Aller au contenu
AEFA - Comité permanent

Affaires étrangères et commerce international

 

Délibérations du comité sénatorial permanent
des affaires étrangères

Fascicule 3 - Témoignages


OTTAWA, le mardi 27 mars 2001

Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères se réunit aujourd'hui, à 16 h 30, pour examiner les implications pour le Canada de l'évolution de l'Union européenne et pour se pencher sur des questions connexes d'ordre politique, économique et sécuritaire.

Le sénateur Peter A. Stollery (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Chers collègues, je déclare la séance ouverte.

D'autres arriveront sous peu, mais, pour l'instant, ils prennent la parole au Sénat.

J'aimerais remercier l'honorable Donald Macdonald d'avoir accepté notre invitation. Je crois que tout le monde ici le connaît.

La réunion de cet après-midi découle d'une lettre qu'il a rédigée dans The Hill Times, avant Noël je crois, et dans laquelle il parlait de l'Union européenne et de sa bureaucratie. Je sais que certains d'entre nous s'y sont intéressés parce que notre comité a consacré beaucoup de temps et de réflexion au sujet de l'Union européenne. Ce qu'il avait à dire ne nous était pas étranger.

Avez-vous tous votre exemplaire de la documentation que nous avons fait circuler? M. Macdonald doit partir à 18 heures au plus tard.

Je tiens aussi à remercier les deux partis de nous avoir autorisés à nous réunir pendant que siège le Sénat. Je remercie ma collègue, le sénateur Andreychuk, de son aide. Sans plus tarder, je demanderais à l'honorable Donald Macdonald de nous faire son exposé, après quoi nous lui poserons des questions.

L'honorable Donald Macdonald: Honorables sénateurs, je vous remercie beaucoup de m'avoir invité, cet après-midi. Comme il a été précisé tout à l'heure, en réponse à une demande, j'ai envoyé un article au Hill Times avant Noël pour préciser mes vues au sujet de l'Europe. Je suis ravi de le faire à nouveau avec des sénateurs et d'aborder une gamme plus étendue de sujets. Comme je l'ai dit au sénateur Bolduc, j'ai toute une série d'opinions, et 13 p. 100 environ d'entre elles sont justes. Je serais ravi de m'en servir comme point de départ.

J'ai fait circuler mes notes à l'avance. Si vous le permettez, j'aimerais faire officiellement état de mes vues en vous en faisant la lecture.

L'exposé se divise en deux parties -- d'une part, nos arrangements avec l'Europe en matière de défense et, d'autre part, la nouvelle Union européenne en constante évolution et ses relations avec le Canada.

Sur le plan personnel, je traite de ce sujet depuis le milieu des années 50 quand j'étais étudiant en Europe. En tant que simple député, j'ai pris part à des échanges parlementaires. En tant que ministre chargé de trois portefeuilles -- la défense, l'énergie et les finances --, j'ai participé à des réunions ministérielles qui traitaient tant de défense que de questions économiques en Europe. En tant que haut-commissaire, j'ai travaillé dans ce haut lieu d'influence qu'est le Royaume-Uni. Je continue de suivre l'évolution de la situation.

Comme vous le savez, au XXe siècle, le Canada a collaboré très activement à la résolution des problèmes de l'Europe. Pendant 10 ans, nous avons participé aux hostilités qui sévissaient là-bas, soit la Première et la Seconde Guerres mondiales, et pendant 40 ans à la Guerre froide dans le cadre de l'OTAN. Notre pays a été fort engagé dans les guerres tribales des Européens. Toutefois, les Canadiens y sont allés volontairement et y sont demeurés pendant longtemps. Voilà une contribution qui, parfois, n'est pas reconnue par la génération actuelle d'Européens.

Plus récemment, bien sûr, sous les auspices de l'ONU, puis de l'OTAN, les Forces armées canadiennes se sont efforcées de tenir à distance les antagonistes régionaux de l'ex-Yougoslavie.

Mon premier thème est que nous devrions encourager les Européens à jouer le premier rôle dans la sécurité de leur continent. Les Canadiens ont assuré une présence là-bas à un coût plutôt élevé. En un certain sens, la situation exige de notre part et de la part des Américains la ligne dure.

Si nous demeurons là-bas et sommes disposés à fournir un général canadien pour tenir à l'écart les Irlandais ou si les Américains sont disposés à faire de même, les Européens ne se prendront pas en charge. L'Europe a maintenant atteint un degré de maturité qui lui permet de se prendre en charge, et nous ne devrions pas avoir à aller là-bas pour le faire.

Le dire ne signifie pas qu'on tourne le dos à l'OTAN. Cet organisme a été créé, bien sûr, dans des circonstances très différentes. Je fréquentais l'université durant ces années difficiles que furent 1948 et 1949, après le coup d'État en Tchécoslovaquie, lorsque les puissances occidentales se réunissaient pour décider quoi faire. Non seulement les privations économiques étaient-elles considérables en Europe à cette époque, mais également il était en un certain sens difficile d'espérer des jours meilleurs. On avait cru, avec l'Armistice signé en 1945, qu'on pouvait maintenant se tourner vers un avenir prometteur, mais cet espoir a été en réalité menacé par l'Union soviétique. Il était donc convenable de rassembler un concert des pays de l'Atlantique Nord qui, 40 ans plus tard, avait la satisfaction de provoquer la défaite de l'Union soviétique.

Il importe de reconnaître que l'OTAN, créée pour une fin précise, a atteint son objectif à la fin du XXe siècle et, sa raison d'être ayant disparue, qu'elle se cherche depuis lors un nouveau rôle.

Il est ironique de penser que le pire problème qu'a dû affronter l'OTAN n'a pas été causé par l'Union soviétique, mais dix ans plus tard, après la guerre froide et lors des opérations militaires au Kosovo.

J'ai inclus dans mes notes une citation qui, selon moi, décrit plutôt bien la contribution de l'Europe à sa défense. La voici:

La campagne aérienne du Kosovo a montré à quel point les alliés européens étaient devenus dépendants des capacités militaires américaines. Qu'il s'agisse d'armes à guidage de précision ou d'avions tous temps, ou encore de troupes au sol pouvant se rendre rapidement à un point chaud et y demeurer avec un appui logistique adéquat, les alliés européens n'étaient pas suffisamment prêts. Sur papier, l'Europe a deux millions d'hommes et de femmes sous les drapeaux -- davantage que les États-Unis. Mais malgré ces deux millions de soldats, il a été laborieux de rassembler 40 000 gardiens de la paix dans les Balkans. Quelque chose ne va pas, et l'Europe le sait bien.

Qui a porté ce jugement? Pas un quelconque analyste des questions de défense confortablement installé de l'autre côté de l'Atlantique, mais George Robertson, secrétaire général de l'OTAN et ex-ministre britannique de la Défense.

Nous avons participé aux sérieux efforts déployés au cours de la dernière décennie pour mieux adapter l'OTAN à la conjoncture actuelle. Ce à quoi Lord Robertson fait référence ne se limite pas à une dégradation de l'OTAN au niveau opérationnel, mais à une érosion du leadership et de la volonté des gouvernements en jeu.

Quel que soit l'avenir de l'OTAN, ce qui importe au Canada et aux Forces armées canadiennes, c'est l'habitude de coopération que l'OTAN a instauré parmi ses membres et qui représente un bien inestimable, difficile à constituer et dont il ne faut pas se départir à la légère.

À cet égard, je renvois le comité au document de James P. Thomas, intitulé «The Military Challenges of Transatlantic Coalitions». Dans son analyse des résultats de l'action menée pendant la guerre du Golfe, en Bosnie et au Kosovo -- et dont j'ai extrait certains passages --, l'auteur souligne l'importance d'une coopération ininterrompue d'unités militaires au sein d'une alliance ayant des objectifs communs. Ainsi, au sujet de la guerre du Golfe, il dit:

[...] sur le plan de la doctrine, la cohésion entre les membres de l'Alliance -- à l'exception notable de la France -- était forte.

En ce qui concerne les relations personnelles, il écrit:

Ils avaient appris à connaître les particularités nationales et les différents styles opérationnels.

Il mentionne à nouveau les pays qui y participent.

Il ajoute:

Au-delà de la doctrine commune, les exercices logistiques et de combat de l'OTAN ont constitué une préparation idéale pour le déploiement à grande échelle des forces dans le Golfe.

