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POFO - Comité permanent

Pêches et océans


Délibérations du comité sénatorial permanent des
Pêches

Fascicule 15 - Témoignages


OTTAWA, le mardi 19 février 2002

Le Comité sénatorial permanent des pêches se réunit aujourd'hui, à 19 heures, afin d'examiner des questions reliées à l'industrie de la pêche.

Le sénateur Gerald J. Comeau (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: En 1995, la Loi sur le vérificateur général du Canada a été modifiée afin de créer le poste de commissaire à l'environnement et au développement durable. Ces changements ont été apportés afin d'encourager le gouvernement fédéral à fournir un rendement élevé dans les secteurs de l'environnement et du développement durable. Brièvement, la commissaire, qui relève du Bureau du vérificateur général du Canada, effectue des analyses objectives et indépendantes, fournit des recommandations sur les mesures à prendre et présente un rapport annuel au Parlement.

En octobre dernier, la commissaire, Mme Johanne Gélinas, a présenté un rapport en sept chapitres à la Chambre des communes. Le premier chapitre porte sur le bassin des Grand Lacs et du Saint-Laurent et présente une évaluation de la gestion effectuée par le gouvernement fédéral d'une vaste gamme d'enjeux environnementaux. En ce qui concerne les pêches, la discussion porte sur des questions importantes telles que les espèces aquatiques envahissantes, l'habitat du poisson, l'information scientifique et les rôles du gouvernement fédéral et des provinces. Dans le passé, mais aussi plus récemment, le comité s'est beaucoup intéressé à ces domaines.

Depuis quelque temps déjà, le comité souhaitait inviter la commissaire, mais nous devions d'abord terminer nos rapports, et l'invitation a dû être retardée.

Finalement, ce soir, nous sommes heureux d'accueillir la commissaire, Mme Gélinas, et ses collègues. Nous vous remercions d'avoir accepté notre invitation. Les membres du comité auront de nombreuses questions à vous poser après votre exposé. Madame Gélinas, si vous voulez bien commencer par nous présenter vos collègues, vous avez la parole.

[Français]

Madame Johanne Gélinas, Commissaire à l'environnement et au développement durable, Bureau du vérificateur général du Canada: Monsieur le président, vous avez fait une très bonne présentation du rôle du commissaire. Si vous permettez, je vais quand même répéter un peu ce qu'est la fonction du commissaire.

J'aimerais tout d'abord vous remercier pour l'invitation et la possibilité de comparaître devant le comité. Je suis accompagnée ce soir d'experts qui sauront répondre à vos questions. Tout d'abord, M. John Reed qui était responsable du rapport sur les Grand Lacs. Monsieur Reed est accompagné de M. Gordon Stock, qui a produit le chapitre sur les pêches, et de M. Neil Maxwell, directeur principal au bureau du commissaire. Monsieur Maxwell pourra vous entretenir, entre autres, sur la question du changement climatique.

Je vous donnerai, aujourd'hui, un bref aperçu de mon rapport de 2001. Je me concentrerai sur le chapitre 1, intitulé: «Le bassin des Grands Lacs et du Saint-Laurent», notamment sur les sections se rapportant aux pêches.

Tout d'abord, j'aimerais décrire brièvement le rôle et le mandat du commissaire à l'environnement et au développement durable. Le poste de commissaire a été créé en 1995 par le biais de modifications apportées à la Loi sur le vérificateur général. Mon groupe est tenu, en vertu de son mandat législatif, de vérifier le rendement du gouvernement fédéral en ce qui a trait à la gestion des questions reliées à la protection de l'environnement et au développement durable. Nos vérifications récentes ont porté sur des sujets tels que la protection de la couche d'ozone, le changement climatique, les substances toxiques et les déchets dangereux. Nous faisons partie du Bureau du vérificateur général et travaillons souvent ensemble à des projets de vérification.

Les modifications apportées à la loi ont obligé tous les ministères fédéraux à produire un plan d'action en vue d'atteindre les objectifs qu'ils se sont fixés en matière de développement durable, soit une stratégie de développement durable. Mon bureau a également le mandat de faire le suivi des engagements pris par les ministères dans leur stratégie et d'en faire rapport au parlement.

[Traduction]

La loi prévoit également un processus de pétition. Les Canadiens peuvent ainsi adresser des pétitions au gouvernement par mon intermédiaire, afin d'obtenir des réponses à leurs questions en matière d'environnement. Une pétition peut prendre la forme d'une simple lettre. Mon bureau surveille le processus et assure le suivi des réponses fournies par les ministres. Le chapitre 7 de mon rapport décrit le processus et résume l'état d'avancement des pétitions, dont plusieurs ont été transmises à Pêches et Océans Canada.

Dans le chapitre 1, nous avons vérifié la façon dont le gouvernement fédéral traite les questions environnementales en rapport avec le bassin des Grands Lacs et du Saint-Laurent, pour deux raisons importantes. D'une part, le bassin, qui contient 20 p. 100 de l'eau douce de la planète, est une ressource environnementale cruciale pour le monde entier. Seize millions de Canadiens dépendent de ces ressources pour l'air pur et l'eau potable, la santé, l'emploi et les activités récréatives.

Quatre domaines d'intérêt ont retenu notre attention: l'eau, l'agriculture, les espèces et les espèces en péril, et les pêches. Nous voulions alors savoir si le gouvernement respectait ses engagements, s'il appliquait de saines pratiques de gestion pour les problèmes examinés et s'il avait en place des structures de gouvernance satisfaisantes dans l'ensemble. Cette vérification portait sur les activités de plusieurs ministères fédéraux.

Même si nous avons ciblé le bassin, bon nombre des questions et des programmes fédéraux que nous avons examinés ont une portée nationale, et nos constatations peuvent avoir des répercussions à l'échelle du pays entier. Bien que notre mandat se limite aux activités du gouvernement fédéral, la saine gestion de la durabilité du bassin repose sur de nombreuses autres parties. C'est un domaine de compétence partagée. Les provinces ont un rôle déterminant à jouer, tout comme d'autres paliers de gouvernement, l'industrie, les associations reliées aux pêches, les scientifiques et la population.

Qu'avons-nous constaté? Nous avons noté des succès et des améliorations remarquables en ce qui touche l'environnement dans le bassin au cours des trois dernières décennies. La vérification précise le rôle joué à cet égard par les fonctionnaires fédéraux.

[Français]

Pourtant, selon les données scientifiques les plus probantes à l'heure actuelle, même si certains aspects de l'environnement du bassin s'améliorent, d'autres se détériorent au moment où je vous parle. Au cours de la prochaine génération, la population canadienne des environs du bassin devrait augmenter de trois millions de personnes et son produit intérieur brut, de 60 p. 100 par rapport à ce qu'il est aujourd'hui.

Cette croissance de la population exercera d'autres fortes pressions sur un écosystème déjà fragile. L'écosystème aquatique est particulièrement vulnérable aux menaces telles que les pesticides et les produits chimiques toxiques provenant des eaux de ruissellement des terres agricoles, les eaux usées non traitées, la destruction des habitats du poisson et l'introduction d'espèces aquatiques envahissantes.

Cela m'amène à ma principale préoccupation. Je crois que l'avenir du bassin est menacé. Les efforts déployés par le gouvernement fédéral ont perdu leur dynamisme. Le leadership, l'innovation, l'activité scientifique et la diligence, qui ont eu une incidence favorable sur le bassin dans le passé, marquent un recul. Nous constatons un sentiment de complaisance et non d'urgence, de la résignation et non de l'inspiration.

Nos conclusions générales mettent en lumière quatre grands thèmes.

Premièrement, des enjeux et des problèmes importants sont négligés, et des engagements internationaux ne sont pas respectés, en partie parce que le financement accordé aux ministères a diminué. Par exemple, en 1994, le ministre de l'Environnement avait annoncé l'octroi de 125 millions de dollars en fonds nouveaux pour appuyer le Plan d'action des Grands Lacs; toutefois, les ministères ont reçu moins de 12 p. 100 de cette somme. Il n'y a pas d'arrimage entre les engagements pris par le gouvernement et les ressources qu'il a affectées à cette fin.

Deuxièmement, il n'y a pas de stratégie à long terme pour l'ensemble du bassin afin de contrer les principales menaces. Aucun organe fédéral n'énonce un point de vue concerté et cohérent sur les enjeux clés qui concernent les régions des Grands Lacs et du Saint-Laurent.

Troisièmement, les systèmes de mesure et de surveillance ainsi que la recherche scientifique sont inefficaces. L'information nécessaire pour prendre des décisions éclairées dans des secteurs tels que les milieux humides, les sols et l'habitat du poisson présente de graves lacunes.

Quatrièmement, le rôle du gouvernement fédéral évolue et se fait plus discret. Le gouvernement ne se sert pas des pouvoirs et des outils dont il dispose pour s'attaquer aux problèmes difficiles. Il s'en remet, de plus en plus, aux partenaires pour atteindre ses objectifs. Notre vérification a soulevé des questions fondamentales sur le rôle du gouvernement pour ce qui est de surveiller les interventions de ses partenaires et de veiller réellement à ce que les objectifs nationaux et fédéraux soient atteints.

[Traduction]

J'aimerais maintenant parler des sections de notre chapitre portant sur les pêches dans le bassin. Nous avons examiné quatre différents aspects: le rôle de conservation et de protection du gouvernement fédéral, l'information scientifique, les espèces aquatiques envahissantes et l'habitat du poisson.

