Délibérations du comité sénatorial permanent
des affaires étrangères
Fascicule 20 - Témoignages
OTTAWA, le mardi 4 décembre 2001
Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères, auquel a été renvoyé le projet de loi C-6, Loi modifiant la Loi du traité des eaux limitrophes internationales, s'est réuni aujourd'hui à 18 h 20 pour étudier le projet de loi.
Le sénateur Peter A. Stollery (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président: Honorables sénateurs, je déclare ouverte cette séance sur le projet de loi C-6, Loi modifiant la Loi du traité des eaux limitrophes internationales. Notre premier témoin, ce soir, est M. Nigel Bankes, professeur de droit à l'Université de Calgary.
M. Nigel David Bankes, professeur de droit, Université de Calgary: Honorables sénateurs, je vous remercie beaucoup de m'avoir invité à comparaître et à présenter un exposé au comité. Je vais commencer par vous parler de ma propre position au sujet de ce projet de loi sur le captage des eaux. À mon avis, il y a lieu de s'inquiéter de la dérivation des eaux d'un bassin hydrographique. Pour moi, il s'agit d'une inquiétude de nature écologique ou environnementale plutôt que nationaliste ou commerciale.
Je crois en outre que, d'un point de vue constitutionnel, les ressources en eau appartiennent aux provinces et sont principalement assujetties à la réglementation provinciale. Par conséquent, le gouvernement fédéral devrait être prudent lorsqu'il légifère dans ce domaine: il ne devrait agir que pour protéger des valeurs authentiquement nationales ou qui, du moins, transcendent les intérêts d'une seule province.
Il s'ensuit que j'approuve l'intention du projet de loi et l'insistance, dans la documentation qui l'accompagne, sur les préoccupations environnementales. Bien sûr, il est curieux de constater que les mots «environnement» ou «écologie» sont complètement absents dans le projet de loi. Je reviendrai sur ce point plus tard.
Ma vraie préoccupation aujourd'hui - c'est d'ailleurs la même que j'ai exprimée devant le comité de la Chambre des communes - est que je ne suis pas certain que les rédacteurs du projet de loi ont proposé le moyen le plus efficace d'atteindre leur objectif. Par «efficace», j'entends une démarche qui résistera aux contestations soulevées du point de vue tant du droit commercial que de du droit constitutionnel.
Je n'ai pas l'intention de beaucoup parler du droit commercial. Je ne suis pas un expert de ce genre de droit. Toutefois, je peux vous présenter quelques observations préliminaires. Premièrement, si on rédige un projet de loi de cette nature, il est préférable de se concentrer sur le captage des eaux d'un bassin hydrographique plutôt que sur l'interdiction des exportations. On a alors plus de chances d'aboutir à des dispositions solides.
Deuxièmement, je suis d'accord avec les témoins qui vous ont dit que le droit commercial traite de biens et de produits, et non pas de l'eau à l'état naturel.
Je voudrais ajouter que ce n'est pas parce qu'on considère une certaine quantité d'eau comme un bien ou un produit, en en permettant par exemple l'embouteillage et la vente, qu'on doit considérer toute l'eau comme un produit. Nous savons que c'est la position adoptée en ce qui concerne les réserves provinciales de pétrole et de gaz et les ressources forestières provinciales.
Ma dernière observation, sous l'angle du droit commercial, est que le fait de parler du chapitre 11 n'est qu'une diversion. Je ne vois rien dans le projet de loi qui touche au chapitre 11.
Dans une optique constitutionnelle, j'ai des réserves au sujet de l'article 13, qui contient la disposition envisagée de prohibition. Avant d'aborder cette question, cependant, je voudrais mentionner une chose relativement aux dispositions précédentes. Pour moi, le projet de loi a deux objets. Le premier concerne le captage d'eau d'un bassin hydrographique de l'article 13. Le second consiste à établir un régime de licences pour mettre en oeuvre, dans la législation nationale, les articles III et IV du Traité des eaux limitrophes. À mon sens, les dispositions qui servent à cette fin, c'est-à-dire les articles 11 et 12 du projet de loi, sont parfaitement appropriées. Ce sont des ajouts utiles sur le plan législatif, qui apportent plus de certitudes et de clarté.
Sur le plan constitutionnel, ces dispositions sont parfaites. Je ne doute pas de leur validité. Elles relèvent de l'article 132 de la Loi constitutionnelle, qui autorise le Parlement à légiférer pour remplir les obligations du Canada en vertu d'un traité impérial.
Qu'en est-il alors du nouvel article 13? Avant d'aborder l'aspect constitutionnel, il conviendrait peut-être de prendre un moment pour déterminer à quoi l'article s'applique ou ne s'applique pas. La question est de savoir s'il s'agit d'un «tigre en papier», selon l'expression utilisée l'autre jour par Mme Sullivan. D'abord, il ne s'applique pas aux eaux transfrontalières. Il ne s'applique pas aux eaux qui franchissent la frontière internationale. Il ne s'applique pas aux eaux tributaires qui alimentent les eaux limitrophes inscrites. Il ne s'applique pas aux eaux qui ne sont ni limitrophes ni transfrontalières. Par conséquent, il ne s'applique pas au lac Gisborne de Terre-Neuve, dans lequel il était question de prélever de l'eau à exporter. Il ne s'applique pas à l'exportation d'eau provenant de zones côtières de la Colombie-Britannique. Il ne s'applique pas aux eaux limitrophes à moins qu'elles ne soient inscrites. On passe bien sûr beaucoup de temps à chercher les exceptions. L'article ne s'applique pas si n'importe laquelle des exceptions est déclenchée.
À quoi donc s'applique-t-il? Il s'applique strictement au captage d'eaux limitrophes, c'est-à-dire des eaux qui s'écoulent le long de la frontière internationale. Il s'applique donc au captage des eaux limitrophes pourvu que ledit captage influe ou est réputé influer sur le niveau de l'eau.
Cela m'amène au problème constitutionnel que je vois dans l'article 13. Le problème a deux volets. Le premier réside dans la disposition de présomption. Je crois que Mme Sullivan a déjà attiré votre attention sur cet aspect du paragraphe 13(2) du projet de loi et sur le régime de prohibition intégré dans l'article 13.
Quel est le problème dans ce cas? Le problème, à mon avis, est que les rédacteurs du projet de loi comptent exclusivement sur l'article 132 de la Loi constitutionnelle pour assurer la validité de la disposition. Or on ne peut compter sur cet article que dans la mesure où le projet de loi est conçu pour permettre au Canada de remplir ses obligations aux termes du Traité des eaux limitrophes. De quoi traite alors l'article III du traité? Il porte sur les projets qui modifient le niveau ou le débit naturels des eaux limitrophes. En d'autres termes, pour rendre applicable l'article III, un projet de captage doit avoir un effet mesurable ou sensible. De toute évidence, beaucoup de ces projets n'auraient pas un tel effet.
La disposition de présomption est conçue, bien entendu, pour contourner l'article III. Elle établit en fait que, aussi petite que soit la quantité d'eau captée, elle est réputée avoir un effet sur le niveau. Je dis simplement que la disposition de présomption est suspecte sur le plan constitutionnel et que la Cour suprême nous l'a déjà dit au moins une fois.
Le deuxième problème de cette disposition est la prohibition qui est au coeur de l'article 13. Nous savons qu'il existe une foule d'exceptions possibles à l'article 13, ce qui a déjà retenu l'attention du comité, surtout en ce qui concerne leparagraphe 13(3). Toutefois, ma préoccupation porte sur la façon dont cela est fait. Lorsqu'on le lit en même temps que le reste du Traité des eaux limitrophes, l'article III crée, non pas un régime de prohibition, mais un système réglementaire. Il dit, en effet, que pour être exécuté, un projet qui influera sur le niveau des eaux limitrophes doit recevoir l'approbation tant du gouvernement concerné que de la Commission mixte internationale, mais il n'impose pas de mettre en place un régime de prohibition.
C'est pourtant ce que nous avons à l'article 13. J'admets que les représentants du ministère de la Justice ont abordé ce point devant le comité de la Chambre des communes. J'admets qu'il y a une certaine souplesse dans la façon dont le Parlement légifère pour permettre au Canada de remplir ses obligations internationales. Toutefois, il est à craindre que le projet de loi ne franchisse pas cette ligne, dans la mesure où il met en place un régime de prohibition plutôt qu'un régime de licences.
La solution consisterait à rédiger le projet de loi de façon qu'il s'appuie non seulement sur l'article 132 de la Loi constitutionnelle, mais aussi sur le pouvoir d'assurer la paix, l'ordre et le bon gouvernement mentionné au début de l'article 91. Il existe en fait un précédent dans le domaine des eaux internationales. En effet, beaucoup de gens considèrent que la Loi sur les ouvrages destinés à l'amélioration des cours d'eau internationaux se fonde sur ce pouvoir et non sur le Traité des eaux limitrophes et l'article 132.
J'ai préparé à l'intention du comité un aperçu de mes observations. Je ne sais pas si le document a été traduit et distribué, mais j'y propose un projet d'amendement del'article 13.
Dans le projet de loi, «ministre» désigne le ministre des Affaires étrangères. Compte tenu des responsabilités que le projet de loi confie au ministre, sous forme d'exceptions et de recommandation de règlements au gouverneur en conseil, il me semble indiqué de modifier la définition de «ministre» pour y inclure le ministre de l'Environnement, à part le ministre des Affaires étrangères.
On a également attiré l'attention des honorables sénateurs sur l'ampleur du pouvoir de créer des exceptions. Encore une fois, il serait indiqué d'inclure certaines conditions préalables auxquelles il faudrait satisfaire avant que de telles exceptions soient prescrites. Le ministre devrait, par exemple, être persuadé du caractère écologique des exceptions.
Je vais m'arrêter là pour répondre aux questions.
Le sénateur Carney: Je voudrais éclaircir un point.
Monsieur Bankes, il y a quelques instants, vous avez dit que le projet de loi met en place un régime de prohibition plutôt qu'un régime de licences. Plus tôt, vous aviez dit qu'ont mettait en place un régime de licences plutôt qu'un régime de prohibition.
M. Bankes: Je voulais décrire le projet de loi comme régime de prohibition, en me basant sur le titre de l'article et sur la note inscrite dans la marge.
Le sénateur Murray: Monsieur Bankes, je ne sais pas si vous avez eu l'occasion de lire le témoignage des avocats spécialisés en droit commercial qui ont déposé la nuit dernière.
M. Bankes: Oui, je l'ai fait.
Le sénateur Murray: MM. Howard Mann et Barry Appleton ont énergiquement soutenu que l'eau est un bien et que ce qui compte pour nous est de savoir à quel moment on fait le commerce de l'eau. Il ne s'agit pas nécessairement de commerce international, mais tout simplement de commerce.
Contrairement à vous, ils ont affirmé que le projet de loi serait, tout autant qu'un autre, assujetti au droit commercial. Ils ont dit que le projet de loi ne serait pas moins vulnérable à des mesures commerciales qu'une interdiction des exportations. Si j'ai bien compris, ils estimaient que si nous avions besoin d'interdire les exportations - et c'est bien l'objet du projet de loi, quoique indirectement -, il valait mieux le faire directement. Pour eux, une interdiction des exportations faite au bon moment et de la bonne façon serait beaucoup plus efficace que ce projet de loi.
Pourquoi vous opposez-vous à une interdiction des exportations? Y a-t-il un motif constitutionnel? Êtes-vous d'accord avec eux? Je sais qu'au moins l'un d'entre eux a dit, et les deux étaient d'accord, qu'une interdiction des exportations s'inscrirait dans le champ de compétence du Parlement en vertu du pouvoir relatif au commerce.
M. Bankes: Pour répondre au dernier point en premier, je dirai que le projet de loi peut être justifié en vertu du pouvoir relatif au commerce.
Le sénateur Murray: Ils parlaient de l'interdiction des exportations.
M. Bankes: Je suis d'accord sur le plan constitutionnel. Je ne doute pas que le Parlement soit habilité à le faire. Maintenant, convient-il de le faire pour des motifs reliés au droit commercial? J'ai dit au départ que je ne prétends pas bien connaître le droit commercial. Toutefois, pourquoi faudrait-il se concentrer sur un aspect - l'interdiction des exportations - qui, nous le savons, fait l'objet de restrictions aux termes tant du GATT que de l'ALENA? Pourquoi ne pas se concentrer plutôt sur une chose qui, du moins à première vue, semble non discriminatoire, comme le captage des eaux d'un bassin hydrographique, que ce soit en faveur ou au détriment du Canada? Tant que nous appliquons ces mesures sans discrimination, nous devrions pouvoir résister aux contestations faites en vertu du droit commercial.
Le sénateur Murray: Vous avez lu leur témoignage. Vous savez bien que le régime de licences pourrait bien faire entrer l'eau dans le commerce, ce qui la rendrait aussi vulnérable aux mesures commerciales que n'importe quelle autre marchandise.