Par contre, pour ce qui est de la Bosnie, Thomas souligne les difficultés:

[...] l'IFOR -- c'est-à-dire la force de mise en oeuvre de l'OTAN -- a souffert de l'absence d'une doctrine multinationale convenue pour les opérations de soutien de la paix.

Les forces de l'OTAN connaissaient bien le rôle de chacun dans une situation comme la guerre froide et étaient capables de les assumer. Dix ans plus tard, elles n'avaient aucune doctrine à l'appui du genre d'opérations de soutien de la paix auquel on leur demandait de participer et auquel elles seraient incontestablement appelées à participer à nouveau. M. Thomas mentionne le fait:

[...] les difficultés causées par une entente préalable inadéquate relativement aux procédures, interfaces et systèmes communs.

Le grand intérêt de l'OTAN pour les alliés, c'est qu'il a réuni un groupe hétérogène de formations militaires en provenance de différents pays qui se sont entendues d'avance sur un mode de fonctionnement; c'est l'une de ses grandes réussites.

Un nouvel effort de coopération militaire multinationale s'impose maintenant, et le Canada devrait continuer d'y participer, puisqu'il pourrait être l'un des principaux bénéficiaires d'une telle entreprise.

Donc, bien que j'insiste sur l'importance d'un plus grand leadership européen en Europe, j'appuie également le maintien du rôle du Canada pour ce qui est de se préparer aux défis qui attendent l'alliance. Indépendamment de ce que stipule l'article 5, je ne considère pas que le Canada ait l'obligation constante d'intervenir et de régler les problèmes qui peuvent survenir en Europe d'un mois à l'autre et d'une année à l'autre.

Malgré toutes les critiques concernant la préparation des forces militaires européennes, il faut dire en toute justice que les États membres de l'Union ont travaillé d'arrache-pied à mettre en place la nouvelle politique européenne de sécurité et de défense. Je veux parler des structures de cette force composée de 50 000 à 60 000 soldats, équivalente à un corps d'armée, qui pourrait être mise en action.

Les Européens ont pris quelques décisions politiques qui vont dans ce sens. Dans le contexte de l'OTAN, un débat se poursuit depuis 30 ans quant au caractère souhaitable d'une force européenne distincte au sein de l'alliance. Il n'y avait pas que du cynisme lorsqu'on ironisait sur l'idée que le deuxième objectif de la politique américaine était la création d'une force européenne distincte, le premier étant que cela ne devait pas arriver. Le fait que les Européens parviennent à s'entendre sur ce qu'ils veulent faire, est, d'après les Européens eux-mêmes, ce qui inquiéterait le plus les Américains. Peu importe ce que décident les Américains, le Canada devrait admettre que l'Europe devrait, par tous les moyens, mettre sur pied ce genre de force militaire. Nous devrions appuyer cette initiative au sein de l'OTAN et y coopérer.

Les Forces armées canadiennes ont toujours eu à faire face à une série de difficultés au cours des dernières années. Nous avons toujours dû nous rendre à l'étranger pour nous acquitter de nos fonctions. La structure des forces affectées en Europe a toujours fait l'objet d'un débat important, et c'est une question sur laquelle nous devrions revenir. Il existe une analyse remarquable dans «Defense in the Seventies», publiée par un ministre éclairé de la Défense de l'époque. Vous seriez étonnés de voir que les questions de défense ont très peu changé ces 30 dernières années.

J'aimerais saisir l'occasion de ma comparution pour parler d'une priorité personnelle en matière de politique de défense; je veux parler de la réserve canadienne. Dans mes notes, je cite le fait historique suivant: en décembre 1939, la première Division canadienne a atterri à Greenock, en Écosse, trois mois seulement après la déclaration de guerre du Canada. Cela n'aurait pas été possible sans l'existence et les capacités de la milice canadienne.

D'après l'ordre de bataille, sur les cinq divisions canadiennes qui ont servi en Europe du Nord-Ouest, la milice était la plus importante.

Pendant un siècle, ce service volontaire de la réserve a fourni un appoint important aux collectivités de tout le Canada, non seulement comme renfort de la force régulière, mais aussi comme soutien des autorités civiles en cas d'urgence. Je suis convaincu que les honorables sénateurs reconnaîtront que la milice canadienne est un symbole important de l'unité de l'ensemble des Canadiens.

J'ai donc découvert avec surprise en devenant ministre de la Défense au début des années 70 qu'il existait une tension entre la force régulière et la réserve; on se faisait concurrence pour l'argent et les ressources disponibles, et comme ils travaillaient à plein temps, les membres de la force régulière ont pu se servir les premiers, tandis que les ressources disponibles pour la réserve se sont dégradées au fil du temps.

Ces dernières années, la réserve a fait l'objet de plusieurs enquêtes dont une présidée avec compétence par mon ex-collègue et ami de la Chambre des communes, l'honorable John Fraser, lui-même ancien officier de la force régulière et officier des Seaforth Highlanders à Vancouver. On a maintenant trouvé une structure qui, je crois, convient à la fois à la force régulière et à la réserve. L'important pour les Canadiens qui exercent des responsabilités civiles, pour le gouvernement, pour le ministre de la Défense nationale et également pour vous en tant que parlementaires, est de s'assurer que le ministère répartit ses ressources de telle sorte que la réserve continue à jouer un rôle important au sein de la communauté canadienne. S'il ne s'exerce pas de fortes pressions politiques pour maintenir ce rôle, les ressources se dirigeront inévitablement vers la force régulière.

En ce qui concerne les relations d'ordre non-militaire avec l'Europe, la réalité européenne la plus importante, c'est bien sûr l'institution que représente l'Union européenne et que vous avez si bien étudiée, à mon avis, dans le cadre de vos rapports.

Lorsque j'étais étudiant en Europe en 1957, on manifestait beaucoup de scepticisme quant à l'éventualité d'un accord sur le marché commun européen, mais en fait cela s'est produit en décembre de cette même année: le marché commun européen était né. La voie de la consolidation s'est avérée sinueuse au cours des 40 années subséquentes, mais il y a lieu de féliciter les gouvernements et les leaders européens qui ont travaillé si fort pour rassembler dans une seule institution des ambitions nationales aussi hétérogènes.

Ce que j'observe, c'est que les communautés européennes ont mieux réussi à réaliser leur intégration interne qu'à nouer des relations constructives avec le reste du monde.

Lorsque j'étais haut-commissaire, je devais, dans le cadre de ma mission, ouvrir davantage le marché britannique aux exportations canadiennes et, bien sûr, je rencontrais les ministres britanniques. Soit dit en passant, par rapport à la façon dont nous traitions les diplomates à Ottawa -- je suis sûr que ça va beaucoup mieux maintenant -- les ministres britanniques étaient des plus courtois. Si vous souhaitiez rencontrer l'un d'eux, cela était possible en l'espace de 48 heures, car les ministres britanniques tenaient à vous rencontrer. Je leur disais que nous voulions exporter davantage de papier journal vers la communauté européenne, ou que nous voulions jouir d'une certaine protection pour nos importations de bois en Grande-Bretagne. Ils appuyaient mes efforts, acceptaient mes demandes et disaient qu'ils seraient heureux de modifier les tarifs ou les règlements ou de faire ce qu'il fallait pour faciliter les exportations canadiennes dans ce marché.

Ils disaient: «Mais la décision ne nous appartient plus; c'est la politique commerciale et elle relève de l'Union européenne.» Les Britanniques me souhaitaient toute la chance du monde dans mes négociations avec Bruxelles, mais disaient qu'ils ne pouvaient pas assumer notre mandat, car ils avaient leurs propres problèmes lorsqu'ils négociaient avec ce groupe particulier.

Le Royaume-Uni nous appuyait, mais en même temps, il apparaissait clairement qu'il se trouvait dans une situation politique difficile face à l'organisation de Bruxelles.

De nombreux Canadiens sont surpris de constater une certaine hostilité de la part de l'Union européenne alors que, pour les différents gouvernements européens et les Européens à titre individuel, le Canada inspire de la sympathie. Ils connaissent mal le Canada, mais ne sont certainement pas hostiles.

