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AEFA - Comité permanent

Affaires étrangères et commerce international

 

Délibérations du comité sénatorial permanent
des affaires étrangères

Fascicule 1 - Témoignages du 13 mars 2001


OTTAWA, le mardi 13 mars 2001

Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères se réunit aujourd'hui à 18 heures pour examiner les faits nouveaux en matière de politique, de questions sociales, d'économie et de sécurité en Russie et en Ukraine, les politiques et les intérêts du Canada dans la région ainsi que d'autres sujets connexes et pour en faire rapport.

Le sénateur Peter A. Stollery (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Honorables sénateurs, je veux que nous traitions d'un point à l'ordre du jour avant d'entendre notre témoin, le professeur Vladimir Popov. Le comité de direction a discuté de la nécessité pour le comité de tenir certaines réunions d'une journée complète les lundis. Vous recevrez des avis, mais je voulais signaler la chose à votre attention. Nous songeons au lundi 30 avril. Cela est dû au même problème qui s'est posé aujourd'hui et à la nécessité d'accélérer cette étude. Je ne manquerai pas d'envoyer des avis aux membres du comité et tout le monde sera informé. Nous prendrons une journée complète et tenterons de prendre de la vitesse.

Le professeur Popov a fait preuve d'une grande patience. Il attend depuis plus d'une heure.

Professeur, il s'agit de la première séance de la session que notre comité consacre à l'étude de ce sujet très important qui nous occupera quelques mois.

M. Vladimir Popov, professeur, Institut d'études européennes et russes, Université Carleton: Honorables sénateurs, j'aimerais utiliser le temps qui m'est imparti pour vous brosser un tableau général de la situation et je ferai ensuite de mon mieux pour répondre aux questions que vous pourriez me poser pour obtenir certaines précisions.

Je veux que vous compreniez bien que je suis spécialisé en économie. J'observe les économies en transition, y compris l'économie russe. Cependant, je serai disposé à répondre à toutes les questions dans la mesure du possible.

Une baisse spectaculaire de la production donne une image de la situation. Il s'est produit au cours des années 90 ce qu'on a appelé une «récession transformationnelle», une baisse sans précédent de la production qui s'est échelonnée sur près d'une décennie. L'histoire de l'économie ne relate aucune autre baisse aussi spectaculaire de la production sauf dans des circonstances extrêmes ou inhabituelles comme une guerre ou des tremblements de terre. En temps de paix, cela ne s'est jamais produit. La baisse a été plus marquée que celle de la Grande Crise des années 30.

En fait, la production a chuté en Russie jusqu'en 1998. Je vous ai remis un graphique qui fait état d'une progression de la production au cours des deux dernières années. Cependant à son plus bas niveau, la production n'était que de 55 p. 100 de ce qu'elle représentait habituellement avant le début de la récession en 1989, avant l'application des réformes.

En Ukraine, la situation est pire encore. À son plus bas, la production de l'Ukraine est tombée à 35 p. 100 de ce qu'elle avait l'habitude d'être avant la récession.

Bien sûr, la question magique qui se pose est la suivante: pourquoi ces pays s'en tirent-ils aussi mal? Pourquoi leur situation économique est-elle si mauvaise? Au cours des dernières années, la situation s'est légèrement améliorée et les deux pays ont connu une certaine croissance économique très peu marquée, toutefois, par rapport à la baisse qui s'est produite.

Il semblait acquis et fondé de dire que la piètre situation économique était liée à l'ampleur de la libéralisation et que si des pays libéralisent leurs échanges et appliquent rapidement les réformes, ils réussissent en principe mieux que les autres. L'exemple fondamental, bien sûr, était celui des pays d'Europe de l'Est et plus particulièrement d'Europe centrale par opposition aux États de l'ancienne Union soviétique et plus particulièrement les pays du CEI, le Communauté des États indépendants.

Selon l'idée reçue, les pays de l'Europe de l'Est avait procédé à des réformes radicales, ou avaient appliqué une thérapie de chocs, et réussissaient mieux que presque tous les États de l'ancienne Union soviétique.

À l'heure actuelle, les opinions toutes faites changent du fait qu'un assez grand nombre d'exemples ne cadrent plus dans cet ordre des choses. Il en va de même pour la Chine. La libéralisation du commerce en Chine est à peu près au même point qu'en Russie. Différents indices ont été mis au point pour mesurer l'importance de la libération de la durée économique pendant ces réformes. Le Viêtnam ne cadre pas non plus dans cet ordre des choses.

En ce qui a trait aux États de l'ancienne Union soviétique, j'ai mis en comparaison des pays d'Europe centrale et d'autres. Sur les 15 États de l'ancienne Union soviétique qui sont maintenant indépendants, quels sont ceux qui s'en sont mieux tirés que les autres? L'Ouzbékistan arrive au premier rang, la Biolérussie, le deuxième, à la troisième ligne. L'Estonie occupe le troisième rang, à peu près au même niveau que la Biélorussie. Le quatrième rang revient au Turkménistan.

Le Turkménistan, la Biélorussie et l'Ouzbékistan sont célèbres pour leur autoritarisme et leur piètre performance en tant que réformateurs. Ces États ne mettent pas rapidement en place des réformes. Ils remettent au lendemain mais ils obtiennent de très bons résultats supérieurs ou comparables à ceux de l'Estonie.

Pour résumer les nouvelles vues reçues, on se dirige vers ce qu'on appelle un consensus post-Washington qui remplace le consensus de Washington qui existait auparavant. On tend à insister désormais sur l'importance des facteurs plutôt que sur la rapidité de la réforme. Le rythme de la libéralisation n'était pas le principal facteur de la performance après tout. En termes non équivoques, c'était plutôt 5 p. 100 des facteurs qui ont influencé la performance, que la libéralisation de l'économie ait été rapide ou lente.

Au moins trois facteurs ont revêtu une plus grande importance. Le premier d'entre eux était les conditions initiales: dans quelle mesure l'économie donnait-elle des signaux trompeurs? Dans quelle mesure le secteur militaire était-il plus important que dans d'autres pays? Ces ressources ont dû être transformées en production non liée à la défense. Dans quelle mesure le pays était-il sur industrialisée? L'industrie du pays représentait-elle une part élevée du PB? Le secteur tertiaire était-il de petite taille de sorte qu'une réallocation des ressources du secteur industriel à celui des services s'est imposée? Dans quelle mesure le commerce a-t-il donné des signaux trompeurs? Toutes ces choses sont mesurables.

Quelle part des échanges se faisait avec les États de l'ancienne Union soviétique? L'établissement des prix dans les anciennes républiques soviétiques n'avait rien à voir avec les prix internationaux. Après que les échanges sont passés aux prix internationaux, bien sûr, les consortiums commerciaux ont été réorganisés. Ce passage est devenu un motif de la baisse de la production.

Les conditions initiales, le premier motif de la baisse de la production, permettent d'expliquer pas mal de choses.

La baisse de la production est aussi liée à la force des institutions. Par force des institutions, les institutions gouvernementales, on entend la capacité de l'État d'appliquer l'ensemble des règlements. Peu importe qu'ils soient sont bons ou mauvais -- par exemple la capacité de l'État de percevoir des impôts dans une économie partagée -- un indicateur de la force de l'État consisterait en sa capacité d'appliquer les règlements. L'État doit être en mesure de le faire.

La capacité des États d'appliquer leurs règlements était très différente. En Chine ainsi que dans le pays de l'Europe centrale, cette capacité était très forte. Qu'en était-il des États de l'ancienne Union soviétique? La Biolérussie a un régime politique autoritaire. En Ouzbékistan et au Turkménistan, la force des institutions est très grande si on la mesure d'après l'économie souterraine, d'après la part de l'économie souterraine et sa croissance, d'après le taux de criminalité et d'après divers indicateurs. Par exemple, la part que les dépenses publiques atteignent dans le PIB n'a pas diminué autant que pour d'autres États de l'ancienne Union soviétique comme l'Estonie et les pays de l'Europe centrale.

C'est l'autre explication que l'on donne pour le succès de l'Estonie. Non seulement l'Estonie a libéralisé son commerce rapidement mais elle compte aussi parmi les deux États de l'ancienne Union soviétique où le pourcentage des dépenses publiques dans le PIB n'a pas diminué. Cela ne veut pas dire que les dépenses publiques des pays devraient être une composante importante ou faible du PIB. L'argument est plutôt le suivant: si au cours d'une période de cinq années la part des dépenses publiques tombe par exemple de 57 à 30 p. 100 du PIB et que le PIB se replie de 50 p. 100, l'administration publique s'effondrera pour ainsi dire. Cela n'est pas arrivé.

