Aller au contenu
ENEV - Comité permanent

Énergie, environnement et ressources naturelles


Délibérations du comité sénatorial permanent de
l'Énergie, de l'environnement et des ressources naturelles

Fascicule 8 - Témoignages


OTTAWA, le jeudi 10 mai 2001

Le Comité sénatorial permanent de l'énergie, de l'environnement et des ressources naturelles, auquel a été renvoyé le projet de loi S-15, Loi visant à donner à l'industrie canadienne du tabac le moyen de réviser son objectif de prévention de la consommation des produits du tabac chez les jeunes au Canada, se réunit aujourd'hui à 9 h 10 pour étudier le projet de loi.

Le sénateur Mira Spivak (vice-présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La vice-présidente: Bonjour et je souhaite la bienvenue à nos témoins, le Dr Robert Cushman et le Dr Andrew Lynk. Nous sommes ici pour examiner le projet de loi S-15, Loi visant à donner à l'industrie canadienne du tabac le moyen de réaliser son objectif de prévention de la consommation des produits du tabac chez les jeunes au Canada.

Je sais que vous avez un exposé à nous présenter. La parole est à vous. Les sénateurs auront des questions à vous poser.

Dr Andrew Lynk, Société canadienne de pédiatrie: Honorables sénateurs, je vous remercie de m'avoir invité à témoigner devant vous aujourd'hui. Je suis le Dr Andrew Lynk. Je suis pédiatre communautaire à Sydney, en Nouvelle-Écosse. Je vous parle aujourd'hui au nom de la Société canadienne de pédiatrie. Nous sommes un organisme national. Nous représentons 2 000 pédiatres canadiens des quatre coins du pays. L'une de nos principales missions consiste à protéger la santé et le bien-être des 7 millions d'enfants et d'adolescents du Canada.

Je tiens à bien préciser, honorables sénateurs, que la Société canadienne de pédiatrie appuie énergiquement le projet de loi S-15. Les initiatives fédérales de réduction du tabagisme qui ont été annoncées le 5 avril 2001 sont les bienvenues, mais nous les jugeons insuffisantes.

Tous les sénateurs sont certainement au courant des effets que les produits du tabac ont sur la santé, mais je voudrais toutefois en souligner quelques-uns.

Nous savons que le tabagisme est la principale cause de décès, de morts prématurées et de maladies qu'il serait possible d'éviter, au Canada. L'utilisation des produits du tabac provoque de nombreuses formes de cancer, de maladies cardiaques, d'accidents cérébrovasculaires, de maladies chroniques des poumons et, pour ce qui est des enfants, elle est associée à la naissance d'enfants morts-nés, d'un poids insuffisant à la naissance, à la mort subite du nourrisson et à des effets négatifs à long terme sur le comportement neurologique. Le tabagisme tue prématurément 45 000 Canadiens chaque année. C'est plus que le nombre de décès causés à la fois par le SIDA, les accidents d'automobile, l'alcoolisme, la toxicomanie, les homicides et les suicides. C'est plus que le nombre total de Canadiens qui sont morts au combat pendant les six années qu'a duré la Seconde Guerre mondiale.

Plus de 200 000 enfants canadiens deviennent chaque année dépendant de la nicotine et environ 25 p. 100 d'entre eux sont destinés à mourir à cause de cette dépendance avant d'atteindre la cinquantaine. Nous savons qu'environ 25 p. 100 des adultes canadiens fument. Ce pourcentage varie d'environ 20 p. 100 en Colombie-Britannique à 29 p. 100 en Nouvelle-Écosse. La proportion de fumeurs reste plus élevée dans les populations des Premières nations, inuites et métisses.

À peu près 29 p. 100 des adolescents canadiens fument. Cela fluctue de 24 p. 100 en Colombie-Britannique à 36 p. 100 en Nouvelle-Écosse. Dans ma région du Cap-Breton, 40 p. 100 des adolescents fument y compris environ 50 p. 100 des jeunes femmes enceintes.

Dans 80 p. 100 des cas, la dépendance à la nicotine commence avant l'âge de 16 ans. Par conséquent, quand les fabricants de produits du tabac nous disent que les adultes choisissent de fumer ou non, c'est faux. Le tabagisme est une toxicomanie qui touche les jeunes.

Près de 50 p. 100 des enfants canadiens sont exposés quotidiennement à la fumée de tabac ou fumée secondaire qui contient plus de 40 agents cancérigènes. Cette exposition peut être associée à l'incidence accrue de l'asthme, de la pneumonie, du cancer et de la mort subite du nourrisson. En résumé, il s'agit d'un véritable carnage.

Les ministères de la santé, les administrateurs d'hôpitaux et les économistes de la santé invitent, à juste titre, les médecins à justifier leur utilisation des ressources en produisant des preuves. C'est ce qu'on appelle la médecine fondée sur les résultats. Nous estimons que les gouvernements ont également l'obligation d'élaborer et de mettre en place des politiques fondées sur les résultats qui amélioreront la santé de tous les citoyens.

Les études publiées sur la santé fournissent toutes les données voulues pour concevoir et mettre en oeuvre une stratégie de réduction du tabagisme à la fois efficace et complète. Je voudrais mentionner trois documents que vous connaissez sans doute. Il y a d'abord le document de Centers for Disease Control and Prevention, des États-Unis, intitulé: «Best Practices for Comprehensive Tobacco Control Programs», qui a été publié en août 1999. Il y a aussi le rapport du U.S. Surgeon General de décembre 2000. Pour être un peu chauvin, il y a aussi, au Canada, le rapport du comité directeur de la Stratégie nationale de lutte contre le tabagisme qui a été produit par les sous-ministres de la Santé des provinces et des territoires en 1999.

À eux trois, ces documents tracent la voie à suivre pour la mise en oeuvre d'une stratégie nationale efficace. Je dirais que le projet de loi S-15 nous donne les moyens de le faire.

Quand vous examinez les programmes de réduction du tabagisme mis en oeuvre avec beaucoup de succès à des endroits comme la Californie et le Massachusetts, vous pouvez voir que plusieurs éléments clés contribuent à leur efficacité. Il faut des programmes alliant la prévention à la protection et à la cessation. Il faut que l'évaluation et la reddition de comptes en fassent partie intégrante. Mais surtout, il faut un financement stable et durable allant de 9 $ à 24 $ par personne et par an. Il faut également une coordination aux niveaux communautaire et régional.

L'étude de Centers for Disease Control et l'étude canadienne reconnaissent toutes les deux qu'une stratégie globale incluant ces éléments essentiels a de bonnes chances d'avoir des effets positifs sur la réduction du nombre de personnes qui commencent ou qui continuent à consommer des produits du tabac. La Société canadienne de pédiatrie se réjouit des initiatives que le gouvernement fédéral a récemment prises pour réduire le tabagisme, mais nous les jugeons insuffisantes. En fait, elles risquent même de compromettre la crédibilité des initiatives futures de réduction du tabagisme. Nous exhortons le Sénat à adopter ce projet de loi pour les raisons suivantes.

La première raison est que le projet de loi S-15 remédie à l'insuffisance du financement. Le gouvernement fédéral propose d'accroître son financement de la réduction du tabagisme de 66 cents à un peu plus de 3 $ par personne. Le projet de loi S-15 porterait ce chiffre à 12 $, conformément aux lignes directrices émises par Centers For Disease Control qui recommande entre 9 $ et 24 $ par tête.

Deuxièmement, le projet de loi S-15 prévoit un financement à long terme de 360 millions de dollars par année. Le gouvernement fédéral n'offrirait que 96 millions de dollars pour cinq ans. Et rien ne garantit que ce montant ne serait pas réduit. C'est ce qui est arrivé au budget de réduction du tabagisme dans les années 90. À l'époque, le gouvernement a sabré un peu partout dans le cadre de son programme d'austérité. Je peux vous dire qu'il faudra beaucoup plus de cinq ans pour réduire nettement le carnage que cause actuellement le tabagisme.

Troisièmement, le projet de loi S-15 crée une fondation indépendante chargée d'administrer les ressources apportées par ce prélèvement. La fondation est établie sur l'excellent modèle des Instituts canadiens de recherche en santé. Cela présente plusieurs avantages. Premièrement, cela dépolitise la réduction du tabagisme. Nous savons, d'après l'expérience américaine et canadienne, que la classe politique peut s'ingérer dans un programme efficace. Deuxièmement, 10 p. 100 du financement est réservé à l'évaluation, ce que nous jugeons essentiel. Nous pourrons être informés des réussites et des échecs. Cela permettra aussi bien à ceux qui élaborent les politiques de réduction du tabagisme qu'aux chercheurs de concevoir de meilleurs programmes fondés sur les résultats publiés.

Nous approuvons les initiatives fédérales visant à accroître les taxes sur le tabac, mais nous estimons que ces taxes ne sont pas suffisamment élevées. Même s'il aurait fallu le faire depuis longtemps, nous applaudissons à l'augmentation des taxes à l'exportation sur le tabac qui doivent diminuer la contrebande. Nous apprécions les efforts déployés pour établir des objectifs décennaux mesurables, mais ils sont plutôt faibles et timides.

Nous doutons que ces mesures remédieront vraiment aux méfaits du tabac sur la santé. Les ressources et les délais prévus sont trop limités. Je vous rappelle que, l'année dernière, quand ce projet de loi a été soumis au Sénat sous le numéro S-20, deux sur trois PDG des principaux fabricants de tabac du Canada l'ont appuyé. Je ne sais pas exactement pourquoi, mais ils l'ont fait. C'est ce qui compte.

La Société canadienne du cancer a effectué, il y a un an environ, un sondage qui a révélé que 74 p. 100 des Canadiens appuyaient cette mesure.

En résumé, nous croyons que nous perdons la guerre contre le tabagisme. En 1990, 21 p. 100 de nos jeunes fumaient et en 1998, il s'agissait de 29 p. 100. Quarante-cinq mille Canadiens meurent chaque année et plus de 200 000 nouveaux enfants-soldats sont recrutés chaque année. Croyez-moi, ils sont recrutés activement par l'industrie du tabac. Ne vous y trompez pas, c'est une véritable guerre.

Étant donné nos connaissances actuelles, nous pouvons faire un pas de géant. Le climat social est beaucoup plus propice à des changements importants qu'il ne l'était il y a cinq ou 10 ans. Comme je l'ai mentionné à certains sénateurs autour de la table, la semaine dernière, à Halifax, lorsque j'ai commencé à exercer la médecine comme pédiatre au Cap-Breton, il y a une dizaine d'années, j'avais beaucoup de choses à apprendre. Je suis allé dans les salles de travail et d'accouchement de l'hôpital. Je me souviens d'avoir accouché un prématuré si petit qu'il tenait sur la paume de ma main. Il était prématuré de deux mois et avait des problèmes respiratoires. J'ai dû le sortir de la pièce et l'emmener au bout du couloir au service néonatal de soins intensifs. Sur mon chemin, j'ai dû passer devant la salle d'attente où tous les membres de sa famille attendaient. Ils fumaient à pleins poumons. Une fumée bleue se répandait dans le couloir et j'ai dû faire traverser cette fumée à ce pauvre bébé qui avait du mal à respirer.

Je me suis dit que c'était insensé. Nous avons alors déployé de gros efforts pour interdire que l'on fume au troisième étage, où se trouvait le service d'obstétrique. Plus tard, nous avons voulu faire interdire totalement de fumer dans l'hôpital. On m'a traité de fasciste. Des gens m'ont écrit des lettres d'insultes.

Maintenant, 10 ans plus tard, avec l'aide d'Ottawa et du Dr Cushman, le médecin hygiéniste d'Ottawa-Carleton, la ville de Sydney en Nouvelle-Écosse a adopté un règlement municipal qui interdira de fumer dans tous les restaurants, bars et casinos. Il entrera en vigueur d'ici deux ans. Ottawa en a fait autant. Nous avons battu Ottawa d'une semaine, je dois dire, mais nous avons travaillé ensemble. Voilà où nous en sommes.

Le président: Tout est plus lent ici.

Dr Lynk: J'ai un patient de 17 ans qui souffre de fibrose kystique. La fibrose kystique est une maladie qui engorge progressivement vos poumons de mucus. Elle détruit vos poumons. Les jeunes en meurent à l'adolescence ou dans la vingtaine. La semaine dernière, ce jeune patient a quitté l'hôpital en me disant: «Docteur Lynk, je crois vraiment que, cette fois, je vais mourir. J'ai l'impression que je vais mourir parce que mon état s'aggrave». Je lui ai dit qu'en effet il s'aggravait. Il fume. Il fume depuis l'âge de 12 ans. Nous avons essayé de le faire arrêter en l'aidant avec des timbres de nicotine et des pilules. Nous n'y arrivons pas. Cela montre à quel point la nicotine crée une accoutumance. L'accoutumance à la nicotine et les méthodes de marketing de l'industrie du tabac créent une combinaison mortelle.

Sénateurs, vous avez aujourd'hui une occasion historique de légiférer pour assurer un financement soutenu et important pour un programme de réduction du tabagisme fondé sur les résultats et vraiment complet. Vous avez la possibilité de lutter contre ce terrible carnage. Si les 45 000 jeunes qui vont mourir mourraient immédiatement plutôt que dans 20 ou 30 ans, je crois que les choses bougeraient beaucoup plus vite.

Les effets du projet de loi S-15 sur la santé équivaudront à ceux des programmes et des lois régissant la pureté de l'eau, les ceintures de sécurité et la vaccination ou ils les surpasseront. Si le gouvernement fédéral adopte le projet de loi S-15 ou une mesure semblable sur le plan des principes ou du financement, il fera sans doute plus pour la santé du pays que nos milliers de spécialistes du coeur, du poumon ou du cancer ne pourront accomplir au cours de leur vie. Cela ne fait aucun doute. Le Dr Cushman et moi-même ainsi que les autres médecins ne pouvons pas gagner cette guerre. Nous la perdons. Nous avons besoin de votre aide.

L'accoutumance au tabac est la principale maladie pédiatrique de notre époque. Si le gouvernement fédéral et les provinces voulaient prendre une mesure pour inaugurer leur programme national pour les enfants, le projet de loi S-15 est ce qu'il leur faut. Nous exhortons le Sénat à l'adopter.

Dr Robert Cushman, médecin chef en santé publique, Région d'Ottawa-Carleton, Service de la santé: Merci beaucoup, monsieur le président. Bonjour, sénateurs. C'est un plaisir que d'être ici pour vous parler de cette question très importante. Je dois dire qu'une bonne partie de notre exposé reprendra les mêmes thèmes que ceux dont le Dr Lynk a parlé. Il est difficile de prendre la parole après lui. Je vais toutefois essayer de mettre en lumière certains des faits mentionnés par le Dr Lynk. Il a fait valoir de façon très convaincante l'importance de ce projet de loi. Il a souligné qu'il pourrait s'agir d'une des principales mesures novatrices prises au nom de la santé publique au Canada. Nous voudrions que cette mesure se retrouve au même niveau que les lois qui ont mis en place les programmes de vaccination et la ceinture de sécurité.

