Délibérations du comité sénatorial permanent
des affaires étrangères
Fascicule 10 - Témoignages
OTTAWA, le mercredi 9 mai 2001
Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères se réunit aujourd'hui à 15 h 45, afin d'examiner, pour en faire rapport, les faits nouveaux en matière de politique, de questions sociales, d'économie et de sécurité en Russie et en Ukraine, les politiques et les intérêts du Canada dans la région, ainsi que d'autres sujets connexes.
Le sénateur Peter A. Stollery (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président: Honorables sénateurs, le témoin que nous accueillons aujourd'hui est le professeur John Young, de l'Université Northern British Columbia. Je vous prie, monsieur Young, de nous livrer votre témoignage, que nous nous ferons un plaisir d'écouter.
M. John Young, professeur, Université Northern British Columbia: Monsieur le président, je me considère comme un enfant de la guerre froide. J'ai grandi en regardant des films de James Bond aux prises avec des Russes maléfiques qui cherchaient à compromettre le héros. J'ai été attiré par l'énigme que constituent la Russie et l'Union soviétique et j'ai voulu me renseigner à leur sujet. L'un des souvenirs les plus marquants de mon premier voyage en Union soviétique est l'énorme différence entre la ville de Moscou et les régions. Une différence au plan des normes de vie et du mode de vie et en termes de culture politique.
Depuis, mes travaux de recherche ont porté presque exclusivement sur les régions de la Russie, particulièrement sur les gouvernements locaux et municipaux. Mes travaux ont coïncidé avec l'effondrement de l'Union soviétique. À ce moment, les occasions de recherche à l'extérieur de Moscou se sont accrues. J'estimais que mes travaux de recherche étaient un test sur lequel tout reposait. Pour paraphraser un vieux dicton, le vent qui souffle fait bouger la cime des arbres de la forêt, mais non la base. Voilà une métaphore qui résume bien les changements politiques et les réformes qui ont cours en Russie. Je voulais savoir ce qui s'était passé avec les gouvernements municipaux et locaux à l'extérieur de Moscou.
Ma tâche consiste à vous parler des aspects régionaux et locaux de la Russie contemporaine. Je veux surtout insister sur l'héritage fortement autocratique, ou le pouvoir du système unitaire qui caractérise l'histoire de la Russie. Cet héritage autocratique a résisté au changement et il est bien connu. Je parlerai des conséquences de cette autocratie telle qu'on peut la constater en Russie aujourd'hui.
La solution de rechange à ce système unitaire ou d'autocratie est la smuta, c'est-à-dire la décentralisation du pouvoir et le chaos qui s'ensuit. Si vous connaissez les oeuvres cinématographiques du Japonais Akira Kurosawa ou si vous êtes sinologue et que vous connaissez l'histoire de la Chine, la notion de «ran» ou «luan», l'effondrement de l'autorité centrale et le chaos qui en découle, trouve son parallèle en Russie avec la notion de «smuta». Cet effondrement a toujours été suivi d'un nouveau mouvement de centralisation, une «monisty» - un système unique de pouvoir. Le cycle s'est répété comme le cycle d'une comète ayant une orbite irrégulière. Il est impossible de prévoir ce qui se produira, mais il semble que les choses se répètent continuellement. Au cours de la dernière décennie, nous avons assisté au quatrième cycle de l'évolution russe.
La question à l'étude aujourd'hui est de savoir si le président Poutine cherche actuellement à recentraliser le gouvernement de Russie dans la foulée du quatrième effondrement du pouvoir centralisé. Je ne suis pas particulièrement friand de la notion selon laquelle l'histoire se répète. Mark Twain a dit que si l'histoire ne se répète pas, elle offre assurément des ressemblances. J'aimerais insister sur les ressemblances qui se manifestent dans l'histoire.
J'aimerais vous parler brièvement de la relation entre le centre et la périphérie au cours des dix dernières années. Toutefois, par souci de brièveté, j'irai directement aux événements qui ont marqué la dernière année sous le gouvernement Poutine plutôt que de passer en revue les rapports centre-périphérie sous le régime Eltsine et l'effondrement. L'an dernier, M. Poutine a lancé un plan ambitieux pour renforcer l'État, ce qui a donné lieu à au moins cinq réformes du fédéralisme russe en région.
La première réforme mise en place par M. Poutine a été de créer sept districts fédéraux, chacun étant dirigé par une personne nommée par le président et relevant du chef de cabinet du président. Les 89 régions qui existaient au départ sont devenues sept districts comptant une douzaine de régions. Le président supervise les activités de diverses régions de la Russie.
Un second développement est la loi qui permet au président de destituer les gouverneurs et de dissoudre les législatures régionales qui contreviennent à la loi. Le président Poutine peut également destituer les personnes qui ne respectent pas la loi fédérale. Cette législation a été adoptée à une majorité écrasante par la Douma russe il y a un an.
La troisième initiative a marqué le processus budgétaire de la Fédération russe. La loi qui prévalait il y a deux ans garantissait aux régions au moins 50 p. 100 des recettes globales du budget consolidé de la Fédération russe. L'administration du président Poutine a ramené ce seuil bien en dessous des 40 p. 100, contrevenant ainsi à sa propre loi. Je ne crois pas qu'il se destitue lui-même. Il cherche plutôt à concentrer de nouveau les recettes au sein du gouvernement fédéral.