M. Bankes: À mesure que l'eau entrera dans le commerce, sous forme embouteillée ou autrement, elle sera assujettie aux disciplines du commerce. Je ne crois pas cependant que personne conteste cela. La question qui se pose est la suivante: quel est le lien entre cette proposition et le projet de loi? J'ai de la difficulté à faire le lien.
Le sénateur Murray: Revenons à l'argument constitutionnel. Vous croyez que les rédacteurs du projet de loi vont trop loin en comptant seulement sur l'article 132 de la Loi constitutionnelle et sur l'article III du traité en ce qui concerne le nouvel article 13. Le paragraphe 13(2) du projet de loi est ainsi libellé:
Pour l'application du paragraphe (1) et du traité, le captage et le transfert d'eaux limitrophes à l'extérieur de leur bassin hydrographique sont réputés [...] modifier le débit ou le niveau naturels de ces eaux de l'autre côté de la frontière internationale.
Voilà la façon dont ils ont essayé de concilier cette disposition avec le traité.
M. Bankes: C'est exact.
Le sénateur Murray: Vous ne croyez pas que cette façon de procéder pourrait résister à une contestation basée sur la Constitution?
M. Bankes: J'irais jusqu'à dire qu'on prend un risque sérieux en laissant ce libellé et qu'il existe d'autres moyens de rendre ce genre de disposition plus solide sur le plan constitutionnel.
Il y a un vrai problème chaque fois qu'on utilise le mot «réputé» dans un contexte constitutionnel. C'est la difficulté que je vois dans le paragraphe 13(2).
Mme Sullivan a attiré votre attention sur ce paragraphe lorsqu'elle a comparu devant le comité l'autre jour et a manifesté sa surprise à cet égard.
Comme je le dis, ce libellé se fonde exclusivement sur des motifs constitutionnels, parce que les rédacteurs savent qu'il faut faire le lien avec l'article III.
Le sénateur Murray: Votre autre argument concernant la vulnérabilité constitutionnelle, si je peux m'exprimer ainsi, est que le traité et la loi constituent effectivement des régimes de licences et de réglementation et, comme le projet de loi envisage de mettre en vigueur une prohibition, il va au-delà de cet objet et pourrait donc être déclaré inconstitutionnel en cas de contestation judiciaire.
M. Bankes: Oui, c'est bien mon point de vue. Si on examine le libellé de l'article III et qu'on le lise en parallèle avecl'article VIII du traité, qui prescrit à l'intention de la Commission mixte internationale la façon de traiter les demandes présentées aux termes des articles III et IV, on ne peut pas manquer de dire qu'il s'agit d'un régime de licences.
De toute évidence, le gouvernement du Canada est habilité à rejeter, au cas par cas, un projet approuvé par la Commission mixte internationale. Je crois en outre qu'en vertu d'une autre rubrique de compétence, le gouvernement du Canada ou le Parlement du Canada peut interdire tous les projets touchant les eaux limitrophes. Je ne pense pas cependant qu'il puisse le faire en invoquant l'article 132.
Le sénateur Murray: Ne croyez-vous pas que si la contestation basée sur la Constitution est axée sur la prohibition inscrite dans le projet de loi, le gouvernement pourrait déclarer au tribunal: «Cette prohibition ne compte pas vraiment puisqu'il existe déjà un droit absolu de faire des exceptions»?
M. Bankes: Je n'avais pas pensé à cet argument avant de lire les «bleus» de vos délibérations, dans lesquels on avait tant insisté sur l'étendue des exceptions. Je continue à dire que le régime de base, ici, est un régime de prohibition et que ce sont des catégories d'activités, plutôt que des activités distinctes, qui sont exemptées.
Le sénateur Carney: Tout d'abord, au nom du comité, je voudrais vous remercier, monsieur Bankes, pour être venu de Calgary à Ottawa. Comme vous le savez, il n'est pas facile de voyager. Je sais en outre que c'est un moment très chargé pour vous, avec tout le travail que vous avez à l'université, et qu'il a fallu faire preuve de persuasion. Je vous suis très reconnaissante d'être venu nous aider.
J'aimerais savoir, monsieur le président, s'il nous est possible d'intégrer dans nos délibérations le témoignage que M. Bankes a donné devant le comité de la Chambre des communes, qui présente cet argument d'une façon très détaillée et qui comprend l'amendement qu'il a proposé.
Le sénateur Spivak: S'agit-il du document du 27 mai?
Le sénateur Carney: Si nous ne pouvons pas intégrer son document, il nous faudra poser des questions au sujet de l'amendement.
Nous devons faire inscrire l'amendement qu'il propose dans notre compte rendu. C'est un moyen de le faire.
Le président: Vous l'avez dans votre documentation.
Le sénateur Carney: J'aimerais que son amendement figure dans notre compte rendu.
Le président: Il se trouve dans votre documentation.
Le sénateur Carney: L'aurons-nous donc dans notre compte rendu?
Le président: Non. Je suppose qu'il se trouve dansle compte rendu du comité de la Chambre des communes.Les deux Chambres sont distinctes. Quiconque est intéressé peut lire le compte rendu de la Chambre des communes.
Le sénateur Murray: Le témoin peut également donner lecture de son amendement.
Le président: Oui.
Le sénateur Carney: Je vais lire son amendement, après quoi j'aurai quelques questions à poser.
L'amendement qu'il propose...
Le président: Sénateur Corbin, avez-vous quelque chose à dire?
Le sénateur Corbin: Je veux simplement signaler que nous avons ici un document daté du 27 mai 2001 et réviséle 29 novembre 2001. Je suppose qu'il a été révisé pour nous. Il contient un projet d'amendement.
Le sénateur Carney: Je vais lire l'amendement pour qu'il paraisse à notre compte rendu. Ensuite, je poserai ma question au témoin.
Vous dites que cela serait plus proche des recommandations de la CMI concernant une approche de prudence et une inversion du fardeau de la preuve en replacement de la prohibition. Vous proposez donc ce nouveau libellé du paragraphe 13(1):
Malgré les articles 11 et 16, nul ne peut obtenir une licence l'autorisant à utiliser ou dériver des eaux limitrophes d'un bassin hydrographique en les captant et en les transférant à l'extérieur du bassin à moins d'avoir démontré, à la satisfaction du ministre, que le captage, compte tenu de tous effets environnementaux cumulatifs susceptibles de résulter de la proposition et d'autres utilisations et besoins existants ou projetés dans le bassin hydrographique, ne mettra pas en danger l'intégrité de l'écosystème du bassin hydrographique dont ces eaux limitrophes font partie.
Ma question porte sur la relation entre le ministre et la CMI. L'autre soir, le ministre nous a dit ceci:
C'est un amendement de la Loi du traité des eaux limitrophes internationales. Le projet de loi ne peut pas donner au gouvernement fédéral de nouveaux pouvoirs parce qu'il est limité par le traité international. Votreinterprétation [...]
Mon interprétation est que le projet de loi peut servir à délivrer des licences pour l'exportation d'eau plutôt qu'à imposer des restrictions sur les exportations.
[...] irait totalement à l'encontre du traité mis en oeuvre par la loi que le projet de loi modifie.
Ma question est simple: les pouvoirs que le projet de loi confère au ministre sont-ils limités par le traité et la CMI? Nous disons que ces pouvoirs s'exercent des deux côtés. Nous disons qu'il s'agit d'un projet de loi qui sert à la fois à délivrer des licences et à interdire. Quel est le rapport entre le ministre et la CMI? La CMI peut-elle limiter le droit du ministre de délivrer une licence pour l'exportation d'eau en vertu du projet de loi?
M. Bankes: Ma position à cet égard est que toute proposition qui aurait pour effet de modifier le niveau des eaux limitrophes nécessiterait l'approbation tant de la Commission mixte internationale que du ministre, au moins si elle est traitée aux termes de l'article 11 ou 12 du projet de loi. Si elle est traitée aux termes de la disposition de prohibition, l'article 13 signifierait que, même si la CMI est disposée à approuver un captage, il ne serait pas autorisé en vertu des lois du Canada. À mon avis, l'article 13 ajoute des dispositions qui ne se trouvent pas dans le traité.
Le sénateur Carney: Dans ce cas, compte tenu des pouvoirs que le projet de loi confère au gouverneur en conseil, qui aurait le dernier mot, le ministre ou la CMI?
M. Bankes: Même si une exception au nouvel article 13 est déclenchée d'une façon ou d'une autre, de sorte que nous aurions un projet soustrait à cet article, le projet nécessiterait quand même l'approbation de la CMI et la délivrance d'une licence aux termes du nouvel article 11 s'il influe sur le niveau des eaux limitrophes. S'il n'influe pas sur ce niveau, parce que le captage d'eau est minimal, il ne déclencherait ni les articles 11 et 13 du projet de loi ni le Traité des eaux limitrophes.
Le sénateur Carney: Et que faites-vous de la disposition de présomption? Vous avez déjà dit, dans votre exposé, à la Chambre des communes ou ici, que conformément à la disposition de présomption, même des retraits d'eau minimes pourraient être réputés avoir influé sur le niveau des eaux. L'objet de ma question est de déterminer qui a le dernier mot. Qui est la personne ou l'organisme qui peut dire: «Non, le ministre ne peut pas faire ceci» ou «Le ministre peut faire cela»? Qui peut entraver un projet?
La CMI peut-elle entraver les pouvoirs du ministre?
M. Bankes: Si vous avez un projet qui peut influer sur le niveau des eaux limitrophes...
Le sénateur Carney: Ou qui est réputé pouvoir le faire.
M. Bankes: S'il est réputé modifier le niveau des eaux limitrophes aux termes du nouvel article 13, cela signifie que le projet ne fait pas l'objet d'une exception. Dans ce cas, son exécution ne sera pas autorisée parce qu'il tomberait sous le coup de la disposition de prohibition. S'il fait l'objet d'une exception, on ne tient pas compte de la disposition de présomption et on se limite à appliquer l'article III du traité et l'article 11 du projet de loi.
Le sénateur Carney: Est-ce que cela réduit ou non le pouvoir du ministre? Je veux savoir si le traité a préséance sur le droit du ministre d'octroyer une licence en vertu des exceptions. Vous avez également signalé que la CMI n'a jamais demandé une prohibition et qu'elle s'est limitée à adopter l'approche de prudence.
Si le projet de loi suscite des préoccupations, est-ce la CMI qui jouera le rôle du gardien en empêchant la délivrance d'une licence? Si nous ne le savons pas, c'est un bon point, parce qu'il y aurait alors lieu de clarifier les dispositions du projet de loi.
M. Bankes: La CMI a toujours son mot à dire dans le cas d'un projet qui influera sur les niveaux. L'article III du traité exige son approbation. Ensuite, il y a l'exigence complémentaire d'une licence conformément au nouvel article 11. Si le projet n'influe pas sur les niveaux d'eau, à moins qu'il ne tombe sous le coup de la disposition de présomption parce qu'il retire de l'eau du bassin hydrographique, alors, c'est au ministre de décider.
Le sénateur Carney: Je ne suis pas convaincue que vous avez répondu à ma question. Vous souhaitez peut-être avoir l'occasion de vous expliquer.
Le sénateur Corbin: Ce n'est peut-être pas la réponse vous vouliez entendre.
Le sénateur Carney: Je suis très ouverte à cet égard. Je m'inquiète du projet de loi et je veux donc me renseigner. Je n'ai pas fait venir M. Bankes pour qu'il défende une position donnée. Je l'ai fait venir parce qu'il en sait plus sur la CMI que n'importe qui d'autre dans cette salle.
Voulez-vous nous expliquer pourquoi vous pensez que votre amendement améliore le projet de loi? Vous voudrez bien répondre à cette question dans le contexte de ce que vous venez de dire, à savoir que la CMI n'a jamais demandé une prohibition, préférant une approche de prudence. Je suppose que votre amendement suit la recommandation de la CMI concernant l'approche de prudence. Il est évident que vous préférez cette approche à la disposition de prohibition du ministre. Pourquoi pensez-vous que votre amendement améliore le projet de loi?
M. Bankes: J'ai proposé ce libellé parce que je pense qu'il est plus solide sur le plan constitutionnel. Vous pouvez constater que le texte proposé correspond davantage à un régime de licences qu'à un régime de prohibition. Par conséquent, il concorde mieux avec l'article III du traité. Pour plus de certitude, on peut examiner le rapport de la CMI à ce sujet.
Je crois que le libellé que je propose concorde mieux avec le texte du Traité des eaux limitrophes. Je pense également qu'il est possible de l'appuyer sur le pouvoir relatif à la paix, l'ordre et le bon gouvernement, qu'il serait difficile d'invoquer avec le libellé actuel.
Le sénateur Carney: Le projet de loi, dans sa forme actuelle qui donne des pouvoirs discrétionnaires au gouverneur en conseil et qui confère d'autres pouvoirs par voie de règlement, peut-il servir à autoriser des exportations en vrac d'eaux limitrophes?
