être armé et dangereux, il doit noter le numéro du véhicule sans intercepter ses occupants et appeler la GRC, qui prendra le relais. C'est ainsi qu'il faut procéder puisque le douanier n'est pas armé et qu'il y a des risques pour lui. En pareil cas, il est tout à fait approprié de faire appel à la GRC. Mais, demandera-t-on, à combien d'appels de ce genre la GRC donne-t-elle suite? L'effectif de la GRC à la frontière a-t-il besoin d'être augmenté?

On installe actuellement de nouveaux ordinateurs à la frontière pour donner aux inspecteurs l'information dont ils ont besoin pour sélectionner les arrivants mais ces appareils ne sont pas reliés aux bases de données sur les criminels de la GRC. Les renseignements sont souvent périmés et aucun ordinateur n'est branché sur les bases de données fédérales relatives aux terroristes éventuels ou autres sujets soupçonnés de menacer la sécurité nationale. Si c'est le cas, et si l'on veut rassembler toutes ces sources par souci d'efficacité, une question s'impose: au Canada cela doit-il se faire et dans quelles conditions?

Il faut discuter de ces contraintes et de l'opportunité d'y remédier. Une connexion avec les ordinateurs des postes-frontières américains est-elle justifiée? Cette question est intéressante parce qu'à l'époque où j'étais à la GRC, nous avions des renseignements sur tous les détenteurs de permis de conduire canadiens. La question qui se posait alors était de savoir si nous devions communiquer cette information aux Américains lorsqu'ils nous demandaient d'identifier le conducteur d'un véhicule canadien aux États-Unis. Étions-nous autorisés à leur communiquer le renseignement? À cette époque là - cela fait déjà quelque temps je l'admets - une interaction humaine devait être établie entre les deux systèmes.

Dans les circonstances actuelles, il faut se demander si la préoccupation au sujet de la souveraineté est importante. Est-elle de mise? La technologie est un bon exemple. Il y a aujourd'hui de nouvelles technologies dont nous avons besoin, mais il faudra engager des dépenses pour en profiter.

Il est vrai que notre économie va pâtir des longues périodes d'attente à la frontière. Voilà pourquoi chaque douanier doit recevoir des cours de profilage sur les terroristes pour savoir ce qu'il doit rechercher et comment le faire. Il n'est pas réaliste de penser que chaque véhicule ou valise qui entre au pays peut ou doit être fouillé. Il s'agit plutôt de voir si ces agents ont besoin de formation policière et de plus de pouvoir. Il est indispensable à mon avis de revoir leurs tâches, leur pouvoir, et les mesures qu'ils seront censés prendre.

En matière d'immigration, la meilleure façon de protéger le Canada est à l'étranger. Les méthodes de présélection à l'étranger doivent être revues, non pas à cause des lacunes, mais parce qu'il est beaucoup plus facile d'empêcher les gens de venir au pays que de les expulser après coup. Les méthodes de présélection à l'étranger doivent être plus rigoureuses. Certes, elles permettent, en suivant les voies régulières du droit, de refuser l'accès aux gens, de les dépouiller de leur citoyenneté et de les expulser, mais il faut du temps.

Des terroristes et des chefs de bande internationale connus vivent au Canada. Même si des mesures sont prises pour les expulser, l'affaire peut traîner pendant des années, pendant lesquelles ils sont libres de poursuivre leurs activités au pays.

Je ne vais discuter de tous les cas avec vous aujourd'hui, mais il y en a un qui remonte à l'époque où j'étais commissaire de la GRC. Il s'agit d'un dénommé Mohammed Issa Mohammed. Une ordonnance d'expulsion a été rendue contre lui et nous avons essayé de l'expulser du pays. À ma connaissance, il habite toujours en Ontario. Nous avons tous été renversés par l'affaire Ahmed Ressam. Ressam est arrivé au Canada en 1992 muni d'un faux passeport. Il avait aussi un casier judiciaire. Il a changé d'identité, touché des chèques d'aide sociale, obtenu un passeport canadien et il a de toute évidence reçu une instruction pour mener des opérations terroristes dans un des camps d'Oussama ben Laden en Afghanistan. Il a été arrêté à la frontière américaine, après avoir quitté le Canada, le coffre de sa voiture bourré d'explosifs et muni d'un plan pour bombarder l'aéroport de Los Angeles.

Le ministère des Affaires étrangères sait très bien rassembler de l'information. Toutefois, il ne s'adonne pas à la collecte de renseignements de sécurité. Le ministère analyse les dossiers mondiaux et leurs conséquences pour le Canada. Cette activité pourrait servir à la protection du territoire et doit être incorporée à celles dont j'ai parlé tout à l'heure. Le ministère a évidemment aussi un agent de liaison avec la GRC, ce qui offre une occasion excellente d'échanger de l'information.

On n'imagine pas d'ordinaire les Forces armées canadiennes comme un service de renseignement mais c'est pourtant le cas et elles sont efficaces. Il faut s'assurer que leur apport aux dossiers soit mis à profit. Elles ont d'excellents antécédents en la matière qui remontent aux deux guerres mondiales et à de multiples autres situations. Il faut veiller à ce qu'elles fassent partie de la solution.

Il est évident que la GRC a un rôle important à jouer, mais il ne faut pas oublier qu'il s'agit d'agents de la paix qui n'ont d'autorité qu'au Canada, et qui procèdent à des enquêtes criminelles. Ils rassemblent toutefois des renseignements de nature criminelle qui peuvent avoir un rapport avec des activités terroristes. Comme chacun ici le sait, il n'y a pas dans le code criminel de définition de terrorisme. On trouve bien une définition des crimes comme le meurtre, l'extorsion, l'enlèvement, mais il n'y a pas de crime appelé le terrorisme. Il faut donc enquêter sur l'infraction substantielle: le meurtre, l'enlèvement ou l'extorsion. Cela peut demander du temps et beaucoup de travail et les tribunaux du pays sont souvent surchargés.

Heureusement, au Canada, nous avons un service polyvalent de collecte de renseignements qui regroupe tous les corps policiers: le Service canadien du renseignement de sécurité. Tous les grands corps policiers canadiens aident le service à rassembler des renseignements relatifs à la délinquance organisée, les bandes de motards et autres formes de criminalité et échangent entre eux ces renseignements. Il faudra dorénavant se demander si cette information est communiquée comme il se doit aux autres services, comme le SCRS.

Une des difficultés qu'a rencontrées la GRC - comme vous le diront tous les témoins ici - c'est le manque de moyens. Du temps où j'étais commissaire de la GRC, soit pendant sept ans, nous avons subi des compressions variant entre 4 et 500 millions de dollars. Ce qui m'a inquiété, c'est que les compressions ont été générales. Chaque service a subi une réduction, que ce soit 2, 5 ou 7 p. 100, sans réfléchir à ce qui devait disparaître et ce qui devait rester et si certains services devaient être amputés plus que d'autres. Comme dans le reste de l'administration fédérale, les budgets ont été amputés, le financement s'est tari mais la tâche est restée la même. La GRC a quand même dû s'acquitter de toutes ses tâches, mais avec moins de moyens humains et financiers.

Pendant mon mandat, la GRC comptait un effectif d'environ 21 000 personnes. Il est passé sous la barre des 20 000 et est maintenant remonté à 21 000. Le budget est plus important qu'à mon époque et je m'en réjouis.

Je ne parlerai pas beaucoup du Service canadien du renseignement de sécurité parce que j'ai à mes côtés un expert dans le domaine, mais il faut comprendre les différences de fond entre la GRC et le SCRS. Les membres du SCRS ne sont pas des policiers et n'ont pas le pouvoir de procéder à des arrestations.

Il y a des différences de fond entre la manière dont on administre un service de renseignement et un corps policier. Si le corps policier fait bien son travail, tout ce qu'il fait ou presque et l'information qu'il réunit est rendue publique devant un tribunal qui statue sur l'innocence ou la culpabilité. Si le service de sécurité fait bien son travail, rien n'est rendu public. Il sait conserver l'information qu'il faut et faire son travail sans faire de divulgation. Mon collègue corroborera ou non mes conclusions, mais j'estime que c'est la principale distinction entre les deux. Le service de sécurité est distinct de la GRC pour cette raison et je pense qu'on a eu raison de les dissocier.

L'autre question est de savoir si, dans les circonstances, le SCRS doit pouvoir agir à l'étranger. Il faut maintenant discuter de la question de savoir si nous devons avoir des agents qui recueillent des renseignements à l'étranger au lieu de se contenter d'agents de liaison sur place. Jamais dans notre histoire il n'a été aussi important d'en débattre.

À tous les niveaux du gouvernement on se demandera s'il y a lieu de créer un autre palier administratif pour s'en charger. Dans mes 36 ans à la GRC, j'ai rarement vu les bureaucrates régler les problèmes. Créer un autre niveau administratif bureaucratie n'est sans doute pas la solution. Des esprits plus éclairés que le mien décideront, toutefois, et je suis certain que l'idée sera étudiée.

À tout le moins, il me semble que la loi sur le SCRS devra être examinée à la lumière des événements du 11 septembre. Je ne dis pas qu'elle a fait son temps, mais elle remonte à 1984 et, de toute évidence, le terrorisme a changé. Il prenait naguère la forme de détournement d'avion, aujourd'hui, on tue des gens dans des immeubles et dans la rue. Les terroristes faisaient exploser les avions et tuaient des innocents et aujourd'hui l'avion lui-même est devenu une bombe qui vient percuter des immeubles qui abritent des milliers d'innocents. Il est évident qu'il faut examiner la loi pour voir si des changements sont nécessaires pour lutter plus efficacement contre les formes nouvelles de terrorisme.

L'objectif est d'user de vigilance envers les groupes connus au pays ou à l'étranger, pour qui le recours ou la menace de recourir à la violence dans la poursuite de leurs objectifs politiques. Leur mission consiste à repérer les individus et les groupes au Canada soupçonnés de collaborer avec des terroristes. Mais ce rôle est-il trop passif? Que se passe-t-il ensuite? Que devrait-il se passer? Le rapport Kelly a conclu que le Canada est un lieu idéal pour soutenir, préparer et monter des attentats. Nous en savons tous quelque chose aujourd'hui, d'un point de vue ou d'un autre.

Notre communauté du renseignement a été créée sous cette forme en 1984. Elle était censée refléter l'image paisible mais vigilante que nous voulions projeter à l'étranger. Si l'on y change quoi que ce soit, beaucoup de gens diront que nous imitons les États-Unis et sacrifions des libertés personnelles et qu'on s'en remet au Big Brother.

Ceux qui sont ici dans cette salle ainsi que tous nos parlementaires ont désormais l'obligation d'examiner la question à la lumière de ces événements pour s'assurer que le SCRS dispose de l'autorité législative ainsi que des outils nécessaires pour accomplir sa tâche et il en va de même pour la GRC. Il faut s'assurer que ces deux organismes, ainsi que d'autres, ont les moyens financiers de s'acquitter de la mission qui leur est confiée.

Ce que je redoute le plus, c'est l'autosatisfaction. Nous avons tous été témoins de la piraterie aérienne et des attentats de la fin des années 70 et du début des années 80. Je me souviens de l'effectif important de la GRC dans les aéroports internationaux et certains aéroports du pays. Je me souviens que les agents de la GRC examinaient les bagages à main.

Avec le temps, le problème a disparu, les souvenirs se sont estompés et nous nous sommes reposés sur nos lauriers. Aujourd'hui, il faut redevenir vigilants.

Il faut décider, en fonction de la menace, du niveau de sécurité à instaurer. Après quoi, et après avoir décidé quels sont les besoins en renseignement, assurons-nous que les organismes responsables sont équipés et financés comme il se doit. Il faudra ensuite vérifier de temps à autre que la formule donne les résultats escomptés.

Le Canada a identifié 50 groupes terroristes et 350 terroristes qui vivent, travaillent et recueillent des fonds au Canada. Pourquoi les laissons-nous rassembler des fonds? La ministre de la Justice a dit être en train d'examiner la question. On peut s'attendre à des modifications législatives pour lutter contre ce phénomène.

Il est très important de le faire et de ne pas perdre de vue le fait que le Canada est l'un des meilleurs pays au monde. C'est à bon droit que nous tirons fierté de notre politique d'immigration. Assurons-nous toutefois que les gens que nous admettons au pays sont ceux que nous voulons.

Disons bien à ceux qui passent au travers des mailles du filet que le Canada n'est pas un endroit pour eux, et donnons-nous le pouvoir de les renvoyer rapidement dans la légalité. Examinons la possibilité d'harmoniser, dans la mesure où c'est raisonnable, certaines de nos pratiques avec celles de notre voisin pour nous assurer que nous protégeons l'Amérique du Nord d'une manière acceptable et efficace.

Le président: Vous nous avez donné un aperçu général fort intéressant et vous avez bien amorcé la discussion de ce soir. Je vais maintenant donner la parole à M. James Corcoran.

M. James Corcoran, ancien directeur adjoint, Opérations, Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS): Je suis très heureux d'être ici pour m'adresser à vous et aux citoyens lors de cette audience publique. Je vais parler un peu du monde des services du renseignement. M. Inkster a abordé beaucoup de points que je pourrais développer. Je vais commenter plusieurs choses qu'il a dites mais en essayant de m'en tenir aux domaines qui touchent le SCRS et les services du renseignement.

Comme le président l'a dit au début, j'ai passé plusieurs années dans le secteur de la sécurité et du renseignement. J'ai dirigé les opérations du SCRS pendant les six dernières années qui ont précédé mon départ à la retraite en avril. Vous comprendrez que je suis lié par la Loi sur les secrets officiels et ne peux donc pas aborder beaucoup de questions confidentielles ici ce soir. Je vais essayer d'être utile au comité en répondant aux questions de ses membres. Je vais aussi essayer de vous donner un aperçu général du fonctionnement du SCRS. Vous pourrez ensuite me poser des questions ou faire des observations.

Il est certain que les attentats du 11 septembre changeront à jamais la manière dont les services de renseignements combattent le terrorisme. Il ne faut pas oublier toutefois qu'en 1985, le Canada a connu l'un des plus horribles attentats contre une compagnie aérienne dans les années qui ont précédé les événements du 11 septembre. Je parle de l'explosion d'Air India.

Vous vous souviendrez que 329 personnes ont trouvé la mort par suite de l'explosion d'une bombe placée à bord d'un vol d'Air India. Vous savez que ce sont des Canadiens qui sont accusés de ce crime et qui attendent d'être jugés.

C'est précisément l'attentat d'Air India en 1985 qui a amené le SCRS à repenser ses méthodes d'investigation dans la lutte contre les organisations terroristes. Les méthodes que nous avons employées ont réussi à empêcher des attentats au Canada et aidé d'autres pays à en empêcher d'autres sur leur territoire.

Pendant mon mandat, nous avons rassemblé beaucoup de renseignements de sécurité, certains directement liés à des questions ou à des incidents en territoire canadien. Nous avons aussi rassemblé des renseignements sur des citoyens canadiens qui encourageaient ou préparaient des attentats à l'étranger. Grâce à cette information et à l'aide de services alliés, nous avons réussi à empêcher certains de ces attentats.

Même si j'ai quitté l'organisation, je suis certain que les événements du 11 septembre conduiront à repenser la méthodologie du SCRS et ses méthodes d'enquête sur le terrorisme. L'attentat du 11 septembre était un acte simple mais inimaginable. La méthode était simple mais c'était un acte inimaginable.

Je tiens à signaler que les enquêteurs du SCRS, les hommes et les femmes qui font enquête chaque jour, sont les experts en terrorisme au pays. M. Inkster l'a dit lui aussi.

J'admets que la police et d'autres ont un rôle important à jouer dans la lutte contre le terrorisme. Toutefois, c'est le SCRS, le service du renseignement, qui a pour mandat de faire enquête s'il existe des soupçons, non pas pour des motifs raisonnables, mais s'il y a des soupçons. C'est ce que dit la Loi sur le SCRS.

Les techniques des organisations terroristes sont le pain quotidien des agents du SCRS. Ils baignent dans les arcanes de leur façon de procéder. Vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sept jours sur sept.

«Comment s'y prennent-ils?», direz-vous. Ils mènent des enquêtes circonscrites au Canada et, dans une moindre mesure, à l'étranger. C'est ainsi que l'on réagit au caractère mondial du terrorisme d'aujourd'hui.

M. Inkster a parlé de confier un mandat à l'étranger au SCRS. J'étais à la tête du service et rien dans notre loi habilitante ne m'empêchait d'envoyer des enquêteurs ou des sources à l'étranger pour enquêter sur un acte terroriste. Je ne pouvais pas rassembler de renseignements étrangers, ce qui a un sens différent dans la Loi sur le SCRS. Toutefois, dans le cas des actes de terrorisme qui menacent la sécurité du Canada, le SCRS peut faire enquête partout dans le monde. Il peut envoyer des enquêteurs ou qui que ce soit d'autre pour mener ces enquêtes.

Nous le faisons moins à l'étranger à cause de manque de moyens et de formation. Il faut avoir les gens qu'il faut à l'étranger. Il n'est pas facile d'opérer en pays hostiles.

En outre, le SCRS mène des opérations conjointes avec des services partenaires partout dans le monde. Il maintient aussi d'excellentes liaisons partout dans le monde, ce qui permet de mettre en commun des renseignements d'ordres tactique et stratégique relatifs au terrorisme. L'information sur le terrorisme est même communiquée aux pays et aux services de renseignements sur lesquels le SCRS peut être en train de mener une enquête à cause d'autres activités au Canada. En raison de la nature du terrorisme, chacun reconnaît la nécessité de communiquer l'information sur les terroristes et les organisations terroristes.

Il est également important de souligner la relation entre le SCRS et la GRC. Cette relation s'est améliorée au cours des dernières années. La GRC et le SCRS ont des agents de liaison qu'ils échangent dans leurs bureaux régionaux de tout le pays ainsi qu'à l'administration centrale. L'agent de liaison de la GRC peut consulter tous les rapports du SCRS sur la lutte contre le terrorisme.

Avant que je parte, nous avions organisé avec la GRC des échanges d'enquêteurs entre nos deux organisations. À titre de responsable pour le SCRS, je souhaitais que les membres de la GRC connaissent les méthodes que nous utilisons dans les enquêtes sur les terroristes et je voulais que les gens du SCRS soient conscients des préoccupations de la police dans les enquêtes sur les terroristes et les organisations terroristes. Cette collaboration s'accroîtra à l'avenir.

Je tiens à souligner qu'en plus de travailler de concert avec la GRC, le SCRS collabore également étroitement avec d'autres services policiers de tout le pays. Nous échangeons régulièrement et constamment des renseignements avec les services du renseignement de sécurité des forces policières.

Certains politiciens et reporters américains ont déclaré que le Canada est un paradis pour les terroristes. Permettez-moi de commenter cette affirmation. Les événements du 11 septembre ont démontré que quelles que soient les lois d'un pays, il est impossible d'éviter tout acte de terrorisme, surtout si le terroriste est prêt à se suicider en commettant son acte.