Le quatrième changement caractérise le Conseil de la fédération, qui est le Sénat russe. Jusqu'à maintenant, les gouverneurs des 89 régions de même que les présidents des 89 législatures étaient membres d'office du Conseil de la fédération. L'été dernier, la situation a changé. Depuis, les gouverneurs ne sont plus nommés d'office au Conseil. On nomme plutôt quelqu'un d'autre à leur place.
La cinquième réforme est la constitution du Conseil d'État qui, d'une certaine façon, remplace le fédéralisme exécutif qui caractérisait le Conseil de la fédération. Le Conseil d'État se réunit au moins une fois par trimestre. Quatre-vingt-huit gouverneurs se réunissent pour discuter des affaires de la Fédération russe. Ils sont 88 à se réunir parce que leader tchétchène est exclu.
Comment le président Poutine parvient-il à faire tous ces changements? Certains de ces changements faisaient peut-être partie du programme de M. Eltsine, son prédécesseur. La grande différence est que le président Poutine peut compter sur un support considérable au sein de la Douma russe, ce qui n'a jamais été le cas d'Eltsine. Le président Poutine jouit également de la faveur populaire, que le président Eltsine pouvait obtenir uniquement en période électorale.
Il y a diverses façons d'aborder ces changements. Permettez-moi d'abord de vous présenter un point de vue pessimiste: la Russie revient à une forte structure de pouvoir vertical. Elle revient à un système unitaire de pouvoir. Le Conseil d'État, par exemple, est sous contrôle présidentiel. Le Président établit le programme et exerce un contrôle sur le Praesidium. Il nomme les sept gouverneurs qui siégeront au Praesidium des 89 membres. Ces 89 personnes comprennent le président Poutine et constituent le leadership du Conseil d'État.
Quand on combine ces changements à la guerre que mène le président Poutine contre les médias, à l'histoire du sous-marin Kursk et à l'imbroglio d'espionnage avec les États-Unis, on est en droit de se demander si le président Poutine n'est pas en train de reforger un système autocratique et si la Russie n'est pas en train d'effectuer un retour en arrière.
À cet égard, l'héritage autocratique joue dans les deux sens. Les Russes souhaitent une continuité de leurs institutions. C'est la culture politique, et c'est ce que les Russes souhaitent. En conséquence, cette approche soulignerait que l'autocratie existe depuis des siècles en Russie et quelle continuera d'exister. Cette notion est aussi très occidentale. La seconde perception de l'héritage autocratique est que nous, Occidentaux, cherchons à retrouver ces tendances autocratiques qui refont surface en Russie.
Personnellement, je suis plus optimiste. Les détails, en particulier en ce qui a trait aux relations entre le centre et la périphérie, sont dignes de mention. La législation qui autorise le président Poutine à destituer des gouverneurs l'empêche également de le faire sur un simple coup de tête. En premier lieu, les tribunaux doivent constater une violation de la Loi. Ensuite, ils doivent exiger que le gouverneur modifie une loi existante et lui donner le temps nécessaire pour le faire. Si le gouvernement n'obtempère pas, le président Poutine peut l'aviser qu'il commet une infraction à une loi fédérale, ce qui entraîne une nouvelle échéance. Tout le processus peut durer plus d'un an. C'est tout simplement notre conception de l'autocratie qui nous incite à croire que le Président peut agir à sa guise.
En deuxième lieu, et en ce qui a trait au Conseil de la fédération, les gouverneurs ne sont plus nommés d'office au sein du Sénat russe. Les gouverneurs régionaux peuvent nommer des remplaçants à plein temps, ce qui leur permet d'exercer une assez grande influence. Ces changements sont bons dans la mesure où les dirigeants provinciaux sont exclus de l'organe législatif du Parlement national. À plusieurs égards, cela incite à l'établissement d'un Conseil de la fédération plus professionnel qui avait coutume de se réunir une fois par mois. Aujourd'hui, il peut se réunir plus fréquemment. À plusieurs égards, c'est le bon sens qui a prévalu.
Le président Poutine a également permis aux gouverneurs de solliciter un troisième mandat. Dans la plupart des cas, la loi prévoyait deux mandats consécutifs, mais le président, fort de la nouvelle législation, a approuvé la possibilité que plusieurs gouverneurs sollicitent un troisième mandat, et parfois même un quatrième. Si ses agissements laissent à penser qu'il est en guerre contre les gouverneurs des régions russes, cette ouverture va à l'encontre de cette interprétation.
Nous pouvons également envisager une perspective neutre qui mettrait en lumière la notion de gouvernement local. Le troisième niveau de gouvernement et la question de savoir si les réformes de ces gouvernements locaux contribueront à l'établissement de gouvernements municipaux plus forts sont également en cause. Au cours de la dernière décennie, on a beaucoup discuté. Le processus d'élaboration de la législation s'est éternisé concernant les lois applicables aux gouvernements municipaux et les lois régissant les budgets municipaux, l'élection des dirigeants municipaux, et cetera. Toutefois, ces développements ont été peu importants dans l'ensemble.