M. Bankes: Supposons qu'il soit proposé de construire un pipeline pour envoyer du charbon au sud de la frontière ou qu'une municipalité veuille capter des quantités supplémentaires d'eau. J'ai l'impression que ces deux catégories d'utilisation pourraient être acceptées en vertu des pouvoirs exceptionnels conférés par le nouvel article 13. Toutefois, si elles influaient sur le niveau des eaux limitrophes, les projets devraient obligatoirement être examinés par la Commission mixte internationale qui est habilitée à dire non.
Le sénateur Carney: Je veux savoir si, oui ou non, ce pouvoir existe. Vous avez cité l'exemple d'un pipeline à charbon. Est-ce que le captage d'eau à des fins d'irrigation aux États-Unis serait autorisé s'il est possible de prouver, dans le cadre d'une évaluation environnementale ou autrement, qu'il n'influerait pas sur le niveau des eaux limitrophes?
M. Bankes: Vous demandez s'il peut y avoir une exception reliée à l'utilisation de l'eau à des fins d'irrigation en vertu du paragraphe 13(4) du projet de loi, dans sa forme actuelle?
Le sénateur Carney: Compte tenu du fait que le ministre peut faire des exceptions, définir des conditions et prendre des règlements, cela est-il possible? Un ministre futur pourrait-il le faire?
M. Bankes: Je crois que la réponse est oui.
Le sénateur Grafstein: J'ai beaucoup d'expérience au sujet de la constitutionnalité des questions touchant l'eau. J'ai un projet de loi qui a franchi à l'unanimité les étapes de la première et de la deuxième lecture au Sénat. J'ai lu environ 37 des 47 mesures législatives intérieures concernant l'eau. Je suis donc très intéressé par votre point de vue constitutionnel.
J'ai abouti à une conclusion différente au sujet de ce projet de loi. Je crois qu'il s'agit d'une mesure législative très élégante et très soigneusement rédigée. Je critique souvent le ministère mais, dans ce cas, je suis persuadé que le projet de loi correspond à l'objectif poursuivi qui est de mettre en oeuvre, par voie d'amendement, le Traité des eaux limitrophes internationales. Si le projet de loi déborde le cadre du traité, nous allons avoir des difficultés.
Je vais commencer par parler de l'aspect constitutionnel. Il y a beaucoup de façons de le faire, mais les paragraphes 13(1) et (2) s'inscrivent clairement dans l'article 91.27 de la Loi constitutionnelle, qui donne au gouvernement fédéral le pouvoir de légiférer en matière criminelle. Pourquoi ne serait-ce pas le cas des paragraphes 13(1), (2), (3) et (4)? C'est sans contredit dans le champ de compétence exclusif du gouvernement fédéral.
Le sénateur Spivak: Cela ne s'applique pas aux exceptions.
M. Bankes: Bien qu'il soit possible de rédiger ces dispositions de façon à les appuyer sur le pouvoir en matière criminelle, je ne crois pas que le projet de loi le fasse. Je dis cela parce que le bien visé par cette disposition n'est pas de protéger l'environnement ou la santé humaine, c'est plutôt de protéger le niveau des eaux.
C'est le seul bien visé par les paragraphes 13(1) et 13(2) et par le traité. La protection du traité se fonde surtout sur la navigation, et non sur des préoccupations environnementales.
Le sénateur Grafstein: Pour moi, l'article 22 du projet de loi est très clair. Il est ainsi libellé:
Quiconque contrevient aux paragraphes [...] 13(1) commet une infraction...
Il n'est pas question de bien ou de mal. Il s'agit de l'application du pouvoir exclusif en matière criminelle. Où est la difficulté? Il n'y a aucun doute là-dessus.
Le sénateur Carney: Avez-vous le projet de loi?
M. Bankes: Oui.
Le sénateur Grafstein: Si vous voulez témoigner, sénateur, je serai heureux de vous interroger.
Le président: Nous avons également des fonctionnaires du ministère qui doivent témoigner après M. Bankes.
Le sénateur Grafstein: Si j'ai bien compris - je vais formuler mes observations et vous présenterez ensuite les vôtres -, le ministère a une tâche très difficile, d'une précision chirurgicale, à accomplir. Nous avons un traité, le Traité des eaux limitrophes internationales, qui définit les paramètres du projet de loi. Le projet de loi doit, de son côté, satisfaire à ces paramètres. S'il va au-delà, il peut être contesté à juste titre parce qu'il n'est pas conforme au traité. Je crois que le ministère a dit avec beaucoup d'éloquence: «Voici le traité. Nous voulons être sûrs, lorsque nous invoquerons le pouvoir en matière criminelle, par prohibition ou autrement, que nous nous maintiendrons dans les limites du traité.» Cela me semble clair, net et précis. Je ne me soucie pas de savoir s'il y a ou non un bien qui est visé. Qu'est-ce que le bien a à voir avec cela? Rien du tout.
M. Bankes: Permettez-moi de dire, avec respect, que cela est lié à la question de savoir si l'article proposé peut être justifié en vertu du pouvoir en matière criminelle. On ne peut pas tout simplement appuyer une disposition sur ce pouvoir en définissant une infraction à la fin du projet de loi. La disposition en cause doit pouvoir être justifiée. C'est pour cette raison que nous devons nous soucier du bien que la disposition vise à protéger.
Le sénateur Grafstein: Il n'y a aucune restriction sur le pouvoir en matière criminelle, sous réserve des dispositions de la Charte.
Le président: Monsieur Bankes, avez-vous une réponse particulière à donner à cette question?
M. Bankes: Non. Je veux seulement dire que la décision de la Cour suprême dans l'affaire Hydro-Québec explique la notion de pouvoir en matière criminelle. La Cour a dit qu'il était parfaitement loisible au Parlement de légiférer pour protéger la santé de l'environnement. Je ne vois cependant pas en quoi le projet de loi protège la santé de l'environnement puisque le mot «environnement» est absent. Le projet de loi traite du niveau des eaux limitrophes, qui est protégé par le traité pour des raisons autres que de simples motifs environnementaux. De toute évidence, en 1909, la principale préoccupation était la navigation et le transport.
Le sénateur Austin: Je me joins à mes collègues, monsieur Bankes, pour vous remercier de votre présentation. Il y a plusieurs questions que je voudrais examiner avec vous. La première est d'ordre constitutionnel. Vous convenez que le Traité des eaux limitrophes internationales de 1909 est un traité impérial aux termes de l'article 132.
M. Bankes: Oui.
Le sénateur Austin: Vous n'avez aucun doute sur la capacité législative du gouvernement du Canada, par l'entremise du Parlement, d'ajouter des dispositions visant à respecter l'intention du Traité des eaux limitrophes internationales de 1909?
M. Bankes: Il est clairement habilité à légiférer pour s'acquitter de ces obligations aux termes du traité. Le Parlement a une certaine latitude dans le choix des moyens de le faire.
Le sénateur Austin: Au sujet de la question dont nous sommes saisis, vous avez dit, au moins deux fois ce soir, que l'un des principaux objets du traité de 1909 est de réglementer le niveau des eaux des Grands Lacs, pour faire suite à la baisse unilatéralement occasionnée par le projet de drainage de Chicago, si je peux me permettre d'ajouter ce petit élément d'histoire. C'est exact. En parlant des «niveaux» mentionnés à l'article 13, vous conviendrez, je suppose, que le projet de loi concorde parfaitement avec le traité sur le plan constitutionnel? Comment pourrait-il en être autrement si c'est là le principal objet du Traité des eaux limitrophes internationales?
M. Bankes: La question des niveaux relève clairement du Traité des eaux limitrophes internationales et peut donc être abordée par le Parlement. La question néanmoins est de savoir si le Parlement peut présumer qu'une chose influe sur les niveaux et s'arroger ainsi le droit de légiférer à ce sujet. Je me demande donc si le Parlement peut substituer au régime de licences prévu dans le traité des catégories de prohibition.
Le sénateur Austin: Nous pouvons trouver tout un éventail de cas constitutionnels qui établissent que le Parlement peut déclarer que ce qui est noir est réputé être blanc et que ce qui est brun est réputé être vert. Si le Parlement fait une présomption de ce genre, il affirme: «Tels seront les faits aux fins de la présente loi.» Contestez-vous cette interprétation?
M. Bankes: Je ne la conteste pas du tout à titre d'interprétation statutaire ou de principe de droit administratif. Je la conteste cependant à titre de proposition de droit constitutionnel. Je peux penser à l'affaire Sutherland dans laquelle les tribunaux ont annulé une disposition de présomption. Cette décision concernait l'Accord sur le transfert des ressources naturelles. Ce qu'il ressort de cette affaire, c'est qu'une assemblée législative provinciale - et je crois qu'il en est de même pour le Parlement du Canada - ne peut pas déclarer qu'une chose est réputée être autre chose pour des motifs constitutionnels.
Le sénateur Austin: D'accord. Toutefois, nous n'avons pas affaire ici à un problème fédéral-provincial. Il s'agit d'une question qui relève exclusivement du pouvoir fédéral, dans laquelle on demande au Parlement du Canada d'adopter une disposition de présomption. À mon avis, cela ne s'inscrit pas dans le précédent que vous venez de citer.
M. Bankes: Le Parlement a évidemment certains pouvoirs en vertu de l'article 132, mais ils ne sont pas illimités. Il ne peut pas, par exemple, invoquer l'article 132 pour étendre la portée du traité et, du même coup, son propre champ de compétence. À mon avis, la disposition de présomption entre en conflit avec le traité.
Le sénateur Austin: J'aurais bien voulu comprendre votre argument. Tout cela relève strictement de la compétence fédérale. Il n'est pas question ici de pouvoirs provinciaux. Si le Parlement souhaite, par souci de certitude ou pour toute autre raison, déclarer qu'une chose relevant entièrement de l'article 132 est «réputée» être autre chose, il peut le faire.
Passons. Quelle interprétation donnez-vous aux mots du paragraphe 13(2) qui suivent «réputés», c'est-à-dire «étant donné l'effet cumulatif de ce type d'activité sur les eaux limitrophes...».
Comment interprétez-vous cela?
M. Bankes: J'y vois une tentative de renforcement de la disposition de présomption. À mon avis, le rédacteur est probablement conscient du fait que les dispositions de présomption sont vulnérables. Il présente donc un motif et une explication, selon lesquels s'il y a un grand nombre de projets, ils peuvent ensemble avoir un effet sensible sur le niveau des eaux.
Le sénateur Austin: À mon avis, il s'agit de conscience législative. C'est un avertissement à ceux qui présentent une demande. Le ministre tiendra compte des effets cumulatifs en prenant une décision. C'est sûrement une considération importante pour le ministre dans l'administration des niveaux. Il n'est pas question de considérer chaque projet en soi, mais de voir si une série de demandes, provenant par exemple de plusieurs municipalités ou groupes agricoles, peut entraîner une détérioration du niveau des eaux limitrophes. Une fois qu'on a donné une autorisation, on crée un précédent dont d'autres peuvent se prévaloir pour obtenir le même droit, ce qui peut en définitive faire baisser le niveau des eaux. Que pensez-vous de cette façon de voir les choses?
M. Bankes: Je ne serais d'accord avec vous qu'en l'absence d'une disposition de prohibition et en présence d'un régime de licences qui dirait au ministre: «Pour décider s'il convient ou non de délivrer une licence, vous devez tenir compte des effets cumulatifs.» Le libellé du paragraphe 13(2) n'appuie pas cette interprétation. À mon avis, il ne fait qu'appuyer la prohibition. Le ministre n'a pas à exercer de pouvoirs discrétionnaires dans ce cas. Le paragraphe dit simplement que tout captage qui extrait de l'eau d'un bassin hydrographique est réputé modifier le niveau de l'eau, qu'il le fasse ou non.
Le sénateur Austin: Le nouveau paragraphe 13(4) est ainsi libellé:
[Le paragraphe 1] ne s'applique pas dans les cas d'exception prévus par règlement.
Par conséquent, ce n'est pas une prohibition générale, c'est plutôt une disposition qui permet...
Le sénateur Carney: Le temps passe.
Le président: Je contrôle le temps, sénateur Carney. J'ai d'ailleurs été fort généreux en contrôlant le vôtre.
Le sénateur Austin: J'estime que j'ai le droit de poursuivre mon contre-interrogatoire.
Le sénateur Carney: Bien sûr.
Le sénateur Austin: Je vous remercie beaucoup.
Le sénateur Carney: Le président a clairement indiqué qu'il y a d'autres témoins. Je crains donc que les membres de notre côté n'aient pas la possibilité d'intervenir.
Le sénateur Austin: Il faut répartir équitablement le temps entre les deux côtés.
Le président: Je crois avoir été généreux avec tout le monde, et surtout avec vous, sénateur Carney. Le sénateur Austin est en train de poser une série de questions. Il devrait pouvoir aller jusqu'au bout.
Le sénateur Austin: Je me suis tu tant que vous posiez des questions. Je n'aime pas du tout vos interruptions. Je tiens à ce que cela soit clair.
Monsieur Bankes, que savez-vous de la Convention de Vienne sur le droit des traités? En connaissez-vous les dispositions?