Les comparaisons entre des pays comme la Biélorussie, l'Ukraine et la Russie révèlent que les signaux donnés par le marché étaient très trompeurs en Biélorussie en Ukraine, mais qu'ils l'étaient moins en Russie. Pourquoi? Parce que la Russie a des ressources.

La Russie a des produits de base qu'elle peut exporter et vendre dans le monde entier. Il n'en va pas de même pour la Biélorussie et l'Ukraine. Cependant, si l'on mesurait les capacités institutionnelles, on se rendrait compte qu'elles sont beaucoup plus importantes en Biélorussie. En ce qui a trait à la part de l'économie partagée, on constate qu'elle est beaucoup moins importante en Biélorussie qu'en Ukraine ou en Russie.

L'Ukraine et la Russie disposaient d'institutions médiocres, mais la Russie, à la différence de l'Ukraine, avait des ressources. Par conséquent, la situation économique de l'Ukraine s'est dégradée davantage que n'importe quelle économie d'un État de l'ancienne Union soviétique qui n'était pas engagé dans un conflit armé. Tous les autres pays dont la situation économique a affiché un pire bilan que celui de l'Ukraine étaient engagés dans des conflits armés, la Moldavie, la Géorgie et l'Arménie par exemple. L'Azerbaïdjan, qui était aussi engagé dans un conflit armé avec l'Arménie, a mieux réussi que l'Ukraine. Il s'agit d'une vue d'ensemble.

Je vais vous parler des récents événements en Russie. Par «récent», je veux dire lorsque le président Poutine est entré en fonction. Il a été élu président le 26 mars, mais assurait l'intérim depuis le 26 mars de l'année précédente. Cela fera bientôt un an qu'il est au pouvoir. Avant cela, il était premier ministre. En fait, il assume le pouvoir depuis un an et demi.

Pendant cette période, la bonne performance économique de la Russie a grandement étonné. Vous vous rappellerez qu'en août 1998 la Russie a connu une énorme crise cambiaire et que le rouble s'est effondré. Le taux de change était auparavant de six roubles au dollar. Il a chuté à 25, presque 30 roubles au dollar au cours du mois qui a suivi la crise du mois d'août 1998.

La grande différence entre la crise russe et celle du Sud-Est asiatique, par exemple, c'est que la production des pays de l'Asie Orientale a baissé après la crise alors que c'est la situation inverse qui s'est produite en Russie. Tout de suite après la crise, l'économie a commencé à manifester une grande vigueur.

La crise s'est produite en août. Je pointe maintenant septembre sur l'écran. Par la suite, la production a commencé à croître. L'année dernière le PIB s'est accru de 7,5 p. 100, une croissance incroyable. Il s'agit de la croissance la plus rapide de l'économie russe depuis les années 50. L'année précédente, en 1999, le PIB avait gagné 3,2 p. 100.

En Ukraine, les choses se sont passés à peu près de la même façon. En 2000, la production a augmenté de 6 p. 100.

Il est important de comprendre que la production s'est accrue non pas en raison des politiques gouvernementales mais en dépit de ces dernières. Pourquoi? La politique du gouvernement et de la Banque centrale, officiellement indépendante en Russie, consistait à stabiliser le rouble le plus longtemps possible. La dévaluation s'est donc produite malgré les efforts déployés par le gouvernement et a été la principale cause de la hausse incroyable de la production.

La politique économique du gouvernement consistait alors à ne pas bouger pour ne pas nuire à la croissance économique. Il faudrait rendre hommage au gouvernement pour ne pas avoir enrayé la croissance économique. Comme on dit en Amérique Latine, l'économie croît la nuit lorsque le gouvernement est endormi. En fait, il faudrait reconnaître que le gouvernement actuel n'a pas enrayé la croissance économique parce que le gouvernement précédent l'avait jugulée alors qu'elle s'amorçait à peine. Je peux approfondir ce sujet si cela vous intéresse, étant donné que l'économie est ma spécialité.

Il me reste encore deux sujets dont je veux vous parler. Le premier c'est que cette diapositive montre la croissance économique; ceci fait état de la production industrielle. Le dernier mois que nous avons ici est janvier 2001. Le trait fort représente la production industrielle désaisonnalisée qui a amorcé son ascension après la crise comme vous pouvez le constater. Actuellement, cette croissance économique tire à sa fin. Par conséquent, les tendances des deux ou trois derniers mois ne sont pas si favorables. L'inflation est peut-être à la hausse et la production a peut-être cessé de croître du fait que la période de croissance engendrée par la dévaluation tire à sa fin. Le taux réel de change du rouble est plus élevé, ce qui a pour effet de compromettre les exportations russes.

Voici le taux réel de change du rouble. Ce graphique ne date pas d'hier, mais étant donné la stabilité du taux de change nominal, si la poussée inflationniste suit son cours, le taux réel de change commencera à grimper, ce qui compromettra les avantages concurrentiels de la Russie.

Deuxièmement, M. Poutine, le président actuel de la Russie, a tenté plusieurs choses. Il n'a pas modifié en profondeur la politique économique. L'ensemble du programme a fait l'objet de discussions, mais en fait aucune mesure tangible n'a été prise.

Des mesures tangibles ont été prises dans d'autres secteurs. La guerre sévit en Tchétchénie et la popularité de Poutine repose sur sa prise de position énergique à l'égard de cette république. Il est important de reconnaître que, à 62 p. 100, sa popularité est très élevée. Elle a baissé un peu depuis son élection à la présidence.

Il n'y a eu aucun progrès en ce qui concerne la guerre en Tchétchénie. La Russie perd 4 ou 5 soldats par jour, c'est-à-dire quelque 20 soldats par semaine ou 100 par mois. On rapporte de plus en plus de corruption, d'abus et d'atrocités en Tchétchénie envers des civils et ainsi de suite. C'est là où M. Poutine n'a pu faire de progrès importants, même si au départ on l'appuyait surtout en raison de la position qu'il avait adoptée à l'égard de la Tchétchénie.

M. Poutine menaçait également de faire la guerre aux magnats financiers de Russie, connus sous le nom d'oligarques, qui auraient exercé une grande influence dans les derniers jours et les dernières années de pouvoir de M. Eltsine. Plusieurs oligarques ont été expulsés du pays ou forcés à le quitter. L'un d'entre eux s'est vu assigner un lieu de résidence et se trouve à l'heure actuelle en prison en Espagne. Un autre est à Paris. Cependant, il en reste d'autres qui exercent une influence sur le gouvernement, même si ce n'est pas si apparent. Dans ce domaine, le succès de M. Poutine n'est peut-être que partiel.

Une autre guerre est menée contre les régions. On s'entend en général pour dire que la Russie est passée par une période de décentralisation en ce qui concerne les régions. La Russie est une fédération de 89 régions disposant chacune des mêmes pouvoirs. Le succès de M. Poutine à cet égard est aussi mitigé. Il a réussi à présenter au Parlement une loi qui l'autorise à destituer les gouverneurs des régions. Il peut les destituer sur-le-champ, mais la question doit être soumise aux tribunaux. Il est censé les accuser d'avoir enfreint les lois. S'ils enfreignent les lois, les tribunaux devraient alors trancher.

Même si ce droit lui est conféré, M. Poutine ne l'a jamais exercé. Le gouvernement n'est pas convaincu qu'il peut pousser les affaires devant les tribunaux, étant donné l'indépendance de l'appareil judiciaire.

Récemment, M. Poutine a conclu un accord avec un des gouverneurs anticonformistes dans la partie extrême orientale du pays. Les autorités fédérales se sont opposées au gouverneur pendant des années sans parvenir à lui faire quitter le pouvoir étant donné le fort appui de l'électorat de sa province. M. Poutine a conclu un accord avec lui, j'ai bien dit un accord. Ce n'est pas comme si Poutine l'avait relevé de ses fonctions; le gouverneur a été nommé à un autre poste au sein du gouvernement fédéral. Il dirige la commission des pêches.

Si l'on compare la force du gouvernement fédéral à celle des régions, il semble y avoir renforcement du gouvernement fédéral, la plupart des Russes y étant favorables. Cependant, les succès sont également mitigés.