Récemment, le président Poutine a tenu des propos fermes au sujet de la consolidation des gouvernements locaux. Toutefois, je ne suis pas sûr qu'il comprenne bien ce qu'est le gouvernement local étant donné que la législation des dix dernières années visait à donner une certaine autonomie aux gouvernements locaux. La législation poussait les gouvernements locaux à se distancer de l'appareil de l'État. L'approche du président Poutine semble être de considérer les gouvernements locaux comme des agents des gouvernements fédéral et provinciaux. Au plan philosophique, nous pouvons nous inquiéter du fait qu'il n'encourage pas la création d'institutions de gouvernement autonome de troisième niveau. Néanmoins, c'est un homme réaliste et cela se voit dans le fait que les gouvernements locaux de Russie n'assurent pas uniquement la prestation de services essentiels, comme on les appelle au Canada, c'est-à-dire la voirie, les égouts, et cetera. Les gouvernements locaux et municipaux de Russie s'occupent également de dispenser des services d'éducation, de santé, de logement et plusieurs services sociaux.
Bien que d'un point de vue philosophique, nous ne puissions espérer que les gouvernements locaux deviennent des écoles de démocratie comme nous aimons croire qu'ils le sont en Occident, il faut être réaliste et reconnaître que les gouvernements municipaux de Russie assurent la prestation de services de l'État. En conséquence, il doit y avoir un lien quelconque entre les gouvernements fédéral et provinciaux.
Personnellement, j'ai plutôt tendance à considérer le président Poutine comme un homme réaliste et non comme quelqu'un qui cherche à revenir en arrière. Il souhaite le renforcement de l'État. Il veut un État plus fort, qui renforce la fédération. Par contre, on pourrait remettre en question son engagement vis-à-vis le fédéralisme, mais nombre de réformes auxquelles il travaille depuis un an ne visent pas tant le fédéralisme que la transformation de l'État pour lui donner une perspective plus réaliste. À cet égard, je ferais preuve d'un optimisme prudent et je dirais que les similitudes historiques ne devraient pas être perçues comme de simples répétitions de l'histoire.
Mes propres travaux portent sur les gouvernements municipaux en Russie. J'ai travaillé à plusieurs endroits en Sibérie et dans le nord de la Russie, et je me ferai un plaisir de répondre à vos questions concernant ces régions en particulier. Je suis tout à fait disposé à répondre à vos questions d'intérêt régional, plus particulièrement celles qui nous renseignent sur le président Poutine.
Le président: Merci beaucoup.
Le sénateur Austin: Cette question est importante quand on cherche à établir les probabilités d'un changement politique en Russie. Il y a un mot dans votre intervention qui m'intéresse tout particulièrement, c'est le mot tribunaux. Vous avez parlé du rôle des tribunaux qui sont capables de déterminer la portée de la loi et, je présume, capables de faire appliquer une conception de la loi constitutionnelle. J'ai également lu d'autres observations sur l'évolution des tribunaux et de leur indépendance en Russie.
En ce qui a trait à l'optimisme pour un pragmatisme politique, pouvez-vous nous donner votre perception de l'évolution des tribunaux? Où se situent-ils aujourd'hui quant à leurs décisions en matière de droit constitutionnel? Selon vous, que cherchent-ils à faire? Êtes-vous confiant qu'il pourrait y avoir un système judiciaire indépendant plutôt que de laisser les tribunaux être au service du pouvoir exécutif?
M. Young: Vous avez une bonne question. L'une des stratégies de M. Eltsine pendant son mandat à la présidence du pays était de se servir des tribunaux afin de faire respecter la législation fédérale dans les régions. Dans une large mesure, cette stratégie n'a pas connu de succès. Cela se rapporte directement à la notion de remise en cause du renforcement d'un pouvoir judiciaire indépendant en Russie. Selon toute probabilité, l'avènement d'un système judiciaire indépendant ne se fera pas avant au moins une génération. Aux environs de 1998-1999, on comptait au moins 3 500 lois régionales en violation flagrante de la législation fédérale. Bien sûr, cela laisse entendre que les tribunaux n'étaient pas très efficaces à ce niveau.
Depuis la mise sur pied de districts fédéraux, je n'en connais pas le nombre exact, certains inspecteurs des sept districts fédéraux nommés par le président Poutine soutiennent être parvenus, dans une proportion de 80 p. 100, à éliminer les lois non conformes. Le poids politique est plus efficace que le processus judiciaire. Il faut s'attendre à ce que ces deux éléments commencent à se fusionner, probablement sans affecter négativement le système judiciaire indépendant. Dans l'avenir, c'est le gouvernement fédéral qui exercera des pressions; les tribunaux serviront à l'application de la loi et deviendront l'outil pour faire en sorte qu'une décision d'un tribunal oblige les pouvoirs locaux ou régionaux à s'y conformer.