Dans une démocratie, les gouvernements ne pourraient jamais donner suffisamment de ressources aux services du renseignement de sécurité et aux services policiers pour mettre totalement fin au terrorisme. Je suis toutefois persuadé que le SCRS, la GRC et les autres services qui font un travail de premier plan dans la lutte contre le terrorisme ont besoin de ressources supplémentaires.

Avant mon départ, M. MacAulay, le solliciteur général, s'était dit d'accord pour augmenter les ressources du SCRS. C'était avant le 11 septembre. Je suis sûr que le SCRS revoit ces chiffres à la lumière de ce qui s'est produit et des nouvelles méthodes qui devront être employées pour enquêter sur ce nouveau phénomène du terrorisme.

Qu'en est-il des changements législatifs? Eh bien, comme l'a dit M. Inkster, nous devons examiner toutes nos lois pour déterminer les changements qui doivent y être apportés pour lutter contre le terrorisme.

Les modifications proposées à la Loi sur l'immigration, dont le Sénat est actuellement saisi, feront beaucoup pour améliorer le traitement des demandes d'immigration et de statut de réfugié. Je ne saurais citer de pourcentage, mais quand j'étais au SCRS, un grand nombre de gens sur qui nous faisions des enquêtes étaient arrivés ici par le truchement du régime du statut de réfugié. Bon nombre de réfugiés étaient associés à des organismes terroristes du Canada et de l'étranger. La nouvelle loi rendra plus rigoureuse la sélection préliminaire des réfugiés et nous aidera beaucoup à refouler les personnes à qui nous voulons refuser l'entrée au Canada.

Dans les journaux, on a également parlé de créer un ministère de l'intérieur. Tout comme mon collègue, je ne suis pas persuadé que la bureaucratie soit une solution.

Il est important de coordonner les efforts des services policiers et des organisations du renseignement de sécurité. Pour qu'il y ait coordination, il doit y avoir coopération. J'ai constaté une amélioration quotidienne de cette coopération quand je travaillais dans le renseignement de sécurité.

Les choses s'améliorent tous les jours, comme je l'ai dit. Avons-nous atteint la perfection? Non. Je ne saurais affirmer que tous les agents du SCRS et de la GRC peuvent s'entendre sur tout. Toutefois, ils travaillent en étroite collaboration pour prévenir le terrorisme.

Pour conclure, si nous voulons prévenir le terrorisme au Canada, nous devrons tous faire notre part. Nous vivons dans une démocratie et nous ne pouvons pas adopter des règles qui nous empêchent d'exercer nos droits démocratiques. À titre de Canadiens, nous devons être vigilants et surveiller ce qui se passe autour de nous. Si nous sommes vigilants, nous verrons ce qui se passe et nous verrons les gens. Nous verrons des choses que nous jugerons peut-être bon de signaler aux policiers ou au SCRS. Nous trouverons peut-être que quelqu'un devrait examiner certaines activités.

C'est ainsi qu'il nous faut attaquer le terrorisme. Il nous faut des ressources additionnelles. Nous examinerons d'autres possibilités au fur et à mesure que nos lois actuelles seront révisées.

Je m'en tiens là et je suis prêt à répondre à vos questions.

Le président: Merci beaucoup, monsieur Corcoran. Ce témoignage nous est très utile.

Le sénateur Wiebe: Monsieur Corcoran, votre conclusion a peut-être répondu à ma question, mais je vous la pose quand même à vous deux. C'est une question qui m'angoisse énormément.

Il ne fait aucun doute que le 11 septembre a sonné un réveil brutal pour toutes les démocraties du monde. Tous les gouvernements travaillent d'arrache-pied pour trouver des façons d'améliorer leur sécurité par voie législative et par d'autres moyens aussi.

Les événements du 11 septembre ont été perpétrés par 19 individus qui sont entrés aux États-Unis à partir d'un pays autre que le Canada. Leur manuel de formation nous a été montré pendant la fin de semaine. Il s'agissait d'hommes jeunes, bien scolarisés, bien habillés et polis qui ont été domiciliés aux États-Unis pendant une période assez longue. Quelle loi pouvons-nous adopter ou que pouvons-nous faire qui aurait pu empêcher que cette situation ne se produise.

C'est une question qui me préoccupe depuis le 11 septembre. Comment pouvons-nous empêcher ce qui s'est produit.

M. Inkster: Je ne crois pas qu'il y ait de solution législative qui puisse empêcher le terrorisme sous toutes ses formes parce que, si c'était le cas, nous aurions déjà des lois à cet effet. Ces lois auraient déjà été adoptées. Il y aurait certainement déjà des lois à cet effet dans les pays qui subissent des activités terroristes depuis beaucoup plus longtemps que nous, ici, au Canada.

Je suis enclin à dire comme M. Corcoran qu'il faut faire preuve de vigilance. Nous ne savons pas de quelle information disposaient les services du renseignement américains juste avant cet événement épouvantable. Nous ne savons pas s'ils auraient pu agir plus tôt. Au fil du temps, tous ces renseignements seront analysés pour voir si quelque chose nous a échappé.

Les forces de l'ordre doivent pouvoir contrôler la «légitimité» de la présence de certaines personnes à l'intérieur de nos frontières et leurs activités s'il y a des soupçons légitimes de le faire. Le problème, pour les forces de l'ordre, c'est qu'elles ne peuvent pas faire grand-chose à moins qu'il y ait complot pour commettre un acte criminel ou qu'un crime ait été commis, auquel cas il faut en faire la preuve au-delà de tout doute raisonnable. Il devient de plus en plus onéreux de présenter ce genre de preuve à un tribunal. Je ne dis pas que ce n'est pas approprié, seulement que c'est de plus en plus onéreux.

Il faudrait peut-être revoir ce que nos forces policières peuvent faire sur la seule foi de soupçons. Peut-être que cela ne devrait exister que dans les cas où l'on soupçonne du terrorisme.

Prenons la Grande-Bretagne. Je suis sûr que leur Parlement a déjà commencé à étudier la question, si ce n'est pas déjà terminé. La Grande-Bretagne a à composer avec le terrorisme depuis bien des années et s'en tire maintenant relativement bien. On y a promulgué des lois qui répondent aux besoins et aux exigences du Royaume-Uni au fur et à mesure des problèmes créés par l'IRA. Nous devons nous demander si nous pourrions en tirer des leçons qui s'appliqueraient dans un pays comme le Canada.

Ensuite, nous devrions nous demander s'il y a des éléments de leurs lois que l'on pourrait intégrer à notre modèle pour nous aider à atteindre nos objectifs. Il n'y a pas de réponse toute faite.

Le sénateur Wiebe: Ma deuxième question vient de ce que vous avez mentionné le Royaume-Uni. Pourrions-nous adopter des lois et des règlements concernant notre propre sécurité qui respecteraient quand même les droits de la personne qui existent dans notre pays, ou devrons-nous faire quelques changements à cet égard?

M. Inkster: Je soupçonne, sénateur, que les événements du 11 septembre ont changé cet équilibre en quelque sorte. Ces changements inciteront peut-être les Canadiens à envisager de tels changements. Il faudra que ces changements soient effectués avec beaucoup de soin et de modération.

Le Canada est un pays merveilleux, entre autres en raison de nos droits de la personne et de notre capacité de faire toutes les choses que nous faisons tout en vivant dans une démocratie libre. C'est quelque chose que personne ne voudrait perdre.

Est-ce que nous sommes prêts à composer avec un peu plus d'inconvénients? Est-ce que nous sommes prêts à répondre à des questions de temps en temps, dans l'intérêt de la sécurité du pays? Je suis porté à croire que oui, mais il faudrait y aller doucement parce que le terrorisme, par définition, cherche à semer la terreur et à déranger tous les organismes dans les pays qui sont touchés. Si nous commençons à limiter nos droits de la personne, nous faisons exactement ce que les terroristes veulent que nous fassions.

D'après moi, il faudrait y aller à pas mesuré. C'est une question sur laquelle il faudrait se pencher. À la lumière de ces événements, il faut voir ce qu'on pourrait peut-être faire pour que le Canada soit aussi sécuritaire qu'il l'a été tout au long de son histoire.

M. Corcoran: Avoir la possibilité d'appliquer et d'utiliser les lois actuelles avec plus de vigueur nous aiderait en tant que pays à nous débarrasser de certaines des personnes qui faisaient l'objet de nos enquêtes.

Je suis d'accord avec votre première prémisse: prévenir ce qui s'est passé aux États-Unis d'après les renseignements que nous avons actuellement serait très difficile. Nous travaillons et partageons des renseignements quotidiennement avec le Federal Bureau of Investigation. Nous travaillons de concert à la prévention du terrorisme. Nous utilisons essentiellement les mêmes méthodes. Ils ne s'y attendaient pas. Je suis certain que nous ne nous y attendions pas non plus de cette manière.

Ceux qui travaillent dans le domaine de la sécurité et du renseignement s'attendaient à ce que des terroristes détournent des avions, qu'ils les fassent s'écraser ou qu'ils y mettent des bombes, comme ils l'ont fait dans le passé. Avec toutes mes années d'expérience dans le domaine, je n'aurais jamais pu imaginer que les terroristes détournent quatre avions et s'en servent comme ils ont fait. Ils l'ont fait avec une telle simplicité.

Le sénateur Wiebe: Je ne veux pas vous mettre dans l'embarras, ni l'un ni l'autre. Vous n'êtes pas obligés de répondre.

Faudrait-il porter atteinte à l'intégrité de libertés ou de droits de la personne que nous avons pour y parvenir?

M. Inkster: Sénateur, l'expression «porter atteinte à l'intégrité» est trop forte dans le contexte. Nous savons tous qu'une des plus belles choses concernant notre pays est que nous sommes tous des immigrants, sauf les peuples autochtones. Certains y sont depuis plus longtemps que d'autres. Donc, nous ne voulons rien faire pour limiter l'accès au Canada à des personnes qui viendraient aider notre pays à grandir.

Comment décider qui ne devrait pas être ici? À mon avis, cette application régulière de la loi devrait se faire outre-mer. Les experts dans le domaine de l'immigration posent beaucoup de questions pour déterminer si une personne devrait pouvoir venir au Canada. Si on doit prendre une orientation, je suis porté à croire que cette décision devrait être prise dans les meilleurs intérêts du Canada, et non pas dans ceux de la personne qui souhaite venir au Canada. S'il y a une indication que cette personne a déjà été impliquée dans des activités terroristes, et s'il existe une preuve raisonnable, à ce moment-là nous voulons prendre la décision dans les meilleurs intérêts du Canada. L'orientation pourrait se faire dans ce sens.

Quant aux rares occasions où des gens se glissent entre les mailles et aboutissent au Canada, il faut qu'ils aient droit à l'application régulière de la loi. Une détermination des faits est nécessaire. Il faut que ce soit équitable pour tous. Une fois la décision prise qu'une personne ne devrait pas être ici, elle devrait être immédiatement expulsée du Canada.

Il n'y a personne au Canada qui voudrait priver qui que ce soit de l'application régulière de la loi. Ce qui me frustre en tant que Canadien, c'est qu'une fois qu'une décision a été prise, et qu'une ordonnance d'expulsion a été prise, la personne demeure au Canada pendant des années. On les perd de vue.

Rappelez-vous le cas du jeune policier de Toronto qui a été tué par une personne qui faisait l'objet d'une ordonnance d'expulsion prise bien avant cet acte criminel. Le ministère n'avait pas les ressources nécessaires pour suivre, arrêter et expulser la personne en question. Il est difficile de justifier et d'accepter ce genre de situation.

Nous devrions avoir une application régulière de la loi, mais une fois la décision prise, il faut les expulser du pays.

Le sénateur Wiebe: Merci d'avoir abordé cette question. J'ai plusieurs questions, monsieur le président, mais je vais en poser une autre et laisser ensuite la place à mes collègues.

Suite aux audiences que nous avons eues jusqu'à maintenant, je crois que nous avons un système de sécurité plutôt fragmenté dans ce pays. Nous avons un groupe qui s'occupe des ports; nous en avons un autre qui s'occupe des aéroports; et un autre qui s'occupe de la scène internationale, et cetera.

J'ai l'impression que nous ne tirons pas le meilleur rendement de notre investissement, et que nous n'obtenons pas la sécurité dont nous avons besoin. J'ai confiance en seulement deux organismes, la GRC et le SCRS. Qu'en pensez-vous?

Vous venez de ces deux organismes, je crois que je connais votre réponse. Je crains que nous risquons de faire trop de choses à la fois, et qu'on devrait se concentrer sur ces deux domaines de la sécurité.

M. Corcoran: Je suis heureux que nous ne soyons pas dans la même situation que les États-Unis avec leurs champs de compétences qui se chevauchent. Le double emploi existe au Canada, mais aux États-Unis il y a des centaines d'organismes dont les responsabilités se chevauchent.

Je ne préconise pas de s'en remettre à deux organismes seulement au Canada parce que les forces policières et ceux qui assument des responsabilités fédérales font un excellent travail. Cela dit, je crois qu'on pourrait avoir une meilleure coordination et une meilleure coopération.

Les événements du 11 septembre sont un avertissement pour tous ceux et celles qui travaillent dans ces organismes. Ils doivent reconnaître qu'il faudra faire un meilleur travail en ce qui concerne la coordination et la collaboration. Ils doivent s'assurer de communiquer les renseignements aux autres. Nous savons tous maintenant qu'il faut transmettre ces renseignements.

M. Inkster: Je suis porté à appuyer l'opinion de mes collègues. Le travail des personnes chargées de la protection de nos ports et de nos aéroports est hautement qualifié. Il faut de la formation, de l'expérience et des connaissances pour le faire efficacement, et ces personnes l'ont.

M. Corcoran a bien défini le défi. C'est de coopérer davantage et de nous assurer de reconnaître qu'il nous incombe à tous de protéger le périmètre du Canada. Pour ce faire, il va falloir qu'on fournisse des renseignements.

La discussion portera sur la sécurité des aéroports pendant encore des années, et c'est une question importante. Cependant, il y a des gens qui traversent nos frontières en auto, en camion et en autobus. Certaines personnes arrivent comme passagers à bord de paquebots aux ports de Halifax et de Vancouver. N'importe laquelle de ces personnes pourrait poser un risque.

Je crois que la réalité est la suivante: nous devons tous reconnaître que plusieurs organismes ont un rôle commun à jouer pour garder le Canada sécuritaire. Nous devons y contribuer.

Le sénateur Meighen: J'aimerais poursuivre sur la lancée du sénateur Wiebe, c'est-à-dire parler de coordination. Malgré tout le respect que je vous dois, si tout le monde se contente de dire qu'il faut faire mieux, je ne suis pas sûr que cela donne quoi que ce soit. En outre, je ne vois pas comment on peut faire en sorte qu'un membre des six organismes qui croit ou suppose qu'un acte illégal ou de terrorisme est sur le point d'être commis partage cette information avec ceux qui en ont besoin.

Que pouvons-nous faire de différent pour que les renseignements en question soient communiqués et le plus rapidement possible?

Je vais passer à une autre question. Si je comprends bien, si les renseignements sont communiqués comme il se doit, alors est-ce que cela ne signifie pas nécessairement que le Conseil privé en sera saisi et qu'il devra trancher? Pouvez-vous me préciser si c'est bien cela?

M. Inkster: Tous les jours, divers organismes du pays, tant la police que les organismes fédéraux, partagent l'information de renseignements et des renseignements de sécurité.

Le sénateur Meighen: Vous avez tous les deux affirmé que ce partage ne se fait pas comme vous voudriez.

M. Corcoran: Je pense que nous pouvons faire mieux.

Le sénateur Meighen: Comment pourriez-vous faire mieux?

M. Corcoran: Ces événements ont sonné l'alarme. Auparavant, certaines choses pouvaient sembler anodines. Cependant, depuis le 11 septembre, nous nous rendons compte que l'événement en apparence le plus inoffensif peut être la première étape de quelque chose de bien plus vaste. Je connais des enquêteurs qui s'occupent d'exécution de la loi ou de collecte de renseignements dans divers ministères et ils me disent la même chose. Ils admettent avoir besoin de contacts plus étroits avec leurs collègues de la Police des ports ou des services d'immigration. Si l'administration devient trop lourde, on ne sait plus vraiment qui est à la barre.

Vous avez parlé du Bureau du Conseil privé. Ce n'est pas le Conseil privé qui dirige les enquêtes du SCRS ou de la GRC. Il coordonne les activités des services du renseignement de sécurité et il préside l'un des comités saisis des questions de sécurité.

M. Inkster: Si vous me permettez de répondre à votre question, sénateur, tous ces organismes existent effectivement. Je dirais plutôt que nous coexistons dans la même réalité géographique. S'il y a une solution, je pense que c'est plus de formation et une plus grande sensibilité à nos problèmes communs qui sont importants pour nous tous.

Nous nous acquittons chacun de nos fonctions dans nos domaines de responsabilité. Cependant, la GRC, le SCRS et les grands organismes d'application de la loi font exception à la règle et collaborent étroitement. Lorsqu'on sort des activités policières traditionnelles, comme celles des agents des ports et de l'immigration, on ne trouve pas les mêmes liens entre les divers services, le même sens de collégialité.

Nous pouvons surmonter cette difficulté. C'est la formation qui en insistant d'abord est la solution d'après moi; pas une formation ponctuelle, mais une formation permanente qui fera que nos services collaborent étroitement.

J'ai de la difficulté cependant à envisager de mélanger tout cela. Ce serait un véritable cauchemar et les services seraient moins efficaces qu'aujourd'hui.

Cependant, je suis d'accord avec ma collègue, j'estime moi aussi que la formation est au coeur du problème. Il faut se demander de quoi un terroriste a l'air et quels sont les signes qui devraient éveiller nos soupçons.

D'ailleurs, si nous sondions les employés des aéroports et des ports, les gens qui ont ces responsabilités, je suis sûr qu'ils nous diraient avoir surtout besoin d'un surplus de formation afin de savoir quoi chercher. Or nous pouvons certainement offrir cela.

Le sénateur Meighen: On parle ici de la collecte de renseignements. Eh bien, supposons que depuis le 11 septembre, les services soient plus sensibilisés à ce besoin de partager les renseignements, et qu'on communique effectivement chaque donnée, si anodine soit-elle, et que tout cela se rende jusqu'aux autorités. M. Corcoran nous a dit que le Conseil privé est chargé d'analyser les renseignements fournis et de décider ce qu'il faut en faire. J'aimerais savoir ce que vous en pensez.

Je crois aussi comprendre que le Comité du Cabinet chargé de la sécurité et du renseignement a été dissous il y a quelque temps de cela. À mes yeux, cela veut dire que nous, en tant que Canadiens, avons estimé que ces questions n'étaient pas d'une importance primordiale et que le Cabinet n'avait donc pas besoin d'un comité qui s'en chargerait.