M. Bankes: Je ne connais pas à fond chaque article de cette convention, mais vous pouvez me mettre à l'épreuve.
Le sénateur Austin: Conformément à l'article 31(2)b) de la convention, tout instrument établi par une ou plusieurs parties à l'occasion de la conclusion du traité peut servir aux fins de l'interprétation du traité.
L'auteur de ce document dit que la déclaration commune des parties fait autorité en ce qui concerne le traitement de l'eau à l'état naturel en vertu de l'ALENA.
Je me reporte à la convention de Vienne parce que nous avons entendu MM. Mann et Appleton affirmer dans leur exposé que, pour une raison ou une autre, l'eau à l'état naturel est un bien. Je citais la convention de Vienne comme autorité. Comme vous le savez, les trois signataires de l'ALENA ont dit que l'eau n'est pas un bien aux termes de l'accord. La convention de Vienne confirme que si les parties font une telle déclaration, aucun doute ne peut subsister. Qu'en pensez-vous?
M. Bankes: Ma seule réserve à ce sujet est que cet article de la convention de Vienne n'est qu'une règle d'interprétation. Je ne crois pas qu'on puisse dire qu'aucun doute ne peut subsister. L'article dit simplement que vous pouvez considérer ces aspects pour vous aider à interpréter le texte du traité et à éclaircir l'intention des parties.
Le sénateur Spivak: Je voudrais remercier le président de m'avoir donné la parole en dépit du fait que je ne sois pas membre du comité.
Il y a tous ces avocats autour de la table qui discutent de détails. Le contexte est néanmoins le suivant: ceci n'est qu'une partie d'une politique à trois volets concernant l'eau. L'objectif est de préserver l'environnement canadien d'une catastrophe naturelle occasionnée par le captage en vrac de l'eau.
Dans les discussions que nous avons eues avant cette réunion, les questions les plus importantes portaient sur les exceptions. Sous le titre «Licences», le nouveau paragraphe 11(2) dit ce qui suit:
Le paragraphe (1) ne s'applique pas lorsque les eaux sont utilisées normalement à des fins domestiques ou sanitaires ni dans les cas d'exception prévus par règlement.
On dit que ces exceptions ne sont pas soumises au Parlement, qu'elles peuvent être modifiées et qu'elles ne font l'objet d'aucune surveillance. En d'autres termes, ces exceptions peuvent être élargies ou interprétées différemment sans que le Parlement soit au courant.
L'autre problème est relié aux pouvoirs discrétionnaires illimités conférés au ministre. Le nouvel article 16 est ainsi libellé:
Sous réserve des règlements, le ministre peut, sur demande, délivrer, renouveler ou modifier une licence [...] et l'assortir des conditions qu'il estime indiquées.
Je crois que c'est le sénateur Carney qui a dit qu'avec de tels pouvoirs, le ministre peut se permettre n'importe quoi.
Dans votre amendement, vous explicitez l'objectif réel du projet de loi, qui est de réglementer le débit, mais aussi, compte tenu de la disposition de présomption, de faire face aux effets cumulatifs. Vous dites que c'est une question environnementale.
C'est ce que vous dites dans votre amendement.
Voilà ma question...
Le président: Quelle est la question? Pouvez-vous poser votre question, sénateur Spivak?
Le sénateur Spivak: J'ai écouté tout le monde, monsieur le président.
Le président: Je le comprends, mais vous n'êtes pas membre du comité, sénateur Spivak.
Le sénateur Spivak: Voilà ma question: est-ce que cet amendement peut suffisamment réduire les énormes pouvoirs discrétionnaires conférés au ministre? En d'autres termes, est-ce que l'amendement aura un effet sur les exceptions prévues par règlement? Est-ce qu'il limitera les pouvoirs discrétionnaires du ministre? Ma question est semblable à celle du sénateur Carney, sauf qu'elle est plus précise.
Pouvons-nous être sûrs que cet amendement limitera les pouvoirs discrétionnaires du ministre pour les questions environnementales et qu'il limitera également la portée des règlements?
M. Bankes: Permettez-moi de vous présenter deux arguments. D'abord, il est très clair que j'essaie de placer les considérations environnementales au centre du projet de loi...
Le sénateur Spivak: C'est aussi l'objectif du gouvernement.
M. Bankes: ... au lieu de les enterrer. Dans ma proposition écrite, je dis, aux paragraphes 8 et 9, qu'il y aurait d'autres modifications corrélatives. Je crois que cet amendement particulier peut, avec les modifications corrélatives, limiter les énormes pouvoirs discrétionnaires conférés au ministre au paragraphe 13(4). J'ajoute, au paragraphe 9 de mon document, comme je l'ai dit à la fin de mon exposé, qu'il conviendrait d'imposer des conditions préalables au ministre avant d'autoriser ces exceptions.
Je crois qu'ensemble, ces mesures que je propose permettraient de répondre à certaines des préoccupations exprimées.
Le sénateur Spivak: Le projet de loi aurait alors des objectifs plus clairs. Personne ici ne conteste ces objectifs. Nous nous opposons aux moyens. À votre avis, cela renforcerait le projet de loi dont le gouvernement veut se servir pour atteindre ces objectifs.
M. Bankes: Oui, je le crois.
Le sénateur Spivak: J'ai juste une autre question. Un témoin précédent - je crois que c'était M. Appleton - a dit que le projet de loi a des effets extraterritoriaux à cause de l'expression «eaux limitrophes». Tant dans le traité que dans la loi, cette expression désigne les eaux «de terre ferme à terre ferme». En omettant de mentionner les eaux canadiennes dans le projet de loi, nous créons, selon M. Appleton, des infractions criminelles pour les Américains du côté américain de la frontière. Qu'en pensez-vous?
M. Bankes: Je ne suis pas du tout d'accord. Je ne crois pas qu'un tribunal puisse ne serait-ce qu'envisager une interprétation de ce genre.
Le sénateur Graham: La Loi du traité des eaux limitrophes internationales donne au gouvernement fédéral des pouvoirs clairs sur les eaux limitrophes définies par le traité. Le gouvernement estime que la modification de cette loi constituait le meilleur moyen d'atteindre ses objectifs, par rapport à la prohibition, tout en respectant les champs de compétence provinciaux. Acceptez-vous ce point de vue?
M. Bankes: Je crois l'avoir dit au début de mon exposé, sénateur. Je regrette de ne pas l'avoir confirmé lorsque le sénateur Austin a dit qu'il s'agissait d'un projet de loi «d'une précision chirurgicale». J'ai dit qu'à mon avis, le Parlement devrait intervenir le moins possible dans le domaine de l'eau qui, après tout, relève essentiellement de la compétence provinciale. Quoi qu'il en soit, c'est ma réponse.
Le sénateur Graham: Vous avez dit dans votre exposé préliminaire que les ressources en eau appartiennent aux provinces et qu'elles sont essentiellement assujetties à la législation provinciale. On nous a dit que d'importantes consultations ont eu lieu avec les provinces à partir de 1998, puis en 1999, que neuf provinces sur dix ont adopté les mesures législatives nécessaires et que le Nouveau-Brunswick est en train d'examiner les possibilités qui s'offrent à lui sur le plan législatif.
Avez-vous eu connaissance de plaintes des provinces au sujet du projet de loi?
M. Bankes: Non. Je souhaite simplement que le Parlement puisse tenir sa part du marché. J'aimerais voir un article 13 pouvant résister à des contestations.
Le sénateur Graham: Je comprends. Vous avez dit que les ressources en eau appartiennent aux provinces et qu'elles sont essentiellement assujetties à la législation provinciale. Toutefois, à la question de savoir s'il y a des provinces qui se sont plaintes du projet de loi C-6, vous avez répondu non.
M. Bankes: C'est exact, monsieur.
Le sénateur Carney: Monsieur le président, je voudrais préciser l'affirmation faite plus tôt selon laquelle l'ALENA établit que l'eau à l'état naturel n'est pas un bien exportable. Je voudrais ajouter que, d'après la même disposition, si l'eau est captée et entre dans le commerce, elle peut néanmoins donner lieu à des obligations en vertu du GATT, de l'ALE et de l'ALENA. Il faut considérer les deux aspects pour que la citation soit valable.
Monsieur Bankes, il y a deux questions que nous n'avons pas encore abordées. Quels sont les facteurs de réciprocité dans le projet de loi? Au cours d'un témoignage précédent, le sénateur Graham a dit que, dans des traités internationaux de ce genre ou dans le cas d'organismes tels que la CMI, il y a toujours des dispositions de réciprocité. Il a demandé au ministre quelle réciprocité s'appliquait. On peut voir dans les «bleus« que le ministre n'a jamais directement répondu à cette question. Si le projet de loi C-6 est adopté, est-ce que les Américains seraient obligés d'adopter des mesures législatives semblables? Si c'est le cas, l'ont-ils fait?
M. Bankes: La réponse à la première question est facile: il n'y a pas d'obligation. Quant à la seconde, il y a bien sûr la Charte des Grands Lacs. Je ne crois pas me tromper en disant - les fonctionnaires du ministère pourront le confirmer plus tard - que tous les États ont adopté des lois de mise en oeuvre. Toutefois, cela limite mais n'interdit pas le captage d'eau des bassins hydrographiques. En principe, tous les États et toutes les provinces doivent consentir, mais je ne crois pas qu'il y ait une interdiction directe. De plus, la Charte elle-même n'est pas un document qu'on peut mettre en vigueur.
Le sénateur Carney: Le sénateur Graham voudra peut-être commenter ce point. Vous avez été très patient avec nous.
Le président: Le sénateur Graham a été très patient.
Le sénateur Carney: Monsieur Bankes, vous dites dans votre document que vous êtes d'accord avec les nombreux témoins qui ont dit que le pouvoir d'établir des exemptions dans le projet de loi C-6 est extrêmement vaste. Compte tenu de vos préoccupations, vous proposez ce qui suit:
[...] il faudrait s'efforcer de limiter ce pouvoir en imposant au ministre de procéder à un examen qui lui permette d'aboutir raisonnablement à la conclusion que les exemptions envisagées ne menacent pas l'intégrité écologique et n'ont pas d'effets cumulatifs sur les niveaux ou les débits. En outre, les exemptions devraient peut-être faire l'objet d'examens périodiques.
Comme j'ai déjà été ministre et que j'ai pu constater qu'il arrive souvent aux ministres de ne pas pouvoir aboutir à des conclusions raisonnables, comment feriez-vous pour transposer votre proposition dans une disposition législative? De quelle façon imposeriez-vous un examen périodique des exemptions? Compte tenu des préoccupations soulevées par le projet de loi, ce serait une excellente proposition.
M. Bankes: Vous me demandez comment rédiger la disposition législative. Cela pourrait être assez difficile, mais j'ai ajouté que le ministre devrait aboutir à une conclusion raisonnable plutôt que de s'appuyer sur sa propre opinion. Pour être jugé appropriée, une exception doit se fonder sur certains critères. À mon avis, ces critères pourraient s'inspirer du texte précédent que j'avais proposé au paragraphe 13(1). Il serait également possible d'inscrire dans le projet de loi une disposition fixant une durée de validité pour tout règlement de mise en vigueur d'une liste d'exceptions.
Le sénateur Carney: L'examen serait-il confié au Parlement?
M. Bankes: Il ne serait pas nécessaire que le Parlement se charge de l'examen, mais la loi pourrait prescrire une durée de validité pour les exceptions. À l'expiration du délai, le ministre pourrait autoriser à nouveau l'exception, encore une fois après avoir abouti à des conclusions raisonnables et indépendamment de toute l'activité attribuable aux exceptions.
Le sénateur Carney: Si le Parlement ne s'occupe pas de l'examen, qui en serait chargé?
M. Bankes: Le ministre ferait l'examen, sur la recommandation de ses fonctionnaires.
Le sénateur Austin: Monsieur Bankes, je me pose des questions au sujet de ce que je crois être une vraie contradiction entre les paragraphes 6 et 8 de votre document. Le paragraphe 8 contient votre recommandation, tandis que le paragraphe 6 traite de l'importance du niveau ou du débit des eaux limitrophes. Vous avez des doutes quant au bien-fondé des dispositions du projet de loi. Il me semble cependant que, dans votre recommandation, vous allez bien au-delà du Traité des eaux limitrophes internationales en fondant les mesures à prendre sur le maintien de l'intégrité de l'écosystème. À moins que je ne comprenne mal le sens du mot «écosystème», vous ajoutez beaucoup de nouveaux éléments. Le Traité des eaux limitrophes internationales de 1909 n'avait aucun objectif relié aux écosystèmes. Que pensez-vous de cela? Je comprends vos aspirations, mais pouvez-vous aller aussi loin?
M. Bankes: Je m'appuie dans ce cas sur deux éléments. Je ne me base pas seulement sur l'article 132, parce que je n'en ai pas besoin si je rédige la disposition de cette façon. Je peux également m'appuyer sur le pouvoir relatif à la paix, l'ordre et le bon gouvernement en disant qu'il s'agit d'une préoccupation nationale, à savoir les valeurs écologiques associées aux eaux communes. Je dirais en outre que cette forme de rédaction suit dans une certaine mesure les recommandations mêmes de la Commission mixte internationale, sur lesquelles je m'appuie également.