Le message prédominant est que le gouvernement fédéral n'a pas défini ce que devrait être son rôle pour sauvegarder et protéger le poisson en eau douce, y compris celui du bassin. Il n'a pas de vision, il n'a pas déterminé son rôle par rapport à celui des provinces et il a tenté de déléguer ses responsabilités aux autres.

Le deuxième message d'importance, pour ce qui est du bassin, concerne les problèmes au niveau des programmes et de l'expertise scientifique de Pêches et Océans. Au début des années 90, les niveaux de financement fédéral des activités de recherche scientifique menées en Ontario étaient instables. Depuis lors, la situation dans la province s'est détériorée. Au Québec, le ministère n'a effectué presque aucun travail de recherche en eau douce.

Le ministère a cerné les lacunes de ses activités scientifiques, mais il n'a pas de plan pour les combler. Plus grave encore, le ministère perd son expertise scientifique dans les Grands Lacs puisque 54 p. 100 de ses scientifiques qui y travaillent devraient prendre leur retraite au cours des quatre prochaines années. Comme il n'a pas défini son rôle, le ministère ne sait pas ce qu'il lui faut sur le plan scientifique.

Le troisième message concerne le fait que le ministère ne prend aucune mesure pour faire face à la menace grave et grandissante qui pèse sur les pêches, soit les espèces aquatiques envahissantes. Depuis les années 1800, au moins 160 espèces, comme la lamproie marine et la moule zébrée, ont envahi le bassin. En théorie, le gouvernement fédéral a pris un engagement ferme afin de prévenir la propagation des espèces envahissantes. Dans les faits, les résultats se font attendre.

Le ministère a participé à un programme efficace de lutte contre la lamproie marine par l'intermédiaire de la Commission des pêcheries des Grands Lacs, mais il s'agit-là d'une exception. Le gouvernement fédéral n'a pas de politique, ni de cadre, ni d'approche structurée pour contrôler les espèces aquatiques envahissantes ou pour empêcher l'introduction de nouvelles espèces dans le bassin.

La principale menace provient des navires commerciaux qui entrent dans le bassin et qui peuvent transporter de nouvelles espèces dans leur eau de ballast. Le Canada a établi des lignes directrices facultatives en vertu de la Loi sur la marine marchande du Canada, mais celles-ci sont loins d'être efficaces.

Cette année, nous poursuivons nos travaux sur les espèces aquatiques envahissantes. Nous collaborons avec le Government Accounting Office (GAO) des États-Unis et comptons publier nos rapports distincts en octobre 2002.

[Français]

Finalement, j'aimerais parler d'un sujet qui vous tient à cœur: la protection de l'habitat du poisson. Bien que Pêches et Océans ait depuis 15 ans une politique de gestion de l'habitat du poisson, celle-ci n'a pas été mise en application de façon complète. En 1995, le gouvernement fédéral a tenté de déléguer officiellement aux gouvernements des provinces des Prairies, de l'Ontario et du Québec la gestion de l'habitat du poisson en eau douce sur leur territoire. Cette tentative n'a pas fonctionné, et l'Ontario a mis fin à son entente sur la gestion de l'habitat du poisson. Le Québec, pour sa part, alléguait que ses mesures législatives et ses programmes protégeaient déjà l'habitat du poisson. C'est ainsi qu'en 1999, Pêches et Océans a repris ses responsabilités à l'échelle nationale en matière de gestion de l'habitat du poisson en eau douce.

Depuis lors, le ministère a cherché tant bien que mal à renforcer son programme en Ontario. Il reconnaît que le programme doit être amélioré. En 1999, il a reçu 28 millions de dollars pour renforcer son programme national de gestion de l'habitat du poisson en eau douce. Toutefois, ce programme ne vise pas à produire le même niveau de surveillance et d'application des règlements au Québec qu'en Ontario.

Un autre problème, c'est que le ministère a peu d'information sur l'état de l'habitat du poisson dans le bassin. Il ne sait pas si l'habitat du poisson connaît des gains ou des pertes.

En conclusion, notre vérification montre clairement que l'avenir du bassin des Grands Lacs et du Saint-Laurent est vivement menacé. La voie empruntée par le gouvernement fédéral dans le bassin n'est pas soutenable.

Monsieur le président, nous vous remercions, ainsi que les membres du comité. Nous serons heureux de répondre à toutes vos questions.

Le président: Merci beaucoup, Mme Gélinas. Vous nous dépeignez un portrait assez sombre. En écoutant attentivement votre présentation je trouve les propos que vous tenez très inquiétants. Je pense que c'est un bon point de départ pour nous qui nous intéressons à la question de l'habitat du poisson que d'entendre ces commentaires et de constater que nous devrons examiner cet aspect important.

Le sénateur Meighen: Pour une fois, je suis content d'être membre de la race humaine et non pas un poisson. Je ne sais pas si mon habitat est plus favorable. Pour situer le problème, madame Gélinas, pouvez-vous me dire si on parle surtout, d'après vous, d'un problème d'argent ou d'un problème de volonté?

Mme Gélinas: Je pense qu'on ne peut faire fi qu'il y a effectivement un problème de ressources. On a mentionné, entre autres, que l'ensemble des engagements du gouvernement fédéral ne correspond pas aux ressources qui sont disponibles. De deux choses l'une: ou on réduit le nombre d'engagements ou on augmente les ressources. Vous serez en mesure de constater dans le rapport, en réponse à nos recommandations, que pour le ministère des Pêches et Océans on soulève à plusieurs reprises que pour eux il s'agit en partie d'un problème d'argent.

Nous disons qu'au-delà de ce problème qui est très certainement réel, le fait qu'on n'ait pas de vision, qu'on s'engage tous azimuts à tenter de régler à la pièce différents problèmes, on se retrouve avec un manque de priorité. Et très certainement, si le gouvernement fédéral et Pêches et Océans fixaient clairement leurs priorités pour les prochaines années, il y aurait moyen d'aborder certaines de ces priorités à partir des fonds qui sont disponibles dans les ministères.

[Traduction]

Le sénateur Meighen: Où en est la coordination avec les provinces? Votre rapport semble indiquer qu'il y a aussi des lacunes dans ce secteur. Si la coordination était plus efficace, l'attribution des fonds et des ressources le serait aussi.

Mme Gélinas: Les rôles et responsabilités ne sont pas définis; il est donc difficile d'effectuer une coordination efficace. Une des premières étapes consisterait à définir le rôle du MPO et à déterminer ce que le ministère aimerait accomplir en partenariat avec les provinces et d'autres organismes. On pourrait ensuite déterminer ce que chacun doit faire et si les fonds budgétaires sont suffisants pour y arriver.

Le rapport sur la gestion du bassin des Grands Lacs et du Saint-Laurent accorde une grande importance à l'instabilité des fonds.

M. John Reed, directeur principal, Bureau du vérificateur général du Canada: En ce qui concerne la coordination fédérale-provinciale, j'aimerais ajouter que pour chacun des secteurs que nous avons examinés, les rôles sont partagés en ce qui concerne les eaux, les pêches, l'agriculture et la protection des espèces à risque. Certains diront qu'il s'agit d'une question épineuse et qu'il est difficile de définir avec exactitude les rôles et responsabilités de chacun. Notre vérification nous a permis de constater, surtout pour le Québec, que les gouvernements fédéral et provincial ont travaillé ensemble, ont relevé leurs manches et qu'ils en sont venus à une entente. Ils ont défini les responsabilités et les rôles concrets pour chacun des secteurs à l'étude. C'est une preuve que cela est réalisable. C'est une question de bonne gestion, de bonne volonté et de clarté quant aux résultats à atteindre et quant à la manière de s'y prendre. Souvent, ces deux facteurs ne sont pas définis clairement lorsque les deux niveaux de gouvernement commencent à travailler ensemble. Sans une une vision claire et des objectifs bien définis, il est difficile de s'entendre sur le partage des rôles.

Le sénateur Meighen: Quand avez-vous déposé votre rapport?

Mme Gélinas: Le 2 octobre 2001.

Le sénateur Meighen: A-t-il évoqué une réponse officielle?Y a-t-il eu une réponse, en tout ou en partie?

Mme Gélinas: Le rapport contient les réponses des ministères à l'égard de nos recommandations. En l'occurrence, Pêches et Océans et Environnement Canada ont reconnu le bien-fondé de nos recommandations. À l'avenir, nous nous attendons à ce qu'ils prennent des mesures pour les mettre en oeuvre. Pour évaluer les progrès, il devrait y avoir un suivi tous les deux ans environ, afin de surveiller de quelle façon les ministères ont appliqué nos recommandations.

Le sénateur Meighen: Au cours des deux prochaines années, la seule façon pour nous de vérifier cela est d'interroger les fonctionnaires de Pêches et Océans?

Mme Gélinas: Oui. Cela nous serait fort utile, monsieur le Président.

Le sénateur Meighen: Nous vous aiderons volontiers.