Pensez-vous que le rétablissement du Comité du Cabinet chargé de la sécurité et du renseignement améliorerait le temps de réaction et la meilleure?

M. Corcoran: En premier lieu, il y a toujours eu un comité du Cabinet chargé de la sécurité et du renseignement. Il a simplement changé de nom. De Comité du Cabinet chargé de sécurité et du renseignement qu'il était, il est devenu la rencontre de ministres sur la sécurité et le renseignement. Le comité est présidé par le premier ministre. Il se penche sur les priorités en matière de renseignement pour l'ensemble des organismes fédéraux.

Le sénateur Meighen: Est-ce que ce groupe se réunit régulièrement de nos jours?

M. Corcoran: Je ne sais pas à quel intervalle il se réunit, mais je sais qu'il le fait. Chaque année, ce comité approuve les budgets affectés au renseignement pour chacun des organismes du gouvernement fédéral, le SCRS, la GRC ou les forces armées. Ces priorités en matière de renseignement sont approuvées selon le processus gouvernemental.

J'aimerais revenir à votre remarque au sujet de la collecte de renseignements. Au SCRS, nous disposions d'un service d'analyse du renseignement assez considérable. Toutes les données recueillies étaient analysées. Nous analysions tous les renseignements obtenus dans le monde entier. Nous en produisions continuellement un rapport sur le renseignement qui était diffusé régulièrement à d'autres ministères fédéraux. Nos services ont ainsi produit de nombreux documents de sécurité sur le terrorisme, la prolifération et bon nombre d'autres sujets.

Un service d'analyse plus modeste est rattaché au Conseil privé pour répondre à ses demandes ainsi qu'à celles du ministère des Affaires étrangères et d'autres encore. D'étroits liens unissent ces services d'analyse dans la structure actuelle.

Le sénateur Meighen: Avant de conclure, j'aimerais un dernier renseignement, qui devrait d'ailleurs nous intéresser tous. Vous connaissez manifestement la Loi sur le SCRS de fond en comble. Or je vous ai entendu affirmer que le SCRS peut seulement faire de la collecte ou de la recherche de données à l'étranger après coup.

M. Corcoran: Non, c'est inexact. Aux termes de l'article 12 de la Loi sur le SCRS, le SCRS peut faire enquête sur les menaces envers la sécurité du Canada, et ces menaces sont précisées dans la loi. Rien dans la loi nous empêche de faire une enquête où nous voulons. Dans la plupart des cas, l'enquête aura lieu au Canada. Toutefois, la Loi sur le SCRS est d'une grande souplesse, en ce sens qu'elle confère au SCRS des pouvoirs qui relèveraient normalement de services du renseignement étrangers, parce qu'elle n'impose pas de limites territoriales. Cela dit, il y a des limites territoriales touchant la collecte de renseignements étrangers intéressant le ministère des Affaires étrangères ou celui de la Défense nationale.

Je vais vous donner un exemple assez clair de cela. Si je veux faire enquête au sujet d'un terroriste particulier, d'une organisation terroriste ou d'un acte terroriste, je peux envoyer mes agents ou des sources du service n'importe où dans le monde. Si le ministre des Affaires étrangères veut savoir quel prix le pays X est prêt à payer pour acheter un boisseau de blé au Canada cette année, ce genre de renseignement est considéré comme des renseignements touchant l'étranger du fait que le ministre s'en sert dans l'exécution de ses fonctions au service du Canada. Il n'y va pas de la sécurité du Canada, mais les renseignements portent tout de même sur les affaires du Canada. En conséquence, nous pouvons recueillir ce genre de données strictement au Canada. Je ne peux pas envoyer mes agents à l'étranger pour apprendre ce que le pays X est prêt à payer pour acheter de notre blé. Je peux toutefois les envoyer à l'étranger pour s'occuper de tout ce qui peut être considéré comme une menace à la sécurité du Canada.

Si, par exemple, le fait que personne n'achèterait notre blé représentait une menace à la sécurité du Canada, alors j'aurais le droit d'affecter mes agents à l'étranger pour découvrir le prix que le pays X serait prêt à verser pour acheter notre blé.

La Loi sur le service canadien du renseignement de sécurité porte en partie sur les renseignements extérieurs, mais elle établit avant tout un mandat d'ordre national. Lorsqu'il y a menace contre la sécurité du Canada, aucune limite territoriale n'est imposée. Les Canadiens ont de la difficulté à comprendre cela. La raison pour laquelle nous n'avons pas envoyé de nombreux effectifs à l'étranger tient au fait que nous comptons déjà sur des agents de liaison dans le monde entier qui travaillent avec les services hôtes. Nous n'envoyons pas d'agents là-bas sous le couvert du poste de premier secrétaire d'ambassade du Canada. Nous pourrions envoyer des agents secrets d'une autre façon, mais la question est délicate et dépend aussi des ressources disponibles. Au sein de notre pays, on a souvent discuté de l'à-propos de ce genre de mesures.

Le sénateur Meighen: Merci. Je suis sûr que nous y reviendrons.

Le président: J'avise l'auditoire que M. Larry Bagnell, député du Yukon, vient de se joindre à notre comité. Nous allons maintenant donner la parole au sénateur LaPierre, au sénateur Banks, au sénateur Forrestall puis à M. Pratt.

Le sénateur LaPierre: C'est vraiment déprimant. On ne voit jamais venir le terrorisme. De par sa nature on ne peut le voir venir, et par conséquent il nous surprendra toujours, quelles que soient les mesures que nous ayons prises. Il s'agit d'un axiome qu'on ne peut mettre en doute.

M. Corcoran: Ce n'est pas moi qui dirais le contraire.

Le sénateur LaPierre: L'information et le renseignement ne sont pas la même chose. L'information renseigne tandis que le renseignement est le fruit d'une analyse de l'information et d'une réflexion. Vous partagez de l'information mais partagez-vous du renseignement?

M. Corcoran: Oui, nous partageons le renseignement.

Le sénateur LaPierre: En conséquence, vous partagez le renseignement avec tous ces divers groupes. Est-ce que vous leur communiquez ce que votre analyse et votre expérience vous disent que ce renseignement représente à court et à long terme?

M. Corcoran: Tout à fait. Nous le faisons tous les jours.

Le sénateur LaPierre: Dans ma longue vie, et pendant cette période où je me suis adonné à des activités peut-être sulfureuses, je me suis rendu compte que chacune de ces associations et chacun de ces pays ont des visées. Or, est-ce que l'hypothèse voulant qu'on partage le renseignement et qu'on s'en sert dépend des intentions du pays qui le fournit et le reçoit, ainsi que des divers organismes du renseignement et forces policières qui le reçoivent? Les bureaucraties sont essentiellement hostiles les unes avec les autres. La construction de petits empires fait toujours partie intégrante de l'histoire de ces administrations. Vous avez peut-être construit une bureaucratie, et il se pourrait que vous n'échangiez que les renseignements susceptibles à vos yeux de rehausser la réputation de votre organisation.

On peut dire la même chose au sujet de la GRC. Est-il possible qu'on partage le renseignement en fonction des responsabilités de l'organisation qui communique et de celles qui reçoivent? Est-ce possible?

M. Corcoran: Oui, cela paraît possible.

Le sénateur LaPierre: Est-ce qu'on ne le fait pas? On me dit que le Mossad a informé les Américains que ces événements terroristes allaient venir. On m'a dit qu'ils avaient entendu des rumeurs voulant que quelque chose se prépare, mais je crois avoir lu, dans le New York Times je pense, que l'industrie du renseignement des États-Unis ne prend pas le Mossad bien au sérieux, parce que c'est un organisme qui a tendance à être très alarmiste. C'est ce que j'ai lu. Est-ce possible?

M. Corcoran: Je préférerais m'abstenir de tout commentaire ici.

Le sénateur LaPierre: Il faudra bien que vous parliez à un moment ou l'autre, car si la vigilance est le prix de la liberté, alors prendre des risques au nom de la liberté est aussi le prix à payer pour vivre en démocratie. En conséquence, on nous demande de ne plus voir nos valeurs, nos lois et nos expériences comme auparavant, tout cela parce que les actes horribles du 11 septembre nous ont fait nous interroger sur la valeur réelle de nos libertés. Ne nous apprêtons-nous pas à jeter le bébé avec l'eau du bain?

Je vais vous donner un exemple. Vous voulez que nos lois de l'immigration nous permettent d'effectuer un contrôle de sécurité des candidats à l'immigration. Vous voulez que cela se fasse sans les garanties d'une procédure régulière. Dans mon pays, ce ne serait pas autorisé. Pourquoi les agents de mon pays devraient-ils avoir le droit de faire cela au nom de ma sécurité? C'est la première question.

Deuxième question: nous avez-vous demandé de devenir une nation d'informateurs? Cela me trouble beaucoup, monsieur. Imaginons que le visage ou les convictions politiques du sénateur Meighen ne me reviennent pas. Je peux donc trouver un conservateur. Nous savons ce qui se passe. Combien de fois est-il arrivé que les enquêteurs ont reçu une tonne de renseignements et s'en sont servis pour ruiner la vie des gens parce qu'ils n'avaient pas reçu assez de renseignements?

Les gens qui seront visés, monsieur, ne sont pas les terroristes américains. Ceux qui sont visés aujourd'hui sont les habitants des pays musulmans et arabes. À cause du racisme qui règne dans mon pays actuellement, un garçonnet a failli être tué l'autre jour sur le chemin de l'école parce qu'il est musulman, un Arabe, et il en a la physionomie.

Je vous dis, monsieur, qu'il va vous falloir trouver une bien meilleure idée que de m'obliger à renoncer à ma liberté et à mes valeurs pour me protéger.

M. Corcoran: Ce n'est pas ce que j'ai dit.

Le sénateur LaPierre: Oui, c'est ce que vous avez dit.

[Français]

Je m'excuse mais, d'une part ils ont indiqué à ce comité qu'il était nécessaire de brimer, de réduire la liberté des individus, afin d'en arriver à une sécurité collective. Oui ou non? Si j'ai mal compris, je vais m'en excuser.

[Traduction]

M. Inkster: Si c'est à moi que vous posez la question, je vous dirais qu'il faut considérer l'ensemble. J'ai pourtant bien spécifié qu'il ne faut pas renoncer à nos droits. J'ai dit aussi que lorsqu'il s'agit de décider qui peut venir au pays, il faut absolument suivre une procédure régulière. C'est indiscutable.

Le sénateur LaPierre: N'y aurait-il pas une procédure régulière si nous les faisons venir ici? Celui qui veut quitter son pays parce qu'il est harcelé ou pour d'autres raisons court des risques immenses pour que lui et sa famille puissent trouver refuge dans un pays reconnu pour être une terre de refuge. Que va-t-on lui donner? Nous allons lui faire subir une enquête en règle.

M. Corcoran: Je pense la même chose que les membres du comité en ce qui concerne nos droits individuels de citoyens, mais je crois que dans la société il y a des compromis. Il faut comparer les droits de celui qui n'est pas un Canadien à ceux des Canadiens. Il faut voir ce que nous attendons des candidats à l'immigration avant leur arrivée.

D'après votre théorie, nous ne changeons rien au système; nous laissons les gens entrer comme on l'a toujours fait. Nous essayons de moderniser le processus. La majorité des demandeurs du statut de réfugié sont d'authentiques réfugiés. Il y a toutefois une petite minorité de gens qui commettent des attentats. Le dilemme pour le pays est de trouver le moyen d'admettre les réfugiés authentiques avec les protections voulues tout en excluant ceux qui veulent se servir de notre pays pour préparer des attentats.

Le sénateur LaPierre: Avez-vous dit qu'il y a beaucoup de réfugiés qui sont des sympathisants des terroristes?

M. Corcoran: Non. J'ai dit que lorsque j'étais responsable des opérations au SCRS, une bonne partie des personnes visées par le contre-terrorisme au Canada était des gens qui étaient passés par la filière des réfugiés. C'est une petite partie du nombre total de réfugiés que nous acceptons chaque année au pays. C'est une toute petite partie.

Il y a quelques années, le SCRS faisait enquête sur environ 350 personnes soupçonnées de terrorisme. J'ignore quel est le nombre aujourd'hui, mais c'est très peu par rapport au nombre total de réfugiés admis ces deux ou trois dernières années.

Le sénateur LaPierre: On me dit que les 19 individus qui ont commis ces atrocités sont tous des immigrants reçus aux États-Unis. Est-ce que c'est le cas?

M. Corcoran: Je ne le sais pas. C'est ce que les journaux laissent entendre, mais je crois que cela n'a pas été établi par l'enquête.

Le sénateur LaPierre: Merci. Il est évident que j'ai systématiquement le réflexe d'un libéral, comme Trudeau disait. Je pense quand même qu'il est plus sûr à long terme de défendre la liberté de la population canadienne.

M. Corcoran: Là n'est pas la question.

Le sénateur LaPierre: Oui, sénateur Atkins, c'est cela la question. Sauf votre respect, la question n'est pas d'avoir la parole, c'est de comprendre qu'il y a un prix à payer pour la sécurité collective que nous voulons. Le prix de cette sécurité collective, c'est le prix de la liberté, qui a été décrite par quelqu'un comme un inconvénient. La population canadienne ne l'acceptera pas et vous ne serez jamais réélu. Merci, monsieur le président.

Le sénateur Stollery: Je voudrais un éclaircissement. On a lancé ce chiffre de 350. S'agit-il de 350 groupes ou de 350 individus? J'aimerais savoir ce que cela désigne.

Le sénateur Cochrane: Le directeur a déclaré devant un comité il y a deux ans qu'à l'époque le SCRS faisait enquête sur 350 individus ayant des liens à une cinquantaine d'organisations terroristes présentes sur le territoire.

Le sénateur Stollery: Merci. J'ai posé la question parce que le bruit court qu'il y a 350 organisations terroristes au pays et je voulais clarifier cela parce que ce chiffre me semble exagéré. Vous avez précisé qu'il s'agit de 350 individus et d'une cinquantaine d'organisations. Merci.

Le sénateur Banks: Peu importe si le sénateur LaPierre avait raison lorsqu'il a dit que ces 19 personnes étaient des immigrants reçus, le fait est que la comparaison odieuse faite par la plupart d'entre nous d'une façon ou d'une autre tous les jours entre le système de sécurité américain et le nôtre ne vaut pas dans le cas présent. Peu importe comment ils y sont parvenus, ces 19 personnes vivaient incognito et c'est une des raisons de leur succès. Beaucoup d'entre eux n'ont attiré aucun soupçon en compagnie de leur famille et de leurs enfants dans les banlieues américaines. Tout cela semble avoir fait partie du plan.

Vous avez parfaitement raison de dire qu'il faut trouver l'équilibre entre nos droits et notre souveraineté d'une part et le soin qu'il faut apporter à notre sécurité d'autre part. J'ai deux questions à vous poser. Je sais que ces questions vous préoccupent même si vous n'occupez plus vos fonctions. Estimez-vous qu'il faut au Canada nous préparer à renoncer à une partie de notre «canadienneté» en faveur d'un périmètre continental dont nous ferions partie, par opposition au périmètre des États-Unis, dont nous serions exclus, avec toutes les difficultés que cela peut comporter pour nous?

J'ai l'impression que le système de renseignements aux États-Unis et, j'imagine, le nôtre aussi, repose presque entièrement sur la technologie. Comme l'illustre le cas de ces 19 individus, la technologie ne permet pas de repérer quelqu'un qui fait quelque chose de très simple et n'apparaît pas sur les écrans radars et ne se démarque nullement d'une manière ou d'une autre. C'est à celui-là que nous faisons face, semble-t-il.

Cela ne signifie pas que quelles que soient les mesures que nous prenons en matière d'immigration, il nous faut revenir à un système de collecte de renseignements. Je sais que cela a l'air ringard, et je déteste formuler les choses ainsi, mais est-ce qu'il ne faut pas retourner à l'espionnage? Ne faut-il pas recommencer à faire de l'infiltration?

Le système actuel n'a pas lancé d'alerte - ou en tout cas pas assez - à propos de ces 19 individus. Le système a failli à la tâche. On aurait peut-être pu récolter quelque chose grâce à des infiltrations à l'étranger ou ici, au besoin, de la manière classique ou à la Mossad. Ne faut-il pas prendre énormément de recul et modifier nos méthodes de renseignement?

M. Corcoran: En ce qui concerne l'harmonisation avec les lois américaines, le premier ministre a déclaré que les lois du Canada allaient être adoptées par le Parlement du Canada.

Cela dit, nous avons des échanges commerciaux d'une valeur d'un milliard de dollars avec les États-Unis qui dépendent du passage rapide à la frontière chaque jour. Il faut être réaliste et nous demander, étant donné les changements que les Américains vont apporter chez eux, qu'allons-nous faire pour faciliter le maintien des activités dont nous avons besoin?

Je ne dis pas qu'il faut automatiquement adopter chaque loi que les États-Unis adoptent pour combattre le terrorisme. Certaines des dispositions qu'ils prennent pour combattre ces problèmes sont raisonnables. Il faut trouver un modèle canadien efficace. S'il faut des lois, il faudra qu'elles nous permettent de fonctionner comme nation et nous devons aussi nous assurer que les Américains ont confiance en nos mesures.

Ils doivent être convaincus que les organismes et organisations du Canada font ce qu'ils peuvent pour empêcher les attentats, en particulier ceux commis aux États-Unis ou contre des intérêts américains. C'est ma réponse à votre première question.

La deuxième porte sur la technologie. Je sais qu'il y a eu des articles dans le journal d'après lesquels les organismes du renseignement dépendent trop de la technologie. Je ne suis pas de cet avis. J'ai des contacts étroits avec les Américains, aussi bien la Central Intelligence Agency que le FBI. Je sais ce que fait la GRC. Je sais ce que le SCRS fait au Canada et ailleurs. Je peux vous dire qu'il n'y a pas un service de renseignements dans le monde qui n'essaie pas d'infiltrer ces organisations terroristes.

Al-Qaeda et Ben Laden ont réussi parce qu'ils reposent sur de toutes petites cellules composées d'amis et de parents. Il est très difficile de pénétrer dans ces organisations. Je ne dis pas que c'est impossible. Je dis que c'est difficile. Ce n'est pas parce que les services secrets n'essaient pas.

Le sénateur Banks: N'est-ce pas le genre de chose qu'il faut améliorer?

M. Corcoran: Oui, nous devons nous améliorer, mais c'est une tâche extrêmement difficile. Les services du renseignement découvrent constamment de nouvelles méthodes sur le terrain pour tenter ces infiltrations. Il n'y a rien qui vaille une source au sein de l'organisation terroriste.

Permettez-moi une digression. Il y a quelques années, les Américains avaient une couverture technique de ben Laden et d'Al-Qaeda concernant l'utilisation de téléphones à l'iridium. Le renseignement a fait l'objet d'une fuite par un membre du personnel d'un homme politique américain et le lendemain les Américains ont perdu leur source. C'est pourquoi les services du renseignement n'aiment pas beaucoup parler de leurs méthodes et de ce qu'ils font.