Nous reconnaissons que le gouvernement fédéral a réalisé quelques progrès récemment dans sa lutte contre le tabagisme, mais certaines choses continuent de nous inquiéter. Il y a d'abord l'indépendance de Santé Canada. En raison des pressions politiques auxquelles le Dr Lynk a fait allusion, Santé Canada n'a pas réussi, jusqu'ici, à lutter efficacement contre le tabagisme.

Il y a ensuite les 3 $ par personne que l'on consacre à cette lutte. Vous avez entendu dire que ce montant était insuffisant et nettement en dessous des lignes directrices des pratiques exemplaires.

Pour placer les choses dans leur contexte, le gouvernement veut consacrer 3 $ par habitant à la lutte contre le tabagisme. Cela donne environ 100 millions de dollars par an. Mesdames et messieurs, ce montant correspond au déficit total des hôpitaux locaux. C'est leur marge d'erreur. Pensez à quel point il s'agit là d'un problème plus grave. Sur le plan coûts-avantages, ce chiffre est ridicule. Il est tout à fait insuffisant. Comme je l'ai dit, cela correspond au déficit total des hôpitaux locaux. Cela représente la marge d'erreur des gestionnaires ou peut-être le sous-financement des hôpitaux. C'est ridicule par rapport à ce que nous pourrions faire avec plus d'argent.

Il y a ensuite l'instabilité politique, le fait que l'argent va et vient et risque d'être supprimé. Ce projet de loi est conçu de façon à ce que le financement soit fonction de l'ampleur du problème. Plus on vend de cigarettes, plus le problème est grand et plus il y a d'argent pour le combattre. En principe, lorsque cette guerre sera gagnée, nous pourrons entamer une démilitarisation.

La quatrième question que j'aborderai est le document concernant les Pratiques exemplaires pour les programmes de réduction du tabagisme et ses évaluations. Personne au Canada ne comprend mieux la question que le sénateur Kenny. Il mérite nos applaudissements.

C'était l'anniversaire du débarquement quand j'ai comparu pour la dernière fois devant le comité. Vous avez entendu dire que le tabac tue chaque année plus de Canadiens que la Seconde Guerre mondiale n'en a tué. Je voudrais faire quelques analogies avec le jour du débarquement, comme je l'ai fait ce jour-là.

Nous avons besoin d'une approche globale. Vous ne pouvez pas vous attaquer à un seul aspect du problème. Le débarquement s'est fait avec les forces maritimes, aériennes et terrestres. Ce déploiement a eu un effet multiplicateur fantastique. C'est à cela que ressemble ce projet de loi. Vous avez besoin de la prévention, de la protection et de la cessation. Tous ces éléments vont ensemble. Pris individuellement, ils n'apportent pas grand-chose, mais ensemble, ils ont un effet multiplicateur important.

Deuxièmement, nous avons besoin d'argent. Nous avons besoin de ressources. Pensez à tout ce qui a été consacré au débarquement. On nous a dit que nous ne pouvions pas dépenser tout cet argent immédiatement. Qu'il fallait le laisser gagner des intérêts à la banque pendant qu'on préparait un plan. En réalité, nous avons déjà de nombreux plans à notre disposition. Les autorités en place ne nous ont pas encore dit quels étaient leurs plans et quels étaient leurs buts.

Troisièmement, laissons les généraux faire le travail. Je vous raconterai quelques anecdotes pour vous montrer les difficultés que me posent les tracasseries administratives et les problèmes de financement. Laissons les gens en première ligne faire leur travail. Laissez mes infirmières hygiénistes faire leur travail dans les écoles. Elles ne devraient pas avoir à se soucier du financement. Notre programme ne devrait pas se trouver réduit du tiers parce que quelqu'un est en congé d'invalidité de longue durée. Ce sont des ressources précieuses et fragiles.

Voilà mon analogie avec le jour du débarquement. Il nous faut une approche globale et des ressources adéquates.

Pour ce qui est d'une approche globale, vous avez entendu parler de l'importance de tous ces facteurs, y compris le prix, mais je voudrais en revenir directement au but de ce projet de loi. Son but est de protéger nos jeunes.

Des chiffres vous ont été cités ce matin. Environ 29 p. 100 des jeunes Canadiens fument. Ces statistiques sont les plus importantes pour la santé publique du pays. Elles révèlent deux choses. Elles révèlent ce qui se passe avec nos jeunes. Lorsqu'ils arrivent à l'âge de 19 ans, ils sont déjà dépendants du tabac ou ils commencent à fumer et sont sur le point d'en devenir dépendants. Cinquante pour cent d'entre eux seront incapables d'arrêter. Environ 45 000 personnes mourront chaque année. Voilà le chiffre le plus important. Il l'est davantage que le pourcentage de naissances de bébés de faible poids ou l'espérance de vie moyenne. C'est le chiffre le plus essentiel et c'est sur ce problème que porte le projet de loi.

Je voudrais vous relater quelques anecdotes personnelles puisées dans mon expérience de travail, ici, à Ottawa. J'ai trois infirmières dans les écoles de la région. L'une d'elle est en congé d'invalidité de longue durée. Nous avons maintenant deux infirmières pour 300 écoles. Cela représente 150 000 élèves. Que faisons-nous?

Vous avez entendu parler des difficultés des enseignants. Pensez-vous qu'avec le nouveau programme scolaire et tout ce qu'exigent les activités parascolaires, les enseignants peuvent s'attaquer au problème du tabagisme? Certainement pas. Sur trois infirmières, l'une est malade à la maison et il m'en reste donc deux.

Combien coûterait un bon programme scolaire, un programme dont la planification serait centralisée, mais qui serait mis en oeuvre au niveau local? Je suppose que nous pourrions le faire pour 2 $ ou 3 $ par enfant. Il y a peut-être 800 000 habitants à Ottawa. Je pense que nous pourrions offrir ce programme qui changerait vraiment les choses pour 800 000 $.

Qu'en est-il de la vente de tabac aux mineurs? L'Ontario a une loi sur la réglementation de l'usage du tabac. J'ai deux agents d'application qui font le tour de la ville d'Ottawa. Il y avait deux agents fédéraux pour les aider. Ils ne les aident plus. Santé Canada a décidé que, comme l'Ontario faisait un excellent travail, les deux agents fédéraux n'étaient plus nécessaires. On ne voulait pas dédoubler les services. Le nombre d'agents d'application est donc tombé de quatre à deux. A-t-on tenu compte des résultats? A-t-on tenu compte des objectifs? Le but visé est un taux d'application de 90 p. 100, autrement dit, neuf magasins du coin sur 10 qui ne vendent pas de tabac aux enfants. Pourtant nous plafonnons à 70 p. 100. Cela veut dire que dans ces magasins, trois marchands sur 10 vendent du tabac aux enfants.

Nous n'atteignons pas nos objectifs. Pourtant, le gouvernement fédéral a cru bon de décider que l'Ontario faisait un excellent travail et qu'il fallait réduire le nombre d'agents à Ottawa de quatre à deux.

Combien cela coûterait-il? Encore une fois, je crois qu'il faudrait débourser un dollar par habitant pour avoir un programme vraiment efficace dans cette ville. Tout cela correspond au prélèvement. En fait, je pense que «prélèvement» n'est pas le bon mot, mais le montant que vous envisagez est, je crois, de 1,50 $ par carton. Nous pourrions le faire ici. Comme nous avons pu le constater dans l'Illinois et ailleurs, si vous avez des agents bien visibles dans les rues, ils ont le même effet que des policiers qui distribuent des amendes pour excès de vitesse. Quand les marchands voient ces agents, ils ne vendent pas de tabac aux enfants. Les jeunes ont beaucoup plus de difficulté à s'en procurer.

Qu'en est-il de la cessation du tabagisme? Nous avons 29 p. 100 de jeunes qui fument. Par conséquent, nous devons nous occuper non seulement de la prévention, mais aussi de la cessation. L'autre jour, j'avais dans mon bureau un pédiatre avec qui nous avons discuté de la façon dont nous pourrions assigner un médecin à chaque école secondaire d'Ottawa pour organiser des cliniques de cessation du tabagisme.

Nous avons besoin d'infirmières hygiénistes et d'autre personnel pour les soutenir. Tout cela se paie. Nous n'en avons pas les moyens.

Nous avons envisagé toutes sortes de combines. Les médecins ne pourraient-ils pas apporter leur numéro OHIP à l'école? Pourrions-nous gonfler la facture à présenter à l'OHIP afin de pouvoir payer les infirmières?

Les professionnels de la santé en première ligne devraient s'occuper seulement de la santé. Nous devrions nous occuper de la prévention et de la cessation. Nous ne devrions pas avoir besoin de devenir des comptables malhonnêtes.

Que faisons-nous des règlements municipaux? Les règlements municipaux sont importants pour les enfants. Ils les protègent. Comme on vous l'a dit, un grand nombre de nos enfants sont exposés à la fumée secondaire. Quand on prend des mesures d'hygiène publique, ils sont protégés dans les lieux publics. Ils sont aussi protégés dans les lieux privés, car cela sert de modèle.

C'est également excellent pour les jeunes, pour les enfants. Ils ne peuvent pas quitter l'école pour aller fumer dans la gargote d'en face. Ils n'ont nulle part où aller sauf à l'extérieur. Cela dénormalise le tabagisme et le rend plus difficile. J'hésite à le dire en présence de mon collègue, mais nous avons dépensé pas mal d'argent pour amener les citoyens à appuyer le règlement municipal et il nous faudra maintenant dépenser davantage pour son application. Pour 2 $ par habitant, vous pouvez avoir un règlement municipal n'importe où au Canada. Vous pouvez en avoir un pour interdire de fumer et un autre pour faire respecter l'interdiction la première année, s'il y a des problèmes. On passe ensuite à une surveillance régulière.

Où avons-nous trouvé notre dollar par habitant pour obtenir notre règlement municipal? Nous avons dû demander des subventions. Nous avons envoyé des demandes. Nous ne savions pas si nous allions ou non les obtenir. Nous avons eu de la chance. Nous avons reçu un peu d'argent du programme ontarien de réglementation de l'usage du tabac. Pour quelque chose d'aussi simple qu'un règlement municipal, nous avons dû nous adresser aux organismes subventionnaires.

Santé Canada s'est rallié à nous plus tard. J'ai reçu son appel tardif en mars. Nous avons obtenu un peu d'argent et nous devons le dépenser avant la fin de l'année. Nous n'avions pas obtenu un sou jusque-là.

J'ai une autre histoire à vous raconter. Cet argent était destiné au règlement municipal d'Ottawa. C'était de l'argent du programme antitabac de Santé Canada, mais il devait servir exclusivement pour les enfants. En fait, cet argent provenait d'un programme de nutrition. Le tabac associé à un programme de nutrition! L'argent a été envoyé à un organisme privé avant qu'il n'aboutisse dans un regroupement. Il s'est finalement retrouvé dans les poches du médecin hygiéniste afin qu'il puisse travailler à ce règlement municipal.

Mesdames et messieurs, les choses ne devraient pas se passer ainsi. Nous avons besoin d'un financement stable. Nous savons ce qu'il est possible de faire et ce qu'il faut faire. Nous savons qu'en Californie, le taux de tabagisme chez les jeunes est tombé d'environ 30 p. 100 à 10 p. 100. Nous avons vu les belles annonces de santé publique. Santé Canada peut certainement acheter ce genre d'annonces, mais nous avons besoin de programmes plus vastes, plus complets et plus approfondis.

Je passe la moitié de mon temps à me battre contre la bureaucratie et à chercher des moyens détournés de trouver de l'argent pour mon programme de lutte contre le tabagisme. Je devrais pouvoir faire mon travail. Je dirais même que mon personnel devrait pouvoir, lui aussi, faire son travail.

N'oubliez pas que nous sommes passés de quatre agents d'application à deux dans cette ville. Une de nos trois infirmières est chez elle en congé d'invalidité de longue durée. Comme l'a dit le Dr Lynk, nous avons là une merveilleuse possibilité. Cela peut changer énormément les choses et protéger nos enfants et nos adolescents.

Comme je vous l'ai déjà dit, 29 p. 100 des jeunes fument à l'âge de 19 ans. Ils ne commencent pas plus tard. Un grand nombre de ces jeunes ne pourront pas renoncer à la cigarette et mourront. Voilà la statistique la plus importante. C'est la principale statistique d'hygiène publique sur laquelle vous vous penchez ici aujourd'hui.

Le président: C'était là un témoignage très éloquent de la part des deux médecins.

Le sénateur Spivak: Docteur Link, on découvre que de plus en plus de maladies, y compris la mort subite du nourrisson, sont causées par le tabagisme. Est-ce une découverte récente? Pourriez-vous nous en dire plus? S'agit-il de la cause ou d'une partie de la cause de la mort subite du nourrisson?

Dr Lynk: On s'en est probablement rendu compte au cours des cinq à huit dernières années. Si vous ne le savez pas, la mort subite du nourrisson est la principale cause de décès chez les enfants âgés de 1 mois à 1 an, du moins jusqu'à récemment. On l'appelait avant la «mort au berceau». Autrement dit, vous mettez au lit un enfant en bonne santé et vous le trouvez mort le lendemain matin.

Le sénateur Taylor: Je ne savais pas que c'était aussi fréquent.

Dr Lynk: Oui. Les épidémiologistes, ceux qui ont étudié la question, ont constaté que plusieurs facteurs contribuent à la mort subite du nourrisson. Les victimes sont notamment des enfants qui vivent dans des maisons où l'on fume la cigarette. Il s'agit aussi des enfants placés sur des matelas trop mous. En troisième lieu, il y a des enfants couchés dans une pièce où la température est trop élevée. Tous ces facteurs contribuent au décès. La principale cause est l'exposition à la fumée de cigarette.

Le tabagisme n'est pas la seule cause de la mort subite du nourrisson. Il y a aussi d'autres circonstances exceptionnelles. Il arrive que des enfants soient tués et que leur décès soit attribué à la mort subite du nourrisson. Il y a toutes sortes de facteurs différents.

Une autre cause importante était la position de l'enfant. On faisait coucher les enfants sur le ventre. Nous disons maintenant qu'il vaut mieux les coucher sur le dos, dans un environnement sans fumée. On a démontré en Nouvelle-Zélande et chez nous que ces mesures diminuent de presque la moitié l'incidence de la mort subite du nourrisson. La fumée de cigarette est toutefois un facteur de risque important.

Le sénateur Spivak: Quel est le lien? Est-ce les poumons? Quel est l'effet du tabac?

Dr Lynk: Nous ne le comprenons pas entièrement. Les deux sont associés. Nous ne savons pas dans quelle mesure il s'agit véritablement d'un facteur causal. C'est peut-être parce que les fumeurs appartiennent à un groupe socio-économique moins élevé, qu'ils vivent dans des conditions de logement médiocres et qu'ils dorment dans des lits mal construits. Nous l'ignorons. Certains pensent qu'il s'agit peut-être d'un effet direct sur l'appareil respiratoire des nourrissons. Nous n'en sommes pas certains.

Le sénateur Spivak: Quelles recherches fait-on pour relier le tabagisme et le tabac à d'autres maladies chroniques? Je veux parler par exemple du syndrome de fatigue chronique et des migraines. Certaines personnes soupçonnent la pollution, mais je me demande si l'on fait actuellement des démarches pour voir si le tabac est relié à ces maladies et à d'autres. J'ai l'impression que nous en apprenons davantage sur les méfaits du tabac année après année. Il y a des effets qu'on n'a jamais soupçonnés.

