Délibérations du comité sénatorial permanent de la
Sécurité nationale et de la défense
Fascicule 10 - Témoignages de l'après-midi
OTTAWA, le lundi 28 janvier 2002
Le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense se réunit aujourd'hui à 13 h 12 pour faire une étude préliminaire des principales questions de défense et de sécurité qui touchent le Canada en vue de la préparation d'un plan de travail détaillé pour des études plus poussées.
Le sénateur Colin Kenny (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président: Le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense est le premier comité sénatorial permanent chargé d'étudier les questions de sécurité et de défense.
Nous avons amorcé nos travaux en juillet dernier avec la tenue d'audiences à Ottawa. Nous avons reçu des mémoires détaillés sur la politique de défense et sur le potentiel actuel et les défis futurs de la marine, de l'armée et de l'aviation. À l'automne, nous nous sommes concentrés sur les questions de sécurité et de renseignement ainsi que sur les opérations de défense. En novembre dernier, notre comité a visité les bases militaires d'Esquimalt et de Winnipeg pour prendre contact directement avec les Forces canadiennes. La semaine dernière, nous avons visité des bases militaires à Halifax et à Gagetown. De plus, nous avons inspecté des aéroports et des ports maritimes à Montréal, à Vancouver et à Halifax. La semaine prochaine, nous nous rendrons à Washington pour rencontrer des membres du Congrès des États-Unis, des fonctionnaires du gouvernement et des représentants de différents instituts.
Notre visite à Washington comporte plusieurs objectifs. Nous voulons discuter de la contribution canadienne aux efforts entrepris depuis le 11 septembre. Nous souhaitons comprendre les points de vue du Congrès et du gouvernement américains en ce qui concerne les enjeux militaires et sécuritaires actuels et futurs et voir où se situe le Canada par rapport à ces questions. Nous voulons également promouvoir une meilleure compréhension de la collaboration bilatérale en matière de sécurité du territoire et en ce qui concerne les futurs accords canado-américains en matière de défense; nous voulons également nous pencher sur les enjeux précis de l'élargissement de l'OTAN, du bouclier antimissile, de NORAD, du commandement unifié, des questions frontalières et des mesures antiterroristes.
Aujourd'hui, nous accueillons MM. Jon Allen, Kevin O'Shea et Bruce Levy, du ministère des Affaires étrangères.
Monsieur Allen, je vous en prie.
[Français]
M. Jon Allen, directeur général, Direction générale de l'Amérique du Nord, ministère des Affaires étrangères: Monsieur le président, je vous remercie de nous offrir l'occasion de vous faire part de nos commentaires concernant les relations Canada-États-Unis.
[Traduction]
C'est avec plaisir que nous témoignons aujourd'hui. Je vais parler de la frontière, et Mme Sinclair, directrice générale du Bureau de la sécurité internationale, se joindra à nous plus tard pour discuter des aspects politico-militaires.
Honorables sénateurs, il n'existe nulle part ailleurs deux pays unis par une relation si complexe et mutuellement profitable qui touche à tant de questions de politiques, tant étrangère que nationale, et je parle du Canada et des États-Unis. Pour le Canada, en particulier, cette relation est omniprésente et revêt une importance capitale. Un haut fonctionnaire américain, M. Mark Grossman, aujourd'hui sous-secrétaire aux Affaires politiques pour le Département d'État américain, a déjà qualifié cette relation d'«inter-nationale», à la fois internationale et nationale, parce que tant d'événements au Canada et aux États-Unis ont une incidence sur le pays voisin.
Grâce à l'ALENA, nous jouissons de la relation commerciale bilatérale la plus importante au monde. Nous partageons l'intendance de l'environnement par l'entremise de nombreux traités au sein de la Commission mixte internationale. Nous sommes partenaires pour la défense de l'Amérique du Nord par le truchement de NORAD et de l'OTAN, et nous collaborons à la défense des droits de la personne et de la démocratie. Pour le Canada, il s'agit d'une relation que nous avons avec la puissance économique et militaire incontestée du monde - ou, comme le disent les Français, l'«hyperpuissance». Pour les Canadiens, la gestion de cette relation a toujours représenté un défi de taille.
Depuis le 11 septembre, nos intérêts vitaux par rapport aux États-Unis demeurent inchangés; toutefois, cette date fatidique a mis en lumière plus que jamais les questions d'interdépendance économique et de sécurité en Amérique du Nord. La sécurité et l'accroissement de la sécurité dominent le programme américain dans l'après-11 septembre. Le président Bush, son gouvernement et le Congrès concentrent toutes leurs énergies à ce défi.
La popularité du président atteint des sommets parce que, au lendemain du 11 septembre, il a présenté un plan vigoureux pour vaincre le terrorisme et défendre l'Amérique. Ses récentes demandes budgétaires, soit 48 milliards de dollars de nouvelles dépenses en matière de défense et 38 milliards de dollars pour la sécurité du territoire - soit le double des fonds affectés dans le budget précédent -, donnent une idée des priorités de ce gouvernement.
Il y a deux dynamiques que j'aimerais souligner au sujet des questions de sécurité aux États-Unis. Premièrement, les États-Unis ont fondé leur lutte contre al-Qaïda en fonction d'une coalition de volontaires et non des alliances traditionnelles sur lesquelles reposait la politique étrangère américaine durant la guerre froide. Les alliés décident de participer et fournissent à l'effort de guerre ce qu'ils peuvent ou ce qu'ils souhaitent. Même des pays qui figuraient auparavant sur la liste noire des Américains peuvent gagner des points au titre de leur contribution à cet effort. Dans cette dynamique, l'influence à Washington dépend davantage de la volonté de partager les efforts et les risques.
Deuxièmement, pour la première fois depuis l'attaque de Pearl Harbour peut-être, les Américains se sentent vulnérables. La guerre froide est terminée, mais ils se sentent maintenant menacés par toutes sortes de nouveaux dangers, y compris la prolifération d'armes de destruction de masse, le terrorisme international, les drogues et le crime international. Les Américains savent qu'ils ont des ennemis implacables encore capables de les atteindre; c'est pourquoi ils mettent l'accent sur la défense du territoire américain.
Le Canada a réagi aux défis immédiats que posait la campagne internationale de lutte contre le terrorisme. Nous devrons également déterminer comment nous réagirons à la préoccupation de plus en plus grande des Américains quant à la défense de leur territoire. Jusqu'à présent, le Canada a pris des mesures considérables dans cette campagne contre le terrorisme, comme le savent les honorables sénateurs. L'administration américaine a grandement apprécié cette contribution à la coalition et reconnaît que le Canada, comme le Royaume-Uni, fournit un appui matériel remarquable. Par exemple, la contribution militaire du Canada est l'une des plus importantes de tous les alliés. Il s'agit entre autres de notre avion de transport Hercules, des aéronefs de patrouille Aurora, de nos cinq navires de guerre, de notre unité spéciale de combat, la FOI-2, et du groupe de combat Princess Patricia qui sera bientôt déployé.
Au Canada, le comité spécial du Cabinet sur la sécurité publique et la lutte contre le terrorisme a examiné tous les aspects de notre cadre législatif pour voir s'il manquait des éléments essentiels dans nos lois, nos méthodes, nos programmes ou nos traités internationaux. Comme le savent les honorables sénateurs, ce comité a examiné deux projets de loi omnibus importants.
En outre, le gouvernement a affecté dans son dernier budget 7,7 milliards de dollars au renforcement de ses capacités au titre de la sécurité, du renseignement et de la défense de la frontière dans le dernier budget. La collaboration entre les agences canadiennes et américaines du renseignement de sécurité et d'exécution des lois a été intense et productive. À ce titre, comme vous l'avez sans doute entendu vendredi dernier et au cours de la fin de semaine, le secrétaire à la Justice Ashcroft a remercié le Canada d'avoir fourni des renseignements qui ont permis d'identifier deux nouveaux présumés terroristes.
Toutes ces mesures appuient la campagne de lutte contre le terrorisme, mais elles correspondent également à la tradition canadienne en matière de défense de nos libertés et de notre sécurité. De l'avis du gouvernement, ces mesures affirment nos intérêts fondamentaux et notre souveraineté.
Nous aurons d'autres défis à relever en matière de sécurité. L'administration Bush semble déterminée à aller de l'avant avec son projet de défense antimissile balistique. La récente décision du président de se retirer du Traité ABM à compter du mois de juin posera des problèmes au Canada en ce qui concerne l'architecture stratégique du contrôle des armements, surtout si on ne négocie pas un accord cadre avec la Russie.
En outre, le Pentagone examine les options dont il dispose quant à sa structure de commandement militaire - le Unified Command Plan, ou UCP -, ce qui pourrait avoir des conséquences pour les relations bilatérales en matière de défense. On vous en dira probablement davantage sur ce sujet cet après-midi, mais les États-Unis n'ont pas encore pris de décision.
Outre ces questions de sécurité, nous continuons de négocier avec les États-Unis notre partenariat économique et commercial. La prospérité du Canada dépend de l'accès aux marchés et aux capitaux américains. Vous connaissez les statistiques. Plus de 1,9 milliard de dollars en produits et en services traversent notre frontière chaque jour, 365 jours par année. Nos exportations vers les États-Unis représentent environ 87 p. 100 de toutes nos exportations de marchandises et 43 p. 100 de notre PIB. Soixante-sept pour cent de nos investissements étrangers directs viennent des États-Unis. Les exportations des États-Unis vers le Canada représentent 25 p. 100 de toutes les exportations américaines. Trente-huit États, et pas seulement ceux qui longent la frontière comme on pourrait le croire, ont le Canada pour principal partenaire commercial. Malheureusement, nos échanges commerciaux avec les États-Unis ne représentent qu'environ 2 p. 100 du PIB de ce pays et non 43 p. 100 comme c'est le cas au Canada.
Dans l'ensemble, 97 p. 100 de ces échanges commerciaux ne font pas l'objet de différends, mais des irritants demeurent et ils ont tendance à être chroniques, comme ceux concernant le bois d'oeuvre, l'acier, le blé, et d'autres produits agricoles comme les produits laitiers. Ces irritants peuvent avoir d'importantes répercussions sur l'économie canadienne. De plus, compte tenu d'un nivellement du monde et de la situation économique en Amérique du Nord, les forces protectionnistes aux États-Unis se trouvent renforcées au fur et à mesure que l'ensemble de la politique devient de plus en plus local. Le ministre Pettigrew a tâché vigoureusement de trouver une solution au problème du bois d'oeuvre, mais cela n'a pas été facile. Ses consultations avec les provinces et l'industrie ont porté fruit. Le président américain a nommé un ancien gouverneur, Mark Racicot, du Montana, afin qu'il aide à trouver une solution mutuellement acceptable.
Malheureusement, nous, les Canadiens n'avons ni les voix ni l'argent pour jouer le jeu du Congrès. Nous travaillons plutôt avec l'administration et, ce qui est tout aussi important, nous faisons cause commune avec nos alliés américains qui partagent nos intérêts et qui ont les voix et l'argent.
On se demande si et quand l'administration Bush pourra intervenir contre la coalition du bois d'oeuvre en reconnaissant qu'elle se livre essentiellement à du protectionnisme, contrairement à la philosophie de libre-échange de l'administration Bush.
La sécurité énergétique fait également partie des grandes priorités du Congrès. D'un côté, cela pourrait faire pencher la balance en faveur du forage dans la Réserve faunique nationale de l'Arctique, ce à quoi nous nous opposons. De l'autre côté, cela pourrait fournir d'importants débouchés pour les fournisseurs canadiens. Le Canada est bien entendu le plus grand fournisseur d'énergie aux États-Unis et le plus fiable.
Sur une question connexe, la décision des États-Unis de ne pas signer l'accord de Kyoto sur le changement climatique pourrait exercer des pressions économiques sur le Canada au moment où de notre côté nous devons décider s'il y a lieu de le ratifier ou non.
Les événements du 11 septembre ont également fait ressortir plus que jamais une dimension clé de nos relations économiques avec les États-Unis - la frontière. Presque immédiatement après les événements du 11 septembre, selon des rapports erronés de la part des médias, de nombreux Américains ont soupçonné qu'au moins certains des terroristes avaient pénétré aux États-Unis via le Canada. Toute l'attention s'est soudainement concentrée sur la sécurité à la frontière. On s'est trouvé à ni plus ni moins fermer la frontière. Nous nous sommes rapidement rendu compte que des initiatives de sécurité maladroites et mal conçues pouvaient paralyser les industries clés du Canada sans compter les conséquences en aval pour ce qui est de l'investissement et, bien entendu, des emplois.
Heureusement pour nous, le président Bush a demandé au gouverneur de la Pennsylvanie, Tom Ridge, de devenir son nouveau directeur de la Sécurité du territoire américain. Les Canadiens connaissent bien le gouverneur Ridge. En tant que gouverneur de la Pennsylvanie, il comprenait la relation économique qui existait avec le Canada et les réalités de la frontière. Il a dirigé des missions commerciales en Ontario et au Québec lorsqu'il était gouverneur. En décembre, il a signé, avec le vice-premier ministre Manley, la déclaration pour la création d'une frontière intelligente et un plan d'action en 30 points. Ils se sont engagés à en assurer la mise en oeuvre avant juin.
Aujourd'hui, l'administration et, de plus en plus, le Congrès reconnaissent que la menace terroriste ne provenait pas de la frontière poreuse du Nord. Les hauts fonctionnaires de Washington et, de plus en plus, les médias reconnaissent que les mesures prises par le Canada pour renforcer la frontière permettent d'adapter des méthodes innovatrices pour assurer un commerce transfrontalier plus fluide.
En conclusion, je crois que nous pouvons convenir que, comme toujours, nous avons un programme chargé et stimulant avec nos frères américains mais à l'heure actuelle, nous avons la cote à Washington. Le président et le premier ministre ont des liens personnels solides, ce qui permet un accès rapide en ce qui concerne les questions difficiles. Le ministre des Affaires étrangères, M. Graham, rencontrera Colin Powell avec qui il nouera bientôt des relations. Compte tenu des questions qui sont en jeu, la gestion de ces relations demeurera une grande priorité pour l'ensemble des Canadiens.
Le sénateur Day: Sommes-nous toujours en train de réagir aux attaques terroristes du 11 septembre contre les États-Unis, ou commençons-nous à constater un nouvel ordre dans la façon dont les affaires internationales seront contrôlées et une influence sera exercée sur différents pays? Sommes-nous en train d'assister à la fin de la coopération des Nations Unies et à un plus grand nombre de regroupements de gens qui veulent un accès commercial à un autre pays, en particulier les États-Unis, les Américains partant du principe que pour faire commerce avec eux, il faut se ranger de leur côté. Pouvez-vous nous indiquer ce que vous en pensez?
M. Allen: J'aurais plusieurs remarques à faire à ce sujet. Nous sommes toujours en train de réagir aux événements du 11 septembre d'une certaine façon. Les activités entreprises par nos divers organismes - CIC, l'ADRC, le solliciteur général - dans le cadre de leur coopération et de leurs travaux avec les organismes américains sont en cours et se poursuivront pendant un certain temps. Dans l'ensemble, dans les tribunes internationales, la priorité est accordée à la lutte contre le terrorisme. Qu'il s'agisse de l'OEA, du G-8 à Kananaskis ou de l'OTAN, on continuera à mettre l'accent sur le terrorisme et sur les moyens à prendre pour le combattre.
Quant à savoir si cela représente un tournant et une façon de se détourner des Nations Unies, je ne le crois pas. À l'heure actuelle, tant les Nations Unies que les forces alliées se trouvent en Afghanistan. Koffi Annan et le vice-premier ministre Manley étaient à Kaboul au cours de la fin de semaine. Ils se trouvaient dans un certain sens à agir de concert pour tâcher de régler les problèmes qui existent en Afghanistan. Les Nations Unies prennent la direction du secours humanitaire et de l'aide alimentaire. La force dirigée par les Britanniques et, dans certains cas, par les Américains, assurera la sécurité.
Nous nous trouvons dans une situation équilibrée et c'est probablement une bonne chose à l'heure actuelle. Je ne crois pas qu'il faudrait d'aucune façon lier les mesures prises à la frontière ou les mesures prévues par le budget de décembre pour obtenir accès aux Américains sur le plan économique, par exemple. Le gouvernement évite de faire ce genre de liens. Nous ne disons pas aux Américains: «Nous avons fait ceci pour vous, alors que ferez-vous pour nous dans la question du bois d'oeuvre?» Nous avons fait ce que nous avons fait parce que cela a permis de protéger le Canada et l'Amérique du Nord. Une grande partie des mesures négociées dans le plan d'action était destinée à faciliter davantage les choses à la frontière pour s'assurer de ne pas nous retrouver dans une situation semblable à l'avenir. En ce qui concerne la question du bois d'oeuvre, des produits laitiers et autres, nous devrons en débattre séparément.
Cela dit, nous sommes bien considérés par les États-Unis parce que nous avons répondu à l'appel, et je ne crois pas que cela nous nuise lorsque nous discutons avec les Américains ou lorsque le premier ministre s'entretient avec le président.
Le sénateur Day: Avez-vous l'impression que les questions comme celles du bois d'oeuvre et le dumping du saumon aux États-Unis par le Chili, situation qui touche l'industrie de la pisciculture de la côte Est, sont plus difficiles à régler par suite des attentats du 11 septembre et en raison de la réaction des États-Unis et du climat qui y règne?
M. Allen: J'aimerais pouvoir dire que l'accent mis sur le terrorisme a détourné l'attention de ceux que nous appelons les protectionnistes aux États-Unis de ce genre de questions. Cependant, je ne crois pas que ce soit le cas. Je crois que le ralentissement économique a incité les Américains à continuer à s'intéresser de près à leurs marchés, à leurs marchandises et à la protection de ce qu'ils considèrent être leurs intérêts économiques.
Cela ne veut pas dire qu'au cours des neuf années de croissance économique que nous avons observées aux États-Unis, nous n'avons pas eu de différends commerciaux avec eux, mais les problèmes s'aggravent davantage lorsqu'il y a une récession aux États-Unis.
Le sénateur Day: Y a-t-il deux climats qui règnent simultanément aux États-Unis? Décelez-vous un climat qui incite leur propre industrie à s'isoler et parallèlement un désir de se tourner vers d'autres pays pour combattre le terrorisme international et protéger leur territoire en mettant fin à cette activité peu importe où elle se produit?
M. Allen: Il existe assurément une certaine vulnérabilité et un désir de protéger le territoire américain. Comme je l'ai dit, les États-Unis continuent d'une part à vouloir protéger leurs marchés. D'autre part, on a critiqué les États-Unis de faire preuve d'isolationnisme et d'unilatéralisme au moment où la nouvelle administration est arrivée au pouvoir. Il y a peut-être eu certaines indications en ce sens, mais on a constaté aussi des indications selon lesquelles ils avaient commencé à engager le dialogue sur d'autres dossiers.
Nombre de gens diront que les événements du 11 septembre ont prouvé aux États-Unis qu'ils ne pouvaient pas faire cavalier seul. Ils se sont tournés vers leurs alliés pour obtenir leur aide et nombre de pays, comme le Canada, ont acquiescé à cette demande. À cet égard il existe un rapport Yin Yang.
Le sénateur Day: Je décèle deux climats. Quand l'administration américaine décidera-t-elle de faire disparaître les irritants qui l'opposent à ses bons amis une fois pour toutes pour que l'on aille de l'avant plutôt que simplement laisser les choses s'envenimer?
M. Allen: Je ne pense pas que ça se produira. Aux yeux des Américains, leurs alliés sont tout aussi responsables de ces irritants que l'industrie locale. Nombre d'Américains soutiennent que nous procédons au dumping du bois d'oeuvre sur le marché américain, et ils continueront de le dire tant que cette affaire n'aura pas été réglée. Je ne pense pas que nous verrons le jour où les Américains diront: «Merci de tous les efforts que vous avez déployés; nous oublierons ces quelques différends maintenant».
Le système est fort complexe. Il y a un très grand nombre d'intervenants aux États-Unis - le Congrès, chaque membre du Congrès, leurs divisions électorales, et les groupes d'intérêts. Ils ont une liste de priorités alors que l'administration a une liste complètement différente. Nous devons discuter directement avec les intéressés des conflits commerciaux, connaissant tous les faits, nous devons organiser nos ressources et nous trouver des alliés. Nous ne pourrons pas demander de faveur simplement parce que nous les avons appuyés.
