37-1
37e législature,
1re session
(29 janvier 2001 - 16 septembre 2002)
Choisissez une session différente
Délibérations du Comité sénatorial permanent
des affaires étrangères
Fascicule 9 - Témoignages du 1er mai 2001
OTTAWA, le mardi 1er mai 2001 Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères se réunit ce jour à 18 h 07 afin d'examiner, pour en faire rapport les faits nouveaux en matière de politique, de questions sociales, d'économie et de sécurité en Russie et en Ukraine, les politiques et les intérêts du Canada dans la région, ainsi que d'autres sujets connexes. Le sénateur Peter A. Stollery (président) occupe le fauteuil. Le président: Honorables sénateurs, j'aimerais brièvement présenter le sénateur Tunney, pour le compte rendu. Le sénateur Tunney est agriculteur comme ses ancêtres depuis quatre générations, dans le comté de Northumberland en Ontario. Il s'occupe d'élevage laitier depuis au moins 30 ans. Pendant 18 ans, il a été directeur du Bureau laitier du Canada. Pendant 12 ans, il a été directeur de la Commission ontarienne de commercialisation du lait, où il représentait les agriculteurs de six comtés dont celui de Northumberland. La partie de sa carrière qui nous intéresse va de 1993 à 1998, où le sénateur Tunney a travaillé comme consultant bénévole de l'industrie laitière en Russie et en Ukraine. Il s'est spécialisé dans l'exploitation agricole et les opérations de traitement ainsi que dans l'établissement de commissions des marchés agricoles. Il a également été conférencier invité au collège d'agriculture de Kharkov. Honorables sénateurs, je sais que vous êtes conscients du potentiel que présente l'Ukraine, qui était connue pour son énorme production céréalière avant la Première Guerre mondiale. C'est une région d'importance historique pour sa production agricole. En lisant l'autre jour des chiffres sur l'histoire de l'Ukraine, j'ai appris qu'en 1910, environ 72 p. 100 de la production mondiale d'orge venait de l'Ukraine, de même que plus de 60 p. 100 de la totalité de la production céréalière mondiale. En fait, le port d'Odessa et le chemin de fer ont été construits pour acheminer les céréales produites dans cette région. L'honorable Jim Tunney: Monsieur le président, je commen cerai par préciser que je me suis préparé pour cette comparution en allant chercher un article dans le dernier numéro de Country Guide (avril 2001) qui relate l'histoire de quelqu'un de l'Alberta qui travaille dans l'est de la Russie. C'est une région où j'ai aussi travaillé quand j'étais en Russie et qui s'appelle Samara. J'ai aussi joint à ma documentation quatre rapports que j'ai rédigés quand je suis allé en Russie et en Ukraine. Je vous les communique à titre de référence ou simplement pour votre intérêt. J'aurais préféré vous les faire remettre il y a une semaine environ, mais je n'avais pas encore été prévenu que je comparaissais ici. J'aimerais vous mentionner quelques statistiques avant de baisser les lumières et de vous projeter des diapositives. La Russie a une population de 151 millions d'habitants. Au Canada, il y a quatre personnes au mille carré, et en Russie, il y en a 22. La Russie est le plus grand pays du monde, et le Canada le deuxième plus grand. À titre de comparaison, la Russie a une superficie de 6 600 000 milles carrés - je parle de la Russie uniquement, sans ses satellites - alors que la superficie du Canada est de 3 800 000 milles carrés. La Russie est donc presque deux fois plus grande que le Canada. Honorables sénateurs, la Russie s'étend sur 11 fuseaux horaires. Si vous regardez la carte qui est exposée ici, toute la zone en vert représente la Russie. Quand le jour se lève sur le détroit de Bering, la nuit commence à tomber à la frontière occidentale. La Russie n'est jamais entièrement plongée dans la nuit. Le climat de la Russie ressemble beaucoup à celui du Canada. Ils ont la Sibérie et nous avons notre Arctique. Dans la partie méridionale de la Russie, ils peuvent même faire mieux que nous en matière de climat et de production de fruits fragiles, et cetera. Je me demande s'ils réussiront un jour à s'organiser pour produire ce genre de choses. La Russie a de loin les plus grandes réserves prouvées de pétrole et de gaz au monde, Koweït et Venezuela compris, et pourtant c'est un pays qui manque en permanence de pétrole. Leurs raffineries ne fonctionnent pas, leur carburant est mal raffiné, les pipelines sont brisés et quelquefois ils pompent du pétrole brut avec un tuyau de six pouces. Une fois, un pipeline a cassé au-dessus d'un lac, et ils ont continué à pomper. Le pétrole s'est déversé dans le lac, mais il n'y avait personne pour s'en occuper. Pour ce qui est des minéraux, la Russie a du minerai de fer, du charbon, de la bauxite, du magnésium, du manganèse, du plomb, du zinc, du cuivre, du platine, de l'or et des diamants. C'est le deuxième producteur de diamants au monde après l'Afrique du Sud. Elle a aussi du tungstène, de l'ambre, du sel, du gaz naturel et de l'amiante. En fait, il y a trop de minéraux pour que je puisse tous les mentionner ici. En Russie, il y a 39 millions de vaches laitières. Au Canada, nous en avons 750 000, mais notre production de lait est le double de la leur. Leurs vaches ont un rendement de quatre à six livres de lait par jour, alors que les nôtres donnent de 75 à 80 livres par jour en moyenne. Ils n'ont pas de bonnes installations de réfrigération du lait, ce qui fait qu'ils en jettent la moitié parce qu'ils ne peuvent pas le traiter. Ils ne font qu'une seule variété de fromage pâte molle. Les fromageries ne fonctionnent qu'un jour et demi par semaine. La culture russe est stupéfiante car les gens vivent dans la pauvreté mais sont satisfaits. Les Russes sont d'une civilité étonnante. En fait, quand j'arrive chez eux, j'aime bien faire un peu d'humour. Ils me demandent pourquoi je ris, pourquoi je parle et pourquoi je souris tout le temps. Je leur dis que j'ai peut-être plus de raisons de sourire qu'eux. Ils me demandent pourquoi le Canada est aussi riche et pourquoi eux sont si pauvres. Je leur dis que notre pays ne s'est pas fait pilonner à l'occasion de deux guerres mondiales, et surtout que nous n'avons jamais connu le genre de régime politique qui les a écrasés pendant 70 ans, et ils en conviennent. Les Russes se demandent s'ils seront un jour aussi riches que les Canadiens. Ils commencent à découvrir la richesse des autres pays occidentaux. Je leur ai dit que s'ils pouvaient mettre sur pied un régime politique qui serait débarrassé de la mafia, ils seraient étonnés de voir à quelle vitesse leur économie se relèverait et avec quelle rapidité ils deviendraient prospères. Mais ils ont besoin de personnes qui prennent les mesures nécessaires pour relever le pays. Prenons le cas de l'Allemagne et du Japon, deux pays qui étaient exsangues après la guerre: leur économie s'est relevée avec une rapidité incroyable. Quand on pense à toutes les ressources dont dispose la Russie, c'est un pays qui pourrait facilement devenir le plus riche au monde. Le problème, c'est qu'il est géré de façon absolument désastreuse. La mafia lui pompe tout ce qui a la moindre valeur, et n'a pas l'intention de s'arrêter. En Ukraine, on trouve 40 p. 100 des terres agricoles de la meilleure qualité au