Dr Lynk: C'est un domaine de recherche auquel ceux qui étudient la santé de la population s'intéressent en permanence. Les épidémiologistes sont des spécialistes de la santé de la population. Je ne sais pas exactement quoi vous répondre pour ce qui est des maladies reliées au tabagisme. Il serait presque plus facile de vous indiquer celles qui n'y sont pas reliées étant donné que la liste est très longue. Le Dr Cushman pourra peut-être essayer de répondre à cette question pour ce qui est des nouvelles maladies d'adultes pour lesquelles le lien a été fait.

Dr Cushman: Comme vous l'avez dit, la liste ne cesse de s'allonger. Nous devrions centrer notre attention sur les principales causes de décès. Pour ce qui est des maladies, le tabagisme est la cause presque exclusive des maladies du poumon. Quant aux maladies cardiaques, le tabagisme cause environ 30 p. 100 de ces troubles. Il y a aussi l'ostéoporose, le cancer du sein, toute une litanie. Ce sont les troubles physiques associés à la consommation de tabac.

Le sénateur Spivak: L'ostéoporose?

Dr Cushman: Oui, il y a un lien très étroit avec la solidité des os. Les femmes dans la soixantaine qui tombent, se fracturent la hanche et ne guérissent pas bien sont généralement des fumeuses.

Le sénateur Spivak: Vous ne reliez pas cette maladie au tabac?

Dr Cushman: Si.

Le sénateur Spivak: Je l'ignorais.

Dr Cushman: La liste est très longue. Les principaux troubles de santé comme l'ostéoporose, les maladies cardiaques, les accidents cérébrovasculaires, la mort subite du nourrisson, le cancer et l'asthme sont tous reliés au tabagisme.

J'en ajouterais un et c'est la dépendance. Si vous examinez les problèmes de notre société, vous constaterez que les dépendances sont de plus en plus fréquentes. À part la dépendance à la nicotine, vous pouvez être dépendant du jeu ou d'autres choses. Voici ce que nous savons.

La consommation de tabac à un jeune âge ouvre la porte à d'autres dépendances. Nous savons aussi que, contrairement à ce que nous disent les fabricants de cigarettes au sujet de la qualité de vie des fumeurs, ces derniers sont légion dans les hôpitaux psychiatriques, les prisons et parmi les adolescents qui présentent des troubles de l'attention. Il y a lieu de se demander s'il ne faudrait pas en faire un médicament réglementé et vendu uniquement sur ordonnance ou si nous ne devrions pas prévoir des antidotes plus forts.

Le sénateur Spivak: Ces drogues devraient peut-être tomber sous le coup de la Loi sur les produits dangereux. Nous savons qu'elles tuent. Par conséquent, l'adoption de ce projet de loi pourrait débloquer de l'argent pour étudier ces questions. Si les autres maladies étaient reliées au tabagisme, le problème serait plus facile à aborder étant donné qu'on en connaîtrait la cause. Je ne connaissais pas le lien avec la mort subite du nourrisson et maintenant vous me parlez de l'ostéoporose. Je ne le savais pas non plus. Le public doit comprendre la gravité du problème, mais il ne le comprend pas. Les gens savent qu'il est dangereux de fumer, mais ils ne font pas le lien avec le cancer et les maladies du coeur. J'en parle parce que le projet de loi S-15 pourrait débloquer des fonds pour permettre de faire le genre de choses pour lesquelles nous manquons généralement d'argent.

Le sénateur Banks: Bonjour messieurs les médecins et merci d'être venus. Comme vous, j'en suis sûr, j'ai lu attentivement la déclaration que le ministre, M. Rock, a faite le 5 avril 2001. Cette annonce, dont vous avez parlé, faisait part de la nouvelle initiative du gouvernement. Le Dr Lynk a dit qu'elle était la bienvenue, mais insuffisante.

J'ai l'impression que 100 millions de dollars par an, c'est beaucoup d'argent. La plupart des Canadiens seraient sans doute d'accord avec moi. Cela représente à peu près six fois la somme que nous consacrons actuellement à la réduction du tabagisme. Je vois des annonces à la télévision et des programmes dans les écoles. J'ai l'impression que si nous multiplions cela par six, nous aurons un programme très solide qui pourra donner de bons résultats. Vous avez déclaré tous les deux, comme d'autres avant vous que malgré cette augmentation, même si cette nouvelle initiative est la bienvenue, ce n'est pas suffisant.

On nous parle continuellement d'une approche globale. Centers for Disease Control, d'Atlanta, recommande une approche globale. Dans sa déclaration, M. Rock a dit qu'il s'agissait d'un programme global. Il veut y consacrer 100 millions de dollars sur cinq ans. Comment pouvez-vous convaincre un électeur canadien ou un député que ce que le gouvernement a déjà prévu ne suffit pas? Cela me semble être un gros montant d'argent.

Dr Lynk: C'est une bonne question, sénateur Banks. Pour ce qui est de l'annonce du 5 avril, si vous l'examinez en détail, près de la moitié de cet argent sera consacrée à une campagne nationale dans les médias. Nous avons déjà suivi cette voie. Ces campagnes ne suffisent pas. Il n'est pas efficace de consacrer la moitié de vos maigres ressources à une campagne nationale dans les médias tout en essayant de faire adopter des règlements municipaux interdisant de fumer et de mettre en place des programmes d'éducation dans les écoles. Cela ne marche pas.

Il faut une coordination au niveau local, régional et national. Quand j'examine le programme annoncé, je me rends compte qu'une partie de l'argent sera pour la GRC, les agents du revenu et les douaniers. Je ne sais pas si ces sommes sont nouvelles ou anciennes. Cela n'a pas été précisé et j'ai certains doutes.

J'aurais deux choses à dire. Nous devons appliquer les pratiques exemplaires et tenir compte des résultats. Si vous examinez le document de Centers for Disease Control, aux États-Unis et le document de 1999 des sous-ministres de la santé, il est évident que nous devons lancer un véritable assaut contre ce problème. Les 3 $ par personne que propose le gouvernement fédéral ne suffiront pas. De plus, ces fonds pourraient être supprimés à tout moment. Si les partis de l'opposition s'entendent et prennent le pouvoir, ce financement pourrait être éliminé en un clin d'oeil. Je sais que certains des grands partis sont parrainés par les fabricants de cigarettes. J'en suis profondément convaincu, sénateurs.

Je voudrais revenir sur l'analogie que le Dr Cushman a faite avec le jour du débarquement, car elle est excellente. Je m'intéresse, en simple amateur, à l'histoire du XXe siècle, mais je me souviens que les Canadiens ont tenté un raid sur Dieppe au cours de la Seconde Guerre mondiale. Un manque de ressources et une mauvaise coordination ont eu des conséquences désastreuses. Ils ont ensuite attendu un certain temps, se sont bien préparés et ont déployé, avec les ressources voulues, la stratégie globale et en plusieurs phases qui a permis le débarquement. Si vous êtes allés, comme moi, sur les plages de Normandie, vous vous serez rendu compte de tous les sacrifices et de tous les efforts que cela représentait.

Vous avez le choix. Vous pouvez aller à Dieppe, ce que nous offre le gouvernement fédéral, ou tenter un débarquement, ce que nous propose le projet de loi S-15. Le problème est trop grave pour se contenter de petites sommes d'argent sans aucune coordination et qui nous mèneront Dieu sait où.

Le projet de loi S-15 est la seule solution aux yeux des professionnels de la médecine et de la santé. Le problème est trop vaste. Nous avons déjà essayé d'autres solutions, sénateur. Voilà ma réponse à cette question.

Dr Cushman: Si j'ai bien compris, sur les 4 $ d'augmentation, cela représente 41 cents. Vous le savez sans doute mieux que moi. C'est bien cela?

Le sénateur Kenny: Cela augmente progressivement, mais je crois que c'est près de 41 cents.

Dr Cushman: J'aurais deux choses à dire. Premièrement, c'est en dessous des chiffres des pratiques exemplaires qui ont été citées par les experts. Vous risquez donc de vous retrouver comme à Dieppe. Deuxièmement, au cours des audiences sur le règlement municipal d'Ottawa, la discussion s'est beaucoup échauffée. Les opinions étaient très polarisées. Les participants se sont toutefois entendus sur deux questions. La première c'est que le gouvernement fédéral doit agir. L'ennemi public numéro un sur lequel tout le monde s'entend ce sont les fabricants de tabac. Les experts ont fait valoir que les parties prenantes n'étaient pas présentes. Les fumeurs invétérés qui ne voulaient pas de ce règlement municipal ont montré le poing aux fabricants de cigarettes. Tout le monde était d'accord. Deuxièmement, vous pouvez prélever cet argent sur le prix des cigarettes pour financer le programme de réduction du tabagisme. Tout le monde est d'accord sur le principe. Et il ne faudrait pas associer cela à d'autres programmes de dépenses.

Deuxièmement, le projet de loi S-15 a proposé 12 $ par personne. Nous avons 800 000 habitants dans la ville d'Ottawa. Si 3 $ sur ces 12 $ étaient consacrés à la campagne dans les médias, ce que nous ne voulons évidemment pas supprimer, je pourrais facilement dépenser les 9 $ restants. Je vous ai déjà dit ce que je ferais. J'ai parlé de dépenser cet argent pour le règlement municipal, pour les programmes scolaires, pour les programmes d'abandon du tabagisme dans les écoles secondaires et pour la surveillance des marchands. Nous pouvons le faire. Nous pourrions y consacrer 9 $ et dépenser les 3 $ pour la sensibilisation du public. Nous pourrions faire un bon travail. Le montant de 3 $ ne nous permettra pas de faire tout cela.

Je vais vous citer un autre exemple. Les anciennes 11 municipalités d'Ottawa-Carleton imposaient des frais de permis pour la vente de tabac. Ces frais vont de zéro à 200 $. Nous devons les harmoniser dans le cadre de la nouvelle structure. Avec un taux d'observation de 70 p. 100, je me penche sur les recettes. Je me suis dit que le magasin du coin devrait payer disons 1 $ par jour pour vendre du tabac. Nous pourrions nous servir de cet argent pour la surveillance des ventes aux jeunes. Si 30 p. 100 des marchands ne respectent pas la loi, pourquoi ne devraient-ils pas payer? Si le taux d'observation grimpe à 90 p. 100, nous pourrions réduire les frais.

Je vais vous poser une question. Pourquoi devrais-je m'en mêler? Pourquoi le médecin hygiéniste d'Ottawa devrait-il s'occuper d'un programme de taxation à petite échelle qui mettrait en furie les petits marchands locaux? Je ne me ferais pas des amis en ville. Ce serait difficile à faire accepter au conseil municipal. Ce genre de taxe doit être perçue par le gouvernement fédéral. L'argent reviendrait ensuite au niveau local pour financer le programme.

Le sénateur Banks: Une des objections que certains parlementaires voient à l'égard du projet de loi S-15 est qu'il ne s'agit pas vraiment d'une taxe. Le gouvernement fédéral ne perçoit pas cet argent. Il ne le perçoit pas et n'a aucun contrôle sur cet argent. Il n'a aucun pouvoir discrétionnaire à ce sujet, précisément parce qu'il s'agit d'un prélèvement et non pas d'une taxe.

Je voudrais aborder une autre question. Vous avez dit que toutes les personnes qui assistaient à vos réunions considéraient que le gouvernement fédéral devait agir. Nous y sommes habitués, car s'il ne pleut pas assez, les gens pensent que le gouvernement fédéral devrait intervenir.

Vous avez tous les deux mentionné le Center for Diseases Control d'Atlanta. C'est un programme américain. La plupart des recherches qui y sont faites se fondent sur les efforts, les faits, la situation démographique, les études de la population, les statistiques médicales et les champs de compétence américains. Pourquoi sommes-nous si certains que ces chiffres sont applicables au Canada?

Dr Cushman: Une chose que devrait faire le gouvernement fédéral c'est simplifier la perception des recettes fiscales. Nous ne devrions pas avoir à payer toutes sortes de taxes différentes. Imposons une taxe ou augmentons le prix. Il est important d'avoir une taxe sur les cigarettes pour recycler les fonds nécessaires pour résoudre le problème. Voilà ce que j'avais à dire.

Quant aux études américaines, vous avez raison, il y a des différences. Mais à quel point nos enfants diffèrent-ils des enfants américains? En quoi leurs poumons diffèrent-ils des nôtres? En quoi les centres où ils soignent les dépendances diffèrent-ils des nôtres? Les pressions sociales et les modèles sont-ils différents? Je dirais que l'économie de la société nord-américaine est assez homogène.

Le sénateur Kenny a tenu compte de cette fourchette et choisi un chiffre qui se situe dans le premier quartile. Le Dr Lynk vous dira que nous avons besoin de cette masse critique pour progresser si nous voulons des résultats.

Dr Lynk: J'en viendrai au modèle américain-canadien dans un instant. Je voudrais d'abord parler de ce prélèvement sur lequel le gouvernement n'aura aucun contrôle.

Un prélèvement pour les déversements d'hydrocarbures est imposé à la marine marchande. Il y a aussi un prélèvement sur les cassettes vierges, car les gens ont copié des disques et des CD. Les artistes obtiennent un pourcentage de ce prélèvement. Le tabac représente un problème de santé publique à la fois particulier et énorme. Je pense qu'il mérite un traitement spécial. En tant que contribuable ou citoyen, je ne vois pas d'objection à ce concept.

Si j'ai bien compris le projet de loi et, si je fais erreur le sénateur Kenny me le signalera, je crois que le gouvernement fédéral aura quand même son mot à dire. Le ministère de la Santé nommera les personnes chargées d'administrer la fondation. Cela assure une certaine reddition de comptes.

Que ce soit pour la politique publique ou la politique à l'égard des soins de santé, nous devons nous tourner vers les pratiques exemplaires. Je suis d'accord avec le Dr Cushman pour dire que les enfants américains et la société dans laquelle ils vivent ne sont pas très différents des enfants canadiens pour ce qui est de la consommation du tabac. Je crois que nous pouvons accepter les modèles américains. N'oubliez pas qu'il y a 50 États distincts en Amérique. Cela donne 50 façons différentes de faire les choses. Chacun de ces États a été étudié. Je ne peux pas croire que le modèle canadien soit si différent du modèle américain.

Je me reporte, une fois de plus, au document de 1999 dans lequel les sous-ministres de la santé des provinces et des territoires ont élaboré une stratégie nationale visant à réduire le tabagisme au Canada. Ce document, qui a été préparé au Canada par les professionnels de la santé et les décideurs politiques se fait l'écho des CDC et du U.S. Surgeon General. La stratégie est la même. Et il n'y a aucune raison de penser que le financement de ce programme, qu'il soit national, régional ou local, devrait s'écarter des 12 $ par habitant recommandés. Il est impossible de réaliser cette stratégie avec 3 $ par personne. Aussi bien la jeter à la poubelle. Elle ne donnera aucun résultat.

Le sénateur Finnerty: Merci beaucoup d'être venus. Vos propos nous ont fait peur. J'espère que nous pourrons adopter le projet de loi.