M. Kevin O'Shea, directeur, Direction des relations générales avec les États-Unis, ministère des Affaires étrangères: L'administration américaine a préparé une très longue liste de priorités au chapitre de la libéralisation des échanges commerciaux, et elle s'en est servie après le 11 septembre pour soutenir que la libéralisation des échanges contribue à la sécurité économique. Comme M. Allen l'a signalé, le pouvoir est tellement éparpillé aux États-Unis que même si l'administration voulait régler chacun de ces différends, elle ne serait peut-être pas en mesure de le faire. Si je ne me trompe, le vote pris récemment pour l'autorisation de la procédure accélérée de promotion commerciale était de 215 à 214. Qui sait ce qu'on a promis pour obtenir certains de ces votes. Ce genre de négociation se déroule sans cesse aux États-Unis, entre des membres du Congrès et des sénateurs fort puissants. Même si l'administration avait la volonté de régler tous ces problèmes, elle ne le pourrait peut-être pas, et je crois que c'est justement ce qui se passe dans le dossier du bois d'oeuvre. Le premier ministre a parlé clairement du problème avec le président Bush. Il est parfaitement conscient de la situation, mais il existe une coalition du bois d'oeuvre fort puissante qui, à plusieurs égards, fait la pluie et le beau temps.
Le sénateur Day: Croyez-vous que le climat de vulnérabilité qu'on retrouve aux États-Unis et, partant, l'attitude isolationniste qui s'y manifeste empirent le problème et réduisent les chances de règlement du différend sur le bois d'oeuvre?
M. O'Shea: Avant le 11 septembre, l'administration américaine concentrait à plusieurs égards toute son attention sur l'hémisphère et sur le Mexique. Le 11 septembre a montré aux États-Unis à quel point le Canada est un partenaire important. Cela aura un impact sur le désir de l'administration de régler certains de ces problèmes. Comment les régler, ça c'est une autre question.
Le sénateur Day: J'espère que vous avez raison.
Le sénateur Meighen: Je suis encouragé par le fait que vous avez dit, monsieur Allen, que l'on apprécie les efforts déployés par le Canada. Je ne dis pas que je ne suis pas d'accord avec ce que vous avez dit. Cependant, je me demande dans quelle mesure cela est vrai compte tenu des commentaires que vous avez faits sur le nombre d'intervenants qui, aux États-Unis, détiennent le pouvoir. Je suppose qu'on le saura un peu mieux quand nous rencontrerons les représentants du Congrès américain. Pouvez-vous nous en dire un peu plus long sur la question? J'aimerais tout particulièrement que vous me disiez dans quelle mesure les Américains sont conscients de ce que le Canada a fait ou n'a pas fait.
Vous avez dit qu'immédiatement après les attaques, les Américains avaient généralement l'impression que leur frontière nord était poreuse avec toutes ces personnes redoutables qui la traversaient. Ils avaient l'impression que nous laissons passer tous ceux qui veulent entrer et qu'il leur est très facile de traverser la frontière. Bon nombre de gens étaient inquiets à ce sujet.
Je ne demande pas de preuves concrètes établissant le contraire, cependant, sur quoi fondez-vous vos observations encourageantes? Se fondent-elles sur une évaluation détaillée ou sur une impression? J'ai l'impression que c'est mieux que c'était.
Je dirais qu'il y a toujours des gens qui pensent que s'ils pouvaient fermer la frontière, tant au nord qu'au sud, ce serait mieux.
M. Allen: Tout d'abord, les États-Unis sont un grand pays. Les points de vue divergent au Congrès; certains membres du Congrès sont bien informés, d'autres le sont moins.
Jusqu'à quel point les Américains sont-ils conscients de ce que nous avons fait? Nous vous avons remis une petite trousse d'information. Une bonne partie de cette trousse d'information représente les efforts que nous avons faits à la suite des attentats du 11 septembre pour nous assurer que les Américains sachent ce qui a été fait. Non seulement cette trousse d'information a été remise à tous les membres du Congrès et à tous les grands médias, les médias écrits et les autres, mais nous ne cessons de bombarder le Congrès et les médias avec des preuves de la contribution du Canada.
Un certain nombre de ministres se sont rendus aux États-Unis immédiatement après le 11 septembre, en commençant par le premier ministre qui a été suivi par M. Manley, alors ministre des Affaires étrangères, et pratiquement tous les autres ministres du Cabinet. Le commissaire Zaccardelli et M. Alcock y sont également allés. Ils se sont tous efforcés d'expliquer le niveau de coopération aux Américains qui n'étaient pas déjà au courant, ou d'en parler davantage à ceux qui l'étaient.
Dans un article du journal The Boston Globe qui est paru le 12 septembre, on laissait entendre que deux Canadiens étaient venus par traversier. CNN a diffusé cette information à des millions d'Américains; cela a fait beaucoup de tort. Il a fallu beaucoup d'efforts non seulement de notre part, mais aussi des réunions entre le ministre Manley et Hillary Clinton et un certain nombre de sénateurs pour expliquer la réalité.
Lorsque je dis que nos activités sont appréciées, je parle en fait de l'administration. Je parle de Colin Powell, du secrétaire Rumsfeld, du secrétaire aux Transports Norman Mineta et du secrétaire à la Justice Ashcroft. M. Ashcroft a envoyé un cadeau récemment au ministre MacAulay, en témoignage de leur nouvelle amitié récente. Une toute nouvelle série de relations intenses s'est établie après les événements du 11 septembre.
La plupart des Américains ou la plupart des membres du Congrès savent-ils ce que nous avons fait? Je dirais que non.
J'ai été affecté au Mexique. Est-ce que la plupart des Américains comprennent l'importance du Mexique pour le commerce, pour l'économie ou pour l'industrie du tourisme? Absolument pas. Les Américains ne connaissent que la menace du Mexique pour ce qui est des drogues, de la migration illégale et de la pollution. Ils ne connaissent pas les aspects positifs du Mexique; ils ne connaissent pas non plus les aspects positifs du Canada.
De façon générale, d'après mon expérience après trois ans aux États-Unis, ils se préoccupent des menaces. Ils se préoccupent de la Chine. La Russie n'est plus dans la mire; la Chine est la nouvelle menace. La Corée est une menace tout comme le Moyen-Orient. Les Américains ne se préoccupent pas d'un étudiant premier de classe. Ils se préoccupent davantage de la Colombie que du Canada car la Colombie est un problème pour eux.
Nous sommes leur meilleur ami et leur allié. C'est décourageant pour nous, mais lorsque le premier ministre dit que nous sommes une famille plus que toute autre chose, il a raison. Nos frères et soeurs ne nous accordent pas toujours le crédit qu'on mérite.
Le sénateur Meighen: Vous avez dit que nous avions réservé 7,7 milliards de dollars pour la sécurité à la frontière. Je pense que je peux dire sans crainte de vous contredire que notre comité, lors de ses déplacements - et je me rends compte qu'il est encore très tôt - a eu l'impression lorsqu'il a rencontré les représentants de l'ACDR et des ports partout au pays que même si 7,7 milliards de dollars ont été réservés, ils n'ont pas encore vu cet argent, et ils ne savent pas non plus où ira cet argent. Les documents auxquels vous avez fait allusion contiennent peut-être cette information.
Je suis aussi coupable que certaines personnes avec lesquelles le comité s'est entretenu, en ce sens que je ne sais pas moi non plus à quoi seront consacrés ces 7,7 milliards de dollars. Je suis terrorisé à l'idée que l'on m'interrogera là-dessus à Washington. Auriez-vous l'obligeance de m'éclairer?
M. Allen: Vous aurez l'occasion ce soir de vous entretenir avec des représentants de l'ADRC et de CIC et avec des sous-ministres adjoints. Ils ont une assez bonne idée du montant d'argent qu'ils obtiennent et de ce à quoi ils espèrent qu'il sera consacré.
Par exemple, 600 millions de dollars seront affectés à l'infrastructure à la frontière. Des sommes importantes seront consacrées à la sécurité aéroportuaire. Il est certain qu'une somme importante sera consacrée à des contrôleurs à l'étranger, pour que nous puissions affronter la menace là où nous pouvons le faire le plus efficacement, à l'extérieur de l'Amérique du Nord, et certainement pas le long du 49e parallèle.
Sur les 7,7 milliards de dollars, seulement 1,2 milliard de dollars environ sont liés à la frontière. Le reste ira en grande partie au SCRS, à la GRC, à des domaines qui ne sont pas nécessairement liés à la frontière, mais qui contribueront à renforcer notre sécurité et peut-être la sécurité transfrontalière.
Peut-être que les destinataires n'ont pas encore reçu l'argent. Cela prendra peut-être un certain temps. Mais je crois comprendre qu'il s'agit vraiment d'argent neuf. Nous commençons par exemple par ce plan d'action en 30 points pour mettre en oeuvre certains nouveaux projets pilotes dans le cadre du projet NEXUS, et nous examinons des idées comme le dédouanement loin de la frontière et l'envoi d'agents de l'immigration à Delhi et à Hong Kong pour travailler avec leurs homologues américains.
Le sénateur Meighen: Le nombre d'Américains en poste au Canada n'a-t-il pas augmenté?
Comment cela fonctionne-t-il? Il faut qu'il y ait une entente entre les deux pays, n'est-ce pas?
M. Allen: Si vous faites allusion au nouveau personnel d'exécution à l'ambassade, cela existe déjà. Bien sûr, la GRC a des représentants à l'ambassade canadienne à Washington.
Le sénateur Meighen: Je croyais que c'était pour les aéroports et les points d'entrée.
M. Allen: Excusez-moi. Comme vous le savez, il y a des agents des services américains des douanes et de l'immigration en certains endroits où l'on fait le prédédouanement des voyageurs aériens. Ottawa en est un bon exemple. Il est question de faire la même chose pour les voyageurs terrestres. Quant à savoir quelle forme cela prendrait, il y a diverses possibilités, notamment le fait de poster des Canadiens du côté américain et des Américains du côté canadien de la frontière. Cela pourrait se faire à Detroit-Windsor. Nous envisageons aussi des installations conjointes.
Le sénateur Meighen: Avons-nous un point de vue là-dessus?
M. Allen: Nous sommes en train d'examiner la question. Nous élaborons des modèles pour voir où cela pourrait se faire. Nous scrutons à la loupe les conséquences juridiques pour bien comprendre les répercussions du point de vue de la Charte, entre autres, de la présence d'Américains en sol canadien. Les Américains en font autant.
Il semble que ce ne soit pas les fusils qui posent un problème, mais plutôt l'exercice de l'autorité. Ces questions sont à l'étude. Elles sont complexes et elles touchent des cordes sensibles. Nous essayons d'étudier la question à fond avant de décider de la voie à suivre.
M. O'Shea: Cela fait partie du plan d'action en 30 points dans la foulée de la déclaration sur la frontière intelligente.
Soit dit en passant, dans le document que nous distribuons, il y a un paragraphe sur la somme de 7,7 milliards de dollars sur cinq ans. On y donne quelques précisions sur les dépenses qui seront faites à même cette somme. Le problème tient en partie au fait que le gouvernement prend les mesures voulues pour obtenir cette somme de 7,7 milliards de dollars, tandis que chaque ministère doit l'inscrire après le budget.
Le sénateur Meighen: Je comprends. L'argent n'arrive pas tout de suite.
M. Bruce Levy, directeur, Direction des relations transfrontalières avec les États-Unis, ministère des Affaires étrangères: Ce n'est pas seulement une question de préparation, il faut faire les choses comme il faut. En principe, l'argent a été attribué aux ministères, mais de façon assez générale pour l'instant. À l'heure actuelle, nous accordons une attention sans précédent aux questions relatives à la frontière et à la sécurité. Cette attention sans précédent s'accompagne de pressions importantes et légitimes pour que l'on fasse les choses comme il faut. Comme M. Allen l'a dit, il y a de nombreuses options; certaines mesures pourraient être prises immédiatement à la frontière, mais on envisage aussi d'éloigner la frontière de la frontière, pour ainsi dire, et d'utiliser la biométrie, c'est-à-dire la reconnaissance faciale et des empreintes digitales, par exemple, pour identifier les gens lorsqu'ils entrent ou sortent du Canada ou des États-Unis. Toutefois, rien de tout cela n'est encore approuvé à 100 p. 100.
De retour récent d'une réunion tenue aux États-Unis la semaine dernière entre le personnel du Département des douanes et de l'immigration des États-Unis et leurs homologues canadiens, il me semble clair qu'il n'existe pas de réponse simple et évidente à ces questions.
Quant aux fonds réclamés depuis de nombreuses années par des gens qui ont comparu devant votre comité et d'autres - le 11 septembre était bien sûr une tragédie mais constitue également une occasion - les fonctionnaires veulent s'assurer, tout comme les ministres, que le travail se fasse correctement.
M. Allen: Quant aux 600 millions de dollars consacrés à l'infrastructure, par exemple, nous voulons nous assurer que si on construit un pont du côté canadien, il va mener à une autoroute du côté américain. La semaine dernière, le département des transports des États-Unis a tenu une réunion à Windsor tandis que ses homologues se réunissaient à Fort Lauderdale. Comme M. Levy l'a dit, nous voulons optimiser les avantages qu'on peut tirer de telles dépenses.
Le sénateur Meighen: Dans les Maritimes la semaine passée, on a beaucoup parlé de ces bureaux de douane sans personnel et du fait qu'on dépend de la technologie américaine pour savoir si quelqu'un a traversé la frontière quand il n'y a pas de personnel au bureau de douane. Il est évident que les Américains ont l'impression qu'ils assument toutes les responsabilités à ce sujet et j'imagine que nous en entendrons davantage là-dessus.
M. Allen: Je viens du Manitoba. Le sénateur Dorgan, pour faire valoir son point de vue sur la question de la frontière, a parlé des balises de déviation. Il faut être réaliste. Les Américains ont dépensé beaucoup d'argent pour rendre la frontière sud plus hermétique, mais il y a quand même entre 6 millions et 11 millions d'immigrants illégaux qui se trouvent aux États-Unis à présent.
Ce n'est pas en rendant nos frontières plus hermétiques ou en affectant 20 agents à Emerson qu'on va régler notre problème. C'est en travaillant dans un esprit de collaboration pour faire avancer les dossiers relatifs aux renseignements, à la répression et à la lutte pour empêcher l'entrée des terroristes en Amérique du Nord qu'on va régler le problème. Il s'agit de déterminer si une personne constitue un faible risque ou bien un risque élevé. Vous laissez entrer ceux qui sont à faible risque et vous surveillez de plus près ceux qui vous préoccupent.
Le sénateur Banks: Monsieur Levy, quelles sont les questions transfrontalières au juste: tout est lié à la question transfrontalière. Pourriez-vous être plus précis?
M. Levy: Parfois, nous avons l'impression que cette question touche à tout.
Le sénateur Banks: Les questions sont toutes interreliées, n'est-ce pas?
M. Levy: Effectivement. L'un des défis auxquels nous faisons face consiste à garder à l'avant-plan certaines questions qui relèvent de ma division - lesquelles sont importantes sur le plan régional, sinon sur le plan national - à un moment où les États-Unis et, jusqu'à un certain point, les Canadiens, se concentrent sur la question de la sécurité à la frontière. La moitié de notre division s'occupe de questions relatives à l'énergie, aux ressources naturelles et à l'environnement. Cela comprend la CMI, l'eau en vrac, la Réserve faunique nationale de l'Arctique, la politique énergétique dans son ensemble, le gaz naturel ainsi que les pêcheries de ce côté de la frontière. L'autre moitié de la division s'occupe de la frontière elle-même, c'est-à-dire, le passage à la frontière.
Le sénateur Banks: Voulez-vous dire le fonctionnement de ce passage à la frontière?
M. Levy: Oui. Les modalités de passage avaient été fixées au fil des années, avant le 11 septembre, par le biais de divers instruments, y compris l'Accord sur la frontière commune, négocié par les deux agences de douanes. Les organismes d'immigration travaillent de concert dans le cadre de ce qu'on appelle la Vision de la gestion de la frontière. Il existe également un forum sur la criminalité transfrontalière, auquel participe le solliciteur général ainsi que les procureurs généraux. Voilà la répartition de nos responsabilités.
Le sénateur Banks: Est-ce que la Loi du Traité des eaux limitrophes internationales relève de votre compétence également?
M. Levy: Oui, surtout par l'entremise de la CMI.
Le sénateur Banks: Lorsqu'on demande à un Américain: «Qui est votre partenaire commercial le plus important», la réponse est souvent: «le Japon». Cependant, nous disons que c'est nous le plus grand partenaire commercial. Vous avez dit que le Canada représente 2 p. 100 de leurs exportations.
M. Allen: Nous représentons 2 p. 100 de leur PIB et 25 p. 100 de leurs exportations.
Le sénateur Banks: Sommes-nous effectivement le partenaire commercial le plus important? S'agit-il d'une rue à sens unique ou est-ce que ces 25 p. 100 d'exportations et ces 2 p. 100 du PIB constituent une rue à double sens?
M. Allen: Oui, ça va dans les deux sens.
Le sénateur Banks: Nous sommes leur partenaire commercial le plus important dans les deux sens?
M. Allen: Oui.
Le sénateur Banks: Je n'aimerais pas dire cela tout haut à Washington, car quelqu'un dirait: «Laissez-moi vous dire la vérité».
M. Allen: Ils comptent 300 millions d'habitants, et leur économie, à la différence de la nôtre, ne dépend pas des exportations. Leur économie est presque autonome. Cela explique en partie pourquoi ils se plaignent si leur déficit commercial augmente, mais ils n'en sont pas très inquiets, puisque ce n'est pas cela qui crée la plupart des emplois aux États-Unis.
Il est intéressant de noter que les échanges commerciaux qui se font par le pont Ambassador et le tunnel à Detroit, ces deux points de transfert, sont plus importants que tout le commerce entre les États-Unis et le Japon. Nous sommes le partenaire commercial non seulement le plus important, mais de loin le plus important. Vous avez tout à fait raison. Les Américains diraient probablement que c'est le Mexique qui est leur deuxième partenaire commercial. C'est par ce pont que les échanges commerciaux se font.
Le sénateur Banks: Tous les Canadiens le savent.
M. O'Shea: Dans le même ordre d'idées, lorsque j'ai été affecté à New York, j'ai assisté à un colloque sur le commerce avec les États-Unis. Le seul pays qu'on n'a pas mentionné à cette séance, lorsqu'on parlait de l'importance des partenaires commerciaux, c'était le Canada. En passant, Henry Kissinger y était.
La plupart des Américains ne se rendent pas compte que les Canadiens achètent plus de produits américains que les Mexicains et les Japonais pris ensemble. En fait, le marché canadien reçoit plus de produits américains que les 50 membres de l'Union européenne. Outre ce que M. Allen a mentionné, les Américains l'ignorent complètement.
M. Levy: Pour ajouter un dernier mot, nous dirons qu'il faudrait demander à vos homologues américains d'où vient le gros de leurs importations énergétiques.
Le sénateur Banks: Je sais que nous leur vendons plus de pétrole que l'Arabie saoudite. Mais cela n'est plus le cas depuis très longtemps.
Vous avez parlé des services de renseignements à l'étranger. Vous en avez parlé dans le contexte de l'immigration, et vous avez dit qu'il faudrait avoir des gens à l'étranger pour avoir une meilleure idée de ce qui se passe. Le Canada a arrêté de faire cela après la dernière guerre, au moins en ce qui concerne la capacité d'obtenir des renseignements à l'étranger, que ce soit des informations secrètes ou des renseignements obtenus par des attachés commerciaux qui font rapport à leurs ambassades. En termes simples, nous n'avons pas d'espions. Presque tous les autres pays en ont, y compris ceux qui font de l'espionnage chez nous. Un certain nombre de responsables de la sécurité nous ont déjà dit que ce serait pas une mauvaise idée de créer une capacité de faire de la collecte d'informations à l'étranger, y compris, selon certains, aux États-Unis. Que pensez-vous de cela, monsieur Allen?
M. Allen: Je peux dire en toute franchise que je ne suis pas expert dans ce domaine-là.
Le sénateur Banks: Je le sais, mais est-ce que cela pourrait vous aider?
M. Allen: Même si on décidait de faire cela, je doute que l'on décide de mettre des agents aux États-Unis. Je crois avoir raison en disant cela.
Le sénateur Banks: Croyez-vous que les États-Unis ont des agents au Canada?
M. Allen: Je ne sais pas.
Le sénateur Banks: Si nous nous organisions bien, ils n'en auraient pas non plus.