Un des cas les plus intéressants qui se dégage de mes travaux de recherche met en cause la République d'Oudmourtie qui a adopté, il y a quelques années, une loi qui est en violation flagrante de la loi fédérale concernant l'autonomie locale. La République voulait nommer directement les maires plutôt que de les soumettre à un processus électoral. Le gouvernement fédéral s'est plié au processus d'appel devant le tribunal constitutionnel qui a déterminé que la législation de la République d'Oudmourtie était à la fois en violation et en conformité de la loi fédérale. En vertu de la loi fédérale, un maire devrait être élu directement par la population. D'autre part, rien dans la loi fédérale sur l'autonomie gouvernementale ne laisse entendre que les républiques et les régions ne sont pas habilitées à former leur propre gouvernement local, ce qui suppose la nomination directe de personnes. À première vue, cela m'a paru une situation pour le moins étrange. Toutefois, il suffit de s'arrêter à l'expérience canadienne pour constater que plusieurs provinces prévoient l'élection des maires au suffrage universel, mais nomment des conseils de santé régionaux, et mettent sur pied des conseils scolaires élus ayant une autonomie limitée, particulièrement en matière de recettes. Dans ce contexte, force est d'admettre qu'il y a place à l'interprétation. Lorsque le tribunal constitutionnel a choisi le compromis entre l'intérêt de la République et l'intérêt du gouvernement fédéral de Russie, ma première réaction a été de penser qu'il avait mal agi. Puis, j'ai commencé à comprendre qu'il s'agissait d'une interprétation assez subtile. Pour répondre à votre question, j'ai confiance qu'en temps utile les tribunaux joueront un rôle plus déterminant, mais le moment n'est pas venu.
Le président: J'aimerais poursuivre avec la suggestion que la démocratie sera difficile à mettre en oeuvre au niveau local dans un contexte où les municipalités sont tenues d'assurer la prestation de services centraux dans leurs secteurs. D'autre part, puisqu'elles sont tenues d'assurer la prestation de ces services, cela les rapproche davantage des besoins de la population de leurs collectivités. En conséquence, étant donné que leurs collectivités ont une structure horizontale, pour ce qui est de la prestation des services, on pourrait assister à une évolution plus pragmatique et plus démocratique.
M. Young: En tant que théoricien, je suis d'accord avec vous. Nous ne faisons pas cela au Canada. Le gouvernement de la Colombie-Britannique exerce passablement de contrôle sur la prestation des services d'éducation provinciaux. Ce contrôle semble s'exercer davantage en matière de financement de l'éducation publique. Dans la plupart des cas, nous percevons cela comme étant une bonne chose. Dans le cas contraire, une partie de la province aurait un système d'éducation publique bien financé et très efficace tandis que dans une autre partie, le système accuserait des lacunes. Nous cherchons à équilibrer ces situations.
Le défi qui se pose à la Russie est l'héritage d'un système unitaire. Auparavant, les gouvernements locaux étaient davantage des agents au service de l'État. Bien qu'ils aient tenté d'établir des relations avec le niveau fédéral, les gouvernements locaux sont toujours tenus d'assurer la prestation de services de l'État. Toutefois, ils n'ont pas accès aux revenus requis pour la prestation de ces services, ce qui est une des raisons qui explique que la population n'a pas beaucoup de respect envers les gouvernements locaux. Ces gouvernements sont censés s'occuper du logement, de l'éducation, de la santé, des services sociaux, des transports, et cetera, mais ils n'ont pas les fonds pour le faire et tout le monde s'imagine que les fonctionnaires sont inutiles. Les gouvernements fédéral et régionaux ne sont pas vraiment intéressés à réaffecter les fonds pour équilibrer l'assiette fiscale. Les gouvernements locaux s'occupent de presque tout et presque toutes les recettes sont entre les mains des deux paliers de gouvernement supérieurs.
Je suis très favorable à l'autonomie municipale. Je suis favorable aux municipalités qui agissent au niveau local et qui sont gouvernés par la population locale. Le seul problème est qu'il existe certaines questions de politique qu'il vaut mieux ne pas confier au gouvernement municipal, plus particulièrement les questions de santé et d'éducation. Selon moi, les Russes devraient suivre le modèle canadien en la matière.
Le sénateur Andreychuk: Sous l'ancien régime, tous ces services décentralisés existaient au niveau local parce qu'ils étaient très importants. Toutefois, le Parti communiste et ses dirigeants étaient aux commandes à l'époque. D'après ma connaissance limitée du niveau de gouvernement municipal, j'ai l'impression que peu de choses ont changé. Une bonne partie des mêmes personnes sont toujours en place, mais c'est la désignation de leurs postes qui a changé. Les fonds que reçoit la trésorerie municipale vont toujours dans les mêmes poches. L'argent n'est pas utilisé pour la population, qui est désillusionnée et qui est sous l'impression que le système démocratique n'est guère différent du régime communiste. Les municipalités ne bénéficient pas des services dont elles ont besoin. Sous l'ancien régime, il fallait que votre enfant soit sélectionné pour avoir la possibilité de jouer au hockey ou d'entrer à l'école de ballet. On était redevable aux fonctionnaires. Il me semble que rien n'a changé à cet égard.
M. Young: Je ferai la comparaison suivante. Le Parti communiste et l'élite locale étaient du pareil au même avant 1991. Ce groupe exerçait un assez bon contrôle sur l'allocation des ressources. Vous avez raison. Les autorités supérieures disaient au gouvernement à qui offrir les services.
Depuis 1991, la Russie a cherché à développer l'autonomie gouvernementale locale. Dans ce contexte, les gouvernements municipaux sont censés pouvoir décider par eux-mêmes, sans ingérence fédérale et régionale. D'une certaine façon, cette capacité existe sur papier. Les maires sont élus au suffrage direct, de même que les conseillers municipaux. Le plus gros défi qui se pose à la plupart des administrateurs municipaux, et je dis bien la plupart parce que cela varie d'une région à l'autre, concerne l'argent. Ils n'ont pas de ressources à affecter. Ils n'ont que 30 ou 40 p. 100 des ressources nécessaires pour la prestation des services d'éducation, de santé et sociaux qui leur est imposée en vertu de la législation fédérale et régionale. Ils n'ont pas les fonds nécessaires.