Comme vous sans doute, j'ai aussi lu dans le journal et j'ignore si c'est vrai ou pas, qu'après les attentats certains appels téléphoniques ont été interceptés. Quelqu'un dans la bureaucratie américaine l'a révélé. Si c'est vrai, il est évident que les terroristes qui se servaient du téléphone ont cessé de le faire le lendemain.

C'est cela la difficulté. Comme société, nous voulons l'ouverture, et j'y crois moi aussi. Aujourd'hui, je suis un simple citoyen et je ne suis plus dans la maison. Pour y avoir été, par contre, je comprends pourquoi il faut conserver le secret pour que notre service du renseignement fonctionne de manière efficace.

M. Inkster: Pour revenir sur la question de sécurité du périmètre, je ne suis pas de ceux qui croient que l'harmonisation de nos méthodes signifie forcément que nous devons avoir les mêmes lois ou abandonner notre souveraineté en matière d'immigration et de douanes. Tout ce dont nous parlons, et je crois que M. Corcoran dit la même chose, c'est que nous devons harmoniser nos méthodes.

Je vais vous donner un exemple tout simple. Quand j'étais commissaire, il est arrivé que le président des États-Unis veuille venir en visite au Canada. Nous étions évidemment préoccupés par sa sécurité et l'arrivée des hommes du Service secret en armes. La façon dont nous avons abordé la situation a été de dire: «Il faut que vous ayez confiance que nous avons au Canada la capacité de protéger votre président.» Pour cela, nous avons suivi des cours avec eux, appris à les connaître de sorte qu'ils étaient tout aussi satisfaits de notre manière de procéder que de la leur. Pour l'instant du moins ce problème n'existe plus.

Je pense qu'il est possible d'harmoniser les méthodes. Il ne me viendrait jamais à l'idée de proposer que nous renoncions à créer nos propres lois en matière d'immigration ou dans d'autres domaines.

La personne qui est à ma droite est un ancien espion et il en sait sans doute davantage que moi. Je me demande toutefois si, dans les services dont l'on parle, on a bien trouvé le juste milieu entre la technologie et l'élément humain. Les sources humaines sont extrêmement coûteuses, accaparantes et difficiles à manipuler. Dans les cas où la technologie peut remplacer un humain, on est porté à le faire. Je ne suis pas convaincu par contre que le dosage est celui qu'il faut.

Cela dit toutefois je n'ai pas suffisamment d'information pour vous dire si mes préoccupations sont justifiées.

Le sénateur Banks: J'ai une dernière question à poser. Tout le monde ces temps-ci parle du prix de la sécurité. Il est évident que la sécurité nationale et celle de tous les autres pays va coûter plus cher.

Si ces services avaient eu plus de crédits, aurions-nous pu arrêter M. Ressam?

M. Corcoran: Difficile à dire. Si vous avez vu l'émission de CBC l'autre soir, le SCRS a révélé que Ressam faisait l'objet d'une enquête.

Le sénateur Banks: Sauf que vous ne saviez pas où il était?

M. Corcoran: Nous savions qu'il était parti dans un camp d'entraînement en Afghanistan. Nous en avons informé nos alliés et un avis de repérage a été lancé contre lui partout dans le monde. Il a été inscrit sur la liste des expulsions. Quand il a quitté le Canada, nous espérions qu'il était parti pour de bon.

Ce qui nous a tout à fait déroutés, c'est qu'il est revenu sous le pseudonyme de «Benny Norris» muni d'un passeport canadien légitime.

Le sénateur Banks: Ce n'était pas un passeport canadien légitime. Ce n'était pas son passeport canadien.

M. Corcoran: Ce n'était pas une contrefaçon. Il avait été délivré avec un acte de naissance, et cetera, et c'est un véritable passeport canadien.

À son retour au pays, il ne fréquentait plus les mêmes gens, ce qui nous a encore compliqué les choses.

Bien évidemment, avec plus de moyens il est plus facile de couvrir plus d'objectifs. Surveiller un objectif 24 heures sur 24 sans être découvert exige énormément de moyens.

Le sénateur Forrestall: Nous avons beaucoup de questions. Nous nous sommes passablement éloignés de ce dont je voulais parler parce que la discussion est de plus en plus intéressante.

À propos de ce que vous venez de dire, monsieur Corcoran, je crois que nous comprenons tous la difficulté. A-t-on raison de penser que les services du renseignement occidentaux devront dorénavant faire une beaucoup plus grande place au renseignement de source humaine. Je prends par exemple les six questions que pose l'agent examinateur. Porte-t-il attention à autre chose qu'aux réponses. Autrement dit, est-ce qu'il essaie de lire entre les lignes, de l'analyser subtilement, de voir s'il y a de la nervosité, et cetera.

Forme-t-on suffisamment nos agents pour qu'ils soient capables d'interpréter le renseignement de source humaine?

M. Corcoran: Au SCRS, je pense que oui. Nous consacrons beaucoup de temps à la formation.

Le sénateur Forrestall: Vous n'êtes pas en poste à la frontière, n'est-ce pas?

M. Corcoran: Le ministère de l'Immigration fait souvent appel à nous. Dès qu'il y a à la frontière quelqu'un qui soulève des inquiétudes du point de vue de la sécurité, s'ils pensent que c'est relié à notre mandat, le renseignement de sécurité, le ministère fait appel à l'un de nos agents. Nous avons un système en fonction duquel ils nous appellent et nous envoyons un de nos agents expérimentés à la frontière pour aider les agents de l'immigration à procéder à une interview en fonction de notre méthodologie, de notre connaissance du terrorisme et d'autres questions qui préoccupent les Canadiens. Ces agents sont bien formés. Ils sont expérimentés. J'ai toujours été convaincu qu'ils font du très bon travail.

Le sénateur Forrestall: À quelle distance se trouve cet expert que vous envoyez au poste frontalier?

M. Corcoran: Si l'Immigration a des réserves, elle ne laissera pas entrer la personne. Celle-ci restera en détention jusqu'à ce que notre agent procède à l'entrevue. Elle restera au poste frontalier ou sera emmenée ailleurs pour les besoins de l'interview.

Dans la majorité des cas, cela se passe dans les grands aéroports. Souvent, c'est aux principaux postes frontière du sud-ouest de l'Ontario. C'est normalement dans les grands aéroports qu'on fait appel à nous. Ailleurs au pays, cela se produit à l'occasion, mais pas aussi souvent que dans les points où le volume est élevé.

Le sénateur Forrestall: Le ministère de l'Immigration a-t-il son propre service du renseignement?

M. Corcoran: Il a un service du renseignement, oui.

Le sénateur Forrestall: Est-ce qu'ils mettent la main à la pâte, en quelque sorte, ou sont-ils là uniquement pour recevoir et interpréter les conseils venus de services comme le SCRS?

M. Corcoran: Pour ce qui est du terrorisme, ils dépendent beaucoup de l'information que nous leur communiquons. C'est nous qui traçons les profils des terroristes pour les services d'immigration dans le monde. Nous les leur envoyons pour les aider à interviewer les gens à l'étranger. Ici encore, s'ils ont des soupçons, à partir de ces profils, ils peuvent communiquer avec nos agents de liaison dans le monde. Ceux-ci doivent aller sur place et procéder à des interviews de sécurité complémentaires.

Le sénateur Banks: Si je me rends à l'ambassade du Canada à Moscou pour demander le statut d'immigrant reçu, est-ce que je suis interviewé par un Canadien?

M. Corcoran: Oui, vous êtes interviewé par un agent d'immigration canadien. Selon l'issue de l'interview, vous pouvez l'être aussi par un agent du SCRS.

Le sénateur Banks: Dans les deux cas, il s'agit de Canadiens?

M. Corcoran: Oui.

Le sénateur Banks: Ce ne seront pas des Russes?

M. Corcoran: Ce ne seront pas des Russes.

Le sénateur Forrestall: Maintenant que tous deux êtes simples citoyens, comment d'après vous pouvons-nous assurer la transparence? Où trouver l'équilibre entre le pouvoir législatif de faire quelque chose et de conférer au ministère ou au comité voulu le pouvoir de prendre des décisions sur-le-champ?

Je suis toujours troublé de voir le temps qu'il faut pour instaurer un mécanisme, peu importe la qualité du texte de loi, à moins que les instructions ne soient très précises, pour atteindre l'objectif escompté.

L'équilibre actuel est-il acceptable? Permet-il de rendre des comptes aux deux ministres de qui vous relevez, au premier ministre et au solliciteur général?

M. Corcoran: Je pense que c'est suffisant. Je n'ai jamais connu ou eu vent de problèmes créés par le système. Cela ne m'est pas arrivé dans la sphère politique. Le directeur du SCRS relève du ministre. Le ministre, le directeur et moi-même, pendant mon mandat, nous sommes rencontrés à intervalles réguliers. Nous avons eu des discussions avec lui sur des questions de sécurité nationale toutes les semaines ou toutes les deux semaines.

Le sénateur Forrestall: Dans le courant de vos activités quotidiennes, avez-vous déjà eu à téléphoner au bureau du solliciteur général pour demander si vous pouviez faire telle ou telle chose?

M. Corcoran: Il faut que vous sachiez que certaines des opérations du SCRS requièrent l'approbation expresse du ministre. Par exemple, celui-ci doit signer personnellement tous les mandats d'interception. D'autres opérations, que je ne détaillerai pas, exigent également l'approbation du ministre. Nous étions souvent en rapport avec le ministre pour obtenir son approbation pour faire certaines choses.

Le sénateur Forrestall: Vous n'avez pas trouvé que c'était un obstacle quand vous deviez prendre des mesures que vous jugiez nécessaires?

M. Corcoran: Dans ma carrière, je n'ai jamais trouvé que cela était un problème parce que, en fait, le ministre a instauré un dispositif qui fait que, en cas d'urgence, le directeur se voit déléguer certains pouvoirs rarement employés, quitte à ce qu'il en informe le ministre à la première occasion. Toutefois, dans l'ensemble, tous les ministres avec lesquels j'ai traité au fil des années se sont toujours mis à ma disposition, connaissant le caractère sensible des questions et le caractère envahissant du mandat du SCRS et que les ministres étaient responsables.

Le sénateur Forrestall: Comment peut-on instaurer cette forme de transparence qui redonne aux Canadiens un sentiment de bien-être dans leur pays? Y a-t-il suffisamment de transparence aujourd'hui? Comment se fait-il que trois ou quatre semaines après le drame diverses personnes téléphonent plusieurs fois par jour pour nous poser des questions? Les gens ont peur. Leur vie a changé. Aujourd'hui, un collègue m'a dit que le passage à cette époque de l'année par les montagnes entre le Québec et la Nouvelle-Angleterre devrait être un flot ininterrompu. Le feuillage doré devrait attirer les gens. Pourtant, la fréquentation a baissé de 50 ou 70 p. 100. C'est bien cela, monsieur Price?

M. Price: Elle a baissé de 600 p. 100.

Le sénateur Forrestall: C'est parce que les gens ont peur de voyager. Les gens ont besoin de savoir que ce qui est fait est bien fait. Les gens ont besoin de savoir que vous êtes satisfait de ce qui est en place. Si vous, vous ne l'êtes pas, je vous en prie dites-le-nous parce que nous sommes des profanes. Je n'ai pas de contribution extraordinaire à faire.

Pourriez-vous nous donner le titre de livres que nous pourrions avoir à notre chevet ou lire à bord de l'avion - ceux d'entre nous qui volent encore - pour que nous comprenions mieux non seulement la nature du problème que représentent ben Laden et Al-Qaeda, mais aussi l'autre côté de la médaille, c'est-à-dire qui s'occupe de la population? Comment peut-on restaurer ce genre de confiance?

On ne peut pas se contenter toujours de dire aux gens achetez plus, voyagez plus, prenez l'avion plus souvent. Il doit y avoir un déclic dans l'esprit des gens, en grande partie grâce au travail que vous faites. Avez-vous des livres à nous recommander? En avez-vous déjà rédigé un?

M. Corcoran: Non, et je n'en ai pas l'intention. Je suis sûr que nous pourrons vous trouver des ouvrages qui vous aideront.

Le sénateur Forrestall: Pourriez-vous les communiquer au comité? Le commercialisme à tout crin ne nous fait pas peur, ici.

Mme Krysta M. Davies, analyste du renseignement, KPMG Investigation and Security Inc.: Vous allez entendre plus tard Wesley Wark, qui a beaucoup écrit sur la question. Et il vous recommandera sans doute ses propres ouvrages.

M. Pratt: Monsieur le président, je vous remercie de m'avoir autorisé à venir ici aujourd'hui pour poser quelques questions. Je remercie également vos collègues sénateurs du temps qu'ils m'accordent devant le comité. Je tiens également à remercier les témoins d'exposés très instructifs sur des sujets qu'ils connaissent à l'évidence très bien.

J'aimerais vous citer un bref extrait du rapport de la commission McDonald d'août 1981. Nombre de commentaires intéressants ont été formulés dans ce rapport. Entre autres on y dit:

Le Canada est dans une situation unique par rapport à ses principaux alliés puisqu'il ne dispose pas de service de renseignements étrangers. Nous ne sommes pas en mesure de passer à un examen approfondi des besoins en matière de renseignements étrangers du Canada, mais une étude générale du service secret de renseignement étranger fait naturellement partie de notre étude des politiques et procédures d'un service secret du renseignement. Nous avons déjà démontré comment l'absence d'une agence de renseignements étrangers limite l'efficacité d'un service du renseignement de sécurité.

Encore une fois, il faut rappeler que c'était en 1981. Nous n'avons pas encore procédé au Canada à une discussion approfondie d'un service de renseignements étrangers. En fait, d'après ce que je connais du sujet, quoique mes connaissances soient limitées, la seule étude qui ait été faite sur le renseignement est l'étude qu'on a effectuée sur le SCRS, si je ne me trompe entre 1989 et 1991. Dix années sont déjà passées depuis notre dernière étude de nos capacités et priorités en matière de renseignement, et des types de technologies qui pourraient être employées, ainsi que des structures qui sont déjà en place. D'après les commentaires que nous avons entendus plus tôt, il est clair qu'il y a plusieurs organismes qui oeuvrent dans le secteur du renseignement. Il y a entre autres la GRC, le SCRS, le ministère de la Défense nationale et le ministère des Affaires étrangères.

Puisque je ne connais pas vraiment votre position, j'aimerais que vous me disiez tout d'abord si nous avons besoin de discuter de la question, et puis, s'il serait bon d'envisager la création d'une agence distincte du renseignement étranger, comme cela a été fait par d'autres démocraties, comme le Royaume-Uni, les États-Unis, et l'Australie.

Par le passé, par exemple, le Canada, grâce à son centre de la sécurité des télécommunications a fait beaucoup de travail dans ce secteur et on m'a dit qu'il avait été très efficace et avait su obtenir des renseignements grâce au renseignement d'origine électromagnétique et à l'interception de messages. Compte tenu du perfectionnement des technologies de chiffrement, il semble que certains des renseignements que nous obtenons aujourd'hui ne soient pas tout à fait aussi importants qu'il y a 10 ou 15 ans. C'est pourquoi nous n'avons pas autant à échanger au niveau du renseignement avec nos alliés. Je pense tout particulièrement au Royaume-Uni et aux États-Unis. Il est clair que ces deux pays ont leurs propres ententes ouvertes en matière de renseignement. Nous n'avons pas accès à certains de ces renseignements qui sont recueillis par leurs organismes réciproques.

Croyez-vous que ce soit important? Il importe également de mentionner la question de la souveraineté parce qu'il me semble que nous dépendons dans une large mesure sur des renseignements étrangers qui ne proviennent pas de sources canadiennes; à ce moment-là, il y a clairement un problème de souveraineté. Il se pourrait donc que nous prenions d'importantes décisions nationales, qu'il s'agisse du déploiement de troupes à l'étranger ou même de renseignements économiques que nous obtenons de nos alliés, en nous inspirant de renseignements qui ne sont peut-être pas tout à fait exacts et il se pourrait, comme l'a signalé le sénateur LaPierre, que nous puissions être influencés par les priorités de quelqu'un d'autre. Est-ce là un aspect important?

Pourriez-vous répondre à ces questions sur la possibilité d'avoir un débat approfondi sur la question et sur la restructuration des services du renseignement?

M. Corcoran: Vous avez soulevé plusieurs questions, monsieur. Pour ce qui est de la création d'un service distinct du renseignement étranger, vous avez cité le rapport de la Commission McDonald. Cependant, je crois que la Commission, la législation et le suivi du gouvernement, soit l'adoption de la Loi sur le SCRS, visaient les deux. Pour ce qui est des menaces à la sécurité du Canada, le gouvernement a essayé de créer un SCRS qui pouvait faire ce qu'il voulait, là où il le voulait, dès qu'il y avait menace pour le Canada. L'autre pendant du renseignement étranger, ce que j'appelle les renseignements utiles à savoir au cas où, parfois c'est d'ailleurs très important, il s'agit là de renseignements qui ne peuvent être que recueillis par le SCRS au Canada. Comme je l'ai dit, pour ce qui est de la définition de menace par la Loi sur le SCRS, cela peut être fait n'importe où.

Il ne m'appartient pas de décider si nous devrions avoir un service distinct du renseignement étranger. Si on me demande mon opinion personnelle, je répondrai qu'à l'article 16 de la Loi sur le SCRS, on mentionne la collecte de renseignements étrangers «dans les limites du Canada»; à mon avis cela veut dire que «dans les limites du Canada» fait du SCRS un service du renseignement national et étranger. Ça toucherait donc tous les secteurs, non seulement les menaces à la sécurité du Canada, mais toute question sur laquelle vous voudriez qu'un service du renseignement étranger se penche.

Personnellement j'ai toujours pensé qu'il pourrait y avoir un service du renseignement étranger qui se trouve à l'intérieur du SCRS. Il s'agirait d'une unité distincte composée de personnel d'expérience; des agents du renseignement formés qui ont déjà participé à des enquêtes de police et qui ont été recrutés au Canada. Ce groupe serait chargé du renseignement étranger au sein de la structure du SCRS et serait assujetti à l'examen du Comité de surveillance des activités du renseignement de sécurité et de l'inspecteur général.

Pour ce qui est de votre question sur l'échange de renseignements, je ne peux répondre à cette question qu'en parlant du point de vue du SCRS. Je sais que le secteur militaire verra les choses sous un angle différent. À mon avis, nous avons toujours eu d'excellents renseignements à partager avec nos collègues des autres pays du monde. Nous étions toujours disposés à partager ce que nous savions, et ce que nous avons pu accomplir dans le cadre d'activités communes ou d'activités dans lesquelles nous sommes vraiment devenus experts.

Nous avons ajouté à tout cela l'intérêt national. Clairement, chaque pays a son propre intérêt national, le Canada aussi, et il y a certaines choses que nous ne communiquerions pas à nos alliés, tout comme il y a certaines choses que nos alliés ne nous communiqueraient pas, peu importe les circonstances. Il serait naïf de croire le contraire.