monde. Ce pays pourrait nourrir le monde entier s'il pouvait un jour décoller et commencer à produire tout ce qu'il peut produire. Imaginez: la terre en Ukraine est noire comme du charbon. Pas le moindre cailloux à l'acre, et le sol est aussi plat que ce plancher. Les champs ont une superficie de 1 000 à 5 000 acres. Quand vous roulez sur une vieille route en terre, vous avez le même champ des deux côtés de la route pendant cinq ou 10 milles, et ces champs s'étendent des deux côtés jusqu'à l'horizon. Ils n'ensemencent jamais la totalité de leur terre au printemps parce qu'ils n'ont pas assez de semence et de carburant. Ensuite, leurs tracteurs tombent en panne et ils ne peuvent jamais tout récolter. Ils entreposent leurs récoltes dans de vieilles granges. La moitié de ces récoltes sont détruites par les intempéries parce que les toits de ces veilles granges s'effondrent. Le grain moisi finit par former une espèce de gros magma. Je suis entré un jour dans une vieille grange où il y avait de 800 à 1 000 tonnes de pommes de terre. C'était en décembre et il faisait moins 25. Ces pommes de terre avaient été récoltées en septembre, mais ce n'était plus qu'un gros tas de pourriture gelée. Une des choses que je voudrais bien accomplir, ce serait d'aider ces gens-là à mettre sur pied une organisation à laquelle participeraient des agriculteurs pour transporter la production des fermes vers les villes. Les citadins sont souvent au bord de la famine, alors que les habitants des compagnes sont bien nourris. Ils veillent à se nourrir correctement avant d'envoyer des denrées à la ville. Ils n'ont pas la moindre idée de ce qu'est un office de commercialisation et pourtant, ils voudraient bien savoir comment tout cela fonctionne. On pourrait avoir un office de commercialisation de type canadien sur le modèle de notre Fédération de l'agriculture. Il y aurait un volet de commercialisation avec des responsables du transport de la production. Les choux sont très importants là-bas. Tout le monde se nourrit de choux. On m'a servi du chou trois fois par jour à chacun de mes voyages là-bas, et je déteste le chou! Le sénateur Graham: Vous êtes allé combien de fois en Russie, sénateur Tunney? Le sénateur Tunney: Sept fois. Chacun de mes séjours a duré environ deux mois. Je m'occupe surtout de les aider avec leur bétail. Je suis un éleveur laitier et je m'y connais en matière de bétail. À chaque fois que je pars là-bas, j'emporte pour 1 000 $ de produits vétérinaires. Je vais directement sur place pour rejoindre les gens qui travaillent dans les étables. Je prends des échantillons de lait pour voir si c'est du lait de mammite. Quand les vaches ont des mammites, je les traite, et j'écorne les petits veaux car ils n'ont pas le moindre appareil à décorner. Les vaches ont donc des cornes très longues et se battent entre elles. La pneumonie est omniprésente en raison de l'insalubrité des locaux. Quand j'entre dans une étable et que je vois 40 ou 60 jeunes veaux déshydratés, les yeux au fond de la tête, tous atteints de pneumonie, je peux les traiter. Je leur fais une piqûre et je montre aux fermiers comment faire. Le lendemain, j'insiste pour que ce soit eux qui le fassent. Ensuite, ils peuvent le faire eux-mêmes parce que je leur laisse les produits. Croyez-le ou non, il y a un soi-disant vétérinaire dans chaque ferme, et il n'a pas la moindre seringue, sans parler des médicaments. En Russie, il y a environ 39 millions de vaches laitières. Au Canada, nous en avons environ 750 000. Avec ces 750 000 va ches, nous produisons plus de deux fois plus de lait qu'eux avec 39 millions de vaches. C'est une statistique choquante. Mon travail là-bas consiste entre autre à noter leur production de lait et à leur apprendre à améliorer cette production. À elle seule, la mammite réduit de 70 p. 100 la production d'une vache. La mammite, c'est l'inflammation du système mammaire. Le lait de mammite n'est pas buvable, il n'a même pas le goût de lait. Quand je vais là-bas, je ne bois pas une goutte de lait avant d'être revenu au Canada. Ils font une variété de fromage blanc à pâte molle très aigre, mais on ne peut jamais boire le lait. Ils n'ont pas de lait liquide là-bas. Sur cette diapositive, vous avez une carte de l'Ukraine. Le Canada est 16 fois plus grand que l'Ukraine. L'Ukraine s'étend de la frontière avec la Pologne à la frontière avec la Russie. J'ai travaillé partout en Ukraine. Ils ont une terre qui pourrait donner une excellente production, mais ils n'ont aucun plan de conservation de leurs graines. Quand ils plantent au printemps, ils n'ont pas assez de semence. Ils manquent de carburant tous les jours. Les raffineries produisent un carburant mal raffiné qui a un effet dévastateur sur les moteurs de tracteurs. Tous les jours, vous pouvez voir 10 tracteurs dans les champs qui ne fonctionnent plus. Sur la diapositive suivante, voici la Place rouge et la Cathédrale Saint-Basile. Sur cette diapo, vous voyez le bâtiment du plan, qui est l'édifice du gouvernement pour toutes les affaires du pays. C'est là qu'on décide de tous les plans pour tout ce qui bouge dans tout le pays. C'est là qu'on prend des décisions concernant des fermes qui peuvent être à 2 000 milles de distance. On affecte à la planification agricole un jeune de 25 ans qui n'a jamais mis les pieds de sa vie dans une ferme. La Cathédrale Saint-Basile a été terminée en 1071. Staline a ordonné sa démolition en 1936. La population a été tellement choquée qu'elle a recueilli suffisamment d'argent pour soudoyer les ouvriers chargés de démolir l'église. Ils ont fait beaucoup de dégâts à l'intérieur, mais les gens ont emporté toutes les icônes, tous les tableaux précieux et les statues. Ils ont caché tout cela chez eux pendant 70 ans. Quand j'y suis allé la première fois, juste après l'effondrement du communisme, ils étaient en train de redécorer l'intérieur de la cathédrale avec toutes les icônes que les gens rapportaient. C'est un édifice absolument splendide, épous touflant. Sur la diapositive suivante, vous voyez la seule église catholique qui reste debout à Moscou. Il y en avait plus de 40, mais Staline, et ensuite Kroutchev les ont fait raser. Celle-ci est la seule qui reste. Je vais à la messe quand je suis à Moscou. Il y a une cathédrale à Kiev, en Ukraine, qui a été construite et terminée en 991. Elle a l'air flambant neuve. Nous allons passer aux diapositives sur les exploitations agricoles, mais avant cela, en voici tout de même une qui est intéressante. Je voulais vous la faire voir pour vous montrer qu'ils n'arrivent jamais à faire les choses correctement. Ceci, c'est une petite salle de bain dans un vieil hôtel décrépit où je logeais dans l'est de l'Ukraine. Si vous regardez bien, vous voyez le réservoir d'eau tout à fait à gauche, avec un tuyau noir qui en sort. Le petit clapet qui arrête l'eau était attaché avec un bout de cordon de plastique très dur et ne fermait pas. L'eau coulait à plein régime 24 heures par jour. Un jour, j'ai décidé de réparer cette installation, mais cela m'a pris une heure. Ils ont trouvé que c'était fantastique, mais ils n'auraient jamais pensé à le faire eux-mêmes. De toute façon, ils n'ont pas de tuyaux en fer, en cuivre ou en plastique. Ce qu'ils utilisent sur ce réservoir d'eau, c'est