Dans certaines régions comme la République des Komis les maires ne sont pas élus par suffrage direct. Le président de cette République impose au conseil municipal son choix pour le poste de maire et les conseillers municipaux ratifient ce choix. Je connais deux cas où les conseillers municipaux ont manifesté leur désaccord. En représailles, le président de la République leur a forcé la main et retenu les revenus jusqu'à ce qu'ils acceptent sa décision. Dans d'autres cas, l'élite locale est toujours reliée à l'appareil de la République. En l'occurrence, ce n'est pas seulement une question de fonds.
De manière générale, et mis à part les cas où les maires ne sont pas élus au suffrage direct conformément à la loi fédérale, le principal obstacle à l'échelle de la Russie est de nature financière. Les gouvernements municipaux n'ont pas suffisamment de revenus.
Le sénateur Andreychuk: S'agit-il toujours du même groupe de personnes?
M. Young: Oui et non. Ce n'est pas ce qui m'inquiète, parce que j'ai rencontré certaines de ces personnes. Certaines étaient des dirigeants du Parti communiste et sont de bons administrateurs. Elles cherchent à faire de leur mieux avec des ressources limitées. Ma principale préoccupation serait de chercher à encourager une réaffectation des sources de revenu.
Le sénateur Bolduc: En d'autres mots, la réforme fiscale doit passer avant la réforme géographique.
Le sénateur Grafstein: Faute d'un fondement théorique pour obtenir une vue d'ensemble du gouvernement, il semble y avoir une tendance à intervenir ici et là. Il semble que l'on veuille tout simplement mettre son doigt dans une fissure du barrage pour résoudre un problème. Leurs méthodes sont réactives plutôt que proactives. Le président Poutine adopte un point de vue plus général et dit d'abord le pouvoir, ensuite les fonds. Voyons combien d'argent je puis accumuler au centre. La situation n'est pas sans rappeler celle qui prévalait au Canada au début de notre tradition britannique. Les Russes comprennent-ils mieux la nature du gouvernement? Comprennent-ils le rôle d'un gouvernement, ses freins et ses contrepoids, la distinction entre les pouvoirs exécutifs, législatif et judiciaire? Les documents que j'ai consultés semblent montrer qu'il y a un statut distinct pour les pouvoirs des tribunaux. Toutefois, je n'ai rien lu en ce qui concerne une séparation du côté du pouvoir exécutif. Y a-t-il un renouveau théorique au sujet de la nature du gouvernement? Les Russes pourront-ils profiter de l'équilibre qui caractérise les gouvernements du Canada, de l'Angleterre et des États-Unis?
Pouvez-vous nous donner un exemple d'un gouvernement régional ou local qui donne des résultats? Y a-t-il un gouvernement qui a pu résoudre ses problèmes?
Enfin, je suis curieux de savoir quels sont les pouvoirs municipaux par rapport aux investissements. Par exemple, le partenariat entre McDonald et le gouvernement municipal de Moscou est, si j'ai bien compris, moitié moitié. Je crois comprendre que McDonald International a racheté récemment une partie des intérêts de la ville de Moscou et que la société possède maintenant 88 p. 100 de l'entreprise. Dans quelle mesure les municipalités exercent-elles leurs pouvoirs d'investissement pour établir des entreprises qui se rapportent à leurs collectivités?
M. Young: En ce qui a trait à la séparation des pouvoirs, il est difficile de se prononcer. Faites-vous référence au niveau local ou parlez-vous de façon générale?
Le sénateur Grafstein: En général et les deux à la fois.
M. Young: Cela est difficile à dire parce que le président Poutine a l'avantage de travailler avec un Parlement très docile. L'ex-président Eltsine faisait face à un Parlement qui faisait plutôt fonction d'opposition. Il y a eu des rapports difficiles entre l'ex-président Eltsine et la législature alors qu'aujourd'hui le président Poutine et la Douma s'entendent assez bien. Il est difficile de savoir comment vont les choses tant qu'il n'y aura pas d'équilibre entre les deux parties.
Dans la plupart des cas, c'est le pouvoir exécutif qui domine au niveau régional. Malgré les efforts des législatures pour jouer un rôle très actif, elles sont souvent laissées pour compte. Cela découle du fait que les gouverneurs régionaux contrôlent bien souvent les médias locaux. En l'occurrence, les législatures régionales sont souvent désavantagées. Il faut réserver son jugement. Les événements de la dernière décennie laissent entendre que les choses vont dans la bonne direction et que l'on fait certains efforts. Les gouvernements disposent de lois et il leur faut maintenant s'en servir.
Quant à savoir s'il y a des gouvernements locaux qui fonctionnent bien, je puis vous nommer la ville de Novgorod Velikii, qui s'appelait autrefois Gorki. La ville est située à mi-chemin entre Moscou et Saint-Petersbourg.