Avons-nous la copie de vos documents afin que nous puissions faire comprendre à nos collègues de l'autre chambre à quel point il est important d'adopter ce projet de loi?

Dr Lynk: Je vais veiller à ce que le sénateur Kenny ou le président les obtienne.

Le sénateur Finnerty: Une question m'est venue à l'esprit pendant que vous parliez du manque d'infirmières dans les écoles. Quand mes enfants allaient à l'école au début des années 70, des policiers ont montré aux élèves un spécimen de poumon. Mes deux fils ont tellement eu peur qu'ils n'ont jamais fumé.

Serons-nous capables de ramener des gens vers la profession d'infirmière. Nous manquons de personnel un peu partout. Aurons-nous la main-d'oeuvre voulue pour faire le travail lorsque ce projet de loi sera adopté?

Dr Cushman: C'est une question intéressante, sénateur. Vous avez mentionné la pénurie de personnel infirmier. Je voudrais répondre à cela. Notre système de soins médicaux est en difficulté. Un grand pourcentage des maladies sont reliées au tabac. Nous avons la possibilité de réduire leur incidence chez les gens de la prochaine génération. C'est important.

Mais surtout, le milieu est en crise. Les infirmières sont insatisfaites. Elles quittent la profession. Comme les États-Unis manquent d'infirmières, ils peuvent nous en prendre quelques-unes, mais des infirmières s'en vont également dans d'autres domaines. Non seulement notre système est sous-financé, mais malheureusement, les professionnels de la santé qui représentent son épine dorsale perdent leur intérêt et sont mécontents de leurs conditions de travail. La crise se situe à deux niveaux, qui sont bien entendu reliés l'un à l'autre.

Nous constatons qu'après avoir travaillé dans le secteur hospitalier, de nombreuses infirmières en ont assez de soigner l'asthme, les maladies chroniques du poumon et le cancer du poumon. Elles veulent se lancer dans la prévention. Je crois que les médecins que vous allez entendre aujourd'hui partagent cet avis.

Il y a une évolution naturelle. Nous constatons que les emplois dans le secteur de la santé publique sont recherchés. Les gens veulent faire ce genre de travail au sein de la collectivité. Ils sont prêts à investir dans les enfants pour empêcher qu'il y ait une nouvelle génération de fumeurs au lieu d'avoir à s'occuper de la génération actuelle de fumeurs. Je crois que la réponse à votre question est oui.

Dr Lynk: Sénateur, dans mon milieu, entre 20 et 25 p. 100 des infirmières sont dépendantes de la nicotine. Nous allons perdre ces infirmières, ce qui va aggraver le problème. Cela aura des répercussions à tous les niveaux. C'est une raison de plus de faire adopter ce projet de loi.

Le président: Merci beaucoup. Vous nous avez présenté un témoignage très convaincant.

Nos témoins suivants représentent le Conseil scolaire du district de Toronto et le Service de santé publique de Toronto.

M. Ryan Hicks, étudiant représentant, Conseil scolaire du district de Toronto: Merci de m'avoir invité. C'est avec plaisir que je témoigne devant le comité sénatorial pour appuyer le projet de loi S-15.

Je parlerai surtout du point de vue d'un jeune consommateur des programmes de prévention du tabagisme en insistant particulièrement sur le rôle utile que les jeunes étudiants canadiens peuvent jouer, selon moi, pour lutter contre le tabagisme.

Mon expérience à titre d'administrateur étudiant m'a fourni l'occasion de rencontrer un grand nombre de jeunes, à l'école et dans les ateliers. J'ai eu l'occasion de leur parler des questions importantes pour les adolescents. En ce qui concerne la santé, la cigarette est toujours considérée comme un problème social et un problème de santé important. Ce sont des questions sur lesquelles le gouvernement et l'ensemble de la société doivent se pencher.

J'ai le plaisir de vous dire que le Conseil scolaire du district de Toronto a approuvé et appuyé le projet de loi S-15 en adoptant une motion que j'ai proposée il y a quelques semaines. Elle va envoyer à 300 000 étudiants, parents et tuteurs, une lettre leur demandant d'appuyer le projet de loi S-15.

Je suis toujours sidéré par les raisons que les jeunes de mon âge invoquent habituellement pour fumer des cigarettes. Plus de la moitié d'entre eux disent qu'ils ont commencé à fumer parce que leurs amis fumaient. Nous savons tous que les adolescents commencent à fumer parce qu'ils pensent que cela va les aider à être «cool» et à se faire accepter par leurs copains. Quelqu'un à l'école a dit que fumer calmait les nerfs. Une fille a dit que le fait d'entrer à l'école secondaire expliquait pourquoi elle avait commencé à fumer.

La plupart des jeunes fumeurs à qui j'ai parlé se croient à l'abri des effets à long terme du tabagisme parce qu'ils ne pensent pas qu'ils fumeront toute leur vie. Il n'est pas nécessaire de lire les publications sur le sujet pour comprendre. Il suffit de passer une journée avec des adolescents dans leur école et de leur parler. Ils vous diront que, même s'ils connaissent les effets du tabagisme sur la santé, ils ont commencé à fumer et continueront à fumer parce que les avantages à court terme l'emportent de loin sur les inconvénients à long terme. De toute façon ils disent qu'il n'y aura pas d'effets à long terme parce qu'ils pourront cesser facilement quand ils le voudront. Telle est la triste réalité alors que nous connaissons les effets du tabagisme sur la santé depuis plus d'un demi-siècle.

La vérité c'est que les messages antitabagisme que les jeunes entendent de temps à autre n'ont aucun effet ou ne les empêchent pas de commencer à fumer. Un programme de prévention du tabagisme peut donner des résultats à court terme, mais ils s'estompent rapidement étant donné que le message ne sera probablement pas renforcé lorsque les élèves entreront au secondaire. Je me souviens d'avoir eu des leçons sur les méfaits du tabagisme à l'école primaire. C'étaient d'excellentes leçons et je suis entré chez moi en m'inquiétant de la santé de mes proches qui fumaient. Je voulais les avertir de tous les effets néfastes sur la santé dont mon professeur m'avait parlé. Je voulais qu'ils cessent de fumer immédiatement. Néanmoins, vous oubliez tout cela après un certain temps. La société a une attitude très positive vis-à-vis du tabagisme et quand on voit les gens fumer librement dans des lieux publics et des jeunes fumer n'importe où, on a vite l'impression que ce n'est pas une si mauvaise chose. Tous ces gens qui fument ne peuvent pas se tromper.

Je crois que si des efforts plus permanents et plus intensifs avaient été déployés à l'école, la leçon aurait été plus efficace. Il y a tellement de façons novatrices d'enseigner cette leçon. Les adolescents pourraient écrire une rédaction sur les méthodes de l'industrie du tabac. Leurs cours de sciences pourraient porter sur les substances cancérigènes que contient le tabac. On pourrait leur parler des lois qui régissent le tabac et des façons dont ils peuvent exercer une influence sur ces lois. La liste est longue. Je veux dire que quelques leçons ponctuelles ne font pas grand-chose pour dissuader les jeunes enfants de fumer.

Depuis que j'appuie activement le projet de loi S-15, j'ai beaucoup appris sur les mesures qui peuvent être efficaces et qui ont donné de bons résultats en Californie, au Massachusetts et en Floride. Le succès remporté dans ces États nous permet d'espérer de suivre cet exemple et d'obtenir le même succès. Le financement adéquat et durable qu'apporterait le projet de loi S-15 nous permet d'espérer.

Les lois qui régissent la vente de tabac à des mineurs n'arrivent pas à empêcher les jeunes de se procurer des cigarettes. En tant que jeune consommateur, je suis bien placé pour vous dire qu'il est encore très facile d'en obtenir. Quand on voit que près de 30 p. 100 des jeunes fument, il est évident qu'il n'est pas difficile de se procurer du tabac. N'importe quel jeune fumeur vous dira qu'il peut facilement acheter des cigarettes lui-même ou par l'intermédiaire d'un ami qui a l'âge légal. Comme le disait un de mes amis: «Il y aura toujours un marchand cupide qui vous en vendra». Les marchands n'hésitent pas étant donné que cela leur rapporte plus que les amendes qui leur sont imposées. Si vous avez besoin de cigarettes, il y a toujours un endroit où vous pourrez vous en procurer.

La réglementation provinciale qui interdit la vente de tabac aux mineurs est un excellent point de départ. Par exemple, une campagne du Service de santé publique de la ville de Toronto baptisée «Not to Kids» est un excellent point de départ. Cette campagne vise à éduquer les marchands et le public au sujet de la vente de produits du tabac à des mineurs. Je sais que cette campagne a nettement réduit le pourcentage de marchands qui sont prêts à vendre des cigarettes aux mineurs. Le financement supplémentaire que procurera le projet de loi S-15 permettra de renforcer cette campagne.

Il faudrait également remédier à l'absence de programmes de lutte contre le tabagisme dans les écoles secondaires. Quelques leçons sont données, ici et là, dans le cadre des cours sur la santé ou l'art d'être parent, mais pour la plupart, ces leçons sont totalement inefficaces. De nombreux jeunes commencent à fumer en 9e ou 10e année, mais je ne me souviens pas d'avoir eu un cours complet sur la prévention du tabagisme quand j'étais dans ces classes. La 9e année est particulièrement importante, car c'est à ce moment-là qu'un grand nombre de mes camarades ont commencé à fumer. Il suffit de passer devant une école secondaire le matin pour voir tous les jeunes réunis à l'extérieur en train de fumer leur cigarette du matin pour voir qu'il s'agit là d'un problème énorme. Ces jeunes auraient pu vraiment bénéficier d'un programme de prévention énergique qui leur aurait été offert à leur entrée au secondaire.

L'aide à l'abandon du tabagisme est une autre chose qui est totalement absente dans les écoles secondaires. Un grand nombre de jeunes de 12e et 13e années à qui j'ai parlé ont exprimé le désir d'arrêter de fumer. S'ils recevaient de l'aide à l'école, je sais qu'ils s'en serviraient. Des études récentes menées par le Service de santé publique de Toronto ont confirmé ce besoin. On a organisé des groupes de discussion avec des étudiants du secondaire, filles et garçons, pour mieux comprendre ce dont ils avaient besoin pour cesser de fumer. Les filles ont exprimé un vif désir d'arrêter et se sont dites prêtes à participer à un programme de cessation en milieu scolaire s'il y en avait un. Les garçons étaient plus ambivalents. Encore une fois, le projet de loi S-15 apportera le financement nécessaire pour offrir ce genre de services aux jeunes.

Le tabagisme chez les jeunes est encore jugé très acceptable par la société. Les mises en garde se sont complètement perdues en cours de route. Les divers niveaux de gouvernement devraient être très inquiets de voir qu'il n'y a pas suffisamment de campagnes de publicité ou de programmes scolaires contre le tabagisme. Le gouvernement devrait s'en inquiéter et chercher des moyens d'influencer l'attitude, les opinions et le comportement des jeunes à l'égard du tabac. Des campagnes soutenues dans les médias aideront à créer, à Toronto, un environnement social qui dénormalisera le tabagisme chez les jeunes.

Je me souviens d'avoir entendu à la radio les annonces de la campagne «Breathing Space». Elles ont retenu mon attention et celle de nombreux autres jeunes. «Breathing Space» est une campagne communautaire dans les médias qui vise à réduire l'exposition à la fumée secondaire dans les foyers où habitent des enfants. Il faut davantage de campagnes continues comme celle-là plutôt qu'un mitraillage qui ne dure qu'un mois.

Le personnel de la santé publique m'a dit que cette campagne avait réussi à sensibiliser les gens sur les dangers d'un environnement enfumé. Nous savons que les campagnes publicitaires sont efficaces. Il faut veiller sérieusement à diffuser régulièrement des annonces antitabac à l'échelle nationale et à dénormaliser la consommation de produits du tabac chez les jeunes. Offrez aux jeunes l'occasion d'aider à préparer ces annonces et ils feront un excellent travail. Le projet de loi S-15 leur fournira les moyens d'avoir une influence sur leur propre vie et celle de leurs camarades.

Récemment, un groupe d'étudiants de la grande région de Toronto ont formé un regroupement appelé «Youth Taking Action Against Tobacco» ou YTAAT. Ce groupe a été constitué pour soutenir le projet de loi S-15. Nous nous sommes réunis plusieurs fois et nous allons continuer à chercher des moyens de faire valoir à tous les niveaux de gouvernement la nécessité de soutenir des politiques antitabagisme adéquates.

Au cours des réunions et des discussions que nous avons eues, je me suis rendu compte que les jeunes avaient d'excellentes idées. Ils ont énormément d'énergie et de créativité. Ils savent mieux que la plupart des adultes quels sont les programmes et les campagnes qui donneront des résultats. Ils savent également ce qui ne marchera pas. Les jeunes Canadiens comme eux doivent pouvoir participer aux initiatives de lutte contre le tabagisme.

Les groupes comme celui-là bénéficieront du financement que le projet de loi S-15 permettra d'obtenir. Ils pourront changer les choses et participer à l'élaboration des annonces contre le tabagisme et des grandes campagnes. Ils parlent le langage des jeunes et peuvent les rejoindre beaucoup mieux que les adultes. Ils savent ce que les jeunes écouteront. Ils savent quelles sont les images et les campagnes qui retiendront l'attention des jeunes qui fument ou qui songent à commencer à fumer.

Pour conclure, je dirais que le projet de loi S-15 va renforcer énormément les efforts visant à réduire le tabagisme qui fait figure de véritable épidémie chez les jeunes Canadiens. J'ai lu quelque part que la nicotine créait une dépendance aussi forte que le crack. Dans ces circonstances, il est étonnant que les divers niveaux de gouvernement n'aient pas agi plus rapidement.

On peut se demander quelles sont les priorités des pouvoirs publics quand ils annoncent qu'ils vont donner 20 millions de dollars aux producteurs de tabac pour la conversion de leurs fours de séchage. Ces 20 millions auraient pu avoir beaucoup d'influence sur la vie des jeunes de l'Ontario s'ils avaient servi à financer des annonces antitabac au lieu de promouvoir les produits du tabac. Le gouvernement fédéral a l'obligation, envers les jeunes Canadiens, d'adopter le projet de loi S-15.

Dr Sheela Basrur, médecin hygiéniste, Santé publique de Toronto: Monsieur le président et membres du comité, vous avez entendu le point de vue des médecins, aussi bien de pédiatres très respectés que de médecins hygiénistes aussi respectés d'Ottawa. Vous avez aussi entendu les opinions des jeunes par la bouche de notre administrateur-étudiant au Conseil scolaire du district de Toronto. Il va être difficile de faire aussi bien qu'eux et je vais donc simplement vous présenter le point de vue d'une fonctionnaire «qui en a ras le bol».

Les gens comptent sur le gouvernement, sur ceux qu'ils ont élus, pour prendre des initiatives. Je me réjouis de voir que le Sénat prend des initiatives progressistes au sujet de cette importante question.

