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AEFA - Comité permanent

Affaires étrangères et commerce international

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent
des affaires étrangères

Fascicule 8 - Témoignages pour la séance de l'après-midi


OTTAWA, le lundi 30 avril 2001

Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères se réunit aujourd'hui à 13 h 05 pour étudier, pour en faire rapport, les faits nouveaux en matière de politique, de questions sociales, d'économie et de sécurité en Russie et en Ukraine, les politiques et les intérêts du Canada dans la région, ainsi que d'autres sujets connexes.

Le sénateur Peter A. Stollery (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Honorables sénateurs, notre premier témoin cet après-midi est M. Rotzang, de Norex Petroleum.

Nous vous écoutons, monsieur Rotzang.

M. Alex Rotzang, Norex Petroleum Limited: J'aimerais vous parler des problèmes auxquels la société Norex Petroleum se heurte en Russie. Ces problèmes sont assez courants pour les personnes qui exploitent une entreprise en Russie.

Norex Petroleum a été constituée en 1991. En 1992, nous avons fait l'acquisition du champ de pétrole Malo-Chernogor, situé en Sibérie occidentale. C'était une région de catastrophes écologiques. En fait, le champ de pétrole avait été rendu à l'État depuis que la société qui l'exploitait avant nous avait décidé de cesser ses activités. Lorsque nous avons repris le champ, 600 personnes y travaillaient. La production était d'environ 300 000 tonnes. Pour convertir cela en barils, il suffit de multiplier ce chiffre par 7,8.

Le sénateur Bolduc: Où se trouve ce champ pétrolifère?

M. Rotzang: À environ 90 kilomètres au nord de la ville de Nizhne Vartovsk, le long du fleuve Ob.

Le président: Le secteur dont nous parlons se trouve à l'est de l'Oural, dans ce que nous appelons la Sibérie occidentale?

M. Rotzang: C'est exact. Nous avons commencé l'exploitation en 1992. Au début de l'année, nous avons fait venir de Calgary à Nizhne Vartovsk quatre avions chargés de matériel et, en 1993, nous avons fait venir 174 wagons chargés de matériel. Cela a représenté le plus important envoi vers la Russie depuis la Seconde Guerre mondiale.

Nous avons réussi à renverser la vapeur, dans ce champ pétrolifère. Au plus fort de son exploitation, celui-ci produisait 500 000 tonnes de pétrole brut et employait 110 personnes. Nous produisons beaucoup plus de pétrole par travailleur que n'importe quelle autre société. Autrement dit, nous sommes la société pétrolière la plus efficace de Russie. Nous versons également les impôts les plus élevés de toutes les sociétés exploitées en Russie, par tonne de brut. En moyenne, les sociétés payent 25 à 26 roubles d'impôts par tonne. Nous versons 2 500 roubles par tonne de brut, ce qui représente une énorme différence.

Pendant ses 10 ans d'exploitation, notre société n'a jamais dû d'argent en impôts et taxes et n'a jamais rémunéré ses employés avec du retard, ce qui est également un exploit. Cette année, nous avons reçu plusieurs prix. En mars, nous avons été nommés dans le cadre du programme de reconnaissance des entreprises de Russie, aux côtés de Rostopovich Ozyolruf, qui a gagné un Prix Nobel. Il s'agissait d'une importante reconnaissance, un grand hommage au savoir-faire canadien et à notre persévérance. En 1990, environ 35 sociétés de l'Alberta étaient en activité et prospéraient en Russie. Aujourd'hui, sur le plan opérationnel, il ne reste que deux sociétés en activité, dont la nôtre.

Malgré tous les problèmes, que je vais vous expliquer sous peu, nous prévoyons des travaux d'expansion. Nous allons construire une usine de produits chimiques pour mettre en place la technologie chimique pétrolifère canadienne en Russie et nous avons donc passé une commande en Alberta pour l'achat d'une super plate-forme de forage de haute technicité, au coût de 4 millions de dollars américains. Nous sommes toujours en affaires et prêts à aller de l'avant, malgré tous les problèmes auxquels nous nous heurtons.

S'agissant de ces problèmes, je vais vous donner une idée de ce qui se passe dans ce pays et de la façon dont les affaires se déroulent. Je vais vous raconter quelques histoires.

En 1993, notre société a prêté du pétrole à notre associé, Chernogorneft. Cette société a remboursé peu à peu cet emprunt de 300 000 tonnes de brut jusqu'en 1995, et à partir de cette année-là, elle a refusé de nous rendre ce qu'elle nous devait. Nous avons porté l'affaire devant les tribunaux et avons gagné notre cause. Le chef de la police est intervenu, en a récupéré 25 et nous les a rendues. Il en restait donc 17. À l'époque, une société appelée TNK est apparue sur le marché. Elle fait partie du groupe financier Alpha.

Le président: Qui est le groupe Alpha?

M. Rotzang: Le groupe Alpha est une entreprise dont le principal élément d'actif est la banque Alpha, à Moscou. Elle a des actionnaires à New York. Un certain M. Blavatnik travaille pour cette société.

Permettez-moi de vous raconter comment se passe la privatisation en Russie. Le groupe Alpha est intervenu et a pris part à un appel d'offres pour l'achat de 40 p. 100 de la société pétrolière Nizhne Vartovskneftegaz et Tyumen. Cette société produisait à l'époque environ 18 millions de tonnes métriques de brut. Pour vous faciliter les calculs, si vous multipliez ce chiffre par 200 $, vous aurez une idée des recettes de la société.

Le groupe Alpha et une société américaine appelée Alpha/Renova ont offert ensemble, pour l'acquisition de 40 p. 100 des intérêts, 810 millions de dollars, dont 170 millions étaient censés être investis par eux et 640 millions par l'État. Nous parlerons de prix un peu plus tard, mais vous comprendrez que le prix sera sans doute un peu plus élevé pour une société qui produit des milliards de dollars de pétrole brut.

Pour le reste des avoirs, soit les 49,9 p. 100, détenus par l'État, Alpha a offert 270 millions de dollars même si, il y a six mois environ, le gouvernement avait investi sa part de 640 millions de dollars. La société a offert 270 millions, dont le gouvernement devait réinvestir 180 millions dans une société privée et ils verseraient 90 millions.

Voilà comment s'est faite la privatisation de TNK. Il a été souvent question de cette affaire dans les journaux. On a fait des enquêtes sur la privatisation, mais dernièrement, toute cette activité a été jugée conforme à la loi. Le vérificateur général de Russie a conclu que la somme de 90 millions de dollars représente un juste prix pour une entreprise de cette envergure. Cette somme tient sans doute compte de sa production quotidienne.

Dès l'arrivée de TNK, une société canadienne, Black Sea, est apparue sur le marché. Je ne sais pas si vous en avez entendu parler. C'était une société cotée en bourse qui était exploitée dans les environs. La société Tyumen Oil, qui avait été privatisée était son associée. Elles exploitaient conjointement une entreprise appelée Tura Petroleum. Au début, ils ont essayé de faire fonctionner la société. En un mot, ils ont constaté que trois ans plus tôt, quand le permis d'exploitation des droits miniers avait été délivré, le fonctionnaire qui avait signé le permis - bien que l'investissement ait été de 80 millions de dollars - n'avait pas l'autorisation de le faire. Il n'avait pas de procuration; son patron était en vacances et la transaction a donc été déclarée nulle et non avenue. En fait, ça a été la première entreprise sur laquelle TNK a fait main basse et son plan a été couronné de succès.

Écoutez un peu cela: le président du conseil d'administration de TNK à l'époque, M. Rakievsky, est devenu gouverneur de Tyumen. Dans le système russe, tous les juges de Tyumen sont nommés par le gouverneur. Cela signifie que les tribunaux de Tyumen sont absolument indépendants. Leurs décisions ne se fondent sur aucun fait, elles sont entièrement indépendantes. Peu importe ce qu'on leur dit, ces tribunaux agissent de façon indépendante.

Ensuite, TNK s'est attaquée à une société bien connue, British Petroleum, qui avait investi plus ou moins 600 millions de dollars pour l'acquisition de 10 p. 100 des parts de Sidanco Petroleum. TNK s'est attaquée à sa filiale, Kont Petroleum.

Que s'est-il passé? Depuis de nombreuses années, le FMI disait à la Russie qu'elle devait adopter une législation sur la faillite. D'un seul coup, la Russie cède. Elle adopte une loi sur la faillite. Je vais maintenant vous expliquer comment s'applique cette loi.

Les gens de la société TNK ont constitué une nouvelle société chargée de passer des accords, par la menace ou par l'intimidation, ou en versant un pot-de-vin aux directeurs de la société. Au début, TNK assume la dette de l'entreprise. Par exemple, si les travaux de reconditionnement sur une plate-forme coûtent 100 000 $, elle signe un marché pour 200 000 $. Je vous paye 90 et vous donne un billet à ordre pour 100. Arrive ensuite cette société qui vous donne 10 pour le billet à ordre. Par conséquent, la société rentre dans ses frais et il me reste de l'argent ainsi que 100 000 $ de dettes. De cette façon, la dette s'accumule rapidement. Par la suite, la société s'adresse à un tribunal compréhensible de la région et, en un seul jour, ces derniers concluent que votre société est en faillite et insolvable. On met en place un gestionnaire de l'extérieur qui est totalement indépendant, et ce gars commence à spolier la société de façon accélérée. Toute la production pétrolière est vendue à la société dont elle a le contrôle pour deux ou trois dollars le baril, puis transférée à Gibraltar, où le pétrole est revendu.

Dans l'intervalle, les gens ont interjeté appel devant un tribunal, lequel a statué que cela ne relevait pas d'un tribunal. Ils ont alors interjeté une deuxième fois appel, d'abord devant un tribunal ordinaire puis devant une cour fédérale, laquelle a conclu qu'il fallait approfondir l'enquête. Il s'est écoulé environ trois mois entre chaque comparution devant le tribunal. Au bout d'un an et demi, la société est au pied du mur parce qu'elle n'a pas payé ses impôts et rien d'autre n'est payé. On déclare alors qu'il faut vendre la société. Lorsque celle-ci a été vendue en vertu d'un appel d'offres public, devinez qui a gagné la soumission? C'est TNK. Quelle surprise!

Une fois cette affaire réglée, TNK s'est attaquée à Chernogorneft, qui était à l'époque la société pétrolière la plus rentable de Russie, et également mon associé. En quelques mois, TNK a procédé au même petit jeu. Elle a poussé la société à la faillite. Dans l'intervalle, elle a également repris une autre société qui devait 28 millions de dollars, en utilisant le même processus avec le directeur indépendant, et cetera. TNK a repris la société.

Les fonds ne proviennent pas de sombres inconnus. On parle de 200 millions de dollars environ. Il y a le Harvard Endowment Fund, plusieurs investisseurs du Moyen-Orient et la société BP. Ce sont ces gens-là qui ont investi dans Sidanco. Ils ont fait un énorme charivari. On a même présenté une requête à la Cour fédérale de New York. Cette affaire a été qualifiée, et j'ai lu les délibérations, de «vol commercial sans précédent».

Il y a plus d'un an et demi, les responsables de TNK ont dit: «Très bien, nous allons rendre 25 p. 100 de Sidanco.» Il y a eu d'un seul coup un crédit de Eximbank au montant d'un demi-milliard de dollars. Ce crédit est allé à Haliburton, nous savons tous qui était le président du conseil d'administration de cette société à l'époque.

Le président: Qui était le président à l'époque?

M. Rotzang: Monsieur Cheney.

Le sénateur Corbin: Le vice-président des États-Unis?

Le président: Dick Cheney, vice-président des États-Unis.

M. Rotzang: La société a obtenu le crédit, et les choses ont continué comme si de rien n'était. Dans l'intervalle, elle a repris plusieurs autres sociétés en procédant de la même façon, mais il s'agissait de sociétés russes et l'affaire n'a pas fait autant de bruit.

Voilà à qui nous avons affaire. Lorsque les gens de TNK reprenaient des sociétés, et cela a paru dans le journal, ils intimidaient les gens en appelant tard le soir et en leur disant: «Vous avez une très gentille fille. Je vous vois l'amener tous les soirs à son cours de ballet. Vous devez être très fier de votre famille.» Le lendemain, on disait: «Votre fille prend également des cours de natation. C'est très bien. Vous devez être fier de votre famille. Ce sont des gens très sympathiques. J'ai vu votre femme avec votre fille. Vous avez vraiment une très belle famille.» Lorsque le gars se présente pour acheter la société, qui refuserait de vendre à des gens aussi gentils qui aiment autant votre famille? C'est ni plus ni moins la méthode qui a été rapportée dans les journaux à plusieurs reprises, et ce sont les gentilles personnes avec qui j'ai eu l'énorme chance de faire affaire.

Le sénateur Corbin: Et vous n'aviez pas de fille?

M. Rotzang: Si, j'ai une fille.

Lorsqu'ils ont commencé à reprendre Chernogorneft, le tribunal a statué qu'il restait 70 000 tonnes de brut. La société est en faillite et nous allons payer. Pendant la procédure de faillite, nous voulions être inscrits sur la liste des créanciers, car si cela se faisait, je me trouverais sans nul doute aux côtés des gens de BP, et il n'y aura pas de faillite puisque 70 000 tonnes de brut représentent une somme énorme par rapport aux autres créances. On a dit: «Non, aux termes de la législation russe, nous vous devons du brut et nous devons vous rendre du brut. Un point c'est tout.» Nous avons essayé à plusieurs reprises, peut-être six ou sept fois, devant des tribunaux différents, mais à chaque fois, cela s'est soldé par un échec.

Après la prise de contrôle de Chernogorneft, ils ont assumé toutes les dettes et toutes les responsabilités, et d'un seul coup, ils ont invoqué une décision du tribunal selon laquelle ils n'étaient pas tenus de nous rendre les 70 000 tonnes de pétrole brut, mais au contraire, ils devaient nous verser une somme importante à ce titre. Cela équivaut à environ 1,50 $ le baril, alors que le prix était proche de 30$. Le prix a été approuvé par le tribunal. Nous sommes toujours devant les tribunaux et nous nous débattons avec cette affaire.