Le cas de Novgorod Velikii est intéressant. Historiquement, il s'agissait toujours d'une solution de rechange à la tradition autocratique qui émergeait de Moscou. Aux XVIe siècle, Ivan le Terrible a combattu Novgorod Velikii à cause de son conseil municipal dynamique dans la foulée de la «hansestadt». La tradition historique de cette ville diffère de celle du reste de la Russie et plusieurs historiens qui s'intéressent aux hypothèses se plaisent à imaginer ce qui aurait pu arriver si ce conflit avait connu une issue différente.
Novgorod Velikii a un gouvernement local autonome et fonctionnel qui ne correspond pas entièrement aux notions théoriques de ce qu'un politicologue de UNBC souhaiterait pour un gouvernement local, mais la démarcation du pouvoir et de l'autorité entre le centre et les municipalités est beaucoup plus claire que ce qui a cours dans la plupart des régions de la Russie.
Pour ce qui est de la troisième question, voici un exemple où l'investissement correspond à ce niveau de clarté et de stabilité. La ville de Novgorod Velikii a reçu une bonne part d'investissements étrangers, particulièrement entre 1994 et 1997. Le gouvernement municipal et Cadbury ont établi un partenariat en vue de la construction d'une chocolaterie avec le soutien régional du gouvernement «oblast».
À la première lecture de la législation concernant le gouvernement local, j'ai eu l'impression que ce n'était pas terrible. Les gouvernements municipaux n'ont pas autant de pouvoir qu'ils devraient. Par contre, ils sont clairement définis. Par conséquent, on assiste à une plus grande stabilité et à l'arrivée d'un plus grand nombre d'investissements et, dans l'ensemble, la population semble très satisfaite.
Le sénateur Grafstein: Le témoin pourrait peut-être nous fournir, par écrit, deux ou trois autres exemples que nous pourrions examiner. S'il y a une ou deux régions qui fonctionnent bien, peut-être pourraient-elles constituer une étude de cas utile.
Le sénateur Di Nino: Je suis intéressé à connaître les opinions des Russes. Je suis également intéressé à connaître les différences qui existent entre les jeunes Russes et ceux qui ont été soumis à l'influence du régime précédent. Je me demande si vous pourriez partager avec nous votre expérience à ce sujet.
En second lieu, vous avez parlé de prestation de services, par exemple quand on leur dit d'offrir des services. Je me demande s'il y a des aspects des actions de M. Poutine qui pourraient être soumis à l'influence du groupe d'intérêt particulier auquel il serait redevable.
M. Young: J'ai deux anecdotes à vous raconter. L'une concerne la ville d'Omsk. J'y ai fait de la recherche et l'une des personnes qui m'a assisté était professeur de droit à l'Université Omsk, un type très attaché à l'idée d'autonomie gouvernementale locale comme notion théorique. Pour lui, l'autonomie gouvernementale constituait une base pour la nouvelle Russie. Quand je l'ai revu, trois ans et demi plus tard, il était passé à un sujet complètement différent. Je lui ai demandé pourquoi il ne se passionnait plus autant pour la notion de gouvernement local et, il m'a répondu: cela ne fonctionne tout simplement pas. Il y a d'autres questions à régler en premier lieu, comme la situation financière. Tant que le fédéralisme n'aura pas été établi et que le partage des sources de revenu n'aura pas été défini clairement entre les gouvernements fédéral et provinciaux, l'autonomie gouvernementale ne pourra pas s'appliquer au niveau local.
Comme corollaire, la législation existante, peut-être dans le futur de la Russie, dépendra grandement des taxes foncières, et cetera. Tant qu'il n'y aura pas de législation appropriée en place, ce qui relève du fédéral et des régions, les revenus municipaux ne pourront guère augmenter. Ce professeur avait tout simplement liquidé son programme de recherche sur le sujet et était passé à autre chose.
La deuxième anecdote met en cause un professeur de sciences politiques de l'Université d'État de Moscou. Un jour où nous étions dans une «bania», c'est-à-dire une atmosphère intime, il m'a fait voir une montre en or que le maire, M. Lushkov, lui avait donnée. Il avait reçu cette montre après les élections de 1996, remportées par M. Lushkov. Le maire avait obtenu 93 p. 100 du suffrage populaire. André me racontait qu'il avait travaillé très fort à la campagne électorale du maire Lushkov. André était démocrate. Il avait lu Robert Dahl. Je lui ai demandé comment un théoricien de la démocratie et un tenant du gouvernement local pouvait appuyer un maire corrompu, en cheville avec l'élite du milieu des affaires et qui avait empoché de l'argent, et cetera. Il m'a répondu qu'en Russie tous les politiciens se remplissent les poches. À tout le moins, m'a-t-il répondu, nous voulons une personne qui pourra faire un bon travail. À cet égard, la perception est que les politiciens et les administrateurs penseront à eux et se rempliront les poches. Cette dichotomie succès-échec détermine également ce qu'ils feront au-delà de cela. Parfois, cela va à l'encontre de ce que nous pourrions considérer comme un comportement acceptable.
Le sénateur Di Nino: La première partie de la question portait sur l'écart entre les générations.
M. Young: La plupart des jeunes gens que j'ai rencontrés ne s'intéressent pas à la politique locale. C'est probablement le cas aussi au Canada. Peut-être que cela est moins marqué dans les grands centres urbains. La plupart des gens connaissent le nom du maire mais ne comprennent pas ce que font les gouvernements municipaux.