M. Allen: Je crois qu'il nous serait difficile de bien nous organiser pour cela. Israël aurait essayé de le faire, et un de leurs agents est en prison aux États-Unis et Israël fait des efforts pour le faire réfléchir, même si ce pays s'y connaît en espionnage.
Nous, les agents du service extérieur, avons tendance à penser que nous faisons de la collecte de d'informations, et nous en faisons beaucoup, mais nous travaillons de façon ouverte et non secrète. Mes collègues voudront peut-être intervenir sur cette question, mais je n'ai pas de réponse à vous donner.
Je voudrais dire une chose seulement. D'après mon expérience de quatre ans à Washington, j'ai constaté que le problème n'était pas la collecte d'informations; c'était plutôt qu'il y avait trop d'informations. À certains égards, les États-Unis ont ce problème-là. Le 11 septembre a été un échec plutôt colossal sur le plan du renseignement, mais il ne s'agissait pas d'un manque d'information.
Le sénateur Banks: Il s'agissait semble-t-il, d'une incapacité à analyser les renseignements disponibles.
M. Allen: Oui. Je ne sais pas si cela nous serait très utile ou si nous en avons besoin pour promouvoir nos intérêts.
M. O'Shea: D'après ce que j'ai entendu, le seul avantage pour le Canada serait la possibilité de contribuer à un plus grand fonds de renseignements secrets. Si nous avions un organisme du renseignement à l'étranger qui ferait la collecte d'informations, il pourrait contribuer à accroître la masse de données qui, à l'heure actuelle, provient en grande partie de source américaine, britannique ou française. Nous ne pouvons pas y contribuer parce que nous n'avons pas d'organisme du renseignement à l'étranger. Un tel organisme serait perçu comme un apport au système global de sécurité occidentale.
Le sénateur Banks: Êtes-vous satisfait de la capacité du Canada d'analyser les renseignements que nous obtenons nous-mêmes ou que nous recevons d'autres pays? C'était un de nos atouts au début de la Guerre froide.
M. Allen: Je ne saurais dire.
Le sénateur Banks: Alors, je poserais cette question à certains de nos témoins ce soir.
Monsieur Allen, que pensez-vous du traitement accordé aux prisonniers par les Américains? Quel conseil pourriez-vous nous donner sur la façon de faire? Nous avons l'intention de soulever la question. Il se pourrait que les soldats du régiment Princess Patricia capturent des prisonniers. Il est impossible de déployer des troupes dans un conflit armé en leur disant de ne pas capturer de prisonniers - ce n'est pas le bon message à envoyer.
Il s'agit de savoir, tout le monde sait, si nous allons respecter la Convention de Genève. Le secrétaire d'État Powell a soulevé cette question aujourd'hui. Qu'en pensez-vous, et que devrions-nous faire?
M. Allen: La position des États-Unis n'est pas très claire mais le vice-président Cheney et le secrétaire de la Défense Rumsfeld ont dit clairement qu'ils ne veulent pas que l'on qualifie ces prisonniers de prisonniers de guerre en vertu de la Convention de Genève mais plutôt de combattants illégaux. On ne sait pas au juste si M. Powell a adopté une position différente. J'ai cru comprendre que M. Powell pourrait adopter la même position que le gouvernement canadien, c'est-à-dire que la décision visant à établir s'il s'agit de prisonniers de guerre en vertu de la Convention de Genève doit être prise dans chaque cas individuel, et que ces personnes ont le droit de faire trancher leur cas par un tribunal.
Le sénateur Banks: C'est la façon dont j'interprète sa position.
M. Allen: Je répète, je n'agis pas en qualité d'avocat du ministère à l'heure actuelle, il n'est pas facile pour moi de vous exposer la position du gouvernement canadien à cet égard. Cependant, j'estime que notre position serait la suivante: ces personnes ont droit à une décision rendue en vertu de la Convention.
Il faut poser les questions suivantes: Quels sont les motifs invoqués par les Américains pour justifier le non-recours à un tribunal? Quels sont les motifs dans le cadre du droit international? La situation n'est pas tout à fait claire. Certains de ces prisonniers pourraient être des membres d'al-Qaïda ou des terroristes, mais certains pourraient être des combattants talibans.
Le sénateur Banks: Il se peut qu'ils défendaient, comme ils se jugeaient bon, leur pays contre des attaques.
M. Allen: Je ne suis pas au courant de tous les faits ou du statut des prisonniers détenus à Guantanamo ou en Afghanistan. Cependant, si certains des prisonniers ne sont pas membres d'al-Qaïda, les motifs pour justifier cette décision ne sont pas clairs. J'ignore peut-être certains faits. Le Comité international de la Croix-Rouge s'est rendu sur les lieux. Il a préparé un rapport, et il va nous falloir attendre pour voir comment la situation évolue. Cela met nos militaires dans une situation embarrassante.
Le sénateur Banks: Tout à fait.
Vous avez mentionné que nos services de renseignement ont récemment identifié deux terroristes. Le secrétaire de la Défense, M. Rumsfeld, a laissé entendre que cela a été fort utile aux efforts américains en matière de sécurité. Dans la mesure du possible, pourriez-vous nous raconter cette histoire du début à la fin? Est-ce que les services du renseignement américains ont découvert leur existence et le fait qu'ils étaient des Canadiens, où est-ce nos services de renseignement ont dit aux services Américains, «Nous avons trouvé deux terroristes pour vous»? Qu'est-ce qui est arrivé?
M. Allen: Honnêtement, je ne sais pas. Cependant, il paraît qu'ils étaient sous surveillance au Canada. Il est certain que nos agents du renseignement étaient au courant de leur présence. Je ne peux pas vous dire si les Américains nous ont signalé leur présence en premier, ou si, étant au courant de leur présence nous avons averti les Américains, qui ont ensuite fait le lien entre la vidéo et les individus.
Le sénateur Cordy: Ma première question porte sur les relations entre le Canada et les États-Unis. Monsieur Allen, vous avez très bien décrit la réalité quand vous avez dit que nos deux pays ont une relation presque inter-nationale. Il ne fait aucun doute que, depuis le 11 septembre, les États-Unis se préoccupent de la sécurité du territoire et que le Canada a prêté un concours efficace à la campagne contre le terrorisme.
Je constate que les médias font état des inquiétudes, exprimées par un petit nombre de personnes qui craignent que le Canada ne perde son indépendance, dans cette campagne contre le terrorisme, disant qu'il va simplement suivre l'initiative des États-Unis, victime pour ainsi dire d'un effet boule de neige.
M. Allen: Je comprends pourquoi les gens sont inquiets. Essentiellement, c'est parce que les États-Unis en ont fait une priorité absolue, parce que nous nous sommes associés à la campagne contre le terrorisme et parce que, tout en défendant le Canada et en renforçant notre propre sécurité, nous protégeons ainsi inévitablement l'Amérique du Nord. Après avoir vu la façon dont la Déclaration sur la frontière intelligente et le plan d'action en 30 points ont été élaborés, par exemple, je crois personnellement que nous n'avons en aucune façon compromis notre souveraineté. Ce plan d'action a été élaboré au Canada par des Canadiens, pour ensuite être présenté aux Américains. Comme je l'ai dit plus tôt, ce plan s'inspire d'une volonté sincère de faciliter et de protéger notre sécurité économique, tout en assurant aux Américains et aux Canadiens que les mesures de sécurité nécessaires sont prises.
Les Américains se sentaient un peu vulnérables. Il ne fait aucun doute que la création du Comité spécial du Cabinet sur la sécurité publique et la lutte contre le terrorisme a été essentielle pour nous permettre de comprendre nos besoins en matière de sécurité. Cela a rassuré les Américains. En outre, cependant, ce comité a accompli des choses qu'on essayait d'accomplir au Canada depuis longtemps.
Par le passé, nous avons ratifié des conventions internationales concernant le terrorisme qui avaient déjà été adoptées pendant que des choses plus importantes se passaient. Nous avons maintenant plus de fonds pour la Gendarmerie royale, qui les attendait depuis assez longtemps. On va aussi prévoir des dispositions plus restrictives en ce qui concerne l'immigration. On a resserré les lois sur l'immigration d'une façon que bon nombre de Canadiens, ainsi que le gouvernement, estimaient qu'elles auraient dû l'être auparavant. Cependant, nous avions peut-être d'autres priorités à l'époque.
À mon avis, et je crois que c'est l'avis du gouvernement aussi, nos actions à la suite du 11 septembre n'ont en rien compromis notre souveraineté. Nos décisions étaient fondées sur nos propres intérêts, et notre souveraineté s'en est donc trouvée renforcée.
Je pense que nous sommes témoins d'une convergence d'événements. Par exemple, nos troupes sont sous le commandement américain en Afghanistan; nous avons amorcé un débat sur la frontière; le cours du dollar est très faible. Si on veut, on peut grouper tous ces éléments pour dire que nous perdons notre souveraineté. Cependant, si on examine chaque événement de façon indépendante, on constatera qu'il n'y a pas de lien entre eux. Je comprends cette inquiétude, mais je ne m'en préoccupe pas et je ne pense pas que le gouvernement en général s'en préoccupe.
Le sénateur Cordy: Les Canadiens se sentaient vulnérables aussi, suite aux événements du 11 septembre. Je suis contente de vous entendre dire que nous adoptons en fait des initiatives élaborées au Canada.
Ma deuxième question porte sur les missiles antimissiles balistiques à laquelle vous avez fait référence dans vos observations préliminaires. On a l'impression de M. Bush est très résolu dans son projet de système de défense antimissile. Je n'en connais pas les détails, mais on sait qu'il y tient. Je dirais que, depuis le 11 septembre, la population américaine l'appuie plus massivement qu'elle ne l'appuyait peut-être auparavant. Ce système de défense exigerait également l'abandon du traité ABM. Quelle est la position du Canada sur le système de défense antimissile?
M. Allen: Certains ont fait valoir que le 11 septembre a prouvé que nous n'avions pas nécessairement besoin d'un système de défense contre les missiles balistiques car la menace n'est pas venue des missiles anti-balistiques mais plutôt de personnes pilotant des avions. Pour d'autres aux États-Unis la menace est une bombe dans une valise ou un missile de croisière. Il y a de nombreuses façons de s'attaquer aux États-Unis. Bon nombre de personnes ont prédit le bioterrorisme bien avant l'alerte à l'anthrax qui a suivi les attentats du 11 septembre.
D'un autre côté, le gouvernement de Bush adopte la position suivante: nous pouvons et nous devons nous défendre contre toutes ces possibilités, mais cela ne veut pas dire que nous ne devrions pas nous défendre contre les missiles balistiques. Encore une fois, les Américains se préoccupent des États parias, que ce soit l'Iraq ou la Corée du Nord. Ils craignent par ailleurs que ces États puissent menacer les États-Unis dans ses entretiens avec d'autres.
Je ne crois pas que ce soit au Canada de décider si les États-Unis ont ou non raison ou si le système de défense contre les missiles balistiques est coûteux ou s'il fonctionnera. Il est clair que c'est aux États-Unis d'en décider. Ce dont nous devons nous préoccuper comme pays, c'est qu'il y ait une architecture stratégique de base, qu'il y ait une règle de droit et que cette architecture stratégique revête d'une certaine apparence d'ordre.
La raison pour laquelle ce système de défense contre les missiles balistiques pose un problème, c'est qu'il était interdit aux termes du traité ABM. Les Américains se sont retirés. Nous sommes d'avis que les Américains devraient continuer de négocier avec les Russes, comme ils l'ont fait, en vue de réduire l'arsenal total et de créer un nouveau cadre stratégique qui apporterait une certaine stabilité en matière de contrôle des armements et de désarmement. Nous n'avons pas encore décidé si nous allons participer. Franchement, les Américains sont à la phase d'essai. À un moment donné, ils ne mettaient à l'essai que l'option d'un système de défense terrestre. Ils font maintenant l'essai d'un système installé en mer et d'un système installé dans l'espace, quelque chose qui frapperait les missiles juste au moment où ils sont lancés, ou un laser installé sur un avion qui attaquerait les missiles dans l'air.
À bien des égards, nous sommes en mode d'attente. Nous attendons de voir ce qu'ils décideront de faire et s'ils veulent notre participation.
Le sénateur Atkins: J'aimerais poser une question au sujet de l'ALENA et des mécanismes de règlement des différends qui sont prévus dans cet accord. Est-ce qu'ils fonctionnent?
M. Allen: Les mécanismes qui sont en place fonctionnent. Malheureusement, il n'y avait pas de mécanismes de règlement des différends en ce qui a trait aux mesures anti-dumping et aux subventions. Par conséquent, bon nombre de nos difficultés concernent des questions pour lesquelles les mécanismes spécifiques de règlement des différends ne s'appliquent pas.
Le Canada mène une campagne auprès des États-Unis et du Mexique pour modifier certaines dispositions de l'ALENA. Il est difficile de le faire car il faudrait ouvrir tout le traité. Cependant, certaines modifications permettraient de mettre en place un mécanisme de règlement des différends. Jusqu'à présent, nous n'avons pas réussi à le faire. Les Américains semblent adorer leurs mesures anti-dumping.
Relativement à d'autres aspects de l'ALENA, et auparavant dans l'ALE, il y a eu un certain nombre de différends, surtout avec les Américains. Nous avons gagné un certain nombre de causes. Là où les mécanismes fonctionnent, ils fonctionnent vraiment; là où il n'y pas de mécanisme, il faut recourir à d'autres moyens.
Le sénateur Atkins: C'est dommage qu'on ait pas inclus les mesures anti-dumping dans l'ALENA.
M. O'Shea: La bonne nouvelle, c'est qu'au moins dans la nouvelle ronde des négociations commerciales mondiales on s'est entendu pour envisager la possibilité de renforcer les mesures disciplinaires pour l'anti-dumping et les subventions. Pour bon nombre de sénateurs américains un accord là-dessus est absolument impensable, mais on s'est entendu pour aborder tout au moins la question lors de la nouvelle ronde de négociations commerciales multilatérales.
Le sénateur Atkins: Nous avons adopté le projet de loi C-44 en décembre, qui a retiré du projet de loi C-42 - lequel est toujours à la Chambre des communes - une exigence des Américains de fournir des listes de passagers. Pourquoi n'aurions-nous pas pu demander que les Américains fournissent des listes de passagers aux Canadiens?
M. Allen: M. Levy est plus compétent que moi pour répondre à cette question, mais nous sommes en train de négocier des ententes concernant l'information préalable sur les voyageurs et la reconnaissance des noms des passagers. Ces ententes seront réciproques.
M. Levy: Je pense qu'elles sont réciproques. Là n'est pas le défi. Si nous voulions avoir cette information et si nous pensions pouvoir nous en servir à des fins de renseignement, les États-Unis seraient probablement disposés à nous les donner de façon complètement réciproque. Le défi pour le Canada dans le cas de cette demande c'est de respecter nos propres préoccupations bien légitimes concernant la protection de la vie privée et de nous assurer que cette information serve à des fins précises de renseignement.
Le sénateur Atkins: En termes pratiques, comment le système va-t-il fonctionner?
M. Levy: Tout dépend des informations précises qu'on veut obtenir. À la réunion à laquelle j'ai assisté, on discutait de la possibilité d'avoir toute l'information préalable possible au sujet des passagers qui arrivent en Amérique du Nord. Le but est de réduire le travail d'application de la loi à la frontière et de s'assurer que les passagers qui arrivent en Amérique du Nord ne constituent pas une menace. Je vous dis bien franchement que cette frontière est très longue. Il ne sera jamais possible de la rendre étanche, même si on voulait le faire et même si on ne tenait pas compte des considérations commerciales.
Lorsqu'un passager se présente à l'enregistrement à un aéroport en Europe, où ailleurs, on veut savoir où il a acheté son billet, s'il l'a payé comptant, s'il a des bagages, s'il est accompagné, et s'il y a dix personnes à bord du même vol qui ont toutes fait leurs arrangements de façon bizarre. Toutes ces informations peuvent être obtenues avec des sources de renseignement. Ensuite, on note les tendances dangereuses qui se dégagent de ces informations, de sorte que lorsque ces passagers ont affaire à un agent de douanes ou de l'immigration, ce dernier est sur ses gardes et sait qu'il doit poser certaines questions.
Le sénateur Atkins: Certains manifestes ne sont peut-être pas complets avant le décollage, par exemple, s'il s'agit d'un vol de Toronto à Washington.
M. Levy: Nous posons la même question.
M. Allen: Leur argument porte sur le cas d'un passager qui arrive au pays en provenance d'Europe, par exemple, dont l'avion a atterri dans cinq pays de l'Europe de l'Est avant de se poser à Montréal. On décèle un certain mode d'activité.
M. Levy: Dans l'exemple précis que vous avez mentionné soit un vol de Montréal à Washington, le passager - même sans l'information préalable fournie - passe aux douanes et à l'immigration américaine avant de s'embarquer.
Le sénateur Atkins: Au Canada, oui. Il s'agit du prédédouanement.
L'accord sur la frontière intelligente a été signé avec eux en décembre. Dans quelle mesure a-t-il été mise en oeuvre jusqu'ici?
M. Allen: Le gouverneur Ridge, qui est le directeur de la Sécurité du territoire, et le vice-premier ministre Manley tiennent à avoir des réalisations concrètes à la suite de cette déclaration. Ils ont eu trois conversations téléphoniques depuis, et chaque fois ils cherchent à encourager leurs fonctionnaires à aller plus loin plus vite. Ils auront une réunion en marge du Forum économique mondial le 1er février et ils en auront une autre au Canada. Ils veulent concrétiser autant que possible chacun des 30 points de la déclaration avant la rencontre du premier ministre et du président à Kananaskis en juin. M. Levy revient d'une réunion à Fort Lauderdale où le responsable des douanes a exigé certains résultats pour chaque point d'ici la réunion à Vancouver, en 30 jours.
Je n'ai jamais vu une telle tentative pour accélérer les choses. Cela entraîne énormément de travail pour les responsables des douanes et de l'immigration des deux pays. Ils essaient de régler des questions dont on discute depuis longtemps mais qui sont désormais devenues urgentes.
Nous avons discuté du dédouanement avant le passage à la frontière et de l'auto-évaluation douanière qui consiste à permettre aux conducteurs de voitures DaimlerChrysler, Ford et GM de traverser la frontière sans s'arrêter parce qu'ils sont évalués au préalable et peuvent être vérifiés après. Nous discutons des ententes concernant les tiers pays sûrs aux fins de l'immigration, car la moitié de nos réfugiés arrivent maintenant des États-Unis. Plusieurs initiatives sont en cours et je suis sûr que nous pourrons obtenir des résultats sur certains des 30 points.
M. Levy: NEXUS, le jargon technique qui désigne un système d'inspection de rechange, permet aux voyageurs à bas risque qui traversent la frontière plusieurs fois par mois d'avoir une carte de prédédouanement.
Un projet pilote à Port Huron, qui avait été suspendu le 11 septembre a repris environ 10 jours après la signature du plan d'action.
On continue d'avoir des consultations au sujet des visas, et il y a de moins en moins de pays sur lesquels nous ne sommes pas d'accord.
Une entente sur le prédédouanement pour le transport aérien va régir de façon officielle le système qui existe déjà. Cela a été identifié dans le plan d'action, et nous sommes sur le point de le mettre en oeuvre également.
Le sénateur Atkins: Avez-vous l'impression que Tom Ridge maîtrise ses responsabilités à l'agence de sécurité du territoire américain?
M. Allen: Je n'envie pas le gouverneur Ridge. Il a la responsabilité d'une bureaucratie américaine énorme. Il y a environ un mois il y avait un graphique fascinant dans le New York Times qui montrait tous les fonctionnaires qui pourraient relever de lui ou pas. Cependant, son bureau s'équipe. Il a plus d'employés et des employés plus efficaces maintenant qu'il y a deux mois. De plus, il peut faire des choses concrètes pour ce qui est de la frontière Canada-États-Unis et Mexique-États-Unis. Il n'est pas facile de protéger les États-Unis contre l'anthrax ou contre toute autre menace bioterroriste. Il est plus facile de dire, par rapport au plan d'action en 30 points «voilà les choses que nous avons faites». Le plan a été négocié, des gens qui y travaillent, et je vous dis en toute franchise que cela explique en partie son engagement et son coup de téléphone au vice-premier ministre en janvier pour lui offrir ses voeux et pour savoir les questions en suspens dont M. Manley voulait discuter. Ils considèrent tous les deux qu'il s'agit de la situation où ils peuvent gagner sur tous les plans. Je ne suis pas sûr qu'il pourra s'attaquer à tous les problèmes aux États-Unis, mais je lui souhaite bonne chance.