J'en suis venu à la conclusion que, dans les rapports avec l'Union européenne, on ne traite pas avec les Européens en tant que groupes, mais plutôt avec une bureaucratie européenne dont les perspectives sont beaucoup plus étroites.

Les non-Européens qui ne sont pas familiers avec l'UE et qui lisent dans les médias que la Commission fait ceci ou cela à un certain pays ou à une certaine personne, peuvent penser que le siège de Bruxelles est un gouvernement central semblable à celui d'Ottawa. Le professeur J.H.H. Weiler, de la Harvard Law School, qui est originaire d'Europe, a écrit sur le sujet:

Dans la plupart des États membres (de l'Union européenne), la tradition démocratique est celle de la démocratie représentative. Nos représentants élus légifèrent et gouvernent en notre nom. Si nous ne sommes pas satisfaits, nous pouvons les évincer au moment des élections [...]

Et comme nous le savons tous les deux, monsieur le président:

L'élément de base de la démocratie représentative est que les citoyens peuvent, au moment des élections, «se débarrasser des bons à rien» [...]

Nous sommes partis tous les deux juste avant la débâcle; du moins, je suis parti. Il est possible de remplacer le gouvernement.

Ce type de démocratie n'existe pas au sein de la Communauté et de l'Union. La gouvernance européenne est -- et demeurera pendant très longtemps encore -- fondée sur un modèle où il n'existe pas de «gouvernement» que l'on peut mettre à la porte.

Les représentants élus des États membres, les ministres, peuvent agir en dernier ressort sur les décisions majeures de l'UE par le truchement de leurs gouvernements. Mais dans les opérations courantes, les puissants fonctionnaires de Bruxelles n'en réfèrent pas aux élus qui peuvent être tenus responsables de leurs actions.

Les technocrates de Bruxelles ont suffisamment de flair politique pour ne pas entrer en conflit avec des ministres importants sur des dossiers qui revêtent pour ces derniers une importance critique. Les États étrangers à l'Union européenne n'ont aucunement voix au chapitre et c'est pourquoi, à mon avis, l'UE se sent en mesure de manifester une telle combativité dans sa politique étrangère.

Les Canadiens peuvent avoir l'impression que le Canada est la cible d'un traitement négatif de la part de l'UE. Différents litiges ont lieu entre le Canada et l'UE, le plus connu étant celui lié à la surpêche par les Espagnols; il y a aussi eu le rejet cavalier par l'UE de la suggestion canadienne que l'Union, ayant négocié un accord de libre-échange avec le Mexique, devrait faire de même avec le Canada.

Mais les mauvais traitements infligés au Canada par l'UE ne sont qu'occasionnels. Avec les Américains, l'Union semble prendre plaisir à amorcer chaque semaine un nouveau conflit.

Pour revenir à mes interlocuteurs britanniques à l'époque où j'étais haut-commissaire, les différents ministres n'ont pas intérêt à utiliser leur temps et leur capital politique limités pour s'occuper de dossiers étrangers, alors qu'ils ont leurs propres dossiers à promouvoir auprès des technocrates de Bruxelles.

Alors, qu'est-ce que je propose pour remédier à cette situation? Le problème est clair, mais la solution, elle, ne l'est pas. Pour commencer, indiquons clairement aux Européens, et aux Canadiens, que l'Europe ne doit pas s'attendre à un appui de la part du Canada si elle n'est pas prête à nous rendre la pareille. Nous nous accusons parfois d'être trop polis; c'est vrai. Pensons à réaménager la règle d'or, c'est-à-dire à faire aux autres ce qu'ils nous font, ou à tout le moins leur indiquer en termes clairs que les choses devraient se passer ainsi. Il faudrait appliquer la règle de la réciprocité.

Nous pouvons nous attendre à un traitement plus favorable si nous adoptons une attitude plus agressive à l'égard de la Communauté européenne, des gens d'affaires européens et de leurs représentants élus, et que nous leur faisons comprendre que les Canadiens n'apprécient guère le dédain que nous manifestent à l'occasion les technocrates de Bruxelles. Autrement, si nous sommes trop polis, nous ne serons pas mieux traités.

Je répondrai maintenant volontiers à vos questions.

Le président: Plusieurs personnes souhaitent vous poser des questions. Vous abordez dans votre exposé deux thèmes que nous avons examinés l'an dernier -- la défense de l'Europe et l'Union européenne. Le comité s'est fait dire à maintes reprises, dans diverses capitales européennes, que les Canadiens participent au système européen de défense. Le sénateur Grafstein a posé plusieurs fois la question suivante: «Qu'en est-il de nos échanges commerciaux?». Nous leur avons indiqué, par exemple, que notre contribution à l'OTAN équivalait, dans les faits, à une subvention à l'Union européenne pour ce qui est de l'adhésion de la Pologne, de la Tchécoslovaquie et de la Hongrie à l'OTAN, parce que l'Union européenne ne pouvait encore accepter ces pays dans son giron. Nous leur avons signalé que nous faisions partie de l'OTAN et que nous participions au système européen de défense. Il y a, dans le traité, un article qui traite du commerce.

Je ne me souviens plus du numéro de l'article. Ce n'est pas l'article 5. Je pense que c'est plutôt l'article 2. Quoi qu'il en soit, ils ont dit qu'on ne pouvait pas parler de défense et d'échanges commerciaux en même temps, qu'on ne pouvait pas aborder ces deux thèmes en même temps. Ils l'ont répété une vingtaine de fois. Quelles sont vos vues là-dessus?

M. Macdonald: Il faudrait contester la validité de cet argument. Nous ne sommes plus en présence d'un adversaire unique qui nous oblige à faire fi de nos différences et à garder un front uni. Ils doivent apprendre à vivre ensemble sur ce continent et à s'occuper de leurs intérêts. Si, en vertu de l'article 5, les Roumains et les Hongrois ont un différend au sujet de leur population respective, nous n'avons pas à intervenir. Toutefois, nous sommes prêts à continuer de collaborer avec eux sur le plan de la disponibilité opérationnelle, de la logistique, ainsi de suite, sauf qu'ils devraient eux-mêmes diriger leurs opérations.

S'ils veulent notre aide, ils doivent nous traiter de façon appropriée. Ils ont maintenant un marché commun uni et, à bien des égards, une union économique. Nous disposons d'un vaste marché et nous aimerions qu'ils fassent affaire avec nous de façon équitable. Autrement, ils ne peuvent pas s'attendre à ce que les Canadiens leur témoignent beaucoup de sympathie si parfois ils se retrouvent dans des situations difficiles.

Nous devons leur parler en termes clairs. Je pense qu'ils vont nous écouter si nous le faisons.

Le sénateur Graham: Je suis content de voir que M. Macdonald est de retour à Ottawa, dans l'enceinte parlementaire. Il est connu pour sa compétence et sa franchise. C'est avec satisfaction que nous accueillons aujourd'hui ses observations.

Vous avez dit à la fin de votre déclaration que nous devrions faire aux autres ce qu'ils nous font. Vous avez laissé entendre que nous devrions être plus agressifs à l'égard des Européens.

À votre avis, est-ce que les mesures prises dans le dossier du flétan noir illustrent bien la façon dont nous devrions transiger avec les Européens?

M. Macdonald: Absolument. Le dossier du flétan noir illustre bien le clivage démocratique qui existe entre les simples citoyens européens et les technocrates de Bruxelles. L'ambassadeur du Canada avait été malmené par le commissaire en poste à Bruxelles. Entre-temps, le haut-commissaire du Canada, mon successeur à Londres, s'était rendu sur la côte ouest de la Grande-Bretagne, où il avait été accueilli en héros, car ils savaient que les Espagnols trichaient. Ils étaient enchantés d'entendre enfin quelqu'un dire que la situation ne serait plus tolérée.

Le sénateur Graham: C'était un de nos anciens collègues, le sénateur Frith.

M. Macdonald: En effet. Il a perfectionné ses compétences dans l'autre chambre.

Le sénateur Graham: C'est ici qu'il les a perfectionnées.

M. Macdonald: Excusez-moi, sénateur, vous avez raison. On peut quitter la Chambre des communes, mais les leçons apprises à la Chambre, elles, ne nous quittent jamais.

Le sénateur Graham: Les Européens n'avaient pas toutes les données en main et c'était là un des problèmes. Le Canada avait des alliés au sein de certaines associations dont il était membre, de concert avec la Communauté européenne, et il a été en mesure de leur communiquer des renseignements dans le but de donner l'heure juste aux Européens, à nos hauts-commissaires, à nos ambassadeurs.