Vous connaissez tous les statistiques mieux que la plupart des gens. Il ne servira à rien que je vous reparle des effets néfastes du tabac sur la santé. Il n'est pas non plus nécessaire de vous parler des coûts que cela représente pour les services de santé. Je n'ai pas à vous informer de la façon dont ce projet de loi fonctionnera. Je trouve inquiétant qu'un projet de loi bien considéré du public, et en tout cas des professionnels de la santé, ne semble pas l'être suffisamment pour être adopté par ceux qui auraient le plus d'intérêt à le faire. Je veux parler du gouvernement et plus précisément des intérêts du gouvernement sur le plan de la santé et des finances. Je ne comprends pas.

Un sondage d'opinions a été effectué à Toronto. C'était pour voir dans quelle mesure le public appuyait ce projet de loi. C'était lors de la campagne précédente. Nous avons constaté que 67 p. 100 des gens à qui l'on fournissait des renseignements très rudimentaires sur le projet de loi, étaient pour. Vous pourriez le sous-titrer «le projet de loi qui va de soi»; c'est une simple question de bon sens.

Ses opposants étaient contre parce qu'ils croyaient inutile de dépenser de l'argent vu que rien ne pouvait marcher. Quand on leur a dit qu'il y avait en Californie des programmes qui avaient réussi à abaisser de 30 p. 100 à moins de 10 p. 100 le taux de tabagisme chez les jeunes, ils ont changé d'avis. Nous nous sommes retrouvés avec nettement plus de 90 p. 100 d'appui pour un projet de loi que le gouvernement n'a cessé de bloquer.

Le gouvernement est en place pour défendre les intérêts, les désirs et les besoins du public. Il ne s'acquitte pas de cette mission.

J'examine les problèmes que le tabac cause à nos écoliers, à leurs parents et à leurs grands-parents. Vous ne trouverez pas dans cette salle une seule personne qui ne connaisse pas un enfant souffrant d'asthme ou d'une infection qui aurait pu être évitée. Aucun de vous ne peut dire qu'aucun de ses parents, grands-parents ou membres de sa famille n'a souffert de maladie du coeur, d'emphysème, de bronchite, de complications du diabète ou d'ostéoporose. Ces troubles sont causés ou aggravés par le tabac.

À la télévision et dans les journaux, on nous montre les salles d'urgence des hôpitaux débordantes de gens. Il faut également attendre pour se faire hospitaliser parce qu'il n'y a pas suffisamment de lits de soins de longue durée. Le système de santé est en panne.

Le projet de loi est l'antidote dont nous avons besoin. Que faisons-nous? Nous ne nous attaquons pas directement au problème. J'ai peut-être raté quelque chose. J'apprécierais qu'on m'explique les raisons de cette résistance. Je pourrais alors les expliquer aux gens que je représente. Comme moi-même, ces personnes doivent savoir où est le problème. Nous pourrons peut-être alors voir s'il existe une solution.

L'annonce récente du gouvernement fédéral est ce qui m'a le plus troublée. Je serais la première à dire que l'augmentation du prix du tabac est une excellente politique de santé publique. Il est tout à fait logique d'imposer une taxe d'accise de 4 $ sur le carton de cigarettes. Je n'y vois aucune objection. Mais j'ai des objections quant à la façon dont cet argent pourrait être dépensé. La taxe d'accise de 4 $ sera partagée entre les deux niveaux de gouvernement. Deux dollars iront aux provinces et le gouvernement fédéral gardera 2 $. Les 2 $ destinés à la province seront dépensés en fonction des priorités provinciales. À mon avis, cet argent servira sans doute à autre chose qu'à la lutte contre le tabagisme. Il servira à subventionner la conversion des fours de séchage des producteurs de tabac ou une baisse de l'impôt sur le revenu.

Sur les 2 $ conservés par le gouvernement fédéral, environ 50 cents serviront à la réduction du tabagisme et 1,50 $, ou trois fois ce montant, serviront à grossir les recettes fiscales sous prétexte de réduire le tabagisme. Quand j'associe cette mesure avec le refus d'adopter ce projet de loi sous prétexte que l'initiative gouvernementale est meilleure, j'estime que le gouvernement est dans l'erreur.

En tant que médecin hygiéniste de Toronto, j'ai l'obligation de mettre en lumière les besoins locaux en matière de santé publique et de trouver les mesures qui permettront de répondre à ces besoins. J'ai le devoir de faire tout en mon pouvoir pour préconiser des mesures qui réduiront les troubles de santé évitables. Le tabagisme est le trouble de santé évitable numéro un au Canada.

Nous avons fait de notre mieux. Il s'agit certainement d'une priorité pour les services de santé publique de Toronto. Toutefois, nous nageons à contre-courant à tous les égards. Nous avons des programmes de prévention dans les écoles. Le système scolaire et les professions médicales sont en crise. Il n'est pas facile d'aller dans une école pour dire aux enfants qu'ils doivent simplement dire non à la cigarette.

Nous offrons des cliniques de cessation dans tous les secteurs de la ville. Pourquoi l'avons-nous fait? Comme l'a dit le Dr Cushman, nous avons dû supplier, emprunter et voler pour obtenir les ressources nécessaires. Nous avons quémandé des locaux et du mobilier inutilisés. Nous avons fait des pieds et des mains pour avoir ce programme de cessation.

Si un fumeur tombe malade, le système couvre toutes ses dépenses. C'est jusqu'à ce que le malade retourne chez lui et qu'il a besoin d'oxygène. Alors nous ne sommes plus là. Les priorités du système de santé sont totalement à l'envers. Nous ne payons pas pour l'abandon du tabagisme, mais nous payons le coût du traitement, même s'il ne permet pas de guérir.

Si le projet de loi est adopté, avec 360 millions de dollars ou 12 $ par habitant, Toronto recevra en moyenne 27 millions de dollars environ. Cela ne veut pas dire que ce sera entièrement au niveau municipal. Cet argent sera au moins mis à la disposition des services de santé publique et d'organismes non gouvernementaux comme la Société canadienne du cancer, l'Association pulmonaire et la Fondation des maladies du coeur. Ces fonds seront mis à la disposition du gouvernement provincial, du gouvernement fédéral, et cetera.

Un financement annuel de 27 millions de dollars, ce n'est pas rien. Ce qu'il y a d'exceptionnel, c'est que c'est entièrement en dehors du régime fiscal. Ne serait-il pas merveilleux que le gouvernement fédéral fasse une chose qui, pour une fois, rendrait les gens de Toronto très contents de lui? Les gens d'ici applaudiraient autant que ceux de Toronto s'il était possible de faire quelque chose pour fournir des ressources financières à notre région. Ces ressources remédieraient aux problèmes fiscaux étant donné qu'il faut investir dans tellement d'autres domaines.

Pour résumer, comme le dit le proverbe, les actes valent mieux que les simples paroles et l'inaction se poursuit aux dépens de nos enfants et de nos adolescents. Ils méritent mieux que cela.

Le sénateur Banks: Vous étiez dans la salle, je crois, quand j'ai posé ma question au Dr Lynk et au Dr Cushman. Je ne vais pas la répéter. Je voudrais toutefois que vous puissiez me convaincre, moi ou un député de la Chambre des communes, que 100 millions de dollars par an ne suffisent pas. Pourquoi n'est-ce pas suffisant?

Dr Basrur: Je résumerais en disant que si vous continuez à prendre des mesures inefficaces, ce n'est pas en les accélérant que vous obtiendrez plus de résultats. Si vous creusez un trou au mauvais endroit, au lieu de le creuser plus vite, il vaut mieux creuser ailleurs. Nous sommes en train de nous enfoncer dans un trou plus profond et nous réussirons mieux si nous révisons notre stratégie.

Le président: Docteur, si vous vous lancez un jour en politique, vous serez dangereuse.

Le sénateur Kenny: Monsieur Hicks, pourriez-vous nous dire en quoi consiste le rôle d'un administrateur étudiant au Conseil scolaire du district de Toronto?

M. Hicks: En tant qu'administrateur étudiant, je représente 300 000 élèves du primaire et du secondaire. Il y a deux administrateurs étudiants à la Ville de Toronto. Nous représentons les étudiants d'Etobicoke, Scarborough, North York et jusqu'au centre-ville. Il y a 500 écoles différentes et nous sommes donc en première ligne. Nous ne voyons pas seulement ce qui se passe dans un secteur, mais dans toute la ville. Je parle tout le temps aux jeunes de ma propre école et je vais ensuite dans les autres établissements scolaires. Je suis donc sur le terrain. Je suis dans la tête des jeunes.

Le sénateur Kenny: Avez-vous été élu?

M. Hicks: Oui.

Le sénateur Kenny: Votre vote compte-t-il autant que celui des autres aux réunions du Conseil scolaire?

M. Hicks: Aux réunions, les administrateurs étudiants peuvent seulement enregistrer leur vote. Ce n'est pas un vote qui peut faire ou défaire quoi que ce soit en raison des conséquences juridiques. Si c'était le cas, il faudrait réviser de nombreuses lois. Nous avons plus d'influence que les autres administrateurs du Conseil.

Le sénateur Kenny: Pouvez-vous nous parler de votre expérience ou de ce qui se passe dans votre école? Quelles mesures ont été prises pendant que vous étiez à l'école pour vous empêcher de fumer ou vous aider, vous et vos camarades de classe, à cesser de fumer?

M. Hicks: Il y a un règlement scolaire qui interdit de fumer sur le terrain de l'école. Vous devez aller à l'extérieur. Cela veut dire que, si vous voulez fumer, vous devez le faire sur le trottoir, à côté de l'école ou devant l'école. Vous ne pouvez pas fumer à l'intérieur. Ce n'est qu'un simple désagrément. Personne ne voit l'utilité de cette interdiction étant donné que les élèves fument sur le trottoir ou de l'autre côté de la rue. Si l'on s'imagine que c'est ce qui va empêcher les jeunes de fumer, on se trompe.

Nous avons actuellement la campagne «Not to Kids». J'ai vu une de ses affiches à mon école hier. C'est le genre de mesure qui peut donner des résultats. Cela s'adresse aux élèves du primaire et du secondaire, surtout en 9e et 10e année.

Je ne saurais trop insister sur le fait que les élèves de 9e et 10e années sont les plus vulnérables. Lorsqu'ils arrivent à l'école secondaire, tout est nouveau pour eux. Ils ne savent pas ce qui les attend et ils doivent se familiariser avec un tas de choses différentes. C'est à ce moment-là qu'ils ont besoin de ce genre de programme.

En Ontario, on a inclus cela dans le programme d'éducation physique et de santé. Les enseignants ne peuvent aborder le sujet que pendant une dizaine de minutes, ce qui n'est pas suffisant. Nous savons qu'il faut y consacrer plus de temps, surtout pour les élèves de 9e et 10e années. C'est là que le besoin est le plus grand et c'est là que le programme a échoué.

Nous n'avons pas eu suffisamment de cours sur les effets du tabac. Je me souviens d'avoir eu une ou deux leçons sur le sujet à l'école primaire, mais j'avoue que je ne m'en souviens plus du tout. Quand vous êtes en 9e année, vous pensez seulement à l'avenir et non pas au passé.

Le sénateur Kenny: Docteur Basrur, vous avez mentionné Toronto, qui est votre secteur. Y a-t-il beaucoup de groupes à Toronto qui s'intéressent à ce projet de loi?

Dr Basrur: Oui. Je n'ai trouvé personne qui y soit opposé. Le résumé du projet de loi a été examiné par le Toronto Board of Health qui lui a donné son appui total et unanime.

Pourquoi? Premièrement, parce qu'il répond à une importante priorité de la santé publique. Deuxièmement, il va remplacer une partie des recettes de l'impôt foncier qui finance 50 p. 100 de nos coûts. Pourquoi les contribuables devraient-ils avoir à payer la moitié de la facture de la réduction du tabagisme? C'est ainsi que fonctionne le régime de santé publique en Ontario. Tout ce qui permet d'investir dans une importante priorité de santé publique sans saigner à blanc les contribuables est souhaitable. Le projet de loi S-20 et le projet de loi S-15 ont été approuvés entièrement par le Conseil de santé et le Conseil municipal de Toronto à deux reprises.

Nous avons l'appui du Toronto Star, du Toronto Sun et de tous les ONG. Nous avons le soutien du public, comme en témoigne le sondage dont j'ai parlé. Je ne peux pas trouver qui que ce soit qui s'oppose à cette mesure, même si je dois avouer que je n'ai pas parlé récemment au ministre, M. Rock, qui est un député de notre région.

Le sénateur Kenny: Il faut avouer que certains membres de notre comité se soucient un peu du genre de réactions que cela suscitera à l'autre endroit. Quelle a été la réaction des groupes avec lesquels vous avez communiqué ou des députés de la région de Toronto?

Dr Basrur: Les réactions ont été variables. Étonnamment, les gens de l'extérieur, mais pas de l'intérieur ont eu des réactions variables. Quelques-uns des 22 députés que nous avons à Toronto ont envoyé des lettres faisant part de leur position au sujet du projet de loi. Nous espérions qu'ils l'appuieraient. Je n'ai pas le décompte exact sous la main, mais je dirais qu'environ trois ou quatre des 22 députés ont exprimé leur appui sans la moindre réserve. Autrement dit, ils n'ont pas dit quelque chose comme: «Nous aimons la stratégie de Santé Canada et je suis pour la réduction du tabagisme. Veuillez agréer...». C'était plutôt: «Oui, le projet de loi S-15 mérite d'être adopté. Veuillez agréer...». Seuls un petit nombre d'entre eux ont pris fermement position.

Un nombre équivalent de députés se sont opposés au projet de loi sous prétexte qu'il s'agit d'une taxe plutôt que d'un prélèvement. Les contribuables apprécient le fait qu'il s'agit d'un prélèvement et peu leur importe la différence entre une taxe et un prélèvement. Ils sont pour le paiement par l'usager et dans ce cas-ci, l'usager n'est pas seulement le fumeur, mais le fabricant qui tire profit de la vente de tabac.

Cinquante pour cent des gens n'ont pas répondu, mais je ne sais pas comment classifier cela.

Le sénateur Kenny: Le Dr Cushman a décrit les ressources dont il disposait ici, à Ottawa. Je crois que vous étiez dans la salle quand il a parlé. Votre situation se compare-t-elle à la sienne? Disposez-vous de plus de ressources que lui par habitant ou la situation qu'il a décrite est-elle typique des villes ontariennes?

Dr Basrur: Je ne suis pas certaine que notre situation est typique des villes ontariennes, mais celle du Dr Cusham l'est peut-être davantage. Toronto est la plus grande ville du pays. Même si vous prenez le financement par habitant, je ne suis pas certaine que ce soit une bonne comparaison étant donné la situation géographique particulière et les caractéristiques socio-économiques de la population. Après l'avoir entendu décrire les ressources disponibles aux services de santé publique pour la réduction du tabagisme dans les écoles de la province, je dirais qu'il est sans doute en meilleure posture que plusieurs autres services de santé publique qui doivent résoudre tous les problèmes en même temps. Si l'approvisionnement en eau ou la qualité de l'eau pose un problème, ils ne peuvent pas faire plus pour la réduction du tabagisme. Vous avez ce qui semble être un danger bien précis et bien réel, mais dont les effets sont à long terme et dont la responsabilité devrait incomber à quelqu'un d'autre. Vous devez résoudre les problèmes qui ne souffrent aucun retard. Cela veut dire que les mesures qui sont parfois les plus importantes à prendre à long terme ne sont pas prises comme il faut, car on peut toujours en rejeter la responsabilité sur quelqu'un d'autre.