La deuxième affaire, encore une fois liée au prêt de pétrole brut, mettait en cause Nizhne Vartovskneftegaz. On a pris en tout 102 000 tonnes de pétrole brut. Les gens ont joué encore au même petit jeu de la faillite et de la procédure judiciaire, et nous n'étions pas plus avancés que dans la première affaire.

En outre, fait intéressant à noter, à cette époque ils ont essayé d'exercer toutes sortes de pressions sur nous. Le vice-président de la société s'est adressé au journal en disant: «Ils ne veulent pas entendre raison et nous allons donc vérifier si leur permis est valide.» Évidemment, trois jours plus tard, le ministre des Ressources naturelles nous a envoyé une commission. Lorsque ces gens ont vu ce que nous avons fait, je n'ai pas hésité à aller le voir pour lui dire que ma société n'était pas Black Sea et qu'elle n'était pas cotée en bourse, que je n'avais pas peur de parler en public et qu'on en entendrait parler en haut lieu. Ils ont fait machine arrière, et pour l'instant tout est en suspens.

Une autre question est en rapport avec notre oléoduc. Nous avons acheté une propriété et construit l'infrastructure à l'époque du régime soviétique. Comment les choses se passent-elles depuis 10 ans? Nous recevons du pétrole mélangé à de l'eau et du gaz. Nous procédons au traitement et en sortons environ 96 p. 100 de pétrole et 4 p. 100 d'eau. Nous pompons ensuite le produit vers une installation centrale, qu'utilisent d'autres sociétés également. Chernogorneft procédait à d'autres activités de nettoyage et de pompage. De cette façon, j'ai des parts dans un oléoduc et j'ai donc accès au marché.

L'an dernier, on nous a dit que notre système de comptage était défectueux. Nous avons le système de comptage le plus perfectionné qui soit. Nous avons eu le premier système de comptage par micromouvement, que nous avons fait venir du Canada dès le début. On nous a dit: «Non, nous ne vous donnerons pas de pétrole.» Puis, pendant six mois, on nous a en fait volé tout notre pétrole. Nous nous sommes adressés au ministère. Personne n'était au courant et cette affaire était sans précédent dans toute la Russie.

Sur leur propriété, ils ont ce qu'on appelle une usine de fractionnement. C'est une petite raffinerie où l'on prélève la fraction légère du brut et tout le matériau qui reste est reversé dans l'oléoduc. Il y a alors un flux de gaz et de diesel que l'on peut vendre au comptant, dans la rue.

Nous savons d'où venait notre brut et, pendant six mois, nous étions paralysés. Il est évidemment que Moscou ne voulait pas intervenir. Enfin, un comité antimonopole est intervenu et a rendu une décision contre ce genre de choses. Il a récupéré le pétrole précédent, mais cette année, les responsables ont poursuivi en justice le Comité antimonopole. Ils refusent maintenant d'accepter la décision. Ils possèdent encore plus de 25 p. 100 du pétrole. Les choses ont un peu évolué. À l'heure actuelle, nous sommes aux prises avec cette affaire.

Lorsque M. Poutine est venu au Canada, je lui ai écrit pour lui demander son aide. Le gouvernement du Canada collabore avec la Russie par le biais de divers comités gouvernementaux. Il faut trouver une autre solution que notre système juridique actuel. M. Poutine lui-même, dans son dernier discours à la nation, a dit que nous avions une économie parallèle et que nous devions désormais avoir un système de justice parallèle. Il a admis que le système actuel est un échec. Nous devons créer le poste de protecteur du citoyen ou quelque chose de ce genre pour aider les entreprises en activité en Russie.

Le sénateur Austin: Monsieur Rotzang, votre récit est manifestement complexe. En vous écoutant et en lisant la note que vous nous avez remise, nous avons une meilleure idée des problèmes.

Pour ce qui nous concerne, nous aimerions savoir si, à votre avis, les institutions de l'État russe - autrement dit, le ministère de l'Énergie, le ministère de la Politique antimonopole - font en sorte de faire respecter les contrats et essayent d'appliquer le système en vertu d'accords indépendants. En second lieu, il ressort clairement de vos notes que les tribunaux administratifs qui sont, au départ, censés rendre ces décisions, se livrent eux-mêmes à la pratique du monopole. C'est ma conclusion, que vous ne partagez peut-être pas.

En outre, est-ce qu'à votre avis le régime russe s'efforce de vous appuyer, en tant qu'investisseur international, ou s'écarte-t-il au contraire des normes de comportement à l'égard des investisseurs? Pourriez-vous éclairer notre lanterne sur ce point?

M. Rotzang: Tout d'abord, je suis fermement convaincu que le monde des affaires russes n'est pas ouvert aux investisseurs. D'après les Russes, l'investissement consiste à demander aux sociétés d'apporter de l'argent, puis de parti pour ne jamais revenir. En ce qui concerne l'État, il prétend promouvoir l'investissement étranger. Ils déclarent qu'ils accueillent favorablement les investisseurs, mais dans la pratique, aucune mesure concrète n'est prise pour permettre aux investissements de fonctionner convenablement.

En ce qui concerne les ministères, notamment le ministère du Pétrole et du Gaz, il reste encore certains anciens professionnels fiers qui souhaiteraient voir prospérer la grande industrie pétrolière qui existait auparavant en Union soviétique. Et surtout, je pense qu'ils attendent de voir comment les choses évoluent. Ils essaient de toute évidence d'apporter toute l'aide possible.

Le sénateur Austin: Apparemment, cette industrie rapporte actuellement suffisamment de capitaux pour que les exploitants russes puissent acheter n'importe quelle technologie dont ils ont besoin auprès des pays du monde occidental. Ils n'ont plus besoin d'investisseurs étrangers et de conseils techniques provenant de pays étrangers, du point de vue des capitaux propres. Est-il évident qu'ils se sentent désormais assez indépendants de l'investissement étranger, dans l'industrie pétrolière et gazière?

M. Rotzang: Ils se sentent peut-être indépendants, mais en ce qui concerne la technologie, rien du tout ne se produit. Je ne vois aucune technologie mise en application en Russie, dans le secteur pétrolier et gazier. Certaines personnes en parlent mais rien ne se fait.

Pour vous citer un exemple, en Russie, il faudrait de 25 à 30 jours pour forer un puits d'environ 3 000 mètres. En Alberta, cela prend de trois à quatre jours. Cela représente une différence sur le plan de l'efficacité, mais personne ne se précipite pour acheter ces plates-formes.

Le sénateur Andreychuk: Vous nous brossez un tableau assez décourageant. Pourquoi continuez-vous à faire des affaires en Russie plutôt que dans un autre pays, si la situation est si difficile?

M. Rotzang: L'exploitation pétrolière est un secteur où on ne peut pas se réinstaller rapidement. On ne peut pas déplacer ces puits, ni ces oléoducs ou ces installations. On construit, on investit et on envisage d'être en exploitation pendant 20 à 25 ans. La seule solution consisterait à fermer boutique, mais je suis sans doute trop obstiné pour le faire.

Le sénateur Bolduc: Si j'ai bien compris, vous avez monté cette affaire dans le pays à l'époque communiste, où il était assez facile d'investir et d'être en affaires dans le pays, mais les choses sont aujourd'hui de plus en plus difficiles. Est-ce bien ce que vous nous dites?

M. Rotzang: Oui.

Le sénateur Bolduc: Vous n'avez pas l'air d'être aussi optimiste que l'était M. Gillies ce matin.

Le président: D'après les témoignages précédents que nous avons reçus, la Russie sera un énorme fournisseur de pétrole et de gaz pour l'Union européenne et l'Europe de l'Ouest et nous avons parlé de Gazprom, qui représente une entreprise de près d'un milliard de dollars.

Est-ce que des intérêts russes ont décidé d'avoir la mainmise sur l'industrie pétrolière et gazière? D'autres événements pourront surgir, mais la Russie sera-t-elle un fournisseur énorme et sûr de pétrole pour l'Europe de l'Ouest?

M. Rotzang: Il y a de nouveaux actionnaires qui détiennent d'énormes avoirs extrêmement rentables, pour Gazprom et bien d'autres. Les champs pétrolifères sont assez récents. Ils continuent de produire du pétrole, sans exiger beaucoup d'intrants. Il est un fait que tant que la poule aux 9ufs d'or continuera de rapporter, ils n'ont aucune raison de céder la place à quelqu'un d'autre. Lorsque la production commencera à diminuer, les choses changeront peut-être.

Par exemple, l'Iran produisait près de 10 millions de barils par jour à l'époque du schah. Ce pays produit aujourd'hui environ 2,2 millions de barils par jour, et les gens se débattent comme de beaux diables en essayant de trouver des spécialistes et de nouvelles techniques pour rendre les champs pétrolifères aussi productifs qu'avant. Il y a cinq ans, ils étaient très fiers. Ils ne laissaient personne s'approcher de leurs champs de pétrole.

Le sénateur Andreychuk: Vous restez en Russie parce que vous avez investi dans ce pays. Je connais un peu le secteur pétrolier et la concurrence. C'est un secteur étrange, pas seulement en Russie, mais ailleurs également.

À votre avis, si l'on applique des moyens de contrôle plus efficaces et si le président Poutine exprime un intérêt quelconque, sera-t-il possible d'atténuer certains problèmes auxquels vous vous êtes heurtés, à l'avenir?

M. Rotzang: J'en suis tout à fait convaincu. Ce qu'a fait Poutine me rappelait énormément l'époque de Gorbatchev. Ce dernier a essayé de rebâtir quelque chose qui ne pouvait pas l'être: il a essayé de rebâtir le régime communiste. Poutine a hérité de la plus grande ploutocratie qui ait jamais existé, et il essaie de composer avec elle et de la rebâtir. C'est impossible, il faut qu'elle disparaisse. Il faut créer quelque chose de nouveau. A-t-il la volonté voulue pour cela? Je crois que oui. Je veux le croire. Peut-il le faire? Je n'en sais rien. Va-t-il le faire? Nous verrons bien. Je pense que Poutine prend les mesures qui s'imposent. Je suis optimiste.

Le sénateur Andreychuk: Y a-t-il une évolution au niveau des tribunaux? Vous avez défini l'«indépendance» d'une façon différente de ce qu'on m'a appris en faculté de droit. À votre avis, prend-on des mesures pour rendre les tribunaux plus efficaces?

M. Rotzang: Non. Nous n'en sommes pas là. On prend des mesures pour nommer les juges à vie et tout le monde se dit: «Grand Dieu, il est maintenant en place et rien ne pourra l'en faire partir.» Ce serait encore pire. Il faudrait créer une sorte de comité d'examen, grâce auquel on pourrait demander des comptes aux juges et leur demander pourquoi ils ou elles ont statué de telle ou telle façon. Poutine parle de modifier le système judiciaire. Lorsqu'il fait publiquement ce genre de déclaration, on sait qu'il y a anguille sous roche.

Le sénateur Grafstein: Il semble que nous tournions en rond avec ce problème: pour investir, il vous faut un contrat et le contrat doit avoir force obligatoire et être applicable sur le plan juridique.

Vous avez dit deux choses qui m'ont paru étranges, à ce sujet. Tout d'abord, vous avez dit que quelqu'un avait essayé de faire reconnaître ses droits devant un tribunal fédéral aux États-Unis. Vous avez parlé de poursuites au niveau fédéral. Quels que soient les plaignants, ce que je n'ai pas bien compris, supposons qu'ils aient gain de cause. Que feront-ils de cette décision? Comment pourra-t-on la faire appliquer en Russie? Est-ce qu'on peut saisir des biens en dehors de la Russie?

M. Rotzang: Tout d'abord, on a essayé de saisir les biens de deux sociétés qui étaient enregistrées aux États-Unis.

Le sénateur Grafstein: On essaie de saisir des biens des associés qui étaient partie au litige en dehors de la Russie?

M. Rotzang: C'est exact. C'est ici même, au Canada, qu'on a vu une décision judiciaire porter ses fruits de la façon la plus concluante. La firme en cause était IMP. C'était formidable.

Le sénateur Grafstein: Vous dites que la seule façon pour que le système fonctionne, selon vous, c'est s'il y a des biens qui sortent de la compétence de la Russie et qui peuvent être saisis par les tribunaux à titre de solution de rechange à l'objet du litige?

Vous avez dit autre chose qui m'a intrigué: s'il existait un pouvoir politique aux niveaux supérieurs, on pourrait résoudre une partie de ces problèmes. Voulez-vous dire que, tant que le régime ne rentrera pas dans le droit chemin et ne s'alignera pas davantage sur les normes contractuelles du monde occidental, c'est au niveau de l'État qu'il faudra s'entendre si l'on veut faire des affaires en Russie?

M. Rotzang: Les affaires n'ont pas nécessairement besoin de se faire d'État à État, mais les éventuels partenaires doivent toujours s'assurer que Grand Frère est derrière et surveille. En cas de besoin, il faut pouvoir compter sur de l'aide. En Russie, toutes les affaires nécessitent l'attention et le soutien du gouvernement. Il faut des Équipes spéciales d'intervention dans les ambassades. Faire un exposé à une réunion et ne pas donner suite ne sert pas à grand-chose. Ces questions doivent être examinées tous les jours. Les entrepreneurs canadiens en Russie se feraient un plaisir de payer pour cela, mais nous devons avoir l'appui du gouvernement.

Les sénateurs se souviendront peut-être du film Jumeaux avec Danny De Vito et Arnold Schuarzenegger. Il faut pouvoir transmettre le même message que dans ce film: si vous vous comportez mal vis-à-vis de moi, vous aurez affaire à toute ma famille, à tout le Canada. Si c'est le message transmis, on peut travailler et même très bien réussir. Les ambassades du Canada ont du personnel excellent pour faire ce travail.

Le sénateur Grafstein: Autrefois, un des objectifs de la constitution de Petro-Canada en société d'État, appartenant à l'État, était, si je me souviens bien, exactement cela; conclure des ententes avec d'autres pays pour explorer ce genre de chose.