Pour ce qui est des espèces exotiques qui ont envahi le bassin, je croyais que la lamproie marine y était entrée par la Voie maritime du Saint-Laurent. Cependant, après avoir pris connaissance du rapport, je crois maintenant comprendre qu'elle est entrée dans le système dans les années 1830. J'imagine que les lamproies ont remonté le canal Lachine jusqu'au lac Ontario. D'après le graphique, on a réussi à contrôler la population des lamproies marines, mais d'après mes observations empiriques, nous ne sommes pas en mesure de contrôler la population des moules zébrées. Avez-vous pu relever des progrès à l'égard des moules zébrées et d'autres espèces exotiques?

Mme Gélinas: Il y a énormément de travail à faire, et il faut tenir compte du fait que cela coûte très cher. Nous avons consacré environ 100 millions de dollars depuis 10 ans uniquement au problème des lamproies marines et des moules zébrées, sans pour autant le résoudre. D'après les chiffres, les dommages causés par les moules zébrées du côté canadien et américain des Grands Lacs se chiffrent à 3 milliards de dollars U.S. jusqu'à maintenant. C'est un problème énorme, qui prend de plus en plus d'ampleur, et jusqu'ici, nos efforts n'ont visé que deux des 160 espèces, même si elles n'ont pas toutes la possibilité de causer les mêmes dommages. La situation est grave et, à ce jour, Pêches et Océans n'a pas réagi.

M. Reed: Sénateur, je ne suis pas sûr d'avoir saisi la nature de votre question. La population des lamproies marines augmente et diminue, et nous essayons d'exercer un contrôle perpétuel sur elle en recourant à l'usage de pesticides.

Les moules zébrées s'inscrivent probablement dans la même catégorie. Elles existent, et nous sommes probablement en mode de contrôle perpétuel en ce qui les concerne également. Leur présence provoque des problèmes considérables, non seulement parce que ce sont des parasites des autres espèces, mais à cause des dommages qu'elles causent à la nature et à l'écologie des lacs. Une grande partie des sommes consacrées au contrôle des moules zébrées sert uniquement à assurer le nettoyage des conduites des eaux de ballast afin de permettre aux usines d'électricité de continuer à fonctionner. C'est le plus important volet des dépenses.

M. Gordon Stock, directeur, Bureau du vérificateur général du Canada: Pour ce qui est de la lamproie marine et de sa progression vers la région supérieure des Grands Lacs, ceci c'est produit après la construction du canal Welland. On a cru que l'espèce aurait pu être une espèce indigène du lac Ontario et qu'elle aurait pu y avoir migré par elle-même.

Compte tenu des coûts liés au contrôle des moules zébrées, je ne pense pas qu'à l'heure actuelle, la science possède un moyen efficace de lutter contre cette population ou d'en limiter la taille. À la lumière des coûts exigés pour contrôler ces deux espèces, sans compter les coûts relatifs à toutes les autres espèces, nous proposons dans le rapport de mettre davantage l'accent sur la prévention de l'incursion initiale. Dans cette perspective, nous pensons que le programme pourrait être plus efficace.

Le sénateur Meighen: Pourriez-vous nous donner une idée du degré de collaboration permanente entre les gouvernements des États frontaliers et les gouvernements provinciaux, ou entre le gouvernement du Canada et le gouvernement fédéral américain, étant donné que le bassin chevauche la frontière? Lorsque j'ai lu que 12 millions de dollars seulement sur les 125 millions de dollars du nouveau financement avaient été versés, je me suis demandé quelle avait été la réaction de nos partenaires dans l'entretien du bassin des Grands Lacs. Les Américains disent-ils que si nous ne faisons pas notre part, financièrement parlant, ils ne feront pas la leur non plus?

M. Reed: Vous avez soulevé une question importante. Globalement, un certain nombre d'institutions existent pour favoriser cette collaboration. Je songe, entre autres, à la Commission mixte internationale qui réunit tous les États, les provinces et les deux gouvernements fédéraux.

Le déclin du financement est un problème sérieux qui nuit à la capacité du gouvernement fédéral de respecter ses obligations. À vrai dire, nous signalons dans notre rapport que la communication de renseignements du gouvernement du Canada au gouvernement des États-Unis concernant la situation réelle et le respect de ses engagements n'a pas été franche et directe. Peut-être avait-on des doutes quant à l'état de la situation du côté américain, mais cela sera vraisemblablement une surprise pour les États-Unis. Il est difficile de dire comment les Américains réagiront. En fait, les États-Unis ont connu certains des mêmes problèmes, notamment en matière de financement, et eux-mêmes n'ont sans doute pas respecté tous leurs engagements, même s'il n'y a pas eu de travail de vérification spécifique à cet égard. Je ne pense pas que les États-Unis soient surpris de la tournure des événements car il y a eu des communications informelles sur le sujet. Cela dit, cela représente une menace en ce qui a trait au niveau de coopération.

Il y avait également tout un chapitre sur les rapports spécifiques du gouvernement fédéral avec la Commission mixte internationale, qui ont également suscité certaines inquiétudes. La Commission mixte internationale dessert très bien le Canada. C'est une institution binationale qui nous confère la moitié des voix en ce qui concerne la gestion de ces lacs. Cela dit, le gouvernement fédéral a fait un certain nombre de choses qui, concrètement, affaiblissent la capacité de la Commission de s'acquitter de son mandat et de protéger les intérêts des deux gouvernements. Ces questions épineuses ont été abordées dans divers chapitres de notre rapport.

M. Stock: Je voudrais également signaler qu'une autre commission contribue à coordonner le volet pêche entre les États, le gouvernement fédéral américain, les provinces et le gouvernement du Canada, soit la Commission des pêcheries des Grands Lacs. Cette dernière a joué un rôle de chef de file dans tous les efforts visant à contrôler la lamproie marine. Elle facilite les négociations d'un accord sur les prises totales dans les différents lacs et contribue à établir une population idéale pour les différentes espèces que les gens aiment pêcher. Son action s'exerce uniquement au niveau des États et des provinces pour les populations en question et elle choisit la nature des prises. Le gouvernement fédéral y est un observateur et non un participant actif.

Le sénateur Robertson: Je dois dire que votre exposé est plutôt décourageant. Ce doit être difficile pour vous d'aller au travail certains jours.

Si je comprends bien, votre entité existe depuis 1995, de sorte que vous avez environ sept ans d'expérience. J'essaie de comprendre votre fonctionnement. D'après les notes que j'ai lues, vous êtes tenue de faire rapport au Parlement une fois l'an?

Mme Gélinas: Oui.

Le sénateur Robertson: Avez-vous présenté six rapports au Parlement depuis vos débuts?

M. Reed: Il y a eu cinq rapports.

Le sénateur Robertson: Pour mieux comprendre votre façon de travailler, votre bilan et vos perspectives futurs, pouvez-vous me dire dans quelle mesure vous avez réussi à faire mettre en oeuvre vos recommandations?

Mme Gélinas: Comme je le disais au sénateur Meighen, nous faisons un suivi. Peut-être pourrais-je utiliser un exemple qui ne relève pas des pêches. Il y a deux ans, nous avons effectué une vérification sur le changement climatique qui a donné lieu à des recommandations spécifiques dans le rapport. L'an dernier, nous avons revisité le ministère de l'Environnement pour voir dans quelle mesure nos recommandations avaient été appliquées. Ce constat figure dans notre rapport 2001. D'ailleurs, cette information est du domaine public et les Canadiens peuvent suivre les progrès réalisés par le ministère pour ce qui est de mettre en oeuvre nos recommandations. Je dirais que nos recommandations ont été mises en oeuvre. Le problème tient plutôt à la lenteur avec laquelle elles l'ont été.

Cependant, nous avons l'intention de continuer à exercer des pressions et si les choses bougent un peu, elles ne bougent certainement pas aussi rapidement que nous le souhaiterions.

Le sénateur Robertson: De tous les ministères au sujet desquels vous présentez des rapports, lequel est votre plus grand succès? Vous parlez de changements climatiques. Toutefois, vous arrive-t-il de vous lever le matin et de vous dire que votre travail a eu un impact? Y a-t-il un impact discernable?

Mme Gélinas: Il y a deux ans, nous disions que le gouvernement fédéral n'assumait pas le rôle de leadership qui lui revenait à l'égard des changements climatiques. Dans notre suivi de l'an dernier, nous avons constaté que la plus grande partie de ce que nous lui avions demandé de faire était en place. Par exemple, le gouvernement avait mis en place le vaste processus de consultation en vue de planifier des mesures de manière à pouvoir effectuer une réduction des gaz à effet de serre à un niveau de 6 p. 100 inférieur aux niveaux de 1990. Il y a donc eu quelques cas de réussite.

Toutefois, il y a moyen de faire les choses avec plus d'efficacité, et nous le signalons. Nous présentons notre rapport en fonction de quatre critères, soit les travaux achevés, la recommandation a été mise en oeuvre de manière satisfaisante, la mise en oeuvre est en cours et, enfin, ce n'est pas fait. On peut donc facilement voir les réalisations.

M. Reed peut aussi vous donner un exemple. Même s'il est peut-être décourageant d'entendre ce que nous avons à dire, certains progrès ont été accomplis, et nous pouvons vous citer quelques exemples prometteurs.

M. Reed: Pour ce qui est des Grands Lacs, le rapport n'a été publié qu'il y a cinq ou six mois. Il est donc difficile de discerner les améliorations.