L'autre guerre que livre M. Poutine a pour objet la presse indépendante. Vous avez peut-être lu dans les journaux des articles concernant la chaîne de télévision indépendante qui appartient à l'un des oligarques qui est à l'heure actuelle en exil en Espagne. Elle diffuse la seule émission télévisuelle nationale qui critique le gouvernement, la seule qui n'est pas contrôlée par le gouvernement. L'émission passe toujours à l'antenne. Il s'agit d'un conflit d'ordre financier. M. Poutine a répété plus d'une fois qu'il n'interviendra pas dans la façon dont la société couvre les événements, qu'il ne s'agit que d'un conflit d'ordre financier.

L'entreprise publique, une entité monopoliste gazière, détient 46 p. 100 des actions de l'entreprise médiatique Media-MOST. C'est M. Vladimir Gusinsky et non le gouvernement qui détient le contrôle. Cependant, l'entité monopolistique a consenti un crédit à l'entreprise médiatique et attend toujours le remboursement. Lorsque ce crédit a été consenti, 90 p. 100 des actions ont été données en garantie.

L'affaire est entre les mains de la justice et l'un des tribunaux de Moscou a récemment rendu une décision voulant que Gazprom puisse s'approprier 90 p. 100 des actions sans pour autant pouvoir s'en servir pour voter. Le conflit se poursuit, et en l'occurrence, il n'y a pas eu de succès éclatant.

Le président: Ma question porte sur la première partie de votre exposé. Je pensais que les États dont le nom se terminait par «stan» s'en étaient mieux tirés que la Russie et l'Ukraine. Avez-vous avancé l'argument que les États où l'autorité n'a pas été ébranlée s'en sont mieux tirés?

M. Popov: Ce n'est pas un argument simple. Ces États n'ont pas connu l'affaiblissement de leurs institutions mesuré à l'aulne de l'économie partagée, soit le ratio entre les dépenses gouvernementales et le PIB ou encore de l'augmentation du taux préférentiel et d'autres indicateurs. Qui plus est, les États où les institutions ne se sont pas effondrées par rapport à celles d'autres pays affichent une meilleure santé.

Parmi ces États, on retrouve deux groupes. Le premier est celui des États démocratiques. L'Estonie, qui faisait partie de l'ex-Union soviétique, est l'un de ceux-là, et c'est probablement le seul.

Dans les pays d'Europe centrale, le pourcentage des dépenses du gouvernement par rapport au PIB n'a pas diminué. Il se trouve que j'ai un graphique qui montre la part des dépenses du gouvernement par rapport au PIB. La ligne supérieure représente l'Europe centrale au cours de la période de transition de 1989 à 1996. C'est le seul groupe d'États en transition où le pourcentage des dépenses du gouvernement par rapport au PIB n'a pas décru. En général, mis à part quelques spécialistes, on ne s'est pas aperçu que c'était le cas. En Estonie, il n'y a pas eu de baisse.

En Chine, par exemple, au cours des premières années de la transition, aucun déclin n'est survenu. En Russie et dans les États du Caucase -- pratiquement dans toutes les anciennes républiques soviétiques, à l'exception de la Biélorussie et de l'Ouzbékistan --, il y a eu une diminution spectaculaire du pourcentage des dépenses de l'État par rapport au PIB. La Biélorussie et l'Ouzbékistan ont des régimes autoritaires. Ces régimes ont réussi à maintenir la capacité institutionnelle de l'État d'une façon différente. Ils n'ont tout simplement pas démantelé l'ancien système. Les pays de l'Europe de l'Est sont passés de régimes autoritaires forts à des régimes démocratiques forts. L'Ouzbékistan, pour sa part, a abandonné un régime autoritaire fort fondé sur l'idéologie communiste pour un régime autoritaire fort qui n'est pas fondé sur l'idéologie communiste. Un peu comme la Biélorusssie.

En Russie et en Ukraine, quand le Parti communiste, qui était le substitut de l'État, s'est effondré et a été banni pour un certain temps, nous avons assisté à l'effondrement de l'État, ce qui a provoqué une érosion marquée de la capacité institutionnelle.

Aurait-il été possible de faire les choses différemment? Peut-être, mais c'est la réalité.

Le président: C'est très intéressant.

Le sénateur Bolduc: Sur le plan de la réforme structurelle, quelles mesures pourriez-vous suggérer afin d'aider la croissance économique, mais pas uniquement la croissance économique? Dans une économie de marché comme la nôtre, on fait l'enregistrement des titres de propriétés. Le droit contractuel est en vigueur. Nous avons un système de gestion des faillite. La magistrature est indépendante. Nous avons une bourse. Autrement dit, nous avons de nombreuses institutions. C'est un système que les gens connaissent et auquel ils font confiance, ce qui assure son bon fonctionnement. La plupart du temps, les gens oeuvrent à l'intérieur du système.

À propos de la Russie, nous savons qu'il y existe un grave problème de corruption. Les capitaux vont ailleurs. Vous êtes économiste, mais parallèlement, dans une économie politique, nous devons considérer les aspects structurels. Comment entrevoyez-vous l'avenir? Que devrait faire M. Poutine?

M. Popov: C'est la grande question. D'entrée de jeu, je peux vous dire que toutes ces institutions existent. Plusieurs bourses ont été mises sur pied en Russie il y a 10 ans. Il s'y transige des actions en ce moment même. Il y a des contrats. Il y a des lois régissant tous les domaines imaginables. Ce sont généralement les mêmes lois qu'ailleurs. Elles ne sont peut-être pas aussi pointues, mais elles existent.

Il y a eu de nombreuses réalisations depuis 10 ans. Il y a des lois contractuelles et des lois sur les faillites. L'un des problèmes tient au fait que ces lois ne sont pas appliquées. Autre problème, les autorités régionales se sont essentiellement approprié le domaine de la faillite.

Le sénateur Bolduc: Mais les autorités ne sont-elles pas élues?

M. Popov: Elles le sont. Il y a des élections dans chacune des 89 régions de la Fédération russe. Même en Tchétchénie, il y a eu des élections en 1989. Le gouvernement fédéral se heurte parfois à des obstacles lorsque les autorités élues dans une région refusent de l'écouter. Elles violent la législation fédérale et le gouvernement fédéral n'est pas en mesure de réagir.

En Russie, et probablement en Ukraine, on se rend bien compte qu'il faut que le processus de création des institutions aille de l'avant. Ce n'est pas un domaine où l'on peut obtenir des résultats spectaculaires rapidement. C'est le fruit d'un lent travail, un travail dont les hommes politiques ne peuvent s'approprier le crédit et qui ne donne pas de résultats immédiats. Cela dit, ce processus est en cours en Russie.

Quant à savoir ce qu'il convient de faire pour stimuler la croissance économique dans l'immédiat, je dirais qu'il convient d'adopter diverses mesures dans le domaine de la politique industrielle et de l'économie de marché. Il importe de comprendre que nous ne pouvons pas faire grand chose au sujet des institutions immédiatement ou demain matin. C'est une oeuvre de longue haleine. La croissance dépend du ratio investissement/PIB. Toute augmentation du pourcentage des investissements par rapport au PIB favorisera une hausse de la croissance économique. On peut accroître les investissements de deux façons seulement: freiner la fuite des capitaux et augmenter l'épargne. À l'heure actuelle, l'épargne est à la hausse en Russie. Cependant, des capitaux de l'ordre de 20 milliards de dollars ont quitté le pays ces dernières années. Contrairement à tous les autres pays d'Europe centrale, la Russie doit maintenir un excédent au compte courant. L'année dernière, l'excédent commercial en Russie s'élevait à 60 milliards de dollars.

Le sénateur Bolduc: À cause du pétrole, du gaz naturel et d'autres ressources analogues?

M. Popov: Auparavant, il y avait aussi le pétrole et le gaz naturel, mais il n'y a pas d'excédent à cet égard parce que la Russie maintient un taux de change sous-évalué qui rend les importations très peu rentables. Cela limite la consommation et en limitant la consommation, on peut financer cette fuite de capitaux.

La Russie préférerait le statu quo. Les communistes, cependant, sont d'avis que la Russie devrait instaurer des contrôles plus serrés pour contrer l'exode du capital. Les tenants de la droite affirment qu'on ne peut rien faire. Ils n'approuvent pas la fuite des capitaux, mais elle ne peut être endiguée par la prohibition. La Chine perd 60 milliards de dollars par an, même si le gouvernement exécute les citoyens qui participent à des opérations de change illégales et même si le CNY n'est pas convertible sur les comptes courants et les comptes de capital.