Le sénateur Atkins: Est-ce que la Garde nationale continuera d'être présente à la frontière canado-américaine?
M. Allen: C'est grâce à la présence de la Garde nationale que les ponts et les tunnels sont restés ouverts après le 12 septembre. Les Américains avaient commencé à faire des inspections 100 p. 100 du temps. Sans la présence de la Garde nationale, il y a aurait eu des queues et des problèmes énormes à Windsor, à Whistler et dans toutes les villes frontalières. Les membres de la Garde nationale inspectaient les coffres pendant que les douaniers posaient des questions. Cela a permis de diminuer le temps d'attente. Les agents de la Garde nationale ont fait des inspections.
Dans la mesure où ils nous ont aidés, nous leur sommes reconnaissants. Cependant, le président Bush et le gouverneur Ridge insistent pour dire qu'on n'est pas en train de militariser la frontière. Je pense qu'ils savent que la fermeture de la frontière aurait certainement une incidence sur eux - peut-être aussi néfaste que sur nous - surtout compte tenu de la récession économique.
Le sénateur Atkins: Qui est l'équivalent au Canada de l'agence américaine de défense de la sécurité du territoire? Qui est le responsable? Est-ce le vice-premier ministre?
M. Allen: Le vice-premier ministre préside le Comité spécial du Cabinet sur la sécurité publique et la lutte contre le terrorisme. Le comité comptait beaucoup de membres dont le solliciteur général, et les ministres responsables de l'ADRC, de CIC, le ministère des Finances et celui des Affaires étrangères. Il y avait également deux groupes de fonctionnaires dirigés par deux sous-secrétaire du cabinet. Richard Fadden a été nommé responsable de la sécurité et alors que Robert Fonberg des questions frontalières. Puisqu'ils occupent des postes clés au bureau du Conseil privé et puisqu'il existait une volonté politique assortie d'un pouvoir politique, ils pouvaient nous obliger tous à harmoniser nos tâches. Ils ont fait beaucoup d'efforts pour obtenir des résultats et leurs efforts ont été couronnés de succès.
Le sénateur Atkins: Croyez-vous que nous devrions avoir une agence distincte?
M. Allen: Personnellement, je ne le crois pas. Le vice-premier ministre a toujours la responsabilité du dossier de la frontière. Avec ses collègues du BCP, il peut continuer de faire son travail auprès des intéressés, et j'espère que cela suffira. Ce sera une longue bataille. Ce ne sera pas terminé en six mois, mais c'est un bon départ.
Le président: Monsieur Allen, si j'ai bien compris le prédédouanement, il s'agit plutôt de savoir si les Américains poseront leurs questions avant que l'avion ne décolle ou après qu'il aura atterri. Est-ce une bonne description de la situation?
M. Allen: Oui.
M. Levy: Le prédédouanement du transport aérien fonctionne dans environ sept villes canadiennes à l'heure actuelle. Cela veut dire qu'on doit suivre ces procédures au Canada.
Le président: En posant les questions aux lignes aériennes avant que l'avion ne se rende dans le pays signifie tout simplement que lorsque l'avion atterrit, il faut alors moins de temps pour traiter les passagers qui descendent. S'ils n'ont pas l'information à l'avance, les autorités aux États-Unis prendront tout le temps nécessaire pour l'obtenir. Soit que les lignes aériennes fournissent l'information à l'avance, soit que les autorités l'obtiennent à l'atterrissage, n'est-ce pas?
M. Levy: Je le suppose, sauf que selon certaines dispositions relatives au prédédouanement du transport aérien à l'heure actuelle, il n'y a en fait aucune analyse du côté américain car tout est fait à l'avance.
Le président: C'est exact. Je parle en fait de la situation où une personne qui s'envole vers un aéroport international sans être passé par l'un des sept aéroports où il y a prédédouanement, et les Américains demandent à toutes les lignes aériennes qui entrent au pays de leur fournir à l'avance la liste des passagers. Les lignes aériennes qui fournissent cette liste recevront un type de traitement lorsque leurs appareils atterriront, tandis que celles qui ne fournissent pas la liste recevront un traitement différent qui pourrait être plus lent et plus compliqué.
M. Levy: Le pire scénario, tout au moins du point de vue des lignes aériennes, c'est qu'on leur interdise d'atterrir.
Le président: Exactement.
Monsieur Allen, pourriez-vous nous donner une idée des principaux événements auxquels on pourrait s'attendre au cours des six prochains mois sur le plan des relations canado-américaines?
M. Allen: En ce qui concerne tout d'abord la frontière, toute une série de réunions sont prévues. Comme je l'ai dit, il y aura une réunion le 30 janvier. Il y aura une première rencontre du gouverneur Ridge et de M. Manley. Il y aura ensuite une rencontre des fonctionnaires des Douanes et de l'Immigration, et des Affaires étrangères à Vancouver le 30 janvier. Il y aura une autre rencontre bilatérale entre les deux, à Kananaskis. Il y aura une rencontre bilatérale entre M. Graham, le ministre des Affaires étrangères et le secrétaire Powell, sans doute le 13 ou le 14 février, mais la date n'a pas encore été annoncée. Les dates pourraient changer, mais c'est une possibilité.
Naturellement, lors du Sommet de Kananaskis, il y aura des rencontres bilatérales. Il est possible que le premier ministre et le président se rencontrent également à Monterrey, dans le cadre d'une conférence des Nations Unies sur les finances et le développement, donc cela pourrait constituer une autre rencontre bilatérale.
Pour ce qui est des autres ministres qui se rendront à Washington ou qui rencontreront leurs homologues, je n'ai pas d'information précise à ce sujet pour le moment.
M. O'Shea: En ce qui concerne l'ALENA, les ministres de l'ALENA se rencontreront le 28 mai à Mexico. Les trois ministres du Commerce décideront s'ils élargiront l'ALENA et de quelle façon ils le feront. Par ailleurs, je n'ai pas encore la date, mais le ministre Anderson se rendra aux États-Unis pour s'entretenir avec les Américains du changement climatique et cette rencontre sera très importante pour le Canada et les États-Unis. Nous sommes impatients de voir si les Américains présenteront leur plan national en ce qui concerne le changement climatique mondial, si ce plan viendra compléter nos engagements internationaux dans le cadre des objectifs établis à Kyoto. Cela sera important, mais nous n'avons pas encore établi la date de cette rencontre qui aura lieu au cours des six prochains mois.
M. Allen: Tous les nouveaux ministres qui ont pris récemment leurs fonctions - le ministère Coderre à l'immigration, par exemple - se rendront à Washington ou leurs homologues viendront au Canada pour se renseigner sur les questions bilatérales. Le sous-ministre de la Justice sera à Washington la semaine prochaine pour discuter d'un certain nombre de dossiers. Le sous-ministre de l'Énergie était à Washington la semaine dernière.
M. O'Shea: Le sous-ministre du commerce international y est aujourd'hui pour trois journées de discussion avec les Américains portant sur le bois d'oeuvre et d'autres questions.
M. Allen: Comme vous le savez en lisant la chronique de Hugh Winsor, le sous-ministre adjoint en matière de politique et de sécurité et pour les Affaires étrangères et la Défense, et le sous-chef d'État-major de la Défense étaient à Washington la semaine dernière pour des entretiens. L'ambassade, comme le sénateur Kenny le sait par expérience, déborde d'activités. Son personnel accueille continuellement des Canadiens qui sont intéressés à rencontrer leur homologues américains, tout comme l'ambassade canadienne à Washington accueillera les membres de ce comité du 3 au 5 février de cette année.
Le président: Vous avez parlé de malentendus tantôt. Avons-nous une stratégie? Prenons, par exemple, la situation d'il y a peut-être deux semaines quand le sénateur McCain a parlé encore une fois de terroristes qui traversaient la frontière en provenance du Canada. Quelle est la réaction du ministère des Affaires étrangères quand on lit de telles choses dans les journaux? Est-ce que quelqu'un rédige une lettre ou prend contact avec quelqu'un? Est-ce que quelqu'un rétablit les faits ou bien on laisse faire?
M. Allen: Une des fonctions principales de la Direction des relations générales avec les États-Unis est de s'occuper de ces questions. Je vais laisser M. O'Shea vous dire à quoi il passe la moitié de sa journée.
M. O'Shea: Notre plus grande priorité en ce moment, sans doute, consiste à défendre les fausses idées colportées au sujet de la frontière ou de corriger des malentendus américains relatifs aux apports du Canada à la sécurité. Dans l'exemple que vous avez cité concernant le sénateur McCain, une lettre serait envoyée immédiatement, soit par l'ambassadeur soit par un consul général. Nous avons dit à nos dix consuls généraux aux États-Unis que leur objectif prioritaire serait la frontière. S'il y a une déclaration inexacte de la part d'un député au Congrès ou d'un sénateur, quelqu'un entrera en contact avec cette personne. C'est la même chose en ce qui concerne les reportages. Quand nous voyons un reportage dans les médias qui contient un renseignement inexact concernant des terroristes venus du Canada, nos consuls généraux rédigent une lettre, nous composons une page en regard de l'éditorial ou nous téléphonons aux intéressés pour leur signaler que la déclaration est en fait erronée.
Nous avons connu certains succès récemment en rétablissant les faits et nous avons reçu des excuses. Un éditorial de Denver était particulièrement flagrant. On y disait que le Canada avait quelque chose à apprendre de la gestion de la frontière américano-mexicaine. Cela commençait en déclarant que trois terroristes venaient du Canada.
Un de nos plus grands défis est la représentation mentale d'une très longue frontière qui n'est pas protégée, et qu'il doit être très facile de franchir. Ma femme est américaine et elle dit souvent que la frontière n'est pas protégée. Je continue à répéter qu'avec toute la collaboration qu'existe à la frontière, c'est probablement la frontière la mieux protégée qu'ont les Américains.
Nous passons beaucoup de temps à défendre notre frontière. Nous préconisons actuellement un certain nombre de visites ministérielles. Pendant l'ajournement du Congrès, nous avons dit à chaque consul général qu'on veut qu'ils aillent rendre visite à chaque membre du Congrès, autant que possible, afin de les renseigner sur la Déclaration sur la frontière intelligente et de leur expliquer comment c'est une meilleure façon d'assurer la sécurité à la frontière. C'est une lutte permanente.
M. Allen: Nous avons eu beaucoup de difficulté avec cette campagne de la part d'anciens hauts fonctionnaires du SCRS et des ministères de l'Immigration et des Affaires étrangères qui se plaisent à souligner les échecs antérieurs. Ils ne travaillent peut-être pas dans ces ministères depuis longtemps, donc ils parlent d'échecs antérieurs et les médias américains les entendent et utilisent ces renseignements.
En décembre, nous avons invité des journalistes des États-Unis et d'ailleurs et nous les avons renseignés sur les faits pendant deux jours. Notre ambassade à Washington a les adresses de courriel et les numéros de télécopie de chaque centre de réflexion, bureaux des membres au Congrès et des médias. Dès la publication d'information sur la frontière intelligente, sur le budget ou sur notre contribution militaire, nous leur envoyons ces nouveaux renseignements. Mais la ville de Washington étant ce qu'elle est, ces gens reçoivent probablement 2 000 messages chaque jour. C'est une lutte incessante, mais je crois que le vent commence à tourner mais nous ne gagnerons probablement pas sur toute la ligne.
J'essaie de faire comprendre aux Américains qu'avant l'incident Ahmed Ressam, qui, soit dit en passant, a été capturé on n'avait aucune preuve que les terroristes entraient aux États-Unis en provenance du Canada pour y causer des dommages. Ce n'était pas un problème. Depuis 50 ans en cette ère moderne, notre frontière soi-disant poreuse n'a jamais menacé les États-Unis. M. O'Shea a raison de dire que la nature des renseignements que nous collectons et la coopération au niveau de l'exécution de la loi est notre meilleur moyen de défense.
Le président: Un peu plus tôt, vous disiez que le quart des exportations américaines étaient destinées au Canada. De plus, vous avez ajouté que la politique se joue au niveau local aux États-Unis. Avons-nous un programme de communication visant à informer les exportateurs canadiens sur ces questions? Il ne serait pas difficile d'identifier les compagnies américaines qui exportent au Canada. Devrions-nous communiquer avec elles? On peut présumer qu'il leur est plus facile de retenir l'attention de leurs députés au Congrès ou sénateurs.
M. O'Shea: Oui. Pour revenir à la question de la défense frontalière, nous communiquons avec la plupart des associations commerciales américaines d'importation et d'exportation. Nous les encourageons à contacter leurs députés au Congrès, car ceux-ci écouteront plus attentivement leurs propres gens d'affaires que les diplomates canadiens.
Pour ce qui est du commerce, c'est plus difficile. C'est un dossier frustrant pour l'ambassade. Pendant l'administration Clinton, le secteur privé ne s'est pas vraiment fait entendre sur l'ALENA car il y avait une certaine attitude défensive au sujet de l'entente. Bien des ardents défenseurs de la libéralisation des échanges se sont tus. Pour ce qui est des dossiers commerciaux précis, tel le bois d'oeuvre, il y a une coalition très ciblée. D'autres exportateurs ne voudront pas lutter pour le bois d'oeuvre car ce dossier ne les concerne pas directement.
Le sénateur Banks: Monsieur O'Shea, la propagande véhiculée par les relations publiques peut convaincre n'importe qui de n'importe quoi. Joseph Goebbels le savait et appliquait cette philosophie, comme beaucoup d'autres d'ailleurs. Par exemple, quand le secrétaire dit: «Voyez-vous ces soldats équipés de M16 qui patrouillent la frontière?» Nous n'avons pas militarisé la frontière, mais les gens le croient.
Nous aurions moins de mal à faire passer notre message à Washington si nous n'avions pas à repartir à zéro à chaque fois que nous essayons de les convaincre de l'importance que le Canada revêt pour eux. Mais cela est dû aux raisons évoquées par le président et par M. O'Shea.
Si nous embauchions des gens compétents pour 15 ou 20 millions de dollars, nous pourrions enfin faire comprendre aux Américains que nous sommes leur plus important partenaire commercial, que nous ne négligeons pas notre frontière et que les gens ne peuvent pas la traverser à volonté. Ne serait-ce pas de l'argent bien dépensé? Si nous éduquions les Américains, cela nous aiderait à gérer des dossiers tel celui du bois d'oeuvre. Par «éduquer» j'entends faire de la propagande, de la mise en marché, essayer de convaincre les Américains de notre point de vue, et cetera. Ne croyez-vous pas que ce serait une bonne idée?
M. O'Shea: Je crois que oui. Mais on doit se demander combien il en coûterait pour faire passer ce message difficile. Ma dernière affectation était au consulat à New York. Il existe des magasins à New York qui ne font pas de vente au détail, mais qui proposent un service de relations publiques pour commercialiser les marques de produits.
Le sénateur Banks: Qu'importe la somme, c'est de l'argent bien dépensé. Voilà ce à quoi j'en viens. Les résultats seraient tels qu'il en vaudrait le coût.
C'est une question de pure forme. Vous allez m'excuser si je la soulève, mais elle me préoccupe depuis des années. Nous devrions simplement régler ce problème. Le coût serait énorme, mais ça en vaudrait la peine.
M. Allen: Vous soulevez un point très important. On pourrait faire passer le message de façon continue, on pourrait faire comprendre que malgré tout ce qu'on dit sur la perméabilité de la frontière septentrionale, aucun des 19 terroristes sont venus du Canada. On pourrait faire passer le message, mais cela coûterait au moins 25 ou 30 millions de dollars. Ça, c'est un aspect de la question.
De l'autre côté du conflit du bois d'oeuvre, beaucoup de groupes dépensent de telles sommes. Si on veut entrer dans le jeu, il y aura beaucoup de concurrence pour le financement.
On en parle assez souvent. C'est un sujet qu'on ne devrait jamais écarter, parce qu'il y a des périodes où ce serait utile. Il est difficile de décider s'il faudrait engager des firmes de relations publiques de façon permanente, parce que nous ne savons pas si cela serait une façon plus efficace de présenter nos idées ou si nous devrions simplement continuer de faire ce que nous faisons déjà. Votre question est très utile.
M. O'Shea: Selon un des collègues de M. Levy une des façons les plus efficaces d'utiliser ces fonds de promotion serait de louer le zeppelin de Goodyear, pendant la période du Super Bowl, portant ce signe: «Ce n'était pas nous», ou «Ils ne sont pas venus de chez nous». J'ai l'impression que cela ferait passer le message.
Le président: Merci, messieurs. Nous sommes très heureux de vous recevoir ici aujourd'hui à l'occasion de notre première réunion, et nous vous remercions du survol que vous avez présenté sur les relations Canada-États-Unis. Cette réunion nous aide à préparer notre voyage à Washington la semaine prochaine. Ce soir, nous reverrons M. Allen et certains autres de vos collègues.
Le comité continue ses travaux à huis clos.
Le comité reprend ses travaux en public.
Le président: Chers collègues, les prochains témoins sont du ministère des Affaires étrangères et du ministère de la Défense nationale. Nous allons nous concentrer sur NORAD, le plan de défense antimissile, l'expansion de l'OTAN, et la structure de commandement unifié.
Allez-y.
Mme Jill Sinclair, directrice générale, Direction générale de la sécurité internationale, Affaires étrangères: Honorables sénateurs, je dirai quelques mots sur l'OTAN et la défense antimissile. Après cela, le général MacDonald et le général Ross vous donneront des détails sur le Plan de commandement unifié. Nous serons tous heureux de répondre à vos questions.
Le Canada appuie très fortement l'expansion. Notre premier ministre a dit plusieurs fois que l'expansion de l'OTAN est à ses yeux la meilleure façon d'étendre la zone de stabilité et de sécurité en Europe. Notre politique étrangère continue d'être basée sur une diplomatie multilatérale efficace. Il est donc essentiel d'être membre de l'OTAN. L'article 10 permet l'expansion de l'OTAN. Au moment où l'alliance a été créée, nous avons envisagé une expansion possible, donc l'idée n'est pas nouvelle. Le principe de garder la porte ouverte a été réaffirmé à des sommets successifs de l'OTAN. Au plus récent sommet de l'OTAN à Washington en 1999, un plan d'action pour les membres de l'alliance a été dévoilé. Ce plan a été conçu pour aider les pays désireux d'adhérer à l'OTAN à se préparer. Nous avons distribué de la documentation, donc je n'entrerai pas dans les détails. Mais je serai ravi bien sûr de répondre à vos questions.
Les neuf pays qui désirent adhérer à l'OTAN sont: l'Albanie, la Bulgarie, l'Estonie, la Macédoine, la Lettonie, la Lituanie, la Roumanie, la Slovaquie et la Slovénie. Pour être acceptés au sein de l'Otan, les pays doivent répondre non seulement à des exigences de capacité militaire, mais aussi à des exigences au niveau politique et économique, au niveau des droits de la personne et des droits du gouvernement. L'idée c'est de bâtir une Europe plus sécuritaire et stable. Ce n'est pas simplement une question de capacité militaire. D'ailleurs, l'OTAN a toujours été plus qu'une alliance militaire.
Le processus lié au Plan d'action pour l'adhésion, en vertu duquel des pays peuvent adhérer à l'alliance, a été caractérisé par son sérieux et sa profondeur. Il y a eu des rapports provisoires individuels sur la mise en oeuvre du Plan et ces rapports seront préparés pour chaque aspirant. Un rapport consolidé sur l'état d'avancement du dossier sera présenté aux ministres des Affaires étrangères à l'occasion de leur réunion à Reykjavik, en mai de cette année. À ce moment-là, nous aurons une meilleure idée de la position de chaque aspirant. En attendant que les ministres des Affaires étrangères puissent prendre connaissance de cette documentation, le Canada et les autres alliés ont déclaré qu'ils s'abstiendraient de divulguer les caractéristiques du dossier de chaque aspirant. Cette discrétion s'impose car nous voulons donner à chaque candidat individuel la possibilité de plaider sa propre cause, et clore ainsi le processus.
Les objectifs de cet exercice d'élargissement sont positifs sur le plan de l'orientation. Ils sont conçus comme une ouverture; ils visent à montrer que nous sommes dans un nouvel espace en Europe, à élargir la zone de sécurité et de stabilité dans la région Euro-Atlantique; à continuer d'appuyer les réformes économiques politiques en cours en Europe centrale et orientale et à offrir des avantages substantiels à tous les aspirants, qu'ils soient parmi les heureux candidats au sommet de Prague de novembre 2002 ou non, lorsque les décisions seront prises.