Chaque année où nous avons produit un rapport, une importante vérification a montré la voie à suivre. En 1998, nous parlions de changement climatique, en 1999, c'était les substances toxiques et, en 2000, c'était le smog. Nous pourrions vous donner des exemples positifs de la façon dont les ministères ont réagi aux recommandations que nous avons faites pour chacun de ces domaines d'activité.

Deux autres choses ont aussi leur importance. Tout d'abord, le simple fait que nous ayons choisi de vérifier un domaine incite les ministères à prendre des mesures au sujet des questions que nous soulevons. À mesure que notre rapport se rapproche de la date de publication, nous savons qu'il y a une tendance à prendre des mesures par anticipation de certaines de nos conclusions.

Ensuite, le processus parlementaire est pour nous crucial, étant donné la réaction qu'obtiennent des ministères les comités parlementaires, y compris les comités sénatoriaux comme le vôtre. Cela les tient sur le qui-vive. Nous constatons que nos rapports sont utilisés durant les échanges soutenus avec les hauts fonctionnaires des ministères. Même si cela ne figure pas dans le compte rendu officiel, il y a toujours en coulisse des échanges qui s'appuient sur nos rapports. Cet automne, la commissaire s'est réjouie, durant les consultations, d'entendre des personnes citer nos rapports. Elles assistent à des rencontres avec de hauts fonctionnaires et citent constamment nos rapports.

Il existe bien des façons de mesurer l'impact. La mise en oeuvre des recommandations en est une.

Le sénateur Robertson: Lorsque vous faites ces recommandations, les priorisez-vous? Si, par exemple, vous faites des recommandations au MPO, y en a-t-il qu'il faut mettre en oeuvre plus vite que d'autres?

Mme Gélinas: Nous ne l'avons pas fait jusqu'ici, mais nous nous efforcerons de le faire. Nous aimerions suivre la mise en oeuvre de nos principales recommandations de plus près. Nous pourrons alors voir si on leur donne suite. Par conséquent, on peut s'attendre que les problèmes seront résolus plus rapidement.

Dans le passé, nous avons présenté beaucoup de recommandations et, même pour nous, il était difficile de savoir laquelle il fallait mettre en oeuvre en premier. Nous sommes en train d'étudier la question à l'interne et nous essaierons d'améliorer cet aspect de notre travail.

Le sénateur Robertson: Je viens de la côte Est, de sorte que je suis très au courant de ce qui se passe dans le bassin du Saint-Laurent. Il y a quelques années, nous lisions beaucoup d'articles au sujet de la présence de baleines ayant des infections ou des maladies graves dans le fleuve et dans le bassin. Cela avait suscité beaucoup de consternation. Pouvez-vous me dire si cela se produit encore dans le bassin? Si des baleines sont infectées, d'autres espèces le sont peut-être également. Avons-nous fait des progrès dans ce dossier?

Mme Gélinas: Vous trouverez dans notre rapport une étude de cas portant sur les bélugas. C'est une des réussites.

M. Reed: Il y a beaucoup de réussites dans le bassin des Grands Lacs. Nous avons parlé de certaines d'entre elles dans le rapport, d'autres pas. N'oubliez pas que beaucoup de bonnes choses se sont faites dans le bassin, mais que nous n'en avons pas parlé.

Le problème des bélugas est expliqué dans la partie où il est question des espèces et des espaces en péril, à la page 221 de la version française du rapport.

Nous n'étions pas tous d'accord pour dire que cette étude de cas était une réussite. La population de bélugas était indubitablement en déclin, et il ne fait pas de doute que le gouvernement fédéral et d'autres partenaires ont élaboré un plan et pris des mesures. Les populations en ont profité. Ainsi, on a interdit la chasse. Depuis que la qualité générale de l'eau du fleuve s'est améliorée, on commence à se pencher sur les produits chimiques toxiques qu'absorbent les baleines. Ce sont là d'excellentes nouvelles.

Régler les problèmes comme ceux que posaient les bélugas et le rétablissement d'espèces est une entreprise à long terme. Ces problèmes ne se règlent pas en trois ou cinq ans. Bon nombre de ces populations, tout comme celle des êtres humains, mettent des générations à se rétablir.

Nous étions préoccupés, en partie, par la façon dont, face à beaucoup d'objectifs et de réalisations attendues à court terme, on peut faire en sorte de maintenir en place des programmes à long terme. Cela exige entre autres un engagement, du financement, de la recherche scientifique, de la modélisation à long terme.

C'est la mise en garde que nous avons faite. Le béluga illustre bien la façon dont une action concertée peut avoir une influence et a eu effectivement une influence. Toutefois, l'histoire ne s'arrête pas là. Il faudra attendre encore bien des années avant de connaître le résultat final.

Le sénateur Watt: Je vais me concentrer sur les recommandations que vous avez faites. Vous mentionnez, dans le rapport, que vous avez réussi, en ce sens qu'au moins deux ministères sont disposés à donner suite à vos recommandations, soit celui de l'Environnement et celui des Pêches et des Océans.

Avant de venir à cette séance, j'étais au Comité de l'énergie où le témoin était M. David Anderson, ministre de l'Environnement. Il a décrit les changements rapides survenus au sein de son ministère en prévision de l'adoption du projet de loi C-32. Un autre projet de loi porte aussi sur les espèces en péril, soit le projet de loi C-5.

Je viens du Nord, de la zone subarctique.

Les deux projets de loi que sont en train de mettre de l'avant les ministres s'appuient-ils sur des recommandations que vous avez faites?

M. Reed: Non, je ne le crois pas. Le projet de loi C-5 porte-t-il sur les espèces et les espaces en péril?

Le sénateur Watt: Oui.

M. Reed: Cela ne fait pas directement suite à nos recommandations. Nous mentionnons toutefois l'historique de ce projet de loi, bien que nous ne discutions pas de son mérite. La chronologie du projet de loi C-5 porte sur au moins six ou huit ans.

De mémoire, je ne suis pas sûr de la nature du projet de loi C-32.

Le sénateur Watt: Il a rapport avec la notion du développement durable, de la protection des espèces.

M. Reed: Est-il différent du projet de loi C-5?

Le sénateur Watt: Oui. Je crois qu'il modifiera peut-être la Loi canadienne sur la protection de l'environnement.

M. Reed: La Loi canadienne sur la protection de l'environnement a été adoptée en 1999. Le projet de loi C-32 est un peu différent. En 1999, nous avons rédigé un important rapport sur la gestion des substances toxiques. La Loi canadienne sur la protection de l'environnement n'était pas une réponse à notre rapport. Toutefois, bon nombre des questions que nous soulevions dans nos travaux sur les substances toxiques ont été reprises dans certaines dispositions de la loi. Ni le projet de loi C-5, qui porte sur les espèces et les espaces en péril, ni la Loi canadienne sur la protection de l'environnement ne sont une conséquence directe de nos travaux.

Le sénateur Watt: Vous nous avez brossé un tableau dominé par l'inaction et le manque de connaissances. Voilà qui confirme ce qui me préoccupe depuis un bon bout de temps. Nous semblons occupés à légiférer et à élaborer des lois pour protéger les espèces et l'environnement, mais quand il faut les appliquer, il semble y avoir inaction. D'après votre rapport, il n'y a pas de coordination entre les ministères. Cela n'est pas étonnant. Que faire?

Avez-vous recommandé la mise en oeuvre, dans certains lieux, d'un système de surveillance sur place qui serait un prolongement de votre organisme?

Mme Gélinas: Nous avons souvent dit que la surveillance est le pire aspect. J'ignore si nous avons fait une recommandation précise au sujet de la surveillance sur place.

M. Reed: Nous ne recommandons pas de secteurs particuliers à surveiller. Nous n'avons jamais pointé du doigt un endroit où il fallait améliorer la surveillance. Toutefois, comme l'a dit la commissaire, nous avons souvent recommandé que les ministères mettent en place un système ciblé de surveillance des questions dont ils assument la gestion.

Le sénateur Watt: Croyez-vous qu'il serait utile de mettre en place un système de surveillance? Vous sauriez au moins ce qui se passe sur le terrain.

M. Reed: Il existe de nombreux modèles différents de surveillance et de nombreuses interprétations différentes de ce que cela signifie. Dans de nombreux rapports que nous avons rédigés, nous avons dit qu'il est absolument essentiel d'avoir de bonnes données de surveillance recueillies selon des normes scientifiques. On ne saurait s'en passer pour prendre les bonnes décisions. Nous citons de nombreux exemples relatifs au bassin des Grands Lacs, y compris les questions auxquelles s'intéresse le comité, c'est-à-dire l'habitat. Le gouvernement fédéral ne comprend pas bien le phénomène de la perte ou du gain d'habitat, en dépit du fait qu'il s'est doté d'une politique explicite visant à protéger les habitats. Ce genre de surveillance est essentiel pour pouvoir prendre les bonnes décisions.

Nous ne ferions pas de recommandation quant au système particulier comme tel. Nous aurions tendance à recommander que les ministères en élaborent un qui correspond à leur mandat.

Le sénateur Watt: Vous affirmez que les ministères ne semblent pas coordonner leur action suffisamment pour que nous puissions, en bout de ligne, savoir ce qui se passe. Ce que j'en déduis, c'est qu'il faut créer un poste ministériel dont le titulaire coordonnerait les ministères qui travaillent directement en matière de santé, d'environnement et de pêches. Il faudrait peut-être coordonner le travail d'autres ministères également.