Essentiellement, les mesures à prendre consistent à susciter l'investissement et à accroître l'épargne. Permettez-moi de vous donner un exemple. Le gouvernement a fait grand cas de sa réforme fiscale. Il a abaissé l'impôt sur le revenu des particuliers, qui était auparavant progressif. Celui-ci s'élevait à 35 p. 100, ce qui n'était guère progressif étant donné qu'il s'agissait du taux marginal d'imposition le plus élevé. Maintenant, le gouvernement impose un impôt uniforme. La Russie est l'un des rares pays au monde à agir ainsi, et le taux est de 12 p. 100 seulement. Quant à savoir si un taux uniforme est une bonne ou une mauvaise chose, c'est une autre paire de manches.

Dans le cas de la Russie, auparavant, les recettes tirées de l'impôt sur le revenu des particuliers s'établissaient à 10 p. 100 seulement des recettes totales du budget consolidé. Le système russe, comme les systèmes européens, était lourdement tributaire des impôts indirects, de la taxe sur la valeur ajoutée, etc. de sorte que l'impôt sur le revenu des particuliers n'était pas une composante importante. L'un des impôts les moins importants était l'impôt sur le revenu personnel. Il y avait tellement peu de personnes qui payaient des impôts à un taux d'imposition de plus de 12 p. 100 que les rentrées ainsi générées représentaient approximativement 1 p. 100 de 10 p. 100. L'imposition d'un taux uniforme sur le revenu est l'une des grandes mesures de l'administration Poutine. À l'heure actuelle, c'est de cette mesure que le gouvernement est le plus fier dans le contexte de la réforme du régime fiscal. Il a également pris d'autres initiatives mineures, mais tous ses espoirs se rattachent à cette réforme fiscale. À mon avis, cela n'a guère d'importance.

Ce qui est important et qui est pratiquement resté dans l'ombre ces dernières années, c'est qu'après la dévaluation du rouble en 1998 et la remontée des prix du pétrole en mars 1999, l'énorme fossé entre les prix nationaux et internationaux de l'énergie a commencé à se combler. Le prix de l'essence en Russie est d'environ 25 cents. américain le litre. En Russie, le prix du pétrole représente 20 à 25 p. 100 du coût mondial. Sur les marchés internationaux, le baril de pétrole vaut 20 $. La Russie impose des taxes à l'exportation, comme le Canada l'a fait en vertu du Programme énergétique national. Le gouvernement impose des quotas, c'est-à-dire qu'il fixe le pourcentage des ressources pétrolières qui peuvent être exportées et le pourcentage que chaque société pétrolière doit fournir au marché intérieur. Grâce à cette politique énergétique, le volet énergie du PIB était le plus élevé au monde et allait même croissant. Les pays européens qui avaient le même problème ont graduellement commencé à aligner les prix intérieurs avec les prix internationaux, ce qui a entraîné une réduction du volet énergie par rapport au PIB. En Russie, cette diminution ne s'est pas produite. Ce ratio en Russie est probablement deux fois plus élevé qu'en Amérique du Nord et, en Amérique du Nord, il est sensiblement plus élevé que dans les pays d'Europe et au Japon.

La politique la plus judicieuse consisterait à augmenter les prix énergétiques graduellement, peut-être en imposant une taxe aux sociétés pétrolières de façon à subventionner les consommateurs d'énergie, en remplaçant ce système par des subventions directes et en dévaluant graduellement le rouble. En effet, les sociétés font face à une augmentation de leurs coûts liée à la hausse du prix du pétrole et du gaz. Dévaluer le rouble créerait un avantage concurrentiel. Malheureusement, ce n'est pas la politique qui a été adoptée. À mon avis, c'est là le problème le plus important qui entrave la stimulation immédiate de la croissance économique.

Le renforcement des institutions est important, mais ce n'est pas une chose qui peut produire des résultats immédiats ou des dividendes immédiats. Les mesures susceptibles de donner lieu à des dividendes et de stimuler la croissance économique sont associées à la fixation des prix de l'énergie, au taux de change, à des politiques macro-économiques et sans doute aux investissements gouvernementaux. Cependant, le gouvernement n'a pas d'argent pour investir. Vous avez donné l'exemple des pays de l'Europe de l'Est qui affirment que leurs dépenses sont très faibles par rapport au PIB, mais leurs investissements gouvernementaux sont très élevés par rapport au PIB. Ils ne rejettent pas l'investissement privé sur une base individuelle, même si cet investissement est financé par des emprunts gouvernementaux. Pour démarrer le processus, il faut accroître les investissements gouvernementaux. Malheureusement, le gouvernement russe n'a pas d'argent pour cela dans son budget. La Russie ne connaîtra pas une tellement bonne année sur le plan de la croissance économique.

Le sénateur Bolduc: Tout de suite après la chute du mur de Berlin, il y a eu une pléthore d'investissements considérables de la part des Allemands, des Américains et d'autres. Ils se sont brûlés les doigts, de sorte qu'à l'heure actuelle, les investissements étrangers sont beaucoup moindres. Pensez-vous qu'il est possible de protéger les investisseurs privés en Russie?

M. Popov: Encore une fois, je vous donnerai une réponse à deux volets. Premièrement, il convient de jeter les bases institutionnelles nécessaires pour assurer une telle protection. Les tribunaux sont un instrument privilégié pour garantir les contrats, les droits des propriétaires, etc. Le processus est en cours en Russie, mais il progresse lentement. Il n'y a aucun moyen d'accélérer le processus et tout le monde en Russie en est conscient. Il ne sert à rien de dire aux Russes qu'il faut améliorer leurs institutions, ils le savent depuis 10 ans. Le processus est en cours. Pour obtenir une pelouse anglaise parfaite, il faut couper l'herbe tous les jours pendant 200 ans. C'est ce qui se passe à l'heure actuelle en Russie. On est en train de bâtir des institutions.

En réponse à la deuxième partie de votre question, vous dites que la Russie a attiré quantité d'investissements étrangers. Ce n'est pas tout à fait le cas si l'on compare la Russie à d'autres pays. Globalement, le flux total des investissements étrangers en Russie dans les années 90 s'est chiffré à quelques 10 ou 15 milliards de dollars seulement, ce qui est assez étonnant si l'on calcule ce que cela représente par habitant. Les investissements étrangers directs en Chine totalisent environ 40 à 60 milliards de dollars par année. Les investissements étrangers directs en Hongrie se chiffrent à plus de 30 milliards de dollars au total.

Des pays comme l'Azerbaïdjan, le Kazakhstan et le Turkménistan ont attiré sensiblement plus de capitaux étrangers que la Russie. Pourquoi? La règle de droit est-elle meilleure au Kazakhstan, au Turkménistan ou en Azerbaïdjan? L'Azerbaïdjan a été en guerre avec l'Arménie pendant de nombreuses années. La guerre est maintenant terminée, mais elle était en cours. La règle de droit n'est pas meilleure en Azerbaïdjan. Ce qui est mieux en Azerbaïdjan, c'est que les autorités ont décidé de vendre des ressources et d'entreprendre de grands projets. C'était une décision de l'État que de vendre ses ressources à des sociétés étrangères. À mon avis, c'était la bonne décision. Lorsqu'un pays traverse une période difficile, il est censé vendre ses ressources, même s'il sait qu'il les vend à rabais. Si l'ordre publique est compromis et que les investissements sont risqués, les investisseurs étrangers ne seront pas disposés à payer autant qu'ils paieraient dans des conditions où il y a peu ou pas de risques.

À mon avis, la Russie a une mauvaise politique. Elle a un avantage sur le plan des ressources. Tout pays qui est avantagé en termes de ressources peut attirer des investissements étrangers directs, comme le montre l'exemple du Kazakhstan. L'ordre public n'est ni sensiblement meilleur ni pire en Russie qu'au Kazakhstan. Les deux régions sont comparables à cet égard. Cependant, le Kazakhstan a tiré son épingle du jeu grâce à ces investissements étrangers directs et il semble que la Russie n'a pas été en mesure de faire la même chose, peut-être à cause des problèmes qu'elle a connus au Parlement et dans les régions. Il y a des conflits entre les régions et le gouvernement fédéral à cet égard. Cependant, il y a plus de cinq ans, la Douma a discuté d'une loi sur une entente de partage de la production. En fait, ce n'était pas une mesure législative en soit, mais un document de moindre importance comportant une liste des gisements minéraux susceptibles de faire l'objet d'une entente de partage de production. Cette mesure a été discutée pendant des années et des années et au bout du compte, huit sites de gisement miniers en particulier ont été inclus dans une telle entente. C'est assurément sur le plan de la politique que la Russie a échoué pour ce qui est d'attirer les investissements étrangers directs.