En matière de gouvernement local et de générations, on constate que ce sont habituellement les plus vieilles générations qui savent le plus ce qui se passe. Ces gouvernements sont la source de leurs pensions, des services de transport et des services de logements. Dans la même veine, les Canadiens ne s'intéressent guère au taux d'intérêt avant d'avoir une hypothèque à payer et avant d'être propriétaire.
Le sénateur Di Nino: Ou d'avoir des épargnes.
M. Young: Exactement. J'ai l'impression que l'on trouve les mêmes écarts au Canada. Même si le taux de participation des jeunes aux élections nationales est plus faible que celui des personnes d'âge moyen.
Le président: Je puis comprendre que des politiciens soient corrompus dans un système qui n'a pas d'argent parce que c'est la façon dont les choses se passent ailleurs. Que ce soit au Mexique, en Amérique du Sud ou à d'autres endroits que je connais très bien, la corruption est omniprésente parce que ces pays n'ont pas d'argent. Que les politiciens soient capables de se placer dans une situation qui leur rapporte de l'argent ne me surprend guère. Cela s'est produit, si vous lisez bien le journal de Pepys, dans les années 1660 en Angleterre. Je trouve intéressant et à la fois stimulant que notre comité ait appris que 65 p. 100 de la population de la Russie-Ukraine vit de l'agriculture. Cette proportion varie entre 60 et 75 p. 100 selon les statistiques disponibles. Prenons la proportion de 65 p. 100. C'est donc dire que 65 p. 100 de la population est, à toute fin pratique, abandonnée par le gouvernement national. Cette population ne quitte pas les exploitations agricoles de 30 000 acres, mais au moins elle peut se nourrir. Dans les villes, les gens ne peuvent pas toujours se nourrir d'eux-mêmes à cause d'un système de distribution absolument horrible.
Votre spécialité est le gouvernement municipal. Que tente-t-on de faire pour s'occuper des 65 p. 100 de la population qui vivent à proximité de petites villes et municipalités? Cherche-t-on à établir un système municipal? Ce système municipal comprend-il un système de distribution qui permettra d'apporter les aliments vers ces municipalités?
M. Young: Je ne suis pas sûr de la provenance de cette proportion de 65 p. 100. Quand vous parlez d'une petite ville, en Russie cela peut facilement être 100 000 personnes ou moins de 200 000 personnes.
Le président: La proportion de personnes qui vivent de l'agriculture en Russie est de 65 p. 100.
M. Young: Je crois que nous dépendons tous de l'agriculture. Je ne suis pas très sûr de ce que ce chiffre veut dire.
Le président: Des gens qui vivent sur une ferme.
M. Young: Cette proportion est probablement plus près de 30 ou 35 p. 100, au maximum. En Russie, les populations rurales et urbaines représentent environ 70 p. 100 et 30 p. 100, respectivement. Plusieurs des personnes qui vivent en milieu urbain dépendent de leurs propres potagers. C'est probablement ce qui explique la proportion dont vous parliez.
La question est lourde de sous-entendus en ce qui a trait à la distribution des produits agricoles. Dans le cas des municipalités dont les recettes sont limitées, l'expérience et les capacités administratives des personnes en poste, qu'il s'agisse de communistes ou non, sont essentielles parce que les administrateurs savent comment échanger des oeillets de grappin pour du pain afin d'obtenir les ressources nécessaires à leurs collectivités.
Le président: Les témoins-experts que nous avons entendus ont dit qu'il y a 35 millions de vaches en Russie et en Ukraine et qu'il y en a 700 000 au Canada, et pourtant notre production laitière est deux fois plus élevée que celle de la Russie et de l'Ukraine. L'une des raisons est que le lait tourne après quatre heures. Il y a un lien discontinu entre les régions de production et les villes. Il est évident que l'un des aspects les plus importants de la réforme locale est de s'occuper de la brisure qui existe dans le système de distribution agricole. Cela serait-il une priorité des gouvernements locaux?
M. Young: Je dirais que leur préoccupation serait d'insister auprès des gouvernements fédéral et régionaux pour avoir des investissements dans les infrastructures, particulièrement les routes et les chemins de fer, qui sont dans un état lamentable dans toute la Russie. À cet égard, on peut comprendre en partie les justifications du président Poutine de renforcer la capacité de l'État. Si on laisse le soin aux municipalités de s'occuper des grandes questions comme le développement des infrastructures, nous verrions des collectivités tout à fait isolées disposant d'un réseau routier extraordinaire mais sans lien entre elles. En ce sens, on peut penser que Poutine veut se servir de la capacité du gouvernement fédéral pour entreprendre de tels projets.
Le sénateur Graham: Une des données statistiques les plus fascinantes qui nous aient été fournies par un témoin que nous avons entendu la semaine dernière concernait la production de lait. Il nous a raconté qu'une vache Holstein produit en moyenne de 75 à 80 livres de lait par jour au Canada. La moyenne pour une vache est de quatre, cinq ou même six livres par jour en Russie. Voilà qui en dit long sur la nature et l'état de l'agriculture dans ce pays.
Le grand problème est l'argent. Le plus grand défi est l'argent et on pourrait être en droit de se demander combien de milliards il faudrait pour remettre la Russie sur la bonne voie.