L'idée d'une politique énergétique nationale et tout le reste n'a pas semblé très populaire au Canada pour des tas de raisons. Êtes-vous en train de nous dire que si nous pouvions recommander un mécanisme de participation gouvernementale dans certains de ces domaines, il pourrait être préférable pour les entreprises canadiennes de participer de cette façon?

M. Rotzang: Absolument.

Le sénateur Di Nino: Permettez-moi de continuer dans la même veine. L'investissement pécuniaire que vous et d'autres faites est habituellement précédé de certaines analyses, enquêtes, et cetera. Lorsque vous êtes allés en Russie, et plus précisément, si vous savez ce qui se passe aujourd'hui, avez-vous inclus les organismes gouvernementaux? Avez-vous examiné les différentes voies offertes à un investisseur à l'étranger par le gouvernement canadien, par le ministère de l'Industrie ou le ministère des Affaires étrangères? L'avez-vous fait? Avez-vous été voir ce qui existe pour vous aider à évaluer ce débouché?

M. Rotzang: Je n'ai pas examiné les moyens d'évaluer mais d'aider. Je suis en contact avec l'ambassade. Nous invitons toujours les représentants du gouvernement chez nous, si c'est approprié. Si vous veniez en Sibérie, je vous inviterais tous à venir voir les installations. Je suis absolument certain que vous seriez fier de voir ce qu'a fait là-bas un Canadien. Nous utilisons tout ce qui existe et nous l'avons toujours fait.

Le sénateur Di Nino: Avez-vous jugé que l'aide ou les informations qui vous ont été accordées étaient utiles?

M. Rotzang: Dans une certaine mesure.

Le sénateur Di Nino: Le gouvernement canadien devrait-il offrir d'autres services? Y a-t-il certaines choses qu'à votre avis le gouvernement canadien, en particulier dans des régions comme la Russie et d'autres pays posant des problèmes, devrait faire pour ses citoyens avant qu'ils investissent dans ces pays?

M. Rotzang: Investir est une responsabilité et une décision laissées exclusivement à l'homme d'affaires. L'Allemagne adopte une démarche globale si un investisseur veut se lancer dans un certain domaine. Par exemple, nous avons fait la promotion d'entreprises de construction canadiennes. C'est un effort conjoint mené avec la participation du gouvernement. Toutefois, si quelqu'un veut se lancer dans ce secteur particulier, l'homme d'affaires est beaucoup mieux placé que le gouvernement. Ce que peut faire le gouvernement, c'est ouvrir des avenues et créer l'environnement.

Le sénateur Di Nino: Plus précisément, qu'aimeriez-vous que fasse le gouvernement canadien? Que pourrait-il faire pour vous à cet égard?

M. Rotzang: Ce que je disais, une équipe spéciale d'intervention. Si j'écris à M. Poutine, il faudrait qu'il y ait d'ici environ un mois une rencontre demandée par l'ambassade. Elle indiquerait qu'une lettre a été envoyée et s'informerait de la façon dont elle a été reçue. Le gouvernement devrait montrer qu'il suit les choses. Les fonctionnaires russes ne devraient pas penser qu'ils peuvent m'envoyer une réponse pour se débarrasser de moi. Il faut qu'ils comprennent que cela aura des répercussions; que ce sera analysé et que l'affaire n'est pas réglée.

Ça ne se règle pas d'un coup parce qu'il y a eu une rencontre intergouvernementale et que la question a été soulevée à cette occasion. On ne doit donc pas lâcher tant que le problème n'est pas réglé.

Si l'on constate que je fais quelque chose qui n'est pas convenable, je mérite l'échec. C'est entendu; c'est mérité. Si au contraire je fais tout ce qu'il faut et que j'assume mes responsabilités sociales - que je paie mes impôts, que je donne aux organismes de bienfaisance, et cetera, dans ce pays - et que l'on me mène la vie dure, il faut que je puisse compter sur une certaine aide et protection.

Le sénateur Graham: C'est pour le moins fascinant. Est-ce que British Petroleum développe ses activités en Russie?

M. Rotzang: British Petroleum, Amoco, maintenant, n'a pas développé ses activités. Amoco a laissé tomber l'affaire dans les champs pétrolifères du Preoska du Sud. Elle a laissé tomber. Elle n'a pu traiter avec Yukos. BP/Amoco avait également 9 ou 10 p. 100 des actions de Lukoil. La société a vendu ses actions. Toutefois, elle a conservé ce qu'elle avait dans l'un des plus grands champs de gaz du monde. C'est en Russie, juste au nord de la Chine. Amoco s'intéresse énormément à la Chine. Elle a acheté l'un des champs du nord de la Chine.

Je crois que si BP avait pu laisser tomber et s'en aller élégamment, elle l'aurait déjà fait.

Le sénateur Graham: Ce n'est pas simplement que les autorités s'en sont prises à une petite société?

M. Rotzang: Ce ne sont pas les autorités, ce sont les oligarques qui ont le vrai pouvoir.

Le sénateur Graham: Avec la bénédiction des autorités?

M. Rotzang: Oui, avec la bénédiction des autorités.

Le sénateur Graham: Avez-vous une idée des réserves pétrolifères et gazières connues en Russie? Quelqu'un en a-t-il une idée?

M. Rotzang: Non. Je pourrais vous fournir cela, mais je ne m'en souviens pas. C'est énorme.

Le sénateur Graham: Une dernière question: À votre avis, une société canadienne pourrait-elle signer un contrat ayant force obligatoire en Russie? Pourrait-il être respecté?

M. Rotzang: Elle pourrait signer un contrat au sens de la loi et le faire respecter. Tout dépend de qui le fait respecter. Tout dépendrait jusqu'où l'on serait prêt à aller pour le faire respecter mais on pouvait le faire respecter.

Le sénateur Austin: Je voudrais revenir à l'aide que peut apporter le gouvernement canadien aux sociétés canadiennes. Vous avez dit quelque chose d'intéressant. Il existe des mécanismes que l'on pourrait utiliser comme la Loi sur la Corporation commerciale canadienne.

À votre avis, devrions-nous considérer avec la Russie l'adoption une loi sur la protection des investissements étrangers? C'est une entente que nous avons signée avec beaucoup de pays qui protègent l'investisseur étranger. Si nous donnions suite à cela avec la Russie, conviendrait-elle d'accorder aux autorités canadiennes, en vertu de cette entente, le pouvoir de faire respecter les contrats? Pensez-vous que le système russe est prêt à entretenir ce genre de relation bilatérale en matière de commerce extérieur et d'investissement?

M. Rotzang: Cette relation a été récemment confirmée avec les Allemands. Au début, ils avaient refusé, puis cela a été confirmé.

Oui, le Canada devrait assurer une protection à une seule condition: que les autorités canadiennes permettent aux fonctionnaires de se battre avec acharnement pour chaque dollar garanti. Si c'est simplement une vague protection et qu'il n'y a pas de suivi, cela ne sert à rien. C'est un gaspillage d'argent pour le Canada et cela ne fera rien pour les entreprises. Ce n'est bon que si l'on a les moyens de faire respecter les contrats.

Si vous voulez vous charger de faire respecter les contrats, ce serait évidemment réconfortant pour les investisseurs. Toutefois, si vous n'êtes pas prêt à le faire, ne signez pas ce genre d'entente.

Le sénateur Austin: Comme vous le savez, le premier ministre, M. Chrétien a été invité par le président Poutine à emmener une mission commerciale de l'Équipe Canada en Russie. On nous a dit, pas seulement vous mais d'autres, que les conditions d'investissement sont trop primitives pour encourager beaucoup de Canadiens à investir en Russie. Toutefois, encourageriez-vous les Canadiens à investir si les Russes acceptaient d'instaurer un genre de protection des investissements d'État à État comme celui dont je parlais?

M. Rotzang: Oui. Je crois que les Canadiens et les entreprises canadiennes peuvent apporter une contribution importante. Un bon exemple est le secteur de l'énergie. En Alberta, nous nous sommes tellement surpassés que nous ne créons plus d'emplois tellement nous sommes efficaces et tellement notre matériel et notre personnel sont bons. Les travailleurs canadiens ont reçu une bonne formation et le gouvernement canadien a offert beaucoup de possibilités d'études. Ce sont les meilleurs. J'ai embauché des gens du monde entier pour le secteur dont nous parlons en Russie et les Canadiens sont les meilleurs. Nous pouvons considérablement aider notre industrie et notre économie si nous sommes soutenus. Sinon, ce sera la bagarre et c'est tout.

Le président: Merci, monsieur Rotzang; cela a été très intéressant.

Notre prochain témoin est M. Ron Denom de SNC Lavalin International.

M. Ronald Denom, premier vice-président, SNC Lavalin International: SNC Lavalin International vous remercie de lui donner l'occasion de venir vous parler de la Russie et de l'Ukraine. Je suis premier vice-président, responsable de l'Eurasie. Je m'occupe de l'expansion de notre entreprise dans la Fédération russe, au Bélarus, en Ukraine, en Moldavie, dans toute l'Europe centrale, dans l'Europe du Sud-Est, les Balkans, en Grèce, en Turquie, en Israël, dans les montagnes du Caucase et en Asie centrale, notamment dans les pays dont le nom se termine par «stan».

Nous avons préparé un document sur la Fédération russe et l'Ukraine. Je m'arrêterai sur certains des points abordés et les développerai un peu.

Nous sommes actifs dans la Fédération russe depuis 1974, du temps de l'URSS. Nous étions au début dans la région de Komi où nous fournissions du matériel de forage et de la technologie pour la construction de puits dans les régions du pergélisol. Le Canada dispose d'une excellente technologie pour travailler dans les climats froids et cela nous a énormément aidés avec les Russes. Ces jours-ci, nous préparons du travail de modernisation de raffinerie pour Lukoil.

Nous sommes en train d'élaborer un projet de raccordement d'aéroport entre l'aéroport de Sheremetyovo et le centre de Moscou. Nous avons comme partenaires la ville de Moscou et Aeroflot. Nous nous occupons de la construction de l'aéroport et d'études de modernisation, en particulier dans la région de Samara. Nous avons entrepris la modernisation des usines de sulfure et de phosphore dans le secteur des engrais. Nous exécutons certains contrats d'assistance technique pour l'installation de routes à péage, là encore dans la région de Samara. Nous mettons au point des projets dans des immeubles résidentiels, commerciaux et administratifs en utilisant de la technologie canadienne. Nous essayons de collaborer avec la SCHL, qui travaille depuis quelques années au programme de 10 000 logements en Russie.

Nous avons aussi des projets dans le secteur des ports. Autour de la Baltique, les Russes aimeraient beaucoup construire des ports autour de Saint-Pétersbourg pour remplacer ceux qui ont été perdus lorsque la Lettonie et la Lituanie - les États russes blancs - sont devenus indépendants. Nous travaillons aussi à des projets dans le secteur de l'aluminium, en particulier avec Russky Aluminiy, nouveau géant de l'aluminium en Russie. Nous sommes aussi en pourparlers avec d'autres entreprises d'aluminium moins importantes.

Nous examinons des projets dans le secteur des mines d'or et d'argent et surtout de nickel avec Norilsk. Nous avons un bureau régional de marketing à Moscou. Nous avons participé à des projets représentant plus de 800 millions de dollars en Russie.

En Ukraine, nous sommes beaucoup moins actifs. À l'heure actuelle, nous ne nous intéressons qu'à un terminal céréalier à Odessa. Nous avons examiné un certain nombre d'autres possibilités en Ukraine, mais avons décidé de ne pas les poursuivre.

Je suppose que vous avez déjà eu des exposés sur l'environnement macro-économique en Russie. Je vais vous dire ce que nous en pensons.

Les chiffres du FMI indiquent que la Fédération russe aura besoin de plus de 2 billions de dollars d'investissements ces 20 prochaines années pour moderniser ses installations de production, son infrastructure et sa population active. Le principal marché pour notre société est celui des grands projets d'infrastructure. Ici, au Canada, nous sommes bien connus pour le génie et la construction mais, à l'étranger, nous sommes des promoteurs de projet, financiers de projet, directeurs de projet et, dans certains cas, exploitants à long terme de projet. Le marché de l'infrastructure nous attire. Certes, en Russie et en Ukraine, c'est un marché immense.

Il ne s'agit pas de marchés faciles pour les investisseurs. Ils sont peuplés d'oligarques puissants, d'énormes bureaucraties terriblement lourdes, de gouvernements centraux autoritaires et de concurrents très puissants venant essentiellement d'Europe de l'Ouest. Les Allemands sont très forts, tout comme les Américains, dans une certaine mesure, bien qu'ils aient récemment quelque peu souffert.

Le président: Souffert de quoi?

M. Denom: De la dernière administration qui semble adopter une attitude plus dure politiquement vis-à-vis de la Russie. Cela a évidemment des répercussions sur le monde des affaires. Nous commençons à détecter un certain sentiment anti-américain dû à la question de la Tchétchénie, à l'ouverture récente d'un bureau de la CIA en Géorgie et à l'invitation des dirigeants tchétchènes à des rencontres à Washington. Cela est assez mal vu par la population russe.

Le sénateur Bolduc: Est-ce bon pour nous?

M. Denom: À court terme, peut-être, mais en général, la politique de confrontation n'est bonne pour personne.

Le président: Quand vous parlez de la «nouvelle administration à Washington», est-ce que cela a des répercussions sur le Canada? Autrement dit, sommes-nous inclus dans le sentiment anti-américain?

M. Denom: Pas en général. Il y a des gens qui ne font pas la différence entre les Américains et les Canadiens et certains considèrent les Canadiens trop influencés par les Américains, mais il y a beaucoup d'entreprises et de politiques en Russie qui font bien la différence. Toutefois, cela peut susciter à l'occasion une certaine discrimination.

Comme nous nous occupons de grands projets d'infrastructure, nous nous intéressons beaucoup au financement des projets. Cela nécessite un mélange de capitaux - c'est-à-dire des investissements directs - et des prêts - donc, un mélange d'emprunts étrangers et locaux. La Russie et l'Ukraine ont des problèmes d'endettement étranger. Il leur faut surveiller cela de très près et cela présente une certaine difficulté quand on veut créer des entreprises dans ces deux pays. Je parle ici en particulier de la Russie étant donné qu'elle est plus avancée qu'elle en est presque au stade du financement par emprunt et par actions.