un tuyau hydraulique récupéré sur un vieux tracteur en panne depuis des années. Ce sont ces tuyaux qu'ils utilisent pour leur plomberie. Ils n'ont pas de colliers de durit, alors ils se servent d'un bout de fil de fer rouillé. Évidemment, ils n'arrivent pas à le serrer suffisamment et l'eau gicle 24 heures par jour. Quand on entre dans cette salle de bain, tout est trempé. Quand on veut se raser, on a besoin d'un miroir, et si vous regardez le mur, vous voyez une petite étagère avec un petit miroir derrière. Le problème, c'est que pour pouvoir vous servir de ce miroir, vous êtes obligé de garder un pied sur le sol et de mettre l'autre dans la baignoire, parce qu'ils avaient commencé par fixer le miroir sur le mur avant d'installer la baignoire, que personne n'avait réfléchi à l'avance à l'endroit où devait se trouver le miroir. Toutes ces vieilles petites maisons appartiennent au gouverne ment, et c'est là que logent les travailleurs agricoles. Il y a environ 140 travailleurs agricoles dans chaque exploitation agricole de 30 000 acres. S'ils ne travaillent pas, on les met à la porte. S'ils sont mis à la porte, ils n'ont nulle part où aller parce que personne ne possède sa maison. Ils sont logés dans ces maisons au bon plaisir des dirigeants, les apparatchiki. J'ai travaillé dans cette région. Ceci, ce sont les montagnes du Caucase. Il y a dans cette vallée des centaines de milliers d'acres de terre superbe. Je suis allé là-bas en 1993. J'en suis reparti fin décembre, et deux semaines après, la première guerre de Tchétchénie éclatait. La ville de Grozny a été littéralement rasée. Mon meilleur ami dans cette ferme a été tué durant cette guerre. Pour Staline, tout devait être grand et tout devait avoir la même taille. Toutes les exploitations agricoles ont un édifice administra tif et une administration. Le directeur de la ferme était probablement quelqu'un qui avait servi dans l'armée et à qui on donnait une récompense. Il n'était pas là parce qu'il s'y connaissait en agriculture, mais simplement parce qu'il avait servi dans l'armée. Aux côtés du directeur, il y a environ huit experts, responsables l'un des vaches, l'autre des veaux, un autre des machines, un autre des récoltes, et cetera. Ils ne mettent jamais les pieds sur la ferme ou dans une étable. Dans chacun de ces édifices administratifs, il y a une vingtaine de bureaux, avec une dizaine ou une douzaine de secrétaires, mais on n'y trouve toujours pas la moindre calculatrice, sans parler d'un ordinateur. Ils se servent d'un abaque. Vous devriez voir les femmes s'en servir. Ce sont des véritables expertes, elles font des additions, des multiplications, des soustractions et elles vous sortent des chiffres incroyables! Voici une petite station de télévision dans un petit village. Ils n'ont pas de réseaux, seulement des stations de télévision locales. Cette jeune fille savait que j'allais venir parce que je devais faire une entrevue. Elle a écrit des lettres pour six amis qu'elle avait ici en Ontario et m'a demandé de les poster à mon retour, ce que j'ai fait. Ce sont des gens très cultivés et très mélomanes. Voici une adorable école de musique qui a malheureusement fermé parce qu'il n'y avait pas d'argent. Voici un sanglier. Un de mes amis m'a demandé si je voulais l'accompagner à la chasse au sanglier, et je lui ai dit que j'en serais ravi. Le jour où nous devions y aller, j'étais incapable de bouger parce que je m'étais fait mal au dos en essayant de maîtriser des vaches pour leur faire des piqûres. Il a abattu ce sanglier de 800 livres, pas pour le plaisir de la chasse, mais pour sa viande. Il l'a remorqué avec le treuil d'un camion de l'armée à six roues motrices, nettoyé et partagé avec toute la population du village. Ils ont un sens du partage et de la générosité extraordinaire, et je les admire pour cela. Voici les défenses de ce sanglier. Je les ai chez moi. Ils ont de nombreux musées de la guerre, et une peur panique de la guerre. Ils n'arrêtent pas de me demander si le Canada pourrait attaquer la Russie. Mais pourquoi ferions-nous une chose pareille? Nous nous sommes battus à leurs côtés dans deux guerres mondiales. Si on les attaquait, nous serions avec eux. Le sénateur Grafstein: Nous avons tout de même envahi la Russie en 1917. Nous faisions partie du contingent d'invasion. On ne peut pas dire que nous nous sommes toujours battus pour eux. Le sénateur Tunney: Voici une partie d'un musée, un monument aux morts. Si vous regardez de près, vous voyez des bombes qui tombent et des colombes. Les colombes représentent l'esprit des soldats qui s'envole. Durant la Deuxième Guerre mondiale, au début de 1943, lors de l'invasion allemande, la bataille a fait rage pendant trois jours sur une crête qui dominait la petite ville où j'ai séjourné. L'après-midi du troisième jour, les alliés, la Russie et l'Ukraine, se sont trouvés à court de munitions. Les Allemands sont arrivés et ont massacré un million de soldats russes et ukrainiens. Il y avait 1 000 chars de chaque côté. Le sénateur Grafstein: Où est-ce? Le sénateur Tunney: La crête que vous voyez sur cette diapositive est située au sud-est de Kharkov, là où il y a une petite ville appelée Izmiov. Les objets rouges sont des éclats d'obus; vous voyez la dispersion de ces éclats. Sur cette diapositive, on voit un cimetière où un million de soldats sont enterrés dans des fosses communes. C'est un cimetière européen typique. On les a laissés ériger des monu ments avec des photos des morts incrustées dans la pierre. Ils ont aussi construit ces petites barrières pour délimiter les sections. Sur la diapositive suivante, vous voyez une ferme. Les étables font 450 pieds de long et accueillent jusqu'à 250 vaches. Elles ont toutes été construites sous Staline dans les années 30 et n'ont jamais été modernisées. Les trayeuses sont depuis longtemps dans un état pathétique. Les vaches mangent ici des deux côtés. Les étables ont une grande porte à chaque extrémité, et les vaches traversent l'étable en mangeant des deux côtés. Cette grange a 60 ans. Les chevaux aussi ont l'air d'avoir 60 ans! Le travail s'effectue trois fois par jour, tout à la main. En plus, ce ne sont pas les hommes qui le font, ils sont au-dessus de ça. Ce sont les femmes qui font le travail. Les hommes boivent de la vodka et fument du matin au soir. Ils vont se balader en voiture et se rendent visite. Ce sont les femmes qui partent travailler dans les étables, quatre femmes par étable, à 4 heures du matin, et elles traient les vaches jusqu'à 9 heures du matin. Ensuite, les vaches vont se nourrir. À quatre heures de l'après-midi, les femmes reviennent les traire. À neuf heures, elles sont prêtes à rentrer dans leur petite maison. Elles font cela sept jours par semaine sans jamais être payées. Sur cette diapo, vous voyez les vaches avec leurs longues cornes. Quand on les laisse sortir, elles se battent. Au début, elles jouent, puis elles s'énervent et elles se mettent à se battre et elles se déchirent les flancs avec ces grandes cornes pointues. Sur cette diapo, vous voyez le groupe habituel de quatre femmes qui traient les vaches. Sur la diapositive suivante, vous voyez que les vaches sont tellement sales qu'on ne peut vraiment pas les traire. Les conditions sanitaires sont