Le sénateur Di Nino: Mon collègue a posé de nombreuses questions pertinentes. Pour ma part, je veux vous poser deux questions directes. La première concerne la capacité de M. Poutine de rallier dans son camp les intervenants capables de l'aider à tenir ses promesses et à réaliser ses objectifs. Existe-t-il en Russie, et non seulement de la part de M. Poutine, une volonté de prendre des mesures pour freiner la fuite des capitaux, non seulement pour le bénéfice des investisseurs étrangers mais aussi des investisseurs nationaux? Y a-t-il un engagement ferme à cet égard?

M. Popov: Encore une fois, c'est une question difficile. Si l'on divise votre question en deux, la première partie est la suivante: y a-t-il des gens dans l'entourage de M. Poutine qui souhaitent améliorer les institutions? La réponse est un oui retentissant. Tout le monde souhaite améliorer les institutions afin de garantir les droits de propriété. C'est une composante importante du programme de gouvernement que de garantir, entre autres, les droits des actionnaires, et ainsi de suite.

La deuxième partie est la suivante: y a-t-il dans l'entourage de M. Poutine des personnes qui souhaitent mettre en oeuvre sur le plan politique les mesures industrielles et macro-économiques susceptibles d'assurer la croissance -- ce qui implique la dévaluation -- et fondées sur l'augmentation des investissements du gouvernement et une meilleure politique industrielle?

Pourquoi ai-je parlé de «politique industrielle»? À l'heure actuelle, nous sommes en présence du remplacement des importations. On est fortement orienté vers le remplacement des importations. Le gouvernement n'a pas une politique axée sur les exportations ou une politique d'encouragement des exportations, ce qui est discutable.

Il existe plusieurs groupes au sein du gouvernement. Un chroniqueur a récemment expliqué qu'il y a un groupe de ministres puissants, à la tête des portefeuilles de la défense, du renseignement et de la police; un conseil de sécurité dirigé par M. Ivanoff; et un groupe de politicologues. C'est ce dernier groupe qui a provoqué le vote de défiance.

Je ne sais pas si vous avez suivi le déroulement des événements, mais demain, le gouvernement fera face à un vote de défiance au Parlement. Selon la Constitution russe, après deux votes de défiance, le président est tenu d'abroger le Parlement et de déclencher des élections.

Le Parti Unité, que dirige M. Poutine, détient presque la majorité des sièges au Parlement. C'est le Parti communiste qui a soulevé la question de confiance. Or, il ne peut réunir la majorité des suffrages. Il détient au plus le tiers des voix à la Douma, conjointement avec les autres partis qu'il appuie. Si le Parti Unité acceptait de leur accorder son appui, il y aurait alors un vote de censure.

Le chef adjoint du Parti Unité a déclaré qu'ils voteraient la censure, pas parce qu'ils n'aiment pas ce que font le gouvernement et le président, mais parce qu'ils sont insatisfaits du Parlement. Ils veulent une élection parlementaire anticipée pour avoir un Parlement qui est davantage pro-gouvernemental et pour empêcher le Parti communiste de demander un vote de censure et de retarder certaines réformes.

Les technologues politiques, qui composent le deuxième groupe, savent comment remporter les élections dans les régions et à l'échelle nationale. Ils ont réclamé la tenue d'une élection parlementaire anticipée. Les réformes entreprises par le gouvernement ne les intéressent guère. Ce qui importe pour eux, c'est de rallier des appuis de faveur de M. Poutine. Ils pensent pouvoir le faire, et ils ont peut-être raison. Le chef de l'équipe présidentielle est celui qui dirige les technologues politiques. Ils ont réussi à récolter des appuis en faveur de M. Poutine en partant de zéro. Ce parti a été créé à six mois des élections, et il a presque recueilli la majorité des suffrages exprimés au cours de l'élection parlementaire de 1999 et de l'élection présidentielle de l'an 2000.

Les réformistes économiques, eux, composent le troisième groupe. Parmi ceux-ci figurent le premier ministre, le ministre des Finances et le ministre de l'Économie. M. Chubais dirige la société d'énergie, le monopole de l'État qui produit de l'électricité. Ce groupe réclame des réformes économiques, sauf qu'il ne s'attaque pas à la question la plus importante, soit les prix de l'énergie. Ceux-ci sont trop bas. Or, la Russie devra composer avec une économie potentiellement explosive tant que ces prix ne seront pas alignés sur les cours internationaux. Pourquoi? Parce qu'une fois qu'ils le seront, il y aura une baisse de production. C'est ce qu'on entend par restructuration.

Or, cette restructuration difficile et pénible se fait toujours attendre en Russie. Il aurait fallu l'entreprendre quand le cours du pétrole était à la hausse et que l'économie se portait bien. Le gouvernement aurait pu, à ce moment-là, augmenter les prix du gaz et du pétrole sur le marché national, mais il ne l'a pas fait.

Les réformistes réclament plusieurs changements. Ils réclament une réforme fiscale, mais cela ne veut pas dire grand-chose. Or, cette réforme a été amorcée, tout comme l'a été celle de l'impôt des particuliers, des postes non budgétaires, comme les fonds de pension, ainsi de suite. On compte appliquer un impôt régressif pour les contributions versées à ces fonds.

Les réformistes exigent également la déréglementation des principaux monopoles russes. Il y a par exemple Gazprom, qui produit tout le gaz en Russie. C'est une société d'État. Il y a aussi le Unified Energy System of Russia, qui produit toute l'énergie électrique en Russie. Il y a enfin le ministère des Chemins de fer, qui n'est pas une entreprise, mais qui continue d'administrer les chemins de fer.

Les réformistes veulent que ces monopoles soient restructurés et en partie privatisés. Je ne suis pas d'accord avec eux. Pourquoi? Ça pourrait être une bonne chose à long terme, mais même les libéraux russes sont contre la démonopolisation de Gazprom. Pourquoi? Parce qu'ils savent que Gazprom est en concurrence avec d'autres entreprises sur le marché de l'Europe de l'Ouest -- non pas des petites sociétés d'énergie, mais des monopoles présents dans la plupart des pays de l'Europe de l'Ouest. Il s'agit de monopoles d'État. Il est question ici du marché du gaz du continent européen. La Grande-Bretagne, le Canada et les États-Unis seraient les seuls pays où le gaz serait déréglementé. La situation est différente en Europe. Un tel geste se justifierait à long terme, mais cette réforme n'est absolument pas urgente. Il y a d'autres questions qui sont plus pressantes.

Les réformistes exigent également des changements au chapitre des droits des actionnaires et des droits de propriété. Nous savons tous que c'est là une bonne chose, mais encore une fois, nous n'en verrons pas les résultats immédiatement.

Le sénateur Di Nino: On a l'impression qu'ils y a plusieurs intervenants qui cherchent à susciter des conflits. C'est peut-être une partie du problème. Les réformes avancent beaucoup plus lentement quand il y a des conflits internes. Voilà où je voulais en venir quand j'ai posé la question.

M. Popov: Absolument. Je ne m'étais pas rendu compte du sens de votre question. Oui, ces réformes s'inspirent d'une économie politique.

Le sénateur Di Nino: Vous avez mentionné certains autres pays qui se sont mieux débrouillés que vous. Est-ce que la taille du dragon constitue une partie du problème? La Russie est-elle trop grande et les autres pays, trop petits? Ou est-ce que les réformes démocratiques ont créé des intervenants différents qui, à leur tour, ont créé des conflits potentiels?

M. Popov: Je ne dirais pas que la taille est un facteur. La superficie du Canada correspond à celle de la Russie; elle est même un peu plus petite. Le PIB du Canada correspond grosso modo au pouvoir d'achat du PIB de la Russie. Il y a toutefois des problèmes du côté des chemins de fer. Ils sont censés être subventionnés dans le but de promouvoir les liens est-ouest, comme c'est le cas au Canada. Toutefois, cet enjeu ne figure pas parmi les plus importants.

La Russie, dans le passé, comptait moins d'habitants et son territoire était mieux administré qu'il ne l'est aujourd'hui, du point de vue de l'efficacité des sociétés d'État et de l'application des règles et règlements. Le pays a connu une croissance importante durant les années 50. Il était doté d'une économie planifiée, une économie jugée inefficace par rapport à l'économie de marché, sauf qu'elle affichait un taux de croissance de 10 p. 100 par année. Même la productivité du travail était en hausse de 6 p. 100. C'était l'âge d'or de la croissance économique soviétique, période qui était aussi caractérisée par la percée réalisée dans le domaine spatial en 1957 et par l'introduction de satellites.