À court terme, nous estimons que la Russie pourrait payer ses créanciers mais, vers 2003, il est prévu une augmentation brusque du rythme de remboursement qui peut être problématique. On espère que cela ne mènera pas à un non-paiement ou à un rééchelonnement de la dette russe mais, si c'était le cas, cela serait un véritable casse-tête pour nous quand nous essayons de financer nos projets car les institutions financières internationales tendent à hésiter à prêter davantage à la Russie.

La Russie a annoncé qu'elle est en train de mettre sur pied un nouvel organisme pour surveiller ses emprunts souverains. C'est très positif car cela donnera un tableau complet aux financiers internationaux non seulement de l'emprunteur mais également de la situation financière du pays, à la fois au palier fédéral et au palier régional. Cela pourrait ouvrir la possibilité d'une forme de financement municipal, ce qui est pratiquement possible à l'heure actuelle. Nous parlons beaucoup de problèmes environnementaux en Russie. Beaucoup se situent au niveau municipal et l'on ne peut trouver les fonds immédiats nécessaires pour essayer d'y remédier.

L'autre ironie est qu'il y a un besoin énorme de machines et d'équipements étrangers et qu'au fur et à mesure que la Russie essaie d'en acheter, sa dette s'accroît. Elle est prise entre le marteau et l'enclume. Elle doit surveiller son niveau d'endettement, mais il lui faut aussi acheter le matériel nécessaire pour moderniser sa base industrielle et son infrastructure.

Nous surveillons les négociations entre l'Allemagne et la Russie pour l'échange de créances contre actifs, ce qui fait partie du règlement des dettes du Club de Paris. Nous ne savons pas encore si cela va marcher mais c'est une initiative intéressante. Si cela marche, peut-être que d'autres pays voudront envisager des formules similaires pour aider la Russie à régler son problème d'endettement.

Pour nous, cela signifie que nous nous efforçons de maximiser le contenu russe dans nos projets. Nous le faisons en encourageant le transfert de technologie - en essayant de trouver des technologies canadiennes que des entreprises russes sont capables de fabriquer en Russie. Nos projets permettent en général à de nombreuses petites et moyennes entreprises canadiennes de participer à des marchés internationaux. Par exemple, pour un grand projet, nous pouvons avoir de 15 à 40 fournisseurs qui, grâce à nous, assurent les services, le matériel et le transfert de technologie aux entreprises russes. Nous avons en fait constitué certaines entreprises en coparticipation avec les Russes pour créer des entreprises dans la région.

Il y a un véritable problème dans le secteur bancaire. C'est le manque d'intermédiaires financiers efficaces en Russie qui pose problème. Le système bancaire dans ce pays n'est en fait qu'un système de paiement. Il n'y a pas d'épargne parce que la population a perdu confiance dans l'épargne. On garde son argent sous son matelas ou en dehors du pays. On en est arrivé à une situation bizarre où le troisième fournisseur d'investissement étranger direct à la Russie est Chypre, après les États-Unis et l'Allemagne, et où il s'agit uniquement d'argent russe qui a été sorti du pays et qui y revient par ce système. Aussi étrange que cela puisse paraître, c'est aujourd'hui la réalité en Russie.

Pour l'investissement étranger direct, en 2000, cela ne représentait que 2,7 milliards de dollars, ce qui est beaucoup moins que ce qu'il faudrait. Pour que ce niveau augmente, il faudrait que le climat d'investissement s'améliore. Il faut une réforme du système judiciaire, une réforme fiscale, une réforme de la réglementation. La création d'un environnement propice aux investissements pourrait ramener de l'argent en Russie.

Nous sommes arrivés à un tournant décisif. Au début, beaucoup d'entreprises étaient reprises par des gens qui s'intéressaient à la dilapidation de l'actif ou au moins qui ne souhaitaient pas exploiter ces entreprises comme de véritables entreprises. Maintenant, la plupart des grandes entreprises sont entre les mains de gens qui veulent les diriger à long terme. Ils veulent investir dans leurs entreprises et les développer. Ils reconnaissent qu'ils ont besoin de l'investissement direct étranger et que, pour en obtenir, il faut une économie tournée sur le marché, similaire à celle de l'Europe de l'Ouest. Ils comprennent très bien qu'un tel environnement leur permettrait de doubler ou de quadrupler la valeur de leurs entreprises.

Mikhail Friedman parlait de son investissement dans TNK, entreprise qui a réalisé environ 2 milliards de dollars de chiffre d'affaires l'an dernier. Il pense que ses actions se vendraient aujourd'hui environ 4 milliards de dollars, mais que s'il y avait une véritable économie de marché en Russie, il pourrait en tirer environ 10 milliards.

La plupart des oligarques s'en rendent compte. Pourquoi Lukoil est-elle en train de faire le ménage? Pourquoi offre-t-elle de convertir ses actions privilégiées en actions ordinaires? Pourquoi a-t-elle adopté des normes de comptabilité internationales? Pourquoi Norilsk Nickel a-t-elle renoncé à ses dernières tentatives de dilution de l'avoir des actionnaires pour entreprendre au contraire un dialogue convenable avec les actionnaires minoritaires sur la façon de gérer leurs actions?

C'est que les oligarques sont en train d'en arriver à un consensus, à savoir que leur intérêt est de réformer le climat des investissements et de le rendre similaire à celui de l'Europe de l'Ouest. Leur seule motivation est que la valeur de leurs entreprises exploserait.

La congruence est très intéressante. M. Poutine a fait son premier discours sur «l'état de l'Union» exactement sur ces grands thèmes. Lorsque le gouvernement fédéral rejoint l'avis des oligarques, le mouvement devient à mon avis irrésistible. L'économie russe va changer et changer rapidement. Il est important que le monde des affaires et le gouvernement canadiens participent à cette transformation.

À notre avis, les choses vont aller très vite. Il peut sembler étrange que nous soyons très optimistes à propos de la Russie. Je ne sais pas ce que vous auront dit les autres témoins, mais nous avons une opinion très positive quant à la Russie.

Cela dit, nous avons un point de vue pratiquement diamétralement opposé en ce qui concerne l'Ukraine, en particulier depuis ce qui s'est passé jeudi dernier quand, une fois encore, on a constaté cette congruence entre le gouvernement central et les oligarques. Malheureusement, le gouvernement central, les oligarques et les communistes ont fait front commun pour évincer les réformateurs. L'opposition n'a plus de programme ni de chef et on peut se demander où elle va finir. Nous n'en savons rien mais, du point de vue des affaires, c'est très déroutant.

Vous nous avez demandé de vous dire ce que l'on pourrait faire pour défendre les intérêts canadiens dans la région et quel rôle pourrait jouer le gouvernement. On parle depuis un certain temps de mettre sur pied une institution financière de développement ici au Canada. Ce serait l'équivalent de l'OPIC aux États-Unis. Je crois qu'en Belgique, cela s'appelle la SPI; en Allemagne, DEG et KfW. C'est-à-dire une institution qui remédierait au problème critique que l'on rencontre au début des grands projets. Elle assurerait le financement et les soutiens connexes sur une base commerciale aux entreprises du secteur privé dans ces économies en développement. Elle aiderait aussi l'industrie canadienne à se développer en offrant certains capitaux d'amorçage que ne fournissent pas l'ACDI ni la SEE qui interviennent plus tard dans le cycle de développement.

Au tout début du cycle de développement, une entreprise fait des études et des rapports de faisabilité, une étude pour les banques. La période entre l'étude de faisabilité et l'obtention du financement dans ces économies peut représenter un à deux ans. Durant cette période, l'entreprise canadienne n'est pas soutenue. Beaucoup de nos concurrents sont à ce moment-là soutenus par leurs gouvernements. Nous estimons que cette lacune devrait être comblée au Canada afin que l'industrie canadienne puisse bénéficier des mêmes avantages que ses concurrents d'Europe de l'Ouest.

Sinon, nous apprécions la participation des ministres qui se rendent dans le pays. C'est peut-être moins vrai en Russie, mais en Ukraine et dans bien d'autres pays, les représentants du gouvernement ne comprennent pas bien comment traiter avec le secteur privé. Les contacts avec des fonctionnaires canadiens avec lesquels ils ressentent une certaine affinité, avec qui ils peuvent parler franchement et honnêtement de la façon de traiter avec les entreprises, sont très précieux.

Deuxièmement, les fonctionnaires travaillent en étroite collaboration avec nous et nous signalent ce qu'ils constatent. Nous comparons nos notes, nous du côté du secteur privé et eux du côté de l'administration. Nous essayons de comprendre les environnements dans lesquels nous travaillons respectivement. Nous nous encourageons mutuellement dans ces pays où nous formons un petit cercle qui essaie de fonctionner dans des économies énormes.

La SEE a fait de gros efforts pour comprendre le marché russe. Nous l'encourageons à continuer et peut-être à faire même encore plus. Dans une économie qui évolue très rapidement, il est très important de se tenir au courant de tout. Nous disions depuis un certain temps que la SEE n'avait pas suffisamment d'appétit pour le risque russe parce qu'elle ne le comprenait pas. Lors de la dernière mission de M. Pettigrew en Russie, les représentants de la SEE étaient là et je crois qu'ils en sont repartis beaucoup mieux équipés. Ils ont maintenant des gens qui viennent régulièrement en Russie. Il est important et très utile de maintenir l'effort dans ce sens.

Quant à l'ACDI, nous reconnaissons qu'elle a des fonds limités pour la société civile et les questions d'environnement. Que manque-t-il donc? Les entreprises. Qui va payer les opérations de dépollution? Ce sont certainement les entreprises. Il est donc important de maintenir un volet entreprise dans le mode d'action de l'ACDI.

Le sénateur Grafstein: Le pays qui est le plus proche de la Russie est l'Allemagne. Les banques qui connaissent le mieux la Russie sont, si je ne m'abuse, allemandes. Le gouvernement qui s'intéresse le plus directement aux investissements, prêts et actions, est l'Allemagne. En fait, vous avez dit que pour ce qui est des propositions du Club de Paris concernant la conversion de dettes en investissements, c'est encore l'Allemagne qui semble en tête de ces opérations.

Avez-vous étudié le modèle allemand?

M. Denom: En ce qui concerne les échanges de créances contre actifs?

Le sénateur Grafstein: Le modèle allemand relativement à la façon dont on a encouragé les investisseurs à investir en Russie.

M. Denom: Je n'ai pas fait d'étude exhaustive à ce sujet, mais j'ai vu des éléments que nous ne pouvons concurrencer. Ainsi, KfW a le droit d'accorder des prêts à faible taux d'intérêt aux entreprises situées dans l'ancienne Allemagne de l'Est. Nous ne pouvons rivaliser avec cela; en l'occurrence, nous nous associons à nos partenaires allemands, nous mettons en commun le financement canadien et allemand pour tenter d'obtenir les projets que nous pouvons mener à bien. Ils ont un avantage en matière d'institutions financières de développement qui les appuient dans leurs premières activités de développement, alors que nous nous en tirons seuls, comme toute autre entreprise.

Le sénateur Grafstein: Vous dites que nous devrions examiner le modèle allemand, par opposition au modèle canadien, car il est plus proactif. Personne n'a connu beaucoup de succès, mais les Allemands sont-ils en meilleure position pour des raisons géopolitiques plutôt que macro-économiques?

M. Denom: Ils détiennent l'ancienne dette soviétique.

Le sénateur Grafstein: Ils consacrent davantage de temps et d'attention que les autres à la protection de l'investissement à l'occidentale et sont très actifs là-bas.

Vous avez indiqué que le gouvernement allemand et les banques de ce pays s'engagent dans un projet aux toutes premières étapes. Je m'intéresse davantage à ce qui se passe lorsque vous vous engagez dans un projet qui pourrait vous rapporter. Vous avez parlé de plusieurs projets qui, je suppose, comportent un financement qui n'est pas très risqué pour vous. Vous effectuez un certain travail pour lequel vous êtes rémunérés.

M. Denom: Dans certains cas, nous faisons un investissement sous forme de capital-actions.

Le sénateur Grafstein: Le plus difficile est-il d'obtenir les capitaux d'amorçage?

M. Denom: Il y a deux grands problèmes dont le premier est en effet celui des capitaux d'amorçage. Nos projets sont en général des projets qui ne rapportent que dans 10, 15 ou même 20 ans. Il est aussi extrêmement difficile de trouver du crédit à long terme. À l'heure actuelle, personne ne veut investir à long terme. Les seuls fonds qui sont disponibles le sont à court terme, ce qui nous oblige à faire toutes sortes de manoeuvres pour ériger une structure financière viable pour le projet.

Le sénateur Grafstein: Les Allemands investissent-ils encore à court terme et à long terme?

M. Denom: Oui.

Le sénateur Grafstein: Il serait intéressant de mettre à profit ici l'expérience allemande; d'après tout ce qu'on nous dit, l'Allemagne est le pays le plus important, et nous pourrions tirer des leçons de ses erreurs et de ses succès.

Le président: Monsieur le sénateur Grafstein, vous avez raison, et nous réfléchissons à la façon dont nous pourrions faire cela, car c'est un sujet important.

Le sénateur Di Nino: Y a-t-il en Allemagne un organisme de financement du développement ou une agence semblable?

M. Denom: Oui.

Le sénateur Bolduc: Est-ce un organisme public ou privé ou financé par les banques?

M. Denom: En Allemagne, cette institution est financée entièrement par le gouvernement. Peut-être pourrais-je trouver un exemple d'un tel organisme qui est à la fois public et privé. Aux Pays-Bas, par exemple, le gouvernement détient 51 p. 100 des parts, les banques commerciales 42 p. 100 et les entreprises, 16 p. 100. En Suisse, l'agence est financée à 49 p. 100 à même les fonds publics et à 51 p. 100 à même des fonds privés.