Mme Gélinas: Monsieur le président, il existe un problème de coordination entre les ministères, problème que nous soulignons tout particulièrement dans ce rapport sur les Grands Lacs. La grande famille fédérale à elle seule réunit de nombreux intervenants. Nous affirmons qu'il faudrait qu'ils se réunissent tous et qu'ils définissent qui fait quoi. Nous soulevons cette question constamment. Il n'y a pas de rôles ou de responsabilités clairement définis au sein du gouvernement fédéral pour décider qui fait quoi.

L'information relative aux espèces aquatiques envahissantes en est un exemple. Aucun ministère n'a clairement été désigné pour assumer le rôle principal. Le ministère des Pêches et des Océans fait sa part, mais il faut que le gouvernement fédéral désigne clairement qui se fera le champion de cette cause et qu'il fasse en sorte que ce ministère réunisse l'information, assure la coordination et voit à ce que le problème soit réglé.

Transports Canada a aussi une contribution à faire dans ce domaine. De plus, nos homologues américains y participent également parce que nous utilisons certaines parties de leurs lois pour traiter du problème. Si les espèces envahissantes menacent la santé humaine, quel est le rôle du ministère de la Santé? Nous ignorons la réponse à cette question.

Ce sont là des questions que nous avons constamment soulevées. Nous n'avons toujours pas la réponse.

Le sénateur Watt: Ce sont là des questions qu'il faudrait que tous contribuent à régler.

Je crois savoir, d'après votre rapport, que vous avez limité vos activités dans le bassin des Grands Lacs et du fleuve Saint-Laurent. La zone subarctique d'où je viens a un climat beaucoup plus froid, de sorte que le changement climatique y est beaucoup plus évident. Notre comité pourrait peut-être envisager de recommander que vous effectuiez des vérifications dans l'Arctique très bientôt. Des témoins oculaires nous ont confirmé que des gens meurent là-bas de ce qu'ils boivent, de ce qu'ils mangent et de l'air qu'ils respirent.

Nous sommes passés maîtres dans la discussion de ces questions, mais quand vient le temps de comprendre les enjeux et d'agir, nous ne sommes pas à la hauteur.

Comme vous, je voudrais qu'on mette en place un mécanisme efficace pour venir à bout de ces problèmes. Or, il faut établir ce mécanisme et le faire approuver par les gouvernements fédéral et provinciaux. Je crois qu'ils devraient collaborer davantage à ce chapitre. Il faut agir dès maintenant, car nous avons tous droit à la vie, droit que nous pourrions perdre en moins de deux, étant donné que les choses évoluent très vite.

Mme Gélinas: Je n'étais pas là à l'époque, mais en 1999, on a réalisé une étude sur l'Arctique. Les gens ici présents ce soir ne sont peut-être pas bien placés pour en parler, mais nous pourrions discuter de cette étude à un moment donné.

Nous commençons à évaluer la situation dans le Nord. Le rapport, qui doit être déposé en octobre 2002, portera sur les mines abandonnées et les sites contaminés, qui sont surtout situés dans le Nord. Je suis certaine que nous aurons des renseignements intéressants à vous communiquer.

Toutefois, nous voulons des suggestions. Si vous pensez que le commissariat devrait se pencher sur une question en particulier, j'accepterai volontiers d'examiner votre demande.

Je tiens à féliciter le comité pour l'initiative dont il fait preuve. J'administre un processus de pétition. Si une collectivité dans le Nord veut savoir comment le gouvernement fédéral gère une question liée à l'environnement ou au développement durable, il suffit qu'un représentant de cette collectivité nous écrive. Nous ferons en sorte qu'il reçoive sa réponse rapidement. Cette façon de faire — même si elle n'est pas aussi détaillée qu'une vérification — permet aux Canadiens de savoir ce qui se passe et ce que fait le gouvernement fédéral dans leur région.

J'ajouterais que ces échanges sont pour moi une source d'inspiration. Il est important de savoir ce que pensent les Canadiens.

Le sénateur Watt: Je m'intéresse, depuis déjà un bon moment, aux changements climatiques, aux sources de nourriture, à la qualité de l'eau et de l'air dans l'Arctique. J'ai même consulté des scientifiques. J'ai obtenu des renseignements du milieu scientifique, qui a formulé des recommandations à ce sujet dans le passé. Je suis en train d'analyser un rapport volumineux. Je devrait avoir fini d'ici une semaine. Je vous communiquerai volontiers ces renseignements, puisqu'ils pourraient vous aider à cerner les secteurs de préoccupation. J'ai compilé une liste de spécialistes de l'environnement, d'écologistes et de scientifiques. Vous pouvez consulter n'importe quel d'entre eux. J'ai leurs noms, adresses et numéros de téléphone. Ils pourront vous fournir plus d'information.

Le sénateur Cook: Je suis originaire de la province de Terre-Neuve et du Labrador, et je ne connais pas du tout le bassin des Grands Lacs. Toutefois, ce que je lis ici m'inquiète.

Vous avez parlé de durabilité. Qu'est-ce que cela signifie, pour ce qui regarde les responsabilités du MPO? Qu'entendez-vous par cela?

Mme Gélinas: C'est là une question clé.

Je pourrais vous montrer la stratégie de développement durable du MPO. Il y a environ 25 autres ministères qui sont en train de se doter d'une stratégie similaire. Il s'agit d'un plan qui définit leurs actions dans ce domaine.

Toutefois, j'ai de la difficulté à comprendre ce que fait précisément le MPO en matière de durabilité.

[Français]

On mentionne dans notre rapport que, de toute évidence, en ce qui a trait à la gestion des pêches, on n'est pas du tout en train de respecter ou de cheminer sur une voie qui est celle du développement durable. Nous avons des exemples dans le passé, notamment dans votre région, où on a vu quel était l'effet de la surpêche sur les communautés et sur l'économie. Quand on parle de développement durable ce n'est pas seulement de protéger l'environnement, c'est aussi de s'assurer que l'environnement va être protégé pour de longues périodes.

À ce sujet, je me permettrai peut-être un parallèle avec une fable qui m'a été racontée par les communautés autochtones que j'ai rencontrées la semaine dernière, et je pense que c'est la plus belle description du développement durable. Les Autochtones disent que tout ce qu'on fait doit honorer les sept générations précédentes et aussi enrichir les sept générations suivantes. Dans le domaine de la pêche, qu'on du ministère des Pêches et Océans ou des autres ministères, cela devrait être le leitmotiv dans la prise de décisions. Le développement durable est essentiellement une façon de penser, une façon d'agir où l'on doit, dans notre prise de décision, tenir compte d'autres aspects que strictement celui de l'environnement.

Nous avons tous à apprendre. Nous sommes sur une courbe d'apprentissage dans le domaine du développement durable. Cela doit faire plus de 10 ans qu'on en parle. On a encore beaucoup de difficultés à traduire cela dans nos gestes, et c'est une partie du mandat spécifique qui me revient.

Ainsi, pour répondre à votre question, dans quelques années je vais pouvoir mieux vous répondre si le ministère des Pêches, comme d'autres ministères, a suivi la voie du développement durable. Mon collègue, M. John Reed, fait le suivi des stratégies de développement durable. Si la stratégie est bien faite, si elle est bonne, si elle tient compte des trois composantes du développement durable, on devrait voir au fil des ans un changement dans la façon de penser des ministères, un changement dans la façon d'agir des ministères. On pourra alors peut-être parler de pêches durables, d'agriculture durable, de communautés durables et de développement durable.

Une stratégie de développement durable est un outil qui peut être extrêmement puissant. Toutefois, jusqu'à présent, elle n'a pas reçu l'attention méritée. Si vous permettez, j'aimerais permettre à mon collègue de vous en dire un peu plus sur ce qu'est le travail de vérification que l'on va entreprendre au cours des prochaines années en ce qui a trait aux stratégies. Évidemment, Pêches et Océans sera partie prenante des vérifications que nous allons faire.

[Traduction]

M. Reed: Nous avons pour mandat d'indiquer au Parlement si les ministères mettent en oeuvre les mesures énoncées dans leurs stratégies. Nous lui soumettons un rapport tous les ans.

Nous essayons surtout de déterminer si les résultats obtenus sont directement fonction des stratégies qui ont été mises en place. En quoi la façon de faire du gouvernement est-elle différente?

La réponse est simple. En 1995, le Parlement a modifié la loi et obligé les ministères à établir des stratégies. On partait du principe que quelque chose devait changer, puisqu'on ne cheminait pas sur la voie du développement durable. On partait du principe qu'on avait besoin d'un mécanisme, d'une stratégie, pour changer notre façon de faire.

Une bonne partie de notre travail, jusqu'à maintenant, a consisté à déterminer si les ministères disposaient de processus adéquats pour respecter tous les engagements qu'ils avaient pris. Nous consacrons beaucoup de temps aux processus. Les ministères ont appris à établir des stratégies, à mettre des systèmes en place, ainsi de suite.

Or, à partir de maintenant, nous allons nous concentrer sur la question suivante: qu'est-ce qui a changé? Les ministères ont-ils respecté les engagements qu'ils ont pris? Est-ce que cela a un impact sur les politiques, le financement des activités, les décisions du ministère? Nous voulons voir ce qui se fait différemment. Nous voulons voir comment le principe de durabilité est appliqué concrètement. Qu'est-ce qui a changé? Est-ce que les stratégies sont efficaces?