Le sénateur Austin: Je ne m'oppose pas à votre objectif, mais j'ai l'impression que nous aurions besoin d'ajouter un protocole au traité pour pouvoir l'atteindre.
Le président: Je vous remercie, monsieur Bankes. Vous avez été très généreux de votre temps. Nous vous en sommes très reconnaissants.
Sénateurs, nos témoins suivants sont les fonctionnaires du ministère. Je vais d'abord leur demander de prendre quelques minutes pour répondre à certains des points qui ont été soulevés. Nous passerons ensuite aux questions.
M. Peter Fawcett, directeur adjoint, Direction des relations transfrontières avec les États-Unis, ministère des Affaires étrangères et du Commerce international: Je vais parler des questions reliées au traité et aux aspects commerciaux, en tenant compte du fait qu'il n'y a pas de dispositions commerciales précises. M. Reiskind traitera des questions juridiques etM. Cooper abordera les questions environnementales.
Votre débat sur ce sujet a été très intéressant. Je vais d'abord parler de la question des licences et de la prohibition. L'article 11 du projet de loi porte sur le régime de licences concernant la dérivation d'eau à l'intérieur des bassins hydrographiques, régime qui donnerait un caractère officiel au processus d'approbation actuel du gouvernement du Canada. Ce point est distinct de la disposition de prohibition. Les articles 11 et 12 du projet deloi C-6 portent sur l'obligation pour le Canada d'approuver ou de rejeter les projets pouvant modifier le niveau ou le débit naturels des eaux de l'autre côté de la frontière. De plus, comme vous le savez sans doute, de tels projets nécessitent également, en vertu du traité, une approbation distincte et indépendante de la Commission mixte internationale. Par conséquent, le régime de licences ne confère aucun nouveau pouvoir au gouvernement. C'est simplement une mesure administrative.
La prohibition, qui se trouve à l'article 13, est en fait le principal objet du projet de loi. Son but est d'interdire le prélèvement en vrac d'eaux limitrophes de leur bassin hydrographique. Le projet de loi C-6 a été rédigé d'une manière restrictive, en partant d'une interdiction destinée à satisfaire à l'obligation qu'impose le traité de ne pas modifier les niveaux et les débits.
Le projet de loi assurera également un important degré de protection des écosystèmes et des collectivités qui comptent sur un approvisionnement durable en eau dans le bassin hydrographique. L'interdiction est centrée sur les prélèvements en vrac à cause des volumes et des effets cumulatifs. Il n'est pas question d'interdire le captage de petites quantités d'eau. Ce serait d'ailleurs très difficile d'un point de vue administratif.
Comme le précise l'article 13, l'interdiction soustrait le captage d'eau en vrac au régime de licences, malgré l'article 11 proposé, et impose au gouvernement d'interdire ces projets. C'est une disposition particulièrement ferme qui vise à distinguer le régime de licences du régime de prohibition. Les licences s'appliquent aux projets réalisés à l'intérieur du bassin hydrographique, tandis que la prohibition s'applique aux prélèvements qui retireraient de l'eau du bassin hydrographique. Cela donne l'impression qu'on autorise certaines formes d'exportation, mais ce n'est pas l'intention du projet de loi.
Je voudrais aborder une autre question commerciale. Elle est importante parce qu'elle est contraire à l'approche du projet de loi. Elle a fait l'objet de discussions lors du témoignage de M. Appleton, qui avait dit que l'eau est un bien. Je crois même qu'il a soutenu que toute l'eau est un bien. Cette affirmation s'appuyait en partie sur le fait que l'eau à l'état naturel figure au tarif des douanes.
À notre avis, cette affirmation est fausse. Le tarif des douanes est conçu comme système de classification pour fins de négociation des tarifs, afin de permettre aux importateurs et aux exportateurs de déterminer le droit applicable à un article particulier et de régler différentes autres questions techniques, comme l'administration, les règles d'origine et les évaluations en douane. Le tarif des douanes ne définit pas ce qui constitue ou ne constitue pas un bien et ne permet pas de déterminer si l'eau est un bien ni quand elle peut l'être. Le tarif établit que, lorsque l'eau est considérée comme un bien, elle s'inscrit sous un titre tarifaire particulier. C'est là une distinction très importante. En d'autres termes, un bien peut être classé d'une certaine façon, mais le simple fait qu'il soit ainsi classifié n'en fait pas automatiquement un bien.
Le sénateur Andreychuk: C'est une interprétation comme une autre.
M. Fawcett: Cette approche a clairement l'appui de la Commission mixte internationale, que nous appuyons tous, je crois. La Commission a demandé l'avis de quelques-uns des meilleurs spécialistes du droit commercial du pays avant de prendre position. Je m'opposerais à quiconque dirait que la Commission mixte internationale se trompe dans les recommandations qu'elle formule dans ce rapport.
La question de l'absence d'une interdiction d'exportation s'est posée à plusieurs reprises. Nous préférons interdire les prélèvements en vrac à l'extérieur du bassin hydrographique pour deux bonnes raisons. Tout d'abord, nous considérons ainsi l'eau comme une ressource, et chacun sait que les gouvernements ont pleine autorité pour gérer leurs ressources en eau. Ensuite, cette façon de procéder a des avantages sur le plan environnemental. Il est établi que le prélèvement d'eau d'un bassin hydrographique a des effets sur l'environnement. Nous craignons d'interdire les exportations parce que nous ne pouvons le faire qu'à la frontière et seulement après avoir accepté que l'eau constitue un bien, qui peut donc être assujetti aux obligations découlant de nos traités internationaux.
Voilà le contexte qui explique notre approche environnementale et la prohibition des prélèvements d'eau en vrac.
M. Jason Reiskind, conseiller juridique, Section du droit international, ministère de la Justice: Je vais peut-être commencer par le témoignage de M. Bankes aujourd'hui.
Dans l'ensemble, je crois que ses propositions nous éloigneraient encore plus de la clarté et de la certitude et ne nous permettraient donc pas d'atteindre l'objectif de contrôle et d'interdiction des exportations d'eau en vrac que nous visons.
Le libellé de l'article III du traité est très simple:
[...] aucun usage ou obstruction ou détournement nouveaux [...] influençant le débit ou le niveau naturels des eaux limitrophes [...] ne pourront être effectués si ce n'est par l'autorité [...] du Dominion canadien dans les limites de leurs territoires respectifs et avec l'approbation [...] d'une commission mixte qui sera désignée sous le nom de «Commission mixte internationale».
Autrement dit, aucun nouvel usage pouvant modifier les niveaux ou les débits ne peut être autorisé sans le double consentement et du gouvernement et de la Commission mixte.
Je trouve étrange qu'on dise qu'une prohibition déborde le cadre du traité. Le libellé me semble très clair. De plus,M. Bankes lui-même admet que le gouvernement peut dire non à chaque projet de captage d'eau en vrac sans avoir à passer par la Commission mixte internationale. Je ne vois pas de différence entre le fait de dire d'avance «Nous ne transmettrons aucun de ces projets à la Commission mixte» et le fait de dire non, projet par projet.
Par ailleurs, en s'écartant du champ d'application du traité et du fondement constitutionnel de l'article 132 pour invoquer le pouvoir relatif à la paix, l'ordre et le bon gouvernement, je crois qu'on s'écarte de la certitude pour aller dans le sens d'un manque de clarté.
M. Bankes a mentionné, je crois, la Loi sur les ouvrages destinés à l'amélioration des cours d'eau internationaux et sa base constitutionnelle. Je voudrais citer, pour ma part, l'ouvrage bien connu du juge La Forest, Water Law in Canada - The Atlantic Provinces, concernant la base constitutionnelle de la Loi sur les ouvrages destinés à l'amélioration des cours d'eau internationaux. On trouve ce qui suit à la page 344: «On pourrait peut-être trouver une justification dans la disposition concernant la paix, l'ordre et le bon gouvernement.»
Pourquoi devrions-nous passer à une hypothétique justification possible quand nous avons déjà une base constitutionnelle solide, comme l'admet M. Bankes, dans l'article sur les traités impériaux?
Si vous le permettez, je vais aborder brièvement quelques points soulevés par d'autres témoins la semaine dernière.
Certains pensent que le projet de loi accorde des pouvoirs réglementaires excessifs au ministre. Comme le sénateur Bolduc l'a lui-même signalé, nous essayons de mettre en oeuvre un traité international, ce qui nécessite dans beaucoup de cas une certaine latitude dans la loi pour en assurer une application efficace au fil des ans.
En ce qui concerne la structure du projet de loi, je ne crois pas qu'on puisse trouver grand-chose qui s'écarte d'autres mesures législatives semblables. Je pourrais vous en donner une liste et, si les sénateurs le souhaitent, je pourrais à un moment donné vous lire quelques dispositions. Je vais cependant me limiter à quelques exemples pour que nous puissions avancer aujourd'hui. La Loi sur les eaux du Yukon de 1992 accorde un pouvoir réglementaire considérable, y compris le pouvoir de prendre des règlements établissant des zones de gestion des eaux. Par conséquent, le domaine du contrôle relève de la réglementation. Il y a également la Loi canadienne sur l'évaluation environnementale de 1992, en vertu de laquelle une évaluation environnementale n'est entreprise que si une loi est mentionnée dans un règlement.
Pour ce qui est de définir des termes par règlement, il y en a des exemples dans beaucoup de lois, comme la Loi sur les banques, la Loi sur les transports au Canada, la Loi canadienne sur la protection de l'environnement et d'autres.
Quoi qu'il en soit, comme l'ont mentionné des témoins tels que Mme Sullivan et M. Bankes aujourd'hui, toute exception à la prohibition prescrite à l'article 13 est soumise, de toute façon, au régime de licences selon les dispositions même du projet de loi et nécessite l'approbation de la Commission mixte internationale, en vertu des obligations découlant de notre traité avec les États-Unis. Ces exceptions devraient s'inscrire dans les paramètres du traité de 1909. Il n'est pas du tout question d'accorder carte blanche au ministre.
M. Mann a proposé d'appliquer l'article II du traité concernant certaines eaux limitrophes. À mon avis, il est tout à fait clair que l'article 4 de la loi initiale a pour objet de mettre en oeuvre l'article II, les libellés étant d'ailleurs presque identiques.
M. Appleton a parlé de la possibilité que les «fins domestiques» permettent des exportations à l'usage des ménages de la Californie. C'est sûrement aller au-delà de toute interprétation raisonnable. Quoi qu'il en soit, la prohibition prévue à l'article 13 ne prévoit pas d'exception pour fins domestiques, ce qui exclut une telle interprétation.
M. Appleton a également mentionné que les «eaux limitrophes» pourraient permettre une application extraterritoriale de la loi.M. Mann, et M. Bankes aussi, en réponse à une question directe, ont jugé que c'était une interprétation indéfendable. L'article 3 de la loi initiale établit clairement que les dispositions s'appliquent «au Canada sur son territoire».
M. John Cooper, directeur, Enjeux hydriques nationaux, Environnement Canada: Je voudrais aborder plusieurs aspects environnementaux de cette approche. Je suis très heureux queM. Bankes ait favorisé une approche environnementale par rapport à une interdiction des exportations. Je tiens à réaffirmer que l'approche environnementale constitue la base de notre travail avec les provinces en vue d'en arriver à interdire le prélèvement d'eau en vrac à l'échelle du Canada.
Il importe de comprendre l'approche environnementale et l'importance des bassins hydrographiques. Nous dépensons des centaines de millions de dollars chaque année pour protéger nos bassins hydrographiques, d'un double point de vue qualitatif et quantitatif, parce que toutes les utilisations de la terre, que ce soit l'agriculture, la foresterie ou l'exploitation minière, et toutes les activités menées dans un bassin de drainage ont des incidences sur le bassin hydrographique local.
Les provinces et le gouvernement fédéral ont adopté une approche de la protection des eaux et des écosystèmes fondée sur le bassin hydrographique. Et c'est encore une fois l'approche du bassin hydrographique qui constitue la base du projet de loi C-6.
Je vais brièvement parler de la disposition de présomption dans une perspective environnementale. Les prélèvements d'eau à l'extérieur d'un bassin hydrographique sont très différents des utilisations de l'eau à l'intérieur du bassin. Les premiers retirent l'eau à 100 p. 100 et à jamais du bassin. Dans la plupart des seconds, les eaux utilisées sont restituées au bassin hydrographique. C'est là une considération importante. Les collectivités et les écosystèmes dépendent d'un approvisionnement durable en eau. Il faut donc préserver l'eau d'un écosystème. Retirer de l'eau d'un bassin hydrographique est une chose très différente de l'utilisation à l'intérieur du bassin.
Cela nous amène à la Charte des Grands Lacs, qui a également été mentionnée. Les États des Grands Lacs collaborent pour mettre en oeuvre l'une des recommandations de la CMI concernant la protection des Grands Lacs et étudient la question des captages d'eau en vrac. En février, ils ont présenté un projet d'annexe proposant de considérer comme admissible le retrait du bassin des Grands Lacs de 1 million de gallons d'eau par jour.