Le sénateur Grafstein: Dans un autre ordre d'idées, ce que vous nous avez dit au sujet de l'Ukraine est contradictoire. D'une part, vous nous avez indiqué avoir fermé vos portes en Ukraine et, d'autre part, à la page 2 de votre mémoire, vous dites que les zones économiques spéciales, les ZES, dans certaines régions du nord-ouest de l'Ukraine, ont connu un excellent taux de croissance. Ainsi, une certaine région du nord-ouest de l'Ukraine, grâce à un bon leadership, a connu une croissance de 12,2 p. 100 en l'an 2000 et a ainsi généré 20 p. 100 du PIB de l'Ukraine. Cela se fonde sur la théorie bien connue de l'établissement de zones spéciales.

M. Denom: C'est juste.

Le sénateur Grafstein: Pouvez-vous nous en parler?

M. Denom: C'est le principe du «foyer contaminant». Pour favoriser la réforme de ces économies, il faut sélectionner ses alliés avec circonspection, peut-être en cherchant dans les zones économiques particulières où il y a un meilleur contrôle et peut-être aussi un meilleur cadre administratif. Le cadre juridique est à l'échelle du pays, mais on peut au moins y trouver de bons partenaires qui se consacreront à la réforme, qui veulent faire des affaires de manière convenable, en se comportant comme il se doit dans une économie de marché. Je dirais que dans les économies en difficulté, c'est sur ces aspects qu'il faut insister.

Le nord-ouest de l'Ukraine est une zone d'extraction du charbon. On s'attendrait à ce que l'économie de cette région soit dans le marasme. Pourtant, elle a connu une relance grâce au leadership qui s'y est manifesté. Il faut commencer par aller à ces endroits, où il y a du leadership, pour y travailler.

Le sénateur Andreychuk: Est-il vrai que dans certains coins, c'est une question de leadership, et de besoin d'énergie?

M. Denom: Oui.

Le sénateur Andreychuk: C'est une chose dont les Ukrainiens ont pris conscience après la fermeture de Tchernobyl. N'y a-t-il pas un financement de démarrage, en Russie, et peut-être en Ukraine? Quand j'étais au service extérieur, il y avait des fonds de démarrage et je sais que Lavalin s'en est servi en Afrique, notamment. Il s'agit de fonds de démarrage nécessaires au début pour faire des recherches sur un projet, mais j'oublie les règles qui s'y appliquent. Il s'agissait de subventions à versements échelonnés. Rien de ce genre ne s'appliquerait à la situation en Russie.

M. Denom: C'était destiné à des PME, pour financer des visites exploratoires dans un pays. L'argent sert à défrayer les billets d'avion et certaines dépenses. Je parle de projets de centaines de millions de dollars, où le développement initial peut représenter 10 p. 100 de cette valeur. L'institut de financement du développement offrirait au départ une dizaine ou une quinzaine de millions de dollars, nous ne parlons donc pas du tout des mêmes enjeux.

Le sénateur Andreychuk: Est-ce quelque chose que vous envisagez uniquement pour la Russie, ou à votre avis, que le gouvernement canadien pourrait envisager pour la Russie et d'autres pays?

M. Denom: Pas seulement la Russie.

Le sénateur Andreychuk: Est-ce une lacune de notre système?

M. Denom: Oui. Les affaires ont changé. Autrefois, nous exportions le matériel et les compétences canadiennes, à partir de notre base, au Canada. Le marché a maintenant complètement changé. Il faut mettre sur la table les compétences et l'argent. Autrement, rien ne sert de s'y présenter.

Beaucoup de projets sont mis en valeur à partir d'une simple idée. Avec la vague de restructuration et de privatisation qu'on voit à l'échelle mondiale, le démarrage de ces projets, dont s'occupait autrefois le gouvernement ou un organisme gouvernemental est maintenant assumé de concert avec une société privée, quand celle-ci ne s'en charge pas entièrement. Nous sommes à l'âge des projets d'infrastructure entrepris par les secteurs public et privé.

Le sénateur Andreychuk: Je suis contente d'entendre qu'il ne s'agit pas uniquement de la Russie. C'est une chose que pourrait envisager le Canada, en général.

Avec les événements de jeudi dernier, la situation politique en Ukraine n'est pas très prometteuse. Auparavant, il semblait au moins y avoir des efforts en vue d'une réforme. Et puis est arrivé cet incident avec le président et le comportement du Parlement à l'égard du gouvernement.

Cela va-t-il vous donner la possibilité maintenant d'une réponse négative? Auriez-vous été plus positifs avant ce changement?

M. Denom: Je crois que nous aurions été plus positifs. Dans toute cette région, et même aussi loin vers le sud que les Balkans, les économies en sont à divers stades de développement, de la toute nouvelle transition à des économies plus avancées, en émergence. Certaines se rapprochent de l'économie européenne et sont prêtes à accéder à l'Union européenne.

L'économie ukrainienne est en retard sur l'économie russe de 5 à 10 ans. Encore une fois, des réformateurs et des mouvements de réforme émergent, et au fur et à mesure, nous essayons d'identifier des compagnies avec lesquelles nous pouvons travailler en partenariat. D'après ce que nous avons pu constater, en Ukraine c'est M. Kuchma qui détient l'organisation du pouvoir. Il dispose d'une organisation politique formidable qui n'a pas d'équivalent dans l'opposition. La facilité - c'est presque ça - avec laquelle il s'est débarrassé de M. Yushchenko nous fait penser qu'il vaudrait mieux ne pas prendre de risques considérables dans ce domaine pour l'instant.

Le sénateur Graham: Nous devrions au moins vous féliciter et votre compagnie de la persévérance et de la patience dont vous avez fait preuve en Russie. J'observe que votre première entreprise en URSS remonte à 1976. Si je me souviens bien, à l'époque SNC et Lavalin n'avaient pas encore fusionné, n'est-ce pas?

M. Denom: C'est exact.

Le sénateur Graham: Laquelle de ces compagnies est allée en Russie?

M. Denom: Lavalin.

Le sénateur Graham: Est-ce que les risques sont plus élevés aujourd'hui qu'à l'époque?

M. Denom: Je dirais qu'il y a eu une période dans l'intervalle où les risques étaient passablement élevés. L'effondrement en 1998, la présence de prédateurs publics et privés prêts à exploiter tout ce qu'ils voyaient dans l'économie, a beaucoup accru les risques pendant cette période. À notre avis, les choses se sont maintenant calmées.

Nous avons toujours été payés, à l'époque de l'URSS ou de la Fédération russe. Nous choisissons nos partenaires et nos clients avec soin. Grâce à cette prudence, nous avons réussi à minimiser le risque et en fait, notre compagnie accorde une grande importance à la gestion du risque, à l'évaluation et à la gestion des risques.

Je peux dire qu'à l'heure actuelle les risques sont un peu plus élevés qu'ils ne l'étaient à l'époque de l'URSS, mais d'un autre côté, les possibilités sont également beaucoup plus vastes, ce qui justifie le risque.

Le sénateur Graham: Dans quelle mesure pouviez-vous faire appel à l'aide du gouvernement fédéral en 1976?

M. Denom: En 1976, évidemment, nous avions l'ACDI pour les études préparatoires, et nous pouvions également faire appel à l'Organisme de crédit à l'exportation et au financement de la SEE pour les produits et services canadiens que nous vendions en Russie.

Le sénateur Graham: Vous avez entendu la fin de l'autre témoignage, quand on nous a raconté cette affreuse histoire?

M. Denom: Je n'ai pas entendu l'affreuse histoire, mais j'ai crû comprendre que c'était un exemple choisi.

Le sénateur Graham: De toute évidence, vous pensez pouvoir rédiger un contrat légal et le faire respecter en Russie.

M. Denom: Encore une fois, un contrat est un contrat. Il est important de savoir dès le départ avec qui on traite, et comme je l'ai dit, en choisissant nos contacts avec soin, nous avons toujours réussi à mener les contrats à bien. Cela exige évidemment beaucoup de négociations, mais nous avons toujours réussi à nous mettre d'accord.

En ce qui concerne l'application des contrats, je pense qu'en Russie les choses vont s'améliorer très rapidement. La Douma est en train de préparer une loi pour protéger les investisseurs et les actionnaires et aussi pour réformer le système judiciaire, en particulier dans les régions. Je suis convaincu que le gouvernement fédéral russe est sérieux lorsqu'il affirme vouloir faire appliquer les nouvelles lois qui assurent cette protection accrue.

J'ai expliqué pourquoi j'étais convaincu de cela, en particulier parce que le gouvernement central et les oligarchies ont des intérêts communs. Je suis donc convaincu que les contrats seront respectés. Il y aura toujours des difficultés en affaires. Le commerce, c'est toujours plein de surprises, mais le climat s'améliore, et à condition d'avoir le bon partenaire, je n'hésiterai absolument pas à signer un contrat en Russie.

Le sénateur Graham: Dans votre témoignage, vous avez félicité le Canada d'avoir envoyé des ministres en Russie, et dit que, d'après vous, cela avait facilité les rapports. Seriez-vous prêt à recommander une visite d'Équipe Canada en Russie?

M. Denom: En fait, oui. Personnellement, je pense que si l'idée d'une visite d'Équipe Canada en Russie pose un problème, ce n'est pas un problème qui tient à la Russie. Équipe Canada compte d'ordinaire des représentants de chaque province, mais je ne suis par certain que toutes les provinces soient aussi intéressées aux perspectives offertes par la Russie. Il risque d'y avoir quelques défections. Peut-être une mini-Équipe Canada, mais dans l'ensemble, je pense qu'on aurait de bonnes raisons d'organiser un tel voyage.

Quand je considère Norilsk Nickel, cette société était peu recommandable jadis, mais elle fait des efforts très sérieux et nous avons l'intention d'investir de 3 à 5 milliards de dollars au cours des prochaines années, dans ses installations. Qui est le principal producteur de nickel au monde? C'est le Canada. Il ne faut donc pas rater les occasions qui s'offrent d'ailleurs, et qui sont je crois très prometteuses.

Le sénateur Setlakwe: Vous avez dit que vous ne saviez pas si les contributions de l'ACDI et de la SEE étaient suffisantes. Voulez-vous dire qu'il faudrait demander à un autre organisme du gouvernement de financer ce genre d'entreprise?

M. Denom: Ce que je dis, c'est que la nature du secteur commercial a changé. L'ACDI et la SEE interviennent plus tard dans le cycle de développement d'un projet. Au départ, il n'y a pas grande aide pour faciliter les choses, à l'exception peut-être d'une petite intervention de l'ACDI Inc. Toutefois, ACDI Inc. dispose de fonds limités et a adopté une position bien arrêtée dans le domaine de la société civile et de l'environnement, ce à quoi nous ne nous opposons absolument pas.

Une des idées à l'étude actuellement serait de créer une nouvelle institution qui serait une filiale de la SEE. Il ne serait peut-être pas justifié de créer une société d'État entièrement nouvelle, et d'autre part, ce serait long et complexe et cela exigerait l'adoption d'une nouvelle loi. Ce genre d'intervention ressemble beaucoup à ce que fait la SEE, mais plus tôt dans le processus.

Le sénateur Setlakwe: Vous parlez de financement à long terme?

M. Denom: La SEE offre actuellement du financement à court et à moyen termes.

Le sénateur Setlakwe: Vous parlez donc d'un terme plus long?

M. Denom: Pas forcément plus long, mais peut-être avec un rendement plus faible de l'investissement, et peut-être aussi la possibilité de considérer des situations où les risques sont plus élevés. Toutefois, comme on prend le projet dès le début, plus on s'intéresse à un projet tôt dans le processus, plus les chances d'échec sont élevées et plus le risque est élevé.

En ce qui concerne l'analyse financière et l'expertise, je pense que la SEE possède déjà ces capacités, et par conséquent cela ne modifierait pas tellement le mandat de cet organisme d'intervenir plus tôt dans le processus. Il faudrait seulement que le gouvernement débloque les fonds de démarrage.

J'imagine que les experts du gouvernement étudient cette possibilité.

Le sénateur Setlakwe: Je me demande si cela est possible actuellement, sans légiférer.

M. Denom: Je ne suis pas qualifié pour répondre.

Le sénateur Di Nino: Monsieur le président, il vaudrait peut-être mieux que je vous pose la question à vous pour qu'on s'informe du mandat d'organismes équivalents dans d'autres pays. Comment fait-on ailleurs pour aider les entreprises?

J'aimerais demander au témoin de nous expliquer comment cet organisme aiderait les entreprises canadiennes. S'il pouvait faire une comparaison avec le mandat d'organismes équivalents dans d'autres pays, cela serait utile. Je parle des organismes qui apportent une aide financière dont il parlait tout à l'heure.

M. Denom: Oui.

Le président: J'aurais cru que les Allemands étaient les plus avancés dans ce domaine, mais je me trompe peut-être.

Le sénateur Di Nino: En Allemagne, c'est un organisme de l'État qui remplit cette fonction, mais dans d'autres pays c'est une combinaison d'intervention de l'État et du privé. J'aimerais avoir une idée de ce qui se fait ailleurs.

M. Denom: J'ai une idée des vues sur la question, mais je ne suis pas au courant des derniers développements.

Le sénateur Di Nino: Qu'est-ce que vous préféreriez? À votre avis, comment un organisme canadien devrait-il répondre aux besoins des compagnies canadiennes?

M. Denom: Je dirais que le service le plus important est de consentir des prêts, du capital, des garanties et également de fournir des services administratifs et des conseils aux étapes initiales des projets dans ces économies naissantes et en transition. Autrement dit, il s'agit d'une intervention pendant les premières étapes d'un projet, d'un investissement initial.

Le sénateur Di Nino: Investissements ou prêts, ou les deux?

M. Denom: Les deux, cela dépend des circonstances, mais avec la possibilité ou le mandat d'intervenir d'une façon ou d'une autre, ou des deux façons, la décision reposant sur une analyse financière approfondie.

Le président: Sénateur Di Nino, j'ai réfléchi à cette situation car, comme nous le savons tous, notre comité connaît bien l'Union européenne et ses divers aspects. Je vais demander à nos attachés de recherche de s'informer.

Au début, nous avons discuté de l'importance des relations entre l'Allemagne et la Russie, puisque l'Allemagne est le principal partenaire de la Russie, et par conséquent, il est important de savoir ce qui se passe. Nous allons donc nous informer.