épouvantables. Ici, vous voyez l'intérieur d'une étable. Cet homme à gauche, c'est mon ami qui a été tué durant la guerre en 1993. Sur cette diapositive, vous voyez les femmes qui donnent à manger aux vaches avec des seaux qui servaient à transporter le fumier. Elles s'en servent maintenant pour transporter le grain et le fourrage. Les vaches se nourrissent des deux côtés. Voici des paysannes typiques dans une ferme. Je les rencontrais tous les matins. J'allais leur serrer la main et leur dire quelques mots en russe qu'elles pouvaient comprendre, et un jour je les ai prises en photo. Elles ont cru qu'elles étaient mortes et arrivées directement au paradis. C'était la première fois de leur vie qu'on les prenait en photo, elles me l'ont dit. Elles étaient aux anges, et évidemment je leur ai laissé les photos. Sur cette diapositive, vous voyez une étable avec une soixantaine de génisses. Quand je suis arrivé, elles étaient toutes à l'article de la mort, et il y avait déjà plusieurs cadavres à l'extérieur. J'ai dit: «Ces veaux ont tous la pneumonie». Ils étaient complètement déshydratés et ils avaient les yeux révulsés. J'ai dit: «Je vais aller chercher mes médicaments dans la voiture». Je me suis rendu compte qu'ils ne comprenaient pas ce que je disais. Je leur ai dit: «Il faut que j'aille chercher mes antibiotiques», et ils ont alors immédiatement compris, parce que le mot antibiotiques se prononce de la même façon en russe. Ce matin-là, j'ai piqué une soixantaine de veaux. Le lendemain matin, j'ai dit: «Il faut retourner leur faire une piqûre». Ils m'ont répondu: «Oh non, vous leur avez fait la piqûre hier, c'est très bien». Je leur ai répondu: «Mais ce que nous avons fait hier ne servira à rien si nous ne leur faisons pas une autre piqûre». Quand nous sommes entrés dans l'étable le troisième matin, tous ces veaux étaient sur pied en train de manger. Les Russes n'en croyaient pas leurs yeux car ils s'attendaient à ce que la moitié de ces veaux meurent. Sans cette piqûre d'antibiotique, ils seraient effectivement morts. Ils étaient à l'article de la mort. Ces agriculteurs n'avaient jamais eu d'antibiotiques auparavant, et le traitement a donc été d'autant plus efficace. Ce qui est lamentable, c'est que le gouvernement ne fait rien. Il ne s'intéresse pas à l'agriculture ni à ces gens-là. Au lieu de les aider, c'est plutôt leur ennemi. C'est dur à croire, mais c'est pourtant la vérité. Les gens du gouvernement, les fonctionnaires ou les représentants du peuple, ne semblent pas se préoccuper le moins du monde de ces pauvres gens. Cela ne les intéresse pas que ces fermes puissent devenir plus productives ou plus prospères. Ces deux gars-là sont venus dans ma ferme. Ils venaient de l'est de l'Ukraine. Ils avaient 10,000 porcs dans leur exploitation. À Moscou, on a donné l'ordre de porter ce nombre à 100 000. Quand je suis allé là-bas six mois plus tard, en février, ils avaient porté le nombre de porcs à 100 000, comme on le leur avait ordonné. Durant mon séjour, il y a eu une épidémie de choléra du porc, et 70 000 bêtes sont mortes. Ils en avaient fait venir de partout dans le pays, et il suffit d'un seul porc pour infecter tout le troupeau. Les fermiers ne savaient même pas ce que c'était que le choléra du porc. Ici, c'est moi en train d'écorner un veau. J'emporte toujours avec moi ces petits appareils à décorner, qui ne coûtent rien et qui sont très pratiques. J'écorne les veaux quand leurs cornes font tout au plus un pouce de long. J'étire leurs petites artères pour arrêter l'hémorragie, je mets un peu de poudre cautérisante sur la blessure et le lendemain il n'y paraît même plus. Une fois qu'un veau est écorné, sa corne ne repousse plus jamais. Les fermiers là-bas trouvent cela extraordinaire. Ils n'avaient jamais vu d'appareils à décorner auparavant. Le sénateur Graham: Comment pouvez-vous faire entrer ces appareils à décorner là-bas, sénateur Tunney? Le sénateur Tunney: J'ai obtenu une autorisation spéciale des Douanes, de Santé Canada et d'Agriculture Canada pour les emporter là-bas. Les Douanes préviennent les autorités qui savent alors que j'apporte ces ustensiles. Le sénateur Graham: C'est la même chose pour les antibiotiques? Le sénateur Tunney: Effectivement. On ne m'a jamais embêté pour cela. Sur la diapositive suivante, je teste le lait d'une vache. Sur le plateau, il y a quatre soucoupes. Je prends du lait de chaque pis de la vache, j'y ajoute un agent réactif, qui est un liquide pourpre, je mélange et je vois immédiatement si c'est du lait de mammite. S'il y a une mammite, j'applique un traitement intramammaire. J'introduis le produit dans le pis que je masse pour activer le traitement, et en quatre ou cinq jours la mammite a disparu. Un mois après, la vache donne quatre fois plus de lait qu'avant son traitement. Lorsque je réussis à convaincre les fermiers de moissonner leur foin en juin, quand il contient 18 p. 100 de protéines, plutôt qu'en août, où il n'y a plus que 4 p. 100 de protéines, cela leur permet de quadrupler leur production. J'insiste pour qu'on m'envoie les rapports de chacun des endroits où je suis allé pour évaluer les résultats. S'il n'y a pas d'amélioration, je n'y retourne pas. S'ils essaient de faire ce que je leur dis de faire, ils sont toujours stupéfaits du résultat. Une autre grande faiblesse, c'est la façon dont ils traient les vaches. Ce sont les femmes qui le font, et on ne leur apprend jamais les bonnes techniques à utiliser. Si une vache donne 36 livres de lait à chaque traite ici au Canada, on lui met la trayeuse pendant deux minutes et demie, trois et demie au maximum, et cela suffit pour extraire jusqu'à la dernière goutte. Dès que tout le lait est sorti, il faut enlever la trayeuse, sinon l'aspiration va provoquer une mammite. Les femmes russes laissent la trayeuse sous une vache pendant 15 minutes alors qu'elle ne donne que deux livres de lait. Je suis allé dans une ferme de l'ouest de l'Ukraine où les femmes trayaient les vaches trois fois par jour. On le fait aussi dans certaines de nos fermes, mais ce sont des fermes où les vaches donnent plus de 100 livres de lait par jour. Nous avons dans cette province des vaches qui donnent 140 livres de lait par jour. Les femmes laissent les trayeuses sur ces vaches pendant une éternité. J'ai demandé à un directeur combien de fois on trayait les vaches, et il m'a répondu trois fois par jour. Je n'ai pas pu m'empêcher de rire. Il m'a regardé et il m'a dit: j'imagine que vous ne pensiez que deux fois par jour, ce serait bien suffisant. Je lui ai répondu que, vu ce que produisaient ses vaches, deux fois par semaine, ce serait bien suffisant. Ce même homme m'a raconté une histoire dramatique que je vais vous narrer. J'étais dans cette ferme dont nous parlons, et j'ai demandé à voir les vaches, les étables et le matériel de traite, et j'ai dit que j'aimerais bien faire un tour de l'exploitation. Nous avons fait tout cela, et il m'a emmené voir une petite église assez récente. Il m'a raconté l'histoire de cette église. En 1957, Khrouchtchev avait ordonné au détachement local de l'armée russe de démolir toutes les églises et d'anéantir toute manifesta tion de pratique religieuse quelle qu'elle soit. Les soldats sont venus et ont rasé l'église. Le commandant de l'unité