La taille n'est pas un facteur. Que cela nous plaise ou non, la démocratie n'en est pas un non plus. Il vaut mieux être en démocratie que un autre type de régime. Toutefois, les experts en politique économique dans certains pays, comme la Chine -- et cette opinion est très répandue -- préfèrent un régime autoritaire fort à une «démocratie non libérale». On appelle maintenant ces pays des «démocraties non libérales» -- c'est-à-dire des démocraties où la primauté du droit n'existe pas. Hong Kong n'a jamais eu de régime démocratique, ni sous les Britanniques, ni sous le Parti communiste chinois, mais ses institutions sont solides.

Monsieur le président, diriez-vous que la primauté du droit existe à Hong Kong? Oui, manifestement. Quand la primauté du droit n'est pas respectée, comme dans l'Ouzbékistan, et qu'un pays se démocratise rapidement, on se retrouve avec une démocratie libérale, comme c'est le cas dans certains pays d'Afrique et d'Amérique latine. Cette démocratisation, et l'absence de tout respect de la primauté du droit, entraîne l'effondrement des institutions. Voilà ce qui se produit.

La leçon la plus importante à tirer de cette transformation est la suivante: quand des pays peu respectueux de la primauté du droit et dotés de piètres mécanismes d'exécution se démocratisent, ils deviennent ce qu'on appelle des «démocraties non libérales»; ce processus entraîne des coûts, comme, par exemple, une hausse du taux de mortalité. Le taux de mortalité en Russie oscillait autour de 50 p. 100. Il atteint maintenant 1,5 p. 100, ce qui veut dire qu'il y a 700 000 personnes qui meurent chaque année, alors qu'il atteignait 1 pour 100 seulement en 1989. Depuis 1995, le taux de mortalité se maintient à 1,5 p. 100. Avant cela, il avait tendance à augmenter. Perdre 700 000 personnes par année, c'est comme vivre une grande guerre. Sur dix ans, cela fait 7 millions de personnes. Il y a donc des coûts en matière de vies humaines.

La démocratie est une bonne chose, mais comme toute bonne chose dans la vie, il y a un prix à payer.

En tant que membre de la Communauté des États indépendants, les pays baltes ont pu acheter du pétrole russe à bas prix. Quand ils ont discuté d'indépendance en 1991, et encore en 1992, ils ont abordé ce point. Ils ont dit: «Nous sommes conscients du fait que notre niveau de vie va diminuer parce que nous ne pourrons acheter du pétrole et du gaz de la Russie à bas prix, comme le prescrivent les règlements de la CEI. Toutefois, nous jugeons que la liberté est un atout plus précieux.» Ils ont choisi de quitter la CEI. C'est la décision qu'ils ont prise, et c'est le genre de leçon que l'on peut tirer de tout processus de démocratisation rapide. Que cela nous plaise ou non, ce processus a un impact négatif sur les institutions et sur la capacité du gouvernement d'assurer le respect de la primauté du droit.

Le sénateur Poulin: Monsieur Popov, votre analyse de la situation et des nombreux défis auxquels le président Poutine est confronté en Russie est fort intéressante. Quels sont, à votre avis, les facteurs ou les événements clés qui sont survenus après la Deuxième Guerre mondiale et qui sont à l'origine de la situation qui existe aujourd'hui.

M. Popov: Un ancien premier ministre russe, qui écrit beaucoup, dirige l'Institut de recherches. Il a rédigé un ouvrage dans lequel il laisse entendre que la Russie aurait pu adopter une voie différente -- en supposant que vous parlez effectivement de l'après-guerre froide -- durant le printemps de Khrouchtchev, alors que la Russie était en mesure d'instituer des réformes calquées sur le modèle chinois. Or, à l'époque, l'Union soviétique a décidé de ne pas adopter de telles réformes. Elle s'est retrouvée avec une économie fermée extrêmement inefficace. Le potentiel industriel était très poussé, sauf qu'il est demeuré inexploité. Pourquoi? Parce qu'en 1992, il était livré aux caprices de la concurrence étrangère et s'est tout simplement effondré. Il n'a pas été en mesure de soutenir la concurrence étrangère.

Avant 1975, l'écart entre le PIB, par habitant, de la Russie, et le PIB, par habitant, des pays de l'Ouest, comme les États-Unis, ne cessait de diminuer. La Russie était en train de rattraper les autres. Or, la situation a changé après 1975. Le revirement s'est sans doute produit durant les années 60. Le taux de croissance a commencé à chuter. Évidemment, les économies planifiées ne sont pas efficaces. Il est question ici de la dynamique des économies de ce genre. Je donne des cours à ce sujet à l'université Carleton.

Quelles sont les principales faiblesses de l'économie planifiée par rapport à l'économie de marché? L'économie planifiée, dans l'ancienne Union soviétique, avait réussi à réduire l'écart avec les pays de l'Ouest. Elle affichait une croissance plus rapide que les économies occidentales. Or, elle a commencé ensuite à manifester des signes d'inefficacité sur le plan de la croissance, mais aussi à cause de son statisme. Il faut investir plus de capitaux dans une économie planifiée pour obtenir une unité de PIB. L'intensité capitalistique était élevée alors que la productivité capitalistique, elle, ne l'était pas. Ce sont là des faits bien connus. Toutefois, l'économie planifiée avait le potentiel de favoriser la croissance économique, comme on pouvait le constater dans plusieurs pays. Le coût de cette croissance était énorme, mais les taux de croissance étaient très élevés.

Il aurait été possible, au début des années 60, d'instituer des réformes commerciales. À l'époque, le potentiel industriel était peu exploité. Si l'Union soviétique avait institué de telles réformes dans les années 60, elle n'aurait pas connu de récession majeure. Or, la récession qui est survenue dans les années 90, quand l'économie planifiée a été délaissée au profit de l'économie de marché, s'explique par le fait que les distorsions liées à une industrialisation excessive étaient énormes, et que les industries n'étaient pas en mesure de créer la machinerie nécessaire pour soutenir la concurrence sur le marché mondial.

Il aurait été possible d'ouvrir l'économie dans les années 50 et 60, comme l'a fait la Chine, peut-être sous un régime autoritaire, car c'est ce que l'on cherche à savoir. Il y a lieu, aussi, de se demander si ce régime aurait effectivement été autoritaire ou démocratique. Je ne parle ici que de développement économique.

Les distorsions, à l'époque, n'étaient pas énormes. À la fin des années 50 et au début des années 60, la Russie se trouvait là où la Chine se trouvait en 1978, quand le gouvernement chinois a décidé d'aller de l'avant avec les réformes économiques. Si la Russie avait pris cette décision en 1960, sous Khrouchtchev, par exemple, la situation aurait été très différente.

Le sénateur Setlakwe: Ma question est très brève et va dans le même sens que celle du sénateur Bolduc. Elle porte sur l'investissement étranger direct. À combien s'élèvent ces investissements par rapport au produit intérieur brut? Ils ne sont apparemment pas très élévés.

M. Popov: Le PIB de la Russie, d'après le taux du marché, s'élève à 250 milliards de dollars US. L'investissement direct étranger varie entre 10 et 15 milliards de dollars. Je tiens à signaler que les données de la BERD et celles de la Russie ne concordent pas. Les données de la BERD se fondent sur les entrées accumulées. Or, l'investissement étranger direct augmente, et non pas seulement à cause des entrées de capitaux dans le pays. Les profits, quand ils sont réinvestis, augmentent également. La différence n'est pas très grande.

Avant 1987, il n'y avait pas d'investissements étrangers directs. Ce type d'investissement était interdit. Il atteint, dans l'ensemble, 10 milliards de dollars. Le PIB de la Russie s'élève à 250 milliards de dollars, d'après le taux du marché. L'encours total de l'investissement étranger direct par rapport au PIB serait tout au plus 4 p. 100. Si je ne m'abuse, la moyenne pour l'ensemble des pays est d'environ 10 p. 100, ou peut-être un peu plus.

Le sénateur Setlakwe: À combien s'élèverait le PIB si l'investissement étranger direct avait été de 10 p. 100? Vous avez affiché une hausse de 9 p. 100. Si l'investissement étranger direct avait été de 10 p. 100, et non pas de 4 p. 100, à combien s'élèverait le PIB?