À l'évidence, l'OTAN continue d'évoluer. Elle a toujours été une alliance dynamique. Le Canada appuie son évolution et nous allons travailler d'arrache-pied pour faire en sorte que cette entité demeure dynamique et inclusive.
Avant de conclure sur la question de l'élargissement de l'OTAN, je tiens à signaler que dans le passé, la Russie entretenait des inquiétudes au sujet de cette orientation. Cependant, ces inquiétudes se sont vraisemblablement atténuées depuis un an ou deux. La Russie s'est rendue à l'évidence, l'élargissement allait se concrétiser, et le président Putin l'a reconnu publiquement. Cependant, il ne fait aucun doute qu'un débat animé a cours en Russie. Le Canada est sensible aux préoccupations exprimées par la Russie au fil des ans. Nous pensons qu'une partie de la solution consiste à maintenir des rapports et un engagement significatifs avec la Russie par l'entremise de l'OTAN. Dans cette optique, le Canada a été parmi les premiers à favoriser une relation renouvelée entre la Russie et l'OTAN. Bon nombre d'entre vous ont sans doute entendu la suggestion voulant que l'alliance accueille 20 pays au lieu de 19 pays, plus la Russie. Voyons ce que nous pouvons faire ensemble, en partenariat, par exemple sur la question du terrorisme. C'est dans cette voie qu'évolue l'alliance.
Avec votre permission, j'aborderai maintenant la question de la défense antimissile.
Cette question revêt énormément d'importance pour le Canada et elle s'inscrit au coeur d'une vaste gamme d'enjeux en matière de défense et de politique étrangère. C'est également l'une des questions les plus délicates du dossier de la sécurité à l'heure actuelle et elle inspire généralement des opinions tranchées, voire passionnées, dans un camp comme dans l'autre.
La défense antimissile comporte de nombreuses dimensions: volet militaire, politique étrangère, contrôle bilatéral des armements, aspect scientifique et technique, pour n'en nommer que quelques-unes. Je m'efforcerai de limiter la discussion à quelques enjeux majeurs pour le Canada, et je répondrai ensuite aux questions.
Premièrement, il convient de souligner que cette question de la défense antimissile s'inscrit dans le cadre beaucoup plus vaste des relations bilatérales canado-américaines. Nous avons avec les États-Unis un partenariat unique axé sur des liens étroits, la collaboration, la sécurité et la défense. Ce partenariat est concrétisé par NORAD, la Commission mixte permanente sur la défense, environ 250 ententes bilatérales et tout un train de mécanismes, dont l'entraînement en commun des forces militaires. Il ne faut pas non plus oublier le fait que la Défense contre les missiles balistiques n'est qu'un des éléments d'une relation beaucoup plus vaste.
Deuxièmement, tant le Canada que les États-Unis continuent de s'efforcer de relever les défis de sécurité d'une période que, jusqu'à tout récemment, nous appelions la période de l'après-guerre froide. À l'heure actuelle, on l'appelle la période de l'après-11 septembre. De toute évidence, l'Amérique du Nord est confrontée à un certain nombre de menaces nouvelles, accrues et imprévisibles, comme la prolifération des armes de destruction massive. Par conséquent, nous comprenons que le gouvernement des États-Unis souhaite protéger son territoire et sa population, à l'instar du gouvernement du Canada, qui prend actuellement des mesures actives pour assurer la sécurité du territoire et de la population canadiens.
Troisièmement, le système de défense contre les missiles balistiques demeure une oeuvre en constante évolution. Les États-Unis n'ont pas encore choisi une architecture pour la défense antimissile. Cela signifie qu'ils ne savent pas encore quels systèmes seront les plus efficaces. C'est uniquement lorsque la technologie sera suffisamment avancée que les États-Unis prendront des décisions concernant l'architecture et l'échéancier des options de déploiement. Dans l'intervalle, les États-Unis s'apprêtent à bâtir en Alaska un site d'essai, un site de lancement qui, une fois terminé, en 2005, pourrait être qualifié de capacité de défense antimissile opérationnelle.
Quatrièmement, on ignore encore quelle incidence la défense antimissile aura sur la stabilité stratégique, particulièrement entre les États-Unis et la Russie. D'une part, la réaction de la Russie au retrait des Américains du traité ABM, le traité sur les missiles antimissiles, a été plutôt discrète. Le président Poutine a fait valoir que ce retrait était une erreur, mais il a également ajouté qu'à son avis, cela ne menaçait pas la sécurité de la Russie. Par ailleurs, Moscou s'attend tout à fait à ce que le traité ABM soit remplacé par un cadre stratégique global de rechange. Nous allons surveiller de près l'issue des discussions entre Washington et Moscou. Nous allons également être attentifs à la réaction de la Chine qui possède une capacité nucléaire relativement mineure et, de l'avis des Chinois, vulnérable. La réaction de la Chine pourrait évidement influer sur la réaction de l'ensemble de l'Asie.
Un cinquième aspect crucial pour le Canada est l'incidence de la défense antimissile sur la non-prolifération, le contrôle des armements et le désarmement mondial. C'est un régime qui revêt une importance considérable pour le Canada.
Dans la perspective canadienne, la sécurité du Canada et des Canadiens commence à l'étranger. Nous continuons d'adhérer sans réserve à un système multilatéral de règles pour assurer au premier chef la paix et la stabilité internationales. Je vais m'arrêter ici car je suis sûre que vous avez des questions.
Le lieutenant général George Macdonald, vice-chef d'état-major de la Défense, ministère de la Défense nationale: Nous sommes heureux de comparaître devant votre comité aujourd'hui. Je parlerai spécifiquement de la structure de commandement unifiée américaine et du commandement de défense aérospatiale de l'Amérique du Nord, NORAD. Nous serons en mesure de répondre à toute question portant sur des questions de défense en ce qui a trait au programme de défense antimissile balistique des États-Unis et à l'élargissement de l'OTAN. Je crois savoir qu'on vous a distribué sur ces questions des documents de fond.
À l'instar du Canada, les États-Unis ont une structure organisationnelle bien établie qui positionne leurs forces militaires pour servir l'intérêt national du pays. Le Plan de commandement unifié, lancé à l'origine en 1946, représente le document clé de la structure militaire américaine. On s'en sert officiellement pour répartir les responsabilités géographiques, fonctionnelles et hiérarchiques des Forces armées américaines entre ses différents commandements.
Je signale que certains de ces commandements assument des responsabilités multiples. Par exemple, le commandement des forces interarmées américaines assume des responsabilités régionales, ou atlantiques. Il a également une responsabilité fonctionnelle pour ce qui est de fournir les services de l'armée, de la marine et de l'aviation sur le continent américain. C'est à ce commandement qu'il appartient d'organiser, de former et d'équiper les forces. En outre, il est chargé de l'évolution de la doctrine des forces interarmées des États-Unis. De même, le commandant suprême allié de l'Atlantique, qui est également commandant en chef des forces interarmées américaines, a également une responsabilité envers les alliés. Il convient de signaler que NORAD n'est pas un commandant en chef officiellement désigné en vertu du Plan de commandement unifié étant donné qu'il s'agit d'un commandement binational. Il est également intéressant de savoir que les États-Unis continentaux, le Canada, le Mexique et la Russie ne relèvent pas à l'heure actuelle de la responsabilité d'un commandant en chef unifié. Comme vous avez pu le lire dans les notes d'information que nous vous avons remises, c'est le président des chefs d'État-major combinés qui est responsable de ces domaines précis.
L'un des aspects les plus importants de la structure de défense canado-américaine est NORAD.
[Français]
Le commandement de la défense aérospatiale de l'Amérique du Nord a été créé en 1958 pour le contrôle et la défense aérienne de l'Amérique du Nord.
Ce commandement constitue l'un des éléments les plus importants de notre relation avec les États-Unis. L'accord du NORAD est renouvelé à peu près tous les cinq ans. Le dernier renouvellement date de l'année dernière, en mai 2001.
[Traduction]
Les éléments d'actifs canadiens assignés à NORAD incluent des avions de chasse CF-18, ainsi que des centres et des stations radar d'alerte avancée. À l'heure actuelle, les forces canadiennes comptent 287 postes au sein du NORAD, à l'extérieur du Canada.
Comme cela est précisé dans la documentation, NORAD joue différents rôles dans les relations de défense canado-américaine. NORAD intègre un processus, un commandement et un cadre de contrôle, un modèle d'actions coordonnées ainsi que des quartiers militaires intégrés. Chose plus importante cependant, il précise les modèles des actions coordonnées, y compris les plans militaires, les règles d'engagement, les limites de la souveraineté entre nos deux pays.
Depuis le 11 septembre, le taux d'activité de NORAD a connu une recrudescence par rapport aux années précédentes, avec plus de 10 000 sorties. Depuis ces événements tragiques, NORAD a dû élargir son champ d'action pour inclure l'espace aérien au Canada et aux États-Unis et travaille maintenant en étroite collaboration avec les organisations civiles de contrôle du trafic aérien dans les deux pays pour y arriver. NORAD continue d'être un élément clé de la défense de l'Amérique du Nord et un apport crucial aux relations positives entre nos deux pays. Je pense que NORAD est une base utile pour envisager des considérations relativement à la sécurité du continent.
Le sénateur Banks: Je vais poser une question sur un sujet sur lequel chacun de mes collègues posera sans doute des questions plus spécifiques. Elle concerne le commandement unifié dans un contexte différent, hors NORAD. Il y a dans le journal d'aujourd'hui - et nous avons entendu parler de cela auparavant -, un article concernant un commandement unifié élargi sur la scène internationale, particulièrement en ce qui concerne les États-Unis et le Canada, qui aurait pour effet de placer un plus grand nombre d'aspects des Forces armées canadiennes sous la responsabilité du commandement unifié qu'à l'heure actuelle. Nous sommes au fait du fonctionnement de NORAD et de la responsabilité du commandant suprême allié à Norfolk, pour ce qui est des opérations de l'OTAN. Cependant, en ce qui a trait à la défense du continent, au sens où on l'entend à l'heure actuelle, qu'en est-il? Que pouvez-vous nous dire de l'attitude des États-Unis, de la réaction votre communauté, Mme Sinclair, face à cette idée d'avoir des commandements interarmés comptant un plus fort pourcentage d'effectifs des Forces armées canadiennes qui, compte tenu de leur importance, relèveraient ordinairement du commandement américain, comme c'est le cas pour l'OTAN et NORAD?
Le lgén Macdonald: Vous faites référence à l'initiative des États-Unis d'actualiser ce qu'ils appellent leur plan de commandement unifié, lequel établit les responsabilités fonctionnelles de leurs divers commandements.
Le sénateur Banks: À l'exception de NORAD, lorsque les Américains parlent de commandements unifiés, s'agit-il de commandements interarmés?
Le lgén Macdonald: C'est exact.
Le sénateur Banks: Je parle de forces interarmées, y compris les Forces canadiennes.
Le lgén Macdonald: La proposition relative au plan de commandement unifié que les Américains envisagent à l'heure actuelle et qui devraient faire l'objet d'une annonce dans un proche avenir, prévoit la possibilité de créer un commandement de défense de la patrie. Autrement dit, il y aurait un commandant en chef responsable de la défense de la patrie. Cette initiative répondrait aux événements du 11 septembre, mais elle faisait l'objet d'une étude depuis un certain temps déjà.
La question qui se pose est la suivante: qu'adviendra-t-il du NORAD dans le contexte d'un commandement de défense de la patrie? NORAD en fera-t-il partie? Nous avons des consultations avec les Américains depuis un certain temps déjà pour nous assurer que les intérêts du Canada vis-à-vis NORAD sont protégés adéquatement dans le contexte des changements qu'ils entendent apporter à leur structure, quels qu'ils soient. Nous nous sommes dits prêts à explorer d'autres domaines de collaboration possibles qui pourraient ajouter des forces terrestres et maritimes aux forces aériennes actuelles.
Présumément, l'arrangement que nous avons avec NORAD serait le même si d'autres forces étaient appelées à participer à l'avenir. Lorsqu'on discute du fait que dans le contexte du NORAD les forces relèvent d'un commandant en chef américain, il faut reconnaître qu'il s'agit là d'un authentique partenariat. NORAD est commandé par un général quatre étoiles, mais il y a pour NORAD un adjoint canadien qui fonctionne très bien.
Le sénateur Banks: Oui, mais le Canadien est toujours l'adjoint.
Le lgén Macdonald: C'est exact, mais ces deux personnes sont mutuellement tenues de faire rapport non seulement au commandement national, comme on l'appelle aux États-Unis, mais également aux autorités canadiennes. Jamais un commandant en chef de NORAD ne fait rapport uniquement à ses collègues américains. Il s'agit de rapports binationaux. Les Canadiens sont présents dans tout ce qui se fait. Au bout du compte, le chef d'état-major assume le commandement et le contrôle des Canadiens. Ces derniers travaillent au sein de NORAD pour assurer la réalisation des objectifs de NORAD et ils sont intégrés dans cette structure qui s'inscrit tout à fait dans un partenariat des Amériques. Certains ont laissé entendre que nous étions compromis ou sous le commandement des Américains parce que nous faisions partie de NORAD, mais il s'agit là d'un arrangement entre parties égales.
Le sénateur Banks: Je ne critique pas. Je posais simplement une question. Je n'ai rien à reprocher à NORAD. C'est une entité qui a toujours très bien fonctionné. Je me demande si ce concept va prendre de l'ampleur. À votre avis, devrions-nous l'élargir?
Le lgén Macdonald: Je pense que c'est pour nous l'occasion de reconnaître nos préoccupations mutuelles en ce qui concerne la sécurité du continent - non seulement le volet aérien mais également les volets terrestres et maritimes. Si les États-Unis créent un commandement pour assurer la sécurité de la patrie, c'est là une occasion d'explorer diverses possibilités avec eux. Si nous pouvons conserver un arrangement de type NORAD dans ces autres domaines, cela pourrait se traduire par des avantages intéressants.
Mme Sinclair: Le Lgén Macdonald a bien expliqué la question d'un point de vue militaire, mais ce n'est pas tout. C'est aussi un enjeu politique de taille et nous devons l'examiner dans toutes ses dimensions. La question de la souveraineté est à l'avant-plan lorsqu'on commence à parler de différentes structures de commandement. Cependant, comme le lgén Macdonald l'a dit, dans le contexte de l'après-11 septembre, il est prudent de notre part d'examiner les mécanismes existants, qu'il s'agisse de NORAD ou de la PJBD, la Commission permanente mixte de défense Canada-États-Unis. Il serait judicieux de notre part d'envisager diverses façons de collaborer dans d'autres secteurs avec les États-Unis. Il faudrait procéder avec prudence, en tenant compte des intérêts de tous les intervenants ici. Il serait déplacé de ma part d'échafauder des hypothèses quant à la nature des modèles envisagés, mais je vous invite instamment à interroger vos homologues américains lorsque vous serez à Washington.
Le sénateur Banks: J'estime qu'il serait bon de faire des hypothèses sur la nature de ces modèles.
Mme Sinclair: Les sénateurs ont le loisir de faire toutes les hypothèses qu'ils veulent.
Le sénateur Banks: Ce serait intéressant.
Le sénateur Day: Pourriez-vous nous dire quelle hypothèse nous pourrions faire?
Le sénateur Banks: Si vous étiez à notre place, quelle hypothèse feriez-vous?
Mme Sinclair: Je ne préconise pas d'échafauder des hypothèses de façon imprudente, mais je vous suggère de demander à vos homologues américains, lorsque vous serez là-bas, ce qu'ils en pensent. Il s'agit d'une oeuvre en cours d'élaboration pour les Américains qui travaillent au commandement unifié. C'est un processus en cours depuis longtemps. Le 11 septembre a suscité une réflexion au sujet de nouveaux domaines d'intérêt comme la sécurité de la patrie, comme vous l'a dit le lgén Macdonald. Vous devriez les interroger.
Le sénateur Banks: Nous le ferons. Ils vont également nous demander ce que nous en pensons.
Si mes souvenirs sont bons, à de rares exceptions près et dans tous les cas concernant notre participation`a une guerre par opposition à des opérations de maintien de la paix ainsi qu'à l'exception de certaines parties de la Seconde guerre mondiale, les Forces canadiennes, dans le contexte d'opérations étrangères, ont toujours servi sous un commandement suprême étranger? Est-ce plus ou moins vrai?,
Le major général H. Cameron Ross, directeur général, Politique de la sécurité internationale, ministère de la Défense nationale: Sénateurs, je ne suis pas certain de pouvoir dire que c'est toujours le cas, mais le plus souvent, lorsque nous avons oeuvré dans une coalition sous contrôle opérationnel - c'est le terme militaire que nous utilisons - nous avons toujours conservé un commandement canadien, mais sous contrôle opérationnel. Nous avons fonctionné de cette façon avec les Britanniques et avec les Allemands au cours de la Guerre froide. Je ne suis pas certain de pouvoir dire «toujours».
Le sénateur Banks: À ces occasions, qui ont été plus nombreuses qu'autrement, cette façon de faire n'a pas porté atteinte à notre conception de la souveraineté ou au contrôle canadien sur le terrain de nos ressources, n'est-ce pas?
Le lgén Macdonald: C'est exact. En fait, nous pouvons faire valoir que nous protégeons notre souveraineté en agissant de concert avec nos alliés pour atteindre nos objectifs mutuels.
Le sénateur Banks: Mme Sinclair, vous avez dit que la sécurité commençait à l'étranger. C'est acquis. Particulièrement pour ce qui est de contrer des personnes qui auraient l'intention de se servir de l'immigration à des fins hostiles, il serait fort utile d'avoir à l'étranger un réseau secret de renseignement. D'ailleurs, dans le passé, des experts du renseignement nous ont dit que cela serait d'une grande aide dans certains domaines. Le Canada n'a pas eu une telle capacité depuis longtemps. D'ailleurs, ce besoin n'est pas simplement lié à l'après-11 septembre. L'Amérique du Nord a connu des attentats terroristes bien avant le 11 septembre. L'écrasement du vol d'Air India est un exemple qui a touché de nombreux Canadiens. Ne sommes-nous pas maintenant dans une situation où le Canada devrait, dans son propre intérêt, se doter d'un réseau de renseignements secret à l'étranger?
Mme Sinclair: Sénateur, excusez-moi, mais si je répondais à cette question, j'outrepasserais le champ de mon mémoire.
Le sénateur Banks: À qui devrions-nous poser cette question?
Mme Sinclair: Vous devriez la poser au solliciteur général ou à des experts du domaine.
Le sénateur Banks: Vous êtes directrice générale de la sécurité internationale.
Mme Sinclair: Le ministère des Affaires étrangères ne s'intéresse pas directement au domaine dont vous parlez.
Le sénateur Banks: Personne ne le fait pour l'instant.
Mme Sinclair: Vous devriez sans doute interroger des porte-parole du Conseil privé et d'autres. Je ne veux pas renvoyer la balle à quelqu'un d'autre mais étant donné que j'ai déjà donné, j'aimerais passer mon tour cette fois-ci.
Vous avez raison de dire que ce problème existait avant le 11 septembre, mais les résolutions du Conseil de sécurité des Nations Unies, les appels à la coopération, à un meilleur partage des renseignements qu'auparavant, tout cela n'est pas resté lettre morte. La question de savoir si le Canada doit créer son propre réseau indépendant à l'étranger mise à part, la collaboration entre les services de renseignement dans le monde doit être rehaussée. C'est acquis maintenant. Nous avons tiré des enseignements des événements du 11 septembre. On déploie davantage d'efforts en ce sens. Le Canada s'y attache en tant que président du G-8. Ce travail est pris très au sérieux.
Le sénateur Day: Madame Sinclair, j'aimerais savoir ce que vous pensez de la perception que j'ai eue à la lecture du Plan d'action pour l'adhésion adopté par l'OTAN en 1999 à Washington. Il me semble y voir une évolution marquée de l'OTAN, d'un organisme intéressé au premier chef par la défense à une entité plus politique à saveur internationale. J'ai l'impression que l'on est à la recherche de plans pour mettre en oeuvre des réformes politiques, économiques, voire juridiques, dans ces pays, avant de les accueillir au sein de cette organisation militaire axée sur la sécurité. Est-ce l'orientation que vous constatez?