a ensuite obtenu un congé pour rentrer à Moscou, où sa femme venait d'accoucher. Le bébé était aveugle, et le commandant s'est immédiatement dit que c'était le châtiment pour ce qu'il avait fait dans l'ouest de l'Ukraine. Il est reparti dans cette région, il est retourné à cet endroit précis et il a ordonné à ses soldats de reconstruire une église. Il est ensuite reparti à Moscou lors de son congé suivant, et le bébé avait retrouvé la vue. Le fermier avait les yeux pleins de larmes quand il m'a raconté cette histoire. Nous sommes allés dîner un jour dans une ancienne porcherie qui avait été transformée en restaurant. Il y avait là deux femmes qui préparaient notre repas. L'une d'entre elles nous a apporté à chacun une bouteille de 26 onces de vodka. C'est l'apéritif habituel. On vous remplit un verre de vodka. Je ne bois pas particulièrement de vodka, mais aussitôt que j'en buvais une goutte, elles me remplissaient à nouveau mon verre. Une de ces femmes m'a dit qu'elle n'aurait pas d'objection à revenir avec moi au Canada. Je lui ai dit que ce serait peut-être une bonne idée, mais que je n'étais pas sûr qu'elle s'entendrait très bien avec ma femme! Ces vaches que vous voyez sur cette diapositive appartiennent à une race probablement vieille de 1 000 ans. C'est la race dite «Steppe rouge», et ce sont des bêtes qui ne sont bonnes ni pour le lait, ni pour la viande. Une grande partie des exploitations sont à cours de fourrage au milieu de l'hiver. Elles peuvent avoir jusqu'à 800 têtes de bétail. On abat toutes les bêtes, parce qu'il n'y a pas d'autres choix. Le sénateur Graham: J'ai une question à ce sujet. Quelle est la superficie d'une exploitation où l'on trouve ces 800 vaches? Le sénateur Tunney: Trente mille acres. C'est la taille standard et le nombre standard de têtes de bétail. Le sénateur Corbin: Sénateur Tunney, que sont devenues les Holstein du Canada qu'on avait envoyées là-bas pour améliorer la race? Le sénateur Tunney: C'est une bonne question, au sujet de laquelle je devrais toujours dire quelques mots. Je me souviens de ces Holstein pure race qu'on envoyait par avions entiers du Québec, de l'Ontario et des Maritimes en Russie. Comme je viens de vous le dire, il arrive régulièrement qu'ils soient à court de fourrage au milieu de l'hiver. Ils ne peuvent pas en acheter ailleurs, parce que personne n'en vend ou n'en achète, alors ils ont abattu ces Holstein pure race. Nous ne faisons plus ce genre de chose. Ce que nous faisons, en revanche, de façon très dynamique, c'est vendre des embryons et du sperme de taureau. On obtient des métissages exceptionnellement bons, parce qu'ils partent de Holstein pures. Avec deux ou trois générations de Holstein, la race s'améliore. Il y a des fermes où cela marche extrêmement bien. Les Russes n'ont qu'un seul et unique modèle de tracteur. Ces tracteurs sont fabriqués dans une usine à Minsk, au Bélarus, qui emploie 40 000 ouvriers. Les procédés et les modes de fabrication sont invraisemblables. Ils fabriquent la moindre des pièces utilisées pour fabriquer toutes leurs machines, que ce soit des moissonneuses, des tracteurs, des camions ou autre chose. C'est comme cela. Ils fabriquent tout, du châssis au moindre des instruments, dans la même usine. Mais tout cela ne marche pas. Il y avait un pauvre gars qui restait du matin au soir à côté de cette machine. On l'avait envoyé là pour faire réparer le moteur diesel d'un engin à chenilles, mais il ne démarrait pas parce qu'il faisait un froid épouvantable. Mais comme on l'avait envoyé là pour faire ce travail, il y restait de 7 heures du matin jusqu'à la tombée de la nuit. Il ne pouvait pas retourner dire que cette satanée mécanique ne voulait pas démarrer et qu'il n'avait pas envie de continuer à perdre son temps à essayer. Il restait là parce que c'était ce qu'on lui avait dit de faire. Il y avait toute une collection de vieux tracteurs hors d'usage. Quelqu'un avait trouvé de la peinture bleue et avait peint tous ces tracteurs en bleu. Ils s'imaginaient qu'ils allaient les vendre à l'Arabie saoudite. Les Saoudiens n'étaient pas si bêtes, et les tracteurs sont restés là pendant des années. Je suis sûr qu'ils y sont toujours. Ce sont tous des tracteurs à quatre roues motrices, mais je n'en ai jamais vu un seul avec les arbres de transmission avant. Ils transforment ces engins à quatre roues motrices en deux roues motrices parce qu'on ne fabrique jamais de pièces détachées. Impossible de trouver un roulement, un joint d'étan chéité, un cardan, un joint hydraulique ou n'importe quoi. Alors, ils parquent ces engins et plus personne ne s'en occupe. Ils restent là indéfiniment. Il y a une autre ferme en Russie où ils fabriquent leurs propres moissonneuses-batteuses; il y en a 15. Ce sont des DON1500. Sur les 15, il n'y en a que deux qui fonctionnent. Ils avaient passé plusieurs années à démonter des pièces des autres pour faire marcher ces deux-là. C'est comme cela qu'ils se débrouillent. Il y avait un grand tas de moteurs électriques où ils espéraient trouver des roulements et des joints d'étanchéité pour leurs machines; mais ce n'est jamais, jamais le bon. La misère est telle dans ces exploitations agricoles que tous les jours le directeur fait des démarches pour essayer de trouver de quoi s'en sortir pour la journée. Il supplie le gouvernement ou le directeur régional ou tous ceux qui sont susceptibles de lui apporter une aide quelconque. Le sénateur Grafstein: En parlant avec le sénateur Tunney avant cette réunion, je trouvais que la situation agricole de l'Ukraine et de la Russie me rappelait exactement celle de la Chine. Je parle des régions les plus pauvres avant la révolution agricole. Si vous allez en Chine aujourd'hui, vous pourrez voir des régions très pauvres comme la province de Szechuan où il y a des dizaines de millions de personnes. C'est là qu'ils ont fait toutes leurs expériences. Les Chinois ont appliqué un modèle brillant qui a permis aux agriculteurs non seulement d'améliorer l'agriculture de subsistance mais aussi de se créer un capital. Ces collectifs, en plein coeur de la Chine, ont complètement transformé la viabilité des exploitations agricoles. L'objectif du gouvernement, qui était de maintenir ces importantes populations dans les exploitations agricoles, et d'éviter un exode rural, a été atteint. Ils ont appliqué un principe intitulé: Foyer de responsabilité sociale, qui était très simple, mais positivement brillant. En vertu de ce système, on versait à chaque ferme collective un montant fixe pour sa production. On déterminait que chaque exploitation devait produire une quantité donnée de tel ou tel produit pour l'État. Le prix était fixe. Il pouvait s'agir de lait, de poulets, de riz, et cetera. Ils ont établi les taux fixes d'achat par le gouvernement. Tout ce que les paysans produisaient en plus de ces contingents ils pouvaient le vendre sur le marché libre. Dans les régions les plus productives, la population s'est très rapidement enrichie. Ils sont finalement passés d'une agriculture de subsistance à une agriculture concurrentielle. Avec l'excédent de recettes qu'ils avaient ainsi gagné, ils ont commencé à monter de petites entreprises manufacturières dans ces fermes. La dernière fois que je suis allé en Chine, j'ai constaté