Le sénateur Cook: Vous avez dit, dans votre exposé, qu'il n'y a pas de politique, pas de cadre, que Pêches et Océans est responsable de la gestion de l'habitat du poisson d'eau douce. Vous pourriez peut-être m'éclairer. De nombreux joueurs, ici, remplissent un rôle de surveillance, mais est-ce le MPO qui a la responsabilité ultime à cet égard? Qui se charge de le mettre au pas pour faire en sorte qu'il respecte l'esprit de son mandat? Comment peut-on prôner la durabilité s'il n'y a pas de politique, de cadre?

M. Stock: Quand on a dit qu'il n'y a pas de politique et de cadre, on fait surtout allusion aux espèces aquatiques envahissantes. Pêches et Océans est responsable de ce secteur d'activité. Il est également chargé, aux termes de la Constitution, de sauvegarder et de protéger le poisson en milieu marin et en eau douce. De ce point de vue là, il joue un rôle déterminant.

Plusieurs organismes et compétences participent à la gestion du bassin. Le gouvernement fédéral américain, huit États, l'Ontario dans les Grands Lacs, et le Québec dans le Saint-Laurent, ont tous un rôle à jouer dans ce domaine, même si leur rôle est différent.

Au Canada, c'est le gouvernement fédéral qui est responsable, aux termes de la Constitution, de la conservation et de la protection du poisson. Les provinces, en plus de déterminer qui peut capturer du poisson, fixent la limite des prises. Ces deux rôles se recoupent, manifestement, parce que si la quantité de poisson capturé dans un plan d'eau est trop importante, il n'y a plus de conservation et de protection qui se fait.

Nous avons, dans le cadre de notre vérification et de notre rapport, essayé de démystifier un secteur d'activité très complexe dans le but de faire passer notre message. Le gouvernement fédéral a des responsabilités. Il a peut-être délégué une partie de celles-ci aux provinces et à d'autres parties, mais il a toujours pour mandat, en vertu de la loi, de voir à ce que les objectifs fixés soient atteints.

Est-ce que ces renseignements vous éclairent?

Le sénateur Cook: Je sais qu'ils doivent s'en tenir à l'esprit de la loi. Ce qui m'inquiète, c'est le volet application. Je veux savoir qui s'occupe de vérifier que les mesures sont mises en oeuvre dans l'esprit de la loi.

M. Stock: Nous soulignons, dans le rapport de vérification, que, bien que cette responsabilité ait été déléguée, la surveillance des activités des autres joueurs est nulle.

Le sénateur Cook: Au bout du compte, celui qui délègue cette responsabilité doit la reprendre parce qu'il ne peut l'abdiquer — il peut uniquement la déléguer.

M. Stock: Je suis tout à fait d'accord.

Le sénateur Cook: Et cette personne, c'est le MPO.

M. Stock: C'est exact.

Le sénateur Tunney: Je tiens à dire, dès le départ, que je ne connais pas tellement bien le sujet. Mon exploitation agricole est située tout près du lac Ontario, à mi-chemin entre Kingston et Toronto. La baie de Quinte n'est pas très loin. Plusieurs ruisseaux à truites se déversent dans le lac Ontario. Il y en a un qui se trouve sur mon exploitation. Des millions de truites arc-en-ciel viennent y frayer à chaque printemps, et des centaines de milliers de saumon quinnat se pointent à l'automne, ce qui fait que la présence de lamproies marines à cet endroit pose de sérieux problèmes. Il y a quelques années, on a déversé une substance dans le ruisseau pour enrayer les lamproies, et l'eau est devenue rouge. Ce processus a été géré, à l'époque, par le ministère des Terres et Forêts, qui a été remplacé par le ministère des Ressources naturelles à l'échelle provinciale.

J'aimerais vous poser des questions au sujet de votre rôle et du mandat du MPO. À votre avis, disposez-vous du personnel nécessaire pour effectuer votre travail avec efficacité et bien remplir votre mandat, et est-ce que ce personnel possède les compétences voulues? Plutôt que de rester dans une position d'attente et nuire à votre travail, le MPO se dote-t-il des ressources nécessaires pour réaliser des progrès?

Mme Gélinas: Le commissariat ne manque pas de personnel. Toutefois, je ne peux répondre au nom du MPO. Nous avons dit, dans notre rapport, que le MPO a de la difficulté à recruter des spécialistes, qu'il va perdre, à court terme, la plupart des scientifiques qui travaillent pour lui. Nous n'en savons pas plus. Notre travail de vérification ne portait pas sur les ressources humaines.

Je préférerais avoir plus de personnel, mais je peux composer avec celui que j'ai.

M. Reed: Vous allez trouver, dans un des chapitres de notre rapport, des statistiques sur les effectifs de Pêches et Océans Canada, plus précisément sur le nombre de spécialistes de l'habitat et d'agents de conservation que compte le ministère. Il recrute le personnel au fur et à mesure qu'il reprend ses responsabilités. Je pense qu'il est à court de personnel en Ontario. Il n'est pas tellement présent au Québec, et il n'a pas de plan pour résoudre ce problème.

Il est question du personnel scientifique dans un autre chapitre de notre rapport. C'est une question qui préoccupe beaucoup le ministère. Il sait qu'il va perdre un grand nombre de scientifiques au cours des prochaines années, et cette situation l'inquiète beaucoup.

M. Stock: Le MPO a conclu des ententes avec 37 offices de protection de la nature quand il a mis en place son nouveau programme de gestion de l'habitat. Il y a un office dans votre région, en Ontario.

Les offices de protection de la nature aident Pêches et Océans à assurer la protection de l'habitat. Ils servent de contact aux personnes qui veulent, par exemple, aménager un ponceau ou installer un quai devant leur propriété. Ils vous indiquent comment effectuer ces travaux sans nuire à l'habitat du poisson.

Les offices assurent la gestion des bassins hydrographiques; ils sont régis par la Loi sur les offices de protection de la nature. Ils fournissent beaucoup d'aide à Pêches et Océans, qui a conclu une entente avec chacun des offices dans la région. Toutefois, il y a plusieurs régions dans la province qui n'ont pas d'office de protection de la nature. C'est donc le MPO qui se charge de faire le travail, sauf qu'il n'a pas nécessairement les ressources humaines pour le faire.

Mme Gélinas: En ce qui a trait au Québec, quand nous avons effectué la vérification, il n'y avait aucun fonctionnaire de Pêches et Océans et aucun scientifique sur place pour fournir des conseils et des renseignements sur l'habitat du poisson. Voilà qui devrait répondre à votre question.

Le sénateur Tunney: Le système est donc totalement inefficace.

Vous ne le savez peut-être pas, mais on envisage sérieusement d'interdire la pêche au doré jaune dans la baie de Quinte, qui est un lieu de pêche de choix pour ce type de poisson. Des milliers d'Américains viennent dans la baie de Quinte pour pêcher le doré jaune, peu importe la saison. Les stocks ont diminué au cours des dernières années, et on a envisagé d'en interdire la pêche pendant un an, sauf qu'on a maintenant décidé de l'autoriser pendant une autre année.

Est-ce Pêches et Océans qui prend ces décisions?

M. Stock: Nous avons dit, dans le rapport, que Pêches et Océans n'a établi aucun critère pour déterminer à quel moment il devrait intervenir pour protéger une espèce menacée. Encore une fois, comme il s'agit d'une compétence partagée, c'est à la province de déterminer qui peut pratiquer la pêche, et de fixer la limite des prises. Il y a un lien, sauf que les critères concernant l'intervention du gouvernement fédéral, si intervention il y a, n'ont pas été établis.

Par ailleurs, nous devons essayer de mieux comprendre pourquoi les stocks de poisson diminuent, les facteurs qui sont à l'origine de cette diminution, et faire en sorte que ces données servent de fondement aux décisions futures.

Nous indiquons, dans notre rapport, que le niveau de surveillance a diminué par rapport à ce qu'il était au milieu des années 90. Le problème se situe non seulement au palier fédéral, mais également au palier provincial et peut être attribuable aux compressions qui ont été décrétées.

M. Reed: La vérification nous donne un aperçu de la situation. Pour ce qui est de la pêche, il a fallu de nombreuses décennies pour arriver à la situation que nous connaissons aujourd'hui. Le partage des responsabilités comporte un volet à la fois théorique et pratique.

Le gouvernement fédéral est, en théorie, responsable de la pêche aux termes de la Constitution et de la Loi sur les pêches. Il a conclu, au fil des ans, deux types d'arrangements avec les provinces, ce qui a sans doute contribué à clarifier les choses. L'Ontario s'occupait de recueillir des données scientifiques, de délivrer des permis de pêche à la ligne, ainsi de suite.

Or, dans les années 90, les compressions financières décrétées par le gouvernement fédéral et les provinces, et la délégation de responsabilités ont eu pour effet de compliquer une situation qui était déjà complexe au départ. On ne savait plus qui était censé faire quoi. Voilà pourquoi nous disons au ministère qu'il doit définir son rôle pour ce qui est de la gestion du poisson d'eau douce.