Le sénateur Di Nino: C'est parfait.

Le sénateur Grafstein: Monsieur le président, également à l'intention de l'attaché de recherche, pendant que vous vous informez sur ce qui se passe en Allemagne, pourriez-vous également jeter un coup d'oeil sur le Japon. En effet, le Japon s'est très bien débrouillé, surtout en Asie, et a réussi à développer le potentiel d'investissements du Japon dans les pays d'Asie en développement.

Le sénateur Austin: Pendant que nous confions cette tâche à notre chargé de recherche, il ne faudrait pas oublier la dichotomie entre les opérations bancaires d'investissements, c'est-à-dire l'argent qu'on débloque une fois qu'on a bien évalué toutes les perspectives de succès, et les investissements sous forme de capital-risques. Mes collègues semblent parler de ce deuxième type d'investissement qui intervient dès le départ quand le risque est encore très élevé. Vous n'êtes pas un prêteur, comme la SEE, ni un banquier, mais un investisseur de capital-risques, et il serait particulièrement intéressant de comprendre en quoi consistent les instruments de soutien des investissements à risque qui existent dans d'autres pays.

Le président: Je tiens à vous expliquer que Peter Berg est notre conseiller économique et que s'il n'assiste pas à ces réunions, c'est qu'il est occupé ailleurs. Il va se pencher sur ces questions. Voilà maintenant plusieurs années que le comité suit de près l'expérience européenne.

Le sénateur Corbin: Monsieur le président, j'ai un peu la tête qui tourne, il y a pas mal de confusion dans mon esprit, mais avant de vous en expliquer la raison, je tiens à remercier M. Denom de ses remarques cet après-midi. Elles sont à la fois utiles et positives.

Toutefois, je dois dire que les différents témoins que nous avons entendus aujourd'hui ne semblent pas tous nous apporter le même message. Je vais vous citer l'exposé de M. Denom, sans vous dire la page car elles ne sont pas numérotées:

Toutes les décisions majeures pour remplacer un régime communiste centralisé par une économie de marché démocratique ont déjà été prises.

Ce matin nous avons entendu certains professeurs distingués de l'Université Carleton qui nous ont expliqué que les Russes résistaient justement à cette démarche. Je comprends bien que M. Denom appartient à un secteur commercial très particulier, et bien sûr, il ne voit pas le monde de la même couleur que les universitaires. Toutefois, les universitaires fondent leurs informations sur des sondages scientifiques.

Monsieur Denom, ce que vous nous dites est peut-être basé sur des exemples strictement commerciaux, très restreints, mais si ce n'est pas le cas, ce que vous nous dites est contraire à ce que d'autres témoins nous ont dit ce matin, soit qu'on assistait actuellement à une véritable implosion de la société russe.

Vous nous dites que les Russes considèrent le reste du monde avec une certaine appréhension, et en particulier les États-Unis et peut-être aussi le Canada, mais d'autres nous ont tenu des propos contraires ce matin, disant en particulier qu'on nous considérait d'une façon très différente des Américains. Pourriez-vous développer un peu et nous faire comprendre votre point de vue?

M. Denom: Vous avez raison, et effectivement, mon point de vue est très différent de celui d'un universitaire. Je reconnais que nous traitons avec les plus grosses compagnies, celles qui réussissent et qui possèdent des monnaies fortes, et les gens avec qui j'ai des contacts en Russie sont des gens qui se débrouillent relativement bien.

Je vois beaucoup d'autres Russes qui ont vraiment du mal. Je n'ai malheureusement pas l'occasion de leur parler. Je n'ai fait aucun sondage ni d'études savantes pour déterminer leur situation ou leur humeur, mais ils sont manifestement moins bien nantis que ceux qui travaillent dans les secteurs plus importants et plus prospères. Mon optimisme me porte à croire que la prospérité des secteurs d'importance se répercuter sur les autres, ce qui aidera les citoyens russes ordinaires.

En revanche, il y a en Russie une richesse que ne reflètent pas les statistiques. Malheureusement, l'économie souterraine existe encore. Il y a de l'argent en Russie. Cette situation n'est d'ailleurs pas l'apanage de la Russie. Les statistiques ne reflètent pas tout. Toutefois, je n'irais pas jusqu'à dire que la Russie est sur le point d'imploser.

Le sénateur Corbin: Je voulais parler de l'âme russe, plutôt que de l'économie russe. Pour préciser ma pensée, je dirais que l'âme russe se replie sur elle-même.

M. Denom: La tragédie et la souffrance font partie de l'âme russe.

Le sénateur Corbin: En guise de conclusion, j'ose vous dire que, à mon avis, vous n'êtes pas dans le bon domaine. Lorsque je regarde la liste des problèmes invoqués par les investisseurs, qui, selon vous, parlent en connaissance de cause et nous ont donné une liste de problèmes qui fait sept pages, je me dis que vous devriez plutôt tenter de réformer la bureaucratie russe.

M. Denom: C'est ce que nous faisons. Prenez par exemple notre projet ferroviaire à Moscou. Il a nécessité une réforme réglementaire et foncière d'envergure, mais nous déployons nos efforts à la base. Nous disons: «Si ce paragraphe fait obstacle au projet, modifions-le. Si cette condition nuit au projet, supprimons-la.»

Le sénateur Corbin: Ces problèmes sont réglés au cas par cas, n'est-ce pas?

M. Denom: Oui, et, à bien des égards, c'est ainsi que l'on mènera à bien la réforme, en modifiant une règle à la fois.

Le sénateur Corbin: Ces modifications auront une incidence sur tous les projets futurs.

M. Denom: En effet.

Le sénateur Bolduc: Monsieur Denom, vous nous avez parlé de votre champ d'activités, soit l'infrastructure, et des problèmes auxquels vous avez fait face. Pour en avoir parlé avec d'autres Canadiens qui font des affaires en Russie, diriez-vous que dans d'autres secteurs, tels que le secteur manufacturier, la situation est semblable?

M. Denom: Certaines entreprises connaissent beaucoup de succès; d'autres ont beaucoup de difficultés. C'est un environnement particulièrement hostile pour les petites entreprises.

Le sénateur Bolduc: Mais pour les grandes entreprises manufacturières, ça va?

M. Denom: Pour les grandes entreprises manufacturières, la Russie offre d'excellentes perspectives d'affaires; elles peuvent obtenir un bon contrat et le faire appliquer. En fait, l'arbitrage international sera permis en Russie conformément à un projet de loi dont est actuellement saisie la Douma. Si du financement international est en cause, on vous traite généralement de façon juste et convenable.

Le sénateur Bolduc: Connaissez-vous la Banque européenne d'investissements?

M. Denom: Nous traitons souvent avec la BERD.

Le sénateur Bolduc: Fonctionne-t-elle assez bien? Je crois savoir qu'elle consacre davantage d'argent aux appartements de ses cadres qu'aux prêts qu'elle accorde à la Russie.

M. Denom: C'est vrai, et elle est terriblement lente, mais elle s'est donnée comme objectif de travailler plus rapidement. Son portefeuille de prêts en Russie a plus que doublé cette année, et elle est très dynamique sur le marché russe. De plus, sa présence est absolument essentielle pour obtenir la participation des banques commerciales dans les gros contrats. Leur structure de prêts AB est vraiment la seule qui convienne aux transactions importantes en Russie aujourd'hui.

Le président: Merci beaucoup, monsieur Denom. Votre témoignage a été très intéressant. Vous nous avez donné matière à réflexion. Au nom de tous les sénateurs, je vous remercie d'avoir pris le temps de venir témoigner.

Honorables sénateurs, notre prochain et dernier témoin est M. John Ivany. Monsieur Ivany, si vous voulez faire une déclaration d'ouverture en nous laissant ensuite le temps de vous poser des questions, allez-y.

M. John Ivany, vice-président exécutif, Kinross Gold: Honorables sénateurs, j'ai apporté des rapports annuels de Kinross et une brochure que nous avons réalisée sur nos activités en Russie, et que je vous ai fait distribuer. Le projet est décrit à partir de la page 12 du rapport annuel.

Le président: Sans vouloir compliquer les choses, il se trouve que le sénateur Andreychuk et moi-même avons rencontré le président Putin en décembre, pendant l'intersession. Nous étions cinq, je crois. Il me semble que le gouverneur de Magadan était avec lui, n'est-ce pas?

M. Ivany: Je pense qu'il était là à l'occasion d'une mission parallèle.

Le président: Il était présent à cette réunion avec nous. Il nous a donné à tous une brochure sur Magadan. J'ai eu l'impression que les choses n'allaient pas si mal.

M. Ivany: Elles vont mal. Il ne nous a particulièrement pas aidés à...

Le président: Voilà. Tirons cela au clair.

Le sénateur Di Nino: Nous sommes encore plus impatients de vous entendre.

M. Ivany: Je ne sais pas jusqu'à quel degré de détail vous souhaitez que je vous décrive notre projet. Nous exploitons la plus grande mine d'or de Russie. Elle représente environ 15 p. 100 de la production d'or de la Russie. C'est une mine assez spectaculaire car le minerai est de très haute teneur, et c'est une mine à ciel ouvert, donc les coûts sont minimes.

Le point noir à, comme toujours dans ce genre de projets, c'est que c'était un projet à forte intensité de capital. L'investissement initial a été d'environ 240 millions de dollars américains, et il a fallu ensuite rajouter 20 millions de dollars américains pour poursuivre l'opération. Le coût réel a donc été de 260 millions de dollars.

Comme la plupart des mines d'or, celle-ci n'a qu'une durée d'exploitation brève. Elle représentait un peu plus de 2 millions d'onces de réserve, c'est-à-dire une durée d'exploitation d'environ six ans. Le risque, dans ce secteur, c'est que le cours de l'or est cyclique, et que si l'on a une mine qu'on ne peut pas exploiter suffisamment longtemps, on risque, comme cela a été le cas en l'occurrence, de l'exploiter durant une période où les cours sont bas.

Nous avons eu beaucoup de mal à réaliser un profit sur notre investissement. Nous avons eu aussi beaucoup de mal à le faire comprendre aux Russes car cette notion de rendement du capital investi est nouvelle pour eux.

La société Kinross est une société d'exploitation aurifère de taille moyenne qui s'est trouvée dans cette situation en Russie par suite d'une fusion en 1998 avec une société d'exploitation aurifère américaine, Amax Gold Corporation. Amax Gold était une filiale d'une grande société américaine qui fait du cuivre, Cyprus-Amax. La Cyprus-Amax Minerals Company avait commencé à prospecter en Russie au début des années 90 à une époque où certaines régions situées à l'extrémité orientale de la Russie n'étaient pas ouvertes, avant même que les Russes soient autorisés à y aller prospecter. La société cherchait surtout du cuivre, et elle a découvert ce filon. Elle avait une filiale d'exploitation aurifère cotée en Bourse, et c'est comme cela que Cyprus a construit cette mine avec un financement de l'OPEP, de la BERD, et de la ABMN Banque mondiale.

Cyprus a apporté 40 millions de dollars de capital. Les actionnaires russes ont apporté un fonds de participation, mais ils avaient eux-mêmes emprunté au gouvernement régional. En gros, la totalité du capital, à l'exception de 40 millions de dollars, provenait d'emprunts d'une source ou d'une autre.

Après la fusion, la direction de Kinross est devenue responsable de l'exploitation de cette mine. Je peux vous parler de notre expérience de cette exploitation. Pour ce qui est de sa construction, je ne peux que vous raconter ce que j'ai appris des gens de Cyprus. Disons simplement que c'est un projet qui a été très difficile à réaliser. C'était la première fois qu'on importait du matériel en Russie; c'était la première fois qu'on était confronté à la réglementation russe sur l'exploitation minière et qu'on organisait des dispositions de financement d'une exploitation minière russe. Je ne pense pas qu'il y ait eu de précédents sérieux d'exploitation minière en Russie avec des capitaux occidentaux auparavant. On innovait dans toutes sortes de domaines à ce moment-là.

Les Américains ont tendance à avoir une gestion descendante, en tout cas, c'était le cas de Cyprus. L'entreprise s'est adressée aux niveaux les plus élevés du gouvernent américain. Elle a même fait monter le vice-président Gore au créneau à plusieurs reprises pour faire inclure certaines mesures dans les dispositions contractuelles. Enfin de compte, le projet a pu être financé parce que l'OPEP et la BERD se sentaient rassurées du fait que le premier ministre russe et le président américain avaient énoncé des décrets appuyant certains aspects commerciaux de cette entreprise. On avait mis sur pied un dispositif régissant la façon dont l'or serait vendu et dont l'argent serait transféré à l'étranger pour financer ces emprunts.

Quand nous avons repris l'affaire, nous étions assez confiants. Nous avons été très étonnés, car malgré tous ces décrets qui avaient été publiés, on n'avait pas adopté la moindre loi permettant de les appliquer. Il y avait bien un décret nous autorisant à exporter, mais il n'y avait pas de réglementation douanière nous autorisant à faire passer l'or à la douane. Nous avons eu des difficultés avec la Banque centrale au sujet d'un compte offshore qui faisait partie intégrante de ces dispositions de financement des emprunts.

Nous avons dû tout reprendre à zéro. Nous nous sommes retrouvés littéralement à faire du porte-à-porte d'un bureau à l'autre à Moscou pour essayer de régler le problème du jour. Pour moi, c'est à peu près à cela que s'est ramenée l'exploitation de cette mine depuis trois ans.

Nous avons eu de la chance; nous ne nous sommes pas heurtés à de très gros problèmes que nous n'avons pas pu résoudre, mais presque chaque jour nous nous sommes heurtés à un nouveau problème sans précédent. Dans ce cas-là, on cherche et on essaie de trouver quelqu'un qui va vous écouter. Si l'on a besoin d'un projet de loi, il faut suivre telle démarche, si l'on a besoin d'une réglementation, il faut en suivre une autre.

Ce qu'il y a de bien avec la bureaucratie russe, et aussi frustrants que puissent être les rapports avec cette bureaucratie, c'est qu'une fois que la procédure que vous cherchez à obtenir est en place, elle devient la manière immuable de procéder. La deuxième, la troisième et la quatrième fois que l'on en a besoin, il n'y a aucune difficulté à la faire appliquer.