Mme Sinclair: Merci beaucoup, sénateur Day. Ce n'est pas tellement un changement marqué par rapport à l'objectif global de l'OTAN; cette organisation a toujours été plus qu'une alliance militaire. C'est le Canada qui a proposé l'article 2 de la Charte de l'OTAN, qui porte sur la coopération économique. Tout en reconnaissant qu'une défense collective revêt une importance cruciale étant donné que nous avions un ennemi commun au moment où l'OTAN a été créée, en fait la meilleure défense contre n'importe quel ennemi repose sur l'existence de démocraties solides et vigoureuses oeuvrant dans un espace sécuritaire transatlantique commun.
Avec la transition en Europe, le Plan d'action pour l'adhésion a été conçu pour assurer l'avènement de cette communauté de gouvernements capables de se défendre et de défendre les valeurs communes de la démocratie et du libre marché. Le Plan d'action pour l'adhésion vise à orienter les gens dans la bonne direction. Un certain nombre de membres de l'OTAN l'ont utilisé sur une base bilatérale, en tant qu'outil pour les aider à réformer l'armée, la police ou le gouvernement et à faire place au respect des droits de la personne. Ce n'est pas un changement marqué. L'alliance a toujours eu une envergure dépassant le strict champ militaire. Voilà pourquoi elle a connu autant de succès.
Le sénateur Day: Le volet militaire de l'alliance perd-il de l'importance? La perspective militaire perd-elle du terrain par rapport aux autres enjeux dont nous venons de parler, aux autres changements, comme les réformes économiques et juridiques?
Mme Sinclair: Je n'en suis pas sûre. J'aurais besoin de l'aide de mes collègues du ministère de la Défense nationale pour répondre à cette question. Je ne suis pas certaine que ce soit le cas. L'alliance a toujours été un composite. Peut-être que l'équilibre s'est quelque peu modifié. À l'époque de la guerre froide, lorsqu'on craignait les troupes soviétiques massées à l'Est, il va de soi qu'il existait certaines préoccupations de sécurité viscérales au sens traditionnel de la sécurité militaire. Il demeure nécessaire encore aujourd'hui que l'alliance soit robuste militairement parlant.
Voyez qui a réagi en premier aux attentats du 11 septembre: l'OTAN, en invoquant l'article 5. L'incidence de cette initiative pour ce qui est de catalyser un soutien politique à une réaction vigoureuse aux événements survenus aux États-Unis a été inestimable, à mon avis.
Peut-être l'équilibre s'est-il modifié quelque peu, mais je ne pense pas que cela diminue en rien la dimension militaire de l'alliance. Peut-être cela la rend-t-il plus complète puisqu'à l'heure actuelle, la communauté des démocraties européennes est beaucoup plus importante.
Le mgén Ross: Sénateur, je suis tout à fait d'accord avec vos observations. Nous sommes en présence d'une action parallèle sur le plan économique, politique et juridique autant que militaire. L'OTAN a réagi avec l'article 5, comme Mme Sinclair l'a signalé, pas seulement avec des mots mais avec des actions. Il y a eu le déploiement en Amérique du Nord des avions AWAC pour assurer la sécurité de l'espace aérien nord-américain. Et si l'on regarde les mesures prises par l'OTAN dans les Balkans et ailleurs, son intervention a toujours été positive.
J'ai travaillé périodiquement auprès de l'OTAN pendant un certain nombre d'années. Dans l'ensemble, nous avons constaté un relèvement, si vous voulez, de la qualité et de la standardisation du volet militaire. Le plan d'action fournit à ceux qui oeuvrent au sein de l'OTAN depuis un certain nombre d'années, sans parler des trois nouveaux pays et des aspirants, un étalon, une norme, un bilan, si vous voulez, qui nous permet de nous évaluer nous-mêmes et d'évaluer les aspirants.
D'un point de vue militaire, nous jugeons cela extrêmement positif et nous n'y voyons aucune dégradation dans la qualité de l'alliance.
Le sénateur Day: Pensez-vous qu'à l'avenir, le rôle militaire de l'alliance évoluera, qu'il s'éloignera sensiblement de ce qu'il a été dans le passé alors qu'il était nécessaire, en raison de la guerre froide et de la lutte d'une alliance contre une autre, d'accumuler une capacité militaire et des armements importants? De nos jours, dans la foulée de la théorie de l'élargissement de l'OTAN, on a tendance à réunir un nombre croissant de grandes démocraties commerçantes en un groupe et à essayer de contrôler les États renégats ainsi que les activités terroristes non étatiques. Lesquelles sont bien différentes de celles que nous avons connues dans le passé.
Le mgén Ross: Le terme «évolution» est tout à fait juste. Je suis rentré d'Allemagne vendredi, après avoir eu des discussions avec un partenaire de l'alliance. Il est évident que d'autres pays en Europe et ailleurs se penchent sur l'évolution de la dimension militaire de l'alliance. Nous avons des systèmes existants qui remontent à l'époque de la guerre froide, et il faut que tous les pays s'adaptent à une nouvelle dimension, à des menaces asymétriques et à des attaques terroristes, et cetera. Ces changements ne se produiront pas du soir au lendemain, mais ils doivent se faire en collaboration avec nos partenaires de l'alliance et les observateurs de l'extérieur ne doivent pas oublier qu'au premier chef, certains des objectifs de l'Union européenne sont essentiellement les objectifs de l'OTAN.
Le sénateur Day: On peut donc supposer que le ministère de la Défense nationale se livre actuellement à des travaux de planification pour élaborer en matière de défense nationale un nouveau plan qui assurera la sécurité de notre territoire, mais qui correspondra aussi au rôle évolutif de groupes internationaux comme l'OTAN, notamment en ce qui a trait aux nouveaux types d'équipement militaire dont nous pourrions avoir besoin et aux nouvelles attentes vis-à-vis nos effecfifs?
Le mgén Ross: Il est évident, sénateur, que nous devons apporter certains changements, comme l'a dit le ministre publiquement. Au cours des prochains mois, nous ne raterons pas l'occasion de passer en revue nos politiques actuelles. Cet exercice se fera conjointement avec le ministère des Affaires étrangères et, bien sûr, le Bureau du Conseil privé. La réponse est donc oui, il y a une planification en cours. Elle n'en est qu'à ses premiers balbutiements mais nous ne sommes pas restés collectivement les bras croisés pendant tout ce temps. Certains plans, déjà élaborés, doivent être précisés, en fonction des voeux du gouvernement.
Le sénateur Day: J'aimerais vous poser une question au sujet de NORAD. Quels sont les participants à la Commission permanente mixte de défense Canada-États-Unis?
Le lgén Macdonald: La Commission a vu le jour au début des années 40 après la déclaration faite par le premier ministre Mackenzie King et le président Roosevelt à Ogdensburg. Elle a été mise sur pied pour favoriser le dialogue entre les États-Unis et le Canada sur les questions de défense. Depuis, elle s'est réunie régulièrement, en fait plus de 200 fois. Il s'agit d'un organisme de haut niveau réunissant des représentants des forces militaires et des affaires étrangères des deux pays. Aux États-Unis, le secrétaire d'État en fait partie. Au Canada, le mgén Ross est notre principal représentant militaire. Les membres de la Commission se rencontrent environ tous les six mois pour discuter de questions de défense spécifiques d'intérêt commun.
Le sénateur Day: Ma question portait sur des aspects autres que militaires. Vous y avez répondu en partie en me disant que le ministère des Affaires étrangères est concerné. Prévoit-on inclure d'autres organismes de collecte de renseignements de sécurité outre le ministère des Affaires étrangères et les militaires?
Le mgén Ross: Notre prochaine réunion aura lieu en mars, en banlieue de Seattle. Mme Sinclair est mon homologue au sein de cette commission. Nous aborderons notamment la façon dont la Commission et d'autres organismes, tel le comité de coopération militaire, fonctionnent dans ce nouveau cadre. C'est quelque chose que nous pourrions examiner, mais nous verrons.
Mme Sinclair: Sénateur Day, lors de la dernière réunion, Margaret Purdy du BPIEPC, le Bureau de la protection des infrastructures essentielles et de la protection civile, a informé la Commission sur les questions de défense. Le BPIEPC coordonnait la réponse aux incidents du 11 septembre. On a essayé de faire participer d'autres organismes civils à la discussion avec la Commission permanente mixte de défense dans le contexte de ce qui a suivi immédiatement les incidents du 11 septembre.
Le sénateur Day: En tant qu'observateurs plutôt que membres permanents?
Mme Sinclair: C'est exact. La structure actuelle a été mise en place de façon à ce que les ministères des Affaires étrangères et de la Défense nationale soient des membres permanents, avec leurs homologues des États-Unis. Cependant, nous devons examiner si tous ces mécanismes sont à la hauteur. C'est une discussion très ouverte que nous tenons. Comme l'a dit le Mgén Ross, la prochaine fois que nous nous réunirons avec les Américains, nous examinerons si nous avons les bons intervenants à la table.
Le sénateur Day: Supposons que les plus hautes instances gouvernementales souhaitent une plus grande coopération entre le Canada et les États-Unis, pensez-vous que ce mécanisme constitue un groupe susceptible de prendre de l'expansion de façon à parvenir à une plus grande coopération bilatérale et à un plus grand échange d'information?
Mme Sinclair: C'est certainement un organisme qui a tous les antécédents nécessaires. C'est un organisme créé pour le dialogue. Nous avons résolu des problèmes très pratiques au sein de la Commission permanente mixte de défense. Maintenant, nous devons examiner toutes les possibilités. Si nous disposons de mécanismes qui fonctionnent bien, nous devrions voir si nous pouvons nous en servir et les compléter.
Le sénateur Day: Lorsque nous étions à Winnipeg, le commandant de la Force aérienne, dans son rôle au sein du NORAD, nous a dit que lorsqu'ils collaborent avec les autorités américaines chargées des questions d'immigration ou de douanes et d'accise, il se pourrait que l'on demande à la Force aérienne du Canada d'intercepter un avion soupçonné de transporter de la contrebande ou de commettre une autre activité illégale, et que cette demande serait présentée par l'entremise du ministère de l'Immigration ou du NORAD, en collaboration avec l'un des organismes américains. Pouvez-vous confirmer que c'est effectivement le cas?
Le lgén MacDonald: Oui, c'est tout à fait le cas. J'ai déjà occupé ce poste à Winnipeg. Le trafic des narcotiques tout particulièrement devient une situation très complexe en ce qui concerne les organismes chargés de l'immigration, des drogues et de l'application de la loi. Nous entretenons des rapports très étroits avec les organismes des États-Unis via nos liens au sein du NORAD. Les renseignements concernant la cible éventuelle sont transmis entre les organismes chargés d'appliquer la loi et au sein du NORAD. Effectivement, des chasseurs canadiens pourraient être appelés à intervenir si l'avion venait dans notre espace aérien.
Le sénateur Day: L'ordre viendrait des États-Unis.
Le lgén MacDonald: Ce serait coordonné avec les États-Unis, mais il est dans notre intérêt d'intercepter les avions transportant des narcotiques qui viennent sur notre territoire. Il y a eu des cas où ce genre de mission a été exécutée avec succès.
Le sénateur Day: Nous avons eu une bonne séance d'information sur la collaboration entre le Canada et les États-Unis pour ce qui est du NORAD et aussi pour ce qui est de la collaboration et des activités conjointes entre les marines américaine et canadienne. Pourriez-vous donner plus de précisions et nous parler des opérations parallèles et de la coopération pour ce qui est des armées du Canada et des États-Unis?
Le mgén Ross: Au fil des ans, les Forces canadiennes ont tenu plusieurs exercices avec les forces américaines, l'armée américaine en particulier, tant aux États-Unis qu'au Canada. C'était le niveau d'interopérabilité jusqu'à ce que nous amorcions, il y a environ 10 ans, des activités de niveau plus élevé, à tel point que, par exemple, un Canadien est actuellement le commandant adjoint du troisième Corps d'armée des États-Unis à Fort Hood, au Texas. Nous avons un Canadien là-bas depuis plusieurs années. Il ne s'agit que d'une personne dans un quartier général, mais c'est révélateur de l'évolution qu'il y a.
C'est un peu plus difficile pour les armées en général de pouvoir mettre en place un niveau élevé d'interopérabilité, en raison de la taille et de la nature des armées, mais nous progressons.
Nous ne prévoyons pas que des troupes nombreuses franchiront la frontière dans le cadre d'un exercice. Ce n'est pas nécessaire. Cependant, les exercices de poste de commandement ou les exercices d'entraînement automatisés sont très efficaces, et c'est ce qui se passe en ce moment même.
Je dois dire que l'interopérabilité avec les États-Unis correspond à notre désir d'avoir une interopérabilité avec plusieurs de nos alliés, en particulier le Royaume-Uni et d'autres alliés de l'OTAN. C'est la nature du travail. Si on nous demandait, en tant que moyenne puissance, de faire partie d'une coalition, nous voudrions savoir de quelle façon la coalition fonctionne pour ce qui est des instructions permanentes d'opération et d'autres aspects semblables.
Le sénateur Day: Du point de vue de l'armée qui planifie et qui se prépare à des attaques et des activités terroristes éventuelles, existe-t-il un ensemble de procédures et de protocoles permanents touchant la coopération entre le Canada et les États-Unis?
Le mgén Ross: Probablement que des instructions permanentes des Forces canadiennes et du Département de la défense des États-Unis changeront et évolueront suite à ces interactions entre les deux gouvernements et les divers ministères.
Le sénateur Day: Y a-t-il des changements susceptibles d'inclure une plus grande intervention des Forces canadiennes pour venir en aide à d'autres organismes gouvernementaux au Canada et aux États-Unis? Il y a déjà collaboration et je me demande s'il y a une coopération entre différents organismes au sein de chacune des forces armées en Amérique du Nord.
Le mgén Ross: Il est trop tôt pour déterminer l'ampleur ou l'importance de la coopération. De toute évidence, ce sont des sujets que nous voulons aborder avec les États-Unis. Votre visite à Washington fait également partie de cette évolution des discussions. Nous tenons déjà de très nombreuses discussions au niveau de l'état-major, et nous le faisons depuis un certain temps. Nous ne savons pas si les scénarios de simulation sur terre, sur mer et dans l'espace déboucheront sur de nouveaux liens.
Encore une fois, je tiens à souligner qu'il n'est pas question uniquement du ministère de la Défense nationale. Nous devons le faire avec d'autres ministères canadiens, ainsi qu'avec d'autres organismes américains, en particulier sur le plan juridique.
Le sénateur Day: Ai-je raison de supposer que notre façon actuelle de penser est que le Bureau de la sécurité intérieure des États-Unis ne concernerait pas uniquement les militaires, mais un grand nombre des autres organismes de protection?
Le mgén Ross: Monsieur le sénateur, nous ne savons pas encore pour l'instant ce que sera l'architecture. Nous prévoyons que l'on annoncera prochainement la formation d'une telle organisation, mais nous ne savons rien pour l'instant de sa composition, de ses responsabilités ou de qui elle relèvera. Nous avons une idée approximative des responsabilités du gouverneur Ridge et du Bureau de la sécurité intérieure. Pour ce qui est de l'aspect militaire, les discussions sont en cours.
Le lgén Macdonald: Je pourrais d'ailleurs ajouter, monsieur le sénateur, que l'actuel Commandement de la force interarmes des États-Unis qui se trouve à Norfolk, en Virginie, dispose d'une force opérationnelle interarmes qui traite de ce qu'ils appellent la «gestion des conséquences» - c'est-à-dire, l'aide militaire aux organismes civils advenant un événement important. Nous supposons que cela se poursuivra dans l'avenir. Ils le font déjà, du moins dans une certaine mesure.
Le sénateur Meighen: Lorsque nous parlons de commandement interarmes, parlons-nous par définition de deux entités, ou est-ce que le commandement interarmes pourrait également s'appliquer au modèle de l'OTAN?
Le lgén Macdonald: Pour les militaires, lorsque nous parlons de commandement interarmes, nous parlons vraiment de commandement des différents services. Au Canada, il s'agit de la Force terrestre, de la Marine et de la Force aérienne, tandis qu'aux États-Unis, il s'agit de l'armée, de la marine, de la force aérienne et des marines. Au niveau de la coopération internationale, vous utiliseriez le mot «combiné». Prenons l'exemple du NORAD. C'est un commandement combiné du Canada et des États-Unis, mais c'est également un commandement interarmes parce qu'il regroupe plusieurs services des forces armées. Ici, nous parlons d'activités interarmes avec les États-Unis.
Le sénateur Meighen: NORAD a plus qu'un service des forces armées, à savoir canadiennes et américaines, ou plus que la force aérienne.
Le lgén Macdonald: Au sein du NORAD, les Américains ont la force aérienne, la marine, l'armée et les marines, et le Canada a la Force aérienne, la Force terrestre et la Marine.
Le sénateur Meighen: Je ne le savais pas.
Le lgén Macdonald: Je devrais clarifier ce point. Toutes ces personnes sont au quartier général du NORAD ou à Colorado Springs, au centre des opérations. Nous n'avons pas matériel maritime ou terrestre.
Le sénateur Meighen: C'est le nom qui m'a induit en erreur. N'est-ce pas Défense aérospatiale de l'Amérique du Nord?
Le lgén Macdonald: Tout à fait. Cependant, nous sommes véritablement une force interarmes du point de vue du Canada et des États-Unis.
Le sénateur Meighen: C'est une force aérienne, mais elle incorpore des éléments non aériens; est-ce exact?
Le lgén Macdonald: Non, monsieur le sénateur. Je ne voulais pas brouiller les choses davantage. La défense aérospatiale fait intervenir les avions, mais a également trait à l'espace et à l'alerte antimissiles balistiques. Bien que ce rôle ait été principalement dévolu à la force aérienne, ce n'est pas toujours le cas. En fait, ce rôle peut faire intervenir des fonctions de commandement et de contrôle ainsi que l'expertise de tous les éléments des forces armées.
Les forces armées américaines ont reconnu la nécessité d'avoir des éléments de la marine, de l'armée, de la force aérienne et des marines en ce qui touche les questions d'aérospatiale. NORAD compte tous ces éléments.
Il y a quelques années, nous avons reconnu qu'il serait utile que des officiers et des sous-officiers des Forces canadiennes aient la possibilité d'être exposés non seulement à l'aspect aérien, mais aussi au système de détection des missiles antimissiles balistiques et au volet aérospatial. Nous envoyons depuis des militaires à Colorado Springs pour participer aux missions traditionnelles du NORAD.
Lors des attaques du 11 septembre, c'est un commandant de la Marine canadienne qui était le commandant en devoir au centre des opérations de Cheyenne Mountain du NORAD. Le premier appel a été reçu par un Canadien, et même pas un membre de la Force aérienne canadienne, mais un membre de la Marine canadienne.
Le sénateur Meighen: Pour ce qui est de la défense périphérique et d'étendre l'efficacité et la portée d'un bouclier autour de l'Amérique du Nord, pourriez-vous me donner une idée de la mesure dans laquelle le Canada considère qu'il s'agit d'une question concernant le Canada et les États-Unis, par opposition à une question concernant l'OTAN? Est-ce que l'OTAN a un rôle à jouer à cet égard, en ce qui nous concerne?
Le lgén Macdonald: De toute évidence, du point de vue du NORAD, nous nous préoccupons de la masse terrestre continentale du Canada et des États-Unis. Lorsque nous parlons de défense aérospatiale, nous parlons de la pénétration du périmètre de cette masse continentale.
L'article 5 du traité de l'OTAN, dont Mme Sinclair a parlé plus tôt, a été invoqué. Il vise le Canada et les États-Unis, ainsi que les partenaires de l'OTAN. On a fait remarquer que le système aéroporté d'alerte et de surveillance avait été déployé de l'OTAN pour couvrir les États-Unis.
Il est difficile de choisir une organisation ou l'autre, tout se chevauche. Pour ce qui est du contrôle aérospatial, c'est principalement le NORAD qui est visé, mais avec la participation ou l'aide de l'OTAN dans ce cas-ci.
Le sénateur Meighen: Ma question faisait suite en quelque sorte à l'observation faite par le mgén Ross au sujet de l'interopérabilité. Nous ne voulons pas que cela se limite uniquement aux Américains; nous voulons plutôt continuer d'avoir une interopérabilité avec les alliés de l'OTAN. Si l'idée est d'étendre le périmètre de défense de l'Amérique du Nord, est-ce que nous devrions tenir compte de cet aspect?