J'aimerais revenir à la première partie de votre déclaration, où vous dites que les Européens devraient exercer un plus grand contrôle sur leur propre sécurité militaire. Vous avez parlé d'un général canadien, sans mentionner son nom. Je présume que vous faites allusion au général De Chastelain, qui a été chargé de désarmer l'Irlande du Nord. Vous avez laissé entendre que, là encore, ce sont les Européens qui devraient s'occuper de cette initiative -- il est seul à s'en occuper -- peut-être avec l'aide du Canada. Or, il se peut, et je l'ai constaté, que les pays à l'échelle internationale considèrent parfois le Canada comme une puissance amie, intelligente, énergique et modérée.

Dans ce cas-ci, le général De Chastelain possédait peut-être toutes les qualités voulues pour remplir ce rôle, qualités que d'autres ne possédaient pas. Il était l'homme de la situation et l'est peut-être toujours.

M. Macdonald: Je pense qu'il est l'homme de la situation. Toutefois, si j'étais un Européen, je me sentirais humilié. Il y a près de 300 millions d'habitants en Europe. Or, ils n'ont pas été en mesure de trouver un négociateur et un militaire. Ils ont été obligés de faire appel à un sénateur américain et à un général canadien pour régler un problème vieux de 700 ans.

Ils vont continuer à faire appel à nos services tant que nous leur faciliterons la tâche. Il est temps que nous commencions à les obliger à se prendre en charge. C'est ce que je tiens à dire aujourd'hui. Ils doivent être en mesure de s'occuper de leurs affaires. Nous n'inviterions pas quelqu'un de l'extérieur à venir régler nos problèmes. Je ne vois pas pourquoi ils ne devraient pas s'occuper eux-mêmes de leurs affaires.

Le sénateur Graham: Vous avez parlé de la politique européenne de sécurité et de défense. Vous avez également parlé des critiques concernant la préparation des forces militaires européennes. Vous dites que les États membres de l'Union européenne ont travaillé d'arrache-pied pour mettre en place une nouvelle politique européenne de sécurité et de défense. La création d'une force d'intervention rapide des Nations Unies a suscité beaucoup de discussions. Quel est votre avis là-dessus? Cette force s'occuperait des conflits qui pourraient survenir en Bosnie, au Timor-Oriental ou ailleurs.

M. Macdonald: C'est là un objectif de longue date de la politique étrangère et de défense du Canada. Il n'y a pas eu beaucoup de progrès à ce chapitre aux Nations Unies, mais il est important, d'un point de vue professionnel, surtout quand on réunit un groupe hétérogène de pays, que le leadership auquel je fais allusion dans ma déclaration soit assuré par ces derniers.

En fait, j'ai été surpris de voir à quel point les opérations des Nations Unies ont bien fonctionné avec ce groupe hétérogène de formations militaires. Cet effort de collaboration est absolument essentiel. Malheureusement, il nous a été difficile de réaliser des progrès à ce chapitre en raison de la stratégie politique des Nations Unies.

Le sénateur Grafstein: Nous sommes heureux de pouvoir compter sur la présence de M. Macdonald, qui connaît à fond les questions touchant l'Europe.

J'aimerais vous parler de l'établissement de liens. Ce que vous dites, essentiellement, c'est que nous devrions, comme l'a suggéré Henry Kissinger, établir davantage de liens avec la «forteresse européenne». Permettez-moi de vous exprimer mon point de vue sur la question et de vous demander conseil sur des points bien précis.

Pour ce qui est des obstacles aux échanges commerciaux en Europe, l'obstacle le plus important -- je l'appelle le «rideau de fer» -- est le PAC, la politique agricole commune. Elle est non seulement gênante, mais envahissante; et elle est à la fois directe et indirecte. Nous encourageons les agriculteurs canadiens et américains à être compétitifs. Ce sont eux qui sont les plus compétitifs à l'échelle internationale. Or, ils ne peuvent, malgré tout ce qui se passe là-bas, envoyer leurs produits en Europe en raison de la PAC, des subventions, des barrières tarifaires directes et indirectes. La situation est désespérée. La politique agricole commune va à l'encontre du principe du libre-échange. Le libre-échange n'existe pas dans le domaine agricole. Les agriculteurs nord-américains souffrent.

Le président a eu la gentillesse de faire allusion aux nombreuses réunions que nous avons eues à ce sujet en Europe. Or, la réunion la plus choquante à laquelle nous avons assisté a été celle organisée par le Comité des affaires étrangères, présidé par Bruce George, à Londres.

Nous avons eu droit à une véritable prise de bec, parce qu'il a dit: «Envoyez vos hommes et vos troupes, mais ne demandez rien en retour. Nous sommes heureux d'accueillir vos troupes, vos jeunes et votre sang, mais ne demandez rien en retour. Merci beaucoup.» Or, c'est là la meilleure façon de rompre des liens. Voilà ce qu'a dit Bruce George, le président du Comité des affaires étrangères de la Chambre des communes, en Angleterre. Nous avons essayé de débattre de la question, mais sans succès.

Avant que l'Angleterre n'adopte une politique agricole commune, on appliquait le système des préférences du Commonwealth. Franchement, les produits agricoles canadiens se vendaient fort bien. La Grande-Bretagne a été autorisée à se retirer de l'accord parce qu'elle voulait faire partie de l'UE. D'après ce que j'ai lu, un seul pays du Commonwealth a refusé qu'elle abandonne complètement l'accord, et c'est la Nouvelle-Zélande, qui exporte de l'agneau. Il y avait des lacunes au niveau des politiques à l'époque. Or, la situation aujourd'hui ne pourrait être plus désastreuse.

Pouvez-vous nous dire de façon précise comment établir des liens au chapitre des produits? Permettez-moi de vous donner quelques suggestions. Nous savons qu'il y a un rideau de fer. Nous sommes conscients de l'existence de l'OMC. Nous voulons supprimer ces obstacles et permettre à nos agriculteurs d'avoir accès à ce marché. Or, nous continuons d'importer de vastes quantités de produits européens, du vin, du fromage, du pâté -- toute une gamme de produits à valeur ajoutée. Pourquoi ne pas les secouer un peu en disant: «Non, plus de vin, merci beaucoup. Plus de vin français. Plus de whisky irlandais. Plus de scotch. Merci beaucoup, mais plus de pâté. Merci beaucoup, mais nous ne voulons plus des 626 fromages que l'Europe achemine vers le marché de Kensington.»

Avez-vous songé aux mesures que nous pourrions prendre à ce chapitre? Les produits alimentaires sont le seul exemple qui me vient à l'esprit: plus de produits alimentaires à valeur ajoutée s'ils n'acceptent pas nos matières premières. C'est le seul exemple qui me vient à l'esprit.

Le président: Est-ce là votre question, sénateur Grafstein?

Le sénateur Grafstein: Oui.

M. Macdonald: Je suis d'accord avec cette idée. En vertu du GATT, de l'entente négociée avec la Communauté économique européenne, entente qui lui permet d'établir une union douanière, nous avons accepté les niveaux de protection qui existaient à l'époque. Comme vous le savez, cette question fait l'objet de discussions depuis quelque temps déjà, sauf qu'elles n'ont pas beaucoup avancé.

Il n'est pas dans notre intérêt de délaisser ces accords et de dire que nous décidons, dès maintenant, de ne plus accepter pareille situation. Nous devrions être prêts à prendre les mesures qui s'imposent par le truchement des mécanismes de règlement des différends si nous jugeons que nous avons été traités injustement. Ensuite, en réaction à cela, nous devrions être prêts à établir une liste de produits européens qui devraient faire l'objet de sanctions. Autrement dit, nous ne devrions pas prendre des mesures immédiatement, mais plutôt faire preuve de prudence et dire: «Un instant, nous ne sommes pas traités de façon juste.»