Il y a des préoccupations tant sur le plan de l'approche de prudence que du point de vue des effets cumulatifs. Si beaucoup de projets retirent chacun du bassin hydrographique 100 millions de gallons d'eau par jour, les effets sur les niveaux et les débits seraient sensibles. Quand les États ont consulté le public et les provinces, ils ont constaté beaucoup d'opposition aux propositions. Lorsqu'ils ont présenté en juin l'annexe révisée, ces propositions n'y étaient plus. Ils ont dit qu'ils devaient réfléchir davantage à la question. De toute évidence, on se rend compte de la nécessité de tenir compte des effets cumulatifs et du principe de prudence quand on parle de retirer de l'eau du bassin hydrographique.
M. Appleton a dit que le bassin du Mississippi et celui des Grands Lacs sont maintenant reliés à la dérivation de Chicago, et que le tout forme un bassin unique. Ce n'est pas du tout le cas. Les deux bassins sont reliés par une voie d'eau à travers laquelle s'écoule une quantité d'eau qui est petite, mais appréciable. C'est exactement le genre de projet que nous essayons de prévenir. Il en est de même des projets proposés dans le Dakota du Nord, où la dérivation de Garrison ferait passer de l'eau du bassin du Missouri dans celui de l'Hudson, au détriment de nos écosystèmes et de nos pêches, par suite de l'introduction de pollution et d'espèces envahissantes. Il est évidemment important de s'entendre sur une politique intérieure commune au Canada.
Enfin, en ce qui concerne l'affirmation de M. Hart selon laquelle nous aurions jusqu'à 50 p. 100 de l'eau de la planète, je voudrais rétablir les faits. Nous avons 9 p. 100 des ressources mondiales d'eau renouvelable. C'est la quantité d'eau provenant des précipitations et de la fonte des neiges qui s'écoule chaque année dans nos rivières en direction des océans. Le reste de l'eau constitue notre capital, qui n'est pas remplacé chaque année. Nous avons environ 20 p. 100 de l'eau de la planète, mais seulement 9 p. 100 des ressources renouvelables en eau.
La CMI a clairement indiqué qu'en moyenne, seulement1 p. 100 de l'eau des Grands Lacs se renouvelle chaque année. Cette eau est utilisée à maintes reprises à l'intérieur du bassin hydrographique. Nous devons préserver cette situation en adoptant l'approche de prudence et en tenant compte des effets cumulatifs.
Le sénateur Bolduc: Monsieur Reiskind, vous avez entendu M. Bankes parler du paragraphe 6 de son document. Comme avocat, que pensez-vous de la rédaction législative de l'amendement qu'il a proposé à l'article 13 du projet de loi?
M. Reiskind: L'objet de la rédaction est de mettre en oeuvre l'intention du projet de loi. À mon avis, le texte que proposeM. Bankes occasionne des difficultés par rapport à ce que nous essayons d'accomplir. Par exemple, le fait de mentionner des normes ou des critères particuliers que le ministre est tenu d'examiner donne plus de latitude et plus de munitions à ceux qui essaient de faire approuver un projet, en leur suggérant des arguments à avancer devant les tribunaux pour défendre leur projet et empêcher le ministre de le rejeter.
Sur le plan de la rédaction, quand vous ajoutez des conditions, vous donnez à d'éventuels demandeurs de meilleures chances de s'attaquer avec succès aux motifs pour lesquels le ministre a rejeté leur projet.
De plus, quand on parle de licences assorties de conditions, il s'agit de conditions prescrites par la Commission mixte internationale. Si on inscrivait d'autres conditions dans le projet de loi, le ministre pourrait avoir de la difficulté à délivrer des licences assorties des conditions que la Commission mixte exige pour approuver un projet.
Le sénateur Bolduc: Par ailleurs, quand j'examine l'article 13 du projet de loi, je me rends compte qu'il interdit quelque chose, puis qu'il confère le pouvoir de faire le contraire par voie de règlement, de sorte qu'il n'y a plus d'interdiction. Nous discutons de ce point depuis le début. Deux avocats qui connaissent bien le sujet nous ont dit que nous avons raison. J'ai demandé s'il est vrai que le paragraphe 13(1) ne contient qu'une prohibition factice puisqu'on peut la contourner par voie réglementaire. M. Mann en a convenu avec moi. Qu'en pensez-vous vous-même?
M. Reiskind: D'autres témoins ont dit clairement que le ministre n'a pas carte blanche. De toute façon, s'il peut créer une exception, celle-ci doit quand même être approuvée par la Commission mixte internationale.
Le sénateur Bolduc: J'ai cru comprendre que le ministre exerce un rôle de supervision avant la CMI. Est-ce exact?
M. Reiskind: D'après le traité, soit le ministre soit la Commission mixte peut bloquer un projet. Si l'un des deux s'y oppose, le projet ne peut pas être réalisé. Aucun des deux ne peut approuver unilatéralement un projet.
Le président: S'il s'agit d'une commission mixte, je suppose que les Américains doivent y être présents.
Le sénateur Carney: Ma première question s'adresse à M. Fawcett. Quand vous avez parlé, il y a quelques instants, du rôle de la CMI, vous semblez avoir suggéré que nous étions opposés à la Commission ou que nous contestions son point de vue. Je voudrais signaler encore une fois que la Commission mixte internationale a dit dans son rapport: «Selon la Commission, il semblerait peu probable que l'eau dans son état naturel [...] soit incluse dans la portée de l'un quelconque de ces accords commerciaux...».
Le rapport poursuit en ajoutant que lorsque l'eau est captée et fait l'objet d'un commerce, elle peut être soumise à des obligations en vertu du GATT, de l'ALE et de l'ALENA. Il énonce ensuite les circonstances dans lesquelles la Commission croit qu'il pourrait y avoir de telles obligations. Je dis donc que la CMI, s'appuyant sur tous les experts que vous avez mentionnés, croit que des obligations sont possibles.
Vous dites que le projet de loi ne permet pas d'autoriser des exportations. Vous venez de l'affirmer. Toutefois, chacun des témoins qui est venu déposer ici nous a dit que c'est l'effet du projet de loi dans sa forme actuelle. Personne n'a déclaré que le projet de loi interdit les exportations. Comment pouvez-vous affirmer que le projet de loi n'a rien à voir avec l'autorisation des exportations quand chaque témoin a dit qu'il les autorise, que ce soit là son but ou non?
Le président: Il faut dire, sénateur Carney, qu'ils étaient tous vos témoins.
Le sénateur Carney: Ce que vous venez de dire est parfaitement injuste, monsieur le président.
Le président: Ce n'est pas injuste.
Le sénateur Carney: Cela porte sur la suggestion du ministre que...
Le président: C'est un fait.
Le sénateur Carney: Les témoins ont été choisis par le comité directeur. Il faudrait croire, selon la déclaration du ministre, à une théorie de conspiration. Nous avons eu les meilleurs témoins qu'il nous était possible de convoquer, et aucun d'eux, y compris...
Le président: Tous les témoins venaient de votre liste. Vous avez personnellement donné votre liste au comité directeur. Je vous remercie. C'est très bien.
Le sénateur Carney: Vous attribuez des motifs et vous mettez en cause l'intégrité des témoins que nous avons appelés pour obtenir des éclaircissements sur le projet de loi. Vous pouvez dire...
Le président: Je n'attribue rien du tout, sénateur Carney. Je ne fais qu'énoncer un fait. Je vous remercie.
Le sénateur Carney: Je m'élève contre l'insinuation que nos témoins...
Le président: Vous pouvez vous élever autant que vous le voudrez.
Le sénateur Carney: Voulez-vous présenter vos excuses aux témoins?
Le président: Non, sénateur Carney, parce que je n'ai attribué aucun motif. J'ai juste énoncé un fait.
Le sénateur Carney: Monsieur Fawcett, revenons à votre affirmation selon laquelle le projet de loi n'a rien à voir avec l'autorisation des exportations. Les témoins ont néanmoins dit que, dans sa forme actuelle et compte tenu des pouvoirs réglementaires et des pouvoirs de la CMI, le projet de loi pourrait avoir cet effet. Où est la restriction dans le projet de loi C-6, tel qu'il est actuellement rédigé?
M. Fawcett: Je vous remercie, sénateur Carney, de vos observations. Je voudrais préciser que mon commentaire concernant les critiques du rapport de la CMI s'adressait à un témoin précédent, M. Appleton, qui a soutenu que la CMI avait tort. Nous conviendrons tous, je crois, que le point de vue de la CMI est très fondé et très complet.
Mon commentaire concernant l'autorisation d'exportations se base sur la façon dont le projet de loi est structuré. L'article 11 traite de la délivrance de licences pour l'utilisation d'eau à l'intérieur du bassin hydrographique.
La prohibition s'applique aux captages destinés à retirer de l'eau en vrac des bassins hydrographiques.
Le sénateur Carney: L'expression «en vrac» ne figure pas dans le projet de loi. L'avez-vous remarqué?
M. Fawcett: Il faut lire le projet de loi en parallèle avec le règlement. C'est pour cette raison que nous avons publié le projet de règlement.
Le sénateur Carney: Vous avez établi que les témoins ont tort et que vous avez raison. Mon second point est le suivant: si vous estimez que le projet de loi se situe dans un contexte environnemental plutôt qu'économique, pourquoi les mots «écologie» et «environnement» sont-ils absents du projet de loi?
M. Fawcett: Comme M. Cooper l'a signalé, l'effet environnemental est très évident dans l'approche que nous avons adoptée, qui consiste à garder l'eau dans le bassin hydrographique à des fins environnementales.
Le sénateur Carney: Ce n'est pas ce que dit le projet de loi. En convenez-vous?
M. Fawcett: Je voudrais mentionner...
Le sénateur Carney: Non, le projet de loi ne mentionne pas cela. Le sénateur Austin a signalé qu'on ne se souciait pas d'environnement en 1909 ou 1910 lors de l'adoption de la loi initiale. Je vous demande simplement ceci: si vous situez le projet de loi dans un contexte environnemental - il faudrait d'ailleurs noter que c'est le ministre de l'Environnement qui a déposé le projet de loi à la Chambre -, pourquoi les mots «écologie» et «environnement» sont-ils absents du projet de loi?
M. Fawcett: Le mot «environnement» ne paraît que dans le règlement. Un examen environnemental succinct est nécessaire.
Le sénateur Carney: Mais cela n'est pas mentionné dans le projet de loi.
Monsieur Reiskind, vous avez dit - je pose cette question pour obtenir des éclaircissements puisque nous n'avons pas pu obtenir de réponse plus tôt - qu'un projet doit recevoir l'approbation de la CMI et du gouvernement. Voulez-vous dire par là que si le ministre recourt au pouvoir de prendre des règlements et de prescrire des exceptions pour approuver un projet, la CMI peut empêcher la réalisation du projet?
M. Reiskind: C'est exact. Une double approbation est nécessaire. Il est très important pour nous que le gouvernement des États-Unis ne puisse pas approuver des projets de sa propre initiative. Il aurait besoin de l'approbation de la Commission mixte, qui compte des commissaires canadiens.
Le sénateur Carney: Cela s'inscrivait dans le mandat de la CMI qui, à ma connaissance, ne comprend pas nécessairement l'environnement. Le mandat traite du niveau des eaux, mais pas de l'environnement.
M. Reiskind: M. Cooper qui a participé à des approbations données par la CMI pourrait peut-être donner plus de détails sur les examens de la CMI.
Le sénateur Carney: Je demanderai plus tard à M. Cooper. Si vous êtes incapable de répondre à la question, je vais passer à autre chose. Vous dites que les pouvoirs réglementaires et les pouvoirs conférés au ministre ou à la CMI sont comparables à ceux qui figurent dans d'autres lois. L'une des lois que vous avez mentionnées est bien sûr la Loi canadienne sur l'évaluation environnementale de 1992. Cette loi contient des prescriptions très claires au sujet des règlements, du processus réglementaire, de la façon de prendre les règlements, des personnes autorisées à les prendre et des modalités d'examen. Seriez-vous disposé à inclure le même genre de mécanismes dans le projet de loi C-6?
M. Reiskind: J'ai parlé de la LCEE parce que, théoriquement, si aucune loi n'est inscrite sur la liste des lois, aucune évaluation environnementale ne pourrait être entreprise. On peut avancer le même argument dans le cas du projet de loi C-6.
Le sénateur Carney: Vous n'avez pas répondu à ma question. Seriez-vous disposé à inclure le même genre de mécanismes réglementaires dans le projet de loi C-6, qui ne semble prévoir aucun processus d'examen?
M. Reiskind: Il s'agit de mesures législatives différentes. La LCEE ne sert pas directement à mettre en oeuvre un traité, comme c'est le cas du projet de loi C-6.