Le président: C'est sans doute l'argument dont le gouvernement s'est servi en 1994, lorsqu'il a décidé de prendre les 80 millions de dollars qu'il devait consacrer à la réduction du tabagisme pour les dépenser ailleurs. Si cet argent se retrouve dans les coffres du gouvernement, il est certainement facile de le détourner. C'est un des avantages d'un fonds distinct.

Dr Basrur: Ce qui nous inquiète certainement à cet égard c'est la façon dont l'argent sera distribué. Cette répartition sera-t-elle maintenue ou non? Comment l'argent sera-t-il utilisé? Va-t-on nous téléphoner chaque année pour nous demander si nous avons besoin d'argent. J'espère que non. En même temps, si cet argent est consacré à une campagne nationale à la télévision et à la radio, il va fondre rapidement. Il va seulement servir à diffuser des annonces présentées par le gouvernement du Canada. Je ne pense pas que cela réussira à empêcher les enfants de fumer lorsqu'ils verront l'emblème de la Reine au bas de l'annonce.

M. Hicks: Je crois que nous valons beaucoup plus. Le projet de loi S-15 nous permettra d'obtenir plus que les 100 millions de dollars et cet argent ne va pas servir à payer une grande campagne publicitaire qui durera seulement quelques semaines ou un mois. Ce projet de loi montrera aux jeunes que vous attachez de l'importance à leur santé parce qu'ils le méritent. Il faut dépenser plus que le montant qu'on leur consacre actuellement.

Le sénateur Eyton: Merci d'être venus. Je ne connais aucune mesure qui ait suscité un appui aussi enthousiaste et unanime. En fait, nous avons passé beaucoup de temps à discuter avec divers témoins et entre nous. Nous convenons tous que c'est une merveilleuse idée. Je ne crois pas nécessaire de convaincre qui que ce soit ici. On a toutefois mentionné la nécessité de convaincre le gouvernement et, je suppose, les députés de la Chambre des communes.

Je me demande pourquoi quelqu'un pourrait s'opposer à une telle mesure. La seule raison que je puisse voir est qu'il s'agit d'une idée nouvelle et d'une méthode qui n'a jamais été expérimentée. Il s'agit d'un nouveau programme et, en fait, d'une nouvelle taxe. Il n'y a aucune garantie de succès, du moins pour ce qui est du genre de succès que nous envisageons. Connaissez-vous d'autres exemples de lois similaires ou de stratégies comme celle que prévoit le projet de loi S-15?

Dr Basrur: Sénateur, je n'en connais aucun. Cela ne veut pas dire qu'il n'y en a pas, mais personnellement, je ne connais aucun précédent, que ce soit en Ontario ou à Ottawa, où le gouvernement a créé une fondation dont la mission serait comparable à celle qu'envisage le projet de loi. Je connais des fondations philanthropiques qui font du bon travail dans certains domaines de la politique publique. Par exemple, la Canadian Living Foundation aide au démarrage de programmes scolaires de nutrition. N'importe qui peut demander une subvention pour lancer ce genre de programmes. Sans cet argent, ces organismes n'auraient rien et dépendraient du gouvernement. Le modèle existe en principe. Quant à la façon dont il est prévu ici, je ne crois pas qu'il y ait de précédent.

Comme vous l'avez dit, je ne vois pas où se situe le problème, sauf d'après les réponses que j'ai obtenues. On m'a dit: «Ce genre de chose n'a encore jamais été faite, c'est à nous qu'il revient de le faire ou c'est à nous d'adopter un projet de loi». J'aimerais simplement qu'ils le fassent.

Le sénateur Eyton: Que penseriez-vous si, dans trois ans, une fois cette loi adoptée et appliquée avec succès, une meilleure solution était proposée? Que ferions-nous alors? Devrions-nous songer à abroger ou à modifier cette loi?

Dr Basrur: Quelque chose de mieux que l'établissement d'une fondation?

Le sénateur Eyton: Ce qu'il y a ici.

Dr Basrur: Je crois que ce programme doit être réexaminé et qu'il peut-être annulé au bout de cinq ans. Cela ne veut pas dire que nous nous attendons à un échec. J'ai l'impression que nous avons passé cinq ans rien qu'à essayer de faire adopter cette mesure!

Le sénateur Eyton: Une fois la loi adoptée, étant donné l'inertie du gouvernement, elle pourrait rester en place éternellement. Seriez-vous d'accord pour que le projet de loi soit adopté, mis en application et réexaminé automatiquement au bout de cinq ans?

Dr Basrur: Il est important de prévoir une révision dans la mesure où cela assurera une reddition de comptes claire et rigoureuse de la part de la fondation et des organismes qui puiseront dans cet argent. Si le manque de résultats n'entraîne aucune conséquence, vous pouvez être certains que les résultats seront médiocres.

Le sénateur Eyton: Pour changer légèrement de sujet, nous arrivons au terme de nos audiences. Je crois que nous allons, plus tard, étudier le projet de loi article par article. En prévision de cette étude, j'ai lu le projet de loi hier soir et je suis d'accord avec sa teneur, sauf en ce qui concerne les attendus.

Du point de vue juridique, les attendus n'ont aucune importance. Je suppose qu'ils décrivent le contexte général, mais ils n'ont pas d'importance juridique. Un certain nombre des principes énoncés sont inutilement provocateurs. Avez-vous quelque chose à dire à ce sujet? Je ne veux pas prendre le temps de les passer tous en revue, mais je pourrais en éliminer quatre ou cinq, ce qui rendrait, selon moi, le projet de loi plus acceptable aux yeux de plus de gens. Avez-vous examiné les attendus d'un oeil critique?

Dr Basrur: Je ne connais pas le sens de l'expression «attendus».

Le sénateur Eyton: Le préambule.

Dr Basrur: J'avoue ne pas avoir d'opinion à ce sujet. Je ne suis ni parlementaire ni expert en procédure. Si j'ai bien compris, les attendus ont été rédigés pour rendre le projet de loi conforme à la procédure. Ainsi le projet de loi serait prêt si le Président de la Chambre devait se prononcer. Je suppose que ces attendus sont exacts, mais je n'ai pas d'autres observations à formuler.

Le sénateur Eyton: Monsieur Hicks, avez-vous examiné le préambule?

Le président: En avez-vous terminé avec les attendus?

Le sénateur Eyton: Me coupez-vous la parole?

Le président: Je ne voulais pas vous couper la parole.

Le sénateur Eyton: Je parlerai plus tard des attendus.

Le sénateur Kenny: Compte tenu du fait que vous n'avez pas rencontré M. Rock, docteur Basrur, s'il était ici aujourd'hui, qu'auriez-vous à lui dire?

Dr Basrur: Je lui dirais: «Allez-y». Pour être honnête avec vous, il y a une expression qui dit: Ou tu conduis, ou tu suis, ou tu t'ôtes du chemin. L'une de ces trois choses serait idéale.

Le président: Nous allons maintenant entendre les représentants de l'Ontario Medical Association. Messieurs, soyez les bienvenus. La parole est à vous.

Dr Albert Schumacher, président sortant, Ontario Medical Association: Honorables sénateurs, je suis le président sortant de l'Ontario Medical Association et médecin de famille à Windsor.

L'OMA s'intéresse de près à la politique sur le tabagisme depuis des années. Il y a de nombreuses raisons pour lesquelles les médecins s'y intéressent. Je tiens toutefois à dire qu'en ce qui nous concerne, la politique à l'égard du tabac est une question personnelle. Les médecins voient les patients un par un. Nous voyons nos patients souffrir personnellement et c'est cette souffrance plutôt que les statistiques impressionnantes sur les maladies qui influence le plus chacun de nous.

Vous avez vu des photos de cancers des poumons ou de la langue et ce sont des images troublantes ou même dérangeantes, mais pour moi, ce sont des réalités. Je n'ai pas besoin de ces photos, car ces personnes font partie de mes patients. Pourtant, mes collègues et moi nous sentons impuissants pour arrêter cette tragédie, ce qui nous conduit à la colère et au désespoir. Nos patients nous demandent de défendre leurs intérêts au sujet de cette grave question.

Par conséquent, nous avons travaillé au niveau public et politique à l'élaboration de politiques relatives au tabagisme et nous avons produit de nombreuses publications. Certaines de ces publications ont eu un impact international. Nous sommes toutefois ici pour discuter du projet de loi dont vous êtes saisis et je vais vous décrire notre façon de voir.

Nous croyons qu'il y a certains principes généraux maintenant bien compris qui permettent de juger si une stratégie de réduction du tabagisme est adéquate ou non. Nous allons donc commencer par vous décrire la norme à partir de laquelle cette évaluation est faite. Nous voudrions ensuite analyser et comparer cette norme avec l'initiative récemment annoncée par le gouvernement fédéral et avec le projet de loi S-15. En dernier lieu, je voudrais décrire l'attitude de certains membres de la profession médicale à l'égard de la situation actuelle.

Le Dr Boadway faisait partie d'un comité d'experts constitué d'éminents chercheurs et spécialistes médicaux qui ont examiné les qualités que devait présenter une stratégie globale de réduction du tabagisme. Je vais lui demander de vous faire part de certaines des conclusions de ce comité.

Dr Ted Boadway, directeur général, Département de la politique en matière de santé, Ontario Medical Association: En tant que comité d'experts, nous devions formuler des recommandations fondées sur les résultats et qui pourraient s'adapter à l'évolution future de la situation. Nous avons examiné les publications internationales sur le sujet et fait venir des experts nationaux et internationaux de la lutte contre le tabagisme. Nous avons étudié l'état actuel des mesures prises au Canada pour réduire le tabagisme et analyser de près les modèles canadiens et étrangers. À partir de cet examen, nous avons formulé une série de recommandations sous neuf rubriques. Elles sont décrites en détail dans un document intitulé: «Actions Speak Louder Than Words».

La première constatation que nous avons faite est que toute mesure qui ne serait pas vraiment complète risque d'échouer. Nous avons formulé des recommandations dans neuf domaines qui doivent faire partie d'une stratégie globale. Je vais vous remettre aujourd'hui la description de ces neufs domaines.

Nous avons maintenant largement la preuve qu'un programme complet peut avoir un effet cumulatif spectaculaire sur la consommation. Comme je crois que vous connaissez ces chiffres, je ne vais pas les répéter. Il y a toutefois quatre facteurs qui sont reliés à votre examen du projet de loi et qui se rapportent à votre analyse. Je vais vous les décrire brièvement.

Premièrement, une hausse de prix est le seul facteur qui peut, à lui seul, modifier les habitudes de consommation. C'est un élément crucial du programme.

Deuxièmement, nous savons maintenant très bien combien il faut d'argent pour franchir le seuil d'efficacité. Nous savons combien d'argent il faut pour passer de l'inefficacité à l'efficacité. Il faut un minimum de 8 $ par habitant, la moyenne étant de 10 $ à 12 $. Cela devrait être une décision économique. Le rendement sur l'investissement est immédiat. Il commence immédiatement avec les maladies cardiovasculaires lorsqu'on peut prévenir les crises cardiaques et s'accumule sur sept ans quand on peut prévenir le cancer du poumon. Les avantages sont énormes et les économies progressent sur une période de 10 ans, après quoi le système de santé réalise des économies à perpétuité.

Ensuite, le succès de la stratégie dépend de l'emplacement de l'infrastructure. Certains éléments de la stratégie doivent être situés en dehors du gouvernement, au sein d'un organisme indépendant. Aucun programme complet n'a pu survivre où que ce soit dans le monde lorsqu'il était placé sous la direction du gouvernement.

La recherche, la surveillance et l'évaluation sont nécessaires pour mesurer les résultats de la mise en oeuvre et des diverses composantes de la stratégie. Il faut pour cela évaluer rigoureusement les stratégies, tolérer des échecs périodiques et s'attendre à des changements. Seul ce genre d'examen rigoureux permettra d'améliorer et de renouveler la stratégie. Il ressort clairement des recherches qu'un programme décousu de réduction du tabagisme ne donnera pas de résultats et qu'il faut agir sur tous ces fronts.

Dr Schumacher: Compte tenu de l'exposé du Dr Boadway, je voudrais analyser deux initiatives. La première est celle que le gouvernement fédéral a annoncée le 5 avril 2001. La deuxième est le projet de loi S-15 dont vous êtes saisis, la Loi sur la protection des jeunes contre le tabagisme. Je parlerai d'abord de la nouvelle initiative fédérale. Les mesures annoncées semblent aller dans la bonne direction, mais en les examinant de plus près, je constate qu'elles n'atteindront pas leur objectif.

Dans le premier cas, le montant d'argent recommandé par le gouvernement représente environ 3 $ par personne. Il n'a jamais été démontré que ce montant suffisait à soutenir une stratégie globale et il ne repose sur aucune donnée médicale ou sur aucune étude. De plus, il n'existe aucun moyen de garantir que ce financement sera maintenu comme promis pendant la durée de la stratégie.

Qu'arrivera-t-il si le gouvernement commence à grignoter cet argent petit à petit? Ce n'est pas un fonds réservé et ce n'est pas une garantie pluriannuelle. De plus, rien ne nous prouve que le gouvernement a l'intention de confier d'importantes composantes de sa stratégie à un organisme indépendant. Au contraire, il a parlé de partenariats. Cela veut dire, bien entendu, que le gouvernement gardera la haute main sur ce programme.

Les faits sont là. Ici au Canada comme ailleurs, il a été démontré que les programmes sous la direction du gouvernement n'ont pas l'impact voulu sur le plan des relations publiques et de l'action communautaire. Les organismes indépendants peuvent opérer dans un environnement plus prêt à accepter des risques et poursuivre un seul et même objectif sans être influencés par le programme compliqué du gouvernement. Ces deux graves défauts de la stratégie sont suffisants pour causer son échec.

J'ai lu le reste de l'information fournie sur la réduction des torts, la cessation et les campagnes dans les médias. Je ne peux pas les évaluer à partir des renseignements fournis. Toutefois, si vous ne financez pas et n'organisez pas ce programme comme il faut, le reste n'a plus d'importance.

Voilà qui met fin à mes observations au sujet d'une proposition médiocre et je vais maintenant passer à une bonne proposition, le projet de loi S-15, la Loi visant à prévenir la consommation des produits du tabac chez les jeunes. La principale caractéristique de ce projet de loi est qu'il établira une fondation appelée Fondation canadienne de lutte contre le tabagisme chez les jeunes. Les buts de cette fondation sont clairement énoncés. La fondation fonctionnera de façon transparente et rendra des comptes à un conseil d'administration qui sera chargé d'atteindre les objectifs de la fondation et aucun autre.

L'un des objectifs louables de cette fondation consiste à examiner les modèles existants qui offrent les meilleures pratiques de lutte contre le tabagisme et à mettre au point le modèle à appliquer au Canada. Cette orientation est l'une des plus judicieuses qui aient été données à la fondation. Nous sommes certains que c'est précisément ainsi que l'on assure le succès d'une stratégie.