Ils ont essayé, quand j'étais en Europe, d'exclure le bois d'oeuvre canadien du marché européen. C'est un dossier que nous connaissons fort bien. Les fonctionnaires européens disaient: «Il y a ce qu'on appelle des nématodes dans le bois d'oeuvre canadien et nous croyons -- nous n'avons aucune preuve -- que cela pourrait constituer une menace pour les forêts européennes de conifères.» Je leur répondais: «Écoutez, l'Europe importe des produits forestiers canadiens depuis 200 ans, que ce soit sous forme de mâts, d'étais de mines, de bois, ainsi de suite. Or, vos forêts sont toujours intactes.» Il s'agissait manifestement d'une forme de protectionnisme administratif. S'ils s'avisent de prendre d'autres mesures contre nous, nous allons imposer des sanctions commerciales. Comme nous ne recevons pas beaucoup de produits forestiers d'Europe, nous allons intervenir. Maintenant que je ne bois plus, nous devrions nous attaquer au whisky écossais, au brandy et aux vins français. Nous devrions être prêts à adopter une position beaucoup plus sévère.

Le sénateur Grafstein: Pas de problème, puisque ma cave à vin est déjà intacte. Mais merci pour le conseil. Il est important que le comité se penche sur cette question. Si vous avez d'autres suggestions, n'hésitez pas à nous en faire part.

M. Macdonald: Si nous commençons par dire, «Nous en avons assez et voici ce que nous allons faire», nous allons aller à l'encontre des règles commerciales de l'OMC auxquelles nous avons souscrit. Nous devrions dénoncer plus vivement les délais administratifs et autres mesures qui nuisent à nos produits. Nous devrions recourir au mécanisme de règlement des différends de l'OMC et ensuite, si nous obtenons gain de cause, établir une liste de sanctions.

Le sénateur Di Nino: J'ai deux questions à poser. La première porte sur l'IESD. Cette initiative a été proposée il y a déjà un bon moment. Nous en avons beaucoup entendu parler quand nous sommes allés en Europe. Or, on nous a parfois laissé entendre, non pas ouvertement, mais surtout privément, qu'il sera très difficile de faire accepter cette initiative aux joueurs concernés -- les Allemands, les Français, les Anglais, ainsi de suite. Quel progrès a-t-on réalisé à ce chapitre, si progrès il y a eu, et est-ce que cette initiative va voir le jour dans un avenir prévisible?

M. Macdonald: Je l'espère. L'accord d'Helsinki a été conclu en 1999, si je ne m'abuse. Le temps passe. Je ne sais pas si d'autres négociations ont eu lieu depuis. Toutefois, j'espère que l'on continue d'exercer des pressions sur le plan politique pour qu'elles avancent. J'ai l'impression que les tensions entre les grandes puissances européennes, notamment entre la France et l'Allemagne, et l'Angleterre aussi dans une certaine mesure, pour ce qui est de la défense, nuisent aux négociations. Or, nous ne pouvons pas négocier à leur place.

Adoptons donc, en tant que pays et gouvernement, une position claire, et disons: «Nous croyons qu'il s'agit là d'une excellente initiative. Nous sommes prêts à collaborer avec cette force. Washington émettra peut-être quelques commentaires, mais c'est son point de vue. En tant que Canadiens, nous estimons qu'il est temps de créer une telle force de défense. Nous sommes prêts à collaborer avec vous». Ils doivent régler cette question eux-mêmes, mais je pense que nous devons leur dire clairement qu'à notre avis, cette initiative cadre avec l'objectif de coopération entre l'Amérique du Nord et l'Europe.

Le sénateur Di Nino: Si j'ai soulevé ce point, c'est parce que je pense que la tâche sera difficile. Il faudra sans doute plus de temps pour atteindre cet objectif. Les Européens continueront probablement d'avoir besoin des Nord-Américains dans les conflits qui exigeront l'intervention de forces armées. Ce qui m'inquiète, c'est que nous adoptons une approche plus protectionniste que dans le passé à l'égard des blocs commerciaux régionaux qui sont créés. À défaut de compromis, de concessions, la situation commerciale ne risque guère de s'améliorer dans un avenir prévisible, même si nous avons recours à l'OMC pour régler les différends. Quelle est votre opinion là-dessus?

M. Macdonald: Vous avez indiqué, dans un de vos rapports, que l'ambassadeur de l'Union européenne a laissé entendre, lors de son passage ici, que les barrières tarifaires ne sont plus tellement nombreuses -- et elle a raison, sauf que les barrières non tarifaires, elles, le sont. Nous devons être prêts à dénoncer ces barrières, à essayer de négocier leur abandon.

L'idéal serait que l'OMC tienne une session de négociations qui permettrait de régler toutes les questions.

J'ai suivi de près l'évolution des dossiers commerciaux, et j'ai l'impression que les négociations de l'OMC au cours de la présente décennie ne seront pas couronnées de succès. Cela ne devrait guère nous étonner. Treize ans se sont écoulés entre le Kennedy Round et le Tokyo Round, et entre le Tokyo Round et l'Uruguay Round. Il faut beaucoup de temps pour se réunir et faire en sorte que les pressions exercées portent fruit.

Entre temps, j'appuie la politique du gouvernement, tout comme j'ai appuyé la politique du gouvernement Mulroney, pour ce qui est de l'accord conclu avec les États-Unis. Il est essentiel que le Canada ait accès au plus grand nombre de marchés possible pour ses produits.

L'Accord de libre-échange avec les États-Unis a été très positif, tout comme l'adhésion du Mexique à cet accord pour former l'ALENA. Cela a créé un précédent pour la solution de problèmes. Les spécialistes du droit commercial examinent les textes; cela crée un mouvement de coopération. Pour les quatre prochaines années au moins, c'est l'environnement politique à Washington qui posera le principal problème. Je crois qu'il sera impossible pour les États-Unis de mettre en place une procédure de négociation accélérée. S'il s'avère que je me trompe à ce sujet, ce sera l'un des grands moments de ma vie, mais je ne crois pas que cela arrive.

Le sénateur Grafstein: Vous ne pensez pas qu'ils mettront en place la procédure accélérée?

M. Macdonald: Non, je ne le crois pas. À mon avis, aux États-Unis, on voit un retour à l'isolationnisme américain à la Harding-Coolidge-Hoover et les Américains vont se retrouver coincés. J'espère toutefois me tromper.

Le sénateur Grafstein: D'après mon expérience des relations canado-américaines, il semble qu'il y ait un énorme fossé entre le Congrès où les sénateurs républicains sont en général fortement en faveur de la procédure accélérée, et la Chambre des représentants où les démocrates du Midwest tendent à penser le contraire.

Franchement, l'administration est beaucoup plus axée sur la procédure accélérée que ne l'était l'exécutif du gouvernement démocrate.

M. Macdonald: Vous avez raison, monsieur le sénateur. L'administration précédente n'avait bien sûr pas les coudées franches, vu qu'elle dépendait de l'appui politique de la faction la plus anti-commerciale de l'Amérique, soit le mouvement syndicaliste. Par ailleurs, si on regarde la liste et que l'on arrive au sénateur Lott, le soi-disant leader de la majorité au Sénat, et d'autres qui n'étaient pas en faveur de l'ouverture du marché, je crois qu'il sera difficile d'obtenir un accord. Si je me trompe, nous vivrons encore des jours heureux pendant quelque temps, ce qui ne sera pas un mal.

Le sénateur Bolduc: Diriez-vous que la meilleure politique pour le Canada consisterait à ne pas faire trop d'efforts en matière de libre-échange dans les Amériques et à traiter avec les pays individuellement?

M. Macdonald: Je crois qu'il sera difficile de progresser en matière de libre-échange avec les Amériques, tout d'abord, à cause de l'incapacité des Américains de mettre en place la procédure accélérée et, ensuite, à cause de l'attitude du Brésil en particulier. Cela n'a rien à voir avec le corned-beef ou Bombardier, mais plutôt avec les perceptions du Brésil en tant que nouvelle économie. Le Brésil veut protéger son économie, tout comme nous voulions protéger la nôtre il y a un siècle, lorsque nous étions un nouvel état industriel. Je ne crois pas que cela arrive très vite.

En cas de changement d'humeur, l'Europe sera l'un des gros marchés pour le Canada. Ne me demandez pas d'où viendront les gains, mais si nous pouvons surmonter certains aspects du protectionnisme administratif qui existe sur ce continent, les entreprises canadiennes réussiront bien sur le marché européen.