Nous parlons ici d'un gouvernement local. Quels sont les services particuliers et les services municipaux qui ont le plus besoin de réformes? Êtes-vous capable d'établir la priorité de ces services? Pouvez-vous établir un ordre de priorités et nous dire s'il y a des projets particuliers auxquels le Canada et d'autres pays donateurs ont accordé leur appui et qui ont été utiles pour l'avènement d'améliorations réelles au niveau local?
Finalement, l'aide gouvernementale du Canada se rend-elle aux personnes et aux institutions ou aux niveaux de gouvernement auxquels elle est destinée? Je peux utiliser l'exemple des paiements de transfert. Au Canada, il fut un temps où nous ne savions absolument pas si les fonds transférés du gouvernement national vers un gouvernement provincial étaient utilisés aux fins prévues. Je me demande si vous pouvez nous donner des preuves que les ressources des programmes auxquels participe le Canada sont utilisées aux fins précises pour lesquelles elles sont attribuées?
M. Young: Tout d'abord, en ce qui a trait à l'aspect financier, disons que la Russie perd 20 milliards de dollars US chaque année précisément à cause des inquiétudes concernant la stabilité et les possibilités d'investissement.
Il y a de l'argent en Russie. Je ne sais pas combien il en faudrait pour améliorer les choses, mais je sais qu'il y a beaucoup d'argent qui quitte la Russie par l'intermédiaire de Russes. Il serait utile de chercher à créer un milieu plus attirant pour les investissements, un milieu plus stable.
Il y a aussi la question des projets de développement et des projets d'aide, particulièrement pour les gouvernements locaux. J'ai pu observer certains projets américains, canadiens, allemands suédois et j'estime que dans certains cas ils sont à saveur commerciale, surtout les projets américains. Les Américains ont contribué à l'établissement de centres d'aide aux entreprises afin d'aider des Russes à rédiger des plans d'entreprise et à les mettre en contact avec des sociétés américaines. En pleine Sibérie, dans le cercle polaire arctique, il y a un centre d'aide aux entreprises américain. Cela me paraît étrange.
Les programmes les plus efficaces que j'ai vu sont ceux qui s'intéressent à la formation et au partage de l'expérience canadienne ou de toute expérience occidentale.
Par exemple, j'estime que la formation est essentielle: formation de fonctionnaires municipaux, formation de personnel en procédures comptables, formation de fonctionnaires aux affaires administratives, municipales et provinciales. Le Canada a des normes très élevées en ce qui a trait à la collecte de données et à leur utilisation. Les municipalités et les provinces canadiennes comparent leurs régimes fiscaux. En Russie, les gouvernements régionaux hésitent à transférer des fonds parce qu'ils ne savent pas ce qu'il en adviendra. Il serait utile de renforcer la notion de tenue de livres sur l'utilisation des fonds.
Un des grands problèmes est que tous les projets de développement occidentaux se font en collaboration avec le gouvernement régional ou le gouvernement fédéral concernant des questions de gouvernement local. C'est un peu comme si on voulait collaborer avec Ottawa pour aider Prince George. Cela ne me semble pas l'approche la plus efficace.
Dans le cas qui nous intéresse, le gouvernement canadien a contribué à l'établissement d'un gouvernement local tout en travaillant avec le gouvernement régional. Le gouvernement canadien a travaillé avec la République des Komis.
L'administration de la République des Komis n'est pas intéressée à établir un gouvernement local. Leurs lois sont probablement les pires parmi les 89 régions de Russie. La République nomme directement les maires et ne veut pas d'un régime électoral pour ce poste. Ici, des institutions canadiennes cherchent à établir un gouvernement local par l'entremise de l'administration régionale. Cela me semble voué à l'échec.
Je serais plutôt favorable à une collaboration directe avec les organismes civils au niveau municipal. Je favoriserais également une collaboration avec des organismes de charité et des conseils de planification sociale au Canada et leur équivalent en Russie. Ces organisations en sont au stade de formation en Russie. Selon moi, il est plus facile de travailler avec la collectivité qu'avec les administrateurs qui, dans certains cas, sont des amis de l'administration qui se contentent de voyager à l'étranger.
Le président: Je tente de repérer la République des Komis.
M. Young: C'est au nord-ouest de Moscou, à environ 1 200 kilomètres.
Le président: À l'est ou à l'ouest?
M. Young: Au nord-est de Moscou.
Le sénateur Graham: Si vous examiniez des services municipaux particuliers, qu'il s'agisse d'éducation...
M. Young: Les fonctionnaires municipaux de toute la Russie vous diront d'emblée que le plus grand problème est le logement et qu'il y a des problèmes majeurs concernant les services publics, l'énergie, le pétrole, le gaz, l'électricité, le chauffage. Nous avons vu, l'hiver dernier, des images de personnes habillées de parkas à l'intérieur de leurs maisons parce que le chauffage avait été coupé. Dans certains cas, il s'agit d'une stratégie politique de la région pour forcer la main du maire lorsqu'il y a un conflit politique, mais dans plusieurs autres cas, c'est tout simplement une question financière.
Le président: Nous pourrions rester ici à vous entendre encore longtemps. Professeur Young, votre témoignage a été très intéressant et nous vous remercions beaucoup d'être venu nous rencontrer.
Les travaux du comité se poursuivent à huis clos.