En examinant les objectifs portant sur les statistiques, la recherche, les stratégies de communication et la prévention, j'avoue que j'approuve chacun d'eux. Le plus important, toutefois, c'est que la fondation doit examiner les modèles existants des pratiques exemplaires et se réexaminer elle-même régulièrement. Elle pourra ainsi se comparer avec les autres modèles. C'est une stratégie de renouvellement. C'est une stratégie pour l'avenir. Elle permet d'apprendre, de s'adapter et de s'améliorer.

Le projet de loi S-15 prévoit un montant d'environ 12 $ par personne. Ce montant peut permettre de financer un programme efficace. Les auteurs de cette mesure ont fait les recherches voulues. Le projet de loi présente toutefois d'autres caractéristiques plus intéressantes. Il propose que l'argent soit perçu sous forme de prélèvement et que la totalité des recettes de ce prélèvement soit réservée pour la fondation. Bien entendu, cela va garantir des revenus réguliers pour financer cette initiative.

En résumé, le projet de loi S-15 est, à ma connaissance, la seule loi que nous ayons actuellement au Canada qui remplisse les conditions essentielles que sont l'indépendance et un financement suffisant. Les objectifs énoncés mettent la fondation dans la bonne direction et font en sorte qu'elle pourra se renouveler. Ils favorisent le succès et dirigent la fondation dans une direction qui produira le maximum de résultats. Le projet de loi S-15 charge la fondation de faire de la recherche et des évaluations. Il lui donne pour mission d'éduquer le public. Il contient des recettes de succès qui le rendent tout à fait acceptable. Nous avons examiné les deux propositions pour voir quelle est celle qui répond aux critères et à l'idée voulant qu'une stratégie doit être structurée de façon à pouvoir atteindre son but.

Je voudrais maintenant voir avec vous si les parties qui doivent diriger cette campagne sont crédibles ou non. J'ai déjà dit que l'établissement d'une fondation était le principal facteur de réussite. En créant une fondation indépendante, le projet de loi S-15 va permettre d'établir une entité crédible, qui poursuivra un objectif précis et qui aura des comptes à rendre. Nous saurons ce que la fondation est censée faire et la fondation devra nous dire si elle remplit bien ses fonctions. Ses efforts seront évalués. Elle devra rendre compte de ses résultats. De plus, l'expérience internationale démontre que c'est la voie de la réussite. Cela rend cette proposition extrêmement crédible.

D'un autre côté, pour évaluer sa crédibilité, je crois que nous devons examiner les antécédents du gouvernement fédéral à cet égard. En février 1994, le gouvernement a réduit les taxes sur le tabac et pris de nombreux engagements devant la hausse de consommation qui s'annonçait.

Premièrement, le gouvernement a dit que les fabricants devraient marquer clairement les cigarettes exportées. Cela figurait dans le hansard de février 1994. Il ne l'a pas fait. Il s'est engagé à rehausser les amendes pour vente de cigarette à des mineurs. Néanmoins, au lieu de tenir l'industrie du tabac responsable de ces ventes, il s'en est pris au malheureux vendeur de l'épicerie du coin. La responsabilité des ventes de tabac à des mineurs a été reportée sur le dos des commerçants. Cette initiative a eu peu d'effet sur la vente de cigarettes aux enfants. Chaque année, 70 millions de paquets de cigarettes sont vendus à des mineurs au Canada. Le gouvernement perçoit 80 millions de dollars par an qui viennent de la poche des enfants! Cet argent mal acquis n'est même pas utilisé pour empêcher les enfants de fumer.

Le gouvernement s'est engagé à examiner la possibilité d'exiger un emballage banalisé. Le Comité de la santé où il était majoritaire a recommandé d'imposer un emballage banalisé pour des raisons économiques et sanitaires si une étude réalisée par Santé Canada démontrait que cela réduirait la consommation. L'étude a montré que ce type d'emballage pouvait raisonnablement constituer l'un des éléments d'une stratégie de réduction du tabagisme. C'est ce qu'on pouvait lire dans «Objectif consommation zéro» en juin 1994. Le gouvernement fédéral n'a toutefois absolument rien fait pour ce qui est de la banalisation de l'emballage.

Un autre exemple est la promesse de remplacer la Loi sur le contrôle des produits du tabac de façon à rendre plus efficaces les avertissements imprimés sur les emballages. Nous avons participé à la campagne lancée pour amener le gouvernement fédéral à tenir cette promesse. Il a fallu des années et épuiser les ressources du secteur de la santé pour réussir finalement à le convaincre d'agir. Des avertissements efficaces ont finalement été imposés, mais seulement l'année dernière. Il a fallu près de sept ans pour que cela se fasse.

Quant à la grande campagne de sensibilisation du public qui nous avait été promise dans le hansard, il y a lieu de se demander où en est cette campagne à grande échelle. Nous savons ce qu'est une campagne efficace étant donné que nous en avons vu dans d'autres pays, mais nous n'en avons toujours pas. Voilà encore une promesse non tenue.

La plupart des experts de la santé considèrent que la promesse de rejoindre les jeunes femmes, qui commencent à fumer à un rythme alarmant, n'a donné aucun résultat. Le gouvernement n'a pas utilisé de nouvelles méthodes pour rejoindre les groupes qui n'ont pas répondu aux campagnes antérieures, contrairement à ses engagements.

Enfin, examinons la déclaration que le premier ministre a faite dans un discours à la Chambre des communes, en février 1994. C'est le jour où l'industrie du tabac a dirigé le gouvernement fédéral dans une action que nous avons baptisée: «Craven Cave-in». Le premier ministre a déclaré que les recettes de la surtaxe financeraient la plus vaste campagne antitabagisme que nous ayons jamais eue au pays. Voyons un peu ce qu'il en est.

L'argent généré par cette surtaxe a été siphonné par le Trésor. Les recettes de la première année se chiffraient à 65 millions de dollars. Sur une période de cinq ans, cette somme est passée à près de 100 millions de dollars par an. La ministre, Mme Marleau, a déclaré, pour la première année, des dépenses de seulement 30 millions de dollars. Au cours des deux années suivantes, ce chiffre est tombé à 10 millions. La plus vaste campagne antitabagisme du pays est devenue pure fiction. Elle s'est évanouie en fumée.

Nous devons examiner les tentatives que le Sénat a déjà faites pour mettre sur pied un programme efficace de réduction du tabagisme. Vous connaissez cette histoire mieux que moi. Il est évident, même vu de l'extérieur, que le gouvernement ne voulait pas de ces projets de loi et qu'il n'a pas non plus mis sur pied un programme efficace. Au lieu de trouver un moyen de faire adopter ces mesures à la Chambre, il les a enterré en invoquant une décision du Président. Il a explique sans sourciller que c'était pour une question de procédure, mais cela me laisse sceptique.

Je tiens à dire que la réduction de la taxe sur le tabac en 1994 a marqué la pire débâcle que nous ayons jamais vue sur le plan de la santé publique. L'OMA l'avait prédit. Nos craintes se sont matérialisées et c'était le résultat d'un acte délibéré.

C'est à dessein que je parle de débâcle, car en agissant activement pour résoudre un problème, on en a créé un autre. Nous avions alors prédit que le tabagisme chez les adolescents augmenterait, et c'est exactement ce qui s'est produit. Le taux est passé de 21 p. 100 à 28 p. 100.

Le tabac est la première cause évitable de maladie au Canada. L'engagement d'un gouvernement envers la santé publique se mesure à la façon dont il gère cette menace. Qu'en est-il de l'engagement du gouvernement? Où est son programme de grande envergure? Je doute de la crédibilité du gouvernement du Canada dans ce domaine.

Honorables sénateurs, vous avez sous les yeux un projet de loi qui représente un grand pas en avant. Les médecins de l'Ontario vous appuient. Nous vous sommes reconnaissants de ne pas avoir abandonné devant la vive opposition de vos collègues. Ce projet de loi est la meilleure possibilité que nous ayons d'obtenir une stratégie efficace. Nous travaillerons avec vous pour que cette stratégie porte ses fruits.

Le sénateur Kenny: Si je résume ce que vous venez de dire, vous croyez que le programme actuel n'est pas suffisant, qu'il ne repose pas sur des données scientifiques ou qu'il n'est pas garanti?

Dr Schumacher: En effet, sénateur.

Le sénateur Kenny: Votre association a-t-elle consulté ses membres de toute la province? Les médecins vous ont-ils rapporté le même genre de faits que ceux qui ont été relatés par les services de Santé de Toronto, d'Ottawa et de Nouvelle-Écosse?

Dr Schumacher: Oui. Nos membres sont continuellement découragés par ce qu'ils constatent dans les cours d'école et dans les quartiers. Ils s'inquiètent surtout de l'augmentation du nombre de fumeurs, principalement chez les jeunes femmes. Les médecins regardent avec envie ce qui se passe au sud de la frontière. Là-bas, ce problème a reçu suffisamment d'attention pour qu'on ait réussi à renverser la tendance à l'augmentation du tabagisme chez les jeunes. Les chiffres ont été ramenés à des niveaux que nous pensions impossibles à atteindre.

Dr Boadway: Tous les médecins hygiénistes de la province font partie de notre association. Ils ont leur propre section au sein de l'association. Nous leur accordons une attention particulière. Ils nous ont dit exactement la même chose que les deux médecins hygiénistes qui viennent de témoigner. Il n'y a aucune exception en Ontario.

Le sénateur Kenny: Docteur Boadway, vous avez mentionné les économies qu'un projet de loi de ce genre permet de réaliser. Pourriez-vous nous répéter ce que vous avez dit? Pourriez-vous, en même temps, nous parler du rapport intitulé «California Tobacco Control Update»? À la page 4, il est question d'une économie de 3,62 $ sur le coût des maladies reliées au tabac pour chaque dollar consacré à des programmes de réduction du tabagisme. Pourriez-vous nous en parler et nous dire si cela correspond aux prévisions que l'OMA avait faites?

Dr Boadway: Chaque fois que je parle à des économistes, je suis sidéré de voir que la médecine, qui n'est pas une science exacte, puisse être aussi précise. Cela dit, les études publiées sur le sujet font état de toute une fourchette de chiffres.

Le plus important, selon moi, est que, peu importe ces chiffres, le rendement sur l'investissement est toujours important. Si j'étais un chef d'entreprise ou un contribuable qui tient à ce que son argent soit sagement investi, je voudrais qu'on investisse mes sous là où ils me rapporteront plus que mes dépenses. C'est là une bonne façon de le faire.

Si l'étude californienne est tellement intéressante, c'est parce que la Californie a été la première à dépenser suffisamment d'argent. Deuxièmement, elle s'est donné la peine d'effectuer des recherches. À mon avis, ces données sont parmi les meilleures, car elles ne sont pas hypothétiques. Un grand nombre d'études se fondent sur des données hypothétiques. Ce n'est pas le cas de l'étude californienne. Je dirais que c'est une des meilleures.

Le sénateur Kenny: Peut-on dire, sans trop simplifier, qu'à votre avis nous dépensons trop en aval du système de soins de santé, et pas suffisamment en amont? Dites-vous que nous épargnerions beaucoup de souffrance au milieu et que nous réduirions les coûts en aval si nous dépensions plus en amont?

Dr Schumacher: Absolument. Notre système de soins de santé va avoir beaucoup de problèmes à résoudre, aujourd'hui et demain. Nous pourrons y consacrer certaines des économies réalisées. Non seulement nous économiserons sur les dépenses, mais surtout, les gens ne souffriront pas inutilement. Nous réduirons également les coûts énormes que cela représente pour notre économie et notre productivité.

Le président: Le système de soins de santé de la Californie n'est pas comme le nôtre. Quand vous parlez d'un taux d'économie ou de rendement sur l'investissement de trois pour un, est-ce pour le contribuable ou pour le gouvernement de Californie?

Dr Boadway: Monsieur le président, vous avez cette étude entre les mains, mais si je me souviens bien, il s'agissait des dépenses totales, tant du secteur public que du secteur privé. Je ne peux pas vous le dire de mémoire.

Le président: Le secteur public et le secteur privé pris ensemble?

Dr Boadway: Je crois que oui.

Le sénateur Spivak: J'ai une question à poser. Je crois que c'est là une idée géniale, mais j'ai une crainte qui me hante. Cela ne m'empêche pas d'appuyer totalement ce projet de loi, mais je voudrais savoir ce que vous en pensez. Je sais que les fabricants de produits du tabac ciblent les pays du Tiers monde parce qu'ils s'attendent à perdre une partie de leur marché chez nous. Avez-vous pensé au fait qu'en appuyant cette mesure, les fabricants réduisent leur clientèle? Si les jeunes ne commencent pas à fumer, qui va constituer leur clientèle? Ne pensez-vous pas que, s'ils appuient ce projet de loi, c'est parce qu'ils ont un plan que nous ignorons?

Dr Schumacher: Je ne peux pas imaginer ce que les fabricants de tabac ont dans la tête. Je crois qu'ils ont calculé leurs chances. Ils ont été témoins du manque de succès des deux projets de loi sénatoriaux précédents. Je crois donc qu'ils ne voient aucune raison de ne pas appuyer ce projet de loi parce qu'ils sont convaincus qu'il échouera.

Dr Boadway: Monsieur le président, je voudrais répondre à une question que le sénateur Banks a posée. Même s'il n'est plus ici, je vais y répondre.

J'ai trouvé que c'était une bonne question et j'y ai réfléchi un certain temps. Tout d'abord, je me suis dit que le Dr Basrur avait parfaitement répondu à la question sur le montant d'argent et quant à savoir s'il était suffisant. Je voudrais donc parler plutôt des raisons pour lesquelles nous pensons que certaines données américaines pourraient s'appliquer au Canada.

Si vous postulez que ce qui marche pour un groupe ne marchera pas pour un autre groupe, vous devez démontrer qu'il existe des différences suffisamment importantes. Par contre, si vous postulez qu'un modèle peut donner des résultats, vous devez tenir compte des similarités et de résultats similaires.

Selon le premier postulat, un programme global contient neuf composantes. Je ne vais pas toutes les passer en revue, mais je souligne que l'effet des prix sur la consommation a été démontré tant aux États-Unis qu'au Canada et que cet effet est prouvé de façon convaincante pour les deux populations. Elles se comportent exactement de la même façon. C'est vrai dans les autres pays. C'est une condition humaine et non américaine ou canadienne.

Pour ce qui est de l'éducation du public, si vous vous penchez sur le marketing de masse, il est efficace des deux côtés de la frontière. Les sociétés internationales qui vendent leurs produits des deux côtés de la frontière se servent des mêmes stratégies étant donné que les gens sont les mêmes. Voilà le genre de données dont nous nous servons. Nous voulons savoir comment les commerçants font des affaires, comment les médecins exercent leur profession. Voilà pourquoi cette fondation peut jouer un rôle. D'autres entreprises ont démontré, sur la scène internationale, que ce genre de choses s'appliquent des deux côtés.

Les mesures visant l'emballage neutre et la publicité trompeuse pour le tabac sont-elles importantes? Oui. Elles le sont parce que l'industrie du tabac les déteste. Si l'industrie du tabac les déteste, vous savez qu'elles sont efficaces. C'est toute la preuve dont vous avez besoin.