M. Popov: C'est difficile à dire. On a rédigé de nombreux articles sur le sujet, mais sans arriver à un consensus. Par exemple, dans quelle mesure l'investissement étranger direct a-t-il favorisé la croissance économique de la Chine? Quand l'investissement étranger direct a commencé à augmenter en Chine, le pays était fermé. La politique d'ouverture a été instituée en 1978. Elle a été proclamée en 1979, sauf que l'investissement étranger direct n'a commencé que dans les années 90. Avant cela, la Chine affichait un taux de croissance de 10 p. 100 par année. Il est resté, depuis, stable. Par conséquent, si on veut évaluer la contribution de ce type d'investissement, il faut se demander quelle aurait été la croissance de la Chine sans cet investissement étranger direct.

On a tendance à croire, de manière générale, que si l'on veut attirer des entreprises de haute technologie, il faut être en mesure d'attirer des investissements étrangers directs, parce que les deux vont de pair. C'est vrai, sauf que cette formule n'est pas très efficace. Si on parvient à vendre des brevets et des licences, on devrait être en mesure d'attirer des investissements étrangers directs.

Par exemple, la Hongrie, qui affiche un PIB de 30 p. 100, est le pays d'Europe de l'Est qui a réussi à attirer le plus d'investissements étrangers directs. L'encours total de l'investissement étranger direct de la Chine, parce qu'elle est tellement peuplée, et de la Hongrie correspond à environ 30 p. 100 du PIB, par habitant. Il est moins élevé en Chine, sauf que si on compare l'encours de l'investissement étranger direct par rapport au PIB, on constate qu'il est à peu près le même dans les deux pays. Cet indicateur est très élevé. Or, le rapport serait beaucoup moins élevé dans le cas des économies de marché en développement et émergentes.

Pour déterminer dans quelle mesure les investissements étrangers directs favorisent la croissance annuelle, il faut habituellement tenir compte des investissements intérieurs. En Russie, les investissements intérieurs s'élèvent à environ 40 milliards de dollars par année. Par exemple, M. Borodine -- qui est actuellement incarcéré dans une prison de New York -- a dépensé environ un milliard de dollars, soit 2,5 p. 100 du fonds national d'investissement, quand il a rénové le Kremlin. Cela ne veut pas dire qu'il a mis la main sur cet argent, mais c'était là le prix du contrat.

Entre 1995 et 1998, années où la stabilisation macro- économique était à son meilleur, et avant la dévaluation du rouble, les investissements étrangers directs se situaient entre trois et cinq milliards de dollars. L'ensemble des investissements atteignait presque 10 milliards de dollars, mais cela comprenait tous les investissements, même les investissements étrangers en bons du Trésor. Toutefois, les investissements étrangers atteignaient sans doute environ trois milliards de dollars par année. C'est énorme, quand on compare cela à l'ensemble des investissements intérieurs, qui étaient de 40 milliards de dollars.

Les investissements peuvent être financés par des emprunts et par la vente d'obligations, par exemple, mais cela n'est pas considéré comme l'investissement direct parce qu'on ne peut exercer aucun contrôle sur ce type de placement. Les investissements étrangers directs sont précieux parce qu'ils attirent les entreprises de haute technologie. L'autre avantage, c'est que ce type d'investissement ne peut être récupéré en temps de crise, de sorte qu'il n'est pas instable.

Le sénateur Corbin: Monsieur Popov, notre mandat consiste, entre autres, à examiner la politique et les intérêts du Canada dans la région. Avez-vous des critiques à faire au sujet de la façon dont le Canada traite la Russie?

M. Popov: Je ne suis pas sûr de pouvoir vous aider à ce sujet parce que je n'en connais pas beaucoup sur les relations entre le Canada et la Russie. Par contre, si vous me demandiez quelle est la mesure la plus importante que le Canada pourrait prendre pour améliorer son image aux yeux des Russes, je vous dirais qu'un ou deux agents d'immigration de plus pourraient être affectés à l'ambassade du Canada. Je suis citoyen russe et je sais de quoi je parle. J'ai enseigné au Canada pendant une dizaine d'années. Tous les deux ans, je viens enseigner pendant deux semestres. Je me procure un visa canadien et un permis de travail pratiquement chaque année, et je suis désolé de dire que les formalités deviennent de plus en plus compliquées, probablement en raison d'un manque de personnel. C'est aussi simple que cela. Deux agents d'immigration de plus permettraient probablement de régler tous ces problèmes.

Malheureusement, il y a une série d'ambassades à Moscou qui n'offrent pas de bons services, et celle du Canada est l'une des trois pires. Celle de la République tchèque, qui exige des visas depuis peu, en est une autre. La troisième est peut-être celle de l'Allemagne, mais il est possible que ce soit parce qu'il y a tellement de gens qui se rendent dans ce pays. De toute façon, l'ambassade canadienne figurait sur cette liste à un moment donné.

Cette question n'est pas exactement à l'étude, mais c'est celle qui m'est venue tout de suite à l'esprit quand vous m'avez demandé ce que je reprocherais au Canada. Ce n'est pas le problème le plus important, évidemment. Au sujet des relations commerciales et des investissements, j'aurais une ou deux choses à signaler, en rappelant toutefois que je ne m'y connais pas vraiment sur ce sujet.

À un moment donné, j'ai examiné la répartition des investissements, du commerce extérieur et de l'aide du Canada dans les anciennes républiques soviétiques. En ce qui concerne le commerce extérieur et les investissements du Canada, la part du PIB mondial de la Russie, de l'Ukraine et de la Moldavie est nettement supérieure à la part totale des échanges commerciaux et des investissements canadiens dans ces pays.

Les échanges commerciaux du Canada avec la République tchèque correspondent davantage à la part de la République tchèque dans le monde; par ailleurs, les échanges du Canada avec la Russie sont très insuffisants par rapport à la part de la production de la Russie dans le monde. Il y a place à l'amélioration. Le pays est peut-être associé à un risque plus élevé mais, par rapport aux pays de l'Europe de l'Est, on peut dire que les échanges commerciaux et les investissements du Canada favorisent ces derniers au détriment des anciennes républiques soviétiques. Il est donc possible d'intensifier ces relations. C'est la situation générale.

Pour ce qui est de l'aide publique au développement, elle est habituellement répartie en fonction du PIB par habitant. Plus le PIB par habitant du pays bénéficiaire est bas, plus l'aide du Canada est importante par habitant ou en proportion du PIB. Par conséquent, la Mongolie reçoit plus d'aide de l'Occident parce que c'est un pays plus pauvre. Donc, en fonction de ce facteur, il y a une tendance à privilégier les pays de l'Europe de l'Est au détriment des anciennes républiques soviétiques.

C'est peut-être politique. Je ne comprends pas grand-chose à la politique, mais c'est peut-être ainsi qu'elle fonctionne. Il reste que cette préférence existe.

Si l'aide étrangère était répartie seulement en fonction des indicateurs du PIB par habitant sur l'état de pauvreté ou de richesse d'un pays, l'ex-Union soviétique recevrait plus d'aide.

Le président: Je suis très heureux que vous ayez parlé du problème de l'immigration. C'est aussi ce que j'ai entendu dire par des professeurs d'université qui enseignent au Canada et qui ont beaucoup de problèmes dans nos ambassades à l'étranger, particulièrement dans celles des pays baltes. Je suis très heureux que vous ayez soulevé le problème parce que cela nous donne l'occasion de poser des questions à la ministre.

Le sénateur Graham: Monsieur le président, je suis heureux que vous ayez fait cette remarque et que le sénateur Corbin ait posé la question qui a amené la réponse de M. Popov.

J'aimerais revenir aux investissements étrangers. Ma question est peut-être trop précise. M. Kenneth Rowe est le principal propriétaire de l'entreprise IMP qui est établie en Nouvelle- Écosse. Il y a quelques années, il a fait des investissements considérables dans des hôtels à Moscou. Je me rappelle que son projet a attiré l'attention à l'échelle régionale, nationale et internationale. Je ne sais pas si c'est avec ses partenaires russes ou le pays qu'il a eu des problèmes, et je ne sais pas ce qui s'est passé depuis. J'imagine que je pourrais toujours appeler M. Rowe pour le lui demander. Connaissez-vous ce dossier, étant donné qu'il se rapporte aux investissements étrangers? Il semble avoir nui de façon générale aux investissements du Canada en Russie à cette époque.