Le sénateur Bolduc: L'attitude des bureaucrates de Bruxelles risque fort de créer le bastion Europe. Si rien ne s'offre à nous dans cette région, mis à part l'investissement étranger direct, dont les sociétés canadiennes ont d'ailleurs profité, et si l'Amérique du Sud n'offre pas de possibilités, il faudra se tourner vers la Chine.

M. Macdonald: Nous devons être prêts à évoluer dans toutes les ligues.

Le sénateur Bolduc: Que pensez-vous des pays comme la Chine et l'Inde? Cela marche déjà avec le Japon.

M. Macdonald: Je crois que les grands pays tiendront à ce que l'on traite avec eux individuellement. Je ne pense pas que l'on puisse traiter avec tous les pays de l'APEC, mais il est possible que l'on puisse le faire avec la Chine, voire même avec l'Inde qui, comme vous le savez, a des tendances fortement protectionnistes.

Le sénateur Andreychuk: Vos observations s'appliquent au modèle européen tel qu'il existe actuellement. L'élargissement de l'Union européenne vers le Sud et vers l'Est exacerbera-t-il la situation ou créera-t-il une nouvelle dynamique susceptible de modifier cette mentalité de bastion? Nous parlons souvent du nouveau super-groupe qui se compose de l'Allemagne, de la France et d'autres pays qui prennent le leadership et qui ont plus d'habitants, et par conséquent plus d'influence. Selon d'autres, au fur et à mesure que plus de pays se joignent à l'Union, il sera très difficile pour cette bureaucratie de continuer à fonctionner comme l'a toujours fait.

M. Macdonald: Les trois candidats les plus probables sont ceux qui sont maintenant membres de l'OTAN. Prenons par exemple la Pologne, important producteur agricole. Étant originaire de la Saskatchewan, vous comprendrez que c'est important pour la communauté. Je crois qu'il y aura d'énormes difficultés entre la Pologne, et peut-être la Hongrie, et le reste de la communauté européenne au sujet de la Politique agricole commune. Il est concevable que grâce à un leadership politique fort et une bonne planification, ils arrivent à un accord, mais je crois que ce sera un accord dans le cadre duquel ils finiront par régler les questions entre eux sans s'occuper des autres qui souhaiteraient percer ce marché.

L'étape suivante est difficile, parce que la Hongrie, autant dans le domaine de l'agriculture que dans celui des produits manufacturés, la République tchèque, dans celui des produits manufacturés et la Pologne, dans celui de l'agriculture, représentent des concurrents sérieux pour certains pays de l'Europe du Nord. Ils auront beaucoup de mal à s'entendre. Lorsqu'ils arriveront à une entente, elle sera probablement si finement équilibrée qu'ils ne seront pas très ouverts pour le reste d'entre nous.

Le sénateur Andreychuk: Ils seront préoccupés par leurs propres problèmes.

J'aimerais revenir à votre observation initiale au sujet de l'OTAN. Vous avez dit à plusieurs reprises que l'Europe devait s'occuper de ses propres affaires, ce qui m'amène à croire que vous souscrivez à un article 5 différent. Une menace pour un pays d'Europe est une menace pour tous et pourtant, vous dites qu'une menace pour l'Europe dans l'état actuel des choses ne représente pas une menace pour le Canada. J'aimerais que vous précisiez.

Si telle est votre conclusion, diriez-vous que nous n'avions pas à intervenir au Kosovo?

M. Macdonald: À mon avis, si les Européens avaient été suffisamment bien organisés, ils auraient pu eux-mêmes régler la situation dans toute la Yougoslavie. Nous sommes intervenus en Bosnie sous les auspices des Nations Unies étant donné que les membres européens des Nations Unies ne faisaient rien. J'aurais préféré qu'ils en endossent eux-mêmes la responsabilité. Comme l'a dit lord Robertson, ils disposaient de deux millions de soldats, mais ont eu du mal à en trouver 40 000 pour le Kosovo. Il y a matière à amélioration dans ce domaine.

Nous devrions être prêts à appuyer des efforts de cette nature. Je n'ai jamais espéré, dans toutes mes années d'expérience, que l'Europe nous aide de ce côté de l'Atlantique, même si je ne sais pas d'où viendrait la menace. Il suffit d'examiner l'article 5 et de se resituer dans le contexte de 1949, date à laquelle il a été négocié. La menace était très claire à ce moment-là et il fallait faire front commun. La situation a changé, et je crois que nous voulons modifier la nature des relations.

Le président: À cet égard, nous avons demandé à Solana ce qu'il arriverait si le Mexique était attaqué ou s'il y avait un genre de guerre au Mexique. L'OTAN participerait-elle à une opération en Amérique du Nord? On nous a répondu que non. Après tout, c'est dans l'Atlantique nord. Nous avons été quelque peu surpris d'un tel sens unique. Nous nous rappelons ces conversations avec le secrétaire général.

Le sénateur Andreychuk: C'est là où je veux en venir. On nous a dit que le Canada était intervenu, non pas parce qu'il s'agissait d'une question européenne, mais parce qu'il s'agissait d'une question humanitaire et que le Canada ne pouvait pas fermer les yeux sur les morts et le génocide qui étaient censés se produire dans cette région. C'est la raison pour laquelle nous sommes intervenus. Nous n'avons pas obtenu de réponse satisfaisante à notre question concernant le Mexique, l'Europe et l'Afrique. La France a répondu d'une façon, l'Allemagne, d'une autre et Solana, d'une autre encore.

L'intervention humanitaire compte-t-elle pour vous et l'OTAN ou s'agit-il d'une question propre aux Nations Unies?

M. Macdonald: De toute évidence, elle a compté pour nous. J'ajouterais également ceci: le Canada est intervenu parce qu'il s'agissait d'une question humanitaire et que l'Europe était incapable de la régler elle-même. Cela m'amène alors à l'argument que j'avance, à savoir qu'il est temps que l'Europe endosse une responsabilité à cet égard.

Permettez-moi de présenter les choses sous un autre angle. Au sommet de la liste des priorités souhaitables, il faudrait une résolution du Conseil de sécurité de l'ONU qui conduirait à la formation d'une force des Nations Unies chargée d'une telle mission.

Nous savons que pour diverses raisons politiques, le Conseil de sécurité n'a pas été en mesure de le faire à cause de l'éventuel veto de certaines des grandes puissances. En fait, il aurait même pu être difficile d'obtenir une résolution commune pour la paix de la part de l'Assemblée générale de l'ONU, car beaucoup d'autres pays auraient considéré une intervention de ce genre comme potentiellement menaçante pour eux-mêmes. Dans les circonstances, l'OTAN était peut-être le seul instrument disponible. Je devrais dire que la prochaine fois -- le cas échéant -- j'espère que l'Europe disposera de la force militaire voulue, laquelle, dès le début, pourrait, selon les termes de l'accord d'Helsinki, intervenir rapidement sur les lieux pour régler le problème avant qu'il n'échappe à tout contrôle.

Le sénateur Andreychuk: La guerre du flétan noir est un autre sujet de préoccupation pour moi. Vous avez dit que c'était un bon exemple de la façon dont le Canada pourrait avoir un impact et tenir tête à l'Europe. C'était certainement vrai. À mon avis, les filets suspendus aux Nations Unies pour attirer l'attention de tout le monde étaient sexy. Toutefois, nous continuons de faire les frais de l'adoption d'une loi qui, au fond, viole le droit international. C'est la même chose pour l'abordage des chalutiers espagnols. Nous avons fait des chalutiers de pêche et du droit international un problème qui ne cesse de se répercuter dans le domaine du commerce. Je me demande pourquoi vous pensez que c'était bien alors qu'en fait, je crois que c'était fâcheux, surtout que depuis 50 ans, le Canada déclare qu'il faut respecter les règles. Or, nous ne l'avons pas fait et nous continuons d'en subir les conséquences.

M. Macdonald: Nous avons dû procéder de la sorte de temps à autre, car nous nous trouvions dans une position différente de celle d'autres pays. La Loi sur la prévention de la pollution des eaux arctiques m'a beaucoup préoccupé. Toutes les grandes puissances du monde, les États-Unis en tête, ont dit: «Vous ne devriez pas adopter cette loi.» Si l'un de leurs bateaux avait des difficultés et avait déversé du pétrole dans tout l'Arctique, ils auraient dit: «Cela n'aurait pas dû se produire, mais dans tous les cas, ce qui à nos yeux représente le droit international établi est respecté.»