M. Tunney: Bien entendu, le fait que nous ayons les États-Unis comme voisin complique les choses.

Que pensez-vous de l'idée d'introduire de nouvelles espèces dans le bassin des Grands Lacs? Je fais allusion ici au saumon coho et au saumon arc-en-ciel de la côte Ouest. Nous avions de l'éperlan dans le lac Ontario qui servait de nourriture aux autres poissons pendant toute l'année. Si nous introduisons une trop grande variété de poissons de grande taille, aurons-nous des problèmes sur le plan de la durabilité?

Mme Gélinas: Les espèces aquatiques envahissantes posent de sérieux problèmes. Toutefois, je n'ai pas de renseignements au sujet des deux types de poissons que vous avez mentionnés.

M. Stock: Ces deux types de poissons sont importants pour la pêche sportive, car ils sont très recherchés. Il existe un équilibre entre les désirs des pêcheurs sportifs et la production durable d'autres types de poissons présents dans les lacs. Il faut tenir compte de ces facteurs avant de prendre une décision. Il faut se fonder sur des données scientifiques fiables et sur les expériences menées dans le passé dans le lac Michigan avant de prendre une décision.

Le président: Il y a une question qui revient sans cesse: comment s'entendre avec le MPO? Il m'arrive parfois de perdre espoir et de me dire qu'on ne peut y arriver à cause de la culture du ministère.

Par exemple, dans nos deux ou trois derniers rapports, nous avons demandé au MPO de s'attaquer, entre autres, à la question des quotas privés et de la délivrance de permis de pêche sur les côtes Est et Ouest. Nous avons dit que le comité ne prendrait aucune décision à cet égard, qu'il préférait confier cette tâche au MPO. Le MPO a finalement répondu en disant qu'il consulterait les Canadiens de la région Atlantique. Toutefois, alors qu'il s'apprêtait à tenir des consultations, les fonctionnaires du ministère déclaraient, dans diverses tribunes et publications internationales, que la seule solution était de privatiser le secteur de la pêche, de le confier à l'entreprise privée, ce qui ne correspondait absolument pas à ce que nous avions demandé au ministère de faire à l'époque. Le ministère laissait entendre qu'il n'avait pas de politique à cet égard, pendant que ses propres fonctionnaires chantaient les louanges de la privatisation. Je ne dis pas que la privatisation est une mauvaise chose, mais il faudrait d'abord en parler aux pêcheurs.

Ce qui m'inquiète, c'est que si le ministère compte aller de l'avant avec ce projet, ou refuse de tenir compte des conseils qui lui sont donnés — parce que s'il ne tient pas compte des pressions qu'on exerce sur lui, le problème finira pas disparaître — il finira tout simplement par imposer sa politique, de sorte que nous cesserons de nous intéresser à la question et que nous passerons à autre chose.

Ai-je tort de dire une chose pareille? Avez-vous l'impression que le MPO ne tient pas compte de vos recommandations?

Mme Gélinas: J'occupe ce poste depuis peu de temps et je suis toujours optimiste, mais mes collègues ont peut-être des commentaires à faire à ce sujet.

Le commissariat doit, au fil des ans, faire le suivi des mesures qui ont été prises et déterminer si le MPO respecte ses engagements. Mon expérience est différente de la vôtre. La politique de gestion de l'habitat du poisson date de 1986. Le problème, c'est qu'une seule des huit stratégies faisant partie de cette politique a été mise en oeuvre. La situation est peut-être différente, mais je ne sais pas si cela change grand chose, car les stratégies ne sont pas mises en oeuvre.

Mes autres collègues pourraient peut-être vous dire si le MPO tient compte de nos recommandations.

M. Reed: Six ministères différents participent à l'étude du bassin des Grands Lacs. Ce n'est pas la première fois que nous sommes appelés à travailler avec divers ministères dans le cadre d'une vérification. Le MPO n'est pas tellement différent des autres ministères. En tout cas, je n'ai pas eu l'impression qu'il essayait d'imposer ses politiques.

Il est clair, d'après cette vérification, qu'il ne comprend pas vraiment le rôle qu'il doit jouer dans la gestion du poisson d'eau douce. Quand un rôle n'est pas clair, il faut demander des précisions aux cadres supérieurs du ministère. Cette absence de clarté a un impact sur l'ensemble du programme. Il ne sait pas quel genre de données scientifiques doivent être recueillies, s'il bénéficie du soutien dont il a besoin pour mettre en oeuvre son programme de gestion de l'habitat dans une province qui ne veut pas de sa présence, ainsi de suite.

Ce fait à lui seul donne l'impression que le MPO, contrairement à d'autres ministères, ne prend pas son rôle au sérieux. Nous avons eu l'occasion de travailler avec d'autres ministères qui ont une idée bien plus précise des objectifs qu'ils doivent atteindre et des mesures qu'ils doivent prendre pour y arriver.

Le président: Le comité a examiné, en 1996, le projet de loi sur les océans. Tous les membres du comité, y compris les députés de l'opposition, étaient en faveur de cette mesure. En fait, nous avons tout fait pour que le projet de loi soit adopté rapidement. Or, depuis 1996, peu de choses ont changé, bien qu'il y ait eu des progrès. La loi visait à régler certains des problèmes que vous avez cernés ce soir. Toutefois, peu de progrès ont été réalisés.

Le Sénat est en train d'examiner le projet de loi sur les aires marines nationales de conservation. Or, tous les objectifs énoncés dans cette loi pourraient, semble-t-il, être atteints sous le régime de la Loi sur les océans. Il suffirait d'y apporter une petite modification, modification qui ferait ressortir l'importance de la Loi sur les océans. Il ne serait pas nécessaire de créer une nouvelle force policière. Or, on semble avoir complètement raté le coche. Le projet de loi visant à créer des aires marines nationales de conservation est en train d'être adopté par le Parlement, qui fait comme si la Loi sur les océans n'existait pas.

Vous avez dit, plus tôt, au sénateur Watt qu'il ne semble y avoir aucune coordination entre les ministères, même si les responsabilités du MPO sont probablement celles qui sont les mieux définies. Elles le sont effectivement.

La loi qui a permis de créer votre ministère est sans doute une plus ancienne loi que le Parlement ait adoptée. Elle date de 1868, ce qui veut dire que les gens devraient avoir une très bonne idée de ce qu'ils font. Or, cela ne semble pas être le cas. Ce que je trouve frustrant, c'est qu'il leur a fallu tout ce temps, soit depuis 1868, pour comprendre ce qu'ils sont censés faire. Avez-vous des commentaires à ce sujet?

[Français]

Mme Gélinas: Vous avez apporté vos exemples, et j'ai les miens devant moi, à la vérification qu'on a effectuée. Si on regarde le mandat de Pêches et Océans, il y a un aspect du mandat qui était très clair, qui est de protéger l'habitat du poisson. Je mentionnais tout à l'heure qu'en 1986 nous avons produit une politique qui adressait très bien la question. Et si cette politique avait été mise en application, nous ne serions pas aujourd'hui en train de parler de toutes les lacunes reliées à la gestion de l'habitat du poisson. Il est clair, nous recommençons pratiquement à la case départ en ce qui a trait à ce dossier, 15 ans plus tard.

À certains égards, je peux partager votre frustration, car à la vitesse où vont les choses, lorsque nous parlons de développement durable, nous n'en sommes même pas à la stricte protection de l'environnement, alors que le développement durable exige beaucoup plus. Je me permettrai de réitérer l'importance que vous devez accorder, que je dois accorder, que les Canadiens doivent accorder aux stratégies de développement durable. Clairement, ce dont il s'agit c'est du plan d'action du ministère des Pêches, dans le cas qui nous concerne aujourd'hui, en ce qui a trait tout d'abord aux engagements, aux objectifs que le ministère s'est fixé et aux actions.

Pour ma part, je peux vous garantir que je vais suivre à la trace le progrès du ministère, et je viendrai, aussi souvent que vous m'inviterez à le faire, vous faire rapport de leur progrès en ce qui a trait aux engagements pris. Lorsqu'on prend soin de confiner dans un document nos engagements — et il est clair que le développement durable fait partie de la mission centrale en ce qui a trait à la gestion des pêches — lorsqu'on prend soin de mettre par écrit ce qu'on veut réaliser comme objectifs, dans quelle mesure on va les réaliser, je pense que nous avons la responsabilité de suivre le tout de très près.

Jusqu'à maintenant il n'y a pas eu suffisamment de publicité et d'intérêt accordés aux stratégies. Cela va être notre outil de travail pour s'assurer que les objectifs seront réalisés. Avec les années peut-être que les ministères donneront moins d'engagements quitte à les respecter davantage, c'est mon souhait le plus cher.

Le président: Vous serez certainement invitée à nouveau, madame. J'aurais aimé toucher à toute la question des pétitions, mais l'heure avance.

[Traduction]

Le sénateur Robertson: C'est un peu décourageant. Vous devez vous même trouver cela démoralisant. Vous avez parlé des différentes responsabilités des ministères du gouvernement. Le gouvernement fédéral cède certaines de ses responsabilités aux gouvernements provinciaux, sauf que les provinces ne les assument pas. Si j'ai bien compris, divers gouvernements sont responsables de certains plans d'eau.

Est-ce que les gouvernements cèdent des responsabilités aux multiples ONG ou organismes publics qui existent, ou uniquement aux organismes gouvernementaux? Y a-t-il beaucoup d'autres organismes qui veulent aider et qui fournissent peut-être déjà une aide?