Le sénateur Carney: C'est vous qui l'avez dit, monsieur Reiskind, pas moi. Vous avez dit que le projet de loi est comparable à d'autres mesures législatives. Je vous demande si vous êtes disposé à rendre le projet de loi comparable à la LCEE.
J'ai une autre...
Le sénateur Corbin: C'est une question qu'il appartient au ministre de trancher.
Le sénateur Carney: Le ministre n'est pas là.
Le sénateur Corbin: Ces gens sont des fonctionnaires. Ils ne formulent pas la politique.
Le sénateur Carney: Je réponds à des commentaires qu'ils ont eux-mêmes formulés.
Monsieur Cooper, pourquoi n'y a-t-il aucune mention d'«environnement» ou d'«écologie» dans le projet de loi? Avez-vous des commentaires à formuler sur ce que je viens de dire à M. Reiskind?
M. Cooper: Je ne suis pas sûr de pouvoir vous donner une réponse, étant donné que la rédaction du projet de loi se fondait sur la portée - l'objectif - du traité.
Le sénateur Carney: Ce qui ne comprend pas l'environnement.
M. Cooper: L'article IV dit que: «celles (les eaux) qui coupent la frontière ne seront d'aucun côté contaminées au préjudice des biens ou de la santé de l'autre côté.»
De façon très détournée, il fait allusion à des domaines autres que la navigation, l'irrigation, les usages domestiques et la consommation. Je voudrais signaler que la CMI a également pris cette direction. Son mandat, qui a été établi par le Traité des eaux limitrophes internationales, est d'examiner les différentes questions sous l'angle de l'environnement, des niveaux et des débits. Il a également été proposé, en 1998 je crois, de créer des conseils internationaux des écosystèmes pour protéger, avec les États-Unis, les écosystèmes concernés.
Quant à savoir pourquoi le texte ne parle pas de façon explicite de l'environnement, je dirai qu'il s'agit de la décision des rédacteurs et je ne peux vraiment pas faire de commentaires à ce sujet.
Le sénateur Carney: Monsieur Cooper, vous avez dit tout à l'heure qu'après discussion avec les provinces, il a été décidé d'interdire dans tout le Canada l'exportation massive d'eau. Nous n'avons pas été capables de trouver cette interdiction où que ce soit. Pouvez-vous nous dire où nous pourrions la trouver?
M. Cooper: En février 1999, le gouvernement fédéral a annoncé qu'il allait interdire dans tout le Canada les prélèvements massifs d'eau. Il s'agissait d'un processus à trois volets. Dans le cadre de ce processus, nous avons essayé de travailler avec les provinces afin que chacune d'elles adopte sa propre loi ou son propre règlement pour interdire les prélèvements massifs d'eau.
Neuf provinces sur dix l'ont fait, et le Nouveau-Brunswick est en train de le faire. Je dirais qu'il s'agit, dans un certain sens, d'une interdiction de prélever massivement de l'eau dans tout le Canada.
Le sénateur Carney: Je voulais que cela figure dans le compte rendu, parce que nous n'avons pas été capables d'en trouver la trace.
Un certain nombre de témoins ont parlé du projet de loi C-6 et plusieurs d'entre eux ont fait remarquer qu'il comportait un aspect positif, en ce sens qu'il existe des pénalités et d'autres dispositions destinées à améliorer les ententes informelles qui ont été conclues. Cependant, d'autres témoins ont critiqué de façon précise et cohérente le projet de loi dans sa forme actuelle. Avez-vous entendu, au cours de toutes ces heures d'auditions, quelque chose sur lequel vous êtes d'accord? J'aimerais avoir une réponse de chacun d'entre vous. N'y a-t-il aucun changement à apporter à ce projet de loi? Nous sommes d'accord pour ce qui est de l'objectif du projet de loi, dont a parlé le ministre. Mais nous sommes d'avis que le projet de loi, dans sa forme actuelle, ne permet pas d'atteindre cet objectif.
Le président: Si vous pouviez répondre très rapidement. Ce sera ensuite au sénateur Murray, qui a été très patient. Je ne sais pas comment les témoins pourront répondre à la question.
Le sénateur Carney: Y a-t-il quelque chose, dans tout ce qu'ils ont entendu, sur lequel ils sont d'accord? Je parle du texte même du projet de loi - nous avons dit que nous approuvions la politique.
Le sénateur Corbin: Cela revient au même, sénateur Carney, parce que les politiciens dictent la politique. Ces gens-là ne sont pas des politiciens. Ils exécutent et ils traduisent en termes juridiques la volonté des politiciens. Ils pensent avoir fait un bon travail.
Le sénateur Carney: Pourriez-vous les laisser répondre, sénateur?
Le président: Ils peuvent tous dire qu'ils ont fait un bon travail. .
Le sénateur Carney: Ma question est sérieuse, parce qu'ils ont entendu de nombreuses critiques sur le projet de loi.
Le président: Nous vous prenons au sérieux, sénateur Carney. Si vous voulez qu'ils vous répondent, ils le feront peut-être.
M. Fawcett: Je vais essayer le premier. Le projet de loi, tel qu'il est rédigé, permet d'obtenir les résultats escomptés. Les questions qui ont été posées à son sujet sortent du cadre que nous avions prévu lorsque nous nous sommes préparés à venir témoigner.
Certains affirment qu'en utilisant les dispositions d'exception, le ministre pourrait accorder des licences d'exportation. Or, en plus de ne pas respecter les mécanismes de sauvegarde - la CMI et l'étude -, si le ministre accordait des licences d'exportation qui modifient le niveau ou le débit des eaux limitrophes, il violerait aussi les dispositions du traité. Nous ne pouvons envisager que le pouvoir discrétionnaire du ministre aille aussi loin. Cela me semble aller au-delà de l'objectif du projet de loi, qui est d'empêcher le prélèvement massif d'eau dans les différents bassins.
M. Reiskind: Je suis d'accord avec ce qu'a dit le sénateur Grafstein au sujet de la rédaction du projet de loi.
M. Cooper: Je suis satisfait de la façon dont le projet de loi a été rédigé, parce qu'il se fonde sur une approche environnementale. C'est exactement l'approche que nous avions recommandée aux provinces. Nous respectons notre partie de l'engagement.
Le sénateur Murray: Monsieur le président, je vais faire quelques commentaires, et les témoins pourront y répondre s'ils le désirent.
En ce qui concerne ce que nous avons entendu ce soir de la part des témoins du gouvernement, je dirai que M. Fawcett a raison de signaler que la disposition relative à l'octroi d'une licence, qui figure à l'article 11, ne fait que concrétiser le processus d'approbation actuel. C'est en fait une disposition d'ordre administratif, et j'accepte qu'il en soit ainsi. Cependant, il faut aussi noter que le gouverneur en conseil dispose du pouvoir absolu - je dis bien absolu - de prévoir des exceptions à la disposition relative à l'octroi d'une licence et, en fait, à l'ensemble du processus.
M. Reiskind et moi avons parlé de cette question l'autre soir, et je lui ai dit que le gouverneur en conseil pourrait déclarer: «Vous n'avez pas à vous soucier du gouvernement, de la CMI et de la licence dans ce cas.» Et M. Reiskind m'a répondu: «Oui, mais c'est conforme à ce qui s'est fait jusqu'à présent.» Pourtant, nous sommes en train de codifier ce droit absolu de prévoir des exceptions dans ce projet de loi.
Maintenant, M. Fawcett, tout comme un certain nombre de témoins, fait la distinction entre, d'une part, la disposition relative à l'octroi de licences, qui concerne les utilisations de l'eau dans les bassins et, d'autre part, la disposition de l'article 13 relative à la prohibition, qui, comme on le sait, porte sur le prélèvement d'eau à l'extérieur des bassins. M. Cooper a dit la même chose à ce sujet. Je comprends cette distinction entre les usages dans les bassins et les prélèvements hors des bassins et je comprends son importance.
Cependant, elle n'est pas importante pour ce qui nous intéresse ici, à savoir les conséquences commerciales. L'eau, dans son état naturel, peut faire l'objet d'un commerce - et on nous dit qu'il n'est pas nécessaire qu'il s'agisse d'un commerce international, simplement d'un commerce - en vertu de la disposition relative à l'octroi de licences. M. Appleton et M. Mann, les spécialistes du droit commercial qui ont comparu l'autre soir, nous ont affirmé que si l'on appliquait le projet de loi C-6, on aurait plus de difficultés à empêcher que l'eau ne fasse l'objet d'un commerce. C'est ce que prétendent ces avocats d'affaires. Ils sont en faveur, je pense, d'une interdiction des exportations.
Soyons clairs là-dessus, monsieur le président. Peu importe que l'on dise qu'il s'agit des témoins du sénateur Carney ou des nôtres. Ce sont les témoins du comité. Je ne les avais jamais vus auparavant, ni l'un ni l'autre. Je suis sûr qu'ils ne sont pas venus pour parler en faveur d'un parti politique donné, et je suis sûr qu'ils ne sont pas venus défendre une cause environnementale quelconque. Tous deux ont dit bien clairement, tout comme d'autres témoins, que ce qui les intéresse, c'est que l'on dispose d'une loi efficace dans ce domaine. Ils ne pensent pas que ce projet de loi deviendra une loi efficace, qu'une interdiction des exportations serait la meilleure solution et qu'elle nous rendrait moins vulnérables, en matière de transactions et de lois commerciales, que ce projet de loi ne le fera un jour.
Je n'ai pas besoin de dire grand-chose sur la question des règlements, mais j'indiquerai que M. Reiskind est en faveur d'un vaste pouvoir d'adopter des règlements parce qu'il nous faut une certaine souplesse pour mettre en oeuvre ce traité international. Cependant, la loi d'application du traité international est en vigueur depuis 1911, je crois, et elle fonctionne sans le moindre règlement. Nous aurions pu modifier cette loi, comme le projet de loi C-6 se propose de le faire, sans donner au gouverneur en conseil un droit absolu de faire des exceptions à une disposition d'octroi de licences et à une prohibition. Nous aurions pu insister pour que les exceptions, dont on précise qu'elles sont peu nombreuses, figurent dans la loi pour qu'un futur gouvernement ne puisse pas les changer sans passer par le Parlement. Nous devons insister pour qu'il n'y ait pas de pouvoir absolu qui permette de définir, dans un règlement, tout mot qui ne serait pas défini dans le projet de loi. Nous pouvons insister pour que les définitions fassent partie de la loi, comme c'est le cas dans la plupart des lois, et pour que le gouverneur en conseil n'ait pas le droit d'inscrire sur une liste, ou de les en retirer, les noms des bassins auxquels cette loi s'appliquera, mais plutôt pour que ces noms figurent dans la loi. De cette façon, si un futur gouvernement veut ajouter des noms sur la liste ou en retirer certains, il pourra en saisir le Parlement, comme il se doit pour une question de cette importance.
Je suis redevable envers le sénateur Austin, qui a mentionné tout à l'heure l'opinion de deux avocats de la firme Davies, Ward et Beck, qui ont fait un exposé lors d'une conférence sur la loi relative à l'eau des Grands Lacs, qui s'est tenue à Milwaukee en février 2000. Ils ont traité de toute cette question de la «commercialisation» de l'eau. Le sénateur Austin n'a pas parlé de ces passages, que je sais être pertinents pour ce que nous vous voulons faire. J'attire votre attention sur la page 4, où ils disent:
À notre avis, affirmer que l'eau n'est pas un bien est une échappatoire commode des politiciens, qui risque de détour ner l'attention de l'effort fait pour établir et développer une relation constructive et compatible entre les règles du commerce international et la politique environnementale.
Pour nous, une solution satisfaisante ne pourra venir que d'une analyse froide et éclairée du droit commercial international pour ce qui est de la conservation des ressources.
À la page 14, ils disent, comme l'a affirmé le sénateur Austin, que la déclaration conjointe faite par le Canada, les États-Unis et le Mexique, bien que, à strictement parler, elle ne lie pas les parties à l'ALENA, fait autorité en matière de traitement de l'eau dans son état naturel en vertu de l'ALENA.
Ils disent ensuite ceci:
Étant donné la forme catégorique de la déclaration conjointe, il est très vraisemblable que l'eau dans son état naturel ne sera pas considérée comme un bien dans le cadre de l'ALENA ou de toute obligation en vertu de l'ALENA pour ce qui est du commerce des biens, y compris les articles III (traitement national) et IX (prohibition des restrictions quantitatives) inclus par renvoi dans l'ALENA. Malheureusement, cependant, cette conclusion laisse encore de nombreuses questions sans réponse, comme on peut le voir à la partie VIII de ce document.
Je ne vais pas vous lire toute la partie VIII, mais j'en ferai ressortir deux ou trois choses. J'attire votre attention sur lapage 24, où l'on dit:
En fait, l'argument semble donner lieu à un tour de passe-passe métaphysique, où les ressources naturelles d'un pays sont «réputées» ne pas être un «bien» jusqu'au moment où des êtres humains les manipulent à un degré non précisé de façon à les sortir de leur «état naturel». Parler de l'«eau dans son état naturel», c'est en fait user de faux-fuyants dans un contexte très limité, qui ne résout pas les questions sous-jacentes plus importantes.