Cependant, pour ce qui est des enquêtes sur les menaces et les dossiers sur lesquels nous nous penchons de façon concertée, comme le maintien de la paix, il n'existe aucune raison de ne pas partager les renseignements dont nous disposons. C'est plutôt les domaines des accords de libre-échange et d'autres processus politiques qui amèneraient certains pays à ne pas vouloir partager certains renseignements de nature financière ou économique.

M. Inkster: Je suis d'accord avec les commentaires qu'a faits M. Corcoran sur une agence distincte du renseignement étranger. Si les parlementaires, dans leur sagesse, décidaient qu'une telle agence était nécessaire, il est clair qu'elle devrait faire partie de la structure du SCRS, quoique la structure des rapports hiérarchiques serait quelque peu différente.

Je ne recommanderais cependant pas de créer une autre bureaucratie distincte de celle qui fonctionne déjà relativement bien. Il existe des exemples d'agences distinctes au Royaume-Uni et aux États-Unis qui n'ont pas très très bien fonctionné. C'est une leçon dont nous devons nous inspirer dans toutes les circonstances.

Il faudrait probablement se défaire du passage «dans les limites du Canada» qui figure dans la Loi sur le SCRS. Si l'on décidait de le faire, je crois que cette agence pourrait très bien fonctionner au sein du SCRS.

M. Pratt: Ne pensez-vous pas que les États-Unis et le Royaume-Uni ont décidé de créer une agence distincte parce qu'on craignait ce qu'on appelle la contamination, c'est-à-dire que les méthodes employées par une agence sont très différentes de celles employées par l'autre. Je parle des agences qui s'occupent du renseignement national et du renseignement étranger.

Clairement, lorsque le SCRS se livre à des activités au Canada, il est assujetti à la Charte des droits et aux lois canadiennes. Des opérations secrètes menées à l'étranger ne sont pas tenues de respecter les modalités de la Charte. Si plusieurs employés participent aux deux types d'activités, il se pourrait que les méthodes qui sont acceptables à l'étranger contaminent, si c'est le bon terme, les activités auxquelles le SCRS se livre au Canada.

Pensez-vous que le Parlement pourrait jouer un rôle dans ce dossier? J'ai l'impression que le message qui est communiqué est que les agences ont eu un dur choc le 11 septembre et qu'on devrait les laisser s'occuper du problème. Croyez-vous que le Parlement a un rôle à jouer, qu'il pourrait étudier de nouvelles structures? Croyez-vous plutôt qu'il faudrait créer une commission spéciale comme la commission McDonald des années 80?

M. Inkster: Je suis convaincu que le Parlement peut jouer un rôle. Nous nous fions tous aux parlementaires pour étudier les mesures législatives qui appuient les agences chargées de la sécurité du Canada, peu importe votre définition du terme, et pour assurer, à la lumière de ces actes terroristes, que la loi permet à ces agences de jouer le rôle que les parlementaires veulent que le Canada joue.

Je suis donc convaincu que le Parlement a un rôle à jouer. En fait, dans mes commentaires liminaires j'ai dit que le temps est certainement venu pour nous de nous pencher sur les fondements législatifs de toutes ces agences. Puis, nous devrons nous assurer qu'elles ont les outils nécessaires pour fonctionner, en prenant des règlements, et qu'elles disposent des ressources pour s'acquitter des tâches qu'on leur confie. La surveillance par le Parlement, peu importe sa forme, est absolument essentielle.

M. Corcoran: Je suis d'accord avec ces propos. Je crois que le Parlement a un rôle important à jouer. Vous êtes les représentants élus du public, des Canadiens, et vous êtes leur point de contact avec la bureaucratie. Le public canadien doit savoir que les parlementaires sont satisfaits des activités des organismes fédéraux.

Le président: Et que pensez-vous de la question de la contamination?

M. Corcoran: Cette question ne me préoccupe pas vraiment. Les mécanismes d'examen qui existent et les contrôles stricts qui sont imposés à l'agence et qui seraient imposés à un service du renseignement étranger peuvent clairement établir ce qui est autorisé et ce qui ne l'est pas.

J'aime le modèle du SCRS parce que le renseignement n'est pas un domaine facile. De nombreux domaines ne sont pas faciles, mais le recrutement de sources, tout particulièrement dans un pays étranger, est chose très difficile. Vous avez besoin de gens qui ont une longue formation, beaucoup d'expérience, et qui comprennent vraiment les méthodes à employer. Je crois qu'il serait possible sans trop de difficulté de créer un service qui relèverait du SCRS ce qui permettrait au SCRS de faire les deux tâches, mais on ferait la distinction clairement entre le service du renseignement étranger et le renseignement de sécurité.

Le sénateur Stollery: J'aimerais poser deux questions. Ma première porte sur cette attitude plutôt inquiétante que l'on retrouve au Canada car des gens semblent penser que nous devrions abandonner notre souveraineté, de façon très vague, et nous unir avec les États-Unis en raison de cette attaque spectaculaire et haineuse contre New York. Certains des commentaires que j'ai lus dans les journaux m'inquiètent.

Lorsqu'on parle de la sécurité de l'Amérique du Nord, je pense toujours aux renseignements que nous avons obtenus lorsque j'étais président du Comité de la main-d'oeuvre et de l'immigration dans les années 70. Il y a 6 millions d'immigrants illégaux aux États-Unis, et, alors qu'il est impossible de venir au Canada à pied, il est possible de se rendre aux États-Unis à pied. Je ne comprends pas le problème.

Tout le monde sait que le système d'immigration américain est corrompu et que son système de carte verte a une très mauvaise réputation. Il existe en Californie un groupe de pression du secteur agricole très puissant qui ne veut pas que les États-Unis adoptent une politique d'immigration efficace parce qu'en fait ce secteur prospère grâce à l'immigration illégale. Je ne vois pas comment on propose de telles choses alors que le Canada n'est pas un pays où il est facile d'entrer, sauf si l'on vient des États-Unis.

Qu'en pensez-vous? Ils parlent d'un programme de défense continental contre le terrorisme. Cependant, le maillon faible dans toute cette histoire c'est à la frontière sud des États-Unis. Comment contrôler cette région? Les agences du renseignement qui ne sont pas toutes du même avis ont connu un échec spectaculaire, et le contribuable américain paie quelque 30 milliards de dollars US chaque année pour assurer l'existence de ces agences. Voulez-vous nous dire ce que vous pensez des articles que vous avez lus dans les journaux?

M. Inkster: Je ne crois pas que notre groupe proposerait que nous devrions abandonner notre souveraineté simplement pour avoir un périmètre continental. En fait, notre groupe propose tout à fait le contraire. Le Canada a nombre de leçons à enseigner et à apprendre pour que le Canada s'épanouisse et qu'il vive dans les mesures du possible dans la paix et dans l'harmonie. Là où les débouchés existent, c'est dans le domaine des méthodes à employer et il serait donc utile d'avoir des méthodes qui sont fondées sur des intérêts partagés en ce qui a trait à la sécurité des frontières.

Vous avez raison, sénateur, les États-Unis sont loin de la perfection en ce qui a trait aux questions dont nous avons parlé ce soir. Je ne crois pas que le Canada et les États-Unis puissent se tirer d'affaire seuls. Il faudra assurer la participation du Mexique. Je crois en fait que c'est ce sur quoi se penche actuellement le président américain, car il cherche à resserrer ses liens avec le président mexicain, M. Fox. Il faudra absolument que le Mexique participe à tout effort en ce sens. Ce sera tout un défi.

Le sénateur Stollery: Madame Davies, on me dit que vous êtes spécialiste dans le domaine du terrorisme islamique. J'ai passé ma jeunesse en Algérie pendant la guerre civile et je connais assez bien le terrorisme et les choses du genre. Je ne suis pas surpris de voir ce qui se passe parce que les terroristes agissent toujours par surprise; en fait c'est ça l'idée.

Pouvez-vous me dire, puisque vous êtes experte dans le domaine, ce que vous pensez de la thèse de ceux qui disent que tout ce terrorisme est inspiré par le pétrole? Ceux d'entre nous qui connaissent l'Algérie des années 50 discutent du terrorisme et de ses liens avec le pétrole; l'argent qu'on en retire; ceux qui en tirent profit et les injustices que cela crée. Ce sont là les principaux éléments que l'on retrouve dans ce qu'on appelle de nos jours le «terrorisme islamique». Qu'en pensez-vous?

Mme Davies: Il importe de parler ici de «terrorisme fondamentaliste islamique». C'est un détail remarquez.

J'ai entendu cette opinion à plusieurs reprises. Je ne crois pas qu'on pourrait nier que si le pétrole n'était pas un élément important, les Américains ne seraient pas au Moyen-Orient. Le fondamentalisme islamique est une expression qui pourrait amener les gens à penser que ce terrorisme est fondé sur la religion. Si vous demandez à ces gens quelle est leur vraie raison pour ne pas aimer les États-Unis, ils vous diront parce qu'ils pensent que les Américains sont toujours là où ils ne devraient pas être.

Il est donc possible que si les États-Unis n'étaient pas au Moyen-Orient, et s'il n'y avait pas de pétrole là-bas, il n'y aurait pas de problème de terrorisme.

Le sénateur Stollery: D'aucuns disent que ces organisations sont fort complexes, qu'elles comportent plusieurs volets, et bien des gens pensent qu'un élément central c'est l'argent provenant de l'exploitation du pétrole.

Qu'en est-il de la Cisjordanie et de la Palestine, ou du nombre très élevé de victimes de la guerre du Golfe? L'expérience m'a appris que vous devez vous mettre à la place de l'autre personne. C'est bien joli pour moi de m'asseoir ici et de penser ce que pense Peter Stollery du centre-ville de Toronto, mais qu'est-ce que l'autre type pense lorsqu'il pense à la question de la Palestine et au nombre élevé de victimes? Je ne pense pas qu'on ait publié encore les chiffres sur les victimes de la guerre du Golfe. Est-ce que toutes ces questions ont un impact sur ce sur quoi nous nous penchons? D'aucuns disent que les troupes américaines protègent les puits de pétrole en Arabie saoudite. Mais ce n'est pas tout n'est-ce pas?

Mme Davies: C'était un aspect de la question. Ce serait bien si on pouvait se mettre à la place des autres et penser ce que ces gens pensent de nous, ce grand satan blanc. Mais c'est chose difficile.

On parle de la possibilité pour nos services du renseignement d'infiltrer cette région. C'est très difficile. Vous aviez raison de dire un peu plus tôt que nombre des gens qui ont participé à l'attaque du 11 septembre vivaient aux États-Unis depuis quatre ans. Ils vivaient bien à l'aise, et ne détonnaient pas parce qu'aux États-Unis il y a un facteur important de multiculturalisme et il est facile pour les immigrants de se trouver une place.

J'ai lu une entrevue avec le président de l'Iran. Lors de cette entrevue il a dit que les Iraniens regardaient à la télé nos romans-feuilletons et nos pages publicitaires et écoutaient le rock and roll. Il a dit que les gens n'aimaient peut-être pas ce qu'ils regardaient ou écoutaient mais cela ne les empêchait pas de le faire. Parce qu'ils regardent la télé et qu'ils lisent des livres provenant de l'Ouest, ils ont appris à connaître et à comprendre notre langue et ils savent comment faire partie de notre société.

Essayez de vous imaginer en train de déménager votre famille au Moyen-Orient. Imaginez-vous vivre là-bas bien intégré pendant quatre ans. Je crois que c'est impossible à imaginer. Par ailleurs, c'est une chose que ces gens-là peuvent faire, parce que nous avons communiqué ces renseignements sur nous. Ils ont cette arme très puissante, une arme dont nous ne disposons pas.

Le sénateur Stollery: Lorsque j'étais jeune, je n'avais pas de problème à me trouver une place là-bas, les choses semblent avoir changé. Merci, monsieur le président.

M. Price: Vous avez parlé des fondamentalistes islamiques. Vous avez parlé de terroristes fondamentalistes islamiques. On se sert souvent de cette expression, tout particulièrement dans les médias. J'aimerais avoir quelques précisions. Il y a bien des gens qui disent être fondamentalistes islamiques, mais ne sont pas terroristes. Pouvez-vous faire la distinction s'il vous plaît?

Mme Davies: C'est plutôt vague. Les fondamentalistes islamiques s'inspirent de la religion islamique, et l'appliquent au monde politique également. C'est la différence la plus fondamentale.

M. Price: Les trouve-t-on dans une région particulière?

Mme Davies: Les fondamentalistes islamiques dirigent plusieurs gouvernements du Moyen-Orient. On me reprendra si je me trompe, j'en suis convaincue. Cependant, c'est l'interprétation générale qu'on donne à ce terme.

M. Corcoran: Tous les fondamentalistes islamiques ne sont pas terroristes.

M. Price: C'est justement ce à quoi je veux en venir.

Mme Davies: Cependant, leurs politiques et leur religion sont les mêmes.

Le président: Voici ce qui met fin à une discussion très intéressante avec ce groupe. En fait, c'était si intéressant que nous avons pris plus de temps que prévu. Je tiens à remercier nos témoins d'être venus. Le comité a beaucoup appris. Nous aurons sans aucun doute l'occasion de vous rencontrer plus tard.

Nous poursuivons notre étude de la manière dont on obtient, traite et utilise les renseignements. Nous venons d'entendre un groupe composé du commissaire de la Gendarmerie royale du Canada et du sous-directeur du SCRS à la retraite. Nous accueillons maintenant notre deuxième groupe.

J'aimerais vous présenter le brigadier-général à la retraite, David Jurkowski, ancien chef d'état-major, Opérations interarmées, Forces armées canadiennes. Entre juillet 1997 et août 2000, il a été officier responsable du déroulement d'environ 70 missions à l'étranger et au Canada confiées aux Forces canadiennes. Pour placer leurs choses dans leur contexte, il y a eu environ 108 missions à l'étranger et au Canada depuis la guerre de Corée; M. Jurowski a été chargé de 70 d'entre elles. Il nous présentera le point de vue d'un utilisateur du renseignement.

Nous accueillons également M. Wesley Wark, professeur agrégé au département d'histoire du Munk Centre for International Studies de l'Université de Toronto. Il est un expert dans les questions touchant la sécurité et le renseignement au Canada et à l'étranger, et a publié plusieurs ouvrages et articles sur le sujet. Il est le corédacteur du journal Intelligence and National Security publié à Londres et le rédacteur en chef du document qui sera publié sous peu par l'Oxford University Press, le Companion to Modern Espionage.

Le brigadier-général (à la retraite) David Jurkowski, ancien chef d'état-major, Opérations interarmées, Forces armées canadiennes: Honorables sénateurs, on m'a demandé de comparaître devant votre comité pour discuter d'une question fort importante, le renseignement au Canada et au sein des Forces canadiennes. Je crois qu'il est fort louable que votre groupe national, composé de membres honorables et distingués, s'intéresse activement à un des aspects les plus critiques de la sécurité nationale. Je vous remercie de m'avoir offert cette occasion d'essayer de vous aider dans le cadre de votre étude.

Comme tout le monde l'a dit, le 11 septembre est un jour que nous n'oublierons pas. Ce qui s'est passé à New York, à Washington et en Pennsylvanie est une illustration même de ce que ces gens qui portent l'uniforme et leurs collègues au service du Canada savent depuis des années, et dont ils s'inquiètent d'ailleurs. Je parle ici de la menace asymétrique. La menace asymétrique présentée par le terrorisme a pris une forme quelque peu prévisible pour la première fois sur notre continent.

Comme on l'a signalé, mon expérience du secteur du renseignement est celle que j'ai eue à titre d'utilisateur; je ne suis pas un expert en matière de renseignement. J'ai travaillé de très près avec les services du renseignement des forces armées et les services de renseignements alliés mais j'étais d'abord et avant tout un utilisateur. De plus, j'ai pris ma retraite il y a un peu plus d'un an. Il s'est donc sans aucun doute produit des changements au sein des Forces canadiennes. Comme l'ont dit d'autres intervenants, je suis toujours visé par la Loi sur les secrets officiels, et je n'ai pas l'intention de parler de quoi que ce soit qui pourrait mettre en péril la sécurité nationale.

Permettez-moi d'aborder quelques principes de base du renseignement. Tout d'abord, une capacité du renseignement précise et fiable est une pierre angulaire de la souveraineté du Canada. Elle permet d'assurer ce que j'appelle une sensibilisation situationnelle nationale de ce qui se passe au Canada et dans les environs, et il s'agit d'un service qui vient appuyer les citoyens canadiens. Il s'agit d'un domaine dynamique, souvent complexe, fort sensible. Les questions touchées sont jugées extrêmement confidentielles par ceux qui ont le besoin légal de savoir.

La fonction du renseignement est une opération permanente qui ne peut pas être traitée de façon bureaucratique. Elle dépend de l'obtention d'éléments essentiels d'information afin d'établir des faits, dont le produit fiable doit être immédiatement communiqué et tout cela doit être pertinent avant que l'on prenne quelque décision que ce soit. Je crois qu'il est beaucoup plus facile d'établir un service du renseignement physique, et par là j'entends taille, disposition, infrastructure et ce genre de chose, que personnelle, c'est-à-dire l'intention de ceux qui disposent de ces forces, ce qui est souvent beaucoup plus difficile. C'est là que le facteur humain entre en ligne de compte.

Par conséquent, je crois qu'il faut disposer des ressources nécessaires pour pouvoir se pencher sur tous les éléments du renseignement, technique et humain. Comme on vous l'a déjà dit, tous les volets de la sécurité du gouvernement canadien traitent de quantités énormes de renseignements, en fonction de leurs besoins spécialisés. Enfin, en plus d'avoir la capacité de recueillir, d'évaluer et de corroborer les renseignements, ce qui est important, et de diffuser de bons renseignements, il est tout aussi important d'avoir la structure nécessaire pour faciliter le processus décisionnel. Il faut de plus avoir la capacité d'agir. Donc, il ne s'agit pas simplement du renseignement. Il s'agit de l'ensemble du système.

Les Forces canadiennes partagent les renseignements de diverses façons; tout d'abord à l'échelle nationale et interne avec la GRC et le SCRS et d'autres ministères, mais surtout à l'échelle internationale avec l'OTAN, NORAD et d'autres alliés.

Je peux vous assurer que la communauté des Forces canadiennes s'est méritée le respect des autres intervenants pour ses capacités. Après avoir travaillé personnellement avec le service du renseignement des Forces canadiennes, je peux vous dire que je suis très heureux de ses capacités d'analyse, de l'évolution de ses capacités d'intervention, de son dévouement et tout particulièrement de son produit. Je peux vous dire que les analyses indépendantes de nos propres analystes canadiens du renseignement ont toujours su équilibrer les tableaux présentés par les forces militaires alliées et, en fait, ont souvent su présenter avec exactitude ce qui se passe en réalité dans une campagne militaire.