Mme Gélinas: J'ai dit dans ma déclaration d'ouverture que tout le monde avait un rôle à jouer. Cependant, personne ne semble vouloir remplir ce rôle. Ce n'est sans doute pas une bonne façon de présenter les choses.

Le gouvernement fédéral doit, et c'est très clair dans mon esprit, se doter d'une vision, fixer les priorités. Comme l'a dit M. Stock, il y a deux provinces, huit États et plusieurs municipalités qui s'intéressent à la gestion du bassin des Grands Lacs. Nous devons collaborer ensemble.

Comme les ressources dont nous disposons pour régler les problèmes sont limitées, nous devons coordonner nos efforts.

Les pêcheurs à la ligne sont inquiets. J'étais à Toronto, il y a quelques mois, pour discuter du rapport sur les Grands Lacs. Les pêcheurs à la ligne insistent pour que des mesures soient prises. Nous devons nous réunir, déterminer qui fera quoi, et travailler ensemble.

En ce qui a trait à la gestion du bassin des Grands Lacs et du Saint-Laurent, de nombreux joueurs s'en occupent, sauf qu'ils travaillent tous chacun de leur côté. Le gouvernement fédéral doit se doter d'une vision et faire en sorte que tous les joueurs collaborent ensemble.

Le sénateur Robertson: Vous dites que différents paliers de gouvernement participent au processus, qu'ils essaient de travailler ensemble. Le secteur privé, lui, n'est pas inclus.

Vous ne le savez peut-être pas, mais le comité a réalisé une étude sur l'aquaculture, qui représente, pour ma province, le Nouveau-Brunswick, une industrie importante. Pouvez-vous nous dire, de façon générale, quels sont les effets de l'industrie sur l'environnement et l'habitat? Avez-vous une idée de l'impact qu'a l'aquaculture sur l'environnement?

Le président: Je vais vous distribuer une lettre que m'a fait parvenir la vérificatrice générale et qui porte sur l'aquaculture.

Mme Gélinas: Mon groupe n'a pas consacré beaucoup de temps à la question de l'aquaculture. M. Reed suit le dossier par le biais de la stratégie de développement durable. M. Stock peut peut-être vous donner d'autres précisions. Comme je ne connais pas assez bien le sujet, je ne peux vous dire si l'aquaculture a un impact sur l'habitat du poisson.

M. Reed: M. Stock peut sans doute vous donner plus de détails. L'équipe responsable du dossier des pêches a fait une étude sur la salmoniculture. Ce qui nous inquiète dans ce cas-ci, c'est ce qui arrive quand une espèce non indigène s'échappe. Il peut y avoir une perte d'habitat.

Notre rapport de 1999 contenait un chapitre sur les substances toxiques et l'aquaculture. Nous avons, notamment, analysé les effets qu'a l'épandage de pesticides sur les enclos. Nous avons constaté que ces produits causent effectivement des dommages à l'habitat. Une fois l'épandage terminé, les pesticides pénètrent dans l'eau et détruisent tout ce qui se trouve sur leur passage. Voilà deux exemples de l'impact qu'à l'aquaculture sur l'habitat.

M. Stock: Mis à part ce que dit la lettre que la vérificatrice générale a fait parvenir au comité en décembre, je ne sais pas vraiment ce que fait l'équipe responsable du dossier des pêches au chapitre de l'aquaculture. Nous avons effectué un certain nombre de vérifications sur le saumon du Pacifique. Il y en a une qui portait sur la pisciculture et sur certains aspects de l'aquaculture: l'aquaculture en cage, l'emplacement des enclos, l'état de l'habitat sous les enclos et la propagation de maladies. Plus la liste est longue, plus l'étude prend du temps. Je sais que le comité a examiné la plupart de ces questions dans le cadre de son étude.

En ce qui a trait à l'aquaculture, la vérificatrice générale mentionne dans sa lettre que nous allons assurer le suivi des vérifications menées sur la côte du Pacifique. Nous allons également jeter un coup d'oeil sur la situation qui existe sur la côte Est, mais, cette vérification ne sera aussi approfondie que celle que nous avons menée sur la côte Ouest.

Le président: Les sénateurs Robertson et Meighen veulent savoir si la vérificatrice générale compte examiner la situation sur la côte Est. Nous avons reçu une lettre de son bureau qui indique qu'ils comptent effectivement se pencher là-dessus, et déposer un rapport en l'an 2004. C'est ce que dit essentiellement la lettre que nous avons reçue. Est-ce que les membres du comité souhaitent qu'on l'annexe aux procès-verbaux?

Des voix: Oui.

Le sénateur Meighen: Il est question, dans le paragraphe 21 de votre exposé, de la Loi sur la marine marchande du Canada. Quand je pratiquais le droit à Montréal, au début de ma carrière, j'avais l'habitude de m'occuper de dossiers qui mettaient en cause des propriétaires de navires accusés de décharger du carburant dans le port de Montréal et dans l'estuaire du Saint-Laurent. Les amendes étaient très élevées, même à cette époque.

Dois-je comprendre que le déchargement de l'eau de lest des navires n'est assujetti à aucun règlement? Peu importe la quantité et la provenance, est-ce que ce déchargement se fait uniquement selon certaines lignes directrices facultatives, qui sont manifestement inefficaces? Avez-vous recommandé que ces lignes directrices, qui ne sont que des intentions pieuses, soient transformées en règlements?

Mme Gélinas: Il n'existe aucun règlement à cet égard. Transports Canada s'est engagé, conformément à sa stratégie de développement durable, à en mettre un en place d'ici 2002. C'est une question sur laquelle vous pourriez vous pencher. Nous allons certainement le faire très bientôt.

Le sénateur Meighen: Si nous suivons tous les deux la situation de près, nous arriverons peut-être à quelque chose.

M. Reed: Comme je ne suis pas un avocat, je dois m'exprimer avec prudence. À l'heure actuelle, le changement de lest liquide est réglementé aux États-Unis, mais pas au Canada. Nos lignes directrices sont facultatives.

Le sénateur Meighen: Qu'entendez-vous par changement? Est-ce que l'eau de ballast est transférée d'un plan d'eau à un autre?

M. Reed: On laisse entendre que, si les navires changent leur lest liquide qui est composé d'eau salée, toutes les espèces d'eau douce meurent. Quand ils pénètrent dans les lacs et le fleuve, l'eau de ballast est stérilisée et dépourvue de tout organisme étranger. Ce processus est obligatoire aux États-Unis, mais il ne constitue qu'une ligne directrice au Canada. Les bateaux arrivent et déclarent s'ils ont procédé ou non au changement de lest liquide.

J'hésite à répondre à votre question, parce que vous avez parlé du déchargement de l'eau de ballast dans d'autres parties des lacs. Je ne suis pas sûr, mais il peut y avoir des règlements qui interdisent le rejet de déchets.

Le sénateur Meighen: Il y a des règlements qui portent sur la vidange des réservoirs de carburant.

M. Reed: Cette activité est peut-être réglementée aux termes de la Loi sur la marine marchande du Canada.

Le sénateur Meighen: En tout cas, je me suis occupé de tels dossiers.

M. Stock: La Loi sur les pêches, et notamment l'article 36, précise qu'il est interdit de rejeter une substance nocive dans les eaux. Il est possible que cela s'applique à l'eau de ballast ou au carburant.

Pour ce qui est des lignes directrices et du changement de lest liquide, je veux que les choses soient bien claires. Les navires changent le lest liquide quand ils naviguent en plein océan, et cette opération est risquée, car elle entraîne une certaine instabilité. Il faut que toutes les conditions soient réunies pour que le changement puisse se faire. Sinon, les navires vont entrer dans le bassin avec à leur bord le même lest liquide.

Nous avons constaté, dans le cadre de notre vérification, qu'entre 75 et 95 p. 100 des navires qui entrent dans le bassin ne transportent pas de lest liquide, ce qui veut dire qu'ils sont chargés quand ils pénètrent les lacs. Or, il y a toujours des résidus au fond des réservoirs. Lors du déchargement, le navire se charge de lest. Le navire peut être chargé ailleurs et se débarrasser du lest liquide. Cette eau se mélange aux résidus qui se trouvent au fond des réservoirs, et le tout finit par aboutir dans les lacs.

On essaie de trouver une solution qui répond aux besoins de l'environnement et des propriétaires de navires. Cet exercice s'avère très coûteux. On essaie de résoudre le problème.

Le sénateur Meighen: Je crois comprendre que ces règlements vont être en place en 2002.

M. Stock: Ces règlements vont s'appliquer uniquement au changement de lest liquide.

Mme Gélinas: Ils ne s'appliqueront pas aux rejets de carburant?

M. Stock: Ils ne s'appliqueront pas aux autres produits que j'ai mentionnés. Cela représente trois-quarts des navires.

Le sénateur Meighen: Cela engloberait les déchets huileux — le combustible de soute C.

Mme Gélinas: Comme je l'ai déjà mentionné, nous sommes en train d'effectuer d'autres travaux de vérification sur les espèces aquatiques envahissantes en collaboration avec nos homologues américains. Les règlements sur le lest liquide en font partie. Nous accepterons volontiers de vous rencontrer, plus tard cette année, pour vous faire part de nos constatations.

Le président: Au nom du comité, merci d'avoir comparu devant nous ce soir. Votre exposé était fort instructif.

La séance est levée.


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