Les contrôles au niveau de la vente au détail sont les mêmes de deux côtés de la frontière; les problèmes sont identiques et les effets sur les jeunes sont similaires. Cela a été démontré. Les environnements sans fumée sont importants parce qu'ils dénormalisent le tabagisme. Nous savons déjà que c'est efficace en Ontario. Nous en avons également la preuve au sud de la frontière et partout ailleurs.

Nous devons maintenant nous pencher sur le financement et l'infrastructure. Qu'est-ce qui nous prouve que cela pourrait donner des résultats positifs au Canada? Nous avons d'abord la preuve que cela fonctionne aux États-Unis. C'est au Canada que cela ne marche pas. Nous avons la preuve convaincante que ce que nous faisons est inefficace. Les programmes américains qui ne donnaient pas de résultats étaient comme les nôtres. Les Américains ont essayé les mêmes choses avec les mêmes résultats désastreux. Ils ont ensuite adopté une nouvelle formule et cela a marché. Je crois qu'il y a suffisamment de similitudes entre nos populations pour que nous puissions être assez certains que cela marchera, mais ce projet de loi permettra quand même de modifier la stratégie pour l'adapter au contexte canadien.

Le président: Je vais veiller à ce que le sénateur Banks obtienne la transcription de ce que vous venez de dire.

Je vous remercie de votre comparution. Je sais que vous êtes tous les deux très occupés et j'espère que vous transmettrez mes remerciements à vos patients qui ont dû se passer de vous aujourd'hui.

Honorables sénateurs, je crois que le sénateur Eyton avait des questions à poser au sujet des «attendus que». Quels sont ceux qui vous préoccupaient, sénateur Eyton?

Le sénateur Eyton: Tout d'abord, sachez que j'appuie énergiquement ce projet de loi. J'ai l'énorme avantage de n'avoir jamais appris à fumer et de n'avoir jamais fumé.

Je m'inquiète toutefois des attendus. Quelqu'un a parlé de préambule. J'étais avocat, mais j'ai cessé d'exercer la profession en 1979. En général, les attendus ajoutent un contexte, mais sur le plan juridique, je ne pense pas qu'ils ajoutent quoi que ce soit d'important.

Certains attendus pourraient être supprimés sans que le contexte ou l'atmosphère du projet de loi ne s'en trouve modifié. Cela prêterait moins à controverse et rendrait le projet de loi plus acceptable pour chacun de nous.

À la page 1 du projet de loi, je vois six attendus et je crois que le cinquième, autrement dit l'avant-dernier, pourrait être supprimé facilement. Il est ainsi formulé:

Attendu que les travailleurs de l'industrie ne souhaitent pas être responsables ni être perçus comme étant responsables de la dépendance des jeunes aux produits du tabac;

C'est peut-être quelque peu hypothétique et je ne pense pas qu'on fasse du tort au projet de loi en éliminant ce paragraphe.

À la page suivante, le premier attendu est nécessaire pour la logique de cette mesure. Toutefois, nous pourrions facilement supprimer les trois prochains et terminer par:

Qu'il y a lieu d'édicter ce qui suit:

Vous pourriez laisser ce texte:

Qu'elle est consciente que les méthodes utilisées jusqu'à ce jour pour lutter contre le tabagisme chez les jeunes n'ont pas été efficaces pour éliminer ce problème;

Vous pourriez ensuite éliminer les trois paragraphes suivants. Le premier parle d'un manque de crédibilité, ce qui est purement hypothétique. Le deuxième parle de la légitimité de telles initiatives et des motifs de leurs commanditaires. Et je ne vois pas comment le projet de loi pourrait affirmer ce genre de chose. Dans le troisième attendu, il est question de l'hostilité grandissante du public et des gouvernements. Je peux vous dire que cela n'a rien d'universel. Il y a des agriculteurs et de nombreuses personnes qui travaillent dans cette industrie. Cela n'ajoute rien.

Le texte serait alors celui-ci:

Qu'elle est consciente que les méthodes utilisées jusqu'à ce jour pour lutter contre le tabagisme chez les jeunes n'ont pas été efficaces pour éliminer ce problème;

Qu'il y a lieu d'édicter ce qui suit.

À mon avis, c'est tout ce dont nous avons besoin et cela situe bien le contexte du projet de loi. Je suggère d'éliminer les quatre attendus que j'ai mentionnés. Vous aurez le même projet de loi, mais il sera moins combatif et moins provocateur.

Le sénateur Kenny: Je répondrai au sénateur Eyton que je crois comprendre ce qui le motive. Les projets de loi précédents n'avaient pas de préambule. Il a raison de dire que le préambule n'a pas de valeur juridique.

Le président: Nous venons d'avoir un long débat sur la question. Nous avons beaucoup parlé de préambules ces dernières semaines.

Le sénateur Kenny: Je partage l'opinion du sénateur Eyton quant au fait que cela n'a pas de valeur juridique. Toutefois, le préambule que vous voyez ici, est là dans un but précis, sénateur Eyton. Lorsque nous avons renvoyé le dernier projet de loi à la Chambre des communes, il était évident que le président ignorait que l'industrie du tabac était venue faire toutes ces déclarations devant le Parlement. Ce qui figure dans ce préambule, surtout les attendus que vous avez mentionnés, provient des déclarations publiques ou des comparutions de l'industrie du tabac. Nous nous contentons de citer ces paroles.

Si vous craignez que le projet de loi soit provocateur, je dois vous dire que deux des trois PDG de l'industrie qui sont venus ici ont entièrement appuyé cette mesure. Le troisième l'a approuvée en émettant deux réserves. La première est qu'il voulait un siège au conseil d'administration. Cela n'avait pas été inclus dans le préambule. Sa deuxième réserve portait sur la perte des recettes provenant de la surtaxe sur les bénéfices, en 1994. Il estimait que le gouvernement devrait remettre cet argent pour le démarrage de la fondation. C'est à partir de ce moment-là que le financement des fabricants de tabac commencerait. Tout cela était extrait du hansard ou des témoignages des fabricants devant les comités du Sénat et de la Chambre ou des documents des fabricants de tabac.

Les experts en procédure qui ont préparé ce projet de loi nous ont dit que c'était la façon la plus efficace d'attirer l'attention du Président sur le contexte. Autrement, le Président ne saurait pas que les fabricants ont fait ces déclarations devant le Parlement. Selon les experts, nous aurions peut-être obtenu une décision différente du Président Parent, la dernière fois, si nous avions porté ces déclarations à son attention. Voilà pourquoi ils nous ont suggéré de les inclure dans le texte.

Quant au fait que ce projet de loi serait provocateur, je vous demanderais pour qui? Nous n'en parlerions évidemment pas s'il n'était pas provocateur, mais les PDG de l'industrie du tabac qui ont comparu devant nous ne s'y sont pas opposés. Ils n'ont pas dit non plus qu'ils y voyaient de la provocation. Ils n'ont pas nié qu'eux-mêmes ou leurs représentants avaient fait ces déclarations. Cela ne leur posait pas de problème.

Le sénateur Eyton: Je n'ai pas suggéré de laisser l'industrie agir impunément. Les attendus commencent par ces mots:

Attendu que l'industrie canadienne du tabac reconnaît que le tabac est un produit controversé en raison des risques que son usage présente pour la santé;

Que l'industrie a déclaré au Parlement qu'elle estime que fumer est une activité adulte et qu'elle appuie l'objectif des gouvernements et des gens de bonne volonté en tous lieux d'empêcher les jeunes de fumer;

Que les jeunes persistent à consommer les produits du tabac vendus par l'industrie même si la vente de ces produits aux jeunes est illégale au Canada;

Que l'industrie reconnaît que la préoccupation du public envers les jeunes qui fument est généralisée et fondée et que bon nombre de Canadiens jettent le blâme sur l'industrie;

Et le texte se poursuit ainsi:

Que l'industrie consent à soutenir activement la mise en application rigoureuse des lois fédérales et provinciales qui interdisent la vente de produits du tabac aux mineurs;

Qu'elle est consciente que les méthodes utilisées jusqu'à ce jour pour lutter contre le tabagisme chez les jeunes n'ont pas été efficaces pour éliminer ce problème;

Qu'il y a lieu d'édicter ce qui suit,

Cela me paraît suffisant pour que le Président ou toute autre personne qui examinera cette mesure puisse conclure que l'industrie se préoccupe du problème et tient à ce que ce projet de loi soit adopté.

Le sénateur Kenny: Par exemple, sur la deuxième page, on peut lire ceci:

Qu'elle a, à maintes reprises, exprimé aux gouvernements sa volonté de collaborer aux mesures entreprises par eux pour lutter contre le tabagisme chez les jeunes, étant donné qu'elle ne jouit pas de la crédibilité voulue pour prendre l'initiative de telles mesures,

C'est pour cette raison que nous avons ce «prélèvement pour les objectifs de l'industrie». Cet attendu décrit très clairement à un Président pourquoi cette formule a été choisie. C'est la raison pour laquelle un prélèvement est imposé pour répondre aux objectifs de l'industrie. De toute évidence, c'est l'une des raisons pour lesquelles les fabricants ne s'y sont pas opposés.

En outre, à une audience antérieure, certains membres du comité ont entendu M. Parker dire précisément ceci: «Nous voudrions faire quelque chose pour empêcher les jeunes de fumer, mais nous n'avons pas la crédibilité voulue et nous en sommes parfaitement conscients». Il parlait alors au nom de tous les fabricants de produits du tabac.

Je comprends ce que vous voulez dire, mais je ne vois pas l'intérêt de supprimer cela. Si ce n'est pas vrai, sénateur Eyton, je serais d'accord pour le supprimer. Si ce n'est pas ce qu'ont dit les fabricants, je serais d'accord. Si les experts en procédure n'avaient pas dit que ce serait utile pour permettre au Président de connaître le contexte avant de prendre une décision, je recommanderais de le supprimer. Toutefois, aucune de ces conditions n'est réunie.

Le sénateur Eyton: La dernière chose que je dirais est que vous vous fiez aux témoignages que le comité a reçus et vous avez peut-être raison. Mais je vous rappelle qu'il y a des dizaines de milliers de gens qui travaillent dans cette industrie un peu partout au Canada, y compris les agriculteurs qui, depuis des années, gagnent leur vie en cultivant et en vendant des feuilles de tabac. Cela me paraît inutilement provocateur. Tous les objectifs du projet de loi peuvent être atteints sans les attendus que j'ai mentionnés.

Le sénateur Kenny: Le projet de loi S-13 contient des dispositions pour inciter les producteurs de tabac à se lancer dans d'autres cultures. Nous avons également invité des producteurs à venir témoigner devant le comité, mais ils nous ont répondu par écrit que cela ne les intéressait pas. À ma connaissance, ils n'ont pas demandé au greffier à comparaître au sujet de ce projet de loi. Je vais demander au greffier s'il a reçu des demandes des producteurs de tabac ou des associations qui les représentent.

M. Michel Patrice, greffier du comité: Nous n'avons reçu aucune demande.

Le sénateur Kenny: Ils sont au courant de la loi. Des annonces sont régulièrement publiées dans leurs journaux. Nous avons vu les annonces commanditées par JTI McDonald et Imperial Tobacco. Je crois qu'elles ont été publiées dans The National Post, The Globe, La presse, The Ottawa Citizen et aussi, je crois, The Hill Times. Ils ne sont peut-être pas abonnés au Hill Times, mais je suppose qu'ils ont lu l'un ou l'autre de ces journaux.

Le président: Sénateurs, je crois avoir fait une erreur. Nous devons débattre du préambule à la fin. J'ai commencé par cela, parce que c'était au début. La procédure parlementaire exige toutefois que nous réservions ces dispositions et que nous en débattions à la fin.

Le sénateur Kenny: Si j'ai bien compris, nous pouvons procéder de cette façon ou nous dispenser de l'étude article par article.

Le président: Suivons la pratique habituelle.

Le sénateur Spivak: Je propose que nous nous dispensions de l'étude article par article.

Le président: Il nous reste quand même le préambule à examiner.

Le sénateur Adams: Moi aussi, j'ai une question, monsieur le président. Le sénateur Eyton a soulevé des questions concernant le préambule. Je crois qu'il l'a fait pour que ce projet de loi soit facilement adopté par la Chambre des communes parce qu'il pensait que certaines dispositions allaient trop loin. Ai-je bien compris?

Le sénateur Eyton: J'estime que nous pouvons avoir un projet de loi efficace qui pourra rallier davantage d'appuis. C'est tout ce que je recherchais. Nous pourrions ajouter un attendu disant: «Attendu que le sénateur Trevor Eyton a certaines réserves à l'égard des attendus qui précèdent». Nous pourrions aussi le faire.

Le sénateur Spivak: C'est une excellente observation.

Le président: Je crois que nous avons examiné le préambule en détail. Nous allons maintenant voter sur le préambule pour savoir si nous allons le modifier ou non, article par article.

Le sénateur Spivak: Un amendement a-t-il été proposé?

Le sénateur Kenny: Non, il n'y a pas eu de motion.

Le président: Sénateur Eyton, proposez-vous une motion pour modifier le préambule en supprimant ces quatre attendus?

Le sénateur Eyton: Je propose la motion.

Le président: Nous sommes saisis d'une motion proposant de supprimer ces quatre paragraphes.

Le sénateur Spivak: J'aurais tendance à l'approuver. Je sais ce que recherche le sénateur Eyton. Il veut un projet de loi plus élégant et il souhaite sans doute obtenir certains appuis dont je ne me préoccupe pas. C'est sans doute habile du point de vue politique. D'un autre côté, l'industrie ne s'est pas opposée à ces dispositions. Si elle n'y voit pas d'objection, je ne peux pas appuyer la modification du préambule. Je comprends l'objectif de mon collègue et c'est sans doute habile de sa part, mais telle est ma position.

Le président: Mettons alors la question aux voix. Tous ceux qui appuient l'amendement tendant à supprimer ces quatre «attendus». Une voix. Ceux qui s'y opposent? La motion est rejetée.

Le projet de loi est donc de nouveau sous sa forme initiale. Si c'est le cas, nous sommes prêts à recevoir une motion du sénateur Spivak. Devons-nous nous dispenser de l'étude article par article du projet de loi S-15 et faire rapport de ce projet de loi sans amendement?

Le sénateur Spivak: Oui, je propose la motion.

Le président: Tous ceux qui sont pour? C'est unanime.

Le sénateur Kenny: Avant que nous ne levions la séance, monsieur le président, je tiens à adresser mes remerciements aux membres du comité et du personnel qui ont travaillé très fort pour faire de cette mesure une réalité. Je suis toujours sidéré par le dévouement et l'appui dont nous avons bénéficié et je vous en remercie beaucoup personnellement. Je tiens à ce que vous sachiez combien j'apprécie votre intérêt et votre appui.

Le président: Vous méritez également nos félicitations. On accuse souvent le Sénat de ne pas faire grand-chose. Il s'agit certainement d'un projet de loi qui retient l'attention et nous sommes du bon côté.

Le sénateur Finnerty: Cela a certainement relevé le prestige du Sénat. J'ai toujours entendu des remarques positives.

La séance est levée.


Haut de page