Je vais formuler maintenant quatre commentaires. Il s'agit de secteurs sur lesquels vous voudrez peut-être vous pencher. Ça ne devrait pas vous surprendre.

Comme tous les Canadiens, d'une façon ou d'une autre, les institutions nationales primordiales pour le maintien de la sécurité au Canada ont également contribué, et c'est nécessaire, à la crise de la dette nationale. Ça s'est produit au cours des 10 dernières années. Je crois que les FC, la GRC, le SCRS et d'autres institutions importantes sont perçues comme étant simplement un autre ministère. En fait, il s'agit d'institutions spéciales, et je n'essaie pas de parler de façon péjorative des autres ministères. Il s'agit d'institutions opérationnelles spéciales qui assurent la sécurité humaine fondamentale des Canadiens. Je crois sincèrement, qu'on traite avec une certaine suffisance nationale ce pays extraordinaire, même s'il est à l'occasion naïf, et je crains qu'un certain évangélisme fiscal non fondé ait placé les leaders de ces institutions dans une situation qui a fait qu'elles ne disposeraient pas des ressources nécessaires pour préserver même certaines de leurs fonctions les plus critiques. La sécurité c'est une question de faire la part des choses, d'évaluer le risque, et je crois que le gouvernement du Canada devra se pencher sur la question, tout particulièrement en raison des menaces conventionnelles asymétriques et multiples auxquelles nous serons confrontés à l'avenir. Mon premier commentaire porte donc sur les ressources.

De plus, je sais qu'un programme de protection des infrastructures essentielles a récemment été mis sur pied au ministère de la Défense nationale; mais je ne sais pas s'il dispose de l'autorité et des ressources nécessaires pour s'acquitter rapidement de son mandat. Un certain nombre d'organismes du gouvernement central se réunissent périodiquement pour traiter de divers aspects du renseignement au Canada, mais à ma connaissance il n'existe pas d'autorité centrale nationale du renseignement qui soit chargée d'établir les priorités pour la collecte et l'analyse de renseignements au Canada; je ne connais pas d'organisme qui ait les moyens et la capacité de coordonner tous les efforts des organismes chargés de la sécurité au Canada, et de s'assurer qu'ils ont accès aux ressources nécessaires. À ma connaissance il n'existe pas non plus de système d'archivage centralisé facilement accessible des données de renseignement qui portent sur tous les aspects de la sécurité canadienne. Une structure et une autorité nationale c'est là le deuxième point dont je voulais vous entretenir.

Quant à mon troisième point, et je ne veux pas critiquer qui que ce soit, je veux que mes propos soient pris comme des conseils tout à fait constructifs. D'après mon expérience, beaucoup de dirigeants non élus, en effet bon nombre de Canadiens, ne comprennent pas les menaces pour la souveraineté et la sécurité du Canada. En superficie, nous sommes le deuxième pays au monde. Il y a beaucoup de tendances, comme les populations qui augmentent et les conflits régionaux qui donnent lieu à des migrations massives. Notre territoire est très grand, et la vie est bonne ici. À mon avis, tout le monde devrait songer à l'importance de la souveraineté nationale. Je voudrais également que les élus comme les non-élus rendent des comptes aux gens qu'ils représentent. Je parle de la sensibilisation, et il existe des mesures à prendre pour sensibiliser les gens davantage.

Finalement, et avec tout le respect que je vous dois, parler de cette question en profondeur dans le domaine public peut plaire à tous ceux qui estiment qu'ils ont le droit de tout savoir, et je me rends compte que ce que j'ai dit est controversé et que les gens vont réagir, mais tout le monde doit se rappeler que la sécurité humaine est un droit fondamental. Donc, pour être très franc, je dirais qu'il ne serait pas dans l'intérêt du Canada d'approfondir trop ces questions.

Selon moi, il serait bon que vous examiniez quatre grandes questions. En premier, ceux qui sont responsables de nos institutions de sécurité savent ce dont ils ont besoin pour accomplir leur mandat. Il ne serait pas très responsable de leur fournir moins de ressources que ce dont ils ont besoin pour les périodes de stabilité et pour les périodes d'intensification.

On peut amalgamer la deuxième et la troisième grandes questions. Si nécessaire, il faut fournir les ressources nécessaires pour mettre en vigueur des initiatives comme le programme de protection des infrastructures essentielles, et ce, dans les meilleurs délais, ainsi que tout autre service de renseignement centralisé. Il est aussi très important d'examiner la question d'un centre national de coordination du renseignement avec la représentation de plusieurs ministères. Qui plus est, je crois qu'il faut établir un leadership crédible, centralisé et responsable sur les questions du renseignement, doté d'un pouvoir d'exécution et de ressources convenables.

Il se peut que les méthodes qu'utilisent les États-Unis dans le domaine du renseignement comportent des lacunes. Nous devrions situer ces lacunes en contexte. Les États-Unis, la Grande-Bretagne, nos alliés européens, l'Australie et la Nouvelle-Zélande prennent les questions de renseignement et de sécurité beaucoup plus au sérieux que nous l'avons fait ici au Canada. Nous avons un long chemin à parcourir pour remédier à nos lacunes du passé et pour relever les défis de l'avenir. Nous n'avons pas idée de l'ampleur de ces défis.

Les réactions aux États-Unis m'ont surpris. Je m'attendais, après les événements du 11 septembre, à ce qu'on exige avec véhémence des explications. Aucune récrimination, même pas des réactions semblables à ce qui s'est passé après Pearl Harbour en 1941 quand le Congrès est intervenu en demandant pourquoi le président Roosevelt avait laissé tomber le pays.

Les États-Unis ont jeté un voile de silence sur l'échec au niveau du renseignement. Le Congrès américain a adopté une démarche de bipartisanisme sur la question.

Il serait peut-être bon que le Canada suive l'exemple américain pour des raisons pratiques et pragmatiques. Notre tâche n'est pas d'examiner les échecs du passé, mais de relever les défis de l'avenir.

Les États-Unis augmentent leurs effectifs dans le domaine du renseignement. C'est une augmentation remarquable. Les États-Unis consacrent 30 milliards de dollars par an à la collecte et à l'analyse du renseignement. Nous dépensons une fraction dérisoire de ce montant sur ces questions au Canada.

Les Américains pensent qu'ils ont besoin d'encore plus d'argent. Qu'en pensons-nous? Je pense que nous avons besoin de plus de ressources. Je vais vous en parler.

Les autres alliés augmentent les effectifs également, et ce sont les Britanniques qui le font de la manière la plus publique. Les commentateurs américains parlent d'une nouvelle belle époque dans le domaine du renseignement. La dernière fois qu'on a parlé d'une belle époque du renseignement, c'était en 1950 quand la CIA a connu un essor énorme et a entamé ses premières opérations secrètes.

Au Canada, il n'y a pas eu de débat sur l'âge d'or du renseignement de sécurité. On n'en veut peut-être pas ici, mais nous devions peut-être faire un examen honnête des capacités actuelles du Canada et de la perception qu'ont les Canadiens de ce domaine.

S'il devait y avoir un âge d'or du renseignement de sécurité au Canada, ce serait d'une envergure inégalée en fait d'expansion, de sensibilisation du public, des ressources et de la volonté politique. Comment cela se produira-t-il? Il nous faudrait bâtir sur la fondation actuelle des capacités canadiennes en matière de systèmes d'analyse des données recueillies et de diffusion. Il nous faudrait aussi effectuer beaucoup de changements en même temps. Si nous voulons vraiment renforcer nos capacités au niveau du renseignement de sécurité au Canada, il nous faudra complètement restructurer le système.

Mais il sera difficile d'amorcer un débat public sérieux sur des changements d'une telle envergure, car les Canadiens connaissent peu du domaine du renseignement de sécurité. Les membres de la communauté du renseignement ont le devoir de dire la vérité aux dirigeants au pouvoir, mais pas nécessairement au Parlement. Le Parlement n'a aucun comité permanent chargé d'étudier cette question. Sauf votre respect, j'ose dire que le Parlement a, dans le passé, tourné le dos aux questions de sécurité et du renseignement. Ce sera difficile pour nous tous. Il nous sera très difficile de rattraper le temps perdu.

Je parlerai maintenant des réformes qui, à mon avis, s'imposent et qui sont dues aux faiblesses actuelles au niveau de nos capacités. Je passerai en revue toutes les étapes organiques qu'il nous faudra franchir depuis la diffusion des données jusqu'à l'analyse en passant par la cueillette.

À l'étape de la diffusion, nous avons appris de M. Corcoran que même s'il n'y avait pas de comité permanent sur la sécurité et le renseignement au sein du Cabinet, il y a un comité du Cabinet qui se réunit pour discuter de questions de sécurité et de renseignement. Il serait bon d'en déterminer l'importance.

Le comité chargé de la sécurité et du renseignement a été abandonné en 1993. Je ne crois pas qu'il ait été très occupé à ce moment-là. Le premier ministre Pearson avait créé ce comité en 1960 sur la recommandation du secrétaire du Conseil privé du Cabinet à l'époque. Le mandat du comité était d'établir les priorités en matière de renseignement. Nous ne savons pas si aujourd'hui ce comité serait en mesure d'accomplir son travail de façon efficace. Il se réunit rarement.

Mais qu'importe sa constitution actuelle, je ne pense pas que le Cabinet était bien informé des questions de sécurité. Si nous voulons changer cela, nous devrons sérieusement envisager la création d'un poste ministériel au sein du Cabinet portant responsabilité des questions de sécurité nationale et de renseignement.

On pourrait donner ce portefeuille au vice-premier ministre, ce serait la façon la plus simple et la plus pragmatique de régler la question. Il nous faut une personne responsable du renseignement de sécurité au Cabinet, quelqu'un qui informerait le Cabinet des questions de sécurité et qui s'assurerait que ces questions sont débattues au sein du Cabinet. Il nous faut un porte-parole pour expliquer au Parlement les initiatives prises par le gouvernement en matière de défense. Il nous faut quelqu'un pour éduquer le public canadien. La meilleure façon d'accomplir cela serait de créer un nouveau poste au sein du Cabinet.

Cela ne veut pas dire que nous voulons imiter les Américains. Ce serait une solution canadienne à un problème canadien.

On a parlé du rôle de coordonnateur que pourrait jouer le Bureau du Conseil privé. C'est une idée qui mérite d'être étudiée de plus près. Nous avons déjà un poste de coordonnateur de la sécurité et du renseignement au Bureau du Conseil privé. Ce poste est parfois occupé seulement par le titulaire, qui est chargé de coordonner les questions de sécurité et de renseignement. C'était le cas de Mme Margaret Purdy, qui est actuellement sous-ministre à la défense. Elle est chargée de la protection des infrastructures critiques.

De façon générale, le coordonnateur au Bureau du Conseil privé chargé de la sécurité et du renseignement, ainsi que de la coordination des activités au sein de la communauté, assume aussi une autre tâche, conseiller juridique auprès du Cabinet. Dans le passé, cela voulait dire que le coordonnateur consacrait la moitié de son temps à des questions juridiques et beaucoup moins la moitié de son temps aux questions de sécurité et de renseignement. Il nous faut repenser à fond la fonction de coordination au gouvernement. La structure actuelle ne fait pas l'affaire.

Au moment où le poste de coordonnateur pour la sécurité et le renseignement a été créé au Canada, on s'inspirait d'un poste qui existait déjà en Grande-Bretagne, mais doté de moins de pouvoirs. En Grande-Bretagne, il existe un poste de coordonnateur pour la sécurité et le renseignement.

À mon avis, il existe de sérieuses lacunes dans la façon dont on informe le Cabinet et le premier ministre des questions de renseignement en vue de la prise de décisions. Il faut améliorer cela. La fonction de coordination au sein du BCP est déficiente, car le BCP a seulement le pouvoir de persuader. Il n'a pas le pouvoir de faire appliquer la coordination. Il n'a aucun pouvoir budgétaire, ni le pouvoir d'affecter du personnel ou des ressources.

Le Canada a également de grandes faiblesses au niveau de ses capacités d'analyse. Nous avons des petites unités au sein de plusieurs ministères. Chaque unité est chargée de l'analyse des questions de sécurité et de renseignement au sein de son propre ministère et fait rapport à son ministre. Il existe un petit bureau au sein du BCP connu sous le nom de Secrétariat de l'évaluation du renseignement. Il est chargé de la communication et de l'analyse stratégiques, mais les rapports qu'il produit ne sont pas lus ni étudiés par le Cabinet. Le secrétariat est bien trop petit pour faire du travail sérieux.

Nous devons réorganiser complètement la façon d'analyser le renseignement. Si vous n'avez pas la capacité d'analyse, le reste du système ne sert à rien. Vous pouvez recueillir autant de renseignements que vous voulez, mais si vous ne pouvez pas les analyser, ils ne serviront à rien. Nous n'avons rien à dire aux décideurs.

Le système que nous avons actuellement a peut-être suffi à la tâche - quoique j'ai mes doutes pour ce qui est de notre monde avant le 11 septembre - alors qu'on ne prenait pas vraiment au sérieux les questions de sécurité et de renseignement. Je ne crois pas que le système qui existe actuellement à Ottawa soit assez bon, étant donné le climat d'incertitude depuis les événements du 11 septembre.

Ce problème a été étudié à maintes reprises par le passé. On a fait beaucoup de suggestions à l'interne pour réorganiser le système. Certaines suggestions étaient excellentes, mais tôt ou tard, on a toujours érigé d'énormes obstacles bureaucratiques à leur concrétisation.

Le seul fait qui explique qu'on ait encore une capacité analytique au Bureau du Conseil privé, c'est parce que le ministère des Affaires étrangères avait pris la décision d'éliminer son unité du renseignement stratégique en 1993. Le peu qu'il en restait a été intégré au BCP.

Certains se sont demandés si nous avions besoin d'un service secret à l'étranger. Il est important de lever le voile sur cette question.

Nous n'en avons pas. La loi sur le SCRS donne au SCRS le mandat, limité, de recueillir des données à l'étranger, comme M. Corcoran l'a clairement dit, mais cela n'équivaut pas à avoir la capacité d'un service secret à l'étranger. Si nous décidons de créer une telle organisation, il nous faudra réfléchir sérieusement sur notre façon de faire. Ce serait un projet à long terme qui coûterait cher. Sa réalisation dépendrait également d'une grande habileté, d'une grande volonté politique, et d'une campagne d'éducation du public.

Nous avons besoin d'une telle organisation pour plusieurs raisons, notamment de permettre au Canada de jouer un rôle indépendant dans le monde international du renseignement et de lui permettre de retenir sa place à la table des services du renseignement des alliés, qui a depuis toujours contribué de façon importante au succès qu'on a connu dans ce domaine.

Nous avons également le Centre de la sécurité des télécommunications qui est l'organisation la plus secrète de toutes nos agences de cueillette de renseignements. Le Centre de la sécurité des télécommunications fait partie d'une alliance de services de renseignements en vertu de laquelle il communique avec ses homologues britanniques. Mais comparativement aux services de la Grande-Bretagne, le nôtre est minuscule. À mon avis, le Centre est à un cheveu de disparaître étant donné le retard qu'il a pris sur le plan technologique des moyens de communication depuis les années 90.

Si nous sommes pour prendre au sérieux l'obligation de recueillir des renseignements de communications à l'étranger, je suis certain que le CST aura besoin de beaucoup plus de ressources et de beaucoup plus d'attention de la part des politiciens. Mais il lui est très difficile de plaider sa cause. Il serait très difficile pour le gouvernement d'expliquer pourquoi il donne beaucoup d'argent à cette agence, d'où le besoin d'une plus grande éducation et sensibilisation du public à cet égard.

Nous devons repenser le rôle du ministère des Affaires étrangères dans le domaine du renseignement de sécurité. Comme je l'ai mentionné, en 1993, le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international avait éliminé son service d'analyse des renseignements étrangers. Mais ce qui est encore pire, c'est que le ministère des Affaires étrangères a dû faire beaucoup de compressions au cours des dernières années. L'âge d'or des affaires étrangères est depuis longtemps révolu. Un des services que le ministère a éliminés, c'est celui des rapports politiques étrangers.

Un des meilleurs investissements qu'on pourrait peut-être faire serait simplement de redoter le ministère des Affaires étrangères de ce service. Ce genre de système constitue la fondation de plusieurs des systèmes du renseignement de sécurité de nos alliés. J'appuie la création d'un service secret à l'étranger, qu'importe l'emplacement de son quartier général, et je n'ai pas peur des nouvelles bureaucraties qui seraient ainsi créées.

Je m'immisce peut-être un peu dans le domaine du brigadier-général Jurkowski, mais je crois que nous devons examiner en profondeur les capacités en matière de renseignement de sécurité du ministère de la Défense nationale. Je fais référence à la composante J2 du ministère de la Défense nationale, et non au personnel d'exploitation, qui relevait du général Jurkowski en tant que gestionnaire et chef d'État-major. Si nous faisions une étude approfondie et sérieuse de toute l'opération, je crois qu'on découvrirait beaucoup de lacunes, ou du moins un manque de ressources et de capacité d'analyse.

Voilà donc un aperçu de quelques façons d'améliorer notre capacité de cueillette de renseignements de sécurité. À mon avis, le SCRS a également besoin de plus de ressources et de personnes compétentes pour faire son travail. Les membres de la communauté du renseignement vous le diront: ne nous donnez pas seulement de l'argent. Je crois qu'ils sont tellement épuisés qu'ils ne demanderont pas à recevoir plus d'argent, parce qu'ils n'ont jamais été habitués à en recevoir. Ils ne savent pas comment plaider leur cause. Permettez-moi de le faire en leur nom.

Ils ont besoin d'argent. Par contre, l'argent ne suffit pas. Ils ont également besoin de personnes compétentes et expérimentées et, avant tout, d'une élite professionnelle qui puisse analyser les renseignements qui seront recueillis par le personnel canadien et acheminés vers le Canada par nos alliés, si nous entretenons encore des alliances.

Permettez-moi de conclure en posant une question et en essayant d'y répondre. Pourquoi poursuivre ces objectifs, qui, pris dans leur ensemble, semblent s'éloigner de la façon de faire au Canada et qui n'ont que très peu de précédents historiques?

Nous devons nous rendre à l'évidence: le monde a changé, le climat international est devenu incertain. Les États-Unis ont déclaré une guerre mondiale au terrorisme et il nous incombe de prendre cette déclaration très au sérieux. Ce n'est pas de la théorie. Le Canada s'est engagé envers les États-Unis, envers ses alliés au sein de l'OTAN et envers les Nations Unies à de lutter contre le terrorisme. À mon avis, nous n'avons pas la capacité de respecter nos engagements pris en matière de sécurité et de renseignements.

Pourquoi devrions-nous effectuer ces changements? D'abord, ils amélioreront la sécurité nationale. Les Canadiens ont compris cela bien avant le gouvernement. Les Canadiens veulent qu'on renforce la sécurité au pays.