Le mgén Ross: On peut dire que pendant des années, les activités de l'OTAN ont porté davantage sur les pays de l'Est, dans le cadre de la guerre froide. Maintenant que l'article 5 a été invoqué et qu'un escadron de l'OTAN a été déployé pour la première fois sur notre continent, on se rend compte que les pays de l'Ouest font également partie de l'équation. Le Pacifique constitue le périmètre occidental de l'OTAN. Il est parfois difficile de rappeler cette réalité à nos collègues de l'Europe. L'alliance du NORAD couvre une énorme superficie géographique.
Mme Sinclair: Monsieur le sénateur, vous avez utilisé le terme «périmètre». Nous n'utilisons pas ce terme facilement au ministère des Affaires étrangères parce qu'il faut définir à quel endroit un périmètre commence et à quel endroit il se termine. C'est passablement difficile.
Cela nous ramène en quelque sorte à ce que j'ai dit dans mon exposé. Sur le plan des affaires étrangères et en ce qui concerne la sécurité du Canada, nous devons penser à une défense avancée dans le sens le plus vaste possible. Si nous sommes confrontés à des menaces terroristes, des menaces traditionnelles et non traditionnelles, nous devons penser à une défense très avancée. Nous devons penser à nos instruments multilatéraux. S'il s'agit d'une menace potentielle provenant d'armes biologiques, que faisons-nous? Nous devons examiner nos instruments juridiques et nos instruments de conformité.
Les partenariats doivent être diversifiés et les rapports et l'interrelation avec les États-Unis sont extrêmement importants. L'interopérabilité et les liens politiques que nous avons par l'intermédiaire de l'OTAN sont extrêmement importants. Cependant, tout cela ne suffit pas en soi. Nous pouvons voir d'après la diversité de la coalition mise sur pied après le 11 septembre, alors que nous avons fait appel aux pays du Moyen-Orient et aux pays d'Asie, que tous les pays doivent en faire partie. Il s'agit là d'un des partenariats à valeur ajoutée du Canada vis-à-vis du monde. Nous avons mis sur pied ces partenariats et nous savons comment les faire agir dans le bon sens du mot. Si nous devons assurer notre défense et notre sécurité dans son sens le plus large, nous devons miser sur des mécanismes traditionnels et non traditionnels, et créer également des partenariats.
Le sénateur Meighen: Comment caractériseriez-vous ou évalueriez-vous le succès de la vague initiale qui a fait grossir les rangs de l'OTAN? Était-ce bien tout ce à quoi nous avions rêvé lorsque nous avons accueilli au sein de l'OTAN la République tchèque, la Hongrie et la Pologne? Y a-t-il eu des déceptions? N'y a-t-il pas un ensemble passablement différent de dynamiques entre ces trois pays et les neuf autres que nous envisageons d'accueillir maintenant?
Le mgén Ross: Monsieur le sénateur, je vais parler des aspects militaires et Mme Sinclair parlera de quelques-uns des autres aspects. Je pense qu'on peut dire que l'augmentation du nombre de pays membres jusqu'à maintenant est un véritable succès. Les trois nouveaux pays ont été des partenaires de l'alliance dans tous les aspects prévus. Je dois vous donner un aperçu personnel de l'incidence que cela a sur ces pays. J'ai eu la chance de commander un bataillon de troupes polonaises sur le plateau du Golan au Moyen-Orient lorsque l'on a annoncé l'entrée de la Pologne à l'OTAN. Le sentiment incroyable et profond que ce pays venait de sortir du passé n'aurait pas été plus grand si on avait annoncé que la Pologne avait remporté la Coupe du Monde de soccer. Ce fut une expérience monumentale pour tous; militaires comme civils.
Il y a d'autres aspects qui interviennent dans cette augmentation du nombre de membres de l'OTAN. Il y a évidemment la fiche de rendement des attentes militaires et tout le reste, mais il y a d'autres aspects. Les trois nouveaux membres sont des pays aussi forts et aussi impliqués de l'alliance que n'importe lequel des autres.
Le sénateur Meighen: Y a-t-il des observations que vous aimeriez faire au sujet du prochain groupe que l'on se propose d'accueillir?
Le mgén Ross: Il serait probablement préférable d'attendre. Je ne le dis pas facétieusement, parce que le gouvernement du Canada n'a pas encore pris sa décision quant au nombre de pays ni desquels il s'agirait.
Le sénateur Meighen: Le ministère des Affaires étrangères a-t-il des commentaires à cet effet?
Mme Sinclair: Non, je pense que le mgén Ross l'a bien dit.
Le sénateur Meighen: En ce qui concerne le volet économique, certains ont mentionné que l'application de l'article 2, qui a trait à la coopération économique, relevait du Canada. Je pense qu'il est juste de dire que si on revient au milieu des années 90, alors que le sénateur Kenny et moi-même faisions partie d'un comité mixte de la défense, le sentiment général était que la coopération économique c'était magnifique, mais le Canada n'avait peut-être pas reçu sa juste part. C'est peut-être une perception réelle, je ne le sais pas.
Je remarque dans la documentation qui nous a été remise que cette nouvelle Freedom Consolidation Act de 2001 autorise le financement militaire pour sept des neuf pays possibles. C'est ce qui m'intéresse au chapitre de la coopération économique, en plus de savoir comment vont les choses et ce qui peut être fait pour améliorer la situation au sein de l'OTAN, si amélioration il doit y avoir. Qui fournit les fonds au financement militaire? Un cynique pourrait demander s'il s'agit là d'une façon d'alimenter l'industrie de défense américaine, mais je suis convaincu qu'il y a une autre explication. Quelle est-elle?
Mme Sinclair: Il s'agit d'un programme financé par les États-Unis.
Le sénateur Meighen: Ce n'est pas un programme de l'OTAN?
Mme Sinclair: Non. C'est un programme bilatéral des États-Unis auquel il est fait référence.
Le sénateur Meighen: C'est ce que je pensais. Qu'en est-il de la coopération économique dans le cadre de l'OTAN? Est-ce que le ministère des Affaires étrangères peut donner une évaluation de la situation et dire si elle a été ce que l'on espérait ou si c'est un à côté?
Le mgén Ross: Les exigences concernant tous les pays qui veulent devenir membres précisent ce que sont les attentes. De toute évidence, ils doivent financer eux-mêmes une partie des développements lorsqu'ils sont membres de l'OTAN. Les fonds d'infrastructure de l'OTAN, auxquels le Canada contribue en tant que partenaire de l'alliance, servent, qu'il s'agisse d'infrastructure, de cours ou peu importe; donc, d'un point de vue économique militaire, c'est le processus. Je ne suis pas en mesure de parler des autres impacts économiques en ce qui concerne l'OTAN.
Le sénateur Atkins: Je reviens à la question de l'augmentation du nombre de pays membres de l'OTAN. Trois pays se sont joints à l'alliance. Ils avaient tous une capacité militaire sous une forme ou une autre. Est-ce que les neuf autres pays qui veulent devenir membres ont une capacité militaire?
Le mgén Ross: Oui, sénateur, ils ont tous des capacités militaires, qui varient pour ce qui est des ressources, des qualités et de l'importance, qui sont mentionnées dans la présente fiche de rendement, à défaut d'un meilleur terme. Pour ce qui est de l'alliance, elle s'attend à pouvoir utiliser cette capacité militaire. Il ne faut pas oublier que l'alliance existe pour se protéger elle-même, et non seulement pour protéger les individus.
Comme l'a mentionné Mme Sinclair dans ses propos liminaires, l'alliance s'attend également à ce que les membres, à plus forte raison les pays qui veulent en devenir membres, comprennent ce que les autres membres de l'alliance tiennent peut-être pour acquis, à savoir le contrôle civil sur le militaire, la primauté du droit et toutes ces activités qui, pour certains pays, leur sont passablement étrangères. Cela fait partie de la liste de contrôle dressée à l'intention des pays qui veulent devenir membres. Ils doivent manifester leur intention, s'ils n'ont pas satisfait à ces normes, au moins d'y satisfaire à une date donnée.
Le sénateur Atkins: En ce qui concerne le traité portant sur la limitation des systèmes antimissiles balistiques, le Canada a-t-il été surpris de la décision des Américains de s'en retirer?
Mme Sinclair: Sénateur Atkins, nous n'avons pas été surpris. L'administration Bush en parlait depuis un certain temps et disait qu'elle serait limitée par ce traité si elle voulait poursuivre son programme d'essai du système de défense antimissile; par conséquent, nous n'avons pas été surpris. Ils en ont parlé à leurs alliés. Un grand nombre d'entre nous en ont discuté et ont posé des questions persistantes pour savoir ce qui allait le remplacer, et pour savoir s'ils consultaient les Russes ou les Chinois. Nous n'avons pas été surpris.
Le sénateur Atkins: Êtes-vous satisfait de certaines des réponses?
Mme Sinclair: Nous sommes satisfaits de certaines des réponses, mais non pas de toutes. De toute évidence, les discussions entre le président Bush et le président Poutine au sujet de la réduction des armements nucléaires sont les bienvenues. Cependant, le Canada a fait savoir aux États-Unis que nous aimerions que ces réductions aient force obligatoire, qu'elles soient vérifiables et irréversibles. Jusqu'à maintenant, les Américains et les Russes continuent de discuter de ces réductions, du nouveau cadre stratégique, mais nous ne savons pas encore à quoi il ressemblerait. Nous ne savons pas si ces réductions seraient irréversibles, vérifiables et auraient force obligatoire.
Les gens posent encore des questions pendant que les Américains et les Russes réalisent ce nouveau scénario qu'ils se sont donnés.
Le sénateur Atkins: Y a-t-il lieu d'être optimiste, que les réductions se poursuivront?
Mme Sinclair: L'administration américaine y semble engagée, mais vous devriez lui poser la question pour ce qui est d'un dialogue continu avec la Russie. Peu importe ce qu'ils pensent que devrait être cette nouvelle relation, ils aimeraient une nouvelle relation. Ce qu'il en résultera en bout de ligne, nous ne le savons pas encore.
Les États-Unis ont vraiment l'intention de revoir et de mettre à jour leur doctrine nucléaire. Encore une fois, il faudrait leur poser la question pour en savoir plus. C'est une question vraiment d'actualité qui fait l'objet de discussions.
Procéderont-ils à des réductions comme le Canada aimerait, avec cette irréversibilité? Peut-être que oui, peut-être que non. En ce moment, aux États-Unis, on a adopté une approche légèrement différente pour ce genre de questions. On compte un peu moins sur les méthodes multilatérales que par le passé. Peuvent-ils mettre en place un nouveau cadre qui verrait à assurer une sécurité et une stabilité tant pour eux que pour les Russes, puis à nous le donner parce que nous sommes membres de cette communauté? Ce sont des questions auxquelles nous n'avons pas de réponses, et ce sont des questions que nous posons régulièrement aux États-Unis.
Le sénateur Atkins: Suite aux incidents du 11 septembre, y a-t-il eu des changements opérationnels d'importance au niveau du commandement?
Le lgén Macdonald: Sénateur, lorsque vous parlez de commandement, parlez-vous du NORAD?
Le sénateur Atkins: Oui.
Le lgén Macdonald: La réponse du NORAD aux incidents du 11 septembre a été immédiate. Le changement le plus évident survenu depuis a été l'augmentation du nombre de chasseurs. Cette augmentation a été accompagnée par la mise en place du système aéroporté d'alerte et de contrôle et des avions de ravitaillement. Ils sont dans les airs depuis. Les États-Unis ont déployé des chasseurs en plusieurs endroits sur leurs territoires. Ils ont effectué des patrouilles aériennes de combat au-dessus des villes ou ils ont été tenus en état d'alerte. Au Canada, nous avons également augmenté le nombre d'avions que nous affections en temps normal au NORAD à temps plein. Ils ont également été répartis dans différentes bases au Canada.
Je ne sais pas s'il s'agit là d'une disposition permanente. Nous aimerions en arriver à une stabilité. De toute évidence, le niveau d'alerte et la nécessité de faire en sorte que le NORAD puisse réagir aux menaces qui viennent de l'intérieur des États-Unis ou du Canada ont été le principal changement depuis le 11 septembre.
Jusqu'ici, la concentration du NORAD sur les menaces par la voie des airs portait sur les menaces provenant de l'extérieur du Canada et des États-Unis, parce que l'on supposait qu'un avion dont le point d'origine était dans l'un de nos pays ne constituait pas une menace.
Le sénateur Atkins: Si on prend l'exemple du 11 septembre et de l'avion qui s'est écrasé en Pennsylvanie, si le NORAD avait été au courant qu'un problème existait à bord d'un avion, qui aurait pris la décision que cet avion pouvait être abattu dans les airs.
Le lgén Macdonald: La décision d'abattre un avion comme celui-là aux États-Unis serait prise par le président lui-même. Le système du NORAD, s'il disposait des renseignements nécessaires pour cela, servirait à transmettre les renseignements par la chaîne de commandement aux États-Unis. En dernier ressort, le président aurait à prendre une décision, dans un sens ou dans l'autre. Il faut bien reconnaître qu'il s'agirait là d'un dernier recours. Il faudrait que le président soit virtuellement certain que c'est la seule solution.
Le sénateur Atkins: Le temps serait un facteur tout à fait incroyable.
Le lgén Macdonald: Il y a plusieurs choses qui interviennent. Tout d'abord, il faut avoir suffisamment de renseignements pour savoir qu'il s'agit d'un avion qui présente une menace et qui doit être intercepté par des avions militaires. Les renseignements devraient être suffisamment précis pour qu'une recommandation ferme puisse être faite au président, et le président devrait être convaincu de l'exactitude de ces renseignements pour pouvoir agir à temps. Autrement dit, on examinerait plusieurs facteurs avant de prendre une telle décision. Cependant, si cela devait se produire, c'est au président qu'il revient de prendre la décision.
Le sénateur Atkins: Ça donne des frissons.
Le lgén Macdonald: En effet.
Le sénateur Atkins: Combien y a-t-il de chasseurs de nos forces aériennes qui participent aux activités de l'OTAN?
Le lgén Macdonald: Voulez-vous dire aux activités de NORAD?
Le sénateur Atkins: Oui.
Le lgén Macdonald: Nous avons ordinairement quatre chasseurs prêts pour les alertes, deux à notre base de l'Ouest à Cold Lake et deux à Bagotville au Québec.
Le sénateur Atkins: Ces appareils sont-ils des CF-18?
Le lgén Macdonald: Oui. Nous en avons augmenté le nombre depuis et leur déploiement n'a pas été limité à ces deux bases.
Le président: Vous avez décrit le système aux États-Unis. Vous pourriez peut-être nous décrire son fonctionnement au Canada. L'appareil est-il le même et les problèmes sont-ils les mêmes? Décrivez-nous le système de commandement et de contrôle que nous avons ici.
Le lgén Macdonald: Il ressemblerait à l'autre. Le système NORAD acheminerait les renseignements au quartier général de la Défense nationale. Dans toute situation où il y aurait la moindre possibilité d'engagement d'un avion, le chef d'état-major de la Défense s'adresserait en fin de compte au ministre de la Défense nationale pour faire une recommandation au premier ministre, qui prendrait la décision. Là encore, tous les facteurs qui interviendraient sont les mêmes en ce qui concerne le caractère aléatoire des renseignements qui pourrait empêcher qu'une telle chose se produise, la présence de chasseurs au bon endroit au bon moment et la certitude absolue qu'il n'y a pas d'autre issue.
Le sénateur Banks: Pouvez-vous imaginer un scénario où le président des États-Unis, par le biais de NORAD, pourrait ordonner qu'on abatte un avion une fois que l'on a établi la certitude de toutes les choses dont vous avez parlé et dans une situation où des chasseurs canadiens seraient assujettis à un commandement commun? Un ordre pourrait-il être donné obligeant un chasseur de l'aviation canadienne à abattre un avion commercial polonais, par exemple?
Le lgén Macdonald: Les choses se dérouleraient d'abord dans le contexte de NORAD, où les mêmes règles d'engagement dont j'ai parlé s'appliqueraient. C'est ainsi que la qualité des renseignements est un facteur essentiel. Si l'avion est dans l'espace aérien des États-Unis, la décision appartient au président des États-Unis. Si l'avion est dans l'espace aérien du Canada, la décision appartient au premier ministre.
Il y a des circonstances où il peut arriver qu'un appareil de NORAD franchisse la frontière et où on s'est entendu pour que la décision soit bilatérale. Toutefois, si un avion est abattu au Canada, la décision appartient au premier ministre. Cela vaut également pour les États-Unis.
Le sénateur Cordy: J'aimerais aborder la question de l'agrandissement de l'OTAN. Le Canada et les États-Unis s'entendent-ils d'abord avant d'annoncer qu'ils sont prêts à appuyer tel ou tel nouveau pays souhaitant adhérer à l'OTAN, ou est-ce que chaque pays se prononce indépendamment de l'autre?
Mme Sinclair: C'est une décision indépendante. La décision finale d'admettre ou non un nouveau pays est prise par consensus de tous les pays membres de l'OTAN, mais chaque pays se prononce indépendamment des autres. La décision concernant les candidats que nous appuyons appartient au conseil des ministres du Canada.
Le sénateur Cordy: Les aspirants font des pieds et des mains pour devenir membre de l'OTAN. J'étais en Lituanie au printemps de l'année dernière et partout où nous allions, il y avait des centaines de personnes qui agitaient des drapeaux de l'OTAN le long des routes où nous passions dans des coins perdus. Les gens à bord des voitures et en vélo agitaient des drapeaux parce qu'ils voulaient absolument faire partie de l'OTAN.
Pendant le présent cycle se déroulant en 2002, l'adhésion à l'OTAN sera refusée à six pays. Quelles mesures pouvons-nous prendre pour encourager quand même les pays dont la candidature est rejetée? Je n'aime pas employer l'expression «rejetée», parce que ces pays ont fait tellement de chemin en si peu de temps. Que pouvons-nous faire pour qu'ils ne cessent pas de vouloir devenir membres de l'OTAN?
Mme Sinclair: Voilà une excellente question. Premièrement, on n'a pas fixé au préalable un chiffre pour le nombre de pays qui pourront adhérer à l'OTAN. Un tel chiffre n'existe pas dans le cas du présent cycle d'agrandissement. Tous les aspirants pourraient être acceptés, ou il pourrait y en avoir un seul. À l'heure actuelle au sein de l'OTAN, on semble pencher en faveur d'un agrandissement résolu plutôt que mitigé.
La question d'encourager la participation des autres est extrêmement importante. En premier lieu, il importera que l'OTAN ne ferme pas la porte au présent cycle d'agrandissement. Ce n'est pas dire qu'il n'y aura pas un autre cycle d'agrandissement.
En deuxième lieu, les pays peuvent offrir de l'aide bilatérale par le biais du Plan d'action pour l'adhésion. C'est de cette façon que ces pays sont encouragés à participer. Ils se feront aider à moderniser leurs armées ou à s'occuper des questions que le lgén Ross a mentionnées, telles que le contrôle civil des forces militaires. Il y a des mesures pour encourager les pays à continuer à participer à l'OTAN par le biais du partenariat pour la paix. Il y a d'autres tribunes où les pays peuvent participer aux activités de l'OTAN. Un pays peut faire partie de la famille des pays de l'OTAN.
Nous essayons toujours de faire comprendre aux aspirants que devenir membre est bien beau, mais que ce n'est pas nécessaire pour faire partie de la famille de l'OTAN, pour participer à certaines activités de l'OTAN et pour prendre part avec les autres à des opérations de maintien de la paix, par exemple. L'adhésion n'est pas le seul moyen permettant de profiter du partenariat avec les pays de l'OTAN, mais c'est bien sûr ce que préfèrent certains pays, comme vous l'avez signalé.
Le sénateur Cordy: Nous nous sommes tous réjouis lorsque Lord Robertson a invoqué l'article 5 sans hésitation. Toutefois, je dirais qu'il y a six mois, personne à l'OTAN n'aurait cru que l'article 5 serait jamais invoqué en faveur d'un pays de l'Amérique du Nord, surtout les États-Unis. Quelles sont les ramifications d'une telle situation? Quel changement y aura-t-il à l'OTAN, ou l'OTAN changera-t-elle à l'avenir à cause de ce qui s'est produit le 11 septembre en Amérique du Nord?
Mme Sinclair: Un des aspects positifs - même s'il est toujours difficile de trouver quelque chose de positif dans les événements du 11 septembre -, c'est-à-dire l'invocation de l'article 5, a permis de rappeler à tous que l'OTAN est vraiment une alliance transatlantique. Les gens se sont sans doute rendu compte aux États-Unis que cette alliance, que les Américains et les Canadiens pensaient être là pour protéger l'Europe, pouvait en fait protéger l'Amérique du Nord. Il y a aujourd'hui des avions d'alerte avancée de l'OTAN dotés d'équipage canadien qui participent au survol du territoire américain. La situation a simplement réaffirmé et renforcé le lien transatlantique, qui montre que nous sommes vraiment interdépendants. Voilà une chose extrêmement importante pour l'alliance.