M. Popov: Je ne connais pas l'entreprise IMP, mais l'hôtel Aerostar de Moscou est la propriété d'une société du Nouveau-Brunswick. Vous avez dit que l'entreprise était établie au Nouveau-Brunswick.

Le sénateur Graham: En Nouvelle-Écosse.

M. Popov: En Nouvelle-Écosse, je m'excuse. C'est peut-être en Nouvelle-Écosse. J'avais l'impression que c'était une société du Nouveau-Brunswick et non de la Nouvelle-Écosse.

Cet hôtel fait d'assez bonnes affaires. Il a eu des problèmes. Ses gestionnaires ont participé aux anciens programmes au moment où il a été question des problèmes d'investissement étranger direct.

L'hôtel connaît du succès, je pense. Il a eu des problèmes, comme toutes les entreprises étrangères au moment de la crise de la devise. Je pense qu'on a cru qu'un de ses gestionnaires qui traversait la frontière avec des bordereaux de guichet automatique voulait sortir frauduleusement des devises. C'était un malentendu.

Je pense tout de même que l'hôtel a du succès. Toutes les entreprises en Russie éprouvent des problèmes.

L'hôtel Aerostar est situé dans la ville, mais sur la route de l'aéroport. J'y suis allé plus d'une fois et je le trouve bien administré.

Aux yeux des universitaires qui organisent des conférences, l'Aerostar est considéré comme un bon hôtel dont les tarifs sont raisonnables. Il y a plusieurs hôtels de luxe.

Le président: Nous prenons note de cet hôtel, sénateur Graham.

Le sénateur Graham: Je ne parlais pas de cet hôtel pour faire la promotion de la Nouvelle-Écosse.

Le président: Nous notons le nom de l'hôtel parce que cela nous intéresse.

Le sénateur Bolduc: On a prévu l'an prochain un taux de croissance qui serait légèrement inférieur à celui de 7,6 p. 100 dont vous avez parlé, et qui se situerait probablement autour de 3.5 à 4 p. 100. Si c'était le cas, comment régleriez-vous la dette extérieure du gouvernement?

M. Popov: Comment j'évaluerais la dette extérieure?

Le sénateur Bolduc: Comment vous y prendriez-vous pour l'évaluer?

M. Popov: Je suis sûr que vous savez qu'il a été question de restructurer la dette. Ce n'est pas une situation très reluisante.

Le conseiller présidentiel, qui est libéral, a dit que le gouvernement se comporte comme -- et il a utilisé un terme péjoratif et offensant. Il a dit que le gouvernement agissait en quelque sorte comme un criminel et que ce n'était pas un comportement acceptable de sa part.

Le gouvernement a fait du chantage auprès du Club de Paris en ne payant pas sa dette. Il y a défaut de paiement technique quand on ne paie pas le principal de la dette et les intérêts pendant moins de 90 jours. Après cette période, ce n'est plus un manquement de paiement technique, mais réel.

Au cours du premier mois de la présente année, il y a eu manquement de paiement technique de la part du gouvernement qui essayait de réaménager les dettes du Club de Paris. Actuellement, l'endettement total de la Russie est d'environ 150 millions de dollars, ce qui est jugé raisonnable pour des pays ayant un PIB de cette nature. Si on le compare à la valeur du PIB d'après le taux du marché, qui est de 250 milliards de dollars, son endettement est d'un peu plus de 60 p. 100, ce qui se situe à la limite. Il ne faudrait pas dépasser 60 p. 100.

Dans l'ensemble, la Russie peut payer ses dettes. Je dirais qu'il est justifié qu'elle veuille restructurer sa dette parce qu'elle traverse une période difficile. Ce n'est pas opportun pour elle de rembourser sa dette actuellement. L'économie russe progresse depuis un certain nombre d'années et le PIB par habitant du pays se rapproche de ce qu'il était avant.

Ce serait avantageux qu'elle rembourse sa dette, mais ce n'est pas possible unilatéralement. On ne peut pas faire de chantage auprès de la communauté internationale en refusant de payer ses dettes pendant 90 jours pour attendre ce qui va se passer.

La croissance économique en dépend aussi. Tout dépend des prix du pétrole. Dans son budget de 2001, le gouvernement a prévu que le baril de pétrole coûtera 20 ou 22 $, ce qui est un chiffre conservateur. Il pourrait valoir plus.

D'après les lois récemment adoptées à la Douma, la Russie a finalement accepté d'effectuer tous les paiements nécessaires pour assurer le service de sa dette auprès du Club de Paris. Ces nouvelles lois stipulent que les recettes supplémentaires serviront au paiement de la dette. Auparavant, ces fonds n'étaient pas réservés au paiement des intérêts, et le paiement du principal de la dette n'était pas prévu dans le budget de 2001.

Le gouvernement a maintenant indiqué qu'il allait payer sa dette. On estime qu'il y aura des recettes supplémentaires, ce qui sera suffisant pour payer la dette.

Que ce soit suffisant ou non, il semble qu'on réglera la question et que la Russie paiera sa dette. Si les recettes ne sont pas suffisantes, le gouvernement répartira ses dépenses autrement. Une autre loi sera adoptée pour affecter au paiement de la dette des dépenses consacrées à autre chose.

Je ne pense pas qu'il y aura de problèmes. La Russie ne manquera pas à ses obligations. Elle continuera de payer la dette.

Cependant, ce plan repose entièrement sur les prix du pétrole. Si les prix du pétrole sont assez élevés, la Russie paiera sa dette facilement. Si les prix sont faibles, oui, le paiement de la dette nuira à l'économie de la Russie. Du point de vue de l'Occident, il serait logique de restructurer la dette de la Russie, et peut-être de l'annuler en fonction d'une évaluation de la politique nationale.

Actuellement, la politique économique de la Russie n'est pas mauvaise. Des conditions peuvent être fixées. Par exemple, le FMI et la Banque mondiale peuvent demander qu'on augmente les prix du pétrole en vue d'une restructuration. Si la Russie respecte ces conditions, sa dette pourrait être restructurée. Ce serait un arrangement raisonnable. Essentiellement, la Russie doit restructurer sa dette.

Le sénateur Bolduc: Au Canada, c'est la fonction publique fédérale qui est chargée de faire appliquer la plupart des lois fédérales, et ce sont les administrations provinciales qui s'occupent des lois provinciales. En Allemagne, par exemple, l'application de la plupart des lois fédérales relève des Lander. En Russie, est-ce que toutes les lois fédérales sont appliquées par les fonctionnaires fédéraux ou par les régions?

M. Popov: Il y a des lois fédérales que le gouvernement fédéral fait appliquer par les régions. Il oblige les fonctionnaires des régions à s'en occuper.

Il y a même ce qu'on appelle des mandats fédéraux. Récemment, le Parlement fédéral a adopté des lois et des règlements qui obligent les gouvernements régionaux a augmenté les dépenses, ce que certains ont fait et d'autres pas.

Le sénateur Bolduc: On dit qu'il y a une forte culture bureaucratique. Il est plus facile pour le gouvernement fédéral de diriger des employés que de donner des instructions à des professionnels qui sont élus. Ils peuvent refuser de suivre les directives.

M. Popov: Je peux seulement ajouter que les forces policières, par exemple, relèvent à la fois des autorités fédérales et des autorités régionales. Le ministère de l'Intérieur supervise ces services dans chaque région.

Dans la première moitié des années 90, la décentralisation était évidente. Elle a commencé en 1992, à peu près, quand Eltsine a dit aux régions de prendre toute l'autonomie possible. La part que les régions ont assumé de l'ensemble des recettes et des dépenses gouvernementales consolidées a augmenté considérablement alors qu'elle était de 30 p. 100 dans un état unitaire. L'ex-Union soviétique était une fédération et même la Russie en était une, mais en réalité, c'était un état unitaire.

Par conséquent, la part du gouvernement fédéral a diminué et, à partir du milieu des années 90 et surtout en 1998, M. Poutine -- et c'est une de ses rares réalisations -- a redistribué les recettes au profit de l'État fédéral. Selon la constitution de la Russie, pas moins de 50 p. 100 de toutes les dépenses doivent être effectuées par les régions. Actuellement, le gouvernement fédéral en assume plus de 50 p. 100.

Le président: Merci, monsieur Popov, de votre patience et de votre introduction captivante à notre étude.

Des voix: Bravo!

Le président: Honorables sénateurs, je veux vous présenter M. John Wright, notre attaché de recherche et notre spécialiste de la Russie. Il va nous aider à recevoir nos témoins.

La séance est levée.


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