que les plus grosses entreprises étaient des fabriques de briques, parce que partout on avait remplacé les maisons de terre par des maisons en briques toutes équipées avec l'électricité. Le niveau d'éducation est élevé en Ukraine et il y a des ingénieurs, des savants, et cetera. Comment se fait-il qu'ils n'aient pas été capables de se servir de leurs compétences de base, qui sont supérieures à celles que j'ai constatées en Chine, pour arriver à organiser un régime de subsistance locale? Ils ont des régions agricoles d'une richesse incroyable. Quelqu'un disait que la matière première en Ukraine est la plus riche au monde et qu'elle a toujours été parmi les meilleures au monde. Qu'est-ce qui ne va pas là-bas, et comment le Canada peut-il aider à rectifier le problème? Nous avons eu les mêmes problèmes avec la gestion de l'offre, mais nous avons fait deux choses: nous avons mis sur pied des régimes gouvernementaux et nous avons créé des centres de spécialisation agricole, pas seulement des centres d'excellence dans le contexte des gouvernements provinciaux et fédéral, mais aussi des collèges d'agriculture. Le sénateur Tunney: Je sais. En Chine, il y avait un système de régimentation qui obligeait tout le monde à avancer. La Russie et l'Ukraine se portaient beaucoup mieux sous le régime communiste que depuis. C'est parce que quand le KGB a été démantelé, on n'a rien mis d'autre à sa place. La mafia a débarqué partout, et c'est la mafia qui contrôle l'économie et le système politique, c'est clair. Lisez le Globe and Mail de ces derniers jours et vous verrez ce qui se passe à Kiev, en Ukraine, où l'on accuse M. Koutchma d'avoir fait assassiner ce journaliste. Ils ont renvoyé le premier ministre, M. Yushchenko. C'est un solide réformateur de formation occidentale qui va se présenter contre Koutchma à l'automne prochain. Voilà la différence. L'Ukraine ne peut pas avancer. Je ne m'intéresse pas du tout au régime politique là-bas, parce que je ne pourrai jamais y changer quoi que ce soit. En revanche, nous pouvons peut-être contribuer à améliorer l'économie rurale et l'agriculture. Ce serait peut-être une façon de faire comprendre aux politiciens qu'il faut s'attaquer à ce problème et faire quelque chose d'utile. Le président: J'ai une question du même ordre. À votre avis, y a-t-il une différence entre l'Ukraine et la Russie? Après tout, ce sont deux pays différents. L'agriculture est manifestement un fiasco dans ces deux pays, mais est-ce que c'est pire en Ukraine ou en Russie? Le sénateur Tunney: Vous pouvez passer de l'une à l'autre sans voir la moindre différence. J'ai vu dans l'ouest de l'Ukraine 80 hommes qui fauchaient un champ de foin de 100 acres avec des faux. Vous savez à peu près tous à quoi ressemble une faux. Leurs machines, leurs faucheuses, leurs moissonneuses, sont hors d'état depuis longtemps et ils se servent simplement de faux. Ces faux ont perdu depuis longtemps leur manche en bois incurvé, alors ils se contentent de couper un petit arbre à peu près gros comme ceci qu'ils attachent avec un fil de fer à la lame de la faux en guise de manche. Il y avait 40 hommes qui étaient là du matin au soir à manier la faux. Le président: Vous allez là-bas depuis huit ou dix ans. Est-ce que la situation est toujours la même qu'au début? S'est-elle un peu améliorée ou pas du tout? Le sénateur Tunney: Dans certaines régions, il y a un peu de progrès, mais ailleurs les choses se sont au contraire détériorées encore plus, à cause du problème de la devise. À une époque, quand j'étais là, l'inflation était de 240 p. 100. La devise s'est effondrée en 1996. J'étais là-bas juste avant et juste après. Le rouble s'est effondré, tellement que le pays s'est trouvé en faillite, mais personne ne l'a dit. À une époque, la Russie à elle seule devait 4 billions de dollars au Fonds monétaire international, et ce montant augmentait constamment. À la même époque, l'Ukraine devait 250 milliards de dollars à la Russie, parce que l'Ukraine n'avait pas de pétrole ni de gaz. C'est la Russie qui a tout. C'est à cause de cela qu'il y a cette guerre en Tchétchénie. Les malheureux qui vivent dans une misère noire ne profitent absolument pas de la richesse générée par le pétrole et le gaz qu'il y a là-bas. Il y a maintenant un pipeline qui va jusqu'en Italie et qui sert à vendre du pétrole à toute l'Europe de l'Ouest, mais l'Ukraine est obligée d'acheter son pétrole à la Russie. Elle est pénalisée parce qu'elle a quitté la fédération. La Russie la rançonne parce que l'Ukraine est obligée de lui acheter son pétrole. Le président: J'aimerais dans la mesure du possible que nous nous concentrions sur le secteur agricole, parce que c'est cela que nous sommes censés examiner. Le sénateur Graham: Sénateur Tunney, ceci est absolument fascinant. Si vous avez autre chose à nous raconter, nous devrions peut-être vous inviter à revenir discuter avec nous. Sénateur Tunney, je suis sûr qu'on va vous passer et vous repasser sur CPAC. Le sénateur Tunney: Je pourrais revenir parler avec vous pendant deux fois plus longtemps sans répéter une seule fois la même chose. Le sénateur Graham: Ma question vient prolonger celle du président au sujet des similitudes entre l'Ukraine et la Russie. Je crois que vous avez fait une distinction, en parlant des milles et des milles de terre noire en Ukraine. Est-ce qu'on retrouve aussi en Russie cette terre noire de l'Ukraine dont vous parlez? Le sénateur Tunney: C'est presque la même chose dans la plupart des régions de la Russie. Ce n'est pas la même image qu'en Ukraine, parce que cette terre arable se présente plutôt sous forme de gigantesques poches, alors qu'en Ukraine elle s'étend d'un bout à l'autre du pays. Le président: Il y a de la terre végétale en abondance. Nous avons tous entendu parler de cette couche de terre végétale de six pieds d'épaisseur en Ukraine. Est-ce que c'est la même chose aussi dans une bonne partie de la Russie? Le sénateur Tunney: Oui. Le sénateur Graham: Vous dites qu'il y a 39 millions de vaches laitières qui donnent de quatre à six livres de lait par jour. Le sénateur Tunney: De quatre à six livres. Le sénateur Graham: C'est cela, et on les trait deux ou trois fois par jour, alors que les vaches canadiennes produisent en moyenne de 75 à 80 livres par jour. Si on envoyait un million de Jim Tunney en Russie, avec tous les antibiotiques nécessaires, pourraient-ils redresser la situation avec le cheptel actuel, ou faudrait-il introduire une toute nouvelle race de Holstein ou une autre race quelconque dans ce pays? Peut-on améliorer le cheptel actuellement existant et porter sa production à un niveau comparable à celui de la nôtre au Canada? Le sénateur Tunney: Il faudrait faire plusieurs choses en même temps. Les étables sont passables, même si elles ont 70 ans. Les trayeuses sont hors d'état depuis longtemps, il faut les remplacer. Cela ne coûte pas très cher. Il faut aussi mettre en place des installations de réfrigération adéquates pour réfrigérer le lait. Le lait devient malté au bout de quatre heures s'il n'est pas réfrigéré et agité. Il y a donc tout ce travail, il faudrait planifier tout cela. On pourrait inséminer les vaches qu'ils ont avec du sperme de taureau. On pourrait aller beaucoup plus vite, en une seule