Ensuite, si nous faisons des efforts sérieux pour éduquer le public avant de mettre en oeuvre les réformes, cela va rassurer les Canadiens, ce qui est important puisque nous vivons dans une époque où les gens ont peur des avions qui servent au poudrage des récoltes, achètent des vieux masques à gaz de la seconde Guerre mondiale dans des magasins à Toronto et font la queue à Manhattan pour acheter des médicaments qui seraient des antidotes à la maladie du charbon. Il faut rassurer le public et le faire honnêtement et ouvertement. Nous devons entreprendre une sérieuse campagne d'éducation du public.

Pourquoi devrions-nous envisager d'apporter des changements radicaux au milieu de la sécurité et du renseignement de sécurité? Si nous ne le faisons pas, nous aurons échoué à une tâche décisive. Nous aurons échoué dans notre rôle d'allié. Nous ne serons pas considérés comme un véritable allié par la Grande-Bretagne et les États-Unis, par l'Europe ou même par l'Australie, qui est un autre de nos partenaires. À l'heure actuelle, c'est à peine si nous maintenons notre qualité d'allié. À moins d'apporter des changements, nous ne réussirons pas à donner à nos services de sécurité et du renseignement les capacités et les ressources nécessaires pour le relever le défi de la guerre contre le terrorisme et, tôt ou tard, nous finirons par perdre notre place à la table des alliés. Nous ne mériterons plus d'être considérés comme un allié.

Quel serait le prix à payer si nous perdions notre statut d'allié? Peut-être me diriez-vous que nous pouvons nous le permettre; que nous pouvons vivre isolés du monde, dans notre cocon au sein de notre pays et que nous pouvons tourner le dos à la communauté internationale. Si telle est votre opinion, je perdrai toute confiance dans la classe politique canadienne.

Historiquement, le Canada a pu compter sur ses alliances en matière du renseignement pour être en mesure de fonctionner efficacement et comprendre les problèmes intérieurs et, surtout, l'environnement international dans lequel nous vivons. Nous avons gagné ou mérité l'adhésion à cette alliance en matière du renseignement de sécurité grâce à notre participation à la deuxième Guerre mondiale et notre collaboration durant la guerre froide.

Or nous avons cessé de travailler assidûment pour garder notre place à la table de l'alliance. Nous avons laissé s'atrophier notre alliance et nous devons sérieusement agir. Le fonctionnement de cette alliance et la mesure dans laquelle on peut s'y fier doivent faire l'objet d'un examen politique minutieux.

Enfin, j'ajouterai que si le Canada entend sérieusement faire une contribution à la guerre mondiale contre le terrorisme et s'il veut vraiment éradiquer le terrorisme en son sein, nous devons impérativement comprendre quels sont les moyens de défense de première intervention contre le terrorisme. J'ai beaucoup aimé l'éditorial du sénateur Kenny dans le National Post, et loin de moi toute idée de le flatter. J'ai été fort surpris de lire ce genre de propos émanant d'un sénateur. Mon coeur s'est réjoui d'apprendre que le sénateur parlait de la nécessité d'accorder une attention particulière au renseignement de sécurité, car il y va de l'identité canadienne.

Le renseignement de sécurité est le premier moyen de défense pour se prémunir contre le terrorisme. L'une des meilleures contributions que pourrait faire le Canada étant donné la nature de sa société et les moyens dont il dispose pour concourir à la guerre mondiale contre le terrorisme, ne serait pas dans le domaine militaire, ni diplomatique ou économique, mais plutôt dans ce que je qualifierai du champ général de la connaissance, soit celui du renseignement de sécurité. Notre apport en cette matière dans le contexte de la guerre mondiale contre le terrorisme pourrait changer les choses de façon appréciable.

Par cela, je n'entends pas seulement la poursuite des mauvais éléments, mais aussi l'utilisation de la capacité proprement canadienne de comprendre ce qui promet d'être une guerre très difficile et prolongée, et d'influer sur la façon dont nos alliés livreront la guerre et dont la communauté internationale accueillera cela.

Voilà ce à quoi le rôle du renseignement de sécurité a consisté traditionnellement. Nous utilisons le renseignement de sécurité non seulement pour façonner des décisions politiques au Canada, mais aussi pour influer sur les décisions de nos alliés. Voilà sa définition traditionnelle. C'est pour cette raison également que nous avons eu des services du renseignement de sécurité durant la deuxième Guerre mondiale et durant la guerre froide, mais nous avons oublié que cela était une équation essentielle. À l'heure actuelle, nous n'avons plus les moyens de maintenir cette équation.

Sur ce, j'espère avoir suscité quelques interrogations. Je ne regrette pas que le sénateur LaPierre ne soit pas ici, mais quoi qu'il en soit, je termine là-dessus.

Le sénateur Meighen: Mon général, vous avez à l'évidence suscité beaucoup d'interrogations. Vos propos laissent une impression de déjà entendu. On nous dit que les services du renseignement ont un besoin urgent de ressources, de leadership et de campagnes de sensibilisation. À mes collègues les sénateurs, je répéterai ce que le général Jurkowski a dit, à savoir que nous avons le droit de vivre en sécurité dans notre pays.

Après avoir entendu les différents témoignages, j'aurais des questions concernant les six ou sept organismes s'intéressant à la collecte de renseignements de sécurité. Où ces renseignements sont-ils acheminés? Un témoin est venu nous dire que nous sommes plus conscients des menaces maintenant, et c'est pourquoi nous serions plus disposés à partager l'information qu'avant. Qu'avez-vous à dire à cela? À votre avis, peut-on faire quoi que ce soit qui puisse garantir un meilleur partage des informations?

J'ai entendu M. Wark suggérer que nous devrions avoir un poste ministériel chargé du renseignement de sécurité. J'ignore si les pays qui sont nos alliés ont un tel poste ministériel. Je voudrais en avoir le coeur net. À défaut d'avoir un tel poste, et je crois comprendre que les sous-ministres se réunissent déjà sous la direction de M. Cap, c'est M. Manley qui a été chargé de présider un groupe de ministres responsables de la sécurité et du renseignement de sécurité. Pensez-vous que cela pourrait être utile?

Enfin, en tant que membres du comité, nous avons besoin d'être sensibilisés à la question. Certes, nous sommes des parlementaires, mais nous sommes aussi des citoyens. Nous ne jouissons plus d'un niveau élevé d'autorisation de sécurité à l'heure actuelle, et je présume que c'est le cas pour la plupart d'entre nous sinon pour nous tous. À votre avis, les informations qui nous seront communiquées seront-elles limitées, d'ici à ce que nous obtenions une autorisation de sécurité? C'est le cas des parlementaires au Royaume-Uni, si je ne m'abuse. Je ne sais pas quelle est la situation dans d'autres pays.

M. Wesley K. Wark, professeur agrégé au Département d'histoire, Munk Centre for International Studies, Université de Toronto: Je tâcherai de répondre rapidement, car j'ai déjà pris beaucoup de votre temps et je m'excuse de ce défaut d'universitaire.

Ceux qui oeuvrent dans le milieu de la sécurité et du renseignement décrivent souvent le système actuel comme étant un ensemble de silos de renseignements. Chaque organisme envoie les informations qu'il recueille suivant une procédure hiérarchique visant à informer, en bout de ligne, le sous-ministre ou le ministre d'une question particulière. C'est le Bureau du Conseil privé qui assure la coordination, qui se manifeste sous deux formes: le coordonnateur du BCP investi de pouvoirs de persuasion et deux ou trois comités présidés par des agents du BCP. De temps en temps, on réunit les responsables de la sécurité et du renseignement pour discuter de questions d'intérêt commun.

Ce système dispersé, décentralisé et constitué de silos ne convient plus dans les circonstances actuelles. Nous avons besoin d'un organe plus centralisé. Pour des fins d'analyse du renseignement de sécurité, nous devons mettre sur pied un nouvel organe incorporant les différentes unités. Ce serait l'équivalent du National Assessments, en Australie, et du Cabinet Office System, au Royaume-Uni.

Il existe d'autres régimes parlementaires qui mériteraient d'être envisagés comme modèles. Pour ce qui concerne le partage d'informations, il faut comprendre que notre système actuel est dispersé et décentralisé. Cela ne signifie pas qu'il n'y a pas de partage d'information au sein de ce système, mais nous devons néanmoins changer les structures pour faire en sorte qu'il n'y ait pas d'obstacles bureaucratiques.

S'agissant d'un poste ministériel, je propose la création d'un poste ministériel spécialisé, chargé de la sécurité nationale et du renseignement de sécurité. À moins de créer un tel poste, on ne sera pas en mesure de saisir les véritables enjeux et d'apporter les changements qui s'imposent. En plus de la sécurité et du renseignement de sécurité, M. Manley assume déjà plusieurs fonctions au sein de son portefeuille. Je vois mal comment il pourrait accomplir cette tâche efficacement, ni comment un autre ministre responsable d'un autre portefeuille pourrait assumer un rôle qui devrait être considéré comme étant complexe, difficile et délicat sur le plan politique. Une solution de compromis serait de confier cette tâche au vice-premier ministre. En effet, celui-ci pourrait devenir en quelque sorte notre «czar» du renseignement de sécurité.

Le sénateur Atkins: Cela fait maintenant trois heures que je suis assis ici et je n'ai entendu mentionner le nom du Solliciteur général qu'une fois. Si je comprends bien notre système, le SCRS et la GRC relèvent bien du Solliciteur général. Étant responsable de la sécurité du pays, de par son mandat, le Solliciteur général comme la ministre de la Justice, doit agir dans l'intérêt du Canada avant tout autre. Comment ce fait-il alors qu'il ne soit pas considéré qu'en pouvant jouer un rôle important dans la coordination du renseignement et de la sécurité?

M. Wark: À titre de ministre, le Solliciteur général est responsable d'une partie seulement du renseignement de sécurité, au sens large du terme.

Le titulaire du poste de Solliciteur général est responsable du SCRS, de la Gendarmerie royale du Canada et du Service correctionnel; voilà les trois volets de son mandat. Il ne peut donc pas accorder toute l'attention voulue à la sécurité et au renseignement de sécurité, et c'est d'ailleurs pourquoi il n'occupe pas une place centrale au sein du Cabinet lors des discussions portant sur le contexte général de la sécurité et du renseignement, encore moins quand il s'agit du renseignement sur la scène internationale.

Il faut comprendre que le SCRS n'est pas le seul acteur et que la GRC n'a pas de fonction relative au renseignement de sécurité. Il s'agit d'un organisme chargé de l'application de la loi. Il existe d'autres acteurs importants et, s'il faut créer un poste ministériel pour chapeauter les services de sécurité et du renseignement, il faut que ce soit dans un ministère autre que celui du Solliciteur général.

Le sénateur Meighen: En tant que membres du comité, serons-nous en mesure d'être suffisamment renseignés pour pouvoir prendre une décision éclairée sans avoir d'autorisation de sécurité?

M. Jurkowski: Mes collègues militaires et moi-même nous sommes déjà retrouvés à plusieurs reprises dans une situation où nous devions informer des dirigeants politiques. La plupart d'entre eux voulaient savoir ce qui se passait, mais nous gardons toujours à l'esprit l'autorisation de sécurité. Il y avait toujours des éléments d'information que nous aurions souhaité pouvoir leur communiquer, mais que nous ne pouvions pas divulguer.

En temps de crise, par exemple, devrait-il y avoir dérogation? Tout dépendrait de la nature et du degré de confidentialité du renseignement de sécurité, mais les informations délicates, devront absolument être assujetties à l'autorisation de sécurité. Je ne suis pas expert dans ce domaine, mais c'est un facteur qu'il faut prendre en considération.

Le deuxième point que j'aimerais aborder, et cela fait suite aux remarques de M. Wark, c'est qu'il existe au Canada divers organismes qui ont des besoins en matière de renseignement spécialisé et qui entreposent des informations pour y répondre.

À mon avis, nous faisons face à des menaces asymétriques, qui transcendent un seul domaine. En effet, ces menaces touchent à différents domaines: l'armée, le périmètre extérieur au pays, les activités policières et le renseignement de sécurité comme le SCRS. La question principale qui me vient à l'esprit spontanément est la suivante: les décideurs, qu'il s'agisse des membres du Cabinet, du premier ministre ou de tout autre responsable municipal, y compris le maire, seront-ils en mesure d'obtenir les informations dont ils ont besoin rapidement dans l'état actuel du système? La dimension temporelle est capitale, et la création d'un organisme centralisé pourrait contribuer à atténuer les effets de silos.

Le sénateur Meighen: Le général Jurkowski en saurait certainement beaucoup plus que nous tous; l'armée canadienne a du, pour le meilleur ou pour le pire, se spécialiser. Ainsi, la marine a choisi de se spécialiser dans la guerre anti-sous-marine. La force aérienne, quant à elle, a fait certains choix. Nous n'avons plus tellement de moyens de transport de charges lourdes. Nous pouvons déployer des hommes et des femmes dans des avions de chasse ça et là, mais en nombre très limité. Il nous est difficile de déployer un grand nombre de troupes rapidement par nos propres moyens, étant donné que nous n'avons plus les moyens de transport nécessaires.

Compte tenu de nos ressources limitées, serait-il réaliste de penser que nous pourrions nous spécialiser utilement dans la sécurité et le renseignement ou est-ce que, pour cela, il nous faudra être présents dans tous les milieux de sécurité du renseignement de sécurité?

M. Jurkowski: À mon avis, ce serait de la folie que de se spécialiser. Je crois qu'il faut couvrir les fronts. On ne peut pas négliger une partie des menaces asymétriques, ou même les menaces conventionnelles, et préserver quand même notre souveraineté.

Le sénateur Meighen: Même si un de nos alliés s'engageait à couvrir ce front-là?

M. Jurkowski: Cet allié, en fait, s'accaparerait en partie votre souveraineté, et avec les meilleures intentions. Cela pourrait être acceptable, mais personnellement je trouve cela abominable. Il faut mettre les ressources en place pour veiller à la protection de tous les aspects de la sécurité humaine dans votre pays.

Le sénateur Meighen: Vous ne faites pas d'analogie avec les forces militaires?

M. Jurkowski: Il serait peut-être nécessaire de faire la même chose dans le domaine militaire aussi.

M. Wark: Dans le monde du renseignement, étant donné la complexité des questions, aucun pays, même les États-Unis, n'existe en vase clos. Tous les pays comptent sur la mise en commun du renseignement et, dans une certaine mesure, sur la spécialisation. Traditionnellement, le Canada s'est spécialisé dans certains domaines clés, surtout le renseignement électromagnétique, et nous allons continuer à le faire. Il faut trouver un juste équilibre entre les tâches spécialisées, qui nous rendent utiles à la table des alliés, et la capacité de faire de la surveillance générale à l'échelle nationale et internationale avec les ressources dont nous disposons. Il faut concilier ces deux aspects.

Il est crucial de demeurer à la table des alliés parce que ce partenariat dure depuis plus de 50 ans. Il a sa propre dynamique et ses affinités. Si on l'abandonnait, il ne serait plus possible de le rétablir. On ne pourrait jamais plus s'adresser à la CIA, au SIS ou au Service gouvernemental d'écoutes et de transmission en Grande-Bretagne pour leur demander de nous donner les renseignements qu'ils nous donnaient avant. On rirait de nous.

M. Jurkowski: J'ai constaté que nous partageons effectivement beaucoup de renseignements militaires et de sécurité avec nos alliés, en particulier les États-Unis. J'appartenais à un organisme appelé la Commission permanente mixte de défense créée à Ogdensberg le 18 août 1940 entre le premier ministre Mackenzie King et le président Roosevelt. Je crois que la 208e réunion est prévue pour ce mois-ci.

J'ai participé à nombre de ces réunions en tant que membre, mais j'ai eu souvent l'impression qu'on me prenait pour un pique-assiette canadien. On ne l'a jamais dit, mais j'avais ce sentiment-là.

Le sénateur Forrestall: On m'a déjà demandé à moi aussi de sortir d'une réunion parce que je n'étais d'aucune assistance.

Je comprends un peu la position de M. Wark. Où trouvons-nous les ressources? Qui leur donne la formation nécessaire? Est-ce que les universités sont un peu à la traîne? Vous êtes là parce que vous vous intéressez personnellement à la question. Les universités font-elles assez pour nous aider à trouver les ressources? Je doute fort que vous puissiez trouver assez de personnes instruites qui seraient prêtes à se consacrer à toutes sortes de niveaux.

M. Wark: C'est une très bonne question. Je ne compte plus le nombre de mes anciens étudiants en doctorat qui se sont trouvés en chômage ou sous-employés. Or, il existe au Canada tout un bassin de personnes qui possèdent les compétences analytiques nécessaires. Le problème, c'est que nous ne savons pas mettre à profit ces ressources, dont les universités sont un exemple évident comme le secteur privé. Des firmes comme RPMG sont aussi une ressource. Dans le secteur commercial, les banques ont toutes des services importants d'analyse du risque et d'évaluation des menaces, et elles peuvent intégrer d'autres personnes dans ces services pour faire du renseignement économique.

Nous sommes un pays très riche en ressources, mais le renseignement de sécurité est débranché de toutes les ressources qui existent, parce qu'il n'a jamais, me semble-t-il, établi de stratégie de recrutement réaliste et à long terme. C'est un des nombreux aspects qu'il faut examiner.

Le sénateur Forrestall: Êtes-vous d'avis qu'il faut s'y prendre de l'extérieur, que même à contrecoeur il faut le faire?

M. Wark: Non, j'ai dit que nous avons au Canada beaucoup de ressources...

Le sénateur Forrestall: Pourquoi les ressources existantes n'ont-elles pas pris l'initiative?

M. Wark: Je crois que les universités l'ont fait de bien des façons. Nous offrons une formation dans beaucoup de domaines, y compris le renseignement de sécurité. Cela ne veut pas dire que ceux qui sont formés dans ces domaines arrivent facilement à faire carrière dans ce secteur, même s'ils le souhaitent. L'appareil de sécurité et de renseignement a tendance à faire son recrutement de l'intérieur. Il recrute son personnel parmi les fonctionnaires. Cette façon de faire lui convient parce qu'il peut facilement évaluer les candidats au recrutement. Il n'existe aucun programme de recrutement systématique qui puise dans le bassin beaucoup plus riche de candidats compétents à l'extérieur.

Dans le passé, cela ne posait jamais de problème parce qu'il y avait très peu de recrutement. En effet, on avait plutôt le problème inverse. On n'avait ni les ressources financières ni le mandat de recruter. Cependant, si l'appareil doit prendre de l'expansion, il faudra établir une stratégie de recrutement et chercher de nouveaux bassins de candidats talentueux, bassins qui existent déjà, d'ailleurs.

Le sénateur Forrestall: On disait couramment que le Canada aurait un préavis de 20 ans avant de devoir s'engager dans une guerre d'envergure. Or, on vient de voir que cela peut arriver du jour au lendemain. Nous l'avons vu en direct au poste CNN. La guerre peut éclater demain matin. Nous sommes peut-être bien déjà en guerre, un nouveau type de guerre que nous ne comprenons pas encore très bien.