Dans l'Arctique, le droit international en matière de pollution n'était pas établi, ni non plus dans le cas des stocks chevauchant de l'Atlantique Nord. Toutefois, ce serait pure folie que de dire: «Le droit n'est pas établi si bien que nous allons laisser les Espagnols détruire les stocks de poisson, mais au moins, nous aurons respecté ce qui représente un ensemble de droit incertain.» À mon avis, lorsque vous savez que quelqu'un fait du maraudage, vous l'arrêtez; c'est une question de bon sens. Il faut prendre soi-même la responsabilité d'imposer une loi, lorsque celle qui existe présente des lacunes. Je crois que c'était la chose à faire. Si cela arrivait demain, je serais prêt à le faire de nouveau et que les Espagnols aillent se faire voir.

Le sénateur Andreychuk: Je ne dirais pas: «Que les Espagnols aillent se faire voir». Si le sénateur Stewart était ici, il nous rappellerait que nous avons fait du conflit de la pêche et de notre position sur la pêche une priorité sans tenir compte des conséquences que cela pourrait avoir pour beaucoup d'autres entreprises, lesquelles connaissaient peut-être des difficultés semblables. L'effet s'est fait sentir et continue de se faire sentir. Nous avons agi de façon isolée à propos de la pêche et n'avons pas pris garde aux répercussions que cela pourrait avoir sur nos échanges commerciaux avec l'Europe.

M. Macdonald: Je crois que c'est l'excuse qui a été invoquée. À mon avis, l'Europe est protectionniste. Nous ne réussirons pas à nous défendre très souvent si, dans le domaine des relations internationales, nous laissons toujours le raisonnement logique l'emporter sur les réactions viscérales.

Le président: À la décharge du sénateur Stewart, je me rappelle, avec beaucoup de satisfaction, qu'il avait fait circuler un document sur la guerre du flétan noir. Je ne voudrais pas lui faire dire des choses qu'il n'a pas dites, mais je crois que la tournure des événements lui a plutôt plu.

Le sénateur Andreychuk: Avec l'équilibre qu'on lui connaît, il a aussi compris comment cela nuisait à d'autres commerces.

Le sénateur Di Nino: Il ne fait pas de doute, cependant, qu'au moins parmi certains membres de la communauté européenne, il existe une solidarité à cet égard. Lors des rencontres entre le Canada et l'Europe autant ici que là-bas, ce dossier revient constamment sur la table. Je ne suis pas sûr qu'il est aussi universel que l'affirme le sénateur Andreychuk, mais de nombreux parlementaires européens mentionnent constamment ce dossier, depuis quelques années, comme étant une source de frictions.

Le président: Je crois que M. Macdonald a raison. Je croyais qu'une bonne partie des Européens semblaient nous appuyer. Nous savons tous qu'essentiellement, le gouvernement d'Espagne a été pris en otage par quatre députés de la région de Vigo, en Galacie. Ils se sont en réalité accaparés la politique des pêches de l'Union européenne. Vous les rencontrez dans les ascenseurs à Bruxelles. Il existe une famille qui a beaucoup d'influence dans l'industrie de la pêche. Le gouvernement de l'Espagne a besoin de leur appui, de sorte qu'une chose en entraîne une autre.

Le sénateur Graham: Le fait que nous ayons gagné la guerre du flétan noir -- que la colonie ait gagné -- a peut-être blessé les susceptibilités de la communauté européenne. Je ne crois pas que cette question ait eu des échos partout en Espagne. C'est une région particulière qui a été touchée.

Le président: La Galacie.

Le sénateur Graham: Je continue d'appuyer la façon dont le dossier a été traité.

Le sénateur Corbin: Monsieur Macdonald, vous avez parlé brièvement de certains aspects de l'élargissement de l'Union européenne. Je me demande si nous n'avons pas raté l'occasion de conclure des marchés avec certains candidats avant qu'ils ne soient pris dans les tentacules des Européens.

Même à ce stade-ci, il faudrait faire des démarches auprès de certains candidats à l'Union européenne afin de promouvoir une croissance des échanges commerciaux avec le Canada.

M. Macdonald: J'ai perdu le fil. Toutefois, j'ai cru que c'était une bonne idée, qui méritait qu'on y donne suite, d'avoir une discussion avec les membres qui restent de l'EFTA, dont le plus influent est la Norvège. À nouveau, il s'agit d'une politique à caractère graduel qui consiste en mettre en place le libre accès au marché. Toutefois, il faudrait explorer cette voie.

Quand j'ai songé aux trois pays d'Europe de l'Est, soit la Pologne, la Tchécoslovaquie et la Hongrie, il ne m'est jamais venu à l'idée que le Canada prenne des initiatives d'avance. Il faudrait peut-être y penser.

Le sénateur Corbin: J'ai l'impression qu'il aurait fallu être plus persuasif. N'y a-t-il pas quelque chose que nous puissions faire dans les antichambres d'Europe pour promouvoir les intérêts canadiens auprès des anciens satellites soviétiques? Tôt ou tard, ils seront tous pris dans les tentacules de l'Europe. Le jeu de la politique et la bureaucratie ne feront qu'exacerber le désavantage dans lequel se trouve le Canada.

Je ne suis pas sûr que la proposition faite par le sénateur Grafstein au sujet des vins et des fromages soit la bonne voie. Je ne crois pas que la réaction du Québec soit très bonne, par exemple.

Le sénateur Bolduc: Elle le serait si nous agissions de concert avec les États-Unis. Toutefois, si nous agissons seuls, je ne suis pas sûr.

M. Macdonald: Nous avons beaucoup d'avoirs canadiens qui pourraient être utilisés à notre avantage dans des États d'Europe de l'Est qui faisaient auparavant partie de l'Union soviétique, notamment les pays baltes, le Bélarus, l'Ukraine et la région moldave. Je songe notamment aux pays baltes et à l'Ukraine. Je ne suis pas sûr de la politique à cet égard.

Si je me mets à la place de certains de ces pays qui aspirent à devenir membres de l'Union européenne, ils craindraient de nuire à leur candidature en concluant un marché avec le Canada. Toutefois, cela ne nous empêche pas de poser la question et d'obtenir une réponse.

Le président: Brièvement, qu'avez-vous à dire au sujet de la défense? Que pensez-vous de l'idée voulant qu'essentiellement, les alliances formées en 1939 ont pris fin en 1990...

M. Macdonald: En 1949?

Le président: Non. Je parle des alliances, de celles qui menèrent à la création de l'OTAN et qui furent conclues au début de la Seconde guerre mondiale. La France est tombée, et l'Allemagne était l'ennemi en 1939, mais la guerre a commencé en 1939 et les alliances se sont formées. À la fin de la guerre, les communistes et les Soviétiques et ainsi de suite s'y sont joints. Tout cet épisode a commencé en 1939 et a pris fin en 1990. L'OTAN, les Européens et l'initiative de défense stratégique des Européens -- toutes sortes de gens -- éprouvent des difficultés à l'accepter. Nous parlons d'alliés, mais les alliés se trouvent au sein d'alliances et, il faut le supposer, vous faites une alliance pour vous défendre contre quelque chose. Il n'est pas trop clair ce contre quoi ils se défendent. Beaucoup de gens diraient que le Kosovo a été l'occasion pour l'OTAN de mener des opérations dans un contexte sans rapport avec le fameux Article 5, quel qu'il soit. Témoins après témoins sont venus nous dire que le non-Article 5 signifie essentiellement qu'il ne s'agit pas d'une opération de l'OTAN.

On a la période allant de 1939 à 1990, puis il n'y a plus rien. Toutefois, il existe trois groupes. Il y a les partisans de l'OTAN et les problèmes avec les Européens qui, comme vous le dites, n'ont pas de communications par satellite. Nous savons tout cela. Ne vivons-nous peut-être pas dans un monde contemporain, en l'an 2001, où tout se fait à la pièce, au cas par cas? Il n'y a vraiment pas d'alliance, c'est au cas par cas, selon le problème.

M. Macdonald: Il y aura des alliés à la table. Je crois que les Britanniques feront cause commune avec les Américains, tout comme les Français. Par conséquent, il y aura là des relations établies sur lesquelles on peut compter.