Nous avons joué un rôle assez positif dans une région très déprimée. Je ne sais pas ce que le gouverneur de Magadan vous a raconté à propos de cette province, mais c'est une province très reculée de la Russie. Elle est située dans l'extrémité orientale de la Russie. Au début des années 30, on a littéralement créé la ville de Magadan pour servir de siège administratif du Gulag de Staline. La plupart des résidents non autochtones de Magadan sont des descendants soit de prisonniers, soit de gardiens. Le climat est très dur. Franchement, à chaque fois que nous y allons, nous nous demandons comment les gens, en dehors de nous, peuvent gagner leur vie. On n'y voit pas la moindre autre entreprise économique florissante.

Ils font un peu de pêche, mais c'est une industrie beaucoup moins solide qu'au Kamchatka, de l'autre côté de la baie par rapport à Magadan. Il y a de petites exploitations agricoles et de petites brasseries. Je crois que le taux de chômage a Magadan dépasse de loin 50 p. 100.

Pour ceux d'entre nous qui allons régulièrement là-bas, c'est toujours un mystère de comprendre comment ces gens-là peuvent survivre. Ils n'ont pas l'air de mourir de faim, ils ont l'air relativement bien habillés pour supporter le froid, mais on se demande où ils peuvent trouver de l'argent. J'imagine que c'est parce qu'ils ont surtout une économie de subsistance. La plupart ont de petits lopins de terre en dehors de la ville où ils font pousser des légumes qui leur permettent de se nourrir pendant une bonne partie de l'année. En dehors de cela, j'imagine que c'est à peu près comme aux États-Unis avant l'aide sociale: quand un voisin a des problèmes, on l'aide. C'est vraiment une situation désespérée.

Le président: Comment se rend-on à Magadan?

M. Ivany: Au début, il y avait un vol régulier de la compagnie Alaska Airlines entre Anchorage et Petropavlovsk, au Kamchatka, et le vol se poursuivait vers Magadan et Vladivostok. Le même appareil revenait en faisant les mêmes escales.

Pendant la crise économique de 1998, Alaska Airlines a décidé de cesser d'assurer cette liaison. Jusqu'à il y a environ un an, une petite compagnie régionale d'Alaska se rendait une fois par semaine à Vladivostok en passant par Petropavlovsk et c'est ainsi qu'on se rendait là-bas. Toutefois, cette petite compagnie a cessé d'assurer cette liaison. Actuellement il y a une compagnie régionale russe qui fait la liaison entre Magadan et Anchorage très irrégulièrement. Si l'on ne veut pas passer par Anchorage, on peut prendre un vol qui dure huit heures de Magadan à Moscou et partir de là. C'est huit heures de vol et huit fuseaux horaires.

C'est une région du monde qui est difficile d'accès et notre entreprise est très lourdement imposée. Nous payons plus de 30 000 000 $ U.S. en impôts, le gros allant aux gouvernements régionaux. Je serais porté à croire que le budget de ces gouvernements dépend de nous pour la moitié au moins - peut-être pour 60 p. 100 - de son revenu. Nous en avons eu la preuve l'hiver dernier quand, pour la première fois en hiver, les autorités n'ont pas interrompu l'alimentation en électricité pendant une certaine période quotidiennement par manque de mazout dans les centrales. Le chauffage de ces blocs appartements où les gens habitent s'interrompt, tout comme l'éclairage, de huit à dix heures par jour. Cela semble assez incroyable, mais c'est ainsi.

Je n'ai pas grand-chose à ajouter. Nous avons vécu de bonnes expériences de travail avec des Russes; nous avons un effectif d'environ 500 personnes et il y a seulement huit expatriés qui s'occupent de l'exploitation. La plupart, voir tous les employés russes ont un diplôme d'école secondaire ou l'équivalent, et plus de 50 p. 100 d'entre eux ont fait des études supérieures et sont des travailleurs spécialisés. La formation que nous avons offerte visait à leur apprendre l'efficacité au moindre coût possible, pour que la société puisse réaliser un bénéfice. Travailler dans cette optique ne leur venait pas tout naturellement.

L'endroit où se trouve la mine est tellement éloigné que nous devons transporter les gens par avion. Les travailleurs y restent quatre semaines et ont ensuite deux semaines de congé. Nous avons réussi à endiguer le problème d'alcoolisme, qui est un grave problème dans ce pays en interdisant totalement l'alcool dans les camps et en rendant l'accès à l'alcool le plus difficile possible. Nous imposons la tolérance zéro et nous n'avons pas rencontré beaucoup de cas d'ébriété au travail.

En outre, comme la région est éloignée, nous n'avons pas fait l'objet d'actes de banditisme courants comme d'autres en subissent dans le pays.

Le président: Quand j'ai rencontré le gouverneur, j'ai remarqué que Magadan était un centre administratif de ce qui est essentiellement des camps de travail. Où habitez-vous quand vous êtes à Magadan.

M. Ivany: Nous disposons de plusieurs appartements que nous utilisons pour nos trois principaux gestionnaires - des expatriés - qui vivent à Magadan. Le reste du personnel vit dans le camp. La société a six ou sept appartements que nous mettons à la disposition des visiteurs. Il y a également deux hôtels.

Le président: Pendant combien de temps la mine sera-t-elle exploitée?

M. Ivany: Nous aurons terminé l'extraction en 2002, et nous allons continuer de transformer le minerai emmagasiné jusqu'à la fin de 2003, à moins de trouver un autre filon. Comme nous le disons dans le rapport annuel, nous avons des perspectives modestes avec la prospection que nous avons faites aux alentours de la mine. Si nous avons de la chance, nous pourrons découvrir un filon qui fera durer l'exploitation encore cinq ou dix ans.

Sénateur Graham: Monsieur Ivany, vous avez mentionné une deuxième possibilité de mise en valeur par votre société. Parlez-vous alors de celle de Birkachan?

Le président: C'est une bonne question car le gouvernement local va ressentir durement le départ de la société, puisqu'il ne semble pas y avoir d'autres entreprises.

M. Ivany: C'est juste.

Le sénateur Austin: Je voudrais vous raconter une petite anecdote canadienne à propos de Magadan: en 1955, James Sinclair, ministre des Pêches et des Océans, a visité la ville pour la première fois. Malheureusement, il est tombé d'un quai, s'est cassé le dos et a dû être rapatrié de Magadan au Canada.

Le président: Pourquoi la ville de Magadan nous reporte-t-elle aux années 20 ou 30.

Le sénateur Graham: Peut-être parce que vous pensez à cette ville comme étant le centre du goulag sibérien.

Le président: Son économie reposait sur la pêche.

M. Ivany: Oui, il y avait une petite population indigène qui chassait le renne et il y avait aussi la pêche. Toutefois, l'intérêt du point de vue des goulags était que l'on pouvait acheminer les prisonniers en train jusqu'à Vladivostok, les mettre à bord d'un bateau et les parquer sur Magadan, en pleine nature. La ville elle-même a été édifiée à cette fin précise, comme centre administratif. Il y a un petit musée dans la ville qui est tout à fait remarquable.

Le sénateur Graham: Il y a une route que les prisonniers empruntaient pour se rendre au camp de travail, que l'on a appelée «La route des os», et pour cause.

Le président: Je possède un livre qui a été écrit vers 1898, intitulé The Paris-New York Railway. C'est la description de travaux d'arpentage entre Irkutsk et le Détroit du Bering. On envisageait de construire un chemin de fer. L'arpenteur se servit de traîneaux tirés par des chiens et de raquettes, et au Détroit de Bering, il s'est joint à un passeur qui lui a fait traverser le Détroit vers l'endroit où allait passer le chemin de fer. Le récit est intéressant car, au cours de son voyage, il croise ces camps. Cela se passait pendant la Russie des Tsars. C'est une histoire assez étonnante.

Le sénateur Austin: Monsieur Ivany, dans votre témoignage, vous expliquez les différences entre votre expérience en Russie et celles d'autres investisseurs canadiens. À Magadan, il y a un gouverneur et une administration politique. Les autorités ont-elles pris des mesures qui dénotaient une antipathie pour votre investissement?

M. Ivany: Votre question est intéressante. Quand notre exploitation a démarré, il y avait un autre gouverneur au pouvoir dans la région, et les actionnaires russes de Omolon, la compagnie russe, étaient tous des amis et ils appuyaient tous d'une certaine façon ce gouverneur-là. Une fois le nouveau gouverneur en fonction, notre associé russe, le principal qui est un géologue assez influent, installé dans la région depuis toujours, a pu aplanir les difficultés à l'échelon politique local et, franchement, il nous a protégés contre certaines confrontations passablement houleuses, particulièrement à l'échelle locale. Il a été en concurrence permanente avec le gouverneur, le menaçant lors des dernières élections de présenter son propre candidat contre lui.

Grâce à la privatisation, il s'est acquis des intérêts dans un certain nombre de gisements à l'extrémité orientale de la Russie et il semblait qu'il allait s'en trouver très prospère. Étant donné l'érosion complète des prix, surtout le cours des métaux précieux, il ne s'est pas trouvé si prospère et le prêt dont je vous ai parlé tout à l'heure lui permettant d'acquérir des actions dans le projet est échu et le hante, de sorte que le gouverneur se sert de la situation pour faire la pluie et le beau temps.

Pour la première fois depuis trois ou quatre mois, nous avons dû carrément faire face à des problèmes occasionnés par ce gouverneur. Rien ne se fait au grand jour, rien n'est flagrant, mais on exerce des pressions sur nous. Un avocat du ministère épluche les dossiers originaux de la société, et il conteste la façon dont certaines actions ont été émises en 1993 ou 1994. Nos réservoirs de pétrole sont inspectés 80 fois par mois alors que les autres qui ont aussi des réservoirs dans la région ne sont pas inspectés du tout.

Le gouverneur ne traite jamais directement avec nous. Il y a des gens qui nous disent que si nous faisions ceci ou cela, les choses se passeraient mieux pour nous. Le problème est que l'on ne sait jamais si ces intermédiaires sont les légitimes porte-parole des gens au nom de qui ils parlent, et nous ne savons pas si ce que l'on nous dit est absurde ou non. Nous avons pris la seule mesure à notre disposition: Nous poursuivons notre exploitation, nous nous occupons de notre affaire. Nous ne faisons pas de versements louches à des gens et jusqu'à présent nous avons survécu. Toutefois, les choses deviennent de plus en plus difficiles.

Le sénateur Austin: C'est à cela que je voulais en venir. Dans votre rapport annuel, vous dites procéder à un forage d'extension, faire de la prospection régionale dans un rayon de 50 kilomètres de votre exploitation actuelle. Vous possédez ce qui semble être une propriété intéressante à Birkachan, et si un jour vous en arrivez à décider d'investir dans les immobilisations de cette propriété, à quel type de situation devez-vous vous attendre lorsque vous procéderez à la mise en valeur?

M. Ivany: On n'obtient pas la concession d'un projet d'extraction minière en Russie de la même façon qu'au Canada ou aux États-Unis. Essentiellement, tout est autorisé grâce à une licence. Les licences sont assorties de certains droits et obligations - plus d'obligations que de droits, dans la plupart des cas.

Nous avons une licence qui nous permet de faire de la prospection, et nous avons le droit d'obtenir une licence d'exploitation avant tout le monde si notre prospection se révèle productive. La licence est émise à la fois par les autorités fédérales et par les autorités régionales. Il faut la signature des deux paliers.

Nous sommes en train d'essayer de convertir notre licence de prospection en une licence hybride à long terme, moitié prospection, moitié mise en valeur, par souci de nous protéger de façon permanente. Encore une fois, nous voyons le petit jeu de l'administration locale qui retarde la démarche visant à faire la conversion nécessaire de la licence. Tout cela découle du fait que le gouverneur a actuellement comme plus grand souci, celui d'exiger de notre associé le remboursement de son prêt. Il sait que notre associé n'a pas l'argent nécessaire et il veut que nous remboursions à sa place. Cela nous fait tourner en bourriques.

Le sénateur Austin: D'où vient votre électricité? Avez-vous une centrale indépendante? Produisez-vous votre propre électricité?

M. Ivany: Nous produisons notre propre électricité.

Le sénateur Austin: Où achetez-vous votre pétrole?

M. Ivany: Auprès d'un distributeur russe de l'endroit.

Le sénateur Austin: S'agit-il d'une entente fiable?

M. Ivany: Non. La première année, il n'y avait pas de problème. L'année dernière, quand les prix ont commencé à grimper, il a résilié le contrat. Nous devons entretenir une voie d'hiver d'accès à la mine, et durant quatre ou cinq mois, tous nos approvisionnements pour l'année sont acheminés grâce à cette voie. Au moment crucial de l'expédition, nous avons dû verser le prix fort pour le pétrole.

Le sénateur Austin: D'autres témoins plus tôt cet après-midi et vous-même nous avez dit que pour les Russes, la notion de temps pour ce qui est du rendement sur l'investissement ou de la valeur de l'argent n'existait pas. Cela rend les choses difficiles pour les investisseurs étrangers. Nous essayons de déterminer où se trouve l'intérêt du Canada dans la mise en valeur de la Russie et de l'Ukraine, en l'occurrence pour vous la Russie. Toutes ces difficultés existent alors que beaucoup d'autres pays du monde en comportent bien moins. C'est le cas encore dans d'autres pays, mais au moins là il y a des règles et le Canada peut faire des démarches pour influencer les choses.

Pensez-vous que le Canada devrait poursuivre intensément ses efforts pour développer des relations avec la Russie? Devrait-on utiliser l'argent des contribuables pour se protéger contre les risques afin d'établir une présence canadienne dans le milieu des affaires russe? Si vous répondez oui à cette question, comment alors justifierez-vous votre réponse?

M. Ivany: Je ne pense pas que le Canada puisse montrer la voie à cet égard. Pour reconstruire l'économie russe, il faudra déployer des efforts énormes. Il y a essentiellement deux pays. Moscou et le reste de la Russie. La différence entre les deux est assez frappante.