Pourquoi la stratégie de 20 ans? Pourquoi dire aux Canadiens que nous aurions un préavis de 20 ans, que nous verrions venir la guerre? Il est évident que quelqu'un craignait un événement tel que celui qui s'est produit récemment, sans savoir où ni quand. Nous ne connaîtrons peut-être pas toute l'histoire avant des années. Il s'agit d'un acte de guerre qui est arrivé comme un coup de tonnerre dans un ciel serein, malgré les efforts des services de renseignement.

Pourquoi avions-nous dit aux Canadiens qu'ils auraient un sursis de 20 ans?

M. Jurkowski: Je n'essaie pas d'esquiver la question, mais cela fait longtemps que je n'ai pas consulté ce document. Si je me rappelle bien, c'était un document prospectif. Je ne suis pas certain qu'on dise 20 ans dans le document, mais quel que soit le nombre d'années, c'était l'échéance généralement convenue entre les alliés; les services du renseignement, utilisant les ressources connues, pourraient raisonnablement prévoir le début d'une guerre conventionnelle comme la Deuxième Guerre mondiale ou la Guerre de Corée. C'était le but de l'exercice. Je ne crois pas qu'il y était question d'autre chose. Je doute qu'on y mentionne les menaces asymétriques, puisque c'est une inconnue pour le moment. Nous nous efforçons de comprendre ce genre de menaces. Si je ne m'abuse, il s'agit d'une guerre mondiale classique dans le document.

Le sénateur Forrestall: En raison de nos partenariats avec d'autres pays, nous participons à des guerres dans cette région du monde depuis quelque temps déjà. Cela pourrait se reproduire très bientôt.

Des gens m'appellent chez moi pour me demander ce qui se passe. On me demande si le premier ministre sait ce qui arrive, si quelqu'un dit à M. Chrétien ou à M. Manley ce qui se passe. C'est ce que la population redoute en ce moment plus qu'autre chose. Qui protège l'espace aérien dans un rayon de 100 kilomètres autour de la Tour de la paix? Qui s'en occupe? Qui va nous garantir ces 20 ans?

M. Jurkowski: S'il s'agit effectivement de 20 ans.

Le sénateur Forrestall: À quoi cela peut-il bien servir d'avoir un préavis de 48 heures des événements qui surviendront là où vous vous trouverez à 9 heures du matin? Qui protège notre espace aérien ce soir?

M. Jurkowski: Le Canada.

Le sénateur Forrestall: Où est l'avion qui nous protège?

M. Jurkowski: Cela dépend de la menace, mais pour le moment, il n'y a pas de menace.

Le sénateur Forrestall: Il n'y avait pas de menace quand on s'est couché le 10 septembre.

M. Jurkowski: C'est tout à fait vrai, sénateur.

Le sénateur Forrestall: S'il y avait une menace, si vous le saviez et que vous l'avez cachée au monde, dans ce cas-là, nous serions coupables de quelque chose.

M. Jurkowski: C'est une question que vous voudrez peut-être poser aux représentants du ministère de la Défense nationale. Je viens de l'aviation, et je peux vous dire qu'il existe un niveau de vigilance accrue dans notre pays et au commandement du NORAD.

Le sénateur Forrestall: Ben Laden n'arrive pas à obtenir les missiles qu'il veut. Alors, que fait-il? Il crée des missiles pilotés, dans le cas du 11 septembre, ou non pilotés, commandés à distance. Ces gens-là peuvent faire cela sans problème, et les coûts ne sont pas excessifs. Que peut-on faire contre un missile? Que peut-on faire contre un avion à réaction?

M. Wark: Si, au cours de quelques décennies, on réduit les Forces canadiennes à une force combattante de quelque 2 000 militaires, pour reprendre l'idée d'un de mes collègues, il serait possible de mettre tous les effectifs des forces de combat dans un stade de football moyen. Si on réduit l'aviation et la marine, il faudra s'attendre à des idées étranges de la part du ministère de la Défense nationale concernant son avenir.

Nous partageons tous la responsabilité collective d'avoir décidé qu'on n'avait pas besoin de forces militaires pour défendre la souveraineté du Canada ou pour jouer toutes sortes de rôles à l'échelle internationale. Les coupures ont été si profondes qu'il faut maintenant s'attaquer au problème terrible de la reconstruction des forces.

Les forces militaires américaines et britanniques font preuve d'imagination à l'égard des problèmes de la guerre asymétrique et l'utilisation des moyens militaires pour réagir à une menace terroriste; c'est tout simplement impossible à faire au Canada en raison du très petit nombre de militaires qui nous restent. C'est nous qui en sommes responsables, et non le ministère de la Défense nationale.

Le sénateur Forrestall: C'est ce que je veux dire. Nous avons la responsabilité de dire à la population que leur sécurité n'est pas encore assurée et que nous ne savons pas comment le faire; nous faisons notre possible.

Le sénateur Banks: Monsieur, vous avez mentionné au début qu'il n'existait pas de comité parlementaire permanent de la défense ou de la sécurité; vous comparaissez en ce moment devant un tel comité.

M. Wark: On parlait d'un comité du renseignement.

Le sénateur Banks: Pour nous, le renseignement fait partie de la sécurité.

Pour faire suite à ce que le professeur a dit, brigadier général, le premier ministre a promis hier que nous enverrions des troupes, si on nous le demandait. Sommes-nous en mesure de le faire?

M. Jurkowski: Oui. Je sais, par expérience, que l'équipe opérationnelle au quartier général de la Défense nationale a commencé tout de suite après les événements à élaborer des options et que le chef d'état-major leur aurait donné la permission d'en informer le premier ministre.

Les militaires ne décrivent pas ces options. Il s'agit d'options militaires et elles sont viables. Je n'entrerai pas dans les détails, mais la politique des Forces canadiennes stipule qu'on ne parle pas des options; il existe, cependant, différentes possibilités.

Par contre, je peux vous parler du Kosovo, qui m'est familier. Nos alliés ont été impressionnés par l'action de nos CF-18 au Kosovo. Vous ne vous rappelez peut-être pas, mais j'ai déjà signalé qu'environ 50 p. 100 des missions auxquelles les CF-18 ont participé étaient menées par des pilotes canadiens. C'étaient des opérations de grande envergure et des attaques coordonnées dirigées par nos pilotes en raison de la capacité des CF-18 et de la formation des pilotes.

Même si votre force aérienne n'est pas très importante, sa capacité est sensiblement la même qu'il y a quelques années. On était à la hauteur. C'est là un exemple du type de force armée qui pourrait éventuellement être envoyée en Afghanistan, mais je n'ai pas d'idée préconçue sur ce qu'il faudra là-bas. Ce type de force militaire, aérienne terrestre ou maritime, serait efficace quoique limitée.

Le sénateur Banks: Monsieur le professeur, vous avez certainement réfléchi au projet de loi financier pour faire les choses que vous avez suggéré qu'on fasse. Pouvez-vous nous donner un chiffre approximatif? Vous avez dit que les Américains dépensent déjà 30 milliards, et qu'ils sont sur le point d'en dépenser davantage. Avons-nous besoin de dépenser 3 milliards par an? Dépensons-nous déjà 3 milliards par an?

Tout à l'heure, nous vous avons parlé de l'équilibre qu'il faut établir dans toute société civile entre la sécurité d'une part, et les droits de l'individu d'autre part. Les droits de l'individu sont importants pour notre pays et ils l'ont toujours été. Dans notre pays, tout au moins jusqu'ici, nous avons toujours été prêts à assujettir toutes les autres considérations à ces droits, ou bien à mettre la protection de ces droits au-dessus de toutes les autres considérations.

Voulez-vous nous donner un chiffre approximatif, si vous avez une idée du coût supplémentaire à envisager, et où voyez-vous un tel équilibre?

M. Wark: Franchement, je n'ai pas essayé de rédiger un projet de loi. Je ne crois pas qu'on n'ait jamais demandé de le faire.

Au pied levé, je dirais qu'il faudrait probablement tout de suite doubler le budget actuel des services du renseignement de sécurité.

Le sénateur Banks: Quel est le chiffre actuel?

M. Wark: Certains chiffres du budget actuel sont classifiés. Il est difficile d'en faire le total. Étant donné que personne n'est chargé d'établir le budget des services du renseignement de sécurité, il m'est difficile de vous le dire. J'estime que c'est probablement de l'ordre de 500 millions. Ce n'est pas là un chiffre très important dans l'ordre des choses. Nous devrions peut-être le doubler pour nous assurer d'être capables d'engager les analystes experts dont nous aurons besoin, et aussi, pour nous mettre au niveau sur le plan technologique, surtout les organismes comme le Centre de la sécurité des télécommunications. Si nous envisageons sérieusement de nous lancer dans la recherche du renseignement à l'étranger, cela pourrait coûter cher. Tout d'abord, pour permettre au CST d'élargir les moyens analytiques du gouvernement, je dirai qu'il serait raisonnable de doubler le budget.

Le sénateur Banks: Vous avez dit qu'autrefois nous étions reconnus comme spécialistes en matière de signaux et de surveillance électronique, y compris la transmission intercontinentale des communications. Le Canada s'est tenu à la fine pointe de certaines technologies électroniques et il y est toujours, à certains égards. Pourrions-nous récupérer cela?

M. Wark: Nous pourrions le faire. Il est notoire, je crois, que pendant la Guerre froide, le Canada avait une mission spéciale qui consistait à recueillir le renseignement sur les signaux provenant de la Russie soviétique et qu'il avait une expertise spéciale qu'il avait mise au point surtout dans le nord de l'Union soviétique et dans la région de l'Arctique, qui est une zone stratégique importante pour les armes stratégiques soviétiques.

Il ne faut pas se faire une idée trop sentimentale ou exagérée des aptitudes canadiennes. Nous avions surtout des aptitudes en matière de recherche du renseignement plutôt que de son analyse, mais c'était quand même une contribution importante pour les alliés. C'était un apport de haute technologie, et je pense qu'inévitablement, cette expertise a disparu avec la guerre froide. Je ne crois pas que nous envisagions toujours de la même manière notre contribution spécialisée au service du renseignement.

Pour ce qui est de concilier la sécurité et les droits de l'individu, permettez-moi de faire deux remarques. Nous n'avons pas encore défini notre nouvel environnement international. Autrefois, on avait aussi déclaré la guerre au terrorisme: la Première guerre mondiale, la Seconde guerre mondiale, la Guerre de Corée, et les catastrophes à l'échelle nationale. L'attitude du pays envers les droits de l'individu et les mesures adoptées par le gouvernement évoluent au cours d'une guerre. Je crois que les circonstances ne sont pas les mêmes que celles des guerres précédentes, mais nous devrons peut-être envisager de remanier cet équilibre.

Cela dit, il ne convient pas de trop se préoccuper de la place des droits de l'individu et des libertés civiles dans le contexte d'une plus grande capacité des services du renseignement de sécurité. Rien de ce que je propose pour améliorer cette capacité ne comporte quoi que ce soit qui pourrait compromettre l'exercice des libertés civiles de notre pays, et si c'était le cas, je ne le proposerais pas. Nous voulons accroître nos capacités et nos connaissances et puiser dans les ressources de notre pays qui est un pays au savoir riche en connaissance afin de mieux comprendre notre société, les menaces auxquelles elle est exposée, et pour faire une contribution au niveau mondial. Ceci n'a rien à voir avec le Orwell ou un État policier. On ne cherche pas à écouter les communications de citoyens innocents de notre pays ou à chambarder leur vie.

Le sénateur Banks: Est-ce que ces choses ne se produiront pas inévitablement si nous faisons ce que vous dites que nous devons faire? Si nous augmentons le niveau de surveillance des gens qui, nous le savons, veulent s'infiltrer dans une société de manière à demeurer invisibles, pour arriver à cette fin, ne serons-nous pas obligés à faire des intrusions? Est-ce que nous ne prendrons pas inévitablement quelques conversations innocentes dans le filet afin de prendre les coupables?

M. Wark: Peut-être que oui, mais les gens n'ont pas compris que ce problème n'est pas nouveau, et nous n'avons pas changé nos vieilles méthodes pour y faire face. Maintenant, les gens parlent d'«espions en veilleuse». C'est ainsi que l'on décrit le groupe aux États-Unis qui a détourné les avions pour ensuite percuter les tours. Les espions en veilleuse sont un problème classique pour le contre-espionnage et pour les organisations de sécurité et de renseignement. Comment identifier des gens qui cherchent à vivre d'une manière invisible au sein de la société? Il y a des méthodes pour le faire. La plupart d'entre elles cherchent à bien comprendre les causes fondamentales des plans ou des complots à leur source avant leur éclosion, avant même que l'espion en veilleuse n'arrive au pays et ne se mette à l'oeuvre. Si l'on ne parvient pas à remonter aux racines du problème, on ne pourra peut-être pas repérer la plupart de ces individus, et il serait sûrement inutile de sacrifier nos libertés civiles pour cela.

Quand je parle de capacité en matière et du renseignement de sécurité, je parle d'une capacité de retracer les racines de ces opérations, et pas d'une quelconque opération générale qui consisterait à larguer un immense réseau de surveillance sur tous les citoyens du Canada en espérant retrouver quelques bribes d'information. Il serait inutile de procéder ainsi.

Le sénateur Wiebe: La plupart des membres de notre comité se sont rendu compte il y a un an et demi qu'il fallait certainement augmenter les ressources de nos militaires, de nos services du renseignement de sécurité, et de nos corps policiers. C'est dans cet esprit que nous avons travailler sans relâche pendant plusieurs années pour rétablir ce comité sénatorial. Nous sommes d'avis qu'en principe il faut davantage de ressources au Canada.

Le brigadier-général a fait remarquer que nos forces armées sont fort estimées dans le monde entier, et c'est vrai. Malheureusement, elles sont moins estimées ici au Canada. Permettez-moi de noter aussi que nos services du renseignement de sécurité sont très prisés dans le monde entier. Pour je ne sais quelle raison, et ce phénomène s'est certainement accentué depuis le 11 septembre, nous semblons croire que notre service canadien du renseignement n'a aucune utilité. Vos commentaires, professeur Wark, me semblent exprimer cette opinion.

Je pense que le SCRS, la GRC et nos forces armées ont fait un travail formidable dans le domaine du renseignement. Ce n'est peut-être pas parfait, mais si un pays qui dépense 30 milliards par an pour le renseignement connaît un échec, est-ce que cela veut nécessairement dire que notre système a aussi échoué? Est-ce que cela veut dire que tout ce que nous avons fait jusqu'à ce moment a été catastrophique? Je dirai que non. Le personnel de ces services a fait un excellent travail en assurant la sécurité que notre pays a connue jusqu'à maintenant. Le fait de dire que notre système n'est sûrement pas bon parce que le système américain a échoué, a provoqué beaucoup d'angoisse. Ce sont ces gens-là qui nous appellent au téléphone.

Dans vos remarques, vous avez dit qu'il faudrait tenir un débat public sur les problèmes du renseignement de sécurité, et je suis de votre avis. Il faudrait en tenir un. Vous avez aussi dit que la réforme ne peut pas se faire de l'intérieur. Si c'est le cas, qui devrait assurer cette réforme?

M. Wark: Pour le mémoire et, très sérieusement, je n'ai jamais utilisé le qualificatif «inutile» et je n'ai jamais voulu donner à entendre que nos services du renseignement de sécurité étaient à mon avis inutiles. Je voulais montrer qu'il n'a pas les capacités suffisantes pour faire face aux défis qui le confrontent depuis le 11 septembre. Avant le 11 septembre, notre pays et notre société ne prêtaient pas beaucoup d'attention à ces questions, et on leur accordait très peu de ressources.

Je ne me crois pas moins patriote que vous quand il s'agit du travail de notre service du renseignement. Je ne veux pas dénigrer son travail. Je soutiens plutôt un argument qu'un universitaire défendra que rarement, à savoir qu'il faudrait lui donner une plus grande latitude. Autrefois, quand on débattait de ces problèmes, les universitaires disaient en général que les services du renseignement menaçaient les libertés civiles. Oublions ces arguments. Ce n'est pas du tout ce que je veux dire. Je parle de la capacité du Canada de se défendre sur le plan de sa sécurité interne et de jouer un rôle sur le plan international.

Le sénateur Wiebe: Merci. Vous dites qu'il faut tenir un débat public au Canada au sujet des problèmes du renseignement, et je suis d'accord avec vous sur ce point. Vous dites que la réforme ne peut pas s'opérer de l'intérieur, et je me demande qui devrait se charger de cette réforme et de ces changements?

M. Wark: Je vous prie de m'excuser. Dans l'excitation du moment j'ai oublié votre deuxième question. Quand j'ai dit que je ne croyais pas que les services pouvaient se réformer de l'intérieur, je voulais dire par là que nous devons adopter un processus multiple. Nous avons besoin d'idées de l'intérieur des services pour effectuer cette réforme. Nous avons aussi besoin d'une procédure d'examen externe, que cela se fasse par le Parlement, grâce à un Livre blanc émanant du gouvernement, ou même, de façon plus spectaculaire, par une commission royale, nous avons besoin d'une procédure externe afin de débattre de ce problème de façon intelligente. Il faut conjuguer l'interne et l'externe. Pour chapeauter le tout, il faut un premier ministre et un conseil des ministres qui soient prêts à dépenser du temps et de l'énergie pour réfléchir à ces problèmes, parce que sans une volonté politique soutenue en faveur du changement, tous les examens au monde, externes ou internes, ne seraient qu'un gaspillage de fonds publics.

Le président: Messieurs, grâce à vous, nous avons passé une soirée intéressante et fructueuse. Vous avez vu à quel point le comité a vivement réagi à vos remarques, et c'est la raison pour laquelle nous siégeons. Nous vous remercions d'être venu dans un si bref délai pour nous communiquer des renseignements.

Cette réunion du comité du Sénat faisait partie de notre étude des grands problèmes qui confrontent le Canada en matière de sécurité et de défense. Ce soir, nous avons étudié spécialement la façon dont on recherche, analyse et diffuse le renseignement. Les gens qui nous ont aidés à le faire sont des spécialistes chevronnés qui ont leurs propres opinions sur la manière de procéder.

Le comité continuera son travail à Ottawa le 22 octobre quand nous entendrons les dépositions de plusieurs fonctionnaires en matière de renseignement. Pour les téléspectateurs qui suivent nos travaux de chez eux, vous pouvez visiter notre site Web à www.senate/senat.ca/defence.asp. Nous y affichons les dépositions des témoins avec un calendrier confirmé des audiences. Sinon, vous pouvez contacter le greffier du comité en composant 1-800-267-7362 pour obtenir d'autres renseignements ainsi que de l'aide si vous voulez contacter des membres du comité.

Avant de lever la séance, je rappelle aux membres du comité que le sénateur Meighen présidera à une courte réunion du Sous-comité des affaires des anciens combattants dans la salle immédiatement adjacente, les membres du comité ainsi que le personnel y sont conviés.

La séance est levée.


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