Le président: Leurs intérêts sont différents, toutefois.

M. Macdonald: Leurs intérêts sont différents. Un des avantages d'avoir réalisé l'initiative de défense européenne est que, sur le plan institutionnel, ils seront tout organisés de manière à réagir ensemble. Quand on conclut une pareille alliance, on s'engage à en respecter toutes les obligations.

Le sénateur Bolduc: J'aimerais revenir au commerce international. Nous avons étudié cette question à fond au cours des dix dernières années.

J'ai tendance à être d'accord avec vous qu'au cours des dix prochaines années, il ne se passera pas grand chose au niveau de l'Organisation mondiale du commerce, sauf peut-être des traités internationaux précis, par exemple, au sujet des services. Du point de vue du Canada, quelles seraient vos priorités en vue d'essayer de mettre en oeuvre une partie de l'Accord de libre-échange?

M. Macdonald: Si le gradualisme dans différents secteurs est tout ce qu'on peut faire, alors c'est le gradualisme par pays. Plus vous pouvez situer la relation dans une structure de droit international, mieux vous vous trouverez à long terme.

Les nouvelles commerciales sont en règle générale plutôt mauvaises ces jours-ci, mais on laisse entendre qu'ils pourraient en arriver à un accord dans le domaine des services. J'espère que cet accord ne sera pas l'otage d'un accord plus général.

Le sénateur Graham: Monsieur Macdonald, dans la première partie de votre exposé, vous parliez d'encourager les Européens à assumer le premier rôle dans la gestion des questions de sécurité du continent. Vous avez ensuite dit que l'OTAN avait été créée dans des circonstances fort différentes pour faire face à une menace qui n'existe plus. En quoi cela affecte-t-il le matériel militaire dont nous avons besoin aujourd'hui pour assumer nos responsabilités?

M. Macdonald: Vous parlez du Canada?

Le sénateur Graham: Oui.

M. Macdonald: Il existe une toute autre question à laquelle j'ai fait allusion, mais dont je n'ai pas parlé directement. Si l'on jette un nouveau regard sur l'engagement canadien, comme nous le faisons cet après-midi en termes d'engagements politiques, il faudrait organiser nos forces de manière à faire ce qu'il y a à faire.

Il est clair que les Canadiens ont toujours eu besoin d'une plus grande capacité que les autres, mis à part les Américains, pour transporter les troupes et le matériel jusqu'au théâtre des opérations. Je ne crois pas que le Canada ait cette capacité actuellement. Je crois qu'il faudra, en dépit de toute l'ingéniosité de l'armée, faire en sorte de livrer rapidement sur le théâtre des opérations le meilleur équipement possible en vue de pouvoir assumer nos responsabilités tout en étant justes à l'égard de nos troupes, c'est-à-dire de leur donner l'équipement grâce auquel ils peuvent se défendre.

Il faut restructurer nos forces armées pour le faire. Une force de 60 000 personnes n'est probablement pas suffisante pour répondre aux attentes des Canadiens quant à ce que nous ferons dans ces diverses situations. Il faudrait augmenter à nouveau les effectifs, pour avoir le personnel additionnel qui nous permettrait de répondre à ces exigences.

Cela aurait pour résultat de favoriser davantage certains services par rapport à d'autres. C'est toujours un problème au sein des forces armées. Elles estiment toujours qu'il faudrait qu'il y ait un équilibre entre les différents services.

Le sénateur Graham: Je ne souhaite pas me lancer dans un débat sur les hélicoptères. Toutefois, s'il est question de l'hélicoptère original, il a peut-être été conçu pour répondre à des exigences qui n'existent plus. Donc, le modèle qui a été acheté ou commandé est une version simplifiée de celui qui aurait été nécessaire dans des circonstances différentes.

M. Macdonald: C'est ce qui remplace le Sea King.

Le sénateur Graham: Oui, c'est juste.

M. Macdonald: Je m'y connais très peu en matériel militaire. Je suis donc incapable de vous répondre. Je sais par contre que nous aurons besoin de troupes au sol et qu'il faut pouvoir les transporter jusque là, que ce soit sous les auspices de l'OTAN ou des Nations Unies. J'ai l'impression que nous n'avons pas suffisamment de troupes et que nous n'avons probablement pas le bon matériel pour les débarquer là-bas aussi vite qu'il le faudrait.

Le sénateur Di Nino: Monsieur Macdonald, les relations qui ont été établies entre le Canada et l'Europe, principalement en Europe de l'Ouest, remontent loin et ont été établies dans des circonstances qui les ont beaucoup rapprochés. Cinquante ou 60 ans plus tard, le Canada n'est plus le même pays. De nombreux Canadiens ne comprennent pas ces relations et n'ont jamais fait partie de leur contexte ou de leur histoire. Devrions-nous explorer ou exploiter, comme vous voulez, cette question en vue d'élargir nos horizons sur le plan des débouchés commerciaux?

M. Macdonald: Vous parlez d'un point de vue commercial?

Le sénateur Di Nino: Oui.

M. Macdonald: Nous avons toutefois un énorme avantage maintenant du fait que notre population est beaucoup plus multiculturelle que lorsque j'avais 15 ans. Ce sont là des circonstances dont il faudrait pouvoir profiter.

Pour ce qui est des négociations commerciales, surtout avec l'Asie, nous avons une importante population asiatique provenant de divers pays et il faudrait entretenir des contacts positifs avec eux, des contacts analogues à ceux que nous avons par exemple avec certains pays européens.

Le sénateur Di Nino: Est-ce une réussite, un échec ou quoi?

M. Macdonald: J'ignore la réponse.

Le sénateur Losier-Cool: C'était la question que je souhaitais poser, monsieur le président. À quel point le faisons-nous? Vous dites qu'ils sont, si je puis reprendre vos mots, «mal au courant» du Canada. Ailleurs, vous dites que c'est une question de population. Notre population n'est peut-être pas assez nombreuse. Pourtant, nous avons acquis une certaine compétence dans les services que nous fournissons. Mises à part nos contributions à la défense, qu'ils reconnaissent, sommes-nous rejetés lorsqu'il est question de commerce? Avons-nous été trop timides ou trop humbles? Je n'aime pas la solution du sénateur Grafstein, soit d'interdire l'importation de pâtés, car j'aime le pâté et les vins français. Toutefois, que pourrions-nous faire de plus sur le front commercial? Je ne parle pas de questions militaires, mais de commerce.

M. Macdonald: Il faut faire preuve de dynamisme et y affecter nos meilleures ressources. Il faut envoyer des représentants canadiens compétents qui reviendront constamment à la charge, de sorte qu'il sera impossible de nous oublier. Il faudrait être disposé à profiter de toutes les occasions qui se présentent.

Quand je participais à de pareils dossiers sur la scène internationale, un des Américains qui avaient participé aux négociations commerciales du GATT a dit que le Canada était un négociateur très déloyal. Lorsque je lui en ai demandé la raison, il a dit: «Vous passez votre temps à envoyer des gens comme Reisman, Warren et Grey, qui sont tous au courant des négociations antérieures. Si nous proposons une modification, Grey peut produire l'argument invoqué par les Américains contre la modification trois conférences plus tôt. C'est tout à fait déloyal. Vous envoyez des personnes compétentes négocier».

Bien sûr qu'il disait cela pour plaisanter, mais c'est ce que nous avons fait. Nous devons à tout prix avoir des négociateurs chevronnés. Les personnes avec qui j'ai eu affaire lorsque j'étais fonctionnaire arrivent un peu après ceux que je viens tout juste de mentionner, mais ils étaient aussi très solides. Cela exige une politique très active et de défendre constamment notre intérêt.

Le sénateur Losier-Cool: Devrions-nous songer à envoyer une équipe canadienne à Bruxelles?

M. Macdonald: Vous pourriez le faire, mais je crois qu'il vaudrait mieux avoir sur place en permanence, à un niveau inférieur à celui de directeur général, des gens qui feront valoir les intérêts canadiens, les lieront aux intérêts des divers centres influents à Bruxelles et qui indiqueront à ces derniers la raison pour laquelle ils devraient entretenir de bonnes relations avec le Canada.

Le président: Monsieur Macdonald, je vous remercie au nom de mes collègues d'être venu nous parler ce matin. Ce fut très intéressant.

La séance est levée.


Haut de page