Moscou a une patine de prospérité de nos jours. Il y a beaucoup d'argent provenant du pétrole là-bas. Les boutiques du centre-ville sont très achalandées et les gens dépensent de l'argent. Ils roulent gros carrosses. Si vous vous éloignez du centre-ville de Moscou, vous commencez à constater que tous ne partagent pas cette prospérité. Une fois à l'extérieur de Moscou, à la campagne, on a l'impression de revenir 50 ou 100 ans en arrière. La différence est frappante. Il y a une véritable inégalité.

Quand il existe ce genre d'inégalité dans le développement d'un pays, les risques de dislocation sont énormes. Les pays développés n'ont pas intérêt à ce que cela se produise. Il est tout à fait logique de vouloir sauver la Russie contre elle-même, si l'on veut, mais je ne pense pas que le Canada puisse prendre les devants. Je ne pense pas qu'il existe des sociétés canadiennes qui puissent seules assumer les risques de certains de ces investissements. La communauté bancaire canadienne refuse d'envisager même de prêter pour des projets en Russie et je suppose que cela est dû au fait que ces projets comportent des risques élevés de sorte qu'elles ne peuvent pas se permettre de les inclure dans leurs portefeuilles.

Le Canada devrait participer vigoureusement à des projets russes grâce à des associations avec la Banque mondiale ou la BERD notamment, qui sont celles qui sont les plus visibles sur le plan de l'aide économique en Russie actuellement.

Le sénateur Andreychuk: Je crois savoir que le président Putin a nommé certains «super administrateurs» si on peut les appeler ainsi, afin de pouvoir exercer un certain contrôle sur les gouverneurs régionaux. Cela a-t-il donné des résultats?

M. Ivany: Cela ne nous a pas touchés, et tous nos efforts sont demeurés vains. Le gouverneur régional de notre zone se trouve à Khabarovsk. Il y a trois mois que nous essayons de le rencontrer mais peine perdue. Nous devons toujours faire la cour au gouverneur, pour ainsi dire.

Le sénateur Andreychuk: Allez-vous continuer de faire affaires en Russie, même si c'est de façon prudente?

M. Ivany: Je ne pense pas que nous investirions 250 millions de dollars de nouveau en Russie à l'heure actuelle. Je sais que nous ne le ferions pas parce que nous n'en avons pas les moyens. Si notre prospection donne des résultats à une distance raisonnable de notre usine de transformation, nous mettrions en valeur les gisements découverts car les dépenses en immobilisation seraient bien moins élevées. Il s'agirait tout simplement de mettre en valeur le gisement en transportant le minerai par camion vers l'unité d'exploitation qui existe. Cela, oui, nous le ferions.

Nous pourrions nous tourner vers d'autres régions pour prospecter, mais nous procéderions prudemment pour l'heure. Nous sommes dans une position unique. Je ne sais pas combien de prêts par l'intermédiaire de la BERD il y a actuellement dans le secteur minier en Russie, mais je soupçonne qu'à part le nôtre, il n'y en a pas beaucoup. Nous servons souvent à la publicité de la BERD. Elle ne cesse de citer le projet Kubaka en exemple.

Si nous voulions développer notre entreprise, je pense que la BERD nous donnerait son appui mais il nous faudrait réfléchir longuement avant de passer au cran suivant. Au cours de l'année qui vient, le secteur de l'or en Russie va connaître un développement intéressant. Le gisement gigantesque appelé Sukhoi Log contient, dit-on, plus de 30 millions d'onces d'or, et on a déjà procédé au forage de délimitation.

Le président: Où cela se trouve-t-il?

M. Ivany: C'est au sud par rapport à là où nous sommes. Les sociétés Barrick et Placer Dome sont déjà sur place. C'est à mi-chemin environ entre Magadan et Vladivostok, un peu vers l'ouest.

Le président: Alors c'est au sud d'Okhotsk, et pas très loin d'où vous êtes, n'est-ce pas?

M. Ivany: Eh bien, on ne peut pas se fier à la distance dans cette partie du monde.

Le président: C'est à peu près dans la même région.

M. Ivany: Oui. Il s'agit d'un projet d'un milliard de dollars. C'est énorme. Les Russes sont convaincus que toute la société minière convoite ce permis d'exploitation. Il sera très intéressant de voir si c'est le cas lors des appels d'offres.

Le sénateur Grafstein: À la page 12 de vos états financiers on lit ceci: «Il est possible que Birkachan prolonge la vie de la mine Kubaka.» C'est brillant. Vous pourriez intituler votre rapport «il se peut que» et cela résumerait les témoignages que nous avons entendus aujourd'hui.

J'ai l'impression d'après vos états financiers que vous êtes vraiment parvenus à limiter vos coûts. Si mes calculs sont justes, il y a une erreur dans vos prévisions d'environ 5 millions de dollars. Vous avez fait des économies de 4 millions de dollars en raison d'une diminution des coûts prévus et d'une gestion rigoureuse. Je suppose qu'une bonne part de ces économies doivent être attribuées à la zone économique spéciale de Magadan?

M. Ivany: Pas vraiment. La zone économique de Magadan était une idée chère au gouverneur. Dans le cas de ce projet, des sommes qui doivent de toute façon être engagées sont dirigées à l'échelle locale au lieu d'être incluses dans le budget fédéral. Le gouverneur a déployé de grands efforts pour obtenir la création de cette zone économique avant l'élection de Putin. Estimant que les gouverneurs jouissaient d'une autonomie très grande, Putin a remis en question la création de cette zone économique. Pendant un certain temps, nous avons cessé de participer aux activités de la zone économique et nous n'avons fait que payer les impôts normaux. Cette zone économique présente en fait pour nous un avantage de 1,5 million de dollars.

Le sénateur Grafstein: S'agit-il d'impôts reportés?

M. Ivany: Non, il s'agit d'impôts réellement payés. Nous payons la taxe sur la valeur ajoutée sur tous les produits que nous achetons. En principe, la taxe à la valeur ajoutée est remboursée aux entreprises qui vendent des produits, mais comme cette taxe ne s'applique pas à l'or, nous devons la déduire d'autres taxes fédérales. Par conséquent, moins nous payons de taxes fédérales, moins nous avons l'occasion de récupérer la taxe à la valeur ajoutée. L'avantage que présente le fait d'exploiter un projet dans cette région est donc réduit d'autant.

Le sénateur Grafstein: Le système n'est pas le même que celui des zones économiques du nord du Mexique qui, elles, présentent un avantage.

M. Ivany: C'est juste.

Le sénateur Grafstein: Vous redéployez vraiment vos propres fonds. On ne peut pas vraiment parler d'économies ou de stimulants véritables.

M. Ivany: Il s'agit de modestes économies.

Le sénateur Grafstein: Revenons à la question de la zone économique spéciale de Magadan. D'après les témoignages que nous avons entendus, il existe deux ou trois régions semblables en Russie. Serait-il avantageux pour le Canada de conclure des accords bilatéraux avec la Russie aux termes desquels la participation à ces zones économiques spéciales constituerait un véritable stimulant à l'investissement en réduisant les formalités administratives.

Le fait que vous devriez vous rendre à Moscou va à l'encontre de l'objet même de la zone économique spéciale. En théorie, ces zones doivent permettre de simplifier les formalités administratives. C'est ce qu'on a fait dans la province de Xinjiang dans le sud de la Chine, et cela fonctionne très bien. C'est un prolongement du système qui existait à Hong Kong. Le système russe semble davantage une fiction qu'une réalité. Les règles diffèrent d'une zone à l'autre et d'une industrie à l'autre.

M. Ivany: En effet. D'après ce que j'ai pu voir, la plupart des zones économiques ont été créées pour stimuler les investissements dans le secteur manufacturier dans le but notamment de favoriser les exportations. Dans le domaine des ressources naturelles, il n'existe pas, à ma connaissance, un modèle vraiment utile pour l'instant.

Les Russes continuent d'avoir une véritable dévotion pour l'or qu'ils considèrent toujours comme un instrument monétaire. Les autorités centrales de Russie hésitent à cesser de réglementer l'achat et la vente d'or. Nous sommes tenus d'offrir d'abord toute notre production au gouvernement fédéral qui peut l'acheter au prix que nous demandons. Nous pouvons maintenant exporter ce que le gouvernement n'achète pas, mais nous n'avions pas ce droit au départ. Nous avons dû faire toutes sortes d'acrobaties pour l'obtenir, et le gouvernement continue de contrôler rigoureusement nos activités.

Il serait impensable que la Russie cesse de réglementer les achats et les ventes d'or dans cette zone.

Le sénateur Grafstein: Il y a un certain nombre d'années, la rumeur voulait que le prix de l'or ait chuté en partie parce que la Russie écoulait en douce sur le marché une partie importante de ses réserves d'or afin de maintenir sa stabilité économique. Cela n'a pas aidé votre projet qui se fondait sur un prix cible très modeste de 160 $ l'once. L'or se vend maintenant 139 $ l'once et son prix fluctue énormément.

M. Ivany: Vous avez tout à fait raison.

Le sénateur Graham: À combien l'or se vend-il aujourd'hui sur le marché?

M. Ivany: 260 ou 265 $US l'once.

Le sénateur Graham: Votre investissement initial s'élevait à 40 millions de dollars et vous avez investi encore 20 millions de dollars en capitaux de fonctionnement, pour un total de 260 millions de dollars américains. Quel est le taux de rendement sur cet investissement?

M. Ivany: Il est négatif.

Le sénateur Graham: En raison des coûts?

M. Ivany: En raison du cours de l'or. L'étude de faisabilité sur laquelle repose ce projet prévoyait que le cours de l'or atteindrait 380 $ l'once. Les difficultés que nous connaissons n'ont rien à voir avec la Russie, mais surtout avec le cours de l'or.

Le sénateur Graham: Si l'on fait exception du climat, de la géographie, du gouvernement et du cours de l'or, avez-vous quelque chose d'encourageant à nous dire?

M. Ivany: L'avantage que présente la Russie pour des gens de mon domaine c'est qu'on y trouve de nombreux gisements qui ont été exploités à fond sous le régime soviétique. Ces projets présentent peu de risques techniques. Le potentiel de ces gisements a été beaucoup mieux étudié qu'il ne l'aurait été dans une économie de marché. Les gens avec lesquels nous travaillons sont instruits et compétents. Ce n'est pas comme en Afrique où il faut faire beaucoup de formation pour que les travailleurs atteignent certaines normes minimales. Bien que l'infrastructure de base se soit beaucoup détériorée, elle existe tout de même en Russie. On trouve des villes dans l'ensemble du pays. On y trouve des chemins de fer et des aéroports. Voilà pour ce qui est des points positifs, mais tout est difficile et la plupart des problèmes qui se posent sont, comme partout ailleurs, je suppose, attribuables à l'intervention de l'homme.

Le sénateur Bolduc: Vous vous êtes retrouvé dans une situation très particulière. Vous aviez l'impression d'être en Russie, mais ce n'était pas vraiment le cas. Vous êtes allé dans une région très isolée et vous y avez investi de l'argent. L'ingérence de l'État a été minimale dans vos affaires, n'est-ce pas?

M. Ivany: Non, je crois que nous avons été assujettis aux contrôles gouvernementaux normaux. Nous n'avons cependant pas dû subir les exactions de la mafia, ce qui est le cas lorsqu'on investit dans des régions plus proches de Moscou.

Le sénateur Graham: Les tentacules de la mafia ne s'étendent donc pas aussi loin?

M. Ivany: Non.

Le sénateur Corbin: Monsieur Ivany, votre réunion annuelle aura lieu dans deux jours à peu près au même moment, n'est-ce pas?

M. Ivany: Oui.

Le sénateur Corbin: Je suis sûr que dans votre rapport pour l'an 2000, vous n'avez inclus la remarque suivante simplement dans le but d'impressionner vos actionnaires:

Le projet Kubaka se conforme à toutes les normes environnementales s'appliquant en Russie, lesquelles sont, dans certains cas, plus rigoureuses qu'en Amérique du Nord.

J'ai lu rapidement ce feuillet sur la mine, et je suis assez impressionné par les mesures prises pour protéger l'environnement. Ces mesures sont mises en oeuvre grâce à de la technologie nord-américaine, voire même canadienne. Je me demande vraiment si les normes environnementales sont dans certains cas plus rigoureuses qu'en Amérique du Nord.

M. Ivany: Ce qui vaut dans ce domaine vaut dans beaucoup d'autres. Les normes sont très rigoureuses en Russie, mais elles sont souvent mal appliquées. De nombreuses entreprises russes n'en tiennent pas du tout compte.

Le sénateur Corbin: C'était ma prochaine question. Merci de l'avoir posée à ma place.

M. Ivany: Un des problèmes auxquels font face les entreprises internationales c'est que, peu importe où elles s'installent dans le monde, elles doivent composer avec les ONG dans la réalisation de tout projet partout dans le monde. Les entreprises ne peuvent pas déroger à des règlements environnementaux de type nord-américain en s'installant à Timbuktu ou à Magadan. Les entreprises qui pensent qu'elles peuvent contourner les règlements de cette façon se rendent compte très rapidement que ce n'est pas possible parce que les ONG les surveillent de près. Ces ONG utilisent une approche, qui s'avère très efficace. Elles exercent des pressions sur des organismes comme la Banque européenne pour la reconstruction et le développement et l'OPEP. Dans le contexte des contrats de prêt, ces organismes examinent le rendement environnemental de l'entreprise. À mon avis, la plupart des entreprises responsables n'iraient pas construire un projet à Magadan de façon différente qu'à Timmins en Ontario. Mais quand vous vous rendez en Russie, vous êtes témoins d'exemples effarants d'entreprises qui font fi tout simplement du système. L'application du système là-bas est très aléatoire.

Le président: Honorables sénateurs, au nom de vous tous, j'aimerais remercier à nouveau notre témoin de nous avoir fourni une description très intéressante des problèmes qui se posent aux entreprises qui s'installent dans une région isolée de l'extrémité orientale de l'Union soviétique. Cela n'a fait que confirmer ce que je pensais.

M. Ivany: De nos jours, toute cette région fait partie de la Russie.

La séance est levée.


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