La liste de ces questions sous-jacentes figure à la page 25. Je ne vais pas la lire puisque vous l'avez.
Le sénateur Austin: L'argument relève entièrement del'alinéa 20g) du GATT et de la compétence qu'il prévoit.
Le sénateur Murray: Oui. Pourquoi? Ils disent à la page 27, en utilisant l'ancienne appellation du projet de loi, à savoir projet de loi C-15:
Cependant, il nous semble que mettre l'accent sur le prélèvement d'eau dans un bassin constitue, au mieux, une solution de fortune. Bien que cette approche semble se fonder sur des préoccupations pour la conservation et l'environnement, elle soulève certains doutes si on y regarde de plus près.
La dernière phrase, qui contient l'élément sur lequelMM. Appleton et Mann ont si fortement insisté l'autre soir, dit:
Point n'est besoin de faire preuve de beaucoup d'imagination pour voir que, pour s'opposer sur le plan commercial à la politique de prohibition concernant les «prélèvements d'eau hors des bassins», il faut commencer par l'établissement de l'«objectif principal» de la politique.
Monsieur le président, les sénateurs Carney, Bolduc, Andreychuk, Spivak et moi-même avons commencé à étudier ce projet de loi avec certaines réserves, sérieuses mais très précises. Nous sommes venus ici en étant préoccupés par un projet de loi qui contenait une disposition d'octroi de licences et une disposition de prohibition qui étaient, selon nous, menacées par un trop grand pouvoir de réglementation. Tout ce que nous avons entendu par la suite n'a fait qu'ajouter à nos préoccupations. Mme Sullivan, la spécialiste de la rédaction juridique, nous a dit que les tribunaux ne trouveraient rien à redire à la plupart des règlements qui pourraient être adoptés en vertu de ce projet de loi, parce qu'il en accorde très clairement le contrôle au gouvernement. Nous avons ensuite entendu les deux spécialistes du droit commercial, et vous savez ce qu'ils ont dit à propos du fait que l'eau était de toute façon un bien, que le problème surgirait quand elle ferait l'objet d'un commerce et qu'elle risquait beaucoup plus de faire l'objet d'un commerce si nous conservions dans le projet deloi C-6 la disposition d'octroi de licences. Ensuite, un expert constitutionnel nous a dit ce soir que ce projet de loi était très vulnérable sur le plan constitutionnel.
Voilà où nous en sommes. Nous pouvons aller de l'avant tout de suite ou nous pouvons prendre le temps d'apporter certains amendements à ce projet de loi.
M. Fawcett: Nous sommes d'accord avec le sénateur Murray pour dire qu'une fois que l'eau a fait l'objet d'un commerce et est devenue un bien, elle est assujettie aux accords commerciaux. C'est très important. C'est pourquoi l'eau est pour nous une ressource et non un bien.
Le second point concerne le régime d'octroi de licences et le fait de savoir s'il est assujetti aux obligations commerciales. Mes experts en droit commercial me disent que les règles commerciales se limitent aux mesures gouvernementales qui réglementent la circulation des biens d'un pays à un autre. Il n'est pas question ici d'une circulation de biens d'un pays à un autre. Il s'agit ici d'un régime d'octroi de licences pour l'utilisation de l'eau dans les bassins. Je ne pense pas qu'une mesure qui empêche qu'une ressource - l'eau, en l'occurrence - devienne un bien, sans prétendre réglementer l'eau qui serait devenue un bien, soit affectée par la mise en oeuvre de règles commerciales. C'est là une réponse très précise à la question du sénateur.
Le sénateur Andreychuk: Le sénateur Murray a certainement résumé la situation de façon très appropriée, mais je veux répondre à M. Fawcett.
Vos experts en droit commercial vous ont parlé de circulation de biens d'un pays à un autre. D'autres experts nous ont dit de la même façon qu'une certaine gestion ou utilisation de l'eau du côté canadien relèverait des règles commerciales et non de la CMI. Je me demande si vous avez consulté vos spécialistes en droit commercial pour leur demander ce qu'ils pensaient de cette opinion.
Je ne suis pas une spécialiste de l'environnement ou de la CMI. Lorsque je pratiquais le droit, j'étais conseillée par un certain juge qui disait: «Ce n'est pas une bonne loi; douze fermiers de Baildon ne peuvent la comprendre.» Dans le cas qui nous occupe, si tout ce que nous voulons faire, c'est modifier la Loi du traité des eaux limitrophes internationales et que tout ce que le projet de loi dit vouloir faire, c'est ça, alors d'accord.
Cependant, ce n'est pas ce que le ministre a dit, ou ce que vous êtes en train de dire. Vous dites qu'il s'agit d'un volet d'une approche qui en comprend trois, ce qui me porte à croire qu'il existe un besoin inhérent en plus des amendements que vous apportez à ce projet de loi. En d'autres termes, cette question des exportations d'eau, cette crainte ou ce malaise au sujet des définitions dans les règles commerciales, c'est avec ça en fait que le ministre est en train de se débattre. Cela me rend donc très nerveuse de voir que toutes ces questions ne figurent pas dans le projet de loi, que rien dans le préambule ne précise ce que vous essayez de faire. Vous dites simplement que vous essayez de modifier une loi. Vous n'êtes pas en train d'essayer de protéger le traité international, vous n'êtes pas en train d'empêcher des interprétations qui pourraient être très bien accueillies par les hommes d'affaires comme, nous le savons, cela s'est déjà produit dans le passé et se produira encore dans l'avenir.
Cela étant, pourquoi faire figurer dans les règlements un pouvoir si vaste, si absolu, si vous voulez garantir aux Canadiens qui se préoccupent de l'environnement que nous ne serons pas pris au piège des nuances commerciales, comme cela s'est produit souvent avec nos voisins? Nous savons ce qu'ils ont fait au cours du dernier siècle; nous n'avons aucune idée de la façon dont ils vont interpréter les choses à l'avenir.
À peu près tout ce qui reste, c'est le malaise, auquel s'ajoute le pouvoir discrétionnaire absolu du ministre, ce qui laisse le Parlement en dehors du coup. On nous demande de donner carte blanche aux gens. Il n'y a rien qui nous permette de nous tourner vers la population pour lui dire: «Ne vous inquiétez pas, votre eau ne risque rien. Il n'y aura pas de transactions commerciales.»
En Saskatchewan, d'où je viens, nous sommes constamment confrontés à des interprétations innovatrices en matière de commerce de la part des gens d'en face. C'est là le monde des affaires.
J'aimerais que vous m'expliquiez pourquoi les rédacteurs - les experts - ont conçu le projet de loi de cette façon, alors que vous avez annoncé clairement ce que vous vouliez faire. J'aurais aimé qu'ils soient là pour que je puisse vous appuyer.
M. Fawcett: Merci pour votre question, sénateur Andreychuk. Si nous comparaissons devant vous, c'est en partie pour essayer de vous expliquer toutes ces choses. Il est difficile de mettre tout ceci dans un projet de loi et de répondre à toutes les questions. Et toutes vos questions ont d'ailleurs été très bonnes.
Comme vous le savez, l'eau est un sujet très délicat pour les Canadiens et ils veulent être assurés que notre eau est bien protégée. C'est là la raison de ce projet de loi.
Vous avez posé une question sur l'approche à trois volets. Cette approche a été adoptée pour répondre à ceux qui nous reprochaient de ne traiter que des eaux limitrophes, sans nous préoccuper de toutes les autres eaux du Canada. Nous ne voulions pas nous lancer dans une bataille avec les provinces à propos de la compétence. D'où cet accord pancanadien, de façon à couvrir toutes les eaux du Canada. Nous voulions bénéficier des conseils de la Commission mixte internationale. Nous avons donc commandé l'étude que vous avez vue, dans laquelle figurent de très fortes recommandations, dont les deux gouvernements doivent au moins prendre connaissance. C'est une approche très énergique. Je pense qu'il s'agit d'une vaste approche, grâce à laquelle on pourra essayer de traiter de cette question complexe.
Dans une certaine mesure, vous avez répondu à votre propre question. C'est une affaire complexe. Les règlements visent à nous permettre de réagir à différentes situations. Ceux qui voudront exporter de l'eau pour gagner de l'argent en utilisant des ressources canadiennes examineront ce projet de loi pour voir comment ils pourront en contourner les dispositions. Les règlements nous donneront le pouvoir nécessaire pour répondre à ce genre d'attaque.
Le sénateur Andreychuk: Pour terminer, je veux féliciter le gouvernement pour la politique qu'il essaie de mettre en oeuvre. Mon problème, c'est qu'avec le projet de loi, dans sa forme actuelle, je me sens encore moins sûre que s'il n'existait pas, parce qu'il ouvre la porte à toutes ces choses que vous avez énumérées. On voulait, avec cette politique, essayer d'empêcher qu'elles se produisent. Or, le projet de loi ne semble pas le permettre. Ce pouvoir discrétionnaire absolu accordé au ministre semble élargir le problème. Je ne parle pas du ministre actuel, car je lui voue un très grand respect. Je parle des futurs ministres, qui pourraient avoir une idée tout à fait différente de ce qu'est l'environnement et des eaux qu'on doit vendre ou ne pas vendre. L'interprétation créative peut contrarier les meilleures intentions des commissaires aux traités.
Le sénateur Spivak: Je serai brève, car nous avons fait le tour de la plupart des questions.
Je veux faire quelques très rapides commentaires sur le contexte de cette affaire. Il faudrait être Sherlock Holmes pour comprendre la raison pour laquelle, compte tenu du contexte, vous avez fait ce que vous avez fait. Le premier contexte, c'est qu'on nous a dit à plusieurs reprises qu'aux termes de l'Accord de libre-échange, l'eau n'était pas négociable. On nous a également dit à plusieurs reprises que la culture n'était pas négociable. Cela s'est révélé faux.
Deuxièmement, nous avons une politique à trois volets, au coeur de laquelle figure une question environnementale, et cependant, le mot «environnement» n'est pas utilisé. Est-ce parce que l'«environnement» pourrait être une barrière non douanière? Quelle en est la raison?
Troisièmement, étant donné le nombre de projets qu'il y a eu dans ce contexte, c'est-à-dire le projet du canal Grand et tous ceux qui concernaient la vente de l'eau, pourquoi, d'après vous, devrions-nous faire confiance aux futurs ministres?
Quelle est la pénalité si le ministre fait cela? Où est la pénalité?
J'ai une autre question. Le texte actuel de l'OMC, celui de Doha - vous n'avez pas à faire de commentaires à ce sujet parce que le président ne veut pas qu'on y consacre plus de temps - prévoit la suppression des barrières non douanières relatives aux biens et aux services environnementaux. On nous a affirmé que l'eau était un bien et on nous dit que le Canada insiste pour qu'elle soit incluse dans l'Accord général sur le commerce des services. Est-ce vrai, et si c'est le cas, pourquoi le Canada adopte-t-il cette position?
M. Fawcett: Je vais essayer de répondre à votre dernière question, sénateur Spivak. Dans la Déclaration de Doha, les ministres ont exprimé leur intention de tenir un nouveau cycle de négociations commerciales. Il s'agit donc d'un début.
En ce qui concerne l'article 31 de la déclaration ministérielle, dont vous parlez de façon précise, il a été présenté au dernier moment par l'Union européenne pour traiter de questions commerciales et environnementales. Voilà pour le contexte.
Comme vous l'avez indiqué, une proposition a été faite en vue de libéraliser le commerce des biens et des services environnementaux. On revient là à notre discussion de tout à l'heure, où nous avons dit que l'eau dans son état naturel n'était ni un bien ni un service. Dans ce contexte, la proposition ne s'applique pas à l'eau, elle s'applique aux biens et aux services environnementaux.
Franchement, ayant travaillé sur des questions commerciales et environnementales et ayant discuté de ce sujet au sein du comité de l'OMC sur le commerce et l'environnement pendant de nombreuses années, nous sommes tout à fait d'accord pour qu'il y ait d'autres discussions générales dans ce domaine. Cependant, il n'y a pas de dispositions précises concernant l'eau. Le Canada n'insiste pas pour que l'eau soit incluse. Cela serait tout à fait incompatible avec le projet de loi que vous étudiez. En outre, l'accès à la technologie, surtout dans le domaine de l'environnement, est une question dont les pays en développement veulent traiter. Ils réclament à cor et à cri le transfert de technologie. Tout cela est positif.
Le sénateur Carney: Ma dernière remarque sera pour les fonctionnaires, qui ont été très patients ce soir. Je voudrais vous lire une phrase que l'on trouve à la fin du document de Davies, Ward et Beck, que le sénateur Austin a eu l'amabilité de nous communiquer. Elle dit: «Si vous vous retrouvez au fond d'un trou, arrêtez de creuser.»
Le président: Je vous remercie tous beaucoup. Si quelqu'un nous avait regardés à la télévision, jamais il n'aurait pu croire que nous étions en train de travailler sur un projet de loi de six pages seulement. Mais c'est comme ça.
La séance est levée.