génération, en leur vendant des embryons. Vous connaissez le processus. On purge une vache pure race et on mélange ses ovules avec le sperme d'un taureau pure race. On implante le mélange dans une vache hôte, une de ces vaches bonnes à rien, et on obtient un veau Holstein pure race. La technologie actuelle permet déjà de déterminer si l'on aura une génisse ou un taureau. Évidemment, si on veut accroître le troupeau, on choisit des femelles. C'est une façon très rapide de faire les choses. En neuf mois, on a un veau. En 22 à 24 mois, cette génisse Holstein va avoir son propre veau et commencera à produire. Le sénateur Graham: Combien de personnes y a-t-il dans l'agriculture en Russie? Le sénateur Tunney: En pourcentage, il paraît que c'est environ 60 p. 100 de la population, mais certaines estimations vont de 50 à 75 p. 100. Le sénateur Graham: La production alimentaire permet-elle au pays de s'autosuffire? Le sénateur Tunney: Nous leur vendons pour 60 millions de dollars de blé des Prairies chaque année. Ce blé passe 24 heures par jour à côté de mon exploitation actuellement. Ni la Russie, ni l'Ukraine ne peuvent se nourrir. Elles nous achètent notre grain depuis des années. Le sénateur Prud'homme: Et pourtant, elles pourraient. Le sénateur Tunney: Oui, certainement. Elles pourraient vendre des céréales à tous nos autres clients dans le monde. Elles pourraient nourrir le monde entier, c'est absolument certain. Le président: C'est un fiasco colossal aussi bien en Russie qu'en Ukraine. C'est vraiment intéressant que la situation soit identique dans les deux pays. On a souvent entendu dire que l'Ukraine était un énorme producteur de céréales avant la Première Guerre mondiale. S'ils réussissent à s'organiser, vont-ils devenir un énorme concurrent pour nous? Le sénateur Tunney: Je trouve fascinant que vous me posiez cette question. Notre situation serait tellement meilleure s'ils étaient notre concurrent. Ils me disent: «Si vous nous aidez à produire autant que nous le devrions, cela va vous nuire». Mais pas du tout. J'allais le dire en conclusion de mon exposé, mais puisque vous abordez la question, je vais vous le dire maintenant. Si nous pouvions aider la Russie et l'Ukraine à redresser leur économie et à la gérer comme elle devrait l'être, ces deux pays deviendraient nos meilleurs partenaires commerciaux et notre meilleur client pendant des années. Nous avons plus d'un million d'Ukrainiens au Canada, ce qui nous assure d'un profond lien traditionnel avec l'Ukraine. Il y a énormément de Russes au Canada, surtout dans les Prairies et dans l'Ouest. La plupart d'entre eux sont des agriculteurs. Ce sont aussi des gens éduqués. Ils détestent de tout coeur les Américains. À chaque fois que je vais là-bas, on me demande si je suis Canadien ou Américain. Si on est Américain, on n'est pas tellement bien accueilli. Je leur demande pourquoi. Ils me disent que quand les Canadiens viennent faire du travail bénévole, ils leur apportent plus d'aide qu'ils ne pouvaient l'imaginer, mais que quand ce sont les Américains qui y vont, ils reprennent de petites entreprises, aident à les gérer pendant cinq ans, en tirent tout ce qu'il y a à en tirer et repartent chez eux. Ils se retrouvent dans une situation encore pire après le départ des Américains qu'avant. Ils comprennent la mentalité américaine. Si nous pouvions les aider à amener leur économie à un niveau décent, ils seraient nos meilleurs partenaires commerciaux pour au moins 50 ans. Naturellement, je ne verrai jamais cela, mais cela ne m'empêche pas de dormir. Ils me demandent pourquoi je vais là-bas. Je leur dis que nous pourrions être les meilleurs partenaires commerciaux au monde. Ils me disent qu'ils aimeraient bien cela. Ce serait incroyablement facile d'établir des relations commerciales avec eux. Le Canada leur donne une ligne de crédit de 100 millions de dollars pour acheter du blé occidental. Ils sont régulièrement à découvert. Parfois, nous devons bloquer un navire à Montréal ou à Vancouver jusqu'à ce qu'ils trouvent l'argent pour faire un versement. Avec l'amélioration des communications de nos jours, ils commencent à se rendre compte de tout ce qu'ils n'ont pas eu et à comprendre pourquoi. Ils commencent à comprendre comment nous avons réussi à devenir aussi riches ici. Le sénateur Bolduc: Vous avez parlé de la vision qu'ils ont des Américains et des Canadiens. Comment voient-ils les Européens? Est-ce qu'ils parlent des Polonais, des Allemands et des Français? Le sénateur Tunney: J'ai entendu des tas d'histoires et j'ai eu des expériences personnelles à ce sujet. Les Pays-Bas et l'Allemagne ont mené des programmes extrêmement dynamiques là-bas, mais ils se sont découragés. Ils ont abandonné parce que cela leur coûtait beaucoup plus cher que ce qu'ils étaient prêts à payer. Ils n'ont jamais pu envisager un bénéfice potentiel à long terme. Ils ont plié bagages et sont rentrés chez eux. Le sénateur Corbin: Sénateur Tunney, vous dites toujours: «ils». Vous nous avez surtout parlé des exploitants de ces anciennes fermes collectives. Avez-vous eu l'occasion de discuter avec des gestionnaires ou des bureaucrates? Avez-vous senti une volonté quelconque de changer les choses? Le sénateur Tunney: Ils en ont bien l'intention, et ils espèrent vraiment que la situation va évoluer. À chaque fois que je vais dans une de ces régions, on m'invite au bureau régional de l'administration. Ils ont un ministre régional de l'agriculture qui a tout un groupe de collaborateurs qui travaillent pour lui. On m'invite toujours à prendre la parole à des séances comme celle-ci. On me demande de parler de ce que je vois là-bas et des possibilités que j'entrevois. Ils sont bloqués parce que Moscou n'a aucune envie de coopérer, de les aider ou de les financer. Leur situation les désespère autant que moi. Pourtant, si j'étais plus jeune, j'irais volontiers passer le reste de ma vie en Russie ou en Ukraine. C'est un défi et une récompense extraordinaire à la fois. Il n'y a pas de récompense financière, naturellement, mais ce n'est pas cela qui m'intéresse. La récompense, c'est ce qu'on réussit à accomplir. Quand la situation est aussi pathétique, il ne faut pas grand-chose pour l'améliorer. Le sénateur Grafstein: Nous sommes à la recherche de directives politiques à l'intention de notre gouvernement. Notre mission consiste en partie à examiner l'Ukraine et la Russie d'un oeil critique et à présenter des recommandations politiques en vue d'encourager les relations commerciales et économiques avec ces pays. À ce propos, ces gigantesques exploitations agricoles d'environ 28 000 acres ont une gestion centrale et sont des sortes de mini-sociétés agroindustrielles, même si les gens n'ont aucune idée de ce qu'est une société agroindustrielle. Qu'est-ce qui empêcherait de jeunes agriculteurs canadiens qui ont une capacité excédentaire de monter des coentreprises avec deux ou trois de ces grandes fermes? Cela supposerait naturellement qu'ils trouvent un financement auprès des intermédiaires financiers appropriés d'Europe et d'Amérique du Nord. Ces institutions sont là pour encourager le développement économique dans ces régions agricoles. Qu'est-ce qui nous empêcherait d'encourager ou de recommander des coentreprises pour nos agriculteurs canadiens