Le président: J'aimerais revenir aux questions concernant la structure de commandement interarmées. Premièrement, du point de vue chronologique, les Américains débattent de cette question depuis un certain temps. Ils l'abordent dans leur propre contexte, celui d'un nouveau commandant en chef pour l'Amérique du Nord. Nous croyons qu'ils vont prendre une décision à ce sujet bientôt.
Aux fins du compte rendu, Lgén MacDonald, puis-je indiquer qu'il s'agit d'un oui?
Le lgén MacDonald: Ils n'ont rien indiqué à propos d'un délai pour cette décision ou à propos de la décision elle-même. Tout porte à croire qu'ils sont sur le point de décider, qu'ils ont fait le tour des options qui se présentaient à eux. Nous en déciderons nous-mêmes bientôt.
Le président: Il est surtout question ici d'une réorganisation visant la façon dont les Américains se structurent eux-mêmes militairement. Est-ce bien cela?
Le lgén MacDonald: Oui.
Le président: En ce qui concerne la composante canadienne, ou la façon dont le Canada s'insérera dans la structure, nous attendons qu'ils soient fixés eux-mêmes et ensuite nous amorcerons des discussions avec eux pour voir si c'est le modèle NORAD ou le modèle SACLANT qui prévaudra. Quel est le processus?
Le lgén MacDonald: Il importe de rappeler d'abord que le Plan de commandement unifié est une démarche interarmées, comme vous l'avez dit. Nos interventions et nos consultations auprès d'eux ont surtout visé à leur faire comprendre que NORAD est aujourd'hui une activité consacrée à la défense du territoire et qu'ils devraient tenir compte des conséquences pour NORAD dans toute décision qu'ils pourront prendre.
Nous travaillons surtout à leur faire comprendre que nous sommes d'avis que NORAD est un dispositif utile qui devrait être maintenu, qu'il est bon pour les deux pays d'avoir ce commandement qui s'occupe de la défense aérospatiale de l'Amérique du Nord et que nous tiendrions à ce que NORAD ne soit jamais subordonné à un commandant américain - c'est-à-dire, quels que soient les ajustements qu'ils apportent à leur processus de plan de commandement unifié, le commandant en chef pour NORAD doit toujours relever des autorités de commandement nationales tant du Canada que des États-Unis. Nous refuserions d'accepter que NORAD soit un commandement constitutif ou subordonné d'un commandant des États-Unis et, pour cette raison, d'accepter qu'il soit essentiellement subsumé sous un commandement américain.
Nous avons fait savoir également que, dans le contexte de leur commandement intérieur, il y a moyen d'améliorer nos rapports pour qu'ils aillent plus loin que l'aérospatiale et comprennent les aspects terrestres et maritimes de la défense mutuelle et pour qu'on puisse s'en occuper dans ce contexte.
Comme le mgén Ross l'a dit, nous n'avons pas eu de discussion détaillée parce qu'ils ne sont pas encore parvenus à une décision.
Le président: A-t-on exprimé un accord de principe à l'égard de l'expansion ou de l'amélioration des éléments maritimes et terrestres? Est-ce là quelque chose que les Américains ont accepté en principe?
Le lgén Macdonald: Ils ont réagi de façon positive à nos interventions en vue de discuter de ces possibilités. Nous ne disons pas que nous voulons créer une version terrestre ou maritime de NORAD, mais nous disons qu'il serait bon d'utiliser notre expérience de NORAD, qui donne de bons résultats depuis 44 ans, pour l'extrapoler dans d'autres domaines.
La défense aérospatiale se distingue surtout de la défense terrestre et navale par sa grande actualité. Il faut s'en occuper sur-le-champ pour qu'elle soit efficace. On ne peut attendre qu'un avion apparaisse à l'écran radar avant de commencer à rassembler les ressources pour y réagir. Dans un contexte terrestre ou naval, il peut être bien possible de procéder de cette façon. Il ne s'agit pas nécessairement de créer au Canada des forces permanentes à déployer dans le cadre d'un arrangement mutuel avec les États-Unis selon les besoins du jour, mais plutôt de mettre en place des plans d'urgence quelconques qui permettraient de répondre à ces situations critiques à terre et en mer. Nous n'avons pas d'arrangement précis avec eux dans ces domaines; il suffirait d'élargir les discussions pour explorer la possibilité d'un arrangement futur allant au-delà de la défense aérospatiale.
Mme Sinclair: Vous avez demandé comment le Canada s'insère dans la structure. Il importe de rappeler que le processus est en réalité itératif. Les États-Unis se sont fixé comme tâche de revoir leurs structures générales de commandement. Lorsque ce travail empiète sur des choses comme NORAD, comme le lgén Macdonald l'a dit, nous avons indiqué clairement où se situent nos intérêts dans NORAD et quelle importance nous y accordons et quelle importance nous attachons à préserver ces liens privilégiés parce qu'ils nous sont mutuellement avantageux. Le processus demeure toutefois itératif. On a fait comprendre aux États-Unis que lorsqu'ils apportent des changements qui se répercutent sur le Canada, ils doivent consulter le Canada. Nous parviendrons à nous entendre. Le lgén Macdonald a décrit les domaines où il y aurait peut-être lieu de discuter de l'expansion et de l'intensification de la coopération. À mon avis, il reste encore à définir toutes ces questions parce que les Américains n'ont pas finalisé leur plan de commandement unifié. Nous en sommes à l'étape de la consultation et c'est bel et bien ce que nous faisons avec eux pour veiller à ce que les résultats conviennent aux deux parties.
Le président: Serait-il juste de dire que l'on n'a pas encore choisi entre Colorado Springs et Norfolk pour le quartier général? Nous ignorons si ce sera un nouveau commandant en chef ou s'ils se contenteront de choisir l'un des commandants en chef actuels, n'est-ce pas?
Le lgén Macdonald: On a dit dans la presse que ce serait un nouveau commandant en chef; toutefois, il n'y a pas encore eu de décision. Une des solutions faciles à notre point de vue serait de prendre un commandant en chef existant ou un nouveau commandant en chef et de lui donner un second chapeau en l'appelant par exemple NORAD pour que nous puissions continuer à compter sur la prééminence de NORAD en tant que commandement binational relevant des deux autorités de commandement nationales.
Le président: Essayons de prédire à quelle structure les Américains vont aboutir: ce pourrait être une sorte d'organisation parallèle aux services du gouverneur Ridge qui réunirait à un moment donné la totalité du dispositif de sécurité qui serait en place. Il y aurait le commandant en chef pour l'Amérique du Nord, ou quel que soit le nom qu'on lui donnera, et celui-ci fonctionnerait en tandem avec le gouverneur Ridge. Est-ce bien cela?
Le lgén Macdonald: Voilà un aspect fort intéressant que vous aurez l'occasion d'approfondir lors de vos entretiens avec vos homologues américains. Nous ne savons pas au juste quels seront les liens entre le gouverneur Ridge et son organisation et ce nouveau commandement militaire. On ne nous a pas fait part des détails; nous doutons d'ailleurs qu'ils aient encore été complètement élucidés là-bas.
Le président: La Garde côtière relève-t-elle du gouverneur Ridge ou des chefs d'état-major combinés?
Le lgén Macdonald: Je ne sais pas au juste quels sont les liens entre la Garde côtière et le gouverneur Ridge. Je n'ai pas la réponse à cette question.
Le président: Elle rend compte aux finances et c'est tout?
Le lgén Macdonald: Elle mène ses activités en collaboration avec la marine, mais je ne sais pas au juste quels sont les liens entre le gouverneur Ridge et la Garde côtière.
Le mgén Ross: Les liens entre la Garde côtière américaine et les autres organismes gouvernementaux sont manifestement différents de ceux de notre propre garde côtière. Ce sont là des points que nous soulèverions dans les consultations pour préciser le sens de la responsabilité maritime, si elle appartient au gouverneur Ridge ou au secteur militaire, et, de notre côté de la frontière, pour préciser nos responsabilités à nous.
Le président: Nous tenons des réunions avec le Senate Select Committee on Intelligence, le House Committee on Intelligence, House Armed Services, Senate Armed Services. Dans quelle mesure pensez-vous que ces comités vont se pencher sur la question du commandement interarmées?
Le lgén Macdonald: Le Plan de commandement unifié ne met pas l'accent sur les questions internationales ou bilatérales mais plutôt sur l'organisation intérieure des commandements du pays. C'est le Congrès qui décidera en fin de compte de la création ou non d'un commandement supplémentaire, si c'est ce que l'on choisit de faire, et qui entérinera la nomination de la personne qui occupera ce poste. Les questions concernant NORAD n'occupent pas une place importante aux États-Unis. On s'intéresse davantage là-bas aux attributions d'un commandement pour la sécurité intérieure et aux liens qui existeraient avec les responsabilités du gouverneur Ridge.
Le président: À propos du temps qu'il faudra avant que les Américains ne parviennent à une décision, le commandement interarmées est une question qui relève surtout du domaine militaire intérieur. On ne sait trop quels seront les liens entre l'organisme du gouverneur Ridge et le commandement interarmées. Les Américains n'ont pas fourni de précisions. Selon moi, il est peu probable que les comités que vous avez mentionnés ne soient penchés sur la question de la participation du Canada. Allons-nous aborder avec eux des domaines inexplorés?
Mme Sinclair: Je crois que ce sera le cas, sénateur. Votre visite tombe à point nommé parce que vous pourrez les sensibiliser. Nous devons constamment rappeler notre présence aux Américains. Lorsqu'ils se mettent à parler de choses comme une nouvelle structure de commandement, il y a des conséquences pour le Canada. Il y a certainement du travail à faire tant dans la filière diplomatique que dans la filière militaire pour les sensibiliser au fait qu'il y a des conséquences pour le Canada. Ce serait très utile si vous pouviez aider à cette sensibilisation lorsque vous rencontrerez ces deux comités, parce qu'ils n'y penseront pas naturellement.
Le président: Si je vous ai bien compris, lieutenant général Macdonald, la principale question du point de vue de NORAD est le lien direct avec la structure nationale de commandement dans notre pays et le fait que nous n'accepterions pas aucune subordination quelconque sur ce plan.
Le lgén Macdonald: C'est exactement cela, monsieur le président. Nous sommes d'avis en partant que la continuation de NORAD est utile et avantageuse pour les deux pays.
Le président: Outre la question du lien avec la structure nationale de commandement dans notre pays, quels autres sujets aimeriez-vous que l'on aborde?
Le lgén Macdonald: La question tertiaire qui saute aux yeux est la suivante: Étant entendu que NORAD a donné les résultats voulus et que nous souhaiterions explorer l'amélioration de notre arrangement de sécurité mutuelle pour qu'il s'étende à la défense terrestre et à la défense navale, comment ces aspects seraient-ils intégrés à une relation de défense intérieure dans ce nouveau commandement et quel serait en fin de compte l'art du possible? À quel type d'accord nos deux pays peuvent-ils parvenir dans ce domaine?
Le sénateur Banks: Entre autres choses, on n'a pas encore décidé aux États-Unis de qui relèvera le commandement de l'Initiative de défense stratégique, une fois que celle-ci sera en oeuvre. Le Canada apporte une contribution importante à NORAD sur le plan des installations, des ressources humaines, de l'expertise et des chasseurs. Je crois que l'on peut dire sans risque d'erreur que la contribution du Canada sera moins importante dans le cas de l'Initiative de défense stratégique pour ce qui est de l'expertise, du matériel et des ressources humaines. Nous avons raison de réclamer un commandement interarmées pour NORAD. Ce sera difficile pour nous de le faire dans le cas de l'Initiative de défense stratégique. Si celle-ci est placée sous le commandement de NORAD - et c'est là une possibilité -, ne serions-nous pas dans une position difficile?
Le président: Vous en êtes à 5 $ avec l'initiative de défense stratégique.
Le sénateur Banks: C'est comme avoir une autre balle pour cible. Y a-t-il une autre façon de faire? Allons-nous constater qu'ils tiendront compte des choses qui importent pour nous, madame Sinclair? Serons-nous obligés d'aller frapper à leur porte en disant: «Vous avez oublié. Vous avez mis l'initiative de défense stratégique sous NORAD, et nous sommes vos nouveaux partenaires»?
Mme Sinclair: Comme dans le cas de bien d'autres choses que nous avons abordées aujourd'hui, la défense antimissile balistique, qui est la dernière incarnation de l'initiative de défense stratégique, est un travail en cours. Les Américains en sont à l'étape des essais. Ils font l'essai de nombreuses choses pour voir ce qui fonctionnera. Si quelque chose donne de bons résultats à l'étape des essais, ils pourraient décider de le mettre au point. Où ils placeront le commandement et le contrôle de ce système général, dont l'architecture n'a pas encore été élaborée, est encore un mystère.
L'important est de sensibiliser les Américains, comme nous le faisons dans le cas de la structure de commandement unifié. Vous parlez des choses qui empiètent sur NORAD et vous dites: «Nous sommes votre partenaire. Nous avons une relation de traité. C'est une chose qui nous tient à coeur. Nous avons des questions à cause de cette situation. NORAD est-il en mesure de faire face à lui seul aux défis de l'après-11 septembre?» Selon certains, il pourrait y avoir lieu d'améliorer les arrangements de sécurité. C'est là toutefois une question à laquelle les Américains et nous-mêmes n'avons pas encore de réponse. Où une telle structure de commandement devrait-elle être située? Les Américains ne l'ont pas encore précisé. NORAD est bien sûr une possibilité, mais il y en a d'autres que les États-Unis envisagent, ou en tout cas qui ont été mentionnées dans la presse. Elle pourrait être située dans le commandement interarmées. Ils pourraient retirer le commandement spatial de NORAD. Les possibilités sont nombreuses.
Le sénateur Banks: Dans le cas de l'initiative de défense stratégique, ou de la défense antimissile balistique, ce sont là de gros morceaux.
Le lgén Macdonald: L'initiative de défense antimissile balistique est une entreprise des États-Unis visant à défendre ce pays. Ils n'ont pas encore décidé de déployer le système. Ils en sont encore à l'étape des essais. Ils ne nous ont pas encore demandé si nous voulons être des partenaires dans la défense antimissile balistique, quel que soit le sens que l'on peut attribuer à une telle association. Chose certaine, ils ne confieraient pas la responsabilité de la défense antimissile balistique à NORAD sans notre consentement. Ils la confieraient à un commandement américain si nous décidons de ne pas participer, ou s'il ne semble y avoir aucun avantage à une participation binationale. Nous nous entendons toujours pour toutes les choses qui touchent NORAD.
Le sénateur Banks: J'espère que nous parviendrons à nous entendre dans ce cas-là parce qu'un jour, les débris nous tomberons sur la tête.
Le lgén Macdonald: Toute interception serait exo-atmosphérique, c'est-à-dire qu'elle se produirait dans l'espace. Comme il ne s'agit pas d'une détonation nucléaire ou d'une explosion quelconque - c'est en fait une balle qui frappe une autre balle, comme vous l'avez dit -, tout serait réduit en fragments. Le moindre objet serait presque entièrement consommé dans l'atmosphère. Certains débris pourraient arriver jusqu'à la terre. Ils ne seraient pas radioactifs ni de taille propre à causer des dommages importants.
Le sénateur Day: J'ai sous les yeux la documentation que vous avez fournie concernant le commandement unifié. Le sous-secrétaire de la Défense porte-t-il l'uniforme?
Le lgén Macdonald: Le sous-secrétaire de la Défense est une personne nommée par les responsables politiques. À l'heure actuelle, c'est M. Wolfowitz, un civil.
Le sénateur Day: Où se situent les chefs d'état-major combinés dans ce portrait? Je ne les vois pas ici. Où se situent-ils?
Le lgén Macdonald: C'est une chose que nous avons de la difficulté à saisir. Le secrétaire de la Défense est chargé en fin de compte des forces qu'il y a là. Le chef de l'état-major interarmes est bel et bien ce que dit son titre: il préside l'état-major et dirige le personnel du Pentagone ainsi que les chefs d'état-major des services, et tous se concertent pour fournir des conseils militaires et ainsi de suite. Aux États-Unis, les commandants en chef relèvent du secrétaire de la Défense. Bien sûr, ils ne prennent pas de décision sans la participation du chef de l'état-major interarmes. En fait, les chefs d'état-major combinés ont préparé ce plan de commandement unifié pour le chef de l'état-major interarmes afin qu'il le recommande au secrétaire de la Défense et, en bout de ligne, au président du pays.
Le sénateur Day: Le commandant en chef du commandement central, par exemple, relèverait directement du sous-secrétaire par l'intermédiaire du secrétaire de la Défense, mais rendrait des comptes également aux chefs d'état-major combinés par l'intermédiaire du chef de l'état-major interarmes. Est-ce exact?
Le lgén Macdonald: Oui, c'est exact.
Le sénateur Day: Ne devrions-nous pas essayer de mettre les chefs d'état-major combinés dans ce portrait?
Le lgén Macdonald: Ces renseignements nous viennent de sources américaines. Là encore, c'est le résultat du commandement suprême qu'exerce le secrétaire de la Défense.
Le sénateur Day: Si je tourne la page, je vois que le bureau du chef de l'état-major interarmes est chargé de certaines choses, mais vous n'indiquez pas ce bureau dans votre schéma.
Le lgén Macdonald: Non, là aussi, ces renseignements nous viennent des États-Unis.
Le sénateur Day: Ce peut être une source de confusion pour le profane. Je peux voir où se situent les responsabilités du chef de l'état-major interarmes à l'égard du Canada, du Mexique et de la Russie.
Le lgén Macdonald: Ces choses relèvent de lui parce que ces pays ne se trouvent pas sous un autre commandant en chef dans leurs domaines de responsabilité.
Le sénateur Day: Il conviendrait peut-être que nous leur en parlions.
Le lgén Macdonald: Vous pourriez certainement vous renseigner sur le rôle du chef de l'état-major interarmes aux États-Unis et sur les modifications constitutionnelles et ainsi de suite. Tout cela figure clairement dans le tableau.
Le sénateur Day: Le chef de l'état-major interarmes ne figure même pas dans le schéma.
Le lgén Macdonald: Il ne figure pas dans la chaîne de commandement menant aux commandants en chef. Les commandants en chef sont ce qu'ils appellent des «commandants de guerre». Aux États-Unis, l'armée de terre, la marine et l'aviation fournissent les forces qui assureront la conduite de ces opérations. Le chef de l'état-major interarmes joue un rôle plus direct au sein des services.
Le sénateur Day: Lieutenant général Macdonald, c'est la réponse que j'attendais de vous. Nous nous sommes entretenus avec des unités opérationnelles à Halifax et elles nous ont dit que dès qu'elles entrent en mode opérationnelle, elles relèvent de vous, par opposition au commandant régional. Est-ce exact, et est-ce là le même type de situation?
Le lgén Macdonald: Nous faisons une distinction entre l'utilisation d'une force et la mise sur pied d'une force, cette dernière étant le travail consistant à entraîner et à équiper les personnes ou les unités nécessaires pour conduire les opérations. Toutefois, dès qu'ils sont déployés, comme on le fait en Afghanistan à l'heure actuelle, dès qu'ils partent en mission, le commandement passe, dans le cas de l'armée de terre, du chef de l'état-major de l'armée de terre au chef d'état-major de la Défense, qui est en fin de compte le commandant canadien de ces forces outre-mer.
Le sénateur Day: Cette structure est-elle semblable à celle que l'on retrouve aux États-Unis? L'opération en est-elle l'élément déterminant?
Le lgén Macdonald: Je ne sais pas au juste s'ils appellent ça là-bas «la mise sur pied d'une force», mais ils utilisent l'expression «entraîner et équiper systématiquement». L'aviation, l'armée de terre et la marine se chargeraient d'entraîner et d'équiper systématiquement les forces que déploieraient les commandants en chef indiqués dans votre tableau.
Le président: Je vous remercie, madame Sinclair, lieutenant général Macdonald et major général Ross. Notre séance cet après-midi a été instructive. Nous vous sommes reconnaissants du temps que vous avez mis pour nous aider à nous préparer. Nous vous remercions également de la documentation que vous nous avez envoyée. Vous êtes des témoins que nous nous plairons d'écouter à nouveau.
Sénateurs, je lève la séance.
La séance est levée.