qui ont un excédent de temps et de capacité? Le sénateur Tunney: Je suis très heureux de répondre à cette question. Nos jeunes agriculteurs canadiens n'ont pas les moyens financiers de faire ce qu'ils auraient envie de faire et ce que vous venez de suggérer. Moi, je peux le faire en raison de mon âge, de ma situation financière et de ma volonté. Nous aurions besoin de plus d'agriculteurs comme cela. On n'a pas besoin de beaucoup de personnes, et une fois qu'on a formé les bonnes personnes, on a des gens excellents. C'est la race la plus futée que j'aie jamais rencontrée dans ma vie, ils sont beaucoup plus brillants que je ne le suis. En plus, ils sont beaucoup plus instruits que moi. Je n'ai jamais rencontré là-bas quelqu'un qui était aussi peu instruit que moi. Le sénateur Bolduc: Vous voulez parler de l'éducation scolaire. Le sénateur Tunney: Je n'ai jamais mis les pieds dans une école secondaire. À 14 ans, je travaillais à la ferme. J'ai arrêté l'école en 8e année. Pour eux, l'éducation est très importante. Le problème, c'est qu'il n'y a pas d'emplois dans l'économie pour ces 550 jeunes étudiants passionnés, avides de travailler et brillants. Ils obtien nent un diplôme en sciences laitières dans un collège agricole, mais ils n'ont pas de travail parce que les usines et les entreprises de transformation sont fermées ou ne fonctionnent qu'un jour par semaine. Ils n'ont aucun avenir. Ils ne partent pas en ville. Il vaut mieux éviter la ville parce que là-bas on n'a même pas à manger. La ville, c'est le lieu de toutes les criminalités. À la campagne, on a l'avantage de pouvoir se nourrir et se loger gratuitement. Le président: Je ne sais pas si quelqu'un a une prérogative ici, mais je vais poser la dernière question et ensuite nous lèverons la séance. Le sénateur Graham: Une simple question. On l'a peut-être posée avant que j'arrive, mais pour le compte rendu, le sénateur Tunney pourrait-il nous expliquer, s'il ne l'a pas déjà fait, comment il en est venu à s'intéresser à la Russie et à l'Ukraine? Le président: Il ne l'a pas fait, et c'est une excellente question. Le sénateur Tunney: C'est ma faute si je ne vous l'ai pas dit au début, car on me pose toujours la question. Je vais vous expliquer. J'ai toujours été bénévole. J'aime le bénévolat, et j'ai des amis qui y ont pris goût aussi. L'un d'entre eux était Glen Flaten, un agriculteur du sud de Regina, qui était président de la Fédération canadienne de l'agriculture et aussi président de la Fédération internationale des producteurs agricoles. Les Affaires étrangères ont demandé à la Fédération canadien ne de l'agriculture de coordonner un programme intitulé: Programme de développement agricole de la Russie et de l'Ukraine. Il était entendu que tous les participants seraient des bénévoles. Glen Flaten m'a téléphoné d'Ottawa tard un soir d'août 1993 pour me demander si j'avais envie d'aller en Russie. Je lui ai dit que je voulais y réfléchir un peu et que je lui donnerais ma réponse. Il m'a dit qu'il espérait que j'allais accepter. Je l'ai rappelé après en avoir discuté avec ma femme. Elle m'avait dit qu'il fallait que j'y aille parce que les Russes avaient désespérément besoin d'aide. J'ai fait peut-être trois ou quatre séjours là-bas, en Russie et en Ukraine. À mon retour, il fallait que j'écrive un long rapport détaillé. Vous avez ces rapports dans votre classeur, il y en a quatre, je crois. Quand je suis revenu, on a reçu les réactions de là-bas et aux Affaires étrangères on a trouvé que cela avait tellement bien marché qu'on m'a proposé de continuer. J'ai répondu que j'étais d'accord pour continuer à retourner là-bas tant que je pourrais le faire, et c'est comme cela que tout est arrivé. Le sénateur Graham: Vous avez combien de vaches laitières dans votre propre ferme? Le sénateur Tunney: Trente-six à 40 vaches. J'ai de l'aide à la maison. J'ai toujours eu besoin d'être bien aidé parce que je m'occupais de toutes ces commissions bien avant de partir à l'étranger. Le président: La question évidente est de savoir si la situation va s'améliorer. Combien de temps va-t-il se passer à votre avis avant qu'elle s'améliore? J'imagine qu'il faudra tirer au clair la question de la propriété foncière. Il faudra déterminer à qui appartiennent les fermes. À votre avis, que va-t-il arriver? Le sénateur Tunney: L'éducation est vraiment le point de départ car ils n'ont aucune idée de la façon d'acheter, de vendre, de négocier ou de troquer quoi que ce soit. Ils n'ont jamais eu de banques. Personne là-bas n'a de compte en banque. À 12 ans, j'achetais et je vendais des biens et du bétail. Eux, à 50 ou 70 ans, ils n'ont jamais acheté la moindre chose. Ils ne savent pas comment faire. Ils ont peur de la libre entreprise. Quand Gorbatchev était ministre de l'agriculture, il a créé 50 000 entreprises agricoles privées. Le gouvernement a prêté de l'argent à ces jeunes à 8 p. 100, puis à 14 p. 100 l'année suivante, et ensuite à 114 p. 100 la troisième année. Le ministère du Revenu n'a jamais su travailler avec les agriculteurs. Les gens du ministère s'imaginaient qu'ils s'étaient enrichis alors qu'au bout de deux ans, ils ont tous étés lessivés. Jamais ils n'accepteraient de se lancer de nouveau dans une telle aventure. Ils ont été terrifiés. Le président: Il faudra bien que quelque chose arrive. Le sénateur Tunney: Oui, cela viendra. Je m'inquiète. C'est la quarantième fois que je fais cet exposé. À chaque fois que je le termine, je demande aux gens du Rotary Club ou du groupe confessionnel ou de la classe auxquels je m'adresse s'ils croient dans ce que je fais. S'ils me disent qu'ils croient que le Canada devrait et pourrait faire ce genre de chose, je les supplie d'écrire à leur député et au premier ministre. J'ai eu des réponses du premier ministre, de députés et de ministres. C'est l'ACDI qui devrait être le fer de lance de cette action, mais il faut presque se mettre à genoux et les supplier et leur mentir pour que les responsables de l'ACDI acceptent de débloquer un peu d'argent pour ce genre de travail. Ce que je souhaiterais principalement, ce serait de créer là-bas une entreprise laitière moderne de style canadien et de m'en servir comme centre de formation des jeunes. J'aimerais attirer en particulier des jeunes intelligents et capables d'apprendre vite. Ce serait le point de départ, et ensuite ces jeunes repartiraient comme ils repartent ici de Guelph et de Kemptville, de New Liskeard et d'Alfred. Ils ont tout le bagage nécessaire pour commencer à travailler, ils sont intelligents, et avec les programmes informati ques, c'est un jeu d'enfants. Le président: Je tiens à vous remercier infiniment, sénateur Tunney. Cette séance a vraiment été fantastique, passionnante. Le comité va présenter des recommandations, et vous avez manifes tement abordé plusieurs points que nous pourrons reprendre dans ces recommandations. Cette réunion a été fascinante, et j'ai bien pris note de ce qu'a dit le sénateur Graham. Je ne sais pas si nous pourrons trouver un autre créneau, mais si c'est possible, nous le ferons. Le sénateur Bolduc: Quand nous rédigerons nos recommanda tions, il serait bon de demander le point de vue du sénateur. Le président: Parfaitement d'accord avec vous, sénateur Bolduc. La séance est levée.